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1 Séminaire de formation au Pädagogische Institut de Munich Allemagne, le 05 juin 2013. Regards sur le Maroc Mohammed HAMMOUDI - Professeur de droit international Faculté de Droit Souissi - Rabat. Maroc. Plan : I. Le Maroc précolonial ………………………………………………………….P 3 II. Le Maroc colonial……………………………………………………………….P 14 III. Le Maroc indépendant………………………………………………………….P 25 IV. Le Maroc et le printemps arabe………………………………………………...P 43 V. La coopération maroco-française au-delà des relations diplomatiques………P 51

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Séminaire de formation au Pädagogische

Institut de Munich – Allemagne, le 05 juin 2013.

Regards sur le Maroc

Mohammed HAMMOUDI - Professeur de droit international –

Faculté de Droit Souissi - Rabat. Maroc.

Plan :

I. Le Maroc précolonial ………………………………………………………….P 3

II. Le Maroc colonial……………………………………………………………….P 14

III. Le Maroc indépendant………………………………………………………….P 25

IV. Le Maroc et le printemps arabe………………………………………………...P 43

V. La coopération maroco-française au-delà des relations diplomatiques………P 51

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LE MAROC PRECOLONIAL

Le royaume du Maroc suscite dans l’imaginaire collectif occidental un florilège

d’histoire et de traditions, un paysage politique et social fragmenté par le débat lié à la

modernité et une économie basée sur les rendements du tourisme et de l’agriculture.

Derrière ces images le Maroc est un Etat pivot, à la jonction de deux continents,

ouvert naturellement sur le monde à travers deux façades maritimes, l’Atlantique et la

méditerranée. Cela le prédispose à être un trait d’union entre l’Europe et l’Afrique, à la

croisée des routes maritimes entre l’Europe, le Proche-Orient, l’Afrique et les Amériques.

Le Maroc reste aussi une vieille nation chargée d’histoire millénaire. Les premiers

hommes installés dans la région sont les ancêtres des actuels berbères. La région s’inséra

ensuite dans le jeu des rivalités entre Carthage et Rome avant de connaitre plusieurs siècles

obscurs qui précédent la conquête arabo-musulmane du VIIème siècle.

L’histoire du Maroc-Etat débuta avec l’islamisation qui, en plus de la création d’un

noyau d’administration, introduisait la langue arabe, langue de culte et bientôt instrument de

communication et de culture. Cependant, si le Maroc berbère fut rapidement islamisé il ne

fut arabisé que tardivement.

L’acte fondateur du Maroc-Etat est l’œuvre d’Idriss 1er

et intervient comme une

réaction négative au pouvoir du califat de Bagdad.

A la différence des berbères de l’orient (l’Algérie et la Tunisie de nos jours), les

berbères marocains ont violemment résisté à l’avancée des conquérants arabo-musulmans

intéressés plutôt par la quête des esclaves et des impôts au profit de leur calife que par la

diffusion de l’Islam. Ce n’est qu’en 681 que ceux-ci ont pu étendre leur domination sur le

Maroc. A partir de cette année, les populations autochtones marocaines, constituées des tribus

berbères, adhèrent massivement à la religion islamique. Au final, le Maroc devient une

province prêtant allégeance au de Damas (les Omeyyades).

Avec l’accès des Abbassides, descendants de l’oncle du prophète, au pouvoir, un

conflit violent les oppose aux Alides, descendants d’Ali, cousin et gendre du prophète et qui

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estiment qu’ils sont généalogiquement plus proches de l’Envoyé de Dieu et du coup, ils sont

les héritiers les plus légitimes du califat1.

En conséquence, les Alides entrent en combat avec les Abbassides et n’ont arrêté leur

révolte qu’après qu’ils furent battus à la bataille de Fakh de 786. Après leur victoire, les

Abbassides affermissent leur pouvoir et pacifient le Moyen-Orient.

Cependant, un des alides vaincus, Idriss Ibn Abdullah, réussit à échapper au massacre

de Fakh et se réfugie au Maroc où il fut chaleureusement accueilli par la tribu Awraba qui

contestait constamment la légitimité du califat abbasside. Certains auteurs estiment que les

berbères du Maroc ont trouvé dans la venue d’Idriss 1er

une occasion qu’il ne faut absolument

pas rater pour parer aux abus du califat oriental.

Idriss 1er fonde la dynastie des Idrissides ayant dirigé le Maroc de 789 à 985 et prend

lui-même le titre de commandeur des croyants pour marquer son indépendance vis-à-vis du

califat de l’orient d’alors, détenu par les Abbassides.

Hormis la dynastie almoravide (1035-1147), les différentes dynasties ayant régné sur

le Maroc (Les Almohades (1147-1269), les Mérinides (1269-1465), les Wattassides (1471-

1554), les Saadiens (1554-1659) et les Alaouites (1664 jusqu’à nos jours)) se sont proclamées

des califats indépendants du califat oriental. A cet effet, ils ont eux-mêmes pris le titre de

« commandeur des croyants » resté, d’ailleurs, en vigueur jusqu’à l’heure actuelle. Il faut

noter que depuis les Almoravides, le Maroc s’étendait du Sénégal jusqu’en Espagne et du

littoral atlantique jusqu’ à l’actuelle Libye. De ce fait, il représentait à l’époque une puissance

régionale importante avec laquelle l’Europe se souciait de nouer des accords de paix et de

coopération.

Durant sept siècles, le pays a su jouer un rôle important dans le domaine de la

connaissance et des sciences en exploitant et en enrichissant le savoir légué par la

civilisation gréco-romaine. Cependant, au lendemain de la Reconquista, qui avait chassé les

arabes de la péninsule ibérique, il s’est replié sur lui-même ce qui a été source de déclin face

à un occident dynamique

Le déclin avait commencé au XIVème siècle après le règne de la dynastie des

Mérinides suivis par les Saadiens et s’est accentué au lendemain de multiples révolutions de

1 Le mot « califat » désigne en langue arabe : la succession. Le calife est donc le successeur du prophète

dans la direction des affaires de la communauté musulmane.

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palais et des invasions étrangères occupant Ceuta, Larache, el Jadida, Essaouira et enfin au

lendemain de la Reconquista qui mit fin à la présence arabe en Espagne. La dynastie alaouite

essaya de sauvegarder l’intégrité territoriale du royaume mais sans y parvenir à cause des

conflits tribaux d’une part, et des désaccords entre les confréries d’autre part.

I- L’évolution historique du Maroc précolonial

Depuis la mort du deuxième et puissant sultan alaouite Moulay Ismail en 1727, après

55 ans de règne, le Maroc traverse des crises internes affaiblissantes. D’abord, les membres

de la famille royale se disputent le droit au pouvoir et les hauts gradés de l’armée de Moulay

Ismail, constituée essentiellement de sub-sahariens (anciens esclaves), font et défont les

sultans.

De leur côté, les tribus se sont révoltées contre le pouvoir central en raison de

l’augmentation des impôts et ont refusé, de ce fait, de participer aux opérations militaires

réunificatrices du territoire marocain, échelonnées par les velléités indépendantistes des

Zaouïa, des leaders tribaux et par les querelles dynastiques qui se déclenchaient

répétitivement entre le sultan d’un côté, et ses cousins, demi-frères ou préfets, de l’autre.

En 1757, le sultan Mohamed III (Sidi Mohamed Ibn Abdullah) accède aux

commandes et procède à la restauration de l’unité de l’institution sultanienne. Il initie

également des ouvertures commerciales vers l’étranger en vue de collecter des redevances et

des taxes douanières et du coup, alléger la pression fiscale qui pesait sur l’agriculture

paysanne.

Il importe de rappeler que c’est sous le règne de ce Roi que le Maroc a reconnu en

1777 l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique.

Mohamed III a pu récupérer la stabilité interne de son pays, a développé notoirement

le commerce maritime et les échanges avec l’Afrique sub-saharienne et « Quand il écrivait

aux souverains européens, le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah signait, entre autres

« souverain de Gao et de Guinée », ce qui reflétait la réalité : nombre de tribus reconnaissant

son autorité. De plus, la prière fut dite en son nom à Tombouctou »2.

Après la mort de Mohamed III, le Maroc retombe de nouveau dans le désordre et

l’anarchie tribale. Le sultan Suleyman, successeur de Mohamed III, mène une politique

2 Bernard Lugan, op.cit, page 196

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isolationniste dont les outils se traduisent par la suppression des postes douaniers créés par

son prédécesseur et l’adoption de décisions d’inspiration salafiste (cela marque le début du

sunnisme au Maroc) : interdiction du soufisme et marginalisation des Zaouïas. Le pouvoir

salafiste instauré par Moulay Suleyman a engendré des soulèvements tribaux qui entraînent

finalement son abdication en 1822.

En 1830, la France envahit l’Algérie et s’apprête à intervenir dans l’empire chérifien.

Dans le but de protéger l’indépendance du pays, le sultan édicte des mesures

réformatrices d’importance telles que la modernisation de l’armée, l’introduction des

industries (sucre, papier…) et l’établissement de la première imprimerie arabe moderne à Fès

en 1865. Cependant, le coût financier de la réforme était hypertrophique et le Maroc s’est vu

astreint à lever des taxes non islamiques, ce qui a occasionné la colère des Oulémas. De plus,

le pays commence à s’endetter auprès des européens.

Sous stratagème du contrôle du service normal de la dette, la conférence de Madrid de

1880 intervient. A l’instar de l’empire ottoman, l’empire chérifien est devenu, selon la

formule colonialiste très répandue à l’époque, « un homme malade ». Les réunions de Madrid

ont forgé le cadre général du partage du Maroc entre les puissances européennes desquelles

sont économie est profondément tributaire.

Hassan 1er

tente de mettre en œuvre une politique de la balance, instrumentalisant les

rivalités intra-européennes, mais sans résultats concrets. En effet, les puissances européennes

signent des accords consistant en une territorialisation négociée de leur influence en Afrique

et au Moyen-Orient. Ainsi, en application de l’Entente cordiale de 1904, les français cèdent

aux britanniques l’Egypte en contrepartie du Maroc.

II- Des origines de la pénétration européenne

L’histoire du Maroc au XIXème siècle s’est déterminée dans ses grandes lignes par

des facteurs extérieurs. La mainmise des puissances européennes sur le Maroc s’est effectuée

à travers trois étapes :

L’ouverture

La consolidation de la domination

La compétition des puissances

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1- L’ouverture

Les premières tentatives de pénétration :

De nombreux facteurs sont à l’origine de l’intervention de l’Europe au Maroc.

L’importance prise par les questions méditerranéennes dans les relations politiques entre

les grandes puissances en fournit un exemple édifiant.

D’abord, l’expédition française en Algérie porte atteinte à l’équilibre régional en

méditerranée et menace les intérêts anglais dans la région.

Ensuite, la défaite subie par le Maroc dans la bataille d’Isly contre la France a prouvé

la vulnérabilité du Maroc.

Aussi, le besoin européen en céréales et en laine, pour répondre aux exigences de la

poussée démographique et de l’industrie cotonnière a accentué l’intérêt porté sur le Maroc qui

connaît des excédents dans les domaines précités.

Encore une fois, pour satisfaire leurs besoins les puissances européennes vont

installer au Maroc des consulats et comptoirs. Les juifs marocains jouent le rôle

d’intermédiaire et de négociants entre le sultan et les puissances étrangères n’ayant pas une

représentation locale.

Gibraltar joue un rôle essentiel dans cette reprise commerciale en tant que cercle de

redistribution et centre financier de commerce marocain. Cette ouverture va avoir un impact

positif sur le Maroc puisqu’elle n’a pas affecté son indépendance. Le sultan reste maître du

jeu, contrôle l’ensemble des activités commerciales et se réserve certains monopoles.

Néanmoins, la politique de monopole du sultan gêne les intérêts anglais qui vont exiger une

politique plus libérale.

2- La consolidation juridique de la pénétration européenne

A partir de 1856, les puissances européennes, en vue de renforcer leurs intérêts, ont

imposé, de concert, au sultan certains traités qui ont modifié les rapports de force et porté un

coup fatal à l’indépendance du pays

a- Avec la Grande-Bretagne : Le traité de 1856

Les anglais veulent accroitre leurs échanges avec le Maroc pour compenser les

avantages acquis par la France, qui veut faire de l’Algérie l’entrepôt des produits destinés au

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Maroc. Après avoir essayé de résister en jouant sur les rivalités européennes, le Maroc s’est

retrouvé finalement face à cette coalition puisque la France et l’Espagne accordent leur appui

à la Grande-Bretagne.

C’est dans ce contexte que le traité de 1856 a été conclu avec la Grande-Bretagne et

au terme duquel, le Maroc perd une part importante de sa souveraineté étant donné que la

pénétration européenne échappe au contrôle du Makhzen et notamment la réglementation

douanière, la soustraction des citoyens européens et une partie de des sujets marocains à la

justice marocaine (le régime de la protection).

A travers l’adhésion de certains Etats européens audit traité il est devenu la charte qui

régit les relations entre l’Europe et la Maroc. Les avantages ainsi concédés à la Grande-

Bretagne vont attiser les rivalités de la France et de l’Espagne qui réclament un traité en leur

faveur. Le traité avec L’Espagne 1860-1861, ouvre le Maroc aux influences européennes. Ce

traité intervient à l’issue d’un conflit armé entre les deux pays et qui s’est soldé par la défaite

du Maroc et la prise de la ville de Tétouan.

