Robert Linssen - L'éveil suprême

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    ROBERT LINSSEN

    L'VEILSUPRME

    BASES PRATIQUES DU CHAN, DU ZEN

    ET DE LA PENSE

    D E K R I S H N A M U R T I

    Troisime dition, revue et augmente.

    Editions ETRE LIBRE Rue P. Dedeken, 20

    1040 BRUXELLES

    CO U R R I E R D U L I V R E21, rue de Seine

    Paris VI

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    T A B L E D E S M A T I E R E S

    Pages

    Avertissement . . . . . . 8Lessentiel et Yaccessoire . . ' . . 10Le Bouddhisme Zen . . * . 20

    Les bases du Taosme . . 26Naissance du Chan et Zen * . . 30Le Zen est-il une religion? . . 36Rle de la pense dans le Zen . . . 42L Inconscient Zen . . . . . 46Qui est Bouddha ? . . * 48

    Apparente ngativit du Zen * . * 50La notion de Dieu dans le Zen . . . 53La notion de Vide dans le Zen . . 58Quest ce que le Nirvna ou Satori ? . 62Zen et vie pratique . . . . . 68Zen et Judo . . . 74

    Zen et Christianisme * . 82Zen et Krishnamurti . . . . 84Zen et Occident . . . . 88Hygine et Spiritualit * . . . 92Comment lutter contre linsomnie . . 104

    Le Yin et le Yang . . . . 108LEveil Suprme . . . . . 111La solitude suprme . . * . . 127Limportance de vivre . . . 131Textes mditer . . . * . 141Bibliographie . . * 155

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    DU MEME AUTEUR

    Penses (d. Shanti), Paris 1933*La Reconstruction de VHomm, 550 p. (1942).La Danse Art Crateur (en collaboration avec Mad.

    LEBBE)*

    Quest-ce que la spiritualit ? (1944) .La Divine Ferie (1945) .Lavenir du monde (1949) .Le Destin du X X me sicle (prface du prof. MASSON-

    OURSEL, Matre dEtudes la Sorbonne).Krishnamurti et la pense occidentale ( confrence

    donne au Grand Amphithtre de lUniversitde Genve).

    De VAmour humain Vamour divin (prfaces deJean HERBERT et du Dr Roger GODEL).

    Essais sur le Bouddhisme en gnral et sur le Zenen particulier, 3 volumes, 1954-1956 (Cercle du

    livre, Paris).Spiritualit de la Matire (prface du prof. Robert

    TOURNAIRE), d. Plante, 1966.Living*Zenf 320 p., Allen & Unwin London 1958.Le Zen, 1969 (d. Marabout-Universit).Articles sur Krishnamurti et le Zen dans la revue

    Etre Libre.Numro spcial de la revue belge Synthses consacr Krishnamurti, n 119-120, avril-mai 1956.

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    Mme revue, n 140*141, janvier-fvrier 1958 consacr au Bouddhisme Zen*

    Revue VHrtique, nov. 1953, sur Krishnamurti.Revue du Libre Examen (Universit Libre de Bru

    xelles), sur Bouddhisme et Morale Naturelle, 1958.Revue France-Asie, Saigon - Vietnam, sur Boud-

    dhisme et Science Moderne et sur le BouddhismeZen.

    Revue Albora, Buenos Aires - Argentine, sur leMatrialisme Spirituel.

    Revue The Mountain Path (South India), TiruvannaMala.

    Copyright R. LINSSEN pour tous pays 1970 y compris PU.R.S.S.

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    Il est une Vie qui est au del de la vie et de la mort que nous connaissons.

    Il est une Ralit qui est au del de Vexistence

    et de la non-existence que nous concevons. Soyons des dieux et rions de nous-mmes.

    (Enseignements des Praja-Patis.)

    Il nfest pas possible de voir juste si Von croitque mourir est un mal.

    Socrate.

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    AVERTISSEMENTLe Zen, le Taosme et la pense de Krishnamurti

    figurent parmi les f^jets. dont le dvlQppemnp offrele plus de difficults.

    Les auteurs spcialiss en la question, tels AlanWv Watts* ei Chfistrkas furiphtys nous disent quencrivant swr te Zn 't le Taosmerbus fisquoris decommettre detix rreurs extrmes. t .

    La premire consiste donner aux dveloppementsun aspect dune telle simplicit, que tous les malentendus sont possibles. Dans ce domaine, une tropgrande simplicit entrane une invitable ambiguit.

    La seconde erreur consiste prsenter les enseignements du Zen, du Taosme et de la pense krishna-rkurtienne dun faon tellenrt claire que le lecteura trop rapidement la certitudevd*;cwoiry- compris*

    Je suis toujours perplexe, lorsquaprs mes conf

    rences, ou la suite de la lecture de mes ouvrages,les auditeurs ou les lecteurs rendent hommage laclart de mes exposs.

    Trop bien dfinir cest parfois limiter et trahir !

    Lors de mes entretiens avec Krishnamurti, ce dernier a toujours insist sur Vexistence de deux sortesde comprhension : la comprhension verbale et lacomprhension profonde. La premire seffectue auniveau des mots Nous comprenons les mots qui ten-

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    tent vainement dexprimer la Ralit, mais lintgra*lit de cette dernire et son intensit cratrice nouschappent

    Ne perdons jamais de vue que le mot nest pasla chose Nous devons nous dgager de lemprisedes noms et des formes

    i : * *

    Les comparaisons, commentaires et rapprochements

    de la pense de Krishnamurti avec le Zen et leTaosme nengagent que moi-mme. Les lecteurs dsireux dapprofondir la pense de Krishnamurti trouveront dans la bibliographie, en fin de volume, laliste de ses principaux ouvrages.

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    LE SENS DE LESSENTIELET DE LACCESSOIRE

    Parce quil veut trop gagner sa vie, lhommemoderne est en train de la perdre* En voulant tropconstruire il se dtruit. En cherchant trop avidementsa scurit il aboutit linscurit* Tels sont les faits.

    Il ne pourrait en tre autrement. Les constructions delhomme moderne, ses recherches, ses acquisitionsmanquent de base relle. Elles sont vides. Elles sonnent creux .

    Une civilisation base sur la ralit absolue du moi et par consquent sur la violence car le

    moi est l origine de toutes les violences nepeut aboutir qu des dsquilibres, des conflits.Lessor inoui de la technique ne parviendra pas nous affranchir de lignorance de nous-mme. Cettemconnaissance de nous-mme et de la nature profonde des tres et des choses tend nous orientervers des comportements anormaux et inadquats.

    Il y a vingt-cinq sicles le Bouddha nous enseignaitlexistence dune loi dharmonie naturelle sexprimant dans le comportement humain : la loi duJuste Milieu. Nous en sommes de plus en plusloigns.

    Il y a trop ou trop peu. Quelque chose est toujours en excs dans le monde actuel : misre despeuples sous-dvelopps ou surabondance parmi lessocits conomiquement privilgies.

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    Nous foulons aux pieds les lois les plus lmentaires de la nature. Lhomme civilis du XXe sicle sacharne dtruire les grands quilibres naturels.

    Physiquement dabord par un rythme de vie antinaturel, un mpris des grands cycles dactivit et derepos, une alimentation empoisonne par lenvahissement progressif de la chimie et ds artifices innombrables de la technique, labsence dexercices dans lanature et les drogues.

    Psychologiquement ensuite, par lidentification une foule de valeurs artificielles et fausses. Nous sommes intoxiqus sur les plans de la matire et de lesprit.

    Un vent de folie souffle dans le domaine de lapense. Lhomme est hypnotis par lampleur de sesdcouvertes techniques : conqutes du temps, con

    qutes de lespace, cerveaux lectroniques, satellitesartificiels, fuses interplantaires ou interstellaires,etc., etc.

    On en vient considrer le dveloppement technique dun peuple comme critre essentiel de sonvolution culturelle et spirituelle.

    Fascin par la magie prestigieuse de ses conqutes spectaculaires sur le monde extrieur lhommedtourne ses regards de la vie intrieure. Il estspirituellement dracin*

    La comptition existant entre les deux sphresdinfluence qui partagent le monde aggrave encore

    le problme et fausse de plus en plus loptique sereineque nous devrions avoir de ces choses. Laccessoireest devenu lessentiel. Nous sommes en pleine foire,en plein pugilat. Et lhomme sans se connatre

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    devient une caricature, un robot ou pire encore :un apprenti sorcier dont les pouvoirs deviennentchaque jour plus redoutables.

    Une disparit norme existe entre rvolutionintellectuelle et technique dune part, et lvolutionmorale, psychologique et spirituelle dautre part. Etchaque jour le gouffre sapprofondit.

    Nous perdons trop souvent de vue que nous faisons partie de ce monde.

    Nous sommes tous responsables de son tat actuel.Consciemment ou inconsciemment nous lavons tousvoulu. Nous lavons tous construit et y collaboronstous les jours. Nous en avons t consciemment ouinconsciemment les complices. Et nous le resteronsaussi longtemps que nous poursuivrons les rves

    insenss de notre gosme, de nos avidits, cest--dire aussi longtemps que nous ne nous connatronspas profondment.

    En utilisant les pouvoirs normes de la pensesans nous connatre nous-mmes nous commettonsune fatale imprudence.

    La pratique de lart de voir dans la soi-nature tel quil est dfini dans le Chan, le Bouddhisme Zenou dans luvre de Krishnamurti nous permettraitde raliser une mtamorphose fondamentale desvaleurs qui prsident la civilisation du mondeactuel. Nous nous transformerions instantanment

    en auxiliaire de la Nature profonde des choses. Unetransfiguration considrable des aspects psychologiques et matriels de lexistence en rsulterait.

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    Il nous est possible dtre les artisans dune renouvelle o la toute-puissance de lAmour vritablesera linspiratrice de la Loi et o lIntelligence Pureconfrera le discernement des valeurs essentielles.

    Ainsi que lexprimait Lao-Tzu dans une penseadmirable qui fait figure dtonnante prophtie :

    Avec la droiture on gouverne un royaume, avec du gnie on fait la guerre... Mais lEmpire (du Rel) on le gagne grce au Non-Agir... Comment

    sais-je quil en est ainsi ?.. . Par cela : plus il y a de rglements et de prohibitions... plus le peuple sap- pauvrit... plus le peuple est habile et ingnieux plus ont voit surgir des inventions inutiles... ; plus le flot des rglements et des lois monte, plus il y a de malfaiteurs et de bandits...

    Nous avons diverses reprises insist sur le faitque ce Non-Agir du Taosme ne doit pas treinterprt comme une passivit ngative rsultant dequelque morbidit psychologique.

    Dans loptique du Bouddhisme Zen et du Taosme,le Non-Agir dsigne la cessation des agitations

    superficielles et dsordonnes du moi goste.Lhomme qui ne se connat pas est prisonnier de sesavidits, de ses peurs conscientes ou inconscientes.Ses actes ne sont que des ractions incompltes entirement conditionnes par linstinct de conservationdu moi .

