SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS...

99
1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte à rebours, sauf que je ne sais à quel moment ce sera zéro. Mieux encore, je ne sais si je dois me dépêcher ou au contraire attendre l'âge doré pour faire cette fouille de mes années de vie... Mes souvenirs sont pour vous mes filles et leurs enfants, une trace d'instants de vie, nullement égocentriques puisque dans ce miroir d'images d'autres vont se retrouver avec moi pour m'aider à écrire. Je pense à Gaby mon père, ma mère, papa René aussi mon père, mes grands parents. Ils sont dans la lumière, je les vois, ils sont à la source, et j'y puise mon eau. Si parfois l’écriture pousse à la romance, c’est que mon esprit y garde tout l’amour que j’ai pu recevoir des miens, et aussi de l’amitié de ceux rencontrés au fil de mon adolescence, puis de ma vie d’adulte. J’ai gardé une âme d’enfant, synonyme de jeunesse dit-on ? Si un jour cela cessait, je ne serais qu’au terme de ma vie, et ces pages seront certes interrompues. Ce sera à vous de continuer dans la mémoire … Si ailleurs existe, quelle sera la surprise de me retrouver avec ce jeune Gaby mon papa ! Mais là, je délire ! Jean Pierre Roussary

Transcript of SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS...

Page 1: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

1

SOUVENIRS D'ENFANCE

Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte à rebours, sauf que je ne sais à quel moment ce sera zéro. Mieux encore, je ne sais si je dois me dépêcher ou au contraire attendre l'âge doré pour faire cette fouille de mes années de vie... Mes souvenirs sont pour vous mes filles et leurs enfants, une trace d'instants de vie, nullement égocentriques puisque dans ce miroir d'images d'autres vont se retrouver avec moi pour m'aider à écrire. Je pense à Gaby mon père, ma mère, papa René aussi mon père, mes grands parents. Ils sont dans la lumière, je les vois, ils sont à la source, et j'y puise mon eau. Si parfois l’écriture pousse à la romance, c’est que mon esprit y garde tout l’amour que j’ai pu recevoir des miens, et aussi de l’amitié de ceux rencontrés au fil de mon adolescence, puis de ma vie d’adulte. J’ai gardé une âme d’enfant, synonyme de jeunesse dit-on ? Si un jour cela cessait, je ne serais qu’au terme de ma vie, et ces pages seront certes interrompues. Ce sera à vous de continuer dans la mémoire … Si ailleurs existe, quelle sera la surprise de me retrouver avec ce jeune Gaby mon papa !

Mais là, je délire ! Jean Pierre Roussary

Page 2: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

2

Page 3: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

3

Le début ... Ces souvenirs débutent sur une interrogation, une recherche d'éléments pour reconstruire une histoire, la mienne ! Mieux vaut attendre l'instant propice pour entreprendre ce réveil quelque peu douloureux d'une partie de mon enfance. Partie empreinte d'une absence matérialisée autour d'un être dont le visage, le lien qui pouvait me rattacher à lui, est semblable à l'attitude d'un touriste devant la porte close d'un musée... Curieuse comparaison, mais l'impression est la même, on s'imagine plein de choses, on devine, mais il en découle un mystère, qui au lieu de trouver une consécration réelle se perd dans un rêve dont l'enfance a les secrets. Il y a des espaces dans la mémoire qui demeurent éternellement vides; il en est d'autres qui se ravivent à la moindre sollicitation de l'esprit. Ce sont des résonances, des couleurs, des images incompréhensibles qui mettent en place une sorte de vision inachevée de la raison d'être un témoin de vie. Vie, pour celui qui la commence, Vie pour qui la suit, Vie pour qui la quitte... C'est un livre que l'on ouvre , Que l'on parcourt, Que l'on ferme Vie avec des mots, des gestes, des caresses, des blessures, des images, des sentiments. Une vie, il lui suffit d'un appel pour qu'elle se raconte. Cette boutade qui fait dire à quelqu'un, qu'il raconte sa vie, m'amène à raconter, à me raconter, même si parfois il me faut quitter le fil de l'histoire pour mieux m'y retrouver! Mon premier souvenir, surgit d'une interrogation. Comment pouvais-je me trouver un jour d'été de l'année 1949, dans un petit hameau du Périgord. Un petit tas de maisons aux toits de tuiles d'un rouge dégradé, et aux murs déjà lézardés sur lesquels couraient quelques vignes vierges et des rapiettes avides de soleil. Ce petit lieu de vie s'appelait et s'appelle encore la Boine. Il allait être le théâtre d'une tranche de mon enfance, plus exactement de celle de mes huit ans. Cet instant est resté très fort en moi, tout comme si on l'avait planté... réflexion toute paysanne, voire toute simple, avec la

Page 4: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

4

même émotion qu'éprouve l'homme qui plante une jeune pousse, guettant la preuve de l'enracinement, puis s'éloignant, satisfait de lui même, de ce mariage, de cette accordailles avec la terre et la graine de la vie... J'étais au milieu de ce chemin caillouteux; celui que tous les ans, nous empruntions pour nous rendre à une petite terre autrefois plantée de vignes. Je me revois dans ces mêmes lieux, mes deux mains dans celles de ma mémé et de mon pépé. La haute stature des murs des maisons enfermait le silence qui y régnait, seulement troublé par le ronronnement d'une voiture qui s'éloignait. Le ciel, nouveau pour moi dans lequel le soleil couchant rougissait des trames fines et éparses de nuages sur un fond d'un bleu déjà nuit. Tout cela créait en moi une sensation d'avoir été laissé là, sous ce ciel qui, je le répète m'était totalement inconnu. Deux larmes coulèrent sur mes joues, et un gros mouchoir à carreaux vint vite les éponger et par la même occasion il me fut demandé de me moucher et de ne pas renifler! Le mouchoir revint dans la grande poche du tablier noir de mémé où il trouva sa place avec un fouillis de ficelles, d'épingles à nourrice et d'autres choses inconnues pour moi. Tout cela se fit en marchant, au bruit des sabots, mes mains dans celles de mes grands-parents. Arrivés devant un portail de bois, ma grand-mère dit à son mari, qu'elle appelait Elie ou pépé, ou même patron ( selon les moments ):

J'emmène le petit à la cabane des poules.

Puis elle me le confirma en ajoutant:

On va fermer les cocottes, et après on reviendra tremper la soupe.

C'était pour moi un vocabulaire nouveau, avec des termes différents de ceux de ma mère. Nous allâmes fermer les poules; j'étais un peu rassuré, mais encore inquiet. Je crois que pour mes grands- parents et moi, nous étions réellement conscients que quelque chose avait changé dans le déroulement intime de notre vie. Ce qui me revient aujourd'hui, c'est le retour vers la maison. Il y avait donc ce chemin, puis une petite montée avant d'arriver à celle-ci. Malgré la nuit qui tardait à venir, je la découvrais en cette fin de journée; tout avait été si rapide que je n'ai aucun souvenir de mon arrivée ! Sauf! que ma mère me conduisit vers la mémé, posa une énorme valise sur le grand lit de la cuisine, et qu'il s'en suivit un déballage de mes effets vestimentaires, tandis que mon

Page 5: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

5

beau-père causait avec mon grand-père dans la cour de la ferme. Ils étaient tous deux assis sur un grand et vieux banc de bois au-dessus duquel finissaient de mûrir de superbes grappes de raisins Malaga...

C'est son père qui avait rapporté le plan ! disait mon grand-père avec une voix pointée d'une discrète émotion...

J'étais au milieu de la cuisine, devant la grande table recouverte d'une superbe nappe à grands festons brodés. Au milieu de celle-ci trônait une soupière de porcelaine blanche, quelque peu fêlée sur les bords, emplie de pain coupé en tranches fines et siégeant là comme une chose ancienne de la maison. Sur une cuisinière, la marmite soulevait son couvercle, laissant échapper une vapeur odorante de bouillon et de légumes. Tout à coup, une pendule se mit à sonner, à égrener les douze coups de midi. Ce fut, et cela demeure un souvenir d'un rite immuable que j'allais voir s'exécuter durant mes séjours à la Boine. C'est à ce moment là que pépé amena mon beau-père par le bras, appela mémé, et dans un langage que je ne compris pas, sembla ordonner la mise en route du repas !

Alloun feyne ! fay mingea, qué miejour !» ( allons femme ! faut manger, il est midi.

Ce repas, ces repas de mon grand père, sont pour toute ma famille tombés dans le domaine public ! tellement ils ont marqué les témoins. Mon grand-père avait gardé de son ancienne profession de vérificateur des tabacs du Seita, cette habitude de comptabiliser le temps. L'heure était son principal argument de bonne conduite dans la société; il ne supportait pas d'être en retard, et acceptait encore moins l'arrivée hors horaire d'un invité. Je le vis maintes fois prendre une assiette de soupe sur le coin de la table ou au coin de la cheminée pour calmer sa colère, et surtout calmer une demande de son estomac qui, lui, était réglé comme une pendule ! Revenons à ce premier repas à la Boine. On parlait beaucoup de moi, de mes habitudes, de la fragilité de ma santé. N'avais-je pas supporté l'extrême-onction, un baptême in extremis, des cataplasmes de moutarde, mais aussi beaucoup de tendresse de la part d'une grand-mère maternelle dont je réserverai une attention dans un chapitre. La conversation allait bon train, le vin rouge de la vigne du pépé faisait son effet !

Tu écouteras ! n'est ce pas ? disait ma mère. Et puis ! pépé, si Jean Pierre n'est pas sage, vous avez la permission !

Page 6: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

6

N'ayez pas peur disait grand-père, j'ai le flacassou ... Il se leva et pris un petit bâton de châtaignier et fit mine de le secouer. Ce fut pour la chienne Fanfare l'occasion de sortir de dessous la table et de se ruer sur le chat et les deux malheureuses poules qui se trouvaient devant la porte ! J'eus l'impression d'être dans un monde de sévérité totalement inhabituel, comme si l'on me confiait à des gardiens et qu'on réglait mon sort de malheureux prisonnier. Il n'en était rien. Mais, pour moi, il manquait un maillon à cette rencontre. Mes grands parents, je les connaissais très bien, pour avoir vécu ailleurs avec eux. C'est cet " ailleurs " que je ne retrouvais pas ici. A la Boine, ils ne ressemblaient pas à ceux que j'avais quittés et avec qui j'avais vécu ma petite enfance. Pourtant, c'étaient les mêmes! Dans cet univers rustique, mon grand père n'était plus l'homme des tabacs, ma grand-mère était aussi différente. Elle semblait avoir accepté cette nouvelle maison, cet environnement de terres, de forêts, cet éloignement de la ville comme pour mieux fuir quelque chose. Ce fut là une chape qu'elle ne souleva jamais, du moins durant mon adolescence. Plus tard, mémé me confia la raison réelle de sa présence à la Boine. C'est après le repas que mon grand-père Elie partit avec mon beau-père. Je vais très vite dire, papa René, car il fut pour moi un père, et que le mot papa, tout simplement dit, va faciliter l'écriture de ces souvenirs. Lorsque je vis s'éloigner mon grand-père et papa, je ne fus pas surpris. Mon grand-père aimait avoir des conversations en marchant, et c'était aussi sa pédagogie de l'approche des personnes. Son caractère formé à l'école de la vie paysanne lui avait laissé des traces indélébiles, des sortes de morales de ce qu'il pouvait accepter ou proposer. Par contre, sa générosité n'avait pas de limites lorsqu'il se sentait heureux et aimé. Je le soupçonne de nous avoir quelquefois fait peur ! Il piquait des colères pour des trois fois rien, mais c'était de courte durée pour lui... mais je conviens que pour ceux qui subissaient l'orage, il fallait se tenir à carreau ! Mon parrain et moi connaissions ses excès d'humeur dont l'issue nous amenait à rigoler le soir dans la chambre, dans le grand lit dont la couette rouge gardait les secrets de nos conversations. Pour revenir au départ de mon grand-père et de papa, je me souviens que je me trouvais dans la cour, jouant avec une poule grise et blanche ( qui fut ma première patiente en sommeil cataleptique ) et qui

Page 7: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

7

par excès de zèle de ma part finit dans la soupe. Je traînais mes savates, n'osant franchir la barrière qui séparait la cour du chemin d'accès. Dans la maison, ma mère aidait mémé à faire la vaisselle. J'entendais les chocs des assiettes, ces espèces de claquements différents à chaque empilement des faïences et des bribes de mots. Pour un enfant, la conversation des adultes est toujours inquiétante, on a toujours le sentiment du complot. Mémé parlait; je me souviens qu'elle s'embrouillait dans les prénoms, je souris de cela. Avant d'appeler quelqu'un par son vrai prénom, elle donnait une liste et enfin arrivait à dire: Janine, Jeannette, Yvette, Denise ... Denise était le prénom de ma mère, et mémé lui parlait comme si celle-ci était sa fille. Alors, elle posait des questions, son père, René et toi, et ta mère, et le père Besse, si Jean Pierre était heureux, son école, tu as besoin de quelque chose... Je devinais dans ces échanges une grande tendresse, une filialité et un respect commun que seules des personnes qui se connaissent bien ou qui ont eu leur vie ou leur affection éprouvée par un malheur commun.

Vous savez maman, reprenait ma mère, René est très gentil pour le petit, c'est comme si c'était le sien.

Mémé disait:

Petite ! Personne ne peut te faire reproche, nous n'avons plus personne, tu le sais bien. René, c'est comme notre fils, et il n'a pas pris Jean Pierre dans un boullicou ( panier de linge sale, jadis utilisé dans les campagnes )...il est comme le "pauvre" Gaby... et lui n'aurait peut être pas mieux fait.

Lorsque mémé parlait du pauvre Gaby, elle ne pouvait le faire sans cacher sa peine; mais elle le faisait avec un ce rtaine retenue, tout comme s'il eut été incorrect d'afficher ce sentiment pénible d'une mère ayant perdu son fils à vingt ans. Elle se moucha bien fort, puis reprit ses activités avec tous les bruits de la maison comme si la vie de ceux que l'on qualifie de "pauvres" faisait partie des meubles. La conversation continuait, il était question de la tante Madeleine! Celle-là, elle n'avait pas béni ce remariage de ma mère! Maman avait été l'épouse de Gaby, un marin. Celui-ci tout jeune engagé dans la Marine Nationale était quartier-maître mécanicien à bord du Chevalier Paul. Durant la guerre de 39-45, il se porta volontaire ou fut désigné pour accompagner un convoi de cargos

Page 8: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

8

amenant des munitions aux soldats français en opérations en Syrie... le destin voulut que ce navire fut torpillé par un avion anglais et qu'il fut tué le 16 juin 1941. La nation reconnaissante lui accorda la croix de guerre..., moi je fus Pupille de la Nation... et ma mère termina la guerre, et se remaria en 1948 avec, la bénédiction de mes grands-parents paternels. Mais pour ce qui était de la disparition de mon père, elle fit que nous nous trouvâmes les uns sans fils, les autres sans père et mari. De leurs douleurs respectives, je n'ai pas de souvenirs précis. Si ce n'est que mémé et pépé continuèrent à nous aimer et à nous aider durant la guerre. Mémé s'habilla de noir, et le resta très longtemps. Pépé garda aussi un brassard noir sur la manche, puis un crêpe sur le revers de la veste. La photo de mon père Gaby fut fleurie, été comme hiver. C'était leur deuil, il fut terrible pour mémé, mon grand-père encaissa... Maman se trouva donc jeune veuve avec un bébé, un gros bébé ! et une longue période de guerre. Mes grands-parents ont toujours témoigné pour elle une immense affection et une écoute permanente sur tout ce qui pouvait lui arriver. Après cette épreuve, mémé afficha une grandeur dans son courage, dans sa persévérance à vivre et à devenir pour tous une Madame Roussary, respectée, consultée et aimée de tous ceux qui au travers des méandres de cette guerre trouvèrent auprès d'elle mille réponses à leurs besoins, voire même à leur malheur. La guerre telle une loterie inhumaine frappait à toutes les portes, se moquant de Dieu, des prières, des cierges et même de ceux pour qui la foi pouvait être l'espérance d'un rempart contre la mort. Pépé, fut affecté durement, il avait perdu le fils, celui qui dans la famille perpétue le nom. Mais, le fils était mort, à 21 ans, à l'aube de la vie et dans la fleur de l'âge. Plus tard, vers mes 21 ans, nous étions seuls, et nous marchions chacun dans un rang de vignes, coupant des sarments secs. L'automne jetait son manteau pourpre sur les dernières feuilles. Quelques grappilles de raisins, laissées par les grives, finissaient de sécher sur les branches. Des oiseaux passaient dans le ciel, traces noires sur ces nuages marbrés de veines ouatées, teintées de rouge. Il avait tiré sa montre gousset d'une petite poche de sa veste de chasseur. Il s'avisa de l'heure avancée et j'entendis appeler:

Gaby ! ah ! noun! noun de die ! Pierre ? ( Gaby ! ah ! nom, nom de Dieu ! Pierre ?)

Parvenu en face de lui, je sautais les fils de fer du rang de vignes.

Page 9: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

9

Nous réprîmes la rangée ensemble sans parler. On entendait la claquement des lames de nos sécateurs et le bruit de nos bottes bougeant les cailloux de quartz. Nous avions fini, il s'arrêta et me prit dans ses bras. Ce fut la première et dernière fois que je le vis pleurer. Il me regarda, sans doute comme il avait, un jour, regardé son fils. Tout cela, simplement, avec son regard planté dans le mien. Ses lèvres tremblaient et ses yeux se plissaient; le choc de ce prénom échappé de son coeur, comme si depuis très longtemps il l'avait gardé au plus profond de lui-même, sans pouvoir l'extraire ou s'en défaire. Nous rangeâmes les sécateurs et les sarments sur une brouette. Il voulut prendre les bras de celle-ci, je l'en empêchais et doucement nous prîmes le chemin du retour vers la maison. Nous traversions une forêt de grands châtaigniers, l'air était encore chaud, bien que par endroits une fraîcheur s'installa et se mêla aux senteurs fermentées de l'automne. Seul le grincement de la roue de la brouette comptait le temps à chaque tour. Tout à coup grand-père m'arrêta. Passant sa veste de chasse sur son épaule, il me dit d'une voix grave:

Pierre, si ton père était là, il serait fier de te voir professeur. Tu sais, ta mémé et moi, on t'en parle pas beaucoup, mais en te voyant, on pense à lui. Et puis René est bien gentil pour nous. Il est comme notre fils, et ta mère nous aime aussi, et Joëlle ta soeur aussi nous l'aimons bien !

Ah ! il faudra qu'elle vienne en vacances chez nous !» Il eut un petit écart de voix étranglée. Celui qui écoute ressent alors le message et l'émotion qui passe. Ce bloc de ces mots lâchés dans cette forêt prend allure de grandiose. Voilà cet homme, au soir de sa vie, regardant l'arbre vivant engendré par un être qui était toute sa chair, lui livrant tout son bonheur, tout son espoir, comme si l'enfant était une résurrection de l'être chéri ou une émanation céleste de poussières, de larmes, de sang, de détresse. Élan généreux de lui-même, reconnaissance envers le ciel d'avoir fait convertir un malheur en bonheur. Nous parlâmes sur ce chemin... Aujourd'hui ses paroles me reviennent et leur décodage s'effectue toujours avec des images à jamais gravées dans ma mémoire. Elles sont la résonance de la foi que cet homme portait en la vie et qui sous un visage parfois dur, cachait une tendresse infinie, inavouable à ses yeux. On le comparait parfois à une soupe au lait, plus exactement, il méritait le surnom de soupe au lait. Ce terme le faisait sourire, et lui faisait dire en patois, ( cette fameuse langue que je ne compris pas le jour de mon arrivée ) en se chamaillant avec ma mère:

Page 10: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

10

Pito ! tu me faï tourna bourrico ( petite, tu me fais tourner bourrique)

Ses humeurs changeantes, pas toujours appréciées de la mémé, déclenchaient des scènes très courtelinesques qui éclataient comme la foudre, et qui se terminaient parfois en fou-rire, ou en repli de l'attaquant!

Je vais à la vigne ! disait alors mon grand-père. Cette vigne située à la limite de la forêt fut certainement maintes fois témoin silencieuse des visites de mon grand-père. Elle ne lui en tenait nullement rigueur, car elle lui donnait un petit vin délicieux. Je l'ai souvent surpris à lui parler, sans moquerie aucune, mon grand-père était un peu sorcier ! Pour revenir au récit de mon arrivée à la Boine, au moment ou mon grand-père et papa René s'en allèrent, eux aussi à la vigne ! Je jouais avec une poule grise; celle-ci un peu lassée de picorer dans ma main m'avait quitté pour reprendre son grattage d'un petit tas de sable, destiné à améliorer la qualité des coquilles des oeufs. J'entendis papa et pépé qui revenaient, marchant côte à côte, en tenant chacun un bâton tout frais coupé, dont l'usage était recommandé pour se promener dans les taillis, et éloigner ou même tuer les vipères. Mémé, m'avait appris à chasser ces serpents, d'autant qu'elle avait elle-même vécu une curieuse aventure avec un reptile. Ils arrivaient tous les deux devant la barrière, et je profitais de ma présence près d'elle pour lever la barre de bois qui en assurait le fermeture. Mon grand-père me remercia et de me dit de le suivre. Il me conduisit dans une grange dont la porte immense fabriquée de main de paysan s'entrouvrit sous la poussée de nos bras...Il alla vers le fond, et revint avec un immense vélo noir. «C'était celui de ton père», me dit-il à voix basse, comme pour ne pas gêner papa René. Ce vélo fut amené dans la cour, débarrassé de la poussière et des brindilles de foin qui s'y trouvaient depuis longtemps. Puis il ajouta:

Demain! Petit ! on ira à Saint Jean voir Yvon. A mon air étonné, il précisa qu'Yvon était mon parrain, que c'était un petit bien vaillant. Papa et grand-père s'affairèrent à descendre la selle, puis régler le guidon. Ce ne fut pas une mince affaire ! Mon grand-père se coinça un doigt, puis il se mit de l'huile sur le pantalon, tout cela ponctué par les interventions de Papa René lui proposant son aide. Aide refusée, Elie étant têtu comme une mule. Après cette mise à disposition de l'engin à la longueur de mes petites jambes, il fallut essayer le vélo, et faire un petit tour de village. Malgré

Page 11: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

11

l'heure avancée de l'après-midi, les villageois étaient dehors, sans doute parce que c'était dimanche, et que la fraîcheur du soir arrivait et invitait à prendre l'air. Je grimpais sur le vélo, grand-père me suivait derrière, sa main sous la selle. J'effectuais donc ce tour, et pépé m'obligeait à dire bonjour!

Bonjour Albin! Et puis Noémie, puis Maria, puis Denise... enfin tout le village apprit que j'étais Jean-Pierre, son petit fils, mais surtout le fils de Gaby. Papa René s'avança et fit lui aussi connaissance de ce monde. Mon grand-père le présenta ainsi:

C'est René le mari de Denise, Denise ma belle-fille. Tout le monde comprenait la situation, il n'y eut jamais aucune équivoque et papa René fut intégré dans la vie de ce village. Pour moi aussi, il n'y eut aucune gène à lui dire Papa... Certes, il y avait bien en moi une pensée pour mon vrai père, celui qui m'avait donné la vie; cette vie confiée par la destinée à un autre homme qui allait prendre le relais et m'aider à poursuivre la mienne. Le soir tombait, j'entendais les cris des fermiers et ceux des vaches réclamant pour la traite, les allées et venues des femmes au puits, les saluts en patois d'une maison à l'autre. Mémé et ma mère avaient préparé des paquets, mon père avait amené la voiture devant le portail. Le véhicule ronronnait doucement, toussant un peu...

C'est le starter ! disait mon père à pépé. C'est solide ! ajoutait celui-ci en tapant à plat de sa main sur l'aile de cette 201 Peugeot ! Les paquets ? c'était des confitures, des volailles, des pâtés, des légumes qui allaient dans le coffre situé à l'arrière de la voiture. Maman me prit dans ses bras, me fit deux grosses bises et me fit surtout promettre d'être très sage et d'écrire. On se fit tous la bise, bise bien sonore ! Mon père ferma les portières, (vérifiées par grand-père ) et mes parents partirent. Pépé, moi, et mémé nous tenions la main comme si nous avions voulu montrer que nous étions bien ensemble. Je les lâchai, courus vers le bout du chemin, là où avait disparu l'auto. Il n'y avait plus rien, seul un ronronnement qui s'estompait dans le silence habituel de ces hameaux où la vie s'écoule au rythme de l' heure solaire et des saisons. J'eus l'impression d'être seul au monde, bien que mes grands-parents aient fait quelques pas pour venir à ma rencontre et revenir à la

Page 12: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

12

maison. Les personnages ne m'étaient pas inconnus, mais les lieux par contre l'étaient. Le village, la maison, ces gens qui parlaient une langue bizarre, ( le patois ), cet isolement... j'avais peur pour la première fois... Nous rentrâmes dans la cour; chose que j'avais seulement aperçue, je vis la chienne Fanfare venir vers moi et me caresser, me faire une sorte de fête, se dresser sur moi en jappant. Mon grand-père lui ordonna d'aller coucher, ce qu'elle fit en partant vers la grange, vers un vieux tonneau dans lequel on lui avait fait sa niche. Il y avait aussi deux chattes, l'une, Roumie, parce qu'elle " roumait " toujours, et Fifi, parce qu'elle était la fifille de Roumie ! Elles avaient droit aux caresses, mais à aucune familiarité quant à dormir sur les chaises et les lits. Cela me chagrina un peu, moi qui avais vécu dans un monde où les chats sont les rois et bénéficient de faveurs, ici hautement et fortement réprimées! En entrant dans la maison, je découvris les lieux; une grande pièce avec une immense cheminée, tout en face une longue table rustique avec, aux extrémités, un immense tiroir. A ma droite, un buffet à couvercle sur lequel trônait, modernisme déjà naissant, un poste de T.S.F. recouvert d'une housse de coton rouge. A côté de ce meuble, une pendule battant secondes, sonnant demie heure et heure, qui semblait régler le déroulement de la vie. Au fond, un autre buffet surmonté d'une vitrine dont les portes s'ouvraient en grinçant, comme pour nous effrayer d'y prendre les pots de confiture et de miel qui siégeaient sur les étagères bordées de papier à petits carreaux bleus. Dans le coin à gauche, une alcôve avec un lit à barreaux de cuivre jaune, haut sur pieds, et recouvert d’une couette de toile satinée rouge. Un rideau provençal courait autour du lit et l'isolait de la partie cuisine. Au pied de celui-ci, une machine à coudre Singer cachée par une boîte marron que l'on soulevait au moyen d'une poignée ciselée en cuivre. En revenant vers la cheminée, et vers la droite, il y avait une petite fenêtre par laquelle le soleil couchant passait en rayons rouges et dans lesquels les choses de la maison paraissaient s'endormir. Sous ce fenestrou, un lavabo de fonte noire voisinait avec une énorme cuisinière de cuivre rouge. Au-dessus de la table quelques attrape-mouches et un éclairage électrique en forme de suspension. A des pitons, enfoncés dans les poutres du plafond, noircies par la fumée et les ans, des sacs de

Page 13: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

13

jambons et de lard se balançaient. Au-dessus de la cheminée, sur son fronton, un fusil, des cartouchières, et sur l'étagère au dessus, des bocaux en aluminium portant les mots café, farine, épices, sel gravés sur des plaquettes de métal doré. Dans l'âtre, un banc, une boîte à sel, des torchons, un balai destiné à l'entretien du sol, mais aussi à chasser matous et poules qui se seraient hasardés à rentrer dans cette pièce. Seule privilégiée, la chienne avait sa place sur le petit banc à côté de pépé, lors des veillées au coin du feu. Deux gros chenets landais à coupole, dans lesquelles s'asseyaient les deux chattes et dont l'arrière-train se logeait fort curieusement. Un feu crépitait dans l'âtre qui venait de s'animer, avec une marmite pendue à la crémaillère. En un tour de main, la table fut mise, et je découvris le secret du premier tiroir. Celui - ci s'ouvrait en geignant, et penchait sous le poids de tout ce qu'il pouvait contenir. Il y avait là, tout l'ordinaire de la faïence familiale et journalière. La vaisselle du dimanche était rangée dans le grand buffet. La soupe fut trempée ! comme disait mémé! Et là, j'assistai à la célébration d'un rite inconnu pour moi. On mangeait dans une seule assiette ! Grand-père "attaquait" le premier, non sans avoir remué la soupe dans la soupière, avec une louche. Puis, en se servant, il disait qu'il aimait la soupe chaude et que mémé Adrienne l'aimait tiède ! Ensuite, il me servit et passa la soupière à mémé. Après qu'elle eut vidé la soupe, elle se leva pour aller chercher du bouillon qu'elle versa dans l'assiette de grand-père. La lampe était allumée, et donnait à ce repas un éclairage intimiste et suffisant pour que chacun soit éclairé. Pépé mangeait en séparant la mie de pain et le bouillon à l'aide de sa cuillère et de sa fourchette. Au bout d'un moment, il saisissait la bouteille de vin rouge et s'en versait une partie dans l'assiette. Je regardais cela, et à mon regard qui croisa le sien, il crut bon de m'inviter à faire pareil ! Mémé s'y opposa et en patois lui dit:

Fa cé qué té vole, may nobliga pa Piarou a ju beuré qué chabrol. ( fait ce que tu veux, mais n'oblige pas Pierre à boire ce chabrol ) Pépé dégustait son breuvage en claquant la langue, ce qui ne plaisait point à mémé.

