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PARIS. IMPRIMERIE IMPÉRIALE. M DCCC LX%11. L'ÉGLISE p rrr ,urrtrr iI Li±1i sous LES PREMIERS ROIS DE BOURGOGNE, PAR M. B. ITÀUHÉAU. I Document I Il Il 1111111 MIII! 1111111 HI 0000005782253

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PARIS.

IMPRIMERIE IMPÉRIALE.

M DCCC LX%11.

L'ÉGLISEprrr,urrtrriILi±1i

sous

LES PREMIERS ROIS DE BOURGOGNE,

PAR M. B. ITÀUHÉAU.

I Document I

Il Il 1111111 MIII! 1111111 HI0000005782253

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L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

n

SOUS LES PREMIERS ROIS DE BOURGOGNE.

Les. Bourguignons, originaires de là Germanie, étaientvenus d'abord, en des temps obscurs', s'établir aux fron-tières de la Gaule et aux sources du Rhin, sur les terres desHelvétiens et des Séquanais. Plus tard, vers l'année 450,cette date même n'est pas précise, ils levaient de nouveauleurs tentes souvent inquiétées, franchissaient les Alpes Pen-nines, et descendaient vers le pays des-Salasses, sur la rivedroite de l'Isère; On les voit ensuite définitivement fixés surce territoire, qui sera leur dernière patrie, s'avancer de làvers le nord jusqu'àa Langres, vers l'ouest j usqu'à . Nevers, versle sud jusqu'à Marseille, et dominer quelque temps sur unevaste étendue de la' Gaule, où étaient de grandes et opulentescités : Dijon, Besançon, Autun, Mâcon, Genève, Lyon,Vienne, Embrun, Arles et Montpellier.

Les historiens quLnous font assister à ce rapide dévelop-pement dé la puissance bourguignonne ne pai1ent guère

En l'année 373, suivant la Chronique de saint Jérôme; Rer. Gallic. scripL t. I.p. 6i'.

-L'Église et l'Étal.

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de dévastations, de massacres. Nos Gaulois, en particulierceux de la noblesse, amollis et même corrompus par le goûtét la recherche de toutes ]es élégances, s'accoutumèrent dif-

• licdement, cela n'étonne guère, au contact de ces rustiquesétrangers. Sidoine Apollinaire nous les représente commedes géants, gigantes, ou du moins des hommes de sept pieds,sepiipecles, inondant de beurre rance leur luxuriante chevelure,infundens acido comam butyro, et offensant les narines gau-loises par une forte odeur d'ail et d'oignon'. Ainsi notre évê-que délicat et bel esprit ne pardonne pas à une nation deforestiers, de bûcherons, d'avoir conservé sa vigueur et sesmoeurs natives ,eri quittant ses tanières des montagnes noi-res; niais il n'a rien de plus dur à dire contre elle, même envers, même dans une épître confidentielle à un ami. II estGaulois, il al'orgueii de sa race: il déteste et fuit tous les bar-bares, sans discerner, comme 111e confesse à Philagrius, lesbons des méchants. Quoi qu'il en soit, il n'accuse pas, luimin plus, les Bourguignons d'avoir eu, comme d'autres bar-bares, le goût du meurtre, et d'avoir marqué leur passage dansles Gaules par une longue trace de sang.

Alors mêtiie qu'ils habitaient leurs forêts et leurs cavernes,ces géants,, qui n'étaient pas des guerriers nomades, mais desartisans sédentaires, ne s'étaient fait connaître dans le mondelatin- que par leur humeur paisible. L'historien Socrate dit sim-plement sur les Bourguignons : « lis mènent une vie toujoursu tranquille 2 .» Paul Orose, instruit, vers l'année 416, de leursbons rapports avec les Gaulois rhénans, nous atteste qu'ils lestraitaient, après avoir conquis leur pays, non comme des vain-cus, mais comme des frères chrétiens, avec la plus grande

Carme,, cd Cauzllinum. - Hist. eccics. tib. Vii, c. xxx.

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douccur,blana'e, mansuete, sansjamais leur faire aucune offense,innocenLer . il est d'aillèhrs connu qu'un décret impérial leurattribua, dès qu'ils pénétrèrent dans la plus florissante régionde la Gaule, une part considérable des esclaves et des terres'.Ce qui a permis de supposer que les Romains, résignés, de-puis qu'ils sentaient le déclin de leurs forces, à pactiser mêmeavec les barbares, avaient eux-mêmes appelé sur la frontière.clés Alpes les robustes, vaillants, mais pacifiques Bourgui-gnons, pour opposer cet obstacle aux bandes féroces des Francset des liuns-

Si les rois bourguignons rencontrèrent d'abord dans lesGaules une résistance dont les anciens auteurs ne parlent pas,ils eurent, on le reconnatt, la sagesse de se concilier assez vite,et du moins pour quelque temps, la plèbe gauloise et son 'clergé.Cependant ils étaient ariens.

Orose dit que, de son temps, ils étaient catholiques. Ce quisemble douteux à (1011) Bouquet. Aussi fait-il observer qu'ilsne tardèrent pas trop, après la mort d'Orose, à changer dereligion. « Catholiques, dit M. Fauriel, dans leurs premières«stations • entre le Rhin et les Vosges, ils étaieit arrivés ouo brusquement devenus ariens dans leurs stations définitivesentre le Rhôie et les Alpes'. o On ne s'explique pas la brus-

querie en une telle affaire. Un peuple vaincu se soumet, etse convertit ensuite, avec plus ou moins de facilité, à la reli-gion de ses vainqueurs; mais un peuple qui marche de con-quêtes en conquêtes, conduit par des chefs entreprenants ethabiles, ne rejette pas brusquement sa religion, lorsqu'elle estcelle du pays où il s'implante, où il veut vivre en paix, pour

P. Orosii Hist. 11h. VII, e. xxxii.Les deux tiers des terres et le tiers

(les esclaves. (Augustin Thierry, Lettres sur

l'histoire de France, lettre 6. - Hist.de la Gaule rndrid. t. I, p . b.

M

t

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adapter précisément celle que ce pays déteste le plus. Cela estau moins invraisemblable. Ne sJpposet_on pas plus volontiersque Paul Orose, prêtre espagnol, qui passa toute sa -vie horsd'Espagne, en Afrique, en Asie, qui n'a raconté, comme il l'a'-voue, que sur des rapports, des rapports très-peu fidèles, lesprincipaux événements dont l'Espagne elle-même fut alors le-théâtre, s'est .trompé sur la religion d'une peuplade barbarenouvellement établie aux frontières de la Gaule, et dont lamansuétude arienne ne pouvait êt?e comprise par un catho-lique de son temps?

L'opinion de dom Plancher est que la conversion des Bour-guignons à l'arianisme fut moinsbrusque, c'est-à-dire beau-coup pins tardive. Non-seulement, en effet, il prétend que cepeuple, gagné très-anciennement par des apôtrçs latins, onne sait lesquels, à la religion catholique, ignorait la thèsemême d'Anus lorsqu'il pénétra dans le coeur de la Gaule, etvint se mêler sur les champs de bataille aux trop subtilsWisigoths; mais il ajoute que les premiers rois de notre Bour-gogne, Gundiokb et Chilpéric, vécurent fermement attachésà la croyance de leurs ancêtres, et que l'arianisme infecta leurnation après eux; ce 'qui est une autre hypothèse, encoremoins admissible, à notre avis, que la première.'.

Il est vrai que Gundiokh et Chilpéric se présentent à nous,dans les légendes, avec un tout autre visage que celui de cesfarouches sectaires,- l'un arien, l'autre catholique, Euric etClovis. Ils accueillent avec faveur-les moines gaulois, se plai-sent à les entretenir, leur donnent de riches domaines, et con-tribuent avec une bienveillance persévérante à la fondation

Dans sa thèse remarquable quia pourcelte opinion de dom Plancher; mais il la

titre De l'arianisme des peuples gernuini-propose plutôt qu'il n'essaye de la justi-

ques, M. Charles Revillout Paraît adopterfier.

-t,

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de leurs cloîtres, de leurs églises. Ainsi Gundiokh, qu'on nousdit, mais sans preuves, fils ou petit-fils d'Athanaric, roi desGoths 1 , n'avait pas contre les chrétiens la haine farouche quecertains chroniqueurs attribuent à ce païen il n'était restéfidèle ni à sa religion, ni à sa politique, cette politique ayanteu pour Athanaric les conséquences les plus funestes. Gun-diokh était chrétien, ou croyait l'être. Mais il est vraisem-blable que les chroniqueurs catholiques l'auraient expressé-ment compté parmi les rois de -leur communion, s'il en avaitété. Le premier des rois barbares dont ils célèbrent l'ortho-doxie, c'est Clovis.

