REVALORISATION AUDITIVE DES ESPACES PUBLICS.

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page 1/37 SENSIBILISATION AUX PRODUCTIONS SONORES DES VILLES ET METHODES DE REVALORISATION AUDITIVE DES ESPACES PUBLICS. DAUBA STEPHANE. MEMOIRE DE QUATRIEME ANNEE. CECILE REGNAULT

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SENSIBILISATION AUX PRODUCTIONS SONORES DES VILLES ET METHODES DE REVALORISATION AUDITIVE DES ESPACES PUBLICS.

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SENSIBILISATION AUX PRODUCTIONS

SONORES DES VILLES

ET

METHODES DE REVALORISATION AUDITIVE

DES ESPACES PUBLICS.

DAUBA STEPHANE. MEMOIRE DE QUATRIEME ANNEE. CECILE REGNAULT

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INTRODUCTION :

I/ UNE PREMIERE APPROCHE DU SON :

1 : APPROCHE POSITIVISTE DU SON2 : REGLEMENTATION EN MATIERE DE LUTTE CONTRE LE BRUIT3 : RELATIVISATION DES EFFETS NEFASTES DU BRUIT

II/ L’ANALYSE DES PHENOMENES AUDITIFS :

1 : LA SIGNIFICATION D’UN SON2 : L’EXISTENCE DE LA MUSIQUE TOTALE3 : ANALYSE DE L’ENVIRONNEMENT SONORE

III/ COMMENT INTERVENIR PAR LE SON DANS LES ESPACES PUBLICS ?

1 : LA MUSIQUE CATALYSEUR D’IDEES2 : L’UTILITE DE L’OEUVRE OUVERTE3 : LE MATERIAU SON ET L ARCHITECTE4 : DIMENSION URBAINE DES CONSTRUCTIONS SONORES

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

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INTRODUCTION :

Le bruit est devenu aujourd’hui un problème généralisé dans les métropoles. L’apparition régulière de nouvelles sources émettrices ne fait qu’augmenter le niveau sonore en milieu urbain, créant un brouhaha continu. La fréquence des moyens de transport, principale cause de la gêne auditive, a pour conséquence la création de réglementations en matière d’isolement acoustique pour préserver le bien-être des habitants*. Par ailleurs, ce phénomène dégrade l’image générale du son, puisqu’il constitue un risque potentiel pour la santé. Comment intervenir dans les espaces publics, à la fois de manière à diminuer les nuisances pour permettre de ne faire émerger que les sons utiles, et aussi parfois à transformer le paysage sonore ambiant en créant de nouveaux environnements sonores ?

* : Directives de l’OMS relatives au bruit dans l’environnement : Dans l’Union Européenne environ 40% de la population sont exposés au bruit du trafic routier ce qui équivaut à un niveau de pression acoustique excédant 55 dB(A) pendant la journée, et 20% sont exposés à des niveaux excédant 65 dB(A). Lorsque tous les bruits de transport sont réunis, on estime que plus de la moitié des citoyens de l’Union Européenne vit dans des zones qui ne leur assurent pas un minimum de confort acoustique. Pendant la nuit, plus de 30% sont exposés à des niveaux de pression acoustique excédant 55 dB(A), ce qui perturbe leur sommeil.

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L’hypothèse possible est que ceci demande à trouver des outils d’intervention et à reconsidérer l’ensemble de nos productions sonores, en vue de chercher des solutions au niveau de l’équilibre de la nature des sources plutôt qu’au niveau réceptif. Cette démarche semble d’abord possible à travers une sensibilisation de la population à ce problème et au potentiel positif que pourrait avoir une redéfinition de la qualité sonore du milieu urbain. Un regard porté sur le potentiel du son et sur l’apparition du phénomène des nuisances permet une première approche du sujet. Il est ensuite important de relativiser l’impact nocif des réglementations sur les citadins car cela peut constituer un frein à la réalisation de projets utilisant le matériau son. Car les principaux acteurs visés sont les architectes et les urbanistes, qui pourraient transposer leurs méthodes de conception d’espaces pensés à partir d’images, à celle d’espaces sonores, tout aussi facteur d’identité qu’une intervention visuelle pour un lieu. Cette hypothèse n’est possible qu’à partir d’une analyse préalable des sons existants dans les zones d’intervention, dont le but est de déceler les sources les plus nocives et de les différencier des émissions positives et caractéristiques du lieu. Ceci permettrait de dépasser l’approche quantitative de l’OMS qui ne prend en compte qu’un niveau sonore global. Ce travail propose une méthode d’écoute basée sur la notion de musique totale des villes et sur une catégorisation des différents signaux perçus. Pour faciliter une approche sensible de l’environnement sonore et une interprétation de la signification des bruits, au travers d’exemples tirés entre autres de la ville de Marseille, dépasse les mesures physiques en dB pour aller vers l’enregistrement des sons. Enfin, une étude des moyens possibles existant pour créer ces nouveaux paysages auditifs est exposée pour enrichir l’idée d’une architecture sonore permettant de remédier aux nuisances. La musique, élément primordial, sert de point de départ à une sensibilisation des paysages perçus, et est approfondie par son application plus restreinte au niveau du design sonore. Ces deux éléments principaux, renforcés par des exemples d’intervention, sont développés pour permettre aux intervenants de s’en servir dans leurs hypothétiques projets. Ce mémoire a pour ambition de sensibiliser à la fois les usagers et les éventuels aménageurs au potentiel offert par la recherche d’interventions au sein du monde auditif. Il invite à continuer un travail amorcé dans les années soixante-dix sur la prise en compte de la dimension sonore des villes et à concrétiser des idées intéressantes pour revaloriser nos rues et nos espaces publics. L’ensemble du mémoire est appuyé par des exemples visuels de manière à renforcer la sensibilisation à l’environnement sonore et à approfondir l’argumentation. Mais l’essentiel des références sont enregistrés sur un CD, support audio indispensable à la compréhension d’un texte portant sur le son. Des annotations permettent de faire le lien entre la partie littéraire et les différentes pistes du disque de manière à clarifier les idées mises en avant.

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I/ UNE PREMIERE APPROCHE DU SON :

Avant toute considération hâtive, il semble important de pouvoir se positionner clairement dans le débat qui porte actuellement sur les nuisances sonores en ville. Pour cela, une première sensibilisation au sujet grâce à une rapide exposition des qualités apportées par le son permet de relativiser les dispositions mises en place par la réglementation récente sur le bruit. Face à un problème réel de pollutions sonores, le fait de comprendre l’enjeu d’une intervention acoustique en milieu urbain est important dans la recherche éventuelle de solutions.

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1 : APPROCHE POSITIVISTE DU SON :

Le son doit être avant tout considéré comme un facteur enrichissant. Il apporte une qualité certaine aux espaces que l’on occupe, leur donnant une identité acoustique, puisqu’il est essentiellement une marque instantanée d’occupation du territoire. C’est pourquoi, la quête du silence pourrait être difficile ou périlleuse pour l’équilibre sonore.

A. Le son est signe de vie :

Une des vérités élémentaires, sortie des réflexions des années soixante-dix, indique que toute production sonore d’un individu permet l’extériorisation de son insatisfaction sociale : face au manque d’écoute et de compréhension de la part de ses concitoyens, la possibilité de crier, d’augmenter le volume de sa chaîne hi-fi ou de klaxonner lui permet de prouver son existence face à l’immensité anonyme des villes contemporaines. En effet, il ne faut pas perdre de vue que le fait de produire un bruit est avant tout lié à des sensations agréables. Facteur de puissance, de sécurité et de réussite, cela permet de donner libre cours aux besoins d’agressivité et exprime avant tout la joie de vivre.

Le son est créateur et ce fait est profondément ancré dans notre culture. Nous pensons, à titre légitime, que le processus de création est souvent associé à l’émanation d’un signal sonore. Outre le cri de l’homme à sa naissance qui indique qu’il est bien vivant, il existe d’autres exemples révélant l’existence de ce lien. Ainsi, les scientifiques s’accordent sur la théorie du Big-bang qui explique la formation de l’Univers à partir d’une implosion accompagnée par un vacarme gigantesque.

De plus, le son a une capacité propre à étonner et son pouvoir émotif sur l’écouteur est immédiat. Il est possible d’obtenir une infinité de variations à partir de ce matériau, et donc d’impacts sensitifs, ce qui rend son utilisation très intéressante. Il est aussi difficile d’oublier sa dimension universelle qui augmente la pertinence de son usage, hormis en ce qui concerne les langages et cultures sonores *, propres à chaque territoire.

Un son sera perçu de la même manière à Paris ou à Pékin,. Ce qui varie, c’est son interprétation, issue la plupart du temps de l’influence culturelle. Les Japonais, par exemple, sont beaucoup moins enclins à être dérangés par les manifestations auditives de leurs voisins que les Européens, puisque leurs cloisons séparatives, composées de toiles tendues, sont uniquement visuelles. En occident, murs épais, double-vitrages et portes blindées témoignent d’une nécessité de protection, étrangement indispensable à l’équilibre si l’on considère les habitudes orientales. On affirme parfois trop rapidement que le bruit envahit ou pourchasse. On considère d’ailleurs l’abri comme le foyer calfeutré dans lequel les loisirs et le sommeil réparateur ne sont possibles que dans le silence.

* : le mythe de la Tour de Babel, construite par les hommes pour défier Dieu, explique l’apparition des langues : une véritable « punition divine » nous condamne à vivre séparés par des barrières d’incompréhension.

cd: 1 : musicalité

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Tout comme l’image, aujourd’hui omniprésente dans nos métropoles, le son s’affranchit des barrières imposées par la multitude de langages. Véritable outil d’intervention urbaine, il ne nécessite aucune éducation particulière pour être compris par les occupants, ne créant aucune discrimination, puisqu’il intervient directement sur leur inconscient. Le seul problème est l’acceptation de telles installations par les habitants, plutôt habitués à les percevoir comme des nuisances ajoutées au bruit existant. C’est pourtant l’ensemble des perceptions sonores qui donne la connaissance parfaite du milieu dans lequel on est habitué. Leur portée étant supérieure à ce que l’on peut percevoir visuellement, on a une approche beaucoup plus globale de ce qui nous entoure en écoutant plutôt qu’en observant.

