Rhéologie des boues de stations d'épuration: études ...

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HAL Id: hal-00461196 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00461196 Submitted on 3 Mar 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Rhéologie des boues de stations d’épuration : études préliminaires pour la maîtrise des stockages et épandages J.C. Baudez, Philippe Coussot, F. Thirion To cite this version: J.C. Baudez, Philippe Coussot, F. Thirion. Rhéologie des boues de stations d’épuration : études préliminaires pour la maîtrise des stockages et épandages. Ingénieries eau-agriculture-territoires, Lavoisier ; IRSTEA ; CEMAGREF, 1998, p. 33 - p. 46. hal-00461196

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HAL Id: hal-00461196https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00461196

Submitted on 3 Mar 2010

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Rhéologie des boues de stations d’épuration : étudespréliminaires pour la maîtrise des stockages et épandages

J.C. Baudez, Philippe Coussot, F. Thirion

To cite this version:J.C. Baudez, Philippe Coussot, F. Thirion. Rhéologie des boues de stations d’épuration : étudespréliminaires pour la maîtrise des stockages et épandages. Ingénieries eau-agriculture-territoires,Lavoisier ; IRSTEA ; CEMAGREF, 1998, p. 33 - p. 46. �hal-00461196�

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Rhéologie des boues de stationsd’épuration : études préliminaires

pour la maîtrise des stockageset épandages

Jean-Christophe Baudez, Philippe Coussot, François Thirion

Jean-ChristopheBaudez,François ThirionCemagrefDomaine desPalaquins03150 MontoldrePhilippe CoussotLMSGCUMR 113LCPCCNRS2, allée Kepler77420 Champs-sur-Marne

J usqu’à très récemment, l’impactenvironnemental d’une station d’épurationétait défini par la qualité des eaux rejetéesen fin de filière. Les produits résiduels dedépollution étaient alors simplement mis

en décharge. Aujourd’hui, ces sous-produits fontintégralement partie de la filière de dépollution,et, à ce titre, l’exploitant de la station d’épurationest désormais entièrement responsable de leur de-venir.

Ainsi, l’utilisation des boues en agriculture s’ins-crit dans le cadre de la politique de valorisationdes déchets, car elle permet de réincorporer deséléments fertilisants dans les cycles de production.Mais, pour être pérenne, la valorisation agricoledoit être effectuée dans des conditions techniquesirréprochables, aptes à garantir une efficacité suf-fisante pour les cultures, et l’innocuité vis-à-visdes utilisateurs et du milieu. Cet article est consa-cré à la connaissance des lois physiques de com-portement de boues dites « pâteuses », il ne traitepas des différents aspects d'innocuité des bouesde stations d'épuration (charge polluante,hygiénisation, métaux lourds,…). Dans le do-maine de la valorisation agricole des boues, lesproblèmes essentiels, en dehors du travail requispar les opérations de déshydratation, sont liés à lareprise et à l’épandage des boues déshydratées. Lesagriculteurs, soucieux d’une bonne gestion et dela maîtrise technique, souhaitent que les opéra-tions d’épandages aient lieu lorsqu'un apport or-ganique est nécessaire (et non pas lorsque le stoc-kage est plein) et que la répartition des boues surla parcelle soit la meilleure possible. Il est donc

nécessaire que l’épandeur utilisé disperse les bouesde façon homogène, tant longitudinalement quetransversalement. Sur ce point, l’épandage desboues pâteuses pose de sérieux problèmesd’émiettement, qui se traduisent par une répar-tition aléatoire des intrants organiques.

Notre objectif est donc d’améliorer les techni-ques d’épandage des boues pâteuses, ce qui passepar une étude des modifications comportemen-tales du matériau tout au long du processus. Pouraboutir, il est nécessaire de connaître les lois decomportement des boues résiduaires afin, d’unepart, d’optimiser les conditions de stockage etdonc de faciliter les opérations de reprise, etd’autre part, de modéliser l’écoulement de laboue, tant à l’intérieur de l’épandeur qu’en sor-tie. Il est en effet nécessaire d’avoir un débit ré-gulier à l’amont de la table d’épandage avantd’envisager d’améliorer la répartition sur la par-celle.

La valorisation agricoledes boues

État des lieuxUne conséquence directe de la Directive euro-péenne sur l’assainissement des agglomérationsest le doublement, au minimum, de la produc-tion de boues de station d’épuration, dans lesdix prochaines années. En France, la productiondevrait passer de 800 000 tonnes de matière sèchepar an à 1 300 000 tonnes de MS. Pour l’UnionEuropéenne, on devrait passer de 7 000 000 detonnes à 15 ou 20 000 000 de tonnes.

Rappelons quele terme rhéologies'applique à l'étudedes caractéristiqueset comportementsphysiques des maté-riaux (viscosité, élas-ticité, plasticité,…)lors des écoulementset sous des contrain-tes diverses.

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De plus, en 2002, les décharges seront fermées àtous les produits humides contenant des matiè-res organiques. Par conséquent, pour l’élimina-tion des boues, les épandages agricoles sont di-rectement concernés. Si l'on aborde le problèmedes coûts, la valorisation agricole revient à1500 F/t de MS (incluant le transport, l’épan-dage, le stockage intermédiaire, le contrôle ana-lytique et un suivi agronomique), tandis que l’in-cinération tend vers les 3 000 F/t de MS. La mé-thode la plus économique est l’incinération con-jointe des boues et des ordures ménagères (550à 650 F/t de MS), mais cette technique exige unetaille minimale de l’installation pour être réali-sée dans des conditions techniques et économi-ques raisonnables : le mélange des boues ne peutexcéder 10 % de la masse totale. Or, en France,le parc de stations d’épuration est très impor-tant, avec plus de 10 000 unités, essentiellementde petites tailles : l’incinération systématique neserait pas rentable.

