RIVAL QUEENS...Une rivalité entre divas – encouragée par le public, montée en épingle par la...

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PROGRAMME ------- RIVAL QUEENS

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PROGRAMME-------

RIVALQUEENS

RIVALQUEENS

- CONCERT BAROQUE -

SIMONE KERMESVIVICA GENAUX

AVEC L’ENSEMBLE CAPPELLA GABETTA

14 JANVIER 2017

ProgrammationDistribution

Simone Kermes SopranoVivika Genaux Mezzo - Soprano

Ensemble Cappella Gabetta

Andrés Gabetta violon & directionRoberto Rutkauskas violonLorenzo Colitto violonBoris Begelman violonLorea Aranzasti Pardo violonAnaïs Soucaille violonErnest Braucher altoIgnacio Aranzasti Pardo altoBalazs Maté violoncelleAnna Egger violoncelleMarco Lo Cicero contrebasseMike Fentross théorbeAnna Fontana clavecinThomas Meraner haut boisLidewei de Sterck haut boisJean François Taillard corSilvia Centomo cor

CARLO FRANCESCO POLLAROLO (1653-1723) Ouverture de Ariodante

GEORG FRIEDRICH HÄNDEL (1685-1759) Duet «Fermati» de Rinaldo

GEORG FRIEDRICH HÄNDEL (1685-1759) Aria «Pinagero la sorte mia» Giulio Cesare

JOHANN ADOLF HASSE (1699-1783) Arie «Priva del caro bene» de l’opéra Dalisa

GEORG FRIEDRICH HÄNDEL (1685-1759) Duet «Io t’abbraccio» de Rosalinda

GEORG FRIEDRICH HÄNDEL (1685-1759 ) Aria «Scoglio d’immota fronte» de l’opéra Scipione

ATTILIO ARIOSTI (1666-1729) «Vorresete o mio pupille» de Lucio Verro

JOHANN ADOLPH HASSE (1699-1783) Duet «Se mai piu saro geloso» de Cleofide

NICOLA ANTONIO PORPORA (1686-1768) Ouverture de Orféo

GEORG FRIEDRICH HÄNDEL (1685-1759) Duet «Vivo in te» de Tamerlano

JOHANN ADOLF HASSE (1699-1783) Aria «Impallidisce in campo» de Issipile

GEMINIANO GIACOMELLI (1692-1740) Aria «Villanella nube estiva» de Scipione

PIETRO TORRI (1650-1737) Duet «Ferma crudel….Son costretta esser crudele» de Amadis

JOHANN ADOLPH HASSE (1699-1783) Aria «Pader ingiusto» de Cajo Fabricio

NICOLA ANTONIO PORPORA (1686-1768) Aria «Nobile Onda» de Elisa

GEORG FRIEDRICH HÄNDEL (1685-1759) Duet «Caro Bella» de Giulio Cesare

Née à Leipzig, Simone Kermes est l’une des sopranos dramatiques les plus demandées sur la scène lyrique interna-tionale. Son registre inhabituel la prédestine tout particulièrement à interpréter des oeuvres virtuoses de maîtres du baroque, parmi eux Händel et Vivaldi, mais aussi les parties de soprano et les airs concertants de Mozart, Haydn et Beethoven.

Simone Kermes a étudié auprès de Helga Forner à la Haute Ecole de Musique Felix Mendelssohn Bartholdy dans sa ville natale. Elle a obtenu son diplôme de fin d’étude ainsi que deux diplômes d’étude approfondie avec mention. Elle a remporté le Premier prix du Concours Felix Mendelssohn Bartholdy à Berlin et a gagné le Prix Bach au Concours International Johann Sebastian Bach à Leipzig en 1996.

Ses engagements l’ont menée à chanter dans les institutions les plus prestigieuses à travers le monde: au Japon, à New York, à Paris, à Lisbonne, à Copenhague, à Moscou et dans différents grands opéras allemands où elle a interprété les rôles de Konstanze, la Reine de la Nuit, Fiordiligi, Donna Anna, Giunia, Rosalinde, Lucia, Gilda, Ann Truelove, Alcina et Laodice. Simone Kermes a donné des concerts solos et des récitals de lieder entre autres au Carnegie Hall de New York, dans la Grande Salle du Conservatoire de Moscou, à la Salle Tchaïkovski à Moscou, au Palau de la Música à Barcelone, à la Tonhalle de Zurich et à la Frauenkirche de Dresde. Elle est invitée régulièrement à se produire dans de nombreux festivals internationaux et avec des orchestres de grand renom.