B. Le silence :

Dès que le son est émis, il ne peut exister que face au silence. Cette interdépendance a bien été saisie par les musiciens, qui utilisent et codifient les deux composantes. Mais le silence inquiète et dérange. Profond, il est rapidement synonyme de vide horrible, souvent insoutenable, et une insonorisation parfaite peut être nocive. Les aveugles auraient du mal à s’en sortir, bien qu’ils parviennent à sélectionner les hautes fréquences pour localiser des objets dans une chambre.

La salle anéchoïque, outil des acousticiens pour simuler virtuellement des ambiances sonores, a pour propriété d’avoir une isolation phonique totale. Elle illustre parfaitement ce mal-être engendré par le silence absolu, puisque son utilisation est vite insoutenable. En revanche, on s’aperçoit aussi qu’il est impossible d’obtenir ce silence parfait : même si aucun son extérieur n’est perceptible, la personne qui pratique un tel lieu n’a d’autre choix que d’entendre sa propre respiration, ou ses pulsations cardiaques, révélateurs de son existence.

Le silence n’existe que dans la mort, alors que le bruit témoigne de la présence d’une vie et constitue un facteur de communication. La volonté de diminuer les émissions sonores semble alors dangereuse si elle n’est pas accompagnée d’une dynamique de création capable de contrebalancer ce phénomène d’étouffement. Imaginons un instant une ville de plusieurs millions de personnes dans laquelle on n’entend rien d’autre que les bruits strictement nécessaires, et où le fond sonore ininterrompu n’existerait pas. Cela rappelle inévitablement les films post-apocalyptiques et semble aussi étrange qu’une ruche sans bourdonnement. Ce bruit engendré par les villes, bien qu’il soit parfois dérangeant, est indissociable de ce mode d’organisation sociale. Ce qui choque le plus, ce n’est pas forcément le niveau sonore, mais plutôt le fait que le brouhaha soit complètement désorganisé et difficilement intelligible, témoignant d’une occupation incontrôlable, beaucoup plus proche de notre nature animale que de notre pensée logique et rationnelle.

Les réglementations récentes tentent pourtant de limiter les nuisances sonores, en établissant un seuil de tolérance. Pour ne pas le dépasser, elles tendent à réduire les émissions ou à protéger les récepteurs des signaux trop bruyants.

Salle semi anéchoïque

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2 : REGLEMENTATION EN MATIERE DE LUTTE CONTRE LE BRUIT:

Pour répondre aux plaintes croissantes des citadins, les autorités ont souvent eu recours à des lois pour définir un cadre à la production sonore des villes. Pourtant, leur approche apparaît rapidement insuffisante pour remédier à l’apparent problème des nuisances.

A. Le bruit bouc émissaire :

Depuis l’époque romaine *, le bruit est uniquement perçu comme une nuisance et semble être la cause principale de nombreuses tensions entre les citadins Le son est présent comme un alibi qu’on isole de son contexte socio-économique, et on accuse les manifestations tonitruantes comme responsables des déviances comportementales **. On attribue aujourd’hui au son la responsabilité des troubles nerveux et psychologiques sans prendre en compte les modes de vie engendrés par notre société: productivité, déplacements rapides, surpopulation. Il ne faut pourtant pas oublier que l’ouïe est loin d’être le seul des cinq sens qui influence nos habitudes comportementales. Nous sommes constamment saturés d’informations, que ce soit sur notre lieu de travail, sur notre trajet habituel, et même jusqu’à notre lieu d’habitation supposé intime.

Selon l’Etat français, le monde sonore a des conséquences dans le domaine des atteintes psychologiques et de la fatigue nerveuse de la population. La notion de bien-être individuel constituant un objectif capital dans les politiques actuelles, celui-ci a réagi au problème des plaintes vis-à-vis des nuisances sonores, toujours croissantes, par une réglementation répressive. Cette législation proliférante, de plus en plus enrichie, constituerait une réponse suffisante et efficace convenant parfaitement à une planification à très court terme du paysage sonore des villes.

Permet-elle de remédier vraiment aux plaintes ? Au contraire, les lois de lutte contre le bruit produisent souvent l’effet inverse : elles augmentent le nombre de plaintes en faisant prendre conscience aux gens de l’importance du phénomène jusqu’alors ignoré. Face à cette idéologie, les habitants se protègent de plus en plus, essayant d’atténuer la perception qu’ils ont de l’extérieur ou de l’environnement.

La notion d’isolement acoustique est aujourd’hui indispensable dans le domaine de la construction de logements, et est soumise à une réglementation basée sur le principe de la protection individuelle. Dans certains appartements, on entend la chasse d’eau et l’ascenseur jusqu’à deux étages en dessous; les habitants sont devenus des écouteurs. Les voisins écoutent nos propres bruits, ce qui entraîne une fatigue sensorielle puisqu’ils sont le reflet de l’activité minime du quotidien. À partir du moment où l’on se sait écouté, on perd son intimité indispensable à l’équilibre, et on s’écoute comme une espèce d’objet extérieur à soi. Le bruit est ici le bouc émissaire de mauvaises conditions de vie, alors que le fait d’entendre le bruit des autres manifeste leur existence dans un espace pensé pour avoir un usage anonyme.

* : L’empire romain fut le premier à prendre des mesures pour faire face aux nuisances sonores provoquées par le développement de l’activité humaine concentrée dans les villes, en intervenant sur la circulation devenue trop bruyante depuis l’utilisation de roues cerclée de métal sur les routes dallées. En 45 avant Jésus-Christ, César interdit la circulation pendant la nuit puis décide d’enduire la chaussée de paille pour atténuer le désagrément. Les poids lourds se verront par la suite interdire l’accès au centre de Rome.(Histoire de l’acoustique, Liénard)** : Point de vue du ministère de la santé publique en 1971 :

« L’évolution du monde moderne a apporté à l’homme de meilleures conditions de vie et de confort liées au progrès technique, mais elle entraîne des menaces, car les procédés industriels, les conditions d’habitations, les transports peuvent être à l’origine de pollutions troublant l’équilibre naturel. La lutte contre le bruit est une nécessité urgente qui contribuera à offrir à chaque individu l’état de bien-être physique et mental qui constitue la raison d’être de notre civilisation. »

Logements sociaux à Shangaï

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B . La loi Royale :

La législation française sur la prévention et la répression des nuisances sonores a intégré la loi 92-1444 du 31 décembre 1992, dite loi Royale ou loi Bruit, premier texte global en la matière. Elle offre un cadre législatif complet à la problématique du bruit et tente de remédier à cette nuisance en créant 50 textes d’application. Ses principaux objectifs sont la limitation des émissions sonores, la fixation de nouvelles normes pour les infrastructures de transports terrestres, la mise en place de mesures de protection des habitants touchés par le bruit au voisinage des aéroports, la simplification de la constatation des infractions et un renforcement des mesures judiciaires et administratives pour l’application de la réglementation.Les documents d’urbanisme peuvent informer le citoyen sur le niveau sonore de son lieu d’habitation potentiel depuis la loi SRU qui a mis en place les Plans Locaux d’Urbanisme.

L’acoustique des bâtiments est par ailleurs renforcée lorsqu’ils se situent à proximité de zones affectées par les transports bruyants. La production de matériel et d’engins bruyants est limitée. On remarquera l’article R. 1336-8 issu du code de la santé publique qui réprime tout bruit provenant d’une activité économique, sportive ou de loisir dès qu’il dépasse le seuil autorisé. Enfin, les lieux musicaux sont réduits aux locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée.

Carte hyerarchisant les voies par rapport au bruit.(PLU)

Carte du bruit du 12ème arrondissement de Paris

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C. Frein à la création.

Le son et le bruit sont des ondes physiques perçues par l’oreille. D’un point de vue anthropologique, la distinction de ces deux phénomènes auditifs dépend essentiellement du sujet, de son affectivité ou de son humeur, souvent conditionnées à la fois par le cadre culturel et par l’état de bien-être général du sujet-écoutant.

En effet, tout événement sonore n’existe que par le biais de trois composantes: une source émettrice, une propagation dans l’espace et un auditeur. Cette complexité engendre une multiplication des significations imputées à cette manifestation. Celles-ci dépendent de nombreux facteurs tels que la distance qui sépare la source du sujet, le nombre de sons perçus au même moment, l’intensité du signal ou bien encore la capacité qu’a l’écouteur à apprécier l’harmonie présente dans la vibration.

Cette loi bruit enferme toute production sonore, quelle que soit la source, dans une représentation potentiellement gênante et constitue un frein à la création d’espaces sonores puisqu’elle ne prend pas en compte la valeur significative des sons. Elle approche les nuisances sonores de manière trop simpliste pour un sujet si complexe. Comme dans nombre de discours sur la ville où l’urbain est personnalisé, le bruit l’est également ici. Ceci est une position trop générale vis-à-vis du phénomène, accordant au son une responsabilité importante alors que la somme des signaux sonores n’est pas décortiquée. L’interprétation ne peut alors être que vague. .

Au lieu de s’intéresser aux sources tapageuses en essayant de les rendre moins nuisibles, elle tend à étouffer le phénomène en atténuant la perception qu’en a le sujet récepteur. Ce positionnement, qui ressemble étrangement à celui de l’autruche, ne peut avoir aucune place dans une perspective de développement durable.

En effet, elle suit une logique rationnelle basée sur les mesures physiques des sonomètres qui mesurent le niveau sonore en dB. Cette manière de procéder uniformise les émissions sonores et ne tient pas compte de la diversité des signaux intervenant dans ce niveau global. De plus, elle oriente uniquement l’attention sur la réception des effets sonores qu’elle tente d’atténuer, oubliant la possibilité de réfléchir sur la nature des sources sonores que l’on pourrait améliorer pour réduire la gêne. Car l’idée d’une intervention sonore en ville ne pourrait voir le jour qu’en considérant les différents sons perçus, étape préalable à une atténuation de certains et à une possible insertion de sources émettrices.

L’enregistrement, alternative possible à la prise de mesures, permet de distinguer les composantes des productions sonores et apporte une aide précieuse à leur analyse qualitative et non quantitative. Il semble alors nécessaire de poursuivre la réflexion sur le paysage auditif tant sur le plan de l’analyse de l’existant en vue de recenser les espaces possédant une qualité acoustique notoire que sur le plan de la création en vue d’intervenir directement sur l’environnement perçu.

