SYNDICALISME - Le Devoir

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MARILYSE HAMELIN Collaboration spéciale L e collectif réclame le droit pour tous les tra- vailleurs québécois de connaître leur ho- raire de travail au moins cinq jours à l’avance, en plus de bénéficier de 10 jours de congés payés par année pour cause de maladie ou de responsabilités familiales, ainsi que l’augmentation du sa- laire minimum à 15 $ l’heure. Selon la coalition, ce sont là trois mesures phares pour contribuer à réduire la pauvreté et pour aider les travailleurs à concilier vies professionnelle et familiale. Ces revendications se- ront au cœur des activités orga- nisées un peu partout dans la province ce lundi 1 er mai, dont la grande marche de Montréal et les manifestations à Québec et à Sherbrooke (30 avril). Selon Pierre-Antoine Harvey, économiste à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et chercheur associé à l’IRIS, « l’implantation du salaire mini- mum à 15 $ l’heure profiterait non seulement aux travailleurs, mais aussi à l’État, en lui per- mettant de dégager près d’un mil- liard de dollars ». Le chercheur déplore qu’ac- tuellement, le gouvernement doive plutôt débourser 300 mil- lions en transferts aux travail- leurs, comme la prime au tra- vail et le crédit d’impôt pour so- lidarité. « Implicitement, le pa- tronat reconnaît que les salaires sont trop bas, mais il dit que ce n’est pas son rôle de sortir les gens de la pauvreté, que c’est au gouvernement de payer », dit-il. Au contraire, augmenter le salaire minimum à 15 $ l’heure permettrait à son avis non seu- lement d’épargner sur les trans- ferts, mais aussi de collecter da- vantage d’impôt sur le revenu. « Sans compter que la consom- mation aussi augmenterait, donc le gouvernement encaisse- rait plus de taxes sur les produits et services », indique-t-il. Contrepoids Si Pierre-Antoine Harvey ne nie pas les impacts écono- miques négatifs que pourrait causer la hausse du salaire mi- nimum, notamment chez les industriels exportateurs, il es- time que des mesures ciblées, financées à partir du milliard de dollars dégagé, suffiraient à les atténuer. Dans un premier temps, il tient à préciser que 90 % des emplois au salaire minimum au Québec se trouvent plutôt dans les services — contre seulement 10 % dans le sec- teur manufacturier — et que tous les industriels ne sont pas exportateurs. Au bout du compte, l’écono- miste prédit de 1 à 2 % de pertes d’emplois parmi le million de Québécois gagnant actuelle- ment moins de 15 $ l’heure, et ce, principalement chez les tra- vailleurs non qualifiés. «Nous pourrions tout à fait investir dans la formation de cette main- d’œuvre avec les sommes déga- gées », estime le chercheur. Ce n’est pas innocent si la campagne 5–10–15 a été lan- cée en octobre dernier, à l’oc- casion de la Journée mon- diale d’action pour le travail décent. Et la pauvreté des gagne-petit est un phéno- mène touchant davantage les femmes, encore aujourd’hui. « Quand on parle d’équité sa- lariale, il s’agit effectivement de comparer des postes compa- rables, mais pas seulement. Il faut aussi viser l’égalité de re- venu, or les femmes sont majo- ritaires à occuper les emplois peu rémunérés, que ce soit au salaire minimum ou à moins de 15 $ l’heure », indique Méla- nie Gauvin de l’organisme Au bas de l’échelle. Elle rappelle que ces travail- leuses œuvrent principale- ment dans les secteurs de la restauration et de l’héberge- ment, du commerce au détail et des soins aux personnes, par exemple à titre de prépo- sées aux bénéficiaires. « L’an dernier, au Québec, près de 60 % des personnes gagnant moins de 15 $ l’heure étaient des femmes », indique-t-elle. Une revendication féministe, l’augmentation du salaire mini- mum à 15 $ l’heure ? Oui, tout comme la revendication « 10 » pour 10 jours de congés payés pour motifs familiaux ou de santé. Si la Loi sur les normes du travail les prévoit déjà, ils sont pour l’instant non rému- nérés. Or Mélanie Gauvin sou- ligne qu’ils sont encore très majoritairement pris par les femmes. « En 2016, les femmes SYNDICALISME 1 ER MAI 2017 CAHIER THÉMATIQUE H LE DEVOIR, LES SAMEDI 29 ET DIMANCHE 30 AVRIL 2017 Les profs de la FAE demandent plus de reconnaissance Page H 3 La CSN entre aussi dans la campagne 5-10-15 Page H 2 ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le 1 er mai est une date importante au Québec, où de nombreux organisations syndicales et groupes communautaires participent aux différentes manifestations pour les droits des travailleurs. Syndicats et organisations communautaires sont réunis cette année pour le 1 er mai sous la bannière de la campagne 5–10–15 afin de porter trois revendications communes. Trois revendications pour les travailleurs VOIR PAGE H 3 : 1 ER MAI Implicitement, le patronat reconnaît que les salaires sont trop bas, mais il dit que ce n’est pas son rôle de sortir les gens de la pauvreté, que c’est au gouvernement de payer Pierre-Antoine Harvey, économiste à la CSQ « »

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Page 1: SYNDICALISME - Le Devoir

M A R I L Y S E H A M E L I N

Collaboration spéciale

L e collectif réclame ledroit pour tous les tra-vailleurs québécoisde connaître leur ho-raire de travail au

moins cinq jours à l’avance, enplus de bénéficier de 10 joursde congés payés par annéepour cause de maladie ou deresponsabilités familiales,ainsi que l’augmentation du sa-laire minimum à 15$ l’heure.

Selon la coalition, ce sont làtrois mesures phares pourcontribuer à réduire la pauvretéet pour aider les travailleurs àconcilier vies professionnelle etfamiliale. Ces revendications se-ront au cœur des activités orga-nisées un peu partout dans laprovince ce lundi 1er mai, dont lagrande marche de Montréal et

les manifestations à Québec et àSherbrooke (30 avril).

Selon Pierre-Antoine Harvey,économiste à la Centrale dessyndicats du Québec (CSQ) etchercheur associé à l’IRIS,«l’implantation du salaire mini-mum à 15$ l’heure profiteraitnon seulement aux travailleurs,mais aussi à l’État, en lui per-mettant de dégager près d’un mil-liardde dollars».

Le chercheur déplore qu’ac-tuellement, le gouvernementdoive plutôt débourser 300 mil-lions en transferts aux travail-leurs, comme la prime au tra-vail et le crédit d’impôt pour so-lidarité. « Implicitement, le pa-tronat reconnaît que les salairessont trop bas, mais il dit que cen’est pas son rôle de sor tir lesgens de la pauvreté, que c’est augouvernement de payer», dit-il.

Au contraire, augmenter le

salaire minimum à 15$ l’heurepermettrait à son avis non seu-lement d’épargner sur les trans-ferts, mais aussi de collecter da-vantage d’impôt sur le revenu.« Sans compter que la consom-mation aussi augmenterait,donc le gouvernement encaisse-rait plus de taxes sur les produitset services», indique-t-il.

ContrepoidsSi Pierre-Antoine Harvey ne

nie pas les impacts écono-miques négatifs que pourraitcauser la hausse du salaire mi-nimum, notamment chez lesindustriels exportateurs, il es-time que des mesures ciblées,financées à partir du milliardde dollars dégagé, suffiraientà les atténuer.

Dans un premier temps, iltient à préciser que 90 % desemplois au salaire minimumau Québec se trouvent plutôtdans les ser vices — contreseulement 10 % dans le sec-teur manufacturier — et quetous les industriels ne sont

pas exportateurs.Au bout du compte, l’écono-

miste prédit de 1 à 2% de pertesd’emplois parmi le million deQuébécois gagnant actuelle-ment moins de 15$ l’heure, etce, principalement chez les tra-vailleurs non qualifiés. «Nouspourrions tout à fait investirdans la formation de cette main-d’œuvre avec les sommes déga-gées», estime le chercheur.

Ce n’est pas innocent si lacampagne 5–10–15 a été lan-cée en octobre dernier, à l’oc-

casion de la Jour née mon-diale d’action pour le travaildécent. Et la pauvreté desgagne-petit est un phéno-mène touchant davantage lesfemmes, encore aujourd’hui.

« Quand on parle d’équité sa-lariale, il s’agit ef fectivementde comparer des postes compa-rables, mais pas seulement. Ilfaut aussi viser l’égalité de re-venu, or les femmes sont majo-ritaires à occuper les emploispeu rémunérés, que ce soit ausalaire minimum ou à moins

de 15 $ l’heure », indique Méla-nie Gauvin de l’organisme Aubas de l’échelle.

Elle rappelle que ces travail-leuses œuvrent principale-ment dans les secteurs de larestauration et de l’héberge-ment, du commerce au détailet des soins aux personnes,par exemple à titre de prépo-sées aux bénéficiaires. « L’andernier, au Québec, près de60 % des personnes gagnantmoins de 15 $ l’heure étaientdes femmes», indique-t-elle.

Une revendication féministe,l’augmentation du salaire mini-mum à 15 $ l’heure ? Oui, toutcomme la revendication « 10 »pour 10 jours de congés payéspour motifs familiaux ou desanté. Si la Loi sur les normesdu travail les prévoit déjà, ilssont pour l’instant non rému-nérés. Or Mélanie Gauvin sou-ligne qu’ils sont encore trèsmajoritairement pris par lesfemmes. «En 2016, les femmes

SYNDICALISME1ER MAI 2017

C A H I E R T H É M A T I Q U E H › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 A V R I L 2 0 1 7

Les profs de la FAEdemandent plus de reconnaissance Page H 3

La CSN entre aussidans la campagne 5-10-15 Page H 2

ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

Le 1er mai est une date importante au Québec, où de nombreux organisations syndicales et groupes communautaires participent aux dif férentes manifestations pour les droits des travailleurs.

Syndicats et organisations communautaires sont réunis cetteannée pour le 1er mai sous la bannière de la campagne 5–10–15 afin de porter trois revendications communes.

