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l'allemagnepar Pierre BeauIne

social-démocratie :

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Cette étude a été réalisée dans le cadre d'un comité de travail du Centre deFormation Populaire, mis sur pied en avril 1977.Nous désirons remercier tous les membres de ce comité qui ont travaillé defaçon assidue pendant un an.

Le document que nous publions constitue une étude soignée d'un type européende social-démocratie à partir de laquelle nous pouvons mieux comprendre lesens ou la portée de certaines mesures gouvernementales et tirer desenseignements pour notre action dans nos milieux respectifs.

Le C.F.P.

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l'allemagnepréface sur« la concertation aucanada et au quebec»par Pierre Beaulne

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Cette étude a été réalisée dans le cadre du «Comité de travail sur la social-démocratie» mis sur pied par le Centre de Formation populaire. Je remercietous ceux qui ont enrichi le texte par leurs critiques et leurs suggestions. Je tiensnotamment à exprimer ma reconnaissance à Johanne Norchet et à Lisette Côtépour leur aide.

Pierre Beaulne.février 1978

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1INTRODUCTION

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3

PRÉFACE: LA CONCERTATION, AUCANADA ET AU QUEBEC 9

1. Capitalisme et luttes de classes 9

2. La concertation vue par le fédéral 10

3. La concertation selon le Conseil du travail

du Canada 144. La concertation vue par le Conseil économique

du Canada 155. La politique de concertation du gouvernement

du Québec 17

LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ENALLEMAGNE 101. INTRODUCTION 21

2. LA SOCIAL-DÉMOCRATIE :DES DÉBUTS À 1914 22

2.1 Points de repère économiques et politiques 22

a ) L'économie 22

b ) L'idéologie dominante 22

c ) La social-démocratie et la guerre 24

2.2 Points de repère théoriques 25

a ) Le socialisme d'État de Lassalle 25

b ) Le révisionnisme de Bernstein 27

c ) L'orthodoxie de Kautsky 28

2.3 Conclusion 29

3. LA RÉVOLUTION ALLEMANDE: 1918-1919 . . . . 30

3.1 La social-démocratie pendant la guerre 30

3.2 La révolution allemande : 1918-1919 30

a ) Les grèves de 1917 31b) Le soulèvement de Berlin, janvier 1918 31

c) La révolution de novembre 1918 et sa liquidationde janvier à mai 1919 31

d ) Les embryons de la « société de cogestion » . . 32

3.3 Les théoriciens de la révolution 33

3.4 Conclusion 35

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4. 1919-1933: DÉFAITE DE LA CLASSE OUVRIÈREMONTÉE DU FASCISME 35

4.1 Le pouvoir politique et le contexte économique . . . 35

a ) Les événements 35b ) Force politique de la social-démocratie 38

4.2 Les responsabilités de la social-démocratie dansl'avènement du fascisme 38

4.3 Ce que la social-démocratie n'est pas :

la thèse du social-fascisme 39

5. LA CRÉATION DE LA R.F.A 40

5.1 La social-démocratie de 1933 à 1945 40

5.2 L'après-guerre 40a) Restauration de l'État démocratique bourgeois . 40b ) Recomposition-décomposition des forces

ouvrières après 1945 42c) La mise en place du «système de cogestion» . 43

6. LE RETOUR «AUX AFFAIRES»DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE 44

6.1 Facteurs d'explication de la remontée de lasocial-démocratie 44a) La révision des thèses au Congrès de

Bad Godesberg ( 1959) 44b) Les modifications dans la base social de la

social-démocratie 45

c ) Garanties à la bourgeoisie 45d ) L'impact de la récession de 1966 46e) Election à la présidence d'un social-démocrate . 46f ) Le renversement des alliances politiques 46

6.2 Approfondissement de la politique de l'État bourgeois 46a ) Politique économique 46

b ) Politique sociale 47

6.3 Incidence de la crise économique sur lasocial-démocratie 47a ) Les élections de 1976 47

b ) La politique anti-crise de la social-démocratie .. 47c ) La crise au sein du S.P.D 48

7. LA RÉPRESSION EN R.F.A 49

7.1 Les Berufsverbote 49

7.2 Fondements idéologiques de la répression 50a ) L'idéologie élitiste du fonctionnariat 50b) L'idéologie étatiste de la social-démocratie 51

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4

7.3 Fondements politiques de la répression 52

7.4 Le tribunal Russel sur la répression en R.F.A 53

8. LA SOCIAL-DÉMOCRATIE, «FILIÈRE» DEL'IMPÉRIALISME 53

8.1 Remontée de l'influence économique et politiquede la R.F.A 53

8.2 Médiation de la social-démocratie 55a ) Politique méditerranéenne 55

b ) L'impérialisme allemand au Brésil 56c ) La Fondation Ebert 56

d ) L'Internationale socialiste 57

9. «MODELL DEUTSCHLAND» 58

9.1 Les instances de concertation 58

a ) Le Comité d'entreprise 58

b ) Le conseil de surveillance 60

c ) Cogestion de la sécurité sociale 61d ) Concertation nationale 61

9.2 L'économie et la classe ouvrière 61a) Conscience de classe et rendement

sur le capital 61b ) Le mouvement syndical 62c) Les illusions répandues au sujet du

modèle allemand 63d ) Répartition inégale de la richesse 65

CONCLUSION4.1 Quel parti? 67

4.2 Quel modèle? 69

5BIBLIOGRAPHIE 7l

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1INTRODUCTION

Habitués à des gouvernements qui manient plus facilement le bâton que lacarotte, les travailleurs canadiens et québécois ont de quoi se sentir perplexesdevant les récents développements politiques. Pour commencer, tout unnouveau vocabulaire a fait son apparition: la «participation aux profits, à lagestion», le «tripartisme», l'«enrichissement au travail», le «nouveau contratsocial», la «concertation», la «social-démocratie». Qu'est-ce à dire? Quesignifient ces termes ? Qui les utilise et à quelles fins ? Voilà un certain nombre dequestions pressantes qu'il faut clarifier pour que l'action ouvrière ne dévie pasvers des voies de garage.

La référence à la social-démocratie jouit d'une grande popularité parmi lesmembres du nouveau gouvernement du Québec. De Lévesque en descendant,les ministres ne jurent que par la social-démocratie. Cependant, la population n'apas encore eu droit à une définition bien rigoureuse. On n'en retient quel'impression diffuse d'une volonté de changements sans chambardements, deréformes sans ruptures, d'« humanisation » du système économique, d'harmoniesociale s'instaurant graduellement, d'évolution vers une société sans tensions. Leterme est censé convier l'image d'un gouvernement dynamique, ouvert auxréformes, mais en même temps rassurant, oeuvrant dans le cadre d'une sociétépluraliste.Une fois le mot lâché, tout le monde, y compris les financiers du Economie Clubde New-York, est censé savoir à quelle enseigne loge le gouvernement ; lasocial-démocratie est censée à la fois caractériser le projet social du gouverne-ment péquiste et le démarquer à droite et à gauche. Pourtant, après un an, leprojet social du gouvernement péquiste ne brille pas par sa clarté. Desimprovisations économiques aux amendements au projet de loi 45, on ne perçoitpas clairement en quoi réside la social-démocratie.

Toutefois, il y a une constante qu'on retrouve à travers l'action gouvernemen-tale : l'effort pour provoquer un rapprochement du patronat et des travailleurs,l'insistance sur la complémentarité des intérêts, la recherche de solutionscommunes aux problèmes différents des multinationales et des ouvriers. Avecle gouvernement qui agit comme médiateur. Telle est la vocation que prétend sedonner le gouvernement. Ce qu'il cherche à mettre en oeuvre c'est ce qu'onappelle une politique de concertation.

Cette politique repose sur l'idée selon laquelle les divergences entre les « agentséconomiques », pour employer l'expression aseptisée du vocabulaire tradition-nel, peuvent être réglées par la concertation plutôt que par l'affrontement. A labase de la concertation, il y a le principe selon lequel les diverses forces socialesforment un tout complémentaire, il s'agit donc de trouver les mécanismes quipermettent aux « partenaires sociaux » de chercher ensemble des solutionsbénéfiques pour tous. L'idée de concertation est ainsi inséparable de l'idée desacrifices, de restrictions volontaires, en principe réciproques, dans «l'intérêtgénéral ». La proposition typique de la concertation consiste à demander auxtravailleurs de limiter les augmentations de prix, et aux gouvernements derestreindre leurs dépenses. Quand les profits déclinent, une telle politique vise àobtenir des travailleurs une modération de leur revendications, un accroissementdu travail et un arrêt des luttes. Quand les profits se rétablissent, la concertationest mise au rancart. Le libéralisme classique reprend tous ses droits.

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Dans certains pays, la concertation est institutionnalisée. Dans les paysScandinaves et en Allemagne notamment, une variété d'institutions servent decadre à une concertation permanente, à une collaboration institutionnalisée ducapital et du travail. Cela donne les modèles de «sociétés de concertation », oules «social-démocraties», dont nos gouvernements s'inspirent abondamment àl'heure actuelle pour réaménager les structures de relations de travail. Aussinous faut-il connaître ces modèles et approfondir notre compréhension del'organisation de ces sociétés.Nous pouvons formuler comme hypothèse que les classes dominantes,durement éprouvées par la crise économique, menacées politiquement par lescommunistes dans certains pays (Italie, France, Portugal), aux prises un peupartout avec l'essor des mouvements populaires, cherchent aujourd'hui uneissue politique durable à la crise dans la concertation. Cela dépasse le simplephénomène conjoncturel. La crise économique mondiale va engendrer unmonde où les cartes politiques seront réparties différemment. De crainte d'êtredébordées par les luttes populaires, les bourgeoisies proposent de «nouveauxcontrats sociaux » susceptibles de préserver ou de renforcer leur domination.Comme au Portugal avec les socialistes de Mario Soares, le capitalisme estdisposé à courir le risque d'un dérapage contrôlé pour endiguer les aspirationspopulaires. Autrement, il ne resterait que la solution d'autorité, telle qu'on lapratique en Amérique latine. D'où la remontée à la surface de la social-démocratie. D'où l'irruption de la social-démocratie allemande comme modèle ;un modèle pas tellement économique mais plutôt politique dans la mesure où ilfixe des garde-fous aux politiques sociales; un modèle idéologique dans lamesure où il permet d'évacuer les antagonismes de classes.

Les propensions social-démocrates que nous décelons au Québec et au Canadas'inscrivent dans un mouvement international très vaste en ce sens; aussi, est-ilsouhaitable de mener en parallèle l'étude de ces phénomènes.

L'étude présente comporte une préface qui énumère les initiatives prises à cejour dans divers milieux canadiens pour mettre en oeuvre une politique deconcertation. L'essentiel du texte vise à définir la nature et à clarifier le rôle de lasocial-démocratie à la lumière de son développement historique en Allemagne.Chacun pourra faire les rapprochements et les comparaisons entre les deux ( 2 )sociétés.

Dans la tradition du mouvement ouvrier, l'Allemagne est importante égalementparce qu'elle a été le creuset où se sont élaborées plusieurs théorisationsfondamentales sur l'action ouvrière. Nous profitons de l'occasion pour enreproduire certains fragments.

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2PRÉFACE: LA CONCERTATIONAU CANADA ET AU QUÉBEC

1 • CAPITALISME ETLUTTES DE CLASSES

La crise actuelle du capitalisme est le résultat des tendances à la crise ducapitalisme, des contre-tendances introduites par la lutte des classes exploitées,et des rectifications apportées par les classes exploiteuses afin de reproduire leurexploitation.

Les tendances à la crise du capitalisme sont liées à la baisse du taux de profitrésultant de l'accroissement relatif des équipements dans la production audétriment du travail salarié, source de plus-value.

Les tendances pour contrer la baisse du taux de profit sont liées à l'augmentationdu degré d'exploitation du travail :

— par l'allongement ou la non-réduction du temps de travail proportionnelle-ment aux augmentations de productivité,

— par la pression sur les salaires pour réduire le coût de reproduction de lamain-d'oeuvre,

— par la qualification accrue des travailleurs sans relèvement équivalent dusalaire permettant une productivité accrue dont les fruits sont accaparés parle capital,

— par le transfert à l'Etat de la charge des infrastructures énergétiques et detransport et de certains coûts de financement.

Ces tendances du capital à renforcer l'exploitation sont à leur tour contrecarréespar les luttes des travailleurs, par la puissance croissante du mouvement ouvrier,sur le plan revendicatif comme politique.

Le rapport de forces créé dans les pays capitalistes avancés a obligé labourgeoisie à agir sur le taux de plus-value en passant par d'autres voies quel'affrontement direct avec le mouvement ouvrier.

Entre autres :— par une inflation soutenue visant à redistribuer les revenus en faveur des

monopoles industriels et bancaires,— en faisant assumer par la collectivité certaines dépenses de reproduction des

travailleurs ( logement, santé, éducation, famille ) tout en cherchant àcomprimer au maximum les budgets consentis à ces fins,

— en créant une surpopulation relative de chômeurs qui exerceront unepression à la baisse sur les salaires,

— en déplaçant les investissements vers les pays dominés du Tiers monde. [ 1 ]

Schématiquement, telles sont les politiques mises en oeuvre au Canada et auQuébec ces dernières années: loi C-73 de contrôle des salaires, loi 69 decoupures de l'assurance-chômage, non-indexation des allocations familiales,coupures Forget dans les hôpitaux, plafonnement du salaire minimum, nonindexation des impôts, subventions à l'exploration, l'exploitation, l'épuisementdes ressources, réductions d'impôts pour les compagnies, restrictions du créditpour la population, budgets récessionnistes accentuant le chômage, etc...

Ces politiques se sont déployées dans un contexte de résistance ouvrièrecroissante: 5.7 millions de jours de grèves/lock-outs en 1973, 9.2 millions en

[ 1] Voir: Manuel Castels, La crise économique et la société américaine, P.U.F., Paris, 1976.

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1974, 10.9 millions en 1975, 11.6 millions en 1976. Malgré des reculs sévères, desgains importants ont été réalisés. Le pouvoir d'achat populaire s'est maintenujusqu'à la fin de 1976. La lutte du Front commun du secteur public et para-publicau Québec en 1975-76 a permis d'endiguer l'offensive contre les services desanté et d'éducation.

Aujourd'hui, après avoir tenté la manière forte, les gouvernements expérimen-tent la manière douce, ils recherchent une décrispation du climat social par laconcertation.

2. La concertation La crise est profonde et le gouvernement le reconnaît. Mais il est évident aussivue par le Fédéral que le gouvernement est conscient des transformations importantes qui sont en

cours à l'échelle mondiale. Celui-ci est parvenu à la conclusion que les politiquesfiscales et monétaires traditionnelles ne sont plus, à elles seules, suffisantes pourgérer l'économie capitaliste. D'où les nouvelles orientations politiques, fondéessur la recherche de mécanismes institutionnels de collaboration entre lepatronat, les syndicats et le gouvernement. Ce qu'on désigne sous le vocable detripartisme. La première indication d'un tel revirement peut être datée de Noël1975 quand le Premier ministre Trudeau a livré ses réflexions sur la « Nouvellesociété ». Bien que les tentatives pour mettre en place des mécanismes deconcertation ne soient pas nouvelles au Canada, celles-ci ont pris une ampleurconsidérable depuis lors. Et cela n'est pas le reflet des intuitions politiques deTrudeau. Le gouvernement s'est surtout aperçu que les pays qui parvenaient lemieux à naviguer à travers la crise étaient justement ceux qui pouvaient sereplier sur leurs institutions de collaboration tripartite — l'Allemagne de l'Ouesten particulier. Depuis lors, la recherche de mécanismes adaptés au contextecanadien va bon train. Elle est même beaucoup plus avancée qu'on agénéralement tendance à croire. Cette recherche se déploie sur deux fronts :d'un côté, les institutions tripartites nationales et de prestige ayant des fonctionsidéologiques : convaincre les travailleurs de la nécessité des restrictions et del'accroissement des efforts. D'autre part, les institutions bipartites dansl'entreprise créées par voie législative, ce qui retirerait au mouvement syndicalcertains de ses champs d'intervention.Toute une série de nouvelles institutions « participatives » pourraient bientôt voirle jour, permettant à l'État capitaliste de gérer l'économie sans susciter de tropfortes résistances, en particulier du côté de ceux à qui on veut faire payer la note,les travailleurs. Tel est le projet. Nous pouvons tenter une description desinitiatives prises à ce jour.

Dans le passé récent au Canada, diverses initiatives de concertation ont ététentées : la Commission Young ( Commission des prix et des revenus, 1969-71 ),la Commission Plumptre (Commission de surveillance du prix des aliments,1973-75), le «projet d'accord volontaire entre les agents de l'économie surl'évolution des prix et des salaires » de mai 1975, piloté par le ministre desFinances Turner. Toutes ces entreprises ayant échoué, le gouvernement fédérala imposé les «mesures de contrôle » obligatoires de la loi anti-inflation en octobre1975. Si la politique de la main tendue ne fonctionne pas, il restera toujours celledu gros bâton.

Aujourd'hui, le gouvernement fédéral repart à la charge sur le thème de laconcertation en prévision de la période « d'après les contrôles ». Et c'est iciqu'entrent en scène les expériences européennes puisque le gouvernementTrudeau est à la recherche des mécanismes institutionnels qui pourraient servirde support et de cadre à la concertation. Entre autres, le gouvernement Trudeaus'est suffisamment intéressé au modèle allemand pour envoyer, en 1976, leprofesseur Charles J. Connahan, vice-président de l'Université de Colombie-Britannique, enquêter sur place. Celui-ci a soumis un rapport sur les institutions

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allemandes où il décrit l'état quasi-utopique qui existerait dans le domaine desrelations de travail ouest-allemandes.

Il propose l'adoption de certains éléments du système appelé «MITBESTIM-MUNG », littéralement le système de «participation aux décisions»: lacogestion. Le sous-ministre du Travail, Thomas Eberle, a endossé ce rapport. Leministre du Travail, John Munro, s'est, quant à lui, inspiré directement dumodèle allemand dans la campagne qu'il mène présentement pour rétablir la paixsociale.

Dans un discours livré récemment, Munro a dressé le tableau des projets dufédéral en matière de politique de concertation et à fait le point sur la situation.[1]En premier lieu, le ministre a réitéré son attachement au principe deconsultations tripartites (patronales-syndicales-gouvernementales) au niveaunational. Le problème principal pour lui ne réside pas dans la discussion de ceprincipe, mais dans le choix des mécanismes de consultation à mettre en place.Bien entendu, le ministre impute à l'absence de concertation la responsabilité desdifficultés économiques du Canada. Citant le cas des mises à pied à lacompagnie INCO ( 3500 travailleurs ) comme exemple du résultat de l'absencede «travail en commun », le ministre en vient à suggérer la mise sur pied dansl'entreprise de comités consultatifs ouvriers-patronaux pour faire un travailparallèle à celui des syndicats :

« We should have consultative committees of workers andmanagement at the plant level which would complementcollective bargaining on a day-to-day basis, so that employeescould be better informed about critical décisions before they aremode. A consultation process would open up new options forworkers seeking job security. Instead of being faced withcertainty of lay-off, they would have time to negociate flexiblehours, less overtime, improved pension benefits, early retire-ment, lay-off by attrition, job retraining, shared work and othersolutions, instead of being inundated by bad publicity andanimosity over a sudden lay-off notice, the employer woulddevelop worker loyalty and improved productivity. » [ 2 ]

Ce comité serait le lieu où les travailleurs planifient leur licenciement ! Cetteproposition de comités conjoints d'entreprise qui doubleraient et mêmearracheraient aux syndicats certaines de leurs prérogatives s'inspire directementdu «comité d'entreprise » existant en Allemagne. L'énoncé du ministre décritpresque parfaitement ce que fait le comité d'entreprise en Allemagne. Lechapitre VIII de la présente étude explicite comment fonctionne cette institutionen Allemagne de l'Ouest et à quoi elle mène.

Dans son discours, Munro rappelle également une initiative importante prise par

| 1 | John Munro, TRIPARTISM - IS THIS THE FINAL SOLUTION FOR POLICY MAKING ?Notes pour un panel à l'Université Queen's, Kingston, Ontario, 12 novembre 1977.

[2] Traduction libre :« Nous devrions avoir des comités consultatifs composés de travailleurs et de la directionau niveau de l'établissement qui serviraient de complément à la négociation collective enintervenant au jour le jour, de telle sorte que les employés pourraient être mieux informésdes décisions importantes avant qu'elles ne soient prises. Un mécanisme de consultationouvrirait de nouvelles options pour les travailleurs à la recherche de la sécurité d'emploi. Aulieu d'être confrontés à la certitude de leur mise à pied, ils auraient l'occasion de négocierdes heures flexibles, moins de temps supplémentaire, des améliorations aux régimes depension, la retraite avancée, les mises à pied par non-remplacement, le recyclage, le partagedu travail, et autres solutions. Au lieu d'être inondé de publicité adverse et d'animosité àcause d'un avis subit de mise à pied, l'employeur stimulerait la fidélité des travailleurs etgagnerait des améliorations de productivité.»

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son gouvernement pour désamorcer «l'adhésion excessive au système d'opposi-tion dans les négociations collectives ». Il s'agit de la création du Conseilcanadien des relations du travail en 1975. Ce Conseil avait pour but de réunirhuit ou neuf représentants du mouvement syndical et un nombre équivalent dupatronat. Le gouvernement y figurait également mais avec une participationminoritaire. Ce conseil a fonctionné jusqu'au moment où les représentants duC.T.C. se sont retirés, après l'adoption de la loi anti-inflation. Parmi sesréalisations, le Conseil a obtenu un accord de principe pour la création d'unCentre d'information sur les conventions collectives, à composition tripartite. CeConseil a également travaillé à dresser l'inventaire des expériences departicipation aux profits, de participation à la gestion, et des plans de valorisationdu travail dans les entreprises canadiennes.

Au printemps dernier, lors des négociations entre le gouvernement, le patronatet le C.T.C. pour dégager un accord sur les modalités de levée des contrôles, legouvernement réitéra une proposition formulée en octobre 1976 par Munrodans son «programme en 14 points en vue d'améliorer les relations du travail » :la création d'un Forum consultatif national. Cette initiative du gouvernement n'apas encore abouti puisque l'accord ne s'est pas fait mais celui-ci entend bienremettre sur la table sa proposition à un moment plus opportun. Or, un telForum n'est pas sans rappeler ce qui est connu en Allemagne sous le vocable de«Programme d'action concertée». Le gouvernement envisage en effet «lacréation d'une tribune nationale de consultation multipartite dans laquelle lestravailleurs peuvent se joindre au monde des affaires, au gouvernement, auxconsommateurs, aux fermiers et aux autres groupes afin d'aider à la résolutionde problèmes communs». Munro voit celui-ci comme un «organisme nationalde prestige qui a de vastes moyens pour rallier l'unanimité et pour exercer unegrande influence sur ceux qui prennent les décisions dans les secteurs tantpublic que privé, de même que dans le grand public ». Ce Forum effectuerait unerevue périodique de l'actualité économique et fournirait le cadre d'échanges devues sur l'avenir économique et social du pays. L'organisme comprendraitquelque 30 personnes tout au plus.

Dans un autre document du ministère du Travail «Agenda pour la coopéra-tion », le gouvernement explique qu'il attend de ce Forum qu'il «réduise l'éventaildes options possibles et réalisables à mesure que les participants gagneront unemeilleure compréhension du point de vue des autres».

Dans son programme en quatorze ( 14 ) points, Munro annonce qu'il envisage deprocéder par voie législative à la mise en place d'un certain nombre demécanismes de relations de travail : comités conjoints d'entreprise pours'occuper de sécurité et d'hygiène, de pensions et retraite. Bien qu'il s'agisse làd'une innovation, cette proposition vise à restreindre l'aire de négociation dessyndicats et, du même coup, à supprimer autant d'occasions d'affrontementavec les patrons. suffisait d'y penser! Il

Dans ce cas encore, le gouvernement cherche à mettre en place une structureparticipative dans l'entreprise, analogue à celles qui existent en Allemagne del'Ouest.

« Les questions de pension et de retraite sont en train de devenirl'une des principales sources de conflit entre employeurs etemployés. Un débat animé s'est récemment engagé à propos desavoir si tous les régimes de pension devaient être protégéscontre l'inflation; c'est-à-dire si les prestations devraient êtreindexées au coût de la vie, suivant le taux d'inflation. Mais lestravailleurs commencent à réclamer d'autres améliorationsencore, par exemple des droits pleinement acquis, le transfertdes bénéfices et la cogestion du fonds de pension. Voilà autant

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de questions qui peuvent engendrer des difficultés. Dans lamesure où nous réussirons par voie législative à les fairedisparaître ou à en atténuer la gravité - peut-être en améliorantles normes actuelles régissant les prestations de retraite - dansla même mesure nous parviendrons à réduire les sources deconflit qui peuvent surgir sur les lieux de travail et à la table desnégociations. » [ 1 ]

Parmi les autres points de ce programme, il convient enfin de relever les effortsdu fédéral pour promouvoir la négociation par branche industrielle. Au Canada,cela se pratique déjà dans l'industrie de manutention des grains ; le gouverne-ment tente de l'introduire dans le transport aérien. Comme le signale Munro« cette négociation existe depuis un quart de siècle dans l'industrie ferroviaire oùelle a prouvé qu'elle était une force remarquable de stabilité ». Faut-il voir là l'effetd'un autre emprunt au modèle allemand où les négociations se font à l'échelleprovinciale par branche industrielle avec le seul concours de professionnelssalariés du mouvement syndical?

Le 27 octobre 1977 le ministre Munro déposait le projet de loi C-8 visant, entreautres, à concrétiser certaines des propositions du programme en quatorze ( 14 )points au niveau du Code canadien du Travail : comités d'entreprise sur l'hygièneet la sécurité, facilités pour la négociation par branche industrielle. Sur un grandnombre de points du programme, le projet de loi reste cependant silencieux,comme si les discussions n'étaient pas mûres. Par ailleurs, le projet de loi vise àétablir des conditions minimales pour les non-syndiqués, à donner augouvernement la possibilité d'imposer la première convention collective. Ilcontient également des dispositions réglementant le déclenchement d'une grèveou d'un lock-out. Toutes ces choses passent actuellement au Québec pour êtredes innovations audacieuses et éclairées de la part du gouvernement péquiste.L'offensive la plus récente du fédéral pour instaurer une forme de concertationconcerne les discussions tripartites en vue de « l'après-contrôles ». En effet, legouvernement fédéral tente actuellement d'obtenir l'assentiment des gouverne-ments provinciaux et du C.T.C. à la mise sur pied d'un organisme desurveillance chargé de piloter les augmentations salariales après le 14 avril 1978,date qui marquera le début de la fin du programme anti-inflation.

On peut enfin faire état d'une dernière initiative qui a toutes les chancesd'avorter: une proposition du fédéral visant à mettre sur pied vingt-deux (22)groupes de travail sectoriels composés de représentants du patronat, desgouvernements et des syndicats. Ces groupes, selon le projet initial, devraientidentifier les problèmes de ces secteurs et suggérer des solutions avant le 30 juin1978. Ils auraient surtout pour mandat d'examiner les perspectives dedéveloppement à moyen et long termes. Et d'ajouter le ministre québécois del'Industrie, Rodrigue Tremblay : « Cette formule permettrait la constitution deforums facilitant une meilleure concertation des agents économiques». [2]Celui-ci s'interrogeait malgré tout sur l'efficacité réelle d'un tel mécanisme étantdonné les délais limités.Mieux que quiconque, le fédéral a compris la nature fondamentale du systèmeallemand et il veut l'appliquer. Aussi est-il impérieux que les travailleurs d'icisoient informés et prévenus contre ce qui les attend au prochain détour législatif.

[ 1 ] John Munro, « L'amélioration du milieu de travail des Canadiens », Discours prononcé le 14mars 1977 à l'ensemble des clubs Rotary de Burnaby, C.B.

[2] Le Devoir, 6 février 1978.

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3 - LA CONCERTATIONSELON LE CONSEIL DUTRAVAIL DU CANADA

Le manifeste du C.T.C., à propos duquel les ministres fédéraux ne tarissent pasd'éloges, constitue la pièce centrale définissant l'orientation de l'organismesyndical pan-canadien.Le manifeste a été adopté la première journée du onzième Congrès du C.T.C.en mai 1976 à Québec. C'est la contribution du C.T.C. au débat sur «la sociétéd'après les contrôles ». Adopté quelques mois après le retrait du C.T.C. desorganismes consultatifs du gouvernement, le manifeste précise le cadreinstitutionnel que le C.T.C. souhaiterait pour effectuer un «come back » : au lieud'organismes consultatifs, le C.T.C. voudrait des organismes plus ou moinsdécisionnels. Le programme en quatorze ( 14) points de Munro (octobre 1976)constitue la réponse du fédéral aux propositions du manifeste, de même qu'uneamorce de négociations. Il est important de prendre connaissance de cedocument qui «campe» politiquement le C.T.C. dans la conjoncture actuelle.