Sonomètre

Observatoire du bruit

cd: 2: Musicalité 2

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3 : RELATIVISATION DES EFFETS NEFASTES DU BRUIT :

Malgré la réalité des impacts éventuels du bruit sur la santé physique ou psychologiques, une relativisation de leur responsabilité serait bénéfique pour sortir d’un débat trop restrictif. Le son des villes devrait avant tout être apprécié et non pas assimilé à une perte de qualité de confort.

A. Impact sur la santé :

Au XIXème siècle, le développement du machinisme et de la circulation accompagnée par l’industrialisation naissante, générant une multitude de bruits mécaniques et artificiels, sera le moteur de l’extension des villes et de la création de nouvelles voies. La croissance exponentielle des métropoles a échappé à une hypothétique planification de leur production sonore, pourtant possible depuis l’essor de l’industrie, laissant les habitants en proie à un chaos indéterminé de profusions mécaniques.

Aujourd’hui le bruit est notable dans la vie collective et sociale, et le paysage sonore urbain enrichi par le développement des activités pourrait se percevoir comme une véritable mine du matériau son. Malgré tout, le niveau sonore général des villes est à prendre au sérieux. En effet, les dégâts liés au bruit sont reconnus : chaque bruit excessif détruit une partie de nos cellules ciliées, véritables organes de l’audition. L’ouïe étant en interconnexion totale avec le système nerveux, tous les types de traumatismes sont possibles, du sommeil perturbé jusqu’à l’infarctus du myocarde.

Le problème essentiel, en milieu urbain, provient de la saturation et de l’homogénéisation des phénomènes auditifs, ce qui provoque un brouhaha continu, appelé bruit de fond. La distinction des différents signaux nécessite une attention particulière pour pouvoir appréhender spatialement et temporellement un lieu. Les ronflements de moteurs, la musique de piètre qualité dans les magasins ou le grésillement des climatiseurs banalisent à tel point l’écoute que l’on n’entend plus rien. Ce phénomène pourrait se rapprocher de l’Ostinato en musique, rythme ou mélodie qui se répète à tel point qu’au bout d’un moment, il ou elle ne se remarque presque plus dans le morceau. C’est ce que l’on trouve dans le Boléro de Ravel.

Bien qu’ils soient porteur de signification, les bruits disparates et imposés peuvent provoquer l’indifférence et être placés par l’écoutant au même niveau que le brouhaha ambiant. Ceci pourrait être à la source des problèmes de communication. Une solution particulière individuelle, qui rend malheureusement sourd, est le baladeur, ou l’autoradio: ils protégent du monde bruyant et agressif en le remplaçant par une musique et un rythme choisi. Ce besoin de prolonger l’espace intime à l’extérieur du logement privé démontre un comportement individualiste et un refus de communication, puisqu’il pousse à se couper de l’environnement sonore. On observe en outre une multitude de jeunes qui travaillent avec de la musique en fond sonore, ce qui leur permet de masquer les variations brusques d’intensité de la vie courante, perceptibles jusque dans leur intimité.

cd: 3: circulation

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De plus, dans le monde des sonorités, les sons les plus purs peuvent compter parmi les éléments les plus étranges, pouvant être perçus comme désagréables. Le bruit rose ou le bruit blanc, par exemple, servent de sons références dans les mesures d’acoustique, mais n’ont pas vraiment de composante mélodique. Ils correspondent à des fréquences précises. Ces bruits référents démontrent l’approche uniformisante des techniques employées jusqu’ici pour analyser l’environnement sonore et motivent la recherche de méthodes alternatives.

B. Les buts d’une méthode alternative d’analyse :

Hannah Arendt, dans la « Condition de l’homme moderne », explique la nécessité de l’existence de la propriété privée que notre société tend à faire disparaître, malgré les discours sur le confort individuel : « L’intimité apparaît comme une évasion du monde extérieur, un refuge cherché dans la subjectivité de l’individu protégé autrefois, abrité par le domaine public. La transformation progressive des biens immeubles en biens meubles, qui aboutit à priver de toute signification la distinction entre propriété et richesse, entraîne le fait que la propriété a perdu sa valeur d’usage privé, qui était déterminée par son emplacement, pour prendre une valeur exclusivement sociale déterminée par sa perpétuelle mutabilité.» La perte de l’intimité nécessaire à l’équilibre de l’homme paraît être un argument plus recevable que l’augmentation des nuisances sonores pour expliquer les troubles nerveux.

De plus, en réponse à la loi Royale, le domaine du logement est caractérisé par l’indice de qualité acoustique qui dépend de la manière d’occuper les locaux, preuve de la diversité de la population en milieu urbain, mais aussi de la sensibilité des occupants qui sont plus ou moins enclins à éprouver les nuisances sonores. Alors, l’inhomogénéité de la construction est certes importante, mais ne peut pas être considérée comme l’unique facteur à prendre en compte. La gêne due au bruit dépend aussi du contexte sonore, du sens des bruits perçus, et du mode de vie sur lequel ils interviennent, points développés par la suite. Car il faut relativiser la gêne par rapport à certains aspects. Le fond sonore est très variable selon les endroits et son « volume » empêche plus ou moins de discerner certains signaux. La place aux huiles par exemple, procure un certain calme, étant en retrait de la circulation. A partir de ce niveau ambiant, certains sons se détachent, créant des sensations d’espace liées à l’éloignement, que l’on perçoit malgré l’invisibilité des sources. De même, la vigilance du sujet face aux signaux sonores est à prendre en compte. Le signal nécessite une attention particulière et est souvent analysé uniquement s’il y a une volonté de la part de l’écoutant. L’ensemble des sources sonores, difficiles à appréhender de manière égale, est trié selon un critère d’utilité à l’instant précis. Par exemple, si deux personnes marchent dans la rue en parlant, elles sont moins sujet à écouter leur environnement proche, puisqu’elles se concentrent majoritairement sur leur écoute mutuelle. En revanche, elles sont sensibles aux avertissements ou à tout événement sonore qui dépasserait un seuil, à la fois qualitatif et quantitatif, établi par chacun. Outre l’instinct de survie, cette aptitude montre la capacité que le son peut avoir en matière de significations, puisqu’il peut signifier un événement ponctuel agréable tout comme une alerte éventuelle.

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La continuité ou la fréquence élevée des sons rentre également en compte. Les logements les plus exposés aux nuisances sont ceux qui se situent à proximité des feux, rythmant le démarrage et le crissement des freins des voitures. Ici, la fréquence de passage induit une nuisance évidente. Mais la répétition peut être le signe d’un écoulement du temps, comme les sonneries des écoles ou les cloches des églises *.

En milieu urbain, la continuité du son permet pour sa part d’apprécier le déplacement des sources par rapport à notre propre mouvement. Ce phénomène permet de s’orienter plus facilement, et de discerner les différentes couches sonores qui caractérisent un lieu. Enfin, selon une étude menée dans les années 1950 dans les bidonvilles autour de Nice, les risques potentiels de la population sont décomposés en deux parties. Les dangers non humains, tels que les rats, le froid, une mauvaise isolation électrique, ou une hauteur sans garde-fou affectent la sécurité de la population entassée. Les dangers humains dus à la violence, à des jets d’objets induisant une menace contre la stabilité de l’existence sont reconnus comme les nuisances essentielles. En revanche, le bruit n’est pas du tout abordé comme étant gênant, puisqu’il est reconnu comme un facteur socio culturel, permettant l’unité et l’identité du groupe. Cette étude prouve la pertinence de l’utilisation de méthodes d’analyse alternatives à celle proposée par la réglementation. La responsabilité du bruit pourrait être plus mesurée si une approche sensible du phénomène était appliquée. C’est pourquoi, il semble utile de rechercher des précisions sur les potentialités de significations que peut revêtir le son

* : Les cloches des églises, objets dessinés avec tant de soins pour obtenir le meilleur son possible, marquent le temps depuis des siècles, véritables métronomes qui font désormais parties intégrantes de l’image sonore de la ville. La comptine « Maudis sois-tu carillonneur… » dénonce déjà un certain malaise vis-à-vis de l’appropriation de l’espace sonore.

S o n o g r a m m e d ’ u n c h a n t d e g o r f o u m a c a r o n i

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II/ L’ANALYSE DES PHENOMENES AUDITIFS :

Après avoir saisi l’enjeu d’une intervention sonore en milieu urbain, ce mémoire propose de définir une méthode pour écouter de manière plus consciente l’espace environnant. A travers l’explication de la portée significative du son, l’idée de musique totale sert de référence à l’élaboration de principes d’analyse à partir d’enregistrements. Cette approche qualitative me semble nécessaire avant de pouvoir déterminer un parti dans le cadre d’une intervention éventuelle.

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1 : LA SIGNIFICATION D’UN SON :

A. Le paysage sonore interne :

Le principe de paysage sonore interne, énoncé par Manuel Périanez * met en évidence l’infinité d’interprétations possibles d’un événement sonore. Le paysage sonore réel étant comparé en permanence sur le plan inconscient avec des significations propres à chaque individu ** , il est très difficile, voire périlleux, de généraliser son impact sur la population. Ceci renforce le positionnement qu’il paraît intéressant de tenir face aux réglementations issues de la Loi Royale qui homogénéise les perceptions sonores

Chacun accumule au cours de sa vie une véritable mine de références auditives intimement liées à son histoire personnelle: la mémoire sonore individuelle est donc stimulée à chaque perception, ce qui permet le développement de l’imagination. Même certains insectes peuvent interpréter à leur manière les signaux. Au voisinage de pylônes EDF, les étincelles provoquées par la circulation de l’électricité attirent des essaims entiers, fait parfois dangereux pour leur survie. Ce bourdonnement artificiel trompe étonnamment ces êtres minuscules, ce qui pose la question primordiale de la signification d’un phénomène sonore. Cet exemple illustre parfaitement les impacts multiples d’un son sur les individus. Face à la multitude de bruits existants, je propose de distinguer alors les sons nets, dont la signification est unique (par exemple, les sirènes de pompier), des sons flous, dont on n’arrive pas toujours à identifier ou à localiser la source. Ce sont les sons flous qui dérangent le plus puisque les « écouteurs » ne parviennent pas à les interpréter, provoquant chez eux un malaise identique à celui induit par la perception d’une langue étrangère.

