Solidarité guatemala 204
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Ríos Montt condamné pour génocide au Guatemala,
annulation illégale du verdict par la Cour constitutionnelle
Lettre d’information du Collectif Guatemala
1 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
Numéro 204
juillet 2013
Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire
75011 Paris - France Tel: 01 43 73 49 60
[email protected] www.collectifguatemala.org
Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69
Ont participé à ce numéro : Amandine Grandjean, Marilyne Griffon, Plinio Lepe, Louise Levayer, Isabelle Tauty, Maxime Verdier, Martin Wil-laume.
Edito : Impunité au Guatemala, deux pas en avant, un pas en arrière
par Marilyne Griffon p.2
Procès pour génocide : accuser pour mieux défendre
par Maxime Verdier p.3-5
Entretien avec l’avocate espagnole Sofia Duyos
Propos recueillis par Marilyne Griffon p.6-8
Barillas: Rubén Herrera libéré ! Mais la situation des défenseurs reste préoccupante…
par Amandine Grandjean p.9
Brèves p.10-11
Femmes ixils célébrant le verdict du tribunal du Guatemala, 10 mai 2013
SOMMAIRE
© Maxime Verdier
© James Rodríguez
2
Edito
Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
1 Pour écouter et lire la condamnation : « Audio de la sentencia con-
denatoria en el juicio por genocidio », Association justice et réconcilia-
tion (AJR), 10 mai 2013.
2 Selon Benjamin Jerónimo, président de l’AJR, partie civile dans le
procès et lui-même survivant des massacres.
3 Sur les violations sexuelles comme armes de guerre, voir « Violencia
Sexual como arma de guerra », AJR, avril 2013.
4 Toutes les audiences du procès peuvent être réécoutées en ligne sur le
site Coordinacion genocidio nunca mas.
5 Jerson Ramos, « Exfuncionarios están procesados en España », Prensa
Libre, 23 mai 2013.
6 « El presidente de Guatemala elegido lider del ano », El Pais, 31 mai
2013
L e 10 mai 2013, le tribunal de Ciudad de Guatemala
marquait les annales judiciaires internationales en
condamnant pour génocide l’ancien dictateur José
Efraín Ríos Montt à quatre-vingt ans de prison
ferme : la peine maximale. Cinquante ans pour crimes de géno-
cide. Trente ans pour crimes contre l’humanité. Un grand pas
venait d’être franchi au royaume de l’impunité. Le 20 mai
2013, la Cour constitutionnelle guatémaltèque votait l’annula-
tion de la condamnation.
Ríos Montt arriva au pouvoir le 23 mars 1982 à la suite d’un
coup d’Etat. Il en fut chassé par un autre, mené par son mi-
nistre de la défense, Oscar Mejía Victores, le 8 août 1983. Son
bref passage au pouvoir demeurera le plus sanglant des trente-
six années du conflit armé le plus meurtrier du continent améri-
cain au XXe siècle : 200 000 morts, 45 000 disparus et des mil-
lions de déplacés entre 1960 et 1996. Evangéliste fanatique,
Ríos Montt s’est alors employé à combattre la guérilla à travers
les techniques apprises à l’Ecole des Amériques et à endiguer
tout désir de mieux partager les richesses dans un pays où, à
l’époque, dix familles possèdent 80 % des terres. Mais son zèle
a transformé la répression en véritable massacre.
Les communautés mayas ixils des montagnes du Quiché, par-
ties civiles dans le procès pour le massacre de 1 771 personnes,
étaient alors considérées comme « subversives, communistes et
terroristes2 » : elles devaient donc être exterminées. C’est ce
que les juges ont conclu des preuves versées par l’accusation,
comme les plans militaires Victoria 82 et Plan Sofía, ainsi que
les quatre-vingt-seize témoignages de survivants et d’experts,
anthropologues et légistes, qui se sont succédés aux audiences
depuis l’ouverture du procès, le 19 mars 2013. Tous, sans ex-
ception, ont rapporté la cruauté du sort réservé aux Ixils : viols
systématique des femmes3, victimes enterrées vivantes, décapi-
tations, tortures, réduction des corps à l’état d’objet… Un
homme, enfant à l’époque, a ainsi relaté comment les militaires
se sont servis de la tête d’une grand-mère comme d’un ballon
de foot4.
Le verdict du 10 mai, tant attendu, est tombé trente et un ans
après les faits, treize ans après le premier dépôt de plainte et
après avoir surmonté soixante-douze recours et une demande
d’amnistie. Mais il reconnaissait enfin, au niveau national et
international, la réalité des massacres perpétrés contre les
Mayas Ixils, la souffrance des survivants et le bien-fondé de
leur combat pour la justice. Une telle condamnation semblait
impensable il y a à peine deux ans, lorsque l’accusé occupait
encore, depuis près de dix ans, le siège de représentant du
peuple à l’Assemblée Nationale, s’étant même présenté aux
élections présidentielles de 2003.
Toutefois, malgré le « lâchage » du général de 86 ans, qui ex-
plique en partie l’ouverture des poursuites actuelles, la défense
compte toujours avec des appuis haut placés au sein de l’oli-
garchie économique, politique et militaire du pays, qui lui don-
nent les moyens « d’influencer » la justice. Parmi eux, le Co-
mité coordinateur des associations agricoles, commerciales,
industrielles et financières (CACIF, l’équivalent du Medef en
France) ou la fondation contre le terrorisme qui ont dénoncé le
procès et le rôle joué par les organisations internationales.
Maxime Verdier, volontaire du Collectif Guatemala, présent
lors des audiences, analyse ce contexte de diffamation et no-
tamment cette bataille d’influence (p.3-5).
La plus haute juridiction du Guatemala a donc suivi les ordres
du CACIF et votél’annulation de la condamnation et le retour
en arrière du procès au 19 avril dernier, lorsque les avocats de
la défense avaient déposé un énième recours. Un hasard ? L’un
des témoins de la défense venait de mentionner l’actuel prési-
dent de la République, Otto Pérez Molina, général chargé du
commandement militaire dans la région ixil sous le régime de
Ríos Montt. Celui-ci aurait, à l’époque, commandé les incen-
dies des communautés de la région.
En attendant, la plainte déposée en Espagne, selon le principe
de justice universelle, contre Ríos Montt et sept autres ex-
fonctionnaires impliqués dans des crimes commis durant le
conflit armé5, suit toujours son cours.