Hum! qué boun, quo me fay dou bé (hum! que c'est bon, cela me fait du bien !) Le repas continua, nous finîmes les restes du plantureux repas de

Page 14: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

14

midi. Pour moi, la soupe était passée, mais le reste ne descendait pas! Pépé me chinait et mémé prit ma défense. Elle lui parla doucement en patois, lui disant que j'avais de la peine... Le repas terminé, grand-père me dit:

Prends ton gilet, on va promener Fanfare. Il s'adressa alors à la chienne.

On va promener ? Fanfare se leva d'un coup, aboya de joie, partit vers le portail en faisant des grands tours. Puis nous ouvrîmes la porte et nous engageâmes dans le chemin. Dans le noir, je n'étais pas rassuré, bien que la chienne fut avec nous. La promenade fut courte car je baillais et pépé accéléra la balade. Mémé avait ouvert une porte au fond de la grande pièce, c'était ma chambre. Elle aussi éclairée par une suspension, je ne la vis que très peu tellement je tombais de sommeil. Je me trouvais vite sur le lit, déshabillé et affublé d'une grande chemise... le sommeil vint m'ôter toute inquiétude. Pourtant, cette première nuit à la Boine fut une sorte de prise de possession d'un passé bien antérieur à mon arrivée en ce monde. Il y eut en moi une sensation d'être arrivé à un tournant de ma vie. Tournant qui allait enfin me permettre de connaître mon père, mon vrai père. Nul ne peut comprendre combien cette image floue, empreinte d'une sorte de halo couleur bleue mer pouvait parfois m'isoler des autres, et m'isole encore aujourd'hui. J'ai mis très longtemps à admettre que le destin m'avait juste touché, voire dirigé vers un autre cercle affectif. Papa René a certainement contribué à cette acceptation de mon sort... Donc, cette nuit, j'ai reçu un message, une intime conviction que mon père Gaby était près de moi et qu'il ne se manifestait pas parce qu'il acceptait lui aussi que ce soit ainsi. Combien de fois je l'ai interrogé, combien de fois ai -je cru le voir ? Combien de fois... Cette grande chambre de la Boine, que mes filles occupent quand les vacances nous amènent en ces lieux, il m'est arrivé d'y retourner, de m'allonger sur le grand lit de cuivre, de m'y endormir, comme si je voulais recevoir encore ce message. La mémoire de chacun a des limites dans le recul du temps. On a l'impression que la vie a commencé un jour et qu'elle est matérialisée par des souvenirs. Mes repères en ce domaine sont visuels; limités par des marques indélébiles. Une photo de mon enfance est comme un film, je vois l'avant et l'après de la scène, à tel point que lorsque je reviens dans

Page 15: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

15

certains lieux, resurgissent d'autres éléments. Je puis parler d'une chose précise, sachant avec certitude que je n'aurai pas de " trou de mémoire!". Comme le Petit prince, je puis faire le tour de ma planète... Tiens ! en ce moment je survole une ville, puis un tas de maisons, un quartier, une immense place entourée de grands platanes et une halle couverte. Assis sur le rebord d'un trottoir dont le bord épouse le pli des jambes d'un petit garçon, vêtu d'un tablier bleu, regarde les gens. Ses mains suivent la mosaïque des carreaux de tuiles cassés, rouges, comme les lignes d'un puzzle. Des passants s'arrêtent, et s'adressant à l'enfant lui disent:

Alors Quiqui ! t'es sage ?

Dis oui Jeannette !» fait une voix derrière l'enfant.

Oui Jeannette! Ce petit bonhomme, c'est moi; et la voix, c'est celle de ma grand-mère, une autre grand-mère La voix vient d'une grande pièce qui constitue l'entrée de la maison de pépé et mémé Besse. Une porte au centre de la façade, et, de chaque côté, une vitrine, dont les carreaux sont recouverts de papier huilé décoré de petites fleurs jaunes. C'est au 13 de cette rue, de cette Grande Rue, à Bergerac, que je suis né. Un 28 du mois de Janvier 1941. Il neigeait et quelque part sur le front des hommes mouraient. Les uns pour conquérir le monde, d'autres pour garder leur liberté. De cette époque trouble, je garde quelques souvenirs fixés par des instants émotionnels conservés par des gravures en mon esprit. Je considère cette impression comme le travail d'un graveur sur cuivre; certains dessins sont ainsi fixés dans le métal, et des détails sont plus ciselés comme si au moment ou le ciseau entaillait le métal, l'artiste avait reçu un message, commandant à sa main de graver une entaille profonde, ou de griffer légèrement la plaque. Ainsi, cette Grande Rue fut pour moi une tranche importante de mon enfance qui, pour le moment, nous éloigne de mon arrivée à La Boine. Mieux vaut laisser son esprit battre quelque peu la campagne pour retrouver l'essence même du discours, de la narration des faits. Si je suis né ici, c'est que ma mère s'y était en partie élevée aussi. Pour elle et pour moi, nous avons cette communauté d'origines ! En deux générations, le quartier n'a pas changé, sinon quelques vieilles maisons rasées et quelques aménagements architecturaux et

Page 16: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

16

piétonniers. Près du logis de mes grands-parents, une grande place goudronnée aujourd'hui, mais recouverte de terre blanche autrefois. A l'ombre des platanes, maintes familles s'étaient assises, maints enfants avaient joué. Ces arbres, si la parole leur était donnée, pourraient raconter les " choses " perçues, entendues, criées, voire chuchotées. Leurs écorces, véritable peau ulcérée, portent encore les cœurs, les flèches, les initiales, mais aussi les marques indélébiles des saisons. J'y jouais dessous, et ma grand-mère Besse me disait souvent de rester sous les arbres et de ne pas aller sur la route... Je crois qu'elle jugeait ces arbres comme des bons gardiens et que leur ombre toute parentale assurait une protection de ma petite tête lors des saisons estivales. Surgit de cette image, la bande sonore de mon film de souvenirs ! Le cri Tarzanesque de mémé:

Quiqui ton chapeau ! C'était terrible ce cri ! Plus terrible encore l'arrivée de mémé, traversant sa rue, puis déboulant sous l'arbre et me vissant sur le crâne ce chapeau délaissé pour mes jeux. Je crois que j'étais un peu couvé ! Sans doute pour la raison simple que mon père Gaby, le marin m'avait tenu que peu de temps dans ses bras. Temps très court entre le 28 janvier 1941 de ma naissance, et le 16 juin 1941, sa disparition.... Comment ne pas revenir à ma préoccupation première, celle de l'image de mon père. Son dernier jour, son dernier regard vers moi, celui- là précisément... C'est encore très mystique, il y a une image que je vois et que je ressens à chaque fois que je pars, que je quitte un lieu, ou des êtres aimés. Je me dis c'est peut-être la dernière fois. On laisse toujours un dernier regard... Mon père et ma mère ont vécu une partie de leur courte vie de mari et de femme à Toulon. Effectuant mon service militaire dans la marine j'ai eu une relation privilégiée avec une dame appelée Tante Nine. Celle-ci, 20 ans après la mort de mon père, me confia ses dernières paroles, ou du moins ses inquiétudes, au moment de quitter la maison dans laquelle maman Denise et papa Gaby vivaient. Ainsi le marin embarqua... Il y eut une explosion, la mer se creusa pour l'engloutir, lui et ses camarades tandis que les survivants chantaient la Marseillaise sur les

Page 17: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

17

chaloupes de sauvetage. Prenait alors naissance d'une aura autour de la mémoire de mon père. Je savais seulement que mon père était dans la mer, et tout le quartier aussi, et chacun me nourrissait affectueusement de souvenirs du grand Gaby. J'ai encore en mémoire cette conversation d'un ami pâtissier et d'une cliente. Il disait en me montrant: « C'est le petit de Denise et du grand Gaby... tu sais celui qui a été tué sur son bateau... aux Dardanelles! Confusion historique ! mais sincérité du pâtissier. Ce cri de mémé se justifiait, elle me couvait et me couvrait comme si elle voulait encore conjurer le sort, me protéger du destin et de la folie du monde en guerre. Un vieux docteur de famille m'appelait encore Trompe la mort. Tout le quartier connaissait mes maladies ! Les « alors Quiqui ça va?» ou « C'est le petit fils de Madame Besse « ou encore « Le fils de Zizou ! Celle qui a perdu son mari». Ces interventions des voisines se terminaient par la narration de mes sauvetages ! La mercière du quartier, Madame Larroque, arrêtait la vente de ses rubans pour raconter avec ferveur et émotion le jour, la nuit, le docteur et j'en passe! Toute la clientèle reniflait !

Alors je vous en coupe deux mètres ? Cette Madame Larroque était un personnage hors du commun; ma mère l'avait connue bien avant moi, et ma famille avait, avec elle et Henri son mari des liens affectueux, comme ont souvent les gens qui ont connu et partagé des misères diverses. Son magasin était la caverne d'Ali Baba; on m'y fourrait l'instant d'une course. J'y déambulais, tirant, renversant, mélangeant les rubans, les boutons. Parfois la mercière me prenait dans ses bras,et nous regardions les cartons sur lesquelles étaient cousus les boutons. Je crois que mon éducation sur les couleurs, les formes, le beau, le vilain, le gai, le triste date de ces moments là.

Et les petits canards ? Oh la grosse fleur ? Et les bateaux ? La porte de la boutique s'ouvrait, déclenchant une sonnerie qui annonçait une cliente; Madame Larroque m'asseyait sur le comptoir, le dos calé par les boîtes et s'occupait de la nouvelle venue. Dans son magasin défilait tout le quartier, et les gens de la campagne qui y venaient pour faire provision de coton, de fil, et y acheter des écheveaux de laine écrue que l'on déviderait les soirs d'hiver.

Page 18: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

18

On y trouvait de tout; Henri, son mari, était éternellement perché sur une échelle qui se déplaçait parallèlement aux étagères.

Henri ? les pelotes de Madame Gonthier ! Les bleues ! Là à droite... Que tu es cloche mon pauvre !

Son rôle de magasinier lui permettait de ne pas affronter les clientes pour qui il éprouvait une sainte horreur et qui, elles aussi, redoutaient ses choix erronés! Ce couple de commerçants était extraordinaire; ils venaient tous deux de la région parisienne, avaient vécu le Front Populaire et étaient affiliés au parti communiste de l'époque. Aux heures de diffusion de Radio Moscou, aux informations plus exactement, la mère Larroque poussait à fond sa T.S.F. Tout le quartier résonnait des nouvelles de ce cher camarade Staline, petit père du peuple... Cette position politique lui valait bien des situations cocasses. Non loin de mon quartier, de cet îlot de maisons enchâssées les unes dans les autres, se trouvait une école religieuse, entre autre La Miséricorde. Les bonnes soeurs y enseignaient les classiques et la broderie en particulier. J'y fus élève, polisson, et pour quelque temps sans souvenirs particuliers ! A l'époque, la seule référence sérieuse en matière de fils à broder était la marque DMC, une marque que représentait Madame Larroque ! Les sœurs étaient obligées de venir s'approvisionner chez elle. L'anti-cléricalisme syndical était à la mode; à l'école et plus tard, j'eus l'occasion de me battre contre les Cucus du patro ! au cours de sorties organisées par l'instituteur de mon école primaire, qui par ailleurs cautionnait pleinement ce genre d'expéditions punitives. Donc, nos bonnes sœurs faisaient provision de fil, de fuseaux, coton perlé, aiguilles, non sans supporter les amères réflexions de la mercière. Ses chevaux de bataille étaient les bienfaits qu'apportait, au peuple russe, le stalinisme. Elle avait une verve suffisamment argumentée de citations d'écrivains russes, et aussi, une version personnelle du rôle de l'église espagnole lors de la guerre d'Espagne, opposant les franquistes et les républicains... Nos soeurs, pour la plupart espagnoles, résignées et obligées de subir les stances de l'oratrice dont les regards exorbités et la salive au coin des lèvres les traversaient comme les fameuses orgues de Staline! Je me demande si elles ne priaient pas ! Pour parfaire l'attaque, la mère Larroque leur annonçait froidement le prix et pliait les produits dans des feuilles du journal de l'Humanité et non pas dans du papier de soie ! C'était mettre le bon dieu dans la culotte du

Page 19: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

19

diable ! Au gré de ces souvenirs, apparaît un personnage extraordinaire qui, aujourd'hui, figure comme une sorte de référence morale et culturelle, et pour qui, j'ai une tendre affection: Adrien Besse, le père de maman Denise. Celui-ci fut un personnage familial, et extra- familial ! Pour tout dire, un autodidacte formé à la dure, dont les racines ancestrales trempaient plus dans le peuple de la terre que dans celui des masses bourgeoises. Une sorte d'individu cultivé par une enfance tronquée d'une partie de sa jeunesse, et marquée par une mise au travail et au labeur très précoce. Il tenait du petit ramoneur Savoyard, de l'anarchiste puriste, du paysan devenu jardinier, de l'historien inépuisable d'anecdotes colorées... Enfin, Adrien était une sorte de penseur libre, ou de franc-maçon penseur. J'ajouterais aujourd'hui, que nous l'appelerions un maçon sans tablier ! Cela m'intriguait un peu. Aujourd'hui, devenu Franc-maçon, je comprends tout à fait cette ambiguïté. Ses pensées s'affrontaient aux choses de la rue et de la vie du pays. Il avait été Poilu de 14-18, prisonnier de guerre, poudrier, et père de famille de deux enfants, Maman Denise et l'oncle André. Ce grand-père aurait été un comédien extraordinaire, un pantin grimaçant à la demande de l'histoire, un conteur extraordinaire qui nous valait de rire, de pleurer parfois. Ses grimaces à la Popeye amusaient les enfants de la famille, mais lui attiraient les foudres de quelques nièces et cousines un peu précieuses ou bigotes.

Voyons ! mon oncle, ne faites pas ça devant les enfants !» C'était pour lui l'effet recherché et il enfonçait le clou en continuant de plus belle jusqu'à ce que ces caouquères ( pipelettes ) eussent abandonné l'arène du rire pour se réfugier dans la grande salle à manger. La pièce dans laquelle se passait la scène, était la cuisine. Mon grand père y régnait en maître. Sa chaise longue, près d'une cuisinière, lui était attitrée, sans oublier la "Rique", une chatte qui se lovait dans le creux de son ventre. Il fumait la pipe, et j'aimais le voir la préparer et particulièrement entendre le "flop" du choc du fourneau dans le creux de sa main. Cet homme avait eu une enfance comparable à celle du petit ramoneur Savoyard; il avait fait tous les métiers, y compris vendeur de vélos ! Il avait demandé la main de ma grand-mère dans les règles de l'art avec costume et cravate et petit bouquet de fleurs pour sa future belle-mère. Aux dires de mémé, il avait été un beau

Page 20: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

20

jeune homme et aux dires du jeune homme, il disait que mémé était très belle. Les photos de famille les montrent tous deux et justifient de cette reconnaissance mutuelle. Son savoir, il le tenait de ses voyages, de la guerre de 14-18 qu'il nous racontait à ma sœur et à moi. Assis près de lui, nous buvions ses paroles, et plongions avec lui dans l'aventure à laquelle son imagination donnait des ailes. Affairée dans sa cuisine, grand-mère écoutait d'une oreille, haussant parfois les épaules, ou intervenant lorsque le conteur s'égarait ou frisait l'erreur, et même s'établissait en censeur lorsque cela écorchait la sensibilité. En fait, mémé lui cassait les pieds ! Il avait une technique à laquelle nous avions adhéré: dès que l'ennemi lançait ses attaques (mémé), nous parlions d'un certain menu gastronomique de Marius et de son compagnon Olive, insurgés à sa manière de la Commune de Paris, allant ( histoire de sortir un peu! ) dans une gargotte dont le menu était composé de queues de rats, araignées, chats crevés, biscuits de crottes de chameaux... Cela horrifiait mémé qui abandonnait la cuisine en maugréant contre pépé. Tout cela, sous nos éclats de rire. Ses histoires brodées à tous les points, revenaient souvent. Les héros étaient toujours des petits jeunes hommes qui avaient perdu leur père et mère et qui pour vivre avaient quitté leur pays. Ma sœur fondait en larmes lorsque le petit jeune homme ne pouvait pas faire sa communion solennelle, faute de ne pas de brassard de communiant. La pauvre, elle hurlait, et pour la calmer, grand-père enchaînait avec une grosse voix, qu'avant d'entrer dans l'église, le petit jeune homme fut rejeté par le sacristain. Il se mit à pleurer, assis sur les marches de l'église, tandis que les orgues jouaient et que tous ses copains étaient entrés. Alors, (snif) un monsieur bien gentil qui avait perdu son petit garçon ( mort après sa communion), allait dans sa maison chercher un brassard, et le donnait au petit jeune homme (ouf !) En fait, grand père nous enseignait sa version du Grand Capital de K.Marx. A ce propos, pépé avait lu toute l'histoire du communisme depuis ses origines. Et durant sa captivité en Allemagne entre 1914 et 1918, il avait pu voir les conditions de vie des russes prisonniers... Dans cette cuisine, il y avait une trappe qui conduisait à la cave. Pour moi, c'était le centre de la terre. Curieux, je me penchais lorsque pépé levait cette planche et qu'il descendait les marches gémissantes et grinçantes. Il en remontait des bouteilles de vin, tirées au tuyau, des légumes, des conserves. Un jour, j'y descendis, certainement attiré

Page 21: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

21

par le mystère de ce trou et le spectacle de cette cave avec ses futailles, ses barils, ses entonnoirs juchés sur la tonne, et cette odeur de fermenté de vendanges. Elle était aérée par deux regards grillagés par lequels le jour venant de la rue, pénétrait. Ces raies de lumière tranchaient dans cette nuit, dévoilant les dentelles des toiles d'araignées, des couleurs grises des murs, jetant des ombres sur le sol sablé marqué de pas des allées et venues de grand-père. Au milieu de l'antre, accrochée à un clou, une ampoule éclairait à la demande du visiteur. Lorsque pépé refermait la cave, il allait à une prise de courant et débranchait un long fil électrique blanc, torsadé, qu'il m'était interdit de toucher. Cette cave prenait une signification particulière, voire allure de fête, pour les vendanges. Pépé Adrien possédait une vigne et en tirait son vin pour toute l'année, y compris une horrible piquette ! Nous allions tous à la Pelouse (nom de la vigne), située au bord de la Dordogne. Pour cela il fallait traverser la ville de Bergerac derrière un charreton que poussait papa René et sur lequel s'entassaient paniers, cuvettes, sacs et provisions de bouche. Souvent, je repense à cette pelouse; longue bande de terre sablonneuse, terminée par une arrivée en pente douce. Sous un grand cerisier au pied duquel étaient mis en piles, des fagots de sarments de vignes que l'on gardait pour les grillades des entrecôtes étaient entassés. Tout contre l'arbre, une petite cabane servait de rangement. Il se dégageait de cet endroit une image d'aventure, avec des odeurs mystérieuses de poudres et liquides contenus dans des boîtes rouillées et des bouteilles de pharmacie bleues. Non loin, selon les saisons, la Dordogne coulait, majestueuse, sage ou toute colère. Entre la clôture de la vigne et l'eau, un chemin serpentait, et serpente encore de nos jours. Fréquenté par les promeneurs, les amoureux de tous âges et de toutes natures, les pêcheurs, il débouchait sur un chantier de gabares. Autrefois naviguée, cette rivière fertilisait l'industrie navale du coin... Aujourd'hui le chantier n'est plus qu'un souvenir. Pépé était un pêcheur extraordinaire, je lui dois cet amour de l'eau et de la patience, même si je m'accuse de ne point l'être parfois! Enfant, il m'amenait au fond de son jardin; il y avait un grand bateau que nous laissions courir le long de l'eau, seulement retenu par une longue chaîne toute rouillée qui se torsadait sur le plancher de l'embarcation et qui grinçait. Sous un grand parasol de toile de Mayenne bleue, quelque peu décolorée par les longues stations et les

Page 22: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

22

ardeurs du soleil, nous étions heureux, assis dos à dos. Pépé avait la main sûre, sensible aux moindres touches du poisson. Parfois, il prenait ma canne, et guidant ma main, il poussait mon bouchon vers des remous, une tache sombre, un coin non herbeux. C'était sans parole, tout en gestes, une communication silencieuse, puis tout à coup le cri " touche!". Heureux, à la limite du déséquilibre, je me dressais, tenant canne et poisson, tandis que pépé saisissait la prise, s'asseyait, et en me rapprochant de lui, décrochait le poisson. Là, nous avions l'un vers l'autre un regard ... C'est terrible la mort, c'est terrible après. Pour celui qui se souvient d'un instant comme celui-ci, comment ne pas avoir profité plus longtemps de toi pépé, comment ai -je pu parfois passer à côté de toi sans rester plus longtemps. En ce moment, je te fais revivre et c'est certes pour moi l'idée de résurrection de ta mémoire plus que l'idée de résurrection du corps. L'éternité de l'évangile ne réside-t-elle pas dans la tradition orale? Perpétuer un souvenir pour le laisser aux autres générations. Perpétuer ce qu'il y a de beau, de bien, de moral, de richesse, d'enseignement de valeurs, ne serait-ce pas là une explication de la vie éternelle? Revenons aux vendanges, à ces moments délicieux de fin septembre, début octobre. Déjà les matins étaient frais, et la rosée était différente de celle des matins d'été. Elle semblait avoir solidifié, voire givré les herbes. Sur les prés qui longeaient la Dordogne, les toiles d'araignées étaient recouvertes d'une myriade de gouttes d'eau, dans lesquelles se miraient des couleurs arc-en ciel. Des oiseaux se rassemblaient sur les fils, synonyme de froid et de migration. On vendangeait tard, car il fallait que le raisin soit mûr, jusqu'à la pourriture noble. Celle-ci donnait aux grappes de raisins blancs une couleur chaude, bien emplie de suc, dont la peau des fruits craquait sous la dent, dispersant dans la bouche des goûts de sucre caramel. Nous allions de cep en cep, ma mère et mémé Besse. Mon père et pépé Adrien ramassaient les paniers pleins, dans deux porteuses à dos. Ils allaient au charreton, d'un tour de reins, vidaient les porteuses dans une grande cuve. De temps en temps, grand-père montait sur la tonne et écrasait le raisin sous ses pieds. C'était pour moi l'occasion de grappiller; malgré mon panier et mes petits sécateurs, je n'avais du vendangeur que l'habit, passant mon temps à aller de l'un à l'autre ! La journée était coupée par le déjeuner que nous prenions à la cabane, dans laquelle était tenue au frais la boisson. Les vignes étaient en grandes rangées, le terrain en pente rendait pénible la

Page 23: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

23

remontée des paniers. Placés au hasard des pousses, il y avait des arbres fruitiers et en particulier des pêches de vigne rouge qui achevaient de mûrir. Elles avaient un goût délicieux que je n'ai jamais retrouvé. Le soir commençait à se faire sentir, une baisse de la lumière, une petite fraîcheur, une légère humidité sur les feuilles... L'automne pointait déjà, et la rentrée des classes aussi. Mémé partait alors devant, emportant dans un panier d'osier quelques salades, et poireaux sauvages. Elle allait préparer le repas du soir. Nous ramassions nos paniers, les rangions dans la cabane, dans laquelle ils attendraient la prochaine vendange. Mon grand-père huilait les sécateurs, attachait leurs branches avec du raphia, puis les posait le long d'une planche comme s'il s'agissait d'un râtelier d'armes. Papa reprenait la charrette, et nous faisions le trajet inverse du matin. J'avais les jambes fatiguées; aussi je m'asseyais sur le bord de l'engin, les deux mains accrochées à la rambarde, les jambes suivant les cahots de la charrette, les lèvres encore colorées du rouge des pêches. Il fallait traverser le faubourg; mon grand père connaissait tout le monde et saluait à chaque maison. Le père Besse, comme on l'appelait, avait pour chacun un mot, une expression aimable. On s'inquiétait de sa vendange, lui demandant de saluer Madame Besse. A certaines saisons, il fournissait en légumes un grand nombre de ménagères. Lors de la saison des cerises, il vendait ses fruits. Les gamins suivaient en riant:

Pépé une cerise!» C'est donc une troupe de gamins qui l'accompagnait jusqu'au pont sur la Dordogne. Là, les enfants s'arrêtaient pour revenir chez eux. Après avoir traversé le pont de pierre qui séparait le faubourg de la ville, nous nous engagions dans le vieux Bergerac. Pour cela, il fallait pousser la carriole, pour finalement arriver dans ma rue, celle dont je vous parlais et qui porte le nom de Grand-Rue. La côte qui précédait ce quartier était raide, tous les gamins du quartier l'avaient descendue en planche à roulettes et avaient quelque peu éraflé leurs pantalons, voire leurs genoux sur les gros pavés. Nous passions devant l'église Saint-Jacques, après avoir contourné la place de la Fontaine Ronde. Aujourd'hui, ce quartier a été restauré, mais pour moi c'est un décapage profond du passé. Mémé nous attendait sur le pas de la porte. Je la vois encore avec son tablier gris à fleurs bleues, sa coiffure en chignon, sa main gauche appuyée sur le rebord de la porte. Son sourire m'est resté gravé; mémé avait un joli visage, celui

Page 24: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

24

de certaines personnes âgées qui ont su par quelques malices naturelles, conserver un teint frais, une peau lisse. J'ai encore quelque part des photos d'elle. Mais la meilleure photo est celle que je porte en moi, celle de toute l'affection que je peux encore ressentir. C'est encore une chose troublante, une chose proche du mystère que de pouvoir faire revenir son image dans ma mémoire. Mémé avait préparé le repas; avant de passer à table tout le monde avait aidé grand-père à descendre la vendange dans la cave. Tout le monde participait, chacun tenant à tour de rôle la trappe pour permettre à l'autre d'emprunter l'escalier. Pépé tenait le rôle du caviste, ordonnant telle opération, se réservant le maniement du marteau pour décercler les fonds de barriques qu'il avait préalablement lavées et désinfectées avec une mèche de soufre qui brûlait avec une petite lueur bleue et qui dégageait une odeur âcre. Puis c'était la remontée, la fermeture de la trappe, et le passage au lavage des mains avant de s'attabler. Pour cela, on allait dans une petite courette, surplombée d’une verrière, et sous laquelle se trouvait une pompe en fonte noire. On actionnait à tour de rôle le levier pour amener l'eau qui tombait dans un grand baquet. Le savon était posé sur le bord, et tombait parfois, créant une résonnance qui m'amusait. Dans ce quartier de maisons imbriquées les unes dans les autres, la vie s' écoulait déjà selon le rite des saisons ; mais aussi selon le rythme des heures battues par l'antique pendule de l'église St Jacques. Celle-ci émergeait au-dessus des maisons telle une silhouette dégarnie qui bravait le ciel et ses colères, sans crouler sous le poids des ans, et des siècles... La mère Larroque pour revenir à son souvenir, se fichait éperdument de cette église et des culs bénis des bigotes du quartier. Sa seule consolation dans ce monde de capitalistes était Radio Moscou! Sur le coup de midi, et cela tous les jours, la mercière fermait sa boutique, montait à son troisième étage, et mettait en marche un énorme poste de T.S.F. pour écouter les informations de cette radio, plus précisément Radio Moscou. Puis elle descendait ses escaliers, traversait la rue et arrivait comme un bolide dans la cuisine de mes grands parents. Mon grand-père plongeait sur sa chaise longue... « Mme Besse ! Les russes ont reçu Maurice Thorez et Staline...» Mon grand père dormait ou faisait semblant de dormir. Les flots de paroles passaient au-dessus de lui, chaque mot s'enroulait de gloire au stalinisme, caressait un brin les cieux enneigés de la vieille Russie, finissait comme des images d'icônes dont l'enluminure n'offrait ni

Page 25: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

25

éclat ni croyance. Grand-père la surnommait l'œil de Moscou!

Enfin! disait-il, c'est bien comme çà, mais je vais finir ma sieste au second !

Le second, était le deuxième étage, plus précisément une chambrette avec un lit de fer, dans lequel il faisait sa sieste, échappant ainsi au discours de l'œil de Moscou. La mère Larroque sentait à ce moment-là qu'il lui fallait battre en retraite et regagner son logis. Malgré ces divergences politiques et cet état des choses, l'amitié de mes grands-parents et des Larroque restait intacte. Ils avaient tous des origines communes, des sortes de liens engendrés par la sueur du front, les malheurs de la planète et surtout la manière avec laquelle leur vie s'était édifiée et les avaient fait se rencontrer et s'estimer. Henri Larroque nous quitta le premier, tout le quartier fut envahi d'une odeur pestilentielle car le pauvre homme fut victime d'une angine de poitrine et son corps se décomposa si vite, qu'il fallut l'ensevelir, sans fleurs, sans couronnes, et surtout sans curé! Moscou avait ses préférences ! Après les obsèques, Madame Larroque nous apparut coiffée d'un couvre-chef du "pauvre Henri". C'était du plus pur comique, elle ressemblait à un auguste de cirque. Lorsqu'elle aussi nous quitta, tout le quartier suivait le corbillard. On y vit même une délégation du P.C. voisiner avec les religieuses de la Miséricorde. C'était une figure locale, une atmosphère de quartier qui disparaissait, et aussi une bibliothèque d'anecdotes sur sa vie. Quand toute la populace eut défilé devant sa tombe, que chaque motte de terre eut frappé le bois du cercueil, que les préposés des pompes funèbres eurent recouvert la tombe, je suis sûr que la mère Larroque était déjà partie rencontrer Staline et ses cocos préférés au ciel, au-dessus de Moscou! Aujourd'hui, la boutique a disparue, du moins la mercerie. En face, la maison de mes grands-parents est devenue un magasin de fringues. Je ferme les yeux, j'entends la rue, pas la rue d'aujourd'hui, celle de pépé et mémé Besse. Je vous ai parlé de la guerre, celle de 39-45, ne soyez pas trop surpris, je m'en souviens! Comme je furetais dans tout le quartier, on m'avait surnommé Quiqui la Belette. Jusqu'à dix huit ans, j'eus droit à ce surnom et au cri tarzanesque de ma grand mère Besse me voyant passer dans la quartier et dont l'effet auprès de mes copines me faisait rougir et quitter au plus vite cette mémé.