Considérant que les contrôles des salaires constituent un pas important de lapart du gouvernement central dans l'instauration d'un système de « corporatis-me libéral », le document du C.T.C. s'interroge sur la meilleure façon d'éviter queles politiques économiques et sociales s'élaborent sur le dos des travailleurs.

Pour éviter l'isolement, le C.T.C. propose l'institutionnalisation de la participationdu mouvement syndical — avec le patronat et le gouvernement — à laplanification des grandes orientations économiques et sociales. A la notion de«corporatisme libéral», le conseil exécutif du C.T.C. substitue la notion de«corporatisme social», [1]

« Toute/ois, nous avons la force de résister au gel salarial, nousaurons aussi la force de créer un corporatisme social. Afin quececi puisse arriver, le mouvement syndical a besoin dedévelopper un pouvoir de négociations nationales afin depouvoir traiter avec les dirigeants de l'économie nationale et unprogramme national de caractère social et économique — enbref, une position de force pour pouvoir négocier. » [ 2 ]

L'extrait suivant exprime parfaitement l'optique du syndicalisme d'affairesconcernant les luttes ouvrières :

«Le mouvement syndical a toujours cité un prix qu'il faudraitpayer pour son appui au «système». Au niveau des sectionslocales ou d'entreprise, par l'intermédiaire des négociationscollectives, il négocie le prix pour lequel il est prêt à appuyer lavie de l'entreprise. Au niveau national, le prix de l'appui syndicala été représenté par les mesures législatives dans le domaine dela sécurité sociale, le droit d'accès universel à l'éducation pourtous, les pensions de retraite, l'assurance-chômage, la sécuritépour le troisième âge, les allocations familiales et d'autresbénéfices sociaux. Le prix de l'appui syndical à venir devraitêtre, au niveau national, la participation dans le pouvoir défairedes décisions à caractère économique et social, un partage desresponsabilités avec d'autres partenaires sociaux — le patronatet le gouvernement. » [ 3 ]

[ 1 ] Malheureusement, ces notions ne sont pas autrement définies dans le texte du Manifeste.Nous croyons, quant à nous, que la traduction française de ces termes porte à équivoque.Le « corporatisme libéral ou social » ne renvoie pas à la doctrine corporatiste mais àquelque chose qui dériverait du terme anglais « corporation » : entreprise, compagnie.

[ 2 | Déclaration de politique générale du conseil exécutif, p. 10.

[3] Déclaration de politique générale du Conseil exécutif, p. 12.

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Le manifeste du C.T.C. s'avance très loin dans la voie de la collaboration declasses. Il propose, à l'instar du gouvernement, d'institutionnaliser cettecollaboration pour la rendre permanente.

Ce texte a certes suscité des réactions très vives et angoissées de la part deplusieurs des organisations adhérant au C.T.C. Entre autres, le S.C.F.P., le plusgros syndicat du C.T.C., a condamné le tripartisme. Il en a été de même avec laF.T.Q. L'exécutif de la F.T.Q. a rejeté toute proposition de collaboration à trois(3) avec le gouvernement fédéral lors de la mise au point d'une déclarationcommune F.T.Q. - C.S.N. - C.E.Q. à l'occasion des grèves et manifestations du14 octobre 1976. A son congrès de novembre-décembre 1977, la F.T.Q. a réitérésa condamnation de toute forme de tripartisme. Les choses sont telles,actuellement, que le ministre Munro a suggéré de ranger au placard ce terme detripartisme (tout en gardant le contenu ). Dans un discours récent celui-ci s'estinquiété de «l'érosion de l'appui aux aspects positifs du Manifeste du C.T.C. àl'intérieur même de l'organisme. ». [ 1 ]

4 - LA CONCERTATION VUEPAR LE CONSEILÉCONOMIQUEDU CANADA

Le retrait en mars 1976 du C.T.C. des organismes consultatifs du gouvernementa aussi provoqué un réalignement du Conseil économique du Canada. Onconnaît bien cet organisme. Son mandat consite à faire des recommandations augouvernement en matière de politique économique. De plus, par le biais de sesrapports annuels, le Conseil économique présente à la population un tableau dela situation et élabore des perspectives pour l'avenir économique du pays.Aujourd'hui, la crédibilité et le prestige du Conseil économique sont tombés àpresque zéro. Le gouvernement ne donne que très rarement suite auxrecommandations. Depuis le départ d'André Raynauld, devenu député libéral àQuébec, le Conseil n'avait plus qu'un président intérimaire. Aussi, le Conseils'est-il interrogé sur son propre avenir. Par la voix de son président intérimaire,George Post, le Conseil a fait connaître sa position, tant sur la «nécessaireconcertation» que sur son rôle à l'intérieur de celle-ci.

«Le Conseil est d'avis, compte tenu de la pluralité et desparticularités régionales des intérêts économiques, que desmécanismes améliorés s'imposent pour que les conflits poten-tiels puissent être discutés sur la place publique afin d'en arriveraux compromis nécessaires. ».

« Personnellement, je crois que le Canada a besoin d'un certainnombre d'organismes consultatifs qui examineraient des problè-mes structurels spécifiques. » [ 2 ]

Dans son quatorzième exposé annuel, le Conseil économique en est arrivé à laconclusion qu'il devait se saborder dans sa forme actuelle pour réapparaîtrecomme Conseil économique et social jouissant d'un audience beaucoup plusétendue.

[ 1 ] Discours prononcé par John Munro au Rideau Club d'Ottawa devant un comitéd'hommes d'affaires canadiens, le 12 décembre 1977.Pour références additionnelles, voir :Le manifeste du monde du travail pour le Canada, (Manifeste du C.T.C. )«Comments on the CLC Manifesto », Joe Davidson, CUPW, Saskatchewan RWDSU,Gilbert Levine in Canadian Dimension, Vol. 11, no. 7.«Joe Morris: Labour's Big bid», Ray Murphy, in Las/ Post, août 1976.

[ 2 | George Post, « Pour une meilleure performance économique, » Note pour une allocutiondevant le Men's Canadian Club of Ottawa, le 16 novembre 1977. Voir aussi : 14e exposé :horizon 1982, recommandation du C.E., p. 101.

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Heureusement ou malheureusement pour le Conseil économique, le gouverne-ment en a décidé autrement. En janvier 1978, le premier ministre Trudeaudésignait Sylvia Ostry comme nouveau président (permanent) du Conseiléconomique. En même temps, les fonctions du Conseil étaient précisées. Sonrôle de conseiller du gouvernement est réduit et la suggestion de reconversion eninstitution servant de cadre à la concertation est mise de côté. Le Conseiléconomique aura principalement pour mandat d'éclairer le public canadien surles grandes questions économiques. Il deviendra un organisme d'éducationpopulaire !

Aujourd'hui, le Conseil économique milite avec ardeur en faveur de la«démocratie industrielle» qu'il définit comme suit:

«La démocratie industrielle est un domaine des relations detravail où il n'existe pas de division idéologique précise entre lepatronat et les syndicats. Prise dans son sens large, elle consisteen une rupture de la dichotomie traditionnelle entre le patronatet les syndicats afin d'accorder aux travailleurs un plus grandpouvoir et une participation accrue dans la structuration et lecontrôle de leur environnement de travail. » [ 1 ]

Pourquoi cet intérêt soudain pour la «démocratie industrielle »?«Aux prises avec une inflation et un chômage élevés etsoutenus, un ralentissement des taux de croissance et desconflits industriels, de nombreux Canadiens considèrent ladémocratie industrielle comme un moyen d'en arriver à desrelations plus étroites et, dès lors, plus productives entre lessyndicats et le patronat." [2]

Et voilà ! La démocratie industrielle est plus rentable que les plans bonis, d'où sonintérêt.

On remarque par ailleurs que dans la définition de la démocratie industrielle lesauteurs renvoient l'explication de l'existence d'une «dichotomie entre lepatronat et les syndicats » à des causes qualifiées d'idéologiques. Comme si lesrapports de domination dans l'entreprise n'existaient pas ; comme si les rapportsd'exploitation n'existaient pas. En fait, la bourgeoisie ne s'aperçoit pas, ou feintde ne pas s'apercevoir, que dans la société qu'elle a modelé, la démocratie(encore qu'elle soit exclusivement parlementaire ) s'arrête aux portes de l'usine.Passées les portes du bureau ou de l'usine, la démocratie n'existe pas : lestravailleurs sont soumis aux ordres du patron. La minorité possédante conserveintégralement tous les droits. Certes, les conventions collectives permettent delimiter le pouvoir absolu des patrons (ce que ceux-ci appellent pudiquement lesdroits de gérance) mais elles ne se conçoivent pas comme instrumentd'expression de la volonté majoritaire. Bref, dans l'usine, il est exclu que ladémocratie puisse s'exercer. Le capitalisme est fondé sur une telle restriction del'aire de la démocratie. Aussi pensons-nous que c'est plutôt la «démocratieindustrielle » qui représente une mystification idéologique.

[ 1 ] Conseil économique du Canada, Bulletin, décembre 1977, page 3.[ 2 ] Idem., page 3.

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5 - LA POLITIQUE DECONCERTATION DUGOUVERNEMENTDU QUÉBEC

— Jeune Afrique:«La position du social-démocrate n'est pas confortable. Il se faitattaquer sur sa droite et sur sa gauche. »

— René Lévesque:«Vous avez vous-même constaté le braquage patronal. C'estparce que nous n'acceptons plus le patronat de droit divin.Nous devons trouver un nouveau contrat social, comme enAllemagne, par exemple. Depuis que je fais de la politique, jen'ai jamais vu le patronat accepter le changement. Les patronss'y opposent par instinct. Mais, une fois que les changementssont opérés, ils s'y font très vite. Ils s'adaptent très bien. Leuropposition est, pour nous, un examen utile. Nous sommes lepremier parti au pouvoir en Occident qui n'ait pas accepté uncentime du patronat. Ni des syndicats, d'ailleurs. Nous n'accep-tons que le soutien financier individuel des citoyens. » [ 1 ]

Du côté québécois, la concertation cadre beaucoup mieux avec l'image que lenouveau gouvernement péquiste veut projeter. L'équipe gouvernementale quiest arrivée au pouvoir le 15 novembre 1976 professe ouvertement un credosocial-démocrate. Toutefois, la chose étant floue, plusieurs délégations ont étéenvoyées en tournée en Suède ( 35 en 1 an ) et ailleurs en Europe pour trouverun contenu institutionnel à la nouvelle philosophie. En effet, le gouvernement estavant tout intéressé à rétablir un minimum de paix sociale. Pour y parvenir, ilcherche à nouer des dialogues entre les « partenaires sociaux » de manière àdégager des « consensus ». Cependant, il ne semble pas encore avoir trouvé lesformules les plus adéquates pour réussir dans cette entreprise et il procède àtâtons.

Il faut bien dire que jusqu'à présent le préjugé favorable à la social-démocraties'est surtout manifesté verbalement. Bernard Landry, ministre d'État audéveloppement économique, s'est laissé aller à rêver tout haut au «vieux rêvenaïf» de collaboration entre les «agents économiques». René Lévesque, dansson style inimitable, a déploré «la grande confusion contemporaine des sociétésmouvantes, instables et de plus en plus angoissées parce qu'elles se sentent deplus en plus «dé-concertées». [2]

L'ineffable Yves Bérubé, ministre des Richesses naturelles, a trouvé l'audace dereprocher aux travailleurs mis à pied par la fermeture du moulin Wayagamakd'avoir négligé de négocier avec leur employeur ( Power Corp., le plus gros trustau Canada) l'accroissement des investissements et la modernisation del'établissement. Comme quoi on peut faire entrer pas mal de choses dans cetteauberge espagnol qu'est la social-démocratie.

La référence du Parti québécois à la social-démocratie est d'origine assezrécente. On se souviendra qu'en 1973, face à une radicalisation de certainestendances du parti qui cherchaient à se donner un projet social à contenusocialiste, qui revendiquaient l'autogestion, qui voulaient structurer les bases encellules, l'exécutif du parti avait pris l'initiative de diffuser un texte devant servir àpréparer le Congrès : « Quand nous serons vraiment maîtres chez-nous ». C'estlà que le projet avait pris une coloration définitivement social-démocrate. Laréférence s'est aussi élaborée comme alternative aux manifestes des centralessyndicales C.S.N., C.E.Q. et F.T.Q. de 1971-72. On se souviendra despolémiques entretenues par Jacques Parizeau dans Québec-Presse contre cesmanifestes et pour la social-démocratie.

[ 1 ] Revue Jeune Afrique, No 878, 4 novembre 1977.[ 2 ] René Lévesque, Discours d'ouverture au Sommet économique de Pointe-au-Pic, mai 1977.

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Plus fondamentalement, la possibilité d'un axe programmatique social-démocra-te au Québec découle d'un remodelage de la texture sociale à travers la«révolution tranquille» des années '60. Les nouvelles couches sociales issuesdes transformations structurelles d'un capitalisme archaïque en capitalismemoderne ont fourni la base pour un tel projet. Ce n'est pas par hasard quel'intelligentsia péquiste est formée des éléments les plus articulés et les plusmodernistes de la nouvelle petite bourgeoisie professionnelle.

Sur le tard, Robert Bourassa s'est aussi accolé l'étiquette de social-démocrate.Peine perdue, il avait été devancé.Pour favoriser l'éclosion de la nouvelle société fondée sur les «consensus» etafin de hâter l'accord en vue d'un « nouveau contrat social que tout le monde sesente tenu de respecter », le gouvernement a pris — ou s'apprête à prendre —un certain nombre d'initiatives.

En premier lieu, le gouvernement a convoqué le Sommet économique de Pointe-au-Pic en mai 1977 réunissant les syndicats, le patronat, le gouvernement et lemouvement coopératif. Dans quel but ? Laissons parler René Lévesque :

«Nous sommes ici à cause de cette responsabilité partagée etde la conscience qu'elle ne peut pas ne pas nous donner durendement décroissant des affrontements sans cesse renouve-lés, et des dangers de plus en plus évidents qu'ils pourraientnous faire courir à tous. Nous sommes ici parce que ceux quenous représentons, également, commencent à en avoir assez etqu'ils nous auraient difficilement pardonné de ne pas participerà cette recherche, ou si le mot vous paraît trop fort, à cetexercice...

Un exercice qui mène à quoi ? Certainement pas à un nouveau«contrat social» pour demain matin. Nous le savons tous,hélas, la concertation socio-économique n'apparaîtra pas tout àcoup pour jeudi de cette semaine. Il n'y a pas de partnership àl'horizon immédiat. Mais il y a ici, j'en suis sûr, des interlocuteursqui ont envie de se parler et qui arrivent avec autant de bonnevolonté que de franchise afin d'en tirer à tout le moins unemeilleure perception des points de convergence possibles, car ily en a. Sauf pour les naufrageurs, cette espèce universelle determites qui rongent partout de leur mieux les fondements de lasociété, afin de la faire tomber pour en inventer une autre quiserait bien pire, chacun sait dans son for intérieur que tout n'estpas divergent, ni contradictoire, ni totalement inconciliable. »[1]

Dire que ce Sommet économique a permis au gouvernement de réaliser sonvoeu serait grandement exagéré. Cet événement reste malgré tout un jalonimportant dans la tentative de mise en place d'un mécanisme de concertation. LeSommet de Pointe-au-Pic a d'ailleurs été suivi fin août-début septembre 1977 parquatre (4) mini-sommets tripartites portant sur les industries du meuble, destextiles, des vêtements et de la chaussure, Il semble qu'à cette occasion il y ait euau moins accord entre les parties pour revendiquer du fédéral l'imposition decontingentements sur les importations de ces produits. Les choses en sontrestées là, cependant. Récemment, le gouvernement a annoncé la tenue en 1978d'au moins cinq ( 5 ) ou six ( 6 ) rencontres tripartites du même genre : industrieagro-alimentaire, tourisme, pêcheries, mines, coopératisme et électro-métallurgie.

[ 1 ] René Lévesque, op. cit.

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Enfin, encouragé par les résultats de ces activités visant à la «bonification duclimat socio-économique », le gouvernement a fait savoir le 21 octobre, lors de laprésentation du «Programme de stimulation de l'économie et de soutien del'emploi», qu'il allait procéder à la création d'un service permanent desconférences socio-économiques qui se chargerait d'organiser des « sommets ».

D'autre part, le cinquième volet du « Programme de stimulation », intitulé « Laconcertation », prévoit aussi deux ( 2 ) autres initiatives :

1 — création d'un Institut national de la Productivité,2 — création d'un Office de recherche et d'information sur les

conditions de travail et la conjoncture.

Un projet de loi créant l'Institut de Productivité a été annoncé le 7 décembre1977. Cet institut sera administré par un conseil de neuf ( 9 ) membres, dont trois( 3 ) nommés après consultation auprès des organismes patronaux et trois ( 3 )nommés après consultation des organismes syndicaux. Le gouvernementdésignera le président et le vice-président. Le personnel de l'institut fera partie dela fonction publique.

Le ministre de l'Industrie et du Commerce sera le ministre responsable del'institut. Il pourra émettre des directives sur ses objectifs et son orientation. Cetinstitut aura pour objectif de :

— faire comprendre à l'ensemble de la population l'importance de laproductivité dans la vie économique;

— favoriser une plus grande coopération entre les agents économiques;— être une source d'information en ce qui concerne les problèmes de

productivité.

L'organisme fera des recherches et des études, des comparaisons internationa-les et suggérera au gouvernement des actions visant à accroître la productivité.

Il n'est pas inutile de rappeler ici que cet organisme avait été réclamé au Sommetéconomique par des compagnies comme Campeau Corporation, United AutoParts, Quebec North Shore, La B.N.E. et d'autres.

Pourquoi ces compagnies veulent-elles des «données objectives » sur l'état de laproductivité? Pour elles-mêmes? Alors qu'elles disposent de toutes lesinformations nécessaires pour chiffrer la productivité de leur entreprise. Ou, plusprobablement, pour encadrer les négociations ? En fait, ce que les compagniesveulent, c'est un organisme étatique — donc « neutre », « respectable » et«autonome» qui se chargerait publiquement de fixer les limites au-delàdesquelles il ne serait pas raisonnable pour les travailleurs de revendi-quer des augmentations salariales, sous prétexte que celles-ci excéderaientles gains de productivité. Ainsi, cet organisme servira exclusivement à exercerdes pressions morales sur les travailleurs et leurs organisations. Comme toutesles institutions de la « société de concertation » un tel organisme se comprendcomme une entreprise d'intoxication idéologique.

Le dernier projet envisagé pour réduire les sources d'affrontement, c'est lacréation d'un Office de recherche et d'information sur les conditions detravail aussi bien que sur la conjoncture sous la responsabilité du ministre duTravail et de la Main-d'Oeuvre. Bien que ce projet ne soit pas encore finalisé, onne peut le concevoir autrement que comme un moyen pour faire intervenir destiers dans les négociations et exercer des pressions morales au nom de«l'objectivité des données », du «réalisme » et de l'indispensable «compétitivité »de l'industrie.

Un événement fort révélateur, c'est le processus d'adoption de la Loi 45modifiant le Code du Travail. Les amendements proposés en août 1977 allaient,pour un bon nombre, dans le sens des revendications syndicales. Suite à un

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battage hystérique du patronat, le gouvernement introduisait une séried'amendements en octobre annulant complètement certaines dispositions cléscomme l'interdiction d'engager des scabs en temps de grève. Suite auxmanifestations syndicales du 16 décembre, le gouvernement resserrait le textede certains amendements. Au fond, l'épisode du Bill 45 illustre admirablement lesconséquences de la politique de l'entre-deux-chaises des social-démocratesquébécois.

On pourrait en dire autant au sujet de la loi sur l'assurance-automobile. Lerésultat hybride est la conséquence des pressions populaires, d'une part, et despressions du Barreau et du Bureau des assureurs ( B.A.C. ), des avocatsintéressés et des compagnies d'assurances. Ces événements sont-ils l'expressionla plus achevée de la démocratie ou la manifestation des luttes de classesmédiatisées par l'État?

Au-delà du discours, telles sont donc, à date, les principales initiatives prises ouannoncées par le gouvernement pour instaurer une « société de concertation ».Comme on voit, il s'agit surtout d'interventions ayant pour but le conditionne-ment idéologique. A date, le gouvernement ne s'est pas inspiré des modèleseuropéens pour proposer des changements institutionnels affectant les mécanis-mes décisionnels de l'économie québécoise.

LE REGROUPEMENT DES ALLEMAGNES

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3LA SOCIAL-DEMOCRATIEEN ALLEMAGNE

1. INTRODUCTION Certains éléments de nos gouvernements se réclament ouvertement aujourd'huide la social-démocratie allemande. Ce qu'ils entendent par là, c'est un modèle desociété organisé selon les mécanismes institutionnels de la société ouest-allemande. Ils assimilent ces institutions — à tort — à la social-démocratiecomme si ce terme recouvrait précisément l'organisation institutionnelle del'Allemagne fédérale. Cette hypothèse détermine une perspective complètementfausse. Pourquoi ? Parce que les institutions de la République fédérale allemandec'est une chose, et la social-démocratie, c'en est une autre. Les institutionsallemandes, dans le «modèle social» contemporain de la R.F.A., se sontélaborées sous la tutelle des forces alliées d'occupation après la Deuxièmeguerre mondiale et, par la suite, sous la conduite des partis formant ladémocratie-chrétienne dans les années 50 et 60. La social-démocratie, enrevanche, est un parti politique qui est revenu au gouvernement en 1966 aprèsune éclipse du pouvoir de près de 40 ans. Aujourd'hui, ce parti continue à fairefonctionner le capitalisme dans le cadre des institutions que lui ont léguées sesprédécesseurs.

Ce qu'il importe de clarifier, par conséquent, c'est le pourquoi et le comment deces institutions, d'une part et, d'autre part, le rôle de la social-démocratie dans leprocessus. Car effectivement les choses sont imbriquées. Historiquement, lasocial-démocratie, par son poids, a contribué d'une manière décisive à forger letype que présente aujourd'hui la société ouest-allemande. Cela nous renvoie àl'analyse historique de l'évolution de l'Allemagne et de la social-démocratie.

La social-démocratie en soi n'existe pas, sinon comme fiction de l'esprit. C'estavant tout un phénomène politique et social qui se conçoit comme phénomènehistorique. A chaque époque, la social-démocratie prendra des traits différents.De même, d'un pays à l'autre, elle aura une allure différente. Cela dépendra descirconstances locales et historiques. En matière d'analyse politique, il est toujourserroné de créer des stéréotypes universels. Par exemple, qualifier de fascistetout ce qui est répressif et anti-démocratique, parce qu'un des traits du fascismec'est d'être répressif et anti-démocratique, mène à des appréciations et à despratiques politiques aberrantes. Le fascisme est aussi un phénomène historique-ment caractérisé. A l'inverse, particulariser à l'extrême chaque situation mène àl'impuissance. Il y a de fortes chances, par exemple, pour que ceux qui neveulent que d'un «socialisme bien de chez-nous» ne veuillent, en réalité, pas desocialisme du tout.

Il est possible de tirer de l'expérience du mouvement ouvrier international desenseignements qui ont une portée universelle parce qu'il est possible de théoriserdes expériences particulières. C'est pourquoi il faut étudier les phénomènespolitiques d'abord comme cas concrets, propres à leur environnement, maisaussi comme cas généraux pour en tirer des enseignements durables. C'est ceque cette étude vise en considérant la social-démocratie en Allemagne. Enremontant à travers l'histoire de la social-démocratie, nous tenterons d'endégager les caractéristiques en ce qui concerne sa nature et sa structure, sonrôle et sa fonction.

Le mouvement ouvrier allemand — en particulier jusqu'aux années 30 — estd'une importance capitale pour toutes les classes ouvrières. Aussi n'est-il pas

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sans intérêt de présenter ici ses moments importants : ses luttes, ses victoires etses défaites.

Dans le dernier volet, nous pourrons exposer la structure actuelle de la sociétéallemande et creuser ses fondements, ce que certains appellent, selon l'angle, le« miracle allemand », « Modell Deutschland » ou encore la « société de cogestion ».

2. LA SOCIAL-DÉMOCRATIE :

DES DÉBUTS À 1914

2.1 Points de repèreéconomiques et politiques

Les débats, les révisions, les productions théoriques des débuts du mouvementouvrier s'articulent sur une réalité bien spécifique, celle d'une Allemagne enpleine transition du féodalisme au capitalisme. Le contexte économique etpolitique de l'Allemagne au tournant du siècle permet de comprendre latrajectoire idéologique et politique de la social-démocratie, le sol historique surlequel elle se bâtit.

A) L'économieLe développement du capitalisme en Allemagne retarde par rapport aux autrespays européens. L'industrialisation connaît des débuts lents et ne s'accélèrequ'après 1870. Ce retard est en grande partie imputable au morcellement del'Allemagne et aux entraves au libre commerce. De même, après l'unification(l'Empire allemand est proclamé à Versailles en 1871), l'essor est rapide. Plusrapide qu'ailleurs. L'Allemagne deviendra vite la deuxième puissance industrielleaprès le Royaume-Uni. Sa prospérité est fondée sur la sidérurgie, l'industriechimique et les industries électriques. Parallèlement à ce mouvement, on assisteà une concentration croissante dans l'industrie. De même, un prolétariatnombreux se constitue dans les villes. Le mouvement est si rapide qu'un surplusde main-d'oeuvre apparaît — ce qui entraîne une forte émigration vers les États-Unis, le Brésil et l'Argentine. En 1882, l'industrie emploie 6 millions de personnes.En 1907, près de 11 millions. Des entreprises gigantesques se constituent dans laRuhr ; les « Konzern », véritables monopoles, apparaissent.

A partir de 1890, l'Allemagne de grande puissance européenne, va devenirgrande puissance mondiale. Tard venue à la curée des territoires coloniaux,l'Allemagne réclame quand même sa «place au soleil».

En 1884, l'Allemagne s'installe dans le Sud-Ouest Africain, au Togo, auCameroun ; en 1885, dans les territoires dépendant anciennement de Zanzibar( Tanzanie, Kenya ). Une tentative est menée en direction du Maroc. L'Allemagnes'y heurte à la France. Elle finira par obtenir un morceau du Congo. Desexpéditions sont également menées en Chine. En Asie mineure, l'Allemagneconstruit le chemin de fer Constantinople-Bagdad. Mais c'est surtout avec laTurquie ( l'Empire Ottaman ) que les rapports commerciaux s'intensifient. Cetteexpansion du capitalisme allemand doit nécessairement se heurter aux intérêtsdes autres puissances coloniales à un moment donné. A partir de 1898,l'Allemagne se dote d'une force navale. Celle-ci met en danger la suprématiemaritime du Royaume-Uni.

B) L'idéologie dominanteLes premières organisations ouvrières allemandes évoluent dans un contexteassez particulier. Jusqu'à 1871, l'Allemagne est restée un agrégat de principautésféodales. Le chancelier[1] Bismark et les généraux pruissiens[2] réalisent l'unitéde la nation allemande à la manière d'une expansion territoriale classique. C'est la

[ 1 ] Chancelier : équivalent du premier ministre.[2] Prusse: la région que recouvre essentiellement aujourd'hui l'Allemagne de l'Est, la R.D.A.

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défaite par la Prusse de l'Autriche en 1866 qui en marque le début et la défaite dela France qui en marque l'achèvement (en 1871) avec, comme corrolaire,l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine. A noter que le processus d'unification neressemble pas à celui de la France, réalisé à l'occasion de la révolutiondémocratique bourgeoise de 1789. Dans le cas de l'Allemagne, l'initiative vientde l'État Prussien et non de la bourgeoisie. Cette donnée est capitale pour lacompréhension des événements. En effet, l'Empire Prusso-allemand mis enplace par Bismark conservera de nombreux traits de l'idéologie féodale :autoritarisme, discipline, culte du despotisme d'État, militarisme. A l'inverse desautres pays européens, les pays de langue allemande ne connaissent pas derévolution démocratique bourgeoise avec ses conséquences idéologiques etpolitiques: souveraineté du peuple, droits de l'homme, libéralisme, etc...L'unification allemande est une « révolution par en haut » à caractère policier età connotations idéologiques féodales (c.f. ci-dessous l'appréciation de Marx ). Labase sociale de l'État prussien est constituée par les « Junkers », grandspropriétaires fonciers, et la petite aristocratie terrienne.

