S&a Mars 2014 - Kimura

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D ans les montagnes de Fukushima, à moins de 30 km de la centrale, Shinzo Kimura, 46 ans, fait coulisser la porte d’une belle maison traditionnelle. Il salue rapidement les cinq personnes âgées assises autour du kotatsu et s’installe à son tour à cette table basse chauffée. Il est ici comme chez lui. « Il a fait tellement pour nous, sourit Kazuo, 77 ans. On n’a jamais cru ce que disait le gouvernement mais on fait confiance à Shinzo. » Chercheur de formation éclectique (chimie, biologie…), Shinzo Kimura, professeur associé au Laboratoire d’épidémiologie de l’université Dokkyo, s’est donné pour mission d’aider les 140 villageois de Shidamyo, dont une vingtaine a préféré évacuer par peur de la radioactivité. Il est le pont nécessaire entre des autorités administratives lointaines qui souffrent désormais d’un déficit de confiance et les habitants qui subissent un accident nucléaire. Lunettes fines et blouson en cuir, Shinzo Kimura a découvert ce bourg perdu en mai 2011 alors qu’il prenait des mesures de radioactivité dans toute la préfecture de Fukushima. Dès les premières semaines de la catastrophe, alors qu’il y avait peu de mesures officielles et que la direction prise par le panache radioactif n’avait pas été révélée, il n’a pas hésité à démissionner de son poste dans un centre de recherche dépendant du ministère de la Santé. « Ma direction ne voulait pas que je mène des études indépendantes », explique cet esprit rebelle qui avait déjà travaillé sur Tokaimura, un accident nucléaire qui a fait deux morts au Japon en 1999. De mars à mai 2011, avec le soutien d’une équipe de scientifiques, Shinzo Kimura parcourt 5000 km dans la préfecture de Fukushima, mesurant la radioactivité le long des routes grâce à un équipement d’analyse embarqué. Un travail autofinancé qui donne lieu à cinq documentaires de la télévision nationale NHK. Il s’intéresse particulièrement à la situation unique de Shidamyo. En mai 2011, selon la carte réalisée par avion par le ministère de l’Environnement, le village n’est pas considéré comme un « hot spot ». Mais en novembre de la même année, la radioactivité atteint entre 2,5 et 3 microsieverts par heure, un niveau qui ouvre droit à des indemnités gouvernementales pour les résidents qui voudraient évacuer. Comment expliquer cette contamination ? « La radioactivité n’est pas figée, explique le chercheur. L’eau ruisselle des montagnes qui ne sont pas décontaminées et emporte avec elle les feuilles et la terre. De plus, les vents et les typhons à l’automne tendent à faire augmenter les niveaux de radioactivité. » Aujourd’hui, le chercheur mène le même travail d’enquête en Ukraine, passant un tiers de son temps sur les terres irradiées par la catastrophe de Tchernobyl. Son but est d’établir un comparatif des situations, tout en aidant les populations japonaises et ukrainiennes à vivre avec la radioactivité. Au Japon, il intervient gratuitement comme consultant auprès des autorités de Shidamyo et a équipé une partie des résidents d’appareils de mesure. Il leur apprend à contrôler la radioactivité à 1 m et 10 cm du sol. Les 658 points mesurés dans les zones agricoles et devant chaque maison dessinent une carte très détaillée. « C’est la première fois au monde que des citoyens réalisent ce travail », lance-t-il aux villageois lors de la présentation de la carte en septembre 2011. « 60 % du village ont été décontaminés », calcule-t-il. Ardent promoteur de la décontamination, Shinzo Kimura n’en redoute pas moins ses effets sur l’agriculture qui doit reprendre cette année. « Les villageois ont toujours lutté pour rendre cette terre cultivable. Aujourd’hui, on enlève toute la terre fertile. C’est comme si on revenait 200 ans en arrière. » M. L. 58 - Sciences et Avenir - Mars 2014 - N° 805 NATURE Environnement Shinzo Kimura, pionnier des mesures de radioactivité citoyennes Depuis la catastrophe de Fukushima, ce chercheur indépendant conseille les habitants et leur apprend à dresser des cartes de contamination. Portrait d’un esprit rebelle. Shinzo Kimur (à gauche) conseille des ouvriers chargés de décontaminer le village de Shidamyo. GUILLAUME BRESSION/ COLLECTIF TROIS 8 POUR SCIENCES ET AVENIR

