Revue des Études de la Langue Française -...
Embed Size (px)
Transcript of Revue des Études de la Langue Française -...
-
Revue des tudes de la Langue Franaise Volume 9, Issue 2, 2017 (N de Srie 17), pp. 33-46 http://relf.ui.ac.ir DOI: 10.22108/relf.2017.101461.1004
________________________________________
* Auteur Correspondant. Addresse e-mail: [email protected]
2016 University of Isfahan. All rights reserved
Diffrentes stratgies et l'aporie de l'nonciation dans La Reprise d'Alain Robbe-Grillet
Athari Nikazm, Marzieh1*; Zaker Hosseini, Shakiba
2
1 Matre-assistante l'Universit Shahid Beheshti, Thran, Iran
2 Doctorante, l'Universit Shahid Beheshti, Thran, Iran
Reu: 2017/01/01, Accept: 2017/12/28
Rsum: Dans La Reprise (2001), Robbe-Grillet cre les labyrinthes textuels o le lecteur se perd et sembrouille. En effet, en montrant un
nouveau style de lcriture, lauteur expose son art de crer un Nouveau Roman. Il se mfie dune nonciation simple et se penche vers une
criture complexe et labyrinthique. Les nonciations sont trs embrouilles et compliques et sont difficiles comprendre. Le trouble
mental des personnages est perceptible et vident travers des cheveaux de lnonciation et les aventures langagires de lcriture. Les
questions essentielles qui se posent sont: comment les nonciations sont-elles compliques et peut-on trouver une similitude entre ces
nonciations varies et superposes et le flux de la conscience, lune des caractristiques essentielles du Nouveau Roman. Notre hypothse
est que ce sont les diffrentes stratgies des nonciateurs qui compliquent lnonciation et ces nonciations embrouilles entranent dans le
texte ce que les critiques appellent le flux de la conscience. Lobjectif de cette recherche est de montrer que diffrentes formes de
lnonciation, diffrentes stratgies et les jeux de lembrayage et du dbrayage, tout en compliquant le rcit, sont conformes au flux de la
conscience. La mthode employe est la smiotique de lcole de Paris. Cette approche tudie les structures signifiantes profondes du texte
et nous aide mieux comprendre le sens du discours.
Mots-cls: nonciation, embrayage, dbrayage, Nouveau Roman, flux de conscience.
____________________________________________________________________________________________________
Different strategies and the aporia of enunciation in La Reprise by Alain Robbe-Grillet
Marzieh Athari Nikazm1*
, Shakiba Zaker Hosseini2
1 Assistant Professor, Shahid Beheshti University, Tehran, Iran
2 PhD Candidate, Shahid Beheshti University, Tehran, Iran
Received: 2017/01/01, Accepted: 2017/12/28
Abstract: In La Reprise (2001), a spy-police story, Robbe-Grillet creates textual labyrinths where the reader gets lost and confused.
Indeed, by showing a new style of writing, the author exposes his art of creating a New Roman. He ignores a simple enunciation and leans
toward a complex and labyrinthine writing. The enunciations are very confused, complicated and difficult to understand. The mental
disorder of the characters is perceptible and evident through the enunciation and the language adventures of writing. The essential questions
are: how the enunciations are complicated and can we find a similarity between them and the stream of consciousness, one of the essential
characteristics of the New Roman. Our hypothesis based on the different strategies that complicate the enunciations and these confused
utterances in the text what critics call the stream of consciousness. The aim of this research is to show that different forms of enunciation,
different strategies and the play of shifting in and shifting out, complicating the narration, are in accordance with the stream of
consciousness. The method used is the semiotics of the Paris school. This approach studies the deep meaningful structures of the text and
helps us better understand the meaning of the discourse.
Keywords: Enunciation, Shifting in, Shifting out, New Novel, Stream of consciousness
____________________________________________________________________________________________________
- " " 2 *1
1 2
10/11/1931: 12/11/1931: 2111 " " - : . - .
. .
.
. . .
. :
-
34/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Volume 9, Issue 2(N de Srie 17), 2017
Introduction
Alain Robbe-Grillet, chef de file des nouveaux
romanciers, reprsente dans La Reprise le rcit
dun agent subalterne dun service despionnage
franais, HR qui vient Berlin afin daccomplir
une mission secrte pendant laquelle il rencontre
son double (son jumeau) et il tente retrouver
son identit. Le personnage se rveille chaque
dbut de chapitre, ce qui peut nous inciter
penser que l'histoire n'a aucun intrt en elle-
mme puisque tout pourrait tre faux, du
domaine du rve. Ce rcit a trois nonciateurs,
lun principal qui raconte lhistoire, lautre, qui
est son double, reprend ses propos, les modifie
et les corrige dans les notes de bas de pages. Il
existe galement un troisime nonciateur qui
prend la parole de temps en temps et donne des
dtails et des informations superflues. A tout
cela sajoutent plusieurs analepses et prolepses
temporels et un espace bourr dimages et de
reflets qui chappe toute tentative
didentification et qui rend lhistoire difficile
comprendre. Robbe-Grillet se mfie dune
nonciation simple et se penche plutt vers des
cheveaux de lnonciation et une criture
complexe et labyrinthique. Ajoutons que ce
roman contient plusieurs notes de bas de pages
qui s'adressent au lecteur, le prennent tmoin
et le mettent en garde sur la vracit des dires de
lnonciateur. Cela renforce la confusion et
convient tout fait au principe du Nouveau
Roman, qui veut que l'criture mne l'aventure.
Cette aventure de lcriture suscite une sorte de
varit dans la situation dnonciation du point
de vue actantiel et spatio-temporel. Nous
voulons savoir comment cette nonciation
complique est-elle en relation avec le flux de la
conscience dont parlent les critiques? Notre
hypothse est que la diversit des nonciateurs,
de lespace et du temps met en relief laspect de
fluidit de la conscience qui est lun des traits
spcifiques du Nouveau Roman.
Pour la mthode danalyse, nous avons
choisi la smiotique de lcole de Paris. Celle-ci
est, pour tre bref, la discipline qui tudie les
structures signifiantes du texte et la relation
logique entre elles. travers lexplication des
embrayages et des dbrayages des nonciateurs
par rapport la situation dnonciation, nous
pourrons lucider la conformit entre le courant
de la conscience des personnages et les
cheveaux de lnonciation.