Toutefois, la filière de la valorisation agricole desboues est fragile. On dénombre plusieurs élémentsfaibles, développés dans les paragraphes suivants :

– le stockage en station,

– la maîtrise des apports de toxiques d’origineindustrielle,

– les techniques de déshydratation,

– la formation des exploitants de STEP (stationd’épuration),

– et surtout, l’inadéquation des matériels d’épan-dage aux différents types de boues.

D’autres facteurs accentuent la fragilisation de lafilière. En effet, plusieurs déchets concurrencentles boues, et on assiste à une réticence croissantedes populations riveraines (le syndrome NIMBY :Not In My Back Yard), à une réticence des agri-culteurs (l’épizoothie récente de la vache folle),parfois poussés par les groupes agro-alimentaires(Bonduelle, Carrefour exigeant 10 ans de rétroac-tivité) ou par certains syndicats (l’AssociationGénérales des Producteurs de Blé). Par consé-quent, l’offre augmente, et la demande diminue.Il apparaît donc nécessaire de produire des bouesde qualité, mais sans compromettre l’équilibre éco-nomique. Dans cette optique, la boue devient unsous-produit à part entière des stations d’épura-tions, fabriquée selon un cahier des charges précis.

ContraintesTrois facteurs essentiels sont à considérer dans laproduction des boues. Elles doivent avoir un in-térêt agronomique, être faciles d’utilisation, et pré-senter des risques limités. Par facilité d’utilisation,on entend qu’une boue doit pouvoir être stockée,reprise, transportée et épandue facilement. La con-naissance de sa siccité (teneur en MS) est néces-saire, mais son adhérence, sa friabilité, sa visco-sité sont également importantes. Ces caractéristi-ques sont souvent désignées par le terme « struc-ture ».

L’élément le plus important est la qualité desboues. On estime actuellement que seulement 20à 30 % des boues sont valorisées conformémentà la norme U44-041. Cette norme fixe des va-leurs limites à respecter pour huit éléments mé-talliques présents dans les boues valorisables enagriculture et pour les sols aptes à les recevoir, ainsique les règles de conduite à adopter pour les épan-dages. Par conséquent, le premier point à démon-trer est l’innocuité des boues et leur intérêt en agri-culture. Sur le plan agronomique, les boues sontdes fertilisants organiques, mais la matière orga-nique apportée a un effet isohumique nul (miné-ralisation rapide), ce qui signifie que le taux d’hu-mus des sols ne remonte pas après un épandage.Par conséquent, l’épandage doit être pratiqué uni-quement lorsque les cultures sont susceptiblesd’utiliser les boues, ce qui signifie que le stockagea un rôle primordial. Or, dans ce domaine, le parcfrançais est sous-équipé.

Autre point à améliorer : l’adéquation de l’équi-pement à l’épandage. Par exemple, les boues pâ-teuses (10 à 30 % de MS) apportées avec un épan-deur de fumier se déposent par paquets sur le sol,entraînant au labour soit une asphyxie, soit unexcès de matière organique. De cette observationdécoule le problème du suivi agronomique et desa précision : sur quelle zone prélever un échan-tillon pour une analyse de sol ?

Les deux étapes les plus déterminantes qui vien-nent d’être évoquées, à savoir le stockage et l’épan-dage, relèvent tous deux du domaine des écoule-ments. Au stockage, la boue ne doit pas s’écoulerlorsqu’elle est mise en tas, tandis qu’à l’épandage,l’objectif est un écoulement régulier. Aussi, desconnaissances supplémentaires peuvent être ap-portées par l’étude rhéologique des boues résiduai-res. En effet, la rhéologie, que l’on pourrait défi-

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nir par science des écoulements, permet de déter-miner les lois de comportement mécanique encisaillement simple des matériaux étudiés. Ainsi,par exemple, la détermination précise d’un éven-tuel seuil d’écoulement serait un élément impor-tant du comportement au stockage. De même, letransport de la boue dans l’épandeur vers les dis-ques d’épandage dépend du comportement àl’écoulement dans la trémie : il apparaît un effetde voûte si la boue est trop solide ou un écoule-ment indépendant de la vitesse des vis d’alimen-tation si le matériau est trop liquide.

La production de boueLe traitement des eaux usées a pour résultat deproduire une eau propre, apte à être rejetée dansle milieu naturel, en faisant appel aux procédésde séparation liquide-solide. Les phénomènesphysiques, physico-chimiques et biologiques misen jeu permettent de concentrer les éléments pol-luants l'eau et leurs produits de transformationdans des suspensions plus ou moins concentréesdénommées « boues ». Ces sous-produits, solides,se caractérisent principalement par leur siccité etleur teneur en éléments minéraux et organiques.Il est à noter que les éléments polluants souillantl’eau ne se retrouvent dans les boues que s’ils sonteffectivement extraits de l’eau à rejeter. Par exem-ple, toutes les stations ne sont pas équipées pouropérer une déphosphatation, ce qui implique quecertaines boues contiennent plus d’éléments dé-rivés du phosphore que d’autres, simplement enraison des étapes entreprises dans la filière eau.La caractérisation des boues résiduaires commencedonc dès l'épuration des eaux.

La filière eauElle interfère sur la filière boue, sur le plan de sesperformances, de la masse produite, et de l’évolu-tion de la matière organique selon les types de trai-tement considérés : biologique ou physico-chimi-que. La filière physico-chimique fait intervenir desétapes de décantation et de coagulation-floculationpar l’emploi de réactifs minéraux et de poly-électrolytes, tandis que la filière biologique utilisedes bactéries (par boues activées ou lits bactériens)qui consomment la pollution carbonée1.