Le mouvement ouvrier naissant, dirigé par Ferdinand Lassalle, s'allie au Partiroyaliste contre la bourgeoisie naissante. Lassalle pactise en effet avec Bismarkdans l'espoir d'obtenir un élargissement du droit de vote. Contrairement auxautres pays d'Europe, la bourgeoisie (libérale) allemande n'est pas la classedominante à cette époque. Elle n'est pas encore remise d'une défaite cuisantedatant des révolutions de 1848. Aussi, l'alliance de classes invraisemblable qui senoue entre ce qu'il y a de plus progressiste en Allemagne ( la classe ouvrière ) etce qu'il y a de plus réactionnaire (les féodaux) donnera des sous-produitspolitique plus que douteux. On peut dire que Lassalle a fait son nid dans cedécor et y a conformé le mouvement ouvrier. Parmi les choses importantes dontil est responsable, il y a, en tout premier lieu, l'acceptation de l'État tel qu'il seprésente et de ses stratégies. Malgré les efforts de Marx et Engels, le mouvementouvrier allemand prendra très vite, dans ses composantes principales, un pli pro-étatique.Jusqu'à la fin de la Première guerre, l'idéologie dominante en Allemagne estprécisément l'idéologie féodale mais transformée jusqu'à recouvrir les intérêtspropres de la bourgeoisie. On retrouve, à notre époque, une idéologie assezproche de celle-là dans les dictatures d'Amérique latine : nationalisme expansion-niste, militarisme, respect de la hiérarchie, etc...

En Allemagne, au tournant du siècle, l'impérialisme naissant et le grand capitalascendant adoptent cette idéologie qui sert leurs intérêts. En effet, les grandscapitalistes trouvent leur compte dans ces résidus de mythes féodaux. A cetteépoque, ils mènent activement une expansion économique à l'extérieur, àproprement parler impérialiste. On voit se développer parallèlement à cemouvement économique, une offensive idéologique. La Ligue pangermaniste,fondée en 1891, se donne pour tâche de développer dans le peuple les idées deconquête. On retrouve là des industriels, des publicistes, des hommes politiques,des généraux, des professeurs d'université qui élaborent des théories sur lamission civilisatrice du peuple allemand de façon à légitimer l'annexion desPolonais, des Lituaniens, des Tchèques, des Slovaques et autres « barbares » Onmet en opposition les races germaniques et les races latines et slaves. La Ligueveille à la propagation du nationalisme et du militarisme. L'exaltation chauvinedébouche finalement sur le racisme et, en particulier, l'anti-sémitisme. Lespeuples germaniques ont pour mission mondiale d'imposer leur loi aux peuplesinférieurs. C'est dans ce climat que baignera le jeune Hitler qui traîne la savate àVienne à cette époque. On voit donc comment prend forme cette idéologie dont

[ 1 ] Contrairement à la France où les choses se font « à la plébéienne ».

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on fait grief encore de nos jours au peuple allemand, forgée pour servir lesintérêts de la féodalité et du grand capital expansionniste à la fin du siècle dernier.Elle imprègne la société allemande au début du siècle.

C) La social-démocratie et la guerreLa guerre est à l'ordre du jour pendant toute cette période. L'équilibre despuissances, réalisé par Bismark, peut s'effondrer à n'importe quel moment. C'estdans ce contexte que se développe le mouvement ouvrier. La plupart des débatsqui traversent le parti social-démocrate concernent la position à adopter face à laguerre. Compte tenu des racines idéologiques du parti, celui-ci glissera de plusen plus dans une attitude «social-chauvine», c'est-à-dire d'appui ouvert à lapolitique de guerre de l'État wilhémien. Dès 1906, la social-démocratie accepteque les éléments révisionnistes du parti ne combattent plus le principe d'unepolitique coloniale de l'Allemagne. En revanche, une frange minoritaire maisactive constituée autour de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg soutiendraqu'il faut refuser la guerre impérialiste et profiter du désordre, notamment àl'occasion d'une grève générale, pour réaliser la révolution prolétarienne.

L'influence de ce courant de gauche reste limitée, avant la Première guerre, pourplusieurs raisons. L'échec de la révolution russe de 1905 affaiblit l'enthousiasmepour le projet révolutionnaire déjà pas mal émoussé dans les rangs de lasocial-démocratie. H y a aussi la crainte, exploitée par le pouvoir, de la Russietsariste considérée comme le dernier grand bastion féodal. La social-démocratieallemande craint en effet qu'une invasion russe ne produise un recul historiqueen restaurant la féodalité. Compte tenu de l'idéologie dominante, la social-démo-cratie considère les événements en Russie comme l'expression du caractèreasiatique, nécessairement inférieur au caractère allemand — et cela qu'il s'agissedu Tsar ou des bolcheviques.

Par ailleurs, le mouvement ouvrier s'est fortement développé depuis 1890. En 20ans, la social-démocratie a triplé ses voix et ses sièges au Parlement. Detrente cinq ( 35 ) sièges et 1.4 millions de voix en 1890, la social-démocratie estpassée à cent dix ( 110 ) sièges et 4.2 millions de voix en 1912 ( 30% ). A la veille dela guerre, c'est le plus grand parti. Le mouvement syndical s'est égalementdéveloppé. Les syndicats décident de se fédérer en 1892. La Confédérationgénérale dès ses débuts groupe 350,000 adhérents. En 1913, elle compte 2.5millions de membres. Les contours de la social-démocratie englobent 15,000permanents, 20,000 social-démocrates qui siègent aux conseil municipaux. Undixième des adhérents de la social-démocratie est employé dans les assurancessociales, les bureaux de placements, les coopératives, etc... Le mouvementcoopératif est riche : en 1913, il compte 1.6 millions de membres ; son chiffred'affaires s'élève à 500 millions de marks.

En fait, le capitalisme allemand prospère à partir de 1890 (bien que lemouvement ralentisse à l'approche de 1914). La crise économique ne se profileplus à l'horizon ce qui permet la révision des pronostics de Marx par Bernstein.Le niveau de vie des ouvriers s'élève. Pas pour tous mais pour un grand nombre.Le développement du mouvement ouvrier s'accompagne de réformes, de loisd'assistance sociale. Ce que l'État ne fait pas, le mouvement ouvrier le fait, en sedonnant des caisses d'assurances, des associations de culture, de sports, etc...Pour la social-démocratie, le socialisme semble approcher par retouchessuccessives du capitalisme. Le groupe parlementaire est nombreux et devientinfluent. Au contact du pouvoir, il s'embourgeoise et s'isole de la classe ouvrière.L'encadrement parlementaire des dirigeants de la social-démocratie sensibiliseceux-ci au point de vue de la bourgeoisie, les amène à réfléchir dans les mêmestermes et, finalement, à avoir les mêmes préoccupations. Le vocabulaire et lesthéories socialistes deviennent rhétorique dans la bouche des dirigeants dont leprincipal souci est de conserver l'emprise sur la classe ouvrière.

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Les militants ouvriers eux-mêmes sont d'un type nouveau : ce sont destechniciens, des administrateurs, soucieux d'efficacité, de rendement, deréalisme. L'accumulation et l'enrichissement sont à la mode, même dans lesappareils du mouvement ouvrier. Le parti devient une machine puissante et bienhuilée, une fin en soi. La direction social-démocrate, dans le parti, les syndicats,les organisations sociales, considère que la classe ouvrière n'a pas «que seschaînes à perdre » mais beaucoup plus. Elle veut l'ordre, la paix sociale, craint lesincertitudes qui peuvent naître des bouleversements révolutionnaires. L'ensem-ble est viable. Il se maintient tant qu'il n'a pas à faire face à une crise ou à uneguerre.

Faut-il s'étonner dès lors que le 3 août 1914, le groupe social-démocrate accepteà 78 contre 14 de voter les crédits de guerre. Le 2 décembre, lors du vote auparlement, un seul député, Karl Liebknecht, s'oppose, les autres social-démo-crates s'étant rangés à la discipline du parti. Cette attitude des social-démocratesallemands fut d'autant plus sordide qu'ils avaient donné peu de tempsauparavant aux socialistes français des assurances qu'ils n'appuieraient pas lesentreprises militaristes de leur gouvernement. Cette trahison des principes del'internationalisme prolétarien révèle la véritable nature de la social-démocratie :au moment du déclenchement de la guerre, celle-ci s'était transformée eninstrument de la politique impérialiste. Ce sont ces circonstances qui amènentRosa Luxembourg, le 4 août 1914, à qualifier la social-démocratie allemande de« cadavre puant ».

Comme autres retombées, le «oui» à la guerre de la social-démocratie amenal'éclatement de la IIème Internationale au début de la conflagration mondiale.

2.2 Points de repère théoriques

A) Le socialisme d'État de LassalleOn peut faire remonter les origines de la social-démocratie à l'époque oùFerdinand Lassalle, orateur énergique et prestigieux, parcourait l'Allemagnepour créer « l'Association générale des travailleurs allemands ».

C'était en 1862-1864. Ferdinand Lassalle proposait un «programme ouvrier».Celui-ci mettait de l'avant l'idée de la transformation de l'Etat bourgeois en Etatpopulaire. A la différence de l'État bourgeois, l'Etat populaire devait veiller àremettre aux travailleurs l'équivalent du produit total de leur travail, donc tout lesurproduit social. Comme stratégie politique pour la prise du pouvoir, Lassallerevendiquait le suffrage universel, moyen exclusif à son avis pour s'assurer ladirection de l'État et le faire fonctionner au bénéfice du peuple.

La doctrine de Lassalle compose un amalgame particulier. Celui-ci ne parle pasde classes sociales mais d'« états ». Pour lui, les ouvriers sont le quatrième état. Ilattribue à l'état ouvrier la mission historique de prendre en mains tout l'État, sansle briser toutefois, puisque c'est une mécanique délicate, mais pour le mettre auservice des ouvriers. Plus précisément, l'État aurait pour rôle de fournir de l'aideaux coopératives. [ 1 ]

[ 1 ] Note :États : cette notion est antérieure à la notion de classes sociales. Elle définissait la conditionpolitique et sociale en France sous l'ancien régime monarchique. Il y avait trois ( 3 ) états : leclergé, la noblesse et les roturiers. Ce dernier, appelé Tiers état, était composé de tous ceuxqui ne faisaient pas partie des deux (2) autres: la classe moyenne, les artisans et lespaysans. La Révolution française se déclencha quand le Tiers état et une partie du clergédécidèrent de former une assemblée constituante en 1789 (assemblée dont le rôle estd'élaborer une constitution). Cette date marque donc l'irruption du peuple au devant de laScène politique. En revanche, étant donné la prépondérance à l'assemblée des classesmoyennes et étant donné qu'à cette époque la classe ouvrière n'existait pas encore laRévolution française (américaine aussi) traduit le projet social de la bourgeoisie, classerévolutionnaire de l'époque. De là vient la caractérisation de ce mouvement comme étantune révolution démocratique bourgeoise — ce qui en fixe les limites.

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Nous devons accorder à Lassalle une attention particulière. Tout d'abord, il fautlui reconnaître la paternité du socialisme d'État comme projet social. D'autrepart, Lassalle est important parce que son mouvement et ses idées l'ont emportéà l'époque dans le mouvement ouvrier sur les idées de Marx et Engels. Cesderniers étaient minoritaires et, pour diverses raisons, devaient en publicménager Lassalle et ses disciples.En effet, bien que très critiques, Marx et Engels s'abstenaient d'interventionsdirectes contre les lassalliens parce qu'ils ne voulaient pas paraître tirer les ficellesdans le parti ouvrier allemand (voir note sur les partis ). Leurs interventions enmatière de politique portaient presque exclusivement sur les points de théorie duprogramme socialiste, [1]Jusqu'en 1875, le courant lassallien est dominant dans le mouvement ouvrier.

Marx et Engels s'abstiennent de clarifier publiquement les démarcations. Leslassalliens, démagogiques, donnent l'impression de ne pas aller à contre courantdu marxisme. Mais leur mouvement s'essoufle et dépérit alors que le Partiouvrier gagne en audience. Un mouvement d'unification se dessine. Les partisfusionnent en 1875 au Congrès de Gotha pour former le Parti ouvrier socialisted'Allemagne. W. Liebknecht, père de Karl Liebknecht, dirigeant du Partiouvrier est davantage intéressé à l'unité qu'à la justesse du programme ou desréférences théoriques. D'ailleurs Engels le soupçonne de ne rien comprendre à lathéorie socialiste. Quant aux lassalliens, en perte de vitesse mais tout de mêmemajoritaires, ils en profitent pour imposer leur programme. Marx et Engels nesont pas indifférents à ces événements. Marx écrit la « Critique du programmede Gotha », une réfutation complète du projet de programme et en fait parvenircopie à Bebel, un autre dirigeant du Parti ouvrier, pour que la fusion soit engagéesur des bases correctes. Ce texte est confisqué par Liebknecht qui entérine le«programme de Gotha», de même qu'une représentation majoritaire deslassalliens à la direction du nouveau parti.

Dans son économie générale, le « programme de Gotha » propose aux ouvrierscomme panacée, comme recette miracle, l'aide de l'État. Il équivaut à jeter pardessus bord l'internationalisme prolétarien : « Tout le programme, en dépit detout son drelin-drelin démocratique, est d'un bout à l'autre infecté par la servilecroyance de la secte lassallienne à l'État », dit Marx. Et quel État ? L'Étatprusso-allemand de l'époque qui, selon Marx, «n'est qu'un despotisme militaire,à armature bureaucratique et à blindage policier, avec un enjolivement de formesparlementaires, avec des mélanges d'éléments féodaux et d'influencesbourgeoises ». Marx en envoyant ce texte ne se fait pas d'illusions sur seschances du succès. Il termine le texte par ces mots : « Dixi et salvavi animammeam» ( J ' a i dit ce que j'avais à dire; ma conscience est en paix). Engelsconclut également, en 1890, que les eisenachiens «se sont fait rouler» dans lafusion.

Cependant, le nouveau parti se renforce. Son succès est immédiat. Deux ( 2 )ans après sa fondation, il recueille 500,000 voix et douze ( 12 ) élus. Bismarkintervient en promulguant des lois d'exception contre les socialistes en octobre

[ 1] Note :Les partis ouvriers :1863 Création de l'Association générale des travailleurs (Lassalle).1864 Fondation à Londres de la Première Internationale ( Marx ).1869 Création du Parti ouvrier social-démocrate d'Allemagne à Éisenach dirigé par Bebel

et W. Liebknecht, rattaché à la Première Internationale.1875 Fusion de « L'Association » des lassalliens et du « Parti ouvrier » du groupe d'Eisenach.

Le nouveau parti portera le nom de parti ouvrier socialiste d'Allemagne.1890 Au congrès de Halle, le parti change son nom en parti social-démocrate allemand

(S.P.D.).(Marx meurt en 1884, Engels en 1895)

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1878. L'éclipsé de la légalité des socialistes durera jusqu'en 1890, après le départde Bismarck. Pendant toute cette période, les divergences internes sont passéessous le boisseau. Mais, en prévision du Congrès de Halle, Engels prend l'initiativede publier le texte de Marx (début 1891 ) — toujours ignoré — sur la «Critiquedu programme de Gotha » de façon à clarifier les distinctions essentielles entre lemarxisme et le lassallisme.

Ce texte ne sera donc publié que 15 ans après avoir été écrit, d'une part. D'autrepart, Engels modifiera certaines expressions du texte de Marx « pour produireun effet sédatif» sur la haute direction du parti. Dans leur réponse à cettepublication, les dirigeants du parti social-démocrate se prononcent vigoureuse-ment contre le jugement porté par Marx sur Lassalle et opposent à l'opinion deMarx un « non » catégorique. [ 1 ]

A partir de cette date, les démarcations se feront plus aiguës, en même tempsplus claires, entre un courant réformiste et un courant révolutionnaire dans lasocial-démocratie allemande.

B) Le révisionnisme de BernsteinLe courant réformiste prendra corps avec Edouard Bernstein, théoricienimportant de la social-démocratie à la fin du siècle. La filiation avec Lassalle estdirecte : Bernstein publie une édition complète des oeuvres de Lassalle en 1891et écrit un livre : F. Lassale as a social reformer. Secrétaire de Engels,Bernstein s'impose rapidement après 1890 comme l'un des principauxthéoriciens de la social-démocratie. Les dirigeants du parti trouvent ses idéesintéressantes et lui demandent de les coucher sur papier. Ce qu'il fait en 1899quand il écrit Présuppositions du socialisme, oeuvre dans laquelle sereconnaîtront les dirigeants du parti. Cette oeuvre ne vise pas à faire changer decap la social-démocratie. Au contraire, elle vient légitimer théoriquement unepratique réformiste déjà bien ancrée. Les idées-forces de Bernstein peuvent êtresynthétisées comme suit :

— Il n'y aura pas de crise assez profonde pour ébranler le capitalisme. Lacatastrophe imminente annoncée par Marx n'aura pas lieu.

— La continuité prime la rupture. L'évolution sociale prime sur la révolution.L'appréciation empirique et tactique dans les comportements politiques doitl'emporter sur le romantisme révolutionnaire. La fin n'est rien, le mouvement[ 2] est tout.

— Le socialisme s'inscrit dans le prolongement du libéralisme bourgeois, qu'ildéveloppe et améliore selon un processus graduel et évolutif par l'accumula-tion de- réformes.

— L'État est un appareil neutre, au-dessus des classes sociales. C'est l'enjeude la lutte des classes. La classe ouvrière doit le conquérir, pas le détruire.

— Le socialisme concerne avant tout les « valeurs morales ». Sa fonction estde tempérer les luttes des classes en excluant la dictature du prolétariat.

Bernstein accepte l'État national — donc ses stratégies — ce qui débouchera en1914 sur un appui de la social-démocratie à la politique de guerre de l'Allemagne.

Somme toute, Bernstein est un moraliste. Il restera surtout considéré comme lepère du « révisionnisme » dans la mesure où il a révisé — soi-disant pour lesaméliorer — les thèses de Marx. Pacifiste, Bernstein prendra ses distances par

[ 1 ] Sur toute cette question, voir : Critique du programme de Gotha, avec la préface d'Engelsde 1890. Ce texte d'une importance capitale est considéré comme le testament politique deMarx.

[ 2 ] Sous entendu : la fin sociale, c'est-à-dire l'objectif socialiste ; le mouvement : la pratique dela social-démocratie.

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rapport au courant majoritaire de la social-démocratie pendant la guerre mais nese joindra pas pour autant au courant révolutionnaire. Il finira par réintégrer leparti social-démocrate.

C) L'orthodoxie de KautskyL'influence de Kautsky comme théoricien est, à bien des égards, décisive dans lemouvement ouvrier. Ses apports sont généralement mal connus. Son influenceest considérée par beaucoup comme négligeable puisque directement combat-tue par Lénine. Il y a dans ces attitudes une sous-estimation tragique.Karl Kautsky est d'abord l'héritier au sens propre de Engels. C'est lui qui détenaittous les documents ; il était libre de les faire circuler ou de les cacher, chose qu'ilfit avec certains textes de Marx.

Au tournant du siècle Kautsky mène la lutte contre les thèses révisionnistes deBernstein à l'intérieur de la social-démocratie. C'est lui qui porte le flambeau del'orthodoxie marxiste. C'est d'ailleurs là une partie du drame : Kautsky prendMarx au pied de la lettre. Celui-ci considérait essentiellement le marxismecomme une théorie économique. Il défendait le marxisme en s'accrochant d'unemanière dogmatique aux affirmations de Marx sur la liaison entre les forcesproductives et les rapports de production, ( entre l'économique et le politique ),entre le développement industriel et la capacité d'action du prolétariat.

Partant de cela, il aboutissait à cette conception : puisque les forces économiquesdéterminent les rapports sociaux, laissons les faire. Aidons leur développementdans le cadre du capitalisme. La révolution viendra d'elle-même, sinon pournous, pour nos fils ou nos petits-fils. Pour lui, les conditions politiques dunetransformation révolutionnaire se réaliseraient évolutivement comme l'expres-sion du haut niveau de développement technologique, accompagné d'unaccroissement quantitatif de la classe ouvrière — dans la démocratie bourgeoise.Comme corollaire, cela impliquait, bien entendu, qu'il ne pouvait pas y avoir derévolution dans des pays arriérés. Ce courant orthodoxe véhiculait ce queLénine combattait sous le nom « d'économisme ».Kautsky voyait dans la dialectique [1] seulement une recette et, chez-lui, les«synthèses dialectiques » et l'«union des contraires » devenaient rapidement destentatives de conciliation ou de compromis politiques baptisés « dialectiques ».En fait, il tombait dans le révisionnisme en croyant le combattre — malgré toutesa bonne volonté révolutionnaire. Ironie du sort, ses adversaires comprenaientmieux le marxisme que lui.A la question « réforme ou révolution », il ne parvenait donc pas à trouver deréponse satisfaisante, pris dans son carcan théorique rigide. Oscillant entre lagauche et la droite, il finit par basculer du côté de cette dernière.

En somme, le tort de Kautsky est de n'avoir pas compris et appliqué la méthodemarxiste de façon vivante à la situation changeante, situation correspondant àl'avènement de l'impérialisme. Il n'a pas compris que cette situation exigeait nonpas l'abandon des principes ou leur maintien « orthodoxe », mais une nouvelleanalyse et un approfondissement des principes.

Malgré les divergences entre Kautsky et Lénine, qui s'amplifient parallèlementaux critiques que ce dernier adresse à la IIeme Internationale, Kautsky exerce uneinfluence profonde sur le jeune Lénine. Certains de ses apports sonteffectivement très importants :

[ 1 ] Dans la théorie marxiste, la dialectique correspond à un mode de compréhension de laréalité. C'est avant tout un concept philosophique.

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1. Parlant de «La question agraire» de Kautsky ( 1899), Lénine écrit dans lapréface à la première édition de son «Développement du capitalisme enRussie » : «Ce livre est, après le livre III du Capital, le fait le plus remarquablede la littérature économique moderne ».

2. Kautsky propose « l'alliance de la science et des travailleurs », en somme leprojet léniniste. Le premier il conçoit le parti politique de la classe ouvrièrecomme «sujet » du savoir, chargé de l'introduire dans le mouvement ouvrier.(La Révolution sociale, 1902.) Il inspire directement Lénine quand celui-ciécrit sa célèbre brochure polémique «Que faire?»

3. H invente le terme fécond de matérialisme dialectique, dont Lénine s'empare.

Même si après l'avoir porté aux nues, Lénine abreuvera Kautsky d'injures, il n'enreste pas moins que la pensée de Lénine est marquée par celle de Kautsky.

A la suite de Bernstein, Kautsky glisse dans le réformisme et le chauvisme. Sonhésitation sur l'attitude à adopter vis-à-vis la guerre impérialiste en 1914 lediscrédita. La brouille avec Lénine s'accentue quand il formule sa thèse surl'« ultra-impérialisme » mise en pièces dans « L'impérialisme stade suprême ducapitalisme» ( 1916). Il passe définitivement,dans le camp des révisionnistes dumarxisme lorsqu'il écrit, pour la récuser, «La dictature du prolétariat » ( 1918).Cela lui vaut la réplique cinglante de Lénine : « La révolution prolétarienne et lerenégat Kautsky ». Le reste de l'oeuvre de Kautsky ne démentira pasl'orientation empruntée. Il écrit en 1919 « Terrorisme et communisme » ce qui luiattire une réplique de Trotsky sous le même titre, puis « La Révolutionprolétarienne et son programme» (1922), «L'Internationale et la Russie desSoviets» (1925), enfin «Le bolchévisme dans l'impasse» (1930).

2.3 Conclusion Ces quelques repères, moments historiques ou théoriques du développementdu mouvement ouvrier allemand éclairent les traits que prendra la social-démo-cratie. Dès cette première phase qui va de 1890 à 1914, les caractéristiquesdéfinitives de la social-démocratie vont se fixer :

— valorisation de l'activité parlementaire et de « l'arme » du bulletin de vote ;— réformisme ;— collaboration avec la bourgeoisie ( Union sacrée )— respect de l'Etat, privilégiant comme forme d'État, l'État démocratique

bourgeois ;— attachement à l'ordre et à la paix sociale.

Marx meurt en 1884. La 1ère Internationale qu'il avait fondée s'éteintobscurément vers 1878. Là, le marxisme n'avait pu l'emporter contrel'anarchisme de Bakounine, contre le proudhonisme français, contre les disciplesde Ferdinand Lassalle en Allemagne.

Engels survécut à Marx une dizaine d'années. Il put constater la croissanceextraordinaire et assister aux succès électoraux des partis social-démocrates. Ilput vérifier la prépondérance de l'influence marxiste dans ces partis. Mais il vécutassez longtemps aussi pour apercevoir dans ces partis les premiers symptômesd'opportunisme, les attitudes de compromission, l'intoxication du parlementa-risme bourgeois, les déformations de la théorie marxiste, les divisions et lesreculs. Dès 1887, il signala l'« embourgeoisement » du parti social démocrate.

Alors que Lénine considérait que depuis la Commune de Paris en 1871, unelongue période de réaction s'était abattue sur l'Europe les dirigeants les plusprestigieux de la social-démocratie allemande croyaient au contraire être entrésdans une ère de progrès sans précédent. Traumatisés par douze (12) ans(1878-1890) d'interdiction, ils obtenaient en 1903 des succès électorauximmenses qui leur permettaient de rêver à une évolution vers le socialisme par laseule voie parlementaire.

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3. LA RÉVOLUTIONALLEMANDE: 1918-1919

3.1 La social-démocratiependant la guerre

Dans la social-démocratie allemande, à la fin du siècle, le marxisme s'était imposécontre toutes les autres théories. Toutefois, au moment même où la théoriemarxiste triomphait, la critique de celle-ci surgissait de son propre sein. Au nomdu marxisme, Bernstein et Kautsky jetaient les bases de théories foncièrementanti-marxistes. Phénomène nouveau, certes, et déroutant à bien des égards.Était-ce le fait d'un égarement théorique ? Pour Kautsky probablement, mais pasdans le cas de Bernstein. Celui-ci voulait mettre en accord la pratique du parti —déjà réformiste — et la théorie. Parlant de la social-démocratie, c'est lui qui lançale premier le mot célèbre « qu'elle ose paraître ce qu'elle est ».

Cette période permet le renforcement de la gauche de la social-démocratieautour de Liebknecht dans la lutte contre la guerre. La majorité du parti s'entient à la politique de 1914: vote des crédits de guerre, approbation de lapoursuite de la guerre mais, en même temps, soutien des revendicationspopulaires. De 1914 à 1917, l'agitation ouvrière s'élargit, les manifestations de rues'amplifient. La classe ouvrière n'est pas nécessairement intégrée malgré lesconditions adverses. Les ouvriers n'ont pas un attachement particulier aumonarque, ni le respect des institutions. Cependant, une fraction de lasocial-démocratie évolue vers la scission, [1]

3.2 La révolutionallemande: 1918-1919

La fin de la guerre en Allemagne débouche sur une crise révolutionnaire. Celle-cia comme toile de fond la défaite militaire, la misère généralisée et l'effondrementdes institutions. Il n'entre pas dans le cadre de ce texte d'exposer les nombreuxévénements qui ont ponctué la Révolution allemande de 1918. Nous pouvonstoutefois tenter de dégager les éléments nécessaires à la compréhension du rôlede la social-démocratie. Au départ, l'agitation ouvrière est déclenchée par le désird'en finir avec la guerre. Le moyen d'action privilégié c'est la grève de masse. Cemouvement est, pour l'essentiel, spontané et multiforme. Les forces révolution-naires à l'oeuvre agissent pour donner au mouvement ouvrier des perspectivesde luttes et des formes d'organisation. L'aile majoritaire ( et réformiste ) de lasocial-démocratie intervient pour récupérer le mouvement, le freiner etempêcher qu'il débouche sur une révolution. En effet, la direction social-démocrate et la bureaucratie des syndicats cherchent à éviter les conséquencessocialistes d'une révolution qui, à leur sens, doit mener au chaos et à la« bolchévisation » de l'Allemagne. Ils s'associent à la bureaucratie de lamonarchie, au Haut commandement de l'armée et aux dirigeants des trusts. Cesderniers utilisent la répression ; quand ils ne peuvent faire autrement, ils apaisentles revendications par des concessions.

[ 1 ] Note sur les partis :Le parti social-démocrate indépendant (U.S.P.D. ) naît de la scission qui se produit au sein duParti social-démocrate (S.P.D.) en 1917. On les désignera respectivement comme lesindépendants et les majoritaires. Cette scission naît de l'opposition à la politique de soutien à laguerre de la social-démocratie «majoritaire». Parmi les indépendants se retouvent aussi bienKautsky que Bernstein que le groupe révolutionnaire le plus conséquent, les spartakistes, oùse retrouvent Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. Jusqu'à la fin de l'année 1918, lesspartakistes font partie de PU.S.P.D. Fin décembre, devant les atermoiements des indépen-dants, les spartakistes s'en détachent et convoquent une conférence nationale d'où va sortir leParti communiste allemand en regroupant d'autres formations d'extrême gauche. Fin 1920, lamajorité des indépendants rejoint le Parti communiste. En 1924 ce qui reste des indépendantsréintègre le S.P.D.