* : La gêne attribuée au bruit, approche anthropologique, article publié dans la revue Diagonal, n°71, avril 1989, pp.38-41

** : «Il est terrible le petit bruit de l’oeuf dur cassé sur un comptoir d’étain, Il est terrible ce bruit quand il résonne dans la mémoire de l’homme qui a faim.» JACQUES PREVERT- PAROLES

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B. Les facteurs d’interprétation :

Le niveau sonore global du lieu de vie rentre obligatoirement en compte si l’on considère la gêne induite par un phénomène auditif. C’est en 1975 que le Plan Construction a commandé des études sur la signification des bruits en relation avec la gêne. Depuis, les recherches n’ont jamais cessé pour essayer de résoudre ce problème complexe. Il en est ressorti que le niveau de bien-être socio psychologique des écouteurs influe directement sur l’interprétation d’un bruit. Ainsi, dans les cités dortoirs pavillonnaires, où le niveau sonore global est très faible et où les habitants ne connaissent que rarement des difficultés économiques et sociales, la plupart des bruits ne seront jamais perçus comme gênant. En revanche, dans les zones urbaines pathologiques, soumises en permanence à de très fortes intensités sonores, les mêmes bruits seront rapidement insoutenables et provoqueront des tensions chez les pratiquants du lieu.

Par ailleurs, la fréquence d’un son entraîne parfois une modification de sa qualité intrinsèque. Outre le contexte dans lequel il est perçu, le facteur temps est indissociable de son potentiel positif. Un son a beau être conçu de la manière la plus agréable possible, sa magnificence est très rapidement altérée par sa répétition. Les donneurs de temps comme par exemple les clochers ou les sirènes font partis des exceptions car leur répétition est plutôt rassurante et signifiante. Ceci renforce le caractère complexe de toute création sonore puisque le seuil de tolérance est lié au paysage sonore interne, propre à chaque individu. Cet ensemble de difficultés pourrait expliquer partiellement la réticence qu’ont les autorités à promouvoir la réalisation d’espaces sonores, mais révèle aussi la nécessité de sensibiliser la population à de telles expériences pour éviter la catégorisation immédiate en nuisance supplémentaire imposée.

Ce travail d’analyse mené sur l’interprétation des sons pourrait inviter à appréhender l’environnement sonore d’une manière différente. A l’opposé des considérations scientifiques relatées dans la réglementation, la notion de musique totale constitue un contrepoint intéressant à aborder pour acquérir une approche plus qualitative des phénomènes sonores.

S i r è n e d e H e l m h o l t z

Intonarumori, de Luigi Russolo

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2. L’EXISTENCE DE LA MUSIQUE TOTALE :

A. Rappel historique :

Les grecs ont été les premiers à mettre au point une théorie sur l’universalité des phénomènes sonores, mettant en relation des événements astrologiques et la notion d’harmonie. Preuve d’une sensibilité accrue à l’égard des rythmes naturels, cette réflexion est aujourd’hui proche de la science-fiction, trop éloignée de nos conventions scientifiques rigoureuses pour être transmise à travers les générations.

C’est le fameux mathématicien Pythagore qui a observé une corrélation entre la régularité du

mouvement des astres et celle des intervalles musicaux. La distance temporelle séparant les apparitions des planètes dans notre ciel est en harmonie, tout comme les intervalles musicaux. Chaque planète émet des sons : l’univers chante et il est construit selon les lois de l’harmonie. Le terme d’«harmonie» semble constituer de manière générale la différence essentielle entre la notion de bruit et la notion de son: il implique une dimension agréable dans la perception de la superposition des signaux auditifs. Dans cette optique, la musique n’est pas un bruit. Comment peut-on alors classifier la musique bruitiste qui connaît aujourd’hui un essor notable grâce à l’utilisation croissante de l’outil informatique dans la composition? Russolo en 1913 parle déjà de cette nouvelle musique *. Son existence prouve la possibilité d’aboutir à un type d’harmonie, certes assez éloigné de la notion habituelle, par la combinaison de bruits qui sont, par définition, inharmoniques.

La frontière entre le bruit et le son ne semble alors pas figée, puisque propre à chacun, et son existence paraît parfois injustifiée.

Cette approche permet d’apporter un regard neuf sur la perception des phénomènes sonores actuels. En effet, en extrapolant la théorie de Pythagore, il est facile d’imaginer l’existence d’une harmonie entre la multitude d’événements qui interviennent dans notre vie quotidienne. Si les mouvements des astres sont réglés sur une loi universelle, pourquoi les productions sonores des activités humaines ne rentreraient-elles pas dans une telle organisation ?

* : « La sensibilité du musicien, après s’être débarrassée du rythme facile et traditionnel, trouvera dans le domaine des bruits le moyen de se développer et de se rénover, ce qui est facile étant donné que chaque bruit nous offre l’union des rythmes les plus divers ».

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B. La sensibilité des musiciens face au phénomène :

Ces considérations témoignent de la sensibilisation nécessaire de notre société à la portée potentiellement positive des phénomènes acoustiques pour pouvoir intervenir sur l’urbain par le biais d’installations sonores.

Pierre Henry, compositeur de musique concrète, a contribué dans les années soixante-dix à introduire les sons du quotidien * dans les compositions musicales et à sensibiliser le public à la musicalité d’événements sonores jusqu’ici peu utilisés dans l’assemblage harmonique. Héritier de l’école de Pierre Schaffer, il considère l’ensemble des sons produits par la nature ou par les objets fabriqués par l’homme comme potentiellement intéressants dans une optique d’arrangement musical. Il définit ainsi la notion de musique totale, élargissant l’échelle de l’écoute. Il est alors possible de percevoir les sons comme des musiques miniatures, de déceler la mélodie d’un grincement de porte ou la rythmique entraînante d’une locomotive **. Ceci permet de relativiser la distinction entre son, musique, parole et bruit, puisque les différents composants sont écoutés de manière égale pour pouvoir déceler leur qualité musicale. Pour un musicien, la ville peut alors devenir un véritable réservoir sonore, banque inépuisable offrant de nombreuses possibilités à chaque instant.

* : « Dans les Variations pour une porte et un soupir, et bien j’ai fait des gammes de porte, j’ai appris à jouer de la porte. »

** : «Le roulement du tonnerre, l’apparition de la pluie, la modulation du vent me faisaient penser à une musique totale. »

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C. La difficulté de la sensibilisation de la population :

Le développement exponentiel de nos sociétés crée quotidiennement une multitude de sons nouveaux. Leur appropriation se transforme en véritable travail herculéen, parfois décourageant étant donné parfois la pauvreté significative de leur contenu. Ceci explique la dimension agressive des signaux d’alerte ou d’avertissement, tels que les klaxons ou les sirènes, nécessaire à leur démarcation. C’est pourquoi la notion de gêne prédomine indubitablement. Seules les personnes impliquées dans un travail sonore, que ce soit les acousticiens, les designers sonores, les musiciens ou les créateurs cinématographiques, peuvent réellement transcender ce blocage général et percevoir la musicalité universelle présente dans les métropoles contemporaines. Augoyard et Torgue, qui travaillent sur l’écoute de l’environnement, utilisent le terme d’ « effet Sharawadji » pour déterminer, me semble-t-il, cette capacité, accessible à tous, à surpasser la vision trop restrictive d’un environnement sonore nocif : « Cet effet esthétique caractérise la sensation de plénitude qui se crée parfois lors de la contemplation d’un paysage sonore. Il s’affirme en contraste avec la banalité du contexte sonore dont il est issu. »

On retrouve à nouveau la nécessité d’éduquer et de sensibiliser la population à l’écoute de l’environnement urbain comme instrumentarium sonore pour qu’elle puisse entendre la réalité audible comme une œuvre de la nature, provenant des productions sonores des hommes assemblées malgré eux. L’idéologie d’ouverture totale à l’écoute des sons, utilisée par les compositeurs et certains acousticiens, me semble intéressante à utiliser dans le domaine de l’analyse de l’environnement sonore.

Pour l’instant, la banalisation de l’éducation, que ce soit dans les cours de physique de l’enseignement secondaire ou dans des émissions à grand public comme « C’est pas sorcier », (qui a consacré un reportage au bruit), oriente uniquement la réflexion sur les moyens de protection de notre système auditif, et sur la prévention de la surdité provoquée par une exposition prolongée. Certes, ces effets néfastes sont reconnus et les problèmes liés au développement de nos moyens de transport, de plus en plus bruyants de par leur fréquence et leur superposition, sont croissants et accentuent les problèmes d’audition de même que les difficultés d’habiter au voisinage des aéroports. Mais ce constat restrictif empêche la perception positive de la réalité audible de sortir du domaine des professionnels, avortant quasi immédiatement la création d’espaces sonores, dynamique qui pourrait constituer une alternative à la protection et la répression.

La possibilité d’intervenir sur la ville existante par le biais d’installations sonores reste tout de même possible, et de nombreux exemples, exposés par la suite, illustrent ce propos. Les réflexions dans le domaine doivent obligatoirement passer, me semble-t-il, par une analyse préalable de l’environnement audible du site choisi.

P l a n d ’ E x p o s i t i o n a u B r u i t d e M a r i g n a n e .

cd: 4: Centre Bourse

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3 : ANALYSE DE L’ENVIRONNEMENT SONORE :

A. Ecouter l’environnement : Véritable diagnostic, l’écoute permet de déceler les pathologies inhérentes au lieu, de même que ses qualités sonores qu’il semble indispensable de préserver voire d’accentuer. Cette méthode, proche de celle utilisée dans la réhabilitation d’immeubles anciens, met en évidence le parallèle existant entre l’acoustique urbaine et l’architecture, du point de vue de la réflexion et de l’adaptation à un contexte donné. Les outils sont bien sûr très différents, de même que les buts recherchés, mais les mécanismes mis en œuvre sont étonnamment similaires. Un projet d’intervention sonore, dont l’importance de la délicatesse a été démontrée précédemment, sera d’autant plus pertinent si les caractéristiques du lieu sont précisément décrites. Alors, l’addition ponctuelle de sources sonores, accompagnée éventuellement d’une atténuation des nuisances observées, sera mieux perçue par les usagers.