À chaque étape du traitement de l’eau, des élé-ments polluants sont extraits et forment, selon leurcomposition, différents types de boue que l’onregroupe en cinq classes (tableau 1).

� Tableau 1. – Lesdifférentes classesde boues (sourceOTV).

2. La chargeapplicable est laquantité de matièresèche (produite paréquivalent habitant,en fonction du typede traitement) parunité de surface. Unéquivalent habitantest considéré commeproduisant 60 g deDBO5 par jour.

Boue de classe A

Boue de classe B1

Boue de classe B2

Boue de classe C

Boue de classe D

boues primairesboues primaires physico-chimiquesboues de forte et très forte charge2

boues biologiques en eau brute :– boues de faible charge– boues d’aération prolongée

boues biologiques en eau décantée :– boues de faible charge– boues de moyenne charge

boues mixtes de type A+B2

boues stabilisées biologiquement – boues de digestion anaérobie mésophile– boues de stabilisation aérobie thermophile

1. En France, auniveau des petites etmoyennes stationsd’épuration rurales,la filière biologiqueen eau brute est laplus répandue.

La filière boueL’élaboration d’une filière boue doit prendre encompte plusieurs aspects, tant économiques quetechniques, tels que :

– le niveau de siccité souhaité,

– le degré de stabilisation recherché,

– la nature des boues à traiter,

– les coûts d’investissements,

– les coûts d’exploitation.

L’objectif principal d’une filière boue est la réduc-tion des nuisances, que ce soit l’élimination desodeurs (par stabilisation : on dégrade une partiede la matière organique) ou les réductions demasse et de volume (par épaississement et déshy-dratation). Les grandes étapes sont représentéessur la figure 1.

D’autres étapes peuvent venir se greffer sur ceschéma, telles que le conditionnement initial oule séchage final, mais la majorité des petites etmoyennes stations d’épuration rurales, (l’essen-tiel du parc français), se limite à cette architec-ture, essentiellement pour des raisons de coûts.Les boues ainsi produites sont liquides ou pâteu-ses, selon la technique de déshydratation em-ployée, et sont valorisables en agriculture (si ellesobéissent toutefois aux conditions fixées par le lé-gislateur). Si les boues liquides ne posent que peu

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de problèmes, hormis sur le plan des importantsvolumes à stocker, il en va tout autrement pourles boues pâteuses, tant au stade de l’épandage (cf.Contraintes p. 34) que pour le stockage, où la miseen tas s’avère plus que délicate. Mais avant d’ap-profondir ce sujet, il est nécessaire de définir leterme de boue pâteuse.

Les boues pâteusesPrincipe de productionLa filière de production des boues pâteuses estfréquemment mise en place dans les stations de taillemoyenne. Après avoir été épaissie, la boue est éven-tuellement stabilisée en phase liquide afin d’élimi-ner une partie de la matière organique responsable,au cours de sa dégradation, des nuisances olfactives.Ensuite, la boue est déshydratée selon trois modesmécaniques très répandus, qui sont le filtre à bandespresseuses, le filtre presse et la centrifugeuse. À titreindicatif, d'autres techniques existent (comme les litsde sable) mais ne sont pratiquement plus utilisées,en conséquence elles ne seront pas décrites ici. Lafigure 2 reprend avec plus de détails la figure 1 etdécrit la filière de traitement des boues pâteuses.

Les propriétés mécaniques des boues apparaissentà la fois liées à leur humidité et à leur structure,c’est à dire aux interactions qui existent entre lesgrains constitutifs de matières solides, organiquesou minérales. De fait, en évacuant l’eau intersti-tielle de la matrice boueuse, on oblige les particu-les solides à se rapprocher, et donc à interagir plusfortement. Selon la teneur finale en eau, la tailledes particules solides et l’importance de la frac-tion volatile – très évolutive – les interactions do-minantes peuvent être très différentes d’une boueà l’autre. Les différentes techniques de déshydra-tation, en relation avec la fraction organique,pourraient alors commander le comportementmécanique de la boue. Des travaux sur la déshy-dratation des boues ont par exemple montré queles boues résiduaires suffisamment épaisses avaientun comportement non newtonien, à seuil, et sou-vent thixotrope (Campbell et Crescuolo, 1982 ;Colin et al., 1976).

Figure 1. – Principed’une filière boue. �

Figure 2. – La filière de production de bouepâteuse. �

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Plusieurs modèles ont alors été proposés pourdécrire le comportement d’un tel matériau, et lesplus courants sont de trois types :

– Herschel-Bulkley (Johnson, 1961 ; Mulbargeret al., 1981),

– Ostwald pseudo-plastique (Hatfield, 1938 ;Behn, 1962 ; Valioulis, 1980),

– Bingham plastique (Babbit, 1939 ; Geinopoloset Katz, 1964 ; Frost et Owens, 1982 ; Spinosa etal., 1989).

Dans les paragraphes suivants, nous allons doncdécrire le principe de la stabilisation ainsi que lesavantages et inconvénients des trois modes de dés-hydratation mécanique.

La stabilisation des bouesLa boue doit souvent être stockée durant de lon-gues périodes avant d’être valorisée en agriculture.Très chargée en matières volatiles (la matière or-ganique), elle a alors tendance à fermenter spon-tanément (notamment en l’absence d’air) et à gé-nérer des nuisances olfactives. La stabilisation surboue épaissie, en grande majorité par voie biolo-gique (digestion anaérobie ou réaction aérobie),vise à réduire les problèmes d’odeurs en limitantune reprise de la fermentation après traitement.