Trois revendications pour les travailleurs

VOIR PAGE H 3 : 1E R MAI

Implicitement, le patronat reconnaîtque les salaires sont trop bas, mais il dit que ce n’est pas son rôle de sortir les gens de la pauvreté, que c’est au gouvernement de payerPierre-Antoine Harvey, économiste à la CSQ

«»

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SYNDICALISMEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 A V R I L 2 0 1 7H 2

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

« C ette décision a été priselors de notre dernier

congrès, explique le présidentde l a cen t ra le synd ica le ,Jacques Létour neau. Nousavons décidé de nous occuperaussi des travailleurs non syn-diqués. On a un taux de syndi-calisation au Québec qui avoi-sine aujourd’hui les 38%; ça si-gnifie que plus de 60 % des tra-vailleurs qui sont pas représen-tés. On constate ces dernièresannées, avec les transforma-tions du marché du travail,qu’il y a de plus en plus de gensprécaires. »

M. Létourneau rappelle quela province est passée d’unesociété industrielle dans la-quelle les salariés avaient debons revenus à un marché demoins en moins syndiquéavec des travailleurs à lamerci du bon vouloir des pa-trons. Il estime par ailleursque plus d’un million de per-sonnes gagnent moins de15 dollars l ’heure. Mais cen’est pas tout. Ce sont lesmêmes qui en général obtien-nent leur horaire la veille etqui ne reçoivent pas leur sa-laire lorsqu’ils doivent pren-dre une jour née de congépour s’occuper d’un parentvieillissant ou d’un enfant ma-lade, déplore-t-il.

E n e f f e t , 9 0 % d e s p e r -sonnes gagnant le salaire mi-nimum ne sont pas syndi-quées. Qu’est-ce que ça signi-fie ? Qu’elles ont peu de pou-voir de négociation pour amé-liorer leurs conditions detravail et qu’elles sont seulesen cas de problème avec leuremployeur. Cela impliqueégalement qu’un nombre detravailleurs toujours plusgrand est obligé de se nourrirgrâce aux banques alimen-taires et de s’habiller dans lescomptoirs vestimentaires.

D’où l’idée de cette cam-pagne 5–10–15 : 5 pour connaî-t r e son hora i r e 5 jours àl’avance, 10 pour bénéficier de10 jours de congés payés pourcause de maladie ou de res-ponsabilités familiales et 15pour fixer un salaire minimumà 15dollars l’heure.

« Avec le salaire minimumactuel, il est impossible de sesortir de la pauvreté, même entravaillant à temps plein, peut-on lire sur le site Internet de lacoalition pour le 5–10–15. Demême, les normes minimalesdu travail ne prévoient aucun

congé payé ni pour maladie nipour s’occuper d’un enfant oud’un proche parent. Et les em-ployeurs n’ont aucune obliga-tion de remettre les horaires detravail à l’avance. Organiser savie personnelle et familiale de-vient donc un casse-tête. »

Cette campagne a lieu alorsqu’une refonte de la Loi sur lesnormes du travail est annon-cée pour l’automne prochain.

«Le rendez-vous national surla main-d’œuvre a eu lieu unpeu plus tôt cette année et, àcette occasion, la ministre du

Travail, Dominique Vien, a an-noncé qu’il y aurait une ré-forme des normes, indiqueJacques Létourneau. On vadonc continuer à mettre l’ac-cent sur ces trois revendicationsdans le cadre de la coalition,parce que ça fait le lien entre lemouvement syndical et les orga-nisations populaires. »

Le président de la CSN es-time cependant que le gouver-nement libéral au pouvoir estloin d’être à l’écoute. Leshausses successives du salaireminimum annoncées ces der-niers mois le feront notam-ment passer à 12,45 $ en 2020.

Loin de la requête.«Nous avons déjà rencontré la

ministre pour discuter de la ques-tion des congés payés et de l’ho-raire de travail, et on n’a pas eude réponses, souligne-t-il. Il fautcomprendre que le patronat estsur la même patinoire que nous,et vous aurez compris qu’ils ne ré-clament pas la même chose. Euxarrivent avec des demandes deflexibilité du travail, de dérégle-mentation du marché du travail,alors que nous souhaitons unemodernisation de la Loi sur l e snormes certes, mais qui n’irait

pas vers moinsde réglementa-tion, bien aucontraire.»

Ce gouver-nement, tradi-tionnellementplus pro-patro-nal que pro-

syndical, va-t-il faire des gestessignificatifs pour améliorer lesconditions de travail généralesde la population, cela reste àvoir, poursuit Jacques Létour-neau. Il ajoute que son rôle àlui demeure de faire son tra-vail de représentation et demobilisation, et qu’il conti-nuera donc à pousser pourfaire adopter une loi-cadre surla conciliation famille-travail-études afin d’établir des condi-tions uniformes à toutes les en-treprises québécoises.

Indépendamment de la cam-pagne 5-10-15, le président dela CSN rappelle par ailleurs

que le gouvernement s’est en-gagé, toujours lors du rendez-vous national de la main-d’œu-vre, à réglementer les agencesde placement de main-d’œu-vre. Le Québec est la seuleprovince au Canada où cesagences ne sont toujours pasréglementées, ce qui signifieque quiconque peut demainmatin, ouvrir une agence deplacement et fournir à bas prixdes travailleurs aux hôtelspour remplacer leurs femmesde chambre par exemple.

« En clôture de l’événement,M. Couillard a salué les inter-ventions syndicales sur lesagences de placement qui luiont “rappelé des histoires àfaire dresser les cheveux surla tête”, en raison du sort quer é s e r v en t c e s bu r eaux d emain-d ’œuvre aux travail -leurs immigrants, indiqueM. Létourneau. On a été sur-pris de voir combien le pre-mier ministre a appuyé notredemande, précisant qu’il trou-vait scandaleux le double trai-tement qui en découle sou-vent. C’est sûr qu’on va suivrece dossier et , si ça pouvaitfaire l’objet d’une modifica-tion de la Loi sur les normes,on en serait très satisfaits. »

Autant de revendicationsqui seront ainsi au centre descortèges lors des traditionnelsdéfilés syndicaux du 1er mai.Et qui occuperont ensuite laCSN au cours de la prochaineannée.

L’an dernier déjà, les principaux syndicats avaient fait du salaire minimum à 15dollars la principale revendication des manifestationsdu 1er mai. Cette fois, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) va plus loin en faisant sienne la campagne 5–10–15, lancée initialement par des groupes de défense des travailleurs non syndiqués et des organismes de lutte contre la pauvreté.

1ER MAI

La CSN entre dans la campagne 5-10-15

ISTOCK

La province est passée d’une société industrielle dans laquelle les salariés avaient de bons revenusà un marché de moins en moins syndiqué avec des travailleurs à la merci du bon vouloir des patrons,rappelle le président de la centrale syndicale, Jacques Létourneau.

Les gouvernements sont inactifs devant l’évitement fiscal desentreprises d’Internet, dénonce une fois de plus le Syndicatcanadien de la fonction publique (SCFP-Québec), par l’entre-mise de son Conseil provincial du secteur des communica-tions (CPSC).

SCFP

Contrer l’évitement fiscal

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

N etflix, Spotify, YouTube,Facebook, Google… Ces

entreprises ont toutes un pointcommun : leur siège social està l’étranger. Malgré leurs acti-vités au Canada, ces compa-gnies d’Internet ne paient pasd’impôts et ne perçoivent niTPS ni TVQ. Une situation vi-v e m e n t d é n o n c é e p a r l eCPSC, qui représente 7700membres du secteur des com-munications au Québec, parmilesque ls l e Gr oupe TVA,l’ONF, Vidéotron, Cogeco, ouencore Le Journal de Québec.«C’est de l’évitement fiscal, s’in-surge Alain Caron, présidentdu CPSC. Toutes les entreprisesqui sont dans le marché des mé-dias, des communication, de ladiffusion, paient des taxes et desimpôts au Canada, alors quel’on permet à une partie des en-treprises qui œuvrent dans lemême marché de ne pas lefaire ; c’est de la concurrencedéloyale. »

Le CPSC regrette qu’encoreune fois cette année, les bud-gets des gouvernements Couil-lard et Trudeau n’aient adoptéaucune mesure pour contrercette situation. Il critique aussil’absence de gestes de la partdu Conseil de la radiodiffusionet des télécommunications ca-nadiennes (CRTC). « C’est unmanque de volonté politique,lance M. Caron. Au Canada,on a une sorte de leitmotiv quidit qu’on ne peut pas contrôlerInternet, mais ce n’est pas vrai.Nous, dans les entreprises decommunication, nous savonstrès bien que le Web peut trèsbien être contrôlé. » Pour lui, larègle selon laquelle l’entre-prise doit posséder un siègesocial ou une filiale au Canadapour payer impôts ou taxes n’aplus aucun sens aujourd’hui.« Il s’agit de vieilles règles fis-cales; on sait très bien qu’avecla mondialisation des médias, iln’est plus nécessaire d’avoir uneprésence physique dans le payspour faire affaire dans ce pays-là», commente-t-il.

Une perte d’argentcolossale

Pour la seule entreprise Net-f l ix , M. Caron par le d ’unmanque à gagner de plus de100 mill ions de dollars entaxes et impôts. Un calcul ap-proximatif, au vu des béné-fices engendrés par l’entre-prise en 2016. «L’État dit qu’iln’y a pas d’argent, mais il laisseune telle source de revenus lui

glisser entre les doigts, déclare-t-il. C’est énorme les sommesqui sont perdues. » Il note tou-tefois une situation « moinsgrave» au Québec que dans lereste du Canada, car 40 % desfoyers canadiens ont accès àNetflix, contre 25% au Québec.

Le CPSC met également engarde contre la migration desmarchés publicitaires des mé-dias traditionnels vers les mé-dias en ligne. «Ces grandes en-treprises vendent de la publi-cité, mais sans la taxer et sansl’imposer », détaille M. Caron.Pour les médias canadiens, ildevient donc de plus en plusdifficile de vendre de l’espacepublicitaire, et la perte de re-venu est considérable. M. Ca-ron rappelle au passage que,selon le rappor t sur l’avenirdes médias canadiens du Fo-rum des politiques publiques(FPP), 70 % des revenus de lapublicité numérique au paysvont aux géants Facebook etGoogle. «Si les médias, commeles hebdomadaires, n’arriventplus à vendre des publicités àcause de la concurrence de cesgrands groupes, cela va com-plètement dévitaliser les ré-gions », s’inquiète le présidentdu CPSC.

En plus de ne payer ni im-pôts ni taxes, les entreprisescomme YouTube ou Netflix necontribuent pas non plus auFonds des médias, auquel sontsoumis les dif fuseurs cana-diens. « Les budgets de produc-tion de Netflix sont plus grosque les budgets de productionde toute la télévision et du ci-néma au Canada, note M. Ca-ron. Comme pour toute produc-tion qui vient sur le sol cana-dien, nous pensons qu’il seraitlogique que ces grandes entre-prises participent au Fonds. » Ilregrette aussi que Netflix neproduise pas de contenu cana-dien, comme cela a été fait enFrance avec la série Marseille.