Aprs avoir dfini lnonciation daprs
certains thoriciens, nous allons expliquer
brivement la notion du flux de conscience. Par
la suite, nous allons nous concentrer sur les
notions de lembrayage et du dbrayage qui
complexifie lnonciation et finalement la
relation proche et directe de la complexit de
lnonciation de ce roman et le flux de la
conscience sera discut.
La dfinition de lnonciation, de
lnonciateur et le flux de conscience
Concernant la dfinition de lnonciation, si on
envisage lhistoire de la linguistique en France,
la question de lnonciation entre dans le
cadre de la grammaire structurale, dans les
annes 1970-80 qui la suite du structuralisme,
est appele lnonciation. Au cours de cette
priode-l, nous tions plutt intresss par le
sens en action et la dimension performative
du langage (Bertrand, 2000:49).
Ce courant nonciatif, qui approfondit le
concept propos en linguistique par .
Benveniste et en effet dvelopp dans la
smiotique par Greimas, fait tous ses efforts
pour ne pas considrer la langue comme un
objet inerte, par contre il faut tenir compte de la
position de lnonciateur dans la production de
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouveau_Romanhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Nouveau_Roman
-
Diffrentes stratgies et l'aporie de l'nonciation dans La Reprise d'Alain Robbe-Grillet /35
lnonc. Nous pouvons dfinir lnonciation
selon plusieurs linguistes et smioticiens,
pourtant nous rcapitulons ici quelques
dfinitions qui nous aident rendre clair cette
notion. De prime abord, il faut dire que
lnonciation est lacte individuel de production,
dutilisation de la langue dans un contexte
dtermin, ayant pour rsultat lnonc.
Lnonciation est un acte de cration.
Il faut galement ajouter la dfinition dA. J.
Greimas donne en smiotique sur cette notion -
l : acte de structuration du sens et de position
dun sujet dans le discours. Selon . Benveniste
qui donne une dfinition basique de
lnonciation, lnonciation est cette mise en
fonctionnement de la langue par un acte
individuel dutilisation (Benveniste, 1969: 80).
Dans la thorie de Benveniste, lnonciation est
la mise en uvre singulire de la langue et
lnonc, selon Courts, cest lobjet produit
par lacte dnonciation (Courts, 1991: 245).
Relativement la diffrence de lnonc et
lnonciation, il faut faire cette remarque:
lnonc est un participe pass devenu
substantif: ce qui est nonc, pass avec valeur
rsultative. Cest le rsultat de lnonciation,
cest le message abord. Lnonciation: la
suffixation marque laction. Cest la prise en
compte de lacte et de la manire dnoncer
mais aussi la situation (temps, lieu...) et celui
qui est son origine: lnonciateur. Comme
mentionn antrieurement, il y a de multiples
perceptions et dfinitions de lnonciation, on ne
saurait passer sous silence cette dfinition
remarquable, lnonciation est:
Lensemble des lments absents dont
la prsence est nanmoins prsuppose
par le discours grce des marques qui
aident le locuteur comptent les
rassembler afin de donner un sens
l'nonc. Il est galement traditionnel,
du moins chez Greimas, de distinguer
soigneusement l'nonciation telle
qu'elle installe ou inscrite dans le
discours, de l'nonciation proprement
dite qui est toujours seulement
prsuppose. Enfin, il est admis,
toujours chez Greimas, de ne pas
considrer l'nonciation comme
l'ensemble des conditions sociales,
conomiques, matrielles,
psychologiques ou pragmatiques qui
entourent l'nonc.1
Il y a deux figures qui sont toujours
associes la notion de lnonciation, si nous
considrons le discours comme le produit dun
acte dnonciation, il garde normalement les
traces dun sujet comptent qui met en uvre
les structures de la langue, et cest l o nous
devrions dfinir: lnonciateur et lnonciataire.
On appellera nonciateur, le destinateur
implicite de l'nonciation (ou de la
communication), et le distinguant ainsi du
narrateur - tel le je par exemple - qui est un
actant obtenu par la procdure du dbrayage et
install explicitement dans le discours.
Paralllement, l'nonciataire correspondra au
destinataire implicite de l'nonciation, la
diffrence donc du narrataire (par exemple: le
lecteur comprendra que...) qui est
reconnaissable comme tel l'intrieur de
l'nonc. Ainsi compris, l'nonciataire n'est pas
seulement le destinataire de la communication,
mais le sujet producteur du discours, la lecture
tant un acte de langage (un acte de signifier) au
mme titre que la production du discours
proprement dite. Le terme sujet de
l'nonciation employ souvent comme
synonyme d'nonciateur, recouvre en fait les
deux positions actantielles d'nonciateur et
1 http://www.bruno-latour.fr/sites/.../75-FABBRI-FR.pdf
-
36/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Volume 9, Issue 2(N de Srie 17), 2017
d'nonciataire.1 Tout compte fait, lnonciateur
envoie le message et lnonciataire le reoit.
On pourra dfinir lnonciateur, quelquun
qui, dans la situation dnonciation dans un
moment donn et un lieu donn, dans une
certaine disposition desprit, avec une certaine
intention, transmet un message un destinataire.
Un nonciateur est une personne qui est
lorigine dun nonc de quelque type quil soit.
