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Business School WORKING PAPER SERIES IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors. Working Paper 2014-350 Renverser les discriminations : la politique américaine de discrimination positive Frédéric Teulon Claude Alavoine Guillaume Bigot Dominique Bonet Bernard Terrany http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html IPAG Business School 184, Boulevard Saint-Germain 75006 Paris France

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Business School

W O R K I N G P A P E R S E R I E S

IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been

peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors.

Working Paper

2014-350

Renverser les discriminations : la

politique américaine de discrimination

positive

Frédéric Teulon

Claude Alavoine

Guillaume Bigot

Dominique Bonet

Bernard Terrany

http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html

IPAG Business School

184, Boulevard Saint-Germain

75006 Paris

France

1

Renverser les discriminations : la politique

américaine de discrimination

positive

Frédéric Teulon, Claude Alavoine, Guillaume Bigot, Dominique Bonet,

Bernard Terrany

Ipag Business School, Paris et Nice

Résumé___________________________________________________________________

La discrimination positive est née de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960.

Toutefois les quotas ethniques dans l’enseignement supérieur américain ont été remis en

cause en 1978 (arrêt Bakke) par une décision de la Cour Suprême qui incitait les universités à

promouvoir la diversité, mais sans la chiffrer. Par la suite, plusieurs Etats ont interdit la

discrimination positive comme méthode de sélection des étudiants. Fortement critiquée cette

politique est aujourd’hui en crise.

Mots clés : Discrimination positive, Diversité, Education, Inégalités, Justice sociale, Marché

du travail.

Abstract___________________________________________________________________

Affirmative action arose from the fight for the civic rights in the 1960s.. However the ethnic

quota in the American higher education were questioned in 1978 (Bakke) by a decision of the

Supreme Court which incited universities to promote diversity, but without coding it.

Afterward, several States forbade the affirmative action as method of selection students.

Strongly criticized this policy is now in crisis.

Keywords : Affirmative action, Corporate social responsibility, Diversity, Education, Social

Justice,

2

Introduction

Aux Etats-Unis, l’expression affirmative action a été utilisée pour la première fois par

l’administration Roosevelt alors que celle-ci cherchait à renforcer les droits des syndicats. Le

National Labor Relations Act de 1935 obligeait les employeurs à reprendre les salariés

syndiqués qui auraient été licenciés abusivement et à leur verser une indemnité. Au départ, le

terme d’affirmative action n’avait pas de contenu spécifique. Il évoquait une démarche

volontariste destinée à faire évoluer les choses dans le cadre de l’action sociale du New Deal.

L’application de mesures d’affirmative action au sens où on l’entend aujourd’hui –

c’est-à-dire des mesures en faveur des minorités - date de la seconde partie des années 1960.

Cette situation s’explique par le caractère hétérogène de la population américaine, par les

cicatrices laissées par l’esclavage et par l’ampleur du racisme à l’encontre des Noirs. Les

Etats-Unis ont du mal à assumer l’héritage de leur passé.

L’affirmative action a été lancée pour réparer les injustices liées à ce passé

esclavagiste et ségrégationniste. Comme la rappelé le juge Thurgood Marshall1

dans un arrêt

célèbre de la Cour suprême : « C’est à cause du passé que nous devons permettre à nos

institutions de tenir compte de la race lorsqu’elles sélectionnent ceux qui, en Amérique,

détiendront influence, richesse et prestige… » Un cas de force majeure, mais cette politique

n’a pas été conçue pour durer indéfiniment (ses concepteurs ont insisté sur son aspect

temporaire).

Ce projet qui allait à l’encontre des habitudes de fermeture de l’establishment Wasp

(Blancs anglo-protestants), s’est révélé évolutif et plus déterminé par des décisions de justice

que par des lois.2 Une succession de procès et d’arrêts ont amené la Cour suprême à préciser

sa position. Une véritable odyssée sous la forme de décisions judiciaires : 1971, 1978, 1989,

2003…

Selon Lind (1995), l’affirmative action aboutit à un type de compromis: utiliser des

quotas raciaux pour apaiser les Noirs et les autres minorités ethniques en promouvant de

manière symbolique quelques individus. C’est la situation du Brésil où les privilégiés et les

défavorisés vivent dans des systèmes totalement séparés, les règles n’étant pas les mêmes

pour tous.

L’affirmative action a toujours été entourée d’une certaine opacité (entretenue par des

décisions contradictoires de la Cour suprême) permettant de camoufler un manque de

légitimité démocratique des mesures adoptées, révélant des revirements de jurisprudence ou

traduisant la profonde division des juges.

1. Les origines de l’affirmative action

La cause des Noirs

Aux Etats-Unis, les esclaves ont été utilisés comme main-d’œuvre servile dans les

grandes plantations de coton des Etats du Sud. La traite des Noirs a concerné plusieurs

millions de personnes qui ont été « achetées » en Afrique jusqu’à l’abolition définitive de

l’esclavage à la fin de la guerre de Sécession. Les dirigeants américains ont mis du temps à

accepter l’idée que les Blancs et les Noirs étaient destinés à vivre ensemble. Encore en 1869,

le président Ulysses Grant envisageait de coloniser Saint-Domingue afin de disposer d’un

1 Premier Noir nommé membre de la Cour suprême.

2 Observateur avisé, Alexis de Tocqueville (1835) écrivait déjà au XIXe siècle : « Aux Etats-Unis, il n’est

presque pas de question politique, qui ne se résolve tôt ou tard en question judiciaire ».

3

territoire susceptible d’accueillir l’ensemble de la population noire, et ce en dépit de l’échec

de la première expérience de ce type qui avait conduit à la création en 1847 de l’Etat du

Libéria.

Avant la révolution des droits civiques des années 1960, de nombreuses lois

instauraient explicitement une discrimination selon les races. Ces lois légitimant la

ségrégation étaient dites lois « Jim Crow », quolibet adressé aux Noirs, du nom d’un

personnage d’une chanson populaire (« crow » - corbeau - faisant allusion à la couleur de la

peau). Le racisme irradiait l’ensemble de la société et de nombreux Américains considéraient

les unions interraciales comme de véritables aberrations. Les Noirs ont été les souffre-douleur

de petits WASP, méchants comme la gale, avec leurs préjugés malsains, opposés à l’égalité

raciale et indifférents aux malheurs des pauvres.

En 1865, pourtant, tout paraissait clair. Les Etats fédérés avaient remporté la guerre et

l’esclavage était aboli sur l’ensemble du territoire (13e amendement à la Constitution). Le

quatorzième amendement (1868) garantissait la citoyenneté des anciens esclaves et rendait

illégales les discriminations les plus accentuées en imposant le principe de « l’égale protection

des lois ».