L’accord de paix intervenu entre les deux pays prévoit l’octroi d’avantages importants

pour l’Espagne et notamment, l’agrandissement de Ceuta et de Melilla, le paiement d’une

indemnité de guerre, droit de pêche de l’Espagne dans les ports marocains, l’installation de

fonctionnaires espagnols chargés de prélever les droits de douane dans les ports marocains au

titre des indemnités de guerre.

b- Le régime des protections

La ponction des richesses marocaines instituée par ledit traité va accentuer la faiblesse

du Maroc. Le régime de la protection permet aux consulats et individus européens installés au

Maroc de conférer leur protection à des marocains et du coup, les soustraire à la juridiction

des tribunaux marocains. Cette pratique est, faut-il le mentionner, perçue comme étant une

déformation du droit consulaire dans la mesure où les représentations consulaires, chargées

normalement de protéger leurs compatriotes, se voient confier le droit de protéger des

individus nationaux de l’Etat hôte.

c- Le traité avec la France en 1863

Il vise d’une part à satisfaire les intérêts français pour se procurer facilement la laine

au Maroc et d’étendre d’autre part le régime des protections.

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d- Conséquences de l’ouverture du Maroc et la compétition entre les européens

L’ouverture imposée au Maroc s’inscrit dans un contexte de transformation de

l’économie mondiale caractérisé par le triomphe du libéralisme, le creusement du canal de

Suez, l’essor de la navigation et donne de ce fait une dimension nouvelle aux rapports entre

l’Europe et la méditerranée.

Ce contexte va favoriser l’émergence de nouveaux acteurs qui investissent le Maroc

et notamment l’entrée de puissantes entreprises, une colonie de peuplement européenne en

expansion sur le territoire marocain et enfin l’entrée en scène de l’Allemagne qui contribue à

l’internationalisation du problème marocain.

e- Les mécanismes de la pénétration européenne

Les institutions :

Il s’agit généralement des consulats installés au Maroc dans les centres de commerce,

développement des missions religieuses, peuplement européen : la population espagnole

constitue 20 % de la population de Tanger.

f- Le Régime de la protection

Véritable poison, le régime de la protection permet aux européens de saper l’autorité

de l’Etat marocain en permettant à des sujets marocains de se soustraire au droit de leur

pays. Ce régime bénéficie d’abord aux juifs marocains qui, grâce à la protection

européenne, se voient exonérés de l’impôt et de l’application de la justice marocaine Il

bénéficie ensuite à certains marocains musulmans riches, et au service des européens, dont le

nombre s’accroit au fur et à mesure de l’arrivée des européens au Maroc.

A ce titre, chaque européen, même parmi les plus démunis, couvre de sa protection au

moins deux marocains. Les anglais ont accordé leur protection à des villages entiers. Cette

protection a eu pour effet de créer une rupture, un déséquilibre dans le tissu social marocain à

travers les privilèges accordés à certaines parties de la population qui faciliteront la

pénétration étrangère.

Sur le plan économique, les européens annexent rapidement le Maroc à leurs domaines

d’activités. Ces domaines touchent la navigation, les liaisons postales, l’agriculture coloniale,

les concessions des mines et des travaux publics.

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3- Le Maroc dans l’enjeu des puissances

Les puissances européennes ont des intérêts communs et des intérêts particuliers au

Maroc.

a- Leurs intérêts communs :

Ils s’inscrivent d’abord dans la politique coloniale et l’importance de la méditerranée

dans les relations internationales, ils sont ensuite liés à la position géographique du Maroc

qui constitue un trait d’union entre l’Europe et l’Afrique.

b- S’agissant des intérêts particuliers

Pour la Grande-Bretagne, il s’agit sur le plan économique de maintenir le monopole

du commerce acquis par elle depuis le 18ème siècle et refuse de laisser l’exercice de ce rôle

à d’autres puissances. Sur le plan stratégique, elle s’efforce de commander la rive européenne

du détroit de Gibraltar en faisant en sorte qu’aucune autre puissance ne vienne s’installer sur

la rive opposée.

Pour la France : depuis son installation en Algérie, elle cherche la sécurité de sa

colonie, la consolidation de ses intérêts économiques et faire l’unité de l’Afrique du nord sous

son égide.

Pour l’Espagne : le voisinage avec la Maroc, la longue histoire commune, l’occupation

de Ceuta et Melilla lui confèrent des droits particuliers sur le Maroc, rien ne peut se faire sans

elle.

Pour l’Allemagne : dernier pays à entrer en scène, ne peut espérer sa part du gâteau

mais s’intéresse toutefois au Maroc, d’abord comme base à partir de laquelle elle peut

susciter des troubles dans la colonie française, créer une diversion pour détourner la France de

l’Alsace Lorraine et jouer ensuite sur les rivalités coloniales au Maroc en vue d’obtenir une

compensation au prix de son désistement.

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c- L’impact de la pénétration européenne sur le Maroc

Au contact de la pénétration européenne, le Maroc a subi des transformations et de

graves perturbations aussi bien sur le plan économique que social et politique.

Les perturbations économiques :

- Agriculture et artisanat : L’infiltration européenne a été accompagnée par

l’appropriation des terres les plus fertiles par la population européenne et le développement

de nouvelles cultures destinées aux besoins de consommation de la puissance étrangère.

Quant au secteur de l’artisanat, depuis la pénétration européenne les produits importés lui

font concurrence ce qui provoque une désarticulation de ce secteur.

- L’évolution du commerce extérieur : La pénétration européenne a modifié les

échanges et dans son sillage la modification économique du pays. Cette modification se

traduit par une diminution de la matière exportable au profit de l’augmentation des

importations. Cette inversion a un impact négatif sur l’économie marocaine puisque les

produits marocains ne sont plus compétitifs ni sur le marché local ni sur la marché

international. L’orientation en outre du commerce vers l’atlantique entraine le déclin du

commerce terrestre. Ce déséquilibre ainsi créé est à l’origine du déséquilibre actuel entre le

Maroc intérieure qui s’appauvrit et l’atlantique qui s’enrichit.

Les transformations sociales et politiques :

- Les paysans : les paysans souffrent des crises qui ont bouleversé les campagnes

marocaines au XIXème siècle. Dans les régions côtières, l’intégration des paysans dans une

économie d’échange accroit leur dépendance vis-à-vis des marchés européens. Les artisans

ont subi un sort identique à cause de l’invasion des produits étrangers et l’augmentation des

prix de matières premières.

- La bourgeoisie et les villes : La bourgeoisie a connu une expansion en rapport

direct avec l’ouverture du Maroc au commerce européen. Cette ouverture profite aux

négociants juifs et à certains musulmans. Par intérêt, cette classe est intéressée par une plus

large ouverture et afin de garantir la stabilité de ses intérêts, elle va bénéficier de la

protection et l’association avec les européens. Cette bourgeoisie constitue de véritables

réseaux familiaux qui envoient leurs enfants et leurs parents dans les grandes villes

européennes. Sa présence se manifeste par l’expropriation et l’achat des terres des

paysans pauvres. La conséquence de cette ascension de la bourgeoisie se traduit par le

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développement des villes notamment côtières ou affluent les paysans chassés de leurs terres,

les immigrants européens mais aussi les bourgeois des vieilles capitales.

- Le Makhzen et les grands féodaux : Le développement urbain et l’ascension de la

bourgeoisie impulse un caractère nouveau au pouvoir makhzanien. En effet la bourgeoisie

s’élance à la conquête de pouvoir. Parallèlement, se constituent des pouvoirs féodaux à la

campagne. C’est ainsi dans un certain nombre de régions, des caïds ont constitué des Etats-

tampons qui contrôlent plusieurs tribus. Une fois en possession des pouvoirs, le caïd ne

l’exerce que pour s’enrichir. Ainsi, au régime de la petite propriété se substitue celui de la

grande propriété cultivée par les esclaves ou par les corvées générales des personnes restées

sur place.

- Les efforts du makhzen : Face à la crise économique et sociale consécutives à la

pénétration européenne, le sultan Moulay Hassan a tenté de réformer le makhzen mais sans

résultat Les causes de cet échec sont d’ordre interne et s’expliquent principalement par la

résistance de la bourgeoisie qui y voit une atteinte à ses intérêts, mais aussi du peuple qui les

considèrent comme des innovations contraire à l’esprit de l’islam. Ils sont aussi d’ordre

externe que traduit la volonté franco-espagnole qui préfère voir le Maroc demeurer un Etat

impuissant et déstructuré. L’échec des réformes accélère l’ouverture de la crise marocaine et

met le pays à la merci d’une entente entre les différentes puissances intéressées à son sort.

III- VERS LE PROTECTORAT : LA CRISE MAROCAINE

La mort d’Hassan 1er

marque le début d’une nouvelle crise intérieure et diplomatique

qui entraîne pour le Maroc la perte de son indépendance.

1- La crise intérieure :

- Moulay Abdelaziz (1878-1943) : intronisé à l’âge de 14 ans, le Maroc a connu sous

son règne une crise dynastique et ce, à cause de sa politique et de la contestation de l’opinion

face à l’accélération de la pénétration européenne.

- Moulay Hafid (1876-1937) : proclamé Sultan à Marrakech, mena une politique

opposée à celle de son prédécesseur et organise la défense du pays contre l’envahisseur

étranger. Sa politique va se heurter néanmoins à l’opposition des confréries religieuses, des

conservateurs mais aussi à la pression des puissances occidentales qui le pressaient à accepter

l’Acte d’Algésiras et renoncer à la Guerre sainte. L’impasse financière dans laquelle se

trouvait le Maroc, le condamna à l’impuissance et à l’impossibilité de redressement.

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2- La crise diplomatique :

- La première crise internationale :

L’équilibre diplomatique a été totalement rompu sous le règne de Moulay Abdelaziz

au profit de la France qui veut que le Maroc reste sa chasse gardée. Pour y parvenir, elle

s’efforce d’obtenir le désistement des autres puissances moyennant certaines concessions.

Ainsi, l’Italie reconnaît le Maroc comme zone d’influence française. De la même manière

l’Angleterre, par les accords conclus avec la France en 1904, laisse les mains libres à cette

dernière au Maroc et en contrepartie, la France reconnaît l’Egypte comme une zone

d’influence anglaise. Cette entente franco-anglaise est motivée par leur méfiance à l’égard de

l’Allemagne d’une part, la sauvegarde des privilèges économiques et stratégiques de

l’Angleterre au Maroc, ainsi que l’internationalisation du statut de la ville de Tanger. Le nord

du Maroc reste une zone d’influence espagnole. Dans le sillage de l’accord franco-anglais,

l’Espagne déclare adhérer à cette convention, et en contrepartie, la France lui concède deux

zones de l’empire marocain, l’une au nord, l’autre au sud.

Cette série d’accords qui consacre la prépondérance de la France au Maroc, irrite

l’Allemagne restée à l’écart, considérant ces accords comme une atteinte aux intérêts

allemands au Maroc. C’est ainsi que dès 1904, l’Allemagne encourage le Sultan à résister à la

pression française refusant les accords passés et réclame la réunion d’une conférence de toutes

les puissances intéressées au Maroc. En 1905, le gouvernement allemand décide une épreuve

de force. Guillaume II débarque à Tanger et rencontre le Sultan et affirme la volonté de

l’Allemagne de s’opposer à tout ce qui menacerait l’égalité au Maroc entre les puissances et

reconnaît la souveraineté du Sultan et son indépendance.

Cette visite ouvre une crise internationale : l’Allemagne cherche surtout à rompre

l’alliance franco-anglo-espagnole et s’efforce de contraindre la France à agir dans une alliance

continentale avec elle à travers l’internationalisation de l’affaire marocaine. Pour obliger le

gouvernement français à accepter la réunion d’une Conférence internationale sur le Maroc,

l’Allemagne use de la force. Soumis à la pression allemande, le gouvernement français

accepte la tenue de la Conférence avec la participation de l’Allemagne. Cette conférence s’est

réunie à Algésiras le 16 janvier 1906 avec la participation de toutes les puissances intéressées

par le Maroc.

La Conférence reconnaît l’indépendance et l’intégrité de l’empire chérifien placé sous

la garantie des puissances signataires. Elle confirme le principe de l’égalité économique et de

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la liberté commerciale mais consacre l’ingérence des puissances dans les affaires politiques,

fiscales et financières du Maroc par l’intermédiaire du corps diplomatique de Tanger. En

somme, l’Acte d’Algésiras place le Maroc dans une sorte de protectorat international avec

prépondérance française et marque la fin de l’indépendance effective du Maroc. Depuis 1905

l’Allemagne n’a cessé de s’opposer à la pénétration Française au Maroc et multiplie les

interventions pour la gêner et obtenir une part du « gâteau ». De nombreux incidents ont

opposé les deux pays. La plus grave est l’affaire des déserteurs de Casablanca.

- La seconde crise internationale :

Cette affaire commence par des déserteurs de la légion étrangère allemande qui sont

arrêtés par la France. S’ensuit une échauffourée au cours de laquelle le consul allemand, qui

essayait de faire embarquer les déserteurs, est malmené par les Français. L’affaire a été réglée

par un accord franco-allemand par lequel les deux gouvernements s’engagent à associer leurs

nationaux dans des entreprises économiques au Maroc par la création d’une sorte de

condominium pour l’exploitation des mines et travaux publics.

L’opposition anglaise a perturbé ledit accord. En guise de protestation, le

gouvernement allemand a installé une base navale dans les ports d’Agadir. Pour éviter une

guerre, l’affaire a été réglée moyennant l’octroi par la France à l’Allemagne du Congo

français en guise de compensation de son désistement du Maroc. L’accord lève le dernier

obstacle qui empêchait la France d’imposer le protectorat au Maroc.

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LE MAROC COLONIAL

Le protectorat a été imposé au Maroc par les armes et par les structures politiques qui

ont divisé le pays en zones d’occupation différentes.

Son objectif : le pillage des richesses au profit des colons.

Ses conséquences : la perturbation des situations économiques, désorganisation des

rapports sociaux, la création des forces nouvelles ayant désorganisé à leur tour le régime.

