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Miatientlecourrierducœurauseind’unecélèbreradiodeSeattle,écoutant,conseillant,rassurantsanscesselescœursmaladesquil’appellentsouventtarddanslanuit.Maisseulederrièresonmicro,lecœurbriséparunerelationquis’estmalterminée,lajeunefemmenecroitplusenl’amour,ellepourtantsiapteàenparlerauxautres…Parleplusgranddeshasards,soncheminvacroiserceluideHarryBannister,milliardairerécemmentéluHommedel’année.Pragmatique,controlfreak,solitaire,Harryesttoutsoncontraire.Etpourtant,ilsvontdécouvrirensemblequelaviepeutêtrebienplusdouceetdrôleàdeux!

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À15ans,j’airencontrémonpireennemi.SaufqueTristanQuinnétaitaussilefilsdelanouvellefemmedemonpère.Etqueçafaisaitdeluimondemi-frère.Entrenous,laguerreétaitdéclarée.Etonn’apastenudeuxmoissouslemêmetoit.À18ans,leroidesemmerdeursrevientdupensionnatoùilaétéenvoyépourlelycée.Ilasondiplômeenpoche,lesyeuxlesplusperçantsquisoientetunsourireinsupportablequej’aienvied’effacerdesagueuled’ange.Oud’embrasserjustepourlefairetaire.

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RoméoetJules

Croiseruntypesuperbequandonestdéguiséenlapingéant…Ridicule!Bousillerletéléphone–unprototypeuniqueultra-classe–dutypecanonetlemettreencolère…Undésastre!Maisçapeutarrivernon?S’apercevoirlelendemain,lorsdesonentretiend’embauche,queletypesuperbeenquestionestsonnouveaupatron…Lacata!Etcettecatastrophe,c’estsurmoiqu’elleesttombée,commeparhasard!Jem’appelleJules,j’ai23ansetvoicicommentj’airencontrélesexyetombrageuxScottAnderson…Ceromancontientdespassagesexplicitesetérotiquesmettantenscènelesrelationsentredeuxhommes.

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LolaDumas

LUI,MOIETLEBÉBÉ

Volume5

1.Visibiliténulle

Léonie

«Wiiiit»,«Wiiiit»,«Wiwiiiit».

Iln’yarienàfaire.J’aisifflécommeunpinsonunebonnepartiedelanuit,maisiln’yarienàfaire. En plus de baver comme une vieille limace, Jenny ronfle comme une poivrote enrhumée.Encoreheureuxquejel’aieinstalléesurlecanapédusalon!J’aitoutdemêmepudormirentredeuxcoups de tonnerre.Quand on était ados, chezmes parents ou les siens, on couchait dans lamêmechambre,maiscommeonpassaitlanuitàseraconterdestrucs,j’avaismoinsl’occasiondesubirsamélodiedumarteau-piqueur.Jen’aijamaiscompriscommentunsipetitvisagepouvaitproduireunbruitpareil!Onadûluiinstallerunamplidanslesnarinesàlanaissance,etsoncrânefaitcaissederésonance.Maisçasupposeraitqu’ilsoitvide;cequineseraitpastrèsgentilpourJenny.Cecidit…çaexpliqueraitpasmaldechoses.Passons!Ilesttempsd’arrêterlestravaux!Jevaisréveillerlabête.Lajournéecommence.Deboutlesmorts!

Je sors dema chambre etm’approche de la source de la nuisance. La bouche ouverte, la baveséchéeautourdelabouche,Jenny,visaged’ange,faittremblerlesmursetmebriselestympans.

–Jenny!Jenny!C’estl’heuredecouperlemoteur!

Jelasecoueunpeu.Sonœils’entrouvre,sabouches’animepourvérifierqu’illuiresteunpeudesaliveetqu’ellen’apastoutdéversésurmesoreillers.

–Hum…Ah!

Ellearrêtedéfinitivementlemarteau-piqueuretvérifieparunemasticationàvidelaprésencedesalangueetautresglandesbuccales.

–C’estl’heure?

Lesonproduitestpâteuxmaiscompréhensible.

–C’estça,c’estl’heure.Émerge!Jevaispréparerlepetitdéjeuner.

Jennyabandonnepetitàpetitsonchantiernocturnepourreprendrelamaîtriseducorpsquiluisertla journée.Pendantce temps-là, jem’agitedans lacuisine.Ellen’a jamaisétéuneflèchedumatin,maisj’aitoujourseuunecertainetendressepourcesréveilsembrumés.Onabeauêtredevenuesdesadultes, le levernousrenvoieàchaquefoisànotreenfancecommune.Commesi lesommeilallaitchercherdanslanuitl’enfantqu’onétaitpourvenirledéposeraumatinparundernierpetitsignesurlevisage,avantdedisparaîtredanslacomédiedenotreviedegrandespersonnes.

–Oh!Là!Là!Ilestencoretôt,non?

–Ilestjustecequ’ilfaut,etpuisjeterappellequejedoisallervoirZoé.Jel’ailaisséechezmesparents hier soir pour qu’on dorme tranquille,mais j’avais oublié que tu produisais des bruits deterrassierendormant.

–C’est-à-dire?Jeronfle?Jen’airienentendu.

Jennyse redressesur lecanapépourexpérimenter lapositionassise. Jesensqu’elleestpresqueprête à tester la solidité de ses jambes pour voir si elle peut marcher. Je tente une question pluscomplexe, histoire de jauger à quelle étape de l’évolution elle en est arrivée. Le stade de l’homosapiensmeconviendraitbienetnousferaitgagnerdutemps.

–Tulesveuxcommenttesœufs?–Cuits.