Pour ce qui regarde les sentiments religieux de Chilpéric,nous cherchons un témoin plus authentique que dom Plan-cher. M. Fauriel croit pouvoir affirmer, d'après Sidoine Apol-linaire, qu'il était arien . Mais le langage de Sidoine Apolli-naire, qui est rarement clair, est ici très-obscur. Cependantaurait-il qualifié cc prince avec tant d'âpreté, l'aurait-il dé-noncé comme un farouche usurpateur, un Tarquin, un Lu-cumon, ainsi qu'il l'appelle, s'il avait été catholique P Onne le croit pas. En outre, le frère, le successeur immédiat deChilpéric, Gondebaud, était incontestablement arien, et nous•le voyons, non pas seulement dans les narrations toujoursornées, toujours suspectes, des légendaires, mais dans lesrécits des chroniqueurs, dans les lettres écrites de son vivantpar des clercs romains de son royaume, enfin dans les procès-verbaux des conciles, plus bienveillant encore envers les catho-

Vita S. Chrotildis, dans ic Recueil deshist. de Fronce, t. 11, p. 397.

2 Si toutefois Athanaric était païen,comme le prétend M. Bevillout, p. 29,avec l'auteur des Actes de S. Sabas. Mais

.Iornandès, l-listor. Gothor. e. xxviii, ledonne pour successeur à Witigeni OWitigern était arien. Atiianaric n'a peut-être persécuté que les catholiques.

liist, de in Gaule mérid. t. I p. 31&

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liques et que son père et que son frère. Ce que reconnaissenttous lès historiens modernes, même M. l'abbé Parizel, auteurd'une thèse sur Avitus où la plupart de ces historiensmo-dernes sont aussi maltraités que les ariens. Ce qu'Avitus ex-prime nettement, dans une phrase courte, mais énergique,quand pour témoigner à Gondebaud sa vive reconnaissance,il lui dit: ((fout ce que pèssède mon église, ainsi que leso autres églises de Bourgogne, vient, de vous; tout notre avoir'(est ce que vous nous avez conservé, ou nous avez donné I,,

La preuve alléguée par dom Plancher a donc peu de va-leur. Pour notre pari, en l'absence de documents certainsqui nous fassent connaître en quel temps, en quelle occasion,Gondebaud prit 'e parti de renoncer à la foi de sa race,etpar quel acte d'autorité ce roi, si tolérant en matière de re-ligion, entraîna tout son peuple dans son éclatante apostasie,nous croirons, avec M. Augustin Thierry', que les Bourgui-gnons arrivèrent dans les Gaules ariens comme les Goths, lesGépides, les Vandales, les Émies, les Suèves, leurs voisins etdéjà leurs alliés, comme eux chrétiens ingénus, initiés à lareligion nouvelle par les missionnaires ariens de Valens ouquelques disciples d'Ulphilas, cet illustre évêque que les Gothsappelèrent leur Moïse, ignorant' donc non pas la thèse d'A-nus, mais le mystère de la trinité, et n'ayant pas encoreappris à en soupçonner l'importance.

Ce qu'ils apprendront plus tard, pour leur malheur, puis-qu'ils doivent avoir pour maîtres en théologie les plus farou-ches des Barbares, les Francs. Que de combats seront livrésPour convertir ces hérétiques! Que de villes pillées, brûlées

Sirmon4i Opera varia, t. 11, col. 55.Jornandes, Nia. Goth. c. xxv,2 i-iùt. de la conq. de rA,1916t. t 1, p.

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-7—et rasées! Que de provinces envahies, et de populations exter-minées, ariennes et catholiques, barbares et romaines!

Quelques historiens, en qui. survivent les mauvaises pas-sions d'un autre âge, et qu'elles aveuglent, prétendent que lesFrancs, les Huns, les Vandales, ont été des fléaux aux mainsde Dieu; que Dieu s'est servi de ces abominables auxiliaires,Pour saccager, ruiner, anéantir le vieux monde, et préparerainsi l'établissement du monde nouveau. C'est faire Dieu biencruel. Ce n'est pas le faire bien habile. Nous accordons, sansaucune difficulté, que l'honneur d'avoir relevé tant de ruines,eu d'autres termes d'avoir restauré la civilisation après tant dedésastres, appartient surtout à l'Église catholique; et, puis-qu'on a trop longtemps méconnu ce service, nous nous plai-sons à proclamer qu'elle l'a rendu. Mais comment l'Églisea-t-elle mené si loin cette belle entreprise? Il n'y a rien là desurnaturel ou de ténébreux; tout se passe au grand jour, etl'impartiale histoire enregistre les faits comme elle les voits'accomplir. Un peu moins maltraitée par les hârbares que lasociété laïque, plongée moins bas dans l'abîme de l'ignorance,l'Église reparaît aussitôt après la tourmente, recueille avec zèle,au milieu des décombres, tout ce qui reste des monumentsde l'antiquité, et étudie d'abord ceux qu'elle peut d'abordcomprendre, pour s'instruire ensuite, lentement, graduelle-ment, h l'école de saint Augustin, de Sénèque, d'Aristote etde Platon. En même temps et au jour le jour elle commu-nique avec empressement la science qu'elle a reçue, répare etrenoue les anneaux rompus de la tradition, et, au prix des pluslaborieux efforts; ramène enfin la société moderne presque audegré d'instruction et de liberté-morale où se trouvait, l'an.-tique société chrétienne, au moment où l'invasion des Francs

commencé. Or, puisque ce labeur a duré près de dix sM-

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-8--des, ne doit-on pas juger ail moins inopportune l'interventiondes fléaux de Dieu?

Mais l'erreur que nous combattons ne fut pas toujours,hélas! un siniple sophisme. II est trop vrai qu'au temps où lesFrancs, livrant pour la première fois à l'incendie la ville deTrèves, après en avoir égorgé presque tous les habitants, si-gnalaient ainsi leur entrée victorieuse, dans les Gaules, on en-tendait un prêtre chrétien, échappé comme par miracle à cethorrible massacre, et réfugié dans les murs de Marseille, appelerlui-même sur cette rive lointaine les dévastateurs de son paysnatal. Il est trop vrai que cette voix du prêtre Salvien, apologisteégalement passionné des Bagaudes et des Barbares, de tout élé-ment destructeur de la société romaine, n'était pas, au cin-quième siècle, une voix isolée. Il est trop vrai qu'au siècle suivantl'église des Gaules fut presque tout entière .possédée de cettefureur, et que ses trahisons furent complices de tous les in-cendies, de tous les meurtres barbares.

Nulle part, à notre avis, cette complicité ne fut plus cou-pable et plus funeste que dans les provinces, comprises sousle gouvernement des rois, bourguignons. On verra, dans lespages qui vont suivre, comment l'humeur facile et là tolé-rance 'éclairée de l'arien . Gondebaud forcèrent quelque tempsles chefs du clergé gaulois à respecter une puissance qui lisprotégeait sans les humilier. Mais après Gondebaud viendraSigismond, son fils, catholique fervent, qui néanmoins refu-sera d'être, aux mains de son église,' le glaive toujours tourné'contre l'église hétérodoxe; et c'est alorsqu'on verra non-seu-lement de simples clercs, mais encore les premiers des évê-ques, s'éloigner de ce roi, le trahir, le perdre, et se perdreeux-mêmes, entraînés par le dangereux.appât de la domina-tion à méconnaître les avantages plus sûrs de la liberté. Le

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châtiment fut, en effet, aussi prompt que terrible; mais on•n'hésitera pas à dire qu'il fut mérité.

Gondebaud commençait à régner vers l'année 491. il ha-bitait Lyon. Godegisile, son frère, résidait à Genève. On acoutume de rapporter, non pas en traduisant; mais èn coin-nenLant Grégoire de Tours, que Gondebaud et Godegisileavaient accru leurs domaines en massacrant et en dépouillantdeux autres de leurs-frères, Chilpéric et Gondomar. Grégoirede Tours dit plus simplement', sans faire aucune allusionaux circonstances, que Gondebaud avait fait périr par le glaiveson frère Chilpéric.

Nous le savons trop, une ambition toujours plus respectéeque respectable, l'ambition de la puissance, a souvent pousséles meilleurs des rois barbares à commettre les forfaits quinous causent aujourd'hui le plus d'horreur. Et cependant onne lit pas qu'ils leur aient été souvent reprochés par leurspeuples. La loi qui réglait le partage: égal des héritages entreles frères ne pouvait être, en effet, toujours scrupuleusementobservée par les fils des rois: elle eût affaibli les nations pardes mutilations trop fréquentes. De là tant de guentes frater-nelles, et., à la fin de ces guerres, des meurtres si nombreuxqu'ils semblent autorisés par rusage. Cela toutefois ne suffitpas pour mettre le meurtre de Chilpéric .âu.compte de l'am-bition de Gondebaud, D'après d'autres historiens, que cite etsuit M. Pauriel, Gondebaud et Godegisile, dépossédés parGondomar et par Chilpéric de leur part d'héritage après lanort de Gundiokh, c'est-à-dire en l'année 463, auraient vécuvingt-huit ans en Italie, fugitifs ou proscrits,, et en, seraientrevenus, avec des-troupes latines, pour faire valoir leurs droits

)iist. Franco,'. lili. II, C. xxviii,

L'Église et l'État. . 2

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longtemps méconnus. Alors auraient été livrés de grands combats, et Chilpéric, vaincu par Gondebaud, aurait expié sonusurpation par un supplice légal'.