Cependant la doctrine selon laquelle les installations publiques devaient être

« séparées mais égales » (separate but equal) a longtemps prévalu. En effet, en 1896, un arrêt

de la Cour suprême (appelé « Plessy contre Ferguson ») autorise les Etats qui le souhaitent à

adopter des mesures de ségrégation raciale, pourvu que les conditions offertes aux différentes

races soient égales. Cet arrêt impose une interprétation très restrictive du quatorzième

amendement à la Constitution, censé garantir à tous l’égale protection de la loi. Chacun savait

que cette loi avait pour véritable objectif, non pas d’exclure les Blancs des lieux occupés par

les Noirs, mais l’inverse. Il n’en reste pas moins vrai que l’interdiction de fréquenter tel ou tel

lieu ou de voyager dans les wagons réservés aux individus de l’autre race frappait

« également » Blancs et Noirs. En Louisiane, la législation prévoyait que dans les cinémas, les

cirques et les zoos, les guichets séparant les deux races devaient être espacés de sept mètres au

minimum. A Atlanta, les ascenseurs des Blancs étaient distingués de ceux des Noirs, ce qui

n’était pas le cas dans l’Oklahoma, dont les cabines téléphoniques, en revanche, étaient

ségréguées (Ndiaye, 2006) !

La violence raciste dans les Etats du Sud entraîna le départ d’une partie de la

population noire vers les grandes villes industrielles du Nord (New-York, Chicago,

Detroit…). Encore dans les années 1950, la ségrégation restait très présente tant dans le

système scolaire, que dans les lieux publics ou dans les transports. Dans le Sud, le Ku Klux

Klan, fondé en 1866, entendait maintenir la suprématie blanche par la peur. Des bandes

encagoulées incendiaient les salles de cinéma qui projetaient le film « Une Ile au soleil » dans

lequel l’acteur noir Harry Belafonte formait un couple mixte avec Joan Fontaine.

L’Amérique continuait de trahir ses idéaux fondateurs. Faute de perspectives

d’évolution, la communauté noire restait plongée dans une grande détresse. Dans les Etats du

Sud, la police était ouvertement raciste et les Noirs étaient découragés de se rendre dans les

bureaux de vote. En 1955, une affaire célèbre relance les revendications des Noirs : Rosa

Parks, une couturière de couleur, assise dans un bus à Montgomery (Alabama) refuse de

laisser sa place à un Blanc, elle est arrêtée par la police et condamnée à verser une amende.

Martin Luther King, pasteur baptiste de cette ville, organise aussitôt une marche de

protestation et un boycott de la compagnie. Ce mouvement non violent est à l’origine d’un

revirement de l’opinion publique.

La Cour suprême va jouer un rôle déterminant. En 1954, dans l’affaire « Brown contre

le Board of Education of Topeka », elle interdit la ségrégation dans les écoles publiques et

met fin à la doctrine « séparés mais égaux ». Cet arrêt constitue le tournant juridique qui met

fin à la ségrégation. Mais dans le Sud profond cette décision ne fut pas respectée.

4

En 1956, la Cour déclare inconstitutionnelle la ségrégation dans les transports en

commun (suite de l’affaire Rosa Parks). En 1957, elle invalide les lois qui interdisent les

mariages mixtes. L’année suivante, elle propose l’emploi d’autobus pour amener les élèves

hors de leurs quartiers d’origine (« busing » ). Mais le véritable bouleversement est représenté

par la mise en place des droits civiques, politique qui a été vécue comme une revanche et

soutenue par les organisations noires qui souhaitaient faire payer à l’autre plusieurs siècles

d’injustice.

Le rôle de l’administration Kennedy/Jonhson

Les véritables programmes appelés AA (Affirmative Action) ont été lancés par

l’administration Kennedy/Johnson en faveur des Noirs et à titre de réparation (il s’agissait de

compenser les injustices liées à l’esclavage). C’est pour cela que l’on parle de

« discriminations inversées » (reverse discriminations). Le régime juridique dérogatoire

attribué au départ aux Afro-Américains a été étendu progressivement aux Hispaniques, aux

descendants des populations autochtones (Native Americans), aux femmes et parfois aux

Asiatiques.

L’administration Kennedy s’est efforcée de lutter contre les discriminations dont

étaient victimes les Noirs. Cette action a été prolongée après l’assassinat du président (le 22

novembre 1963), par son vice-président Lyndon Johnson dans le cadre du programme dit de

la « Grande société ». Paradoxalement la loi sur les Droits civiques (Civil Rights Act) de 1964

réaffirmait des droits universels (concernant l’ensemble de la population) et ne paraissait pas

pouvoir conduire à une politique de discrimination positive. Le titre VII de cette loi stipule

notamment qu’« un employeur ne peut licencier, refuser d’employer ou écarter la candidature

d’une personne du fait de sa race, de sa couleur de peau, de sa religion, de son sexe ou de sa

nationalité. »

C’est l’application de cette loi sur les Droits civiques, son interprétation par les juges

et de nouvelles impulsions données par le président Lyndon Johnson qui vont faire de

l’affirmative action une norme plus ou moins explicite poussant les autorités publiques à

rechercher de meilleurs résultats en termes d’égalité. L’interdiction de la discrimination est

apparue insuffisante pour lutter contre des inégalités structurelles, le gouvernement fédéral a

souhaité donner un nouvel élan en faveur de la promotion des Noirs et de la redistribution du

pouvoir économique.

En 1965, dans un discours prononcé devant les étudiants de l’Université noire de

Howard (Washington), le président Lyndon Johnson, magnanime, utilise une image sportive

pour justifier la nécessité de l’affirmative action : « Imaginons un 100 mètres dans lequel l’un

des deux coureurs aurait les jambes liées. Durant le temps qu’il lui faut pour faire 10 mètres,

l’autre en a déjà fait 50. Comment rectifier la situation ? Doit-on simplement délivrer le

premier coureur de ses liens et laisser la course se poursuivre en considérant qu’il y a

désormais égalité des chances (equality of opportunity) ? Cependant, l’un des coureurs a

toujours 40 mètres d’avance sur l’autre. Est-ce que la solution la plus juste ne consisterait pas

plutôt à permettre au coureur qui était attaché de rattraper son retard de 40 mètres ? Ce serait

là agir concrètement dans le sens de l’égalité (That would be affirmative action towards

equality). (…) En vérité, on ne peut pas considérer avoir été parfaitement équitable envers une

personne enchaînée si l’on se contente de la débarrasser de ses chaînes en lui disant : « Voilà,

désormais tu es libre de rivaliser avec tous les autres. » 3

3 Lyndon Johnson, Commencement Address at Howard University, « To Fulfill These Rights », 4 juin 1965.

5

Cette parabole de la course de vitesse repose sur un raisonnement implacable : celui qui à mi-

course du 100 mètres, a déjà 40 mètres de retard ne pourra combler son désavantage si l’on ne

change pas les règles du jeu.