La digestion anaérobie est un procédé biologi-que qui permet de transformer les substances dela boue en dioxyde de carbone et en méthane :

(C5H

7O

2N représente les matières volatiles bio-

dégradables).

C’est en fait une succession de réactions biochi-miques (figure 3) assurées par diverses populationsbactériennes ayant des taux de croissance et desexigences de milieu de développement différen-tes, qui permet d’éliminer 45 à 50 % de la ma-tière organique initiale (digérable, dissoute ouparticulaire).

La stabilisation aérobie est une transformationde la matière organique par oxydation en milieuaérobie avec dégagement de chaleur et produc-tion de dioxyde de carbone (figure 4).

On élimine ainsi jusqu’à 50 % de la matière or-ganique, si la stabilisation est aérobie thermophileautothermique. Dans le cas des procédés conven-tionnels, le taux d’élimination est inférieur à 15 %.Le procédé repose sur une transformation de lamatière organique de haut poids moléculaire enmonomères par des enzymes extracellulaires libé-rées par les micro-organismes. La matière organi-que ainsi dissoute est transportée dans les cellulesoù se déroule le métabolisme. L’oxydation de lamatière organique libère de l’énergie (catabolisme)et permet la synthèse de biomasse (anabolisme).

La déshydratation mécanique des bouesLes procédés de déshydratation généralement uti-lisés sont le filtre à bandes presseuses, le filtre presseet la centrifugeuse.

C5H

7O

2N + 5O

2 → 5CO

2 + 3H

2O+ NH

3

� Figure 3. –Principe de ladigestion anaérobie.

� Figure 4. –Schéma de principede la stabilisationaérobie des boues.

C5H7O2N + 3H2O → CO2 + CH4 + NH3

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Le principe du filtre à bandes presseuses est lafiltration sous pression progressive, de 0,3à 1 bar : on comprime la boue au moyen de rou-leaux entre une bande filtrante et une bandepresse (figure 5).

Le processus comporte les étapes suivantes :

– floculation avec des polyélectrolytes,

– égouttage sur un support filtrant de l’eau in-terstitielle libérée,

– pressage de la boue drainée, entre deux toilesqui la compriment progressivement.

On obtient ainsi une boue pâteuse plastiquefluide. À noter que, dans les couches profon-des du stockage, on retrouve un environnementanaérobie qui favorise une reprise de la fermen-tation.

Le filtre presse est un appareil qui permet defiltrer des boues en chambre étanche sous despressions de l’ordre de 5 à 15 bars (figure 6). Ilfonctionne en discontinu. Les boues à traitersont introduites sous pression, au moyen d’uneconduite centrale, entre des plateaux verticauxévidés. Ces plateaux sont revêtus, sur leurs deuxfaces cannelées, de toiles filtrantes de maillesassez fines (10 à 300 mm) qui laissent passer lefiltrat. En fin de cycle, les plateaux sont écar-tés, et le « gâteau » est démoulé manuellement.On forme alors un tas de boue déshydratée trèsaéré, ce qui limite les reprises de fermentationobservables en milieu anaérobie.

Le principe de la centrifugeuse peut être assi-milé à une sédimentation accélérée, en raisonde l’augmentation artificielle du champ de gra-vitation par l’action de la force centrifuge (àenviron 2000 g) (figure 7). La centrifugationest précédée d’un conditionnement à l’aide depolymères de synthèse aboutissant à une bouefloculée. Dans le cas présent, et contrairementaux méthodes précédentes, il n'existe pas unmélange intime des particules de toutes tailles,mais une ségrégation en fonction de la massedes constituants. La boue n’est donc pas struc-turée de la même manière que celle issue desfiltres, ce qui peut entraîner, à siccité égale, desdifférences de comportement lors d’un cisaille-ment.

� Figure 5. – Principe du filtre à bandes presseuses.

� Figure 6. – Principe du filtre presse.

� Figure 7. – Principe d’une centrifugeuse.

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Un complément : le chaulageLe chaulage, quand il est pratiqué, remplitdeux fonctions principales :

– la stabilisation par voie chimique : le pH élevéinhibe la biomasse responsable de la dégrada-tion de la matière organique,

– l’hygiénisation de la boue. Cet aspect du chau-lage ne sera pas développé en raison des con-troverses actuelles.

Il permet aussi d’en améliorer la siccité et latexture. Par un effet conjoint du mélange de laboue avec un produit minéral sec et (en casd’utilisation de chaux vive) de l’évaporation del’eau avec sa transformation en eau de consti-tution de la chaux éteinte, on réalise une ac-tion déshydratante poussée. L’inconvénient decette technique résulte d'une augmentation si-gnificative du volume à stocker. On ajoute eneffet des matières solides minérales, dans desproportions pouvant être importantes selon lasiccité finale désirée. Ainsi, comme le montrela figure 8, pour une boue de siccité initiale de20 %, il faut ajouter un kilo de chaux par kilode matière sèche pour obtenir au final une boueà 40 % de siccité.

domaine, plus général, des suspensions concen-trées ; et enfin, à partir d’observations expérimen-tales, nous dégagerons quelques axes de travail.Rappelons toutefois qu’il s’agit d’éléments préli-minaires amenés à évoluer, et en aucun cas de ré-sultats figés.

Les éléments constituant la boueVue d’ensembleAvant d’être épurée, l’eau usée subit un pré-traitement (dégrillage-tamisage-dessablage) quiconsiste à éliminer les éléments les plus grossiers.L’eau brute est ainsi débarrassée des particuleslourdes d’une taille supérieure à 0,2 mm, avec unrendement maximum de 80 %. On peut toute-fois considérer que les éléments de taille supérieureà 1 mm ont été stoppés au niveau du tamisage(maille de 0,75 mm). Les éléments grossiers ainsirécupérés ne sont pas réintroduits dans la filièreboue, mais évacués vers un centre de stockage.Par conséquent, la (faible) fraction minérale desboues est composée d’argiles, de limons et de sa-bles fins, au sens de la classification usuelle enmécanique des sols.