Bon, c’est encore la version néandertalienne,mais on est sur la bonne voie.Une autre réponse(« crus»ou« c’est quoidesœufs ?», elleme l’adéjà fait aprèsune soiréeunpeu trop arrosée)m’auraitinquiétée,maisiln’empêchequesarépliquemefaittoutdemêmerire.

–Ça,jemedoute!Jevaistelesfairebrouillés,tiens!Çacorrespondraàtonétatactuel.– Bonne idée ! En attendant, je vais me débrouiller… euh… débarbouiller un peu. Ça va me

réveiller.–OK,maisactive-toialors;c’estpresqueprêt.

***

Jennyme retrouve autour du petit déjeuner. Sa toilette a commencé à lui redonner du pimpant,mais je sais qu’elle sera au top uniquement après avoir avalé tout ce que je lui ai préparé.Heureusementqu’elleneconnaîtpas lespetitsdéjeunersduPlazza ;onne ladécolleraitplusde lachambre!

J’entamelaconversationentredeuxgorgéesdecafé:

–Jecroisquec’estvraimentsérieuxavecJesse.Onapasséuncap.–DeBonneEspérance?–Pasmal!Jevoisquetuteréveilles…maiscen’estpastotalementfaux.Ilachangéetmoiaussi.

EtpuiscettehistoireavecZoé,sasœur,çanouslie…d’unecertainemanière…

Est-ce que je dis tout à Jenny ? L’enlèvement ?C’est la première fois que je lui cache quelquechosed’aussi…important.Seulement,Jesseveutréglerçadiscrètement,sanslapolice…etjenedoispasinquiéterJenny.Ilfautchoisir,encoreunefois,etc’estJessequil’emporte.

Jecontinue:

–…d’unemanière…trèsforte,intense.–Oui,ondirait!Çaenestoùtoutçaaufait?Depuismonpetitcoupdemainenespionne…quime

vautdemeplanquercheztoi.–Oui…jesuisdésolée.J’espèrequeçavas’arranger.CeseradetoutefaçonlecasquandJesse

auratoutréglé.Jepensequeçavaallervitemaintenant.IlestdécidéetilauneéquipegenreMissionimpossible:unninjaauxpouvoirsmystérieux,unami,Henry,quigèretoutetn’importequoi…Tusais,celuiquetuasvuàlaréceptionduPlazza.

–Ah!Oui, legrandbrun, là…Pasmal!Je l’auraisbiencoincéderrière laréceptiondel’hôtelcelui-là,maisiln’apaseutropderépondantquandjel’aientrepris…

Parfait!OnembraiesurHenry;çavam’éviterdeparlerdecequejenedoispasdire…

– La chasse n’est jamais fermée avec toi ! Henry est ultra-maqué avec une femme super, Eva.Mais…enfait…jecroisqu’illatrompe.

–Ehbien,pasavecmoientoutcas!Quedalle!Échectotal!Çaenseraitpresquehumiliant.Ilyalongtempsquejenem’étaispasprisunventcommeça.Décoiffant!Çam’arappelémespremièrestentatives…

–Lespremières!?Tuveuxdireàquelâge?Àsixans?–Pff…c’estmalin…n’importequoi!

Jennyréfléchituninstant:

–Non,j’avaisquatreansetdemietj’aiattaquécashmonvoisindeclasseàlarentrée…

Jelèvelesyeuxauciel.

–C’estpirequecequejecroyais!Ettut’esprisuneveste?–Oui,mais j’ai récupéré l’oiseau dix ans plus tard. Il était encoremieux…et plus curieux des

filles…

Onéclatederireenmêmetemps.

–Incroyable!Net’inquiètepaspourHenry,jenepensepasquetuaiesperdulamain.Il trompeEvaavecunhomme!

–Lui?Homo?

Jennyal’airparfaitementabasourdieparlanouvelle.

–Tonannoncerassureraitmonego,maisjenecroispasunesecondequecetypeestgay,nimêmebi ! Ou alors tousmes radars sont déréglés, et là, ce serait la dèche ! Je détecte un homo à centkilomètresàlarondenormalement!C’estimpossible!

–Toutlemondeadroitàl’erreur.–Hum…

Jennyestdeplusenplusdubitative.Jereprends:

–Quoiqu’ilensoit,illatrompe.Jel’aivuembrasserunhomme.– Mouais… je demande à voir alors. Et puis, est-ce vraiment « tromper » quand c’est avec

quelqu’undumêmesexe?

Jemanquedem’étranglerenavalantmoncafédetravers.

–Mais qu’est-ce que c’est que cette logique à deux balles ? Si tu es avec quelqu’un et que tucouchesavecquelqu’und’autre…c’estunetrahison,non?C’esttoujourstoncorps!Peuimporteàquelsexetul’offres,ilmesemble!

–Oui…situveux…Enmêmetemps,tul’asvuembrasseruntype,pasl’…–Oui,bahstop!OK!Encoreheureux!– En plus, c’est vrai quoi… si tu es bi… tu peux être fidèle avec chaque sexe sans tromper

l’autre…C’estmieuxmême…

JeregardeJenny.Elleal’airdecroirecequ’elledit.

–Tuvasfinirparmefairedouterdemasantémentale.

Elle n’a pas le temps deme répondre que son téléphone sonne.Elle regarde qui l’appelle et sedécompose.

–Tunerépondspas?–C’estJohn,«monflic».

Jennyluilaisseletempsdedélivrersonmessage.Onseregarde,tendues,enattendant.Laréalitévientdenousrappelerqu’onn’aplusquinzeansetquelapériodeestunpeucompliquée.Quandsonportablevibreenfin,Jennym’interroge,angoissée.