Cette conviction sera renforcée par de graves troubles (émeutes de Watts) qui affectent

quelques mois plus tard le ghetto noir de Los Angeles (Cervantes, 1967). Pour Lyndon

Johnson, le temps de la réforme avait sonné.

C’est également à cette époque que les arrêts de la Cour suprême commencent à

définir plus précisément le contenu de l’affirmative action. En 1971, le mode de recrutement

et de promotion de la Duke Power Company – basé sur des tests de capacité et sur les

diplômes – est attaqué en justice. Cette société est accusée de discriminations car tous ses

employés noirs sont des manœuvres. Dans son arrêt Griggs vs Duke Power Company, la Cour

suprême affirme qu’effectivement les employés sont discriminés si les représentants des

minorités sont présents en nombre insuffisant dans les effectifs des entreprises et que les tests

d’intelligence ne peuvent pas être utilisés à l’embauche s’ils conduisent à une sous-

représentation de ces groupes. En outre, comme dans les procès de l’Inquisition, les juges

retournent la charge de la preuve : ils considèrent que lorsqu’une entreprise est accusée de

racisme ou de discrimination c’est à elle de prouver son innocence.4 Selon l’arrêt Griggs, une

pratique ayant un effet discriminatoire sur des personnes appartenant à des minorités ne peut

être maintenue que si l’employeur est en mesure de prouver qu’elle est absolument

« indispensable à la bonne marche de l’entreprise ».

2. Les objectifs et les résultats attendus

La politique d’affirmative action a conduit à un racial spoils system (partage des

postes en fonction de la race). Elle a poursuivi trois principaux objectifs :

1/ imposer une logique de réparation par rapport à des discriminations passées. Puisque les

Noirs ont été dans le passé opprimés par les Blancs, ces derniers doivent désormais supporter

le coût d’un retournement de balancier ;

2/ lutter contre les discriminations en vigueur dans la société américaine des années 1960/70 ;

3/ assurer une juste représentation des « minorités » dans la vie économique et sociale.

Cette politique consiste, pour les entreprises privées et l’administration, à « réparer »

les dommages engendrés par des siècles de discrimination en faisant un effort délibéré pour

embaucher et promouvoir des employés noirs à tous les niveaux de responsabilité. Selon le

principe, les Noirs doivent constituer dans tous les emplois et dans toutes les sociétés un

pourcentage égal à celui qu’ils occupent dans la population. La définition informelle et

implicite de quotas a été jugée comme la solution la plus rapide pour obtenir des résultats

tangibles.

Les dispositifs d’affirmative action couvrent trois domaines : l’admission dans les

meilleures Universités, l’accès à l’emploi et la passation des marchés publics. Les Universités

ont assoupli leurs critères d’admission afin de recruter des étudiants qui dans des conditions

« normales » de sélection auraient été recalés. Contrairement à la tradition française, les

Universités américaines, lorsqu’elles sélectionnent un étudiant, ne tiennent pas compte

uniquement de ses compétences, elles s’intéressent aussi à ce que cet étudiant peut leur

rapporter (d’où le statut privilégié des sportifs de haut niveau ou des enfants d’anciens

4 A l’époque, la Cour suprême était très proche des options défendues par le parti démocrate. Elle vivait encore

sous l’influence de son président Earl Warren (1953-1969), connu du grand public pour avoir mis fin à la

ségrégation raciale dans les écoles en 1954 et présidé la commission sur l’assassinat de John F.Kennedy. Il faut

attendre 1972 pour que le premier président ultraconservateur, William Hubbs Rehnquist soit nommé.

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élèves). Le fait d’avoir un recrutement diversifié est considéré comme bénéfique car cette

situation est susceptible de faire émerger sur les campus une diversité de points de vue et

d’expérience.

Pour Dworkin

(1985), les places réservées dans les Universités d’élite ne

récompensent pas le mérite particulier ou les talents des candidats, elles traduisent plutôt les

objectifs que l’institution cherche légitimement à atteindre. Or ces objectifs ont

traditionnellement aux Etats-Unis une portée plus large que la simple réussite scolaire des

étudiants ou que le simple respect de la méritocratie.

Les entreprises de plus de 100 salariés ou bénéficiant de contrats en provenance de

l’Etat fédéral sont tenues de déclarer la composition ethnique de leur personnel. Elles doivent

élaborer un plan d’action garantissant qu’elles embauchent un nombre suffisant de membres

des minorités. Ces entreprises sont dans l’obligation d’avoir un recrutement en phase avec la

composition ethnique du bassin d’emploi où elles sont situées. En outre, lorsque l’Etat fédéral

construit des infrastructures, il peut réserver un certain pourcentage des travaux à des

entreprises contrôlées par des actionnaires hispaniques ou noirs, ou faisant travailler des

minorités défavorisées.

C’est la Commission pour l’égalité des chances en matière d’emplois (Equal

Employment Opportunity Commission) qui a adopté une série de décrets établissant une

équivalence entre déséquilibre racial sur le lieu de travail et pratique discriminatoire.

Pourquoi les employeurs ont-ils accepté ces mesures ? Principalement pour deux

raisons :

1/ Bien que l’affirmative action ait été rarement imposée par la loi, la pratique administrative

et judiciaire a donné à cette politique une force comparable à la loi. En 1965, Le président

Lyndon Johnson a créé un bureau spécial (Office of Federal Contract Compliance Programs5),

dont l’objectif était de vérifier que les entrepreneurs privés travaillant pour le gouvernement

fédéral suivent les obligations de non discrimination. Au niveau local, la plupart des Etats

américains ont adopté des lois destinées à assurer une plus grande équité dans le travail (Fair

Employment Practice Laws) ;

2/ Le coût du non-respect de l’affirmative action peut-être très élevé. Les frais liés aux procès

qui peuvent être intentés aux grandes sociétés sont susceptibles de les conduire à la faillite

(cas de l’entreprise Ford qui a dû verser des indemnités exorbitantes au début des années

1980). Même les sociétés qui appliquent de manière rigide des plans anti-discrimination ne

sont pas sûres d’en sortir indemnes. Ainsi, Sears and Roebuck a été parmi les premières

grandes sociétés à s’engager dans cette voie. Cette entreprise a été également une des

premières à être attaquées par le gouvernement fédéral qui a utilisé les statistiques produites

pour montrer que les femmes étaient sous-représentées dans certains de ses départements.