Sa justification : la conquête a été faite au nom du Sultan pour imposer son autorité sur

son empire.

La méthode de pénétration :

- Dans les plaines d’abord : elle s’appuie sur l’action politique qui consiste à couper

les régions les unes des autres, à utiliser les tribus soumises contre celles qui ne le sont pas et

à obtenir l’appui des grands féodaux (caïds et pachas).

- Dans les montagnes : la méthode a privilégié la force armée, à savoir l’armée de

l’Afrique qui comprend l’armée d’occupation et les unités étrangères commandées par

l’armée française, ensuite les forces supplétives composées par les recrues marocaines (les

goums) et enfin le groupe mobile composé d’un panachage de toutes les unités.

- L’effectif global de cette armée était de l’ordre de 325000 soldats renforcé par

425000 supplétifs.

Les étapes de la conquête

La conquête du Maroc a été progressive, il a fallu 22 ans.

- 1912-1922 : occupation du Maroc « utile », celui des plaines, facilitée par l’appui des

caïds.

- 1914-1920 : occupation des montagnes du moyen-atlas, son objectif : établir la

communication avec l’Algérie et le Maroc utile

- 1921-1926 : occupation du rif

- 1931-1934 : occupation du sud

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A) Le Cadre Juridique du Maroc Colonial

Les grandes campagnes de colonisation et d’occupation conduites par les puissances

occidentales, au cours du 19e siècle et la première moitié du 20

e, se sont inventées une

légitimité, une doctrine et un droit international, conformes à leur entreprise de conquête,

d’asservissement des peuples et de mainmise sur leurs richesses économiques3. Le génie

colonial a ainsi imaginé un système d’occupation à plusieurs gradations dont le protectorat est

censé représenter la forme de colonisation la plus douce.

Concernant le Maroc, Les puissances coloniales vont conférer à cette forme

d’occupation des accents contractuels ; donnant à l’abdication de la souveraineté la forme

d’une adhésion volontaire, concertée et conventionnelle. Dénommée : Protectorat.

Depagne définit ainsi le protectorat comme « le lien contractuel établi entre deux

Etats, en vertu duquel l’un, tout en n’entendant tenir que de lui-même son existence comme

puissance souveraine, cède à l’autre l’exercice de certains de ses attributs en vue de le

défendre contre les attaques internes ou externes, auxquelles il pourrait être en butte, et de

l’aider dans le développement de ses institutions et la sauvegarde de ses intérêts ».

Une autre définition a été donnée à ce mot par Hassan II dans son ouvrage le Défi

qui a dit que le protectorat est « la situation d’un Etat placé sous l’autorité d’un autre Etat,

notamment pour tout ce qui concerne ses relations extérieures et sa sécurité »4.

Georges SCELLE abonde sans détours dans ce même sens. Selon cet auteur : « Le

protectorat… est un cas de tutelle organisée par l’ordre juridique international… Le traité du

protectorat n’est que l’acte d’application et l’aménagement nécessaire du statut de droit

objectif aux rapports de deux gouvernements intéressés, le gouvernement protecteur ou tuteur

et le gouvernement protégé ou en tutelle… Le but du protectorat, est de guider et protéger

une collectivité étatique, trop faible pour se diriger politiquement elle-même ou pour assurer

sa sécurité. Cette protection doit donc être assurée par le gouvernement d’un Etat à la fois

culturellement majeur et matériellement fort… le gouvernement protecteur a le droit d’exiger

3 BRAHIMI Mohamed : « La commune marocaine : un siècle d’histoire de la veille du protectorat à

2009 », op.cit, p.153.

4 HASSAN II : « Le défi », op.cit, p.12.

16

une loyauté absolue du gouvernement protégé… d’occuper militairement le territoire, s’il le

juge nécessaire à la sécurité du pays ; d’établir auprès du gouvernement protégé un

représentant que l’on appelle généralement Résident ou Haut-commissaire. Le résident et ses

services participent à toutes les décisions du pays protégé, y compris les lois, et bien entendu

contrôlent toute la fonction exécutive… Le gouvernement peut…, s’il le juge nécessaire

s’immiscer également dans le gouvernement et l’administration intérieure, et substituer ses

agents à certains agents autochtones… » 5.

A la vérité, ce type de littérature dénote tout l’art consommé des auteurs coloniaux,

à légitimer l’occupation, à ériger la colonisation en nécessité historique, laquelle s’impose en

quelque sorte à l’occupant et est parallèlement souhaitée par l’occupé ; en somme, en devenir

international des Etats au bénéfice des plus faibles. Les rapports de domination militaire sont

ainsi transformés, en vertu de cette doctrine, en règlement international, conférant des droits

et prescrivant des obligations aux « contractants volontaires » de la confiscation de la

souveraineté nationale…

Au-delà des termes de ce droit léonin, dont la lettre et l’esprit ne convainquent que

leurs auteurs, la pratique au Maroc comme Tunisie a démontré que le protectorat n’est qu’une

clause de style. C’est en fait une occupation en règle, à laquelle les circonvolutions et les

conceptions juridiques et politiques des doctrinaires de la colonisation, ont tenté de donner un

semblant de légitimité qui ne trompe personne. Ils n’ont réussi qu’à couvrir d’un vernis de

sémantique et essayé de donner un doux euphémisme à un fait colonial pur et simple.

Le Maroc, à la différence de tant de pays voisins était la victime d’une colonisation

français (A), d’une colonisation espagnole (B) et d’une colonisation internationale établi sur

la ville de Tanger (C).

5 SCELLE Georges : « Manuel élémentaire de droit international public », Éditions Domat-

Montchrestien, Paris, 1943, p.148-151.

17

Les institutions du protectorat

- Le traité de Fès

Il ouvre le démembrement du Maroc et établit une co-souveraineté de la France et de

l’Espagne au Maroc. Une souveraineté partagée entre le Sultan et le protectorat : Le Sultan

dispose de pouvoirs législatifs mais n’a pas l’initiative de la loi qui appartient au Résident.

Mais le Sultan a un pouvoir de véto car il peut refuser de signer la loi présentée par le

Résident. Cet accord est resté inappliqué puisque très vite le protectorat se transforme en

administration directe.

- L’organisation des pouvoirs :

Le système administratif du protectorat, instauré pour asseoir sa domination et

soumettre l’ensemble du pays à son idéologie coloniale, était basé sur un centralisme dont

l’objectif primordial était d’assurer le contrôle de la société marocaine6. Tout en conservant

l’ancien système makhzanien, l’administration coloniale devait imposer un découpage

administratif et un dispositif d’autorité lui permettant de concrétiser sa domination. De ce fait,

la France a fourni un effort pour garantir la pacification et le commandement du territoire

depuis le centre jusqu’à la périphérie traduit par la mise en place de ses institutions qui ont

pris par la suite la place des autorités makhzeniennes.

Au niveau central, les pouvoirs du Sultan et de ses vizirs ont été dédoublés avec

ceux du résident général et des directions centrales qui lui étaient rattachées. Alors qu’au

niveau local, les autorités coloniales ont procédé à l’adoption d’une multitude de statuts par la

création des régions civiles et militaires et pour les municipalités et les collectivités rurales.

À partir de ces idées, nous traiterons successivement : le pouvoir central sous

l’occupation française (a) et le pouvoir local sous l’occupation française (b).

6 EL MOUCHTARAY Mohammed : « Le rôle des collectivités locales dans le développement

économique et social », Publications de la REMALD, Série « Thèmes actuels », n° 24, 2000, p.13.

18

A. Le pouvoir central :

Le pouvoir du Makhzen central : le Sultan a des pouvoirs mais seulement théoriques,

il est tenu à l’écart et dans les faits se voit dessaisi des compétences exécutives, législatives et

judiciaires. La modernisation de l’administration le laisse apparaître comme une survivance

d’un ordre dépassé.

Les pouvoirs du Sultan : symboliques :

Sceller les lois préparées par la Résidence général.

Nomme les vizirs et les cadis (les juges)

Nomme les pachas et caids

Autorité religieuse suprême

Les pouvoirs du Commissaire Résident Général

Il dispose de la réalité du pouvoir :

Représente le Maroc auprès d’autres puissances

Dispose de la force armée et de l’administration

A l’initiative des lois

Chef de la colonie française au Maroc

Mobilise les moyens administratifs pour le contrôle du pays puisqu’il a la direction de

l’intérieur, de la sureté publique, du maintien de l’ordre et des affaires chérifiennes.

B. Le pouvoir local

L’organisation de l’empire traditionnel marocain en villes et en tribus, dirigées par

des pachas et des caïds, plus ou moins directement rattachés au sultan, ne pouvait de toute

évidence correspondre ni aux conceptions administratives de la puissance tutrice, ni à la

logique de domination coloniale7.

7 BRAHIMI Mohamed : « La commune marocaine : un siècle d’histoire de la veille du protectorat à

2009 », op.cit, p.159.

19

La plus caractéristique des innovations du Protectorat est sans aucun doute la création

de la région, comme cadre de déconcentration destiné à servir de relais au pouvoir central8. Ce

nouveau commandement a été coiffé dans les régions militaires par un officier supérieur ou

un général nommé par le Résident général, qui était chargé du maintien de l’ordre public.

Alors que le commandement des régions civiles a été confié à un contrôleur civil qui

constitue l’instrument principal, placé par le gouvernement français auprès du gouvernement

marocain protégé, pour l’adapter graduellement aux formes modernes de la civilisation.

Les autorités coloniales ont procédé également à l’installation dans les municipalités

d’un Chef des services municipaux nommé par arrêté du commissaire résident général, il a le

pouvoir d’assister et de contrôler le pacha ou caïd dans l’administration municipale9. Il peut

exercer par délégation accordée par arrêté du grand vizir, les attributions dévolues au pacha

ou caïd à l’exception des pouvoirs réglementaires.

Dans les collectivités territoriales, le protectorat a mis en effet au service de ses

commandements locaux des caïds servant de relais aux intérêts coloniaux.

Le statut du protectorat espagnol

Dans la Zone Nord, sous occupation espagnole appelée, également la Zone

Khalifienne, l’Espagne a procédé comme la France à l’installation de sa structure

administrative tant au niveau central qu’au niveau local.

En février 1913, les espagnols installent à Tétouan leur premier Haut-commissaire,

le Général Alfau et font désigner comme, Khalifa, par le Sultan Moulay Youssef, son propre

frère, Moulay El Mehdi10

. De même, l’Espagne a créé une Haute délégation à Tétouan

chargée de contrôler les actes du Khalifa du Sultan.

8 DE LAUBADÈRE André : « Les réformes des pouvoirs publics au Maroc », op.cit, p.50.

9 On relèvera le paradoxe de cette formule juridique qui en fait à la fois l’assistant et le contrôleur du

pacha.

10 MARCHAT Henry : « La France et l’Espagne au Maroc pendant la période du protectorat (1912-

1956) », op.cit, p.83.

20

Au niveau local, le régime municipal mis en place reposait sur des principes presque

similaires, fixé par le dahir du 6 mai 1931 :

- Le pacha ou caïd représentant du Khalifa exerce l’essentiel des attributions d’ordre

administratif et judicaire, sous le contrôle d’un contrôleur civil ou militaire espagnol.

- Les villes sont dotées d’une commission municipale mixte présidée par le pacha ou le

caïd et comprenant un vice-président espagnol, un vice-président musulman et un nombre de

membres à élire, déterminé par décret Viziriel, représentant la population indigène et

étrangère. La commission municipale dispose d’une compétence délibérative.

- Les centres et les tribus qui sont administrés par des caïds et contrôlés par une autorité

espagnole sont parallèlement dotés de commissions, au rôle cependant consultatif.

a) Au niveau central

Comme la France, l’Espagne a maintenu les autorités makhzeniennes mais elle a

placé à ses côtés les siennes. À côté du Khalifa du Sultan, il y avait un Haut-Commissaire

assisté dans l’exercice de ses missions de représentation et de contrôle par cinq délégations :

- La délégation des affaires indigènes ;

- La délégation culturelle et de l’enseignement ;

- La délégation économique, agricole, budgétaire et sanitaire ;

- La délégation des forêts et du bétail ;

- La délégation des travaux publics ;

- La délégation financière

Comme le niveau central, l’Espagne a mis en place ses représentants locaux pour

assurer sa pleine domination sur le niveau le plus bas.

b) Au niveau local

La structure générale de l’administration locale dans la zone sous occupation

espagnole est donc sensiblement proche et celle de la zone du protectorat français.

L’autorité de contrôle, l’une et l’autre ont réservé aux assemblées des villes, des centres et des

21

tribus, des sorts variables et des rôles généralement subsidiaires. À l’instar le Colonisation

française et espagnole, la ville de Tanger était placée sous une colonisation internationale vu

sa position géographique.

Le statut de la zone internationale de Tanger :

Compte tenu de sa situation géographique stratégique, la ville de Tanger était

placée sous l’autorité du Royaume Uni, d’Espagne, de Belgique, des Pays-Bas, des Etats-

Unis, du Portugal, d’Union Soviétique, et de France auxquels se joindra l’Italie un peu plus

tard. La ville possède désormais son autonomie financière. On la dote d'une administration

internationale, en particulier d'une assemblée législative, composée de trente fonctionnaires

internationaux désignés par leurs consuls respectifs et de neuf marocains.

Tanger constitue la porte d'entrée naturelle d'une partie du Maroc et ne pouvait

laisser indifférente aucune nation européenne. Pour l'Espagne, c'était à la fois un corps

étranger enclavé dans le Maroc espagnol, la seule voie naturelle d'accès de ce protectorat à

son territoire métropolitain et ce pouvait devenir, sous son occupation, le contrepoids de

Gibraltar.