« Actue l lement , l e s gensconsomment vraiment du Net-flix, mais il faut les sensibiliseret dire que ce n’est pas bonpour l’industrie canadienne,ajoute le président du CPSC.Je suis un fervent défenseur ducommerce de proximité, etNetf lix c ’est tout à fait lecontraire, cela ne donne pasde travail aux Canadiens etaux Québécois. »

Trouver des solutionsLe SCFP-Québec avait déjà

fait part de ses préoccupationsdans le cadre des consulta-

Cette campagne a lieu alors qu’une refonte de la Loi sur les normes du travail est annoncée pour l’automne prochain

VOIR PAGE H 4 : SCFP

RICHARD VOGEL ASSOCIATED PRESS

En plus de ne payer ni impôts ni taxes, les entreprises commeYouTube ou Netflix ne contribuent pas non plus au Fonds desmédias, auquel sont soumis les dif fuseurs canadiens.

Page 3: SYNDICALISME - Le Devoir

C A M I L L E F E I R E I S E N

Collaboration spéciale

« L e ministre [SébastienProulx] a eu plusieurs

fois l’occasion de reconnaîtrel ’exper tise des enseignants,mais ne l’a jamais fait », re-grette le président de la FAE,Sylvain Mallette. Selon lui,c’est maintenant l’occasionou jamais.

Malgré les réinvestisse-ments annoncés pour l’ensem-ble du secteur de l’éducationcette année, le syndicat consi-dère que les besoins restentbien plus grands que lessommes consenties, qui nepour ront pas pall ier lescoupes des dernières années.«Le gouvernement prétend qu’ilfait croître de 4,2% le budget an-nuel de l’éducation, alors quedepuis l’arrivée au pouvoir deslibéraux, c’est en moyenne1,56 % d’augmentation », as-sure M. Mallette.

L’annonce de la premièrePolitique de réussite éduca-tive, financée à hauteur de191 mill ions de dollars en2017-2018 pour la par tie dé-diée à la petite enfance, aupréscolaire, au primaire et ausecondaire, ne donne guèrep l u s d ’ e s p o i r a u x e n s e i -gnants. « La profession d’ensei-gnant a un des taux de décro-chage les plus élevés, avec unsur cinq qui décroche avantd’avoir fait sa 5e année d’exer-cice » , rappelle pour tant leprésident du syndicat.

Loi 105 sur les modificationsà l’organisation scolaire, projetLab-école financé à hauteur de1,5 million de dollars annuelle-ment, retard de la création denouvelles maternelles dès4 ans, modifications dans lesprogrammes scolaires… Lesattentes étaient grandes et lesréponses déçoivent dans lemonde enseignant.

Karine Lacasse, enseignanteen adaptation scolaire à la for-mation préparatoire au travailà l’école Sainte-Famille/aux

Trois-Chemins en Outaouais,se dit sceptique. «Pour moi, laréussite éducative passe par lalutte contre la pauvreté, maisde ça, on n’en entend pas vrai-ment parler », regrette-t-elle.Pour l’instant, l’enseignanten’a rien vu qui pourrait aiderses élèves dans les récentesannonces de M. Proulx.

Manque de sousÀ titre d’exemple, elle ex-

plique que son établissementessaie d’aménager sa cour de-puis six ans, mais n’avancepas faute d’argent. Élèves etenseignants organisent eux-mêmes des collectes de fondspour financer la partie non sub-ventionnée par le ministère.«C’est un peu absurde de deman-der à des élèves décrocheurs devendre des trucs pour acheter desbancs d’école», observe-t-elle.

Les réalités diffèrent en fonc-tion des milieux, mais le gou-vernement ne le voit pas,d’après Mme Lacasse. « En mi-lieu rural, il n’y a pas de trans-por t en commun, nos élèvessont isolés, leurs parents sont auchômage», dit-elle. Or les réin-vestissements annoncés nesont pas faits dans les postesoù le gros des coupes a été fait.Son établissement a reçu del’argent pour payer des trans-ports scolaires afin de faire dela récupération à l’école, sansêtre consulté. «On aurait peut-être choisi de faire de l’explora-tion professionnelle ou d’organi-ser une sortie avec cet argent »,précise-t-elle.

La FAE vient de terminerune concertation avec des pro-fesseurs qui ont administrédes épreuves ministérielles en5e secondaire, et ses conclu-sions sont cyniques. «20% desprofs consultés disent avoirsubi des pressions de la par tdes directions d’écoles pourchanger les résultats obtenuspar les élèves qui étaient en des-sous des cibles fixées dans lesplans de réussite, et 48 % ontdit que les résultats qu’ils

avaient inscrits ont été modi-fiés par les directions d’écoles »,selon M. Mallette.

Il critique une vision «utilita-riste » de l’école publique, ren-forcée par une concurrence« déloyale » des écoles privéessubventionnées entre 60 % et75 % par des fonds publics, se-lon lui, alors qu’elles ne fontpas face aux mêmes défis et sé-lectionnent leurs élèves.

Même son de cloche ducôté de Pierre-Luc Gagnon,enseignant en formation pro-fessionnelle au Centre Anjou,qui s’inquiète de cette visionde rentabilité de l’éducation. Ilespère que les formations neseront pas raccourcies, maisvalorisées dans cette Politique

de réussite. « On parle de pé-nurie de main-d’œuvre au Qué-bec et de la former plus rapide-ment, notamment sur un mo-dèle d’enseignement par alter-nance, mais ce modèle neconvient pas par tout , dit-il.Nous espérons que la qualitédes formations sera préservée. »

Un manque de consultation

Les autres annonces du mi-nistère sont de la poudre auxy e u x , s e l o n l e s y n d i c a t .Comme l’embauche de 1500personnes en services directscette année, sans plus de dé-tails. Les commissions sontdéjà aux prises avec des pénu-ries de personnel, rappelle

M. Mallette. « La Commissionscolaire de Montréal n’arrivedéjà pas à pourvoir environ800 postes », dit-il.

Du côté des programmes, lecours d’éducation financièreque le ministre veut mettre enplace d’ici l’automne causeaussi des maux de tête aux en-seignants. Celui-ci doit rempla-cer la moitié du cours Mondecontemporain en 5e secondaire.Le matériel ne sera toutefoispas prêt, ont prévenu des pro-fesseurs, qui regrettent de seretrouver au pied du mur.

Quant au projet Lab-école,pour repenser l’aménagementdes écoles, il est vertement cri-tiqué par le syndicat, qui sou-haiterait que le gouvernement

reconnaissance d’abord l’ex-pertise des enseignants avantde mettre en vedette des per-sonnalités québécoises. «Est-cequ’un prof va dans la cuisine deRicardo pour lui montrer com-ment monter son sou f f l é ?Non!» tempête M. Mallette.

Karine Lacasse espère toutde même que ses élèves ne se-ront pas une fois de plus ou-bliés. « C’est un peu comme ra-mer seul avec une fourchette.Ça avance, mais ça dépend duvent », conclut-elle.

Pour Sylvain Mallette, nuldoute que, cette fois, le minis-tre aura besoin de l’adhésiondes enseignants s’il veut quesa Politique de réussite éduca-tive fasse du chemin.

À la veille de la fête des Travailleurs, la Fédération autonomedes enseignants (FAE) demande au ministre de l’Éducationune reconnaissance et un peu d’écoute. Le syndicat espèreparticiper davantage à l’élaboration de la première Politiquede la réussite éducative, un dossier dans lequel les ensei-gnants se sentent peu consultés jusqu’à présent.

FAE

Les enseignants veulent être reconnus

SYNDICALISMEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 A V R I L 2 0 1 7 H 3

Ce cahier thématique a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir grâce au soutien des annonceurs qui y figurent. Ces derniers n’ont cependant pas de droit de regard sur les textes. Pour toute demande d’information quant au contenu de ce cahier, vous pouvez contacter par courriel Aude Marie Marcoux, directrice des publications spéciales, à [email protected].

Pour vos projets de cahiers ou toute autre information au sujet de la publicité, vous pouvez contacter Mark Drouin, vice-président des ventes publicitaires, à l’adresse courriel [email protected].

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

L’enseignement fait partie des professions ayant un important taux de décrochage, un prof sur cinq partant avant cinq ans de pratique.

se sont absentées du travail enmoyenne 74 heures pour desobligations familiales ou desmotifs de santé , contre seu -l e m e n t 19,6 heures pour leshommes», indique-t-elle.

Marché du travail2.0

L a p o r t e - p a r o l ed’Au bas de l’échelleaborde égalementl’enjeu de la disponi-bilité absolue de l’em-ployé telle qu’elle estdésormais exigée, cequi augmente la pré-carisation du travail.C’est le fameux « 5 »de la campagne 5–10–1 5 , p o u r h o r a i r ef o u r n i p a r l ’ e m -ployeur au minimumcinq jours à l’avance.

« L a L o i s u r l e snormes du travail estdépassée; on y prévoit des mé-canismes de refus pour lesheures supplémentaires, maisrien qui protège le travailleurne connaissant pas son horairede travail à l’avance, déplore-t-elle. Celui-ci doit of frir toute laflexibilité du monde, sans ga-rantie de stabilité en retour. Etil peut être pénalisé en cas derefus. Si l’on pense aux agencesde placement, ça peut allerjusqu’à ne plus être rappelé. Lemarché du travail a changé,mais pas la loi. »

Et ce problème ne concernepas seulement les travailleursn o n s y n d i q u é s , e s t i m eMme Gauvin, puisque « les dis-positions concernant l’horaireconnu au moins cinq joursd’avance ne sont pas nécessaire-

ment incluses dans toutes lesconventions collectives ».

Front communIl n’est pas exceptionnel, se-

lon la por te-parole, que lescentrales syndicales et le mi-lieu communautaire s’asso-cient pour porter des revendi-cations plus larges, ayant unfort impact social.

« Pour notre par t, on sou-haite l’instaurationdu salaire minimumà 15 $ l’heure le plusrapidement possible[celui-ci pass e r a à1 1 , 2 5 $ l e 1er mai,une hausse de 50cents], mais on neveut pas non pluss’enfermer dans unéchéancier, dit-elle. Ildemeure que le gou-vernement avait lamarge de manœuvrenécessaire pour uneaugmentation beau-coup plus substan-tielle cette année. »

Du côté des partisde l ’opposit ion, la

mesure obtient l’appui for-mel de Québec solidaire etdu Par t i québécois, selonPierre-Antoine Harvey, Jean-François Lisée s’étant posi-tionné en sa faveur durant ladernière course à la direc-t ion du Par t i québécois.« Même la Coalition avenirQuébec ne doit pas être si ré-fractaire à l’idée puisque sonchef ne cesse de parler de lanécessité de créer des bonnesjobs », ironise-t-il.

Une chose est sûre, il seraquestion du salaire minimumpendant la prochaine cam-pagne électorale provinciale,prévue en 2018. D’ici là, lesmembres de la coalition enten-dent bien multiplier les dé-marches auprès des élus.