Dans les années 1960/70, l’affirmative action a participé à l’apaisement des tensions

raciales et à une meilleure intégration des Noirs dans la société américaine. Elle a donné

l’espoir à de jeunes noirs du Bronx de devenir des dignitaires de l’Upper East Side. Elle a

poussé de l’avant un certain nombre de personnalités qui, en l’absence de ces programmes,

auraient sans doute connu une carrière moins brillante. Colin Powell, fils d’immigrant

jamaïcain élevé dans le South Bronx, a répété à de nombreuses reprises qu’il n’aurait jamais

pu devenir général, puis chef d’Etat major des Armées, sans cette politique. Quant à

Condoleezza Rice, enfant noire, née dans l’Alabama ségrégationniste, elle est une ex-élève

surdouée, dont le parcours scolaire foudroyant ne doit rien aux quotas ethniques contrairement

à ce qui est souvent dit. Miss Rice est le produit de la révolution des droits civiques, pas des

quotas.

5 L’OFCCP est chargé de vérifier que les emplois générés par les dépenses du gouvernement fédéral sont

accessibles à tous les Américains et sur une base équitable.

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Dans de nombreux domaines, les Etats-Unis ont poussé de l’avant des personnalités

noires : ambassadeurs, officiers dans l’armée, hommes politiques de premier plan ou acteurs

(Morgan Freeman, Eddy Murphy, Halle Berry, Denzel Washington…). Cette victoire a

néanmoins un goût amer car les membres de l’appareil d’Etat et les artistes noirs ont

largement renoncé à leur pouvoir ; plutôt que de profiter de leur position pour dénoncer le

racisme, ils préfèrent se contenter de ramasser les fruits de leur réussite personnelle.

Dans le secteur privé, la psychose judiciaire a poussé les entreprises à changer leur

comportement d’embauche. Mais de nombreuses études montrent que les écarts de revenu

entre les Noirs et les Blancs restent importants.6 Les progrès réalisés dans ce domaine restent

limités. Notons que l’interprétation de l’évolution à long terme des revenus de la population

noire est difficile du fait d’effets de structure liés à la mobilité professionnelle (changements

de profession) et à la mobilité géographique (déplacement vers les Etats du Nord où les

rémunérations étaient plus élevées).

L’affirmative action a conduit à une augmentation assez spectaculaire de nombre de

Noirs qui poursuivent des études supérieures. Elle a permis à des jeunes d’échapper à une

sous-culture souvent imprégnée de violence. Elle a favorisé l’apparition d’une classe

moyenne noire aisée dans les grandes agglomérations, mais elle n’a pas fait disparaître les

ghettos. Il n’y a pas eu d’effet d’entraînement. Les Noirs qui ont bénéficié des programmes de

promotion raciale sont partis des banlieues sordides ou des centres villes délabrés, les ghettos

se sont vidés de leurs élites ; ils sont restés avec la pauvreté et leur climat de violence.

L’affirmative action a fait surgir deux Amériques noires là où il n’y en avait qu’une. Mais

globalement ces politiques n’ont pas atteint les résultats escomptés et c’est d’ailleurs pour cela

qu’elles ont été maintenues alors qu’elles devaient être transitoires. C’est ce que montrent les

films de Spike Lee qui permettent de s’abstraire de la représentation hollywoodienne des

minorités et d’un rêve américain en carton pâte. Le réalisateur de Do the Right Thing et de

Malcom X stigmatise de manière rageuse l’écart existant entre le mythe du melting pot et une

réalité gangrenée par le racisme, la stigmatisation et l’injustice. Notons que sa société de

production se nomme 40 Acres and a Mule, référence cryptée à une promesse jamais tenue

faite aux esclaves affranchis.

Thomas Sowell (1983) considère que l’affirmative action a accru les clivages au sein

de la population noire et ceci aux dépens des Noirs les plus défavorisés : « Par l’application

de ces programmes, ceux qui étaient déjà assez bien pourvus le devinrent davantage, tandis

que ceux que l’on voulait ostensiblement aider n’ont pas bénéficié de cette politique ou en ont

souffert. ». Les pressions exercées par l’Etat ont bien conduit les employeurs à embaucher des

représentants des groupes ethniques, mais comme l’intervention du pouvoir se prolongeait par

une surveillance des salaires et de l’avancement offert aux personnes nouvellement recrutées,

ainsi qu’aux procédures de licenciement, il devenait très risqué d’embaucher des individus qui

par la suite pouvaient ne pas donner satisfaction dans leur travail. Par conséquent, les patrons

ont concentré leurs demandes sur du personnel « sûr » (des personnes ayant une instruction et

une expérience professionnelle convenables). L’affirmative action a profité pour l’essentiel

aux fractions les moins désavantagées des minorités ethniques, celles-ci ont su tirer profit de

ces dispositifs d’autant que les employeurs étaient moins réticents à les embaucher que les

autres Noirs.

L’immobilité intergénérationnelle est particulièrement marquée parmi les groupes

afro-américains à faible revenu. Un rapport de la Banque mondiale (2010, p.67) montre

qu‘aux Etats-Unis, dans bien des cas, le statut socio-économique n’évolue pas pendant des

générations : « Les estimations récentes tendent à montrer qu’il faut cinq générations pour

6 Voir notamment l’ouvrage d’Angela O’Rand et Mary Elizabeth Hughes, The Life and Times of the Baby

Boomers, Duke University, 2005.

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qu’une famille dont le revenu se situe sous la moitié de la moyenne nationale arrive à

rejoindre cette moyenne. »

Le consensus au sein de la société américaine reste fragile. En 1992, le ghetto noir de

Los Angeles s’est à nouveau embrasé à la suite de l’acquittement des policiers qui avaient

tabassé Rodney King, un chauffard noir récidiviste, coupable d’un délit de fuite. Du coup la

Californie a adopté une loi très répressive, Three strikes and you’re out (Trois condamnations

et c’est fini), qui a engorgé les prisons. Les juges ont dû prononcer des peines de vingt-cinq

ans minimum en cas de double récidive, même pour un délit mineur. A la même époque, la

politique de « Tolérance zéro » appliquée par la ville de New York et son maire Rudolph

Giuliani a permis de faire baisser la criminalité de manière spectaculaire en combattant la

pauvreté par la menace de la prison.

Plus près de nous, on peut penser aux scènes de pillage en Louisiane, suite au passage

de l’ouragan Katrina. Pendant quelques jours, avant que la police ne reprenne en main la

situation, La Nouvelle Orléans est devenue un Bagdad sur pilotis. Les Etats-Unis ne sont pas

un pays du Tiers Monde, l’incurie de l’administration Bush à gérer des crises intérieures ne

retire rien à la puissance économique du pays. Néanmoins une partie de la population noire

reste très mal intégrée et l’abolition de la ségrégation légale en 1964 n’a pas supprimé la

coexistence séparée. La plupart des Noirs qui vivent sur le territoire des Etats-Unis sont des

descendants d’esclaves et ce passé reste aujourd’hui très présent.