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A) Les grèves de 1917Les premières grandes grèves éclatent à Berlin et dans d'autres villes en mars-avril 17. La révolution russe de février ( la révolution bourgeoise ) a en effet émules milieux ouvriers. Dès le troisième jour, la répression s'abat, brutale. Lessocial-démocrates sont du même avis que les dirigeants de l'armée : la paix n'estpossible que par la victoire de l'Allemagne ; en attendant, il faut poursuivre l'effortde livraison des moyens de défense.

B) Le soulèvement de Berlin, janvier 1918Ce n'est qu'en 1918 que le mouvement reprend. La révolution bolcheviqued'octobre a fait renaître de grands espoirs dans la classe ouvrière. Dans unpremier temps, en janvier 1918, 400,000 ouvriers de Berlin déclenchent la grèvegénérale. Ils constituent un véritable Conseil ouvrier sur le modèle russe. Oninvite les socialistes indépendants et les social-démocrates majoritaires à envoyertrois ( 3 ) délégués chacun. Les social-démocrates délèguent leurs ténors : Ebert,Scheidemann, Braun. Les spartakistes dénoncent — en vain — la présence de«ces agents volontaires du gouvernement, ces ennemis jurés de la grève demasse qui n'ont rien à faire parmi les ouvriers en lutte ». Le mouvement gagned'autres villes, rassemblant, au total plus de un ( 1 ) million de grévistes. L'arméeréagit avec brutalité. Les social-démocrates poussent à la capitulation. Ilsavoueront plus tard ( en décembre 1924 au procès de Magdebourg ) qu'ils sontentrés au comité de grève « avec l'intention délibérée de finir la grève le plus tôtpossible et d'empêcher qu'il en résulte quelque dommage pour le pays »( déclaration d'Ebert ). Le 3 février au soir, désorienté par la répression, le comitéde grève décide d'arrêter le mouvement. Simultanément, le ton des social-démocrates contre les Soviets russes monte. Braun déclare en février: «lessocial-démocrates condamnent de la façon la plus catégorique les méthodesviolentes des bolcheviques » — au moment même où l'armée allemande écraseles ouvriers.

C) La révolution de novembre 1918 et sa liquidation de janvier à mai 1919

En novembre 1918, dans le contexte de l'effondrement militaire, alors que lesmarins de la flotte de haute mer se sont révoltés et tiennent Kiel, les spartakistestentent de mettre en place des conseils ouvriers. Le gouvernement centraldépêche un émissaire pour traiter les revendications, de même qu'un influentdéputé social-démocrate, Noske. Celui-ci prend la tête du mouvement desinsurgés et des forces gouvernementales. Il se fait élire président du conseilouvrier et gouverneur de la ville. Malgré les manoeuvres de Noske pour stopperle mouvement, celui-ci gagne les autres villes : Lubeck, Hambourg, Brème,Munich, Stuttgart. Partout se constituent des conseils de soldats et d'ouvriers. Ilsposent deux ( 2 ) revendications : signature immédiate de l'armistice et reconnais-sance du pouvoir des conseils de soldats et d'ouvriers. Quelque jours plus tard,la monarchie est balayée. Cologne, Hanovre, Brunswick passent aux mains desrévolutionnaires. Plus de 10,000 conseils se forment.Le journal social-démocrate publie deux (2) appels; l'un au gouvernement eninsistant sur ce qui a déjà été obtenu : suffrage direct en Prusse, gouvernementparlementaire, subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil, amnistie,liberté de presse et de réunion et ajoute d'autres promesses. L'autre est adresséaux ouvriers pour leur demander de garder sang-froid et discipline et de ne pasréagir aux consignes des minorités irresponsables. Les social-démocratescourent après la révolution et les révolutionnaires, les rejoignent, les retournenten se mettant à leur tête. Le mouvement gagne l'est du pays. Berlin connaît unefois de plus l'insurrection. Les « majoritaires » proclament la République ; lesspartakistes proclament la République socialiste. Dès lors s'engage la lutte entreceux qui veulent tout le pouvoir pour les conseils ouvriers et ceux qui veulent laRépublique démocratique bourgeoise et appellent la tenue d'une assemblée

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constituante pour élaborer une nouvelle constitution. L'alliance se scelle entre ladirection social-démocrate et le Haut commandement de l'armée impériale aveccomme premier objectif l'écrasement des spartakistes.

Le gouvernement provisoire, c'est-à-dire les Commissaires du peuple, composéparitairement de social-démocrates majoritaires et indépendants, maintient à latête de l'armée les généraux défaits. Paradoxalement, au soir même du triomphedu peuple, la révolution est confisquée par la social-démocratie. Le dirigeantsocial-démocrate porté au pouvoir par le peuple victorieux, Ebert, s'entendsecrètement avec la réaction militaire pour restaurer l'ordre bourgeois. Aulendemain de la proclamation de la République, le nouveau ministre des affairesétrangères, Scheidemann, déclare : «Mon parti fera en sorte que l'Allemagne soitpréservée du bolchévisme ». Ebert, social-démocrate, monarchiste mal repentiqui hait la révolution devient le premier chancelier de la nouvelle démocratiebourgeoise. Max de Bade écrira «qu'Ebert répéta en grand à Berlin ce quevenait de faire Noske à Kiel : il empêcha la révolution de se déployer, décidantainsi du sort de l'Allemagne».

En effet, en janvier 1919, Noske prend en main la direction des affaires militaires.A la tête des corps francs de l'armée, il entre à Berlin le 11 janvier. Les troupes selivrent à un vrai massacre des insurgés. Les parlementaires sont fusillés. Les nidsde résistance sont détruits au canon et même au lance-flammes. Le 13 janvier,Rosa Luxembourg et Liebknecht sont arrêtés, puis assassinés par des officiers.Après l'écrasement des conseils ouvriers de Berlin, les autres régions serontsoumises par l'armée et la social-démocratie. La révolution est noyée dans unbain de sang sur une période qui s'étend jusqu'en mai 1919.

Des élections se tiennent entre-temps, dans un contexte de confusion ; le partisocial-démocrate recueille 11.5 millions de votes, 37.9% des suffrages. L'assem-blée constituante se réunit dans une petite ville, Weimar, et élabore laconstitution de la nouvelle République.

Le premier gouvernement, constitué le 12 février, est dominé par des social-démocrates, dont Noske. Ebert est élu président. Figurant comme exception àla règle, on trouve l'exemple de la République des Conseils de Bavière où lessocial-démocrates conduits par Eisner, indépendant et disciple de Bemstein, ontconvergé dès le début vers les positions des conseils ouvriers. Malgré l'assassinatde ce dernier en février 1919, la République des Conseils est proclamée à Munichle 7 avril. La proclamation déclare expressément : « La république bavaroise suitl'exemple des peuples russe et hongrois». La jeune république prend desmesures un peu utopiques. Elle proclame «la fin de l'ère capitaliste». Malgrécela, 15,000 ouvriers sont armés, les banques sont nationalisées, le ravitaillementorganisé. Le 23 avril, le gouvernement central, social-démocrate, déclenchel'attaque contre Munich. Parmi la soldatesque figurent notamment Himmler etRudolf Hess. La République est écrasée au début de mai. Les morts se comptentpar centaines. Les dirigeants sont fusillés. La chute de la République de Bavièremarque la fin d'une étape. [1]

D ) Les embryons de la « société de cogestion »

En plus de la signature du traité mettant fin à la guerre, le traité de Versailles, laConstituante doit préciser le rôle des conseils ouvriers, des comités d'entreprisede même que l'ampleur des socialisations.

[ 1 ] Note :Lénine avait envoyé un télégramme le 8 avril: «Dites-nous avec le plus de détails possible quelles mesures vous avezprises contre les bourreaux Scheidemann et Cie. Avez-vous créé des conseils d'ouvriers et de gens de maison, armé lesouvriers, désarmé la bourgeoisie, utilisé les dépôts de vêtements, etc., pour venir en aide aux ouvriers et aux ouvriersagricoles et petits paysans? Avez-vous exproprié les fabriques et les propriété foncières capitalistes des environs, levéles hypothèques frappant les petits paysans, doublé ou triplé les salaires des ouvriers agricoles et des manoeuvres,réquisitionné papier et imprimeries pour éditer des tracts, introduit la journée de 6 heures avec 2 ou 3 heures dansl'administration de l'État, limité les pièces d'habitation des bourgeois pour loger les ouvriers dans ces appartements, prisles banques en main, choisi des otages dans la bourgeoisie, prévu des rations plus fortes pour les ouvriers que pour lesbourgeois, mobilisé les ouvriers pour la défense et pour la propagande dans les villages des alentours?" Oeuvres, (29, p.328-29 ).Ce télégramme arriva trop tard bien qu'une grande partie des conseils avaient été appliqués avant d'être reçus.

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Sur le front économique, pendant toute cette période, la bourgeoisie, frappée destupeur, se manifeste peu. Chez les plus conscients parmi les bourgeois, il y al'idée qu'il vaut mieux laisser le champ libre à la social-démocratie pour rétablirl'ordre. (Chez les travailleurs, on fait aussi confiance à la social-démocratie pourrétablir la paix, assurer le ravitaillement et améliorer la situation. ) Les industrielscherchent surtout à garder la propriété de leurs usines. Ils concèdent pour cela lajournée de huit (8) heures, reconnaissent les syndicats comme partenaireslégaux et acceptent la création de comités paritaires pour régler les conflits detravail dans l'usine. Le droit de grève est confirmé. D'autre part, les social-démocrates au gouvernement mènent une politique de réformes : réglementa-tion de la protection du travail, extension des assurances sociales, amorce deconstruction de logements ouvriers, droit de vote pour les femmes, enseigne-ment primaire obligatoire et post-secondaire gratuit jusqu'à 18 ans. Quand lesouvriers des charbonnages et de l'acier réclament la nationalisation, les social-démocrates proclament que « le socialisme est en marche » mais se gardent biende nationaliser. Kautsky résume bien l'attitude : « Nationaliser actuellement, c'estcréer une situation où la production capitaliste n'est plus possible, et où laproduction socialiste ne l'est pas encore... Autant dire qu'on arrête purement etsimplement la production » ( 17 novembre 1918-. En mars 1920, on remet pourtrente (30) ans aux exploitants la propriété des mines de charbon.

Dans l'entreprise, la social-démocratie met en place la «communauté du travailet des groupes d'intérêts» (ARBEITSGEMEINSCHAFT). Les comités paritai-res destinés à résoudre les conflits de travail visent à faire contrepoids auxconseils ouvriers qui se sont répandus. La Constitution de Weimar prévoit deuxséries de conseils. Une première série a pour but de défendre les intérêts dessalariés : conseils ouvriers d'entreprise, conseils ouvriers régionaux, conseilouvrier du Reich ; ces deux ( 2 ) derniers ne seront jamais organisés. D'autre part,on prévoit une série de conseils, dits économiques, regroupant tous les groupesprofessionnels constitués paritairement employeurs-salariés dans une optique decollaboration de classes pour favoriser le développement de la production. Lesconseils ouvriers d'entreprise doivent examiner une fois par an les comptes dechaque établissement. Ils n'ont aucun droit de regard sur les achats, les ventes,les bénéfices. Sauf pour l'embauchage et le licenciement, leurs attributions sontpurement consultatives. Ils veillent à l'application des conventions collectives etformulent des suggestions en cas de litige. Ils doivent essayer d'obtenir unmeilleur rendement. Bref, ils sont conçus comme courroie de transmission de lavolonté de la direction. Telle est une des pierres d'angles institutionnelles de laRépublique de Weimar, conçue dès le départ comme alternative aux conseilsouvriers, établie sur les ruines du mouvement ouvrier révolutionnaire. C'est lamême structure, à peine amendée, qui resurgira après 1950 pour formerl'ossature de la nouvelle «société de co-gestion » allemande. Cela sur des basessociales analogues : l'écrasement de la classe ouvrière par Hitler. Avec undessein politique identique : récupération par la bourgeoisie, la social-démocratieet les Alliés anglo-américains des aspirations de la classe ouvrière de façon àcontrer les progrès des communistes à l'Est.

3.3 Les théoriciens Qu'est-ce qui explique l'échec de la Révolution allemande ? Elle avait contre ellede la révolution deux ( 2 ) facteurs puissants : l'appareil d'Etat de l'Empire et l'appareil du parti

ouvrier et du mouvement syndical le mieux organisé, le double poids de labourgeoisie et de la social-démocratie. La social-démocratie porte, devantl'Histoire, la lourde responsabilité d'avoir fait dévier l'action ouvrière de masse,qui, pour la première fois, s'assignait des buts socialistes sur tout le continent.Il faut se garder toutefois de tomber dans le schématisme. La Révolutionallemande n'est pas un Western gigantesque avec, d'un côté, les méchants

effectuait aussi une révision du marxisme. Dans son cas, il s'agissait d'unrévisionnisme de qauche. Son point de vue demeure aussi caractérisé comme

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social-démocrates, de l'autre, les bons révolutionnaires. Les révolutionnaires setrouvaient jusqu'à la fin de 1918 dans le parti social-démocrate. Ils en formaientl'aile gauche. Tout le monde était social-démocrate, aussi l'adhésion de la classeouvrière au parti social-démocrate allait-elle de soi.

En revanche, au sein de ce parti, la plus grande confusion théorique régnait. Ladégénérescence du marxisme s'accomplissait lentement, invisiblement, autantpour les théoriciens que pour les masses populaires. En particulier, lesperspectives théoriques et stratégiques des révolutionnaires laissaient beaucoupà désirer. Ceux-ci se faisaient une conception volontariste de la lutte politique ettombaient facilement dans un romantisme révolutionnaire exacerbé. Ce quidominait chez-eux, c'était le spontanéisme, attitude se fondant sur une visioncatastrophique de l'histoire: l'effondrement imminent du capitalisme.

Rosa Luxembourg, par exemple, dont la stature domine, et de très loin, tous lesautres théoriciens, considérait que le capitalisme était impossible et qu'il nedevait sa survie qu'à la capacité d'écoulement des marchandises dans lesterritoires coloniaux. En conséquence, une fois le marché extérieur épuisé, lecapitalisme s'effondrerait dans une crise finale. De là, l'action spontanée desmasses exploitées réussirait à transformer cet effondrement catastrophique enrévolution, ouvrant la voie au socialisme. Les événements comme la guerremondiale inter-impérialiste ne pouvaient que renforcer ces opinions. Sur cepoint, la faiblesse de Rosa Luxembourg était de négliger le mouvement internedu capital : les crises, la dépréciation, la destruction sont les bases d'unrenouvellement continuel du capitalisme.

D serait malgré cela injuste d'incriminer Rosa Luxembourg. Elle mena une luttethéorique conséquente dans la social-démocratie contre les déviations révision-nistes et réformistes. D'un autre côté, elle entretint des polémiques constantesavec Lénine ( dès 1904 ) au sujet du parti, des syndicats, des masses. La traditiondu mouvement communiste a longtemps mis de côté ces apports et décrié le«luxembourgisme». Aujourd'hui, cependant, Rosa Luxembourg est en train dereconquérir la place qu'elle mérite.

Son analyse de la dégénérescence réformiste de la social-démocratie estparticulièrement intéressante. Pour elle, une contradiction se développe entre lafinalité de l'action politique ouvrière, la révolution, et les exigences du travailpolitique au jour le jour : les luttes pour obtenir des améliorations de la conditionouvrière par des réformes. D est difficile de concilier les deux (2) objectifs demanière effective de telle sorte que l'exclusivité accordée aux luttes revendica-tives à court terme peut s'imposer dans un parti ouvrier. Ainsi, selon cette thèse,le réformisme social-démocrate ne serait pas nécessairement lié à la présenced'opportunistes ou de sombres comploteurs. Il ne serait pas non plus le refletd'intérêts économiques de classe dans le parti.

L'autre grande figure de la Révolution allemande, Karl Liebknecht, fut davantageun tribun et un homme d'action qu'un théoricien. Pour lui, le marxisme n'étaitqu'une idéologie parmi d'autres, à cette différence près qu'elle constituait uninstrument de lutte pratique pour le prolétariat. Pour lui, le problème de la classeouvrière ne se posait pas économiquement ; sa situation ne s'expliquait pas parles lois du capitalisme ( exploitation du travail salarié ) mais seulement sur le planpolitique. L'explication de la condition ouvrière ne se rattachait pas à laproduction, aux rapports de production, mais seulement à la distribution desproduits, contrôlée par la classe au pouvoir.

Pour lui, avec la révolution, tout allait changer : les formes de pensée, l'art, lavieille science, etc... Même le marxisme devait disparaître avec le reste dans lacatastrophe révolutionnaire. Partant de là, il ne pouvait évidemment s'aventurerà prédire à l'avance ce qui allait sortir de la révolution. A sa manière, Liebknecht

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effectuait aussi une révision du marxisme. Dans son cas, il s'agissait d'unrévisionnisme de gauche. Son point de vue demeure aussi caractérisé commecelui de l'apocalyptisme révolutionnaire.Parmi les révolutionnaires allemands, il s'en trouvait même de plus gauchistesencore. Dans son livre «Gauchisme, maladie infantile du communisme », Lénineloue Rosa et Liebknecht d'avoir reconnu l'importance de l'action parlementairecontre les extrémistes qui la niaient.Ainsi, dans une certaine mesure qui reste difficile à évaluer, on peut considérerque les révolutionnaires allemands se sont battus eux-mêmes.

3.4 Conclusion L'analyse de cette période permet de dégager d'autres caractéristiques de lasocial-démocratie. En premier lieu, celle-ci admet le capitalisme et l'Étatdémocratique bourgeois. Elle ne conçoit pas son action à l'extérieur de ce cadremême si elle vise à l'aménager. Elle rejette catégoriquement la révolutionprolétarienne. C'est une des leçons importantes qu'on peut retenir en ce quiconcerne la nature de la social-démocratie. Pour ce qui est du rôle ou de lafonction de la social-démocratie, celle-ci est une carte dans les mains de labourgeoisie, utilisée en certaines circonstances pour endiguer des aspirationsouvrières mettant en cause sa domination.

4.1919-1933:DÉFAITE DE LA CLASSEOUVRIÈREMONTÉE DU FASCISME Cette période est surtout éclairante pour l'analyse de la montée du fascisme et

l'étude des débuts de la nième Internationale. Ces aspects débordent toutefois lepropos de ce texte. En ce qui concerne le comportement de la social-démocratie, on ne retrouvera rien de particulièrement nouveau. Cependant,cette période a permis de clarifier la nature et le rôle de la social-démocratie enposant la problématique de la social-démocratie en rapport avec la problémati-que de l'État. On est amené ainsi à fixer les limite «de droite» de la social-démocratie. La relation avec le fascisme a permis, historiquement, cetteclarification.Rappelons brièvement les événements qui marquent la période, en situantl'activité de la social-démocratie.

4.1: Le pouvoir politique etle contexte économique A: Les événements

1920:Putsch de Kapp qui échoue grâce à la mobilisation de la classe ouvrière en grèvegénérale, décrétée par les socialistes indépendants et la gauche social-démocrateauxquels se joint le Parti communiste. Le comité de grève obtient l'éviction deNoske. Soulèvement des ouvriers en Ruhr, rapidement écrasés par l'armée.

1921:Série de tentatives insurrectionnelles en Prusse à l'instigation du Particommuniste, cédant aux provocations social-démocrates. Défaite et débâcle duParti communiste.1923:Nouvelle insurrection en octobre des ouvriers de Hambourg — Projetéinitialement, puis décommandée par le Parti communiste. La répression s'abat.La classe ouvrière sort défaite de l'épreuve de force.

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Cette période en est une de crise économique dans la foulée de la guerre. Lepoids des réparations de guerre est écrasant. La crise économique de 1920aggrave les conditions de vie de la classe ouvrière. Sur la misère ouvrière,cependant, s'érigent des fortunes colossales. Le trust de Hugo Stinnes occupe300,000 ouvriers en 1921. L'inflation est utilisée comme arme pour abaisser lessalaires réels. La situation échappe cependant à tout contrôle en 1923 quand lemark passe de 18.000 au dollar en janvier, à 4.800.000 en août, à 8.000.000 ennovembre. C'est ce qu'on connaît sous le vocable d'inflation totale. Cettebanqueroute sans équivalent dans les pays capitalistes a comme contrepartie lamisère totale de la population ouvrière. A la fin d'octobre, une paire de soulierscoûtait un mois et demi de travail, une livre de beurre deux ( 2 ) journée detravail. Le 5 novembre, la livre de viande de boeuf coûtait 280 milliards de marks.Pour envoyer une lettre, il en coûtait 1 milliard de marks. Les ménagères étaientplus lourdement chargées en allant au marché qu'en revenant. En revanche, lesindustriels épongèrent toutes leurs dettes à bon compte.

Le 23 novembre 1922 est constitué pour la première fois un gouvernement quiest l'émanation directe du grand capital monopoliste (gouvernement Cuno). Lasocial-démocratie, utile pour restaurer l'ordre, est désormais évincée et passedans l'opposition. Elle ne figurera au gouvernement que pour un interlude sanséclat en 1928.

Cuno sera en place jusqu'au mois d'août 1923. Il est évincé par la grève desouvriers berlinois.

De 1924 à 1928, huit ( 8 ) gouvernements se succèdent. C'est le règne descoalitions politiques à dominance de partis tels que les démocrates, le centrecatholique bavarois, le zentrum. La fraction de classe qui est au pouvoir est lemoyen capital qui pratique une politique de « collaboration de classes » ou decompromis avec la classe ouvrière contre le grand capital - avec ou sans l'appuide la social-démocratie. Les conquêtes de la classe ouvrière sont peu à peugrugées. Les gouvernements prolongent la journée de travail à neuf ( 9 ) à dix( 10 ) heures, quelquefois à douze ( 12 ), abrogent de nombreux avantagessociaux, reprivatisent les chemins de fer. Une nouvelle monnaie est introduite, leRentenmark. Dès lors, les capitaux se remettent à affluer, notamment des États-Unis. La prospérité du capitalisme réapparaît de 1927 à 1929. L'industrie sedéveloppe, les cartels refleurissent. Le nombre de ceux-ci passe de 1,500 en 1923-24 à 2,500 en 1925 et à 2,100 en 1930. La concentration industrielle s'accroît. En1907, 500 usines de plus de 1,000 ouvriers occupaient 1 million de travailleurs. En1925, 900 usines de plus de 1,000 employés occupent 2.5 millions de travailleurs.L'industrie de l'acier est intégrée. En 1929, dix ( 10 ) « konzern » produisent 69%de l'acier, quatre (4) trusts exploitent 80% de la potasse ; 90% de la productionde ciment est aux mains de quatre ( 4 ) groupements. Trois ( 3 ) grandes banquescontrôlent toutes les opérations financières importantes. Le trust le plusgigantesque, l'I.G. Farben, dans la chimie, occupe 129,000 ouvriers. Celui-ci separtage avec Dupont de Nemours aux États-Unis le marché mondial ; 16% dessociétés anonymes contrôlent 65% du capital actions total. Pendant toute cettepériode de croissance, la rationalisation secrète un chômage élevé, jamaisrésorbé.

En 1920, les élections avaient donné 21.6% des votes au S.P.D. ( 17.9% auxindépendants). En mai 1924, 20.5%. En décembre 1924 les indépendants,réunifiés aux majoritaires, obtiennent 26% des voix. Selon Rosenberg [ 1 ], « les

[ 1]| Dirigeant de l'aile gauche de la social-démocratie.

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ouvriers votaient S.P.D. (... ), car ils étaient d'accord désormais pour que leS.P.D. et les syndicats social-démocrates s'occupent, dans le cadre ducapitalisme allemand (...) des intérêts quotidiens des ouvriers».

Aux élections de 1928, les partis de gauche remportent des succès considéra-bles : 1.3 millions de voix pour S.P.D., 560,000 pour les communistes.L'ensemble représente 40% de l'électoral. Un social-démocrate devient chance-lier ( Muller ) et forme un gouvernement de coalition ( sans les communistes ). Laremontée des luttes est perceptible pendant toute cette période. En 1926, 1.5millions de jour de grève. En 1928, plus de 10 millions. Les communistes parlentdu début d'une nouvelle vague révolutionnaire.

Cependant, la crise économique éclate en Amérique en 1929. Elle frappel'Allemagne avec une brutalité particulière. La chute des exportations compro-met l'approvisionnement en matières premières, entraîne des licenciements, desfermetures, un chômage massif. Le gouvernement social-démocrate envisagedes mesures d'austérité ; il est désavoué par son propre parti. Le chancelierMuller démissionne le 27 mars 1930.

Les gouvernements qui vont se succéder : Brunning ( la dictature parlementai-re ), Von Papen, Schleicher, gouvernement de plus en plus par décret, et sans leparlement. Ils pavent la voie à la désignation de Hitler comme chancelier en 1933.En 1930, la social-démocratie est encore le parti le plus nombreux. Elle pratiquependant toute cette période une politique de « moindre mal » en soutenant lesplans d'austérité de Brunning pour éviter prétendument l'arrivée au pouvoir dufascisme. En fait, elle envisage comme alternative à Brunning un cabinet àparticipation national-socialiste. Ses concessions favorisent le glissement vers ladistature.

Après la chute de Brunning, Von Papen, par toute une série de mesures,apparaît comme une transition vers la solution hitlérienne. Von Papen souligne«la grande différence existant entre le communisme révolutionnaire et lenational-socialisme qui tend à promouvoir une renaissance nationale». Le 29janvier 1933, Hindenburg, président de la République, vieux soldat de l'Empire,avec l'approbation de Von Papen, désigne Hitler comme chancelier. Encore là, lasocial-démocratie s'opposa à la grève générale proposée par les communistes.Elle s'orienta plutôt vers une stratégie « d'opposition légale » à Hitler, en refusant,notamment, de voter les pleins pouvoirs à Hitler. Cela lui valut, en juin 1933,d'être dissoute et interdite.Sur le fascisme, la social-démocratie était divisée. Certains comme Severing et letristement célèbre Noske considéraient que le fascisme était un moindre malcomparé au bolchévisme. Quant à la gauche de la social-démocratie, elle inclinaità l'unité d'action avec les communistes. De plus, un clivage très prononcé secreusait entre le groupe parlementaire et la base du parti, favorable aux actionsde masse et à l'unité de lutte avec les communistes. C'est ce qui provoque,notamment, la démission du chancelier social-démocrate Muller.

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B) Force politique de la social-démocratieTableau 1 : Voix de la social-démocratie dans la période précédant le fascisme, enpourcentage

20 mai 1928

14 septembre 1930

31 juillet 1932

6 novembre 1932

5 mars 1933

28.7

24.5

21.5

20.4

18.3

Le glissement des pourcentages des voix de la social-démocratie, après le débutde la crise économique, au profit des communistes et des national-socialistes,jalonne la désintégration des institutions parlementaires. D reflète de mêmel'incapacité de la social-démocratie de proposer des solutions valables pour faireface à la crise. En dépit de cette baisse électorale, on assiste à une remontéerégulière des effectifs du parti pendant tout le procès de fascisation. En 1928,937,000 membres ; en 1932, 987,000.

La social-démocratie maintient une base sociale importante dans la classeouvrière. Jusqu'en 1930, ses adhérents se recrutent pour la plus grande partieparmi les travailleurs industriels. Elle recrute des ouvriers industriels les plusqualifiés et les mieux payés ( c'est aussi le cas pour le Parti communiste ). Ellerecrute également des manoeuvres et des ouvriers aux salaires les plus bas(textile notamment) et, massivement, des ouvriers agricoles. De plus environ25% de ses adhérents sont des employés salariés (des services d'assurances,coopératives, bureaux de placement, municipalités dans l'orbite de la social-démocratie et du secteur commercial).

En ce qui concerne l'électorat, les meilleurs résultats sont obtenus dans les zonesà forte concentration industrielle. En 1930, l'électorat est composé à 40%d'employés salariés.