–Onécoute?–Tuveuxquej’écouteaussi?C’estprivé,non?

Jem’enveuxunpeudenepaspouvoirtoutluidirealorsqu’elleestprêteàtoutmelivrer.

Commeavant.Commetoujours!

–S’ilteplaît…çamestresse.J’auraiplusdecouragesituécoutesavecmoi.

Jenny…

–OK!Onécouteensemble.

Jennyposeletéléphonesurlatableetlancelerépondeurenmodehaut-parleur.LavoixduJohnenquestionremplitlapièce.Unevoixdouce,maisferme.

–Jenny,c’estJohn.J’espèrequeçava.Jem’inquièteunpeuparcequetarecherchedel’autrejourconcernedes gens pas vraiment fréquentables et potentiellement dangereux. J’aimerais bien savoirdansquoituesalléetefourrer,etaussisitun’espasendanger.Rappelle-moi,mêmesitutraînesdéjàavecquelqu’und’autre…Salut!

Jennyaperdutoutetraced’enfance.Moiaussi.Elleestcomplètementréveilléecettefois.

–Ondiraitqu’onnejoueplus,là.–Non.

–Jenesaisplustropoùj’ensuisLéonie.Ilfautpeut-êtrequejelerappelle.Ilal’airsincèrementinquietetjel’aimebien,jecrois…

–OK !Rappelle-le.Vois avec lui,mais… je… il ne faut absolument pas qu’il remonte jusqu’àmoi…nijusqu’àJesse…

Unebouled’angoissem’enserrelagorge.Jeneveuxpasêtreresponsabledel’arrivéedelapolicetantqueJessenel’apasdécidélui-même.J’aidonnémaparole.Jennyselèvepourpartir.

–Jecomprends.Ilvautmieuxquejem’enaille.–Maiscen’estpas…–Jesais,netefaispasdesouci.C’estàlavieàlamorttouteslesdeux!

Jennym’embrasseenmeserrantdanssesbrasetsedirigeverslaporte.J’aitoutdemêmeunpetitpincementaucœur.

–AppelleJesse.Ilfautquevousfassiezattention.Jetebipedèsquej’aidesnouvelles.–Faisattentionaussi…–Oh!Tusais…tantquecesontsimplementdeshommes!

Ellemelancesonplusbeausourireavantdefermerlaportederrièreelle.Jeneveuxpasqu’onseperde.Jeneveuxpasqu’illuiarrivequelquechose.Jel’aime.

Allez!Jevaisprendreunedouche.J’aibesoindemelaverdetoutça.Ensuite,j’appelleraiJesse.

***

–Jesse?–Léonie,çafaitdubiendet’entendre.–Àmoiaussi.–Ças’estbienpasséavecZoéetJenny?

Etàlui,jedistout?

–Zoéestencorechezmesparents.J’yvaisdèsquejeraccroche.QuantàJenny…elleareçuuncoupdefildesonflic.Ducoup,elleestpartiepournepasqu’illalocalisechezmoi.

–C’estunphénomènetacopine,maiselleestviveetfiable!J’espèrequ’onnel’apasmisedanslepétrin.

–Moiaussi,maiselleaplusd’untourdanssonsac.

J’entendslesouriredeJesseavantqu’ilnereprenne:

–J’aiunegrossejournée,maisjet’attendsdanslasoirée.IlyaunepremièreàBroadwaysuivied’unegrandefête,etj’aimeraisquetuviennesavecmoi.

–Nemedispasquetunepeuxplustepasserdemoi!–Non,tusaisbien,c’estjustequetoutesmesescortssontprises.–C’estça!Displutôtqu’iln’yenaplusuneseulequitesupporte,mêmepourtoutl’ordumonde.

C’estdenouveaulebonheurdepouvoirjouerunpeu.

–Alors,tuviens?–Onverra,onverra.J’aipeut-êtremoyendetetrouveruneautrefilledanslespagesjaunes.Une

catcheuseouunehaltérophile,jenesaispasencore.–J’aihâte!UnehaltérophileàBroadway,çasonnebien,maissitunevienspas,jenepourraipas

teracontercequ’onaprévupourenfiniravecl’affaireMaryFranklin…–C’estpasunpeuminableçacommeargument?–Complètement!–Alorsjeserailà.–Àcesoirmadouce!–Àcesoirmontendre!

La conversation se termine, et je descends chez mes parents avec un visage qui illumine toutl’immeuble.

***

–C’estungentilgarçonceJesseFranklin,maispasvraimentdenotremilieu.

MamantâteleterrainenchangeantlacouchedeZoéavantqu’onnepartepourlapromenade.

–Onpeutchangerdemilieu,non?Oumêmerestersurlesbords,parfois!Cen’estpasforcémentunproblème.

–Oui,c’estça,nejouepassurlesmots.Jeteconnais.Jesaisquetuypensesetqueçapourraitdevenirunproblèmeentrevous,mêmesituestrèsamoureuse.

–Amoureuse,amoureuse…Onseplaît,c’estsûr…et…–…ettuesamoureuse.Pasàmoi,s’ilteplaît!Çacrèvelesyeux.Etluiaussi.–Tu…tucrois?–Tumefaisrire…

Mamanmeregardeavecsonairruséetamusé.Impossibledetricher.

–Allezmafille,ilnefautpaspasseràcôtédugrandAmour.–C’esttoiquimefaisrire!Commenttusaisquec’estlegrandamour?C’estécritdessus?–Non,c’estécritlà…

Mamanmepointesonindexenpleincœur.

–…etçatefaitdevenircequetues.Enmieux.