Dans ce pays soumis à l’arbitraire, les victimes devront donc
continuer à se battre pour que la victoire du 10 mai l’emporte
sur la défaite du 20… Le Collectif Guatemala continue d’être
présent auprès des communautés : 4 nouveaux volontaires re-
crutés en mai partiront en 2013 pour poursuivre l’accompagne-
ment protecteur sur le terrain. En France, nous avons accueilli
en juin l’avocate espagnole Sofia Duyos, impliquée auprès des
victimes depuis de nombreuses années, pour une conférence
(p.6-8), l’exposition sur la mémoire photographique ixil y a été
présentée pour la première fois hors du Guatemala. Nous avons
également dénoncé avec d’autres associations dans une tribune
publiée sur le site du Monde (p.11) l’annulation du verdict du
procès alors même que l’on assiste à une persécution croissante
des défenseurs du territoire comme à Barillas (p. 9) ou à San
Rafael las Flores (p.10). Cette recrudescence des conflits so-
ciaux autour de l'exploitation et du contrôle des ressources na-
turelles n’a pas empêché le président du Guatemala de se voir
décerner le prix du dirigeant de l’année par la Banque Intera-
méricaine de Développement6... ■
Impunité au Guatemala : deux pas en avant, un pas en arrière
Par Marilyne Griffon * édito publié en partie le 27 mai sur les blogs du Monde Diplomatique: http://bit.ly/14Y2HUt
Actualités
3 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
Ouverture du procès, ouverture des hostilités
En ce matin du 19 mars 2013, jour d’ouverture du débat oral et
public, les nombreux Guatémaltèques venus de tout le pays
soutenir les témoins attendent l’ouverture d’un procès espéré
depuis 30 ans. Le calme dissimule difficilement l’angoisse. Le
nouvel avocat de José Efraín Ríos Montt, Me García Gudiel,
ouvre les hostilités de façon indiscriminée, à l’encontre de tous
ceux qui participent ou assistent de près ou de loin au bon dé-
roulement du procès. Sous les applaudissements des familles
des accusés et des militaires, Me García Gudiel déclame un
discours véhément accusant les étrangers de diviser le pays et
justifiant sa propre présence dans cette salle par une forme de
« résistance contre le délitement de l’unité nationale », plaçant
son client en victime d’une hypothétique réminiscence de la
guérilla. Il interpelle la Cour et la presse présente en nombre ce
premier jour, « regardez cette salle, regardez bien, et voyez la
majorité d’étrangers présents, ce n’est pas un procès entre
Guatémaltèques, c’est l’étranger contre nous ! ». Bien enten-
du, la présence internationale ne représentait en réalité qu’une
minorité des personnes présentes mais bien visible (corps di-
plomatique en grande pompe).
En face, Me Edgar Pérez Archila expose la stratégie des parties
publiques en entendant prouver les faits qualifiants l’acte de
génocide et les crimes contre l’humanité (tortures, viols…) tout
en exprimant son sentiment, « reconnaître les erreurs du passé
n’est pas une faiblesse, c’est la force qui réunira le peuple dans la reconnaissance de sa véritable histoire (…) et ce doit
être fait dans le calme et la sérénité».
Naissance du débat et campagne de criminalisation
La première semaine d’audience marque un tournant déjà his-
torique pour le Guatemala. Pour la première fois, la presse et le
débat public s’emparent d’un sujet aussi essentiel que tabou :
le conflit armé interne et les exactions terribles commises à
l’encontre du peuple maya. Nous avons assisté aux nombreux
témoignages de victimes et survivants des massacres de la ré-
gion maya ixil, de la fuite dans les montagnes et des persécu-
tions de l’armée. La majorité des témoins, des paysans de la
région ixil, expliquent qu’ils ne connaissaient pas l’existence
de la guérilla ni ne savaient pourquoi ils étaient pourchassés et
abattus1. La presse généraliste relaye ces témoignages et les
radios commencent à diffuser des programmes spéciaux sur le
sujet.
Dès le premier week-end, une campagne médiatique fait son
apparition à grands renforts de « campos pagados » (encarts
payants publiés dans la presse), le dimanche des radios diffu-
sent toutes à intervalle régulier un appel de la fondation contre
le terrorisme à manifester le lundi suivant devant la Cour pour
« soutenir les patriotes contre le complot communiste et les étrangers ». Nous étions présents ce jour pour constater la
présence d’une cinquantaine de personnes, parmi lesquelles
Ricardo Méndez Ruiz, figure de la fondation contre le terro-
risme, ou encore la fille de José Efraín Ríos Montt accaparant
les caméras de télévision présentes.
La fondation contre le terrorisme et la diffamation
L’action et la position idéologique de la fondation contre le
terrorisme doivent être comprises pour pouvoir analyser le cli-
mat de diffamation ayant pesé sur le procès. Elle fait partie
intégrante du mécanisme de criminalisation de la lutte sociale
et légale. Elle en est le visage médiatique, la partie émergée.
Les auditeurs des radios et les lecteurs de la presse écrite se-
ront nombreux à découvrir l’existence de cette organisation
lors du procès contre Ríos Montt et Rodriguez Sanchez. Toute-
fois, cette fondation est un acteur de longue date dans les dé-
bats. Elle se présente comme un colloque d’experts, d’ana-
lystes et de chroniqueurs d’opinion chargés de documenter les
réminiscences de la lutte marxiste dans la société guatémal-
tèque actuelle. Sa composition exhaustive, l’origine de ses fi-
nancements (visiblement conséquents) et de ses directives res-
tent inconnues.
Tout d’abord, à travers les publications de ses membres (livres
ou colonnes d’opinion) ou ses activités sur les réseaux sociaux,
Procès pour génocide : accuser pour mieux défendre
Tout au long du procès historique pour génocide et crimes contre l’humanité qui s’est tenu du 19 mars au 10 mai 2013, les
parties prenantes impliquées (organisme judicaire, ministère public et organisation des droits humains) ont été victimes d’une stratégie diffamatoire visant à décrédibiliser et criminaliser leur action pour diviser l’opinion publique quant à leurs intentions
réelles.
Par Maxime Verdier
Ixils manifestant devant le Tribunal
© James Rodríguez
4
Actualités
Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
l’organisation s’attaque à l’image et à la personnalité des indi-
vidus impliqués dans la défense des droits humains qu’elle
criminalise avec une certaine maîtrise des outils légaux et mé-
diatiques. Au cours du procès, les membres de la fondation
contre le terrorisme ont souvent publié des pamphlets visant à
attaquer les personnalités de la juge Yasmín Barrios, Prési-
dente du Tribunal, et des avocats de l’accusation, tout en re-
layant les arguments techniques de la défense pour justifier
l’annulation du procès.