En dehors de nombreuses productions radiophoniques et télévisées, la discographie de Simone Kermes comprend de nombreux enregistrements consacrés à des oeuvres de compositeurs allant de Vivaldi à Humperdinck. Ses albums solos ont été récompensés par plusieurs prix internationaux dont le «Jahrespreis der Deutschen Schallplattenkritik», le Diapason d’Or, le Midem Award, le Choc du Monde de la Musique, le «Disc of the Month» (BBC music magazine), le «Editor’s Choice» (Gramophone) et le «Echo Preis».

Simone KermesSoprano

Originaire d’Alaska, Vivica Genaux est devenue l’une des plus grandes interprètes des répertoires baroque et bel cantiste, reconnue non seulement pour ses prouesses vocales et son étonnante virtuosité, mais aussi pour l’interpré-tation vivante et éclatante de ses personnages.Vivica Genaux fait ses débuts en 1994 au Teatro comunale di Firenze dans le rôle d’Isabella «L’italiana in Algeri», rôle pour lequel elle est ensuite invitée par les plus grandes scènes internationales, ainsi que pour Rosina «Il barbiere di Siviglia» ou encore Angelina «La Cenerentola» (Wiener Staatsoper, Opera National de Paris, Théatre des Champs-Elysées, Opéra de San Francisco, Metropolitan Opera New York, etc).

Plus récemment, on a également pu l’entendre dans une tournée de concerts Rivalries avec Simone Kermes et Cappella Gabetta et leur programme «Rival Queens» autour des rivalités entre les superstars du 18ème siècle Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni dans les grandes villes européennes.

Au cours de la saison 2015-16, elle reprend La Cenerentola avec Europa Galante et Fabio Biondi au Musikfest Bremen et au Reate Festival De Rieti ; interprète Mitrena «Montezuma» de Vivaldi au Festival Internacional Cervantino De Guanajuato (Mexique) avec «Il Modo Antiquo» et Federico Maria Sardelli; Romeo «I Capuletti Ed I Montecchi» avec Fabio Biondi à la tête du Stavanger Symfoniorkester et Badisches Staatstheater De Karlsruhe; Arsace «Semiramide» au Washington Concert Opera; un programme de cantates baroques avec le V/Vox Ensemble sous la direction de Carlos de Aragon à l’Auditorio Nacional De Musica De Madrid; un gala baroque avec le Polska Filharmonia Baltycka À Gdansk, Piramo E Tisbe de nouveau avec Fabio Biondi à Cracovie; des airs de Broschi et Porpora avec Thibault Noally à la tête des Musiciens Du Louvre À La Salle Gaveau À Paris; Jupiter «El Imposible Mayor En Amor», Le Vence Amor au Teatro De La Zarzuela De Madrid; elle retourne en Australie pour un concert avec le Brisbane Baroque Orchestra; participe à une tournée en Asie avec the Academy Of Ancient Music sous la direction de Richard Egarr; tournée de concerts et enregistrement pour Sony avec le Cappella Gabetta d’Andrés Gabetta etc.

En 2007, le New York City Opera remet à Vivica Genaux le Christopher Keene Award. Elle a entre autres reçu les premiers prix de «Opera CD Classics-Città di Mondovi» et de «Marie Z. Uihlein Artists Prize» de l’Opéra de Florence. En 2008, l’Opéra de Pittsburgh l’honore du Maecenas Award. Ce prix, décerné chaque année, récompense une per-sonnalité (telles Dame Joan Sutherland, Beverly Sills, Marilyn Horne, Stephanie Blythe, Shirley Verrett, Jake Heggie ou Terrence McNally par le passé) ayant contribué à faire reconnaître l’Opéra comme un art à part entière. D’autres organisations musicales lui ont décerné de nombreux prix depuis 1997.