Les autres constituants de la boue sont le liquideinterstitiel (de 60 à 90 % du volume total) et lamatière organique (de 50 à 90 % des matièressolides). Il est préférable de parler de liquide in-terstitiel plutôt que d’eau, car, outre la matièreorganique dissoute, on retrouve en phase liquideles réactifs ayant servi au traitement, notammentpour le conditionnement. Le comportement decette solution sera donc à étudier et à compareravec celui de l’eau. La matière organique, quant àelle, est d’une composition extrêmement com-plexe, difficile à expliciter. C’est tout d’abord unimportant bouillon de culture (106 à 107 bactériespar ml.), très actif, mélangé à des débris cellulai-res et des matières en suspension, à forte teneuren protéines, issues des eaux vannes.

Globalement, l'amas de boue présente trois étatsphysiques (solide, liquide, gazeux3), deux étatschimiques (matières minérales et organiques) etune activité biologique, comme un sol ou un com-post mais dans des proportions différentes. Aussi,par analogie, l’évolution des matières organiquesdans le sol et les composts pourraient permettrede mieux comprendre la matière organique de laboue. En effet, étant donné que le constituantprincipal de la matière organique des sols est l’hu-mus, fraction colloïdale à évolution lente, on peut

Figure 8. – Chaulage à la chaux vive (horsévaporation). �

Les axes de recherche

L’intérêt porté aux boues résiduaires étant relati-vement nouveau, les connaissances acquises dansce domaine sont assez éparses. Nous nous propo-sons donc de faire une revue sommaire des con-naissances actuelles, avec une brève synthèse du

3. Selon les teneursen eau et matièreorganique de laboue, cette fractiongazeuse pourra êtretrès faible.

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légitimement se demander si cet état stable n’estpas l’état final vers lequel tendent tous les com-posés organiques, lorsque toutes les conditionspropices sont réunies.

Des similitudes avec les solsDans les sols, on appelle matière organique unensemble de substances organiques très différen-tes en cours d’évolution. Classiquement, on re-groupe les matières organiques du sol enquatre classes :

– la matière organique vivante, végétale et ani-male, qui englobe la totalité de la biomasse enactivité,

– les débris végétaux, les cadavres et excrétats d’ani-maux qui sont regroupés sous le terme de matièreorganique fraîche,

– des composés organiques intermédiaires, encoreappelés produits transitoires, qui sont les matiè-res organiques en cours d’évolution entre la ma-tière organique fraîche et les composés finaux,

– les composés organiques stabilisés : les matièreshumiques et composés apparentés désignés par leterme générique d’humus.

Dans tout sol en activité biologique, il existe doncà tout moment un mélange complexe de compo-sés minéraux et de matière organique, mélangevariable des quatre grandes classes précédemmentdéfinies. En effet, à l’origine de la formation del’humus dans les sols se produisent des réactionsbiochimiques qui commencent avec le vieillisse-ment des organismes vivants, végétaux et animaux.Ces substances organiques servent ensuite denourriture aux micro-organismes du sol. Pratique-ment, toute la matière organique fraîche passe parles êtres vivants du sol avant d’aboutir à une mo-lécule organique humique. Dès l’arrêt des fonc-tions vitales d’une cellule, la sénescence s’accom-pagne d’une autodestruction de nature enzyma-tique du cytoplasme :

– les protéines sont hydrolysées en peptides sim-ples et en acides aminés,

– les glucides et les lipides commencent à êtrehydrolysés respectivement en sucres simples etacides gras.

La matière organique fraîche, hydrolysée en ma-tière organique simple, sert à son tour de substratà d’autres micro-organismes. Les réactions bio-

chimiques dominantes sont des réactions de po-lymérisation et de polycondensation, aboutissantà des macromolécules organiques plus stables.Cependant, l’humification de la matière organi-que n’est pas un processus isolé et indépendantdu sol. Elle passe par des interactions fondamen-tales entre matière organique et particules miné-rales : le fameux complexe argilo-humique.

Des similitudes avec les compostsD’un point de vue général, le compostage est dé-fini comme un processus biologique aérobie as-surant la décomposition des constituants organi-ques des sous-produits et déchets en un produitorganique stable. Le compost peut être considérécomme un cas très particulier de sol actif très ri-che en matière organique en évolution, et pauvreen éléments minéraux figurés.

Lors du compostage, la décomposition des ma-tières organiques s’effectue, comme dans les sols,suivant des chaînes de transformations naturel-les. Des relations ont ainsi pu être établies entrel’activité des micro-organismes et l’évolution descomposts. Les principaux paramètres du compos-tage sont les facteurs qui influencent les condi-tions de vie des micro-organismes, à savoir :

– le taux d’oxygène lacunaire : tout organismeaérobie consomme de l’oxygène pour oxyder lescomposés organiques qui lui servent de nourri-ture. Le taux d’oxygène lacunaire, défini commele pourcentage d’oxygène dans l’air des « vides »joue donc un rôle primordial dans le compostageaérobie des déchets ;

– l’humidité : la teneur en eau est nécessaire, maisla saturation totale réduit l’espace lacunaire à unevaleur proche de zéro. Aussi, le taux optimal d’hu-midité pour un substrat donné est déterminé parle taux minimal d’espace lacunaire qui n’entraînepas d’inhibition de l’activité des micro-organis-mes;

– la température : la température optimale per-met d’atteindre les objectifs de chaque phase, àsavoir hygiénisation des substrats, vitesse de dé-gradation rapide, humification active,

– les caractères physico-chimiques des matériauxmis en compostage : les facteurs majeurs retenuscomme indicateurs sont les rapports entre élé-ments majeurs (C, N, P, K, S), le pH et les tauxde matière sèche et de matière organique. Au cours

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de leur évolution, les substrats organiques perdentplus rapidement leur carbone que leur azote. Lerapport C/N décroît donc constamment au coursdu compostage, pour se stabiliser vers 10 dans uncompost fini.