    Tout homme qui se connat profondment selibre de lemprise des forces dinerties impliquesdans linstinct de conservation du moi . Dans ce

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    cas, la passivit nest pas ngative. Elle est cratrice.Elle naboutit pas linaction mais rvle au contraire le principe mme de toute action, de touttravail vritable dans lUnivers.

    Inutile de dire que nous en sommes bien loigns.Mais cette distance est nos yeux une raison deplus pour insister.

    Nous ne croyons pas au hasard. Toute cause produit un effet. Nos actes, nos penses, nos motionssont autant de causes qui engendrent des effets.

    Ceux-ci se traduisent lchelle individuelle etcollective par des faits. Il existe un langage des faits.Quoiquil soit trs loquent peu prs personne nelcoute. Peut-tre deviendra-t-il plus brutal.

    Et dj lhumanit sachemine grands pas vers

    la voie fatale de son auto-destruction, de plus enplus menace par les consquences de ses inventions inutiles .

    Nous voyons ici le mouvement de recul delintellectuel et du technicien devant ces mots insolents et prophtiques de Lao-Tzu : les inventions

    inutiles ...Est-ce vraiment un sacrilge que de qualifier

    dinutiles les fissions nuclaires dont les rsidusaccumuls empoisonnent latmosphre, la terre etleau des ocans et sment partout la maladie et lamort ?

    Partout dans la Nature les rsidus des tres vivantssont utiliss et sintgrent dans des cycles biologiquessimples ou complexes.

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    Les dchets des piles atomiques, des explosionsnuclaires par fission sont non seulement inutilisables mais ils constituent un danger permanent pourtoute la vie sur la plante. Les tentatives rcentesdutilisation sont trs fragmentaires et ne changentnullement la face du problme.

    Par cette mise en vidence de linutile nousvoulons surtout signaler ici la gravit dune dformation gnralise de lesprit de lhomme moderne.Il sagit dune dgradation du sens des valeurs.

    Nous avons perdu le sens de lessentiel et de laccessoire. Nous sommes remplis dides toutes faitessur ce qui serait utile et indispensable.

    La civilisation technicienne nous plonge dans uneabondance dobjets auxquels nous nous associons

    inconsciemment.Nous nayons qu tourner le bouton de la radio

    pour entendre un peu de musique. Mais de moinsen moins nous excutons et nous composons. Unsentiment denmii se prsente-t-il nous 1 Nousouvrons la tlvision. La pense dun examen attentifdes causes de notre ennui ne nous effleurera mmepas. Ainsi nous tendons devenir passifs dans lemauvais sens. Les progrs techniques tendent flatter la loi dinertie de notre esprit. Nous sombronsdans la paresse des automatismes faciles.

    Au surplus, nous ne faisons plus rien fond. Nosperceptions sont de plus en plus superficielles. Deplus en plus nous ne vivons quau niveau des motset des images. Nous fuyons le silence et la solitude.

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    Nous nous vadons chaque jour davantage etchaque invention nouvelle nous apporte une possibilit plus grande de mieux nous mentir nous*mmes, de mieux nous fuir, en un mot : de mieux

    nous dtruire.Ainsi lhomme moderne sest cr mille besoins

    artificiels qui loin de lui apporter le bonheur, setransforment en vritable maldiction.

    Nous sommes arrivs lultime tat daberration

    o des intellectuels osent prendre la complexit desbesoins dun homme comme critre de sa supriorit.Telle est la thse de certains professeurs de psychologie enseignant dans les universits. Sappuyant surles travaux de Murray et les classifications de Shel-don ils nhsitent pas discrditer le dtachementbouddhique en le classant parmi les cas de morbidit

    relevant de la pathologie des tempraments viscro*tiniques (catexion du Nirvana, etc.).

    Murray prend la notion de tension psychologique inhrente aux besoins, comme critre de lasupriorit humaine. Il oppose cette notion, cellede labsence de besoin ou de dtachement quil

    classe parmi les complexes morbides de lataraxie.Ce fait est symptomatique. Il caractrise une po

    que et nous montre quel point sest dveloppela dgradation du sens des valeurs.

    Celui-ci ne pourra se rtablir sans une mtamorphose complte de nos modes de penser habituels.

    Mais entretemps le langage des faits devient deplus en plus brutal et menaant. Les revues mdi

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    cales dAmrique et dAllemagne lancent de grandscris dalarme. Lhomme soi-disant suprieur nestplus quun pauvre esclave cras sous le poids deses besoins innombrables.

    Compltement dracin dans limmense tourbillondes agitations de la vie moderne il nest plus quunetriste pave. Les faits sont l : les hommes daffairesactifs dAmrique et dAllemagne sont finis quarante-cinq ans. Des statistiques rcentes nousmontrent leffarante mortalit des chefs dentreprise :

    puisements nerveux, arrts du cur, vieillissementprcoce, etc. Et pour le reste du monde un envahissement des cas de cancer. Lorigine de ces troublesest surtout psychique (tats anxieux, impatiences,refoulements, craintes, malveillances). Une vigilancedesprit exceptionnelle est ncessaire pour ne pastomber dans les piges de lidentification tout endveloppant une activit intense.

    Mettons nous quelques instants la place dun homme daffaires actif, lesprit dit raliste .Une journe dactivit se traduit par quelques dizaines de coups de tlphone, quelques dizaines de

    rendez-vous minuts, un grand nombre de lettres crire, lnergie persuasive ncessaire lenrichissement des carnets de commande, les calculs en vuedchapper aux manuvres invitables de la concurrence, et lorsque tout est termin, linvitable soucides crances douteuses, les complexits inextricablesde la fiscalit.

    En un mot, une inscurit dont lampleur est la mesure des responsabilits que de propos dlibr

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    nous avons dcid dassumer assez paradoxalementpour nous assurer la scurit.

    Car bien entendu, aux soucis daffaires quotidiens

    que nous venons dnumrer sajoutent vraisemblablement un nombre gal sinon suprieur de soucisdun autre ordre : vie familiale, vie sentimentale,vie intrieure et de plus en plus, les soucis de sant.

    Chacun comprendra immdiatement limmenseprivilge dun homme qui tout en vivant un rythme

    de vie intense pourrait tre libre de lidentificationet de lattachement aux diverses circonstances.

    Cette facult dtre dans le monde pleinementveill, tout en tant libre de lidentification avectous les lments qui constituent la vie moderne nousest donne par la pratique du Zen et de la pense

    de Krishnamurti.Ceux-ci nous permettent dtre intrieurementdtendus au milieu de lactivit extrieure. Ils nousorientent galement vers une simplification invitable des besoins par le discernement de lessentiel etde laccessoire.

    Faute de sinspirer de ce discernement fondamental lhomme sengage grands pas dans la voie deson auto-destruction.

    Le progrs technique stendra invitablement tous les peuples de la plante. Partout le rythmesintensifiera en brisant les normes de la Nature,

    quil sagisse de lAmrique, de lAllemagne, duJapon ou dici, quelques dcades de la Chine et desIndes. Le problme de lacclration des rythmes de

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    l'existence sera trs prochainement un problmevritablement mondiaL Dautres races, plus jeunes,sengagent peine dans la voie prise depuis un demi-sicle par les civilisations techniciennes de lOcci

    dent. La ralisation dune dtente intrieure danslactivit extrieure constitue un des problmes cruciaux de ce vingtime sicle.

    Le monde est la recherche de nouvelles valeurs.

    Le langage des faits nous montre lurgente ncessit de repenser les valeurs ayant prsid notrecivilisation en pleine dcadence.

    Parmi les religions et les philosophies antiquesnous nen avons trouv aucune qui nous fournissentles bases dune civilisation nouvelle dgage delillusion de lgosme, de la violence, du dogmatisme des rites et de lautorit spirituelle. Seuls, peut-

    tre, le Bouddhisme Chan, le Zen et Krishnamurti,nous donnent ces bases. Mais il ne sagit pas l, dereligions ou de doctrines au sens o nous lentendonsgnralement.

    Il nentre pas dans nos intentions de vouloir convertir les occidentaux au Bouddhisme. Mais nous

    avons la certitude quune tude attentive des diffrents lments quil contient, complte par les enseignements de Krishnamurti, nous rvlera des valeurscapables dengendrer la civilisation nouvelle dont lesvnements nous commandent la ralisation.

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    CHAPITRE I

    LE BOUDDHISME ZEN

    Origine du Bouddhisme.

    Les spcialistes du Bouddhisme en Extrme-Orientcontestent le bien-fond dune notion gnralementadmise en Occident : la notion de fondateur de religion* Il nexiste pas de fondateur de religion critle professeur D.T. Suzuki (voir essais sur le Bouddhisme Zen, vol. I, p. 55) : L e Bouddhisme n est pas sorti tout arm du cerveau du Bouddha comme

    Pallas Athne du cerveau de Zeus. Dans la mesure o le Bouddhisme est une reli-

    gion vivante et non pas une momie historique bourre de matriaux morts et dnus dutilit, il doit tre capable dabsorber et dassimiler tout ce qui vient en aide sa croissance. C est ce quil

    y a de plus naturel pour nimporte quel organisme dou de vie. .

    Le Bouddha na jamais eu lintention de fonderune religion organise.

    Un Eveill authentique noserait prendre sur lui

    la responsabilit driger en systme dogmatique unevrit dont il nonce les caractristiques essentiellesde Libert et de spontanit.

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    La religion organise se forme la suite de lacodification des enseignements de PEveill par lessuccesseurs de celui-ci. La peur et le culte de Vautorit sont les facteurs dominants de la dification du

    matre. Peu peu, celui qui ntait quun hommeparfaitement naturel devient un dieu. Le processusde dification du matre samplifie au cours des ges,Pimportance que saccordent les disciples tant lamesure de celle du matre.

    Les formes volues du Bouddhisme et plus sp

    cialement le Zen ont ragi contre ces tendances nonconformes la sagesse naturelle du Juste Milieu nonce par le Bouddha.

    Le Bouddhisme parmi les religions chinoises.

    La religion du peuple chinois rsulte dun syncrtisme de provenance complexe dont la formationsest amorce principalement sous la dynastie desTang (618-907). Certains lments de ce syncrtisme remontent des priodes infiniment pluslointaines.

    Au Confucianisme et au Taosme dj intimementlis au Bouddhisme sajoutrent des religions et descroyances trangres totalement inconnues jusqualorsen Extrme-Orient, telles lIslamisme, le Mazdisme,le Manichisme et le Nestorianisme

    Dans cet ensemble complexe la doctrine de Boud

    dha occupe nanmoins une place prpondrante.Une affinit profonde existe entre le Bouddhisme etla psychologie du peuple chinois. Un terrain propice

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    son dveloppement avait t prpar par Lao-Tzuet son successeur Tchoang-Tzu.