SUITE DE LA PAGE H 1

1ER MAI

«Les femmessontmajoritaires à occuper lesemplois peurémunérés,que ce soit au salaireminimum ou àmoins de 15$l’heure»

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SYNDICALISMEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 A V R I L 2 0 1 7H 4

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Collaboration spéciale

L es compressions budgé-taires des dernières an-

nées dans le réseau de l’ensei-gnement supérieur, cégeps etuniversités, ont eu un impactimportant sur les conditionsd’enseignement, la gouver-nance et les modes de gestiondes universités, malgré l’airfrais amené par le dernier bud-get Leitão, selon la Fédérationnationale des enseignantes etenseignants du Québec, af fi-liée à la CSN.

« Dans les cégeps, de 2011 à2015, les estimations les plusprudentes parlent de coupesde 200 millions, soutient JeanMurdock, secrétaire généralet trésorier de la FNEEQ-CSN. Compte tenu du fait quel’éducation est un outil de dé-veloppement social, culturel etéconomique, cela signifie quel’on fragilise l’ensemble de lastructure sociale avec cescoupes. »

Du côté des universités,les coupes ont aussi été im-portantes: « Grosso modo, de-puis 2012-2013, on parle enmoyenne de compressions deplus de 250 millions par an-née, note M. Murdock. Pourle dernier exercice qu’on aanalysé, soit 2015-2016, onatteint près de 800 millionsde compressions accumulées.Les universités elles-mêmescriaient déjà au sous-finance-ment en 2012. »

Imiter l’entreprise privéeToutes ces coupes ont eu un

impact sur le mode de gestiondes universités. «Les établisse-ments ont été forcés de chercherdes sources de revenus un peupartout, et cela a introduit unenouvelle philosophie, que l’onappelle nouvelle gestion pu-blique, et qui est un calque dela gestion des entreprises pri-vées, indique Jean Murdock.Les universités se sont transfor-mées en entreprises du savoirdans un marché global du sa-voir. Sur le plan international,ce marché du savoir correspondà des milliards. Il est intéres-sant pour ceux qui voudraients’en emparer et en faire autre

chose qu’un service public. »En cherchant ces nouvelles

sources de revenus, les univer-sités ont sombré dans le clien-télisme, déplore M. Murdock,notamment en construisant denouveaux campus délocalisésun peu par tout et en multi-pliant les formations à dis-tance : « Le savoir est devenuune marchandise, un produitqui doit être distribué et vendu.Il n’est pas rare de voir un dis-cours, de la part des adminis-trations universitaires, sur laquestion de la rentabilité des ac-tivités. On s’éloigne du servicepublic et de la réponse aux be-soins des communautés pourparler de marché qui recherchedes clientèles ». Le secrétairegénéral et trésorier de laFNEEQ-CSN souligne qu’onparle d’un marché mondial etde se doter d’outils propres àl’entreprise privée et à laconcurrence internationale, etqu’« on introduit des processus

qui ont l’air anodins mais quisont importants dans cette mar-chandisation, comme l’assu-rance qualité, ou l’accréditationà des normes. Ce sont des pro-cessus qui demandent beaucoupde temps et d’énergie et quin’ont pas beaucoup d’impactdans la classe, finalement».

Cette nouvelle gestion pu-blique tend également à sim-plifier et à hiérarchiser lesprocessus décisionnels, s’éloi-gnant des gens qui travaillentà l’intérieur des communau-tés et les excluant des lieuxde décisions.

« La consultation est vuecomme quelque chose de lourd,parce qu’il faut s’adapter auxnouvelles conditions des mar-chés. Quand on s’éloigne desgens qui travaillent à l’intérieurdes établissements, les valeursfondamentales comme la libertéd’enseignement, l’autonomieprofessionnelle, la gestion collé-giale, l’accessibilité aux études,

sont remises en question, rap-porte M. Murdock. La commu-nauté enseignante perd lecontrôle des objectifs et du sensde son travail. »

Ce glissement a af fecté lesrelations de travail, entraînantune judiciarisation des conflitsde travail, selon M. Murdock :«Auparavant, on s’asseyait pournégocier et régler les conflits,mais aujourd’hui, c’est davan-tage devant des arbitres que çase passe. Le processus se fait da-vantage avec des firmes d’avo-cats et de relations publiquesqu’en relations de travail. Celan’avantage personne et celachange notre rôle, comme syndi-cat. On aurait avantage à privi-légier une approche axée sur lesrelations de travail.»

Précarité en enseignement

La précarité croissante enenseignement est un enjeumajeur dans tout le réseau

pour la FNEEQ-CSN, qui es-time que dans le réseau col-légial, plus de 40 % des ensei-gnants ont un statut précaire.«Cela prend la forme d’ensei-gnants qui travaillent dansplusieurs établissements pourjoindre les deux bouts et qui seretrouvent donc avec destâches colossales pour des re-venus assez modestes. Le sec-teur de la formation continueest le pire, of frant des condi-tions de travail de secondezone, dit M. Murdock. Cesgens-là sont payés à l’heurepour les cours qu’ils donnent,mais on ne prévoit pas, dansla rémunération, l’encadre-ment des étudiants, la prépa-ration des cours, la correctiondes travaux et des examens.Plusieurs n’ont pas de bureausur les lieux de travail. Onparle d’un secteur oublié, et deplus en plus important. »

Dans les universités, la moi-tié des enseignants sont des

chargés de cours, et ont desconditions dif férentes decelles des professeurs. Lescoupes budgétaires ont doncévidemment eu un ef fet trèsimportant sur eux. « Par exem-ple, à l’Université Laval, 15 %de l’of fre de cours a dispar u ,donc des emplois en moinspour les chargés de cours. Onconstate aussi une tentatived’économiser en fractionnantles cours, en créant de nou-veaux titres d’emploi moinsbien rémunérés », indiqueM. Murdock.

Selon le secrétaire généralet trésorier de la FNEEQ-CSN, l’éducation doit être fi-nancée sur une base stable,pouvant compter sur des in-vestissements récurrents quipermettent de développer desexpertises et des savoirs danstous les domaines d’activités :«C’est ce qui va nous permettred’être l’une des sociétés les plusdéveloppées au monde. »

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Précarité et clientélisme

MICHAËL MONNIER LE DEVOIR

À cause des coupes, les établissements d’enseignement ont été forcés de chercher des sources de revenus un peu partout, et cela a introduit une nouvelle philosophieappelée nouvelle gestion publique, calquée sur la gestion des entreprises privées, indique le secrétaire général et trésorier de la FNEEQ-CSN, Jean Murdock.

tions menées l’automne der-nier par la ministre du Patri-moine canadien, Mélanie Joly.« Je dois dire qu’à la table desdiscussions où j’étais, où setrouvaient aussi des gens de Co-

geco, des gens de la télévision, ily avait un consensus pour affir-mer qu’il fallait changer cettesituation, pour que tous lesjoueurs du marché soient sou-mis aux mêmes règles du jeu,parce que, présentement, c’estexponentiel les pertes de reve-nus au Canada. À un momentdonné, on n’aura plus lesmoyens d’entretenir notre ser-

vice de communications au Ca-nada parce qu’il est en train detomber de lui-même… » ex-plique M. Caron.

« Plusieurs solutions exis-tent, ce n’est pas si compliquéque ce que les politiques lais-sent entendre », affirme-t-il. LeCPSC avait par exemple lancél’idée d’une perception auto-matique des taxes par les

banques et les compagniesde car tes de crédit cana-diennes qui sont impliquéesdans les achats. « Ce que l’onnous a répondu, c’est que seulle vendeur est responsable, pasl’institution intermédiaire, ex-plique-t-il. Mais, il faudraitsimplement rendre la taxeclaire. »

M. Caron invite donc les

gouver nements fédéral etprovincial à prendre exemplesur les pays ayant déjàadopté de telles mesures àl ’ intérieur de leurs fron-tières, comme la Nor vège,l’Australie, la Nouvelle-Zé-lande, le Japon, la Corée duSud ou encore l’Afrique duSud. « Les poli t iques pour-raient al ler en mission à

l’étranger pour observer lesdif férentes façons de faire afinde régler la situation au plusvite », ajoute-t-il.

Si le secteur des communi-cations québécois est encoreen santé, selon M. Caron, il esten danger permanent de per-dre pied. « Il est très difficile dejouer face à de gros joueursd’Internet », conclut-il.

SUITE DE LA PAGE H 2

SCFP

Page 5: SYNDICALISME - Le Devoir

SYNDICALISMEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 A V R I L 2 0 1 7 H 5

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1617-149

La CSQAu travail avec vous !

Forte de ses 200 000 membres

S T É P H A N E G A G N É

Collaboration spéciale

À la fin mai, les producteursagricoles et les pêcheurs

rencontreront le gouverne-ment pour lui faire par t deleurs doléances. Déjà, une ren-contre a eu lieu avec lesconsommateurs et une autreavec les transformateurs, dis-tributeurs et restaurateurs.Tout cela aboutira à l’automneà un sommet sur le bioalimen-taire et ensuite, à une politiqueau printemps 2018. Bien qu’ils’agisse de la neuvième consul-tation sur le bioalimentaire de-puis 2008, l’UPA se prêtera aujeu en espérant toutefois quecette fois-ci sera la bonne.

L’urgence d’investirPour Marcel Groleau, prési-

dent de l’UPA, trois principauxenjeux seront discutés lors decette rencontre et doivent fairepartie de la politique. Il s’agitde l’insuffisance des investis-sements en immobilisation, lapauvreté des fonds alloués à larecherche et la pénurie de lamain-d’œuvre.

À propos des investisse-ments, M. Groleau déploreque le Québec ait pris un telretard. D’après Statistique Ca-nada, entre 2006 et 2015, lesdépenses en immobilisationsdans l’agriculture québécoiseont augmenté de 23 %, pour sechiffrer à 609 millions de dol-lars, alors qu’en Ontario ellesont presque doublé pour at-teindre 1,4 milliard de dollars.« Ce faible niveau de dépenses,si on le compare à notre pro-vince voisine, pourrait nousfaire prendre un important re-tard sur le plan technologique»,s’inquiète M. Groleau.

Dans le dernier budget Lei-tão, le gouvernement a toute-

fois prévu investir 95 millionsde dollars sur cinq ans dans lesfermes québécoises. M. Gro-leau admet que cela constitueun pas dans la bonne direction,bien qu’il ne sache toujourspas si cet argent sera disponi-ble sous forme de prêts ou desubventions.