Plus généralement, l’organisation prend position sur les sujets
de société qui servent son discours et livre une interprétation
très spécifique des faits d’actualité, empreinte de racisme
social et culturel et faisant revivre les thèses idéologiques de la
guerre froide. En octobre 2012, suite à l’arrestation des mili-
taires accusés d’être à l’origine des tirs ayant entrainé la mort
de 8 manifestants de Totonicapán , Méndez Ruiz s’est exprimé
sur la radio Emisoras Unidas pour « exiger » le placement en
détention des organisateurs des manifestations. Il profitera de
cette occasion pour contester l’impartialité de la procureure
générale Claudia Paz y Paz et rappeler la culpabilité quasi
naturelle des leaders communautaires dans tous les cas de
violence que connaît le pays2.
Chaque espace médiatique offert est l’occasion de développer
encore un peu plus les thèses du terrorisme organisé et autres
théories du complot qu’il apprécie tant. La période du procès
n’aura pas fait exception, au contraire : Méndez Ruiz s’expri-
mera à de nombreuses reprises face à des journalistes jouant le
jeu de la relance et de la non contradiction. Le 3 mai 2013, un
document nommé « les visages de l’infamie » sera même pu-
blié dans le but d’identifier les fonctionnaires publics et défen-
seurs des droits humains dans un trombinoscope des ennemis
internes. Ce pamphlet battra des records d’invention, détaillant
comme jamais auparavant le mécanisme de prise de pouvoir
organisé depuis et par l’étranger3. De tels propos seraient ri-
sibles s’ils n’étaient pas aussi dangereux.
L’évidence des faits et la polarisation idéologique
Au cours des cinq semaines de procès, 65 experts
(principalement du champ légiste, en charge des inhumations
et de l’analyse des décès) et 94 survivants et victimes maya ixil
ont témoigné des massacres et des persécutions commis sous le
gouvernement militaire de Ríos Mont entre 1982 et 1983. Avec
dignité et courage, 10 femmes ont relaté les violences sexuelles
commises par l’armée, dont elles-mêmes et bien d’autres ont
été les victimes4.
Chaque jour, il semblait de plus en plus impossible de trouver
les mots justes pour qualifier les récits que nous entendions.
Tous les témoignages exposés avec tant de simplicité et d’émo-
tion, laissaient transparaître le même modus operandi et ten-
daient à démontrer l’existence d’une machine d’extermination
rodée et organisée. La nature des crimes commis était déjà con-
nue, mais c’était la première fois que résonnaient dans un tri-
bunal les voix de celles et ceux qui en avaient été victimes.
Les avocats de la défense, qui se sont montrés très virulents dès
l’ouverture du procès (ainsi qu'avant l'annonce de son ouver-
ture : au 28 janvier 2013, 75 recours avaient été déposés), sem-
blent alors se mettre en retrait à mesure que les témoignages
démontrent l’évidence de l’horreur, renonçant à de nombreuses
reprises à questionner le témoin.
La fondation contre le terrorisme, dans son rôle d’organe de
propagande, adapte alors sa stratégie renforçant encore le mé-
canisme de polarisation de l’opinion publique. La négation des
faits n’étant plus possible, Méndez Ruiz poussera le cynisme
dans un des simulacres de débat d’opinion sur Radio Punto
jusqu’à dire: « certes, il y a eu des crimes graves, mais commis
pour sauver le pays (…) on peut voir ça comme un génocide ou un acte de patriotisme, tout n’est qu’une question de point de
vue (…) c’est ici que l’on distingue les vrais Guatémaltèque
des terroristes ». Dans ce nouveau et très spécifique schéma de
diffamation, il faudrait désormais comprendre que les victimes
ne se définissent comme telles que par omission de leur culpa-
bilité. L’organisation commence alors à diffuser des tracts dans
les bus et les rues, accusant des pays comme la Suède et la
Norvège d’être l’essence d’un mécanisme de destruction éta-
tique financé par une hypothétique puissance internationale qui
souhaiterait la ruine du Guatemala et le changement de pou-
voir, avec en emphase un appel aux « patriotes » pour « mettre les étrangers dehors ».
Dans ses mots, sa logique et ses évolutions, la diffamation mé-
diatique ne sera que l’écho de l’unique stratégie de la défense ;
sans jamais savoir lequel des deux influence l’autre, ou si les
deux répondent à des intérêts d’origine commune.
Un verdict historique et une victoire pour l’indépendance
de la justice
Benjamín Manuel Jerónimo, représentant de l'Association pour
la Justice et la Réconciliation (AJR), déclarait durant les der-
niers jours d'audience : « Nous, dans les années 80, peuple Ixil, avons été accusés d’être des terroristes, des communistes, des
subversifs, puis le génocide a été commis
(...) Aujourd’hui, nous sommes accusés d’être terroristes, sub-versifs, communistes, cependant ce n'est pas vrai, honorable
tribunal. Un terroriste ne vient jamais réclamer justice devant les tribunaux… jamais… ». Ce sont bien ces accusations, is-
Femme Ixil lors du procès
© James Rodríguez
Actualités
5
sues de la plus sombre période du conflit armé, que la fonda-
tion contre le terrorisme s’acharne à perpétuer à l’encontre
des acteurs de la société civile et des institutions.
Grâce à l’incroyable travail de l’organisme judiciaire, au cou-
rage des témoins et à l’indépendance du tribunal, le 10 mai
2013, l'ancien chef d’Etat José Efraín Ríos Montt a été con-
damné à la peine maximale de 50 ans pour crimes de géno-
cide et 30 ans pour crimes contre l’humanité. C'est la pre-
mière fois dans l’histoire du continent qu'un verdict pour de
tels crimes est prononcé par une cour de justice nationale
face à un ex-président. Rappelons que ce dernier bénéficiait
de l’immunité parlementaire jusqu’en 2012.
« La justice guatémaltèque, les témoins, avocats et organisa-
tions de défense des droits humains, viennent d’écrire une page mémorable dans l’histoire de l’Amérique latine » rap-
pelait Amandine Grandjean, notre coordinatrice terrain au
Guatemala. Toutefois, l’espoir et la joie auront été de courte
durée. La Cour Constitutionnelle, suivant les recommanda-
tions de la puissante organisation patronale guatémaltèque,
le CACIF qui, 48 heures après la sentence dénonçait un pro-
cès inique commandé par la pression internationale, a annulé
le verdict et renvoyé le procès à une étape antérieure pour
vice de procédure5. Me Edgar Perez, avocat des victimes
avec qui nous nous entretenions récemment, s’est déclaré
malgré tout « heureux et satisfait car la proclamation du ver-dict reste en soi une victoire sans précédent (…) et que le
silence du passé est enfin levé ».