Cela sans doute nous éloigne beaucoup de la narration sou-vent.reproduit'e, et peut-être fabriquée, comme plusieurs au--tres, par les historiens francs, pour justifier, pour ennoblirles impitoyables fureurs de la fille de Chilpéric'. Cependant,cela même ne paraît pas exact. Voici un document contem-porain, qu'il faut lire et -méditer. Gondebaud venant de per-dre une de ses filles, Avitus, au, nom de tous les évêques duroyaume de Bourgogne, s'efforce de le 'consoler, et, ' danscette intention, il lui remet en mémoire la mort de Chilpéric-et de Gondomar: ' Vous gémissiez autrefois, lui dit-il, avec« une tendresse indicible, sur le trépas de vos frères; ,tout« votre peuple affligé accompagnait leurs funérailles avec deslarmes et des sanglots: et- pourtant,, par uxi- secret dessein

u de la divinité, ce qui faisait notre tristesse devait faire notre«joie. Pour le bonheur du royaume, le nombre des personnes -ni royales était diminué, et il n'en restait en ce monde que cequi était nécessaire à l'État. Comment, de bonne foi, sup-

poser qu'un évêque, écrivant une lettre publique au nom de

lEst, de la Gaule rnérid. t. I, p. 317Voir la dissertation de M. Fauri1 sur

les récits fabuleux du mariage de Cloviset de Clotilde. (Hist. de la Gaule mdrid.t. II, p. 493.)

'n Flehatis quondam pictateineffahili fu• fiera germanorum; sequebatur fietumpu-« blicum universitatis afihicti& et, occulte• divinitatis intuitu, instrumenta mcestiti&• parabantur ad gaudium minuebat regni --n felicitas numerum regalium personarum.n et hoc solum servabatur mûndo quodn sufficiebat imperio. ' (Avili epi.st. 5.)

Cette supposition a été admise parM. Mermet (Rist. de la ville de Vienne,t. II, p. 202), et par M. Cudieval, De S.Avili Ope;'i bus, P. 29 Il n'y n pas lieu des'arrêter à la conjecture frivole de M. l'abbéGodai (Défense de l'Église, t. 1, P . 37),qui, pour justifier le langage d'un évêquecatholique, sans disculper la conduited'un, roi arien, donne à Gondebaud deuxautres frères, inconnus à tous les histo-riens, morts en pleine paix, et sans doutele même jour.

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- il -tout l'épiscopat bourguignon, ait eu l'inconvenance, la sottise,disons mieux la scélératesse de rappeler en ces termes au roiGondebaud le meurtre de ses deux frères, sans aucun à-propos, uniquement pour orner de quelques antithèses, dansun compliment de condoléance, un argument de rhéteur?Cela est incroyable, ainsi que le fait observer à bon droitM. Ampère. Et cependant, après quelque hésitation, M. Am-père lui-même se décide à le croire, admettant alors, il estvrai par simple conjecture, que le fier Avitus s'est rendu cou-pable de cette infâme bassesse pour rendre les oreilles deGondebaud plus attentives et plus faciles aux discours tou-chant sa conversion. On se persuadera plus volontiers, il noussemble, que si Chilpéric 'et Gondomar ont fini, comme lerapportent les historiens francs, par une mort violente, ilssont morts en combattant, en combattant pour maintenir leurusurpation coupable, et qu'ils n'ont pas eu leur propre frèrepour assassin ou pour bourreau.

On ne saurait, avons-nous dit, apprécier le caractère person-nel d'unroi barbare d'après les actes qui précédèrent ou accom-pagnèrent son avénement; et sur ces actes mêmes il ne faut paslégèrement admettre tout ce qu'on a raconté les anciennesrelations n'étant pas beaucoup plus véridiques que les der-nières. Pour ce qui regarde Gondebaud, dans ce frère certai-nement calomnié nous allons faire voir, d'après des témoi-gnages irrécusables, un roi doux, bienveillant, moins jalouxd'accroître sa domination que de respecter tous les droits,barbare d'origine et conservateur studieux des choses ro-maines, protecteur des personnes et des intérêts catholiquesquoique arien, quoique entouré de prêtres ariens, particuliè-rement habile à discerner les limites des deux puissances, ettrès-attentif , à, ne jamais franchir, pour sa part, celles de la

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puissance civile. Ce ne sera pas seulement un curieux spec-tacle: cc sera certes un argument considérable pour prouver

• la supériorité morale des rois bourguignons sur les rois francs.• Que de siècles s'écouleront avant que le principe de la tolé-

rance religieuse soit devenu, chez les Francs, une maximed'État! Que de siècles pendant lesquels les plus. simples no-fions de la justice seront méconnues, les consciences énervéesayant perdu même le sentiment de l'oppression!

Gondebaud, à peine affermi sur son trône, choisit poursecrétaire et-pour conseiller le docte Alcirnus Ecditius Avitus,archevêque de Vienne; qui, .par sa naissance, par sa clientèleet par son mérite personnel, était assurément le plus illustredes prélats de ]'Église catholique dansies provinces réuniessous l'autorité des rois bourguignons. Peu de temps après,l'archevêque et le roi, bien que séparés par leurs opinionssur quelques matières religieuses, étaient devenus familiersl' un à l'autre, délibéraient ensemble sur les affaires de l'Étatet de l'Église, rédigeaient ensemble des manifestes politiquesà l'adresse des rois étrangers et des populations diversementsoumises à leur tutelle, enfin se montraient ensemble en pu-.blic, sinon avecle même appareil, la même escorte de satel-lites; du moins avec le même' d'autorité, qui commandaitle même respect.

Il existe des lettres écrites par Gondebaud., sous la dictéed'Avitus, à l'héritier de Constantin. Elles contiennent d'hum-bles protestations d'obéissance. L'empire d'Occiden t n'est plus,et Gondebaud. n'a certes rien à redouter de cet Anastaseindolent et sombre, qui se dérobe auxaffaires mêmes de songouvernement oriental, afin de se livrer tout entier aux pra-tiques d'une minutieuse piété. Pour ce qui regarde Avitus, cecatholique scrupuldux, très-versé dans la pratique des lettres

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grecques, très-ai'dent adversaire de toutes les sectes orientales,ne peut avoir beaucoup (le penchant pour un ascète d'une foisuspecte, favori des manichéens et des ariens. Mais ce n'estpas lui qui signe les lettres à l'empereur Anastase; et il ne lesdicte pas comme évêque, maiscomme secrétaire d'un roi.

• Lisons donc dans ces épîtres ce qui s'y t,rouve non des Bat-teries vaines ouïntéressées, mais la aéctaration expresse d'une

• doctrine, certainement enseignée par Avitus, et publiquementad mise, professée par Gondebaud; Or voici le premier et prin-cipal article de cette doctrine : Constantinople étant désotmaisl'uniqn,e métropole de la société politique, l'empereur d'Orient,quel qu'il soit, s'appelle César, et, à ce titre, il domine tousles rois, il attend de tous les rois l'hommage d'une soumissionprosternée.

Anastase, il nous semble, n'en attendait pas autant duBourguignon Gondebaud. Mais pins cet hommage est libre,plus il est sincère. Après la mort de Gondebaud, Sigismondson fils, sous la dictée du même Avitus, écrira dans lesmêmes termes à Anastase: « Mon peuple est votre peuple, et«je suis moi-même plus heureux de vous servir que de lui« commander. .... Lorsque nous paraissons gouverner notreo nation, nous nous estimons simplement vos soldats ......Paru nous, vous administrez les, vastes territoires des plus loin-u taines nations; notre patrie est contenue dans votre univers.L'Orient envoie sa lumière à la Gaule, et le rayon qui vient

• u de là-bas nous éclaire ici. » Cette dernière lettre est del'année 5. 17; elle est à l'adresse d'Anastase, presque réduit enservitude par le rnaîtr.e de sa milice, accablé d'ans et de honte,n'ayant plus rien d'un empereur que les insignes,, que le

Epistol. Avili, epist. 83.

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nom. Le secrétaire de Gondebaud et de Sigismond professedonc, sans égard aux circonstances, cette opinion, que touteroyauté est une lieutenance de l'Empire, et que tous les roisrelèvent de l'empereur qui réside à Constantinople.