Les accords de 1923-1925, remaniés une dernière fois en 1928, reconnaissaient sur

la zone internationale de Tanger l'autorité du sultan du Maroc, représenté par un «Mendoub»,

qui faisait fonction de pacha et présidait l'Assemblée internationale. Des tribunaux mixtes

rendaient la justice. Un comité de contrôle groupait les consuls des quatre principales

puissances intéressées : France, Espagne, Angleterre, Italie.

Les conséquences du protectorat sur le Maroc

Conséquences sur les libertés :

Le système établi se caractérise par une absence de garanties individuelles et des

libertés (interdiction de la liberté de circulation, d’association, de syndicats, de création de

partis politiques), ainsi que le rôle prépondérant des pouvoirs des caïds comme relais de la

colonisation afin de restreindre l’exercice de ces libertés.

Création au Maroc d’une économie de type capitaliste :

Marquée par l’arrivée de grands groupes financiers :

22

BNP qui contrôle la quasi-totalité des activités économiques à savoir : le circuit

monétaire, le crédit, le monopole sur le tabac, le transport, l’eau et l’électricité,

l’exploitation minière etc…

Le groupe MAS qui domine le secteur de la presse, administre le domaine agricole,

industriel, mobilier et commercial

Colonisation rurale :

Se caractérise par l’appropriation par les européens des terres fertiles et l’expropriation

des paysans, l’introduction de l’immatriculation foncière dans le but et la consolidation

juridique de cette expropriation. Les méthodes suivies pour l’expropriation sont publiques

(distribution aux colons des domaines privés de l’état 300000 hectares) et domaine privés

(expropriation par les colons des terres appartenant aux paysans 728000 hectares). Cette

colonisation des terres vise la production des denrées exportables, il en résulte un déséquilibre

de la production agricole au Maroc.

La population marocaine qui vivait aux ¾ de l’agriculture n’a pas bénéficié des

nouvelles techniques mobilisées aux seuls bénéfices des colons, ce retard va rompre

l’équilibre rural et sera à l’origine de la transformation brutale de la société marocaine.

La transformation de la société marocaine :

L’expansion de la colonisation et son corollaire l’apparition des besoins nouveaux

vont perturber l’équilibre social dans différents domaines.

- Modification des modes d’existence en milieu rural :

Dans les plaines : l’expropriation des terres et la formation de grands propriétaire

poussent les paysans pauvres à s’engager comme ouvriers agricoles (khamass) ou

émigrent vers la ville. La modification de l’habitat va être à l’origine de l’apparition

des bidonvilles dans les villes et des noualas dans les campagnes.

Dans les montagnes de l’atlas et du rif : les paysans deviennent des travailleurs

saisonniers dans des fermes agricoles des colons ou émigrent vers la Tunisie, l’Algérie

ou la France.

La modification des modes d’existences liés à l’extension de la grande propriété

transforme profondément la société et débouche sur la prolétarisation des masses

rurales.

23

La politiques des grands caïds contribue à l’apparition d’une féodalité de marocains

qui concentrent de grandes propriétés : 7500 féodaux concentrent ¼ des terres

cultivables (Glaoui : 15000 hectares). Les non-propriétaires sont cantonnés dans un

rôle de servage qui paye des impôts aux féodaux.

- Modification des modes d’existence en milieu urbain :

La colonisation a permis l’émergence d’une bourgeoisie composée notamment de juifs

et de fassis associés aux capitaux français et agissant dans les activités de spéculation

commerciale et immobilière. Cette situation a contribué à la naissance du prolétariat dans les

grands centres urbains dont l’exploitation a favorisé la conscience de classe et la

revendication nationaliste.

L’opposition nationale et l’indépendance :

Il était naturel qu’un peuple « rebelle à toute servitude » n’acceptât pas un joug qui

lui était imposé par une guerre de conquête qui, depuis la bataille d’Isly (13-8- 1844), a duré

plus d’un siècle.

La lutte contre la Colonisation française et espagnole a connu deux étapes :

- La résistance armée de 1912 à 1934, puis de 1953 à 1956 ;

- La résistance politique, au début des années 1930, à la déposition de Mohamed V par

les autorités coloniales en août 1953. Cette seconde phase est elle-même scindée en deux

périodes, la première se caractérisant par la revendication de réformes, la deuxième par la

revendication de l’indépendance.

- La résistance armée a commencé le 16 août 1912 lorsque les tribus du Sud « les

hommes bleus », sous la conduite d’Ahmed EL HIBA, se soulèvent et se dirigent vers

Marrakech. Pour les contenir et les repousser vers le sud, Lyautey obtient la neutralité des

chefs de tribus de l’Atlas.

La résistance politique, quant à elle, a eu lieu entre 1934 et 1937 d’abord par l’appel à

des réformes et déboucher ensuite sur la réclamation de l’indépendance.

24

En novembre 1934, un Comité d’Action Marocain (CAM) a été créé par de jeunes

intellectuels, dont Allal EL FASSI, Mohammed OUAZZANI et Ahmed BALAFREJ. Le

journal nationaliste l’Action du Peuple, créé en 1933 par Mohammed Hassan OUAZZANI,

est suspendu. Ensuite, entre 1934 et 1937 un plan de réformes au Maroc est présenté au

français. Il constitue les premières réclamations nationales. Parallèlement débute la résistance

politique urbaine.

Entre 1934-1944, on assiste à une accélération du mouvement nationaliste dirigé par

des figures comme Allal EL FASSI, Mehdi BEN BARKA, Ahmed BALAFREJ, chef du parti

de l’Istiqlal (l’indépendance) est arrêté en 1944 suite aux émeutes contre l’occupation. Le 11

janvier 1944, le parti de l’Istiqlal publie son « manifeste de l’indépendance » demandant la

reconnaissance de l’indépendance du Maroc, son intégrité territoriale et sa souveraineté

nationale.

Le Sultan Mohammed Ibn Youssef alla plus loin dans ses revendications avec le

discours de Tanger en 1947 où il réclama l’indépendance, l’union des arabes et l’adhésion du

Maroc à la ligue arabe (fondée en 1945) dont il fit l’apologie insistant sur les liens entre le

Maroc et l’ensemble du monde arabe. La résistance politique a produit ses effets depuis le

retour de Feu S.M Mohammed V et la proclamation de l’indépendance le 3 mars 1956.

- L’indépendance :

Conférence Aix-les-Bains

Accords de l’indépendance

25

Le Maroc indépendant

MOHAMMED V

L’accès à l’indépendance

Dès l’indépendance 2 mars 1956, le Roi Mohamed V va se trouver confronté à un

certain nombre de problèmes. Durant son règne, le Roi s’est attelé à établir son autorité en

faisant face aux crises internes qui menacent la continuité de la monarchie.

D’abord, le parti de l’Istiqlal est le parti dominant, dont les leaders ont joué un rôle

important dans la libération du Maroc, mais constitue un Etat dans l’état Son aile

conservatrice veut soumettre le roi à sa tutelle alors que son aile gauche est hostile à la

monarchie. Les dissensions à l’intérieur de ce parti vont déboucher sur une scission en son

sein et la création de l’UNFP dirigé par BENBARKA. Ensuite, l’armée de libération nationale

qui a combattu le protectorat, décide de continuer la lutte armée contre la coalition franco

espagnole qui occupe le sud du Maroc et appelle à la lutte armée pour soutenir les

révolutionnaires algériens.

Afin de contourner le danger interne, la monarchie a soutenu la création de partis

fictifs proche de palais. Le MP composé de notables ruraux qui ont servi dans l’armée

française et des islamistes. Le PJD au pouvoir aujourd’hui.

Sur le plan sécuritaire en vue de consolider son autorité, le Roi Mohamed V créé le 25

juin 1955 les Forces Armées Royales et en confie la direction générale à son héritier le prince

Moulay Hassan (futur Hassan II). En juin 1958, le Roi crée la Direction Générale de la Sûreté

Nationale. Ainsi, l’Etat fraîchement indépendant se voit muni de son appareil répressif. C’est

cet appareil qui a écrasé l’insurrection dans le Rif dirigée contre la bourgeoisie fassie tout

comme l’armée de libération nationale composée d’anciens résistants à l’occupation française.

Pour ce qui est du bilan : Quatre gouvernements se sont succédé sous le règne de

Mohammed V entre 1956 et 1960. Parmi les réalisations de règne retenons :

26

Sur le plan politique :

La relève de l’administration centrale

Règlement des libertés publiques

Création d’une assemblée constituante

Election municipale

Sur le plan économique :

Nationalisation de la banque centrale

Sortie de la zone franc et émission d’une monnaie nationale

Création des premières institutions financières : CDG-BNDE-BMCE

Lancement de nouvelles unités industrielles : Samir- Somaca-Berliet-Office du thé…

Lancement d’une nouvelle politique agricole avec la création de l’Office national de

l’irrigation

Sur le plan social :

Politique de l’enseignement et de la santé

Création de la CNSS : allocations familiales et pensions de retraites

La route de l’unité : route reliant Fès à Al Hocéima pour désenclaver les régions

centrales et la zone nord

Certaines faiblesses cependant :

La politique de Mohamed V a été combattue par une coalition conservatrice qui y

voyait ses intérêts menacés.

L’enseignement reste balloté entre le maintien du système d’enseignement français et

l’arabisation aventureuse.

Le pays n’a pas été doté de constitution et d’institutions démocratiques

En 1961, le Roi Mohamed V meurt et son héritier Moulay Hassan, appelé dans l’ordre

dynastique alaouite, Hassan II accède au trône.

27

LE MAROC SOUS HASSAN II

Né en 1929, intronisé en 1961, Hassan II règne sur le Maroc pendant 38 ans. Son

règne fût marqué par de graves turbulences, une forte répression mais aussi l’insertion du

Maroc dans la modernité tout en préservant la tradition.

Depuis les années 80, il inaugure une politique apaisée qui ouvre le pays à une

« transition démocratique » qui prépare la succession du trône. La plus grande cause qui le

mobilisa fût la récupération du Sahara.

Lors du premier discours du Trône Hassan II déclare : « Avec l’aide de Dieu je prends

le pouvoir ». En effet, le Maroc est un Etat musulman et le Roi y exerce les fonctions

souveraines de Commandeur des croyants. Règle constitutionnelle à laquelle aucun texte

constitutionnel marocain n’a dérogé depuis 1962, date à laquelle le Maroc se dote de sa

première loi fondamentale. Le règne d’Hassan II peut être scindé en deux étapes : le temps

des crises et le temps d’apaisement.

- Le temps des crises : 1961-1977

- La guerre des sables : 1963

L’origine de la guerre qui a éclaté avec l’Algérie au moment du protectorat où la

France a indexé une partie du territoire marocain. Une fois l’indépendance acquise, le Maroc

a refusé la proposition de la France de négocier la délimitation des frontières en projetant de

laisser cette initiative au futur état algérien indépendant.

Le gouvernement algérien de Ben Bella de l’Algérie indépendante a refusé de donner

suite aux revendications marocaines. La guerre de frontières qui a été déclenchée entre les 2

pays a tourné en faveur du Maroc qui s’est abstenu néanmoins de continuer l’offensive

laissant la place à la diplomatie au prix de l’abandon de sa souveraineté. Le Maroc espérait

obtenir de la sorte la neutralité de l’Algérie dans sa revendication sur Sahara espagnol, ce

dessin a été démenti par les faits en 1975.

Les crises internes :

Pour assurer la légitimité et maitriser les oppositions, Hassan II va procéder sur la

base d’un mélange entre la modernité et la tradition en faisant valoir à la fois sa qualité de

chef d’un état moderne « Le Roi » sa légitimité historique (Sultan-califat) et sa qualité

religieuse (Commandeur des croyants).

28

Après avoir entériné une constitution, lui accordant de larges prérogatives, par voie

référendaire, le Roi appelle les partis politiques aux élections législatives de 1963 à l’issue

desquelles les partis issus du mouvement national et qui décrit l’hégémonie de l’institution

monarchique ont pu dominer le Parlement. Ayant face à lui un Parlement dirigé par les

contradicteurs de son pouvoir, Hassan II décrète l’état d’exception en 1965 et s’arroge en

conséquence tous les pouvoirs.

En 1970, le souverain prépare un nouveau texte constitutionnel renforçant ses

pouvoirs, diminuant ceux du gouvernement et affaiblissant la légitimité démocratique du

Parlement devenu monocaméral dont seulement le 1/3 des membres sont élus au suffrage

universel direct.

Cette mainmise de la monarchie sur le pouvoir va alimenter des crises qui ont secoué

la monarchie. A ce titre, la constitution de 1961 marque une crise entre deux légitimités :

celles du Commandeur des croyants, détenteur de tous les pouvoirs, et celle du peuple

revendiquée par la gauche qui, afin de déstabiliser la monarchie, va mobiliser les masses

(syndicats-grèves) pour paralyser la vie politique.

En vue de déjouer ces pressions populaires, Hassan II a eu recours à deux

manœuvres politique et sécuritaire :

- Politique d’abord, qui consiste à affaiblir les partis politiques en suscitant la création

des partis monarchistes.

- Sécuritaire ensuite : se méfiant de l’élite urbaine, aspirant à limiter les pouvoirs

transversaux et globaux que détient le monarque, Hassan II a basé son régime sur la fidélité

des FAR dirigées par des généraux formés à l’armée coloniale (Oufkir) et sur un appareil

sécuritaire diversifié et rattaché à la personne du Roi : agents d’autorité (préfets et sous-

préfets), la Direction Générale de la Sûreté Nationale (la police)…dirigé par un homme de

confiance (Basri).

La mise en œuvre de ces éléments ont déterminé une politique globale au service de

la pérennité de la monarchie qui pour ce faire prend à son compte les structures du

protectorat en renforçant la division du pays en Maroc utile et inutile, le Maroc des fidèles à

la monarchie, le Maroc de peuple marginalisé et des opposants qualifiés de traitres et

persécutés .