Il est gentil mon quiqui! C'est le quiqui la belette à sa mémé! J'avais des fiancées! la boulangère, la pâtissière, l'épicière qui me

Page 26: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

26

gâtaient toutes, mais aussi un ennemi: c'était le Joseph, un africain qui roulait des gros yeux comme des billes et dont la réputation entretenue par les grands mères du quartier, était de dévorer les petits enfants tout cru ! Lorsqu'avec les gamins du quartier, je me hasardais de quitter mon nid, de rôder dans les ruelles sombres, la silhouette du Joseph suffisait à nous faire regagner les jupons de nos mémés. Des artisans avaient pignons sur la rue, et dans la journée, il m'arrivait d'aller jouer devant leurs vitrines. Il y avait le bang bang un horloger, puis Marcel le boucher avec son grand tablier et ses couteaux, puis le coiffeur dont les oreilles étaient si larges qu'elles lui permettaient de garder ses peignes. Lui aussi avait sinistre réputation, celle de couper les oreilles en pointes! Plus loin, dans le bas de la rue, un atelier d'ébéniste sentait bon le bois des îles. Un atelier bric à brac, avec des tas de vieux meubles qui attendaient là une attention de l'ouvrier.

Alors père Mourget, ma table? ma chaise? mon tiroir ? Le père Mourget, sorte de géant affublé lui aussi d'un tablier entaché de colles, de colorants, s'avançait vers la passante et lui promettait de s'y mettre dès qu'il aurait fini ce qui l'occupait. Ainsi dans cette caverne, je pouvais trouver le bout de bois, la tige, la pointe de mon bateau dont j'assurais le flottage dans le caniveau lors des ouvertures d'eau qu'un ouvrier de la ville effectuait chaque mardi, pour nettoyer les caniveaux. De cette guerre, il m'est resté quelques souvenirs. Les soldats allemands dans les rues, juchés sur des grandes bicyclettes vertes, les tickets de rationnement que l'on collait sur des feuilles avec un mélange de farine et d'eau. Les alertes et le bruit de la sirène, lors des bombardements, et même le bruit des bombes. J'ai encore cette image à l'esprit, de la dégringolade d'une pendule, à l'explosion d'un engin largué par les avions anglais sur une usine de poudre à canon. La pauvre pendule est restée à jamais sur l'heure! Je me souviens des locataires qui logeaient dans la maison de mes grands-parents. Le soir, ils descendaient dans la cuisine et venaient se réchauffer devant la cuisinière. L'un d'eux jouait de l'harmonica, et à la lueur de la lampe à pétrole ces hommes avaient pour moi une attention toute particulière. Une nuit, le grondement des bombardements se rapprocha de la ville, et nous partîmes, tous vers des fossés, non loin de la rivière. Je vois encore cette descente de la rue, juché sur les épaules de l'un de ces hommes, dans la nuit,

Page 27: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

27

seulement déchirée des éclats des bombes et des fusées éclairantes. La mère et le père Larroque nous avaient suivi non sans avoir en ayant, en hâte, rempli quelques valises d'effets, et des papiers importants. La guerre durait, maman Denise aidait les résistants. Un étrange voyage commença alors entre Bergerac et Lanquais. Pour mieux suivre cet épisode, sachez que Bergerac est une grande ville de la Dordogne, patrie de ma mère et de ses parents, et lieu de ma naissance. Lanquais, était un village à une trentaine de kilomètres de Bergerac, là où mon défunt papa Gaby s'était élevé et où ses parents habitaient. Malgré la mort de mon père, mes grands-parents avaient choisi de rester dans ce village, avec leur peine et la proximité de souvenirs dans lesquels l'image de leur fils disparu se trouvait encore imprégnée. Disparu à vingt ans, papa Gaby avait vécu là. Donc, mes grands-parents avaient pris à cœur d'aider ma mère, et surtout de continuer à nous aimer. Grand-père pensait souvent à son fils, il conservait des petits outils fabriqués par papa Gaby alors qu'il était apprenti dans la Marine Nationale. Souvent, il me les montrait, fier de les tenir, justifiant leur fabrication par des souvenirs et des explications laissées par papa.

Tu vois petit! Ton père a été félicité par ses officiers, tu vas voir, je vais te montrer son Brevet.

Nous allions alors dans la grande chambre; un mur supportait un grand cadre de bois dans lequel était ce fameux Brevet de mécanicien de la Marine Nationale. Pour moi ce cadre devenait un écran, une sorte de miroir dans lequel mon imagination s'accordait des retrouvailles avec mon père. Je le voyais, je le vois encore... A côté de ce cadre, il y avait une autre image, celle d'un bateau de guerre. Le Duplex, énorme cuirassé de ligne dont les tourelles de canons pointées vers le large. Une coloration bleue, blanc, rouge frisait l'image d' Epinal. C'était mon mur des rêves. Je voulais être marin, mémé reniflait.

On verra mon petit! disait-elle. Parfois, j'ouvrais un livre sur la mer, j'y voyais l'océan, les vagues. Mémé me reprenait le livre en disant en patois:

mé qué libre vay te vira lo têto… ( mais ce livre va te faire tourner la tête ) Elle n'aimait plus la mer, cette mer qui lui avait pris son fils et qui ne le lui a jamais rendu.

Page 28: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

28

Lorsque nous allions au cimetière, pour la Toussaint, mémé apportait sur les tombes, de gros bouquets de fleurs coupées, venant du jardin. A chaque fois, après la bénédiction traditionnelle des fleurs, elle reprenait une branche de chrysanthèmes bénie. Puis de retour à la maison, elle la mettait dans un petit vase posé devant la photo de mon père. Ce petit vase était en verre bleu, comme la Méditerranée. La photo représentait mon père en uniforme de marin. Une photo marron encadrée d'une boiserie argentée. Mon père souriait et mémé passait son doigt sur la joue, puis elle arrangeait les fleurs. D'un autre geste, elle rapprochait un cadre, celui de ma mère et de moi. Il y avait là un mélange de tendresse, sur un fond de communion religieuse, voire culte et célébration de l'esprit du mort. C'était son autel du dieu lare. Elle en voulait à DIEU de lui avoir pris son fils. Séquelle de la tradition religieuse jadis enseignée par le curé de son enfance, elle croyait Dieu juste, bon, incapable de ravir la vie... Dieu avait choisi son fils, lui avait-on dit. Il n'y avait là aucune fierté d'être l'élu, du moins aucune raison d'accepter ce choix. De cela, mémé avait gardé une certaine distance de la religion. Le curé, disait-elle, je ne lui dis pas de mal, mais qu'il me laisse tranquille. Pépé parlait aux curés, en particulier aux curés chasseurs, pêcheurs à la ligne, aux curés anciens combattants. Il avait horreur des bonnes sœurs et riait comme un bossu lorsque je lui disais dans mon jargon d'enfant, que j'avais été à l'école des sœurs qui quêtent, associant alors un jeu de mot ! Son deuil il le vivait à sa façon, il n'assistait à aucune messe, pas plus mariage que baptême. Pour les enterrements d’amis, il se mettait au fond de l'église, n'allait ni donner l'argent à la quête et encore moins embrasser la croix comme cela se pratiquait dans les campagnes. A sa mort, il accepta quelques temps avant, de parler à un jeune abbé. J'étais dans le couloir et lorsque le prêtre sortit de la chambre de mon grand-père, je vis par la porte entrebâillée que mon grand-père se mouchait fort et essuyait ses yeux. L'abbé s'approcha de moi et me dit:

C'est vous Jean Pierre?

Oui, lui dis-je En me prenant par le bras, il me demanda si je connaissais Dieu Miséricordieux, capable d'aimer les hommes, même ceux dont le chemin s'était un peu écarté de lui et qui avait vécu dans la plus grande sagesse. Ce DIEU, avait-il autant de bonté? Je ne sais pas, et ne saurais jamais quelle fut la conversation qu'il y eut entre l'abbé et mon grand-père.

Page 29: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

29

Ce que je compris, un peu et beaucoup aujourd'hui, c' est que pépé avait parlé avec cet abbé qu'il ne connaissait pas, mais qui par son approche humaine l'avait sans doute préparé à son départ. Quel étrange marché y eut-il entre eux pour que lors de son enterrement sans fleurs ni couronnes, comme il l'avait toujours affirmé, il y eut une messe, et une bénédiction ! Ses obsèques eurent lieu à Saint-Jean de Côle. Dans le village de la Boine, les amis apportaient des fleurs, et, respectant les dernières volontés de pépé Elie, mémé leur disait:

Le mort a dit: pas de fleurs, ni couronnes. Le jour de ses obsèques me parut interminablement long, trop long par rapport aux souhaits de pépé. En revenant du cimetière, je reçus un message; j'étais maintenant celui qui devenait la suite, la suite de l'histoire. C'était moi qui possédait sa mémoire et qui devait transmettre. Un autre personnage partageait ma peine, c'était Louis, Louis Lamaurelle, un grand ami de mon papa Gaby dont je parlerai plus tard. Nous marchions tous deux, il y avait un beau soleil, un de ces temps chaud du mois d'octobre. Les feuilles tombaient, une saison s'en allait. La nature allait s'endormir pour mieux resurgir au printemps. Pépé avait voulu reposer dans ce petit cimetière de Saint-Jean de Côle, mais un de ses vœux secret ne s'est pas réalisé. Lequel ? Celui tout simplement de reposer auprès de son fils, dans la mer. Un jour, me suis-je dit, pépé je prendrai une poignée de la terre de ta tombe, et j'irais la jeter dans la mer... Pour revenir à mes voyages entre Lanquais et Bergerac, il faut dire qu'ils s'effectuaient à bicyclette et que ma mère me portait sur un porte-bagages durant tout le trajet. Mémé Besse qui, pour le répéter me gâtait, ne supportait pas de me voir pleurer pour partir. Elle m'achetait un camion en bois comme cela se faisait à cette époque. Pour cela, elle montait en ville, dans une grande boutique appelée Maison Universelle. Pour tous les enfants qui passaient devant les étalages, c'était un rêve palpable, d'autant qu'une partie des jouets était exposée sur le trottoir sous la surveillance bienveillante de Cécile la vendeuse. Nous pouvions grimper sur les chevaux de bois, toucher les camions, et faire rouler des énormes boules en bois coloré. Donc, Mémé Besse revenait avec un camion, et, on me plaçait sur un fauteuil qui avait été fixé sur le vélo de ma mère. Je vois encore ces départs, hurlant:

Page 30: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

30

Mémémémémée! La pauvre mémé me suivait en essayant de me consoler et moi, sinistre bambin cause de cette course, lui tendais mes bras... La course s'arrêtait faute de souffle! C'était toujours à hauteur d'une petite boutique de fruits et légumes. Comme dans un effet de caméra, je voyais s'éloigner mémé, tandis que défilaient les murs des maisons et que dans un virage, s'évanouissait ma rue familière. Un jour, pépé Besse nous a quittés. J'étais marin, ma mère m'écrivit que pépé n'était plus. J'ai perdu là une des racines de mon corps, comme l’image d'une barque s'en allant au fil de l'eau et disparaissant dans une sorte de cascade d'où monterait un nuage de buée microscopique, irisée de lumières multicolores et dans laquelle le visage de mon pépé trancherait en surimpression. Ce n'est pas un hasard que cet homme puisse à lui seul couvrir les pages d'un livre. Pépé Besse, emportait avec lui une partie de mon enfance. Cette enfance partagée entre trois blocs, d'une part mes grands-parents paternels, puis maternels, et ma mère. Je conserve de ces voyages de l'un à l'autre comme des déchirements, mais aussi des vides, des espaces sans choses précises. Ce ne sont que des images floues de trajets en vélo, de voies ferrées traversées, d'arbres coupés sur les routes, d'arrêts, d'arrivées à Lanquais... Lorsque nous quittions Bergerac toujours à bicyclette, maman empruntait une grande route longée de grands arbres dont la cime m'étourdissait. Je me souviens vaguement d'individus casqués, vêtus d'un uniforme vert, qui tout au long de la route arrêtaient ici et là les gens.

Papir !» disaient –ils ! Que de fois j'ai joué avec ce mot. papir madame, gros bébé, joli madame ! Passé cette zone étroitement surveillée par les " frigolins", nous longions un canal appelé la Couze, qui permettait autrefois aux gabares, descendant la Dordogne, d'éviter une dépression du fleuve. Canal tout calme, quelques pêcheurs y trempaient le bouchon le dimanche. Le poisson y était abondant, surtout des horribles poissons chats que l'on en sortait! Ces trente kilomètres tantôt plats, tantôt vallonnés épuisaient ma mère. Nous nous arrêtions sur le bord de la route pour boire à une source, l'été. Parfois cette route virait, suivait le cours sinueux de ce fleuve, fleuve grand nourricier de la plaine de Bergerac. Parallèle à la rue principale, dans le village, il y avait un vestige de port, encore empli d'eau, dans lequel des péniches

Page 31: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

31

finissaient de pourrir. J'ai voulu un jour reprendre cette route, retrouver sans savoir à l'avance quoi exactement. Dire que j'avais l'intuition de quelque chose serait inexact, mais laisser entendre que quelque chose allait se passer serait plus vrai. Je roulais, quand, à l'entrée d'un petit bourg, St Capraise de Lalinde je compris que ce que ressentait allait trouver une issue. C'est comme lors d'une conversation, on parle de Pierre, de Paul, du temps, du machin qui, et subitement un déclic s'opère en vous quand brutalement un mot venu du fond de la mémoire surgit sur votre bouche. C'est aussi comme un papillon de nuit qui traverse l'espace lumineux de la lampe un soir d'été. Dans le calme, alors que les grillons chantent, la nuit a étendu son manteau et l'aura de lumière de la pièce est troublée par le passage de l'insecte. Cet instant très court suffit à distraire l'œil. Voilà que le papillon repasse, cette fois-ci la chaleur de la lampe va le griller. Non, il s'éloigne, puis revient. Je compare cela au souvenir qui se raccroche au mot échappé, mais qui n'est qu'une infime partie de sa réalité. Tout défile à une grande allure, tout se mélange, se défait, se reconstitue et finit par stopper. Le nom du village, puis quelques images, voilà, j'avais retrouvé un nom: Madame Abadie. Dans la rue principale, un alignement de longues maisons. Toutes aux volets clos, de grandes portes devant lesquelles se balançaient des éloigne-mouches, cela respirait le calme. Je m'avançais vers un de ces havre de paix, comme mû par une main invisible. Non, ce n'est pas celle-ci; c'est fou cette émotion, le cœur qui bat fort, je fermais les yeux car il me fallait un élément pour retrouver un lieu. Alors que toutes les cellules sensibles de mon corps auscultaient cette rue, une odeur fixa alors ma recherche. Un parfum, une image, une porte, surmontée d'une magnifique glycine dont les grappes se balançaient. C'était là! Cette treille courait sous les frondaisons de la maison dont les volets écaillés par les ardeurs du soleil et des saisons étaient clos. Seuls ceux du rez-de chaussée étaient à peine ouverts. Cette façade protégeait un brin de vie, mais ralentie, comme cachant une sensibilité ou une activité interrompue. Une grande porte à double battant axait la façade. Au-dessus, dans un coin, des oiseaux avaient niché, puis avaient quitté les lieux. Depuis, une grande toile d'araignée y avait tissé sa toile. Sur la droite, une tige de cuivre, suivie d'un grand fil rouillé partait à l'intérieur de la maison en passant par un trou élargi par les

Page 32: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

32

utilisations de cette sonnette. Sonnez fort, avertissait une étiquette jaunie par le soleil! Ce que je fis à plusieurs reprises. Un son aigrelet retentissait à chaque tirée, puis un bruit de porte suivi de pas. Une targette qui claque, une clef qui tourne, la porte qui s'entrebâille. Une petite dame qui me regarde et qui me dit:

Que voulez-vous mon petit ? Je pensais sur le coup qu'elle me prenait pour un vendeur, un de ces marchands qui passent dans les campagnes! Ce mon petit me fit sourire. A la fois surpris et gêné je lui répondis:

Bonjour Madame. Madame Abadie. Elle se recula, entrouvrant plus grand la porte, et me demanda :

Qui êtes-vous? Vous me connaissez? Je m'étais jeté à l'eau, sans certitude, avec cette intime conviction que je n'avais pas pu me tromper. Je lui répondis que j'étais le petit-fils de M. et Mme Roussary, d’Adrienne et d'Elie Roussary. Cette énumération de noms lui fit ouvrir tout grand la porte et ses bras par le même geste. Me serrant bien fort de ses bras frêles, elle me tapotait les épaules, puis reculait son buste pour mieux me dévisager. Son visage riait, mais deux petites larmes irisaient ses yeux.

Mon dieu que tu es grand !

Tu es donc Jean-Pierre ? Cette fois-ci, l'ordre des choses était rétabli, j'étais devenu un grand! Elle me fit entrer tout en me tenant le bras. Elle me fit traverser un immense couloir qui sentait bon la cire et dont les portes légèrement entrouvertes laissaient voir des chambres, un bureau, et une grande cuisine qui donnait sur une immense verrière. Là une grande table avec deux fauteuils. Sur l'un d'eux, un vieux matou se leva, sauta sur le sol en soufflant. Me tenant toujours par le bras, elle me fit asseoir en face d'elle.

Tu dois avoir soif mon petit! Je vais te donner une verre d'eau avec du cassis.

Le temps qu'elle mit pour m'apporter ce breuvage, me permit de voir en un clin d'œil le jardin. Espace fleuri, mais envahi par les plantes les plus vivaces. Une treille de vigne couvrait cet enclos de verdure dans lequel dame nature avait établi sa loi, et partagé le territoire en laissant des petites tonnelles sous lesquelles on pouvait s'asseoir.

Mon Henri nous a quittés, ça fera bientôt cinq ans à la Toussaint. Elle disait nous car le gros matou était revenu sur ses genoux. Les

Page 33: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

33

chats m'ont toujours intrigué, et je ne pus m'empêcher de penser à une réincarnation...

J'ai lu dans le journal que ton pépé, lui aussi était parti? Elle utilisait le mot parti comme si elle pensait que quelqu'un allait rentrer, pousser la porte, accrocher le chapeau au clou, s'approcher d'elle, l'embrasser sur le front, prendre son étui à lunettes... Je lui racontais toute l'histoire de pépé, sa maladie rapide, mémé qui était restée à la Boine... Quand j'eus terminé, elle me confia aussi comment son Henri avait fini ses jours. Elle me narrait cela comme si elle avait accepté cette disparition non comme une fatalité mais comme un aboutissement normal de la vie. Elle parlait comme un livre, ponctué par des soupirs, des silences, des regards absents un court instant. J' approuvais de la tête comme pour l'aider. Arrivés tout jeunes, pépé et mémé de la Boine avaient vécu dans cette maison. Ils y avaient été les locataires d'un côté du couloir que j'avais traversé en entrant. Mon grand-père Elie, blessé de la guerre de 14-18 faisait office de garde champêtre dans le village. Tout le monde le connaissait! Non pas pour sa profession quelque peu répressive au vu de sa belle plaque LA LOI, mais pour ses talents de pêcheur! La Dordogne y coulait tout près, et Henri, le mari de Mme Abadie y possédait une grande barque à fond plat enchaînée à un immense saule pleureur. Ces deux hommes, véritables amis, liés par la passion commune du bouchon faisaient à eux deux la gloire de la maison et du voisinage. Leurs retours, avec leurs nasses emplies de brèmes, carpeaux et fritures de goujons faisaient le bonheur des voisins pour qui l'écaillage et la préparation des poissons ne causait ni peine ni regrets. Les deux hommes se gardaient pour leur maisonnée, une petite friture. Cette friture, celle qui chante dans la grande poêle de fonte noire, qui versée dans un plat de porcelaine fleurie, recouverte d'une fricassée d'ail, de persil, arrosée de vinaigre de vin constitue avec un bonne salade du jardin un repas bien appétissant. Grand-père malgré ses origines paysannes et son absence d'études, possédait un savoir, sans avoir, comme l'on dit, usé ses culottes sur les bancs de l'école. Mme Abadie, à cette époque était institutrice du village. C'est elle qui enseigna l'orthographe à pépé, sous la lampe de pétrole de la cuisine, afin que celui-ci puisse se présenter au concours de vérificateur des tabacs. Monsieur Abadie, lui aussi en activité dans les tabacs lui prodigua ses conseils. J'imagine pépé Elie s'appliquant à faire les lignes d'écriture, effectuant les quatre opérations de l'arithmétique, cherchant les accords des verbes des dictées... Il fut

Page 34: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

34

reçu au concours et passa vérificateur du secteur de Lanquais. Les deux amis devinrent par la suite des contrôleurs dont la notoriété et la conscience professionnelle furent reconnue de tous et redoutée pour ceux qui voulaient s'écarter des comptages précis de plants déclarés et des évaluations faussées et exagérées de récolte. Mme Abadie me demanda des nouvelles de mémé Adrienne. Elle aussi était arrivée toute jeunette, la dame l'avait prise en affection. Elle lui communiqua tout son savoir faire et particulièrement l'initia à la cuisine. Papa Gaby naquit dans cette maison, fit ses premiers pas dans cette famille. Je crois que ce couple Abadie n'avait pas d'enfants et que leur détresse et leur déception trouva là un moment intense de report d'affection.

Mon petit Jean-Pierre, tu n'as pas connu ton père… Tu sais, nous avons perdu quelqu’un que nous aimions... Mon dieu qu'il était gentil. Henri avait sa photo dans son porte-feuilles. Elle se leva pour aller à un grand tiroir et revint avec le porte-feuilles en question. Nous en fîmes la visite tous deux, nous passant qui les photos, qui les papiers... Souvent elle répétait:

Ah, si tu avais connu ton papa.. Je crois que cette phrase résume tout, mais me déchire encore. Ne pas avoir connu papa Gaby. C'est impossible de l'oublier et toute ma vie durant je me suis heurté à cette méconnaissance malgré tous les bonheurs vécus avec maman Denise, papa René, Joëlle ma sœur, ma vrai sœur, même si nos papas sont différents. Imaginez un enfant qui ne connaît ni père ni mère, qui n'est que lui, qui se regarde dans tous ceux qui l'entourent et qui pense. J'ai belle mine de me plaindre ! Le soir commençait à tomber, elle en oublia de me demander si je devais rentrer à Bergerac ou ailleurs. Je lui promis de revenir la voir, de rester une journée entière, d'aller au cimetière d'Henri... Quand je pris congé d'elle après une longue effusion, la nuit gagnait sur le jour. Le soleil qui me suivait dans mon retour se reflétait dans l'eau de la Dordogne. J'étais heureux, heureux pour la raison unique d'avoir appris sur mon père. Madame Abadie rejoignit Henri dans le petit cimetière de St Capraise, on y posa une plaque offerte par ses anciens élèves, sur laquelle on avait posé un gros bouquet de marguerites... des marguerites, comme celles de son jardin !

Page 35: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

35

Mémé Adrienne m'en parla, elle l'avait appris par une amie de passage à la Boine, mais aussi par le journal Sud-Ouest qui avait relaté qu'une cérémonie civile avait rassemblé la population de St Capraise autour du cercueil de Mme Abadie, ancienne institutrice, médaillée des palmes académiques et que... Maman prenait soin de moi tout en poussant sur son pédalier. Elle réalisait tout le poids de ce petit bonhomme pour qui l'absence du père avait crée des liens plus que maternels. A quelques milliers de kilomètres près, l'image rencontrait celle des mamans africaines dont les bébés collés à leurs dos suivaient le cours de la vie journalière... Nous avions dépassé St Capraise, et ma mère était descendue de cette bicyclette dont je me souviens, les rayons des roues étaient protégés par une sorte de filet élastique. La montée était dure, maman marchait d'un bon pas. J'ai encore cette image de sa chevelure, de son indéfrisable, de ses épaulettes et surtout de son regard lorsque de temps en temps, elle se retournait et s'assurait que je ne dormais pas. Nous arrivions tout près de la traversée de la Dordogne; pour cela, il fallait passer sur deux ponts. L'un enjambait le canal dont je ne voyais qu'une ligne longue et sombre bordée de grands arbres. L'autre, plus majestueux, de bonne taille de pierre blanche rejoignait les deux rives de cette belle rivière. Là, je commençais à bouger, je me reconnaissais, on allait, enfin arriver à Lanquais, chez pépé Elie et mémé Adrienne. Je vois cela comme si c'était hier! Un groupe de maisons, une petite côte, puis un chemin encaissé portant sur ses bords, les traces des passages des charrettes et des attelages. Au sommet, le chemin laisse une grande croix aujourd'hui recouverte de lierre, témoin d'une action de grâces de 1881 . Mon petit cœur battait fort, les lieux se révélaient les miens. De ci et de là, des poules, des canards, des animaux de ferme manifestaient leur présence. Un chien tout bourru, blanc et jaune paille, nous aboyait tout en suivant le vélo. Ma main lui touchait la truffe. Tout d'un coup, je me trouvais au milieu du hameau. Une mare verte, un puits avec sa roue de bois et une chaîne enroulée au bout de laquelle se balançait un seau dont l'émail craqué laissait apparaître des taches de rouille, témoins des chocs du seau contre la margelle du puits. Une enfilade de maisons dont l'extrémité se terminait sur un pailler avec à la cime un bâton que l'on appelle Mai, et qui selon les régions rappelle un hommage ou révèle une protection divine, voire même païenne. Une grande bâtisse toute blanche flanquée d'un escalier, pépé et

Page 36: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

36

mémé étaient en haut. Mémé tenait un coin de son tablier, pépé son journal à la main et ses lunettes rondes. En un clin d'œil, je fus déposé sur le sol, pris dans les bras, couvert de baisers, et amené à l'intérieur de la maison. Pépé, rentrait le vélo dans la remise non sans avoir tâté les pneumatiques et donné un petit coup de pompe. Maman montait à son tour. Ce manège ne me choquait pas, il faisait partie de mes habitudes car les lieux ne m'étaient nullement inconnus. Pépé avait déjà mangé la soupe... selon son habitude! La table était mise et en un clin d'œil la soupe fut trempée. Mémé battait les oeufs de l'omelette, tandis que des pommes de terre fricassaient dans la poêle. En un tour de main, mémé mélangeait oeufs et patates à l'aide d'une fourchette en fer. Puis, elle se reculait pour faire sauter et retourner la belle crêpe blonde bien gonflée. Pépé suivait des yeux et je crois qu'il éprouvait pour mémé une admiration sans limites pour ses talents de cuisinière. Il disait alors:

Mémé, c'est extra ! Une bonne salade du jardin et un fromage blanc complétait ce repas. Comme il se faisait tard, on me couchait. Je sais que j'imposais à maman une sorte de comédie; je ne voulais pas qu'elle me quitte, aussi elle m'accompagnait dans la chambre et y restait jusqu'à ce que je sois endormi. Au petit matin, elle reprenait le chemin vers Bergerac pour son travail. La conversation de ces soirées entre mes grands- parents et maman me parvenaient comme un bourdonnement entrecoupé de silence :

Le petit, comment il va? Tu as vu le docteur Larroche? Jean Pierre tousse, je vais lui tricoter un tricot de laine...

Les boches sont venus, pépé revenait de porter du pain au maquis... j'ai eu peur tu sais.

On a fusillé Robert, le petit mitron, tu sais ils l'ont torturé, si tu voyais sa mère, pépé est allé voir les allemands, ils lui ont dit que pour un allemand de tué, il y aurait dix fusillés...

Allons pépé, faites attention à vous.

Et toi, petite, tu me fais la morale? Tu crois que c'est raisonnable de ta part de faire les liaisons avec le maquis. Tu as Jean-Pierre avec toi, on a déjà perdu Gaby...

Que cette guerre est longue...

Tu donneras le bonjour à tes parents, petite, j'ai préparé du ravitaillement pour eux, n'en parle à personne surtout, on nous surveille...»

Page 37: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

37

Maman était très libre avec mes grands-parents, elle leur parlait de la résistance, des réseaux de maquisards, des messages qu'elle leur portait à l'intérieur des garnitures de guidon de son vélo. Elle leur racontait ses passages dans les lieux de contrôle, les allemands qui la questionnaient dans le bureau, à la Mairie. Maman travaillait à la mairie de Bergerac. Les officiers allemands venaient relever les identités sur les livres d'état civil. Maman et Georgette ( une fiancée! ) repéraient les pages, puis les noms, et avertissaient les gens afin qu'ils puissent s'éloigner de leur habitation et ne pas être arrêtés par la Gestapo ou la milice. Pépé répétait sans cesse:

Denise, attention quand même, pense au petit. Lui aussi pouvait faire attention, il n'était pas le dernier à participer à la libération de notre pays ! Parlaient-ils de mon père? Certes, ils en parlaient, mais avec leurs mots, leurs souvenirs et les silences aussi... A la fin de ce repas, qui se prolongeait par la tisane de menthe ou de cassis, pépé soulevait une housse de coton indien pour allumer la T.S.F. et écouter Radio Londres. Je n'ai pas de souvenirs des messages, mais seulement du bruit du brouillage et de la musique qui annonçait la diffusion des textes codés. Mémé fermait les volets et les portes:

Tu vas nous faire dénoncer, o qué tu ché pénable ! ( oh ! que tu es pénible !