De même, et l'on comprend l'importance qu'Avitus ne man-que pas d'attribuer à cette thèse parallèle, tous les. évêquesrelèvent dupape, dont Rome est le siége. On enseigne déjàque l'évêque de Rome doit exercer sur les autres évêques uneautorité souveraine, comme héritier du prince des apôtre, desaint Pierre. Avitus le sait, et quelquefois le répète. Mais, enoutre, Avitus est un Gaulois; c'est donc un Romain. Avant desuccéder à son père sur lé- si', métropolitain de Vienne,Avitus était un des sénateurs de la Ville éternelle, et en pre-nant possession de h mitre épiscopale, il s'est réservé cettedignité civile : ce qu'il a soin de rappeler, non sans orgueil,dans une de ses lettres à Faustus et à Symmaque, patriciensde home: Sanator ipse Romctnus'. Depuis que l'expulsion d'An-gueule a dissipé le fantôme d'un empire d'Occident, Home,qui est toujours la première des cités latines, d'où l'esprit latinrayonne encore sur le monde, que n'a pas souillée, que nepeut souiller la contagion des hérésies grecques, Rome estpour Avitus,- quoi qu'il pense, d'ailleurs, dei-la primauté desaint Pierre; la métropole de l'Église chrétienne. A proposd'une accusation portée contre le pape Symmaque, il écrit:'(Si le pape de la Ville, Urbis, est soupçonné, ce n'est pas un((évêque 'qui chancelle, c'est l'épiscopat tout entier. Dansune autre de: ses lettres, if dit à Senarius, -sénateur, et peut-être chrétien comme lui: « C'est, tu le saisi, une des prescrip-«tions de notre loi, que, s'il' s'élève un doijte à l'égard des

Sirmondi Opera varia, 4. 11, col, liS. - ' Ibid. col. 52.

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' choses qui concernent l'état de l'Église, nous devons recouriro au souverain pontife de Borne, à qui nous sommes soumiscomme le sont au cerveau les membres subalternes. C'est

« pourquoi j'ai fait parvenir au saint pape Hormisdas le té-« moigriage empressé de ma vénération . » Ecrivant ensuiteau pape Symmaque, successeur d'Hormisclas, il l'appelle entoutes lettres « pontife de l'Église universelle, universalis Ec-

« ciesiœ proesulein -. »Ce langage est assurément, pour l'homme et pour le

temps, d'une simplicité, d'une fermeté remarquables. lei,quoi qu'on ait pu lire en d'autres lettres d'Avitus, à notre avismal interprétées, ici point d'équivoques, point de réserves;point de ces distinctions faussement hautaines, qui semblentfaites, au profit de l'indépendance épiscopale, et qui sont,réalité, des formules de sujétion à la puissance civile. Spec-tateur affligé des dissensions qui tourmentent l'Église, àpeu près également partagée entre les, catholiques et lesariens, Avitus ne conçoit la paix des âmes que sous la tutellepermanente d'un dictateur sacerdotal. Il n'est. pas encorené dans la conscience de la société chrétienne, cet instinctde vraie liberté qui doit inspirer tant de beaux et vains dé-crets à l'illustre assemblée de Constance! Ce n'est pas lebesoin d'un gouvernement libre qui travaille l'Église malunie. Mais Avitus ne sent, en. réalité, le joug d'aucune ser-vitude, puisque son roi Gondebaud, arien déclaré, lui per-met d'être publiquement le plus zélé des catholiques, leplus ardent à consolider l'établissement encore nouveau de la

Epist. 27.M. l'abbé Parizel réfute convenable-

ment, après M. l'abbé Gorini, quelquesassertions de M. Ampère relatives À la

doctrine d'Avittis sur le gouvernement del'Église. Ces assertions ont été cependantreproduites par M. Victor CuchevaL DeS. Aviti Operib. P. 3.

J

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monarchie papale contre les assauts redoutés et redoutables dela ligue arienne.

Nous avons un recueil de lois qui portent le noni de Gon-debaud. « Gondebaud, dit Grégoire de Tours, donna des lois

plus douces aux Bourguignons, pour protéger les Romains 1 . n

Paolo Canciani suppose, non sans fondement, que le Tribo-nien de ce code barbare fut un jurisconsulte romain, nomméPapianus . Il est, du moins, certain qu'il y eut, en présencede Gondebaud, avant ou après la rédaction de ce Papianus,une délibération publique suries divers articles qui composentl'ensemble des lois Gombettes, et que les comtes romains descités-et des bourgs firent partie de cette assemblée législative.C'est le roi lui-même qui nous l'atteste'. Qui donc n'aurait pasété rechercher, ainsi que nous l'avons fait, dais ce Corpus funs

bourguignon, rédigé dans l'intérêt des Romains, et avec leurconcours, la définition des droits, des devoirs réciproques del'Église et de l'État? Eh bien! notre recherche a été vaine,comme, en effet, elle devait l'être.

Un: seul article de la loi -Gombette, un article de quelquesmots, rejeté dans un supplément, concerne la religion et sesministres; et cet article est ainsi conçuEcclesiœ, auk sacer-n (lotes, in nullo penitus contemnantur: que les églises, que les« prêtres . ne soient jamais traités avec mépris . »

Quand il existe une Église patronnée par l'État, qui est l'É-glise du prinôeet de ses sujets, fÉtàt, en lui conférant autantde pnvileges qu'il lui demande de services, permet quelleexerce une partie de la puissance publique. Mais comme ilcraint en même temps qu'elle n'en abuse et ne s'arme contrelui de l'autorité qu'il lui prête, il prend je soin minutieux de

Hia. Franc. tib. II. Préambule de la loi Gombette.Bai-bar. Leg. antiq. 1 II, p . /i. Suppl. H, art. 12.

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tout définir. C'est alors que, pour l'empêcher de faire unusage dangereux de ses droits exceptionnels, il va jusqu'à lapriver de quelques .droits communs. De là tant de lois spé-ciales, qu'on appelle et qui peuvent sembler .tyranniques,touchant la condition civile des religions d'État. Mais à l'égardd'une religion vraiment libre, qui ne tient à l'État par aucunlien de dépendance, on a tout décrété quand on a prescrit derespecter ses ministres et ses biens,

Il faut donc, où la loi se tait, et oà,, en effet, elle doit setaire, interroger d'autres monuments de l'histoire.

Dès les premières années de son règne, Gondebaud avaitfait une expédition heureuse au delà des Alpes, et avait ra-mené dans les Gaules un grand nombre de prisonniers.: Enl'année 494, le roi Théodoric envoie le docte et pieux Épi-phane, évêque de Pavie et Victor, évêque de Turin, à la courde Gondebaud, avec la commission de racheter cette multi-tude 'captive. Les ambassadeurs arrivés à Lyon, où résidaitalors le roi de Bourgogne, sont d'abord reçus par Rusticusévêque de cette yille, à qui le pape Gélase les avait lui-mêmerecommandés'; et cet éVêque leur conseille d'agir avec pru-dence, leur faisant de Gondebaud, qu'il appelle un hommeplein de ruse, un portrait peu flatteur. Ce Rusticus est unGallo-Romain, un prélat catholique, qui s'exprime avec ai-greur et sans justice sur le compte d'un prince hérétique.Voici les ruses de Gondebaud. Ayant appris l'arrivée d'Epi-phane, il dit aux gens de sa cour ((Allez, et visitez cet«homme, dont la vertu, dont le visage m'ont toujours faitpenser au glorieux • martyr saint Laurent. Demandez-lui

«quand il voudra bien venir nous voir, et, ayant pris sesq ordres, qudm jusserit, invitez-le. » Tout le monde s'empresse

Labat, ConciL Gal!. col. 653.

L'Église et l'État. 3

t

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- 18 -donc de courir au-devant dÉpiphane. Au jour qu'il désignelui-même, il paraît devant , le roi, et 'l'exhorte à rendre lescaptifs,- , sans exiger d'eux aucune rançon. Le discours d'Epi-phane;' tel; du,moins, que nous l'a ' transmis Ennodius, estd'une éloquence: plus solennelle que 'véhémentet Cetévêquen'oublie'.pas qu'il est ambassadeur. Gondebaud, orateur nonmoins abondant, fando locuples iet ex eloqaentiœ dives opibus,lui répond sur le même ton d'élégante courtoisie, sans toute-fois lui dissiuler que les lois de la guerre ne sont pas abso-lument conformes aux préceptes de l'Évangile, et qu'un roilui-même neLpeut pas ordonner à ses guerriers de' restituersansu'ançon les 'captifstombés en leurpouvoir. Puis, après ledépart d'*piphane, ce roirurusé :mande La'conius, un de sesministres, Latin de farnilleisénatoriale, et lui donne 'l'ordrede mettre immédiatement etgratuitement en liberté tous ceuxdes Italiens qui, frappés de terreur, on réduits ' à la misèreaprès l'incendie de leurs villes, s'étaient 'jetés d'eux-mêmesentre les mains des Bourguignons. lis étaient au nombre desix mille. Pour les autres, pris les armes à la main, on payera,puisqu'il faut payer, mais si peu que ce soit, quantulurncumque.Le rohveut satisfaire Épiphane. li manque encore un trait àcet édifiant tableau. Théodoric, qui avait d'abord proposé deracheter les captifs, ne fournit pas la somme tout eùtière.Les conditions, acceptées, l'argent fit défaut ce qui n'affli-gea pas moins peut.être Gondebaud'qu'Epiphane. On vit alorsune illustre matrone, nommée Syagria,' l'archevêque deVienne, Avitus, et, à leur. exemple, beaucoup d'autres laïquesou de clercs des deux sexes, offrir la somme réclamée. Ainsiles sujets gaulois-où romains de Gondebaud rachetèrent eux-mêmes au plus bas prix, suivant son ordre, la plupart des cap-tifs italiens. Tel hit, au rapport d'Ennodius'successeur.d'Epi-

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phane sur le siège de Pavie, le succès 'de sa iiiission 1 Théo-donc l'avait donc habilement choisi pour son ambassadeur,sachant l'affection que Gondebaud avait pour lui. Quel prin'cecatholique l'eût mieux 'traité que'cet arien?