Hacquer (2008) a dressé un tableau accablant de la fracture raciale dans l’Amérique

années 1990/2000. Outre-Atlantique, pauvreté et couleur de peau foncée vont souvent de pair.

Aujourd’hui encore, en moyenne une famille noire gagne deux fois moins de dollars qu’une

famille blanche et la part des Noirs vivant en dessous du seuil de pauvreté est de l’ordre de

40%, et il y a plus de Noirs en prison, qu’il n’y en a comme élèves dans l’enseignement

supérieur.

Près de quatre jeunes Noirs sur dix sont privés de leur droit de vote parce qu’ils ont un

casier judiciaire ! La société américaine reste violente et répressive. Aux Etats-Unis, le taux

d’incarcération est de 700 pour 100 000 habitants contre 80 en France. Il y a six fois plus

d’homicides pour un nombre donné d’habitants outre Atlantique que dans l’Hexagone.

Les grandes dates de l’affirmative action (discrimination positive) et de

l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis

1909

Création de la National Association for the Advancement of Colored People

(NAACP), association de défense des Noirs.

1935

Le National Labor Relations Act inaugure un New Deal plus social.

1953

La nomination d’un nouveau président de la Cour suprême, Earl Warren, est

le point de départ de la déségrégation.

1954

Arrêt « Brown vs Board of Education of Topeka ». La Cour suprême déclare

que la ségrégation dans les écoles publiques est inconstitutionnelle. Une

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grande victoire pour la NAACP.

1955

Martin Luther King Jr. Organise le boycott d’une compagnie d’autobus à

Montgomery (Alabama).

1957

. Eisenhower envoie les troupes fédérales pour imposer la mixité scolaire à

Little Rock, alors que le gouverneur de l’Arkansas, Orval Faubus faisait de

l’obstruction.

. Martin Luther King Jr. Crée avec un groupe de pasteurs la SCLC (Southern

Christian League Conference), une organisation chrétienne prônant la

désobéissance civile et la non violence.

1964

Le Civil Rights act met hors la loi les discriminations et donne au

gouvernement fédéral les pouvoirs nécessaires pour imposer la déségrégation.

1965

. Le Congrès adopte le Voting Rights Act qui facilite l’inscription des Noirs

sur les listes électorales dans les Etats du Sud.

. Emeutes de Watts.

. Executive Order 11246 : le gouvernement fédéral impose pour la première

fois des mesures de discrimination positive en matière d’embauche.

1971

L’arrêt « Griggs vs Duke Power Company » ouvre la voie à des actions

judiciaires contre les entreprises qui discriminent leur personnel.

1978

Arrêt « Bakke vs Board of Regents ». La Cour suprême précise les conditions

de validité de l’affirmative action à l’université. Elle condamne les quotas

raciaux, mais admet que la race soit utilisée comme critère de sélection.

1989

Arrêt « Wards Cove Packing Co vs Antonio ». En matière de discrimination,

la Cour suprême déplace la charge de la preuve du côté des plaignants et

autorise les entreprises à recourir à des tests écrits d’embauche (remise en

cause de l’arrêt Griggs).

1991

Le Civil Restauration Act s’efforce de contrebalancer les décisions

conservatrices prises par la Cour suprême. Le Président Bush se soumet à la

décision du Congrès de renforcer les lois sur les droits civiques.

1996

. California Civil Rights Initiative. Un référendum (proposition 209) entérine

le démantèlement de l’affirmative action en Californie.

. Arrêt Hopwood vs State of Texas .

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2003

La Cour suprême confirme le principe de promotion des minorités

« visibles », tout en condamnant la politique de recrutement de l’Université

du Michigan.

2005

Les nominations par G.Bush de deux nouveaux juges au sein de la Cour

suprême font basculer la majorité dans le camp des conservateurs.

2006

L’Etat du Michigan interdit d’utiliser l’appartenance à une minorité comme

critère d’admission dans l’enseignement supérieur public.

Aux Etats-Unis, l’affirmative action a subi de nombreuses attaques et ses effets ont été de plus

en plus décriés au fur et à mesure de cette politique s’institutionnalisait. Le pays connaît un

débat sur l’opportunité de la maintenir. Une armada de professeurs réputés, de juges de la

Cour suprême ou de grosses pointures du monde intellectuel se sont déchaînés contre

l’affirmative action : Thomas Sowell, Allan Bloom, Richard Sander, Antonin Scalia, Jonathan

Kay, Ward Connerly… La population – elle-même – semble avoir fait le deuil de sa confiance

dans des politiques qui avaient été adoptées dans l’urgence pour désamorcer des tensions

raciales. Les Américains s’intéressent plus aux frasques des acteurs d’Hollywood, aux affaires

de pouvoir, de sexe ou d’argent qui agitent la Haute société de la côte Est qu’à la promotion

d’anonymes.

Ballotté d’avant en arrière, le système garde à grand peine son équilibre. Il grince de

tous ses gonds comme une vieille porte mal huilée. La doctrine de Lyndon Johnson se trouve

mise à mal par la montée du doute, mais aussi de l’indifférence.

Les critiques viennent surtout du côté des Républicains qui assimilent l’affirmative

action à un cautère sur une jambe de bois. On traite de la toux sans s’inquiéter de la

bronchite... Pour les conservateurs, Johnson a indûment bouleversé les règles de l’étiquette et

du savoir-vivre. Abolir la discrimination positive ? Aux yeux de ces résultats ce n’eût rien

d’infamant, mais aux yeux des divers gouvernements qui se sont succédés (Nixon, Ford,

Carter…) c’eût été perdre la face.

Les critiques viennent également d’universitaires – proches des revues Public Interest

et Commentary - qui estiment que les inconvénients de ces programmes outrepassent

largement leurs avantages. Ils insistent sur les injustices liées à la modification des règles du

jeu.

Les sceptiques mettent également en doute le bénéfice collectif que l’institution

universitaire peut attendre de la « diversité » de ses étudiants. Ils insistent sur l’absence de

d’études statistiques démontrant l’existence d’une corrélation entre la diversité ethno-raciale

de la population des étudiants et la diversité des opinions ou des visions du monde.

En 1996, la Californie a fait adopter par référendum la proposition de loi 209 qui

bannit la discrimination positive de l’enseignement supérieur. Cet exemple a été suivi par le

Texas, par la Floride et par le Michigan. Ces Etats « sécessionnistes » ont sorti des tiroirs un

plan B ; ils tentent d’imposer l’affirmative access comme nouveau mode de promotion des

minorités.