Jenetrouverienàrépondre.Onseregarde.Nosyeuxbrillentd’unecomplicitéencoreinédite.Jecomprendsquemamanmeditquec’estpossible,qu’unjourtupeuxcroiserquelqu’unàcôtédequitunetelasserasjamaisdeteréveillerlematin,chaquejourétantlerecommencementdanslacontinuité.Labassecontinued’unemélodiequis’inventeaufuretàmesure.

–Allez,vapromenercetteenfant!Vousavezbesoindeprendrel’air.JetelagardecesoircommeprévupourqueladyLéoniepuissealleràBroadway!

–Mercimaman!Àtoutàl’heure.–Àtoutàl’heuremachérie.

***

J’arrive lesoirauPlazza, rempliedema journéeavecZoé,demaconversationavecJenny,deséchangesavecmamère.Toutcelatourbillonnedansmatêtecommeunfeud’artificequim’obligeraità tourner mon regard vers chaque nouvelle explosion de lumière. J’ai l’impression d’avoir vécuplusieurs vies à cent à l’heure en quelques jours et d’avoir à peine eu le temps deme demanderlaquellemeconvenaitlemieux.

Toutes?

J’ensuislàdemesréflexionsquandHenrysortdel’hôtelavecletypedel’autrefois,maindanslamain.Iln’estqu’àquelquesdizainesdemètres.Jelefixe,presquestupide.Iltournelatêteversmoietfait semblant de ne pasme voir alors que je lui lance un demes regards assassins qui devrait lefoudroyersurplace,maisçaglissesurluicommeunpetdelapinsurVoldemort,etjelevoistourneraucoindelaruecommesiderienn’était.

Net’inquiètepas,tuneperdsrienpourattendremoncoco!

JemontedanslasuitedeJesse,àmoitiéfuribarde,maisquandilouvrelaporte,meprenddanssesbrasetm’embrasse,j’oublied’uncoupHenryetlerestedumondeetprofitedenosretrouvailles.

***

Noussommesenlacéssurlecanapédepuisuntempsquejemerefusedecompter.Jesuisbien.Onestbien.Toutsimplement.Ladouceurestpropiceauxdiscussionset jemedécideàparlerd’Henrymaintenantquejesuisunpeucalmée.

–Jesse…jevoulaistedire…Henry…–Oui,ilaétégénialpourteretrouver…Ilvoulaitprévenirlapolice,maisilm’atoutdemêmefait

confiance.–Ah…oui…je…–Ilnevapastarder.Tupourrasleremercier.–C’estsûr…c’estgrâceàlui…etàAkiraque…

Jecommenceàsentir lesgrainsdesemoulequim’invitentàpataugerdans leurmultitude.Jenesaispascommentjevaispouvoirrevenirsurlesujetquim’occupealorsquejem’enfoncedansuncouscous de plus en plus dense. Henry semble l’ami intouchable, inatteignable par le moindrereproche.

–EtEva,tu…–Elleseraaussilàcesoir.

Commeparenchantement,onfrappeàlaporte,etlecoupledesdiscussionsmauditesapparaîtenmajesté.Evaestrayonnante.Henryaussi.Ilmelanceunsourireravageur.

Iln’estpasgonflécelui-là,lementeur!Monsauveur!

–Vousn’êtespasencoreprêts?Onpartdansdixminutes!Broadwayn’attendpas!

Ondiraitqu’Henryalechicpoursetirerd’affaire.Finalementçam’arrange;jenemevoyaispaslancerunpsychodrameàcemoment-là.Jefiledanslachambremepréparerpourlasoirée.

***

Ensortantdelachambre,j’airepenséàcequem’aditmamancetaprès-midi…etçanemequittepasdepuistoutàl’heure…lemilieu…

Je défile dans une robe digne de la remise des Oscars. Jesse l’a agrémentée d’une rivière dediamantsquiprenddésormaissesaisesautourdemoncou.Jesuisentouréedestars,d’hommesetdefemmestousplusmagnifiquesetricheslesunsquelesautres.

Quelqu’unsait-ilquej’étaischauffeurilyaquelquesjoursàpeine?

Quandbienmême!Jesuisautantàmaplacequetouscesgens.Ons’habitueàtoutça,auspectaclemagnifiquequel’onvientdevoir,auluxe,aucalme,àlavolupté.Uneformed’ordredelabeautéquivousintimedeluiobéir.

–ÇavaLéonie?Tuasl’airétrangedepuistoutàl’heure.Lespectaclenet’apasplu?

Jesses’inquiète,prévenant.Jen’aipasenviedejouerlesrabat-joie;ilfaudraitêtrebieningrate!

–Non,c’étaitsuperbe,etlasoiréeaussi.Jesuisunpeuétourdie,jecrois.Jen’aipasl’habitudedecroiserautantdegenscélèbresenvrai.Regarde!IlyamêmeMichaelJackson!

–Euh…commentdire…çameparaîtpeuprobable.Ilesttoujoursmortàmaconnaissance!–Ahoui !Remarque, il n’apas l’air très envie ce typequi lui ressemble commedeuxgouttes

d’eau…délavées.

Onéclatederire,etjemedétendsunpeuquandl’hommequipassesontempsàsebécoteravecHenrys’approchedenous.HenryetEvanousrejoignentaumêmemoment.Madétentes’arrêted’uncoup.

–Alorslasoiréevousplaît?

Letypeembrassetoutlemonde,mêmeHenry,maispassurlabouchecettefois!Ilal’aird’êtreunevieilleconnaissance.Jessenousprésente,luicommeleproducteurduspectacle,moicommesonamie.Henryenchaîne:

–Maxwelln’estpasavectoi?–Ilarrive.Ildevaitréglerquelquechosejusteaprèslespectacle,avecuneclientejecrois…mais

ilrevient.