Il nous faut revenir au propos de Rusticus. Ce propos estutie véritable calomnie. .Gondebaud était, en effet; le plus sin-cère des hommes. Mais Rusticus était, il paraît, inhabile àcomprendre la conduite de ce 'barbare, dont la manière devoir était qu'un roi doit la même bienveillance à tous ses su-jets, le même respect à tous les envoyés d'une puissance étrau-gère, païens ou chrétiens, chrétiens de telle secte on de telleautre.

Ce n'est pas que Gondebaud fût, dans son particulier, in-différent en matière de religion. Tout nous enseigne, au con-traire, que les questions religieuses l'occupaient beaucoup. 11interroge tour à tour Avitus sur la doctrine d'Anus, sur lesdistinctions subtiles d'Eutychès, sur la thèse fameuse de Sa-bellius, et même su r. certaines assertions litigieuses de quel-ques manichéens sans renom. Il n'est pas manichéen, il n'estpas sabellien, il n'est pas eutychéen, et il iedéclare,iet il en-gage lui-même Avitus à combattre ces hérétiques. C'esvà cepropos que celui-ci lui écrit, avec son emphase habituelle:« Notre siècle a reçu de la grâce divine ce tbienfait, à la fois«unique et multiple, que, parmi les occupations royales de« votre gouvernement très-glorieux, - vous , ayez placé au pre-

mier rang la défense des vérités catholiques. n Nous voyons,

Ennodius, Vita S. Epiph. dans lesOpera varia de Sirmond, t. I, col. I 9 6et suiv.

Sirmondi Open varia, t. .11, col. i,20.

4Unicum simul et multiplex doum

« saculo nostro auto divinitatis , indul'« tom est, - lit, inter regias ordinatidnes« gIoriOsissiIlIt principatus veshi , princi-e paliter de tuenda catholicie partis yen-

Late curetis. e (Sirm. Opera varia, t. H,col. 5.)

3.

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en effet; Gondebaud zélé défenseur de la croyance catholiquesur tous les points où il I'èstime conforme aux Écritures; et,délà :persuadé qu'il doit, sur telle question comme sur telleautre, penser comme il pense, il est avide d'arguments quil'affermissent dans.sa persuasion. C'est pour cela qu'il veut pé-nétrer au fond des dogmes les plus métaphysiques, et connaîtrela dernière thèse des sectes les plus diverses. Est-ce par flatteriequ'Avitus, lui parlant,grec, dit qu'il doit le comprendre 'P Nousne le supposons pas. Avec sa curiosité dogmatique, avec sa Pas-sion pour la vraie religion, et son ardeur à la rechercher, Gon-debaud a sans doute appris i.e grec de quelque grammairiend'Arles ou rie Marseille, pour lire ensuite et interpréter lui-.même, sans un secours suspect, les Pères grecs et leursémules souvent dévoyés les docteurs byzantins. Pour toutdire, n'est-il pas docteur lui-memeP Assurément il prétendl'être. Avitus lui écrit: ((La vérité, que vous avez en tant devoies et avec tant d'efforts poursuivie, a, par la faveur du

« Christ, tellement éclairé votre intelligence, que rien ne vous« est plus inconnu de ce qui regarde la définition de la doctrine.«catholique. Aussi quand, descendant des hauteurs d'unetscience parfaite, la piété de Votre Majesté daigne m'inter-»roger encore, ce n'est pas pour apprendre ce qu'elle ignore,mais pour conférer de de qu'elle sait".»

Nous n'hésitons pas à dire que de tels compliments, s'ilsn'étaient à peu près mérités, seraient d'un impudent adula-teur. Or, il s'en faui qu'Avitus, nous le connaissons bien, aitjamais été prodigue envers Gondebaud même de ces louangesbanales qu'on peut accorder à chacun sans beaucoup se com-promettre. Il: l'a plus souvent censuré que flatté, ce roi sa-

' Sirmondi Opera varia, t. II, col. 12. - 2 i&d. col. i

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chant supporter un censeur. Nous tenons donc le fait pourconstant: Gondebaud était un théologien; et, puisqu'il pro-fessait l'arianisme, il était dans cette religion un sectaire con-vaincu.

Mais cela ne l'empêchait pas d'être tolérant. Après avoirûrernent, résolûment, adopté tel ou tel parti sur 'es matières

controversées, et réglé de telle ou de telle façon les affaires desa conscience, il se retrouvait roi, roi de peuples différentsd'origine, régis par des lois diverses, et partagés entre diversescroyances, qui lui demandaient au nom de la justice, qui luiconseillaient au nom de la prudence, de reconnaître, de pro-téger même la liberté de toutes les religions. Ce qu'il faisaitde bonne foi, de bon coeur, s'acquittant'même de ce devoiravec une attention scrupuleuse.

Non-seulement, e» effet, il. avait à sa cour, parmi les offi-ciers de sa maison, des païens, des catholiques, et des ariens,mais, quand il leur plaisait de quitter une religion pour, enadopter une autre, il n'y mettait aucun obstacle. L'histoireatteste qu'Aitus fit des prosélytes parmi les plus intimes con-seillers de Gondebaud, et que celui-ci ne leur retira pas à ca'isede cela sa confiance. Sigismond lui-même, le propre fils deGondebaud et l'héritier de sa couronne, abjura la doctrined'Anus du vivant de son père, et, tous les historiens eu con-viennent, avec sa permission'. Si Gondebaud n'était devenupuissant parmi les :rois qu'après avoir combattu, vaincu, et,dit-on, tué Chilpéric son frère, il devait bien redouter quel-que chose des filles de ce frère qu'il avait épargnées. Cepen-dant il permit à l'aînée, que plusieurs historiens appellent

Le fait est attesté par l'auteur mêmeLho1ice religionis eultui deservire per-

(les actes de S. Sigismond, qui dit en par .t cuisit,lant de Gondebaud • Christiane et es-

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Sedeleuba, ' de prendre l'habit religieux dans un honastèrecatholique, et de fonder à ses frais un temple catholique dansun des faubourgs de Genève, ne l'ayant pas même, il paraît,dépouillée de ses biens. Quant à la plus jeune de ces filles, labelle et véhémente Clotilde, négligea-t-il de la surveiller, etd'empêcher les brigues qu'elle pouvait faire pour sevenger?Nous ne le pensons pas. Alors que les historiens avaient la li-berté de tout imaginer, Méeray n'hésitait pas à décrire en cestermes attendrissants la dure captivité de Clotilde: ' On la re-«tinH la cour, où elle fut si bien éclairée, qu'on observoit jus-«qu'à ses soupirs et à ses moindres actions.,, Cependant Gonde-baud n'avait pas cru devoir lui défendre de devenir, elle aussi,catholique; et lorsque le roi des Francs envoya demander lamain de Clotilde, cette catholique trop ardente et Gondebaud,son oncle, résidaient ensemble à Genève, habitant, commeon k suppose, le même toit. Voilà certes des preuves d'unecomplète tolérance. Mais la plus insigne est peut-être celle-ci.Avittis lui-même nous représente Gondebaudi'attirant àpartpoor, lui communiquer et lui soumettre quelque objectionarienne, l'invitant à répôndre de 50f mieux aux habiles gensqui l'ont faite, et se chargeant ensuite de leur transmettre lui-même cette réponse . Un. roi discernant avec assez de droi-ture ce qui ' regarde- ses opinions privées de -ses- devoirs pu-blics, pour ese faire le messager complaisant de deux sectesreligieuses, pour accorder à. l'une et à l'autre,, avec une par-faite équité; le même respect, la.même;faveur,.c'est un sibelexemple, et si rarement imité!

l-lâtons-nousd'ajouterque cette impartialité vraiment royalene se révèle pas seulement à nous dans les entretiens parti-

' Sirinondi Opeta varia, t. II, col- 38.