Vivika GenauxMezzo - Soprano

Avec la Cappella Gabetta, Sol Gabetta a réalisé l’un de ses rêves musicaux :Avec son frère Andrès Gabetta comme premier violon et un ensemble trié sur le volet de musiciens de grand talent qu’elle connaît bien, Sol Gabetta a crée des programmes du baroque et du début du classicisme que l’ensemble pré-sente sur des instruments d’époque dans le cadre de concerts et d’enregistrements sur CD. L’ensemble a été fondé en décembre 2010 et s’est produit avec un grand succès notamment à Paris (Salle Gaveau, Théatre des Champs Elysées), Hambourg (Musikhalle), Vienne (Theater an der Wien), Baden Baden (Festspielhaus) Munich (Prinzregen-tentheater), Zurich (Tonhalle), Berlin (Philharmonie) ainsi qu’aux grands festivals musicaux tels que la Musikfest de Brême, le Festival Baroque de Lyon ou le Rheingau Musikfestival.

Depuis l’année 2011 la Cappella Gabetta n’a pas seulement enregistré plusieurs disques d’un répertoire de musique italienne baroque (dont plusieurs premiers enregistrements mondiaux) avec Sol Gabetta chez Sony Music, mais également de la musique de Haendel et Hasse avec Vivica Genaux. Ces enregistrements ont valu à l’orchestre la «recommandation du mois» de Grammophone Magazine ainsi que la distinction «CD de la semaine» des radios allemandes NDR-Kultur, BR-Klassik et RBB (Berlin). Ensuite la CD «Tromba Veneziana» avec le trompettiste Gàbor Godoczki est paru chez Sony en 2013. L’album «Rival Queens», basé sur la coopération avec Simone Kermes et Vivica Genaux, est sorti en 2014.

La Cappella Gabetta invite de plus en plus des instrumentialistes, chanteuses et chanteurs de renom à participer à des projets communs de concerts ou d’enregistrements de musique du baroque ou du début du classicisme, notam-ment la soprano Nuria Rial , le trompettiste Sergei Nakariakov, le violoniste Giuliano Carmignola et le violoncelliste Christophe Coin, qui s’est spécialisé dans la musique baroque. Sur le planning de la Cappella Gabetta il y aura des tournées avec les violonistes Baiba Skride et Patricia Kopatchinskaja ainsi qu’avec le fleutiste à bec Maurice Steger. D’autant plus la Cappella Gabetta a choisi de réaliser le beau thème de l’adaptation musicale du mythe antique d’Orphée et Eurydice avec les chanteuses Vivica Genaux and Olena Tokar. Le premier violon Andrès Gabetta passe pour un brillant violoniste du baroque. C’est l’un des partenaires musicaux les plus étroits du célèbre violoncelliste et chef d’orchestre Christoph Coin, dont l’Orchestre baroque de Limoges est mené par Gabetta comme premier vio-lon. En 2008, il a été nominé au Grammy Awards pour un enregistrement des Concertos brandebourgeois de Bach (Naxos) avec son propre ensemble, les Swiss Baroque Soloists.

Ensemble Cappella Gabetta

Nous sommes au début du mois de juin 1727, et la huitième saison de la Royal Academy of Music au King’s Theatre du Haymarket touche à sa fin – une fin prématurée. Le 6 juin, l’opéra Astianatte de Giovanni Battista Bononcini est donné en présence de la princesse de Galles, avec dans les principaux rôles féminins les deux chanteuses italiennes les plus célèbres de l’époque, du moins à partir de cette représentation : Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni.Il était déjà évident au cours de la saison précédente qu’un conflit se dessinait entre ces deux artistes d’exception. La raison de leur querelle ? Une rivalité entre divas – encouragée par le public, montée en épingle par la presse, et finalement donnée en spectacle sur la scène.

Johann Joachim Quantz, professeur de flûte de Frédéric II de Prusse et kapellmeister à la cour royale de Berlin, rap-porte dans ses mémoires avoir assisté en février 1727 à une représentation avec les deux chanteuses : «Le second opéra que j’entendis à Londres était de Bononcini; mais il ne fut pas autant applaudi que le premier [Admeto de Haendel]. La profondeur de Haendel surpassait la légèreté de Bononcini. Dans cet opéra, deux partis s’opposaient, l’un en faveur de la Faustina, l’autre en faveur de la Cuzzoni. Ces partis étaient si violemment montés l’un contre l’autre que les admirateurs de l’une sifflaient pendant que ceux de l’autre applaudissaient, et inversement : avec pour résultat qu’on finit par interdire les opéras.» Le conflit culmine apparemment avec un pugilat sur scène et une agita-tion dans la salle telle que le théâtre n’en a encore jamais connu.