Pépé baissait alors le volume et avec maman se rapprochait du meuble sur lequel trônait la radio. Maman et pépé connaissaient certains messages et ne manquaient pas de faire des commentaires, peu appréciés de mémé qui ne cessait de surveiller les alentours en regardant par une petite fenêtre située au-dessus du lavabo. J'ai vécu dans cette atmosphère jusqu'à la Libération. A mon réveil et comme à chaque fois, ma mère était partie. Je la cherchais un peu. Mémé arrivait dans la chambre, ouvrait grand les volets et en venant vers moi me disait:

Allez mon piarou ,debout ! on va déjeuner. Elle m'attrapait et me serrait bien fort tout en me portant vers la cuisine. Posé au milieu de celle-ci, je me dirigeais vers la porte pour faire pipi du haut de l'escalier! Me tournant pudiquement du côté d'un petit massif de plantes aromatiques. Souvent pépé se trouvait en bas...

Page 38: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

38

Tu vas voir ta bricoulette, je vais te l'attraper me disait-il, en faisant mine de prendre des ciseaux.

La bricoulette achevait son arrosage et battait en retraite vers la table sous laquelle je me réfugiais. Pépé en faisait le tour et je riais aux éclats. C'était un jeu, une sorte de rituel que les enfants aiment. Enfin, il me trouvait, et comme l'ogre, il soulevait la nappe, m'attrapait par une jambe ou un bras avec un grognement... Le bol de lait bougeait sur la table, et mémé grondait son mari.

C'est bien de ton âge! lui disait-elle. Pépé a toujours été jeune de caractère, un gros ours mal léché certes, mais un perpétuel taquin. Après le petit déjeuner, mémé plaçait une grande bassine au milieu de la cuisine. Selon les saisons, c'était, pour l'été au milieu, dans une immense tâche de soleil. Pour l'hiver, c'était près de la cuisinière ! En un tour de main, elle me sortait ma grande chemise de nuit, me trempait dans l'eau et d'une main énergique me frottait avec un savon qu'elle avait elle même confectionné ( les restrictions dues à la guerre avaient développé chez elle toute une petite industrie de fabrication).

Pierre! lèves-toi que je lave ta bricoulette. Pépé en profitait pour me taquiner. Je crois qu'il y avait là une continuité de la vie de mon père. Pépé était à la fois mon père et mon pépé!

Elie? la serviette... non! là! il va avoir froid. On me roulait dans cette serviette de coton gaufré dont les extrémités étaient comme des pompons. Un jour, notre fille Laetitia nous montra une série de photos, sur l'ordinateur; on y voyait la petite Noura notre petite fille, recouverte de cette même serviette, en guise de couverture ! En un tour ( revenons à notre histoire !) j'étais séché, parfumé à la lavande et habillé. Pépé en profitait pour solliciter un bisou tout propre! comme il disait. On m'ouvrait la porte et je descendais dans la grande cour qui bordait la maison. J'avais hâte de retrouver mon pélican! Pélican était une sorte de canard mal loti par la nature, avec qui j'avais lié amitié et qui me suivait pas à pas. Lorsque mémé me cherchait, elle appelait Pélican, et tout près, elle avait Jean Pierre! Mon univers était cette grande cour; je pouvais aller partout, sauf vers le puits ( où la vieille m'aurait attrapé!) et encore moins vers la mare ( où le vieux m'aurait tiré!) Je jouais avec Pélican, Trompette le chien et Bébert.

Page 39: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

39

Bébert était un garçon plus âgé que moi, mais d'une saleté repoussante, dont on me limitait les fréquentations.

Pierre? viens mon petit?

T'approches pas du Bébert il a les morpions! Pour ce Bébert ( Raymond!) tous les immondices de la terre étaient des aimants, il jouait sur le tas de fumier, et jouissait d'un santé à toute épreuve qu'une auto-vaccination naturelle protégeait été comme hiver. Il ne faut pas oublier la toile de fond de ces souvenirs; la guerre. Celle qui m'entourait n'avait rien à voir avec celle qui se déroulait sur la planète. Les grands hommes s'affrontaient pour conquérir des lieux, s'approprier des suprématies politiques à grand renfort de morts, de villes détruites, d'économies ravagées. La barbarie y régnait, les morts dans certains endroits se ramassaient à la pelle ou au bulldozer. Les bannières à croix gammée des armées défilaient au bruit de bottes cloutées. Mon petit village de Lanquais semblait avoir échappé à cela. Pourtant, dans cette région du Périgord, une guerre moins spectaculaire que celle des écrans existait sous forme d'une résistance à l'occupant allemand. Dès l'appel de De Gaule, un noyau d'hommes et de femmes s'était formé et avait trouvé refuge dans l'épaisse forêt de la région. Ces gens-là avaient aussi tissé des réseaux dont j'ai retrouvé les noms de Soleil, Dauphin, Violette... Mes grands-parents avaient avec eux des contacts, sous forme de rencontres à la maison ou parfois à l'abri de la vieille grange. Malgré mon jeune âge, je comprenais un peu le sens de cette lutte. Parfois, un groupe de maquis arrivait, mémé leur donnait à manger ou à boire. J'allais de l'un à l'autre, et je crois confesser que ces souvenirs sont en fait des images diffuses restées dans ma mémoire et renforcées, par la suite, par les récits de pépé et mémé. Ce sont des sortes de flashs, de pigmentations d'images, des séquences intégrées à un récit intérieur. Le mixage de cela me permet de raconter comme si j'en avais réellement le souvenir. Je reviens souvent à cette technique de mémorisation; je l'utilise et elle rejoint le travail du scénariste. Le commanditaire du film lui indique l'image qu'il voit, qu'il désire à l'écran. Il lui ajoute un récit, et plan par plan le film se construit. Sur le plateau de tournage, le cameraman comble la vision du maître et réalise les vues du plan... Il est une scène pour qui j'ai eu peu de choses à imaginer ou à créer. Aujourd'hui, elle me fait prendre conscience de la brièveté de la vie et

Page 40: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

40

de la notion du destin. Non loin de la maison de pépé Elie, sur une colline qui faisait face, il y avait un autre hameau appelé Les Lérets. Là haut, vivait une famille avec qui mes grands-parents ont eu des relations privilégiées, voire familiales. Ce genre d'affection qui unit deux familles de sangs différents. L'union se greffe autour d'un événement, par le partage d'un bonheur, ou d'un malheur. Ce sont souvent les femmes qui sont à l'origine de cela. Donc aux Lérets, vivait la famille de Lucette; son père, sa mère cultivaient le tabac et par ce biais connaissaient mon grand-père. Il venait contrôler leur récolte, mais aussi chassait avec les hommes de la ferme. En passant, j'ajoute que grand-père avait une moto qui lui était convoitée par les allemands et qu'il démonta et cacha pendant la guerre. Ainsi, les hommes se voyaient au travail, mais aussi à la chasse. Pépé passait pour un fin tireur, un tueur à l'épaulée et par-dessus le marché un gaucher ! Mémé excellait en grande maîtresse de ces préparations culinaires avec les nombreux gibiers tués par son mari. J'appris plus tard que pépé s'était trouvé nez à nez avec un énorme sanglier qui débouchait d'un chemin de bois. Elie, qui avait ôté les cartouches de son fusil plongea sa main dans sa cartouchière, en retira deux cartouches sans en vérifier le calibre et le contenu! Au clic de la culasse, l'animal stoppa sa marche; puis groin au ras du sol, se rua littéralement sur le chasseur. Pépé, de son épaulée célèbre ajusta la bête dans sa mire et tira la première cartouche. La charge n'eut pour effet que de chatouiller la bête. Le sanglier n'en stoppa pas moins sa charge, il était lancé! Pépé tira sa dernière cartouche, cette fois-ci emplie de chevrotines. L'animal fut stoppé et s'écroula aux pieds du chasseur. Deux cantonniers qui se trouvaient non loin de cette arène se précipitèrent vers pépé. C'est ainsi qu’Elie Roussary entra dans la légende du coin. Souvent, les miens me disent parfois que j'enjolive les choses! Pourtant ces faits furent confirmés par des gens que nous avons rencontrés lors d'une balade en vélo; Janine put entendre la confirmation de cette bien curieuse histoire ! Quant aux femmes, mémé Adrienne et la Yaya ( Madame Aillac ) elles se connurent au cours des naissances où mémé était souvent appelée pour aider avant l'arrivée de l'accoucheuse. Ainsi, elle rendait service aux uns et aux autres. Entre ces deux familles, les liens étaient solides, on ne parlait que de la vie, des enfants. Quant aux affaires de

Page 41: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

41

sous, elles restaient dans les maisons. Le domaine dans lequel mémé excellait était la cuisine. Elle passait pour un cordon bleu. Pépé m'a souvent raconté que lorsqu'il s'est marié avec mémé, elle ne savait pas faire cuire un œuf ! Ses divers passages dans les maisons bourgeoises où elle était souvent cuisinière, lui avait fait acquérir ses lettres de noblesse! Dans la famille, lors des repas, dits de fête, mémé confectionnait des plats ou finesse et rustique se mélangeaient dans les sauces, les liaisons chaudes ou froides, et ceci en un tour de main deux coups de cuillère à pot! Ce plaisir que j'ai de faire la cuisine vient du fait que je suivais mémé dans les maisons où elle était appelée pour confectionner les repas. Je l'aidais ( à ma mesure! ) à couper les aromates, peler l'ail, laver le persil, remuer les fonds de sauces, battre les oeufs. C'était une éducation silencieuse et odorante. Mémé ne gouttait jamais, elle sentait. Elle enlevait le couvercle de la marmite, passait sa main dans la vapeur, la poussait vers son nez...

Pierre! apporte le sel et poivre.

Vai! quo n'iroy bé ( va ! cela ira bien !)

Pierre! va mé querre lou vin blanc et fay attentiou! Son organisation et ses gestes étaient d'une logique simple, axée sur le feu , sa force, sa durée et l'heure du service. Au petit matin, elle allumait la cuisinière avec le petit bois venu d'un fagot qui se tenait dressé dans une grande caisse de bois blanc. Elle cassait les branches sur son genou, puis entrouvrait la cuisinière et délicatement chargeait le foyer. Pendant ce temps là, elle allait chercher ses ingrédients, les plaçait, les pesait. Elle commençait par faire les pâtes à tartes, puis durant la levée et le repos des boules farinées, elle commençait à faire revenir les morceaux de volailles ou de gibiers , qui selon l'utilisation avaient mariné dans une grande terrine de grès au milieu de plantes aromatiques, de grains de poivre, de gros sel et de quelques lampées de madère ou de vinaigre venus des fins fonds de la cave. Au plein feu du four, passaient d'abord les tartes, puis les poulets ou les faisans. Sur le bord de la plaque de la cuisinière, mijotait le lapin au milieu d'une fricassée de girolles ou de champignons séchés à la cheminée lors des flambées de l'automne. Vers les onze heures, tout était prêt, conservé à four tiède, tandis qu'on laissait la cuisinière se calmer et ne donner aux mets qu'une légère température. A ce feu-là, mémé ouvrait le four et posait une

Page 42: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

42

plaque de blancs en neige montés à la fourchette en forme de meringues. Après avoir lavé la vaisselle et rangé, elle lavait la table et la recouvrait d'une belle nappe blanche brodée aux lettres A.B. C'était une nappe de son trousseau de mariage, où comme l'usage le voulait, chaque fille brodait sa lingerie aux initiales de sa famille ( Adrienne Bourg ). Bien souvent, elles ignoraient le nom du futur époux. Pépé allait au jardin chercher une belle salade qu'il préparait dans une grande bassine devant la porte de la maison ou assis sur le grand banc au-dessus duquel la vigne de Malaga faisait ombrage selon les saisons. Pour la salade, pépé avait son rite; il coupait le pied, puis enlevait les mauvaises feuilles qu'il jetait aux poules. Puis, il la trempait dans le bassine, la secouait, changeait l'eau et séparait les feuilles. Après plusieurs rinçages ( il gardait l'eau pour l'arrosage ) il prenait un grand linge de coton fin, y posait la salade, le refermait en petit sac et le balançait d'un bras énergique. Cela avait pour but d'essorer la salade, mais surtout d'éloigner les poules et les deux chattes qui n'appréciaient pas la douche! J'ai dans ce souvenir des Lérets, une page bien significative des temps difficiles de la Résistance en Périgord. J'avais toujours suivi mémé dans tous ses déplacements, et aux Lérets, j'étais en sécurité. J'avais les faveurs d'une oie grise que j'avais fait naître en l'aidant à sortir de sa coquille et qui depuis ce jour me suivait comme un petit chien. Elle me suivait en se dandinant, empêchait quiconque de me toucher, ce quiconque qu'elle poursuivait en criant et battant des ailes. Je connaissais tous les recoins de la ferme, y compris l'étable à vaches. Maintes fois, j'en fus chassé à coups de jets de lait dirigés par le métayer! Un jour, ce jour là de Juillet 1944, la batteuse finissait d'avaler les dernières gerbes de blé. La journée avait commencé par un long hurlement mécanique, une sorte de cri de bête, puis avait poursuivi par un ronronnement entrecoupé de nuances sonores pendant lesquelles la machine ruminait les grosses gerbes de blé jetées par les hommes dans l'avaloir de la machine. En cette fin de soirée, la poussière couvrait encore l'aire de battage et indiquait que l'on travaillait encore. Toute la journée les hommes avait "battu" dur. Il avait fait très chaud et on avait fait passer des jarres d'eau fraîche, des bouteilles de vin que les travailleurs prenaient et portaient à leur bouche soit à la goulée, soit à la régalade

Page 43: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

43

ou encore au verre tendu par une gamine du village. Celle-ci allait d'un groupe à l'autre, récoltant sifflements admiratifs, voire quelques claques sur les fesses. Les battages en ce temps-là étaient la fête de la colline des Lérêts. Pendant ces journées, devant cheminée et four, mémé, yaya et les aides féminines préparaient le souper. Les tables étaient recouvertes de volailles, d'aliments de toutes sortes qu'engloutissaient les marmites et le four. La machine s'arrêta dans une sorte de gémissement plaintif, une sorte de cri de regret. On rangea le matériel, car le lendemain les batteurs devaient aller dans un autre village. On cria partout qu'il fallait aller dans le grand hangar pour passer à table. Mais avant, les hommes s'étaient lavés sous des arrosoirs, accrochés aux branches d'un immense cerisier, et, qui s'étaient échauffés au soleil durant la journée. J'ai encore cette image de ces jeunes, de ces épaules bronzées à la limite des bretelles des maillots de corps, de ces marques blanches de leur peau, s'ébrouant et jouant sous les pommes des arrosoirs. Ils se passaient des serviettes de l'un à l'autre sans souci de leur nudité. Les jeunes filles passaient un oeil au travers des branches des buissons, découvrant, pour certaines l'anatomie des garçons.

A table! A table! Dans une grange, on avait dressé une longue table faite de plateaux de planches, de tréteaux et recouverte de grands draps blancs. Des bancs faisaient le tour de la tablée. A un signal du maître de la ferme, tout le monde se plaça. Les jeunes ensembles, les vieux à un bout, les batteurs et leur patron à un autre. Aux places laissées, se mirent les valets et les métayers... Le maître sortit son couteau de sa poche, l'ouvrit, la lame de laguiole claqua, le ballet des dames de la cuisine commença. On apporta la soupe de légumes et de couennes de porcs, les pâtés, la poule au pot et les haricots en grains. Tout le monde riait sur quelques allusions de bruits curieux à cause des haricots. Puis, on passa aux sauces, on fit circuler des tourtes de pain que chacun avec son couteau coupa sans omettre de récupérer les miettes. Toujours sur ce fond de fête, on parla à voix basse de la guerre, des américains, du maquis... de ce repas si riche alors que partout on se serrait la ceinture... On finissait par les salades, les fromages, les îles flottantes, quand la pétarade d'une moto portant deux hommes armés de mitraillettes coupa court ce début de fête. Quelques secondes plus tard, un

Page 44: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

44

camion gazogène entra dans la cour et il en descendit une trentaine de jeunes gens eux aussi armés. Celui qui semblait être leur chef demanda le "patron". Monsieur Ayac, le mari de la yaya s'avança vers lui. Ils parlèrent un peu à l'écart tandis que tout le monde dévisageait les nouveaux arrivants. Henri, le maître annonça à tout le monde que ce groupe demandait à se reposer pour la nuit car ils avaient à assurer l'arrivée des américains dans la région. Il y eut un remous dans l'assistance, on se serra autour des tables, et les femmes rapportèrent les restes qui furent appréciés de ces jeunes. La nuit s'était avancée, on porta sur les tables des lampes, des bougies. Un jeune maquisard pris son harmonica, un autre improvisa une batterie, tandis que son voisin se mettait à chanter. En un clin d'œil, attirées par la musique comme des papillons sur la lumière, les petites jeunettes sortirent de l'écart noir dans lequel elles s'étaient placées et invitèrent les garçons à danser. Malgré la proximité des allemands, on avait complètement oublié la guerre... la fête fut stoppée au claquement du couteau du maître. Les groupes se dispersèrent, quelques filles aussi! En voyant ces jeunes, je crois que mémé Adrienne devait penser à son grand Gaby, dans son cercueil d'acier, au large des côtes de la Syrie. Les petits, comme elle disait, partirent au petit matin, et un soir, ils tombèrent sous les balles de la division DAS REICH qui venait de régler à jamais le sort d'un village Périgourdin. Certains furent fusillés sur place ou achevés par les nazis. Non loin de là, au bord d'une route qui serpente, à un petit bosquet non loin de Lanquais, une stèle porte les noms de ces petits gars fauchés comme des blés, des blés en herbe... Passant, souviens-toi. Certes la plaque a perdu sa dorure, mais des dizaines d'années après, ce sacrifice de jeunes hommes dont nous avons perçu un instant leur passage sur terre me semble bien comparable aux autres combats de par le monde. Tous, sous des drapeaux différents se battent pour un idéal... Je suis sûr que cette dernière soirée de battage aux Lérets est encore dans la mémoire de Lucette, Henriette, Janine, Ginette, les petites jeunettes! Ces dames aujourd'hui! Cette prise de conscience de la mort de ces jeunes gens me fait intérieurement crier, me révolter contre cette absurdité de la mort au bout du chemin. Mais, qui mérite plus de vie qu'un autre? Quelle justice peut-il y avoir pour déterminer le fin d'un souffle, d'une parole,

Page 45: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

45

en un terme, la caractéristique de la présence d'un être sur terre. La disparition de mon père m'a laissé un vide que je ne puis qualifier d'inconsolable car ce serait remettre en cause la générosité de papa René. Mémé Adrienne, dans ses expressions bien à elle me disait:

Tu sais Pierre, René ton père, t'a pris avec ta mère! Vous avez eu tous les deux de la chance...

Mémé aimait papa René, comme son fils Gaby. Il y a toujours en moi une peine, elle est inconnue pour ceux qui me connaissent; je la cultive sans fausse honte parce qu'elle est le lien avec mes racines. J'ai cette faculté de pouvoir faire bouger une image comme je l'ai déjà narré. J'ai le visage de mon père, mais il est un être mystérieux que j'ai découvert très tard et auquel je me suis raccroché. C'est le maillon de la chaîne de la vie. Par lui je me raccroche à toutes les valeurs y compris la foi. Cette foi en Dieu? C'est une interrogation sans fin, sans aucune certitude sur l'après de la mort. Lorsque je faisais de la plongée sous-marine, il m'arrivait de ressentir tout à coup cette sensation que rien ne vous touche, qu'on lévite et qu'il y a au fond une ivresse à découvrir. C'est peut –être là une réponse à mon interrogation. Nul après LUI n'est revenu de cet au delà, et LUI le fils de Dieu en est revenu; Parole de religion, qui ne m'a pas encore apporté la certitude de l'aboutissement de la vie. Pour revenir à cette sensation de lévitation, il y a une limite où l'on découvre l'inconnu de la profondeur, il suffit alors de quelques coups de palmes pour rejoindre en quelques secondes cette même eau qui engloutit le Chevalier Paul et papa Gaby un 16 JUIN 1941. De cette partie de mon enfance à Lanquais, je comble le vide entre cette maison et celle de la Boine. Bien qu'il manque encore quelques maillons, j'y reviens volontiers... Ce qui me causait une inquiétude, était une incompréhension de la présence de pépé Elie et mémé Adrienne à la Boine. Nous étions si bien à Lanquais! Là encore, il y a absence d'éléments pour l'expliquer, du moins maintenant. En étant blessé de guerre 14-18, mon grand-père avait bénéficié d'une retraite bien avant l'âge réglementaire. Il avait donc cessé son métier de vérificateur des Tabacs, sans avoir abandonné ses activités et ses amis. Ma grand-mère, par contre, éprouvait quelque peine à vivre là où beaucoup de choses lui rappelaient son fils Gaby, mon père. Elie était originaire de Villars, un petit bourg à une quinzaine de kilomètres de la Boine. Sa mère, mémé Louise, y vivait dans une

Page 46: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

46

grande maison dont j'appréciais la fraîcheur lors des grandes vacances d'été. Mémé Adrienne, était née à St Martin de Fressingeas, petit village que l'on aperçoit depuis la colline de la Boine. Ses parents, Adrien et Françoise Bourg, travaillaient dans un château. Lui, comme cocher et homme de confiance du comte, elle, comme femme de chambre. Adrien, était donc le Pâ ( père en patois ) A la mort de sa femme, il resta seul à la Boine. Ses deux filles, Tante Yvonne et mémé Adrienne se marièrent et quittèrent la maison emportant chacune leur trousseau de linge brodé à leurs initiales et quelques sous. Le restant de sa vie, il se partagea entre ses deux filles qu'il chérissait, allant d'une maison à l'autre selon un calendrier saisonnier qui justifiait sa présence. On l'attendait pour le cochon, les semailles, les foins, les battages, les vendanges, les pommes de terre et les châtaignes. Vers la fin de sa vie, il passait l'hiver chez Yvonne et l'été chez mémé Adrienne, montant et descendant la côte de la Boine d'un pas alerte, scandé par son éternel bâton sculpté et un petit sac de coton écru qu'il portait sur son épaule à la manière des Auvergnats. Cet arrière grand-père, je l'ai connu jusqu'à ma première nomination au collège technique de Thiviers, en 1964. J'ai de lui le souvenir d'un homme d'une grande douceur, mais d'un autorité très forte, sans débordement. Ses filles le vouvoyaient, mais cela lui seyait à merveille et le confortait dans un rôle de patriarche. Il avait sa place attitrée dans la grande cuisine. Son couteau dans sa poche, il le faisait claquer à la fin des repas. Il parlait d'une manière raffinée; je ne l'ai jamais entendu élever la voix. Celle-ci portait quand il fallait. Cet homme avait de la classe, et mémé nous le décrivait en costume de cocher bleu et rouge, avec une rimpimpette (redingote) à gros boutons d'argent, son chapeau à plumet grenat. Le jour, cocher, le soir, valet de chambre de Monsieur le Comte de Vaugirard... Il savait couper les cheveux, raser, et à ce propos, il avait toute une panoplie de rasoirs rangés dans une trousse de cuir noir aux armoiries de la maison Vaugirard. Il l'avait gardée pour lui et sa barbe, quelque peu piquante qu'il rasait une fois par semaine, le dimanche. Mémé lui disait:

Pâ, vous piqua qué jour! « ( père, vous piquez ce jour )

Co né fay ré pito, dimen tu m'étreneyro lo barbe!» répondait Pâ. ( ça ne fait rien petite, dimanche tu étrenneras ma barbe)

Page 47: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

47

Donc, le dimanche de bonne heure, le Pâ se levait, faisait chauffer son eau à la cheminée l'été, ou l'hiver, la prenait au robinet de cuivre de la cuisinière, au moyen d'un petit seau de faïence rouge qui s'y trouvait en permanence... Il trempait son blaireau à la poignée de bois noir dans une petite vasque de porcelaine blanche et en sortait une mousse qu'il étalait consciencieusement sur son visage, se dégageant la commissure des lèvres à l'aide de son petit doigt. Puis, il attachait une lanière de cuir à la barre de la porte et battait la lame de son rasoir. J'étais impressionné par ce manège. Avec son pouce, il ôtait une sorte de crasse noire sur le fil du rasoir. Ensuite, il prenait une attitude que je trouvais grandiose comme une sorte de pose de flamenco! Il levait haut le bras, tenant le rasoir de trois doigts, les autres délicatement levés. Il s'ensuivait un duel entre sa peau, sa barbe et le rasoir. Cela durait un certain temps, et mémé surveillait de loin le manège, veillant à ce que personne ne passe à proximité du Pâ! A la fin de ce rituel, il trempait une serviette à nids d'abeilles dans le chaudron bouillant, et à ma grande frayeur se l'appliquait sur le visage, s'asseyait sur une chaise et attendait. A la première fraîcheur, il la sortait et nous réapparaissait, rouge comme une écrevisse! Ensuite, il allait à l'armoire au fond de la cuisine, en sortait une grande bouteille d'eau de vie parfumée. Il l'agitait au-dessus de sa paume, se tapotait le visage, le cou, répandant une bonne et saine odeur de lavande autour de lui. Là, ravi, régénéré, un beau sourire aux lèvres, il se tournait vers moi et me disait:

Alors mon Piarou, on m'étrenne la barbe? C'était ce que j'attendais! Je l'embrassais bien fort sur les deux joues. Mémé riait et aussitôt après moi embrassait son père. Après cette cérémonie, le Pâ rangeait son matériel, regagnait sa chambre, s'habillait et réapparaissait dans son costume gris à rayures, son petit gilet dont une petite poche laissait voir la chaîne en argent d'une grosse montre qu'il remontait précisément à ce moment-là avec une minuscule clef. Mémé me disait alors de faire ma toilette, elle me plaçait une grande bassine. Comme au temps de ma petite enfance, je me lavais tout nu devant la cheminée sans honte, ni gène. Mémé discrète, me passait l'eau dans une petite casserole, me disant ici où là que le savon était resté. Le Pâ, lui, attendait avec sa bouteille de lavande le moment de la friction. Jusqu'à mon adolescence j'eus droit à cette friction qui se

Page 48: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

48

terminait par un grand éclat de rire de mémé me voyant ainsi gigoter. Curieuse chose, j'ai appris que mon père se lavait ainsi, à Lanquais, et, ayant un duvet abondant sous le menton et aussi autour de ses attributs, le Pâ se moqua de lui, ce qui termina pour mon père, ce rite de toilette. Tous deux propres, nous sortions de la cuisine pour que pépé Elie fasse sa toilette. Ensuite, ensemble, nous sortions dans la cour et mémé tirait le rideau bleu... Nous allions à la vigne, ou à la prairie, selon les saisons. J'étais fier de marcher avec eux. Le Pâ me parlait souvent de la vie, de la sienne, de mon père aussi. Il m'apprit plein de choses sur papa Gaby, sur sa jeunesse, ses projets... Ses projets à l'époque étaient de devenir instructeur dans une école... et aussi de se marier avec Zizou, ma mère. Pâ marchait d'un pas régulier, ne changeant jamais d'allure quelque soit le sol, il avait le sens de l'économie du geste. J'avais une grande confiance en lui, et parfois je le rejoignais dans son grand lit au petit matin. En attendant le jour, nous parlions de lui , de papa, de tout. Aux premiers rayons du jour, il me disait:

Piarou, on va se lever et aller chercher le pain à St Jean. A la fraîcheur saisonnière de ces matins là, nous descendions au bourg, y arrivions alors que Billat le boulanger sortait le pain de four. Nous rentrions dans le fournil.

Bounjour Adrien, quo vay qué matin? ( bonjour Adrien,ça va ce matin ?)

Quo vay Léon, tu mé sorté uno miche bien cuito et pas brulado! ( ça va Léon, tu me sors une miche bien cuite, pas brûlée )

Vay ju faire, tu n'o qua la prendro à la boutiquo, et tu lo prendra quan ty tournra!

( je vais le faire, tu n'auras qu'à la prendre quand tu retourneras )

Marto! Metta lou po d'adrien darré lou countoir! criait alors Léon.