Les spécificités de la boueEn comparaison avec un sol, plusieurs élémentsdifférencient la boue. Au niveau de la matière or-ganique vivante, qui englobe la totalité de la bio-masse en activité, on ne trouve que des micro-organismes. Quant à la matière organique fraî-che, elle a déjà été décomposée en grande partie(surtout pour les filières biologiques) pendant laphase de traitement de l’effluent liquide. Elle estdonc probablement constituée en majorité decomposés organiques intermédiaires. De plus, lafaible minéralisation de la boue interdit des inte-ractions fortes entre la matière organique et lesparticules minérales, à l’origine de l’humification.Le taux de matière minérale de la boue est donc,toute chose égale par ailleurs, le facteur limitantdans le processus de transformation de la matièreorganique en matières humiques.

De plus, la boue peut aussi être comparée à unembryon de compost, trop tassé, qui s’étouffe.C’est un substrat fermentescible, le plus souventsans porosité, plastique, avec une tendance netteà la compaction sous son propre poids, et saturéen eau. Le taux d’oxygène lacunaire est par con-séquent très faible, et il est alors probable que l’ac-tivité des micro-organismes aérobies soit rapide-ment inhibé par asphyxie : le milieu se trouve dansdes conditions anaérobies de fermentation4. Lesfermentations contrôlées (lors des phases de sta-bilisation anaérobie) conduisent à une métha-nisation. En revanche, la méthanogènèse sponta-née au cœur du stockage est peu probable. La fer-mentation est limitée à la production d’acides grasvolatils et de dioxyde de carbone. Une exceptiontoutefois : si la boue a subi un traitement de sta-bilisation anaérobie, l’absence d’oxygène à l’inté-rieur de l'amas de boue permet de continuer labiométhanisation à température ambiante. Maisles bactéries méthanogènes sont très fragiles.L’acidification du milieu tue cette masse bacté-rienne, et ne laisse que les bactéries fermentatives,pratiquement indestructibles. Dans ce cas, il n’ya plus que du dioxyde de carbone produit. Parconséquent, à l’exception de conditions favora-bles précaires, la fermentation des boues pâteuses

conduit à une production d’acides gras volatils etde dioxyde de carbone. On a donc une diminu-tion de la masse organique et une liquéfaction dumilieu.

En théorie, toute la tranche organique se dégrade,mais à des cinétiques différentes : au niveau desstations, on s’occupe essentiellement des matiè-res les plus facilement biodégradables, et la na-ture est chargée d'achever le processus.

Plusieurs orientations semblent se dégager. D’unepart, l’évolution naturelle de la matière organi-que sous l’effet de micro-organismes ou par inte-raction avec les matières minérales entraîne desmodifications dans la composition du substrat,avec une augmentation des teneurs en eau, ce quipourrait influencer le comportement rhéologique.D’autre part, l’oxygène est un élément essentielqui régit les conditions de la dégradation de ma-tière organique. Aussi, pour un stockage aéré,comme pour les boues issues de filtre presse, lesconditions d’anaérobiose seront très limitées, tan-dis que pour les boues déshydratées par filtre àbandes presseuses et centrifugeuse, on aura unmilieu saturé en eau, donc très fermentescible. Latechnique de déshydratation employée peut doncavoir un effet non négligeable sur l’évolution dumatériau étudié.

Les différentes interactions possiblesentre les particules

Outre les interactions chimiques, des interactionsphysiques peuvent se produire entre les consti-tuants de la boue. En proportions variables d’unéchantillon à un autre, on trouve dans la bouedes colloïdes, minéraux et organiques, et des grainssolides. Cette variété de particules induit diffé-rents effets rhéologiques que nous allons décriresuccinctement.

Les effets hydrodynamiquesIls sont la conséquence immédiate et incontour-nable de la présence de particules solides dans unmilieu liquide. En effet, les particules occupantun certain volume initialement rempli de fluidemodifient les conditions d’écoulement : la visco-sité macroscopique de la suspension augmenteavec la fraction solide. Lorsque le taux de rem-plissage maximal est atteint, (il dépend de la formedes particules), la viscosité est théoriquement in-finie.

4. On appellefermentation uneréaction d’oxydo-réduction danslaquelle le donneuret l’accepteurd’électrons provien-nent de la mêmemolécule.Les fermentationsproduisent diversesmolécules organi-ques volatilesresponsables desmauvaises odeurs.

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Les premières études rhéologiques ont concernéle calcul de la viscosité d’une suspension très di-luée de sphères identiques non interactives, dansun liquide newtonien (Einstein, 1956). Pour unefraction solide inférieure à 2 %, dans un liquidede viscosité m

0, l’expression exacte de la visco-

sité résultante est :

La diffusion brownienneCe sont des mouvements aléatoires qui se super-posent aux déplacements moyens résultant del’écoulement des particules. Le mouvement brow-nien est indépendant de l’intensité d’écoulement,impliquant des effets significatifs pour les écoule-ments très lents, lorsque les dissipations d’éner-gie dues aux autres types d’interaction sont négli-geables. Dans ces conditions, la viscosité du mé-lange augmente quand la vitesse de cisaillementdiminue. Le mouvement brownien permet ainsid’expliquer le caractère rhéofluidifiant de certai-nes suspensions diluées (Ferguson et Kemblowski,1991).