Trop peu de rechercheUn autre sujet que l’UPA

compte discuter lors de cetterencontre est le retard qu’a prisle Québec en matière de re-cherche et développement enagroalimentaire. Entre 2008et 2015, les dépenses en re-cherche et développement des

entreprises agroalimentairesquébécoises ont diminué de199 à 139 millions de dollarspour la transformation alimen-taire et de 105 à 73 millions dedollars pour la production agri-cole. « La situation est encoreplus préoccupante lorsqu’oncompare le Canada avec les au-tres pays membres de l’Organisa-tion de coopération et de dévelop-pement économiques [OCDE],dit M. Groleau. Le Canada ac-cuse un retard et le Québec encore plus.»

Une main-d’œuvre rareBien que M. Groleau ad-

mette que les travailleurs sai-

sonniers, étrangers ou non,donnent un bon coup de pouceaux agriculteurs québécois, ilsne peuvent être considéréscomme une solution perma-nente au problème de pénuriede main-d’œuvre en agricul-ture. «Des projets d’investisse-ment sont retardés pour cause demanque de main-d’œuvre, dit-il.Pour aider à résoudre ce pro-blème, il faudrait faire davan-tage de formation et promouvoirles emplois en agriculture.»

Le problème est criant, selonune étude présentée au Som-met canadien sur la main-d’œu-vre agroalimentaire et agricole,qui s’est tenu à Winnipeg, en

mars 2016. Il en ressort que lesemplois vacants en agricultureatteignent 7%, ce qui constituele plus haut taux de places nonpourvues de toutes les indus-tries au Canada. L’étude men-tionne aussi que cette pénuriecoûte aux producteurs cana-diens 1,5 milliard de dollars.Cette situation serait due enpartie au fait que le nombre defermes est en baisse constanteet que la taille de celles-ci s’ac-croît. Par conséquent, les pro-ducteurs agricoles proprié-taires de plus grandes installa-tions ont de plus en plus re-cours à une main-d’œuvre ex-terne à la famille. Le problèmeest loin d’être nouveau. Déjà en2002, une étude réalisée pourle Comité sectoriel de la main-d’œuvre de la production agri-cole en faisait mention.

Parmi les autres sujets quel’UPA souhaite aborder avec legouvernement, il y a le déve-loppement de l’agriculturedans les régions. «Il faut y sou-tenir davantage l’agriculture,dit M. Groleau. Beaucoup deterres en friche pourraient êtrevalorisées. Pour cela, il faut ci-bler certaines productions adap-tées au climat plus froid de cesrégions, comme l’élevage deveaux d’embouche.»

À ce propos, une étude ré-cente (avril 2017) de l’Institutde recherche en économiecontemporaine souligne le po-tentiel que possèdent l’agricul-ture et la foresterie pourcontrer la décroissance démo-graphique et la dévitalisationque vivent les régions de laGaspésie et du Bas-Saint-Lau-rent. Rappelons qu’entre 1997et 2015, le Bas-Saint-Laurent aperdu 4 % de sa populationalors que la Gaspésie a connuune chute de 13 %. Durant lamême période, la population de

la province augmentait de 14%.Après consultations avec les

acteurs locaux, les auteurs del’étude ont recensé quatre fi-lières de produits promet-teuses. Il s’agit du sirop d’éra-ble, des nouveaux matériaux(les cultures du chanvre, dulin et de l’asclépiade), les cé-réales de spécialité et, enfin,les petits fruits et les noix.

Lors de la rencontre de mai,M. Groleau compte aussi men-tionner l’impor tance d’avoirune approche filière viable (fi-lière qui comprend l’agricul-ture, la transformation de pro-duits agricoles et leur distribu-tion). «Pour cela, il faut que lestrois maillons de la filièresoient rentables, productifs eten mesure d’investir », dit-il.

Fort potentielMalgré ces dif ficultés, le

secteur agricole jouirait d’unfor t potentiel de développe-ment. Selon une étude de lafirme ÉcoRessources, renduepublique en février 2017 etréalisée pour le compte del ’UPA, le secteur agricolepourrait hausser sa produc-tion globale de 30 % pour lapériode de 2016 à 2025 etcréer 21 000 nouveaux em-plois. Le potentiel de crois-sance est toutefois variableselon les secteurs. Ainsi,pour le lait et le porc, on es-t ime la croissance à 20 %,alors que pour l’acériculture,la production en serres et laculture maraîchère, la crois-sance serait de 100 %.

Pour mieux encadrer et en-courager ce potentiel decroissance, la politique sur lebioalimentaire est toutefoisune nécessité. Tous les ac-teurs de ce secteur écono-mique névralgique sont d’ac-cord sur ce point.

INDUSTRIE AGRICOLE

Une politique bioalimentaire attendue de pied ferme

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Le manque de main-d’œuvre agricole au Québec est une des préoccupations de l’UPA.

Page 6: SYNDICALISME - Le Devoir

R É G I N A L D H A R V E Y

Collaboration spéciale

P armi les voix qui dénon-cent un certain climat d’im-

mobolisme quant à gestiongouvernementale des enjeuxqui secouent les réseaux de lasanté et de l’éducation, s’élèvecelle de la présidente de laCSQ, Louise Chabot. « Quandon parle avec les grands syndi-cats, note-t-elle, on a peut-êtrel’impression qu’ils se répètent,mais pour ma part, j’ai un pro-fond sentiment que ça ne bougepas, que les choses stagnent, cequi me choque. »

Elle en veut pour preuve lefait « qu’il y a des appels quisont lancés et qui touchent lesdivers enjeux relatifs au mondedu travail du XXIe siècle et, pen-dant ce temps, on dirait qu’iln’y a personne à l’autre bout dufil ». Bien qu’il se produise làdes changements, « on diraitque cette réalité est absente desconsidérations et des motiva-tions du gouvernement depuisplusieurs années».

Question ignoréeDes millions d’emplois se-

ront à pour voir dans unproche avenir au Québec, dontun certain nombre dans le sec-teur public. Le réseau de lasanté et des servicessociaux se montrerap a r t i c u l i è r e m e n tgourmand dans le re-nouvellement de sonpersonnel. Voilà cequi ressor t notam-ment du dernier Ren-dez-vous national surla main-d’œuvre, tenuen février dernier.

Dans le cadre de ceforum, la Centrale ainterpellé encore unefois le gouvernement.« On trouvait que laquestion de la qualitéde vie au travailn’était pas assez pré-sente», rappelle la pré-sidente. « Quand onparle de formation demain-d’œuvre avec desproblèmes d’emplois à pourvoirdans les prochaines années, il nes’agit pas seulement d’une ques-tion de qualification ou de nom-bre ; c’est aussi relié à des no-tions de conditions de travail etde qualité de vie au travail. » Àson avis, le secteur public estminé par la surcharge de tra-vail et par la précarité d’emploi.

Elle énumère certains pointsmajeurs sur lesquels portentles enjeux : «C’est majeur tantsur le plan de la rémunération,de l’organisation du travail, descarences qui existent en santé etsécurité et des disparités de trai-tement dans les régimes de re-traite. » Elle insiste sur le be-soin pressant d’adapter lesnormes du travail à la réalité.

À ce sujet, elle revient là en-core sur l’inaction dans la gou-vernance: «Tout un collectif d’or-ganisations syndicales a déposéauprès du ministre Proulx, il y apresque un an, un projet de loicadre en matière de conciliationfamille-travail. On se penche surce dossier-là depuis 20 ans etc’est une valeur forte en matièrede qualité de vie pour l’ensembledes travailleurs. » Laconique,elle constate que «c’est demeurélettre morte».

Des pas ont été franchis,concède-t-elle, notammentpour la Loi sur les normes dutravail , mais i l reste selonelle tout un ménage à faire,ce qui est aussi le cas pour leCode du travail. Louise Cha-bot déplore que personnen’ose se frotter aux enjeuxdans ces domaines de craintedes retombées qui pour-raient en découler.

Contrer l’austéritéAinsi, la présidente insiste

sur l’une des revendicationsmajeures de la CSQ et de l’en-semble du milieu syndical à laveille du 1er mai : le salaire mi-

nimum à 15 $. Elle en donnecette définition simple : « C’estle seuil qu’il faut atteindre pourêtre certain de sortir les travail-leurs de la pauvreté. »

Leader syndical en éducation,la CSQ se montre déçue dessommes investies dans le der-nier budget québécois pour rat-traper les dommages causésprécédemment par les mesuresd’austérité. Selon Louise Cha-bot, des efforts ont été consen-tis, mais ils ne suf fisent pas :«Les compressions, pour faire unchiffre rond, se sont élevées à unmilliard de dollars dans le ré-seau au cours des cinq dernièresannées. Pour les élèves, il y a eudes bris de services et un manqued’accès pour ceux qui sont spécia-lisés. Dans les classes ordinaires,il y a maintenant plus du tiersdes élèves qui éprouvent un pro-blème, sans compter qu’entre 20et 25% de notre personnel ensei-gnant quitte son emploi aprèscinq ans à cause de la charge detravail.»

D’où la nécessité d’agir aveccélérité pour que les élèves ac-cèdent en plus grand nombreà la réussite. À ce propos, ellerappelle que plusieurs dé-marches ont eu cours durantles derniers mois pour en arri-ver à élaborer une politique na-tionale sur la réussite éduca-

t ive, mais déploreque, « à l’heure où onse parle, elle demeureen incubation pen-d a n t q u e l e s p r o -b lèmes qui ont é técréés par les compres-sions persistent ».

Et pourtant, le pre-mier ministre lui-même y est allé d’undiscours for t à l’au-tomne der n ier aucours duquel « il s’estautoproclamé le “pre-mier premier minis-tre” de l’Éducation auQuébec. Il s’est livré àune plaidoirie voulantque l’éducation soitun vecteur de dévelop-pement économique etsocial, qui est la prio-

rité du gouvernement».Malgré une tentative de rat-

trapage, la CSQ demande à ceque davantage soit fait que lesremises d’argent à présent oc-troyées au compte-gouttes :«Si l’éducation est la vraie prio-rité, il doit nous déposer à courtterme une vision globale decelle-ci en investissant en mêmetemps les sommes nécessairesqui l’accompagnent. »

La loi 10 adoptée sous lebâillon, tout en bouleversant lesstructures du réseau de lasanté, a forcé une campagne demaraudage suivie d’un vote d’al-légeance syndicale. «Je suis al-lée dans les milieux et les gensnous parlaient davantage deleurs problèmes que du vote à ve-nir », rapporte Louise Chabot.Cette expérience s’est avéréepar ticulièrement révélatricelors de sa visite en milieu hospi-talier : «Je me suis rendue dansdes départements où le mondepleure; il y avait un manque depersonnel et au moins 20% de ce-lui-ci était là depuis 16 heuresen raison des heures supplémen-taires obligatoires.»