( Marthe met le pain d'Adrien derrière le comptoir !) Nous sortions du fournil, et nous nous rendions chez la tante Yvonne, la soeur de mémé. Le Pâ s'asseyait dans le cantou de la cheminée et prenait les nouvelles de la semaine. Après, nous reprenions le chemin et repassions à la boulangerie. Pâ mettait le pain dans un grand sac de toile blanche fermée par un licou de corde. Son éternel bâton à la main qu'il tapait en cadence, nous reprenions le chemin de la Boine. On faisait aussi un arrêt sur le pont qui domine la Côle, on y

Page 49: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

49

voyait les truites sous les arches anciennes dont les pierres disjointes portaient traces des crues du printemps. Quelques pêcheurs rentraient chez eux; Pâ causait avec eux, commentant la friture. La côte de la Boine était longue, je traînais un peu la savate, Pâ m'encourageait. Arrivés à la maison, c'était moi qui portais le pain! je le déposais sur la table. Mémé nous donnait alors le pintou, sorte de récipient emmanché d'un long tuyau qui permettait de faire couler l'eau doucement au-dessus de l'évier. Nous buvions chacun à notre tour. En 1964, j'étais professeur au collège de Thiviers, quand mon directeur vint me trouver dans ma classe. Il me dit de quitter le cours, d'aller à la clinique à Périgueux. Pâ y avait été amené, un petit malaise, puis il s'était endormi. Quand j'arrivais dans la chambre, on avait mis un paravent, mémé et sa sœur étaient toutes les deux près du lit. C'était la première fois que j'approchais d'un être dans la fin de sa vie, dans son dernier souffle. Je crois qu'il m'a regardé, j'ai pris doucement sa main qui s'est refermée sur la mienne; j'ai encore reçu un message. Pâ, tu demeureras toujours en moi, je te le promets... C'est au cimetière que l'on réalise combien de vides dans les familles. On se voit, on peut même se compter, certains, même se disent, à quand mon tour? Je me souviens que Laetitia, alors que nous étions à la Boine, portait un petit bouquet de fleurs sur la tombe de mémé Adrienne. Elle le posa sur le gravier, et avec ses petites mains se mit à creuser. Elle voulait voir mémé! Longtemps dans mon enfance, j'ai cru comme elle, que l'être disparu était dessous. Qu'il vivait dessous, que les morts avaient une cité. L'image de mon père n'était jamais là, il était ailleurs dans un autre cimetière dont l'étendue bleue se voilait d'un frisson au souffle des brises et des vents. Pour moi la mer a été une muse de mes pensées et de mes désirs, peut-être par hérédité ou petite chose dont on croit tenir de son père la même envie... C'est avec le temps, oui avec le temps... 1954, après mon certificat d'études primaire ( CEP c'est plus court!) j'ai connu une scolarité rapide en sixième; rapide car elle ne m'a laissé qu'un souvenir d'ennui, sauf pour quelques matières dans lesquelles je me permettais d'être le meilleur, sinon le plus " inventif ". Je n'en citerais qu'une, le français! Monsieur François était mon professeur de lettres; ce qui me rattachait à lui et m'obligeait à faire bien, était qu'il animait un ciné-club et qu'il connaissait bien mes parents! Grâce à lui, j'ai découvert

Page 50: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

50

les trésors du cinéma, mais aussi tout le mécanisme à filmer, à projeter qu'il avait autour de lui dans cette chapelle de l'école Jules Ferry, transformée en salle de cinéma. On y venait en famille, le mercredi soir (le jeudi étant le jour de repos des élèves de cette époque ), les uns pour le cinéma, d'autres pour les copains, mais aussi par engagement laïque envers la coopérative scolaire dont Monsieur François était le créateur. Celui-ci faisait une petite présentation du film, de sa voix grave. Il cachait une inquiétude en caressant les poils de sa barbe. Puis, il me faisait un signe... J'éteignais les unes après les autres les lumières de la salle, regardant par une petite fenêtre, je veillais au bon déroulement de ce début de séance tandis que se glissaient çà et là quelques retardataires ou quelques garçons se rapprochant des filles... Avant la dernière ampoule éteinte dans la salle, je mettais en route le Debrie ( appareil de cinéma dont la lubrification était assurée par une pompe à huile). J'évitais que sur l'écran apparaissent les 5.4.3.2.1 start. L'ampoule, la dernière au dessus de l'écran, s'éteignait au générique, je réglais en vitesse le rendu de l'image, allait dans la salle auprès de Monsieur François qui m'indiquait de régler le son ou de cadrer mieux l'image. Ces films étaient en général en trois bobines, il fallait changer et pour cela allumer une petite lampe rouge afin que les spectateurs ne soient pas gênés. Cela faisait partie des habitudes que les cinéphiles reconnaîtront. Durant ces changements, on entendait un murmure des spectateurs, un oh! qui se prolongeait en cascade et qui cessait à la reprise du film. J'avais donc cette responsabilité avec un camarade. Nous avions aussi l'occasion d'aller au grand cinéma de la ville. Nous connaissions Tintin, l'opérateur du Florida. Celui-ci nous invitait à assister ( c'était l'envers du décor ) aux projections dans sa cabine, et c'est là qu'en cachette je vis un film interdit aux moins de 16 ans ( Le diable au corps). Nous avions remarqué que le film lui aussi était en plusieurs bobines, mais qu'il y avait deux projecteurs qui assuraient la continuité de la projection... A l'école, hélas, il n'y avait que ce Debrie, et les trois bobines de film.J'ai eu l'idée de monter le film sur une grande bobine, qu'avec la complicité de l'opérateur du grand cinéma, le papa de mon camarade nous fabriqua. Sans rien dire à Monsieur François, nous montâmes la pellicule sur la bobine, et au moyen d'un axe attaché au plafond de la cabine de projection, nous la fixâmes. On usa de tous les stratagèmes pour éloigner notre professeur; au mot je vous souhaite une bonne soirée, le film commença, se déroula sans coupures. Ce fut un succès

Page 51: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

51

technique qui nous valut d'être félicités en classe! J'aimais bien ce professeur, par contre je détestais les autres. Monsieur François, lui, restait le soir après les cours pour la coopérative, les autres se tiraient au plus vite. Je faisais déjà mon apprentissage de bénévolat. Je voulais être marin plus tard; au grand désespoir de ma grand-mère de Bergerac qui y voyait encore un risque de disparition comme celle de papa Gaby. Je crois que j'ai rêvé de la mer sans la voir! Ce n'est qu'au remariage de maman Denise avec papa René et, à la suite d'une maladie grave que je dois d'avoir été à la mer à 9 ans. Comme à l'habitude, je passais des hivers épouvantables à tousser, manquant l'école, et passant de longues journées au lit. Mémé Besse me gardait, je regardais la rue du haut de sa chambre... Je lisais, découpais des images, pépé me racontait des histoires. Je vivais dans les cataplasmes, les tisanes, dans l'affection des miens et des voisins qui me dorlotaient. Pourtant, malgré ce rempart j'ai eu affaire à plus grave; on me conduisit à l'hôpital de Bergerac, dans une immense chambre non chauffée, aux grands murs blancs, éclairée par des fenêtres à petits carreaux. Derrière des barreaux de fer rouillés, ce qui rendait plus cellulaire cette dite chambre. C'est là que papa René se fâcha, il alla trouver le directeur de cet établissement. Je fus changé de chambre. Je me souviens de l'infirmière, elle me faisait des piqûres de pénicilline après avoir longuement mélangé une poudre blanche avec une ampoule d'eau stérilisée. Cela me faisait peur et mal aussi; la broncho-pneumonie n'eut pas raison de mon petit corps une deuxième fois. Pour tout le quartier, j'étais devenu Quiqui trompe la mort. Notre docteur recommanda pour achever de me guérir, que je sois au plus vite envoyé au bord de la mer. Les sanatoriums n'étaient pas aussi développés qu'aujourd'hui, et mes parents firent un sacrifice financier énorme pour louer une petite maison à Andernos, sur le Bassin d'Arcachon. Afin d'économiser, ils partagèrent la location avec une famille, dont le papa avait été prisonnier de guerre avec papa René... René, papa René, était natif d'un petit village situé à mi- chemin de la Dordogne et de la Gironde. Village entouré de vignobles, que je découvris plus tard avec une autre mémé, la mémé de Vélines. Il avait une voiture, une 201 Peugeot. La première fois que papa me conduisit à Vélines, je ne le connaissais qu'à peine. Comme disait mémé Adrienne, il ne m'avait pas trouvé dans un boullicou de linge sale! J'étais né dans un grand lit, entouré de mémé Besse dont le prénom me revient à l'instant. Antoinette Besse, fille Feyte, et pour la légende,

Page 52: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

52

dite de Belle Rose!!. Je n'ai qu'un souvenir de l'arrivée de papa René dans la petite maison que nous habitions ma mère et moi. Au début de ce remariage, je crois que j'avais perdu l'habitude d'obéir aux hommes, il suffisait que ma mère me regarde, fronce les sourcils et tout rentrait dans l'ordre! Donc, un soir je faisais mes devoirs sur la petite table de minuscule cuisine dans laquelle une petite cuisinière à bois ronronnait et communiquait sa chaleur à l'étage au dessus. Je crois que je n'étais pas assez attentif, et que maman Denise me faisait la morale. Une de mes réactions fut de lever ma main tenant mon porte-plume. A ce moment, papa René entra dans la cuisine, à la vue de mon geste, il me fonça dessus et me monta par le fond des culottes à l'étage de cette petite maison. Je ne touchais pas les marches ! Je m'en souviens bien ! C'est là que je compris qu'un homme, un papa, était dans la maison. Cette fois-ci, nous allons sauter un peu plus loin dans le temps. Ces premières pages sont en fait un essai d'écriture. Je pense souvent à tout, mais il est parfois difficile de suivre une logique qui voudrait que mes souvenirs soient chronologiques. L'esprit qui vagabonde, l'écriture qui recherche sa suite, tout comme le ruisselet intrépide, échappé de sa source, suit sa ligne de partage des eaux. Ce terme, ligne de partage des eaux, je le dois à un de mes maîtres d'école des années 48. Le brave instituteur nous montrait la carte de France, sur laquelle était tracé les rivières et fleuves de notre pays. Pour cela, il prenait une tôle, qu'il avait pliée, et versait dessus un filet d'eau. L'effet était assez comique, car inévitablement, quelqu'un disait:

Msieu! Si on fait pipi sur la colline, l'eau elle va du côté qu'elle penche Les garçons éclataient de rire, les filles demeuraient passives et haussaient les épaules !

Ces études dites primaires, je les ai faites au collège Henry IV de Bergerac. Une grande et austère bâtisse de pierre blanche. On y entrait par une immense porte, surveillée par un abominable bonhomme. Celui-ci semblait faire partie des murs, tellement son visage gris et mal rasé, nous effrayait. Il suivait à la seconde près, les tics tacs de son horloge, se réveillait à toutes les sonneries et secouait, aussitôt après, une corde reliée à une cloche. La vie du collège se réglait à la cloche; les récréations retentissaient allègrement, tandis que les changements de cours ( pour les grands) s'opéraient au seul ding dong . Les salles des cours étaient

Page 53: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

53

immenses, le plafond favorisait le vol des mouches, mais aussi les jetés de sarbacanes... Monsieur Bonnefond était mon instituteur, il y avait quarante-cinq élèves et parmi eux ses deux fils. Ces derniers étaient au fond de la classe, éloignés du poêle de fonte, et près de l'armoire aux matériels d'expériences. Un regard de leur père, semblant d'ordre codé en leur direction, amenait immédiatement la chose sur une immense table de chêne. Ce transport déclenchait dans les rangs une série de regards envieux, voire jaloux, immédiatement stoppés par un énergique cri d'aller à votre place. Ainsi, selon le poids ou la fragilité du transport grand et petit Bonnefond jouissaient de cette charge. Le maître était réellement le maître, voire même notre bourreau. C'est un mot de notre époque, qu'il faut aujourd'hui relativiser. Nos tortures étaient arithmétiques, orthographiques, aiguisées de mots à apprendre par cœur, de tables de multiplications à l'endroit à l'envers. Pardonnez moi cher lecteur, je relativise ! Toujours est-il que l'on entendait chanter les conjugaisons à tous les temps et que celui qui s'en déroutait se voyait affublé du bonnet d'âne. Une seule fois, j'eus droit à la promenade dans tous les couloirs de ce collège. Le rite voulait que l'on soit montré à la vindicte populaire scolaire, et que l'horrible concierge se voyait chargé d'en assurer l’accompagnement. On faisait ainsi le tour des cours, frappant à chaque porte, s'avançant d'un pas dès, son ouverture, et effectuant le parcours des rangées des tables, tandis que grondait un hou hou des élèves. Ainsi, la promenade s'achevait chez Monsieur le Principal. Je n'ai pas le souvenir de son nom, mais il figure sur la photo de ma classe, au beau milieu de notre groupe. Malheur au barbu, criaient les grands en passant sous sa fenêtre. Il avait en effet une grande barbe qui lui donnait un air d'ogre ! Ce monsieur ne mangeait pas les enfants, bien au contraire, il atténuait notre terreur en nous accueillant dans son bureau qui sentait bon la cire. Au lieu de nous gronder, il procédait à un interrogatoire systématique sur les origines de notre renvoi. Il faisait déposer le bonnet d'âne sur le bureau, car, si je ne m'abuse, cela ne lui plaisait guère. Cette méthode lui semblait d'un autre monde. La conversation était très rondement menée, l'homme nous raisonnait, nous expliquant que le savoir passait par cet apprentissage, et se concluait par la promesse de mieux faire. Par contre, il établissait oralement un contrat dans lequel, nous nous

Page 54: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

54

engagions à venir lui réciter le verbe ou la table de multiplication qui nous avait valu ce ridicule bonnet. Il faut croire que cela marchait, au vu d'une file d'attente d'élèves devant sa porte. Chacun s'acquittait de sa dette et en tirait une satisfaction personnelle. Quant à M.Bonnefond, il siégeait en haut d'une chaire. On eut dit une proue de navire de pêche. Derrière lui, des longues gaules de bambou qu'il saisissait pour nous taper depuis son vaisseau. Il pouvait atteindre toutes les oreilles vu les longueurs de ses gaules ! Les leçons se déroulaient selon un plan établi à l'avance, nous devions suivre, écouter, écrire, réciter, et même chanter ! Nous préparions notre entrée en septième, qui était la dernière classe avant le cours complémentaire. Le bachotage sévissait et la rivalité entre M. Bonnefond et M. Julien nous valait quelques séances épiques. Mais, en cours d'année, M. Julien fut pris d'un malaise en plein cours; nous sûmes plus tard, que durant son transport vers l'hôpital, M.Julien était décédé. L'année scolaire s'achevait par la distribution des prix et la démonstration de gymnastique des classes supérieures. Un petit homme menait à la baguette cette activité; son nom me revient en mémoire, M.Minot. Nous avions parfois l'occasion de nous retrouver dans le gymnase de ce collège, devenu lycée aujourd'hui. Avec des grands murs percés de fenêtres grillagées de l'intérieur, il y avait une résonance qui lui donnait un air de cathédrale. Les cours étaient accompagnés de coups de sifflet et de cris de un et deux et trois et quatre , on se redresse et un et deux... Pour revenir au cérémonial de la distribution des prix, on dressait une estrade dans la cour principale, devant, on plaçait les chaises, et aussi la première rangée avec des fauteuils pour les notables et l'inspecteur d'académie. Le cérémonial était immuable, on appelait les élèves à qui une personne invitée, ou un professeur remettait une pile de livres et parfois une couronne de laurier. Les parents recueillaient leurs progénitures à la fin des discours et déambulaient sous les arcades des cours intérieures du lycée. Je n'ai pas de souvenirs, ni de fierté d'avoir figuré dans ces manifestations parmi les lauréats ! Une autre cérémonie plus populaire rassemblait en ces fins d'année scolaires ( le 13 juillet ) toutes les écoles de la ville, sur la place de la République. Les écoles présentaient chacune à leur tour leur spectacle ! De la maternelle au lycéens, un défilement de danses colorées et costumées de papier crépon, de guirlandes de fleurs, sur

Page 55: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

55

des airs très classiques. Les maîtres et maîtresses dirigeaient, des coulisses, soit par gestes, ou voire par interpellation. Le public, venu en grand nombre applaudissait, ravi d'avoir reconnu dans ces «» qui, leur enfant, qui, leur voisin ! La sonorisation était assurée par un de mes voisins, M.Lemarié plus connu sous son label commercial de Radio Bragera. Son atelier jouxtait la maison de mes grands-parents Besse, et sa boutique faisait ma joie des jeudis. J'y passais des heures à démonter des vieux postes de radio à lampes, à ranger des cartons et surtout à écouter des disques! Déjà, les phonos à saphir et les transistors commençaient à devenir des objets convoités. La vitrine en exposait divers modèles et un haut parleur placé au-dessus du présentoir, diffusait des musiques. Plus tard, quand arriva la télévision, on vit une image en noir et blanc. M.Lemarié vendit à mes parents un téléviseur Radiola. Celui-ci fut transporté et mis en marche par ce monsieur, après qu'il eut grimpé sur le toit, pour y fixer l'immense râteau de l'antenne. Cette installation fut suivie de la démonstration; mais seulement une mire apparaissait sur l'écran; il fallut attendre l'heure de diffusion des émissions sur l'unique chaîne qu'offrait l'ORTF. Mais, il fallut pas mal de réglages pour qu'enfin apparaisse l'image correcte! Il nous fût défendu, à ma sœur et moi, de toucher à un quelconque réglage. La télé entrait dans son ère ! Plus tard, Radio Bragéra installa dans la grand- rue, une télévision en couleurs, et tout le quartier se mit devant pour voir en direct et en couleurs, le couronnement de sa majesté la reine Elisabeth . Là aussi, mes parents changèrent leur vieille télé à l'écran tout arrondi pour une télé Pathé Marconi, avec écran total comme le disait la publicité! Ce fut l'époque des feuilletons, des Pollux et Nounours et son traditionnel bonne nuit les petits! Mais, l'événement était surtout la retransmission en direct des matchs de rugby. Les voisins venaient à la maison et notre cuisine devenait le parc des Princes à Paris ou le stade anglais ou gallois. Autre émission qui attirait les voisins, les matchs de catch. Un catcheur, l'Ange blanc passionnait les foules, et ses apparitions déclenchaient des commentaires de toutes sortes. A l'école, la télé était déjà une convoitise parmi les camarades. On se racontait les feuilletons, dont les dix épisodes tenaient en haleine les téléspectateurs ! Janique aimée, l'infirmière qui sacrifia sa vie par amour pour un médecin, le temps des copains, les globes trotter, et surtout la terrible Belphégor ! Dans la cour des écoles, les paris sur l'identité de ce

Page 56: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

56

personnage se payaient en carambars, billes et agates, voire en tours de scooter pour les plus nantis . Une autre facette de l’information, était la radio et les reportages sur la guerre d'Indochine. Des camarades avaient, en Indochine, qui, un père, qui, un frère, un voisin et l'énoncé des attaques des viets par le présentateur de radio, amenait un questionnement sur la validité de cette guerre. Pour certains la tragédie se soldait par une tragique nouvelle, le retour d'un blessé. De cette guerre d'Indochine, je garde ce souvenir des articles de Paris Match et surtout de cette écoute en direct dans la classe, de la chute de Dien Dien Phu. A la radio, nous entendîmes les fracas de la bataille, et une voix qui hurlait que c'était fini.. Le reporter, décrivait en direct. «La grande honte,» disait le reporter, est que l'armée et le corps expéditionnaire en Indochine, sont laissés à l'abandon par les politiques. On parla de trahison… Des milliers de jeunes soldats moururent dans les plaines et les rizières, d'autres furent prisonniers. Quelques uns ont raconté ce long pourrissement, je reviendrai plus tard sur cet épisode. Papa René avait connu cette débacle ; avec un fusil et des cartouches d’exercice en bois, son action fut courte. Les allemands les encerclèrent, et à pied son régiment gagna la Prusse Orientale. Il passa trois année dans un stalag, tout près d’une mine de charbon. Jamais, il ne m’a raconté sa vie ; sauf vers la fin, il se livra à quelques révélations sur ses conditions d’emprisonnement. J’ai surtout appris par des copains de captivité qu’il avait retrouvé. Un en particulier habitait tout près de la Boine. M.Clanchier pour le citer, était cantonnier. Mon grand-père le connaissait bien ( une histoire de sanglier !) et en discutant sur cette période, cet homme lui parla d’un homme, un certain Renard avec qui il avait partagé trois années de stalag… Mon grand père fait un rapprochement avec celui qu’il considère comme son propre fils. Il se renseigne auprès de ma mère. Tout concorde ! OIl arrange une visite de mes parents, positionne le cantonnier sur la route qui monte à la Boine. Je suis dans la voiture, une 201 Peugeot. Au sortir de la forêt, sur le bors de la route, Clanchier fauche l’herbe d’un fossé. La voiture arrive à sa hauteur. Cela se passe ainsi ; papa René reconnaît l’homme. Il stoppe la voiture, descend en courant et

Page 57: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

57

tous les deux sont dans les bras l’un de l’autre ! Quelle émotion, nous sommes émus. Puis la surprise se continue ; Clanchier a donné rendez-vous àavec un autre camaradede stalag, qui lui aussi connaît mon père. Félix Nicolas, est le fils d’un couple de fermiers qui habitent la Boine ! Tous se retrouvent autour de la table de la Boine. Mémé a fait un grand repas. Les trois Pg, puisque c’est le nom donné aux prisonniers de guerre monopolisent la parole ; nous écoutons ! Ces retrouvailles se feront plusieurs fois ; Clanchier décèdera quelques années après, suivi de papa René… Une autre guerre, celle de l'Algérie nous amène en plein gaullisme, le 21 décembre 1958, le général de Gaule devient président de la République. Il est élu par 82000 grands électeurs et il obtient 78,5% des voix. Il entre en fonction le 8 janvier 1959. Pour l'Algérie, la question qui se pose est: que faire de l'Algérie? Le général de Gaulle constitue en janvier 1959, un nouveau ministère, avec à sa tête Michel Debré. Ce ministère est majoritairement favorable à l'Algérie française. Aux élections de novembre, Mitterrand, Pierre Mendès France, Gaston Deferre et des députés socialistes ne retrouvent pas leur siège de députés ( 400 députés socialistes),payant ainsi lourdement leur opposition à la venue du général de Gaulle. D'autre part, l'ensemble des élus d'Algérie, y compris les musulmans, sont favorables à l'Algérie française. Cette élection rassure les français, bien que l'objectif du général de Gaulle soit peu explicite . Pourtant ,il s'est laissé entraîner à crier ( en une seule occasion) « Vive l'Algérie Française !»lors d'un discours à Mostaganem. C'est dans cette atmosphère que les débuts des années 60 vont se dérouler. Ce sera aussi la fin de l'élection du président de la république par un collège de grands électeurs; elle sera remplacer par une élection au suffrage universel. Mais, j'ai franchi un grand pas entre ma fin d'école au collège Henri IV de Bergerac où je ne fus qu'une ombre ! L'entrée au collège Jules ferry en classe de 6 ème. Admission sur examen ! Cette année de sixième fut une catastrophe; je n'étais pas particulièrement motivé par cette admission dans un cycle d'études qui m'éloignait de mon idée fixe de faire une carrière dans la marine nationale, comme l'avait fait mon père Gaby. Les grands mères faisaient une campagne contre mon idée, et se lisait déjà l'emprise

Page 58: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

58

qu'elles avaient sur moi. La fatalité de la disparition de mon père se perpétrait... Les seules matières qui m'intéressaient était le français et l'histoire. Ces matières m'étaient enseignées par un professeur que j'adorais et dont j'ai déjà expliqué ma passion. Monsieur François, homme au visage barbu, grosse voix obtenait de moi des bons résultats ! Mais l'anglais, enseigné par l'horrible Mme Baluteau ne me laissa, hélas, qu'un mauvais souvenir. Ce qui s'ajoutait à cet échec, était historique ! Mon père ayant été tué par les anglais suffisait à ajouter une certaine aversion à cette langue. Pour l'allemand, l'avis était partagé par tous mes copains; la guerre et ses séquelles dans toutes les familles était trop présente pour que nous adoptions la langue de Goethe ! Pour ce qui fut de cette année, mes bulletins de notes témoignent de mes échecs. Laetitia et Aurélie ne furent pas touchées par l'hérédité et firent un beau parcours scolaire ! Dans cette période se renforça l'idée de devenir marin. Je rencontrais des amis de mon père, et, j'appris que celui-ci avait fait une fugue alors qu'il était au lycée de Belvès, pour aller au bureau de la gendarmerie pour s'engager! Mon grand-père Elie fut appelé en urgence et refusa en premier lieu que Gaby s'engagea dans la marine. Certainement entêté, mon père affirma sa décision. L'école des apprentis mécaniciens de Saint Mandrier, près de Toulon lui avait été présentée par un ami , ancien commandant de marine, avec qui mon père était très lié. Il le rencontrait souvent aux vacances, et les souvenirs évoqués par cet homme renforçaient au fil des jours son projet de carrière de marin. Le commandant Bryugnes, rencontra mes grands parents et ils acceptèrent de signer son engagement. Le grand Gaby avait gagné ! A peine âgé de 16 ans, il partit pour Saint Mandrier. Les photos de lui, en marin, sont nombreuses et faisaient sur moi un effet d'attirance. Je rêvais aussi de revêtir cet habit, le traditionnel bonnet de marin et son pompon rouge et surtout l'aura que la tradition de la Royale portait en elle. Lors d'une rencontre avec le directeur de l'école Jules Ferry où j'effectuais cette fameuse 6ème, s'ouvrit un horizon « maritime» ! Connaissant ma petite histoire et mes difficultés, il me suggéra de demander une orientation vers le technique. Dans ces années 1953 / 1954 l' enseignement technique offrait des débouchés, du fait que

Page 59: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

59

l'industrialisation de la France avait le vent en poupe. Le métier manuel allait connaître ses belles heures ! Monsieur Maradène me conseilla de demander à préparer un diplôme de mécanique, ce qui me permettrait d'entrer plus tard dans une école de la marine. La solution me parut efficace, et je vis là un moyen de contourner le blocus familial ! Mais, j'étais trop jeune pour demander cette orientation. Rester en cours complémentaire aurait été difficile pour moi, et le conseiller me fit aller en classe de CEP ( Certificat d' Études Primaires ), classe qui fut pour moi le début d'une maturité. En effet dans cette classe de M.Curnier, 38 élèves garçons préparaient le certificat dans une ambiance de bachotage. Le maître, en blouse grise et béret, baguette de bambou et sifflet, assurait l'enseignement sans aucun problème de discipline. La classe était immense, avec deux colonnes de fonte qui soutenaient le plafond, une grande estrade, des bureaux à abattant, des grandes armoires vitrées, et bien sûr le grand poêle à bois entouré d'un grillage. Malgré la sévérité du maître, nous l'aimions beaucoup; il appliquait une méthode, genre Freinet, et confiait à chacun des responsabilités. Attiré comme les mouches par la magie des lumières, je fus chargé de faire fonctionner la lanterne magique et le projecteur de cinéma. Appareil mythique en 9,5 mm qui s'actionnait à la manivelle ! La lanterne magique était, en fait, un gros projecteur de plaques photographiques et, aussi, de pellicules photos. En général, les projections étaient la consécration de la leçon d'histoire ou de géographie. Pour cela, il fallait avoir été très attentif, et, si on peut encore le dire avoir été sage. Les batailles rangées entre les platanes de la cour nous privèrent souvent de ces séances ! Donc, on abaissait les rideaux noirs de la classe; une poussière blanche de craie tombait de ces rideaux à chaque fois. Un élève était chargé d'arroser le sol avec une boîte de conserve percée d'un petit trou, ce qui atténuait le nuage ! Un autre, tel un planton assurait l'allumage et l'extinction de la lumière. Quant à moi, heureux j'étais, d'installer le projecteur sur une petite table au milieu de la classe. Comble d'honneur, j'avais la permission de le faire pendant la récréation avec un copain, aussi passionné que moi. Nous jouissions, tous les deux, de la grâce du maître qui nous

Page 60: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

60

confiait les clefs des armoires. Dès la fin de la récrée, M. Curnier sifflait et tous les garçons se rangeaient devant la classe. Quelque fois, se joignait à nous les élèves plus jeunes de M. Mazieux, un autre maître qui préparait aussi le CEP avec des élèves que l'on pourrait aujourd'hui qualifier de difficiles. C'était en fait des redoublants et certains avaient déjà passé le CEP sans succès. Donc, la poigne était de rigueur dans cette classe. Dans les cabinets, des ronds de fumée montaient, et M.Mazieux fonçait sur les lieux avec une boîte d'eau et aspergeait l'occupant ! Les élèves, ainsi pris sur le fait, regagnaient le rang avec une grande tape sur les oreilles et une punition signée des parents ! On était solidaires et démagogiques de nos camarades; les lignes à copier étaient effectuées par les copains, malgré le risque d'être découverts et d'écoper plus encore! Ces séances de projections se déroulaient dans le calme, malgré parfois l'entassement des garçons sur les bureaux. Le maître commentait les images, s'arrêtant parfois pour aller au fond de la classe voir si je faisais bien tourner l'appareil. Les vitres de la classe se couvraient d'une buée, et une odeur de transpiration l'emplissait. Une fois la projection terminée, il y avait débat; puis c'était le rangement du matériel et de la classe avant la sonnerie de la cloche. Mon camarade Jean et moi restions après la sortie pour ranger le matériel, ce qui nous valait une discussion avec le maître. Lorsque tout était mis en place, nous quittions la classe avec l'instituteur. Celui-ci habitait en bas de la grande rue de Bergerac, celle de mes grands-parents Besse. Il connaissait ma famille et particulièrement pépé et mémé de Lanquais. Son épouse, Mme Gondono, auparavant veuve de marin, avait sa famille à côté de Lanquais. Je dois dire que je me tenais à carreau, chez cet instituteur du fait de ses connaissances et relations. Durant cette année de CEP, je découvris plein de choses sur mon projet futur d'aller en collège technique. Vint l'examen de Certificat d'Etudes; en juin, l'école était vidée des classes et accueillait tous les candidats de la ville. Le matin, devant l'école Jules Ferry, les élèves et leur famille attendaient, tandis que les maîtres circulaient d'un groupe à l'autre. Il régnait entre les écoles de la ville une concurrence à l'examen; certains maîtres étaient là pour soutenir un poulain, susceptible d'avoir le premier prix du canton, et