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culiers de Gondebaud et d'Av.itus, mais que nous la voyonsencore se' manifester en • public; et dans toutes les circons-tances, même les plus solennelles.

Un certain Héraclius, de famille sénatoriale, qui remplis-sait à la cour de Gondebaud les -fonctions d'ambassadeur,était un catholique résolu. Comme il défendait un jour devantle roi, contre le roi, sa religion attaquée, ii fut, il paraît, assezvif pour qu'Avitus ait-pu lui dire, en le félicitant de sa con-duite: « Vous n'avez pas épargné César.)) Or, nous avons la ré-ponse d'i-léraclins aux félicitations d'Avitus, et nous y lisons:u Te très-éminent prince, qui est tout de feu pour trouver desarguments, et qui s'exprime avec tant d'abondance, pénètre

« d'ailleurs si bien les sentiments, de ses interlocuteurs, que,' dans toutes les controverses, il sait écouter avec la plus ai-«niable bienveillance'.,, .

Pour confirmer par un autre exemIe k témoignage, as-surément peu suspect, d'Ïiéraclius, il faut parler ici avecquelques détails' d'un célèbre colloque, qu'on rapporte àl'année 499.

Etienne, archevêque de Lyon, ayant résolu de convoquer unconcile nombreux pour ylivrer une bataille décisive à la sectearienne, prévient le roi de son dessein. Celui-ci ne,s'y oppo-sant pas, non contradicente rege, dit le rédacteur des actes, l'as-semblée est indiquée pour la fête de saint Juste, 2 septembre.Le roi pouvait-il s'y opposer? -Nous parlons '.de Gondebaud,roi de Bourgogne. Sous le régime de la protection franque,les conciles seront; on le sait, convoqués par les rois. Mais,sous le régime de la liberté bourguignonne « de la prospérité« romaine,» comme s'exprime Avitus, Romanasub gloriosissirnonostro principe prosperitas 2 , le roi, cela va sans dire, laisse les

Aviti Lepist. 47, 48. _-' Sirmondi Openi varia, t. H, coi. 59.

M

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évêques se réunir quand il leur plaît. Ce sont les métropoli-tains qui seuls les convoquent, comme nous l'apprennent lesactes préliminaires du concile d'Épaoue,assemblé l'année mêmede la mort de Gondebaud, en 517.

Arrivent donc au concile de Lyon, qui marquera parmiles conciles nationaux de Bourgogne, Avitus, archevêque deVienne, OEonius, archevêque d'Arles, et, entre autres évê-ques, ceux de Valence et de Marseille. Ils se rendent d'abordà Savigny, où était le roi, pour le saluer, comme c'était l'u-sage, et ils le trouvent ayant à ses côtés les plus considérablesdes prêtres ariens. Les saluts faits, Avitus prend le premier laparole, et avec une fierté qui n'est pas assurément exempte derudesse «Votre excellence, dit-il au roi, désire-t-elle pro-«curer la paix à l'Église? Eh bien! nous voici prêts à montrer

clairement que notre croyance s'accorde avec l'Évangile et la((doctrine des apôtres,' prêts à convaincre tout le monde que« la vôtre n'est pas selon Dieu, selon l'Église. Vous avez icides docteurs de votre secte, versés dans toutes les sciences.

« Ordonnez qu'ils aient un colloque avec nous, et qu'ils vien-«nent éprouver s'ils peuvent répondre à nos raisons, comme« nous sommes disposés à répondre aux leurs.))

La vue des prêtres ariens a sans doute ému, peut-êtretroublé, le pieux archevêque. Il venait saluer le roi, et voici,qu'il le provoque; il venait annôncer l'ouverture d'un concile,et voici qu'il demande Ut) colloque, un débat entre les théolo-giens des deux partis, devant le roi, devant les grands, devanttoute la multitude des catholiques et des ariens. L'assentimentdu roi devenait, en ce cas, nécessaire :11 ne s'agit pins, eneffet, d'une assemblée d'évêques réglant ensemble les affairesde leur culte particulier; il.s'agit, entre prêtres d'u cultedifférent, d'un duel théologique qui aura le peuple pour témoin,

C

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Le roi répond: ((Si votre foi est la vraie, pourquoi vos« évêques n'empêchent-ils pas le roi des Francs de me décla-o rer la guerre, et de se liguer avec mes ennemis pour mecc

P Il n'a pas de foi, celui qui convoite le bien d'autruio et est altéré du sang des peuples. Qu'il montre sa foi par sesci oeuvres!»

Mais Avitus, avec toute sa liberté romaine: «Nous ne savons,«ô roi, dans quel dessein et pour quel motif le roi des Francso fait ce que vous dites; mais l'Écriture nous enseigne que sou-« ventS le mépris de la loi divine amène le renversement desempires, et que des ennemis sont suscités de toutes parts

«contre ceux qui se sont-déclarés les ennemis de- Dieu. Rave-«nez donc, avec votre peuple, à ia.loi de Dieu, et Dieu vouscc

la paix dans vos Etats ;car si vous êtes en paix aveccc

vous ]e serez avec tout le monde, et vos ennemis ne pré-«vaudront pas contre vous..»

C'est presque une menace. lite plaît .pas, sans doute, auroide s'entendre menacer par un des èonseillers de sa cou-ronne, puisqu'il réplique sûr le ton du dépit:

u La loi divine! Quoi P est-ce, que je ne la professe pas P Parce« que je rie reconnais pas trois dieux, vous dites que je ne pro-«fesse pas la loi divine! Je n'ai pas lu, moi, dans l'Écriture,cc

y ait plusieurs dieux, et, suivant l'Écriture, je n'en adore• «qu'un seul.)'• Avitus, à son tour, ne peut s'empêcher de défendre sur le

même ton sa croyance.si vivement attaquée. Mais ce langage-trop vif n'est pas, il le- comprend, très-politique. Ayant doncachevé son discours, il se précipite aux pieds de Gondebaudet, les autres évêques suivant son exemple, ils le supplient tousardemment de,votiloir bien, autoriser, dans l'intérêt de la reli-gion et de la paix publique, une.cQfiférence quidoit, disent-

L'Église et I'ÉIat. ' 14

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ils, avoird'aussi grands résultats..Gonclebaud touché, valdecommotusi, se laisse-à peu près1léchir. Cependant, pour ne pasaccorder sans quelque réflexion ce qu'on lui ,demande, il seretire, et dit aux évêques que, sachant ce qu'ils veulent, il leurrépondra.

Étant de retour à Lyon, il mande Étienne ainsi qu'Avitus:Eh bien! vous aurez., dit-il, ce que vous .désirez-Mes prêtres

«vous montrerontque nul nepeut être coéternel etconsubstan-tiel à.Dieu: Maisje ' ne consens pas à ce que-votre débat ait

« lieu devant tout le peuple. Cela causerait du tumulte. Ce sera«seulement devant mes sénateurs et d'autres personnes que je((choisirai ;:comme vous., pour votre part, Vous choisirez parmi

tes vôtres qui vous voudrez, i'Le lendemain,,les évêques se dirigent en grande pompe vers le

palais (lu roi. Un nombre considérable de prêtres et de diacresleur servent d'escorte, avec quelques laïques;de la même coin-munion., entre lesquels on distingue Placidus et Lucanus, deuxdes principaux officiers de la • milice royale. Les ariens arri-vent de leur côté, suivis aussi de leurs adhérents. Quand l'as-semblée s'est constituée sous la présidence du roi, leipremierAvitus obtient la parole et donne. les :rasons de: sa croyance;Boniface, I'orateurdes ariens, lui répondra le jour suivant..

Mais, ce jour venu, dès qu'Avitus et; som collègue Étienneparaissent dans rassemblée, le roi, qui les avait précédés, selève, surrcxit,.et-promptcment s'avance à leur rencontre. Cen'est pas, toutèfois, ]e chrétien dissident qui fait vers eux cettedémarche empressée. C'est le roi, troublé par l'arrivée de tristesnouvelles. .11 vient d'apprendre, en effet, que son frère Godé-gisile, déj à presque séduit.par'le roi des Francs, s'apprête àtourner ses

1armes contre les armes bourguignonnes, et il pré-

voit des événements qu'il: voudrait conjurer; II s'adresse donc

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à deux illustres évêques de la communion de Clovis, et, sepromenant avec eux devant rassemblée, illeur donne des avisen leur demandant des conseils. Enfin, la séance est ouverte,et, ' quand tout le monde est assis; l'arien Boniface commenceson discours. Suivant le rédacteur des actes de !a'conférence,qui est un catholique, Boniface ayant parlé trop vivement, leroi l'interrompit et lui commanda ' de traiter ses adversairesavec plus de respect. Quelle fut fissue du débat P Le rédacteurdes actes ne le dit pas clairement, et ce n'est pas ce qui nousintéresse davantage. Mais on voit, .à la fin de 1a séance, Gonde-baud prendre par la main Avitus et Étienne, les conduirefamilièrement jusqu'à sa chambre, pour converser plus long-temps avec eux, et 'les embrasser fun et l'antre en les con-gécliant'

Ce récit n'est-il pas propre à compléter l'idée d'une Églisevraiment libre, dans un État d'ailleurs plus ou moins bienordonné?