Augoyard et Torgue décrivent la nécessité et les moyens d’observer par le biais de l’ouïe les différents paramètres d’un site * . Au regard de la notion de musique totale, énoncée plus haut, on peut rapprocher ces deux méthodes d’écoute puisqu’elles se basent toutes deux sur la distinction significative des sons séparés, apportée par la musicalité de l’événement sonore. Ils affirment en effet que « la ville sonne », ce qui donne une dimension instrumentale à l’espace urbain, comme les compositeurs de musique concrête. L’environnement sonore, perçu sous cette approche, peut être alors décrypté de la même manière qu’un musicien déchiffre un morceau inconnu, et transposé graphiquement comme une partition musicale. Pour continuer le parallèle entre orchestre et environnement urbanisé, il est facile de déterminer les différents instruments qui se superposent dans la ville et qui font entendre ce mixage général de phénomènes sonores qui donne à tout moment urbain une signature auditive presque toujours composite. Ceci provoque une quantité de positions possibles en fonction des sources. Celles-ci sont couramment catégorisées pour permettre une approche plus organisée en matière d’écoute dissociative.

* : « A l’écoute de l’environnement , Répertoire des effets sonores», paru en 1995 aux Editions Parenthèses.

cd: 6: Estienne d’Orves

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les sons naturels (par ex. le bruissement des feuilles d’arbre, l’explosion du tonnerre ou le ruissellement de l’eau), les sons animaux (par ex. les aboiements de chien, le cri des mouettes ou le claquement des sabots de cheval), « Prêter l’oreille, c’est en quelque sorte mimer intérieurement cette mobilité d’un organe que certaines espèces animales donnent à voir. » les sons techniques (par ex. le crissement des plaquettes de frein, le rythme effréné du marteau-piqueur ou le hachoir du boucher) les sons humains (par ex. l’éclat de rire de l’amoureuse, le langage complexe du touriste ou la valorisation d’un produit du marchand).

Cette catégorisation permet de lire analytiquement l’espace écouté et donc de séparer aisément, de façon consciente, les multiples composantes du flou sonore, de la même manière qu’on peut se concentrer alternativement sur les instruments à corde, les percussions ou les cuivres lorsqu’on assiste à un concert. Le brouhaha, jusqu’ici gênant puisque difficilement compréhensible, peut alors être plus facilement apprécié et qualifié d’ensemble esthétique. Ceci offre en outre la possibilité de donner de la matière et de la forme aux relations humaines et d’appréhender la gestion quotidienne de l’espace urbain. C’est pourquoi, bien qu’il existe d’autres méthodes de différenciation, celle-ci me semble pouvoir être utilisée dans une analyse sonore en milieu urbain pour appréhender les potentialités sonores.

B. Les habitudes comportementales humaines :

Cette méthode d’analyse a été utilisée par le Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain de Grenoble comme outil de conception et d’aide à la décision pour le choix des alternatives possibles. En effet, ce laboratoire de recherche mis en place dans les années 80 a permis le développement de réflexions sur l’espace sonore et en a tiré un certain nombre de conclusions vis-à-vis des habitudes comportementales de l’homme. Le rapport d’activité de 1990 du Cresson révèle l’existence de quatre processus psychosociologiques importants liés aux manifestations sonores des habitants au sein de leur quartier. Ils sont ici étudiés à partir d’exemples enregistrés à Marseille.

Le premier est le marquage sonore de l’espace habité ou fréquenté, p h é n o m è n e signalant aux autres personnes sa propre existence. Le fait de faire du bruit permet à la fois de se doter d’une identité perceptible par l’entourage et d’influer sur l’espace pratiqué en l’enrichissant de ses propres émanations. L’identité sonore d’un lieu est en fait constituée de la somme des sons émis par les individus qui le pratiquent. Ceci est facilement observable dans la rue St Ferréol à Marseille, siège des magasins, où les piétons en provenance de l’ensemble de la ville parlent le plus fort possible pour couvrir les dissemblances perçues, affirmant ainsi leur prédominance.

cd: 5: Rue St Ferreol

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Le second est l’encodage sonore des relations interpersonnelles au sein d’un même quartier. Ceci ne conforte pas l’identité de l’individu, mais plutôt celle de la zone en elle-même, déjà définie spatialement par les îlots urbains. L’individu est alors conscient de son appartenance à cette zone lorsqu’il reconnaît ce code. L’exemple le plus net est celui de l’invention d’un langage propre dans les cités, positionnées à une telle distance des villes qu’il semble évident que les « exclus » aient besoin de se forger une nouvelle identité à travers l’argot ou le verlan pour rivaliser face à l’oubli progressif des citadins admis dans les centre-ville. A Marseille, la différence de culture entre les secteurs est consolidée par les multiples langues employées. Ce fait est frappant quand on passe du marché de Noailles, où tous les commerçants parlent arabe entre eux et écoutent la radio du bled, à celui du cours Belsunce, tenu par la population africaine.

Le troisième est la fréquente production de sens et de valeur symbolique liée aux perceptions et actions sonores quotidiennes. On retrouve ici l’idée de l’adaptabilité nécessaire face à la capacité qu’a la ville à générer de nouveaux sons. Le choc le plus révélateur a été l’avènement des téléphones portables, transformant littéralement nos habitudes. Nous sommes aujourd’hui obligés d’admettre qu’il est normal de parler seul dans la rue, ou que des dialogues normaux entre des personnes présentes soient perturbés par des sonneries de plus en plus incongrues. On peut se retrouver devant une boulangerie et entendre des remerciements précédés par des cliquetis de pièces, recouverts par une mise en place de rendez-vous nocturne accompagnée de baisers transmis par satellite.

Le quatrième est l’interaction entre sons entendus et sons produits. Ceci renvoie à une ressemblance nécessaire avec ce que l’on perçoit pour assouvir le besoin de se sentir intégré dans l’environnement pratiqué. Le phénomène de proximité incite à agir de la même manière que son voisin, le monde extérieur jouant le rôle de miroir reflétant notre propre existence. Ceci explique le développement de structures arythmiques ou déconstruites dans le domaine de la création, que ce soit en musique, pour rester dans le domaine acoustique, ou plus généralement en architecture, où les formes complexes sont de plus en plus présentes, depuis le succès de bâtiments tels que le musée Guggenheim de Frank O.Ghery à Bilbao, ou le projet de remplacement des Twin Towers à New York de Liebeskind.

Ces quatre points permettent de comprendre le rapport existant entre les habitants et le bâti, entre la ville et les usagers. Les interrelations entre l’environnement sonore et l’organisation des divers espaces construits et habités d’un quartier permettent de déterminer les enjeux spatiophoniques à prendre en compte dans une intervention urbanistique et de rechercher des solutions architecturales capables de qualifier l’environnement sonore d’un îlot. Ils permettent en outre de réaliser que les activités sonores d’un lieu sont en liaison directe avec l’histoire de ses pratiques sociales *.

Après avoir pris en compte la complexité des manifestations sonores d’un site au travers de son analyse, quels sont les moyens et les outils mis à la disposition des intervenants pour transformer l’environnement sonore urbain ?

* : Bartok: « Ecouter une oeuvre, c’est observer au ralenti les caractéristiques infimes de l’interprétation, comme si nous regardions un objet à la loupe ».

cd: 7: Noailles Belsunce

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III/ COMMENT INTERVENIR PAR LE SON DANS LES ESPACES PUBLICS ?

L’analyse sonore d’un site incite à intervenir par le son dans le tissu urbain. La recherche de moyens part d’une approche musicale, en prolongement de la notion de musique totale. Le développement des idées dans la musique, en parallèle avec les autres arts, sensibilise à la nécessité de réaliser des œuvres ouvertes en ville, en réponses aux limites matérielles. C’est pourquoi, la coopération entres architectes et musiciens ou entre urbanistes et designers sonores devrait être plus importante dans une optique de requalification de l’environnement sonore en ville.

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1 : LA MUSIQUE CATALYSEUR D’IDEES :

A. Universalité et temporalité :

Opus, Opera, en latin signifie œuvre. Cette référence étymologique révèle la dimension musicale que l’on peut apporter à la création de toute œuvre. L’utilisation actuelle du terme opéra est pourtant restreinte à l’unique représentation publique d’un orchestre symphonique, accompagné éventuellement de danse et de chant. Cette perception du mot nous éloigne alors de l’universalité de la musique.

Il est pourtant acquis qu’elle permette de transmettre un grand nombre d’émotions, et ce grâce à la temporalité de son exécution, à travers des crescendos, des silences, des superpositions de nappes, ou des rythmes plus ou moins saccadés. La diversité des instruments utilisés, chacun ayant une dimension symbolique propre, pourrait permettre par ailleurs la narration de bons nombres d’événements intervenant dans la vie réelle.

L‘hypothèse est que cette puissance quasi-mystique est à prendre sérieusement en compte dans la recherche d’outils d’intervention dans l’espace urbain, bien que son utilisation, aujourd’hui trop encloisonnée dans des lieux de spectacle ou à l’intérieur des logements, ne puisse être que ponctuelle. Les fanfares ou les accordéonistes du métro parisien égayent pourtant sensiblement l’espace et permettent d’oublier un certain moment la cacophonie ambiante.

B. Exemples d’utilisation :

La musique pourrait être utilisée comme outil d’intervention dans la ville. Mais la plupart du temps, elle intervient ponctuellement, laissant une sensation de passage éphémère. La métaphore musicale permet de contribuer à la représentation de la ville conçue comme une musique. A Rotterdam, par exemple, à l’occasion des fêtes de Noël, la ville a prouvé la possibilité d’utiliser la musique en accompagnement d’installations urbaines. Le Schouwburgplein, place qui constitue l’un des pôles culturels de la ville a été redynamisée par un projet de West 8 : tout en gardant l’espace libre, ils l’ont enrichi à l’aide de traitements de matériaux et de quatre mâts-grues qui prennent des positions différentes au gré des passants qui, en actionnant une commande centrale, peuvent actionner les vérins de ces sculptures urbaines. Cette dynamique spatiale, permise par le déroulement du temps, a été renforcée à l’occasion par la diffusion de musiques de Noël, accentuant le caractère surprenant et festif de l’aménagement et offrant une bouffée de liberté aux usagers.

La musique, aussi importante que la parole dans le paysage sonore, serait née du Dieu Yubal qui jouait de la lyre, représenté aux côtés de son frère Tubal-Caïn, le Dieu des forgerons. Ceci montre le lien étroit qui existe entre la musique et les sons techniques, produits par les activités humaines.