    Il semble de plus en plus vident que Tao-An,^

    Cheng-Chao, Bodhidharma (480-528), ces vritablesgants de la rvolution spirituelle du Bouddhismechinois, doivent tre considrs responsables de lessor extraordinaire de toute la pense dExtrme-Orient par le rayonnement important quils donnrent au Bouddhisme Chan (le Zen actuel) dont ilssont les fondateurs.

    Sans eux, le Bouddhisme naurait jamais connu larenaissance spirituelle profonde qui se manifesta danstoute la Chine et stendit ensuite au Japon.

    Antcdents du Bouddhisme Zen :

    Nous employons le terme Zen quoiquil soitspcifiquement japonais.

    Il est le signe conventionnel, partout reconnu,sous lequel les spcialistes dsignent le Bouddhisme

    Chan fond en Chine au VIme sicle aprs J.-C. Leterme Chan correspond au Dhyana sanscrit gnralement traduit par Mditation . La significationvritable de Dhyana et par consquent de Chanet Zen est la fois infiniment plus vaste et profonde.Pour Hui-Neng Dhyana signifie dtachement oufonctionnement parfait de la pense dtache .

    Mditation et dtachement sont insparables. Ledtachement na pas seulement pour objet les lments du monde extrieur. Il englobe les deux ples

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    de la dualit du sujet et de lobjet et sappliqueautant aux lments matriels du monde extrieurquaux constructions ou identifications mentales dumonde intrieur.

    La priode pure du Zen se situe entre les VImeet XIV me sicles de lhistoire chinoise. L unanimitnest pas acquise quant la perptuation de cettepuret dans les coles japonaises actuelles.

    Le Zen doit tre considr principalement commeune synthse des lments les plus purs du Bouddhisme Mahayaniste du Taosme et du Confucianisme.

    Les auteurs spcialiss en la matire, et notamment D.T. Suzuki, N. Senzaki, S. Ogata, Alan Wattset Chr. Humphreys considrent le Zen comme lesommet du Bouddhisme, ayant retrouv assez paradoxalement, la puret et la profondeur des premiersenseignements du Bouddha, mille ans aprs la mortde celui-ci.

    Gautama Siddharta, prince du Npal (le Boud

    dha) naquit aux Indes dans la ville de Kapilavastuvers lan 560 av. J.-C. Renonant la couronne et la gloire il se consacra la recherche de la Vrit.

    Du par les brahmanes, les lettrs et les pratiquesrituelles, il rechercha la cl des grands mystres delexistence, les causes de la douleur, de la vie et de la

    mort, en lui-mme et par lui-mme. Ayant atteint lebut de sa recherche lors de son Eveil ou Illumination il fut surnomm le Bouddha (lEveill).

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    Parcourant toute lInde il prcha la doctrine durantun demi-sicle.

    Aprs avoir favoris lpanouissement dune descivilisations les plus belles de lhistoire sous lEmpereur Aoka (236-274 avant J.C.) le Bouddhismedclina rapidement aux Indes.

    Deux moines indiens, Matanga et Bhorana lintroduisirent en Chine dans la ville de Loyang verslan 65 aprs J.C.

    Le Bouddhisme tait alors divis en deux grandescoles : le Hinayana ou Petit Vhicule (AncienneEcole de Sagesse) et le Mahayana (Grand Vhicule)ou Nouvelle Ecole de Sagesse, apparut vers le IIe sicle av. J.-C.

    Parmi les diffrences essentielles des deux colesnous signalerons que :

    1) dans lEcole du Petit Vhicule ou Hinayana(base sur les textes Pli), le Nirvna (ou lexprience dillumination spirituelle) ne peut treralis quen dehors du Samsra (monde mani-fest-roue des morts et naissances successives) ;

    2) selon lEcole du Grand Vhicule ou Mahayana,le Nirvna et le Samsra sont les faces apparemment opposes mais complmentaires dune seuleet mme Ralit. Il ny a pas dopposition ni desparation entre lesprit et la matire. Nirvna est Samsra et rciproquement (1)*

    1) Les Ecoles du Petit Vhicule sont gnralement

    attaches aux textes et rituels. Elles enseignent sou-

    Cl) Voir Le Bouddhisme, par A. David-Neel.

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    vent que le Nirvna nest pas accessible durant lavie physique.

    2) Les Ecoles du Grand Vhicule et surtout le

    Zen tendent se dgager de lemprise des textes etdes rites. Elles conseillent une participation active la vie tout en insistant sur la libert^ la non-identifi-cation et le dtachement vis--vis des apparencesmatrielles. Ds linstant o le Nirvna est atteint,le Bouddhiste du Mahayana dsire en faire bnficierla socit.

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    CHAPITRE IILES BASES DU TAOISME

    Ltude du Tao est indispensable la comprhension du mysticisme chinois et du Zen. Ce dernier

    sest profondment imprgn des lments les pluspurs du taosme.

    Lao-Tzu, fondateur du Taosme vcut au Vme sicle av. J.-C. On lui attribue le Tao-Te-Ching ,recueil daphorismes exposant les principes du Tao.

    Signalons ici que les philosophes chinois assignent au Taosme et au Confucianisme une origineantrieure celle gnralement admise par les Occidentaux. Les uvres de Lao-Tzu et de Confucius(Kong-Fu-Tzu) seraient laboutissement dun ouvragefondamental ; le I Ching ou Livre des Changements . Le I Ching datant denviron 3000 1200 av. J.-C. est considr comme llment centralde toute la pense, la culture et la psychologie chinoise. Les Occidentaux lont considr avec quelqueddain comme un simple livre de divination . Le I Ching consiste en un ensemble de reprsentations symboliques bases sur les dispositions varies

    de soixante-quatre figures composes chacune de sixlignes. Ces lignes sont de deux espces : ngatives,lorsquelles sont divises ; positives lorsquelles sontcontinues. Les Chinois enseignent que ces hexagram-

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    mes ont eu pour origine dinspiration les diffrentescraquelures apparaissant sur une carapace de tortuelorsquelle est chauffe.

    Encore faut-il dire que pour le Chinois, ltudedes diffrents symboles en question nest videmment quun prtexte en vue dobtenir la librationdes contenus de linconscient et darriver certainstats de perception intuitive. Il ny a pas lieu dediscrditer systmatiquement ces pratiques anciennes.

    Les psychanalystes modernes procdent de mmelors de lutilisation de tests de Rorschach, au coursdesquels les conditionnements psychologiques dunpatient sont diagnostiqus en fonction des imagesqui se prsentent spontanment son esprit la vuedes formes irrgulires dune simple tache dencre.

    Ainsi que lexprime lminent orientaliste AlanW. Watts : Il semble que si les origines profondes du Taosme doivent tre recherches dans le I Ching , ce nest pas tant dans les textes mmede louvrage quelles se situent mais surtout danslattitude desprit particulire avec laquelle il taitapproch ( 2 ).

    Cette attitude desprit est lune des bases essentielles du Taosme offrant dailleurs une similitudeprofonde avec le Bouddhisme. Cest la spontanit,lexercice dune intuition pure sexprimant sans aucune interfrence mentale. Tel est le premier prin

    cipe du Taosme.

    (2) The Way of Zen, by Alan W. Watts, p. 15 (Thames &Hudson, ed. Londen).

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    Lao Tzu dclarait en effet que le principe duTao est la spontanit . Notre comportement quotidien doit sen inspirer compltement. Nous pourrons ainsi nous intgrer lActe Pur du Rel dontlUnivers est lexpression toujours renouvele.

    LUnivers ne rsulte pas de lexcution dun planprdtermin. Loin dtre une absence dintelligenceou une incohrence, cette non-dtermination, cettespontanit et cette libert sont lexpression dune

    des plus hautes formes de lintelligence.Le second principe du Taosme nous donnant la

    cl essentielle du mysticisme chinois est celle du Wei-Wu-Wei . Ce second principe est li au premier. Wei signifie agir, Wu est ngatif ouprivatif, le second Wei signifie faire . Ceci

    nous donne agir sans faire et nous semble deprime abord absurde.

    Le premier Wei dsigne en ralit laction parexcellence : laction du Tao ou Principe suprme.Le Wu-Wei correspondant au sans faire sapplique la passivit du moi . Il voque la nces

    sit dune pause et dun silence parmi les agitationsdu moi . Ceci correspond dailleurs trangement ce quun penseur indien moderne, Krishnamurti,dsigne par la passivit cratrice .

    Luvre krishnamurtienne est dailleurs la seulequi ait une similitude parfaite avec les enseignementsdu Tao et du Zen, Krishnamurti stant totalementaffranchi de ce que nous appellerons la psychologieindo-europenne .

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    La passivit cratrice du Tao nest pas ngative. Lao Tzu la prcis trs clairement dans leTao Te Ching : Quoique le Tao nait aucun but,il ne laisse rien inachev et lhomme du Tao,

    dgag de lemprise des actions ( but personnel)permet lempire (du Rel) dtre Sa propre loien lui ( 3 ). *

    (3) The sayings of Lao Tseu, trad. Giles.

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    CHAPITRE III

    NAISSANCE DU CHAN

    Les origines du Chan se situent vers le dbut duIVe sicle ap. J*-C., avec Tao-An, Cheng-Chao etTao-Sheng. Cest aprs eux que, vers lan 520 ap.J.-C., un moine indien nomm Bodhidharma (480-528) se rendit en Chine. Il esprait y trouver descommunauts bouddhistes fidles lesprit profonddes enseignements de Bouddha.

    Une chose importait avant toute autre pour Bodhidharma : la ralisation effective de ltat dEveil ou Bouddhit . Aux yeux du matre indien le bouddhisme tait un tat de religion vivante impliquantune libration de lesprit lgard des rites, des critures, des spculations intellectuelles.

    Lorsquil prit contact avec les milieux bouddhistesde Chine, Bodhidharma prouva une amre dception. Il ne trouva parmi eux que des lettrs, desrudits nayant aucune exprience spirituelle authentique. Aucun deux navait ralis une approchemme modeste de ltat Non-Mental dont leslments se trouvaient pourtant admirablement dfi

    nis dans le Lankavatara Stra (o se trouve exposela doctrine de la force dinertie des habitudes mentales) et, dans le Vajracchedika Stra (o se trouvent dfinis les processus de la conscience cosmique

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    Non-Mentale et la Doctrine du Diamant de lEclairEtemel).

    Bodhidharma entreprit alors une vritable croisade

    contre ltat de lthargie spirituelle dans lequel setrouvaient les chefs bouddhistes. Il discuta de laquestion avec ces derniers en prsence de lEmpereurWu mais se heurta une incomprhension totale. Ilse retira ensuite au Temple de Shorinji dans le Nordde la Chine durant neuf annes.

    Dsormais enrichi dune illumination intrieuredfinitive Bodhidharma reprit alors sa campagne enfaveur dune renaissance du Bouddhisme vivant.