Mais, il faut le dite, beaucoup de clercs catholiques goû-taient.peu ce bon ordre, considérant findépendance réciproquede l'Église et de l'État comme un fait violent, comme un di-vorce. Le clergé, dit lvi: Fauriel, était. ardent et pressé dans

ses voeux etdans ses efforts. Il était plein d'horreur pour Paria-« nisme ; et, de toutes leschances qu'il avait d'en triompher,ria meilleure, dans son idée, n'était pas la plus paisible et la« plus douce, mais lapins prompte, dût-elle être orageuse et« violente 2

Quelquefois Avitus était pour la douceur. Victurius, évêquede Grenoble, lui ayant un jour demandé s'il était permis des'approprier les églises des hérétiques et de les accommoder

Sirmondi Opera t:ar. t. II, col. 121. -, 'Must. de la Gaule mâid.t. 1, p 56.4.

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aux usages des catholiques, il avait répondu : « Si noué conseil-ions cela, et si le roi nous l'accorde, les hérétiques nousaccuse-

« ront à. bon'droit de les persécuter... On m'objectera; peut- être« que, s'ils étaient les plus forts, ils profaneraient nos autels.u Cela est vrai; je n'en disconviens pas. Dès u'ils.lepeuvent,«ils envahissnt les temples des autres, et les mutilent de leurs((ongles hideux. Mais recourir à la forcé, s'emparer d'un lien,«.changer la destination des autels, voilà des manières d'agir« qui ne conviennent pas à la colombe .»

Le plus souvent, toutefois, Avitus était pour la violence.Nous en avons la preuve dans ce curieux passage d'une de seslettres à Gondebaud. Il le remercie d'abord de lui avoir nonpas seulement accordé, niais encore imposé comme un devoirla liberté de tout dire :Cui non solum tribuitis, sed injungitis li-beriatem. Et, sur-le-champ, il faitusage de cette liberté pourdemander un décret qui réduise au silence les ministres de lareligion arienne « Je vous supplie, dit-il, de né pas permettre« que ces détracteurs du Saint-Esprit se disent plus longtemps

VOS prêtres. , et qu'ils continuent à enseigner devant vous, cesgens qui ne veulent rien apprendre'. » Une télle prière, vé-

ritablement inexplicable, ne pouvait être. exaucée. Avitus lesavait sans doute; naisil n'aurait pas cru remplir tout son de-voir s'il ne l'avait pas faite, tant il soupçonnait peu ; qu'ayant li-vré le monde à la dispute, Dieu commande à toutes les sectesune tolérance mutuelle!

Or il n'y avait alors dans les Gaules qu'un seul roi, le roides Francs, qui eût mis rânéantissement dei aries dans leprogramme de sa politique. Puisque Salvien avait appelé sur

Sirmoiudi Opera var. t. Il, col. 25.-des conciles d'Orléans (5» i) et d'Épaonc

Voir, sur cette question des églises aban-(517).

données par les hérétiques, les décisions' Sirmondi Opera var. t. H, col. 4

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la tête dés Gaulois. chrétiens et catholiques le glaive des Francsencore païehs; offrant encore leurs sacrifices sanglants aux es-prits des forêts et des eaux, il ne faut pas s'étonner de voir unepartie du clergé bourguignon conspirer avec 'es mêmes Francsdevenus catholicpies, la. ruine d'un roi sectateur avoué de ladoctrine d'Anus.. « Un grand nombre de Gaulois,. dit naïve-« ment Grégoire de Tours, avait dès lors le plus grand désir de« passer sous la domination des Francs.'. n Quelques-uns même,comme Aprunculus, évêque de Langres avaient, aux applau-dissements de Sidoine Apollinaire, pris les devants, et, ayantdonné l'exemple, avaient subi la peine d'une trahison préma-turée 2

Avitus fut-ii du nombre de ces perfidçs? C'est une supposi-tion qu'il faut immédiatement écarter: lia pu sans doute formerquelques voeux inconsidérés. .L'éirange lettre qu'il fit parvenirh Clovis, à la nouvelle de sa conversion, nous offre assurémentplus d'une phrase blâmable. On n'écrit pas à un conquérant decette espèce que dé gormais il a mis Dieu de son côté, que .Dieule servira dans toutes ses entreprises,et l'on ne s'engage pastémérairement à célébrer 'toutes ses futures victoires. Mais,dans cette lettre même, quand Avitus engage Clovis à porterses regards sur 1s nations encore païennes , il semble luidonner ce conseil pour le détourner de la Bourgogne. Aussicroyons-nous, comme on Je racrnite, qu'au moment,où Clovisparut aux frontières bourguignonnes, Avitus courut aux côtésde Gondebaud, déjà résolu à ne pas l'abandonzier, même dansses revers.

:Gondebaud combattit', perdit la bataille, et devint tributairede Clovis; Un historien a•osé écrire « Il fut puni ?de.sa résis-

lEst. Franc: lib. il, c 36. - ' Ibid. e. XXII!. -' Sirmondi Opera var. t. il

col. 57. -

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«tance à la vérité connue 1 ' C'est un mot bien cruel, et ce n'estpas un J ugement exact sur l'issue de cette guerre, qui fut peut-être moins dommageable à.Gondehaud qu'à son peuple. Par-toutoù passèrent les Francs, il y eutç-comme decoutuùe, desvilles ruinées et changées en solitudes. Les Bourguignons eux-mêmes, quand il rentrèrent à Vienne, où il y avait une gar-nison franque, commirent par représailles d'autresexcès; Desflots de sang furent versés, d'exécrables incendies: furent allu-més par toutes les mains.- Cependant, de retour à Vienne, Gon-debaud rétablit à peu près ses affairés, fit le-Code qui porteson nom, reforma son armée, releva de :ses ruines .la ville deGenève, dont il agrandit L'enceinte, cessa bientôt, assure-t-on 2

de payer tribut à Clovis, et vécut encore seize ans sur son trône.Comme on le voit, d'aussi grands désastres ne profitèrent àpersonne. Les ariens vaincus ne furent pas . plus exterminésque convertis.

Mais, après la mort de Gondebaud, régna -son fils Sigis-mond, et, sous rce règne, dont elle abrégeila durée, la grandeconjuration des Gaulois et des Francs obtint enfin ce décisifavantage •que'i'habileté de «ondebaud lui avait si- longtempsdisputé.

Sigismond était, nous l'avons dit.;:eatholique. OntI'appellesaint Sigismond, et une-ancienne relation de ses actes a étérecueillie par -les Bollandistes. 'Noiis 'y. lisons que les pieusesveillées, les jeûnes, les prières, étaient, dans ,saije.unesse, sesoccupations principales. Aussi,quand il fut roi,icontinua-t-,ilà consacrer une part considérable de son temps aux exer-cices de piété, fet , son .exemple fut iihité, sans aucun doute,-par un certain.wombre des gens-desacour. Les courtisans

Dom Plancher, Hist. de Bourgogne, t. I, p. 45.—' Vila S. Sigismundi, Bollai,d.i" mai.

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estiment toujours: que la meilleure des religions est la religion.de celui qui, règne. Ainsi, M. .i'abbérParizel nous dit, peut-être par simple conjecture, qu'il y avait dans l'entourage deGondebaud des catholiques renégats 1; mais il est encore pluscertain, Avitus nous l'atteste, qu'à l'avènement de Sigismondle catholicisme fit des progrès rapides à la cour et dans leroyaume-.

Cependant malgré tout,son zèle pour les intérêts de l'égliseadministrée par son père spirituel Avitus, Sigismond voulut, àl'exemple de son père charnel; pratiquer sur le trône la tolé-rance, c'est-à-dire la justice. Gondebaud, arien ,s'était fait undevoir de respecter entoute circonstance la liberté des catho-liques; Sigismond, catholique, eut, en conséquence, la mêmemansuétude à l'égard des ariens: ce qui souleva contre lui toutle clergé de son église.

Nous arrivons à la plus triste période de dette histoire. Hfaut iaraconter, mais: en peu de mots 4 s'il est possible. Il fautsuivre jusqu'au lieu de son dernier supplice ce prince faible,indolent, qui ninspirerait aucun intérêt; si. ses rates vertusn'avaient pas été châtiées comme des crimes; mais il ne paraitpas nécessaire de relater en détail toutes lés circonstances decette horrible tragédie.