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Dans les montagnes de Fukushima, à moins de 30 km de la centrale,

Shinzo Kimura, 46 ans, fait coulisser la porte d’une belle maison traditionnelle. Il salue rapidement les cinq personnes âgées assises autour du kotatsu et s’installe à son tour à cette table basse chauffée. Il est ici comme chez lui. « Il a fait tellement pour nous, sourit Kazuo, 77 ans. On n’a jamais cru ce que disait le gouvernement mais on fait confiance à Shinzo. » Chercheur de formation éclectique (chimie, biologie…), Shinzo Kimura, professeur associé au Laboratoire d’épidémiologie de l’université Dokkyo, s’est donné pour mission d’aider les 140 villageois de Shidamyo, dont une vingtaine a préféré évacuer par peur de la radioactivité. Il est le pont nécessaire entre des autorités administratives lointaines qui souffrent désormais d’un déficit de confiance et les habitants qui subissent un accident nucléaire. Lunettes fines et blouson en cuir, Shinzo Kimura a découvert ce bourg perdu en mai 2011 alors qu’il prenait des mesures de radioactivité dans toute la préfecture de Fukushima. Dès les premières semaines de la catastrophe, alors qu’il y avait peu de mesures officielles et que la direction prise par le panache radioactif n’avait pas été révélée, il n’a pas hésité à démissionner de son poste dans un centre de recherche dépendant du ministère de la Santé. « Ma direction ne voulait pas que je mène des études indépendantes », explique cet esprit rebelle qui avait déjà travaillé sur Tokaimura, un accident nucléaire qui a fait deux morts au Japon en 1999. De mars à mai 2011, avec le soutien d’une équipe de scientifiques, Shinzo Kimura parcourt 5000 km dans la préfecture de Fukushima, mesurant la radioactivité le long des routes grâce à un équipement d’analyse embarqué. Un

travail autofinancé qui donne lieu à cinq documentaires de la télévision nationale NHK. Il s’intéresse particulièrement à la situation unique de Shidamyo. En mai 2011, selon la carte réalisée par avion par le ministère de l’Environnement, le village n’est pas considéré comme un « hot spot ». Mais en novembre de la même année, la radioactivité atteint entre 2,5 et 3 microsieverts par heure, un niveau qui ouvre droit à des indemnités gouvernementales pour les résidents qui voudraient évacuer. Comment expliquer cette contamination ? « La radioactivité n’est pas figée, explique le chercheur. L’eau ruisselle des montagnes qui ne sont pas décontaminées et emporte avec elle les feuilles et la terre. De plus, les vents et les typhons à l’automne tendent à faire augmenter les niveaux de radioactivité. » Aujourd’hui, le chercheur mène le même travail d’enquête en Ukraine, passant un tiers de son temps sur les terres irradiées par la catastrophe de Tchernobyl. Son

but est d’établir un comparatif des situations, tout en aidant les populations japonaises et ukrainiennes à vivre avec la radioactivité. Au Japon, il intervient gratuitement comme consultant auprès des autorités de Shidamyo et a équipé une partie des résidents d’appareils de mesure. Il leur apprend à contrôler la radioactivité à 1 m et 10 cm du sol. Les 658 points mesurés dans les zones agricoles et devant chaque maison dessinent une carte très détaillée. « C’est la première fois au monde que des citoyens réalisent ce travail », lance-t-il aux villageois lors de la présentation de la carte en septembre 2011. « 60 % du village ont été décontaminés », calcule-t-il. Ardent promoteur de la décontamination, Shinzo Kimura n’en redoute pas moins ses effets sur l’agriculture qui doit reprendre cette année. « Les villageois ont toujours lutté pour rendre cette terre cultivable. Aujourd’hui, on enlève toute la terre fertile. C’est comme si on revenait 200 ans en arrière. » M. L.

58-SciencesetAvenir-Mars2014-N°805

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Environnement

Shinzo Kimura, pionnier des mesures de radioactivité citoyennes

Depuis la catastrophe de Fukushima, ce chercheur indépendant conseille les habitants et leur apprend à dresser des cartes de contamination. Portrait d’un esprit rebelle.

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