Lnonciateur peut-tre lauteur dune
production crite, dun discours fait loral ou
dune production graphique.2 Ou bien (Celui,
celle, ce) qui nonce quelque chose.3
Lnonciateur dispos dans le discours, possde
des fonctions diverses. Celui-ci prenant des
diffrentes faons de mettre le message en
circulation, ou bien offrir le message au public,
produit certains effets dans le discours. Lune
des fonctions dcisives, cest le point de vue
exprim par lnonciateur, celui-ci est quelquun
qui voit et qui pourrait voir de diffrentes
manires et diffrents angles. En choisissant un
point de vue particulier, dit stratgie en
smiotique dont nous allons expliquer plus tard,
lnonciateur choisit ce que lnonciataire va
voir (lire) et comprendre. Cest avec le point de
vue que lnonciateur influence et directe
lnonciataire ds le dbut jusquau point final
de chaque nonc. En effet, le point de vue,
cest la perspective selon laquelle les
vnements du discours ou du rcit seront
perus et prsents.4
Lorsquon aborde la problmatique de
lnonciation, il sensuit que nous serons
sensibles deux notions fondatrices attaches
1 Rigobert, Mukendi, Analyse pragmatique du discours de
Barack H. Obama Accra. Approche nonciative. [Document
lectronique]. Disponible sur http://www.memoireonline.com
consult en 2010. 2 http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr 3 http://www.cnrtl.fr/lexicographie 4 http://xn--coursdefranais-qjb.net/narration.htm
ce sujet caution: embrayage et dbrayage. Ce
jeu de lembrayage et dbrayage joue un rle
fondamental dans notre corpus et comme nous
lavons dj signal, la question du temps de
lespace et des nonciateurs, est extrmement
complique et confuse et cela accentue laspect
nigmatique du texte.
En ce qui concerne le flux de conscience, il
faut brivement dire que celui-ci est une
technique littraire qui cherche dcrire le point
de vue cognitif dun individu en prsentant crit
du processus de pense du personnage. La
technique du flux de conscience dvoile un tat
subconscient ou prconscient de la vie intrieure
du personnage et le mouvement processuel de
lintriorit humaine qui se passe chez le
personnage. Cette technique montre le flux de
myriade dimpressions qui affectent la
conscience de lindividu. Cette sorte dcriture,
sous la forme du courant de conscience est
associe bien avec la littrature moderniste et le
Nouveau Roman. La conscience apparat
comme un monologue intrieur partout prsente
dans notre corpus. Cela rend la lecture du texte
difficile suivre. En fait, on peut bien indiquer
que dans le corpus soumis notre tude, ce flux
de conscience rend la ralit des vnements
narrs de plus en plus relative. On peut voir que
la complexit de la vie psychique et la pense
des nonciateurs se met trs bien en relation
directe et immdiate avec le langage qui se
prsente dans lnonciation. En fait, le flux de
conscience des nonciateurs apparat
normment et vivement dans llaboration
nonciative et met lorganisation spatiale et
temporelle de ce rcit en dsordre. Maintenant
nous allons voir les diffrentes situations de
lnonciation dans cet ouvrage.
-
Diffrentes stratgies et l'aporie de l'nonciation dans La Reprise d'Alain Robbe-Grillet /37
Lnonciation embrouille dans La
Reprise et diffrentes stratgies
Comme nous lavons dj prcis dans
lintroduction, les nonciations sont dans La
Reprise embrouilles et compliques. En
utilisant des phrases trop longues et mal
structures, les nonciateurs tourmentent et
perturbent les lecteurs. En effet, La Reprise est
le dialogue interne des phrases, des mots et
mme des sons et des lettres. Parfois le discours
est en lutte sadiquement contre lui-mme et
parfois sembrasse affectueusement. Il introduit
les lecteurs dans les labyrinthes textuels et se
perd parfois avec le lecteur dans ces labyrinthes
et sembrouille. Lnonciation est ainsi une
nigme qui slucide en profitant de
lnonciation elle-mme. Cette complexit met
en retard lapparition du sens.
Au cours de la lecture, nous nous affrontons
la pluralit dnonciateurs, qui de temps en
temps lun entre autres prend le rle principal et
parfois le premier nonciateur est jug par un
second qui le reprend, le corrige et met en ordre
apparemment les propos du premier. Cette
correction se passe normalement dans les notes
de bas-de-page, et ce fait nous met dans un
abme et casse la dmarche habituelle et routine
du texte. Dailleurs, il faut aussi signaler le
dplacement nigmatique des nonciateurs : lun
commence le prologue et lautre finit lpilogue.
Il y a en outre un autre nonciateur qui nest pas
parmi les personnages du rcit, il raconte des
scnes et prsente des descriptions. Donc, ce jeu
de multiples nonciateurs, qui prend, de temps
autre la parole, cre une nonciation complique
et confuse.
Bref, la diversit de lnonciateur multiplie
non seulement les personnages mais aussi les
personnages marginaux qui possdent les rles
principaux. Les nonciateurs cherchent la trace
de certitude et ils essaient de sloigner de ses
illusions, des interprtations fausses et des
donnes errones qui trompent les locuteurs.
Dans tous ces jeux, lnonciateur est en train de
nous mettre dans le dilemme du vrai et du faux
et nous oblige de participer dans la file de
lnonciation et nous fait accompagner dans son
flux de conscience.
Soulignons de nouveau que La Reprise nous
reprsente deux nonciateurs principaux et le
troisime secondaire. Les deux premiers sont
jumeaux, qui sont en mme temps les
personnages (si on pourrait dfinir des
personnages pour le Nouveau Roman) centraux
et dcisifs. Lun parle, lautre remanie ce mme
propos et lajuste et le troisime nonciateur
rectifie les notes de bas de page. Lun
commence le roman, lautre le termine. Et de
temps en temps les nonciateurs bougent et
changent la position et lordre. Ce jeu des
nonciateurs et les diffrentes stratgies (point
de vue) manipules par eux, accentue tout
dabord les attraits nigmatiques du Nouveau
Roman et ajoute la complexit de celui-ci, de
plus dsoriente lnonciataire et en fin retarde
lapparition du sens. Il faut mentionner que
malgr ce fait, nous sommes tmoins dune
sorte de linarit dans lordre des nonciateurs.