Marie II, roi des Goths, àvait,. en l'année 5o6,.fait promul-guer une ' édition officielle du Code Théodosien, à l'usage deses sujets romains et catholiques. Ce fut, dans toute la Gaule,un évènement. Aussitôt que des exemplaires de ce Code arri-vèrent aux mains des Francs, ils le proposèrent à tous les Gan-lois de leur dépendance. Quand ils ne .rôffrirent pas, on k leur

Z M. l'abbé Parizel, De Vila S. Aviti,presse clAviLus5chisrnaticoruni riume-p. 'Si. « rus decrescit.

Epist.. 29. Voici la déclaration ex-

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demanda. Ornons ,nhésitons pas à croire qu'un des .plus vifsdé'sirs du clergé bourguignon fût de 'e voir substituer à la loiGombett.e. S'il est, en effet, un principe auquel ne déroge au-cun article du Code Théodosien, c'est celui-ci que le glaivede la puissance civile doit sans pitié, sans relâche, atteindreet frapper quiconque s'est déclaré l'adversaire de l'église or-thodoxe. u Que tous les ennemis de noire sainte, loi sachent, ditu Théodose, que la proscription, que la mort sera leur châti-ment, si leur témérité les porte encore à se réinir en public

« pour exercer les pratiques de leur culte criminel. i, Et ce lan-gage est constamment celui de Valentinien, de Gratien. Autantde décrets rendus par ces empereurs sur les affaires de lare-ligion, autant, on le sait trop, de sentences de proscriptionpubliées contre les apoliinariens, les.ariens, les eunoméens,les macédoniens, les mani ghéens, et tous les dissidents, tousles hérétiques.

((Les rois bourguignons, dit M. Guizot, semblent avoir leplus comlétementhérité des empereurs, et régné sur leur

«modèle 1» C'est uhe judicieuse observation, à laquelle pour-tant nous n'adhérons pas sans faire quelques réserves. Appe-lés au gouvernement d'un peuple qui prétendait descendre desRomains (car c'était une ancienne prétention des Bourgui-gnons, que les Gaulois eux-mêmes ne se croyaient pasauto-risés à contredire'), ces rois se firent Romains autant qu'ils.lepurent ,non moins peut-être par inclination que par politique.Cependant, quel que puisse être l'attrait de l'exemple, lorsqu'ils'agit de revendiquer pour soi-même toutes les prérogatives dela puissance absolue, ils ne se montrèrent pas plus jaloux les

Cours d'hisloire moderne, t. I, p. 33o.(Aman. Marcellin, Ber. gestar. I. XXVIII.«dam mdc temporibus priscis sobo-C. y.)

« lem se esse Romanam Burgundi sciunt.

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- 33 -uns que les autres de soumettre les consciences au joug d'unedoctrine officielle.

En ce qui regarde Sigismond, quand . il fut bien avéré qu'iln'entendait pas conformer sa conduite à toutes les maximesd'État de la tradition théodosienne, ou, comme dit M. Oza-nam, « placer le pouvoir sous la loi de l'Évangile , » l'agitationépiscopale commença contre lui. Nous la voyons se manifesterdès l'année 517.

Un certain Étienne, suprême intendant des finances roya-les, avait en secondes noces, épousé la soeur de sa femme.Quoique ce mariage eût été célébré, comme il semble, parun prêtre ctliolique, les évêques se réunirent, le déclarèrentincestueux, et prononcèrent contre Étienne la peine de l'ex-communication. Cela déplut au roi, et, pour témoigner sondéplaisir, il resta quelque temps éloigné des autels interdits àun des principaux officiers de sa maison. Nous reconnaissonsvolontiers que les évêques avaient le droit d'excommunierÉtienne; mais on ne contestera pas davantage que Sigismondpouvait, en respectant leur indépendance, user de la sienne,et se tenir à récart des gens qui Pavaient offensé. Cependantque font aussitôt les évêques? Ils courent .âoLyon, y formentun concile, décrètent qu'ils suspendront eux-mêmes, en touslieux, l'exercice de leur ministère, et que pas un ne retour-nera dans son église, tantque le roi n'aura pasrendu sesbonnes grâces à chacun d'eux'. N'est-ce pas une coalition

La civilisation chrdlienne chez /esFrancs,66.

Voici le 3' Canon de ce concile (leLyon

« Quod si se rex pneCellentissilnus ah«ecclesia,. vel ecdesiarurn communione

Ultra suspendent , baum ci dantes adL'Eglisc et l'Etai.

• sacrœ matris greinium veniendi, sancti• antisites in mornasLenis se absque ulla• dilatione, prout cuique fuerit opportu-• nom, . necipiant, donec pacem integrani,• ad caritotis plenitudineni conservandain,o sanctorum flexus precibus, restituere« dignetur fia , ut non unus •quicumque

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séditieuse? Et, puique Viventioks archevêque (le Lyon,Claude, archevêque de Besançon, Apollinaire, évêque de VaIehce, frère d'Avitus, Victurius, évêque de Greiioble, Gré-goirede Langres, Maxime de Genève, Silvestre de Chalon,Julien de Carpentras, pour ne nommer que les plus notables,ont signé ce manifeste, ne peut-on pas dire qu'il n'y a plus,parmi les clercs gaulois-du royaume de Bourgogne, de partiModéré?

De nouveau les Francs sont appelés, de .nouveauJesFrancsarrivent. « Lorsque les Francs- dévastaient presque ions les«royaumes de la Gaule, dit un chroniqueur anonyme, mas-((sacrant les nations, dépeuplant les villes, la plus. grande« parue des Bourguignons se joignit aux. Francs'.» Ce quenotre chroniqueur rapporte à l'année 522. Vainement alorsSigismond entreprenait de leur fermer le passage avec. ce quilui restait de braves. Il était facilement vaincu, fait prison-nier, et, par l'ordre du roi des Francs Clodomir, précipitédans un puits, avec sa femme et ses enfants.

Après la mort de Sigismond, on n'apprend pins rien de cer-tain sur les derniers efforts tentés par les Bourguignons pourdéfendre leur territoire, de toutes parts envahi par. Clodomir,Clotaire, ChuldebertetThierry. Tout s'écroule, tout s'abîme. Lespopulations fuient ou sont égorgées; les ruines s'amoncellent -sur les ruines; il n'y a-plus de magistratures civiles, il n'y aplus même de sacerdoce, les prêtres s'éloignant de leurs églisessouillées, les moines de leurs monastères ruinés le lien FeU-

C

pnus de rnonasterio in quo elegerit balai.tare discedat, quam cunctis generaliterfratribi,s tuent pax promis sa vel reddi ta.

Ber. Ga1L script, t. III, P. 403. Notrechroniqueur appelle Bourguignons les ha-

bitants de la Bourgogne, les sujets de S-gisinond. Marius d'Avenches dit de même

Sigismundus rex a Burgundioni bus Fran-o cis traditus est.. (Marii Clironic. adam). 523) -

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gieux est rompu, comme le lien social. Mais voici ce que leDieu de Clotilde a fait par les mains des Francs: il a détruitun peuple d'infidèles! Et les Francs vainqueurs remplissentles airs de chants d'allégresse, dont le retentissement se pro-longera dage en age

Si ce n'étaient que des barbares écrasant et dépouillantd'autres barbares! Mais c'est la nation la plus polie de toutela Gaule que doit le moins épargner la plus sauvage! Aprèsla conquête définitive des Francs, il reste, en effet, des Bour-guignons en Bourgogne : ce qui a disparu, ce qu'on ne re-trouve plus, ce sont les Gaulois, ce sont les Romains. S'il ena survécu que]qucs:uns ait on les voit errant parmiles ruines, tendant leurs bras dans la nuit, cherchant, auxlieux naguère les plus fréquentés par la foule des philo-sophes et des rhéteurs, les colonnes de marbre des musées,les splendides portiques des palais, des temples éçrouiés,et leurs mains ne pressent, ne sentent que l'épaisseur desténèbres

PalpanLesque manlis densas sensere tenebras'

Ce vers n'est pas sans doute de Virgile; il n'est pas nonplus de Lucain: il-est d'Avitus. Le dernier philosophe de l'an-tiquité latine est Claudien Mamert; son dernier poète estAvitus. La gloire de Vienne est d'avoir été leur patrie. Après

Même jusqu'à nos jours. Mézerayn'était pas assurément un fanatique. Ons'accorde à dire qu'il avait unetrop grandeliberté de moeurs et une assez grande li-berté d'esprit. Cependant Mézeray lui-même, en plein xvti siècle, faisait nalve-ment graver, au-dessous du portrait de

Childebert, ces vers sans doute composéspour glorifier les Fran'cs:

Le sang dea Am.., dont rnugiree t es pteioe.aDe montagnes de corps teor P. Y . tout couvertEt I cura chefs mis à mort • sont des preuves cer te nos

De or que tes Frençois 6".t 'ou, Childebert

Avitus, De Transitit maris .Dubri,vers 203.

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eux finit le , .rnonde ancien; pour êti.'e sépar(t du monde mo-derne par un long intervalle de barbarie. Vienne est en lapossession des Francs! .

FIN.