4.2 Les responsabilités de lasocial-démocratie dans l'avènementdu fascisme

La social-démocratie, de 1930 à 1933, a habitué les travailleurs à la passivité,découragé la mobilisation contre le danger fasciste. Son anti-communismeagissant a facilité les progrès des fascistes qui faisaient de la lutte auxcommunistes leur cheval de bataille. Une partie de la presse social-démocrateaccréditait la version fasciste des incidents plutôt que la version communiste. LeS.P.D. a une milice armée gigantesque de 160,000 hommes qu'il refuse d'utiliserpour barrer la route au fascisme. Les manifestations anti-fascistes, à l'appel descommunistes, le 1er mai 1929, sont interdites à Berlin «pour ne pas donnerprétexte ». En revanche, le 1er mai 1933, le S.P.D. appellera les travailleurs à lamanifestation organisée par les nazis. La social-démocratie n'appelle pas àl'action ses partisans lors du coup d'État du chancellier Von Papen pour déposerle gouvernement social-démocrate de Prusse. Elle se tait également lorsque laterreur s'abat sur les communistes. La politique social-démocrate déclarée de

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4.3 Ce que la social-démocratie n'estpas:la thèse du social-fascisme

l'association du capital et du travail accélère la subordination définitive de lasocial-démocratie aux exigences du grand capital. Cette attitude de compromis-sion aboutit à la collaboration au plan d'austérité de Brunning qui affaiblit larésistance des travailleurs. Conséquente avec ses politiques passées, la social-démocratie écrit dans son journal : « le peuple travailleur lutte le bulletin de vote àla main contre la réaction sociale au pouvoir... » ce qui n'empêche pas le groupeparlementaire social-démocrate d'être d'accord pour être mis en vacancespendant six (6) mois par Brunning.

A proprement parler, il n'y a pas eu de collusion entre la social-démocratie et lefascisme. Si cette impression se dégage d'un texte aussi succinct, nous devons ladissiper immédiatement. Cependant, en Allemagne, la social-démocratie conser-ve la part principale de responsabilité dans l'avènement du fascisme car devant lamontée des hitlériens, ce qui caractérise la social-démocratie, c'est la capitula-tion.

Cette thèse apparaît en 1924 au 5e Congrès du Komintern (la IIIèmeInternationale, dite communiste, 1918-1943). Elle est reprise systématiquement àpartir de 1928 après le sixième Congrès. Son application pratique fait retombersur le mouvement communiste une large part de responsabilité dans l'avène-ment du fascisme en Allemagne. Cette thèse comporte plusieurs formulationsimpliquant toutes une identification pure et simple de la social-démocratie et dufascisme. Sous une première forme, il s'agit d'un amalgame «social-démocratie/fascisme». Staline soutient «qu'objectivement la social-démocratie est l'ailemodérée du fascisme ». « Ces organisations ne s'excluent pas réciproquement,mais au contraire elles se complètent l'une l'autre. Ce ne sont pas des antipodesmais des jumeaux. Le fascisme est un bloc informe de ces deux (2)organisations. » Les résolutions du cinquième Congrès soutenaient que lefascisme et la social-démocratie sont les deux ( 2 ) aspects d'un même instrumentde la dictature du grand capital. L'un étant l'aile gauche, l'autre l'aile droite de labourgeoisie. On soutenait que le fascisme est fondé sur la social-démocratie. Apartir de 1929, le mouvement communiste soutiendra que « de plus en plus lasocial-démocratie prendra à la bourgeoisie l'initiative de la répression contre laclasse ouvrière... Elle se fascisera ». Sous une forme plus nuancée, la même thèsesera formulée comme suit : fascisme et social-démocratie sont les termes d'unealternative. La bourgeoisie avancerait ou bien la carte fasciste ou bien la cartesocial-démocrate... dans la même conjoncture.

L'erreur dans ces thèses, c'est qu'elles sont fondées sur l'identité des formesd'État. Elles posent que l'État fasciste est de même nature que l'Étatdémocratique bourgeois, parlementaire. De plus, elles assimilent la base socialedes deux ( 2 ) organisations. S'il en était ainsi, il en découlerait que fascisme etsocial-démocratie peuvent coexister dans le même État. Or, l'expériencehistorique a montré l'incompatibilité de ces phénomènes politiques. La thèsevoulait ainsi que la social-démocratie n'ait rien à craindre de la victoire dufascisme et qu'elle pourrait partager le pouvoir avec les nazis. Cette thèse d'unefausseté invraisemblable a égaré le mouvement ouvrier au moment où lanécessité de la constitution d'un front uni ouvrier s'est révélée impérieuse. Aprèsavoir soutenu pendant quatre ans qu'il n'y avait pas de différence entre la social-démocratie ( social-fasciste ) et les fascistes, les appels de dernière minute à lasocial-démocratie par les communistes restèrent sans écho - ce qui ne permetpas d'absoudre la social-démocratie pour autant.

Ce débat, malgré tout, nous permet de progresser d'un cran dans lacompréhension de la social-démocratie. Si, comme il est apparu à l'analyse dansla section précédente, la social-démocratie est une carte aux mains de labourgeoisie, celle-ci ne peut être utilisée que dans le cadre de l'État démocratiquebourgeois. La social-démocratie est inséparable de cette forme d'État. Elle ne

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5. CRÉATION DE LA R.F.A.5.1 La social-démocratie de1933 à 1945

5.2 L'après-guerre

trouve sa place ni dans l'État fasciste ni dans l'État de dictature du prolétariat,d'où son acharnement à défendre l'État bourgeois, condition de son exis-tence. [1]

La social-démocratie est dans l'illégalité pendant toute la période fasciste, de 1933à 1945 ( 12 ans ). Un grand nombre de ses militants mènent une lutte clandestinedans des conditions particulièrement adverses.Dès le début de la période, les dirigeants social-démocrates regroupées à Praguepublient, en janvier 1934, un manifeste affirmant: «Dans la lutte contre ladictature nationaliste-socialiste, il n'est pas de compromis possible. Il n'y a pas deplace pour le réformisme et la légalité ».

A Paris, le 21 décembre 1936, se constitue un embryon de Front populaire avec,comme objectif, le renversement de Hitler. Cependant, les Jeux Olympiques, labrutalité de la répression, la démagogie sociale et la résorbtion du chômage enAllemagne affaiblissement le développement de la résistance.La résistance intérieure pendant la guerre n'atteint pas l'ampleur de celle qui sedéveloppe ailleurs. Mais elle s'affermit après 1942.

A) Restauration de l'État démocratique bourgeoisBien avant la capitulation, s'engagent des pourparlers entre les alliés concernantle sort de l'Allemagne pour l'après-guerre. Du côté des alliés franco-anglo-américains, deux ( 2 ) attitudes se dessinent ; l'une se propose d'éliminer à jamaisl'Allemagne en tant que concurrent impérialiste. Pour cela, on envisage ledémembrement de l'Allemagne, la décartellisation obligatoire, les démontagesd'usines. L'autre attitude - celle qui prévaudra - vise à «récupérer » l'Allemagne,la lier aussi étroitement que possible à l'Occident, utiliser son potentieléconomique et éventuellement militaire dans la compétition ou la lutte contrel'Union Soviétique redevenue pour les occidentaux la menace principale.

Ainsi, les autorités d'occupation, à l'Ouest, soutiennent et encouragent les effortsdes dirigeants du parti chrétien-démocrate, des chefs d'industrie et des leaderssocial-démocrates, dans la mesure où ceux-ci préconisent un programmemodéré.Dès juin 1945, dans la zone soviétique, les partis communiste et social-démocrate lancent un appel. Le parti social-démocrate résume son programmedans la formule «démocratie dans l'État et la commune, socialisme dansl'économie et la société », recoupant sensiblement le programme des communis-tes.

En fait, au cours des derniers mois de 1945, le parti social-démocrate allemands'est scindé entre une fraction Est et une fraction Ouest. A l'Est, on est favorableà l'unité d'action avec les communistes ; à l'Ouest, les dirigeants y sont opposés.Dès ce moment, les dirigeants social-démocrates de l'Ouest choisissent lesoccupants occidentaux contre l'Union soviétique.

Dans la zone est, les social-démocrates évoluent vers la fusion. Du S.P.D. et duK.P.D. naît en 1946 le S.E.D., parti socialiste unifié. Le programme élaborépréconisait le châtiment des responsables de la guerre, l'élimination des vestigesde l'ère hitlérienne, la suppression des monopoles capitalistes, l'anéantissementdu militarisme, la poursuite de la réforme agraire, la démocratisation del'économie, de la fiscalité, la garantie du droit de grève, la journée de huit ( 8 )heures, la lutte contre le racisme, l'égalité des droits pour la femme. Il prévoyait

[ 1 ] Voir : Nicos Poulantzas, Fascisme et dictature, Maspero, Paris, 1970.

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aussi des élections démocratiques, le transfert des mines, des banques et desassurances aux collectivités locales et demandait que l'on ne renonce pas àl'initiative privée. A l'Ouest, cette fusion fut comprise comme une intégration dela social-démocratie à un parti communiste contrôlé par l'Union Soviétique.Cette appréciation semble abusive puisque les deux (2 ) partis, à cette époque,étaient partisans d'un socialisme spécifiquement allemand. A l'Ouest, le partisocial-démocrate exclut ceux de ses membres qui se prononcent pour la fusionavec les communistes.

Aux élections de 1946, dans la zone Est, le S.E.D. obtint 48% des votes, contre24.6% aux chrétiens-démocrates et 24.7% aux libéraux.

Dans les zones de l'Ouest, les élections furent échelonnées d'octobre 1946 à mai1947. Le résultat global donna : 42.4% aux chrétiens-démocrates, 42.8% auxsocial-démocrates, 11.3% aux communistes et 3.5% au Centre catholique. Acette époque, le parti démocrate-chrétien se veut un parti «social». Dans sonprogramme, il est question de nationalisation, de cogestion ouvrière, etc...

Le climat politique diffère beaucoup en 1946 de ce qu'il deviendra par la suite. Onremarque que les forces politiques dans les deux ( 2 ) zones sont à peu prèséquivalentes. Le parti social-démocrate, à l'Ouest, constitue immédiatement unedes forces politiques dominantes.

Ce qui détermine l'évolution à l'Ouest, c'est l'intervention américaine. Dès 1945,les Américains avaient investi dans la reconstruction $1 milliard. Les Américainss'opposeront alors à toutes les mesures de socialisation. Il existait en 1945partout en Allemagne une possibilité réelle de rénovation démocratique. A l'Estcomme à l'Ouest, les forces populaires anti-fascistes auraient pu prendre enmain le sort du pays. C'est la rivalité entre les puissances, notamment la croisadedes occidentaux contre l'Union Soviétique, entreprise dès 1946, qui transformel'Allemagne en théâtre principal de la guerre froide. Les occupants encouragentdès lors tout ce qui est anti-communiste. Pour faire pièce à l'idéal communiste,on oppose une conception libérale, démocratique ( toute formelle ), bref l'idéal del'État démocratique bourgeois avec des institutions voisines de celles des paysoccidentaux.

Les trusts allemands sont « décartélisés », en fait réorganisés sur une base plussouple. Le trust gigantesque I.G. Farben avec ses cent soixante huit ( 168 ) usinesest décomposé en trois (3) sociétés. Cependant, dans une dépêche, le Hautcommissaire américain disait : « le plan ne modifie en rien les rapports depropriété ni la structure économique du pays. » Dans une première phase,jusqu'en 1947, les occupants occidentaux contrôleront la production allemande,sans modifier les structures ; à partir de 1947, on entreprend la « restauration ».Les konzern allemands retrouvent leur liberté. Les social-démocrates, lescommunistes et le Centre catholique votent en 1948 au parlement de Rhénanie-Westphalie la nationalisation des charbonnages. Les américains y opposent leurveto.Entre temps, à l'Est, la situation évolue vers un processus de nationalisation del'industrie. Cependant, des usines sont carrément démontées et transférées enU.R.S.S., ce qui causera de graves problèmes de redémarrage économique.

En 1949, l'Allemagne est officiellement scindée. La République fédéraleallemande est créée ( R.F.A. ) dans un climat d'aggravation de la guerre froide.

La chronologie des événements montre que les décisions prises à l'Est ( pouvoirsaccordés à la Commission économique allemande, Congrès du peuple,fondation de la République démocratique) sont des répliques à des mesuresprises antérieurement à l'Ouest : constitution d'un regroupement des zonesanglaises et américaines, la bi-zone, puis la tri-zone avec les Français, autant dejalons vers la constitution d'un Etat allemand occidental. Du jour au lendemain,

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les citoyens de l'Ouest sont enrôlés dans une croisade idéologique anti-communiste.La reconstruction de l'Allemagne prendra par la suite une tournure conserva-trice. Le christianisme à fleur de peau deviendra un aspect important del'idéologie dominante sous la gouverne des démocrates-chrétiens (le péchécommis, la rédemption nécessaire par le travail, l'apolitisme et l'assistance àIsraël).D n'y aura pas de travail politique de clarification des supports de classe dufascisme de telle sorte que les dirigeants pourront conserver leurs positions dansl'appareil d'État et dans l'économie. La social-démocratie s'accomodera de cefait.

La R.F.A. est constituée en 1949. En septembre 1948, chaque région désigne desdélégués à un conseil parlementaire. Konrad Adenauer est élu président avecune voix de majorité ( la sienne ). Ce conseil élabore la Constitution. Desélections se tiennent en août pour meubler le premier parlement ( le Bundestag ).Les chrétiens-démocrates devancent par 400,000 voix les social-démocrates. Ilsresteront au gouvernement, moyennant coalitions, jusqu'en septembre 1969.

B) Recomposition-décomposition des forces ouvrières après 1945La situation du mouvement ouvrier aux lendemains de la guerre est lamentable.Dans la phase finale, le niveau de vie des ouvriers a fortement baissé atteignant leniveau de subsistance. Le pays est dévasté, un afflux considérable depopulations expulsées des territoires de l'Est de l'Oder-Neisse vient aggraver lasituation. La misère atteint son comble. Seul un petit nombre de dirigeantsouvriers survit à l'hécatombe nazie. Leur autorité est grande et leur prestigeconsidérable mais leur action est entravée par les puissances d'occupation etleur tentative de rassemblement en un mouvement ouvrier contrecarrée.

Les social-démocrates de l'Ouest, sous l'autorité de Kurt Schumacher,influencés par les émigrés revenus d'Angleterre, voulaient plutôt suivre une lignedure par rapport aux communistes quand se réalisa, à l'Est, la fusion S.P.D.Parti communiste. [1]

II faut comprendre ici que la libération de l'Allemagne par les soviétiques avaitdonné lieu de la part des soldats de l'Armée rouge à des exactions violentes et àdes représailles sanguinaires contre les populations allemandes, ce qui n'était pasde nature à favoriser la sympathie à l'égard des communistes. Les expulsés desterritoires échus à la Pologne et à la Tchécoslovaquie ravivèrent rapidement lesressentiments anti-bolcheviques produits par le IIIème Keich. Le développementde la «guerre froide» à partir de 1947 favorisera a l'élimination à l'Ouest descommunistes. Lors des premières élections, en août 1949, le parti communistefut pulvérisé ne recueillant que 5.7% des votes, 2.2%,, en 1953, puis interdit en1956. A l'inverse, les social-démocrates purent recomposer leurs forces sansentraves, obtenant 29.2 des voix.

[1] Fritz Tarnow, dirigeant syndical social-démocrate, qui se demandait déjà en 1931 si lesocialisme ne devait pas être au chevet du capitalisme malade de médecin qui s'efforce deguérir le patient écrit à la veille de son retour en Allemagne en 1945: «Une des principalesrevendications des ouvriers sera l'unité... Nous devons essayer de l'éviter à tout prix, carcela donnerait aux communistes la possibilité de dominer les syndicats. Nous devons faireen sorte de rentrer en Allemagne aussi vite que possible pour présider au développementde syndicats anti-communistes. Nous devrions pouvoir compter sur l'aide des autoritésd'occupation».L'armée américaine avait fait venir des conseillers spéciaux : des syndicalistes de l'AFLcomme Joe Keenan.

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L'évolution politique dans la zone Est poussa à droite le S.P.D. de l'Ouest. Lestravailleurs, au départ, menèrent des luttes pour la transformation de la structurecapitaliste : grande grève de novembre 1948. Le Congrès constitutif du D.G.B.,la centrale syndicale, en 1949, réclama la planification économique, lasocialisation des principales industries et le droit pour les travailleurs departiciper pleinement à la gestion.

Cette dernière fut acquise partiellement en 1951 dans les mines et l'industriesidérurgique par menace de grève, mais le mouvement pour les transformationssociales s'éteignit avec la défaite de la lutte sur le statut des entreprises ( 1952 ) etle redressement économique favorisé par l'afflux des dollars américains du planMarshall. Les syndicats acceptèrent la stabilisation de l'ancienne société sousl'influence de la démocratie chrétienne et plus tard, des théoriciens de la social-démocratie : être non pas des « adversaires de classe » mais des « partenairessociaux » du capital. Les actions spontanées des travailleurs contre le re-militarisation en 1950-51 furent neutralisées par le S.P.D. Celui-ci approuva en1956 le changement de constitution nécessaire au réarmement et, en 1964, lecongrès de Karlsruhe approuva les plans d'une force atomique multilatérale.

A partir de 1953, le S.P.D. commença à s'adapter à la propagande anti-socialisteprenant la forme de la propagande anti-R.D.A.

C) La mise en place du« Système de congestion »

D'après la Constitution de Weimar et les lois de 1920, les Conseils d'entreprisejouissaient de pouvoirs étendus, même si, dans les faits, le patronat avait réussi àconfirmer leur activité au seul domaine social. Après la guerre, la revendicationest encore populaire, à tel point que la démocratie-chrétienne doit en tenircompte dans son programme : « le droit des travailleurs à la cogestion doitdevenir effectif... en respectant la véritable responsabilité patronale». Lespuissances d'occupation autorisent en 1946 la constitution dans toute l'Allema-gne de Conseils d'entreprise. Dans la Ruhr, les Anglais ( il ne faut pas oublier queles travaillistes sont au pouvoir) font entrer des représentants syndicaux auConseil de direction des aciéries et des mines. Les entreprises étaient dirigéespar trois ( 3 ) personnes, dont une, le directeur du personnel, désignée par lessyndicats. De Conseils d'entreprise, cependant, il n'était pas question. Le 21 mai1951 fut votée la loi sur la cogestion, applicable dans la sidérurgie et lescharbonnages. Les syndicats désignent un directeur du personnel. Au conseild'administration doivent figurer cinq ( 5 ) membres représentant les organisationssyndicales sur un total de onze ( 11 ) directeurs. Un an plus tard, le système futétendu aux autres sociétés par action mais avec des dispositions moinsfavorables : les syndicats ne pouvant désigner que le tiers des membres desconseils d'administration. Comme l'indique un spécialiste français des questionsallemandes, Alfred Grosser, le «combat pour la cogestion était perdu».

Dans la pratique, la cogestion jamais appliquée intégralement a servi de forced'intégration de la classe ouvrière. Les administrateurs désignés par laConfédération syndicale ( D.G.B. ). bien rémunérés, ont eu tendance à défendreles intérêts «de l'entreprise», c'est-à-dire du patronat au détriment de ceux dessalariés. La cogestion, appuyée sur des dispositions restrictives quant àl'exercice du droit de grève, a permis aux capitalistes de réduire à presque rien lenombre de conflits ouvriers, sans que la structure d'entreprise ne soit en rienmodifiée.

On voit donc, sur la longue période, comment s'est opéré le glissement desconseils d'ouvriers et de soldats de la Révolution de 1918-19, aux Conseilsd'entreprise de la République de Weimar, à la cogestion style R.F.A.

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6. LE RETOUR «AUX AFFAIRES»DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE

6.1: Facteurs d'explication de laremontée de la social-démocratie

Le dernier chancelier socialiste avait remis sa démission en 1930. Il faudraattendre 1969, près de quarante ( 40) ans plus tard, pour qu'un chancelier social-démocrate accède à la direction du gouvernement. Après la guerre, auxélections qui se succèdent, la social-démocratie talonne parfois les démocrates-chrétiens, parfois elle recule sensiblement (voir tableau II). Progressivement, lespetits partis sont éliminés de la scène parlementaire. Les grands partis, quirecueillaient 72.1% des suffrages en 1949, accaparent 96.4% des voix en 1965. Leschrétiens-démocrates consolident leur clientèle jusqu'au milieu des années 1960.

Les carences de la social-démocratie, avant le début des années 1960,s'expliquent en partie par l'amputation géographique d'une partie importante desa base sociale : la Saxe, la Prusse forment désormais la Républiquedémocratique allemande ( R.D.A. ).

Toutefois, ces apparences ne doivent pas tromper. Peu à peu, la social-démocratie gagne la direction des parlements régionaux. Une série de facteursexplique l'arrivée au pouvoir de la social-démocratie au niveau fédéral en octobre1969.A ) La révision des thèses au Congrès de Bad Godesberg ( 1959 )A son Congrès de Bad Godesberg, du 13 au 15 novembre 1959, la social-démocratie s'offre un « face lift ». Elle revise officiellement la finalité de son action ;elle renonce à réclamer la socialisation intégrale des moyens de production etd'échange. Elle délaisse la phrase marxiste; bref, elle ajuste ses référencesthéoriques à sa pratique. D'une position de socialisme réformiste (socialismedémocratique selon l'expression de certains ), c'est-à-dire socialisme quant auxfins, réformisme quant aux moyens, elle ne garde que la référence auréformisme. Le libre choix des consommateurs, le libre choix du lieu de travail, lalibre initiative des entrepreneurs, la libre concurrence doivent désormais, pour lasocial-démocratie, être considérés comme des facteurs positifs qu'il faut

Tableau II: Répartition électorale en R.F.A., 1949-1977, en pourcentage - etcoalitions au pouvoir:

14 août1949

6 sept.1953

15 sept.1957

17 sept.1961

19 sept.1965

1er déc.1966

29 sept.1969

1972

3 oct.1976

Démo-chrétiensC D U -C S U

31

45,2

50.2

45.4

47.6

46.1

44.9

48.6

LibérauxF D P

11.9

9.5

7.7

12,8

9.5

5.8

8.4

7.9

Sociaux-démocrates

S.P.D.

29.2

28.8

31.8

34.2

39.3

42.7

46.9

42.6

CommunistesKPD

5.7

2.2

( interdit )

Néo-fascistesN P D

4.3

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encourager. Sans doute faut-il nationaliser les industries de base, notammentcelles de l'énergie, mais les petites et moyennes entreprises doivent êtremaintenues et même protégées contre les cartels ( au sujet desquels il n'y a rien àredire ). Cela est condensé dans les formules :

«L'État autant que nécessaire; la liberté autant que possible.»

Cette révision entraîne d'autres conséquences ( à fortes connotations électora-listes ) : le socialisme doit renoncer à l'anti-cléricalisme dont il a souvent faitprofession et qui s'alimentait au « matérialisme marxiste » ; il ne cherche pas àproposer des vérités dernières ; il respecte les convictions que la foi peut inspirerà chacun. Le socialisme plonge ses racines aussi bien dans la morale chrétienneque dans l'humanisme du XVIe siècle et la philosophie classique : « le parti social-démocrate d'Allemagne est le parti de la liberté de l'esprit. Il constitue unecommunauté d'hommes qui viennent de différentes directions de croyance et depensée. Leur accord repose sur des valeurs morales communes et sur des butspolitiques identiques. Le parti social-démocrate vise à établir un système de viedans l'esprit de ces valeurs ».

Ce renversement de position survient un an après le triomphe de thèsesanalogues au Congrès du parti autrichien, thèses présentées dans un rapport deBenedikt Kautsky, fils de Karl. Celui-ci venait d'inventer la formule célèbre :« D'un parti de la classe ouvrière, le S.P.D. est devenu un parti du peuple ».

Dans la campagne électorale de 1961, Willy Brandt, maire de Berlin, prend lavedette. Celui-ci a séjourné longtemps en Norvège pendant la guerre et il a subil'influence des conceptions de la social-démocratie. Il se prononce pour une« social-démocratie de type Scandinave » en matière intérieure.

B) Les modifications dans la base sociale de la social-démocratie

Les mutations du capitalisme dans la période d'après-guerre déterminent destransformations dans la division du travail. Le secteur tertiaire se développe. Lenombre des ouvriers industriels reste à peu près stationnaire à 6 millions alorsque la population active passe en vingt (20) ans de 15 à 21 millions. La social-démocratie veut « mordre » dans les nouvelles couches d'employés indépendantsou salariés. L'affadissement de son programme traduit cette « ouverture » vers lapetite bourgeoisie. La remontée des performances du S.P.D. dès 1961 (de 31.8%en 1957 à 34.2% en 1961 ) reflète le succès de l'opération. Avec le développementde ces nouvelles couches sociales les progrès électoraux vont s'accélérer(39.3% en 1965, 42.7% en 1969, 45.9% en 1972).

Aux élections de 1969, une analyse sociologique révèle que:1- Parmi les travailleurs ( 30% de l'électorat ), le S.P.D. a recueilli 60% des voix, le

C.D.U. 25%.

2- Parmi les conservateurs et traditionalistes qui donnent la majorité auC.D.U., les partisans du S.P.D. sont passés de 13 à 16%.

3- Dans les classes moyennes (agriculteurs, travailleurs indépendants,employés, fonctionnaires), le C.D.U. a reculé de 45 à 42%, le S.P.D. aprogressé de 22 à 31%.

Ce qui assure le succès de la social-démocratie, c'est donc sa progression dansles catégories du secteur tertiaire en expansion. Après plusieurs années, larévision du programme de Bad Godesberg s'est révélée électoralement payante.Le S.P.D. est sorti du «ghetto syndicaliste». Il a cessé d'être un partiessentiellement ouvrier, pour devenir un parti du «peuple tout entier».

C) Garanties à la bourgeoisie

Surtout, la social-démocratie annonce, à travers sa révision de la référence

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marxiste, qu'elle entend se conformer à la politique de la bourgeoisie, y comprisen matière de défense.

D) L'impact de la récession économique

En 1966, l'Allemagne est frappée par la récession. La pire depuis la guerre.L'image du «miracle allemand» risque d'en pâtir. Les chrétiens-démocratesconsentent à former un gouvernement de coalition avec la social-démocratie. Leministère de l'Économie échoit à Karl Schiller, social-démocrate, à qui revient latâche d'appliquer une politique d'austérité. Pour les chrétiens-démocrates, lesrisques politiques sont faibles; pour le S.P.D., ils sont considérables en casd'échec mais prometteurs en cas de succès. Et effectivement la situation serétablit. La propagande de la social-démocratie s'en attribue le mérite.

E) Election à la présidence d'un social-démocrate

Gustave Heinemann, ancien membre du parti démocrate-chrétien, passé auS.P.D., est élu président de la République le 5 mars 1969. C'est un symbole,d'abord. Mais c'est aussi un signe du renversement des alliances politiquespuisque les libéraux et la social-démocratie ont uni leurs voix à l'occasion decette élection.

F) Le renversement des alliances politiques

Le parti libéral appuyait traditionnellement les démocrates-chrétiens. De 1966 à1969, il passe dans l'opposition alors que se forme la coalition C.D.LJ.—S.P.D. En1969, à la suite des élections, la social-démocratie s'assure sa collaboration pourformer le gouvernement. La coalition aura une majorité de douze ( 12 ) sièges surquatre cent quatre vingt seize (496). Elle se réduira à un (1) siègeéventuellement. Willy Brandt devient chancelier. Cette collaboration qui dureencore aujourd'hui aura au moins deux (2) conséquences. Etant donné qu'ildétient la balance du pouvoir, le parti libéral pèsera pour modérer l'action social-démocrate. D'autre part, la social-démocratie pourra justifier sa propremodération devant une classe ouvrière revendicative en rejetant la faute de soninaction sur les libéraux.

6.2 Approfondissement de la A) Politique économiquepolitique et l'Etat bourgeois Depuis son arrivée au gouvernement, le S.P.D. s'applique à une gestion saine,

classique et conventionnelle du capitalisme. Au plan économique, l'essentiel de lapolitique a consisté à assurer la promotion des exportations, la consolidation desmarchés et à choisir les moments les plus opportuns pour laisser flotter à lahausse le mark, au gré des modifications des rapports de force entre leséconomies occidentales. Ces réévaluations provoquent de sérieuses perturba-tions dans la politique agricole du Marché commun, entraînant une dégradationdes rapports avec la France. La politique menée avec le plus de succès, de l'avisde tous, est celle de la lutte contre l'inflation. A ce chapitre, les réalisations duS.P.D., qui traîne comme héritage le qualificatif de «parti de l'inflation », ont étéimpressionnantes. Cela a été acquis par une combinaison de politiques derestriction du crédit, de réévaluation de la monnaie, de contraintes volontairesdes revendications salariales, de ralentissement de l'activité économique et del'expulsion d'Allemagne d'environ 600,000 travailleurs immigrés.