    Il dfinit alors le Chan comme :

    Une transmission orale en dehors des critures.

    Aucune dpendance l gard des mots et deslettres.

    Une recherche directe vers lessence de lhomme. Voir dans sa propre nature et atteindre lEveil

    parfait (Bouddhit).

    La place nous manque videmment pour donnerun aperu historique complet du Zen. Signalonscependant quavec Bodhidharma le Bouddhismeconnut une des priodes les plus brillantes de son

    histoire depuis la mort de Bouddha. Toute une lignede patriarches illustres succda Bodhidharma parmilesquels nous mentionnerons Houe-ko (593), Tsen-T sang (6 06) auteur dun pome immortel : le Hsin-

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    Hsin-Ming, Tao-Shin (580-651), Hung-Jen ou Cinquime Patriarche (601-675), Hui-Neng (638-712)le Sixime Patriarche connu au Japon sous le nom

    de Wei-Lang ou Daikan-Eno).Les spcialistes du Chan et du Zen considrent

    actuellement Shen-Hui, successeur de Hui-Neng,comme lEveill ayant donn au monde lenseignement le plus dpouill. Cest plus tard que Shen-Huia t dsign comme Septime Patriarche du Chan.

    Les uvres de Hui-Neng sont considres au mmetitre que celles du Bouddha comme des Stras. Lafaon originale dont Hui-Neng se fit connatre situelun des climats spcifiques de la pense Zen.

    Le Cinquime Patriarche Hung-Jen avait reconnuen Hui-Neng un homme ayant parfaitement ralisla Bouddhit. Il souhaitait secrtement que Hui-Neng puisse devenir son successeur. Mais une normedifficult restait rsoudre (4 )* Hui-Neng ntaitquun simple laque, illettr, dpourvu drudition.Hung-Jen, le Cinquime Patriarche tait le chef spi

    rituel dun vaste monastre o vivaient cinq centsmoines lettrs, dont beaucoup taient imbus de laprtendvie supriorit confre par toute rudition.Certains dentre eux convoitaient la succession duCinquime Patriarche. Hung-Jen, parfaitement conscient des donnes du problme, suggra Hui-Nengde se prsenter au monastre comme simple lac cher-

    (4 ) La version prsente ici est emprunte louvrage dAlanW. Watts.

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    chant du travail Il pourrait trier et broyer le rizdestin aux moines dans les greniers du monastre.Cest ce quil fit immdiatement.

    A ce moment, le Cinquime Patriarche annonasolennellement aux cinq cents moines vivant sous sadirection quil dsirait nommer son successeur.

    Quiconque lui prsenterait une stance ou unpome exprimant parfaitement lesprit du Zen seraitinstantanment dsign comme Sixime Patriarche.

    Le moine Jin-Shu, le plus savant de la congrgation composa les vers suivants :

    Ce corps est VArbre de BodhiEt Vesprit est comparable un miroir clair pos sur

    [un support

    Balayons-le constammentEt ne laissons aucune poussire saccumuler sur lui.

    Cette stance ne fut toutefois pas approuve parHung-Jen. Le Cinquime Patriarche estimait quellenexprimait pas un tat dillumination vritable. Ausurplus, cette image avait t employe par Chuang-

    Tzu, le principal successeur de Lao-Tzu, fort longtemps avant le moine Jin-Shu.

    Tandis que tous les moines du monastre discutaient entre eux du refus des vers composs par Jin-Shu, Hui-Neng demanda lun deux de lui montrerlinscription se trouvant sur le mur du grand hall

    du monastre.Etant illettr il ne parvint pas la dchiffrer et

    pria un moine de la lui lire.

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    Aprs avoir cout attentivement le pome de Jin-Shu, Hui-Neng pria un moine de laccompagnerdurant la nuit et lui dicta les vers suivants :

    La Sagesse ne connat aucun arbre qui puisse crotreEt le miroir ne repose sur aucun supportDepuis le commencement rien nexisteO, la poussire pourrait-elle saccumuler ?

    Ds le lendemain, les moines stupfaits se grouprent aprs avoir pris connaissance de linscription

    de Hui-Neng. Certains la jugrent insolente*Cependant, la nuit suivante, le Cinquime Patriar

    che remit Hui-Neng la robe et le bol de Bodhid*harma. Ceux-ci taient considrs comme les symboles de la transmission spirituelle dont le SiximePatriarche devait tre porteur. Hui-Neng quitta lemonastre durant la nuit, dans le plus grand secret*Il entreprit ensuite de nombreux voyages au coursdesquels il parvint donner au Zen la plnitude deson rayonnement.

    Lpoque glorieuse du Bouddhisme Chan chinoisse situe entres les VIme et XV Ime sicles durant lespriodes Tang, Sung, Yuan et Ming de lhistoirechinoise. La phase la plus pure se situe surtout autemps de la dynastie Tang.

    Remarquons ici que le plein panouissement duBouddhisme en Chine aprs son dclin aux Indes

    pourrait galement sexpliquer par le fait que sonfondateur, Gautama le Bouddha ntait pas spcifiquement Indien. Les origines mongoles de la dynastiedes Cakyas ne font actuellement plus aucun doute*

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    Le Dr Andr Migeot a dvelopp ce point de vuedans son livre rcent sur Le Bouddha Il infirmela prise de position de lcrivain Evola, auteur de la Doctrine de lEveil .

    C est au X IIme sicle que le Bouddhisme Chanpntra au Japon durant la priode Kamakura delhistoire japonaise. Des infiltrations eurent dj lieu

    par la Core entre les VT116 et XIme sicles. Ds lorsil porta le nom de Zen. Le Zen japonais est divisen de nombreuses coles dont les principales sont :

    1 ) La secte Rinza ; 2 ) la secte Soto ; 3 ) la secteUmmon ; 4) la secte Igyo ; 5) la secte Hogen.

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    CHAPITRE IVLE ZEN EST-IL UNE RELIGION?

    A la question de savoir ce quest le Zen, le professeur Sohaku Ogata rpondait : Le Zen cest la

    vie elle-mme . Les spculations mtaphysiques luisont trangres. Il se dfend mme dtre un systmephilosophique. Nous pourrions le dfinir comme unetechnique daction adquate, harmonieuse, clairepar un veil total de la conscience dans linstant prsent. Encore faut-il dire que les matres Zen sourient

    la vue de nos tentatives de dfinition et de miseen catgories. La Vie ne se dfinit pas ! Le Zen nestpas une religion si nous accordons ce terme lasignification donne par le Larousse, savoir lensemble des obligations dans lesquelles se trouvent lesfidles, de tmoigner un culte la divinit .

    Le sens dobligation, de coercition, les cultes telsque nous les concevons en Occident sont totalementtrangers au Zen pur . La notion de divinit nous le verrons ultrieurement doit tre approche avec de grandes rserves si nous voulons viterdes malentendus.

    Si par religion, nous entendons ltablissementdun lien vivant entre la Ralit Suprme de lUnivers et nous-mme, le Zen peut tre une religion.

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    Mais encore faut-il dire que cette Ralit Suprmeest dpouille de tout anthropomorphisme, quelleest notre tre vrai et ltre vrai de toutes choses.Peut-on ds lors parler dun lien ? Lide de lien pose priori lexistence dune sparation entre deuxlments distincts tandis que le Zen insiste sur lecaractre rigoureusement moniste de lintgration. Nous sommes la Ralit nous enseigne le Zen etpour cette raison nous ne pouvons la dcouvrir quennous-mmes et par nous-mmes, sans intermdiaire,

    sans dogme, sans rite, sans autorit spirituelle.Comme le Chan le Zen est la religion de lEveil.Il est lultime aboutissement des admirables parolesdu Bouddha : La vigilance et la lucidit sont lesvoies de Vimmortalit... Les vigilants ne meurentpas... La ngligence est la voie de la mort. Les ngligents sont dj comme sils taient morts.

    Le Zen nous suggre donc de nous affranchir deltat de ngligence gnralise dans lequel nous noustrouvons. Cette ngligence rsulte de labus dunefacult difie par loccidental : lintellect.

    LEveil du Zen est un tat de conscience permet

    tant un comportement parfaitement adquat.L adquacit parfaite ou Action Juste rsulte

    de la pratique de la Vue Juste . Cette dernireest un des lments fondamentaux du Bouddhismeen gnral et du Zen en particulier.

    La Vue Juste consiste voir directement sans interfrence mentale la Ralit profonde delUnivers (et de nous-mmes) au del des apparences superficielles.

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    Cette vision de lUnit des profondeurs, situe la fois au del et au dedans des apparences multiples, implique une connaissance parfaite de nous-

    mmes. Cette Vue Pntrante est le Satori du Zen ou vision de la soi-nature .

    Quels sont les lments fondamentaux de la doctrine de la Vue Juste ?

    Ils nous enseignent limpermanence des agrgatsdlments . Tout se meut. Tout se transforme. Riennest immobile.

    Lapparente fixit de la matire rsulte dunesuperposition complexe de mouvements extraordinairement rapides : mouvements molculaires, mouvements des rvolutions lectroniques autour du noyauatomique, mouvements plus prodigieux encore au

    sein du noyau atomique lui-mme.Limmobilit apparente de la matire rsulte dun

    manque de pntration nous dit le Fo Sho HingTsang King . Le disciple entran dans lart de la Vue Juste discerne la discontinuit des profondeurs au del de lapparente continuit de surface.

    La doctrine de la Vue Juste enseigne quunmme processus est responsable de lapparente continuit de la matire et de celle de la conscience.

    Limpression de continuit de la conscience personnelle rsulte dune succession extraordinairement

    rapide de penses. Le sentiment familier de glissement uniforme et continu de la conscience dans ladure rsulte dune absence de Vue Pntrante .La conscience personnelle est au contraire disconti

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    nue* Il existe entre les penses, apparemment continues, des vides interstitiels dits Vides de Turya

    La doctrine de la Vue Juste contient depuis de

    nombreux sicles des lments dune richesse decontenu extraordinaire auxquels la physique et lapsychologie modernes de lOccident viennent daccder tout rcemment, lments bien entendu gnrauxet de fond et non lments de dtail.

    A la question de savoir si le Bouddhisme est une

    religion ou une philosophie nous rpondrons doncquil semble tre une science du Rel en insistantsur le fait que ce Rel est autant esprit que matire,quil est Acte Pur sintgrant la vie pratique.

    Ni lanalyse intellectuelle, ni linduction, ni ladduction ne permettront la dcouverte de cette Ra

    lit. LEveil nest atteint que par le silence de nosoprations mentales, de nos a priori intellectuelsde nos lments de comparaison, de nos mmoires .

    Le Zen est essentiellement pratique. Il est un pragmatisme dialectique.