Jenepeuxplussupportercettediscussiondefauxjetons,surtoutdevantEva,maiscommejemevoismaltaperunscandale,jem’éloignelâchementverslechampagneetlespetitsfours.

–Àtoutdesuite!Jevaismesustenterquelquepeu,chersamis.

Jessemeregardem’éloigner,unpeuinquiet.

–Àtoutdesuite.

Jedéambuledanslasoirée,monverreàlamain.J’essaiedepenseràautrechosequ’àl’ignobledouble jeu d’Henry. Je défile en souriant à tout lemonde. Je joue laGraceKelly qui attendrait lePrince deMonaco,m’imagine enMarilyn chantant «Happy birthday to you,mister President »…n’importequoipourvuqueçam’évitedepenseràlamanièredem’yprendrepourparlerd’HenryàJessesansleblesser,nilui,niEva.QuantàblesserHenry,jem’enmoque.Henry…quiestentraind’embrasserl’autregarsàpleineboucheàdeuxpasdeGeorgeClooney!Monsangnefaitqu’untouret jemeprécipite commeune follevers les traîtres.PlusdeGraceKelly,plusdeMarilyn, c’est leretourdeChucky!

–Vousarrêtezçatoutdesuiteoujedévoiletout!

Ils me regardent, ahuris. Je dois effectivement ressembler à la fiancée de Chucky en modeprojectiondesalive.LepauvreGeorge,àcôté,n’apasnonplus l’airsuperopenpourm’offrirunNespressoducoup.

M’entape!Qu’ilretournefairesespubsdebouffon.

J’aiditcequej’avaisàdireetjetournelestalons,latêtehaute.Cettefois,c’estassez,jeretrouveJesseetjeluilâchetoutcequejesais.

Ilyaunmondededingue.JecourspresqueencherchantJesse.J’ail’impressionquemarivièredediamants pèse une tonne etm’aspire dans les profondeurs de son lit. J’ai chaud. Si tous ces gensn’étaientpasoccupésàdéfileretàseregardereux-mêmes,ilsdécouvriraientCendrillonentrainderedevenir lasouillonqu’ellen’a jamaiscesséd’être.Je tourne la têtedans tous lessens.Oùpeut-ilbienêtre?Ilyatropdemonde,maispaslui.Paslui,mais…eux.

Soudain je lesvois.Cen’estpaspossible ! Ilssont là, tous les trois,quimeregardent. Ici.Tousmesmuscles se raidissent.Moncrâneme fait souffrir subitement à l’endroit exactoù l’unede cesbrutesm’aattrapéepar les cheveuxpourme sortirde lavoiture.Lemonde s’est arrêté. Je suis aumilieud’unmuséedecire.Moi,seulepersonnevivantemaistétanisée,ettroispairesd’yeuxquimefixent.Puislescorpsquilesportentsemettentsoudainenbranle,lentement,sûrement,etilsviennentversmoi. La peurm’envoie son vieux signal, celui enfoui dans le cerveau reptilien, celui que leshommesetlesbêtessuiventdepuislanuitdestempsencasdedanger.

FUIR!

2.Carrefourdangereux

Léonie

Jeneréfléchispas.Jesuisunanimaltraquéetjeconnaisdéjàmeschasseurs.Ilsm’ontattrapéeunefois,etlaseulechosequim’importeàl’instant,c’estqu’ilsnerecommencentpas.Alors,non,jeneréfléchispas.Jefuis,commeunefolle,bousculantstars,midinettesetserveurs.J’ail’impressionquela foule de tous ces divertis ultra-riches ne peut rien pour moi. Personne ne me connaît et je neconnaispersonne.Ilsmeregardentàpeinepasser,leurverreàlamain,leursouriredemagazinesurleslèvres,figé,glacé,maisleursyeuxnemesourientpas,nemevoientpas.Jesuisseuleetj’aipeur.Oui, j’ai peur.Mon corps a peur. Il se souvient de l’agression dans la voiture, de la violence, del’enfermement,deZoéauscultéeparlesmainsdecestroissalaudsetdel’enviedelestuer.Ilsm’ontsalie,sortiedumondenormal,dumonde«logique»enutilisantleurforce,enm’obligeantàsubirleur laideur, en me rendant laide par mon envie de vengeance et en considérant que Zoé et moipouvionsêtretraitéescommedesobjetsquel’onprend,déplaceetfouille.J’enaipresquelanausée.Je me rends compte que leurs sales pattes ont laissé des traces indélébiles sur ma peau et leurapparition les a ravivées. Je n’avais pas eu le temps de repenser au choc, ni aux ondes qu’il aproduites,niàlatracequ’iladéposéeaufonddemoietquivientderesurgir.Iln’yaqueJessequipeutme sauver. Encore.Toujours. Je le cherche.Les autres neme lâchent pas. Ils sont à quelquesmètres de moi, sûrs d’eux, de leur force et de la douleur qu’ils peuvent m’infliger quand ils levoudront.Jesselestuera,maisJessen’estnullepart.Nilui,nipersonne.Ilfautquej’essaiedem’ensortirseule.Ilfautdéjàquej’essaiedem’échapperdecettesalleimmensepourretrouverdel’espaceetmesauver.Jemeruesuruneporte-fenêtreentrebâillée.Jel’ouvrecomplètementetmeprécipitedel’autrecôté.Jesuisdehors.Ilfaitnuit.Ilfaitdouxetiln’yapersonne.Jem’avancedanslenoir.Ilyadesarbrespasloin,maisle«dehors»aunefin.Jebuttecontrelarambardeenbétondelaterrassedans laquelle jeviensdemepiéger touteseule.Jemeretourne.Les troisorduresm’ontsuivie,onttirélaporteets’approchent,àcontre-jour.