1 Retrouvez les chroniques sur le procès sur le site internet du Collectif Guatemala.
2 « La fondation contre le terrorisme demande des arrestations suite aux évènements de Totonicapán » Emisoras Unidas, 15 octobre 2012 http://
bit.ly/13opNG1
3 « Une campagne au Guatemala accuse les personnes à l’origine du procès de trahir la paix » El Diario, 16 mai 2013 http://bit.ly/17B4NgG
4 Consulter nos chroniques pour un compte-rendu détaillé
5 Voir aussi « Guatemala: procès historique au pays de “l’éternelle impunité” », Grotius, 13 juin 2013, par Vanessa Gongora
http://bit.ly/15iS8fP
6 Article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, 1966 www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm
7 « Ils dénoncent la Fondation Contre le Terrorisme pour ses campagnes » La Hora ,22 mai 2013 http://bit.ly/14MItMk
Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
La réponse des organisations de défense des droits hu-
mains
Le terme « diffamatoire » est à comprendre d’un point de vue
juridique, c’est-à-dire dans le fait de divulguer des propos
portant atteinte à l’honneur et/ou à la vie privée d’une per-
sonne physique ou morale, basés sur des assertions dénuées
de fondement. Le droit international dispose que nul ne doit
être victime de telles manœuvres et que chacun a le droit à la
protection face à une immixtion arbitraire dans sa vie privée6.
L’Etat est bien entendu garant du respect de cette disposition.
Au Guatemala comme partout, il est regrettable de constater
que certaines parties en procès cherchent à s’approprier l’opi-
nion publique au prix de mensonges et de manipulations. Or,
les méthodes ont atteint des sommets d’aberration en versant
dans l’incitation à la haine sous le masque intellectuel et po-
pulaire de la fondation contre le terrorisme. Le 22 mai der-
nier, de nombreux acteurs des droits humains ont fait front
commun pour dénoncer devant le Bureau du procureur des
droits humains la criminalisation et la stigmatisation dont ils
ont été victimes7.
Jorge Santos, coordinateur du CIIDH (Centre International de
recherche sur les droits humains), déclare devant le procureur
des droits humains : « nous dénonçons la fondation contre le
terrorisme, et particulièrement Ricardo Méndez Ruiz, pour la
campagne de stigmatisation et de criminalisation, pour nous accuser de faire partie d’un groupe terroriste qui désire
prendre le pouvoir » et demande la protection de l’Etat face à
de telles menaces (le document « les visages de l’infamie »
que nous avons déjà évoqué sera notamment dénoncé). Il
ajoute que ces méthodes ont eu vocation à délégitimer le Mi-
nistère Public, l’organisme judiciaire et les organisations so-
ciales et populaires qui sont impliquées dans le procès pour
génocide et crimes contre l’humanité et à mettre ses membres
en danger.
Sandino Asturias, coordinateur du Centre d’Etudes du Guate-
mala, conclut en exprimant son inquiétude concernant les
attaques contre les institutions et entrevoit la volonté de cer-
tains groupes de pouvoir de reprendre le contrôle de ces der-
nières. Autrement dit, nous assistons à un coup d’Etat légal,
au sursaut d’une caste acculée qui renoue avec les méthodes
du passé pour mieux le maintenir dans l’ombre et conserver
son pouvoir. ■
Benjamín Manuel Jerónimo , le jour du verdict
Retrouvez les comptes-rendus des audiences du procès sur notre site internet dans la rubrique « Lutte contre l’impunité »
www.collectifguatemala.org/index.php?page=lutte_contre_impunite
© James Rodríguez
Sofia Duyos a consacré ces cinq dernières années à la défense des droits humains au Guatemala tant devant la justice espagnole qu’au Guatemala aux côtés du Centre d’action légale pour les droits humains (CALDH) partie civile dans le procès qui, le 10
mai 2013, a condamné Efrain Ríos Montt pour génocide et crimes contre l’humanité. Dix jours plus tard, la Cour Constitution-nelle du Guatemala annulait le verdict, demandant la reprise du procès au 19 avril.
Après une première soirée à Toulouse, Sofia Duyos a été invitée par le Collectif Guatemala à Paris pour participer à une confé-
rence organisée avec Amnesty International le 11 juin dernier sur le procès pour génocide.
Marilyne Griffon : Quel a été votre rôle dans ce procès ?
Sofia Duyos : J’ai aidé CALDH dans la dernière phase du juge-
ment pour l’élaboration des conclusions présentées au tribunal.
Ces avocats prennent des risques. Ils sont extrêmement doués
non seulement sur le plan juridique mais aussi pour leur résis-
tance face à l’adversité. Intimidés de différentes manières, ils
travaillent sous une pression énorme et sont dans une situation
très vulnérable. Courant avril, un supplément au quotidien na-
tional El Periódico a été publié par la Fondation contre le ter-
rorisme1, mentionnant directement CALDH comme faisant
partie des communistes et des terroristes devant craindre pour
leur vie.
MG : D’où viennent ces menaces ? Qui sont les personnes
qui détiennent assez d’influence pour obtenir l’annulation de
la condamnation pour génocide en passant directement par la
Cour Constitutionnelle, sans se donner la peine d’user des
recours habituels d’appel, cassation, etc. ?
SD : L’extrême droite, tant militaire qu’émanant de l’oligar-
chie politique et économique, s’est radicalisée. Elle est repré-
sentée par diverses organisations dont l’Association de vété-
rans militaires du Guatemala (AVEMILGUA), la Fondation
contre le terrorisme mais également le CACIF2 qui publient
des encarts payants dans la presse niant le génocide et dénon-
çant un procès qui ne devrait jamais avoir eu lieu. La Répu-
blique est présidée par un ex-militaire : Otto Pérez Molina et
les principaux postes du gouvernement sont aux mains des mi-
litaires. Le contexte est très hostile. Il s’agit de juger et de con-
damner le génocide alors même que ceux qui l’ont commis et
leurs complices sont au pouvoir. C’est pourquoi le retourne-
ment de situation avec l’annulation de la condamnation histo-
rique s’est fait aussi facilement.
MG : Comment prouver le génocide ? Pourriez-vous nous
parler du Plan Sofía3, que vous avez étudié et analysé ?