11

3. La Cour suprême et la remise en cause des quotas

En 1974, Alan Bakke, un étudiant blanc, porte plainte contre l’Université de

Californie, qui l’avait recalé à deux reprises, en déclarant que la procédure de sélection le

prive de l’égale protection des lois garantie par le quatorzième amendement à la Constitution.

En 1978, la Cour suprême rend son jugement. Elle devait se prononcer sur le maintien en vie

ou sur l’arrêt de mort des programmes d’affirmative action, elle décida en réalité de ne pas

trancher. La Cour n’a cessé, depuis cette date, d’avoir recours à des pirouettes et à des

arguties juridiques pour éviter d’enterrer définitivement la discrimination positive.

En 1978, quatre des neuf juges de la Cour étaient hostiles7, quatre avaient une position

opposée8, c’est le juge Lewis Powell qui a fait basculer la décision. Par une majorité de cinq

voix sur neuf, elle oblige la faculté à réintégrer Alan Bakke, elle condamne les pourcentages

de places réservées aux minorités instaurés dès 1965 et affirme qu’elle ne veut plus cautionner

de telles dérives. De fait, les quotas et l’injustice qu’ils généraient sont supprimés

(l’Université de Californie réservait 16% de ses places aux étudiants issus des minorités). Les

établissements d’élite (Yale, Standford, Cornwell, MIT…) s’efforcent désormais de

compenser les déséquilibres dans le recrutement de leurs étudiants, sans pour autant fixer le

nombre de places réservées. Ils intègrent leurs étudiants au cas par cas. Le quota est un

système rigide, il stigmatise celui qui en bénéficie et il est difficilement explicable à celui qui

en est exclu.

Par une autre majorité de cinq voix (le seul juge commun aux deux majorités étant le

juge Powell), la Cour juge toutefois que les Universités peuvent constitutionnellement se fixer

un objectif de diversification de leurs promotions d’étudiants (attainment of a diverse student

body) et utiliser pour cela des critères raciaux de manière non exclusive. La mise en avant de

la « diversité » permet de camoufler la rupture d’égalité des chances en fixant l’attention sur

un objectif pragmatique et consensuel.

Selon l’arrêt Bakke, la « race » peut-être considérée comme un plus dans un dossier de

candidature d’un étudiant, mais cela ne doit pas empêcher une comparaison avec tous les

autres candidats en concurrence pour intégrer l’Université. La Cour a donné son aval à des

programmes qui, à l’exemple de celui de Harvard, ne fixait pas d’objectifs chiffrés pour

l’admission des minorités ethniques.

Dans son arrêt « Wards Cove Packing Co vs Antonio »9 de 1989, la Cour suprême

stipule que l’existence d’une discrimination ne peut être démontrée à partir de la simple

constatation du faible nombre de Noirs au sein de la main-d’œuvre. Il incombe au plaignant

d’identifier les mesures responsables des disparités statistiques enregistrées. En matière de

discrimination, la Cour suprême déplace la charge de la preuve du côté des requérants et

autorise les entreprises à recourir à des tests écrits d’embauche (remise en cause de l’arrêt

Griggs). Ce revirement est porté par le changement de composition de la Cour désormais

dominée par des juges conservateurs (avec l’arrivée notamment d’Antonin Scalia en

remplacement de l’ancien président Warren Burger).

Les déboires de la politique d’affirmative action vont se poursuivre au cours de la

décennie suivante. En 1994, une cour d’appel fédérale déclare invalide un programme d’aides

financières destiné aux étudiants noirs de l’université du Maryland. Quelques mois après, la

Cour suprême redéfinit de manière très restrictive les conditions d’acceptabilité de

l’affirmative action en matière de réservation des marchés publics. En 1995, le conseil de

7 Il s’agissait du président Warren Burger et des juges William Rehnquist, John Stevens, Potter Stewart.

8 Il s’agissait des juges Thurgood Marshall, Harry Blackmun, William Brennan et Byron White.

9 Cet arrêt traduit le point de vue du président William Rehnquist et de quatre autres juges : Sandra O’Connor,

Byron White, Anthony Kennedy et Antonin Scalia.

12

direction de Berkeley (Californie), université pourtant connue pour être à l’avant-garde de la

contestation de l’ordre établi et de la promotion de la diversité ethnique, provoque une grande

stupeur en adoptant une règle de color-blindness dans le processus d’admission de ses

étudiants. L’année suivante, dans l’arrêt Hopwood vs. State of Texas, la cour d’appel du 5e

circuit rend illégale la prise en compte du facteur racial dans les règles d’admission aux

universités relevant de sa juridiction (Louisiane, Mississippi et Texas).10

Dans le même temps

- sous l’impulsion de Ward Connerly un Noir conservateur qui a fait de l’élimination de la

discrimination positive le combat de sa vie - un référendum d’initiative populaire (California

Civil Rights Initiative) démantèle l’affirmative action dans le secteur public en Californie

(« Proposition 209 »).11

En 2006, les électeurs du Michigan ont eux aussi banni la

discrimination positive. Des référendums contre l’affirmative action doivent être organisés en

2008 dans neuf autres Etats : Arizona, Colorado, Missouri, Nebraska, Nevada, Oregon, South

Dakota, Utah et Wyoming.

Aujourd’hui, le système d’affirmative action reste sous le feu de la critique et les

Universités sont menacées d’actions judiciaires par les étudiants blancs recalés qui les

accusent d’accorder des préférences iniques aux candidats noirs et hispaniques.

Dans un arrêt célèbre de 2003, la Cour suprême a réaffirmé la légalité et le caractère

constitutionnel de la discrimination positive. Elle a rappelé que la « race » peut être utilisée

comme un critère d’admission pour les Universités. Elle a reconnu que l’Université du

Michigan est fondée à diversifier son recrutement de cette façon, tout en condamnant la

méthode utilisée (définition de quotas et distribution automatique de points) car trop rigide et

trop mécanique. Une décision retentissante dont l’onde de choc a été entendue dans tout le

pays, des salles d’école des collèges, aux salons calfeutrés des Conseils d’administration.