Cette linarit devient un faux-semblant, une
apparence qui finira invitablement par se
dissoudre au gr de l'annotateur ou d'un nouveau
dveloppement. Et cette linarit deviendra elle-
mme un faux-semblant dans les dernires
pages, o la fragile assurance gagne par le
lecteur volera en clats. Bref, lnonciateur
varie, le point de vue diversifie et la diversit du
point de vue entrane une lecture difficile. Pour
analyser les diffrentes stratgies que prend
lnonciateur, il nous faut nous rfrer aux
dfinitions de Jacques Fontanille. Il en dfinit
-
38/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Volume 9, Issue 2(N de Srie 17), 2017
quatre diffrentes: Stratgie englobante,
Stratgie cumulative, Stratgie lective et
Stratgie particularisante
La stratgie englobante
Selon J. Fontanille, la stratgie englobante
donne lieu par exemple des points de vue
omniscients. Au prix, dans certains cas, dune
trs grande distance, mais aussi des
phnomnes relevant du sommaire narratif,
voire de la gnralisation; elle a pour principe la
domination et la comprhension des tats des
choses, et naccord de la valeur qu leur
ensemble cohrent, leur totalit. Certains
verbes de perception en relvent, comme
considrer, contempler, ou embrasser du
regard. (Fontanille, 1999: 51)
De ce fait, nous pourrions comparer la
stratgie adopte par lnonciateur avec une
camra qui donne sur un paysage ou un objet
prcis, dune distance dtermine, mais cette
camra prpare cette possibilit de voir tout le
paysage, pas surtout en dtail, mais on pourrait
le voir en gnral et nous serons dans la
situation davoir une certaine information et une
ide propos du paysage. On aura cette
impression que lnonciateur est loin des dtails
mais cette gnralisation sera quand mme assez
pratique pour lnonciataire. Dans ce cas-l,
lnonciateur aura cette capacit de prsenter
lambiance gnrale du paysage. Il faut faire
attention que lnonciateur (la camra) partage
cette faon de voir (point de vue) avec son
nonciataire et celui-l cherche garder la
distance, et ainsi lnonciateur ne veut que
lnonciataire ait sa disposition des
explications avec prcision. Prenons quelques
exemples du livre soumis nos tudes: Au
cours de l'interminable trajet en chemin de fer,
qui, partir d'Eisenach, me conduisait vers
Berlin travers la Thuringe et la Saxe en
ruines (La Reprise, p.9) comme nous voyons
dans ces phrases, lnonciateur donne une image
gnrale de Saxe afin de nous fait entrer dans
lambiance et cest: Saxe en ruine. Ou bien
Dehors, il faisait dj presque nuit, et les quais
au sol ingal, bossel, paraissaient tout fait
dserts sur l'une et l'autre rives. (La Reprise,
p.216), cela nous de mme donne une vue
gnrale.
La stratgie cumulative
Selon la dfinition de Jacques Fontanille: la
stratgie cumulative, ayant dispos les aspects
dune situation ou dune question en sries, ne
sait que les parcourir les uns aprs les autres, et
elle ne saccomplira quen visant lexhaustivit,
la seule valeur admise ici. Le roman qui
multiplie les points de vue, qui change sans
cesse de personnage-observateur, voire qui
combine plusieurs points de vue sur chaque
scne en est une ralisation. Mais, un tout
autre niveau danalyse, des verbes comme
prospecter ou explorer en fournissent aussi une
bonne illustration. (Fontanille, 1999: 51)
En ce qui concerne la stratgie cumulative,
on pourrait comparer le rle de lnonciateur
avec une camra qui a une certaine distance
avec un paysage et il observe tout le paysage
dans une gradation. Il parcourt le paysage, va
dans toutes les parties et traverse dune partie
lautre et cela a cette possibilit de voir tout en
dtail. En comparaison avec la stratgie lective,
on pourrait voir le paysage complet dans une
manire transparente et par rapport la stratgie
particularisante le cadre est plus vaste et de plus
lnonciateur prend plus de distance. Il suffit de
donner comme exemple issu du corpus:
Le Thtre Royal au centre, l'glise
des Franais droite et la Nouvelle
glise gauche, trangement
semblables l'une l'autre en dpit de
-
Diffrentes stratgies et l'aporie de l'nonciation dans La Reprise d'Alain Robbe-Grillet /39
l'antagonisme des confessions, avec la
mme flche statuaire terminant un
clocher en rotonde qui domine les
mmes quadruples portiques colonnes
no-grecques. Tout cela s'est croul,
rduit dsormais d'normes
entassements de blocs sculpts o l'on
distingue encore, sous la lumire
irrelle d'une glaciale pleine lune, les
acanthes d'un chapiteau, le drap d'une
statue colossale, la forme ovale d'un
il-de-buf. Au milieu de la place, se
dresse le socle massif, peine corn
par les bombes, de quelque allgorie en
airain aujourd'hui disparue, symbolisant
la puissance et la gloire des princes par
l'vocation d'un terrible pisode
lgendaire, ou bien reprsentant tout
autre chose, car rien n'est plus
nigmatique qu'une allgorie. Franz
Kafka l'a bien sr longuement
contemple, il y a juste un quart de
sicle, lorsqu'il vivait dans son
voisinage immdiat, en compagnie de
Dora Dymant, le dernier hiver de sa
brve existence. Guillaume de
Humboldt, Henri Heine, Voltaire, ont
aussi habit sur cette place des Gens
d'Armes. (La Reprise, p.28)
Comme il est vident dans lexemple donn,
lnonciateur parcourt son entourage et il nous
prsente une explication dtaille de ce quil
voit.
La stratgie lective
J. Fontanille explique la stratgie lective de
manire suivante: La stratgie lective,
recherche, parmi tous les aspects, le meilleur
exemplaire possible, celui dont lclat dispense
de chercher plus avant, car il vaut pour tous les
autres; ds lors, laspect lu retiendra
lattention, et focalisera le discours; le principe
qui guide en sous-main une telle stratgie est
celui du choix: sslectionner et focaliser pour
connaitre et agir. La valeur requise est ici la
reprsentativit ou lexemplarit. Bien des
points de vue qui se prsentent comme
omniscient en relvent pourtant: mais ils font
illusion parce que tout autre aspect de lhistoire
ou de la situation prsente a t soigneusement
occult. des verbes de perception comme
fixer, examiner sont aussi susceptibles dy
participer. (Fontanille, 1999: 51)
Ainsi, il est galement possible de comparer
la stratgie lective de lnonciateur avec une
camra qui pourrait donner sur un paysage
gnral, et on peut aussi considrer quil voit
tout le site, pourtant cest seulement une partie
particulire de ce panorama est transparente,
claire et pntrante et dautres fragments sont
insaisissables et brumeux. Cest comme si
lnonciateur ou la camra oriente le regard de
lnonciataire et choisit des parties quil faut
attentivement voir. On pourrait dire que la
distance est moins que celle de la stratgie
englobante. Bref une certaine partie est lue
voir. Lnonciateur fait lnonciataire de se
concentrer sur une seule partie du paysage. Par
exemple:
Devant nous se tenait immobile un
groupe compact d'hommes plutt
grands, trs maigres, avec de longs
manteaux noirs ajusts et des chapeaux
en feutre larges bords, noirs
galement, attendant on ne savait quoi,
puisque le convoi qui venait de Halle,
Weimar et Eisenach, tait dj l depuis
quelque temps. Par-del cette masse
funbre, ou religieuse, j'ai cru
apercevoir Pierre Garin. Mais sa figure
avait un peu chang. Une barbe
naissante, qui pouvait avoir au moins
huit jours, couvrait ses joues et son
menton d'un indcis masque d'ombre.