Un mot sur la politique extérieure. Willy Brandt, en arrivant au pouvoir, inaugurela politique d'ouverture et de rapprochement à l'Est ( l'Ostpolitik ). Celle-ci,menant à la reconnaissance de la R.D.A. marque certes un progrès importantdans l'amélioration des relations internationales. Elle conduira, entre autreschoses, à l'entrée des deux (2) Allemagnes à l'ONU le 18 septembre 1973(événement dont l'impact a été escamoté par la guerre de Kippour). Cettepolitique, dictée par un désir d'apaisement, résulte également du désir de laR.F.A. d'ouvrir comme débouché à sa production l'important marché des pays

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6.3 Incidence de la criseéconomique sur lasocial-démocratie

de l'Est. D'un autre côté, cette politique a permis à la social-démocratie, en 1972,d'obtenir l'adhésion des intellectuels progressistes et de rallier son aile gauche.

B) Politique sociale

Les mécanismes d'intégration de la classe ouvrière ont été étendus. En cela, lasocial-démocratie n'a guère innové, mais elle a apporté une extension nouvelle àdes politiques déjà établies. C'est le cas par exemple pour la loi de 1962concernant « la formation du capital privé chez les salariés ». Dans les servicespublics, dans la métallurgie, dans la sidérurgie Rhénane ont été conclus desaccords qui prévoient des versements destinés à permettre aux salariés de seconstituer un « capital ».

Selon les dispositions de cette politique, les employeurs versent tous les ans uneprime (313DM) aux salariés ayant appartenu à une entreprise visée plus de six(6) mois. Les versements, déductibles d'impôt, doivent être placés sous formede compte en banque, de valeurs ou d'épargne construction. Ils peuvent alorsêtre utilisés pour la construction, l'acquisition ou l'amortissement d'un logement,pour l'acquisition d'actions de l'entreprise ou pour justifier une demande de prêtsur titres adressée à l'employeur.

La social-démocratie considère la cogestion comme l'instrument essentiel - sinonexclusif - des réformes sociales de structure. Ainsi, dès l'arrivée au pouvoir, unevolonté d'extension de la cogestion a été affichée par la social-démocratie. Lesnégociations pour y parvenir, avec le patronat, les syndicats, les libéraux onttraîné de 1969 à 1976. Une nouvelle loi sur la cogestion entrera en vigueur enjuillet 1978 (voir chapitre VIII).

A) Les élections de 1976

Aux élections du 3 octobre 1976, la coalition des social-démocratres et deslibéraux a sensiblement reculé, ne conservant qu'une majorité de huit ( 8 ) siègesau parlement. Le vote du S.P.D. a régressé de 3.3%, passant de 45.9% en 1972 à42.6%. Les chrétiens-démocrates, en revanche, remontent à 48.6% reprenantleur place de premier parti d'Allemagne. La social-démocratie se retrouve auniveau de 1969 (42.7%).

Helmut Schmidt, qui a été reconduit au gouvernement à cause de la« combinaison pragmatique » qui a permis de gérer la crise sera donc amené àédulcorer encore plus ce qui restait de spécifiquement « social-démocrate » dansson action sous le double poids des libéraux et des chrétiens-démocratesrenforcés. La social-démocratie se trouve donc condamnée à accentuer sapolitique modérée qui ne se différencie plus guère du programme de l'opposition.

C'est dans les régions catholiques et dans les couches moyennes que le S.P.D.perd le plus de votes. Aussi peut-on concevoir que sa fermeté, voire sa brutalité,dans l'affaire de l'enlèvement de Schleyer, est dictée par un souci classique derassurer les couches moyennes, facilement apeurées par l'instabilité et ce, defaçon à reprendre le terrain perdu.

B) La politique anti-crise de la social-démocratie

Fondamentalement, le recul électoral de la social-démocratie est une consé-quence de la crise qui secoue actuellement la République fédérale.

Cette crise est d'abord économique. Le « miracle allemand » fait désormais partiede l'histoire parce que les conditions qui l'ont rendu possible sont disparues. Onpeut parler d'une "normalisation" du capitalisme allemand. Celui-ci a épuisé lesinnovations industrielles, inévitables après les destructions de guerre. Il a épuisél'afflux permanent de main-d'oeuvre qualifiée en provenance de R.D.A., qu'ilobtenait gratuitement. De plus, il se met à ressentir la faible portée historique deses fondements technologiques : pas de pétrole. On peut donc considérer que le

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capitalisme allemand produit maintenant aux conditions normales du marchémondial. En outre, comme ailleurs, le capital allemand s'internationalise. Il seporte vers les pays où les coûts de main-d'oeuvre sont moins élevés affaiblissantde ce fait le dynamisme intérieur de l'industrie.

Ainsi, en quelques années, le chômage a pris des proportions inquiétantes et leniveau de vie a été plafonné. Cette crise économique ébranle aujourd'hui lesfondements de la R.F.A.

La politique menée par le S.P.D. est le produit de la crise où, pour la premièrefois dans la société ouest-allemande, les fronts de classe se sont vraimentpolarisés.

La social-démocratie n'est pas un parti bourgeois pur et simple qui ne sedistinguerait que d'une manière accessoire des partis bourgeois traditionnels(C.D.U., F.D.P. ). Sur un grand nombre de points programmatiques, il y aconvergence. C'est certain. Mais la social-démocratie conserve un caractèrecontradictoire. Les termes de cette contradiction sont les suivants : d'un côté,l'impérieuse nécessité de conserver son audience auprès de la classe ouvrière.Cela peut être assuré par une amélioration du niveau de vie, par la créationd'emplois. A l'autre pôle, il y a la nécessité de pratiquer une politique anti-crisemédiatisée par le marché qui consiste essentiellement à élever le taux de profitde la grande industrie. Cela implique une politique d'assainissement budgétaire,une politique énergétique basée sur le nucléaire, une politique de rationalisationdu procès capitaliste de production, des administrations publiques et unepolitique du marché du travail. Ces politiques sont inséparables de la tendance àla centralisation et concentration du capital.

Actuellement, cet aspect de la contradiction est dominant dans la social-démocratie, de telle sorte que la coalition socialo-libérale mène la politique dugrand capital industriel, bancaire et commercial. Comme conséquence, larationalisation secrète le chômage, la politique déflationniste provoque la ruinedes petites entreprises, des petites banques, des entreprises de construction etdes magasins de détail. En outre, cette politique produit le développement degraves conflits avec les syndicats à qui on demande au mieux de se contenterd'augmentations égales au taux d'inflation. Finalement, le S.P.D. ne peut plusmettre en marche des réformes dans un tel contexte. Celles-ci sont tropcoûteuses. Il peut même difficilement assurer le maintien des modificationsintervenues dans le domaine social, scolaire ou universitaire.Alors que reste-t-il pour garder l'emprise sur la classe ouvrière? Deux (2)choses : la répression et l'agitation des spectres de choses pires à venir - soit de ladroite, soit de la gauche. Et nous retrouvons là une autre des marottes de lasocial-démocratie : la politique du « moindre mal » « regardez chez les voisins,regardez ce qui pourrait vous arriver et vous vous sentirez mieux ! », dit-on aupeuple.C) La crise au sein du S.P.D.La poussée actuelle des luttes de classes et une résistance croissante de largescouches de la population contre les mesures gouvernementales se répercutentimmédiatement sur le S.P.D. C'est qu'en effet ce parti oscillant entre les classesfondamentales est traversé par les luttes de classes. Le dernier Congrès duS.P.D., tenu en novembre 1977, a été le théâtre de déchirements violents. Lagauche et la droite se sont durement affrontées sur la question des interdictionsprofessionnelles, la politique nucléaire, la lutte contre le « terrorisme ». Ce n'estque par des majorités faibles que l'aile réactionnaire put maintenir ses positions.

Signalons enfin que la multiplication des scandales précipite les crises au sein dugouvernement. Le dernier en date concerne une affaire d'espionnage auministère de la Défense qui a entraîné la démission de Georg Leber, un despiliers de l'aile réactionnaire du S.P.D.

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7. LA RÉPRESSION EN R.F.A.7.1: Les berufsverbote interdictionsprofessionnelles[1]

Après le terme « ostpolitik », le vocable allemand qui s'est le plus popularisé enEurope ces dernières années c'est le mot « berufsverbote ». Le terme désigne lesinterdictions professionnelles ; il est aussi connu sous le nom de décret sur lesextrémistes ou encore décret de 1972 des ministres présidents des provinces.Par extension, le terme sert à caractériser l'ensemble du dispositif de répressionmis en place en Allemagne de l'Ouest.

Spécifiquement, le berufsverbote est une proscription qui frappe les candidats àdes emplois dans la fonction publique dont les opinions sont jugées subversives.Il consacre les délits d'opinion.

Les premiers cas de berufsverbote ont eu lieu au printemps 1971 sous legouvernement S.P.D.-F.D.P. quand un poste de professeur à l'Université deBrème a été refusé à Host Holzer parce qu'il était un membre du Particommuniste ( D.K.P. ). Par la suite, les instances politiques se sont appliquées àclarifier cette notion. Ainsi, le 28 janvier 1972, les ministres-présidents desprovinces, réunis en conférence, arrêtèrent une position sur les «principesconcernant les forces institutionnelles dans la fonction publique». Le décretadopté alors dit, entre autres, que l'accès à la fonction publique serait refusé àtous ceux «à l'encontre desquels peuvent subsister des doutes quant à leurengagement permanent en faveur de l'ordre fondamental démocratique etlibéral». Ce décret marque la naissance officielle du berufsverbote défini parl'État, même si la chose se pratiquait depuis le temps d'Adenauer, pour exclureles anti-fascistes de gauche de l'administration.

Bien entendu « l'ordre fondamental démocratique et libéral » est identifié à l'ordrecapitaliste établi même si la Constitution allemande ne contient rien de spécifiqueà ce sujet. Le berufsverbote est utilisé exclusivement pour mener la chasse à lagauche, jamais aux ex-nazis. L'ancien ministre de l'Intérieur considérait que dece côté là aucun danger sérieux ne menaçait la démocratie. Les cibles principalessont les membres du Parti communiste, des organisations d'étudiants et dejeunes communistes, mais aussi des membres des jeunesses socialistes duS.P.D. (Jusos), de l'association des juristes démocrates ainsi que toute unefrange de militants de gauche inorganisés.

Appliquée inégalement jusqu'en 1973, la pratique des berufsverbote a pris uneampleur considérable depuis 1974. Le ministère de l'Intérieur allemand areconnu, dans un rapport, 1056 cas de berufsverbote d'avril 1973 à juin 1975.Ces chiffres sont sans doute inférieurs à la réalité étant donné que denombreuses personnes n'ont pas intérêt à révéler leur cas de crainte d'êtretotalement exclues du marché du travail. Quelle entreprise engagerait, en effet,quelqu'un attesté « hostile à la Constitutions » ? Depuis 1975, on estime que lescas d'exclusions doivent dépasser les 3,000.Ces pratiques s'accompagnent, bien entendu, d'enquêtes très étendues danstous les secteurs de la fonction publique. On peut signaler à ce propos que lesécoles et les universités, les chemins de fer, la poste, la radio, la télévision fontpartie de la fonction publique. C'est, au total, 20% des salariés qui sontdirectement visés par ces interdictions. Le rapport du gouvernement cité plushaut fait état de 400,000 enquêtes pour la seule période sur laquelle il porte. Larépression frappe particulièrement le milieu scolaire. Citons, pour illustrer, le casde l'enseignant Gert Heide, d'une école de Hambourg, qui a été suspendu en1975 pour avoir incité ses élèves à prendre position en faveur des vietnamiens et

| 1 | Robert Boure, Les interdictions professionnelles en Allemagne fédérale, « Cahierslibres" no 339, Maspero 1978, Paris, 135 p.p.

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à condamner l'agression américaine au Vietnam. La police sortit cet enseignantde l'école en le traînant par les cheveux.[1]

En fait, les berufsverbote ne représentent que la pointe d'un iceberg. Dans lessyndicats contrôlés par la social-démocratie les mêmes pratiques ont ététransposées. Des résolutions, appelées décrets d'incompatibilité, interdisentl'appartenance simultanée à une organisation d'extrême gauche et à un syndicat.En plus, les berufsverbote visent les jeunesses socialistes ( Jusos) du S.P.D. lui-même où elles prennent la forme d'intimidation et de menaces. Elles permettentà l'aile réactionnaire du S.P.D. de fonder ses tentatives d'exclusion desopposants.

Les conséquences de ces mesures ne se limitent pas à ceux qui en sont lesvictimes. Combinées avec le déploiement d'un gigantesque appareil policier, lesmultiples formes de restrictions des droits de manifestation et de rassemblement,les formes modernisées de surveillance, ces mesures instaurent un climat socialde peur, de conformisme, de pusillanimité et de délation que le gouvernementallemand présente, au monde comme le résultant du bien-être et du bonheurd'une population attachée à ses institutions démocratiques.

7.2 Fondements idéologiques A) L'idéologie élitiste du fonctionnariatde la répression Cette répression est si intimement liée à la structure, à la fonction et à l'histoire

de la social-démocratie en Allemagne qu'on ne peut négliger son analyse. Auplan idéologique, le berufsverbote exprime l'étatisme social-démocrate. Au planpolitique, il reflète son anti-communisme militant.

Les interdictions professionnelles correspondent en effet à quelque chose de pré-démocratique. [2] Le fardeau de la preuve est inversé dans le sens où lapersonne soupçonnée de « déloyauté envers la Constitution » doit faire la preuvedu contraire devant l'accusation pour être admise à l'exercice d'un emploi.

Ces mesures s'apparentent par leur esprit à la « Loi contre les entreprises de lasocial-démocratie qui constituent un danger public » consacrée par Bismark en1878. Cela avec la différence qu'aujourd'hui c'est le S.P.D. qui applique cetterépression. La loi de 1878 avait permis à l'Empire prusso-allemand d'interdiretoutes les organisations «dans lesquelles se manifestent des entreprisessocialistes ou communistes qui ont pour but de renverser l'ordre social etmettent en danger la paix publique et en particulier la concorde régnant entre lesclasses du peuple ».

Ces attitudes pré-démocratiques, on s'en souviendra, ont fortement imprégnéla jeune social-démocratie ( chapitre I ). Les stigmates de l'autoritarisme de l'Étatabsolutiste marquent toute l'histoire contemporaine de l'Allemagne.En rapport avec cela, il faut bien comprendre comment le fonctionnariat estperçu. Une vieille tradition datant de l'Empire veut que les fonctionnaires nesoient pas soumis aux relations de travail habituelles du capitalisme, c'est-à-dire àcontrat de travail libre. Les rapports entre Etat et fonctionnaires se fondent surun service rendu à l'État réglé par le droit public, qui, en R.F.A. est prévu dans lestextes sous le nom de « rapport de loyauté ». Il s'agit là d'un relent d'absolutismequi n'est pas vide de signification politique. Ce statut assure la pérennité del'administration et la stabilité des rapports économiques dominants. Ainsi, après1945 la cohésion de la fonction publique a été maintenue. Les personnelsagissant pour le compte des nazis ont été réhabilités.

[1] Else Mozard, «Berufsverbote: exclusions et reniements», Politique aujourd'hui, no 1-2,1977.

[2] L'acception de ce terme est chronologique et non théorique.

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Au niveau des comportements, les fonctionnaires sont tenus de reprendre à leurcompte la conception dominante de l'État. Et l'État ne tolère pas qu'unfonctionnaire se fasse de l'État une conception autre que celle qui est dominantedans l'État. La genèse de cette idéologie remonte, bien entendu, à la fictionmensongère entretenue par le pouvoir monarchique au siècle dernier et selonlaquelle le monarque et ceux qui le servent sont au-dessus des partis, des conflitset des classes. Cela comporte comme corollaire l'idée dangeureuse selonlaquelle l'État et ses fonctionnaires sont soustraits aux règles de la Constitutionbourgeoise.En mai 1975, le Tribunal constitutionnel fédéral (équivalent de notre Coursuprême ) a donné par arrêt sa bénédiction d'instance suprême à la pratique desberufsverbote. Un des spécialistes de droit constitutionnel les plus renommés, leprofesseur Helmut Ridder de Giessen a commenté cet arrêt en ces termes : « leplus important dans cet arrêt, c'est qu'il reconnaît, sans détour et de son propreaveu, son constitutionnalisme prusso-allemand et pré-parlementaire... » sonanalyse de cette décision l'amenait à conclure «que la décision du Tribunalcontient l'aveu du départ de la R.F.A. de la famille des démocratiesparlementaires européennes ». [ 1 ]

Aussi, le cas des interdictions professionnelles est-il révélateur. Les berufsver-bote ont beau être anti-constitutionnels, en ce sens très précis qu'ils violent la Loifondamentale de constitution de la R.F.A., il n'en reste pas moins qu'ilss'intègrent harmonieusement dans une tradition séculaire d'autoritarismeétatique. C'est là une chose sur laquelle la social-démocratie n'a rien à redire.

B) L'idéologie étatiste de la social-démocratieSur ce substrat idéologique vient se greffer l'apport propre de la social-démocratie. Comme le signale Oskar Negt : [ 2 ] « De tout temps, ( en Allemagne )l'intérêt général n'a jamais été défini comme celui de la société, ou même de laclasse prolétarienne, mais toujours comme l'intérêt de l'État en sorte que lessyndicats et le Parti social-démocrate se sont toujours efforcés d'institutionnali-ser étatiquement les positions de force déjà acquises, c'est-à-dire, au senslassallien, les « droits acquis », et de donner aux positions de classe la couleur etle poids du droit public ». ( En d'autres termes, la force crée le droit. )

En effet, la social-démocratie se distingue par la conscience qu'elle a de travaillerpour l'intérêt général en respectant un comportement particulièrement fidèle àl'État. Helmut Schmidt considère que la stabilité économique et politique de lasociété ouest-allemande d'après-guerre est essentiellement le produit de deux( 2 ) lignes de développement :

« l'économie sociale de marché » ( capitalisme plus sécurité sociale )

la force d'organisation étatique politique de la social-démocratie qui, au couppar coup, corrige les défauts de cette économie de marché à l'aide de réformeset grâce à la rationalité de la politique économique de l'État.

Ces propositions peuvent être considérées comme le noyau idéologique de lasocial-démocratie allemande. L'étatisme auquel elle se raccroche a commecontrepartie la méfiance face aux initiatives des masses populaires. L'État tel quela social-démocratie allemande se le représente entretient un rapport d'exté-riorité face aux masses populaires. Cet État détiendrait une rationalitéintrinsèque, incarnée par les élites politiques et garantie par les mécanismes de ladémocratie parlementaire. L'État doit être investi au sommet par une éliteéclairée de gauche, étant entendu que cet État apportera le socialisme par en

| 1 | «Konkret. novembre 1975», cité in Politique aujourd'hui, no 1-2, 1977.[21 Oskar Negt, «Quand le S.P.D. gère la crise», in Politique aujourd'hui. No 1-2, 1977.

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haut aux masses populaires. Ainsi, la social-démocratie vient-elle renforcer latradition d'autoritarisme chez les fonctionnaires, eux-mêmes séparés artificielle-ment des salariés par des privilèges sociaux et une idéologie élitiste. On conçoitaisément aussi que cet étatisme technico-bureaucratique trouve un échoimportant du côté des nouvelles couches sociales dont l'apparition est liée audéveloppement des fonctions de gestion du capitalisme moderne. Dans cet État,les nouvelles petites bourgeoisies trouvent un lieu d'ancrage propice àl'expression de leur aspiration au pouvoir.

En fin de compte, c'est peut-être Hegel qui, au siècle dernier, a dessiné avec leplus de netteté les contours de cette idéologie étatique. Dans une large mesure,celle-ci explique la répression actuelle. Mais il y a aussi des raisons politiques plusconjoncturelles.

7.3 Fondements politiques L'essor du parti social-démocrate en Allemagne est lié en grande partie à lade la répression vocation missionnaire que celui-ci s'est donnée aux lendemains de la guerre.

Cette vocation se fonde sur la défense d'une ligne de front inflexible à l'égard despays communistes de l'est européen. A Berlin-Ouest, ville du «front », il n'y a eupratiquement que des gouvernements social-démocrates. Willy Brandt en futmaire. Le premier président du S.P.D. de l'après-guerre, Kurt Schumacher, aconstruit la social-démocratie en forteresse sans compromis contre toutes lestentatives de politique unitaire des communistes. A la fin des années 50, quand laFédération des étudiants socialistes (S.D.S. ) proposa une attitude plusconciliante face à l'Est, elle fut exclue du S.P.D.

Aujourd'hui, avec la normalisation des rapports à l'Est, le «danger communiste »est pressenti de l'intérieur. Ce « danger » ne vient plus de la périphérie étrangèremais du centre politique même des Etats européens : Italie, France, Espagne(notamment). En Allemagne même, «l'opposition extra-parlementaire» commeon a coutume de l'appeler a connu un essor important après les constestationsétudiantes de 1968.

Aussi, l'objectif de la répression actuelle est-il double. D'un côté, il s'agit pour leS.P.D. d'empêcher les forces politiques de gauche de se développer: cela defaçon à laisser au S.P.D. l'occasion de figurer comme seule alternative aucapitalisme sauvage. D'un autre côté, il s'agit d'indiquer aux autres Etats libéro-capitalistes européens la voie à suivre : le « management » économique de la criseayant échoué partout, celui-ci doit se transformer en «management» politique.Les modalités de cette gestion prennent aussitôt les traits de la répression.

La crise économique du capitalisme international, conjuguée avec la défaite desÉtats-Unis dans le Sud-Est asiatique, la décolonisation en Afrique australe,l'aggravation des tensions Nord-Sud, le développement de la constestation durôle des États-Unis renforcent en Europe de l'Ouest un processus de criseéconomique, politique et idéologique qui plonge ses racines dans les contradic-tions historiques du capitalisme. Cette situation d'instabilité «structurelle»conduit les principaux États à mettre en place, avec des rythmes et une intensitévariables, un État fort caractérisé par :- un déplacement du centre de gravité du législatif vers l'exécutif,- un renforcement de l'appareil répressif, et un développement de l'arsenal

juridique « anti-crise »,

- une atteinte réelle, mais plus ponctuelle et subtile que massive, aux libertéspubliques,

- une offensive idéologique appuyée par les mass média destinée à ancrer dansla tête de chaque citoyen le respect de la normalité incarnée par l'ordre socialexistant. [ 1]

| 1 | Robert Boure, Les interdictions professionnelles en Allemagne fédérale, op. cit., p.45.

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7.4 Le tribunal Russel sur larépression en R.F.A.

LA SOCIAL-DEMOCRATIE,«FILIÈRE»DE L'IMPÉRIALISME

La social-démocratie allemande, aiguillonée par les libéraux et la démocratie-chrétienne, empreinte d'une tradition d'autoritarisme musclé, a pris une bonnetête d'avance sur le reste de l'Europe dans ce processus. Qui oserait nier,cependant, qu'on ne retrouve pas des tendances semblables au Canada même,surtout à la suite des révélations sur les agissements de la Gendarmerie royale ?

Actuellement, le Troisième tribunal Russel s'est officiellement constitué pourenquêter sur la répression en R.F.A. On se rappellera que le premier Tribunal,présidé en 1968-69 par Jean-Paul Sartre, a joué un rôle de premier plan pourprovoquer un changement d'attitude de l'opinion internationale face à guerre duVietnam. Les crimes de guerre américains y avaient été exposés et dénoncés. Ledeuxième Tribunal, en 1975-76, a porté sur la répression en Amérique latine.

Le Troisième Tribunal s'est constitué suite aux appels adressés à la FondationRussel par des citoyens allemands. Mentionnons en passant que des poursuitessont engagées par le gouvernement de la R.F.A. contre les fonctionnaires qui ontsigné l'appel. En fait, des pressions considérables ont été exercées pour que leTribunal ne se tienne pas et que les Allemands n'y participent pas. Malgré cela,plusieurs personnalités indépendantes allemandes y figureront. Par ailleurs, lespressions du S.P.D. n'ont pas réussi à amener les jeunesses socialistes à sedésolidariser de cette initiative. Malgré les directives de boycott et l'intimidation,le Tribunal doit tenir sa première session en Allemagne à Pâques 1978. Comptetenu des précédents, cet événement aura une portée historique.

Il n'entre pas dans le cadre de ce texte de proposer une analyse de l'impérialismeallemand. Nous devons cependant faire état d'une présence croissante del'Allemaqne sur la scène internationale, aussi bien économiquement quepolitiquement. La social-démocratie joue un rôle particulièrement actif dans lapromotion à l'extérieur du capital allemand. Nous pouvons ici tenter de brosser àgrands traits un tableau de cet impérialisme.

8.1 Remontée de l'influenceéconomique et politique de la R.F.A.

Le caractère impérialiste de la R.F.A. ne fait pas de doute. Tous les éléments dela définition léniniste du phénomène se trouvent fortement développés dans lecapitalisme allemand: exportation du capital, forte concentration et centralisa-tion industrielle-financière du capital dans de gigantesques monopoles, les«konzern», existence d'une puissante oligarchie financière, participation à desunions monopolistes internationales ( industrielles bu bancaires) pour le contrôleet le partage des marchés mondiaux, aristocratie ouvrière. Quand au caractèremilitariste du capitalisme parvenu au stade de l'impérialisme, il reste larvé enAllemagne pour des raisons historiques bien connues. Pour autant il ne faut pasconclure qu'il n'existe pas.

Quelques observations sur l'évolution de commerce international de l'Allemagnes'imposent. Depuis 1970, la R.F.A. est devenue le premier exportateur mondialde produits industriels à forte valeur ajoutée ( c'est-à-dire très « usinés » ). Depuis1966, la balance commerciale est positive : les exportations de marchandisesexcèdent les importations. Ce qui est nouveau, cependant, c'est le développe-ment rapide des investissements directs à l'étranger. [ 1 ] En effet, les entreprisesallemandes ont investi à l'étranger de 1972 à 1976, soit en 5 ans, plus qu'elles nel'avaient fait dans les vingt-deux années précédentes. ( Et cela avec une monnaie

[ 1 ] L'investissement direct c'est l'investissement qui vise le contrôle de l'entreprise, soit paracquisition de capital actions, soit par mise en oeuvre directe de la production.

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dont la valeur est beaucoup plus forte. ) De 1960 à 1971, les investissementsdirects à l'étranger cumulaient DM 20.2 milliards. Il s'agissait essentiellementd'investissements directs nouveaux dans les pays industrialisés. De 1972 à 1976,le flux cumulé d'investissements directs nouveaux de la R.F.A. a atteint DM 25.3milliards. Ceci reflète la transformation de l'Allemagne d'économie exportatricede marchandises en économie exportatrice de capitaux, bref en économieimpérialiste au sens étroit de la définition léniniste.

Plus récemment, en 1975-76, les investissements directs allemands à l'étrangeront excédé les investissements directs étrangers en R.F.A. Même la balance dutotal cumulé des placements de capitaux s'est inversée (ceci comprend, outreles investissements directs, les investissements de portefeuille, les crédits etprêts, les opérations immobilières). Il y a là un renversement de la tendancehistorique. Désormais, la R.F.A. place plus de capitaux à l'étranger que lesétrangers n'en placent en R.F.A.

En majeure partie, les investissements directs allemands, entre 1972 et 1976, sesont dirigés vers les pays industriels, à concurrence de 54% du total : CEE 30%,Europe industrialisée 40%, États-Unis 14%. Les pays sous-développés ( y comprisceux d'Europe) n'ont reçu que 20% du total.

Inversement le flux d'investissements directs étrangers en Allemagne cesdernières années s'est ralenti, à cause des coûts de main-d'oeuvre et de laréévaluation du Deutschmark. (DM 18.2 milliards de 1972 à 1974; DM 6.8milliards en 1975 et 1976). A cause de cette réévaluation, cependant, les capitauxspéculatifs se portent massivement vers l'Allemagne.

Également, la fin des années 60 et le début des années 70 marquent le démarragedu rôle de banquier international de l'Allemagne, démarrage correspondant àl'apparition d'excédents commerciaux importants. Les crédits et les prêtsconsentis par l'Allemagne à l'étranger représentent des engagements énormes :DM 12.9 milliards de 1972 à 1976. La moitié de ces crédits vont aux capitalistesindustrialisés, 16% vers les pays sous-développés, 30% aux pays de l'Est ; le resteest le fait des organisations internationales. [ 1 ]

L'Allemagne a longtemps été considérée comme « un géant économique mais unnain politique ». Cela semble être de moins en moins vrai.D'abord, le rôle militaire de l'Allemagne tend à s'amplifier. L'armée allemande estdevenue l'armée conventionnelle la plus puissante d'Europe occidentale.L'industrie des armements occupe 200,000 salariés et représente environ 3% duP.N.B. Les exportations d'armes restent limitées. ($100 millions/an, 0.3% desexportations totales). C'est l'Allemagne qui fournit les nouveaux chars quiéquipent l'armée canadienne : les léopards. Le budget militaire allemandaugmente rapidement ces dernières années, au rythme annuel de 20%. Malgrécela, la R.F.A. est si lourdement tributaire du support américain pour sa défensequ'elle reste foncièrement subordonnée à la politique américaine ; cependant, ilfaut bien mesurer la portée de l'opération allemande à Mogadiscio en octobre1977 pour récupérer les otages détenus sur un boeing par les membres de laFraction armée rouge. C'est la première intervention militaire allemande àl'étranger ; c'est l'affirmation tapageuse de la capacité militaire d'intervention de laR.F.A. L'événement est important.