    Son approche Non-mentale des faits quotidiensna rien de commun avec un tat infra-intellectuel contrairement ce quaffirme Robert Kemp. Lapparente ngativit du Bouddhisme a pour ranon laforme la plus pure de lintelligence. Force nous estici de dnoncer linexactitude des affirmations decertains auteurs tel Maurice Percheron prtendant

    linexistence dune psychologie dans le Bouddhisme.Le Zen est un art de vivre. Il est aussi une science

    de la vie.

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    Mais cet art et cette science sont le fruit dune profonde maturit psychologique et spirituelle* Linexistence de spculations mtaphysiques sur les causespremires nimplique pas labsence dune psychologie* Quelles que soient les positions des psychologuesmodernes, ceux-ci dfinissent la psychologie, soitcomme une science du comportement, soit commeune science de lme* Lapproche Non-mentale desfaits, tels quils se prsentent nimplique pas uneabsence de psychologie mais dcoule au contraire

    dune tude minutieuse de tous les conditionnementsmentaux qui nous empchent dtre pleinement adquats chaque instant prsent*

    Le Zen est la science naturelle suprme ayant pourobjet non seulement ltude mais surtout lexpriencede la nature profonde de lhomme et de lUnivers*

    Cette nature totale englobe les lments spirituels,psychologiques et matriels* Elle est une totalithomogne dont lesprit et la matire sont les facesopposes et complmentaires* Mais Elle est, en Elle-mme totalement diffrente de ce que nous concevons comme esprit ou matire*

    Cette Totalit-Une est dsigne dans les textes parles expressions suivantes suivant les auteurs et lesEcoles : Corps de Bouddha (bouddhisme ancien), Dharmakaya (idem), 1 Etre Originel (Hui-Neng), Mental Cosmique (Hsi-Yun), Base duMonde (Grim m), le Vide (toutes les Ecoles), L Inconscient Zen (D*T* Suzuki), etc*

    Cette Ralit se situe en dehors de toutes nos cat--gories* Les textes nous enseignent quelle est au delde lexistence et de la non-existence*

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    Elle est ternellement prsente* La ncessit de sadcouverte en nous-mmes et en toutes choses, aucur de chaque instant prsent nous a conduit considrer le Bouddhisme Zen comme la Doctrinede la parfaite momentanit *

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    CHAPITRE VROLE DE LA PENSEE DANS LE ZEN

    Cest tort que la plupart des Occidentaux ontattribu au Zen un rejet systmatique de lactivit

    mentale. Il assigne celle-ci la juste place quelle doitoccuper dans lensemble de nos fonctions psychiques.Ceci se trouve amplement expos dans lensembledes uvres de Hui-Neng (5).

    Le Zen sest inspir de lattitude du Taosme exprime par Chuang-Tzu, le clbre continuateur de Lao-

    Tzu : lhomme parfait utilise son mental commeun miroir. Il ne sapproprie rien ; il ne refuse rien.Il reoit tout mais il ne garde rien .

    La pense est une fonction naturelle mais nousavons abus de son rle.

    Elle consiste tout voir mais ne rien prendre.Ainsi que lexpriment les matres Taostes et. Zen-nistes lil regarde mais il ne se voit pas lui-mme et de mme, la pense aurait-elle pour mission, depenser simplement mais non de se penser elle-mme.Stant regarde elle-mme et accumulant ce qui seprsente elle, la pense sest prise pour un tre

    (5 ) Voir ce sujet le Mental Cosmique , par Hsi-Yun,d. Adyar - Paris.

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    indpendant* Linstrument sest arrog illgitimementles droits du propritaire* Cette identification de lapense avec elle-mme est une usurpation* Telle est

    lorigine du moi Ce dernier est le rsultat dunesorte de courant secondaire ou parasite (secondthoughts disent les auteurs anglais), et sa positionde dsquilibre fondamental est sans issue*

    Le rle ultime de la logique est de se dmontrer elle-mme, par le processus de la raison, son carac

    tre limitatif et les conditionnements impliqus danstoute analyse.

    La mission suprme de la pense consiste sedmontrer elle-mme les limitations de ses processus, les impasses dans lesquelles lentrane lidentification et le bien-fond de son dpassement par une

    ralit qui lenglobe et la domine*Les progrs rcents de la cyberntique dmontrent

    de faon premptoire les caractres essentiellementmcaniques de nos oprations mentales et la ncessitdune pause dans lactivit intellectuelle mcaniquepour permettre la Libert du Rel de sexprimer

    spontanment en nous et par nous*Ainsi que lexprimait le penseur indien Shri Auro-

    bindo :

    La raison fut une aide ; la raison est Ventrave.La pense fut une aide ; la pense est Ventrave.

    Mais... comme nous lcrivait rcemment un matre Zen : il faut parfois beaucoup parler avantdtre silencieux De mme est-il malheureusementsouvent ncessaire de beaucoup penser avant de

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    comprendre la ncessit du silence mental et lesrichesses quil peut rvler.

    La diffrence entre lhomme ayant ralis le Zen(ou Satori) et lhomme ordinaire est la suivante :le premier peut avoir des penses mais il est libredelles. Chaque mouvement du mental nest plus chezlui une occasion que saisit son moi pour se reconstruire et se continuer par lui. Sa pense apparatadquatement aux circonstances. Elle est libre delidentification et de lattachement. Elle se recre etspuise chaque instant en se laissant digrer dans la parfaite momentanit du prsent.

    Lhomme ordinaire est, au contraire, entirementprisonnier de son activit mentale. Loin de possder

    ses penses, il est possd par elles.Il est inconscient des mobiles profonds qui font

    apparatre les images, les symboles, les mots, les motions formant sa vie intellectuelle et sentimentale. Ilne peut rpondre la quadruple question fondamen

    tale laquelle le Zen et la pense krishnamurtiennepeuvent donner une rponse claire et prcise : Comment pensons-nous ? Que pensons-nous ? Pourquoipensons-nous ? Qui pense ?

    Le zen considre que dans cet tat de ngligencelhomme ignore tout des nergies profondes qui sont lorigine de ses actes. Chacune de ses penses estune occasion que saisit son moi pour se continuerpar elle.

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    Lhomme est en fait beaucoup plus pens parses propres tendances inconscientes quil ne penseintgralement lui-mme, librement (6).

    (6 ) Bergson disait ce propos que nous sommes beaucoup plus souvent agis que nous nagissons intgralement nous-mmes .

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    LA NOTION DE LINCONSCIENT ZEN

    L Inconscient Zen na rien de commun aveclinconscient des psychologues. Le terme incon

    scient a t employ intentionnellement afin dattirer lattention des lecteurs occidentaux sur le faitque ltat dEveil du Zen diffre totalement desconditions de la conscience ordinaire.

    Ainsi que lexprime D.T. Suzuki L InconscientZen est une conscience infinie inconsciente delle-

    mme .Il est vident quune conscience infinie est complteen elle-mme et se trouve affranchie de toute ncessit dobjectivation. Elle se suffit elle-mme et nerecherche ni saffirmer, ni sprouver, ni devenir quelque chose , contrairement la consciencevoile du moi .

    Notre conscience personnelle, objective, consciente delle-mme possde un caractre de fragilit,de limitation, de lourdeur et de lthargie par rapport lEveil de lInconscient Zen , mais nous voyonsici, quel point dans ce domaine chaque mot estun pige.

    Pour lOccidental, la conscience est toujours laconscience de quelque chose par quelquun. La conscience est comparative, dductive et inductive.

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    La lucidit du Zen ne rsulte au contraire d'aucune comparaison.

    La plnitude de l'Eveil n'est ralise qu' partir

    de l'instant o cessent les automatismes mentauxconditionns par toutes les valeurs antrieures :comparaisons, conclusions, mmoires, dfinitions,mots quels qu'ils soient. La ncessit de cette mise nu de la conscience, droutante pour les Occidentaux est abondamment explique dans le Lankava-tra Stra*

    La lucidit du Zen est une lucidit sans ide.L'ide n'en est aucunement la condition.

    Nous serons conforms l'esprit le plus pur duLankavatra Stra en formulant le principe suivant :le degr de lucidit pure ou d'Eveil de l'esprit

    un instant donn est directement proportionnel sonabsence de symboles, de formules, de toute emprisedu pass, telles que mmoires, comparaisons, mots.

    Lorsque l'tat d'Eveil s'est install de faon dfinitive, l'homme peut penser, il peut utiliser sesmmoires mais il est libre d'elles.

    Le problme ne consiste pas lutter artificiellement contre le processus des engrammes crbrauxet des mmoires qu'ils dterminent. Il s'agit d'unprocessus naturel. Mais un seul fait importe : touten laissant uvrer le processus naturel des enregistrements mmoriels il est indispensable d'tre librede l'emprise qu'ils exercent.

    Cette libert et l'intensit de conscience impersonnelle qui en rsulte sont les signes distinctifs de laBouddhit.

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    CHAPITRE VIQUI EST BOUDDHA?

    Peu dauteurs occidentaux ont insist sur la signification vritable du mot Bouddha Ce terme nedsigne pas une personne mais un tat.

    Bouddha signifie Eveill , cest--dire dlivr durve de lignorance et de lidentification. Cet Eveil est la porte de tous les tres humains.

    Dans ltat de Bouddha ou de Bouddhit

    lhomme a dcouvert lUnit profonde des dixmille choses . Il a dmasqu le rle illusoire deses crations mentales. Il sait quelles sont lexpression de Tanha , la soif de continuit, lavidit de devenir .

    Ltat de Bouddha est celui dun homme dontlesprit sest totalement affranchi de lattachement,de lidentification avec les valeurs suggres lesprit par les contacts du monde sensoriel : valeursde temps, despace, de devenir oppositions dualistesdu bien, du mal.

    Il discerne la juste place quoccupent ces diffrentes notions dans une unit plus vaste qui les englobe

    et les domine.Le prince Gautama Siddharta, de la Dynastie

    des Cakyas a ralis cet tat dEveil intrieur, au

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    mme titre que tous les Patriarches, quils sappellent Nagarjuna, Bodhidharma, Hui-Neng, Shen-Hui.Dautres, connus ou inconnus, clbres ou anonymes,passs ou venir, ont ralis ou raliseront la Boud-

    dhit.Les matres Zen dfinissent comme suit les signes

    distinctifs des Bouddhas authentiques' : affranchissement des conditionnements psychologiques imposspar le milieu, lhrdit, lducation, les habitudesmentales du pass, les textes sacrs, les mmoires tant

    individuelles que collectives.Mais ainsi que lexprime Alan W. Watts Un

    Bouddha conscient dtre un Bouddha nest pas unBouddha .

    Loin dtre un anantissement, ltat de Boud-dhit (cest--dire de Nirvna ou de Satori) est celuidune plnitude. Tout tre humain dlivr des limitations de lgosme ralise les plus hauts sommetsde lintelligence et de lamour.