Schouwburgplein

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De nombreux architectes ont en outre compris le potentiel que peut revêtir une référence musicale dans la conception de formes. Depuis Iannis Xénakis qui dessine les menuiseries du Couvent de la Tourette de Le corbusier selon un rythme, jusqu’à Christian de Portzamparc qui pense la conception de sa Cité de la musique à Paris selon une succession d’ambiances proches de celles que l’on pourrait ressentir lors d’un Opéra, le mouvement, à la fois induit par le parcours architectural et soumis au déroulement du temps, a été pensé de la même manière qu’une éventuelle écoute. C’est pourquoi les recherches en musique sont importantes, à la fois dans son utilisation primaire et dans les références qu’elle offre au niveau de l’évolution des idées et dans sa concrétisation matérielle.

C. Evolution du concept de musique :

La musique met hors de soi, et les derviches tourneurs l’ont bien compris. Son utilisation première était la danse, bien que l’on sache par ailleurs que l’Iliade d’Homère était un chant, enrichissant son utilisation d’un potentiel mnémotechnique facilitant la transmission d’un savoir. Dans notre société, c’est la musique absolue de Wagner qui s’est abstraite la première de son origine dansée. Depuis ce déclic, les avancées techniques, du premier magnétophone jusqu’au fichier informatique permettant le traitement quasi instantané d’un signal, ont été les moteurs d’une création de plus en plus exempte de contraintes liées à l’interprétation. Ceci explique la diversité des styles actuels, éloignant la musique de sa perception classique.

D. Apparition des techniques expérimentales :

Aujourd’hui, l’adjectif expérimental apparaît fréquemment dans les propos relatifs à la musique. L’écoute de ces musiques apporte des connaissances sur notre quotidien. En effet, ce sont celles qui se rapprochent le plus du rapport existant entre notre corps et notre espace pratiqué. Elles utilisent les sons des machines et jouent avec le silence et le bruit qui structurent notre environnement, tout en ayant un rapport au temps proche de celui que l’on peut avoir en écoutant la ville. Peut-être est-ce celle qui avoisine le plus la notion de musique totale.

Robert Murray Schafer, un compositeur des années 70, a d’ailleurs été le premier à définir le terme de « soundscape », signifiant littéralement « paysage sonore », en écoutant son environnement *. Ceci montre l’influence indiscutable du « bruit des villes » sur les découvertes primordiales qui ont été faites dans le domaine musical.

* : Ecoute moderne structurelle d’Adorno: « écoutant une oeuvre, c’est-à-dire son auteur, mon oreille est déjà, peu ou prou, réglée par une idée de structure, elle cherche à saisir un tout qui s’articule en parties. »

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A partir de là, les méthodes et les moyens se sont multipliés pour jouer avec le potentiel sonore des villes et des espaces naturels en vue de composer de nouvelles partitions. L’art sonore s’est alors développé de manière fulgurante, croisant une multitude de pratiques artistiques. Beat Generation, inventeurs New Yorkais de ce concept, redéfinissent le langage poétique tel qu’il était à sa source en renouant avec la tradition orale de la poésie à l’aide d’outils technologiques tels que le magnétophone. Ceci leur a permis d’agencer des sons par simultanéité, superposition ou fragmentation, utilisant l’écho pour travailler la matière sonore elle-même. Parallèlement, William Burroughs a mis au point le Cut-up, technique qui consiste à couper les différentes parties d’un texte et à les réassembler, de la même manière qu’un collage de photos. C’est la base du structuralisme et de la déconstruction, deux mouvements littéraires modernes qui ont eu un impact primordial dans la recherche architecturale, en ce qui concerne la mise au point de nouvelles formes. Par ces méthodes de création, on aboutit à une équation entre espace et temps, passé et présent, ce qui offre des possibilités infinies de voyage, au niveau de l’imaginaire et du subconscient. Ceci peut se rapprocher d’un essai de la représentation de la sensation inexpliquée de «déjà-vu», si répandue que le terme est utilisé tel quel dans la langue Anglo-Saxonne. De plus, Bernard Heidsieck développe en France en 1950 la notion de «Poésie sonore» à l’aide de la musique électro-acoustique de manière simultanée avec les avant-gardes telles que le lettrisme, le mouvement Dada, ou le futurisme, révélant à nouveau le lien existant entre les recherches musicales et l’histoire de la littérature, de l’art ou de l’architecture.

L’intervention de Pierre Schaeffer * dans les années soixante-dix semble emblématique d’un tournant de premier ordre. Il fonde le «Groupe de Recherches Musicales» avec Pierre Henry, Michel Philippot, Iannis Xenakis, Luciano Berio et invente la musique concrète, composant exclusivement à partir de modifications de sons existants. Ils définissent ainsi des «objets sonores» et mettent au point de véritables traités d’objets musicaux. Ecouteurs enthousiastes, ils démontrent par leur travail l’utilité irremplaçable de la production sonore des villes et produisent par la même occasion un moyen potentiellement adéquat d’intervention dans le tissu urbain, puisqu’ils transcendent la gêne perçue en l’harmonisant par le biais d’un arrangement propre. L’espace pourrait alors être enrichi ponctuellement par une musique qui offre aux passant une possibilité de sensibilisation à leur écoute quotidienne.

* : « Le rythme intérieur d’un élément train qui, du point de vue du solfège, est de toute importance, perd cette importance dans le parti de composition avec du matériau sonore. Du coup ce parti porte le nom de musique concrète, pour bien marquer la dépendance où nous nous trouvons, non plus à l’égard des abstractions sonores, mais bien des sons concrets, pris comme des objets entiers, irréductible à telle ou telle composante du solfège.»

Pierre Schaeffer

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E. Applications actuelles :

En 1990, l’échantillonnage permis par les machines, les samplers et les ordinateurs offre de nouvelles possibilités, augmentant la rapidité du traitement, et permettant de rajouter à la gamme des sons concrets toute une ribambelle de nouvelles sonorités issues de l’électronique, et des autres musiques existantes, indexées à une échelle inconnue jusqu’ici. La numérisation du son permet en effet une instrumentation inédite de l’écoute et généralise l’arrangement. Comme le son des villes, le son des créations précédentes s’est vu détaché de l’architecture ou de l’agencement compositionnel qui le porte. On assiste ainsi aujourd’hui à de nouvelles formes de musique issues de ces techniques, véhiculées par des compositeurs comme Autechre, Pierre Bastien, Hypo ou Christian Zanési, certains comme Björk allant même jusqu’à revitaliser les comédies musicales du septième art. (Cf. Dancer in the Dark de Lars Von Trier). Elles ouvrent à leur tour de nouvelles possibilités de création sonore, élargissant le répertoire utilisable dans une hypothétique intervention urbaine acoustique, que ce soit par leur emploi brut ou par celui des multitudes de sons qu’elles ordonnent.

F. Musique et littérature :

Car la musique est avant tout une manière d’écrire qui utilise un alphabet et une syntaxe propres, les notes et les rythmes, codifiant de manière abstraite des idées parfois impossibles à traduire par les mots qui sont malheureusement astreints à leurs significations intelligibles. Bach a d’ailleurs su crypter son nom dans la notation solfégique, seule possibilité de signer. La méthode braille, outil de codification des aveugles qui leur permet d’écrire ou d’imprimer de la prose, des chiffres ou de la musique, évoque l’universalité des moyens de communication pourtant rarement développé. Y a-t-il vraiment, à l’égard de la citation, une différence structurelle entre la musique et les arts plastiques, par exemple? Une image pourrait-elle en elle-même donner à voir qu’elle est une citation, sans avoir recours à du texte? Les lettres sont aussi des images. Il n’y a pas plus de distance intrinsèque entre musique et paroles qu’entre images et lettres.

«La musique peut être écrite et les idées y sont véhiculées par des signes et des marques.» Mansfield.

Busoni 1910: « Toute notation est déjà transcription d’une invention abstraite. L’idée perd sa figure d’origine. L’invention devient un concerto: c’est déjà un arrangement de l’original. » Adorno: « Le microsillon du disque est couvert de lignes courbes, d’une écriture aux fines ondulations, totalement illisible, qui forme ici et là des figures plus plastiques, sans que le profane puisse à l’écoute en déceler la raison. »

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Le lien entre la musique et la littérature n’est plus à prouver et il est facile de percevoir la plasticité des mots comme celle de la musique sous l’orgue des mots-sons. Les paroles des chansons sont souvent utilisées de cette manière, et un texte poétique peut être mis en valeur par sa mise en mélodie. Lire un texte, c’est le réécrire. On en tire des citations parfois éloignées dans le corps du texte pour faire surgir du sens, à chaque fois différent. La lecture est critique quand elle rompt avec la linéarité temporelle du flux. On retrouve la même idée que dans les arrangements de sons existants et on peut alors voir la musique comme une interprétation subjective de l’environnement. L’oeuvre d’art musicale existe avant d’avoir retenti et après qu’elle a résonné, elle est là entière et intacte. Elle est à la fois dans le temps et hors du temps. C’est pourquoi elle peut être considérée comme la face cachée de la poésie du XX° siècle.Partition de Karlheinz Stockhausen

Tour cybernétique sur le toi de l’Hunité d’Habitation de Le Corbusier

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2 : L’UTILITE DE L’OEUVRE OUVERTE :

A. Réponse aux clôtures :

Pourquoi l’emploi de la reflexion musicale en milieu urbain peut-elle être aussi intéressante et bénéfique pour la population ? Face aux constructions croissantes de murs et de clôtures, réalisés par les architectes et les promoteurs immobiliers en réponse à des programmes réglementés, bien que ce soit apparemment une demande sociale d’isolement, la nécessité d’intervenir de manière ouverte dans la ville devient pressante. Bien que les réflexions soient poussées par les créateurs jusqu’au point de travailler esthétiquement les limites physiques de notre environnement, un bon nombre de grillages, de portails et de parois séparent les fonctions d’usage, délimitant les propriétés. On arrive aujourd’hui au point de privatiser des rues entières, normalement publiques, d’après le prétexte tant véhiculé de la sécurité. Ainsi, même les espaces publics se retrouvent fermés, empêchant une pratique libre de l’espace. Cette idéologie s’explique peut-être par le développement de la perspective à la Renaissance, période à laquelle les premières utopies de ville ont été dessinées. Les tableaux étaient peints en fonction d’un point de vue unique, celui de l’auteur, ce qui entraîne une fermeture de l’esprit du spectateur, orientant l’interprétation subjective de l’œuvre d’art.