-
40/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Volume 9, Issue 2(N de Srie 17), 2017
Et des lunettes noires cachaient ses
yeux (La Reprise, p.252)
Lnonciateur oriente le regard de
lnonciataire vers un homme qui ressemble
Pierre Garin (jai cru), il focalise sur lui et
cela donne cette impression que cest seulement
Pierre Garin qui existe dans cet endroit et les
autres nont aucune importance et ils nattirent
pas le regard de lnonciateur.
La stratgie particularisante
Daprs J. Fontanille: La stratgie
particularisante est certes quelque peu
myope, car elle se suffit du dtail quelle est
parvenue isoler ; mais, puisquelle naccorde
aucun prix la matrise des grands ensembles,
elle se satisfera de la spcificit de la partie
isole. Le nouveau roman, notamment chez
Robbe-Grillet, offre un large ventail de tels
points de vue, faiblement reprsentatifs, limit
et droutants. Des verbes de perception tel
quapercevoir ou scruter en relvent souvent.
(Fontanille, 1999: 51)
De mme, si on met en parallle la stratgie
particularisante avec une camra lorsque celle-ci
zoome sur une partie dtermine et particulire
afin de pointer quelque chose de spcifique, en
fait on insiste sur un fragment et les autres
parties ne sont mme pas dans le cadre. Donc
nous navons plus un paysage gnral,
totalement au contraire de la stratgie
englobante et de plus dans ce cas, lnonciateur
donne plus de dtail possible. La distance de la
camra avec lobjet ou le paysage est diminue
au moindre possible. En outre il faut signaler
quen choisissant cette stratgie, lnonciateur
droute lnonciataire vers une petite partie de
ce qui est en train dtre dcrit, et nous oblige
voir une seule partie dun tout. De plus
lnonciateur (la camra) dtermine des limites,
les forme et nous restreint. Il y aura une sorte
dimpossibilit pour lnonciataire de voir les
autres parties et de se familiariser avec
lambiance gnrale du paysage.
Prenons pur exemple:
Contre la paroi de droite (pour
l'observateur plac dos la fentre) se
dresse une grosse armoire glace, assez
profonde pour servir de penderie, dont
l'pais miroir aux biseaux trs marqus
occupe en presque totalit la porte un
seul battant, o l'on aperoit l'image du
tableau, mais inverse, c'est--dire que
la partie droite de la toile peinte se
retrouve dans la moiti gauche de la
surface rflchissante, et
rciproquement, l'exact milieu du
chssis rectangulaire (matrialis par la
tte au port noble du vieillard)
concidant de faon prcise avec le
point central de la glace pivotante, qui
est close et donc perpendiculaire au
tableau rel, ainsi d'ailleurs qu' sa
virtuelle duplication. Sur cette mme
paroi, entre l'armoire place presque
dans l'angle et le mur extrieur o se
situe la fentre, entirement soustraite
aux regards par les lourds rideaux
ferms, s'adosse la tte des deux lits
jumeaux, qui ne sont gure utilisables
que pour de trs jeunes enfants, tant
leurs dimensions sont rduites: moins
d'un mtre cinquante de longueur sur
environ soixante-dix centimtres de
large (La Reprise, p.107)
Comme nous voyons, en choisissant
diffrentes stratgies, nous sommes face une
nonciation qui manque de simplicit et
complique la comprhension du texte et en effet,
cette complexit met en retard lapparition du
sens de lnonc. Tout cela cre une sorte de
lecture qui nous empche et nous droute
darriver un but. A part des stratgies, nous
pouvons analyser galement les diffrents
-
Diffrentes stratgies et l'aporie de l'nonciation dans La Reprise d'Alain Robbe-Grillet /41
brayages dans le test qui sont lis lespace et
au temps.
La question de lembrayage et du
dbrayage dans La Reprise
La thorie des embrayages et des dbrayages a
t labore par A. J. Greimas partir du
concept de shifters qui, chez Jacobson,
dsignait les lments de la langue susceptibles
de manifester la prsence de lnonciation.
(Courts, 1991: 98) Elle montre la relation de
lnonciation et de lnonc, de deux
faons. Soit lnonc est entirement plant dans
la situation de lnonciation, cest l o nous
avons cette impression que lnonciateur a cette
tendance de personnaliser lnonc, soit dans le
cas contraire, lnonc sloigne de la situation
de lnonciation et il la disjoint, dans ce cas-l,
on juge que lnonciateur dpersonnalise
lnonc.
En effet, soit on prsente un monde autre
que celui dans lequel se trouve lnonciateur,
soit nous sommes face un monde propre
(Courts, 1991:96) qui est le monde de je, ici,
maintenant de lnonciateur. Selon
Dictionnaire de Greimas et Courts, le
dbrayage est dfini en tant que leffet de
retour lnonciation, produit par la suspension
de lopposition certains termes des catgories de
la personne et/ou de lespace et/ou du temps,
ainsi que la dsignation de linstance dnonc.