SD : La preuve écrite clef dans le procès pour génocide est le
Plan d’opérations Sofía. C’est un plan militaire rédigé person-
nellement par la main droite de Ríos Montt, son chef d’Etat
Major Hector Lopez Fuentes. Son objectif final est la destruc-
tion du peuple maya ixil. C’est écrit. Trois ordres sont donnés à
toute la chaîne de commandement. Premièrement : exterminer
les subversifs, c’est-à-dire la population, car selon ce même
plan, les services secrets militaires notent que la guérilla a
abandonné la région. Deuxièmement : détruire tous les biens de
subsistances, maisons, récoltes, etc. Troisièmement : transférer
de force ceux à qui on a « pardonné la vie » dans des « villages
modèles ». Ce sont les trois ordres de génocide inscrits, avec
également les rapports détaillés de chaque maillon de la chaîne
rapportant à son supérieur l’accomplissement des ordres. Les
missions, signatures, noms complets et postes de chacun des
responsables apparaissent. Il va de l’élaboration jusqu’à l’ac-
complissement par le dernier soldat de tous les massacres et
transferts effectués. Il contient les communications entre les
Hauts commandements, par fax et télégramme, qui avaient le
contrôle total sur tout. Lopez Fuentes recevait un compte rendu
heure par heure, par téléphone ou radio. Les photos de Jean-
Marie Simon4 montrent d’ailleurs le jeune Pérez Molina en
communication directe avec ses chefs. Le plan phare de Ríos
Montt était la destruction du peuple ixil et il a réussi. Une
grande partie effectivement fut exterminée. A la fin du Plan
d’opérations Sofía, programmé pour 5 semaines, sur 25 km2,
pas plus, l’armée dit avoir rempli sa mission.
Ce plan, dont une copie apparaît mystérieusement en 2006, a
prouvé ce que les rapports de la Commission d’éclaircissement
historique des Nations Unies5 en 1999 et de l’Archevêché du
Guatemala6 en 1998, avaient conclu par l’analyse des témoi-
gnages recueillis. Les victimes ne connaissaient pas ce plan
écrit mais savaient ce qu’elles avaient souffert. « Ils venaient
pour nous tuer » racontent les survivants qui ont fui dans les
montagnes où ils ont vécu dans des conditions inhumaines. En
aucun autre lieu au Guatemala ne sont mortes autant de per-
sonnes de faim, de froid, de peur et de maladies. L’armée a
utilisé la région ixil comme laboratoire de la terreur la plus
horrible. Le plan était de « ne laisser aucun signe de vie » et
précisément, c’est ce qu’ils ont fait. Le Plan Sofía est la preuve
de la planification jusqu’au dernier détail de tous les actes de
génocide.
MG : Otto Pérez Molina a été mentionné durant le procès par
l’un des témoins de la défense comme ayant participé aux
massacres dans la région ixil. Aurait-il fait pression pour que
la condamnation de Ríos Montt soit annulée ?
SD : Non, il n’a pas besoin de le faire. Durant le conflit armé,
Otto Pérez Molina était connu sous le pseudo de Tito Arias. Il
commandait les troupes à Nebaj, ville au cœur du génocide,
centre des opérations de la politique de terre brûlée de Ríos
Montt. Il est cité à plusieurs reprises dans le Plan Sofía. Actuel
président de la République, il n’y a personne de plus puissant
Actualités
6
Entretien avec l’avocate espagnole Sofia Duyos : « Ne laisser
aucun signe de vie » Propos recueillis par Marilyne Griffon
Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
que lui aujourd’hui au Guatemala. Les soutiens des militaires
ont énormément d’influence et le simple fait d’avoir Pérez Mo-
lina comme parapluie est suffisant pour que la pression soit
efficace. Sous son gouvernement, le pouvoir de l’extrême
droite militaire s’est renforcé de fait.
MG : Comment s’exerce cette influence ?
SD : Juger le génocide, c’est juger tout le système. Pas seule-
ment Ríos Montt. Le génocide a été l’expression maximale
d’un racisme présent au Guatemala depuis des siècles, rendu
possible par l’existence d’un système de domination et de vio-
lences contre les autochtones. Les auteurs et complices sont
nombreux. Après la signature des Accords de paix en 1996, ils
se sont emparés des institutions de l’Etat pour garantir leur
impunité. Ils ont transformé l’armée et la police en pouvoir
parallèle. Selon les Nations Unies, 25% des assassinats sont
des exécutions extrajudiciaires, faits des forces de sécurité de
l’Etat ! Ils ont aussi infiltré le système de justice. Un exemple :
Alejandro Maldonado Aguirre, président de la Cour Constitu-
tionnelle, ancien ministre de [Carlos] Arana7 est le fondateur
du parti d’extrême droite Mouvement de libération nationale
(MLN). Les preuves d’obstacles constants à la justice sont
Actualités
7
1 Article qui détaille l’idéologie de la Fondation : http://bit.ly/17bEj2O
2 Comité coordinateur des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières, équivalent du MEDEF en France.
3 Lire l’analyse du Plan Sofía « Quitando el agua al pes » : http://bit.ly/12b77Dw
4 Jean-Marie Simon, reporter photo, témoin des massacres dans les années 80. Son livre « Guatemala, éternel printemps, éternelle tyrannie » docu-
mente ces crimes : voir les dernières éditions : guatemalasimon.blogspot.de Visionner son interview par Amnesty International : http://bit.ly/16Lqasu
5 "Guatemala: Mémoire du silence", de la Commission pour l’éclaircissement historique (CEH), présenté en février 1999.
6 Deux jours après avoir présenté le Rapport du Projet Interdiocésain de la Mémoire Historique (REMHI) « Guatemala Nunca Más », Monseigneur
Gérardi est assassiné, le 26 avril 1998.
7 Militaire président du Guatemala de 1970 à 1974.
8 2008 – 2012. Premier président de centre gauche depuis le coup d’Etat de 1954.
9 Avec la changement de fonction du nouveau gouvernement et de l’assemblée le 14 janvier 2012.
10 Prix Nobel de la Paix 1992, membre de l’ethnie maya Quiché.
Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
nombreuses. Les avocats des militaires ont déposé plus de 110
recours. Il y a une manipulation du procès qui va bien au-delà
de la justice et implique des membres du gouvernement. Un
des témoins de Ríos Montt est Arenales Forno, actuel Secré-
taire de la paix. Ricardo Mendez Ruiz, président de la Fonda-
tion contre le terrorisme, a déclaré publiquement que le Guate-
mala devait se préparer à des assassinats de leaders.
MG : Au vu de ce contexte d’impunité garantie, on se de-
mande alors comment l’ouverture même d’un tel procès a été
possible ?
SD : Depuis 2000 au Guatemala et 1999 en Espagne, les survi-
vants, les organisations de droits humains n’ont pas cessé une
seconde de travailler pour reconstruire les faits et produire des
preuves irréfutables. En 2011, le contexte est devenu favorable
sous le gouvernement d’Alvaro Colom8 avec la nomination de
Claudia Paz y Paz comme Procureure générale de l’Etat. Un
nouveau système de justice s’est mis en place. Des enquêtes
sont réellement menées sur le génocide et conduisent à l’émis-
sion de mandats d’arrêts à l’encontre du Haut commandement
militaire de Ríos Montt. Et lorsque Ríos Montt perd son immu-
nité parlementaire9, il se rend.