29

Outre l’armée et la police, la manœuvre politique a été conduite à travers, d’une part,

une alliance avec la bourgeoisie (surtout fassie) mais aussi les notables ruraux qui ont occupés

des postes clés de l’administration. Il en résulte un renforcement des pouvoirs de la monarchie

soutenue par une minorité de courtisans qui, pour maintenir leurs intérêts, vont d’une part

,défendre et consolider le pouvoir monarchique en le hissant à travers la propagande politique

au rang de droit divin et d’autre part maintenir la majorité de peuple dans un état de précarité

et d’analphabétisme.

Le statut quo va être maintenu à travers l’instauration d’un régime policier orchestré

par l’influent Ministre de l’intérieur Driss Basri. Cet Etat policier correspond à la période

qualifiée : « des Années de Plomb ».

Ce cynisme politique qui a bénéficié à ses promoteurs s’avère néanmoins

contreproductif parce que il a été générateur de crises qui ont secoué la monarchie, émanent à

la fois d’acteurs supposés loyaux à la monarchie à savoir les militaires mais aussi de la

contestation de pouvoir par certains acteurs politiques.

A deux reprises le Maroc a connu des tentatives de coup d’Etat contre le régime

successivement en 1971 et en 1972. Les deux putschs militaires n’ont pas abouti et le Roi,

comprenant que le fait de trop miser sur la loyauté des militaires peut s’avérer mortel, décide

d’inaugurer une phase nouvelle de désamorçage de crises en renouant ses relations avec la

société des civils. .

Le rapprochement Monarchie/société civile n’était pas facile et s’est faite

progressivement. Initialement, les élections ont été boycottées par les partis de l’opposition et

le pays accède à un blocage étouffant. Renfloués momentanément par la récupération du

Sahara en 1975, le Roi va faire de la Marche verte un leitmotiv dans ses rapports avec les

partis d’opposition et le peuple à travers un slogan « un peuple derrière son

Roi » Progressivement, les rapports entre le Palais et les partis du mouvement national

redeviennent progressivement détendus et ce, jusqu’à l’avènement du gouvernement

d’alternance consensuelle.

30

Le temps de l’apaisement :

L’avis consultatif de la CIJ, reconnaissant l’existence de liens historiques entre le

Maroc et le Sahara, était l’occasion pour Hassan II d’inaugurer une phase nouvelle en vue de

l’instauration d’une paix sociale au Maroc. Désormais, le régime a élaboré une politique de

« désamorçage » ouverture matérialisée par l’instauration d’un gouvernement d’union

nationale en 1977 avec la création de nouveaux partis politiques proches du palais et la

récupération du parti de l’istiqlal et l’isolement de l’USFP.

L’élaboration des réformes :

Révision du statut de la femme ;

Reconnaissance des droits de l’homme à travers la mise en pied de nouvelles

institutions relatives à la protection des droits de l’homme et l’institution d’un cadre

juridique y afférent ;

Sur le plan international, l’insertion du Maroc dans la mondialisation à travers les

accords d’association avec l’union européenne, le rapprochement avec les USA,

l’instauration de zone off-shore au Maroc et l’inauguration des grands chantiers, etc…

L’aboutissement de cette politique d’ouverture va déboucher sur des négociations

avec les représentants de l’opposition au sortir desquelles un opposant socialiste condamné à

mort et gracié Abderrahmane Youssoufi se voit confier le poste de Premier ministre du

premier gouvernement d’alternance consensuelle ou pactée (pacte entre le Palais et

l’opposition historique).

Cette intégration de l’opposition politique a créé un consensus sur la monarchie en

débloquant l’accès aux fonctions publiques pour toute une partie de l’élite opérationnelle. Le

roi intègre l’opposition mais celle-ci concède au roi le droit de limiter l’initiative de

gouvernement en lui concédant de désigner lui-même des ministres dits de souveraineté et

notamment les affaires étrangères la justice l’intérieur les affaires religieuses.

Ce partage des pouvoirs qui vise à préserver la prééminence royale annonce aussi

l’’amorce d’un tournant social émanant d’un régime qui n’inscrivait pas jusqu’alors sa

politique dans la perspective du développement humain. A ce titre, le roi à l’occasion de

l’alternance, a réorienté notamment sa politique des droits de l’homme jusqu’alors négligé,

la page des "années de plomb" a été tournée avec l'instauration d'un Conseil consultatif des

droits de l'homme, la mise en place peu après de l'Instance équité et réconciliation, puis un

31

ministère des droits de l’homme et dans le domaine social la création d’un conseil national de

la jeunesse et de l’avenir.

Le processus s'est prolongé dans le domaine de la presse, où le maintien de lignes

rouges (notamment la personne du roi) et l'utilisation de procédés de pression indirects

(l'assèchement publicitaire) n'empêchent pas l'adoption de positions très critiques.

En 1999 et après 38 ans de règne absolu, Hassan II s’éteint et son fils Mohammed VI

lui succède.

MOHAMMED VI

Intronisé en 1999, Mohammed VI est le 23ème souverain de la dynastie alaouite. Né

d’une mère berbère, il a été initié au pouvoir dès son jeune âge par son père. Son arrivée au

pouvoir donne des signes de changement de style de gouvernement au Maroc avec l’image

d’un monarque en rupture avec le style de son père.

Parallèlement, le nouveau Roi doit renforcer l’œuvre d’ouverture inachevée initiée

par son père en faisant surtout face à de nouveaux défis qui consistent à desserrer le pouvoir

de Makhzen, mettre au pas les grands féodaux agissant en toute impunité, répondre au souci

d’ouverture politique de la société mais aussi s’inscrire dans la lignée dynastique et religieuse

pour assurer son autorité. Dès son installation au pouvoir, le nouveau Roi a fait montre, à la

fois d’une continuité, et de l’inauguration d’une nouvelle ère de ruptures décisives.

1) La séquence de la continuité :

Le nouveau Roi va préserver les prérogatives constitutionnelles héritées de son père

décideur omniprésent dans tous les rouages de pouvoirs. Il est à la fois chef de l’Etat et en

cette qualité législateur, chef de l’exécutif et président de pouvoir judiciaire puisque les

décisions juridictionnelles sont prononcées en son nom. Mais le roi est aussi une autorisé

religieuse et en cette qualité commandeur des croyants et sa personne est sacrée. Le Roi

décideur investi d’un droit divin est ainsi hissé au-dessus de la loi et n’est redevable de ses

actes à l’égard d’aucune autorité, ses paroles ont force de loi, la critique des actes royaux tout

comme celle faite à l’adresse de la famille royale sont passibles de peines pénales.

Cette atteinte à la personne sacrée du Roi a été à l’origine de nombreuses

condamnations à des peines de prison comme ce fut le cas dans un procès retentissant qui

32

rappelle la période d’inquisition en Europe contre le journaliste de l’hebdomadaire

« Demain » qui a été condamné pour atteinte à la personne du Roi à la suite de la

publication d’une information selon laquelle le palais du Roi de Skhirat serait en vente.

Lors d’une audience devant le tribunal et face aux arguments de la défense qui

s’insurge contre la sacralisation de pierres lorsqu’elle servent à la construction des palais

royaux, le procureur appelé depuis par les médias « procureur de la pierre sacrée » a repris

cet argument en exhibant devant les juges des pierres et d’insister que si les pierres sont

destinées à un usage quelconque, elles gardent leur qualité, par contre si elle sont destinées à

la construction de palais royaux, elles deviennent sacrées. A l’issue de ce procès, le

journaliste a écopé d’une peine de prison pour atteinte à la personne de Roi, et depuis sa

libération il vit en Espagne.

Dans un autre cas, celui d’un lycéen dénoncé par le Directeur de l’institution pour

avoir osé écrire sur le tableur de la classe la devise marocaine : Dieu, la patrie, le Barça

(faisant allusion à l’équipe de football de Barcelone) à la place de Roi. Cette substitution qui

renvoie à un jeu d’adolescent lui a valu une condamnation à une peine ferme pour atteinte à

la personne du Roi. Paradoxalement, les personnes condamnées par les tribunaux pour

atteinte à la personne du Roi se voient graciées par le Roi lui-même, à l’issue cependant, d’un

tollé international de protestations. Cela soulève l’épineuse question de savoir si ce ne sont

pas les forces conservatrices occultes qui agissent ainsi pour le maintien du statut quo et

préserver leurs intérêts et bloquent les initiatives royales de réformer.

En tout état de cause, cette volonté ferme de maintenir le statu quo existe et trouve un

soutien principalement dans une frange de la société marocaine réfractaire à tout changement

parce qu’elle tire profit et enrichissement personnel dans une impunité totale. Néanmoins,

celle-ci doit faire face à une opposition qui s’insurge contre les injustices et réclame des

changements. Cette opposition est orchestrée par une génération nouvelle encadrée par des

associations des droits humains qui a tiré à son profit l’ouverture politique du régime et

s’insurge contre les injustices ne reculant ni devant l’intimidation ni devant la peur.

C’est la société civile nouvellement organisée et encadrée par un tissu associatif dense

agissant dans de nombreux domaines tels que celui de la condition de la femme, des

chômeurs diplômés, de la corruption, de la défense des consommateurs, des droits humains

etc…C’est cette génération qui sortira dans la rue lors des événements de printemps arabe.

33

Par ailleurs, face à un Maroc dont les pauvres sont plus pauvres et les riches sont plus

riches que partout ailleurs mais où, désormais, sa société civile bouge, fait réagir le nouveau

Roi qui a compris qu’il lui faut introduire des réformes et faire accéder le Maroc à une

nouvelle ère de rupture. Ce changement dans la continuité pour désamorcer la crise, va

intervenir à plusieurs niveaux de l’état, ces réformes lui ont valu le titre de « Roi des

pauvres ».

2) L’ère des ruptures :

De grands chantiers ont été érigés dont le montant est estimé à 11milliards d’euros et

notamment.

La politique des grands projets :

Certes, la mise à niveau d’une économie en développement passe par le renforcement

de son infrastructure et le lancement de grands chantiers capables de dynamiser la

compétitivité de son tissu productif, à travers des effets d’entrainement. Toutefois, c’est la

nature de ces projets et les bénéfices effectifs qu’il faut questionner pour cerner l’efficacité

d’un tel choix. Le choix de fonder le développement sur les grands projets, dits projets

structurant.

Le Maroc a fait ce choix et a lancé un ensemble de chantiers, durant la dernière

décennie. Un des grands projets est le port de Tanger Med, à 14 Km de l’Europe, qui

ambitionne la formation d’un complexe portuaire d’une capacité globale de 8,5 million de

conteneurs. A proximité de ce projet on retrouve les zones franche industrielles Meloussa I et

II, et le grand projet de l’usine de Renault Tanger. Un autre projet qui anime la rhétorique est

celui du TGV.

A ces projets d’infrastructures, des projets de nature sectorielle sont en cours : en

matière de tourisme (plan Azur) en matière d’industrie (plan Emergence) au niveau de

l’agriculture (plan Maroc vert).

Sur le plan social et politique on a assisté à l’émergence des prémisses de l’Etat de

Droit à travers le lancement d’une nouvelle politique formulée dans le nouveau concept

d’autorité, la lutte contre la pauvreté, l’emploi, la santé et l’éducation, le statut de la femme, la

réforme de la justice et de l’administration la création d’une commission chargée d’examiner

34

l’indemnisation des anciens détenus politiques institution d’équité, Maroc vert, Fond Hassan

II, L’agence de développement social.

3) Bilan de la politique de Mohammed VI : la condition de la femme et la lutte

contre la pauvreté.

Deux exemples illustrent les tentatives de progrès intervenus sous le règne de nouveau

roi : la condition de la femme et la lutte contre la pauvreté.

La Révision du Statut personnel et Familial : La fameuse Moudawana

En Terre d’Islam, l’organisation sociale, comme la vie quotidienne des musulmans

sont régies par les prescriptions de la religion musulmane /:coran et Sunna. Les théologiens

musulmans détenteurs du pouvoir de lier et délier interprètent ces sources pour indiquer et

éclairer les musulmans sur ce qui est permis et ce qui est interdit en islam ainsi que les droits

et les devoirs des croyants.

Les Etats musulmans dans leur grand majorité ont adopté dans leur législations

respectives les règles de l’islam comme normes régissant les relations sociales .Désormais,

le Droit est d’essence divine avec pour corollaire logique l’islam religion d’état et le chef de

l’Etat est une autorité religieuse

Al instar des pays musulmans, le Maroc ne fait pas exception ; Le droit de la famille

au Maroc est inspiré par un texte de lois d’inspiration religieuse: La Moudawana dénommé

aussi, statut personnel mais avec une différence par rapport à la plupart des pays arabes, c’est

qu’au Maroc ce statut a connu une évolution notoire.

Quel est le contenu du statut de la famille ainsi que du droit de succession au Maroc?

En quoi ce dernier est-il relié à l’Islam?