(Greimas et Courts, 1798: 54). De son ct,
Jacques Fontanille dfinit lembrayage et le
dbrayage de manire suivante: Le dbrayage
est dorientation disjonctive. Grce lui, le
monde du discours se dtache du simple \vcu \
indicible de la prsence; le discours y perd en
intensit, certes, mais gagne en tendue: de
nouvel espace, de nouveaux moments peuvent
tre explors, et dautres actants tre mis en
scne. Le dbrayage est donc par dfinition
pluralisant, et se prsente comme un
dploiement en extension ; il pluralise linstance
de discours1: le nouvel univers du discours qui
est ainsi ouvert comporte, au moins
virtuellement, une infinit despaces, de
moments et dacteurs. Lembrayage est en
revanche dorientation conjonctive. Sous son
action, linstance de discours sefforce de
retrouver la position originelle. Elle ne peut y
parvenir, car le retour la position originelle est
un retour lindicible du corps propre, au
simple pressentiment de la prsence. Mais elle
peut au moins en construire le simulacre. Cest
ainsi que le discours est mme de proposer une
reprsentation simule du moment (maintenant),
du lieu (ici) et des personnes de lnonciation
(je/tu). Lembrayage renonce ltendue, car il
revient au plus prs au centre de rfrence, et
donne la priorit lintensit ; il concentre une
nouvelle instance de discours (Fontanille, 2003:
92). Compte tenu de ce qui prcde, alors le
dbrayage est une sorte de sparation dune
situation rfrence de lnonciation qui sont: je,
ici et maintenant. Alors dans le dbrayage, en
effet nous sommes coups de la situation
dnonciation. Ainsi je devient non-je et les
pronoms personnels sont exclusivement: \il(s)\
et \elle(s)\, de plus maintenant devient non-
maintenant et les temps ne font jamais
rfrences la situation de rfrence et puis,
ici devient non-ici qui ne fait pas rfrence
la situation dnonciation. Bref, nous sommes
loigns de la situation dnonciation, par contre
dans lembrayage, on reste toujours attach la
situation dnonciation. Dans un autre terme: Le
dbrayage est une opration nonciative qui
consiste distinguer linstance nonciative de
linstance noncive. Lnonciateur abandonne
1 Note la fin.
-
42/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Volume 9, Issue 2(N de Srie 17), 2017
linstance fondatrice de lnonciation (je, ici,
maintenant) en projetant dans lnonc un non-
je par le dbrayage actanciel, un non-ici par le
dbrayage spatial et un non-maintenant par le
dbrayage temporel. Le sujet, le temps et le lieu
de lnonciation (je, ici, maintenant) se sparent
des reprsentations actancielles, spatiales et
temporelles (non-je, non-ici, non-maintenant)
par le dbrayage.
Rcapitulons nos propos avec une phrase de
Denis Bertrand lembrayage construit un
nonc ancr dans la situation dnonciation et
le dbrayage construit un nonc coup de la
situation dnonciation (Bertrand, 2000: 58). Si
nous retournons notre corpus, comme nous
lavons dj signal, nous sommes envahis par
la perplexit et lincertitude issues de plusieurs
ruptures actancielles, spatiales et temporelles.
Par le biais de cette diversit on peut bien
montrer la technique du flux de conscience. En
fait par lintermdiaire de lnonciation
complique, nous allons arriver au chaos et
fluidit de la conscience. En effet en lisant La
Reprise, nous entrons dans un jeu dembrayage
et de dbrayage et nous voyons huit diffrentes
positions de je, ici maintenant dans leurs
rapports lun lautre.
1) Lactant (Je), lespace (ici) et le temps
(maintenant) sont tous, compltement lis la
situation dnonciation, nous sommes dans
lembrayage total avec la situation de
lnonciation. Par exemple: Ici, donc, je
reprends, et je rsume. (Robbe-Grillet, 2001:
9) Je n'ai pas de carte sur moi, mais je vois
mal que les alas du rail nous aient
aujourd'hui. (P. 11) Et voil que je me
remets ce manuscrit aprs une anne entire
de rdaction cinmatographique entrecoupe
de trop nombreux voyages, quelques jours
peine aprs la destruction d'une part notable de
ma vie, me retrouvant donc Berlin (82)
Dans les exemples ci-dessus, lnonciateur
reste tout fait attach la situation
dnonciation. Lnonciateur se prsente sous la
forme du pronom Je, et ici montre le lieu
o se trouve la personne qui parle
(lnonciateur) pendant lnonciation et le verbe
au prsent, de mme, indique ce fait que laction
aborde par lnonciateur, se passe dans le
temps actuel, li la situation de Je( lactant
et lnonciateur) et ici(lespace)
2) Lactant (Je), lespace (ici) sont attachs
la situation dnonciation donc nous avons
lembrayage actanciel et spatial, par contre
nous avons une rupture temporelle, un
dbrayage temporel avec la situation de
lnonciation:
Au bout du canal mort, en face de moi,
le souvenir d'enfance tait toujours en
place, immobile et ttu, menaant peut-
tre, ou bien seulement dsespr. Un
rverbre archaque, plac juste au-
dessus, clairait de sa lueur bleuie par le
brouillard naissant, dans un halo
thtral savamment calcul, le squelette
de bois pourri du voilier fantme,
ternis en plein naufrage... (Robbe-
Grillet, 2001: 216)
Dans cette partie nous avons signal que
lnonciateur actant et lespace restent lis la
situation, tandis que nous sommes face un
dbrayage temporel, lactant se distancie de
point de vue temporel de la situation de
lnonciation en utilisant le verbe au pass.
3) Lactant (je) reste li la situation
dnonciation, donc nous avons embrayage
actanciel, mais lespace (ici) et le temps
(maintenant) sont dtachs de la situation
dnonciation, cest--dire nous avons le
dbrayage spatiotemporel.
-
Diffrentes stratgies et l'aporie de l'nonciation dans La Reprise d'Alain Robbe-Grillet /43
Jai arrach vivement ma lourde sacoche du
filet valises, juste au-dessus de cette tte qui
ne m'appartenait pas, bien qu'tant sans
conteste la mienne (plus authentique, mme,
en un sens), et je suis ressorti du
compartiment (Robbe-Grillet, 2001: 14).
Quand j'atteins enfin le fond de cette spirale
qui me semblait interminable, jalonne
seulement par de rares veilleuses beaucoup
trop espaces, j'ai devant moi l'entre d'une
galerie qui, elle, n'est plus claire du tout
(167).