Sofia Duyos lors de la conférence organisée avec Amnesty International France
8 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
Actualités
MG : Peut-on espérer une reprise du procès au Guatemala
voire des avancées de la justice en Espagne ?
SD : En 1999, pensant qu’au Guatemala il n’y aurait pas de
justice, Rigoberta Menchú10 porte plainte en Espagne où le juge
Garzón suit les cas du Chili et de l’Argentine. Depuis 14 ans,
nous présentons des preuves et signalons à Interpol les respon-
sables du génocide. Mais aucun jugement n’est possible en Es-
pagne sans la présence d’un accusé. Nous avons donc besoin
d’une arrestation pour pouvoir passer à la phase suivante. Or le
Guatemala a refusé les extraditions en 2006. Il faut donc que
l’un d’eux se rende ou sorte du pays, ce qui est peu probable.
Au Guatemala, la Cour constitutionnelle (CC) a émis un ver-
dict des plus illégaux en s’ingérant dans la justice ordinaire.
Elle a laissé le processus sans issue en annulant le procès à
partir du 19 avril. Le tribunal de Hauts Risques A, avec ses
trois juges incorruptibles qui ont émis la condamnation histo-
rique, a renoncé. La CC a annulé la partie finale correspondant
à la plaidoirie de la défense de Ríos Montt et laissé valider la
première partie, celle où les témoins et survivants ont déclaré.
Or un autre tribunal ne peut juger sans réécouter tous les té-
moins. La CC doit dire comment appliquer son verdict. Si tout
doit reprendre à zéro, ce serait terrible. Les témoins, très
pauvres, devraient revenir déclarer et donc risquer leur vie,
cesser de travailler, certains sont malades. Le tout, sans certi-
tude qu’une nouvelle condamnation resterait valide. L’autre
tribunal de Hauts Risques B s’est déclaré disponible à partir
d’avril 2014. Mais, l’Association pour la Justice et la Réconci-
liation (AJR) et CALDH, parties civiles, m’ont demandé de
vous transmettre que pour eux, la condamnation de Ríos Montt
pour génocide et crime contre l’humanité du 10 mai reste va-
lide, c’est elle qui compte. L’annulation est illégale, elle peut
être renversée. ■
Présentation en France de l’exposition de la mémoire photographique ixil
A l’occasion de la conférence réalisée avec Amnesty International, le Collectif Guatemala a présenté pour la première fois en France
deux des trois frises qui composent l’exposition réalisée à l’initiative de l’AJR par l’une des anciennes volontaires du Collectif Guate-
mala, Alexandra Marie, qui a déjà été amplement utilisée par les communautés ixils au Guatemala lors du procès (voir p.11).
Public lors de la conférence
Actualités
9 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
R ubén Herrera, détenu à Huehuetenango le 15 mars
dernier, a été libéré le 30 mai. Il avait été inculpé
par le tribunal de Santa Eulalia, pour atteinte à la
sécurité de l’Etat, terrorisme et enlèvement, entre
autres, pour deux dossiers datant de 2009 et 2012.
Ses avocats avaient sollicité le transfert du dossier à la capitale
car ils doutaient fortement de l’impartialité du juge de Santa
Eulalia, et craignaient de possibles pressions de l’entreprise
espagnole envers les opérateurs de justice et les forces de sécu-
rité locales. Dans le premier cas, Herrera est accusé d’enlève-
ment alors qu’il avait été convoqué comme médiateur dans une
situation de tension extrême lors d’une altercation entre habi-
tants de Barillas et employés d’Hidro Santa Cruz. Le second
dossier se réfère à l’incendie de machines de l’entreprise, pour
lequel 4 personnes avaient été détenues en 2012. Malgré l’op-
position des avocats de l’entreprise - Me Villatoro et Me Cal-
derón*- aux requêtes de la procureure, le juge du tribunal de
Haut risque B Miguel Angel Gálvez a ordonné la prolongation
de l’enquête pour le 1er dossier et une clôture provisoire pour le
2e, ainsi que la remise en liberté, faute de preuves. Le juge a
soutenu au cours de l’audience l’importance du respect du droit
international et en particulier les droits des populations autoch-
tones, et leur droit à les défendre, précisant que la convention
169 de l’Organisation Internationale du Travail a été ratifiée
par le Guatemala et que le non-respect de l’Etat à ses obliga-
tions internationales amène à créer des situations conflictuelles,
comme à Barillas. Le tribunal a donné un délai de 6 mois au
ministère public pour terminer l’enquête et fixé la prochaine
audience au 10 décembre 2013.
« La décision de ce tribunal crée un précédent pour les défen-seurs des droits humains mais surtout pour la lutte légitime des
peuples autochtones parce que l’argumentation du juge a pris
en compte les conventions internationales qui garantissent de manière spécifique le droit à la consultation et à la libre déter-
mination des peuples », expliquait Francisco Morales, coordi-
nateur de l’ADH.
Les menaces, la criminalisation –qui consiste à utiliser l’appa-
reil judiciaire local influencé par les intérêts privés contre les
défenseurs des droits humains–, et la diffamation, constituent
la stratégie de l’entreprise pour engendrer la peur, épuiser la
lutte, moralement et économiquement, et faire perdre aux lea-
ders de la résistance leurs soutiens, tels que les organisations
du mouvement social et l’accompagnement international dont
ils bénéficient depuis le début de l’année. Plusieurs intimida-
tions et incidents graves se sont produits récemment, et
l’équipe d’accompagnateurs d’ACOGUATE a reçu une me-
nace verbale, d’un homme identifié comme employé d’Hidro
Santa Cruz, qui a été dénoncée.
Le 9 mai, Mynor López, leader de la Société civile de Barillas,
a été détenu de manière violente par des policiers en civils,
sans mandat d’arrêt et en le menaçant de mort. La police de
Barillas refuse de donner des informations sur ces faits et ar-
rête dans la foulée le neveu du leader communautaire, Manuel
López. La tension augmente de nouveau, le commissariat de
police est incendié. Mynor López et son neveu sont libérés par
un groupe d’habitants. Les mêmes policiers en civils ont été
aperçus dans des véhicules blindés avec des armes de gros ca-
libre et seraient responsables d’intimidations et de menaces la
veille des faits. Ces incidents ont immédiatement interpellé les
habitants, encore sous le choc de l’enlèvement et du meurtre
du leader Q´anjob´al Daniel Pedro Mateo, de Santa Eulalia, en
avril. Suite à ces faits, la police s’est retirée temporairement de
Barillas.