Chronologiquement ce statut a connu une évolution remarquable formulée dans des

révisions intervenues successivement en 1957-1993-2004

35

1957: Elaboration du statut

Jusqu’à l’indépendance, la régulation de la famille au Maroc obéit à des coutumes qui

ne sont pas mentionnées dans la loi mais aussi aux règles de droit musulman de rite

malékite

La première élaboration d’un texte de loi pour réguler le droit de la famille au Maroc

coïncide avec l’indépendance du Maroc : Il intervient en réponse à une promesse faite

aux femmes pendant la période de protectorat en vue d’améliorer leur condition dans

un pays indépendant néanmoins, l’indépendance acquise, la Moudawana élaborée n’a

pas été au niveau des attentes mais au contraire a maintenu le statuquo en codifiant

les coutumes préexistantes et le droit Malékite. Promesse trahie, les femmes

occupant en vertu de ce texte un second plan dans tous les domaines et

notamment :

La Polygamie : L’homme peut en vertu de droit musulman codifié dans le texte de

loi se marier avec quatre femmes à la fois, à l’insu de ses premières femmes

Le divorce : L’homme peut répudier sa femme sans la consulter alors que la femme

n’a aucun droit d’obtenir le divorce si elle le souhaite

La femme est supposée mineure jusqu’à son mariage et ne peut se marier qu’avec

l’accord de son père ou de son tuteur

Elle ne peut travailler ni obtenir un titre de voyage sans l’autorisation de son mari

Le mari est le chef du foyer, sa femme lui doit obéissance. Il est le tuteur unique et

légal de ses enfants et peut déléguer cette charge à une personne de son choix même

après son décès et à l’insu de la volonté de sa femme

L’homme peut épouser une femme non musulmane mais l’inverse est interdit car le

mariage n’est pas valable entre une musulmane et un non musulman. De la même

manière, les enfants issus du mariage d’un marocain avec une étrangère sont

marocains, en revanche les enfants issus d’un mariage entre une marocaine et un

étranger ne sont pas marocains

Le droit d’héritage : se traduit par l’équation “un égale deux” puisque la fille touche

la moitié de son frère. Dans le cas où des parents décédés ne laissent que des filles

36

celles-ci partagent les biens hérités par leurs parents décédés avec tantes, cousins,

oncles, etc.

Certaines professions sont interdites aux femmes, par exemple : la profession des

Adoul est un domaine réservé à l’homme

Face aux discriminations juridiques à l’égard des femmes, des courants de la

société civile composés des mouvements féministes et des associations des droits

humains affiliées à la gauche, dénonçant les lois qui inhibent les femmes et réclament la

révision de la Moudawana en vue de redresser une injustice et établir l’égalité des sexes.

Ce mouvement va se heurter à une vive opposition conduite par les conservateurs et

notamment, les théologiens de la loi islamique et les islamistes qui défendent l’aspect sacré

des textes et valorisent l’intangibilité de la Moudouwana en soutenant que l’opposition à la

loi musulmane est une hérésie qui contredit l’Islam et accusent les partisans de l’égalité de

courants athée, manipulés par l’occident, et les ennemis de l’Islam

En somme la condition de la femme est prise en tenaille entre deux conceptions et

une perception des prescriptions contradictoires de l’islam :

Alors que les partisans du changement soutiennent que les prescriptions de l’islam

peuvent évoluer et s’adapter à notre ère moderne. En revanche pour les opposants, Les

prescriptions de l’Islam sont immuables, intangibles. C’est la modernité qu’il convient

d’islamiser et non la modernisation de l’islam.

Le Conflit perdure de nombreuses années et traverse la société civile via des réunions,

la signature de pétitions, les médias et dans les campus universitaires :

Face à l’exacerbation des débats, Le Roi Hassan II prend l’initiative de réviser la loi

musulmane en 1993.

37

1993: Revision du statut

La révision du statut de la Moudawana en tant que telle au-delà de sa substance est

une révolution parce qu’elle met fin à un tabou et à un immobilisme : celui de pouvoir

interpréter un texte considéré jusqu’alors comme étant immuable et éternel. Cette

symbolique est considérée comme une innovation et un acquis considérable.

De surplus, ladite révision ne s’inscrit pas en faux contre la religion musulmane,

elle s’en inspire au contraire, mais moyennant une interprétation novatrice.

D’emblée, le Roi Hassan II qui a annoncé cette révision en sa qualité de commandeur

des croyants, a fixé l’orientation de la nouvelle Moudawana en affirmant qu’il ne

peut interdire ce qui est permis et permettre ce qui est interdit par l’islam. Désormais,

ce qui était considéré la veille comme une hérésie est perçu comme une évolution et

un progrès

S’agissant du contenu du texte révisé, il contient plusieurs innovations prétendument

enracinée dans la religion sans toutefois, religion oblige, établir une égalité entre

hommes et femmes au sein de la famille.

Les acquis peuvent être observés à plusieurs niveaux.

LA Polygamie : sans être interdite, se voit conditionnée par l’accord de la première

épouse

Le divorce relève toujours de la décision de l’homme mais soumis à l’autorité du

juge

Une femme peut se marier sans l’accord de son tuteur légal

Suppression de l’autorisation du mari dans le contexte de l’obtention par la femme

d’un titre de voyage et l’exercice de son droit au travail.

La garde des enfants en cas de divorce : dans les anciens textes, la garde des enfants

était confiée à la mère, la grand-mère maternelle, les tantes, etc. . Le père venait en

sixième position! Dans le nouveau texte, le père vient en deuxième position après la

mère. Sur ce plan, c’est une justice rendue au père

Au-delà des acquis positifs, le nouveau texte porte des

insuffisances formulées dans de nombreux résidus des anciens textes.

38

La discrimination au niveau de l’héritage fille /garçon reste inchangée, de la même

manière, la polygamie n’est pas abolie et les femmes ne peuvent pas demander le

divorce

Comme on le constate, les auteurs de la Moudouwana se situent dans le contexte de

l’Islam mais avec une interprétation positive. Ils ne peuvent pas aller plus loin,

probablement, par anticipation au risque de l’opposition des Islamistes, mais aussi des

structures sociales archaïques

Face aux insuffisances observées, les mouvements féministes entament de nouvelles

revendications exigeant une égalité parfaite entre l’homme et la femme mais dans le

même temps, les islamistes reprennent leur opposition contre tout changement au

nom de sacro-saint droit musulman

L’aboutissement de cet enjeu fut l’organisation de deux manifestations

simultanément à Rabat rassemblant les partisans du changement du statut de la

femme qui a réuni environ 20000 personnes et l’appel à manifester à Casablanca de

mouvement islamiste qui a rassemblé environ un million de personnes.

En dépit de cette épreuve de force des islamistes, les revendications des partisans du

changement ont eu un écho favorable auprès du jeune Roi Mohammed VI qui en

2004 décide une nouvelle révision de la Moudawana. Le quotidien français le

“Figaro” titra, en première page au lendemain de cette décision, « Et Mohammed VI

créa la Femme ».

Le contenu de la nouvelle Moudouwana révisée en 2004

Dicte le statut régissant la famille au Maroc et constitue un progrès indéniable en

comparaison avec la période précédente mais aussi avec les législations familiales de

la majorité des pays arabo musulmans. Son dispositif peut être synthétisé comme

suit :

Le divorce : un droit qui appartient à l’homme et à la femme, il est prononcé par un

juge, une femme peut le demander et l’obtenir.

La reconnaissance de l’égalité de l’âge du mariage pour la femme et l’homme est

établie à 18 ans, alors qu’il était de 15 ans pour la femme et de 18 ans pour l’homme

La famille est désormais placée sous la direction commune des deux conjoints.

39

La suppression de l’obligation d’obéissance de la femme à son époux

Les époux choisissent dès le mariage entre la communauté ou la séparation des biens

acquis pendant le mariage

En cas de divorce, la femme au foyer bénéficie d’une part des biens acquis par son

époux pendant la période du mariage. Cette part serait déterminée par une décision

judiciaire

Les enfants nés du mariage d’une femme Marocaine à un étranger Musulman seront

de nationalité marocaine à la naissance.

La Moudawana à l’épreuve de la pratique

Progrès indéniable certes, mais la nouvelle Moudawana se heurte à de nombreux

obstacles s’agissant de sa mise en œuvre :

Obstacles culturels:

La culture marocaine est machiste : les hommes refusent ce statut et ne se conforment

pas aux lois ce qui montre que la nouvelle Moudawana est en avance sur la société

Certaines femmes, elles-mêmes, habituées à la servitude ne s’adaptent pas à ce statut

égalitaire: elles ont tendance à se marier et à valoriser l’homme comme chef du foyer

Obstacles sociaux:

La population marocaine est majoritairement analphabète et pauvre, la majorité des

femmes sont analphabètes et au foyer. Cette situation complique d’une part la prise de

conscience de leur condition et d’autre part, rend compliquée toute revendication de droits,

la Moudawana révisée, bénéficie à une minorité de femmes privilégiées, instruites et

économiquement indépendantes.

Obstacles juridiques

Les dispositions de la nouvelle loi laissent une large liberté d’appréciation aux juges

s’agissant de l’application. Certains juges appliquent le Droit selon leur conviction

personnelle mais peut-être lointaine par rapport à l’esprit de la loi. Il en est ainsi de

l’autorisation judiciaire de la polygamie, certains juges l’accordent facilement.

40

La Moudawana ne garantit pas l’égalité entre l’homme et la femme

L’Héritage est soumis à l’équation : 1 mâle = 2 femelles

La polygamie demeure exceptionnelle, mais peut être e autorisée par décision

judiciaire

L’exercice de la fonction d’Adoul demeure interdit aux femmes

Demeure aussi le dogme musulman forçant les filles à partager les biens hérités des

parents décédés avec les autres membres de la famille.

Conclusion: Le statut de la famille est un gain considérable malgré ses

insuffisances :

Avantages: situer le Maroc dans une perspective de modernité et de progrès.

Garantir les droits fondamentaux de l’homme à partir de la femme agressée

par la religion et la société musulmane

Ouvre la voie aux nouvelles perspectives des libertés individuelles que

formule d’ores et déjà au Maroc, bien que de façon timide, le mouvement

homosexuel qui sort de l’ombre et celui de la liberté de conscience

Il y reste encore du chemin à faire…à suivre

Exemple 2 : la lutte contre la pauvreté

Mohammed VI, le « roi des pauvres » : un effet d’annonce ?

L’image de la monarchie sociale, que fait répandre le régime, constitue pour de

nombreux analystes un simple effet d’annonce.

En effet, la précarité de la population persiste et s’aggrave. Elle se manifeste à tous

les niveaux. Le rapport de PNUD de 2009 indique que 28% de la population marocaine est

pauvre et 5,4 millions sont vulnérables ce qui ramènent la pauvreté à 28% de la population

totale. Les bidonvilles s’étendent et nombreux sont les jeunes qui prennent la route de la

migration vers l’Europe ou les pays du Maghreb. Si les indicateurs laissent penser que le

41

Maroc enregistre des réalisations positives, il reste que, non seulement la réalité limite la

portée d’un tel optimisme, mais ce sont les indicateurs sociaux, plus objectifs, qui révèlent les

enjeux majeurs qui guettent la cohésion sociale.

En effet, et en dépit de la part significative des dépenses budgétaires dédiées aux

secteurs sociaux, les indicateurs spécifiques à l’éducation, la santé et l’emploi sont, selon la

banque mondiale « décevants ». C’est ce qu’illustre l’IDH, qui accuse un retard par rapport

aux pays voisins (le 130e, 93 Algérie, 94 Tunisie : PNUD 2012). Le même constat se fait si

l’on se réfère au PIB/habitant.

Dans les faits, les progrès annoncés masquent d’importantes disparités. La période

2001/2007 a connu une réduction notable du taux de pauvreté absolue passant de 15 % à

environ 9 %, (2,7 millions de personnes). Toutefois, le taux de pauvreté en milieu rural est

trois fois plus élevé que le taux de pauvreté en milieu urbain, (14,5 % contre 4,8 %), et 70 %

des pauvres vivent en zone rurale. Les disparités entre régions se creusent, et presque toutes

comprennent des poches de pauvreté (bidonvilles).

Il faut signaler que la mesure de la pauvreté au Maroc s’appuie sur un critère de

pauvreté restrictif qui ne retient que les très pauvres en définissant un seuil de pauvreté (1

dollar par personne et par jour) très inférieur au seuil utilisé par les pays ayant un PIB

comparable. D’autre part, il faut remarquer que la période (2001/2007)11

a été précédée par

une décennie de pauvreté croissante (de 1991 à 2001) au cours de laquelle de nombreux

quasi-pauvres se sont retrouvés en situation de pauvreté.

C’est dans ce sens qu’il est important de tenir compte, dans toute analyse, de la

vulnérabilité de la population, c'est-à-dire la population vivant juste au-dessus du seuil de la

pauvreté. En effet, le niveau de consommation de 17,5 % de la population se situe juste au-

dessus de la ligne de pauvreté. En d’autres termes, un quart de la population, soit huit millions

d’individus, est dans une situation de pauvreté absolue ou est susceptible d’y tomber.

L’analyse de la pauvreté ne peut se résumer en la faiblesse du revenu, qui n’est qu’une

de ses dimension multiples. Dans les espaces où le taux de pauvreté est élevé, il est à tenir

compte de l’accès limité aux services de base (eau potable, assainissement, électricité, routes

rurales, planning familial, écoles secondaires, crédit), une exclusion sociale importante

(surtout pour les femmes et les jeunes) et une gouvernance locale insatisfaisante. La

coexistence de ces facteurs maintient les pauvres dans le cercle de la pauvreté.

11

Sur laquelle l’étude du HCP a porté.

42

Une autre caractéristique, conséquence directe de la politique économique adoptée, est

le maintien, voire le creusement, de grandes inégalités de revenu. Les inégalités au Maroc

sont élevées par rapport aux normes régionales (Indice de Gini de 0,407) et semblent

s’accroitre. Cette tendance contraste avec celles d’autres pays de la région (par exemple, la

Tunisie) dont les inégalités initialement plus élevées qu’au Maroc sont désormais bien

moindres (Banque mondiale, 2009).

Face à ces privations, la mobilisation sociale s’est accentuée exigeant des réformes

d’ampleur. Il en est ainsi des mouvements des diplômés chômeurs qui se sont installés

durablement dans la contestation. Une mobilisation sans précédent dans le monde du travail,

dans les bidonvilles et les petites villes du « Maroc inutile ».