Les interactions colloïdalesSous cette dénomination, on retrouve essentielle-ment les forces de Van der Waals, électromagné-tiques interatomiques attractives, (proportionnel-les à r-7) et les forces d’origine électromagnétiques,répulsives, (variant comme e-k.r), liées à la présenced’espèces ionisées à la surface des particules. Cesdeux forces étant antagonistes, il existe une dis-tance d’équilibre entre deux particules pour la-quelle la force mutuelle résultante est nulle, etl’énergie potentielle minimale. À l’équilibre, lessuspensions colloïdales se trouvent donc un puitsde potentiel. Pour que cette configuration soitbrisée, une certaine quantité d’énergie correspon-dant à la hauteur de la barrière de potentiel local,est nécessaire pour éloigner définitivement deuxparticules du champ d’action des forces qu’ellesexercent mutuellement. Pendant ce mouvement,d’autres particules, initialement distantes, peuventse rapprocher, et interagir significativement(comme si, schématiquement, l’une d’entre elleétait tombé dans un puits de potentiel crée parune autre). Tout se passe alors comme s’il existaitdes liaisons entre les particules qui pourraientréversiblement être cassées ou restaurées pendantl’écoulement. Au cours d’un écoulement donné,il faut donc attendre un certain temps avant quetous les puits de potentiels laissés « vacants » nesoient occupés et que toutes les liaisons initialesne se soient reformées, et ainsi revenir à l’équili-bre. Ces changements dans la configuration desparticules sont à l’origine des effets thixotropiquesobservés. De plus, pour des déformations suffi-samment petites, les particules peuvent bouger lesunes par rapport aux autres, sans toutefois vain-cre leur barrière de potentiel, ce qui induit les ef-fets élastiques.

µ µ= ⋅ +0

1 2 5, Φ

µ µ= ⋅ + +0

21 2 5 7 6, ,Φ Φ

Lorsque la fraction solide augmente, le champ decontrainte du fluide interstitiel devient complexe.Batchelor et Green (1972) ont établi l’expressionau second ordre d’une telle suspension :

Enfin, Nicodemo et al. (1965) ont observé, dans lecas de matériaux rhéofluidifiant, que par rapport àla courbe représentant la viscosité du solvant en fonc-tion de la vitesse de cisaillement, la présence de par-ticules accentue la pente de cette courbe. Cette mo-dification est plus importante aux faibles vitessesqu’aux vitesses élevées. Au delà d’une certaine con-centration particulaire, la pente de la courbe de-vient infinie : le seuil apparaît.

µ µ= ⋅ +−

0

2

10 75

1

.

ΦΦ

m

Cette expression n’est cependant valable que pourdes écoulements en allongement simple, et pour unefraction solide de l’ordre de quelques % (régimemoyennement concentré).

Pour des suspensions concentrées de particules noninteractives, plusieurs modèles empiriques ont étéproposés et donnent la viscosité d’une suspensioncomme une fonction de la concentration solide.Tous ces modèles prédisent l’augmentation de laviscosité avec la concentration solide, jusqu’à unelimite qui est le taux de remplissage maximal pourlequel la viscosité est théoriquement infinie. Citonspar exemple le modèle proposé par Chong et al.,(1971), s’adaptant à une suspension, mono oupolydisperse, de sphères :

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Il apparaît par conséquent que les dispersions ontdes propriétés rhéologiques plus complexes queles suspensions modérément concentrées de par-ticules non colloïdales, (Mewis et Spaull, 1976).Les principales sont les suivantes :

– seuil d’écoulement,

– thixotropie,

– rhéofluidité,

– élasticité.

Observations expérimentales : le rôlesupposé de la matière organique

Comme nous l’avons expliqué dans les paragra-phes précédents, la boue résiduaire pâteuse estun matériau très humide, la teneur en eau os-cillant entre 60 et 90 %, et de constitution trèsorganique. Le ratio MO/MS, c’est à dire le tauxde matière organique par rapport à l’ensembledes matières solides oscille entre 50 % sur lesboues stabilisées, et 85 % voire plus dans lesautres cas. En outre, plus la boue est organique,plus elle est collante, élastique et s’écoule diffi-cilement. Or, ce sont les particules colloïdalesqui donnent à la boue sa viscosité importanteet ses propriétés élastiques, (Van Damme, 1991).La matière organique pourrait donc être sousforme colloïdale dans la boue. Après avoir véri-fié cette hypothèse, une attention toute parti-culière devra être portée sur le taux de matièreorganique, parallèlement aux mesures rhéolo-

giques : si la teneur en colloïdes diminue, onpeut légitimement attendre des modificationsdes paramètres de la loi de comportement.

Afin d’illustrer cette hypothèse, nous avons pré-levé un échantillon de boue de la station de Saint-Germain-des-Fossés (Allier, Auvergne), à la sor-tie du filtre à bandes presseuses. Dans cette sta-tion, la boue est extrêmement organique, ce quiexplique les mauvaises performances du systèmede déshydratation (10 % de siccité). Notons aupassage que la boue n’est pas stabilisée. À des da-tes différentes, nous avons cisaillé la boue avec unsystème de mesure à plans parallèles, à contraintecontrôlée, et selon le même protocole pour obte-nir des résultats comparables. Quelques précau-tions ont été nécessaires, telles que l’adaptationde surfaces rugueuses sur les outils pour éviter leglissement aux parois, ou prendre en compte lecreusement à la périphérie (Coussot et Piau,1993). La figure 9 présente les évolutions du com-portement au cours du temps.