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    APPARENTE NEGATIVITEDU BOUDDHISME ET DU ZEN

    Lapparente ngativit du Bouddhisme en gnralet du Zen en particulier rsulte du fait que lap

    proche de la Ralit fondamentale de lUnivers etde lhomme ne peut tre que ngative. On ne peutdire dElle que ce qui nest pas Elle. Les matres duBouddhisme dnonceront donc les obstacles masquant nos yeux le trsor rsidant dans les profondeurs de la conscience. Mais du trsor cach lui-mme, rien ne peut tre dit.

    Krishnamurti emploie le mme procd. Il le faitavec une svrit qui lui attire injustement beaucoup de critiques et dincomprhensions.

    Le Bouddhisme vritable, tel quil fut enseign parle Bouddha, Bodhidharma, et Hui-Neng doit treconsidr comme un nonc des conditionnements

    de lesprit humain. Un nonc de conditionnementsa toujours une apparence ngative.La plupart des Occidentaux perdent de vue quau

    terme des ngations successives dnonant nos valeursillusoires, nos limitations, nos attachements, la Ralit Elle-mme saffirme avec clat. Elle est llment

    suprmement positif.Mais les vritables Eveills savent fort bien querien ne peut en tre dit, car tous les mots, toutes les

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    images, toutes les descriptions viendraient ternir latransparence intrieure indispensable la contemplation de l'indicible.

    Un matre Zen nous a donn ce sujet un avertissement : Un dixime de pouce de diffrence dit-il et la terre et le ciel sont spars .

    Ce dixime de pouce de diffrence dsigne le rlengatif de nos crations mentales. Une seule pensefausse suffit nous plonger dans l'enfer du monde

    des dualits et nous sparer de la vision de la soi-nature .

    L'impression de ngativit prouve par certainsrsulte galement d'une incomprhension de la doc-

    - trine bouddhiste du Vide (Sunyata) que nousexaminerons ultrieuremeent. Il s'agit simplement du Vide de nos valeurs illusoires familires et nond'un nant.

    Il est important de noter que le Zen ne nous convie pas lutter en vue d'une acquisition de nouveaux

    biens. Tout est l ! nous dclare-t-il.Rien ne nous manque. Il suffit de mettre de

    l'ordre dans notre dsordre. Il n'est pas questionde conqurir des vertus puisque le moi leur servant de support est dclar inexistant. Il n'y a rien faire au sens accumulatif et possessif que l'Oc

    cidental donne en gnral au terme faire . Il ya plutt dfaire : dfaire les nuds innombrables forms par notre ignorance, notre avidit, nos

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    peurs. Ici aussi, nous perdons de vue que cette pas-sivit du moi, apparemment ngative, possde unaspect complmentaire positif : la dcouverte duRel.

    Dans cette Ralit cratrice rside lessence mmede toute action.

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    CHAPITRE VIILA NOTION DE DIEU

    DANS LE BOUDDHISME ZEN

    On a beaucoup parl du nihilisme et de lathismede la doctrine du Bouddha. Le Bouddhisme se situe

    en dehors des valeurs que nous accordons aux termesde thisme et dathisme. Nous avons vu quil nestpas nihiliste.

    Il ny a aucune place dans le Bouddhisme pourun Dieu personnel teint ou non danthropomorphisme. Conclure htivement lathisme du Boud

    dha pour cette seule raison serait une erreur. Lanotion de base du Bouddhisme est celle dun Eveil .Eveil de qui ? demandent certains. Cet Eveil nesten tout cas pas celui dune personne ou dune entit.Il ny a pas Eveil de qui que ce soit ou de quoi quece soit. Toute dualit dun sujet et dun objet setrouve absente. Ceci implique que la Ralit suprme

    (ou Dharmakaya Corps de Vrit Corps deBouddha) est elle-mme plnitude de conscience endonnant au terme conscience un sens trs diffrentde celui qui nous est familier. A ce point de vue,divers matres Zen que nous avons approchs adoptent une faon de voir qui est assez voisine de lanotion indienne de Sat-Chit-Ananda . La RalitSuprme est la fois Sat (LEtre englobant lespritet la matire), Chit , conscience pure impersonnelle et Ananda (flicit).

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    Novis sommes cette Ralit mais nous ne le savonspoint. Ainsi que lexprime D.T. Suzuki : Noussommes dj des Bouddhas... Parler datteindre

    quoique ce soit est une profanation, et, logiquement,une tautologie ( 7 ).

    Nous sommes donc victimes dun vice de fonctionnement mental nous empchant la dcouverte denotre nature vritable.

    Cette dernire nest nullement affecte par les

    illusions apparaissant dans le champ de notre esprit.Ds linstant o ltat dEveil nous dlivre des

    mirages engendrs par lidentification nous vivonsl'intgration. Ltude de lintgration projette quelques lumires .sur le problme de Dieu dans leBouddhisme.

    Quest-ce que lintgration ? Nour pourrons la dfinir par comparaison avec des notions plus familires :la notion de communion par exemple.

    Une diffrence essentielle existe entre 1yintgrationbouddhiste et la communion chrtienne. Le Zen estun monisme intgral. Lillumination abolit toutes lesdualits du sujet et de lobjet, du spectateur et duspectacle, de lexprimentateur et de lexprience (8).Seule, demeure la plnitude ternellement cratricedu Prsent impersonnel. Ainsi que lexprime AlanW. Watts (9 ) Dans lEternel Prsent, il ny a plus

    (7) T.D. Suzuki : le Non-Mental, p. 103.(8) Voir ici galement Krishnamurti. Premire et dernirelibert. Ed. Stock - Paris. %

    (9 ) Alan W. Watts T h e W isdom of Insecurity .

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    nous et le prsent, il y a le prsent toutsimplement .

    Dans la communion, au contraire, la dualit de

    Pobjet et du sujet, de ^exprimentateur et delexprience subsiste* L'adorateur reste ternellementdistinct de Pobjet de son culte* Il y a co-existenceternelle du crateur et de la crature.

    Les matres Zen dsignent la Ralit suprme duBouddhisme comme Acte Pur . Pour D.T. Suzukielle est la fois Le Corps et PUsage (10). Cet Acte Pur est autant esprit que matire. Il esttotalement tranger aux notions dabsolu familiresaux thologies occidentales. Nous reproduisons ici lefameux dialogue cit dans les Annales de la trans

    mission de la Lampe ( 11 ).King : Quest-ce que la Bouddhit ? Paloti : Voir la Nature relle des choses est la

    Bouddhit. King : Voyez-vous cette nature vritable ? Paloti : Je la vois.

    King : Quelle est cette nature vritable ? Paloti : La nature vritable est Acte Pur. King : De qui ou de quoi est cet Acte ? Je ne

    comprends pas. Paloti : Lacte est ici. Vous ne le voyez pas sim

    plement.

    (1 0) D.T. Suzuki : Non Mentai.(11) The Middle Way, mai 1956.

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    King : Lai-je en moi ? Paloti : Vous tes lacteur maintenant. Ainsi que lexprime D.T. Suzuki, voir sa vritable

    nature est agir, et tout acte pur quivaut voir dansle Rel. Cette vision nest pas vision de quelquechose . Elle est vision tout simplement, sans dissociation aucune de lActe Pur. La comprhension decette vrit est totalement inaccessible aux processusanalytiques du mental. Dans ce domaine, il nexisteplus de demi mesures. Cest tout ou rien. Seule, notre

    intgration inconditionnelle et effective lActe Purnous rvle sa prestigieuse ralit.Dans son tude admirable Vie et Rnovation

    le Dr Godel nous fait comprendre le processus decette Ralit. Nous lisons (p. 14) : Lhomme vri- table, cest bien la loi implicite en lui qui

    dinstant en instant ldifie et le reconstruit. Cette source prenne de dterminations nhabite point les contours dun corps non plus qu lintrieur dun rseau dinteractions physiologiques ou men- taies.

    Limpratif dune loi na de localisation nulle part ; il ne senracine pas dans les dimensions dvi monde empirique que nos sens ont labor pour sy mouvoir...

    De cet ensemble complexe de lois dont lhomme est issu par germination... gardons-nous de faire une sorte dentit

    Aussi nest-ce point une entit ni une forme imaginaire dtre rplique superflue de lme que je fais allusion en voquant la norme pro- cratrice dhomme.

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    Ce dynamisme organisateur se rvle lob- servation scientifique comme une ralit agissante. En vain, toutefois, on tenterait de latteindre tra- vers une dfinition de ses modes opratoires. Sa nature le soustrait toute recherche oriente dans la direction du monde objectif. Vouloir le cho- sifier , Vassimiler quelque prinGipe ou substance, serait en mconnatre grossirement Vessence*

    Les tudiants du Zen et de Krishnamurti trouveront dans luvre du Dr Godel des lments dune

    grande richesse confirmant leur point de vue.Le sens du divin dans le bouddhisme peut gale

    ment sclairer par ltude de la notion fondamentaledu Vide .

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    CHAPITRE VIIILA NOTION DU VIDE DANS LE ZEN

    Les erreurs dinterprtation de la notion du Vide dans le Bouddhisme en gnral et dans le

    Zen en particulier sont lorigine de nombreuxmalentendus.

    Nimaginez pas le Vide comme tant le nant nous dit un des principaux ouvrages du BouddhismeThibtain (Tchag Tchen Gyi Zindi).

    Un autre texte important du Bouddhisme empruntau Lankavatra Stra nous claire plus encore quant la signification vritable du Vide :

    Ce qui est entendu par Vide dans le plushaut sens de la Ralit finale, cest que dans laSagesse issuede la Vue Juste, il ny a plus aucune

    trace de la force dhabitude mentale engendre pardes conceptions errones (12).

    Lexpos complet de la doctrine des Forces dhabitude demanderait des volumes. Nous en avonsenvisag certains aspects ailleurs (13).

    (12) Le Bouddhisme, par A. David-Neel.(13) Essais sur le Bouddhisme en gnral et sur le Zen

    en particulier, par R. Linssen.

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    Les textes ci-dessus suffisent amplement pourrduire nant les affirmations relatives au prtendunihilisme du Bouddhisme.

    Un exemple emprunt la physique modernepourrait clarifier le problme.

    Nous savons qvie lensemble multiforme de lUnivers matriel provient dune seule et mme nergie.Dans la mesure o nous allons vers le cur des choses, en physique, nous remarquons linadquacitprogressive de nos valeurs familires. Louis de Brogliedfinit le corpuscule atomique comme une zonedinfluence, un paquet dondes, une singularisationdondes de probabilit . On ne peut plus parler dela forme, ni de la permanence, ni de lindividualitdun neutron ou dun lectron. Formes et surfaces

    impliquent des complexits de structure. Or, les corpuscules atomiques sont simples. Quant lnergiedont ils sont lexpression, nul ne peut exactement ladfinir. Le physicien Max Planck disait delle quellese matrialise en grains rsultant du mouvement desa propre puissance et quelle acquiert, par lingnieux artifice des dispositions lectroniques, des pro

    prits et des formes particulires . Mais de lnergieelle-mme rien ne peut tre dit. Carlo Suars nousa dmontr le caractre strictement impensable delunivers, de la matire (14).Tirant les conclusionsqui simposent la suite des travaux dEinstein etdEddington il arrive la constatation dun quelque chose dindfinissable, auquel aucune de nos

    catgories de valeur ne sapplique.