[ 1 ] « Evolution de la balance des capitaux à long terme de la R.F.A. », bulletin « Conjoncture »,Banque Paribas, juin 1977, reproduit in «Problèmes économiques» de La Docu-mentation Française, 14 sept. 1977.

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Connotant sa « maturation politique », l'Allemagne fait son entrée à l'ONU en1973, et sa présence au Conseil de sécurité pour deux ( 2 ) ans à partir du 1erjanvier 1977. Comme on sait, le Conseil de sécurité est l'organisme de l'ONUauquel la charte confie la responsabilité du maintien de la paix et de la sécuritéinternationales.

8.2 Médiation de la social-démocratie

A) Politique méditerranéenne

Le penchant «atlantiste» de la social-démocratie est bien connu. Certainsobservateurs considèrent même que le S.P.D. est le «parti américain» parexcellence en Allemagne, alors que les démocrates-chrétiens représenteraientdes fractions plus indépendantes du capital allemand. Nous n'avons malheureu-sement pas d'éléments suffisants pour juger. Chose certaine, l'Allemagne del'Ouest, sous la gouverne des social-démocrates, a tendance à « prendre de plusen plus de place » sur la scène politique européenne. Le gouvernement se fait lechampion de la « concertation politique européenne », sorte d'institution-écrandestinée à voiler l'accès de l'Allemagne au rôle de gendarme de l'Europe.Certains théoriciens parlent de l'Allemagne comme étant devenue «un pro-consulat américain en Europe ». L'Allemagne s'assigne de plus en plus la tâchede protéger l'intégrité du flanc sud de l'OTAN, prenant en quelque sorte le relaisdes États-Unis.

L'Allemagne tient le langage du maître à l'égard des régimes affaiblis par la crise.Helmut Schmidt, adossé sur ses monopoles, parle haut et fort en Europe. En1976, il a adressé une mise en garde aux Italiens, les avertissant de représailleséventuelles de la part du monde occidental si les communistes arrivaient aupouvoir. Il faut dire ici que l'Allemagne a étendu un crédit de DM 2 milliards àl'Italie en 1974 et que les interventions du chancelier ne sont pas dépourvuesd'arrière-pensées intéressées. L'Italie, dans la balance commerciale allemande,occupe le 3ème rang pour les importations et le 4ème rang pour les exportations.Le chancelier a également semonce les socialistes français pour leur associationavec le Parti communiste. Les social-démocrates allemands prétendent en effetdétenir le monopole de l'orthodoxie en matière de politique et d'idéologie. Etcelle-ci, selon eux, exclut toute forme d'association avec les communistes.

Pour employer un euphémisme «la politique du gouvernement allemandconsiste, par une diplomatie discrète et pragmatique, à favoriser le développe-ment parallèle des conceptions politiques fondamentales dans les Etats del'Europe du Sud ». La social-démocratie défend vigoureusement les intérêts ducapitalisme allemand en Espagne, en Grèce, en Turquie et au Portugal. Ces pays( avec l'Italie ) contribuent pour 12% aux importations allemandes et pour 11.7% àses exportations.

En Espagne, dès la mort de Franco, une rapide intensification des relations s'estmanifestée. Les contacts en vue de la coopération économique, interrompus en1973, on repris en mars 1976 à l'occasion de la visite du ministre allemand desAffaires extérieures.

Au début de 1976, le chancelier a visité la Grèce, puis la Turquie. L'Allemagneest devenue en fait l'interlocuteur privilégié de la Turquie. Depuis 1964, la R.F.A.lui a fourni une aide militaire totalisant DM 600 millions. Lors de l'adoption del'embargo américain sur les livraisons d'armes, l'Allemagne a pris le relais. Pourl'aide non-militaire, la R.F.A. vient au 2ème rang. Le plus fort contingent detravailleurs immigrés en R.F.A. vient de Turquie. Les monopoles allemands ysont solidement implantés. En ce qui concerne la Grèce, l'Allemagne est letroisième fournisseur d'armes, après les Etats-Unis et la France. En 1975,l'Allemagne a consenti à la Grèce un crédit de DM 180 millions à 2% d'intérêt.

L'intervention la plus originale dans la région reste encore celle de la social-

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démocratie au Portugal. Après la «révolution des oeillets» d'avril 1974, la social-démocratie allemande a financé massivement les socialistes de Mario Soares,influençant d'une manière décisive le cours des événements. C'est le S.P.D. qui a« vendu » à Kissinger l'idée d'un gouvernement socialiste ( P.S. ) au Portugal pourcasser le développement du mouvement populaire. Aujourd'hui, ce même partisocialiste qui a récupéré la révolution portugaise, qui a restauré l'État bourgeois,doit s'incliner et abandonner la direction exclusive du gouvernement. Lescénario a des allures classiques.B) L'impérialisme Allemand au Brésil

Dans le Tiers-monde, le bastion du capitalisme allemand c'est le Brésil. Tous lesgrands trusts allemands y exploitent une main-d'oeuvre bon marché : B.A.S.F.(6000 employés au Brésil), Bayer (6000), Hoescht (3500) (les trois (3)composantes de ce qu'était avant la guerre l'I.G. Farben), A.E.G.-Telefunken( 4000 employés ), Daimler-Benz ( 15,000 ouvriers ), Krupp, Mannesmann(10,000), Siemens (10,000), August-Thyssen-Hutte (le deuxième producteurd'acier au monde), Salzgitter, M.A.N. (2500), Zeiss, Flick, Volkswagen. Cettedernière compagnie, le premier constructeur automobile d'Europe, produitannuellement plus de deux ( 2 ) millions de véhicules dont le quart ( 530,000 en1976) au Brésil où la compagnie emploie plus de 50,000 travailleurs (85,000véhicules sont produits au Mexique et 37,000 en Afrique du Sud). Au Brésilmême, Volkswagen accapare 58% du marché de l'automobile. Le collectif PauloFreire a identifié dans «Multinationales et travailleurs au Brésil »[ 1 ] une centainede sociétés allemandes implantées au Brésil.

En 1976, l'Allemagne et le Brésil ont conclu le plus gros contrat au monde ( 4milliards) pour le développement de l'industrie nucléaire. La firme allemandeUrangesellschaft M.H.B., associée à Nuclebras pour former Nuclam, firme dontle gouvernement brésilien détient 51% du capital et l'entreprise allemande 49%,doit exécuter le programme de recherche, extraction, traitement des mineraisradioactifs, la construction de huit (8) centrales nucléaires, une usine deretraitement des combustibles et d'enrichissement d'uranium.

Le correspondant du journal « Le Devoir », affecté aux questions Latino-américaines, Xavier Uscategui, rapportait récemment à propos du Brésil que lajunte militaire au pouvoir se divise en deux ( 2 ) : le clan pro-américain et le clanpro-allemand.

C) La fondation Ebert

Depuis que la social-démocratie est au pouvoir, le capitalisme allemand continueà être bien servi tandis que l'impérialisme allemand est mieux servi. La social-démocratie - mieux que la démocratie chrétienne - sert de «filière» àl'impérialisme. Cela est particulièrement vrai dans le cas de l'Amérique latine oùles liens financiers et politiques qui se nouent entre la social-démocratieallemande et les partis correspondants en Amérique latine (souvent les partisdémocrates-chrétiens qui s'alignent mieux idéologiquement sur le S.P.D. que surle C.D.U. ) facilitent la pénétration du capital allemand. La social-démocratievéhicule également une image «progressiste». A ce niveau, l'institution la plusimportante est la Friedrich Ebert Stiftung (F.E.S. ) c'est-à-dire la FondationEbert, du nom de ce héros contre-révolutionnaire des années 20. La F.E.S. est levéritable bureau des affaires extérieures du S.P.D. Cet organisme, directementfinancé par des fonds gouvernementaux, emploie plus de 300 personnes dans sonseul «département international» travaillant à travers le monde. A noter, ladémocratie-chrétienne possède l'équivalent dans la Fondation Adenauer. Pour le

[1] Collectif Paulo Freire (CEDAL) Multinationales et travailleurs au Brésil, Maspero,Paris 1977.

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capital allemand l'une ou l'autre filière est aussi valable. Parmi les membres de laF.E.S. on retrouve des représentants de la grande industrie : Hoechst, Krupp,Volkswagen, Thyssen. La fine fleur du capitalisme allemand partage la directionde cette institution avec l'aile la plus réactionnaire du S.P.D. - celle qui gère lesentreprises, les banques, les coopératives du parti. Le directeur du conseil desurveillance de la F.E.S. est président de la B.F.G., la banque des syndicatsallemands. On retrouve également à la direction de la F.E.S. le ministre de laDéfense.

La F.E.S. cherche à travailler en collaboration avec les secteurs les plus« avancés » des bourgeoisies du Tiers-monde. Son travail est dirigé en prioritévers les pays qui possèdent des matières premières fondamentales pour laR.F.A. Aux pays du Tiers-monde, la F.E.S. propose l'entente suivante : enéchange de matières premières à des prix stables, les capitalistes allemandsinvestiront dans l'industrialisation de ces pays. Comme ça, le capital allemandjoue gagnant sur tous les tableaux. Pour la F.E.S., il est évident que cesinvestissements doivent se porter vers les pays « politiquement sûrs ». Pour celala F.E.S. recueille des informations et les transmet au gouvernement et àl'industrie allemande. Enfin, la F.E.S. repère et forme, dans une optiquefortement anti-communiste des leaders « modernes » dans les appareils d'État, lepatronat et les syndicats des pays du Tiers-monde. Il s'agit, selon les termesd'Helmut Schmidt lui-même, de «faire connaître le modèle allemand».

Le service de renseignements de la F.E.S. en Amérique latine, l'ILDIS, a d'abordété basé au Chili où il avait pour tâche de combattre l'influence communiste dansles syndicats. Sous la pression de l'aile gauche de la Démocratie chrétienne, legouvernement Frei a mis l'ILDIS à la porte en 1964.

Son siège a alors été transféré en Equateur dès la découverte du pétrole. Trois(3) ans après son arrivée dans ce pays, la F.E.S. a pu annoncer desinvestissements de $400 millions.

Aujourd'hui, c'est principalement en direction de l'Amérique centrale que seportent les efforts de pénétration du capital allemand épaulé par la social-démocratie. En Afrique, la F.E.S. est présente surtout au Kenya et àMadagascar. Au Mozambique, elle a apporté une aide « humanitaire » auFRELIMO. En Angola, elle "a appuyé le" F.N.L.A. et l'UNITA, ce que Brandt«regrette». En Asie, la F.E.S. collabore étroitement avec la dictature indoné-sienne de Suharto. Elle est également active au Ceylan.

D) L'internationale socialiste

La vieille et poussiéreuse IIème Internationale, fondée en 1889 par Engels, a étérescapée des oubliettes de l'histoire par la social-démocratie européenne pourservir de cadre aux discussions « civilisées » avec les pays pauvres après la crisepétrolière de 1973. En effet, à travers un «dialogue entre partis frères»,rassemblés dans l'Internationale socialiste, les «euro-socialistes» veulent filtrerl'affrontement Nord-Sud. L'idée est d'élaborer une ligne politique commune despartis socialistes sur les questions de développement. Au Congrès de Genève,en novembre 1976, les partis «frères» du Tiers-monde ont fait une entrée enmasse à l'I.S. avec l'admission de l'U.P.S. sénégalaise de Léopold Senghor, duP.R.D. de la République Dominicaine, du P.L.N. de Costa Rica, du P.S. indou,etc...

Aujourd'hui, l'Internationale socialiste regroupe trente trois ( 33 ) partis membrescomptant plus de huit (8) millions de militants. Du côté du Tiers-monde, onretrouve outre les travaillistes israéliens de Golda Meir/Itzak Rabin, cinq (5)partis arabes : le F.N.L. algérien, le Néo-Destour tunisien, l'Union socialisted'Egypte, le Baas Syrien, l'Union populaire des forces progressistes du Maroc,de même que quatre (4) partis africains et six (6) latino-américains (Mexique,Costa-Rica, Venezuela, République Dominicaine ).

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9. « MODELL DEUTSCHLAND » [2]

9.1 Les instances de concertation

Même si tous les partis socialistes européens ne tiennent pas le même langage ausein de l'I.S., c'est le S.P.D. allemand qui tient le gros bout du bâton. Willy Brandtest président. La social-démocratie allemande finance le «club» à 60%.Dans le préambule du texte final adopté à Genève, on lit : «... les regards avidesque les affamés de l'hémisphère sud jettent sur les richesses de l'hémisphèrenord constituent un danger permanent pour la stabilité et la paix dans lemonde ». Des résolutions suivent sur la nécessité de développer une « solidaritééconomique internationale ». Pour la social-démocratie, ces discours recouvrentdes préoccupations de deux ( 2 ) ordres :1- empêcher des flambées «sauvages» des prix des matières premières,

2- empêcher l'explosion des forces « irrationnelles » mettant en cause l'équilibredes forces sur le plan international.

Politiquement, la contribution de l'Internationale socialiste à l'élaboration d'un«nouvel ordre économique mondial » vise à bloquer toute entente avec les paysde l'OPEP, et tout appui aux résolutions des «101 pays en voie dedéveloppement » rassemblés à l'ONU dans la CNUCED. Au-delà des diffé-rences d'approche des divers membres, « l'euro-socialisme » entend jouer, àtravers l'Internationale socialiste, sur l'industrialisation du Tiers-monde enespérant que se créeront ainsi des nouveaux marchés d'exportation, enparticulier pour la technologie.[1]

La présente section vise à faire le point sur ce qu'est l'Allemagne d'aujourd'hui. Ilne s'agit pas ici de creuser les fondements historiques mais, plutôt, de présenterun tableau de la situation et dégonfler certains mythes.

MITBESTIMMUNG : « participer aux décisions ». Comme on voit, la traductionfrançaise « cogestion » impliquant la parité ne rend pas tout à fait le sens.Plusieurs organismes structurent la « société de cogestion ». Certains ont uneenvergure nationale, d'autres peuvent être adaptés à une entreprise de cinq ( 5 )travailleurs. Dans tous les cas, ces institutions sont des lieux de concertation desintérêts du capital et du travail. Dressons-en le tableau, en partant de la basepour remonter au sommet de la pyramide institutionnelle.

A) Le comité d'entreprise (Betriebstrat)Dans chaque usine ou bureau est établi un comité d'entreprise dont lesmembres sont élus au suffrage universel - en ce qui concerne tout au moins ladélégation ouvrière. Tout le monde peut voter et être élu, qu'il s'agisse detravailleurs syndiqués ou non.

Du côté des travailleurs aussi bien des chrétiens-démocrates que des social-démocrates et des communistes figurent sur les conseils d'entreprise. Cesconseils ne sont pas l'instrument du syndicat mais de tous ceux qui travaillentdans l'entreprise. Toutefois, ce conseil est élu sur présentation d'une listesyndicale et environ 80% des membres des conseils sont organisés dans lessyndicats du D.G.B.

[ 1 ] Source :Le Monde Diplomatique, octobre 1976Le Monde Diplomatique, décembre 1976Le Monde Diplomatique, janvier 1978Le Monde, Dossiers et documents, no 37, octobre 1976Carlos de Sa Rêgo, «L'internationale socialiste et le Tiers-monde », in Politique Hebdo no257, 14-20 février 1977« L'eurosocialisme », Politique Hebdo, no 259, 28 février - 6 mars 1977.

[ 2 ] C'est le slogan électoral de la social-démocratie, le blason arrogant de l'autosatisfactionbéate lancé à la face du monde.

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Le climat de répression anti-gauche qui s'est répandu même dans les syndicatstrouve ici encore des applications concrètes. Lors d'une élection récente dans lesgrandes entreprises de l'automobile, les délégués d'une liste autre que cellesoutenue par les syndicats ont été officiellement exclus du syndicat pour leursopinions politiques.[1]

D'après la loi, le conseil d'entreprise doit défendre l'intérêt et le bien del'entreprise. Aussi les délégués syndicaux à cette instance se trouvent-ils placésdans une situation de conflit d'intérêt permanent. En cas de grève sauvage, ilsdoivent dénoncer celle-ci. En cas de grève légale, ils peuvent l'appuyer.

Pour fonctionner dans ce cadré, les syndicats ont développé un système dedélégués, les Vertravensleute (gens de confiance). L'idéal pour les syndicatsc'est d'avoir un ( 1 ) délégué pour vingt ( 20 ) ouvriers. En général élus, ce sont cesdélégués qui établissent le relais entre les syndiqués et les conseils d'entreprise.En cas de difficultés, ils défendent les intérêts de la base contre les conseilsd'entreprise, mais en même temps ils représentent un instrument de contrôle dusyndicat sur le conseil d'entreprise. De leur attitude dépend qu'une grève sefasse ou ne fasse pas, soit bien ou mal organisée.

Cependant les conditions des délégués syndicaux et des membres des conseilsd'entreprise ( issus des syndicats pour la plupart ) sont asymétriques. Lesdélégués syndicaux ne disposent d'aucune libération, les membres des conseilssont libérés à temps partiel et sont protégés par la loi contre les licenciements.De par leur condition matérielle, ces derniers sont plus facilement récupérés parle système.

Essentiellement, le comité d'entreprise a pour fonction de veiller au respect et àl'application des conventions collectives, des règlements et lois du travail. Ils'occupe de la promotion des travailleurs âgés, de l'intégration des travailleursimmigrés, de la réhabilitation des handicapés. C'est cette instance, plutôt que lesyndicat, qui a charge des griefs. Le comité d'entreprise «cogère» avec ladirection l'engagement, les licenciements, la détermination des grilles de salaire àpartir des taux de base fixés dans la convention, l'établissement des heures detravail et l'évaluation des emplois ; il s'occupe également des normes de sécuritéet d'hygiène. En un mot, le comité d'entreprise est là pour policer la convention.

Ce comité est une entité séparée et indépendante du syndicat. Alors que lestâches décrites ci-dessus sont prises en charge par le syndicat en Amérique duNord, elles lui sont enlevées en Allemagne. Le comité d'entreprise est donc unestructure parallèle au syndicat dans l'entreprise. Il décharge celui-ci de sesresponsabilités. En revanche, le comité n'a pas de moyens de pression : il ne peutpas entreprendre de grève. Quand des désaccords surgissent, ils sont tranchéspar des tribunaux du travail désignés par le gouvernement. De plus, la capacitéqu'a le comité d'entreprise d'influer sur les salaires et les bénéfices marginaux està peu près nulle du fait que la négociation de la convention collective lui échappetotalement. En effet, les grandes dispositions des conventions collectives sontnégociées par les seize ( 16 ) fédérations syndicales et les associations patronalescorrespondantes. Ces conventions, par secteur industriel, ont généralement uneampleur provinciale. Elles ne sont pas élaborées par compagnie ou parétablissement comme au Canada. Pour la négociation de ces conventions, lesfédérations syndicales jouissent d'une très grande « marge de manoeuvre ». Rienn'oblige les fédérations syndicales à faire une consultation sur les priorités denégociation. Elles n'ont pas besoin d'obtenir un vote de ratification parmi leursmembres une fois que les négociations prennent fin. Bref, les appareils syndicaux

[ 1 ] Voir l'entrevue accordée en janvier 1977 par Jacob Moneta, rédacteur en chef de lapresse de l'I.G. Métal, in Politique aujourd'hui, no 1-2, pp. 77-78.

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peuvent négocier sans se soucier de l'opinion de la base. Finalement, l'ententeprovinciale a préséance sur les ententes obtenues dans les établissements par lescomités d'entreprise. Les syndicats peuvent invalider les décisions des conseilsd'entreprise.

Depuis 1974, l'équivalent des comités d'entreprise a été étendu au secteur public.Dans tous les services et agences publiques des «comités des personnels»doivent être mis sur pied. L'ampleur de leurs prérogatives est encore plus limitéeque dans le secteur privé et l'influence sur les politiques des départements estfaible. En cas de litige, la loi prévoit des tribunaux d'arbitrage paritaires plus un« indépendant » agréé par les parties. A noter, les fonctionnaires n'ont pas droitde grève.

On voit donc comment est articulée cette structure. Au sein de l'entrepriseexiste un dédoublement d'instances qui vide la vie syndicale. Les comitésd'entreprise ont la responsabilité de l'application de la convention sans avoir lespouvoirs pour faire respecter les ententes ni l'autorité pour participer à leurélaboration. Cette question relève des prérogatives imparties et des provinces.Ceux-ci n'ont pas à rendre compte de leurs agissements, à la base. De plus, leurcapacité d'initiative, en termes d'action, est sévèrement limitée par lesrestrictions qui pèsent sur l'exercice du droit de grève (voir ci-dessous).

N'importe quel travailleur d'ici comprendra qu'avec un tel «système de co-gestion » il a moins et non plus de contrôle sur ses conditions de travail. Lespouvoirs sont séparés entre deux (2) instances - le comité d'entreprise et lesyndicat. Le premier agit au niveau local, le second au niveau provincial. Lesinitiatives prises de part et d'autre se neutralisent à cause du champ restreint descompétences respectives. La capacité d'expression des travailleurs se trouvedispersée par ce dédoublement d'institutions.

B) Le Conseil de surveillance ( Aufsichtrat )

Dans l'entreprise encore, mais à un niveau supérieur, on retrouve le «conseil desurveillance ». C'est l'institution qui reçoit le plus de publicité quand il estquestion de la cogestion allemande. Contrairement à la pratique nord-américaineoù l'entreprise est gérée par un conseil d'administration, on trouve dansl'entreprise allemande deux ( 2 ) organismes de gestion : le conseil de surveillanceet le conseil exécutif. Le conseil de surveillance nomme le conseil exécutif,examine les états financiers, fixe les politiques, y compris en ce qui a trait àl'utilisation des profits, les plans d'investissement, les fusions, la localisation desétablissements, etc... Le conseil exécutif s'occupe de la gestion courante.

C'est le conseil de surveillance qui est l'enjeu des débats sur la cogestion.Actuellement il existe trois (3) lois qui encadrent le statut des conseils desurveillance. Aucune n'assure une représentation paritaire syndicat/employeur.

Depuis 1951, dans les entreprises de charbonnages et de la sidérurgie employantplus de 1000 travailleurs, les syndicats délèguent cinq (5) représentants au«conseil de surveillance». La partie patronale en délègue cinq (5) également.Les parties s'entendent pour désigner un onzième membre « neutre », habituelle-ment un universitaire ou un ecclésiastique. Parmi les membres siégeant auconseil exécutif, le «directeur du travail» (directeur du personnel) ne peut êtrenommé sans l'approbation des représentants ouvriers au conseil de surveil-lance. Ce n'est jamais un syndiqué qui est désigné mais un administrateurprofessionnel «sympathique aux syndicats». Le moins qu'on puisse dire de cemécanisme c'est qu'il place ces directeurs du travail dans une situationcontradictoire, ceux-ci ayant à défendre à la fois les intérêts des travailleurs etceux de l'entreprise. La parité travailleurs/propriétaires est dans ce cas établie enthéorie, contournée en pratique.

Les lois de constitution du travail de 1952 instituent également une forme limitée

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de participation dans l'ensemble du secteur industriel pour les entreprisesemployant entre 500 et 2000 travailleurs. Ces lois prévoient une participationsyndicale d'un tiers ( l/3) aux «conseils de surveillance » mais ne prévoient rienpour la nomination des directeurs au conseil exécutif.

La loi de 1976 étend la participation « paritaire » aux conseils de surveillance dansles entreprises de plus de 2000 travailleurs. A partir du 1er juillet 1978, la pariténumérique (5-5) sera officiellement introduite. Cependant, le président duconseil de surveillance, obligatoirement désigné par la partie patronale, auradouble voix afin que, en cas de partage, la décision revienne au «facteurcapital ». De plus, dans la délégation syndicale doit obligatoirement figurer uncadre supérieur. Encore là les mécanismes sont en deçà de la parité. Le patronatallemand a quand même osé parler à l'occasion de l'adoption de cette loi «d'undanger continu pour l'équilibre des forces».

Dans les trois ( 3 ) cas, un certain nombres de représentants des travailleurs sontnommés de l'extérieur par la confédération syndicale. Le conseil de surveillancecompte aussi parmi ses membres, habituellement, le président du comitéd'entreprise.

La dernière version de la cogestion, quand elle prendra entièrement effet,s'appliquera à sept ( 7 ) millions de travailleurs dans 650 entreprises couvrant 70%de la production industrielle.

C) Cogestion de la sécurité sociale

Dans le secteur public, les milieux industriels et syndicaux « cogèrent »l'assurance santé, les pensions de vieillesse, les accidents du travail, les bureauxde placement, la formation professionnelle et le recyclage. Toutes ces activitéssont gérées par des corporations publiques autonomes composées paritaire-ment de représentants du patronat et des syndicats. Dans les limites de la loi,ceux-ci établissent les politiques et s'occupent de la gestion au jour le jour.

D) Concertation nationale

Au niveau national, existent un certain nombre d'institutions qui ont essentielle-ment pour fonction le conditionnement idéologique.

• Le «programme d'action concertée»

Ce dispositif prévoit que périodiquement les groupes influents de la société serassemblent pour faire le tour des problèmes économiques. Ces réunions,présidées par le ministre des Finances fédéral, comprennent les représentantsdes syndicats, des industries, des banques, des institutions commerciales et dugouvernement. Les rencontres sont consultatives. Les participants ne prennentpas de décisions mais on s'attend à ce qu'ils utilisent les informations qu'ilsreçoivent d'une manière « intelligente et rationnelle » que ce soit pour renouvelerles conventions collectives, pour fixer les prix des produits ou les taux d'intérêt.

• Le «comité des conseillers économiques»

Le « Comité des conseillers économiques » d'Allemagne, autrement appelé le«Comité des cinq (5) sages». Ce comité qui recrute chez les économistesréputés du secteur académique, publie des projections dont on pense qu'ellesont comme effet de modérer les attentes des «citoyens pris séparément », et parconséquent, des revendications formulées en négociations collectives.

9.2 L'économie et la A) Conscience de classe et rendement sur le capitalclasse ouvrière L'Allemagne est la puissance industrielle la plus forte d'Europe. La compétitivité

internationale et la croissance du capitalisme allemand trouvent avant tout leurexplication dans l'extraordinaire discipline de la classe ouvrière allemande;discipline gagnée avant tout par la prospérité croissante du capital allemand dansles années 1960, prospérité dont la classe ouvrière a profité en valeur absolue.

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Cette discipline de la classe ouvrière trouve sa source dans l'absence quasi-totalede conscience de classe des travailleurs allemands, et de la collaboration declasse du syndicalisme allemand, à la fois cause et conséquence de cette absencede conscience. Cet état de choses s'explique par le fait que l'Allemagne, vaincue,jouet de la guerre froide, s'est vu imposer l'ordre économique et idéologiqueaméricain. Les tentatives de formation d'une conscience de classe ont étéréprimées, et le sont de plus en plus : (chasse aux militants ). Dans les années'50, les dirigeants allemands (ADENAUER ) ont fort bien su utiliser l'exemple dela R.D.A. communiste comme repoussoir.

La reconstruction a été extrêmement dynamique, affaiblissant les luttes declasses. De 1951 à 1959, le taux moyen de croissance de l'économie allemandeatteignait 8%; il y a un rapport évident entre le fait que l'Allemagne a lemouvement syndical le plus timide d'Europe et le fait que les industrielsallemands obtiennent le rendement le plus élevé d'Europe sur leurs investis-sements.

B) Les syndicats allemands

Le syndicalisme allemand contemporain est avant tout « collaborateur ». Celan'est pas pour dire qu'il n'a jamais été combatif. Immédiatement après la guerre,il a mené de grandes grèves contre les rations de famine et contre le gel dessalaires qui s'est étendu de 1933 à 1951. D a également lutté contre leréarmement et pour la réunification des Allemagnes. La loi de cogestion de 1951dans le secteur de l'acier-charbon a été obtenue par une menace de grève. Acette époque, les syndicats luttaient pour la nationalisation de l'industrie. Ils ontaccepté la cogestion en pensant que c'était une étape vers la nationalisation. Ilsne pensaient pas à ce moment que la cogestion serait une forme permanente decollaboration avec le patronat. En revanche, les syndicats allemands ont reculéen 1952 dans la lutte pour l'extension à toutes les entreprises de la cogestion. Deplus, la confédération syndicale n'a pas protesté contre l'interdiction du Particommuniste en 1956.