Le British Journal rapporte en date du 10 juin 1727 : «Dans la soirée de mardi dernier [6 juin], l’opéra a été le cadre d’une grosse émeute provoquée par les partisans des deux vedettes rivales Cuzzoni et Faustina. La dispute, qui s’est tout d’abord limitée à des sifflets d’un côté et des applaudissements de l’autre, a ensuite donné lieu à des invectives et autres grandes indécences. Malgré la présence de la princesse Caroline, le respect n’a pas réussi à tempérer la grossièreté des adversaires.» La presse, qui jusque-là n’a nullement cherché à détendre la rivalité entre les deux chanteuses mais au contraire tout fait pour envenimer la situation, se jette avidement sur cette nourriture providen-tielle afin de l’exploiter au maximum. «Qui aurait pensé que cette épidémie se propagerait jusqu’au Haymarket et pousserait deux cantatrices à se prendre aux cheveux ? […] Il est certes déplorable de voir deux dames si bien élevées se traiter de garce et de catin, et se battre comme de vulgaires poissonnières.» Le théâtre vient de connaître son premier véritable scandale médiatisé…

Alexander Busche

Reines Rivales La mère de tous les scandales

par l’art), plaît à l’excès. La noblesse du cantabile amoureux de l’autre [N.D.A. : Cuzzoni] unie à la douceur d’une très belle voix, à une intonation parfaite, à la rigueur du tempo et aux productions recherchées de l’esprit, sont des qualités aussi particulières que difficiles à imiter. Le pathétique de l’une et l’allegro de l’autre sont leurs atouts les plus admirables. Quel beau mélange on obtiendrait si le meilleur de ces deux créatures angéliques pouvait s’unir en un seul objet !

Cette manoeuvre diplomatique arriva à bon port (les deux factions s’en trouvèrent satisfaites, comme en témoigne un correspondant vénitien de Tosi), mais non sans d’importantes conséquences sur le plan historiographique. En sanctionnant la prééminence de la Cuzzoni dans le chant d’expression et la suprématie de la Bordoni dans le chant de bravoure, Tosi dressait aux yeux de la postérité un tableau par trop manichéen, surtout pour les générations ul-térieures qui n’eurent jamais la chance d’entendre les deux chanteuses ni de connaître leur répertoire. Comme l’a mis en évidence Paola Lunetta Franco, les commentateurs du XVIIIe siècle ne possédaient pas toujours les compétences musicales requises : le lecteur contemporain imaginera sans peine à quel point les sources littéraires qui décrivent l’art des deux virtuoses peuvent être contradictoires. Les jugements exprimés dans les sources demeurent donc sans valeur tant qu’on fait abstraction de l’analyse des partitions, lesquelles offrent une vision beaucoup plus riche et complexe. Et justement, les partitions démentent aussi bien le «relatif désintérêt pour l’élément pathétique» (Durante) attribué à la Bordoni qu’un éventuel désintérêt de la Cuzzoni pour le chant de bravoure. Citons en guise d’exemples plusieurs morceaux, présentés sur ce CD ou déjà disponibles sur d’autres enregistrements : la Bordoni fut la des-tinataire d’arias à l’ample respiration tels que «Padre amoroso» (Antonio Pollarolo, Lucio Papirio dittatore, 1720), «Vorreste o mie pupille» (Ariosti, Lucio Vero imperator di Roma, 1727), «Piange quel fonte e geme» (Hasse, Numa, 1741), «Ah ! non lasciarmi, no» (Hasse, Didone abbandonata, 1742); de son côté, la Cuzzoni avait à son répertoire des airs d’une virtuosité extravagante comme «Da tempeste il legno infranto» (Haendel, Giulio Cesare in Egitto, 1724), «Sco-glio d’immota fronte» (Haendel, Scipione, 1726), «Benché l’augel si asconda» (Leo, Ciro riconosciuto, 1739). En outre, les deux chanteuses étaient en mesure de chanter les mêmes morceaux : l’air «Nobil onda» (Porpora, Adelaide, 1723), écrit pour Farinelli, fut interprété aussi bien par la Bordoni (Gasparini et al., Flavio Anicio Olibrio, 1723) que par la Cuzzoni (Porpora et al., Elisa, 1726). Cette ambivalence ne signifie pas pour autant que leurs répertoires aient été interchan-geables : leurs airs reflètent chaque fois une conception esthétique très différente, quasiment personnelle, et l’écriture vocale qu’elles exigeaient pour l’expression de certains affects en est la preuve. Comparons, par exemple, les deux versions de «Va tra le selve ircane» composées par Hasse pour deux versions différentes d’Artaserse (Venise 1730, avec la Cuzzoni; Dresde 1740, avec la Bordoni). Dans cet air di furore, la Cuzzoni favorise un chant déclamé, avec des sauts jusqu’à l’octave, très peu d’ornements, et sans coloratures; la Bordoni, dans le même air, préfère un chant par degrés conjoints, extrêmement mélismatique et avec des sauts à l’ambitus limité (signalons qu’elle s’était livrée en début de carrière à l’expérience inverse : dans l’air «Al valor di Borea armato» du Lucio Vero de Sarro, la Bordoni exé-cuta de nombreux sauts de dixième qu’elle ne répéta plus jamais par la suite). Par l’ironie du sort, on trouve parmi les qualificatifs choisis pour décrire la Bordoni et la Cuzzoni deux figures de la mythologie grecque qui furent elles aussi en compétition. Le 26 janvier 1723, le British Journal saluait ainsi le succès de la Cuzzoni dans Ottone de Haendel :