Autant de questions qui ont été à l’origine de soulèvement des marocains dans ce qui

est convenu d’appeler le « Printemps Arabe ». Les mêmes causes produisent les mêmes effets

mais à la différence des autres pays arabes, les désamorçages opérés par la monarchie et

l’espace de liberté existant bien que limité ont fait du Maroc une exception et les dirigeants

ont su opérer une évolution pour se prémunir de la révolution.

43

LE MAROC ET LE PRINTEMPS ARABE

I. Le printemps arabe : causes et conséquences

Le printemps arabe a mis en mouvement des sociétés longtemps immobiles. Avant le

déclenchement de ces événements, il n’existait ni de régime politique type ni une société

arabe homogène mais de simple variantes hétérogènes avec un dénominateur commun : le

despotisme et les inégalités. Il faut bien constater que les réalités politiques, économiques,

sociales, culturelles, bref humaines, rendent tous ces pays du sud et de l'est de la

Méditerranée, et au-delà, extrêmement différents les uns des autres.

En effet, la physionomie des sociétés arabes est hétérogène. En conséquence, le

détonateur tunisien, où dominent les diplômés chômeurs de régions délaissées par l'Etat, n'est

pas comparable au contexte égyptien, où la jeunesse cairote nantie et éduquée a réussi à

fédérer une contestation. L’Irak où la démocratie a été établie à la pointe de la baïonnette

américaine, reste un cas singulier. Au Yémen comme en Lybie, les clivages régionalistes,

religieux et tribaux sont assurément plus prégnants que ne le sont les paradigmes de la

démocratie. Au Bahreïn, la contestation de la communauté chiite majoritaire est aussi

ancienne que l'émirat-royaume. Enfin l'Algérie, les années de guerre civile sont à coup sûr

présentes à l'esprit de tous les protagonistes.

A vrai dire, la contagion de la contestation arabe s’est nourrie de la nature des

régimes politiques arabes. Il n’existe pas, en effet, un régime politique type mais, on peut

distinguer néanmoins 3 variantes :

Des régimes traditionnels monarchiques qui reposent sur une légitimité traditionnelle

et religieuse (Maroc, Arabie Saoudite et Jordanie)

Régimes conservateurs mais républicains issus de l’armée (Egypte), de la police

(Tunisie)

Régimes qualifiés de révolutionnaires sans légitimité traditionnelle (Lybie, Syrie)

Au-delà de leur diversité, ces régimes ont pour dénominateur commun leur caractère

autocratique, non participatif et répressif. Cet état de fait a été justifié et jugé acceptable à

travers la mobilisation de deux dogmes : la modernité et la sécurité.

44

Si le label modernisateur est justifié par les théories développementalistes en vogue

dans les années 70 qui prônent que l’autoritarisme est un préalable à la modernité, celui de la

sécurité a été légitimé depuis les attentats du 11 septembre comme un impératif pour lutter

contre l’islamisme le terrorisme et les Etats voyous.

A la vérité, l’autoritarisme dans ces régions, tout comme le référentiel islamique,

traduit une pauvreté de l’idéologie. Ils visent à briser les liens sociaux et inhiber l’émergence

d’une société civile au profit du clientélisme nourri par les courtisans du pouvoir en place.

C’est dans ce contexte qu’à immergé le mouvement de dissidence dans les pays arabes qui

trouve sa marque dans le recours aux réseaux sociaux. Ce mouvement s’inscrit en faux contre

l’immobilisme .Il s’efforce de briser la rupture sociale et construire de nouveaux liens

sociaux.

Contre toute attente, la menace révolutionnaire a été une totale surprise, personne n’a

rien vu venir ni les dictateurs arabes qui ont opposé une fin de non-recevoir catégorique à ces

revendications, ni les occidentaux qui voyaient dans les régimes en place les garants de la

stabilité et le maintien du statu quo bien que les causes qui préparaient ces changements

existaient et se sont accumulés.

La précarité économique, le rôle des jeunes, les technologies de l’information mais

surtout l’humiliation, que subissent les peuples arabes, constituent autant de motifs suffisants

pour dénoncer et revendiquer une nouvelle dignité et, ce, à travers la création de nouveaux

liens, de nouvelles solidarités. En Tunisie, Bouazizi s’est immolé par le feu, non parce qu’il

était chômeur mais parce qu’il a été giflé par un policier.

Parti de la Tunisie, le mouvement va faire tâche d’huile dans tous les pays arabes

d’une part, contre les humiliations que font subir les régimes respectifs à leur peuple mais

d’autre part , contre l’humiliation que l’occident fait subir au Monde arabe dans son ensemble

relégué à l’état d’instrument de la sécurité de l’occident.

La politique arabe de l’occident permet d’avancer que le monde arabe « n’est pas là

pour être servi, mais pour servir les autres. Il est conçu pour servir la sécurité d’Israël et

celle de l’occident en cantonnant notamment les flux migratoires et les risques terroristes ».

En Egypte, Moubarak n’est pas l’artisan de paix avec Israël mais sécurise le territoire

israélien.

45

Cette humiliation est à l’origine des soulèvements sociaux. Or jusqu’ici, la révolution

s’inscrit dans un temps social, or, la réussite de cette séquence dépend de la capacité de ses

promoteurs à l’inscrire dans un temps politique, c'est-à-dire la capacité des mouvements

révolutionnaires de se constituer en partis politiques. Car comme le soutient le sociologue

Alain Touraine « si les mouvements de contestation ne viennent pas à s’institutionnaliser

dans des formes nouvelles de partis politiques, on verra le religieux se régénérer sur le plan

politique ».

Malheureusement, la période postrévolutionnaire démontre que le mouvement n’a pas

réussi ce passage du temps social au temps politique. C’est pourquoi les élections précoces

ont consacré en Tunisie comme en Egypte et en Lybie, un ordre islamique dont les

populations ne veulent pas. La véritable question réside dans la constitution dans les pays

arabes d’un contrat social qui mette en avant le vivre en commun au-delà du particularisme

culturel et religieux et créer, en conséquence, un ordre postrévolutionnaire.

Le manque de recul ne permet pas d’établir que la révolution est confisquée ou s’il

s’agit d’une période de transition, dans l’état actuel, de nombreuses incertitudes subsistent.

Tout peut arriver : démocratie, retour de l’autoritarisme ou ordre théocratique (c’est le

commencement de quelque chose dont on ne sait pas à quoi il va aller).

II. Le Maroc dans le sillage du printemps arabe

Parti sans être prévisible de la Tunisie puis de l’Egypte durant l’hiver 2010-2011, le

vent de la contestation arabe affecte le pouvoir central marocain avec quelques semaines de

décalage. Il est marqué par la naissance d’un mouvement de contestation baptisé « mouvement

du 20 février » qui inscrit ses revendications dans le prolongement des contestations de

l’ensemble du monde arabe.

Un appel à manifester a été diffusé par différents mouvements de jeunes, via le réseau

social Facebook entre autres. Ces appels n'ont pas été relayés par les partis politiques ou les

syndicats, mais bien par différentes organisations de défense des droits de l’Homme. Le Parti

pour la justice et le développement (PJD), islamo-conservateur, s'est dit non-concerné par

l'appel à la marche du 20 février. On pouvait observer dans les slogans scandés le jour de la

manifestation, de multiples mises en cause du gouvernement et, plus encore, de l'injustice

46

sociale, notamment : confusion du pouvoir et de l'argent, corruption, holdings privés, telles

étaient les cibles principales des critique qui montrent, entre autres, que le problème principal

ne résidait pas tant dans la personne du chef de l'Etat lui-même que dans la répartition des

responsabilités.

Autrement dit, la critique la plus forte porte sur ce que fait ou ne fait pas le

gouvernement et, derrière lui, les partis politiques, plutôt que sur le leadership royal. Le

régime n'est pas mis en cause en lui-même. On remarquera d'ailleurs que les revendications

sur Face book touchent plutôt à la justice sociale et que, lorsqu'elles s'étendent au domaine

politique, elles revendiquent l'avènement d'une monarchie parlementaire.

Si la gronde a chassé du pouvoir les dirigeants d’Egypte et de Tunisie, elle a

néanmoins épargné le régime marocain qui a su vite réagir en transformant ce qui risque de

devenir une révolution en une évolution. Prenant appui sur ce dénouement, certains analystes

ont soutenu l’idée de « l’exception marocaine » c'est-à-dire la façon avec laquelle le

royaume est parvenu à tirer parti des événements du printemps arabe sans sombrer dans les

tempêtes qui les ont accompagnés dans les autres pays arabes. La question essentielle est de

savoir comment et pourquoi le Maroc, à la différence des autres pays arabes, a pu contourner

l’ordre contestataire. Y a-t-il vraiment une exception marocaine ?

L’observation permet de soutenir que la situation au Maroc présente de nombreuses

similitudes avec les autres pays arabes concernant tout aussi bien les causes à l’origine des

événements que sur le plan des revendications des promoteurs du mouvement de

contestation. Celle-ci se singularise néanmoins par son ampleur, les nuances de ses exigences

ainsi que des conséquences engendrées s’agissant de l’issue des contestations.

Le mouvement du 20 Février, qui en est le symbole, est né dans le sillage du

printemps arabe. A l’instar des pays arabes, le mouvement prend appui sur la précarité

économique, la pauvreté et la nature autocratique du régime politique et agit dans le cadre

d’une coordination nationale fondée sur les réseaux sociaux et généralisés à l’ensemble du

territoire. Il se définit comme un mouvement indépendant de tous partis politiques, syndicats

et autres organisations. Ses revendications sont de nature politique et porte sur la dissolution

du gouvernement et du parlement ainsi que l’abrogation de la constitution et la création d’un

pouvoir constituant, émanant du peuple.

Face à la situation de crise, le mouvement réclame la nomination d’un gouvernement

de transition chargé d’atténuer la gravité de la crise sociale par l’augmentation des salaires,

47

l’embauche des diplômés chômeurs et l’ouverture d’un procès de tous les fonctionnaires

impliqués dans des délits contre le peuple marocain. Il demande la mise à l’écart des centres

du pouvoir, des responsables de la répression, des personnes impliquées dans le détournement

des fonds publics ainsi que certains amis du Roi qui jouent un certain rôle sur la scène

nationale. Aussi, réclament-ils l’instauration d’une monarchie parlementaire, dans laquelle le

souverain règne sans gouverner ainsi que la désacralisation de la personne du Roi.

Au-delà, cependant, de ces similitudes avec les autres régimes arabes, des différences

non moins importantes singularisent le cas marocain.

En effet, et à la différence des autres pays arabes, la forme monarchique du régime n’a

pas été contestée. Cette séquence sociale qui a abouti ailleurs à des révolutions, va être

désamorcée au Maroc en raison de l’habilité du pouvoir politique qui l’a transformée en

évolution. Telle est la différence qui a fait du Maroc une exception.

Le désamorçage de la crise est intervenu directement lorsque le Roi à travers le

discours du 9 mars 2011 décide de répondre aux revendications du mouvement du 20 février

sans le nommer. Cette politique d’anticipation des crises n’est pas récente mais le résultat

d’un processus entamé et poursuivi à travers la politique d’alternance et d’ouverture sur les

droits de l’Homme initiée par Hassan II au soir de son règne.

L’histoire politique du Maroc permet, selon certains analystes, de saisir le

contournement de l’acte contestataire par le régime Marocain. Il existe en effet selon cette

vue (mais qui n’est pas la seule), deux facteurs principaux d’explication.

L’ouverture initiée par Hassan II a modifié le champ politique.

D'un côté, le champ politique a fait, durant les années quatre-vingt-dix, l'objet d'une

ouverture aussi indéniable que limitée, qui a vu les partis de l'ancienne opposition de gauche

devenir des partis au gouvernement et des personnalité issues parfois de l'extrême gauche

occuper de hautes fonctions gouvernementales. Une véritable compétition électorale a été

mise en place, dont témoignent notamment les élections de 2007 (ce qui ne veut pas dire que

tout y soit transparent et exemplaire). En outre, la page des "années de plomb" a été tournée

avec l'instauration d'un Conseil consultatif des droits de l'homme, dès le règne d'Hassan II, et

la mise en place peu après de l'Instance équité et réconciliation. Le processus s'est prolongé

dans le domaine de la presse, où le maintien de lignes rouges (notamment la personne du roi)

48

et l'utilisation de procédés de pression indirects (l'assèchement publicitaire) n'empêchent pas

l'adoption de positions très critiques.

D’autre part, on l'observe du côté social. Le Maroc est un pays de profondes

inégalités économiques et sociales, avec des marges très largement délaissées. En se

présentant comme le "roi des pauvres" et, plus encore, en multipliant les initiatives de type

social (l'Initiative de développement humain, le Plan d'urgence pour l'enseignement supérieur,

les divers chantiers urbains et de réforme), Mohammed VI réussit à se placer au-dessus de la

mêlée.

Aussi à la différence des autres pays arabes, les marocains à la veille des événements

arabes, avaient un espace de liberté, une expérience et des acquis en matière de revendications

et de surcroit les manifestations n’ont pas été réprimées. Ces initiatives n’ont pas vu leur

équivalent en Egypte, en Tunisie et en Lybie, caractérisés par l’immobilisme étouffant de

leurs dirigeants.

Par opposition à l’hypothèse précédente, d’autres expliquent que le risque

révolutionnaire a été étouffé au Maroc. Les causes renvoient essentiellement à la nature du

régime politique marocain, se voulant de droit divin, et qui s’apparente de ce fait à une

féodalité réfractaire à tout changement. Le roi, personne sacrée, constitue dans l‘imaginaire

collectif le père, le sauveur et le descendant de la famille du prophète. Les marocains

n’auraient pas atteint, selon cette vue, le niveau de maturité politique comme en Egypte et

en Tunisie ou le pouvoir est saisissable.