Les juges ont estimé, à une courte majorité, qu’il était acceptable de privilégier un

étudiant noir par rapport à un étudiant blanc, dans le but d’assurer la diversité du corps

étudiant et de faire prévaloir l’intérêt du pays. « Cette Cour a reconnu depuis longtemps que

l’éducation est à la base d’une bonne citoyenneté, a expliqué le juge Sandra O’Connor.12

La

participation véritable des membres de tous les groupes raciaux et ethniques à la vie civique

de notre nation est essentielle si l’on veut réaliser le rêve d’une nation une et indivisible. »

Le remplacement en 2006 de Sandra O’Connor par le juge Samuel Alito a entraîné un

basculement à droite de la plus haute juridiction américaine sans doute pour plusieurs

décennies. Alors que Sandra O’Connor représentait une voix centriste qui a fait pencher la

balance dans un grand nombre de décisions prises par une voix d’écart entre les neuf juges

suprêmes, Alito est un républicain pur et dur. Son conservatisme naturel lui a parfois valu le

surnom de « Scalito » en référence à l’un des membres les plus à droite de la Cour, Antonin

Scalia.

La Cour suprême doit résister à de fortes pressions, car les critiques fusent de toutes

parts. L’administration Bush souscrit totalement à la nécessité d’une représentativité en miroir

(recherche de la « diversité »), mais elle s’efforce de promouvoir des mesures « neutres en

termes de race ». Les programmes d’affirmative access déjà en place dans trois Etats (Texas,

Floride et Californie) sont, selon elle, la voie à suivre. Ces programmes consistent à donner

d’office des places à l’Université dans une certaine proportion des meilleurs élèves des écoles

publiques (en général 10%). Ainsi lorsque ces écoles sont composées presque exclusivement

10 Cheryl Hopwood, jeune étudiante blanche, avait vu sa candidature à l’université de droit du Texas rejetée du

fait de l'application de programmes d'affirmative action mal calibrés.

11 La Californie est devenue le principal foyer d’immigration aux Etats-Unis. Déjà en 1994, à l’issu du

référendum Save Our State, les électeurs avaient adopté la « Proposition 187 » qui interdit aux immigrés

clandestins l’accès aux soins médicaux (sauf en cas d’urgence) et aux établissements scolaires.

12 Conservatrice modérée, le juge Sandra O’Connor avait été nommé par Ronald Reagan. En 2005, elle a quitté

la Cour suprême à sa demande.

13

d’élèves issus des minorités (dans les quartiers noirs notamment), l’affirmative access fait

admettre automatiquement des étudiants noirs et hispaniques dans les meilleures Universités

(ceux qui sont en tête de classe dans leur lycée). Les Républicains cherchent à obtenir à

l’échelle du pays tout entier les succès obtenus par Georges W.Bush et son frère Jeb

respectivement au Texas et en Floride : refuser les mesures d’affirmative action qui

accentuent la division de l’Amérique en races et accroître la popularité du parti républicain

dans l’électorat des minorités (caractère stratégique du vote latino). Alors que les

conservateurs ont leurs citadelles les plus fortes dans le Sud, ils s’efforcent de casser le

régionalisme sudiste et ses références racistes par un modèle qui tienne compte de la nouvelle

géographie électorale.

4. Tirs croisés contre la discrimination positive

De nombreux auteurs comme Glazer (1987) se sont opposé aux programmes

généralisés d’aide sociale et à la discrimination positive. Le débat américain a fait émerger

quatre grands types d’arguments contre l’affirmative action.

1/ Selon le principe méritocratique, les personnes les plus qualifiées doivent obtenir

les postes pour lesquels elles postulent. Plutôt que de dire : « A chacun selon son handicap »,

beaucoup d’Américains préfèrent la formule : « A chacun sa place selon son mérite. » Le

critère d’admission dans une Université, c’est le résultat scolaire et non pas les désavantages

que vous avez connus dans la vie. L’appartenance raciale ne peut servir de justification.

L’affirmative action est ressentie comme un passe-droit, une politique imposée à des

Universités très réticentes. Il est vrai que grâce au Token Black (le « Noir alibi »), elles

obtiennent ainsi à bon compte un brevet d’humanisme et de respectabilité tout en récupérant

des fonds fédéraux.

Pour une grande partie de la population, la diversité sociale – mise en avant par la

Cour suprême – est sans doute un objectif à rechercher, mais ce qui choque de nombreuses

personnes c’est la diversité artificielle créée par la disparition de toute référence à la

méritocratie ou à la compétition intellectuelle.

2/ Selon le principe dit de la color blindness (indifférence à la couleur de la peau), il

est très dangereux de mener une politique basée sur les identités raciales. Certains juges de la

Cour suprême ont dénoncé un abus de pouvoir perpétué par l’Etat fédéral et ont même

suggéré une comparaison entre la classification raciale opérée par l’affirmative action et les

lois de Nuremberg (1935), conçues par Adolf Hitler pour séparer les juifs du reste de la nation

allemande et les empêcher d’accéder à un grand nombre de professions. Mein Kampf au pays

de la libre entreprise !

Alors que l’objectif de l’affirmative action était de gommer l’importance de la race

dans les rapports sociaux, cette politique repose sur une catégorisation raciale qu’elle prétend

pourtant rejeter. Les détracteurs se sont engouffrés dans cette brèche pour dénoncer ce

paradoxe, à l’exemple d’Antonin Scalia (1979).

En voulant garantir l’égalité par la discrimination, on favorise l’apparition de

nouvelles fractures. Bloom (1987) a dénoncé le multiculturalisme qui a gagné l’université

américaine au détriment de sa mission d’universalisation. Selon lui, la discrimination positive

en faveur des Noirs pourrait bien donner naissance à long terme, en tout cas dans l’université,

à une détérioration permanente dans les relations entre les races aux Etats-Unis.

14

L’affirmative action a favorisé la promotion de quelques-uns, mais elle a affaibli

encore un peu plus un lien social déjà fragilisé. Elle incite les Noirs à se considérer comme un

groupe à part. Les adversaires de l’affirmative action insistent aussi sur le fait qu’elle perpétue

indûment la culpabilisation des Blancs. Est-on indéfiniment responsable de décisions prises

par les ascendants de ses ascendants ? Afin de dénoncer l’absurdité des actions réparatrices

intergénérationnelles, Antonin Scalia a imaginé un système de crédit et de débit, chacun

recevant un certain nombre de points en fonction de son appartenance raciale. Les américains

d’origine irlandaise seraient pénalisés par un certains nombre de points débiteurs, mais moins

que ceux d’origine anglaise (car arrivés plus tôt sur le territoire américain et ayant participé

par conséquent de manière plus importante à l’oppression des Noirs).