Louise Chabot signale que lesgens vivent dans l’attente d’unesolution à leurs problèmes, sansvraiment savoir à qui s’adresser:« À cause des mégastructuresmises en place sur de vastes terri-toires, il n’y a plus de relations deproximité avec les directions.»

Elle s’inquiète de ce qu’il ad-viendra des services à la popula-tion, notamment en matièred’accès, dans ce réseau reconfi-guré par le ministre. «On n’a ja-mais vu une réforme commecelle-là, et elle n’est pas de natureà servir les usagers, note-t-elle.Rien n’a démontré que c’est encréant des mégastructurescomme on le fait qu’on règle lesproblèmes d’accessibilité auxsoins, ce qui ne génère pas nonplus d’économie.»

Les décideurs politiques auraient tout intérêt, en ce contexteoù les milieux de travail subissent des mutations de divers or-dres, à investir davantage dans la qualité de vie des travail-leurs que dans la quête ef frénée aux emplois, selon la Cen-trale des syndicats du Québec (CSQ). L’organisation demandeà ce que des gestes appropriés soient posés quand ils clamenthaut et fort que l’éducation représente pour eux une prioriténationale et à consentir les ef forts requis pour redresser unréseau de la santé qui se dégrade.

CSQ

Pour une qualité de vie au travail

R É G I N A L D H A R V E Y

Collaboration spéciale

E n 2004, Carolle Dubé futl’une des fondatrices de

l’APTS, dont elle est la prési-dente depuis 2012. Profession-nelle elle-même, elle exerçaiten électrophysiologie médi-cale à l’Hôpital neurologiquede Montréal avant de se consa-crer au syndicalisme à pleintemps. Le syndicat regroupeles professionnels technicienspossédant des formations uni-versitaires et collégiales quioeuvrent dans le réseau de lasanté et des ser vices so-ciaux. Depuis l’adoption de laloi 30, en 2003, il est questionde la catégorie d’emploi nu-méro 4. « On retrouve là lesgens qui travaillent dans le sec-teur de la réadaptation et de lanutrition, dans les services diag-nostiques, comme la radiologieet les laboratoires, dans le sec-teur du soutien, comme lesCLSC, et dans tout le grand sec-teur psychosocial », expliqueMme Dubé. En fait, ce sont làtous les professionnels techni-ciens qui ne sont pas associésaux soins infirmiers.

Carolle Dubé reconnaît vo-lontiers que « la syndicalisationdans le réseau de la santé s’esttoujours avérée une question unpeu complexe». Et elle en vient

à présenter le por trait del’avant et de l’après-APTS à lasuite du vote d’allégeance qui aété imposé par l’adoption de laloi 10 et la création de 21 cen-tres intégrés (CI) dans cha-cune des régions. «Au départ,on représentait 32 000 membresrépartis dans 19 centres et on agagné dans 18 de ceux-ci, ce quia porté le nombre des membresà près de 52 000», dit-elle. L’Al-liance est maintenant présentedans les centres jeunesse, quiont été intégrés aux CI.

RegroupésComment la présidente ex-

plique-t-elle ce gain spectacu-laire de quelque 20 000 adhé-sions? «On pratique un type desyndicalisme qui rejoint les pro-fessionnels et techniciens, ce quine date pas d’hier. Mais mêmesi on existe comme organisationque depuis 2004, ces gens-làsouhaitent depuis les années1970 pratiquer ensemble leursprofessions et exprimer leurs re-vendications, qui sont axées surleurs pratiques et leurs besoinsparticuliers en matière de for-mation et de développement. »

Au moment d’une négocia-tion, elle affirme que « ce sontlà des volets qui sont impor-tants et qui rejoignent nos gens ;mais il est sûr qu’on a été aidéspar la loi 10 parce qu’elle leur

a fourni l’occasion de rejoindrenos rangs».

L’Alliance fonctionnait déjàà l’intérieur des centres inté-grés depuis environ deuxans : « On prépare, depuis cetemps, nos unités à la nou-velle vie syndicale : elles sontsoit en très grand nombre àcer tains endroits, soit disper-sées sur des territoires trèsvastes ailleurs », rappor te laprésidente.

Dans ces conditions, la ré-flexion sur les façons de faires’était déjà amorcée et elle sepoursuivra avec les nouveauxmembres. « Comment peut-onrester près d’eux ? Commentpeut-on répondre à leurs be-soins en matière deconditions de travail ?C o m m e n t p e u t - o nmaintenant avoir unevie syndicale locale ? »,note Mme Dubé. Le dé-veloppement technolo-g ique a son impor -t a n c e d a n s u n t e lcontexte.

Qui dit augmentationsubstantielle du nom-bre de membres dit aussi cof-fres mieux garnis, ce qui per-mettra à l’APTS de répondre àcertaines attentes: «On a égale-ment réfléchi en profondeur àl’offre de services qui est très im-por tante chez nous. Nos genssont des professionnels qui veu-lent s’impliquer dans leur syndi-cat, mais qui cherchent de plusà obtenir beaucoup de soutien denotre part. On leur donne desservices de relations de travail etun soutien sur le plan politiqueet des revendications.»

Un réseau malmenéPour arriver à maintenir la

cadence dans ce contexte,l’APTS prend les mesures né-cessaires . « I l es t cer tainqu’on traverse une période in-tensive d’embauche dans l’or-ganisation pour être en me-sure de répondre à la de-mande, dit Mme Dubé. Onest un syndicat national et ondoit être en mesure de fournirdes services partout, dans cha-cune de nos unités. » Elle semontre tout de même réa-

liste : « Plus de membres, çaveut dire plus de cotisations,mais naturellement l’ensembledes besoins et des dépensesaugmente aussi. »

Les réformes imposées exi-gent de plus nombreuses inter-ventions. « Elles ont énormé-ment d’impact sur le personnelet sur son niveau de détresse.Toutes les réorganisations quise produisent actuellement tou-chent beaucoup de nos mem-bres», affirme Mme Dubé.

Carolle Dubé donne plus dedétails sur les ef fectifs tou-chés : «Par exemple, il y a toutela réforme dans les laboratoiresqui touche les technologistes mé-dicales, il y a le transfer t des

ressources des CLSCvers les GMF [groupesde médecine fami-liale] qui bouscule lestravailleuses socialeset il y a tout ce qui sep a s s e d a n s n o s u r -gences qui a un impactsur leur personnel. »

Elle en t i re cet teconclusion : «On vit ré-forme par-dessus ré-

forme, et elles se déroulent sou-vent dans un mode assez impro-visé, sans consulter les gens etsans mesurer sur place les effetsdes décisions qui sont prises. »

Ainsi, l ’APTS a mené unsondage afin de mesurer lacondition psychologique deses membres. « On a quelquechose comme six personnes surdix qui manifestent présente-ment des signes de détresse,note la présidente. À ce sujet,on est capable d’établir desliens avec ce qui se passe dansle réseau de la santé en ma-tière de réformes. »

Carolle Dubé sonne l’alarme:«On devrait compter sur l’auto-nomie professionnelle de nosgens, mais on n’en tient pas dutout compte en leur imposanttoutes sortes de barrières. Il enrésulte qu’ils éprouvent énormé-ment de dif ficultés à accomplirleur travail comme ils le vou-draient, notamment pour aiderles enfants et les personnes âgées.Ces personnes sont particulière-ment visées par leurs servicesprofessionnels.»

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En raison de la restructuration en profondeur subie par le ré-seau de la santé et des ser vices sociaux, les syndicats ontvécu récemment une période de maraudage suivie d’un voted’allégeance. L’Alliance du personnel professionnel et tech-nique de la santé et des services sociaux (APTS) a réalisé desgains majeurs, qui se sont soldés par l’ajout de milliers demembres. Ce mouvement entend maintenant faire valoir sesrevendications en s’appuyant sur une représentation large-ment accrue.

RÉSEAU DE LA SANTÉ

L’APTS rafle les votes d’allégeanceAprès une période de maraudage, l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux a gagné 20 000 membres

ISTOCK

Les nouvelles réformes ont énormément d’impact sur le personnel et sur son niveau de détresse, indique Carolle Dubé.

Carolle Dubé

La CSQ semontre déçuedes sommesinvesties dansle dernierbudgetquébécoispour rattraperles dommagescausés par lesmesuresd’austérité

Page 7: SYNDICALISME - Le Devoir

P I E R R E V A L L É E

Collaboration spéciale

L’ idée n’est pas neuve, maiselle est inédite au Qué-

bec. Le 6 avril dernier, unecentaine de militants syndi-caux, tous af filiés à la FTQ,ont rencontré à l’Assembléenationale une trentaine de par-lementaires, tout partis poli-tiques confondus.

«Une rencontre de ce genre alieu chaque année à la Chambredes communes, précise DanielBoyer, président de la FTQ. Elleest organisée par le Conseil dutravail du Canada et la FTQ yparticipe. En revenant de la der-nière rencontre, Serge Cadieux,mon vice-président, et moi-mêmeavons convenu qu’une rencontredu même genre pourrait être inté-ressante à Québec.»

Aussitôt dit, aussitôt fait.«Au départ, les parlementairesétaient méfiants. Mais une foisle but de la rencontre bien expli-qué, certains ont choisi d’y par-ticiper », explique M. Boyer.Afin d’éviter l’éparpillement, laFTQ a convenu de limiter ladiscussion à trois revendica-tions spécifiques que les mili-tants porteraient à l’attentiondes parlementaires. « Nousavons délibérément choisi desrevendications qui ne sont passtrictement liées au syndica-lisme et qui sont susceptibles detoucher l’ensemble des travail-leurs québécois. »

Des demandesLa première de ces revendi-

cations est la hausse du sa-laire minimum à 15 dollars del ’heure, revendication quiprend de l’ampleur au Qué-bec même si le gouver ne-ment actuel fait la sourdeoreille. « Lorsque des travail-leurs payés au salaire mini-mum actuel doivent fréquenterles banques alimentaires, c’estclair qu’il y a un problème, in-dique M. Boyer. Le salaire mi-nimum ne devrait plus êtrebasé sur un pourcentage du sa-laire moyen, comme c’est le cas,mais plutôt sur la somme néces-saire pour qu’une personnepuisse vivre décemment. »

La seconde revendicationpor te sur la bonification duRégime des rentes du Qué-

bec (RRQ). Le gouvernementdu Canada, de concer t avecles provinces, a choisi de boni-fier le sien, soit le Régime despensions du Canada (RPC),mais le Québec a décidé defaire bande à part même si, audépart, les régimes sont cen-sés être des régimes miroirs.« La bonification au RRQ pro-posée par le ministre Leitãoest inférieure à celle que l’onretrouve avec le RPC. C’estimpensable que les retraitésquébécois soient moins bientraités que les retraités dureste du Canada », af firmeDaniel Boyer.