Page 61: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

61

ainsi de se voir ouvrir les portes de l'enseignement supérieur. La perspective de les voir devenir à leur tour instituteur motivait cette préparation. Je me souviens de ce premier examen qui comportait plusieurs épreuves: le problème d'arithmétique avec des trains qui se croisent, des périmètres à clôturer, une longue dictée, un questionnaire grammatical, une épreuve d'histoire et géographie et de connaissances générales. L'examen se terminait par une épreuve au choix de chant ou de récitation. Je choisis la récitation dans laquelle je mis tout mon cœur. Si je me souviens bien, j'avais choisi Le vieux buffet de Rimbaud. A la sortie de chaque épreuve, les maîtres des classes appelaient les élèves derrière les grilles de l'école et se renseignaient sur les solutions que nous avions trouvées. Le soir à la maison papa René me fit refaire le problème et maman Denise me fit écrire les mots de la dictée. J'étais en bonne voie ! Le lendemain, tous les élèves étaient réunis dans la grande cour de l'école. Nous étions en rang, notre maître sur le côté. On pouvait lire sur les visages l'anxiété; les mains croisées dans le dos, nos doigts craquaient. Les résultats étaient donnés école par école, et classe par classe. Classe de M.Curnier ? L'émotion était à son comble, pendant que l'inspecteur égrenait les noms des reçus, et des refusés. Admis, non admis, les mots tombaient sur nous, éclairant de joie les visages et amenant des larmes. M. Curnier posait sa main sur l'épaule de chacun, ayant un mot approprié pour féliciter mais aussi atténuer la peine. A la sortie de l'école, les parents attendaient; c'était des grandes effusions, des claques dans le dos des pères et des frères, l'enlacement affectueux des mamans. Pour ceux qui n'avaient eu le CEP, l'accueil était parfois sévère, réprimandes et pleurs s'ensuivaient. Je me souviens du petit Elie, un camarade devenu jockey plus tard. Il avait échoué. M.Curnier lui disait, l'an prochain tu l'auras ton certif, tu as presque réussi, allez Elie, du courage! Par contre le maître apostropha le grand Jean devant son père en lui disant qu'il fallait qu'il travaille plus sa dictée. Le père lui répondit que sur le chantier, il y avait du travail pour lui, et qu'il allait le prendre en apprentissage. Le destin en fit un militaire, qui lors de la guerre

Page 62: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

62

d'Algérie fut tué lors d'une opération. Je fus admis au certif, mes parents satisfaits, téléphonèrent à la cabine de la poste de Saint Jean de Côle pour que l'on avertisse mes grands parents. Ce fut le facteur qui transmis le message, en effectuant sa tournée. J'eus un beau cadeau, une bicyclette et la perspective de passer de bonnes vacances. Pour mon avenir, les choses devenaient claires, ayant le CEP, je pouvais demander une place d'internat au collège de la Boétie à Sarlat et envisager de préparer le CAP de mécanicien. Je reviendrai sur ce chapitre des vacances, car elles sont un grand moment dans mon enfance, et m'ont apporté mille joies. Pour entrer en collège technique, il fallut faire un dossier. Vu que j’allais être interne il fallait constituer un trousseau. Celui-ci se composait des effets vestimentaires, mais aussi de draps et couvertures. Comme j'étais Pupille de la Nation, ma mère fit une demande de bourse; celle-ci, peu élevée, aida quand même mes parents. Pépé Elie et mémé Adrienne s'occupèrent de mon trousseau et de la literie. Durant les vacances d'été, à la Boine, ma tante Yvonne et mémé se mirent à fabriquer ma couverture. Celle-ci d'un rouge grenat, matelassée de laine des moutons de mémé fut confectionnée dans la cour de la maison d'Yvonne. Elles avaient un cadre posé sur des tréteaux, et à l'aide d'une ficelle enduite de craie avaient tracé le canevas du matelassé. En répartissant la laine en deux couches, entre les deux tissus de satin, elles cousaient selon le tracé. Cette couverture allait être très utile, car le dortoir du collège n'était pas chauffé ! Mon grand-père m'emmena à Thiviers pour m'acheter les pantalons et vestes. Le marchand, qui se trouvait alors près de l'église avait des vêtements très à la mode, malgré la ruralité de Thiviers. Mon grand-père, souhaita que j'eus un costume de dimanche. La mode était aux vestes fendues sur les côtés, les pantalons «», c'est- à-dire serré en bas avec un grand replis. Pour les chaussures, j'eus une paire pour tous les jours, puis une autre en mocassins IOWA dont le nom faisait des jaloux parmi les ados de l'époque. Le tout, emballé dans des grands cartons dont la poignée en bois fut ajoutée gracieusement ! Rentré à la Boine je dus refaire l'essayage devant mémé, le pépé Adrien et aussi Yvonne et yvon. Sur mes 14 ans, j'étais déjà

Page 63: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

63

légèrement poilu et le pépé Adrien voulut me raser! Cette histoire de barbe me fut rappelée par la mémé; comme mon père, je dû faire toucher ce mince duvet sous le menton, et me faire disputer sur une moustache naissante. Mes parents complétèrent le trousseau. Les vacances se partagèrent entre Royan et la Boine, et, un beau matin d'octobre, la quatre chevaux Renault me conduisit à Sarlat. J'eus de la peine à quitter Bergerac, et le long de la route, je repensais à cette partie de mon enfance que je quittais pour connaître un monde nouveau, celui de l'internat. Avant d'arriver à Sarlat, nous fîmes un arrêt à Vézac où nous retrouvâmes Louis et Raymonde Lamaurelle. Ils avaient tous les deux un poste d'instituteurs. Fidèle à l'amitié de mon père Gaby, ils avaient proposé à mes parents de me servir de correspondants durant ma scolarité à la Boétie. Là aussi, j'ai connu une grande affection de la part de Louis, mais aussi une découverte de la fidélité amicale envers le souvenir de Gaby mon père. Cette scolarité entre pré-adolescence et adolescence dura quatre années. Le collège de la Boétie se situait sur une colline, et avait servi de prison à une époque reculée, d'où son aspect un peu féodal. La voiture se gara devant le collège, et nanti de valises et de la grande couverture, mes parents découvrirent comme moi ce collège. En ce dimanche d'octobre, il faisait encore chaud, les dernières fleurs fanaient dans les massifs, tandis que des files d'élèves allaient et venaient. Je remarquais d'emblée que ce collège était aussi un lycée mixte, chose qui colora un peu la peinture que je me faisais des lieux ! Nous montions au dortoir, par un grand escalier monumental; une file pour monter une file pour descendre. Au sommet de l'escalier, nous attendait un élève ancien. Celui-ci me demanda mon nom, puis prit ma valise et me montra mon lit. Celui-ci, au milieu des 8O lits du dortoir, se trouvait en face d'une fenêtre mansardée. A droite de la fenêtre, il me montra mon armoire et me demanda le cadenas. Surprise! Un cadenas ? Nous n'avions pas acheté cela ! Il nous rassura en nous disant que le concierge en vendait. Mon père descendit faire cet achat et revint avec le cadenas et une feuille sur laquelle il fallut recopier le trousseau. Le grand garçon boutonneux me dévisageait durant le déballage de mes affaires. Il me conseilla de mettre à telle place mes affaires, tandis que ma mère commençait à faire le lit.

Page 64: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

64

Là, il l'interrompit en lui disant que le lit se ferait plus tard, quand les parents seraient partis, et que c'était la tradition des anciens de faire le lit aux bleus ! Au qualificatif de bleus, je sentis que j'entrais dans un autre monde, moins confiné que celui de la famille. L'installation finie, il nous conduisit à la visite de ce collège. Le réfectoire, l'infirmerie, les classes, puis les ateliers nous furent présentés sous les meilleurs auspices. Les grands dadais faisaient figure d'anges gardiens, rassurant quelques mères éplorées sur le manque de portes aux cabinets, sur le café au lait le matin, sur la possibilité d'avoir sa confiture personnelle et des provisions. Sur ce dernier détail, il était en effet permis d'avoir ses denrées personnelles, et en particulier sa confiture. Il était attribué , moyennant finance, un petit casier que l'on pouvait partager avec un copain. Ces anges gardiens ne tarissaient point d'éloges sur les pions, les profs, le proviseur. Par contre, ils nous mettaient en garde contre certains externes qui trafiquaient dans le collège. Quel trafic ? Des cigarettes, des bouquins sexy, des petites bouteilles d'alcool. Ma mère coupa court le discours alarmant de l'élève, en me disant que je n'avais qu'à bien écouter le pion et que gare à moi si je franchissais le pas de l'indiscipline. Quant au pion, puisque c'était sa dénomination, il fit son apparition, le soir, au moment du repas. Je dois dire qu'il me fit une sinistre impression; vêtu d'un grand manteau gris, il se présenta comme pion et étudiant, nous dit qu'il n'avait pas envie de se faire chier avec de la bleusaille comme nous. Les grands ricanaient derrière nous; décidément l'accueil se précisait plus menaçant que je l'imaginais. Dans la cour, après le repas, ne nous connaissant pas encore, quelques groupes se formaient. Sous la pâle lumière des lampes, nous commencions à nous connaître. Entre nous, aucun point commun; nous venions de toute la région, voire même d'autres départements. Certains étaient de la ville, mais une majorité venait des campagnes. Je ressentis une grande solitude, vu que j'étais habitué à retrouver mes copains de la rue. Nous étions très nombreux ainsi, quand un coup de sifflet retentit et le pion, nous ordonna de nous mettre en rang par deux pour aller au dortoir. Sinistre fut cette montée ! Personne ne rigolait. Nous entrâmes, et

Page 65: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

65

chacun se mit devant le lit qu’il lui était attribué. Un grand élève, les bras croisés nous attendait. Le pion tira le rideau de l'alcôve de sa chambre, nous laissant seuls et inquiets. Les grands nous demandèrent nos draps, et notre couverture. Je fus un peu surpris de la gentillesse de celui qui m'avait appelé. En effet, il me montra comment faire le lit au carré! Au carré veut dire que les extrémités du lit doivent être pliées en angle droit, de façon à ce que rien ne dépasse dans l'allée. Ensuite, il défit le lit et me mélangeant les draps, me demanda de le refaire. Je refis sans faute ce lit, il me félicita et pour la première fois, il me demanda mon prénom, me dit le sien, d'où il venait et quelle ancienneté il avait. Tout cela se passa dans le calme, et au bout d'un moment, tout le monde était assis sur le bord des lits, discutant, détaillant les affaires de l'armoire. J'appris plein de choses, que le bleu de travail devait être descendu tous les matins, puis mis au crochet dans l'atelier. On ne pouvait en aucun cas remonter au dortoir, celui-ci étant fermé jusqu'au soir. Pour le réveil, il fallait se lever de suite, sinon nous aurions des heures de retenue. Pour la toilette, il fallait aller vite vers les lavabos. Mon ancien commençait à devenir plus amical et le resta durant toute ma scolarité. Ce fut à lui que je confiais mes soucis et il continua à m'écrire après son départ du collège. Je sais encore son nom Bernard Bougues. La nuit fut courte, et le petit matin brumeux du Sarladais nous servit de cape lors de notre première entrée dans le collège. Se réveiller dans un autre monde, s'affairer vite pour se laver, s'habiller, penser au matériel de la journée, était le lot de chaque interne. Le pion, toujours lui, la bête, nous accompagna jusqu'au réfectoire. Les anciens nous y attendaient: chaque bleu fut récupéré, je me trouvais à une table de grands gaillards dont certains devaient avoir vingt ans. En terminale de BEI, ces garçons avaient un statut de liberté totale, assurant ainsi une sorte d'auto-discipline. Ils avaient le droit de fumer, autorisant parfois sous leurs ailes, quelques bleus à terminer leur clope ! Mon ancien m'avait casé à côté de lui, me servant le café au lait; il puisa dans mon pot de confiture en me faisant un clin d'œil complice ! Je pris ma tartine, l'enduisit de cette bonne confiture que ma mère m'avait donnée, et plongeait celle-ci dans le grand bol.

Page 66: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

66

Ce geste eut l'effet de nous rapprocher; il me dit: « t'es d'où le bleu ?» Quand je lui dis que j'étais de Bergerac il me dit: « tu seras Cyrano !» C'est vrai que mon bout de nez était un peu allongé, mais il n'y eut aucune moquerie de sa part, je me contentais du côté noble du surnom. Lui était de Brive, la Gaillarde précisa-’-il; son père l'avait abandonné, et sa mère s'était mise avec un entrepreneur de plâtrerie. Le mot mise me choqua, pensant que mise voulait dire à la colle ! Pourtant ce garçon cachait sa tristesse sous un aspect bourru, mais personne ne le provoquait, au contraire, il inspirait le respect. La première journée de cours me sembla un cauchemar, nous courrions de salle en salle. Les salles de cours étaient, en fait, des parloirs de prison ! Pas de fenêtres, des grandes verrières éclairaient les tables durant le jour, et le soir d'énormes lampes à abat-jour plat répandaient une lumière triste. Seule, la salle de dessin échappait à cette sinistre description; elle avait été aménagée dans l'ancienne chapelle, les niches vidées des statues contenaient des instruments anciens de traçage. Équerres, compas immenses, règles et tés, un attirail qu'aujourd'hui je qualifierais de maçonnique! Le professeur, M. Farguet, officiait comme un chantre d'église depuis l'estrade qui, autrefois, supportait l'autel. Il avait une immense table à dessin dans le mécanisme curieux, composé dont de poids et contre poids permettait de se mettre à la hauteur de l'officiant. Il était tout petit, disparaissant derrière la planche, et sautillait pour nous parler. J'ai toujours aimé ce prof, et je l'ai retrouvé une année à Sarlat; il se souvenait de mon nom, et de mon prénom. J'ai gardé en mémoire cet attachement aux normes de dessin industriel, bien loin aujourd'hui du dessin par ordinateur assisté ! Mes premiers pas de jeune prof, au CET de Thiviers, en 1964 m'avait fait le rencontrer pour solliciter ses conseils. Soit sept ans après avoir quitté la Boétie. En toute modestie il me félicita de ce choix, et m'encouragea à continuer ma méthode, qui en fait était issu de la sienne ! Un autre prof, par contre me posa beaucoup de problème; un prof de maths qui fut pour beaucoup une terreur ! M.Delpech, que j'ai retrouvé lui aussi au cours d'une réunion des anciens élèves de la Boétie, m'avait occasionné des coliques, et des peurs pas possibles. Certainement un bon prof au sens des connaissances, mais plus que bourru dans son comportement. Rendre un devoir, une copie, aller au tableau m'imposait une

Page 67: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

67

souffrance, que j'ai peine à décrire. Il ne frappait pas, mais soulevait par le dos de la blouse et vous accrochait à un porte manteau. Je fus un de ces pendus ! Bernard, mon ancien le connaissait bien, il intervint pour moi et lui fit part de cette difficulté de vivre les maths avec lui. Sa réponse fut, qu'un lundi matin, il me fit passer au tableau après le passage de cinq camarades. Au fond de la classe, je sentis son regard se poser sur moi :

Roussary au tableau ! fit-il en bégayant. Je souligne, en bégayant, car cet homme bégayait un peu, et lorsqu'il devait dire «n'est ce pas ? » Il disait «s’pa !» D'où son surnom le spa ! Spa m'appelait, je ne rêvais pas. Certainement, ma mine lui fit pitié, il me posa la même question qu'aux cinq camarades. Théorème de Thalès ? Bonheur, je savais par cœur ce théorème; je le lui débitais, sans respirer, et au bout du souffle, je m'attendis à une autre question.

C'est bon, Roussary, à ta place, quatorze !» Ce fut ma plus belle et unique bonne note de géométrie de ce monsieur.

Mais, en janvier 1954, le célèbre et sinistre hiver 54, j'écrivis à mes parents une lettre désespérée, je ne voulais plus rester à la Boétie. Cet hiver-là, le thermomètre descendit très bas, la France grelottait. L'abbé Pierre lançait sur les ondes de Radio Luxembourg, un appel au secours. Une femme, fut retrouvée morte dans la rue, tenant à sa main un avis d'expulsion. Notre collège fut sans lumière, sans chauffage et l'eau gela dans les dortoirs. Malgré nos conditions de vie à l'internat, nous fîmes avec tous les élèves, partie des jeunes qui collectèrent dans Sarlat et les environs, afin de fournir des couvertures, des habits et de l'argent en faveur des plus démunis. Comme on le sait, ce mouvement fit entrer dans la connaissance des français, les chiffonniers d'Emmaus. Ma lettre fit que mon père, René, pris sa voiture, et malgré la neige sur les routes entreprit de venir voir à mon insu, ce qui se passait à Sarlat. Pas prévenu de cette visite, je fus en plein cours appelé au parloir. Je vis alors mon père et Le Spa. Sans que je puisse m'expliquer, mon père me dit:

tu as M. Delpech devant toi, alors dit lui ce que tu nous dit dans ta lettre.»

Le ciel me tomba sur la tête, je fus muet, à la fois paralysé et terrorisé.

Page 68: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

68

Spa, lui ne se démonta pas, et à ma grande surprise fit l'éloge de mon courage, de mes efforts et de ma gentillesse. Puis enfonçant le clou, il suggéra à mon père de me donner des cours de maths, dans l'après-midi qui suivait le cours normal. Ces cours, certes, me remirent au niveau, mais la blessure était trop ancrée. Les notes remontèrent, mais sans jamais dépasser le quatorze. En plus, Spa me dit qu'il avait connu mon père, Gaby, à Belvès, et qu'ils avaient avec Louis Lamaurelle fait une sacré équipe ! J'ai retrouvé une photo curieusement déchirée sur le visage de Delpech de la classe en question. Malgré ces cours, le moral était au plus bas, je pensais sans cesse à la fugue de mon père, et sans cesse je rêvais de la marine. Il fallait avoir seize ans pour s'engager, mais toujours avec la signature de ma mère. Un jour, j'ai téléphoné à ma mère pour lui dire que je ne voulais plus rester dans ce lycée technique, mais aller au centre d'apprentissage, qui se trouvait aussi dans le même établissement. Cette décision était venue suite à une rencontre à la bibliothèque d'un prof de français du centre d'apprentissage. M. Bordes avait en charge cette bibliothèque, et souvent j'allais retirer des livres. Il avait remarqué mon assiduité à la lecture, et je lui avais fait part de mes difficultés. Il était intervenu auprès du Spas, qui ne figurait pas dans ses amis ! En cours d'année, je suis passé du CET au Centre d'apprentissage. Débarrassé de la compagnie du Spa, mes résultats se sont améliorés et le moral aussi. Dans ce centre d'apprentissage, des anciens ouvriers compagnons étaient devenus professeurs d'atelier. Leur pédagogie, et leurs connaissances en faisaient des profs très près de la réalité professionnelle. Cette réalité que je voulais rapidement connaître s'avèrerait prochaine au bout de trois années de cours. J'avais changé de dortoir, pour un en préfabriqué qui avait été construit en 1941 durant l'époque de Pétain. Il recevait les jeunesses pétainistes. D'un confort acceptable, c'était un lieu agréable du fait qu'il était à l'écart de l'école, près d'un immense terrain de sport, et surtout situé sous les fenêtres de l'internat des filles qui fréquentaient le lycée. Du haut de leurs fenêtres, elles nous appelaient, nous lançaient des mots. Cette situation nous valait quelques remontrances de la part des pions, mais surtout des garçons du lycée, à qui nous ravissions les

Page 69: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

69

clins d'œil et petits bisous pour certaines. Qui de nous ne fut pas amoureux d'une Françoise, sœur d'un camarade de ce centre. Elle était très jolie sans être une beauté grave! Nous la voyions à toutes les sorties au stade, et c'était à qui serait l’élu de la promenade. Mais il y avait aussi d'autres filles qui la jalousaient, créant dans la classe quelques problèmes ! Les sorties du jeudi étaient en général à la Lignée, un immense pré dans la forêt; aujourd'hui ce lieu est devenu lotissement. C'était le lieu de rencontre de tous les élèves, garçons comme filles. Un ancien tunnel désaffecté attirait les amoureux, mais les pions surveillaient et il fallait déguerpir. L'autre attraction, était les matchs entre classes; souvent à la sauvage, l'enjeu était de renter vainqueur au collège et durant la semaine être la vedette ! Plus grave, il y eut une bagarre entre les élèves du centre et ceux de Saint Joseph. Cette école religieuse devait son renom à la sévérité de la discipline. Je ne souviens de ma mère, qui me menaçait d'aller à Saint Joseph si je ne travaillais pas à l'école ! Donc le bruit avait couru que les élèves de Saint Jo disait que nous étions des communards staliniens, complètement tarés. Bruit colportés par les externes de Sarlat. Le duel devait avoir lieu le jeudi suivant. A l'insu des profs, et des pions, nous avions projeté de les attendre au bas de la côte de la lignée. Des deux côtés de la descente, nous étions cachés dans les buissons. Bien organisés eux aussi, les cathos de Saint Jo avaient mis en tête tous les plus grands. La bagarre eut bien lieu, mais elle fut courte; les abbés prévenus avaient eux aussi retroussé leurs soutanes. Ce qui est sûr, c'est qu'il y eut des blessés! Nez éclatés, coups de poings, entorses furent considérés comme des marques honorables et soignés par l'infirmière sans aviser le proviseur ! Nos profs sans vouloir l'avouer approuvaient les états de ces combattants. Qui gagna? Nul ne peut le prétendre ! À chacun sa victoire! Pour parler de nos profs, un en particulier nous semblait sortir de l'histoire des métiers; il était ancien résistant et prof de mécanique; corse d'origine, il manipulait les outils avec une dextérité de magicien. Un cours avec lui relevait du spectacle tellement il mettait de l'art dans ses gestes. Prendre un outil pour lui était sacré, l'utiliser

Page 70: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

70

un rite, et commenter le résultat du pur littéraire.

Regardes moi ce sillon qu'il fait, cette surface lisse comme un miroir.»

Il disait cela, en posant sa main sur l'épaule de l'élève, comme un père, avec une voix grave, presque sensuelle ! M. Grenet, faisait les meilleurs élèves au CAP et en toute modestie, j'en fus! Cet esprit et cette conscience professionnelle, basée sur l'effort et la réalisation de travaux comme des chefs d'œuvre de compagnon a fait le bonheur de plein d'entreprises, qui recrutaient dès la sortie du Centre, les élèves munis de leur CAP. Des classes entières d'élèves entrèrent chez Renault à Paris, chez Citroën, ou Peugeot. Certains élèves, en plus de leur CAP, préparaient les concours de la SNCF et surtout le concours d'entrée aux écoles de l'EDF. Cette abondance de débouchés a aujourd'hui disparu. Une parenthèse; lorsque j'ai été nommé prof technique à Thiviers, j'avais aussi rencontré mon prof d'atelier, M.Grenet. Il m'avait donné une foule de documents personnels, des calques, des plans, qui m'ont bien aidé à débuter dans l'enseignement. Mon prof de français, M.Bordes, lui aussi m'a accordé tous ses conseils pour conduire une leçon; il m'avait fait l'amitié de venir dans mon centre de Thiviers, assister une journée entière à mes cours. Il fut en toute amitié mon premier inspecteur ! Nous avons correspondu longtemps, jusqu'à la fin de sa vie . Ces relations entre profs sont restées présentes dans ma mémoire, comme aussi celles entre camarades. Nos profs étaient des gens extraordinaires, restés des gens simples. Même le spa, si dur, je lui laisse quand même une étoile ! Le hasard de la vie a fait que je l'ai retrouvé lors d'une rencontre avec une amicale des anciens élèves de la Boétie. Comble de surprise, il avait été élu président de l'association, à l'unanimité des membres et dirigeait superbement cette amicale. J'ai laissé mes rancœurs au vestiaire; je me suis interrogé aussi de savoir, si moi aussi, je n'avais pas loupé le coche avec lui ! Quand nous nous sommes retrouvés, il m'a reconnu de suite ! «Roussary, vieil ami!» M'a-t-il dit ! En aparté, je lui ai dit ce que j'avais accumulé contre lui, je me sentais soulagé comme si j'avais attendu l'heure de la vengeance. Sa réponse fut celle à laquelle je m'attendais:

Roussary, qui aime bien châtie bien. J'étais comme ça, mon

Page 71: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

71

petit, tu crois que je voulais te faire mal ? Tu as été prof ? Tu n'as jamais été un Spa ?

Nous avons pris un verre et nous avons, en retraités, trinqué à la santé de tous! Autre comble, lors d’une tenue maçonnique, dans une loge à Sarlat, où j'avais été convié par Louis Lamaurelle, j'ai rencontré Spa ! Nous avons été émus de nous trouver là, et il me serra dans ses bras en m'appelant son frère! Lors des décès de Louis Lamaurelle et de Jean Delpech, dit le Spa, une tenue funèbre fut organisée par cette loge. J'y fus invité et un hommage unanime fut rendu à Louis et à Jean. Ce qui pouvait passer pour une haine envers Spa s’estompa… Nous arrivons à la troisième année de centre d'apprentissage; je suis devenu un grand garçon, qui grogne dès qu'on l'appelle « quiqui à sa mémé ! » Ces années-là m'ont aussi permis de rencontrer les Lamaurelle, à Vézac. Je m'y rendais tous les quinze jours, et particulièrement lors des séances de ciné-club qui se déroulaient dans le foyer communal. Le camion de camping de Louis était la cabine, dans laquelle se trouvait un appareil de projection, plus ou moins rafistolé, et fuyant l'huile par tous les joints ! (un Debrie) J'allais en vélo, chercher la boîte des films, à la gare de Vézac. Cette boîte en carton marron, entourée de protections en métal aux quatre coins contenait trois ou quatre bobines de films. Elle venait de Bordeaux, d'un organisme qui s'occupait de culture cinématographique dans le milieu rural. De retour au foyer, j'ouvrais cette boîte et vérifiais l'état des copies. Bien souvent, ces films étaient à la limite de l'usure et nécessitaient des collages. Pour cela, on utilisait une colleuse spéciale, qui donnait au film une solidité pour la projection. On ajustait les deux bouts de films grâce aux perforations de la pellicule, puis on grattait jusqu’à ce que l’argentique disparaisse et laisse place au support plastique. Puis rapidement on ouvrait la bouteille d’une colle très volatile et à l’aide d’un pinçeau on enduisait la partie décapé de cette colle. Tout aussi rapidement on abaissait une sorte de presse sur le collage. Quelques secondes après la soudure était terminée. Les séances avaient lieu le samedi soir, et tout le village s'y retrouvait. Le public, très familial, venait pour aussi s'y retrouver avec des

Page 72: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

72

voisins et des amis. Le programme, composé d'un documentaire, puis du grand film était présenté par Louis; en quelques mots, il donnait des indications sur le scénario, le metteur en scène, les acteurs. La projection était interrompue par le changement de bobines; la salle restant obscurcie, les jeunes, placés devant, faisaient des ombres chinoises avec le faisceau du projecteur. Puis, on reprenait la projection ! Cette activité de projectionniste, je l'avais déjà pratiquée dans mon école primaire à Bergerac, et j'assumais avec un infini plaisir ma fonction. Un jour, Louis fut absent, et d'emblée, il me confia la responsabilité de cette projection, et aussi, de la présentation du film. C'est là que j'ai découvert ce contact avec le public. La présentation en question, je me souviens, était pour le film Cuirassé Potemkine. Mon expérience et mes connaissances cinématographiques furent les bienvenues ! J'expliquais au public, la situation historique, puis le tournage du film et tous les effets visuels qualifiés de mythiques par les amateurs de ciné-club ! De retour, tard dans la soirée, Louis apprit comment la séance s'était passée. C'est ainsi que je devins, le présentateur de ce ciné-club de Vézac! J'ai en mémoire ces classiques: le Rouge et le Noir avec Gérard Philippe et Danielle Darrieux; La grande illusion avec Jean Gabin; La Chartreuse de Parme avec Gérard Philippe et Maria Casarès; le Salaire de la Peur avec Yves Montant et Charles Vanel; Les Vacances de M.Hulot avec Jacques Tati . En ces journées passées à Vézac, j'appris aussi une partie de la jeunesse de mon père Gaby, qu'il partagea au lycée de Belvès avec Louis. Mais, très pudique et conscient aussi de ma fragilité, Louis fut le confident de mes émois de jeune collégien. Ma scolarité à Sarlat, comme je le dis plus haut fut parfois perturbée par mes frasques avec ce prof de maths, le Spa. Louis, me conseilla de laisser courir, et de m'occuper surtout à bien travailler. Il souscrivait tout à fait à mon rêve de devenir marin ! Mais dans cette période de mon adolescence, une activité m'attirait sous la forme du théâtre. Le foyer de Vézac donnait, tous les ans, des représentations théâtrales avec les élèves de l'école et des grands ados anciens. Ces spectacles se déroulaient dans la salle des fêtes,

Page 73: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

73

tout près du groupe scolaire. On y jouait de tout, depuis le classique, les pièces en patois, et aussi des petits numéros de variétés, de magie. Un des comédiens, qui jouait un rôle de fakir vint à manquer, et sa partenaire faute d'acteur me demanda de lire le texte à la place de l'absent. C'était une jolie fille ! J'assistais à toutes les répétitions, faisant aussi figure de technicien, d'accessoiriste. Un soir, devait se répéter le numéro de magie. De nouveau la blonde aux yeux bleus, m'interpella. J'avoue que j'ai hésité et donc, au pied levé je remplaçais l'absent. Celui-ci en fait était mort de trouille, et démissionna peu après. Louis Lamaurelle enfonça le clou, et, m’encouragea à continuer. Louis, je le pense, voyait là une petite occasion pour son protégé de faire ses premières armes amoureuses!