En ce qui concerne les exemples prcdents,
vident cest que lactant reste attach la
situation de lnonciation en utilisant le pronom
Je, cependant il y a une distance
spatiotemporelle par rapport la situation
dnonciation. Cette distance est bien dsigne
par les verbes au pass et les espaces qui ne sont
absolument pas ici par exemple: lentre
dune galerie.
4) Lespace (ici) et le temps (maintenant)
restent en contact direct avec la situation
dnonciation, ainsi nous avons lembrayage
spatiotemporel, et lactant (Je) est spar de
cette situation et donc cest un dbrayage
actanciel.
Sans se gner, le prtendu pcheur tourne
progressivement la tte pour suivre des yeux
cet improbable bourgeois en pelisse qui longe
les maisons d'un pas de promenade, sur la
berge oppose, c'est--dire du ct pair de leur
numrotation, s'arrte mi-chemin
(Robbe-Grillet, 2001: 80)
Peut-tre cause du poids de son bagage,
dont il a maintenant pass la courroie sur son
paule gauche, la rue Frdric lui parat plus
longue qu'il ne l'aurait cru (50).
Dans les exemples ci-dessus, nous avons bien
remarqu la distance actantielle par rapport
la situation de lnonciation indiqu par le
pronom il ou bien son qui ne sont
videmment pas je, alors que le temps et
lespace restent attachs cette situation.
5) Le temps (maintenant) garde son rapport
avec la situation dnonciation, ainsi nous
avons lembrayage temporel, et linverse
lactant (Je), lespace (ici) sont carts de la
situation dnonciation, cest le cas du
dbrayage actanciel et spatial.
Et c'est dans un silence total, trop
parfait, un peu inquitant, que Franck
Matthieu (ou aussi bien Mathieu Frank,
puisqu'il s'agit l en vrit de ses deux
prnoms) se rveille, on ne saurait dire
au bout de combien d'heures, dans une
chambre familire, dont il lui semble du
moins reconnatre les moindres dtails,
bien que ce dcor soit pour le moment
impossible situer, dans l'espace
comme dans le temps. Il fait nuit. Les
pais doubles rideaux sont ferms
Suspendu au centre de la paroi face la
fentre invisible, il y a le tableau
(Robbe-Grillet, 2001: 106).
Lexemple prcdent montre bien
lembrayage temporel en profitant bien des
verbes au prsent, alors que lactant et lespace
sloignent de la situation dnonciation. On
peut bien voir que lactant nest plus je et se
change en il ou bien Mathieu Frank,
dautre part laction se passe dans un endroit qui
nest srement pas ici mais une chambre
familire.
6) Lactant (Je), lespace (ici) et le temps
(maintenant) sont tous dtachs de la situation
dnonciation, autrement dit, nous sommes
dans un dbrayage total avec la situation
dnonciation.
Tandis qu'il range en y mettant tout son soin
habituel contenu de la grosse sacoche, Boris
Wallon, dit Wall pour la circonstance, se
-
44/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Volume 9, Issue 2(N de Srie 17), 2017
souvient tout coup d'un rve qu'il a fait cette
nuit (Robbe-Grillet, 2001: 77)
HR, en tout cas, possde dsormais
une certitude : il a retrouv sa chambre
d'htel et c'est l qu'il a pass la fin
d'une nuit agite. Cependant, s'il a
conscience d'tre rentr fort tard, il ne
se souvient pas d'avoir demand qu'on
le rveille, quelque heure que ce soit,
et il a maintenant omis de se le faire
rpter d'une faon moins vague par le
patron grincheux, compensant alors le
manque d'une montre en bon tat de
marche. Au reste, on dirait que la notion
d'heure, exacte ou mme
approximative, a perdu toute
importance ses yeux, peut-tre parce
que sa mission spciale se trouve mise
en suspens, ou bien seulement depuis
qu'il s'est perdu dans la contemplation
du tableau de guerre ornant sa chambre
d'enfant, chez la maternelle et
troublante Io (157)
Les exemples donns indiquent tout fait le
dbrayage actantiel et spatiotemporel. Les
pronoms il ou les noms propres comme
H.R. qui ne sont videmment pas je,
lutilisation des verbes au pass et la chambre
dhtel en que lespace montrent bien ce
dbrayage par rapport la situation
dnonciation. Nous sommes tout fait hors du
cadre je, ici, maintenant.
7) Lactant (Je) et le temps (maintenant)
restent attachs la situation dnonciation,
pourtant lespace (ici) est cart de cette
situation. Ainsi nous avons le dbrayage
spatial et lembrayage actanciel et temporel.
Le souvenir d'enfance est alors revenu dans
toute son intensit. Je dois avoir sept ou huit
ans, espadrilles, culotte courte, chemisette
bruntre dlave, ample pull-over dform par
l'usage. Je marche sans butC'est l'hiver qui
commence. La nuit tombe vite (Robbe-Grillet,
2001: 19).
Le cas prcdent qui est un exemple
intressant puisque lnonciateur (lactant)
commence raconter une mmoire de son
enfance en se gardant attach au prsent de
lindicatif pourtant en mme temps il substitue
ici par un autre espace qui appartient la
mmoire de lenfance soudainement tale. Bref
nous visons au dbrayage spatial et
lembrayage actantiel et temporel.
8) Lactant (Je), le temps (maintenant)
dsenchanent de la situation dnonciation, de
ce fait nous avons le dbrayage actanciel et
temporel, tandis que lespace reste attach la
situation dnonciation do nous avons
lembrayage spatial. Lorsque les policiers
allemands viennent de demander H.R des
questions:
Dans la salle du Caf des Allis, peu
frquente d'une faon gnrale, les
deux hommes qui demandaient me
voir, sans pourtant manifester
d'impatience, taient identifiables trs
aisment: il n'y avait aucun autre
consommateur.leur costume qu'il
s'agissait de policiers allemands en
civil, qui m'ont d'ailleurs, en guise de
prambule, prsent les cartes
officielles attestant leur fonction et le
devoir dans lequel ils taient d'obtenir
de moi des rponses prcises,
vridiques (Robbe-Grillet, 2001:
201)
Cest exactement l, le cas que nous avons
expliqu:
Peut-on savoir alors o vous avez pris cette
lingerie poignarde, dcouverte ici-mme dans
votre salle de bains ? (210)
Dans ces exemples, comme nous lavons
signal, lactant et le temps de dtachent de la
situation dnonciation, lun en utilisant les
-
Diffrentes stratgies et l'aporie de l'nonciation dans La Reprise d'Alain Robbe-Grillet /45
deux hommes la place de je et lautre en
employant les verbes au pass. Mais en ce qui
concerne lespace, celui-ci reste li la
situation. Ladverbe ici-mme en est un
indice.