    (14) Critique de la Raison impure, par C. Suars, d. Stock.

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    La Ralit du quelque chose nest ni rouge,ni verte, ni ronde, ni carre, ni chaude, ni froide.Nous dirons quelle est vide savoir absente de

    toutes les qualits qui nous sont familires. Cestpour une raison de cet ordre que les textes bouddhiques contiennent de nombreuses ngations ds linstant o ils voquent la Ralit finale.

    Le Vide bouddhique nimplique donc pas unnant mais une absence de qualits particulires sem

    blables celles que nous suggrent nos contacts familiers avec le monde matriel*

    Signalons ici, quun minent physicien franais,Georges Cahen vient dexprimer tout rcemment unlangage semblable (15).

    Le dpouillement des phnomnes vis--vis ducontenu immdiat de nos perceptions prsente deuxcaractres que nous mettrons en vidence : dunepart, ce processus rvle une identit dessence entrelintellect et lunivers. Dautre part, ce contenu sevide progressivement de sa substance apparente : lamatire elle-mme tend ntre quune forme vide,

    un champ daction des proprits structurelles denotre esprit, cest--dire quelque chose dimmatriel.

    Nous exprimerons ici et de la faon la plusextrme la tendance ultime de la science : rductionde la ralit au vide. Ce vide nest pas le non-tre,le nant. Cest au contraire ltre le plus complet qui

    soit puisquil contient lUnivers en puissance.

    (15) Georges Cahen : Les Conqutes de la Pense scientifique.

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    Le matre Zen, Hui Ha nous disait que lorsquecessent les perceptions particulires nous ralisonsla perception totale, ne se situant dans aucun lieuprivilgi quel quil soit (16). Celle-ci nest pas un

    vide mais une plnitude.

    (16) The Path to sudden A ttainment, by Hui-Ha.

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    CHAPITRE IX

    QUEST-CE QUE LE NIRVANA OU SATORI ?

    Le terme Nirvna signifie littralement extinction* Mais encore faut-il voir de quoi ! Nirvna est

    ltat de flicit rsultant de lextinction de lignorance, de la peur et des dsirs* Lhomme dlivrde lignorance na jamais t ananti ! Il souvre la plnitude de la joie.

    Ainsi que lexprimait le Bouddha En parfaite joienous vivons, nous qui rien nappartient. En par

    faite joie nous vivons, sans inimiti dans le mondede linimiti. La joie est notre nourriture de chaquejour, comme aux dieux rayonnants .

    Laction dextinction du souffle sur une flamme,sous-entendue dans le terme Nirvna est en relation avec le Sermon de Bnars au cours duquel le

    Bouddha comparat le processus du moi uneflamme.

    Les aliments de la flamme du moi sont les cinq skandas : le corps, les sentiments, les perceptions,les impulsions et les actes de conscience.

    Nous avons expos au paragraphe du rle de lapense dans le Zen , la faon dont le moi se continue par lactivit mentale.

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    Lextinction de la flamme du moi nest pas unedfaite. Cest la plus haute victoire de la nature profonde de lhomme et de lessence des choses.

    Nirvna est ltat de lucidit suprme triomphant des limites imposes par la naissance et lamort, par lapparent isolement de lexistence extrieure.

    Portant lUnivers entier dans son cur, lEveillralise la forme la plus pure de lamour. Parce quilest mort lui-mme, en tant quentit il permet lintelligence de la Vie de sexprimer en lui et par lui.

    Il est le monde. Il est le criminel, le saint. Il sesait solidaire de la socit mais il est libre delle.Parce quil est affranchi de lidentification il peutjouer librement le jeu du monde sans tre prisonnierdes circonstances qui lui servent dexpression. Son

    efficience en est centuple. Le Zen et le Tao ont unprincipe commun : celui de la spontanit. La spontanit et le don de soi sont les signes distinctifs desplus hautes formes de lamour se traduisant par unrespect universel de la vie sous toutes ses formes.

    Le terme Satori signifie voir en sa proprenature , ou Eveil soudain . Les matres Zen enrsument gnralement comme suit les principauxcaractres : (17).

    a ) Il est supra-intellectuel et irrationnel.

    b) La vision du Satori est intuitive et non dualiste.(17) Voir ce sujet Essais sur le Zen , par D.T. Suzuki.

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    g) Exaltation : lexaltation nest pas en contradiction avec limpersonnalit du Satori. Elle est directement lie ltat de flicit existentielle duRel .Il sagit en ralit beaucoup plus dune intensitcratrice impersonnelle que dune exaltation personnelle, au sens habituel du terme. Mais lapremire est automatiquement gnratrice de laseconde, pour autant que lon se mette au niveaude loptique dualiste dun observateur.

    h) Instantanit et prsence ternelle : D.T. Suzukidclare que le Satori se prsente de faonabrupte ; cest une exprience instantane.Dinstant en instant, le moi doit se soustraire la magie toute puissante de ses automatismes mentaux. Ceux-ci nont dutilit que pourrsoudre des problmes dordre concret, scienti

    fique ou technique. Mais ils sont une entravepour lexprience de lEveil suprme ou Satori.Signalons nanmoins que les librs ne sontpas dans lincapacit de rsoudre des problmesdordre concret ou technique, mais ils sont affranchis de lemprise des valeurs ou symboles utiliss.Lhomme doit tre neuf et disponible chaqueinstant niveau.Dans cette rceptivit et cette souplesse intrieureil peut percevoir le caractre unique de chaqueinstant. Il peut en vivre lternit prsente audel des voiles du temps. Cette approche lui permet de participer la plnitude de cration contenue dans lunicit de chaque moment.

    i) Affrontement des circonstances : Fuir nest pasrsoudre. Le Satori ne sobtient pas dans la fuite

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    du monde mais dans son affrontement. La vieest relation, tant biologiquement que physiologiquement. Toute perception est une occasion de

    Satori dclarent les matres Zen.Cest au cours de nos relations avec les tres, leschoses et nos propres ractions mentales et motionnelles que se parachve la pleine connaissancede nous-mmes, cette condition indispensable la ralisation du Satori. Les objets de la percep

    tion sont moins importants que notre attitudeintrieure dapproche. Cest le caractree instantan, non-mental et parfaitement adquat denotre approche qui dtermine lauthenticit delEveil.

    j ) Le Satori est ltat de non-conditionnementpar excellence. Il nest pas auto-projet. La moindre trace de projection de soi est incompatibleavec lEveil authentique.

    k) Le Satori est lInconnu. Aucun lment du

    connu ne peut-tre utile sa ralisation. Le Satori est un Inconnu total en raison deses caractres de renouvellement et de crationpure. Le connu est toujours le pass. L instant neuf du prsent est tou jours un Inconnutotal .

    Luvre de Krishnamurti nous fournit ce pointde vue des lments dune prcision exceptionnelle.

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    1) Le paradis sur terre .Ainsi que l'exprime le matre Zen Yoka Daishi

    Si vous vivez le Zen, vous pouvez laisser lenfer

    parmi vos rves passs mais vous pouvez raliser unparadis o que vous soyez... (19).

    (19) Buddhism and Zen, by Nyogen Senzaki, p. 38, Phi*losophical Library - New-York.

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    CHAPITRE XZEN ET VIE PRATIQUE

    Les mystiques sont des hommes parfaitement pratiques (21) nous dit D.T* Suzuki : S i le mysti

    cisme est vrai, sa vrit doit tre pratique et doitpouvoir se vrifier dans chacun de nos actes .

    Le Zen est notre tat ordinaire desprit... il nya dans le Zen, rien de surnaturel, dinusit oude hautement spculatif qui dpasserait notre viequotidienne.

    Ladquacit parfaite du Zen est la facult quipermet lhomme de rpondre pleinement toutesles donnes des circonstances qui se prsentent lui.Limagination et la distraction sont les principauxobstacles cette adquacit. Cette dernire requiert,en toutes circonstances, lexercice dune observation

    silencieuse et concentre.Cette observation possde nanmoins un carac

    tre distinctif : elle est Non-Mentale , cest--direaffranchie de lidentification aux mmoires.

    Lattitude Non-Mentale est la condition indispensable la rapidit des rflexes. Elle se traduit

    (21) Essais sur le Zen, par D.T. Suzuki, vol. II, p. 119,d. Trois Lotus.

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    par une dtente intrieure nous permettant dtredisponibles la Ralit, prsents au Prsent, absents notre gosme.

    La rvlation de la plnitude de ce que nous sommes, tant en surface quen profondeur, ne se ralisequau cours des relations de la vie quotidienne. Lelivre de la vie est plein denseignem'ents mais nousne parvenons pas dchiffrer les caractres danslesquels il est crit. Ces caractres sont essentiellement vivants : ce sont les ractions mentales et mo

    tionnelles apparaissant en nous au cours de nosrelations avec les tres, et les choses. Aux yeux duneobservation silencieuse, non dforme par des jugements de valeurs favorables ou dfavorables, les agrgats dlments psychiques formant le moi servlent pleinement et se dissolvent comme les brumes se dissipent au soleil. Cest le lcher prise

    du Zen.Le Zen enseigne que le corps humain possde une

    sagesse instinctive dont les possibilits sont immenses.Nos races hyperintellectualises ont perdu la tracede cette sagesse naturelle. Cette sagesse mane directement de la nature profonde des choses . Elle

    serait en liaison intime et permanente avec notrevie vgtative, physiologique.

    Le docteur Hubert Benoit a insist juste titresur la ncessit dune dvalorisation de notre excsdintellectualit. Il est ncessaire de revaloriser la vie vgtative (22). Nous sommes des crbrauximpnitents. Labus de la fonction intellectuelle nous

    (22) Doctrine Suprme, H. Benoit.

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    prive de Pharmonie naturelle que la Ralit profonde des choses nous destine* Nous devons retrouver lchelle humaine, une octave suprieure delinstinct animal, intgre une forme leve de

    conscience supramentale*

    Parmi les avantages pratiques du Zen nous citerons les suivants:a) Activit constructive : loin de renoncer laction,

    lhomme du Zen est le plus pratique qui soit*

    Il sait quels sont les mobiles profonds qui fontapparatre ses penses, ses motions et ses actes*Un tel homme sintgre au principe cosmique detout travail dans la nature, tant physique quepsychique ou spirituelle*

    b) Uadquacit parfaite : Le Satori nest pas uneannihilation disait Bodhidharma, cest uneconnaissance de lespce la plus adquate (23)*Le Zen nous permet dtre au monde (24)tout en tant libre de lui. Lactivit mentalenous empche dtre adquat* Si nous sommesau volant de notre voiture, lesprit encombr desoucis, nous naurons pas la rapidit des rflexes

    ncessaires pour viter lobstacle imprvu se prsentant sur la route* Le Zen nous demande dtrepleinement ce que nous faisons .

    c) La dtente intrieure dans Vactivit.d) Amour, dtachement, non-violence :

    Par son dpassement de lgosme et la vision

    (23) Essais sur le Zen, D.T. Suzuki, vol. III, p. 30.(24) Expression de Rimbaud.