–Laissez-moioujehurle.– Il fallait y penser avant. Ici, il n’y a personnepour vous entendre, et avec le bruit qu’il y a à

l’intérieur…

Ilsm’entourentpresqueàmetoucher.J’ailebasdudoscollésurlapierre.Mahaineetmapeursetransformentenenviedecombattre.J’attaque:

–Quemevoulez-vous?À troiscontreune femme…bravo !Désoléepourvotre trophée,maiscettefois,jen’aipasd’enfantavecmoi;ceseramoinsglorieux.

Ledeuxième,celuiquis’étaitfaitarroserparZoé,merépond:

–Vousaimezbienfairelamaligne…maisonn’apasdetempsàperdre.Onnevousferariensivousnousditesoùestlaclef,cellesurlaquelleMaryaenregistrétouslescodesavantdenettoyersonordinateur.Sinon,femmeoupas…

J’encaissesamenace.Jesaisqu’ilestcapabledelamettreàexécution,maisledangerm’asoudainredonnél’énergiedudésespoir.Cesontdesminables.Ilsneverrontpasmapeur.

–Femmeoupas,jenesaispasdequelleclefvousparlez.Sic’estdecellesdemonappartement,jenelesconfiequ’auxintimes.Autantdirequevousn’avezaucunechance…

Ilm’attrapelebras.J’essaiedemedégager,maisilaunepoignedefer,etlesdeuxautressemblentprêtsàs’ymettreaussi.

–Vousmefaitesmal…–C’est lebut !Vous commencez àm’énerver avecvotrepetit air et vosblaguespourries…Ça

suffitmaintenant,vousalleznousdireoù…–Ilyaunproblème,Léonie?

Lavoixd’Henryvientdesurgirdansleurdos.Jel’aperçoisquiarriveàgrandspas.Lestroisseretournentcommeunseulhomme.L’abrutimelâche,etilssejettentensemblepar-dessuslarambardepours’enfuirdansles jardins.Jem’écroule.Mesjambesn’ontplusbesoindesoutenir lecorpsquiluttait.Repos.Henryseprécipiteversmoi.

–Çava?–Oui.–Léonie!Henry!Quesepasse-t-il?

Jessevientd’arriveràtoutevitesse.Henryseretournepourluiexpliquer:

–Troistypes,ceuxdel’autrefoisjesuppose.Ilssontpartisparlesjardins.–Lessalauds!

Jessesepencheversmoi,inquiet.

–Tuvasbien?

Ilm’embrassesurlescheveux.

–Oui,çava,çava…

Ilseredresse,furieux.

–Jevaislestuer.

Etilsautepar-dessuslarambarde,aspiréparlanuit.

–Jesse!

Henrys’estredressé,maisilsaitqueJesseestdécidéetqu’ilnepourrapasl’arrêter.Ilsebaissedenouveauversmoi,attentionné.

–Ilst’ontfaitmal,Léonie?Quevoulaient-ils?Cesontlesmêmesquel’autrefois?

– Ce sont eux, mais je n’ai rien. Juste la tension qui retombe… Tu fais encore partie de messauveurs…unefoisdeplus…

–Tuavaisl’airétrangecesoir.Quandjet’aivupasseràtoutevitesse,deloin…aveccestypesquisemblaienttesuivre…jesuisvenuvoir…etj’aifaitsigneàJessede…

–Jetedoisencoreunevie.Jenel’oublieraipas,maisjen’oubliepaslerestenonplus,Henry…J’attendspour…pourcettefois,mais…ilfaudratoutavoueràEva.Sinon,c’estmoiquiluidirai…

–Heu…oui,d’accord…mais…tuessûrequ’ilsnet’ontpasfrappée?Latête?Rien?

Il me regarde comme si je venais de lui annoncer que je sortais d’un entretien avec GeorgesWashingtonpourpréparerlaguerred’indépendance.

Ilestvraiment tordu.Ilarriveraitpresqueàmefairecroirequ’ilnesaitpasdequoi jeparle.Jesensmêmequ’ilestàdeuxdoigtsd’appelerdesinfirmierspsypourmerameneràl’asile.

Iln’apasletempsdelefairecarJesseréapparaît,sortantdesjardinsquasimentau-dessusdemoiparlemuretquidonnesurlaterrasse.Ilretombeàmescôtés,souplecommeunfélin,etmeprenddanssesbrasunlongmoment,puissereculepourvérifierquejesuisentière.

– J’ai perdu leur trace dans la nuit. Le parc est grand. Ils ont pu partir dans n’importe quelledirectionetfranchirlagrille.

–Cen’estpasgrave,Jesse,toutvabien.

Ilm’aideàmereleveretmeprendparlataille.Henrynousregarde.Jessealatêtebaissée.Jevoissesmâchoiresseserrer.Je jetteunœilàHenry,quia l’air inquiet. Jesse redresse la tête, le regardnoir,perdudanslevide.

–Non, tout nevapas bien. Ils arrivent à surgir n’importe où.Çaveut dire qu’ils nous traquentaussi.Ilfautenfinirmaintenant.

–Onprévientlapolice?–Non,Henry, arrête !On fait ce qu’on avait prévu, dès que possible, etMarypassera aussi un

mauvaisquartd’heurequandjeremettrailamaindessus.

Henrysoupireetsedétourne.JenepeuxpaslaisserJesseselaisseralleràlacolère.