B. La multiplicité des interprétations :

Umberto Eco explique l’importance des œuvres d’art plus récentes et promeut la poétique de l’œuvre ouverte face à la permanence des idées développées à la Renaissance. Il déclare qu’ « une forme est valable esthétiquement si elle peut être envisagée et comprise selon des perspectives multiples, c’est-à-dire qu’elle présente de nombreux aspects sans jamais cesser d’être elle-même. » Michel Ange, génie de cette période artistique, avait déjà compris les limites de l’idéologie véhiculée par la perspective, puisque bon nombre de ses sculptures que l’on dénomme à tort « œuvres inachevées » offrent au spectateur la possibilité d’imaginer leur suite selon sa propre idée. De la même manière, la musique expérimentale offre une extraordinaire liberté à l’exécutant, permettant une improvisation créatrice lors de son interprétation, et au sujet écoute puisqu’elle n’oriente pas son interprétation de manière dogmatique. Cette improvisation créatrice, donnant à l’œuvre une vie propre capable d’évoluer à chaque lecture, est très bien illustrée dans les notations qu’apporte Erik Satie à ses partitions : « sur le bout de la langue, sortir de sa tête ou pas timide » sont des exemples assez révélateurs. Le sujet écoute n’est alors rien d’autre ou plutôt personne d’autre que l’oeuvre musicale elle-même, puisqu’elle renvoie à soi. De la même manière, Stockhausen, Berio, Pousseur ou Boulez, compositeurs contemporains, développent cette approche qui conçoit l’achèvement et l’ouverture de l’œuvre.

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C. Transfert des arts :

Cette importance primordiale reconnue à l’interprétation subjective de l’œuvre d’art, permettant l’abolition des codifications restrictives a aussi été le point de départ des artistes contemporains et de bons nombres d’architectes. Les mobiles de Calder, par exemple, génèrent leur propre espace au gré des courants d’air, permettant une lecture reliée à la temporalité des événements. Ce mouvement a aussi été le stimulateur de réflexions en architecture, puisque les parois modulables deviennent aujourd’hui quasiment indispensables dans les bâtiments, réponses adéquates aux changements perpétuels d’activités. Mies Van der Rohe a lui aussi construit sa pensée sur la notion d’espace ouvert, représentée parfaitement dans son pavillon de Barcelone. Mais, aujourd’hui, ces idées révolutionnaires sortent rarement des placards puisque les soi-disant exigences de confort demandent dans tout bâtiment une étanchéité à l’air, à l’eau, au vent, au feu et aux gens. Bref, nous nous isolons complètement des éléments fondateurs de notre monde pour pouvoir vivre tranquillement, dans la solitude et le silence.

Les interventions sonores subissent le même refus que ce genre d’appréhension de l’espace puisqu’elles restent conditionnées par une réglementation identique pour préserver le bien-être des habitants. C’est pourquoi, elles peuvent rester dans le domaine de l’utopie dans la plupart des esprits, mais demeurent intéressantes d’un point de vue de l’ouverture de la pensée et de l’imagination. En effet, « Ascoltando » désigne dans la musique un élément qui n’est absent d’aucun des autres arts, mais qui prend tout son relief dans la musique: c’est l’élément d’un renvoi constitutif, d’une résonance ou d’une réverbération qui permet un retour sur soi. Elle permet de transmettre un point de vue sur l’appréhension des événements. Par sa propre construction ou architecture, une oeuvre musicale garde en son sein des possibilités d’appropriation active et ses auditeurs peuvent signer à leur tour l’écoute d’une œuvre.

D. L’influence du lieu :

Le lieu de l’écoute et de la diffusion d’un phénomène sonore influe de manière prépondérante sur sa perception, permettant à son tour d’ouvrir l’œuvre en fonction des qualités acoustiques de l’espace. Adorno en 1938 déclare: «les modifications sonores que subit tout orchestre lorsqu’il résonne dans une pièce au travers des haut-parleurs, sont elles-mêmes du type de l’arrangement.» Un même morceau ne vas pas résonner de la même manière dans une chambre individuelle ou dans une salle de concert, et encore moins en plein air. Le son est souvent révélateur de l’espace, de même que l’espace donne toute sa dimension au phénomène acoustique. C’est pourquoi la diversification des lieux de diffusion semble importante dans l’expansion d’installations sonores. Elles permettraient à travers une analyse d’un site, de déterminer plus précisément les caractéristiques spatiales du lieu apportées par les sons, de manière à prévoir des repères sonores ponctuels, qui pourraient orienter les déplacements urbains et requalifier auditivement des zones trop silencieuses.

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3 : LE MATERIAU SON ET L ARCHITECTE

A. La matière sonne :

Même sans production concrète d’objets sonores, l’espace construit en façonne beaucoup, de par la résistance qu’il constitue face au phénomène du vent. La statue de Memnon dans la Vallée des Rois en Egypte illustre cette notion puisqu’elle était renommée à travers tout l’Empire pour le chant qu’elle produisait à certains moments à cause du vent, les égyptiens croyant que c’était l’esprit de la divinité représentée qui provoquait ce phénomène. C’est pourquoi les signaux sonores ramènent toujours au construit, puisqu’ils sont obligatoirement liés à une cause physique. Plus proche de nous, le Singing ship memorial en Australie à Rockhampton est un monument dédié aux marins qui siffle au vent grâce à l’utilisation de tubes acoustiques, positionné hors de la ville pour être faiblement perceptible et pour atténuer la notion de gêne. Ces exemples montrent qu’il est nécessaire de prendre en compte le facteur son lors de la construction de bâtiments, puisqu’ils fabriquent l’acoustique des espaces publics.

Un autre phénomène est celui de l’écoulement de l’eau dans les parcs ou les places publiques. Elément naturel, il nous renvoie à notre nature animale, tout comme le bruissement des feuilles. Les fontaines, ornement classique par excellence, sont encore beaucoup utilisées puisqu’elles incarnent des repères auditifs dans la ville, jouant un effet de marque plus ou moins prononcé vis-à-vis des nuisances lorsqu’on s’en rapproche. Au Cours d’Estienne d’Orves à Marseille, par exemple, la fontaine assure cette fonction, symbolisant par ailleurs, certes de manière peu enthousiasmante, la présence historique de l’eau à l’emplacement de ce vide urbain. Une utilisation exemplaire de cet outil sonore peut être appréciée dans le jardin de l’Alhambra en Espagne, où une architecture complexe a été mise en place à partir du trajet de l’eau. Le parc du XXVIème centenaire à Marseille semble à mon avis s’en être inspiré de façon plutôt réussie. L’eau est un élément fondateur du parc, présent dans la détermination de l’axe central et aussi dans les alcôves aménagées de part et d’autres. A chaque fois, la durée et la variété des jets d’eau caractérisent temporellement et spatialement le lieu.

Tout ceci montre les outils utilisables par l’architecte dans sa conception d’espace ou même de bâtiments pour qu’ils puissent influer sur le monde des sonorités et remédier ponctuellement au problème du bruit tant redouté par les mairies.

La statue de Memnon Singing ship memorial

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B. La texture sonore :

Le paysage sonore et par extension la musique, qui existe à partir du moment où l’on arrange de manière réfléchie différents sons, deviennent alors de véritables matériaux de construction d’un espace. De la même manière que la lumière, qui pour sa part est totalement acceptée malgré la saturation visuelle de nos villes, ils permettent de donner des caractéristiques intelligibles à un espace et d’approfondir des partis architecturaux ou urbanistiques dans le domaine des interventions au sein de la ville. La diversité des possibilités qu’ils offrent en matière d’identité surpasse presque celle offerte par l’utilisation des différents matériaux. La notion de texture, utilisée dans la conception de bâtiments par les architectes pour fabriquer une nouvelle image la plus esthétique possible, doit être élargie au monde des sonorités pour permettre une esthétisation du monde des tonalités. Ainsi, la recherche de fabrication d’ensemblier ne pourra être aboutie qu’en prenant en compte les perceptions auditives que l’on a d’un espace. La couleur d’un son, donnée par son timbre, ses harmoniques ou sa chambre d’écho, offre en effet un répertoire de textures auditives qu’il semble important d’utiliser. De plus, la réverbération fait partie du son, elle appartient à son immanence, alors que le reflet ne fait pas partie de la forme et de la couleur visible, ce qui renforce l’impact du son sur l’appréhension du réel puisqu’il ne trompe jamais le sujet en lui faisant croire que ce qu’il perçoit existe alors que ce n’est que le pâle reflet d’un autre phénomène. C’est pourquoi, les effets auditifs sont souvent beaucoup plus vrais que les effets visuels utilisés.

« Il est temps de se dégourdir les oreilles ! D’arrêter de croire ceux qui veulent nous isoler dans une bulle high-tech avec des connexions à péage - téléphone, Internet, télévision - pour l’ensemble de nos relations. Il est temps de réaliser que le plaisir pris aux terrasses des cafés, aux brasseries du midi, à la plage, au cinéma, aux flâneries dans les venelles, au shopping sur les boulevards, est en grande partie un plaisir sonore. Avant qu’il ne soit trop tard, et que l’on en ait perdu le souvenir, chacun de nous doit déclarer son amour des mille et un petits bruits de la vie, au point de refuser d’utiliser tout engin émetteur de gros bruits cannibales .Architectes et urbanistes doivent prendre fait et cause pour le paysage sonore urbain. » A la recherche des plaisirs sonores HORIZONS.

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4 : DIMENSION URBAINE DES CONSTRUCTIONS SONORES

A. Utilisation du matériau son :

Aujourd’hui, la dimension sonore dans les espaces urbains est de plus en plus présente dans leur conception. La mairie parisienne, entre autres, met en place des observatoires du bruit pour quantifier la gêne produite par les moyens de transport dans les métropoles, et parviennent même à établir des plans de bruit selon la fréquence de circulation dans les rues importantes. Face à leur politique de lutte contre le bruit, constituant un frein à la création, de plus en plus d’urbanistes réfléchissent au problème de manière plus globale, essayant de trouver des solutions autres que des amandes répressives, preuves du manque d’imagination des pouvoirs publics. Bernard Delage, Architecte Plasticien, a été l’un des premiers en 1980 à effectuer une tentative de sonorisation urbaine, créant de toute pièce un paysage sonore. Il compose ainsi le paysage sonore d’une gare à partir de sons enregistrés. Son intervention résume le développement proposé ici. Il compose directement un paysage sonore à partir des éléments existant, ce qui permet d’intervenir discrètement dans l’espace public, tout en prenant compte de la musique totale présente dans le lieu. Réponse lucide, c’est une démarche intéressante pour essayer d’améliorer les sources sonores.