La troisième revendication,moins bien connue du grandpublic, porte sur les clausesde disparité de traitement, fa-milièrement appelées clausesorphelines. « La loi interdit lesclauses de disparité de traite-ment, mais il y a une échappa-toire. La loi s’applique unique-ment à la portion salaire de larémunération, mais pas auxavantages sociaux, comme lesrégimes de retraite. Ce quel’on constate, c’est que certainsemployeurs of frent à leursnouveaux employés un régimede retraite dif férent de celui of-fer t à ceux déjà en poste, ditM. Boyer. Par exemple, lesnouveaux employés auront unrégime à cotisation détermi-née plutôt que le régime àprestation déterminée déjà enplace. Ainsi, on crée dans unemême entreprise deux classesde travailleurs. Le gouverne-ment du Québec doit mettrefin à cette iniquité. »

Des cellulesLa rencontre a eu lieu dans

des locaux de l’Assemblée na-tionale et elle s’est dérouléepar petits groupes plutôt quepar le biais d’un for um oud’une plénière. «C’était une de-mande des parlementaires quivoulaient rencontrer des mili-tants syndiqués qui habitaientdans leur circonscription», pré-cise Daniel Boyer.

Isabelle Bournival, syndi-quée chez les Métallos, a ren-contré le caucus péquiste dela Montérégie et de l ’Ou-taouais. « Nous étions environsix ou sept militants pour envi-ron le même nombre de dépu-

tés », raconte-t-elle. Pour Fran-çois Arsenault, syndiqué chezUnifor, la rencontre s’est dé-roulée dif féremment. « Nousétions une quinzaine de mili-tants, tous d’Unifor, et nousavons rencontré le député denotre circonscription, MarioLaframboise, de la CAQ », pré-cise-t-il. Dans les deux cas, larencontre a duré plus d’unedemi-heure. « On a d’abordprésenté nos revendications,explique Isabelle Bournival,mais on a ensuite pris dutemps pour échanger avec lesdéputés. On n’avait choisi departiciper à cette rencontre passeulement pour manifester,mais aussi pour discuter. »

Des impressionsLes deux militants se disent

très satisfaits de cette rencon-tre. « J’ai été surprise par le de-gré d’ouverture et d’écoute desdéputés , souligne IsabelleBour nival. Peut-être est -ceparce que c’était tous des dépu-tés péquistes, mais je les aitrouvés assez ouverts à nos re-vendications. » François Arse-nault a été étonné lorsqu’il aappris à Mario Laframboiseune chose que ce der nierignorait. « Quand j’ai soulevéavec lui la question des clausesde disparité de traitement, ilm’a aussitôt répondu que ça nese pouvait pas parce que c’étaitillégal. Mais quand je lui aidit que la loi ne s’appliquaitpas aux avantages sociaux, il avéritablement été surpris.D’ailleurs, la CAQ a posé unequestion à ce sujet lors de lapériode de questions. »

Referaient-ils l’exercice? Ab-solument, répondent-ils enchœur. Ils en auront l’occasionpuisque Daniel Boyer entendbien organiser une rencontrel’an prochain. «Par contre, sou-ligne Isabelle Bournival, je se-rais prête à céder ma place àun autre militant afin qu’ilpuisse vivre la même expérienceque moi. On n’a pas souventl’occasion de discuter avec ceuxqui nous représentent. »

Ce qui est intéressant aveccette rencontre, note Fran-çois Arsenault, « c’est que lesrevendications qui ont été pré-sentées ont été défendues pardes militants, des gens de ter-rain, qui vivent quotidienne-ment avec ces problèmes. Jecrois que cela a une portée dif-férente que si ces mêmes re-vendications sont défenduespar quelqu’un dont c’est le tra-vail, comme par Daniel Boyer,le président de ma centrale. »

FTQ

Une première rencontreParlementaires et militants syndicaux ont échangé début avril sur trois revendications jugées majeures

L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 A V R I L 2 0 1 7 H 7

SYNDICALISME

DES PROFESSIONNELS À REVALORISER

Ils sont plus de 25 500 à tra-vailler pour l’État québécois. Ce sont les professionnelles

et professionnels du gouverne-ment du Québec, représentés par le Syndicat des professionnel-les et professionnels du Québec (SPGQ). Leurs fonctions sont multiples ; cela va de l’actuariat à la géologie en passant par l’ingé-nierie forestière et la muséologie. Au total, on compte plus d’une trentaine de disciplines profes-sionnelles.

Et ces professionnels sont sans convention collective depuis main-tenant deux ans. La principale pierre d’achoppement est le salaire. « La structure salariale des profession-nels du gouvernement du Québec est archaïque et, sauf pour quelques rajustements, date de plusieurs décennies,

les augmentations de salaire consen-ties aux professionnels ont toujours

ce qui fait qu’aujourd’hui la struc--

sante pour répondre adéquatement aux exigences du marché du travail moderne. »

Une simple comparaison suf-« Si l’on

prend, par exemple, le cas d’un analyste en procédés informati-ques, ce dernier gagne 70 % de plus s’il travaille au sein de la fonction publique ontarienne, et 50 % de plus si c’est au sein de la fonction publique canadienne ou municipale québécoise. Selon les chiffres de l’Institut de la statistique du Québec, le même analyste gagne 23 % de plus s’il travaille ailleurs dans les servi-ces publics québécois, comme les universités et les commis-sions scolaires. L’écart sala-rial entre les professionnels du gouvernement québécois et les autres est donc considérable. »

Les effets perversLe premier effet pervers de

cette structure salariale inadé-quate est l’absence et la perte d’expertise professionnelle au

sein du gouvernement québécois. « La commission Charbonneau a clairement démontré que l’ab-sence d’expertise au ministère des Transports avait mené au gaspillage, et même à la collu-sion. Elle a fortement recom-mandé que le gouvernement du Québec augmente considérable-ment son expertise profession-nelle interne. » Et pour pallier ce manque d’expertise interne, le gouvernement du Québec doit avoir recours à la sous-traitance. « La sous-traitance est très coû-teuse pour le gouvernement du Québec. L’on sait que les pro-fessionnels du gouvernement pourraient offrir ces services à meilleur coût et à meilleure qualité, s’ils en avaient la pos-sibilité. »

La présente structure sala-riale nuit aussi grandement à l’embauche et à la rétention des professionnels. « Il est clair que les meilleurs candidats, les premiers de classe qui peuvent choisir leur emploi, ne viennent plus travailler pour le gouverne-ment du Québec, car ils jugent les salaires offerts ridicules. » Et ceux que le gouvernement réus-sit à embaucher? « Ils viennent

de compléter leur formation,

d’expérience, ils partent et vont travailler ailleurs. »

Et le problème ne se limite pas au seul ministère des Transports.

« Tous les ministères sont aux prises avec ce problème. C’est le cancer qui gangrène la fonction publique québécoise. »

La solution« Présentement, au ministère

des Transports, les profession-nels sont capables de surveiller seulement 5 % des travaux et, même avec l’embauche promise de 1000 nouveaux profession-nels, ce pourcentage ne grimpe qu’à 25 %. C’est dire s’il manque de l’expertise. »

Un sérieux coup de barre

enjoint au premier ministre Couillard de demeurer fidèle à sa promesse. « Lors de son dis-cours d’inauguration, Philippe Couillard a clairement indiqué qu’il ne fallait pas oublier l’ex-pertise interne et qu’il souhaitait inciter plus de jeunes à faire car-rière au sein de la fonction publi-que. Pour y arriver, il n’y a pas trente-six solutions, il faut un rat-trapage salarial. » Une solution aujourd’hui, selon lui, à portée de main. « Le gouvernement a

même un surplus budgétaire. La marge de manœuvre existe donc bel et bien. Il est temps que le gouvernement lance un message clair à ses professionnels, pour leur dire qu’il les valorise et tient à leur expertise, en arrêtant dès maintenant de les traiter comme les parents pauvres du gouverne-ment du Québec. »

Photo : SPGQ

PRO M OTI ON

SCFP-Québec

SCFP-Québec

scfp.qc.ca

@SCFPQuebec

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

La revendication du salaire minimum à 15 dollars l’heure gagne de l’ampleur au Québec.

J’ai été surprise par le degréd’ouverture et d’écoute des députésIsabelle Bournival, syndiquée chez les Métallos

« »

Page 8: SYNDICALISME - Le Devoir

T A K W A S O U I S S I

Collaboration spéciale

L e monde syndical a parfoisla réputation d’être assiégé

par des fonctionnaires d’uncer tain âge prônant le statuquo. Pour tant, le milieu dé-borde de vie. Plus encore : larelève rêve grand.

Jean-François Sylvestre, pré-sident de la région Montréal-Laval pour le Syndicat de lafonction publique et parapu-blique du Québec (SFPQ), leconfirme. Dans sa région,c’est environ 40 % des mem-bres qui font partie de la nou-velle génération. Avec le roule-ment et les massifs départs àla retraite, le paysage se trans-forme grandement. Du côtédes bénévoles seulement,l’équipe a changé à 80 % dansles dernières années. Il y aégalement la classe des étu-diants ou récents diplômés,saisonniers ou à temps partielpar exemple. « On n’en parlepas beaucoup. La relève syndi-cale, dit-il, ce n’est peut-être pasau goût du jour, mais il y en aplein ! » S’il est évident qu’ils’agit là d’une bonne nouvelle,la réalité amène égalementson lot de défis. «Ça fait beau-coup de formations, des équipesun peu moins autonomes. Etpuis, ce n’est pas la même fibresyndicale. C’est un ajustementpour tous », explique Jean-François Sylvestre.

Revendicateurs nouveauxCe qui l’impressionne, c’est

justement cette nouvelle fibre,cette vision à la fois idéaliste etréaliste que les jeunes amè-nent. Une chose est sûre, ilssont plus revendicateurs, à lalimite de l’impatience. Ils trou-vent les processus très lents etsouhaitent plus de démocratiedirecte. « La nouvelle généra-tion, celle qui était dans les as-sociations étudiantes ou qui atouché au Printemps érable,pense beaucoup à la collecti-vité. Plus que notre génération,en tout cas ! » admet celui quiobser ve la tendance depuisdéjà quelque temps. Un exem-ple concret de leur vision plussolidaire ? Le rejet en bloc dumaraudage. Pour la relève, lemaraudage est l’ennemi àabattre. Selon eux, l’énergiedevrait être mise à aller syndi-quer des gens non syndiqués,et éviter complètement le ma-raudage syndical. « Les jeunessont plus prêts que les gens peu-vent penser. Beaucoup sont déjàinvestis en politique municipaleou régionale. Et ne leur deman-dez pas de rester assis deuxheures à écouter quelqu’un par-ler ! » continue celui qui tra-vaille de près avec la relève.