Il y a effectivement une évolution du comporte-ment de la boue, mais que nous ne pouvons ac-tuellement associer à un quelconque paramètre,aucune mesure n’ayant été réalisée en parallèle.

Cependant, des travaux québécois (Desjardins etRoy, 1993) ont montré l’influence, à siccité égale,de la fraction volatile (la matière organique) surla structure de la boue. Ils ont ainsi développé leconcept de siccité équivalente, qui représente « la

� Figure 9. –Évolution de la loide comportement aucours du temps.

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siccité que devrait avoir une boue avec une frac-tion volatile donnée pour que sa consistance soitéquivalente à celle d’une boue de siccité connuedont la fraction volatile serait différente ». Selonles auteurs, ce paramètre rend possible la cons-truction de courbes d’isoconsistance séparant lesboues liquides des boues pâteuses et les bouespâteuses des boues liquides (figure 10).

À présent, si l'on ajoute à ce mélange des matiè-res minérales inaltérables, lorsque la matière or-ganique se sera presque entièrement dégradée, onobtiendra un mélange boueux minéral. Les étu-des antérieures sur ce type de matériau montrentque la concentration volumique de matière so-lide est un élément important du comportementde la boue. Le rôle de la déshydratation se posealors.

Conclusion

Les filières de traitement des eaux usées font in-tervenir de nombreux paramètres pour aboutir àune eau propre et de qualité. Les résidus de dé-pollution sont eux-mêmes traités sur une chaînespécifique pour aboutir à un produit final au com-portement complexe : la boue.

C’est un mélange très actif de bactéries, de matiè-res colloïdales et non colloïdales, organiques etminérales, variable dans le temps et dans ses pro-portions d’un échantillon à l’autre, plongé dansun fluide interstitiel lui-même constitué d'unmélange d’eau et de polymère.

Beaucoup de paramètres susceptibles d’influen-cer le comportement rhéologique de la boue ontainsi été mis en évidence. Le travail consiste dé-sormais à observer plus attentivement le rôle dechacun de ces paramètres, indépendamment desautres, puis les uns par rapport aux autres.

Le rôle éventuel de l’évolution de la matière orga-nique sur la modification des paramètresrhéologiques devra être clairement mis en évidencepar des mesures parallèles de la fraction volatiledes boues (calcination à 550 °C), et de la loi decomportement sur différents échantillons et à desâges croissants.

En fonction des connaissances concernant les sus-pensions et dispersions dans le domaine fonda-mental, les différentes fractions solides devrontaussi être isolées, afin de déterminer leurs effetsrespectifs sur le comportement d’une solution.D’autant plus que l’ajout de polymère augmentela viscosité du liquide interstitiel, et le mélangeobtenu ne semble pas newtonien.

Enfin, compte tenu de la très grande variabilitéde la boue, sur le plan de ses composants, nousenvisageons également, en collaboration avec l’Ins-

Dans ces conditions, prenons un exemple ex-trême : considérons une boue uniquement cons-tituée d’eau et de matière organique. La fractionvolatile est donc de 100 % à tout moment, maisla fermentation de la matière organique entraîneune augmentation de la teneur en eau. L’état phy-sique de la boue évolue en suivant la droite verti-cale passant par FV=100 %. Alors qu'initialement,la siccité est de 25 % après un temps T suffisam-ment long, elle peut descendre jusqu’à une valeurtrès faible. La boue aura donc évolué en passantprogressivement par l’état solide, l’état pâteux, puisl’état liquide.

� Figure 10. – Courbes d’isoconsistance de boues résiduaires basées surle calcul des siccités équivalentes (source MENVIQ : ministère de l’Envi-ronnement du Québec).

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titut de la filtration et des techniques séparatives,(IFTS), de déshydrater un même matériau, afinde n’avoir que la teneur en eau comme différenceentre les échantillons. Cette étape nous permet-tra d'améliorer nos connaissances concernant l’in-

fluence de la méthode de déshydratation sur lecomportement, d’observer l’évolution de la frac-tion organique dans chacun des cas, mais aussi dene faire varier que les doses de floculant sur cer-tains échantillons. □

RésuméLes boues résiduaires pâteuses sont des matériaux au comportement complexe. Trop fluides pour tenir sousforme de tas, elles sont néanmoins trop solides pour être épandues correctement avec les moyens mécani-ques actuellement utilisés en agriculture. Aussi, afin de réduire ces deux principales entraves à la valorisa-tion agricole, et hormis les différentes réticences d’ordre psychologique, une étude du comportement méca-nique de ces boues a été menée récemment.Dans cette optique, et après avoir décrit les filières de traitement des boues, nous nous sommes attachés àmettre en évidence les caractéristiques jugées pertinentes. Des parallèles ont été établis dans ce but et dansplusieurs domaines avec d’autres matériaux, tout en gardant à l’esprit les spécificités de la boue.Enfin, dans le cadre de la mise au point de notre démarche expérimentale, nous avons illustré notre propospar un cas concret.

AbstractSoft residual sewage sludge behaves in a complex way. It is too liquid to form into a heap but too solid tobe spread properly using current machinery. A study of the mechanical behaviour of this sludge has beenundertaken recently to remove these two major obstacles to agricultural recycling, other than variouspsychological reservations. After a preliminary description of sewerage treatment processes, we haveattempted to highlight the characteristics considered to be the most relevant. Parallels are drawn with othermaterials in several fields, bearing in mind the specific characteristics of sludge.Finally, in order to finalise our experimental approach, we illustrate our proposal with a specific case.

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