–Jesse…Maryestunpeucoupablemaisaussivictime,nel’oubliepas!ElleadûabandonnerZoéettel’aconfiée.C’estpeut-êtrel’occasionde…

Jessesetourneversmoi,lafureurbrilleencoreaufonddesesyeux.Jesoutienssonregardetjevoislesiensedétendrepeuàpeu,revenirànous,s’adoucir.Ilsetermineentendresseavecunsourireaucoindeslèvres.

–Tuascertainementraison,maisjeneveuxpasqu’ilt’arrivequelquechoseparmafauteouparlasienne.

–Sionesttousensemble,ilnenousarriverarien.

Jesse m’embrasse tendrement. C’est bon d’être de nouveau en sécurité. Je pourrais affrontern’importequiàcetinstant.

–Bon,vousêtesmignons,là,auclairdelune,versionmélod’Hollywood,maisjevousrappellequecestypescourenttoujoursetqu’onnesaitpasquelseraleurprochaincoup!

Henrynousarappelésàladureréalité,maisnousnousretournonsverslui,lesourireauxlèvres,encoreprisdansl’auradenotrebaiser,collésl’uncontrel’autre.Jesseluirépond:

–Ehbien,c’estparti,Vengeurmasqué!Onvaessayerdelescoincer.

Jecomplète:

–Ceseraitbienqu’onpuisseavoirMaryavecnous.–Maiscomment?–Tum’asditqu’elleétait capablede« regarder»mon téléphone…Jevais lui laisserunenote

avecsonnomsurmonportableenluiexpliquantcequ’ils’estpasséetenluidisantdenousjoindre.–Hum…pourquoipas.–Jenevoispasd’autremoyenpourl’instant,enespérantqueçafonctionne.–Onverrabien.Sinon,onferasanselle.Allez!Ilesttempsderentreràl’hôteletdepréparerla

guerre.Labatailleapproche.

Laguerre!Oui,c’enestune!Finalement,jevaispeut-êtreappelerWashington.Aprèstout,ill’agagnéesonindépendance!

***

–Ehbien,messieurs,aumoins,maintenant,noussavonsexactementcequeveulentcesgens.Çavafaciliternotrepiège.

Akirale«chonze»vientderésumerlasituationd’unemanièremagistrale,aprèsledébriefingdecette soirée flamboyante qui a bien failli se terminer en drame. En attendant, elle s’est bienaméliorée :noussommesdans lasuiteavecun«en-cas»dignedupalaisdugrandcalifeauxplusbellesheuresdel’Empireottoman.Encoreuneorganisation«akiresque»!

–Donc,sij’aibiencompris,vousvoulezleurfairecroirequevousavezfinalementlaclefetquevousêtesprêtsàleurrefilers’ilslaissenttoutlemondetranquille…

–C’estça.

JesseetHenryont répondud’uneseulevoix,commeà laparade,etAkiraaopinéduchef, l’airimpénétrable,commetoujours.

–Mmm…çapeutfonctionner…dis-jeunpeudubitative.Maisilvafalloirêtreconvaincantspourleur faire avaler notre retournement soudain. Jusque-là, on n’était pas vraiment sur un modecoopératif!

–…

J’ail’impressiondemetrouverfaceàdeuxadosauxquelsonviendraitd’arracherlaPlayStationdesmainsenleurdisantqu’ilsnelaverraientplusjamais.Akiraaplutôtl’airdusamouraïquiaurait

ébréchésonsabre.

– Non, mais je dis ça… on va y arriver… Du coup, ce serait vraiment bien que Maryréapparaisse…Çarendraitlachoseunpeupluscrédible.

–Pourquoi?

NonseulementHenryestunpeutordu,maisilaaussiduretardàl’allumageparfois!

–Ehbien,c’estàmaconnaissancelaseulequisait«vraiment»oùestcetteclefquicontientlescodes,non?

Là,ondiraitquejeviensdesortirunephrased’uneprofondeurdéfinitive,dignedudalaï-lama.Jeretiensunsourireironique–jepensequ’illeprendraitmaletquelelamaperdraitdespoints–,quandmonportablesemetàvibrer.SMS.Inconnu.Jeregarde.

– Quand on parle du loup… C’est un message anonyme. Ça ne m’étonnerait pas qu’il soit deMary!

Jesseserapproche.

–Qu’est-cequeçadit?[Jevousretrouveraidemainlàoùvousavezlaissélavie.]

JesseetHenrymeregardent,interloqués.

–Qu’est-cequeçaveutdire?–Aucuneidée…Çadoitêtreunmessage«crypté».– Ça, pour être crypté ! «Où on a laissé la vie ? »… tu es sûre que ce n’est pas unmessage

d’Akira,plutôt?Personnen’estmortàmaconnaissance.

Coup d’œil à Akira qui finit par parler après quelques secondes d’un silence au suspensesoigneusementpesé.

–Jeunesgens,Maryvousdonnerendez-vousdansunlieutrèsclairpourtant,bienquecodé,c’estcertain.

Jesserentredansl’échange,unsouriresubtilementexcédésurleslèvres:

–Danscecas,Akira,vouspourriezpeut-êtrenousfairel’honneurdelivrerlaréponseauxsimplesd’espritquivousentourent…

Mêmesourired’Akira,maisenmode«toutelasagessedel’Orient».

–Ilsembleraitdoncquelajeunesseactuelleait,sinonperdusonlatin,dumoinsoubliésongrec.–Ilm’énerve,là.

Henryavisiblementabandonnél’enquêteetsesertunwhisky.Jessepersévère:

– Je ne suis pas loin de penser lamême chose qu’Henry, Akira. Devrons-nous en arriver à latorture,entouteamitiébienentendu,oupensez-vousfairecesserlavôtreànotreégard?

–Bien,bien!Lapatiencenevientqu’àl’âgeoùletempsn’aplusd’importance.

Henryselève,unpeuéméché.