L’idée d’écologie acoustique, énoncée par Robert Murray Schafer n’en est que renforcée. Le monde est perçu comme une immense composition musicale, reprenant l’idée de musique totale. Dans cette perspective, nous sommes public, musicien et compositeur en même temps. Chaque geste quotidien entraîne l’émission de sons et leur perception simultanée peut être perçue de manière harmonieuse. S’il existe la possibilité de prévoir la nature des sons émis, selon une pensée de participation à l’ensemble musical de la ville, une composition d’ensemble de l’environnement acoustique permettrait alors d’améliorer l’orchestration du paysage sonore, à l’aide des outils exposés précédemment.

B. L’urbanisme sonore :

Au niveau des espaces réalisé, seuls les auditoriums et les salles de concert ont une acoustique traitée, comme si les lieux d’écoute ne pouvaient se restreindre uniquement qu’à des lieux fermés. Mais le phénomène est global et ce genre de traitement ne peut suffire à une réponse satisfaisante en matière de recherche de réponses vis-à-vis du problème de gêne tant dénoncé par les habitants. Il faudrait inciter les urbanistes à diminuer la production de bruits excessifs et gênants et à imaginer des bruits agréables en vue d’imaginer des paysages sonores. Créer des événements sonores permettrait une lecture nouvelle de la ville, renforçant son identité par le biais de repères pensés et définis. Une solution particulière est de diminuer le niveau global pour laisser émerger les bruits utiles. Les zones de calme permettent je pense la perception de paysage sonore désiré non masqué par bruit de fond.

cd: 8: Bernard Delage

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A Paris, l’effet cocktail de la place Beaubourg était prévisible puisqu‘elle attire un grand nombre de passants, depuis les touristes japonais jusqu’aux artistes de toute sorte, créant une multitude de sonorités. C’est d’ailleurs là que se trouve l’IRCAM, centre de recherche musicale. Cette question de la prédictibilité des effets sonores rentre totalement dans la problématique générale. Elle montre qu’une réflexion sonore effectuée dès le stade de la conception des espaces serait bénéfique sur le plan de l’ambiance sonore désirée. Cette dimension permettrait de qualifier plus précisément les nouvelles parties de ville en intégrant le son à la composante visuelle qui est dominante. C’est pourquoi la place d l’architecte ou de l’urbaniste dans une telle considération est importante.

C. Interventions sonores :

Nicolas Schoffer est fameusement connu pour sa tour cybernétique qui réagit aux variations du son environnant grâce à des capteurs. Ceci illustre la possibilité de créer un urbanisme ludique, cybernétique. En effet, la sculpture compose sa propre musique, grâce à l’intervention de musiciens tels que Pierre Henry ou Henri Pousseur, qui ont été les instigateurs de la musique concrète. Un modèle a d’ailleurs failli être réalisé à Paris en accompagnement de l’arche de la Défense, à l’époque de François Mitterrand, pour symboliser la nouvelle ère en gestation. Dans cette tour, le matériau son vient simultanément avec le temps et la lumière. Elle représente le fait que nous sommes aujourd’hui à la préhistoire de l’harmonisation des villes par le son. Il faut dorénavant définir des zones calmes, de transition, de bruits, et intervenir dans l’espace grâce à ce matériau. Depuis ce projet, peu ont été réalisés. C’est pourquoi il me semble important de raviver la question du son dans la ville, qui est aujourd’hui trop laissée de côté lors de la conception d’espaces, peut-être à cause des refus catégoriques ou de la complexité du sujet. Mais les possibilités existent, ce que tente d’expliquer ce mémoire. Les méthodes d’écoute des musiciens pourraient être intégrés dans une démarche d’analyse urbaine préalable à une intervention pour déterminer les enjeux spatiophoniques à prendre en compte ou à imaginer pour revaloriser les caractéristiques d’un lieu pratiqué.

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D. Le design sonore :

Le design sonore s’est développé dans l’industrie automobile, dans la publicité et dans le théâtre ou le cinéma. Véritable berceau de l’imaginaire sonore, les bruitages de théâtre et la création de paysages sonores au cinéma ont permis de développer une méthode de création à partir d’un minimum de moyen pour obtenir un maximum d’effet. Avec le film parlant est apparu le design sonore, permettant la composition de nouveaux mondes auditifs : ce sont les premières créations de paysages sonores. Ce savoir technique n’est encore que très peu appliqué à la réalité, et il existe aujourd’hui un manque de collaboration entre l’industrie et les musiciens, la musique étant perçue comme une sorte d’artisanat. De grands groupes ont pourtant compris l’importance du son dans l’identité de leurs produits, faisant appel à des professionnels pour le concevoir. Ainsi, les briquets ou les Corn Flakes sont autant reconnus par leurs formes que par leurs sons. De même, Renault travaille avec des luthiers pour réaliser les claquements de portière. Ce genre d’intervention à la source des objets producteurs de nuisances devrait être développé pour remédier au problème de la gêne, plutôt que de se protéger par des murs de plus en plus épais. Car le design sonore peut se rapprocher de la musique. Bien que les concepteurs travaillent sur des produits beaucoup plus brefs que les musiciens et qu’ils doivent respecter un cahier des charges précis, ils doivent organiser des sons de manière harmonieuse. L’Ircam à Paris a légèrement favorisé la conception et la réalisation de l’environnement sonore de lieux publics ou privés, grâce à de tels professionnels. Louis Dandrel, par exemple, a mis au point la signalétique SNCF dans la gare de Lille Europe, mettant au point un code à la fois agréable et perceptible. Il a d’ailleurs inventé un nouveau son de moteur pour la Renault Tulipe, dont la commercialisation massive pourrait transformer considérablement le paysage sonore des villes. Le design sonore paraît donc être un outil d’intervention valable en réponse au problème de la gêne. En effet, il permet une réflexion au niveau de la source sonore et de prévoir son impact sur l’environnement acoustique. Employé plus fréquemment dans les aménagements urbains, il permettrait à la fois de diminuer le problème des moyens de protection sonore et d’apporter des réponses dans le domaine du remplacement de certaines sources.

cd: 9: Louis Dandrel

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CONCLUSION.

Ce travail a permis, je l’espère, de sensibiliser le lecteur à la pertinence d’une réflexion poussée dans le domaine des sources sonores qui composent notre environnement. En réponse aux plaintes croissantes en matière de nuisance sonore, ce positionnement propose une analyse de la nature des sources sonores ambiantes, alternative à celle trop quantitative de la réglementation, basée sur un mesure de dB. Ainsi, à partir d’une méthode d’écoute basée sur l’enregistrement, les enjeux spatiophoniques d’un lieu peuvent être déterminés plus précisément de manière à prévoir la dimension sonore recherchée dans un aménagement ultérieur. Les outils principaux sont essentiellement issus la musique. Les idées développées dans l’histoire de la composition sont intéressantes du point de vue de la sensibilisation à l’écoute de l’environnement, qui peut être lui-même considéré comme une musique composée par l’ensemble des productions sonores humaines. La méthode d’analyse proposée part d’ailleurs de cette notion de musique totale. De plus, le son des villes peut être extrait ponctuellement, grâce à l’enregistrement, ce qui permet d’isoler un événement acoustique de son pendant visuel. Sa dimension significative peut être alors révélée, puisqu’on perçoit toute l’identité du lieu, sa qualité spatiale, et parfois même une histoire sociale. Pour sensibiliser les intervenants à la notion d’espace sonore, des exemples permettent d’illustrer la qualité que peut apporter une revalorisation des sources émettrices. Quelques interventions urbaines prouvent la possibilité de réaliser des œuvres ouvertes, jouant avec les textures sonores, aussi bien qu’avec la lumière. Le design sonore, différencié de la musique par ses exigences concrètes, semble alors être un atout supplémentaire. Plus proche du questionnement de l’architecte, il s’adapte mieux aux réalités constructives imposées par le lieu d’intervention, bien que la musique puisse être aussi utilisée en milieu urbain, mais toujours de manière ponctuelle ou éphémère.

Les interventions sonores en milieu urbain ont encore un dernier cap à passer pour pouvoir être réalisées. La recherche de marchés est encore souvent infructueuse et il n’existe que peu de structures qui parviennent à tirer des bénéfices économiques d’une telle activité. C’est pourquoi une sensibilisation au sujet est importante pour déterminer les possibilités offertes par une reconsidération de l’espace sonore en ville, et pour favoriser la demande dans les interventions urbaines. La non prise en compte du facteur son dans l’aménagement du nouveau tramway à Marseille montre bien le manque évident d’une réflexion dans ce domaine, puisque cette intervention va transformer considérablement le paysage sonore de la ville.

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BIBLIOGRAPHIE :

Histoire de l’acoustique. Liénard.Journal de mes sons. Pierre Henry.Silence. John Cage.Ecoute, une histoire de nos oreilles. Peter Szendy.A l’écoute de l’environnement, Répertoire des effets sonores. Augoyard et TorgueParu en 1995 aux Editions Parenthèses. Condition de l’homme moderne. Anna Harendt.Le Paysage sonore. Murray SCHAFER, Paru en 1979, Paris : Ed. J.-C.Lattès,

ARTICLES :

A la recherche des plaisirs sonores. Bernard Delage.HORIZONS. N° 5144 du 28/06/2002La gêne attribuée au bruit, approche anthropologique. Manuel PERIAÑEZDiagonal, n°71, avril 1989, pp.38-41

La signification de la gêne attribuée aux bruits dans l’habiter. Florence Desbons et Manuel Periáñez. MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT Rapport de fin de contrat. Décembre 1975

La poétique de l’Oeuvre ouverte. Umberto Eco.Collection Points»,Éditions du Seuil, Paris1965

SITES INTERNET :

http://www.espacesetsocietes.msh-paris.fr/115/resumes.htmlhttp://www.olats.org/schoffer/http://www.provincia.fi.it/cedip/Seminari/Amphoux_fr.htmhttp://www.ina.fr/grm/index.fr.htmlhttp://www.sfa.asso.fr/ds2002/fr/prog.htmlhttp://www.diasonicdesign.com/index.htmlhttp://www.cresson.archi.fr/http://mpzga.free.fr/txtenligne.htm