Le nouvel Orphée contre la nouvelle Sirène

Née à Parme en 1696, Francesca Cuzzoni débuta dans sa ville natale en 1714. Les débuts de Faustina Bordoni furent similaires : née en 1697 à Venise, elle y fit ses premiers pas sur les planches en 1716. De quand date leur rivalité ? On ignore si elle préexista aux représentations d’Ariodante de Carlo Francesco Pollarolo (Venise 1718), qui virent les deux cantatrices partager la scène pour la première fois (cela se reproduisit à Venise en 1719 et 1721, ainsi qu’à Milan en 1719). Gérer une troupe comprenant ces deux chanteuses ne devait pas être chose facile : chacune d’entre elles, se prévalant de son charisme et de ses dons artistiques, aspirait aux premiers rôles féminins – une attente difficilement conciliable avec la hiérarchie des personnages de n’importe quel dramma per musica. Pour garder les deux inter-prètes dans la même compagnie, il était donc nécessaire de ménager un équilibre des rôles et des numéros musicauxentre la prima et la seconda donna. C’est la stratégie que suivit la Royal Academy of Music de Londres lorsqu’elle employa les deux divas (1726-1728). Entrée dans la troupe dès 1723, la Cuzzoni obtint un immense succès personnel, incontesté jusqu’à l’arrivée de la Bordoni. Mais une fois celle-ci engagée par la compagnie, les organisateurs eurent beau user de tous les stratagèmes, la paix – du moins, sur scène – ne dura pas longtemps : la fameuse rixe qui opposa la Cuzzoni à la Bordoni lors d’une représentation d’Astianatte de Giovanni Bononcini (1727) rendit toute réconciliation impossible. Les deux chanteuses ne se produisirent plus jamais ensemble après leur violente altercation londonienne, la publication de pamphlets, de comptes rendus et de caricatures suite à ce scandale ayant scellé irrémédiablement une hostilité désormais historique.

L’élément le plus difficile à gérer, dans cette situation, était le public, qui avait alimenté le débat sur les qualités et défauts des deux virtuoses dès l’aube de leur carrière. L’une des toutes premières sources dont nous disposions à ce propos est le traité Opinioni de’ cantori antichi e moderni (1723) de Pier Francesco Tosi. Contrairement à ce que pour-rait faire croire son titre, cet ouvrage traite exclusivement de chanteurs ayant quitté la scène depuis des années, voire déjà morts (Albarelli, Buzzoleni, Pistocchi, Stella, Vanini). Mais une lecture attentive révèle des allusions à d’autres interprètes : en l’occurrence, la Bordoni et la Cuzzoni. Tosi, l’un des principaux représentants de l’école de chant bo-lonaise, ne pouvait ignorer la célébrité des deux jeunes cantatrices et voulut prendre part au débat sur leurs mérites respectifs. Mentionner de telles interprètes exigeait toutefois une grande prudence, spécialement dans un contexte didactique : l’appréciation devait être circonstanciée, ne privilégier ni ne léser aucune des deux, et surtout ne pas décevoir leurs partisans. Tosi opta donc pour la formulation suivante :

L’une [N.D.A. : Bordoni] est inimitable dans la faculté privilégiée qu’elle a de chanter et d’enchanter le monde par une prodigieuse facilité d’exécution, ainsi qu’un certain brillant singulier et délicieux qui, inventé (je ne sais si par la nature ou

Si le chant d’Orphée savait animer bois et rochers, et contraindre les mornes rivières à écouter sa lyre, la voix de Cuzzoni peut avec bien plus de talent soit réveiller les morts, soit faire mourir les vivants.