Le loup est dans la bergerie» disait-il à Raymonde. Celle-ci ne partageait pas son avis et maugréait sur le compte de la belle blonde. Le jour de la représentation arriva, habillé en fakir, maquillé d'un fond de teint marron, je ressemblais à Othello ! Le numéro fut un succès, et la belle Lilie s'envola sous la magie de son partenaire. La lévitation mise au point par Louis frappa les esprits. La transmission de pensée acheva la persuasion que je détenais des pouvoirs.

Madame Irina, me recevez vous ?

Oui, mage je vous reçois !» Des complices dans la salle participaient à cette magie et le public, crédule aussi, fut conquis. Après le spectacle, il y eut un goûter que les parents d'élèves avaient préparé. Il s'ensuivit une boom ! Cela devait être la première fois que je dansais; mon habit de fakir et mon maquillage me rendaient à mes yeux ridicule. Lilie fut pour la soirée ma cavalière. Pour la suite, laissons là cet épisode à classer dans les souvenirs d’ados. J’ai revu Lili, des années après lors d’une visite à Domme avec les Lamaurelle. Pas le grand choc ! Des banalités nous échangeâmes, depuis elle s’était mariée et avait trois enfants… Sur une photo, ma sœur et moi sommes à mi-jambe dans la mer. Nous sommes en vacances à la Grande Côte, près de Royan. Joëlle est née le 20 août 1948, et porte le nom de Renard. Oui ! C’est ma demi-sœur ! Allez comprendre ? Une demi-sœur ? Pour l’anecdote, celle-ci m’a raconté qu’à la petite école, elle avait

Page 74: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

74

appris que je n’étais pas son frère, mais son demi-frère ! Jamais ma mère ne lui avait expliqué cela ! L’explication donnée par une copine de sa classe se termina en bataille ! Nous sommes à cette époque un peu chien et chat et moi adolescent. Joëlle me surveille ! Je fais du culturisme dans une salle de Bergerac et de la gymnastique dans un club, les Enfants de France. C’est l’année de mon Cap à Sarlat (que j’ai obtenu) et dont je suis particulièrement fier ! Mon adolescence entre internat et famille, m’a ouvert les yeux et développé une certaine indépendance. J’ai une mobylette, offerte par la mémé de Vélines. Celle-ci a un caractère très dur, mais avec moi, elle est gentille. Je reviendrai sur cette période de l’internat et des vacances de ma petite enfance. Il est vrai, que malgré leur situation financière modeste, mes parents nous offrent tous les ans, quinze jours de vacances à la mer. L’année où j’eus quelques soucis de santé! (Le poumon! Le poumon, comme dans le malade imaginaire), nous passâmes un mois à Andernos. C’était, dans ma mémoire, la première fois que je voyais la mer. Cela renforça cette idée que je serais un jour marin… Puis, ce fut les colonies de vacances à l’île d’Oléron avec le curé de Saint jacques. Je partis avec un jeune ami, Michel Derepierre dont les parents catholiques pratiquants étaient amis de mes parents. Nous habitions alors Place des petites boucheries, maison dans laquelle j’avais passé le temps du sans papa… Ces amis tenaient une épicerie et une grillerie de café, dont l’arôme embaumait les matins de la rue. Monsieur Derepierre, que ma sœur appelait baby était adorable. Sa femme, un peu môme Piaf, tenait la boutique, tandis que lui s’affairait à faire fonctionner la machine à griller le café. Un jour, la machine explosa et Baby fut brûlé au visage. Ma sœur, était donc née en 1948, et au moment de sa naissance, mes parents me confièrent aux Derepierre. Pour moi le prétexte de ce changement était que ma mère était tombée dans l’escalier ! Au matin on m’annonça que j’avais une petite sœur ! Cette famille qui connaissait bien le curé, organisateur d’une colonie de vacance, proposa à mes parents, de m’inscrire avec leur fils Michel. L’île d’Oléron en 1948, était reliée par un bateau, appelé bac. Il fallait arriver au matin pour être sûr de traverser. Au petit matin, les colons sont rassemblés sur la place de la halle aux

Page 75: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

75

grains: une bâtisse en pylônes de fer, très austère qui abrite le marché aux grains, et sert de protection aux Bergeracois lors des pluies. En contrebas c’est la gare routière des cars faisant les liaisons entres les petites villes du Bergeracois. Le samedi, règne une grande animation qui fait le bonheur des cafetiers de la halle. Donc, au petit matin, toutes les familles ont conduit leur progéniture au rendez-vous du car. Celui-ci est un Renault. Nous allons nous entasser, par fois à trois par rangées. Les monos vont de l’un à l’autre, récupérant, qui, l’argent de poche ou les médicaments. Les plus grands des colons sont au fond du car et monopolisent la vitre arrière. L’abbé que je connais rassure les parents:» on téléphonera au presbytère dès que nous serons arrivés à la colo !» Le car se met en route, suivi par les mouchoirs des parents qui s’agitent. Nous traversons la ville pour prendre la route d’Angoulême. Le voyage ponctué de haltes: mal de car, pipis et casse-croûte va nous amener à l’embarcadère du bac qui relie le continent à l’île d’Oléron. Cette traversée est pour moi un moment de mémoire; je ne peux m’empêcher de penser à ce rêve d’être plus tard un marin. Les manœuvres du bac sont commandées depuis la passerelle du bateau. Les hommes de l’équipage courent sur les quais pour détacher les cordages qui retiennent le bac. Puis, ils sautent sur le bastingage. Nous sommes parqués sur le pont supérieur face à la mer. Ordre est donné de ne pas quitter cet endroit, les monos nous surveillent ! La traversée est pour moi bien courte. Dans un grand bruit de moteur et d’hélice le bateau s’accoste au quai. Nous sommes toujours bloqués sur la passerelle; il faut attendre que le car soit sorti du pont et se soit rangé. En colonne, nous descendons par un escalier, ce qui me permet de jeter un œil sur la salle des machines. La montée dans le car se fait par groupe suivi du mono. Nous sommes sur une île ! La découverte se fait au fil de la route, nous longeons les marais salants, nous éloignant de la côte vers St Pierre D’Oléron. L’arrivée, en fin d’après-midi, nous a permis déjà de faire des connaissances entre nos camarades. Vieilles connaissances pour certains, mais nouvelles pour moi. Les cathos sont en majorité, au détriment des autres moins impliqués par le cathé ! Le car arrive dans la cour d’un château, tout le monde se rue aux

Page 76: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

76

fenêtres du car, c’est ensuite une descente silencieuse et le rassemblement du groupe dans la cour. En fait le château est une grande maison bourgeoise flanquée de deux petites tours à ses extrémités. Un grand perron est au centre, au sommet se tient ce que nous croyons être les seigneurs du lieu ! L’abbé est aussi parmi ces gens, il nous remercie d’avoir été très sages durant le voyage et nous invite à joindre nos mains pour la prière. Remercions le seigneur qui a veillé sur nous durant ce voyage….. Il s’en suit deux Je vous salue Marie et deux Notre Père … Puis première déception! Les groupes sont déjà formés et les listes brandies par les moniteurs, qui enchaînent par un appel. Une fois les groupes rassemblés autour de chaque mono, nous sommes dirigés vers le fond du parc où nous découvrons un petit village de toiles de tentes vertes en forme de pyramides. On les appelle des marabouts ! Ce sont des toiles de tente récupérées dans un stock américain. Les mâts sont en bois, les cordes tressées et maintenues par des piquets surmontés d’un petit fanion jaune. A l’intérieur, vingt quatre lits Picot, eux- aussi issus de l’armée américaine. Entre chaque lit une caisse verte marquée US avec une tête de mort barrée de deux os entrecroisés. Le couvercle sert de porte! Le mono nous désigne à chacun notre place. Je connais ce mono, il s’appelle Alain, sa famille habite la grand rue et ses parents tiennent un grand magasin de tissus et de rideaux face au marché couvert de Bergerac. Nous discutons ensemble, chacun prenant possession des lieux pour un mois. Il nous explique comment le séjour va se dérouler, et surtout, ce qui nous intéresse le plus: le lieu de restauration ! Chaque matin, deux garçons doivent se lever de bonne heure pour servir la messe avec l’abbé. Cette tâche nous est confiée, car nous sommes les plus grands! Il faut dire que nous sommes des grands garçons, que certains ont du poil aux jambes, enfin nous sommes assez fiers de cette marque de différence! Quant à servir la messe, c’est une autre affaire! Parmi nous il y a des adeptes de la clochette et de l’encensoir ! Après avoir rangé nos affaires, dans la caisse verte, le mono nous demande de prendre nos serviettes de toilette pour aller nous

Page 77: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

77

doucher. Les douches sont en fait très sommaires, une grande tente et au milieu un tuyau sur lequel on a fixé des pommes d'arrosoirs. Un grand fût de bois est au-dessus et sert de réservoir. L’eau est froide ! Il nous faut nous déshabiller et aller tout nu nous laver. Chacun se met sous la pomme, le mono ouvre le robinet, on se mouille, puis arrêt de l’eau pour le savonnage. Le mono nous donne quelques minutes et ensuite ouvre de nouveau le robinet pour le rinçage. Cette première douche est pour moi un évènement, en ce qui concerne la nudité entre garçons. Les grands que nous sommes, avec ou sans poils ont bien surmonté l’épreuve! Revenus à la tente avec la serviette autour de la taille, nous nous séchons tous nus, au soleil, durant cette fin d’après midi… La cloche sonne, avec la serviette de table à la main, nous arrivons dans la grande cour dans laquelle des tables sont dressées. Le mono se met au bout d’une table, et nous invite à nous asseoir. L’apprentissage de la vie en groupe a commencé là: aller chercher les plats, servir les copains à tour de rôle, et en fin de repas, ramasser les couverts et aller les laver, ne me déplait pas trop. Ce qui m’ennuie, c’est la prière au début du repas. Mais le mono n’est pas trop regardant et ne nous ennuie pas. Le soir, petite ballade dans le village, le temps de repérer une colo de filles qui passe devant nous. Ce sont des Janettes, avec leurs jupes bleues plissées. Le village est vite parcouru, nous revenons au château; l’abbé nous attend dans une clairière au milieu de laquelle un feu a été allumé. Assis en indien, autour des flammes, nous chantons et écoutons les histoires d’un mono. Puis, c’est le chant de la nuit:

Chut plus de bruit. C’est la ronde de nuit

En diligence Faisons silence

Chut, chut plus de bruit C’est la ronde de nuit.

Première nuit sous la tente; j’ai du mal à m’endormir tellement je pense au lendemain. Allons-nous aller à la mer ? Le petit matin nous réveille, une petite fraîcheur laisse présager d’une

Page 78: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

78

chaude journée. Le mono nous dit, alors, qu’après la toilette, nous nous retrouverons au petit déjeuner. Là, même rite, aller chercher les bols, le pain, la confiture et les deux grands pichets de lait. Pour ce premier jour, l’abbé a dit sa messe avec deux monos; à la fin de ce petit déjeuner, il prend la parole pour nous donner l’emploi du temps de la journée. Nous serons divisés en équipes, comme dans les toiles de tentes; un grand hourra s’élève ! Ensuite, nous nous inscrirons sur un grand tableau pour les corvées de légumes, de nettoyage, de service aux tables, de rangement et de messes. Je ne peux échapper à servir la messe; un copain qui a l’habitude m’invite à venir avec lui le lendemain. Puis, il présente l’activité de la journée: découverte de la région et baignade. La matinée passe très vite, et aussitôt le repas pris, nous partons à la découverte de l’île, découverte à pied bien sûr !

Un kilomètre à pied, ça use, ça use! Deux Kilomètres à pied, ça use les souliers !

La route est longue, nous longeons des près, des marais et nous voyons au loin un phare. Le mono relance le chant, mais on traîne pas mal. La mer ne se voit toujours pas, et on grogne dans les rangs, d’autant que nous portons à tour de rôle le filet de protection et les sacs de goûter. Toute la colo est sur la route, et lorsqu’une voiture nous double nous regardons avec envie les occupants… Dix kilomètres à pied, ça use…. Le chant s’arrête, nous entendons le bruit des vagues. C’est la grande ruée vers un chemin sablonneux qui, selon certains, conduit à la plage. Les monos hurlent, et l’abbé nous double, pour enfin nous arrêter au bord de la mer. Il faut se déshabiller, mettre ses affaires en tas et sortir nos petites fesses à l’air pour enfiler nos maillots de bain. Là, une autre découverte pour moi: les curés en soutane ? Je me posais des questions ? Comment étaient-ils dessous? L’abbé, nous avait doublés en tenant sa soutane avec ses deux mains. On eut cru qu’il allait s’envoler ! Pour passer le maillot de bain, nous nous étions éparpillés dans la dune qui bordait la plage, du moins pour les plus pudiques. Je surveillais l’abbé, me demandant comment il allait se débrouiller. Il disparut un instant, et je vis revenir un grand gars tout blanc de peau, mais très musclé en slip de bain ! La bosse sur son slip me fit penser que l’abbé était un homme! Je ne

Page 79: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

79

fus pas le seul à le penser ! L’abbé devint un personnage que beaucoup d’entre nous n’ont pas oublié. Durant tout le séjour, Mais aussi, nous ne le vîmes plus en soutane, sauf pour le jour du départ et retour sur Bergerac. L’abbé de Montaignac, voilà son nom figura comme parmi mes amis les plus chers de mon adolescence. Nous eûmes par la suite l’occasion de correspondre, de faire aussi une retrouvaille alors que j’étais jeune prof au CET de Thiviers, ma première nomination. Revenons à cette baignade; le filet de protection fut mis en place, bordé par les monos. Ces derniers nous surveillaient, car beaucoup d’entre nous ne savions pas nager. J’ai ce souvenir ému de cette baignade, de ce contact avec la mer et cette sensation d’une rencontre avec mon père. Certes personne ne le remarqua, du moins je le crus. Les monos se partageaient entre jouer dans les vagues avec nous, quelques initiations à la nage, et en faire plonger quelques uns. L’abbé, lui, seul sur la berge, scrutait cette ligne de protection. Au coup de sifflet, tout le monde se repliait autour des sacs de goûter, tandis que l’abbé se plongeait dans la mer pour nager. Nous le regardions avec envie certes, mais ce qui émanait de cette image était sa masculinité que nous découvrions et qui jetait aux orties tous nos préjugés et idées malsaines que nous nous faisions de ces hommes en robe… Quand il revint, il mit un short, ce qui fit totalement disparaître son image de curé ! Pour parler de cet homme, de ce jeune prêtre, je reviens à ce moment que j’appréhendais, celui de la messe et du service. Au matin, je sentis une main sur mon épaule, et dans mon réveil, j’entrevis les traits de l’abbé: «Jean Pierre, c’est l’heure, va à la cuisine avec Jacques, je vous rejoins.» Dans cette cuisine, je découvrais une partie du château; une longue pièce, une grande table, une immense cuisinière et des marmites empilées. Il y avait encore une odeur de friture. Sur la table était posés un pichet de lait et quelques tartines de pain. L’abbé, nous dit alors, mangez un petit peu car après la messe on ira chercher le pain chez le boulanger. Nous partîmes pour l’église; le matin éclairait d’une pâle lueur les murs du village, mais aucun signe de vie. Seule une lueur par un soupirail du fournil du boulanger qui s’apprêtait à sortir sa fournée. Nous contournâmes l’entrée de l’église, puis par une petite porte,

Page 80: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

80

nous entrâmes dans la sacristie. Je ne connaissais pas trop cet environnement religieux, cette salle plaquée de boiseries et de grands placards qui contenaient les habits et les objets du culte. Je dus comme mon camarade, revêtir l’aube d’enfant de cœur. Celle-ci tout rouge, était complétée d’une chasuble blanche aux manches bordées de dentelle. L’abbé préparait son habit sacerdotal jaune et vert, brodé d’or. Mon camarade lui passait cela avec une grande dévotion. Dans l’église, sonna les six heures; deux dames et le sacristain constituaient l’assistance. Mon copain m’avait donné la sonnette et l’encensoir qui contenait une petit braise que je devais sans cesse ranimer en balançant l’engin. Nous étions tous les deux, au pied de l’autel quand l’abbé se tourna vers le chœur et commença, en latin, sa messe. J’avoue que ce fut pour moi un spectacle ! Ces apparats, ces odeurs d’encens et de fleurs et l’extraordinaire concentration de l’abbé sur son culte m’ont laissé un sentiment que la religion pouvait être dans son apostolat une séduction qui participait à la conversion des fidèles. Je me débrouillais pas mal, regardant mon camarade, qui m’indiquait quand il fallait bouger. Le moment dont je me souviens, fut celui de l’offertoire; le moment ou l’abbé refait les gestes du Christ avec le pain et le vin. Je devais sonner à chaque fois que le prêtre élevait l’hostie, puis le calice. L’assistance baissait la tête en recueillement, tandis que je regardais à grands yeux ouverts ces symboles. L’abbé fronça les sourcils et je fis comme tout le monde! Le prêche fut très court, tout comme dans les trois messes basses d’Alphonse Daudet, où au mirage des bonnes choses à manger pour le réveillon, le curé accélérait le rite: notre abbé coupa court et sur un amen retentissant, nous quittâmes l’autel pour regagner la sacristie, sans omettre de plier les genoux devant le tabernacle. Tout fut rangé en un clin d’œil et c’est en courant que nous arrivâmes chez le boulanger. En entrant dans la boulangerie, on entendait sonner des clochettes, qui placées au dessus de la porte avertissaient de l’arrivée des clients. Le fournil était en contrebas de la boutique, on y accédait par un escalier. Le boulanger et son apprenti nous attendaient, le visage fariné. Il

Page 81: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

81

achevait de préparer une nouvelle fournée. La première achevait de refroidir, et dans un grand panier, il nous avait réservé des grosses miches bien croustillantes. Il nous offrit des petites brioches et servit un café au lait à l’abbé. Il nous dévisagea, en disant c’est vous les curetons ? Pour lui, curetons voulait dire enfants de chœur. L’apprenti, tout plongé dans sa farine, nous lorgnait de l’œil. On prit à deux la grande panière, et nous remontâmes l’escalier en lorgnant au passage la fille des boulangers. En arrivant au camp, celui-ci était déjà en éveil, l’abbé nous remercia et nous laissa regagner notre tente. Les copains se réveillaient; sortant de leur sommeil, ils rassemblaient leurs affaires pour aller aux toilettes. «, Vous avez bu le vin de messe?» Mon camarade leur dit, d’une voie en mue que ce n’était pas bien de boire le vin de messe, que c’était sang du seigneur. On en resta là ! Le camp s’animait; une cérémonie avait lieu, aussi, tous les matins on montait les couleurs du drapeau scout. En effet, l’encadrement de nos petites têtes brunes et blondes était assuré en partie par des grands garçons appelés scouts. Ils avaient une dégaine superbe avec leur chapeau vert, leur short aux poches multiples et surtout ce qui nous intriguait, une panoplie d’insignes. La cérémonie se déroulait au milieu d’une clairière, et y assistaient seulement les louveteaux, les éclaireurs de notre camp. Moi, n’étant ni l’un ni l’autre, j’étais dispensé de cela. J’avais servi la messe et cela suffisait ! L’abbé n’attachait pas d’importance au problème religieux de chacun; il aimait tout le monde et ne forçait aucun de nous à dire la prière du repas et celle du soir. Par contre, mon ami Michel, lui avait es parents très à cheval sur les principes de la religion. Mes parents les aimaient beaucoup et trouvaient qu’ils étaient des vrais chrétiens, qui allaient à la messe le matin de bonne heure et non à celle des bourgeois de onze heures. Sous la tente, les discussions allaient bon train sur les filles et certains avaient des soupçons sur les allées et venues du mono le soir, vers le fond du parc. Malgré nos préoccupations très pipi caca de nos dix, douze ans, nous avions compris que ce mono retrouvait une monitrice des Janettes. Lorsqu’il revenait, à la nuit, nous faisions sous les draps des bruits de bisous et moqueries. Parfois, on entendait un prénom de cette fille, suivi de grands éclats de rire et de ce début de chanson populaire: ne pleure pas Janeeeettte !

Page 82: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

82

Un journal circulait dans la tente: c’était Cœurs Vaillants, un journal bien pensant, mais que nous adorions.

On se tait faisait le mono en grossissant sa voix, sinon demain pas de plage.

Les bruits s’arrêtaient, et le silence, suivi du sommeil, prenait possession de nous. Ainsi se passait ces moments de colonie de vacances. J’oubliais de raconter que durant la colo, mes parents et leurs amis Derepierre, vinrent nous visiter le temps d’un week-end. C’est dans la quatre chevaux Renault qu’ils arrivèrent à la colo. C’est toujours agréable de voir ses parents, mais cela nous causa une certaine perturbation. Il fallut leur faire visiter la colo, la tente, leur montrer tout ! Les copains se moquaient de nous, les petits chéris disaient-ils ! Le soir, il y eut un petit problème: les Derepierre eurent une chambre pour la nuit et mes parents durent se contenter de dormir dans la voiture ! Joëlle, ma sœur eut le privilège de la banquette arrière et mes parents durent se contenter des sièges avant. Dans cet espace très exigu, ils passèrent une nuit blanche. Nos amis, par contre, avaient bien dormi ! Mon père et ma mère ne firent aucun commentaire ! Revenons à cette fin de baignade. Au retour, même chanson, mais c’est en un long traîne savate qui fit que le groupe s’étala dans l’herbe du parc du château ! Je commençais à grandir, je m’en aperçus en mettant un pantalon que ma mère m’avait mis dans ma valise, je défis avec l’aide d’une dame de la cuisine, l’ourlet pour qu’il paraisse assez long… Je commençais à prendre de l’envergure dans la colo, en participant à toutes les activités, mais aussi en prenant des initiatives. Tous les soirs, avait lieu une veillée, avec un thème différent. Pour une colo de cathos, les thèmes étaient assez près de mes choix. Un soir, avec les garçons de mon groupe de tente, nous avons présenté un spectacle de cirque. Mon ami Michel Derepierre tout menu disparut dans une grande malle à la grande surprise des spectateurs, pour réapparaître au sommet d’un arbre, d’un petit arbre ! Je fis avec le mono un numéro de clown. L’abbé, au premier rang s’est souvenu longtemps de cette soirée ! Les journées passèrent; il y eut des après-midi de ballade dans les environs et une grande sortie en car au phare de Chassiron

Page 83: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

83

La visite de ce phare m’a laissé un grand souvenir, celui de la découverte d’une grande étendue qu’est la mer. Jusqu’à présent, l’horizon, depuis le bord de la plage, ne m’avait jamais semblé aussi loin. Le mono en profita pour nous demander de lui dire comment était la ligne d’horizon ? C’est là aussi, tout comme certains l’avaient découverte avant moi, que la terre m’apparue ronde ! Puis, il nous montra les divers points de l’île. On voit, depuis le sommet de ce phare, que nous sommes vraiment sur une île, chose qu’aujourd’hui on ne peut imaginer, puisqu’un pont gigantesque relie l’île d’Oléron au continent et en fait une partie intégrale d’un département. On voit aussi le Fort de Boyarville, plus connu aujourd’hui pour son lieu de jeu de télévision Fort Boyard; les marais salants, grandes flaques d’eau de mer, ses tas de sel comme des damiers dans lesquels se reflètent ciel et nuages. Au loin les villages, dans le ciel les mouettes … La colo touche à sa fin, c’est le dernier soir que l’on prend conscience du temps et des moments de partage en commun. L’abbé de Montaignac va nous réunir le dernier soir au cinéma du village. On y projette Jour de Fête. Pour moi, c’est un immense moment de plaisir de cinéphile naissant que je suis. Mais pour d’autres c’est une soirée d’approche des amours d’ados. En effet, les Janettes, sont aussi de la soirée. Quelques garçons vont tenter de se glisser parmi elles… Peine inutile, ils seront refoulés! Au retour du cinéma, notre groupe demande à l‘abbé si l’on peut aller dire au revoir à la mer. Curieuse émotion que cet adieu, que j’ai transmis à Laetitia et Aurélie. Dire adieu à la mer ! L’abbé fut d’accord, mais il nous dit que nous devrions y aller à pieds ! Nous partîmes, quelques garçons, des plus grands et des petits avec qui nous avions quelque amitié. La lune éclairait la route, tandis qu’au-dessus de nous le rayon du phare de Chassiron passait. Le chemin de sable, fente dans la dune, la descente en courant vers la rive et cet éclat de lumière de l’astre lunaire se reflétant dans les petites vaguelettes d’écume, qui toutes calmes venaient mourir à nos pieds. Pour cette fois, la mer était calme, comme si elle aussi nous disait au revoir, le temps d’une marée.

Page 84: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

84

Au delà de l’horizon, peut-être d’autres enfants lui disaient bonjour, saluant par des cris son arrivée sur leur sol… Nous nous assîmes sur le sable. Un grand silence et le sentiment d’avoir grandit durant ce séjour. Notre mono qui nous avait rejoint, ne disait rien, nous laissant seuls dans notre moment d’enfance en fuite. Les vacances se terminaient là… Quand nous arrivâmes à la colo, l’abbé nous attendait; il était tard dans la nuit, je crois que le jour allait se lever. L’abbé nous accompagna à la tente et il dit alors quelque chose de différent du début de notre arrivée: Au départ, en parlant de nous, il avait appelé les petits! Et à cet instant là, il dit: «A tout à l’heure, les gars ! » La colo touchait à sa fin, et, quand vint l’instant du départ, je compris que quelque chose avait changé en moi... Cet abbé, en 1964, je l’ai retrouvé à Saint Jory de Chalais, près du CET (collège d’enseignement technique) où j’assumais mon premier poste de professeur. Dans ma classe de garçons durs, que l’on m’avait donné, il y avait un jeune blondinet assez rebelle appelé Michel. , il se démarqua des autres en me disant qu’il était au centre d’éducation surveillée de Saint Jory. Alors la classe émit qu’il était un voyou ! Voyou ? Non, tout simplement, il avait eu un début d’enfance entre parents séparés et violents, et cela avait obligé son placement en centre. Celui-ci se trouvait dans un petit village avec un internat. De nombreux éducateurs s’occupaient de ces jeunes adolescents et leur proposaient diverses activités. Au cours d’une descente de l’Isle en canoë avec les élèves du CET, je vis le jeune Michel sur un canoë dirigé par un grand homme que je reconnus de suite. C’était bien l’abbé ! A la cascade du moulin des Mauroux, il arrima son canoë et nous nous retrouvâmes sur la berge. Bien sûr, je n’étais plus le petit jean pierre de la colo de l’île d’Oléron, mais l’effusion qui s’ensuivit renforça cette idée que nous ne nous étions pas oubliés. Comme le jeune Michel s’approchait de nous, il m’apprit qu’il était son aumônier et éducateur au centre de Saint Jory, ainsi que curé du village. Le jeudi, il accompagnait un groupe de garçon sur l’Isle et les initiait à la descente en rivière. Mes élèves, par contre étaient encadrés par des surveillants du CET et un copain prof du collège secondaire, Jean

Page 85: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

85

Pierre Montel. Je le connaissais depuis que j’avais été nommé à Thiviers. Nous nous retrouvions aussi autour du ciné-club commun avec les deux collèges. Jean Pierre Montel, grand viking montrait aux élèves comment diriger un canoë et surtout comment passer le barrage en sursaut au dessus de la rivière. Il amena, un jour une jeune fille, sa sœur Janine …. Cette rencontre sportive changea la donne entre l’élève Michel, l’élève rebelle et moi. Cela me permit d’asseoir ma toute jeune autorité. Ce garçon devint responsable du club canoë. Quant à l’abbé, nous mîmes en place une rencontre entre les ados une fois par mois. Cela occasionna quelques déplacements épiques lorsque depuis Thiviers, nous nous rendions à Saint Jory. Avec une grosse voiture d’un collègue, nous amenions les élèves, entassés vers le centre des jeunes. L’abbé animait ces veillées, avec des thèmes qui permettaient des échanges entre deux mondes scolaires différents. Puis une autre fois, je fis avec mes élèves une présentation d’une pièce de Molière, que nous interprétions avec des marionnettes et des élèves comédiens. Un soir de décembre, la neige nous surprit à St Jory, et nous ne pûmes reprendre la route car le sol était glissant. L’abbé nous hébergea, après avoir prévenu le Roi que ses sujets étaient en sécurité. Je dis Roi car c’était le surnom du directeur de mon collège. Monsieur Givernaud, dirigeait ce centre d’apprentissage de façon très paternelle. Son épouse, la Reine, nous recevait, jeunes professeurs et jeunes pions, chez elle. Nous disions que nous allions au palais ! Donc le Roi, averti par l’abbé, accorda cette nuit hors de son territoire! Cette époque de 1964 –1965 reste pour moi une approche du monde de l’enseignement et du périscolaire. Par d’autres rencontres, je vais alors m’investir totalement dans ce que l’on commence à murmurer: l’éducation permanente. Il faut dire que l’éducation nationale assoit son autorité sur le pupitre et l’estrade des classes. Le maître y règne en chef ! Freinet a commencé à développer des méthodes dites actives, avec des activités qui vont réveiller l’intérêt des élèves. Dans ma classe, ma première classe, j’ai changé le cadre; des fleurs amenées par les élèves, des panneaux d’exposition font que mes grands gaillards de troisième années trouvent leur bonheur d’apprendre. Ces grands dadais, car il faut les nommer ainsi, sont issus des milieux agricoles de la région. Quelques externes de