Tout ce quon vient de prsenter travers les
exemples montre une sorte de chaos dans la
dmarche de lnonciation, une sorte derrance
nonciative o le changement perptuel de
lactant, du temps et de lespace met le lecteur
dans la difficult suivre le courant normal du
rcit. Cette errance qui existe dans les diffrents
discours de cet ouvrage et galement dans
lunivers romanesque labyrinthique de La
Reprise, reprsente et met en relief la fluidit du
courant de conscience des personnages.
Lnonciateur, qui change de temps en temps
dans ce roman, met le lecteur dans un jeu de
lembrayage et du dbrayage qui perturbe la
lecture. En effet cette dconstruction de la
dmarche normale du rcit qui est lune des
caractristiques du Nouveau Roman
En effet cette diversit dans la situation des
nonciateurs quon vient dexpliquer, montre
galement lomniprsence de lun des traits du
Nouveau Roman qui est le courant de
conscience. Celui-ci est tram de perceptions
actuelles servant de stimuli des penses et
des souvenirs. Le dveloppement de ces tats de
conscience successifs se fait selon une double
ligne: dune part lancrage dans lenvironnement
(le personnage se dplace, peroit les objets, les
personnes, les lieux autour de lui); et dautre
part une logique intrieure faite dassociations
dides, de rminiscences du pass et de projets
davenir. On peut dire quon se trouve tout fait
dans la voie dune comprhension difficile et
tardive et dans un labyrinthe o cest trs
difficile sen dgager et sen dlivrer. Il faut
dire que la prsence perptuelle du flux de
conscience est belle et bien mis en relief par les
diffrentes stratgies choisies par les
nonciateurs et la complexit spatio-temporelle.
Cette aporie de lnonciation robbe-grilletienne
nous offre une lecture gnante mais galement
captivante.
Conclusion
Lunivers romanesque dAlain Robbe-Grillet,
dans cet ouvrage, natteint une cohrence non
seulement au niveau de lnonciation mais de
plus au niveau de la conscience du personnage
qui se met toujours dans un chaos et dans une
sorte de fluidit. La Reprise de Robbe-Grillet se
prsente comme laccomplissement de lerrance,
de la mobilit spatiotemporelle et de la
perturbation narratologique. Loin daucune
analyse psychologique, on peut bien voir les
troubles psychiques des personnages par le biais
des discours prsents et le flux de la
conscience. Dans lensemble, part des effets
nigmatiques produits par la complexit de
lnonciation, Alain Robbe-Grillet range bien un
labyrinthe o le lecteur senferme ds le dbut
jusqu la fin du livre, il devient ainsi lesclave
de cette manire dcriture et de cette
laboration des noncs. Le point qui nous
frappe galement dans ce livre, cest que La
Reprise est bourre de la stratgie
particularisante qui nous permet dentrer dans
les dtails des objets. Cest l o lnonciateur
nous introduit dans un monde des objets qui
sont l et qui donne les informations prcises sur
lambiance. Avec toutes ces prcisions,
lnonciateur fait tomber lnonciataire dans
lunivers qui est autour de lui, cet univers est
bien sr tourn vers lextrieur cest--dire le
monde objectif de lnonciateur. la lumire de
ce qui prcde, cela serait possible de dire que
cette prsence perptuelle de la stratgie
-
46/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Volume 9, Issue 2(N de Srie 17), 2017
cumulative et la stratgie particularisante, mette
laccent sur limportance des objets dans le
Nouveau Roman. Les personnages du Nouveau
Roman existent travers le regard quil pose sur
le monde extrieur et sur les objets. Cest
travers le monde objectif que lnonciateur se
trouve graduellement.
Note
Linstance de discours: linstance dsigne alors
ensemble des oprations et des oprateurs et des
paramtres qui contrlent le discours. Ce terme
gnrique permet dviter notamment
dintroduire prmaturment la notion de sujet.
Jacques, Fontanille (2003), Smiotique du discours,
Limoges, Pulim, p. 92.
Bibliographie
Benveniste, . (1966). Problmes de
linguistique gnrale II. Paris: Gallimard.
Bertrand, D. (2000). Prcis de smiotique
littraire. Paris: Nathan.
Bertrand, D. (1993). Le langage spatial dans la
bte humaine, in Mimesis et Smiosis.
Littrature et reprsentation, miscellanes
offertes Henri Mitterrand. Paris: Nathan
Courts, J. (1991). Analyse smiotique du
discours: De lnonc lnonciation. Paris:
Hachette.
Fontanille, J. (2003). Smiotique du discours.
Limoges: Pulim.
Fontanille, J. (1999). Smiotique et littrature,
essai de mthode. Paris: PUF.
Robbe-Grillet, A. (2001). La Reprise. Paris:
dition de Minuit.
Robbe-Grillet, A. (1963). Pour un nouveau
roman. Paris: dition de Minuit.
Sitographie
http:// asl.univ-montp3.fr/ sites/.../ 2-Enonce -
enonciation_synth.pdf
http://bible-semiotique.com/documents/lp intro
semiotique.pdf>, consult le 5 aot 2011.
http://asl.univ-montp3.fr/.../2-Enonce-
enonciation_synth.pdf
http://www.bruno-latour.fr/sites/.../75-FABBRI-
FR.pdf
http://www.memoireonline.com consult en
2010.
http: // theses.univ-lyon2.fr consult le
05/08/2014.
http: //bible-smiotique.com/documents/IP intro
smiotique PDF, consult le 25/06/2014