En toute hypothèse et quelque que soient les raisons, le discours royal du 9 mars a

été un tournant puisque le Roi lui-même évoque la consolidation de l’Etat de droit et la

protection des libertés et droits fondamentaux, annonce le processus d’une révision

constitutionnelle via la constitutionnalisation des recommandations de l’Instance Equité et

Réconciliation (IER).

A cette fin, une commission instituée par le roi a été chargée de réviser la constitution.

Premier bémol puisque le mouvement du 20 février réclamait une assemblée constituante. La

commission procède par l’audition des associations des droits humains qui se divisent à

nouveau entre deux attitudes : la participation et la critique. Ce processus de révision qui

culmine dans un plébiscite populaire permet à l’Etat de renforcer sa légitimité et son image et

procède à la neutralisation des revendications de la société civile. Or, la nouvelle

49

constitution introduit une nouvelle dynamique mais ne semble pas répondre aux attentes de la

société civile. Elle contient des acquis eu égard au renforcement de l’état de droit mais aussi

des insuffisances.

Ces acquis renvoient aux innovations qu’elle contient et notamment : l’attachement

aux Droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus, l’égalité devant les droits

civils, l’élargissement des compétences du parlement et du gouvernement, la suppression du

caractère sacré de la personne du roi. En revanche, elle ne consacre pas une monarchie

parlementaire. Le roi, commandeur des croyants, reste omniprésent dans la vie politique, il

règne et gouverne, dirige le gouvernement, contrôle les institutions religieuses préside le

conseil des ministres et le conseil de la magistrature et peut dissoudre le Parlement.

Les élections législatives, qui ont suivi, ont été remportées à l’instar des pays arabes

par le parti islamistes. La PJD dont le chef (une première au Maroc) va être nommé par le roi

à la primature. Ce dernier va constituer un gouvernement de coalition avec trois autres partis

aux orientations idéologiques hétérogènes faut-il le rappeler.

On peut constater, à l’issue de cette évolution au Maroc à l’instar des autres pays

arabes, le mouvement du 20 février à l’origine de la dynamique créée n’a pas su transformer

la séquence sociale en séquence politique puisqu’il n’a pas pris part à la participation au

pouvoir. Comme dans les autres pays arabes, prenant appui sur la dynamique créée par les

jeunes, les islamistes, initialement hostiles aux manifestants, s’emparent du pouvoir à travers

des élections précoces.

A la différence, cependant des autres pays arabes, les islamistes au pouvoir au Maroc

ne disposent pas de marge de manœuvre suffisantes pour impulser la vie politique et la société

à leur guise Le Roi reste le maitre du jeu politique et dispose des outils constitutionnels pour

se prémunir au besoin de tout dérapage islamiste. A ce titre et en vue d’avoir la main mise sur

la vie politique, il a procédé à la nomination de nombreux conseillers au palais en vue de

contrôler les ministères à caractère politique. De plus, certains ministères sensibles appelés

curieusement « ministères de souverainetés » sont imposés par le Roi, ce qui constitue en soi

une atteinte aux prescriptions constitutionnelles.

L’expérience de la pratique du pouvoir par les islamistes permet d’établir que ces

derniers sont pris en tenaille dans une triple tension. D’abord, entre eux-mêmes et le palais

royal, ensuite à l’intérieur d’une équipe gouvernementale hétérogène et enfin entre le

gouvernement et la société civile

50

Dans ce contexte et vu que le jeu politique est contrôlé par le roi, les islamistes au

pouvoir intègrent progressivement le Makhzen et donnent l’image d’être plus royalistes que

le Roi. Ils renoncent à l’interdiction de la vente de l’alcool mais en augmentent les taxes sur

la vente, renoncent à la promesse de l’interdiction du festival international annuel de

Musique à Rabat pour cause que l’invitation d’artistes occidentaux serait une atteinte aux

mœurs de la société Marocaine. Invité d’honneur au festival, le chanteur anglais Elton John a

été vivement critiqué par le pari islamiste au pouvoir aujourd’hui à cause de son

homosexualité.

Depuis que ce parti accède aux affaires, curieusement les autorités organisent sous son égide

ledit festival.

En dehors d’un certain discours moraliste, le gouvernement dirigé par les islamistes

sous l’effet d’une crise économique adopte des mesures impopulaires comme l’augmentation

des prix du carburant, la suppression de la caisse de compensation, ou la réforme de la

retraite. L’idéologie islamiste, semble être reléguée aux oubliettes tout comme leur

programme économique qui passe inaperçu.

Demeure au centre du pouvoir, le Roi, omniprésent, qui a su avec habilité tout

changer à l’issue du mouvement du 20 février pour ne pas changer l’essentiel.

51

La coopération maroco-française au-delà des relations

diplomatiques

I. Un partenariat stratégique :

La coopération franco-marocaine est historiquement datée, elle est dictée par la

proximité et l’histoire ancienne du Maroc où les sultans étaient les interlocuteurs privilégiés

de la France.

Cette permanence historique a été rappelée avec véhémence par le président

Hollande lors de sa dernière visite d’Etat qu’il a effectuée au Maroc : « les relations entre les

deux pays vont au-delà des alternances en France et des successions au Maroc ». Il s’ensuit

que les conflits inter-partisans en France n’altèrent en rien le florilège à la fois politique et

diplomatique imprégnant les voies de l’entente mutuelle entre Rabat et Paris.

Une telle affirmation, chargée de « sens » et prononcée par le deuxième président

socialiste de la Vème République faut-il le mentionner, atteste sans équivoque de la

particularité des rapports politiques, économiques et culturels que les deux pays entretiennent

depuis des siècles.

La déclaration de Hollande dissipe un doute, celui de la réticence de la gauche

française à l’égard de la monarchie marocaine, qui au contraire, bénéficie d’un appui

incontestable des dirigeants de la droite, Chirac a été d’ailleurs qualifié par la presse française

de « Chirac le marocain »

La relation franco-marocaine peut être comparée à la relation « d’amants qui

s’aiment et se haïssent » car au-delà des vicissitudes. La France est omniprésente au Maroc et

s’identifie dans l’imaginaire collectif à l’Europe.

Quelques événements historiques, ayant posé les soubassements du partenariat franco-

marocain qualifié le plus souvent d’unique, d’indissociable et d’exemplaire, méritent d’être

rappelés avec intérêt.

Dès le 16ème

siècle, les deux pays ont conclu de nombreux accords portant, entre

autres, sur la coopération militaire et commerciale, la lutte contre la piraterie…

Au 19ème

siècle, des accords d’amitié ont tourné en faveur de Paris qui les a

instrumentalisés pour préparer l’avènement du protectorat.

52

Ainsi, le 12 mars 1912, le Maroc devient en vertu du traité de Fès un protectorat

français. Ayant déjà expérimenté les méfaits de l’occupation d’annexion en Algérie, le

Gouvernement français prend progressivement le contrôle du nouveau territoire en maintenant

les structures makhzaniennes et tribales préexistantes. .

En dépit des méfaits et des exactions des autorités protectorales, le sultan Mohamed

ben Youssef (futur Mohamed V) est venu au secours des français durant la 2ème

Guerre

mondiale en fournissant à l’armée française dans sa lutte contre le nazisme des contingents

marocains.

Depuis l’indépendance, les autorités franco-marocaines n’ont cessé d’approfondir leur

coopération. Dans cet esprit, les relations franco-marocaines apparaissent aujourd’hui comme

un partenariat élargi et stratégique. A ce titre, Hassan II déclare chaque fois qu’il reçoit des

officiels ou des journalistes français, et même durant ce qu’il qualifiait de « crises

passagères », que « les destins français et marocain resteront liés ». Depuis 1975, le Roi du

Maroc et le Chef de l’Etat français se sont rencontrés plus de 25 fois et leurs premiers

ministres respectifs se sont rendus des visites autant de fois.

Au fil des années ayant suivi l’indépendance, plusieurs traités et accords de

coopération, dans tous les domaines, ont été signés. L’accès de la gauche au pouvoir durant

les années Mitterrand a refroidi ces relations mais en dépit de tout, la profondeur des

rapports bilatéraux est restée pratiquement intacte. Quelques divergences ont certes émergé

mais elles n’ont pas dépassée le niveau déclaratoire.

Les présidents Chirac et Sarkozy, après leur élection, ont choisi le Maroc pour

effectuer leur première visite d’Etat. De la même manière, Mohammed VI, dès son

intronisation, a effectué sa première visite officielle à l’étranger en France.

Les traités conclus entre les deux capitales portent sur plusieurs domaines,

notamment : politique, économique, social et culturel. Pour se limiter aux accords les plus

récents, on peut citer les exemples suivants :

Octobre 2007 : Nicolas Sarkozy se rend au Maroc dans le cadre d’une visite officielle.

Celle-ci s’est soldée par la conclusion d’accords relatifs à la coopération nucléaire et

au partenariat commercial.

53

Janvier 2008 : Les deux pays adoptent un accord-cadre et six accords portant sur la

mise en exergue du projet d’implantation de Renault-Nissan dans la zone de Tanger-

Méditerranée.

Le 14 novembre 2008 : L’accord financier relatif au financement et à la réalisation du

projet TGV est signé à Rabat en présence du Président Nicolas Sarkozy et du Roi

Mohamed VI12

.

Les deux Etats ont convenu d’institutionnaliser leur coopération pour en assurer le

suivi et l’encadrement. C’est à ce titre qu’ont été mis sur pied plusieurs mécanismes de suivi

tels que la commission inter-gouvernementale permanente, le conseil d’orientation et du

pilotage du partenariat, des commissions mixtes bilatérales etc.…

Depuis 2010, le cadre global de la coopération a été placé sous le signe du

développement humain durable, ce qui atteste de la participation de la France à la réalisation

de la politique des Grands Chantiers. Ainsi, des crédits ont été consentis par la France pour

financer l’Initiative Nationale pour le Développement Humain lancée par Mohamed VI en

2005.

II. Les domaines de coopération :

a) Economique :

En matière de coopération commerciale, la France est simultanément le premier client

et premier fournisseur du Maroc. En 2011, le total des échanges entre les deux pays a dépassé

significativement 7,4 milliards d’euros. Aussi, 13,9% des importations du Maroc émanent de

la France et 20,3% des exportations sont acheminées vers les marchés français.

De plus, la France jouit d’une place centrale dans le domaine des investissements

directs à l’étranger en ce sens qu’en 2011, le flux d’investissements directs français (IDE) au

Maroc s’est élevé à 760 millions d’euros. Conformément à l’Office des changes marocain, le

stock d’IDE français au Maroc avoisinerait la moitié du total des IDE reçus par le Royaume.

Le Maroc dénombre d’ailleurs 750 filiales d’entreprises françaises conformément au

ministère des Finances français.

12

http://www.kronobase.org/chronologie-categorie-Relations+France-Maroc.html (consulté le 20 mai

2013).

54

Vivendi, Total, Veolia, Accor, EDF, AXA ou encore BNP Paribas, les géants français

détiennent des positions stratégiques et déterminantes dans des secteurs fondamentaux de

l’économie marocaine: les télécoms, les services bancaires, l’assurance, le tourisme, la

distribution, l’énergie. Les transports sont venus s’ajouter avec la mise en service à

Casablanca du premier tramway du pays. Pour ne citer que ce dernier investissement, fruit

d’un accord passé entre le gouvernement marocain et le géant français Alsthom et la RATP :

5,9 milliards de dirhams. La France sera aussi le constructeur du premier TGV dans le monde

arabe au Maroc.

Paris est également le premier pourvoyeur de touristes qui séjournent au Maroc. Dans

le domaine des circulations financières, ceux des Marocains Résident à l’Etranger établis en

France sont de loin les plus conséquents : 40% du total des transferts, ce qui a représenté en

2011 pas moins de 2,1 milliards d’euros. Ce volume est proportionnel à la communauté

marocaine qui y est établi puisque la France reste le pays d’accueil où séjourne la

communauté marocaine la plus importante : un tiers des Marocains établis à l’étranger y sont

installés soit 1,1 millions dont 350 000 binationaux.

b) Politique :

Sur le plan politique, la France est aussi le premier allié politique du Royaume. Les

deux pays partagent des visions communes sur des dossiers internationaux d’importance

cruciale. Pour le Maroc, le soutien français dans le contentieux saharien est incontestablement

d’extrême importance. Il s’est intensifié au fil du temps et a pu résister aux épreuves pénibles.

La présence permanente des français au Maroc si situe environ à 70 000 personnes.

c) Culturel :

Il ne serait pas inutile de rappeler que le français incarne la deuxième langue au

Maroc, juste après la langue arabe. Aussi, le réseau d’établissements scolaires français à

l’étranger au Maroc est le plus important au monde. Il comporte 28 établissements dont 23

établissements de l’agence pour le développement du français à l’étranger accueillant plus de

25 000 élèves, en grosse majorité, de nationalité marocaine.

Les étudiants marocains dans les universités françaises sont au nombre de 30 000 et

constituent le premier contingent estudiantin étranger en France.

Au plus, le réseau culturel français se compose de 9 instituts français, 5 annexes et 3

alliances françaises et compte quelques 70 000 étudiants. Du reste, dans le secteur audio-

55

visuel, la chaîne de Radio et de Télévision franco-marocaine Médi 1 SAT est soutenue par le

ministère français des affaires étrangères.

Au demeurant, c’est avec l’appui de la France que le Maroc occupe une place centrale

dans le processus euro-méditerranéen initié par la Conférence de Barcelone qui a reconnu

comme objectif la création d’une zone de libre-échange. Ce rapprochement maroco-européen

a été couronné par l’octroi par l’UE au Maroc du statut avancé constituant une situation

hybride entre la coopération et l’adhésion.

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