À Florence, la même année, on fit frapper des médailles commémoratives lorsque la Bordoni se produisit dans Flavio Anicio Olibrio. L’une d’entre elles représente la chanteuse sous les traits d’une sirène qui tente de rappeler le navire d’Ulysse, accompagnée d’une devise latine fort éloquente : QUIS TAM FERREUS UT TENEAT SE ? («Qui, fût-il d’airain, pourrait se contenir ?» Juvénal, Satire, I, 31). Orphée et les sirènes sont deux symboles par excellence du chant et de son pouvoir de persuasion. Apollonios de Rhodes narre leur rencontre dans Les Argonautiques (IV, 891-919) : à cette occasion, Orphée sauve ses compagnons de voyage en luttant par son chant contre le charme, jusque-là irrésis-tible, de celui des Sirènes. Il n’est pas permis de savoir qui, de notre Orphée (Cuzzoni) ou de notre sirène (Bordoni), remporta effectivement la victoire sur scène. Mais le fait est que ces deux artistes lyriques, comme les personnages de la mythologie grecque, passèrent à la postérité, peut-être plus encore grâce à la transmission orale que dans les témoignages écrits. En 1768, presque vingt ans s’étaient écoulés depuis leur ultime apparition sur une scène italienne, mais le souvenir de leur art demeurait très présent : le public vénitien était encore en mesure de reconnaître les traits de leur profil vocal chez la soprano allemande Elisabetta Taiber (probablement Elisabeth Teuber ; lettre du Padre Giuseppe Paolucci au Padre Giovanni Battista Martini). Même à cette époque, lorsqu’on parlait d’un chant excep-tionnel, les noms de Bordoni et de Cuzzoni devaient être prononcés ensemble : non plus par diplomatie comme dans le traité de Tosi, mais pour perpétuer une tradition.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette tradition ? À l’exception des opéras de Haendel qu’elles chantèrent à Londres entre 1723 et 1728 et que les théâtres montent encore de nos jours, la majeure partie du répertoire des deux virtuoses est tombé dans l’oubli. C’est pourquoi les airs et duos présentés ici ont été choisis en considérant une longue période chronologique (1720-1739) qui comprend aussi bien les représentants des écoles émilienne et vénitienne (Ariosti, Bo-noncini, Giacomelli, Pollarolo) que ceux de l’école napolitaine ou, pour être plus précis, des compositeurs formés à Naples (Arena, Hasse, Leo, Porpora, Sarro, Vinci). S’il est impossible de reproduire la magie que créaient la Bordoni et la Cuzzoni, redécouvrir après presque trois siècles la musique qu’elles chantaient ne pourra que fasciner et séduire un nouveau public. C’est une musique d’une qualité exceptionnelle, comme les artistes qui l’interprétèrent.

Giovanni Andrea Sechi© 2014

Remerciements

Fondation Privée, Loterie Romande, Hôtel de la Paix, ARTPASSIONS.

Jacques Roulet, Pao Beyelhadj, Helena Dora, Véronique Magnin, Marie Anne Linder, Anne-Sophie de Weck, Mathias Roulet.

Un merci particulier à Véronique Zehntner

Crédits

Organisation : Classic Art’s Graphisme : Aperture84.com Collaboration : Artistic Management Christoph Müller, Thomas Marki Texte Rival Queens : avec l’aimable autorisation de Sony ClassicalService de presse : Z comme... Véronique ZehntnerImprimerie : Eurocolor Torino s.r.l.

Avec ce concert Classic Art’s fait un don à la Fondation Théodora.

FONDATION PRIVÉE

Depuis 1993, la Fondation Théodora poursuit son objectif de soulager par le rire le quotidien des enfants hospitalisés ou en institutions spécialisées. En 2016, les docteurs Rêves ont ainsi effectué plus de 110 000 visites auprès d’enfants en Suisse, afin de leur offrir des sourires et des moments de joie.La Fondation Théodora est reconnue d’utilité publique et ne demande aucune subvention étatique. Le financement de la visite hebdomadaire des docteurs Rêves auprès des enfants repose entièrement sur le soutien des donateurs et partenaires.

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