Page 86: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

86

Périgueux complètent l’effectif de 45 élèves! Ma classe est en fait un grand atelier en préfabriqué qui date des camps de jeunesses Pétainistes des années 40. Le bâtiment est isolé de l’ensemble du CET et se trouve au beau milieu d’une prairie. Celle-ci devient terrain de récréation et de foot entre les cours. Nous sommes un groupe de jeunes profs, français, maths, dessin industriel et pour ma part atelier d’ajustage. Il y a aussi un autre groupe, plus ancien, dont certains profs sont en fait des moniteurs d’atelier reconvertis en prof d’enseignement technique. Ateliers de menuiserie, serrurerie, forge, tournage, fraisage compose le panneau des spécialités du CET. Ces profs, par contre ne sont pas acquis à mes méthodes, trouvent que ce n’est pas assez sévère et critiquent ma forme d’autorité. Mais, ma classe de 3ème année, m’a été refilée et je dois accepter. Les garçons, pour certains ont 16 / 18 ans et ont eu deux années d’échec devant eux. Le but pour eux est de passer le CAP d’ajusteur en fin d’année scolaire 1964. Avec l’aide de Jean Philippe Caron, Jean Claude Comte et des surveillants, nous allons tirer notre groupe vers le haut et lui donner les moyens d’accéder au CAP avec le maximum de chances. Mais, comment motiver ces jeunes ? Jean Philippe est passionné d’antiquités, et organise un club de vieux meubles. Ce qui lui vaut le surnom de baron ! Le principe est simple ! Nos jeunes sont de milieu agricole, et leurs greniers regorgent de buffets, de vaisseliers anciens, souvent à la limite de la conservation. Le Roi et la Reine sont nos supporters; les pions aussi. Nous disposons d’un vieux hangar pour remiser nos découvertes et y installer des vieux établis et quelques outils. La chasse aux meubles a commencé, les élèves fouillent un peu partout et nous établissons une liste de meubles par catégories et lieux. Mais, la transaction pose problème; nous n’avons pas d’argent et il est hors de question que la coopérative participe aux achats. Le Roi propose que nous fassions des échanges avec les objets fabriqués par nos ateliers. Ainsi, des meubles anciens sont échangés contre des tables en formica, des petits coffres en sapin et des objets de ferronnerie. Parfois, l’échange tourne à la déroute et nous voyons quelques meubles nous échapper vers des brocanteurs. Certaines découvertes

Page 87: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

87

se font dans la cour de la ferme. Un vieux buffet Louis XV sert de clapier, une maie se trouve emplis d’engrais. Toute l’année, les élèves nettoient, décapent, réparent et cirent les meubles. Nous connaissons par un prof, dont le père est antiquaire, comment faire les trous des vers de bois. Avec un fusil chargé de cartouches de plomb à oiseaux, nous tirons sur les meubles ! Un jour débarquent le Roi et la Reine suivi des vieux sbires dans l’atelier. Messieurs ! dit le Roi, voici le travail de ces enfants. Il fait alors la visite de meuble en meuble, tandis que la Reine repère un vieux buffet à enfilade. Les profs de menuiserie sont stupéfaits de voir, d’une part leurs élèves en action et surtout de voir comment ils entreprennent les restaurations. Pour ce qui est de cette restauration, Jean Philippe est expert en la matière et, très malin demande alors aux profs des conseils. Ces derniers tombent dans le piège, et prennent les outils pour aider. Ainsi, nous allons tous parvenir à mobiliser le collège, sauf un récalcitrant, M. P. Je dois dire que je n’ai jamais aimé cette personne, du moins durant mon temps de passage. Prof d’ajustage, c’était un prof d’une grande compétence professionnelle, acquise au prix de beaucoup d’années en usine. Il avait fait la Promotion Sociale, puis avait passé le concours de prof au prix de nombreuses nuits de bachotage. C’était son discours de me répéter cela et de me dire combien j’étais presque un incapable ! Moi, tout juste arrivé après cinq années d’industrie, j’étais un petit merdeux ! Nos relations furent détestables; il n’hésitait pas à me débiner devant mes élèves, jusqu’à un jour du deuxième trimestre, je le pris par le fond des culottes et le jetais dehors de ma classe. Les élèves applaudissaient et tout le CET en fut témoin. Je fus immédiatement calmé par jean Philippe qui sortit en courant de sa classe, suivi de ses élèves. Franchement, tout le CET attendait ce jour ! Le père Perrier me jura qu’il m’aurait au concours et partit vers son atelier. Le Roi vint sur le champ, suivi de la Reine ! Je fus gentiment grondé, et il me parla de ce P... si mal aimé. Je sus alors comment cet homme en voulait à la terre entière, et surtout ce qui motivait son attitude. Il était alcoolique d’une part, nous l’avions souvent vu se diriger vers les toilettes, et dans la chasse d’eau, nous avions trouvé de l’alcool. De sa vie personnelle, on en savait peu, mais cela n’avait pas dû être tout rose. Le plus terrible était qu’il avait provoqué le décès d’un

Page 88: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

88

enfant en voiture sans en être responsable, ce qui aurait déclenché son alcoolisme… En tout cas, il était invivable et les élèves le subissaient. Par contre son enseignement professionnel était son auréole, il se félicitait des résultats au CAP. Ses autres collègues le supportaient non sans quelques frictions. Mon acte de rébellion fut classé dans les bons souvenirs, et à ce jour le prof me laissa tranquille avec mes grands oiseaux ! Cette année 1964, nous avons présenté toute ma classe au CAP; celui-ci se passait à Périgueux, au lycée Claveille. Nous avions pris le train le matin, et nos élèves munis de leur matériel se tenaient tranquilles. Comme nous ne pouvions entrer dans l’arène, nous avions prodigué tous les conseils à nos gaillards. A midi, au travers des grilles du lycée, nos jeunes vinrent nous conter leur matinée. Mes élèves ajusteurs, avaient un ajustage en demi-queue d’aronde, avec un calcul de la cote sur pige. Là, j’eus quelques doutes, car ce calcul se faisait à l’aide de mathématiques et surtout de trigonométrie. Ils devaient aussi se servir d’une table de cosinus… Les menuisiers avaient à fabriquer un tiroir de meuble, lui aussi en assemblage en queue d’aronde. Les serruriers, eurent un dessus de table basse avec des volutes et des forgeages assez biscornus. Leur moral était bon. L’après-midi se passa dans l’attente de la fin des épreuves. Laissant les externes en ville, on récupéra les élèves et nous regagnâmes Thiviers. A la gare, le Roi et la Reine nous attendaient avec un autre personnage l’infirmière que nous appelions Miss ! La reine invita tout le monde au palais, sauf que M. P… refusa que ses élèves y participent. Gâteaux, sirop de grenadine, petit vin d’Anjou et petit discours de M.Givernaud décompressèrent l’atmosphère. La semaine qui suivit fut longue; les résultats tardaient à venir et franchement je soupçonnais le prof ennemi, de faire des interventions sur le jury de Périgueux. Le Roi m’assura qu’il allait veiller au bon ordre des corrections, car lui aussi avait ses relations. Le vendredi soir, un surveillant du CET vint à l’hôtel où je logeais en me demandant d’aller illico presto au Palais. Il fallait traverser la voie ferrée, et en quelques minutes, je fus au domicile royal ! M.Givernaud me fit entrer dans sa salle à manger, fermant la porte au

Page 89: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

89

nez de sa femme. «Petit ! «dit-il «content votre classe a obtenu le meilleur résultat de ce collège. Sur 45 élèves, 40 sont admis à l’écrit.» Je n’en revenais pas et je pensais à mes 5 collés… Il me fit promettre de ne rien dévoiler avant lundi matin. Chose promise ! Le lundi matin, tous les élèves de troisième étaient réunis dans une salle que nous appelions le foyer. Le Roi très solennel ouvrit une enveloppe et commença la lecture des élèves admis. Mes gamins admis poussaient des «» à l’appel de leur nom, tandis que certains baissaient la tête et se mouchaient. Le Père P…, au fond de la salle notait sur sa liste les élèves admis. Je craignais une explosion de sa part; il n’en fut rien sauf un regard haineux lorsque nous nous croisâmes. Mais, les épreuves écrites restaient un très lourd handicap pour mes gaillards. Le père P… ayant les meilleurs élèves, le score pouvait changer de camp. On organisa des révisions sauvages, les élèves restèrent au collège durant le week-end, malgré leur utilité aux travaux des champs. Nous étions en juin, et l’été prenait sa place, avec les foins, les coupes des blés. Les parents comprirent l’enjeu de cette initiative, et vinrent même nous apporter des fruits et des conserves. L’intendante du CET fit merveille en faisant confectionner des menus très vitaminés ! On révisa maths, technologie, dessin technique et surtout français qui était la matière la plus sensible de nos garçons. L’écrit arriva, toujours à Périgueux, au même lycée. Je me souviens de ce voyage, dans un calme presque religieux où nos gars révisaient encore ! La journée se passa comme celle de l’examen pratique; à midi nous vîmes nos jeunes au travers des grilles et leurs profs, comme dans des petites chapelles, vérifiaient les résultats des épreuves. Jean Claude Benoît professeur de maths, Jean Philippe Caron et Jean Claude Comte en français, Castaneira dit Cacagne en dessin technique, Jean Claude Darrack et Alain Dussutour, jeunes pions et moi-même encouragions les garçons pour une éventuelle note supérieure dans une autre matière. Cela remonterait le total des points nécessaires à l’obtention du CAP. L’examen passé, nous rentrâmes à Thiviers. Les garçons ne restaient pas à l’internat, car les travaux des champs les appellent. A la gare, les parents appelaient, et nous demandèrent des informations sur les chances de leurs rejetons.

Page 90: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

90

La semaine se passe, le CET est un peu vide, les troisièmes sont absents, mais tout le monde attend les résultats. M. Givernaud a informé les enfants que les résultats seraient annoncés la semaine prochaine. Le samedi, jour de marché à Thiviers, les familles sont là, devant le bureau du directeur. A droite de la porte d’entrée, un panneau est placé, mais aucun document. Le téléphone sonne alors, et on se doute que c’est la communication des résultats. Le Roi sort de son bureau tenant une feuille à la main; il la pose sur le panneau. Tout de suite c’est la ruée des élèves; tous recherchent du doigt leur nom. «Je suis reçu !» entend –on ! Parents et enfants se congratulent tandis qu’à l’écart des petits groupes se forment. Ce sont les malheureux gamins pour qui le CAP n’a pas été accordé. Je me souviens des jeunes et aussi de leur famille et de l’instant, pour ce qu’il est d’émotion et de partage de ces bonheurs mais aussi de ces déceptions. Le regard des uns et des autres vers moi disent bien ce qu’ils en pensent. Des familles partent sans mot dire, je sens bien à leur regard qu’ils cherchent une raison de cet échec et je n’ose imaginer que j’en suis le responsable, moi mais aussi autres profs… Pour ceux qui ont eu le CAP, c’est la possibilité d’avoir un travail chez Renault. Il faut dire que nous sommes à une époque ou l’industrie recrute et que le travail ne manque pas. Le résultat est bien sûr inférieur à la première partie; les lacunes de nos élèves ont été sanctionnées, surtout en maths et en français. La classe du père P… est en tête, car il a bien choisi ses élèves ! L’écart n‘est pas grand, mais justifie que des différences de niveaux existaient à l’origine. Mais, nous sommes quand même satisfaits, et aucun regret de nos heures passées à aider ces gamins. Les vacances d’été arrivent; je suis maître auxiliaire, corvéable à merci, et je ne sais pas si l’an prochain je serais reconduit. Je déménagerai de l’hôtel Bappel pour éviter de payer une pension. M. Bappel accepte que je range mes affaires dans le grenier. Cette première année de jeune prof m‘a confirmé que j’étais dans la bonne voie; toutefois, les difficultés allaient se confirmer par l’inscription au concours de PTA (professeur technique adjoint). Aux dires des anciens, c’était un concours difficile qu’il fallait préparer par correspondance. Dans cette année 1964 se dessinait un profil nouveau d’enseignement basé sur une meilleure relation avec

Page 91: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

91

les élèves. On parlait de méthodes actives, de pédagogie du succès et de la prise de responsabilité des élèves dans diverses activités. De ce côté là, les Centres d’apprentissage étaient en poupe... Des coopératives, des clubs existaient et une association avait été fondée. L’AROVET (association régionale des œuvres de l’enseignement technique) Cette association s’occupait alors de la formation d’animateurs socio-éducatifs et son siège était à Bordeaux. Son président, Nelson Paillou, allait être une personne, qui, dans ma vie, allait beaucoup compter. La célébrité de notre club de vieux meubles avait franchi les limites de l’académie par l’intermédiaire d’une grande cousine à ma mère, Melle Besse. Je l’avais connue dans les réunions de famille, vieille fille, ancienne résistante, elle occupait un poste important à la Jeunesse et aux Sports de Périgueux. Elle avait été invitée à l’inauguration du club, et son attaché de presse l’avait relatée dans le journal de l’académie. Des inspecteurs avaient vu là une filière pour promouvoir cette nouvelle orientation. Donc cette cousine, m’a introduit dans les couloirs de son service ! Elle me chargea d’organiser des veillées dans le canton pour sensibiliser les profs à cette forme d’animation. Dans le secteur de Thiviers, durant la résistance, des hommes et femmes avaient contribué à la libération de la Dordogne. Par l’intermédiaire de Germaine, elle me fit connaître des résistants et accéder à des archives. Avec les élèves du CET, nous parcourions le coin, enregistrions sur bandes magnétiques les entretiens et fixions par des photos ces moments de rencontres et aussi d’émotions. Une caméra de 8 mm nous avait été confiée, ce qui permettait d’adjoindre aux commentaires des images animées… La première de cette animation eut lieu à Thiviers au CET. Nous avions exposé toutes les photos et mis en valeur tous les documents. Nos élèves présentaient les entretiens dans des petits coins que nous avions aménagés. En parallèle à cela, Jean Philippe Caron et ses élèves décorateurs avaient placés en exposition leurs œuvres, ainsi que des meubles anciens restaurés. Cette initiative fut un succès. C’est aussi en 1964 que je connus Nelson Paillou. J’étais en dehors de mes occupations de profs, moniteur de centre de vacances à la FOL (Fédération des Œuvres Laïques) de Périgueux, et passait toutes mes

Page 92: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

92

vacances avec des enfants au centre d’Hendaye. Un jour, ma cousine téléphona au directeur du centre qu’il fallait que je rencontre Nelson Paillou avec une délégation d’élèves de clubs. Nous en désignâmes trois des plus actifs pour cette rencontre. Je pris ma 3CV AMI6 et nous voilà partis pour Bordeaux. Trouver le boulevard Aristide Briand, puis se garer, nous voici dans le bureau de M.Paillou. Il avait entendu parler de nos activités et voulait des précisions. Nous sommes restés trois heures à discuter ! Au premier abord, j’ai tout de suite sentit que quelque chose passait entre Paillou et moi, que son magnétisme me captait. Nous nous connûmes durant de longues années, et à son contact, je me suis complètement investi dans l’Éducation Permanente. Il m’a confié plusieurs directions de colonies de vacances, et une en particulier m’a laissé un souvenir émouvant: la colo d’Arette La Mouline… J’y suis revenu après son décès accidentel, et je lui dis, par la pensée: « merci Nelson.» Mais revenons à l’époque de Thiviers ! Nous rentrâmes par Bergerac où mes parents nous accueillirent. Un gamin avait été malade dans la voiture, nous l’installâmes dans un fauteuil relax. Joëlle, ma sœur, fut un peu conquise par un garçon qu’elle baptisa par la suite: Beatles… Quand au garçon, il me demanda souvent comment allait ma sœur; allez savoir ce qu’il s’imaginait ! Draguer la sœur de son prof ? A la réciproque, ma petite sœur aussi me demanda souvent comment allait le Beatles ? Cette première année de jeune prof, déborde sur le but de mes écrits, vous narrer mes souvenirs d’enfance ! Mais j’avais encore, malgré ma situation de jeune enseignant, l’esprit bien encore gamin ! On va laisser ce collège, pour revenir aux souvenirs de mon enfance. Nous nous étions arrêtés à cette colo de l’île d’Oléron. Dans cette année, mes parents avaient acquis une voiture, au prix d’une longue attente. C’était une quatre chevaux Renault, grise. Elle avait coûté 400000 francs, économisés. Mon père avait un ami, ancien prisonnier de guerre, qu’il avait retrouvé à Issigeac, petite bourgade en limite de la Dordogne et du Lot et Garonne. Pour lui permettre de gagner quelques sous, mon père René, lui avait avancé l’argent, pensant accélérer la livraison. Mais cet homme, avait une femme qui lui tenait sa comptabilité et qui se servait dans la caisse pour s’acheter des futilités. La livraison de la voiture

Page 93: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

93

tardait, et mon père se fâcha. Une après-midi de Mai, papa René, nous cueillit à la sortie de l’école. Nous avions à cette époque une 201 Peugeot qui roulait tant bien que mal non sans ajout d’huile et d’eau pour le radiateur. Nous apprenions que la 4 CV était arrivée chez le garagiste. L’originalité de cette voiture résidait dans le fait que le moteur se trouvait à l’arrière et qu’à l’avant il y avait un immense coffre. Je me souviens de son matricule: 684 X 24. Elle était grise, son intérieur gris aussi ! Pas de luxe, de l’utilitaire ! Joëlle et moi étions fiers de cette acquisition; nous allâmes voir mes grands parents à la Boine et l’auto fut l’attraction de cette chaude après-midi. Mon grand-père Elie et mémé Adrienne montèrent dans la voiture pour une promenade. Ma mère et Joëlle restèrent à la maison de la Boine. Nous allâmes à Villars pour voir un arrière grand-mère, la mémé Louise. Cette dame était la maman de mon grand père et une belle mère très dure pour ma grand mère. Parlons de cette mémé Louise, elle était née dans une famille très nombreuse; onze enfants. Ses parents cultivateurs métayers dans une ferme, périrent du choléra lors d’une épidémie des années 1850. La petite Louise qui avait alors cinq ans, et qui gardait des oies dans un pré, se souvenait du jour où elle vit ses parents et deux frères morts, partir dans une charrette vers le cimetière de Villars. Là, dans une fosse commune, les corps recouverts de chaux étaient regroupés. Comme ils étaient pauvres, l’enterrement fut lui aussi très pauvre. Cette mémé, que j’ai bien connue m’avait emmené vers un coin de ce cimetière où se trouvaient ses parents. «Gens » disait-elle en patois. Ses frères et sœurs furent dispersés dans les familles et quelques bonnes œuvres de la région. Les garçons furent mis dans des fermes comme futurs valets. Les deux filles, dont mémé Louise connurent pour l’une, la ferme d’une famille, et l’autre fut adoptée par les religieuses d’un couvent de Thiviers. Cette deuxième fille, que nous appelions Tante Hélène connut une vie meilleure. Les religieuses lui donnèrent une bonne éducation, s’imaginant sans doute en faire plus tard une religieuse ! Cette Hélène avait, je pense, un sacré caractère qui fit qu’elle ne devint pas religieuse. Elle apprit la broderie des choses sacrées. Nappes d’autel, chasubles de fil d’or et lingeries des bourgeois l’occupèrent jusqu’à l’âge de 60 ans. Elle quitta alors le couvent pour

Page 94: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

94

partager sa fin de vie avec Mémé Louise. Ces deux femmes de cultures différentes vécurent plus de vingt années ensemble, partageant les dépenses, les travaux du jardin, les promenades. La tante Hélène, lisait beaucoup et en particulier le journal Sud Ouest que mon grand père lui gardait. Ainsi, elle lisait les nouvelles à mémé Louise, jusqu’au jour ou elle se décida à lui apprendre à lire. J’ai assisté à ces leçons ou à l’aide d’une ardoise, Hélène se transformait en maîtresse d’école. Son élève progressait à grand pas et commençait à lire le journal. Hélène poussa l’apprentissage à l’aide d’un livre que j’ai retrouvé et qui s’appelait: Jacquou le Croquant d’Eugène le Roy. Ce qui était à la fois émouvant et comique, c’était l’appropriation des personnages par les grands-mères. Mémé Louise, racontait alors son enfance, et particulièrement l’épisode où dans la forêt elle se trouva face à face avec un loup. Elle frappa avec ses sabots et le bruit sec fit fuir le loup. Ce même épisode me fut aussi conté par mémé Adrienne et sa sœur Yvonne, qui revenant d’un bal, et traversant les bois, non loin de la Boine, firent fuir un loup. Donc Jacquou le Croquant devint le livre préféré de ces mémés ! La tante Hélène décéda et mémé Louise rejoignit sa fille (la tante Hélène) à Lanquais. Cette fille qui n’en voulait qu’à ses sous fit des manœuvres pour arracher Louise à sa maison. Mon grand père mit alors son véto ! Il dit à sa sœur qu’elle pouvait prendre sa mère chez elle avec ses sous, mais que lui vendrait la maison dès son départ. La mémé Louise partit, la maison fut vendue au futur propriétaire des Grottes de Villars, un dénommé Versavaud. J’eus beaucoup de peine à la nouvelle de cette vente; j’y avais aussi des souvenirs d’enfance et d’adolescence vécus avec une grande complicité avec cette mémé Louise et cette tante Hélène. J’étais déjà un ados, l’internat de Sarlat m’avait ouvert les yeux, et pour moi ces vacances étaient superbes. A Villars, lors des vacances d'été, il y avait un cinéma dans un café sur la place. Un opérateur venait tous les jeudis avec son matériel. Il s'installait dans l'arrière salle du café, plaçait son appareil au fond, tendait une grande toile blanche, puis plaçait des bancs devant pour les enfants, et des chaises pour les plus âgés. En payant à l’entrée, la dame du café nous donnait un coup de tampon sur le bras, justifiant notre paiement. Comme j’étais un grand de la ville, j’avais la notoriété d’aller m’asseoir sur les chaises.

Page 95: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

95

Les gamins s’installaient sur les bancs qui grinçaient. Les films étaient toujours des films d’aventures, au vu de la jeunesse des spectateurs. Les bisous ou baisers sur l’écran causaient des commentaires, variables selon le degré de connaissances des individus ! L’été, on attendait dix heures pour commencer la projection. Au sortir de ces séances, je rentrais avec quelques copains et copines, avec quelques détours par un lieu localement connu des ados de cette époque: la maison bourgeoise ! Cette maison bourgeoise, était durant l’été louée par une colonie de vacances de filles de Paris. L’enjeu était de lancer des cailloux sur les tentes qui se trouvaient dans le parc, voire parfois de rencontrer les filles qui, avaient eu la permission d’aller au cinéma! Il faut avouer que les Casanova en herbe que nous étions fantasmaient plus qu’ils n’obtenaient de ces filles! Au retour m’attendaient la mémé Louise et la tante Hélène, qui se doutaient bien de mes détours mais accusaient d’une certaine fierté quand à ma condition de petit homme. Il fallait alors raconter le film en long et en large, préciser qui il y avait … Le tout se terminait par un petit gâteau. Mémé Louise, me parlait souvent de Gaby mon père, ce qui m’apprit quelques bribes de sa jeunesse. Une anecdote que j’ai maintes fois racontée concernait les relations tendues entre mémé Louise, son fils Elie et mémé Adrienne. Mémé Adrienne ne gardait pas un bon souvenir de sa belle mère; à son mariage, elle avait dû partager la maison avec elle. Cette femme, très dure, de par son enfance également difficile avait une parole très acerbe; elle ne pensait qu’au travail. J’appris que lors de la grande guerre de 1914-1918, Elie fut blessé à la bataille de Bapaume. Il eut droit à une pension d’invalidité et un emploi de garde-champêtre à Saint-Capraise de Lalinde, petit village en bordure de la rivière Dordogne. Plus tard, ils partirent à Lanquais, où ils s’établirent. Pépé, ayant passé le concours de vérificateur des Tabacs, se trouva ainsi au milieu des champs de tabac. Mon père Gaby grandit dans ce village, fréquenta l’école jusqu’ au certificat d’études… Sa petite école, faisait face à la place du village. En face, l’église, puis au centre le monument aux morts, à l‘époque celui de la guerre de 1914-1918. L’instituteur M. Meymie, homme sévère, hussard noir de la République

Page 96: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

96

menait sa classe assez durement. La classe était unique, recevant les enfants de tous âges. Les petits étaient encadrés par les plus anciens. Le certif, diplôme reconnu, voyait l'affrontement des villages aux alentours, et surtout permettait à quelques-uns d'accéder au cours complémentaire. Mon père fit partie de ces garçons et filles et se retrouva au lycée de Belvès. Cet établissement avait un internat; Gaby eut un grand ami dont j'ai parlé, plus âgé que lui. Celui-ci devint aussi mon grand ami et fut tout au long de ma vie un grand conseiller. Gaby et Louis, se retrouvaient à Lanquais et mémé Adrienne fut pour Louis une seconde maman. IL avait une moto et arrivait avec mon père lors des dimanches de sorties. Mémé me raconta, qu’un soir de l’hiver, ils arrivèrent tous les deux complètement gelés ! Mon père qui par sa grande taille dominait Louis sur le siège du passager de la moto avait pris tout le froid pour lui. Ils entrèrent dans la cuisine, se jetèrent sur la cuisinière et, en quittant leurs habits, ils s’aperçurent qu’ils tenaient tout droit sur le plancher ! Mémé saisit alors la bouteille d’eau de vie parfumée à la lavande et les frictionna. Pendant ce temps, pépé Elie prit des braises dans le foyer de la cuisinière et les mit dans une chaufferette appelée moine. Composée de deux arcs en bois, l’engin, permettait de tenir une bassine renfermant les braises. Pépé passa cet engin entre les draps du lit, le réchauffant ainsi, et nos deux grands gaillards se glissèrent sous la couette du lit... Tous les deux partageaient à chaque rencontre, la grande chambre qui donnait sur la vallée de la Dordogne. Une grande fenêtre s’ouvrait sur cet environnement. Mon père, avait pris des cours de musique, et jouait de plusieurs instruments. Au départ, il avait appris le violon, puis l’accordéon et enfin la batterie. Ce dernier instrument, continuait l’apprentissage du tambour effectué à son plus jeune âge dans l’harmonie municipale de St Capraise. J’ai retrouvé dans un tiroir de la Boine, une photo agrandie de mon père. Mémé l’avait conservée, comme bien de petites choses enfermées dans des boîtes en fer. Récemment Laetitia, mon aînée trouva au fond d’une armoire, une boite métallique dont le contenu l’intrigua.

Qu’est que cette poupée noire, voilée, et ses bandeaux noirs aussi font là?» Me demanda –t-elle ?

Je connaissais cette boîte ! Ma grand-mère Adrienne me l’avait souvent ouverte depuis mon plus jeune âge. C’était une poupée ramenée du Caire, lors d’une mission de la marine Nationale.

Page 97: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

97

Lors de ce voyage des années 1937, Gaby avait ramené cette poupée, assez curieuse, drapée d’une tenue noire et voilée. Dans cette boîte, deux petits bonnets de marin avec leur pompon légendaire, le ruban Marine nationale et un brassard noir… Le deuil se distinguait ainsi, les hommes portaient un brassard, les femmes s’habillaient de noir durant une année. L’an suivant, le brassard était remplacé par un petit bandeau sur le revers de la veste. Quand à mémé, elle porta le noir jusqu’au dernier jour de sa vie. Elle agrémentait sa robe selon les moments. Pour notre mariage, elle se fit faire une robe avec un col blanc, ce qui nous émut à tous. Cette écriture de souvenirs pourrait être inépuisable; je vais marquer une pause pour quelque temps. Je ne sais si, comme je l’écris au début, en puisant dans ma mémoire, comme dans une source, je continuerai… Mais, pour clore ces pages, je glisse deux photos, mémé Adrienne dans les derniers jours de sa vie avec Janine votre maman, et celle des deux mémés, dont mémé Besse quelques jours après notre mariage, le 1er septembre 1973. J’ai arrêté l’écriture de ces souvenirs le 18 décembre 2007.

Page 98: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

98

Écrit pour Laetitia et Aurélie Roussary

Et plus tard aussi

Pour Noura, Nino et Naïma

Merci à Janine votre maman pour son aide.

Merci aussi à ma mère, mamie Denise

Page 99: SOUVENIRS D'ENFANCE - e-monsiteromanperso.e-monsite.com/.../souvenirs-d-enfance-jp.pdf1 SOUVENIRS D'ENFANCE Chaque jour qui s'écoule m'éloigne de mon enfance. C'est comme un compte

99

Merci pour la mémoire, à mon professeur de français des années 1954/1957, Monsieur Guy Bordes qui m’a donné le goût de la lecture et de l’écriture. Merci à Louis Lamaurelle, le meilleur ami de mon père Gaby, pour tout ce que j’ai découvert avec lui de la richesse de l’amitié et de la Laïcité. Lâché un jour dans le ciel de la Dordogne, à bord d’un avion Jodel, Il a guidé ma main sur le manche à balai pour atterrir… Plus tard dans ma vie, et seul les initiés comprendront ? Nous nous sommes découvert l’un et l’autre, et de ce jour, nous nous appelâmes : Mon Frère Louis, mon Frère Jean-Pierre. Avant de passer à L’Orient Eternel, il a lu ces pages, m’en a fait un commentaire que je n’oublierai pas et m’a remis ces pages manuscrites qui terminent ce recueil de souvenirs.