De nombreuses études tentent de montrer que l’affirmative action a attisé les tensions

raciales sur les campus. Selon Jonathan Kay, une ambiance de « politiquement correct »

étouffe la moindre critique relative aux moindres performances scolaires des étudiants de

couleur par peur des accusations de racisme. Même Ronald Dworkin (1996), intellectuel qui

soutient les programmes de discrimination positive sous la forme de quotas raciaux – a pu

reconnaître que : « Réserver un programme spécial aux candidats des minorités (créer une

porte séparée par laquelle ils vont pouvoir entrer), c’est conserver les structures, quoique,

évidemment pas les buts, des formes classiques de castes et d’apartheid, et c’est paraître

dénigrer les candidats des minorités au moment même où on les aide. »

3/ Selon l’effet « boomerang », l’inversion des discriminations et des préférences

raciales jouent à l’encontre de ceux qui sont censés en bénéficier. Officiellement, les

entreprises plébiscitent un système qui leur permet d’avoir un recrutement plus en phase avec

la réalité sociologique de la population américaine, dans la réalité elles stigmatisent des

diplômes qui ont été distribués au rabais. L’impossibilité de distinguer après coup, parmi

l’ensemble des bénéficiaires potentiels ceux qui lui sont redevables et ceux qui auraient pu

s’en passer, la discrimination positive risque de stigmatiser tous les membres des groupes

auxquels des mesures dérogatoires ont été accordées.

Si les diplômes sont distribués en abaissant leur degré de sélectivité, un doute

subsistera sur les compétences réelles des diplômés « ethniques ». Ainsi certaines personnes

appartenant aux « minorités marginalisées » souhaitent la suppression de mesures de

discrimination positive qui créent un doute sur leur mérite. L’économiste noir Thomas Sowell

a montré que les faveurs accordées aux minorités se retournent contre elles-mêmes lorsque les

employeurs considèrent que les diplômes distribués aux candidats « ethniques » n’ont pas la

même valeur que les autres (effet de stigmatisation).

Dans la même perspective, le juge Clarence Thomas, le seul juge noir de la cour

Suprême (et successeur du juge Thurgood Marshall, le premier noir à occuper cette fonction),

a pu affirmer « qu’à chaque fois que le gouvernement met des citoyens sur des registres en

fonction de leur race, cela nous abaisse tous. » Citant Frederick Douglass13

, le juge Thomas

ajoute : « Ce que nous demandons pour les Noirs ce n’est pas la charité, ni la pitié, ni la

sympathie, c’est simplement la justice. Comme Douglass, je suis persuadé que les Noirs

peuvent réussir dans tous les domaines de la vie américaine sans l’intervention des autorités

universitaires. »14

En tout cas, un des effets pervers de la discrimination inversée a été de

dévaloriser l’image des Noirs qui réussissent par eux-mêmes.

13 Frederick Douglass (1818-1895), esclave métis, leader abolitionniste.

14 Le paradoxe est que le juge Clarence Thomas est opposé aux programmes d’affirmative action alors qu’il a

lui-même bénéficié de ce type de mesures. La décision du président Bush de remplacer un magistrat noir par un

autre juge noir faisait écho à la pratique plus ancienne qui consistait à réserver un des neuf sièges de la Cour

suprême à un juge d’origine juive. Cette nomination d’un juge noir ultraconservateur a été ressentie par une

partie de la communauté noire comme une provocation et comme une forme pervertie d’affirmative action.

15

La discrimination positive a jeté la suspicion sur tous les membres de la communauté

noire qui ont réussi : Stephen Carter, John Thompson, Condoleezza Rice, Barack Obama…

Seuls les joueurs de la NFL (championnat de football américain) et de la NBA (basket-ball)

sont épargnés par ces critiques.

4/ Barber et Cole (2003) estiment que la discrimination positive dans les Universités

les plus prestigieuses (Ivy league schools) met en péril les aspirations universitaires des

étudiants noirs. Entrés dans des Universités comme Harvard ou Yale, grâce à des procédures

qui leur sont réservées, ces étudiants ont très souvent du mal à se mettre au niveau de leurs

camarades, obtiennent des mauvaises notes, perdent confiance et arrêtent leurs études,

démoralisés. Ils ont deux fois moins de chance d’arriver au bout de leur cursus que les

étudiants noirs entrés dans une Université d’Etat, moins cotée, mais mieux adaptée à leur

niveau. Enfin, ils sont sous-représentés dans les statistiques d’étudiants qui s’engagent dans

les études les plus longues et les plus exigeantes (niveau Ph-D ou doctorat).

Elliott (1996) constate des évolutions similaires avec les étudiants noirs inscrits dans

des cursus scientifiques. Ces étudiants éprouvent de telles difficultés à suivre les cours que la

moitié d’entre eux se détournent de leurs études. N’étant pas en phase avec leur

environnement académique, ils lâchent facilement prise. De son côté, Sander (2005) a montré

que les étudiants afro-américains ont de meilleurs résultats universitaires s’ils poursuivent

leurs études dans des Universités ne pratiquant pas une sélection fondée sur des critères

raciaux. Sander utilise une métaphore liée à l’électricité : le taux perte en ligne (nombre

d’étudiants qui se découragent) serait réduit des trois quarts si les préférences raciales

accordées aux Noirs et aux minorités étaient réduite de moitié. Enfin, Heckman (1998) estime

que la plus grosse part de la disparité de salaires entre Blancs et Noirs est due à des

différences de qualification et non à des discriminations.

Tout ceci débouche donc sur un paradoxe : si les avantages donnés aux minorités

étaient de moindre ampleur, les problèmes de découragement et d’abandon d’étude seraient

peu significatifs, mais dans ce cas de figure la discrimination positive ne servirait pas à grand

chose.

Conclusion

S’il existe aujourd’hui des critiques de fond qui poussent au démantèlement de cette

politique peu nombreux sont ceux qui regrettent que les programmes d’affirmative action

aient été mis en œuvre pendant deux ou trois décennies. Ces programmes publics ont généré

un espoir: celui de pouvoir lutter efficacement contre les discriminations.

Cependant l’affirmative action est aujourd’hui ébranlée par ses contradictions. Elle

prétend construire une société égalitaire où la race ne serait plus prise en compte, mais elle

exacerbe les différences et génère repli ethnique et ressentiment.

Il existe des alternatives, ainsi Moskos et Butler (1996) montrent que l’armée

américaine a réussi à pousser vers le haut de la hiérarchie des militaires noirs sans abaisser ses

standards de recrutement ou sans avoir à réserver des places (discrimination positive), mais en

mettant en œuvre des programmes de formation.

L’ensemble des problèmes rencontrés par la discrimination positive aux Etats-Unis

devrait faire réfléchir les Français et leurs dirigeants. Cette réflexion est d’autant plus

nécessaire que la France s’est construite par une lutte contre les particularismes et que le pays

redoute – à juste titre - le spectre du communautarisme.

16

En même temps, il est sûr que le démantèlement de la discrimination positive réduit la

part des étudiants noirs et hispaniques à l’entrée des Universités (Espenshade, 2005 et 2009).

Il est difficile de faire mentir les chiffres…

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