Depuis plusieurs semaines, la société civile conjointement à
Monseigneur Alvaro Ramazzini, évêque de Huehuetenango,
sollicite l’ouverture d’un dialogue auprès du préfet départe-
mental sur la situation de Barillas. Là encore, les autorités ai-
guisent les tensions sociales en désignant des interlocuteurs –
des représentants de Conseils communautaires de développe-
ment (COCODEs) – qui ont été payés par l’entreprise Hidro
Santa Cruz et qui sont en faveur de l’installation du projet hy-
droélectrique. Ce projet a été rejeté par la grande majorité de la
population, notamment par la consultation communautaire de
2007, et des centaines d’accords et actas communautaires rédi-
gés et signés au terme d’assemblées. Les défenseurs doivent
jouer des coudes afin de pouvoir intégrer les réunions de ce
« processus de dialogue » et ce, quand ils réussissent à arriver
sur le lieu de la réunion, qui peut changer au dernier moment.
Les 7 et 8 juin a été organisé un tribunal symbolique sur les
droits des femmes à Bilbao en Espagne (« Tribunal de Dere-
chos de las Mujeres Euskal Herria 2013 ») auquel ont partici-
pé la leader communautaire Hermelinda Simón qui a dénoncé
les violations aux droits humains, en particulier contre les
femmes à Barillas, ainsi que Quimy de León, activiste et jour-
naliste indépendante de Prensa Comunitaria, qui présentait un
document d’analyse des impacts des entreprises multinatio-
nales sur les femmes. ■
Barillas: Rubén Herrera libéré, la situation des défenseurs reste
préoccupante Par Amandine Grandjean
*César Calderón est aussi l’avocat de Rodríguez Sánchez, militaire chef
du renseignement sous Ríos Montt jugé pour génocide et crimes contre
l’humanité.
Parallèlement à la nouvelle positive de la libération de Rubén Herrera, membre de l’Assemblée départementale de Hue-
huetenango (ADH), et leader engagé dans la lutte contre le projet hydroélectrique d’Hidro Santa Cruz S.A à Barillas, les
menaces et intimidations visant les défenseurs des droits humains et membres de la Société civile de Barillas ont gravement
augmenté au cours des dernières semaines.
10
Brèves
Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
Caja Lúdica: Théâtre guatémaltèque de tournée en Europe
Le collectif artistico-ludique Caja Lúdica* a présenté en juin une pièce
de théâtre aux Pays-Bas, plusieurs artistes ont fait le voyage pour par-
tager leurs vies en intégrant l’histoire récente du pays, notamment la
guerre civile. L'échange culturel entre Caja Lúdica et l’association
néerlandaise Paz d'Utrech a commencé en 2005, avec la venue d'étu-
diants d'Utrech au Guatemala. En 2006, deux compañeros de Caja
Lúdica se rendent aux Pays-Bas pour le Festival de la Paix d'Utrech
afin de parler de leurs expériences méthodologiques sur l'art commu-
nautaire et le travail en réseau. C'est en 2006 que naît l'idée de
“Guerras escondidas” (Guerres cachées), une création théâtrale collec-
tive ayant pour objectif de faire connaître le Guatemala. Un contexte
où la violence et les atteintes aux droits humains prennent racine dans
le guerre interne qui a duré 36 ans, et pour laquelle les auteurs intellec-
tuels et matériels vivent en toute liberté et sont protégés par l'oligar-
chie. Cet échange permet d'ouvrir une fenêtre pour présenter les conditions inhumaines et radicales vécues par les familles guaté-
maltèques. “Au Guatemala, de nombreux stéréotypes et stigmatisation persistent à l'égard des jeunes, ainsi qu'envers les peuples autochtones et les savoirs ancestraux; les persécutions continuent, les disparitions sont toujours d'actualité, la guerre ne s'est
jamais terminée, elle se cache seulement derrière un nouveau masque.” (Acteur de la pièce Guerras Escondidas).
Guerras Escondidas, c’est le Guatemala garifuna de Livingston, le Guatemala de la région maya achi de Rabinal, le Guatemala
des quartiers pauvres de la capitale, comme le Mezquital. La pièce rend aussi hommage aux compagnons perdus et rappelle ce
qu’ils nous ont appris.
Suite des événements à San Rafael las Flores
Depuis le début de l’année 2013, une vague d’assassinats, de persécution ainsi qu’une criminalisation des leaders communau-
taires - notamment Xincas - et du mouvement social s’abat sur la région de San Rafael las Flores (département de Santa Rosa) et
Jalapa (département de Jalapa) (voir brève de Solidarité Guatemala n°203). C’est la réponse donnée à l’organisation de la résis-
tance pacifique contre le projet de mine d’argent « El Escobal » détenu par l’entreprise canadienne Tahoe Ressources Inc. De
nombreuses consultations communautaires se sont tenues depuis avril 2012 dans la région affirmant un rejet massif du projet mi-
nier par la population. Ces consultations, pourtant prévues par la Convention 169 de l’OIT, la Déclaration des droits des peuples
autochtones des Nations Unies et le Code municipal guatémaltèque, ne sont pas reconnues par les autorités.
Depuis, le 12 avril dernier, une occupation pacifique devant les installations de la mine de plusieurs centaines de personnes s’est
soldée par une expulsion violente menée par la Police Nationale Civile (PNC). Vingt neuf personnes ont alors été mises en déten-
tion de manière arbitraire, puis libérées quelques jours plus tard, sans avoir été inculpées. La sécurité privée de l’entreprise est
régulièrement dénoncée comme participant à la répression violente contre la mobilisation en défense de la vie, de la terre et du
territoire contre le projet minier. Le 27 avril 2013, elle est directement impliquée dans l’attaque à arme à feu de 8 manifestants
pacifiques. Le chef de la sécurité, Alberto Rotondo, aurait déclaré « Terminons-en avec la vermine » (« Acabemos con la basu-ra ») avant d’ordonner de tirer. Un jeune homme de 19 ans a eu une partie du visage arrachée, plusieurs autres personnes ont reçu
des impacts de balle. Retondo a ensuite été arrêté par la police à l’aéroport alors qu’il tentait de fuir le Guatemala. Le 29 avril,
deux jours après ces agressions a été adopté un accord final d’exploitation du projet « Escobal » qui prévoit 5% de redevance des-
tinées à plusieurs municipalités de la région. Le même jour, 25 membres de la police étaient retenus et désarmés à hauteur d’un
blocage de route par des manifestants exigeant l’ouverture d’une véritable consultation et négociation avec la population sur le
projet de mine.