Pour les Y, les revendicationsaux couleurs des années 1980ne sont pas suffisantes. C’est unretour aux transformations plusprofondes, façon 1960, qui lesallume. Plus précisément, lesjeunes semblent ne pas vouloirse contenter de signer uneconvention collective qui pro-tège leurs acquis, par exemple.« Oui, le salaire c’est quelquechose, mais pour eux, la conci-liation travail-famille et les ho-raires variables sont des incon-

tournables », remarque Jean-François Sylvestre.

Ce constat, il n’est pas leseul à le faire. Partout où ilspassent, les Y se sont taillécette image de travailleurs quimisent sur la qualité de vie,plus que sur le salaire. À telpoint que plusieurs entre-prises privées s’ajustent et serenouvellent pour attirer les

meilleurs talents en of frantdes semaines de quatre jours,du télétravail ou des garderiessur les lieux.

Les femmes en marchePar a i l leurs , les jeunes

femmes mènent égalementleurs propres combats et re-mises en question au sein dumouvement syndical. Elles re-présentent la majorité desjeunes syndicalistes, dans uneproportion d’environ 65%.

Il semble toutefois y avoirun certain décalage entre la vi-sion féministe, d’une généra-tion à l’autre. « En fait, on abeaucoup de misère à trouver

des jeunes femmes pour parlerde condition féminine. Il y a unmalaise », relate le présidentde la région Montréal-Laval dela SFPQ. Ainsi, les jeunesfemmes rejettent le discoursféministe des années 1970,qu’elles ne trouvent pas assezouvert, inclusif. Elles veulentnon seulement défaire les pré-jugés, mais aussi s’af firmer

sur la base de leurscompétences et nonde leur sexe. Or, plu-sieurs hésitent às ’engager de peurde se faire juger ouécar ter par la majo-rité en place. « Pour-tant, on leur dit dene pas avoir peur deprendre leur place,

mais il y a encore du travailà faire de ce côté-là », admetJean-François Sylvestre.

Outre la peur, les jeunesfemmes n’ont pas toujours lemême temps syndical à offrir,avec toutes les dif ficultésqu’implique la conciliation tra-vail-famille-études. Le travaildes femmes se fait donc lente-ment, mais sûrement.

Fait intéressant, les jeunessyndicalistes vont parfois au-delà de la mission de leur re-groupement, par vocation so-ciale. Par exemple, un groupede jeunes travaille actuelle-ment à mettre sur pied une cli-nique d’information mobile

qui viserait à informer les tra-vailleurs sur les notions entou-rant les normes du travail. « Ilsveulent se promener dans leQuartier latin par exemple, etaller voir les travailleurs. Çan’a rien à voir avec notre mis-sion, c’est vraiment une initia-tive sociale de leur part ! » ex-plique le président de la ré-gion Montréal-Laval de laSFPQ, impressionné.

Plus près du domaine syndi-cal, les jeunes montent égale-ment d’autres projets. Dansquelques semaines, une soirée 5à 7 sous forme d’ateliers d’infor-mation sera organisée afind’échanger sur di f férentsthèmes qui les touchent ,comme le cheminement de car-rière, l’engagement syndical, laconciliation travail-famille, lecheminement études-travail, etc.Le but: réseauter, partager leurscraintes, leurs peurs.

Cela rappelle à Jean-FrançoisSylvestre sa propre initiative dejeunesse, lancée il y a une dé-cennie et toujours en cours.«On organise toutes les annéesune école militante, en retraitefermée», explique-t-il. Ainsi, pen-dant une fin de semaine com-plète, des ateliers et cercles dediscussion sont organisés pourinspirer et s’instruire. Le défiadditionnel ? Les cellulairesn’entrent pas! «Eh oui, c’est pos-sible même pour la nouvelle gé-nération!» conclut-il en riant.

SFPQ

Place à la relève syndicaleLes femmes et les jeunes militent de plus en plus dans le mouvement

SYNDICALISMEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 A V R I L 2 0 1 7H 8

Le Syndicat des professeures et professeurs de l’Université de Sherbrooke, le SPPUS, est fier de contribuer à l’élaboration d’une société démocratique, équitable et prospère, en veillant à ce que la mission universitaire soit préservée, par des conditions de travail dont doivent bénéficier tous les artisans du savoir et de la connaissance, afin que l’enseignement supérieur soit de qualité et que la recherche puisse avoir des impacts réels et enrichissants.

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J É R Ô M E D E L G A D O

Collaboration spéciale

L’accès à des aliments dequalité est loin d’être une

question réglée. Éric Giroux,responsable de la recherche etdes collections à l’Écomusée dufier monde, en est conscient, luiqui vient de travailler à monterl’exposition Nourrir le quartier,nourrir la ville.

Dresser un por trait histo-rique comme le fera, à comp-ter de la mi-mai, le musée en-clavé dans un ancien bain pu-blic du quar tier Centre-Sudn’équivaut pas à fermer lesyeux sur des enjeux contem-porains. Pas avec un sujetaussi vital que l’alimentation.

«Pour un quartier populairecomme le Centre-Sud, la questionalimentaire est quelquechose de délicat. Ici, il ya des zones qui sont en-core considérées commedes déser ts alimen-taires, donc avec peude produits de qualitéaccessibles », dit lecommissaire de Nour-rir le quartier, nourrirla ville.

P r e u v e d e c econstat : le nombreréduit de supermar-chés. Il n’y en a quetrois, deux autourdes stations de métroPapineau et Fronte-nac et un autre à l’in-térieur de Place Du-puis. « Les résidantsplus au nord n’ontque quelques fruite-ries, mais les prix sont toujoursplus élevés. C’est une questionpréoccupante », concède ÉricGiroux, pour qui il fallait rap-peler ce fait dans l’exposition.

La section «Quartier nourri-cier » abordera ces thèmes ensignalant des initiatives toute-fois plus heureuses, comme lanouvelle serre communautaireimplantée dans un espacesous-exploité appartenant à laMacdonald Tobacco, près dela r ue Ontario. Autre belleidée qui a poussé dans le Cen-tre-Sud et qui colorera l’expo,le Fruixi est un service à vélo,un hybride entre le livreur dedépanneur et la cuisine de rue.

Quartier sucré« On utilise le quar tier

comme témoin de la grande his-toire de Montréal », avance leporte-parole du musée.

Pour aborder l’histoire del’alimentation, l’Écomusée dufier monde est plutôt bienplacé : devant l’ancien bain pu-blic se dresse en effet le mar-ché Saint-Jacques. Ce bâtimentart déco de 1931, toujours de-bout, est emblématique au pro-pos de cette exposition quiparle d’évolution et de transfor-mation. Les récents ef for tspour redonner au marché Saint-Jacques sa fonction d’origineont échoué et seuls quelquescomptoirs alimentaires y fontencore des affaires.

S’appuyant sur des archivesessentiellement photogra-phiques, mais pas seulement,Nourrir le quartier, nourrir laville embrassera 200 ans del’alimentation à Montréal. Lesujet sera traité sous dif fé-rents angles, notamment celui

de l’of fre (des marchés pu-blics aux supermarchés, enpassant par l’épicier du coin),de l’autoproduction (fermesurbaines, serres communau-taires) et de la transformationde produits.

Il faut dire que sur ce der-nier aspect, le Centre-Sud aabrité un bon nombre de cas.« On pense à Molson, parcequ’elle est la plus ancienne et laplus grande usine qui existe en-core », commente Éric Giroux.Mais il y aura eu aussi des en-treprises de pasteurisation delait, des boulangeries indus-trielles, et tout un ensemble defirmes à faire saliver ceux quiont la dent sucrée.

N’identifie-t-on pas une par-tie du quartier comme le Fau-bourg à m’lasse ? Aujourd’hui

phare de la diffusiondes arts de la scène,l’Usine C, elle, a au-trefois été le théâtrede production desconfitures et mari-nades Raymond, sujetdéjà d’une expositionà l’Écomusée. Pen-dant 50 ans, Laura Se-cord aura aussi fabri-qué dans le quartierses chocolats, et lesViau, David & frère,Lido, Ætna… leursbiscuits.

Conditionouvrière

Si Nourrir le quar-tier, nourrir la villetraite en bonne partiede l’histoire alimen-

taire par le biais des grandsnoms de l’industrie, elle le faitaussi à travers la professiond’épicier, la réalité des ouvrierset le point de vue du consomma-teur. Le fonds Conrad Poirier,aujourd’hui conservé à Biblio-thèques et Archives nationalesdu Québec (BAnQ), sera unprécieux fournisseur d’images.Pionnier du photojournalismequébécois, Conrad Poirier(1912-1968) « s’est appliqué àdépeindre le quotidien en privi-légiant la représentation “noncomposée” de ses contempo-rains». «En ce sens, lit-on dansles documents de BAnQ, cefonds témoigne d’une portée so-ciale rare pour [son] époque.»

« L’histoire du travail et del’industrie est quelque chose quinous intéresse, affirme Éric Gi-roux. Dans cette expo, on avoulu mettre des visages d’ou-vriers, mais aussi [ceux] despetits commerçants, proprié-taires d’épicerie. » C’est un mi-lieu dur, d’une par t à causedes longues journées de tra-vail, d’autre part parce que cescommerces ont la vie courte.«Leur durée moyenne est de dixans. Il y a une grande précaritéet cette précarité existe tou-jours », fait d’ailleurs noterl’historien-muséologue.

Pour la réalisation de l’expoNourrir le quartier, nourrir laville, et de la publication quil’accompagnera, l’Écomuséedu fier monde s’est appuyésur les recherches du Labora-toire d’histoire et de patri-moine de Montréal. Cette col-laboration avait déjà donnélieu aux expos Run de lait(2012-2016) et Confitures etmarinades Raymond (2015).

PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE

Histoire de bouffeL’Écomusée du fier monde lance l’expoNourrir le quartier, nourrir la ville

GETTY IMAGES

Le quartier Centre-Sud abrite des secteurs où l’of fre alimentaireest presque exclusivement réduite aux restaurants de malbouffe.

ISTOCK

Les jeunes femmes mènent de front plusieurs combats, dans la société en général et dans le milieu syndical en particulier.

Pour aborderl’histoire del’alimentation,l’Écomuséedu fier mondeest plutôt bienplacé : devantl’ancien bainpublic sedresse en effetle marchéSaint-Jacques

Pour les Y, les revendications auxcouleurs des années 1980 ne sontpas suffisantes. C’est un retour auxtransformations plus profondes,façon 1960, qui les allume.