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    perptuellement prsente de lUnit, lhomme duZen ralise les conditions de Pamour vritable,de la compassion et de la charit.Il est dtach, car le Satori lui rvle quil est

    au cur des tres et des choses ce quils ont deplus prcieux, de plus irremplaable.Le dtachement entrane la simplification desbesoins. Mais il na rien de commun avec lindiffrence.Par son dpassement de lillusion du moi ,lhomme du Zen se libre des avidits gostes qui

    sont lorigine de toutes les violences et de tousles conflits.Il est donc simple, aimant, paisible, en un mot,minemment sociaL

    e) Minutie, prcision : LInfini est dans le fini dechaque instant nous dit D.T. Suzuki. Soyezdes exemples de prcision nous demande leSakurazawa.

    f) Nouveau sens des valeurs. Les tudiants Zen ne svadent pas... nous dit

    le vnrable Senzaki, lAmrique en a eu, elle ena, et elle en comptera peut-tre encore beaucoup...Ils affrontent aisment les mondanits ... Ilsjouent avec les enfants, respectent les mendiants etles rois... mais ils traitent lor et largent comme desimples pierres (20).g) Efficience dans Vaction.

    Ainsi que lexprime Lao-Tzu En sadonnant ltude on augmente chaque jour ; en se consa-

    (20) Idem, p. 37.

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    crant au Tao, on diminue chaque jour ; on ne cesse de diminuer jusqu ce quon atteigne le Non-agir. Par le Non-agir, il nest rien quon ne puisse faire, certes ! (20bis).

    Nous terminerons ces considrations sommairessur le Satori en formulant une fois de plus unerserve. Vouloir ex-pliquer le Satori lafaon dont les lecteurs occidentaux souhaitent rece-voir des explications est impossible. Comme lexpliquait le professeur Suzuki ... dans ce domaine

    dfinir est synonyme de trahir . Autant vouloirrsoudre la quadrature du cercle.

    Rappelons une fois de plus que le Satori nese pense pas. Ltat dintgration ou de consciencetotale et omniprsente qui le caractrise na pas tre objectivit par nous. Le Satori rsulte

    de la nature mme des choses et de notre tre propre. Il nest pas ncessaire de sur-ajouter mentalement quoique ce soit cette nature profonde destres et des choses. Nous pourrions ce sujet voquerun exemple de physique paraissant trs bien sappliquer la notion que nous tentons de dfinir ici. Lesprincipes dexclusion dfinis par les physiciens Pauli

    et Fermi ont mis en vidence Vexistence duneprsence potentielle de chaque corpuscule atomiquestendant lUnivers entier.

    En un certain sens, tout est dans tout . Cetteprodigieuse interpntration mutuelle na pas besoindtre pense. Elle EST. Elle est tout instant.

    (20bis) Lao-Tzu : Tao-Te-King, p. 72 (Derain, d. Lyon).

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    Limmensit du Mental Cosmique na que faire denos objectivations personnelles. Elle est vaste commeun ocan insondable dont chaque forme particulirenest quune vague vanescente.

    Le grand art consiste vivre autant au niveau desvagues qu celui de lunit de locan par la ralisation exprimentale de la Ralit idicible qui lesenglobe et les domine.

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    CHAPITRE XI

    ZEN, JUDO ET AKIDO.

    Le Judo et lAkido sont des transpositions de loisprofondes de la Nature dans le domaine de nos ractions corporelles et mentales. Celles-ci doivent tenircompte de la loi fondamentale de spontanit miseen vidence par le Taosme et le Zen.

    Quoiqu lchelle biologique des phnomnes, lavie sexprime par des processus dualistes impliquantune certaine violence (oppositions des ples contraires, lutte entre les phagocythes et leucocythes, slec

    tion naturelle, etc.) ces aspects nexpriment toutefoisquun secteur trs partiel dune Totalit infinimentplus vaste. Lorsque le Zen, le Taosme et Krishnamurti voquent la spontanit et la non-violence dela Vie, ils ne dsignent pas la vie biologique maisla Ralit essentielle dont les phnomnes biologiquessont des aspects fragmentaires.

    Pour comprendre les origines du Judo de lAkidoainsi que les relations existant entre eux le Zen etle Taosme, il est bon de se rappeler que la viespirituelle et la culture du peuple japonais ont tprofondment influences par la philosophie chinoise.

    Cette dernire est imprgne des notions fondamentales du Zen et du Taosme : la douceur, la non-violence, la spontanit.

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    La pense taoste attire souvent notre attention surla puissance de leau et des lments lgers, quiparviennent contourner, surmonter ou pntrer travers tous les obstacles par leur fluidit et leursouplesse.

    Il est dit dans le Tao-Te-King (25) : La suprme Vertu est comme leau. L eau et la Vertu sont bienfaisantes pour les dix mille tres et ne luttent pas. Elles occupent les places que tous les hommes dtestent. Cest pourquoi elles sont com-

    parables au Tao. Il nest rien au monde de plus inconsistant et

    de plus faible que leau ; cependant elle corrode ce qui est dur ; rien ne peut lui rsister ni la remplacer.

    Lao-Tzu ne cesse de dnoncer la faiblesse de ceque nous considrons comme la force. Selon lui, lasouplesse triomphe toujours de la duret. La fluidita toujours finalement raison de la rigidit. Le calmeest toujours vainqueur de la violence.

    Les quelques aphorismes de Lao-Tzu qui suiventpermettront au lecteur de se rendre compte du climatdu Tao-Te-King.

    La douceur triomphe de la duret, la faiblesse triomphe de la force (p. 58).

    Ici bas, ce qui est plus mallable lemporte sur ce qui est dur.

    (25) Lao Tzu : Tao-Te-King, p. 28 et p. 104 (Derain dit.1951).

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    Le Non-Etre pntre limpntrable ; cest par cela que je connais la suprme efficacit du Non- agir (p. 67)*

    Nouveau n, lhomme est souple et frle ; mort il est rigide et dur. A leur naissance, les plantes et les arbres sont flexibles, morts, ils sont rigides et durs.

    Solidit et rigidit sont les compagnes de la mort ; souplesse et fluidit sont les compagnes de la Vie.

    Ce qui est fort et grand est dans une position leve (p. 102).

    Ces diffrents aphorismes mettent admirablementen vidence les principes de base de la pratique duJudo.

    Lattitude correcte au combat est dfinie par Lao-Tzu de la faon suivante :

    La perfection pour celui qui commande, cest dtre pacifique ; pour celui qui combat, cest dtre sans colre ; pour celui qui veut vaincre, cest de ne pas lutter ; pour celui qui se sert des

    hommes, cest de se mettre au dessous deux. Cela sappelle la vertu du Non-lutter, lart de

    se servir des forces humaines en cooprant avec le Ciel, suprme sagesse des Anciens (p. 94)

    Voici le Tao du Ciel : exceller vaincre sans

    lutter, exceller convaincre sans parler, faire venir spontanment sans appeler, raliser parfaitement dans une apparente inertie (p. 99).

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    Nous trouvons une quivalence de ce climat psychologique en Occident dans la fameuse fable duchne et du roseau de La Fontaine.

    Les philosophes chinois voquent frquemment lasouplesse des saules djouant lassaut des neiges. Lesbranches dlicates et souples des sauves se plient sousle poids de la neige qui ne parvient pas se dposerni saccumuler.

    La rigidit plus grande des pins entrane au con

    traire une accumulation de neige aboutissant larupture des branches.

    Les auteurs anglais dfinissent le Judo et lAkidocomme des gentle ways : les voies de la douceur.

    Du point de vue pratique, ceux-ci consistent nepas opposer la force la force.

    Lorsquune personne en colre fonce sur nous pournous attaquer, deux possibilits de raction soffrent nous.

    La premire est la mauvaise : celle que tout lemonde applique. Elle consiste rsister la forcedagression.

    Nous opposons alors une rsistance dauto-dfense la force dattaque. Dans ces cas, les deux forcessannulent.

    Nous devrons fournir un effort considrable pourrsister la puissance dattaque de ladversaire silest puissamment muscl. Si nous avons plus de force

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    que lagresseur, le problme se simplifie. Si lattaquantest plus fort nous sommes immdiatement vaincus.

    Mais une autre possibilit se prsente nous : la

    seconde*Elle nous est enseigne par les thoriciens du Judo.Au lieu de rsister la force dattaque, nous lac

    cueillons comme le roseau accueille la neige et levent. Nous sommes disponibles. Nous ne rsistonspas. Nous laissons agir en nous les rflexes corporels

    non-mentaux issus dune sagesse instinctive ducorps dont les possibilits sont immenses.Cette sagesse instinctive suggre au corps certaines

    prises, certains gestes qui nous permettront dutiliserla force dattaque de ladversaire contre lui-mme.Plus grande et plus violente sera sa force dagression,plus grande et plus violente sera sa chute. Nousnavons plus oppos la force la force. La rsultantenest plus nulle. Ladversaire reoit un choc en retourdont la violence est la mesure de celle de sonagression.

    Le succs ne dpend ici nullement de notre force.Le secret de la russite rside dans notre passivit,

    dans notre adquacit, dans notre attention non-mentale au langage des faits, aux dsquilibres ducorps, la violence de lattaque.

    Les matres en Judo insistent sur le fait que lapassivit sadresse surtout au mental. Un mouvementpens, en Judo, est un mouvement rat.

    Lactivit mentale nous empche dtre adquat.Elle constitue lobstacle majeur la redcouvertede la sagesse instinctive du corps. Lactivit mentale

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    et la conscience ordinaire ont leur sige principaldans le cerveau.

    La sagesse instinctive, le centre dquilibre ducorps, la conscience vgtative ont leur sige danslabdomen, dans le centre que les japonais dsignentpar le terme Hr .

    Ainsi que lexprime le comte Karlfield von Drck-heim ( 1 ).

    La conscience de soi, profondment ancre dansHara, est une conscience du Moi suprieur toujoursprsent dans ltre humain, cest--dire une conscience suprieure qui transcende le moi infrieur ;ce Moi suprieur nest donc pas ncessairementatteint lorsque quelque chose arrive toucher oumme blesser le moi infrieur. Dautre part, il

    englobe un domaine spirituel plus vaste et capabledactions plus grandes que ne peut se permettre lem