Un des événements qui a contribué à affaiblir la résistance des travailleurs ouest-allemands fut l'arrêt total des échanges avec la R.D.A. en 1956. Jusqu'à cettedate, les déplacements entre les deux zones étaient, sinon libres, du moinspossibles. La partition scellée par la construction du mur de Berlin a privédéfinitivement les deux (2) classes ouvrières de toute possibilité d'actionconcertée.

Les grandes dates des luttes ouvrières, outre 1951 et 1952, sont 1954 : grève enBavière à moitié gagnée ; 1956, grève de plus de cent ( 100 ) jours dans leSchlesvig-Holstein, très coûteuse ; 1963 et 1971, lock-out total dans la région deBade-Wurtemberg ; 1969, vague de grèves sauvages ( sans les syndicats ) ; 1973,grèves sauvages, sans les syndicats, surtout le fait des travailleurs étrangers etdes femmes; 1976, lock-out dans l'imprimerie.

L'évolution du syndicalisme allemand a coïncidé avec celle de la social-démocratie. Dès ses origines, c'est un des instruments de la politiqueéconomique du pouvoir. Depuis sa renaissance, après la Deuxième Guerremondiale, c'est un mouvement qui a limité les revendications quantitatives, qui arenoncé à formuler des revendications qui auraient remis en cause le système.Comme il a été signalé ci-dessus, l'action syndicale se limite à des questions quipeuvent se régler par des conventions collectives. (Le syndicalisme allemandrenonce totalement à la grève politique). Même là, la participation destravailleurs à la fixation des conventions est limitée par la centralisation syndicaleà outrance. Dans son action revendicative, le syndicalisme allemand prendtoujours en considération les «nécessités » de la «stabilité » de la «croissance ».Les syndicats allemands, non seulement n'ont jamais été en opposition avec laligne générale de la social-démocratie, mais ils ont joué le même jeu. Beaucoup

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de postes de direction dans les syndicats sont tenus par des social-démocrates.Ayant suivi Brandt, ils suivent maintenant Schmidt, quitte à ne pas lui faire créditde certaines critiques.

Dans la conjoncture actuelle, les directions social-démocrates du mouvementsyndical tentent de pourvoir aux revendications les plus pressantes de la classeouvrière, de façon à ne pas perdre le contrôle sur la base, tout en cherchant àfaire accepter le pacte social demandé par le gouvernement de Schmidt.

Comme institution, le syndicalisme allemand est extrêmement puissant. LeD.G.B. est la plus grosse organisation. Il coiffe seize ( 16 ) fédérations et comptait,au 31 décembre 1973, 7,167,523 membres ( près du tiers des salariés ) ; à côté duD.G.B., le D.A.G. (syndicat des employés avec 470,000 membres ) et le D.B.B.( syndicat des fonctionnaires avec 720,000 adhérents ) ; les enseignants sontorganisées dans le G.E.W. (D.G.B. ). La force du D.G.B. est notoire. Il contrôleet possède des banques, des entreprises, des écoles, des imprimeries... plus decent ( 100 ) entreprises en tout valant deux ( 2 ) milliards de DM, employant40,000 personnes.

L'IG. Metall, la plus puissante des fédérations du D.G.B., est le plus grandsyndicat au monde avec plus de 2.5 millions de membres. L'IG. Metall emploie àlui seul 3,000 permanents et entretient des contacts étroits avec 121,595 déléguéssyndicaux à la base (en 1973). Le journal du syndicat tire à deux (2) millionsd'exemplaires.

La rentrée des cotisations a rapporté 470 millions de DM de 1969 à 1970. Lafortune de l'I.G. Metall a été amassée grâce à ses fortes cotisations et à l'absencede grèves. Cette fédération, qui contribue pour un tiers au budget du D.G.B., sedistingue par un langage progressiste accompagné le plus souvent d'une pratiquede collaboration de classes ouverte.D'ici, on a du mal à se représenter ce que sont ces organisations. Leur étiquettede «syndicat » cadre mal avec nos conceptions. Deux (2 ) exemples, extraits dela masse, feront comprendre.

1- La plus grande entreprise de construction au monde, la Neue Heimat,appartient aux syndicats allemands.

2- Eugène Loderer, le président de l'I.G. Metall, et H.O. Vetter, le président duD.G.B., sont membres de la Trilatérale. Comme on sait, ce « club », dont fontpartie Carter et ses principaux conseilleurs, est une initiative de DavidRockefeller pour redéfinir la stratégie de l'impérialisme. Apparemment lesdirections syndicales allemandes se trouvent à l'aise dans ce milieu.

C) Les illusions répandues au sujet du modèle allemandCeux qui s'émerveillent devant le modèle allemand posent l'enchaînement causalsuivant : cogestion - absence de grèves - prospérité. D s'agit là, de toute évidence,d'une théorisation toute bourgeoise et intéressée. Quelques commentairess'imposent.

• La cogestionC'est le résultat historique de la défaite du mouvement révolutionnaire allemandaprès la Première Guerre mondiale. Cette formule a été proposée par la social-démocratie et les syndicats collaborateurs comme alternative bourgeoise auxconseils d'ouvriers et de soldats. Ce n'est pas une aspiration du mouvementouvrier autonome mais une stratégie réformiste. Jamais appliquée intégralementde toute façon puisque la bourgeoisie s'y oppose, la cogestion reste fondamen-talement un mécanisme de récupération et d'affaiblissement de la conscienceouvrière.

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• Absence de grèves

Effectivement, les grèves ne sont pas nombreuses en Allemagne: 0 y a eu250,352 grévistes en 1974, avec un total de 1,051,290 jours/hommes de grève. En1975, il n'y a eu que 35,814 grévistes et 68,680 jours/hommes. En 1976, onenregistre 169,312 grévistes totalisant 533,696 jours/hommes de grève. Encorequ'en 1976, 90% des jours de grève proviennent de la seule grève du Livre,accompagnée d'un lock-out de 112,000 travailleurs, la première grève dans cesecteur depuis vingt-quatre (24) ans. Malgré cela, les grèves de moins d'un jour,dites d'avertissement, ne sont pas comptabilités et restent relativementnombreuses.

En comparaison, il y a eu 9.2 millions de jours de grève ou lock-out au Canada en1974, 10.9 millions en 1975 et 11.6 millions en 1976. Et cela pour une populationactive qui est cinq (5) fois moindre.

De là, il ne faut pas sauter trop rapidement aux conclusions. Certes, l'appareilsyndical est fortement intégré, la classe ouvrière soumise idéologiquement et laprospérité suffisante pour émousser la combativité. Toutefois, l'exercice du droitde grève est fortement restreint. Dans les négociations, où en principe l'Étatn'intervient pas, tous les moyens d'arriver à un accord à l'amiable doivent êtreépuisés avant que les syndicats n'obtiennent le droit de recourir à la grève. Etcelle-ci doit être votée à 75% des adhérents du syndicat. ( Une majoritésimple de l'assemblée syndicale suffit au Québec: Loi 45). De plus pour êtredéclenchée la grève doit faire l'objet d'une autorisation fédérale. En revanche, letravail reprend si 25% ou plus des syndiqués acceptent les offrespatronales. Comme on dit, les dés sont pipés. La démocratie syndicale n'existepas. Quant aux fonctionnaires, ils n'ont tout simplement pas droit de grève.

• La prospérité

La R.F.A. de 1977 est la troisième puissance industrielle occidentale. Elleoccupait déjà le second rang à la fin du siècle dernier. Après la Première Guerremondiale, l'Allemagne ruinée a reconquis cette position. Après la crise de 1929,qui a concentré en Allemagne un quart des chômeurs du monde capitaliste,celle-ci a repris son rang. Enfin, après les dévastations de la Deuxième Guerremondiale, le capitalisme en R.F.A. s'est redressé, aussi agressif et dynamiquequ'auparavant. La prospérité du capitalisme allemand ne tient donc pasparticulièrement à l'existence de la cogestion. Les époques antérieures dudéveloppement de celui-ci ont été marquées par des luttes ouvrières très vives.S'il y a une constante à travers les époques, c'est la permanence d'un État fort,planificateur, englobant le mouvement syndical, et la pérennité d'un capitalismeorganisé. Cela n'a rien à voir avec les soi-disant «consensus de toutes lesclasses» brandis par toutes les bourgeoisies libérales.

Cependant, les facteurs spécifiques qui rendent compte de l'essor économiqued'après guerre ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui ont joué auxépoques précédentes. L'aide et les investissements américains massifs ont jouéun rôle éminent dans la mise en branle du processus d'accumulation après laguerre. Or, en capitalisme, le facteur déterminant dans la croissance c'estl'investissement. Cela n'entraîne pas nécessairement comme contrepartie desbas salaires. (Donc pas nécessairement des restrictions volontaires, quoiquecela aide les capitalistes).

Par ailleurs, un facteur qui semble constant dans le cas de l'Allemagne c'est lerecours à la main-d'oeuvre étrangère. Lénine signale déjà dans «L'impérialismestade suprême du capitalisme » ( p. 127 ) que d'après le recensement de 1907 il yavait en Allemagne 1,342,294 étrangers dont 440,800 ouvriers industriels et257,329 travailleurs agricoles venant surtout d'Autriche, d'Italie et de Russie.

On connaît aussi l'usage abondant qu'a fait l'Allemagne du travail des déportés,

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tant au moment de la Première Guerre qu'au cours de la Seconde Guerremondiale.

Le «miracle allemand» est largement attribuable à l'afflux abondant de main-d'oeuvre qualifiée venant de l'est après la guerre ( douze ( 12 ) millions deréfugiés ). Ce flux s'étant tari, l'Allemagne s'est appliquée consciencieusement àimporter des travailleurs des pays pauvres de l'Europe. Aujourd'hui, la prospéritéde la R.F.A. repose en grande partie sur l'exploitation des travailleurs immigrés :4 millions d'étrangers, dont 2.8 millions de travailleurs provenant surtout deTurquie, de Yougoslavie et d'Italie. Cinquante pour cent (50%) de cestravailleurs ne disposent pas d'une habitation individuelle. Leurs conditions desalaires sont inférieures à la moyenne. Ils sont les premiers mis à pied en cas decrise. Ils servent de volant de gestion conjoncturelle. Plus que dans tout autrepays, l'import-export de travailleurs immigrés a été systématisé par le capitalismeallemand. Une agence d'État a été spécialement constituée pour gérer, selon lesbesoins des industriels allemands, l'offre de force de travail bon marché. Lalimitation du nombre de chômeurs en Allemagne depuis trois ( 3 ) ans résulte engrande partie de l'expulsion d'environ 600,000 travailleurs immigrés. Bien qu'il yait eu 1.7 millions de postes d'emploi de supprimés, le nombre de chômeursoscille autour de un ( 1 ) million. Cette politique permet de présenter en vitrineune Allemagne capable de faire face à la crise.

Pour comprendre la prospérité du capitalisme allemand dans un contexte decrise généralisée, il faut élargir le cadre de l'analyse à la réalité internationale. A ceniveau, le malheur des uns fait le bonheur des autres. La crise aux États-Unis, enFrance, en Italie, en Grande-Bretagne provoque des transferts massifs decapitaux spéculatifs vers cet îlot de prospérité, accélérant la crise là, accentuantla prospérité ici. Ces transferts se reflètent, entre autres, dans l'appréciationrégulière du Deutschmark.[1]

La crise a permis à l'Allemagne une centralisation accrue du capital. Au coursdes dernières années, la productivité s'est fortement élevée, résultat d'une vasteentreprise de rationalisation réalisée à l'occasion de la crise par l'absorbtion/fusion des entreprises en difficultés. Depuis l'automne 1973, près de 30,000entreprises ont disparu. Pour 1976, seulement, on enregistre quatre cent ( 400 )fusions de grandes entreprises avec un chiffre d'affaires pour chacune dépassantles cinquante (50) millions de DM. Aujourd'hui, 116 entreprises avec un chiffred'affaires de plus de un ( 1 ) milliard de DM emploient 55% de la main-d'oeuvreindustrielle et accaparent 70% de la production industrielle. Simultanément, laconcentration du capital a entraîné la montée du chômage et la stagnation dupouvoir d'achat ouvrier. Depuis deux (2 ) ans, le pouvoir d'achat populaire - si ontient compte des chômeurs - est en régression. Ainsi quand on parle deprospérité, il faut toujours préciser à qui s'applique la notion.

D) Répartition inégale de la richesseLes fruits de la croissance sont distribués très inéquitablement : 1/3 des salariésallemands gagne moins de 800 DM par mois ; la moitié a des salaires inférieurs à1:330 DM. En 1974, 1.7% des familles allemandes possède 74% des moyens de

[ 1 ] Depuis le début des années 1970, l'appréciation du DM par rapport au dollar estconstante. Avant le 9 mai 1971, date à laquelle il a commencé à flotter, le DM valait $0.2755dollars U.S. Le 21 décembre 1971, la valeur du DM est fixée à $0.3103. En février 1973, unnouveau taux est établi à $0.3448. En mars 1973, le taux de change du DM est réévalué de3%. En juin 1973, nouvelle réévaluation de 5.5%. Vers la fin de 1973, le DM cotait à $0.3745.En mars 1975, le DM s'apprécie encore pour atteindre $0.4389 U.S. Aujourd'hui, le DM vaut$0.4535 U.S. Sa valeur ne cesse de monter. En six ( 6 ) ans, la monnaie allemande s'est doncréévaluée de 65% par rapport au dollar américain. En termes de dollars canadiens, le DMvaut en février 1978, $0.52, alors qu'il valait $0.29 en 1970.

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production, et 2,500 personnes disposent de revenus mensuels dépassant250,000 D.M. Deux cent mille agriculteurs reçoivent moins de 100 DM depension de vieillesse par mois ; 1.7 millions de femmes reçoivent des pensionsmensuelles de moins de 300 DM ; 4.3 millions de travailleurs gagnent moins de600 DM par mois; 800,000 familles vivent dans des taudis. C'est au total, unquart (1/4) de la population (quinze ( 15) millions d'habitants) qui ne profite pasde la richesse collective.[1]

Selon une enquête d'un organisme officiel, l'Institut allemand d'investigationséconomiques (DIW), la répartition des revenus serait la suivante:

- Des 22,935,000 ménages, près d'un quart, soit 5.2 millions de ménages, touchemoins de 1250 DM par mois. Il s'agit là de ménages de travailleurs salariés.

- Sur les 200,000 ménages qui touchent plus de 10,000 DM par mois, et dont lamoyenne mensuelle est de 20,000 DM par mois, près de 85% sont desménages non-salariés. [ 2 ]

[ 1 ] Jurgen Roth, « Armut in Bundesrepublik », Fischer 1974, cité in Contradictions, no 7, 1975

[2] Anna Armand, «l'usure du modèle allemand», Imprecor, no 12, 15 septembre 1977.

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4CONCLUSION

4.1: Quel parti? Pour Lénine, l'opportunisme est la tendance à paralyser le mouvementrévolutionnaire autonome de la classe ouvrière et à le transformer en instrumentdes ambitions des intellectuels bourgeois. L'oeuvre littéraire de Lénine estjalonnée de tentatives pour expliquer le phénomène de l'opportunisme. Sonoeuvre politique en constitue une réfutation concrète. A l'époque où il écrit,l'opportunisme c'est le réformisme. Des essais les moins réussis comme « Un pasen avant, deux pas en arrière » ( 1904 ) ( où Lénine considère que ledéveloppement de l'opportunisme découle de l'arrivée dans les partis ouvriersd'intellectuels petits-bourgeois avec toutes leurs tares individualistes) auxformulations plus élaborées qu'on retrouve dans «La Faillite de la IlèmeInternationale » ( 1915 ) et « L'impérialisme stade suprême du capitalisme »(1916), une clarification s'opère.[1]

«Mais, écrit Lénine dans l'«Impérialisme...», dans toute une série de pays, il( l'opportunisme ) a atteint sa pleine maturité, il l'a dépassée et s'est décomposéen fusionnant complètement, sous la forme du social-chauvinisme, avec lapolitique bourgeoise. » Après avoir considéré la genèse de l'opportunisme, c'est-à-dire son apparition et son développement historique dans le mouvementouvrier, celui-ci spécifie son aboutissement : la fusion avec la politiquebourgeoise. Lénine montre comment, par la voie du révisionnisme (Kautsky,etc... ), la social-démocratie est parvenue à faire la politique bourgeoise dans laclasse ouvrière, dont l'aspect principal est le réformisme (manifestation del'opportunisme ). [ 1 ]

La social-démocratie est ainsi, historiquement, le véhicule du réformisme ouautrement dit, de la politique bourgeoise à usage ouvrier.Par ailleurs, l'État bourgeois ne peut se maintenir uniquement par la répression. Ildoit mettre en place des appareils destinés à inculquer son idéologie aux autresclasses - ce qu'on appelle les appareils idéologiques d'État. La social-démocratieconstitue un tel appareil de l'État bourgeois, servant à la fois de véhicule del'idéologie bourgeoise et menant la politique bourgeoise.

Le parti social-démocrate étant un parti ayant sa base dans la classe ouvrière, ilest nécessairement traversé par la lutte de la classe ouvrière. Pour maintenir sa

[ 1 ] Voir aussi :- «L'impérialisme et la scission du socialisme».- «Une bonne dizaine de ministres socialistes».- «Pacifisme bourgeois et pacifisme socialiste».- « Aux ouvriers qui soutiennent la lutte contre la guerre et contre les socialistes ralliés à

leur gouvernement».

[ 2 ] Opportunisme :«... oubli des grandes considérations essentielles devant les intérêts passagers du jour,cette course aux succès éphémères et la lutte qui se livre tout autour, sans se préoccuperdes conséquences ultérieures, cet abandon de l'avenir du mouvement que l'on sacrifie auprésent, tout cela a peut-être des mobiles honnêtes. Mais cela est et reste del'opportunisme ».

Engels, Critique du programme d'Ergurt.«L'opportunisme consiste à sacrifier les intérêts fondamentaux pour obtenir desavantages partiels et temporaires. Tout est là, s'il s'agit de donner une définition théoriquede l'opportunisme».

Lépine, Oeuvres, XXXI, p. 458.

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base de représentativité, il est tenu à une certaine politique de concessions àl'égard de la classe ouvrière, dont les limites sont, précisément, les consessionsque la bourgeoisie est prête à faire. Aussi les partis social-démocrates sont-ilscaractérisés par leur grande instabilité et des clivages multiples.

Lénine parlait, en 1921, du parti de type social-démocrate. Il entendait par làun « parti ouvrier » menant la « politique de la bourgeoisie » au sein de la classeouvrière. Ce parti se distingue des partis bourgeois à clientèle ouvrière. Lespartis de type social-démocrate n'ont pas de forme organisationnelle typique : ilsoscillent entre un centralisme bureaucratique très fort comme en Allemagne, etun libéralisme relatif, comme en Angleterre. Un parti social-démocrate s'étendlui-même à la petite bourgeoisie. Celle-ci y est utilisée comme relais detransmission de l'idéologie et de la politique bourgeoise au sein de la classeouvrière. L'importance de la petite bourgeoisie n'est pas principalementnumérique, mais politique, idéologique, organisationnelle. Cette présence a deslimites au-delà desquelles le parti de type social-démocrate devient un partibourgeois à clientèle ouvrière.

En effet, on peut considérer qu'un parti social-démocrate correspond à la formed'expression politique privilégiée de la petite bourgeoisie. A cause de sa positionintermédiaire, par rapport aux classes fondamentales du capitalisme (classeouvrière-bourgeoisie ), la petite bourgeoisie cherche à jouer un rôle de médiationpolitique. Ainsi, elle se donne l'illusion d'être au pouvoir. Quand au parti dominépar la petite bourgeoisie est au gouvernement, il cherchera donc à réaliser et àmaintenir l'équilibre des forces, se prétendant lui-même à l'extérieur de la mêlée,au-dessus des classes sociales.

Historiquement, le développement de la social-démocratie en parti réformisterésulte d'une prolétarisation de la petite bourgeoisie, ruinée par le capitalmonopoliste. En se ralliant aux partis ouvriers révolutionnaires, elle a transforméceux-ci en organisations de masse. Elle y a imposé la domination de l'idéologiebourgeoise. « Dans tous les pays capitalistes », écrit Lénine, « le prolétariat estinévitablement relié à son voisin de droite, la petite bourgeoisie, par des milliersde degrés transitoires.

Dans tous les partis ouvriers, il ne peut manquer de se former une aile droite plusou moins nettement dessinée qui, dans ses conceptions, dans sa tactique, danssa «ligne» d'organisation, représente les tendances de l'opportunisme petit-bourgeois ».[1]

L'influence de la petite bourgeoisie dans le parti ouvrier allemand avait vivementpréoccupé Engels : « Depuis toujours, nous avons combattu jusqu'à l'extrême lamentalité petite-bourgeoise et philistine dans le parti, parce qu'elle a gagné toutesles classes en Allemagne depuis la guerre de Trente ans et est devenu le fléauhéréditaire allemand, un corollaire de l'esprit de soumission et de servilité et detoutes les tares congénitales des Allemands ».[2] Et, d'ajouter Engels, la classeouvrière récemment constituée, exempte au départ de ces influences, commen-çait à être innoculée du «vieux poison héréditaire du philistinisme borné et de laveulerie petite bourgeoise » à cause de la panique qui s'était emparée des chefsfrappés par la loi anti-socialiste de Bismark.

A l'époque où ces mots étaient écrits, une lutte idéologique féroce traversaittoute la social-démocratie. L'issue historique de ces débats a produit dans lemouvement ouvrier deux (2) courants organisationnels et idéologiques: le

[1] Lénine, «En douze ans», Préface, (1907), Oeuvres XIII, p. 115.

[2] Lettre d'Engels à Bernstein, 1er mars 1883, in La Social-démocratie allemande, coll.«1018» U.G.E., Paris 1975.

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courant réformiste, social-démocrate, la Ilème Internationale, d'un côté, la IIIèmeInternationale, de l'autre, et ses diverses fractions.

La social-démocratie gagne de l'influence sur la totalité de la société dans chacundes deux ( 2 ) cas : Primo quand le système capitaliste, par sa politique decatastrophe a complètement ruiné la société. Il se produit alors un affluxd'opportunistes à la social-démocratie qui voient arriver des temps nouveaux etveulent participer tant à la reconstruction qu'à la répartition des carrières. Règnealors le mot d'ordre: «il ne s'agit pas de construire le socialisme mais desupprimer la misère ». La désillusion survient quand la reconstruction restaurecomplètement les rapports de production et que la bourgeoisie acquiert lacapacité de mener une lutte de classes sans concessions. Deuxièmement, lescrises économiques et politiques dans les conditions normales du capitalismepoussent la social-démocratie à participer au pouvoir. Les social-démocratespassent pour des meilleurs dirigeants en temps de crise car ils disposent,contrairement aux partis bourgeois, des moyens leur permettant d'exploiter lafidélité traditionnelle que leur témoigne la classe ouvrière dans le sens d'unediscipline des revendication salariales et autres revendications interprétéescomme nécessaires à la politique de l'État.[1]

Ces choses étant posées, faut-il considérer que le parti Québécois au Québecest social-démocrate ? Oui et non. D possède tous les attributs idéologiques de lasocial-démocratie ; il mène une politique réformiste qui, sous de nombreuxrapports, sont bénéfiques à la classe ouvrière et violentent le patronat. Sonprogramme contient de nombreuses mesures progressistes. Il bénéficie del'appui des classes populaires et entretient des liens informels avec le mouvementsyndical. Mais le Parti québécois ne saurait être considéré comme social-démocrate au même titre que les partis européens. Ce n'est pas un parti issuhistoriquement de la classe ouvrière. Son réformisme n'est pas ouvrier, maisbourgeois. C'est-à-dire que l'alimentation idéologique vient d'ailleurs que dumouvement ouvrier. Elle provient des fractions modernistes de la petitebourgeoisie. De plus, fondamentalement, la composition de la direction estd'extraction petite bourgeoise. Finalement, c'est un parti déterminé davantagepar la question nationale que par la question sociale. (Contrairement auNouveau Parti Démocratique, par exemple, qui exprime le mieux l'essencesocial-démocrate au Canada. )

4.2: Quel modèle? Ceux qui ont participé à la définition de la société de concertation allemandeproviennent aussi bien de la démocratie-chrétienne que de la social-démocratie.Ceux qui, ici, se réfèrent à ce «modèle » ne font d'ailleurs pas la distinction, et onpeut difficilement les blâmer, les démarcations étant à ce point ténues.Le docteur Ludwing Erhard, ex-chancelier démocrate chrétien, a défini la sociétéallemande comme un système «d'Economie sociale de marché».

Cette notion idéologique bourgeoise prétend qu'il faut « guider la main invisiblede la concurrence pour réaliser la justice sociale». Il s'agit d'assurer lacoordination entre le marché, l'État et les groupes sociaux.La social-démocratie, peut être en d'autre termes, ne dit pas autre chose depuisle tournant pris au Congrès de Bad Godesberg en 1959. «L'État autant quenécessaire, la liberté autant que possible» (Liberté d'entreprise et d'initiativeprivée, il va sans dire ). Willy Brandt définit le « modèle allemand » comme étantcelui de «l'État de bien-être réalisant de manière permanente des réformesprogressistes ».Le 11 octobre 1977, M. Bernard Vogel, président du Bundesrat, l'assemblée des

[1] Voir: Oskar Negt, «Quand le S.P.D. gère la crise», Politique Aujourd'hui, no 1-2, 1977.

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Lander de la R.F.A., qualifiait l'Allemagne d'État libéral démocratique, légitime etlégal qui se comprend comme une «démocratie combattante». C'était àl'occasion de la crise déclenchée par la Fraction armée rouge de Baader-Meinhof.

En réalité, l'Allemagne contemporaine a continué l'intégration étatique commen-cée par Bismark. Sur le plan constitutionnel, la R.F.A. est dotée d'un systèmefédéral. Ce système assure en principe la participation des provinces ( Lander ) àl'élaboration de toute législation fédérale. Cela s'effectue par la médiation d'unechambre haute ( le Bundesrat dont l'équivalent ici serait le Sénat ) composée desmembres des législatures provinciales. D'autre part, il y a la chambre basse(Bundestag - équivalent de la Chambre des Communes). Un mécanisme deconsultation, et éventuellement de vote en cas de désaccord, est prévu.

En principe cela donne un système fédéral décentralisé. En réalité, l'évolutiond'après-guerre est marquée par le transfert des pouvoirs et des responsabilités àl'État central ( le Bund ). Ce transfert a été sanctionné par des lois, en particulierles nouvelles dispositions constitutionnelles votées le 14 août 1969. Lefédéralisme allemand appartient au domaine des fictions chères aux politi-cologues.

Le système, pour fonctionner, suppose une cohésion idéologique très pousséede la société. La bourgeoisie allemande se charge de démontrer qu'il n'y a pasd'intérêts de classes contradictoires. Ainsi, par exemple, on explique auxtravailleurs que les profits n'existent pas en Allemagne. Ce vocable, même s'il estutilisé dans les rapports d'entreprise, couvrirait en fait trois (3) sortes de« coûts » : le coût du capital, le coût de rester en affaires et le coût des emplois etdes pensions de demain.

Il n'y aurait donc que des « coûts », jamais de profits, sauf dans un cas, le cas desmonopoles qui, eux, font des profits. On citera, pour illustrer cette situation les«profits» que réalisent les pays de l'OPEP grâce à la vente du pétrole.

Dans cette entreprise, le grand capital allemand peut s'appuyer aussi bien surl'éventail des partis - démocrates-chrétiens, libéraux, social-démocrates - que surle puissant mouvement syndical.

Face aux déviants «idéologiques» ou politiques, la répression policière estutilisée massivement, comme l'ont révélé les événements d'octobre 1977.

S'il fallait caractériser l'Allemagne actuelle en tant que « modèle », il ne faudraitsurtout pas parler de «société de cogestion» ni de «société de concertation»,termes qui ne caractérisent rien sinon les chimères des politiciens bourgeois.L'Allemagne est d'abord une société capitaliste avancée, un centre impérialiste.C'est aussi un «modèle» d'intégration institutionnelle bureaucratico-étatiqueayant réussi (mais pour combien de temps?) l'homogénéité des composantessociales. (Via l'institution de la cogestion, via un syndicalisme fort lui-mêmeinstitutionnalisé ).

Par rapport à cela, le rôle historique fondamental de la social-démocratie, deLassalle à Helmut Schmidt, c'est la consolidation de l'État bourgeois.

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On peut se procurerles dossiers du C.F.P. au :

CENTRE DE FORMATION POPULAIRE1750, rue St-DenisMontréaltéléphone : 842-2548

Dépôt légal :Premier trimestre 1978Bibliothèque nationale du Québec