A la suite de ces événement, du 2 au 24 mai 2013, l’état de siège puis d’exception ont été décrétés par le président Otto Pérez
Molina dans les départements de Santa Rosa y Jalapa. Plus de 8 500 militaires et membres de la PNC ont été déployés dans la
région pour procéder à des arrestations et des perquisitions, aidés de tanks et d’hélicoptères pour contrôler une population qui
sous l’état de siège est privée du droit de manifester et de se réunir. La tension dans la région est exacerbée. Selon un journaliste
de Prensa Comunitaria, membre de l’équipe de recherche du Centre d’Analyse des Luttes Communautaires « La violence, la dif-
famation, la militarisation, l’état de siège, la criminalisation des protestations communautaires sont les réponses d’un Etat coop-té par les pouvoirs économiques. C’est une stratégie similaire à celle employée par l’Etat et l’entreprise à Barillas, Huehuete-
nango, contre le peuple Q’anjobal et métis opposé au projet hydroélectrique ». (voir article p. 9).
Pour aller plus loin : reportage photo de CPR Urbana sur l’état de siège (http://bit.ly/1ayIidL)
11
Brèves
Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13
Présentation de l’exposition de la mémoire photographique ixil à Nebaj et Paris
Le 22 juin, 2500 personnes se sont réunies sur le parc central de Nebaj pour participer aux activités de la journée de la dignité
ixil. Les autorités ancestrales de Chajul, Cotzal et Nebaj ont reçu notamment une copie du verdict de la condamnation pour géno-
cide du 10 mai dernier. Les femmes portaient l’exposition de la mémoire photographique ixil en tête de cortège. Le même jour, à
plus de 9 000 kilomètres, l’exposition était diffusée lors de la Fête de la Saint Jean organisée par le Comité Alba et la section du
PCF du XIXe arrondissement. C’était l’occasion de montrer cette frise des visages du génocide à un nouveau public familial sur
la Place des Fêtes. Un grand merci à nos bénévoles Alexandra et Bérénice pour leur participation à Paris!
Tribune de l’Intercollectif Guatemala publiée sur le site du Monde
En partenariat avec 5 associations de
défense des droits humains (l’Action des
Chrétiens pour l’Abolition de la Torture,
Amnesty International, le Comité Catho-
lique Contre la Faim et pour le Dévelop-
pement, le Secours Catholique et Terre
des Hommes), le Collectif Guatemala a
cosigné une tribune diffusée sur le site
du Monde pour exprimer sa préoccupa-
tion face à l’annulation de la condamna-
tion pour génocide de Ríos Montt et à la
recrudescence des attaques envers les
défenseurs du territoire comme à Baril-
las ou San Rafael las Flores.
« En 1992, le monde entier s'était ému
pour cette cause lorsque Rigoberta
Menchú, militante maya, s'était vue dé-
cerner le prix Nobel de la paix, donnant
à croire que la réconciliation al-
lait s’engager au Guatemala. Vingt ans
plus tard, le début de reconnaissance du
génocide est un pas important. Mais l'an-
nulation du jugement contre Ríos Montt
pose de sérieux doutes sur la volonté des
élites d'accorder aux populations autoch-
tones toute leur place. »
Retrouvez l’intégralité du texte de cette
tribune sur le site du Monde:
www.lemonde.fr/idees/
article/2013/06/14/les-droits-des-mayas-
au-c-ur-des-enjeux-politiques-et-
sociaux_3430260_3232.html
12
Le Collectif Guatemala Qui sommes-nous ? Fondé en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français, le Collectif Guatemala est une association 1901 de solidarité
internationale. Il est composé d’associations et de particuliers, dont une bonne dizaine de membres actifs, sur lesquels repose la vie de
l’association. Depuis octobre 2002, l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’un permanent à mi-temps. Depuis mars 2006, l’association a
ouvert un bureau de coordination pour ses activités au Guatemala (accompagnement international et campagne de soutien aux militants
luttant contre le pillage de leurs ressources naturelles).
Les activités du Collectif au Guatemala
● L’accompagnement international
√ des populations indigènes victimes du conflit armé impliquées
dans des procès contre les responsables de violations massives
des droits humains,
√ des personnes menacées du fait de leurs activités militantes.
Comment ?
√ à la demande des groupes ou personnes menacées,
√ en recherchant et en préparant des volontaires qui resteront au
minimum 6 mois sur le terrain.
Pourquoi ?
√ pour établir une présence dissuasive,
√ pour avoir un rôle d'observateur,
√ pour relayer l'information.
Les accompagnateurs/trices sont des volontaires majeurs, de tous
horizons, désirant s’engager pour une durée minimum de 6 mois.
Des sessions d’information et de préparation ont lieu en France
avant le départ. Au Guatemala, les accompagnateurs sont intégré
au projet international d’accompagnement ACOGUATE.
● L’outil vidéo
√ organisation d’ateliers vidéo destinés aux membres d’organisa-
tions communautaires pour la réalisation documentaire
√ soutien à la diffusion de ces films à la capitale et dans les com-
munautés
√ réalisation de film-documentaires comme outil de campagne et
de sensibilisation en France
Les activités du Collectif en France
● L'appui aux organisations de la société civile guatémal-
tèque qui luttent pour plus de justice et de démocratie
√ en relayant des dénonciations de violations des droits de
l'Homme,
√ en organisant des campagnes pour soutenir leurs revendica-
tions,
√ en recherchant des financements pour soutenir leurs projets,
√ en recevant en France et en Europe des représentants de dif-
férentes organisations pour leur permettre de rencontrer des
décideurs politiques et financiers.
● L’information et la sensibilisation du public français
Sur quoi ?
√ la situation politique et sociale au Guatemala,
√ la situation des droits humains,
√ l'action des organisations populaires, indiennes et paysannes.
Comment ?
√ par la diffusion d’une lettre à l’adhérent bimestrielle,
√ par l'organisation ou la participation à des conférences, dé-
bats, réunions, projections documentaires
√ par des réunions mensuelles ouvertes à toute personne inté-
ressée.
● Le travail en réseau avec différents types de partenaires
présents au Guatemala
√ associatifs,
√ institutionnels.
Contact: [email protected]
ADHÉSION / ABONNEMENT Le Collectif Guatemala vous propose plusieurs formules de soutien :
Adhésion au Collectif, permettant de recevoir la Lettre à l’Adhérent - Solidarité Guatemala 23 €
Adhésion à tarif réduit (étudiants, chômeurs etc. joindre justificatif) 15 €
Don, un soutien supplémentaire pour nos activités ………
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Téléphone ........................................... Courrier électronique ..........................................................................
□ Je souhaite être informé(e) par e-mail des activités du Collectif Guatemala
□ Je souhaite faire partie du Réseau d’alertes urgentes électronique
Les dons et cotisations peuvent être déductibles des impôts à hauteur de 66%.
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