–Jesse,jevaischercherlesinstruments.Allumeunfeuqu’oncommenceletravail…

Jesseetmoiéclatonsderire,Akiraleregardeenbiais.JesserattrapeHenryauvol.

–Assieds-toi!Akiravanouslivrerlesecret,n’est-cepasAkira?

Il soupire une dernière fois en se demandant s’il arrivera un jour à faire comprendre quelquechoseàcesmoinillonsquenoussommes.Larouteseralongue!

–MaryvousretrouverachezlesparentsdeLéonie.–QUOI!?crions-nousenchœur,moicompriscettefois.–«Làoùvousavezlaissélavie»…c’estlimpide!Engrec,laviesedit…«Zoé»!

Etledictionnairedegrecsurpattesselève,magistral,quittantlapièce,auréoléd’unegloirebienméritée,laissantderrièreluilestroisélèves,bouchebée.

–Depuisquandparle-t-ilgrec,lui?

DepuissonapprentissageavecSocrate,Henry!Jenevoisqueça,vusonâge…

Enattendant,Maryréapparaîtrademain.JeregardeJessedanslesyeux.Ilvientdepenserlamêmechose quemoi ; il va revoir sa sœur… Il attend cemoment sans l’admettre depuis des années. Ill’attendetillecraint.Noussommesenguerre,maisc’estlàqu’ilvamenersonplusgrandcombat.Jelesais.Illesait.

Jeluiprendslamain.Nousseronsdemainaurendez-vousdupasséensemble.Pourl’avenir?

3.Traverséeobligatoire

Jesse

JevaisrevoirMarychezlesparentsdeLéonie.Jen’arrivepasàsavoirsic’estgénial,absurdeoucruel.LesCaravaggiom’ont déjà fait revivre un repas de famille chez eux, voilà que je vaism’yretrouverdenouveau,etaveccellequiauraitdûtoujoursêtrelàetquim’aabandonné.Mafamille,àmoi.Masœur.Mary.Ironiedusort,c’estfinalementellequidécidedestournantsqueprendmavie.J’ai emprunté un chemin quand elle a disparu et je suis en train d’en suivre un autre maintenantqu’ellerevient.MarelationavecLéonien’auraitcertainementpasétélamêmesansZoé.EtdoncsansMary quime l’a déposée un jour sans crier gare, ni sans cette histoire de dingue quimet tout lemondeendanger,etsurtoutlafemmequej’aime.Cellequejeneveuxpasperdreetquimetientlamainpourrentrerdansl’immeubledesesparentsencepetitmatin,quimetientcommepersonnenem’avait jamaistenu.Etjemedisquec’estbondelasentir là.Jenesaisplusquiaditqu’ilyadesliensquilibèrent.

Est-cequesamaindanslamiennemelibèredemoi-même?

Nousarrivonsdevantlaportedel’ascenseur.

–Tuesbiensilencieux,Jesse.

Elles’inquiète,maissansinsistance.Justepourmedirequ’elleestlà.

–Jeréfléchis.–Jecomprends,mais…peut-êtrequ’ilfautsimplementquetutelaissesaller,quetulâchesprise

pourunefois,quetun’essaiespasdecontrôlerleschosessurlesquellestun’aspasdepouvoir.–Commequoi?–Lepassé,tasœur,cequ’ilrestedevous.

Facileàdire!

–Etilmeresteraquoiàcontrôler,alors?

J’essaiedeplaisanter,maislamélodieestunpeufausse.Léoniemeposeunemainsurlajoueaumomentoùl’ascenseurs’arrêteàl’étagedesesparents.

–Pasforcémentcontrôler,maisagir,oui.Etdécider.Situveuxquetasœurreviennedanstavie,parexemple,etquej’yreste.

Elleposeseslèvressurlesmiennesavecuneintensitéetunedouceurquimeremplissent.

–Etilfautfairequoipourça?–Levouloiretledire.

–…

Jen’aipassurépondre,maisellem’aénoncécettevéritésansavoirl’airderienenattendre,sansultimatum,commeundonqu’ellemeferait.Ledondemalibertédedireouiounon,mêmesijesaiscequ’ellevoudrait,elle,etmêmesijesaismoiaussicequejeveux,aumoinsencequilaconcerne.Nousrestonslà,immobiles,ànousparlersansmots.

–Jesse?–Oui?– J’adorecet ascenseur,mais je le connaisbien, tu sais, et il n’yapasgrand-choseàyvoir. Je

pense que tu le maîtrises assez aussi maintenant. Que dirais-tu de visiter une autre partie del’immeuble,parexemplelecouloirpuisl’appartdemesparents,avantquequelqu’unnerappellecetenginetqu’onsetapelesétagesdansunsensoudansl’autre?

Jelaprendsdansmesbrasenriant.

–Tuesquandmêmeunnuméro!–Etunbon!Allez,bouge!

Nous nous retrouvons une nouvelle fois devant la porte des Caravaggio. Léonie me lance unsourireetreprendmamaindanslasienne.

–Enpiste!

Ellesonneetentresansattendre,àlamanièredelafamille.

–C’estnous!

Oui,«nous»!

***

LesCaravaggiom’ontaccueilliavecchaleur,commel’undeleursquejesuisunpeudésormais.Simplement,«àlabonnefranquette»commeaimeàledireAldo.Ilyaévidemmentdel’observationentrenous,unpeudejeu,demiseenscènedurôlequechacunpenseavoiràtenir,maisçarestefranc,honnête,bonenfant.Rienquine serviraitunevolontédeprendre lepouvoir,de séduireàmauvaisescient.C’estleurcœurquiparleetfaitrésonnerlemien,quibatdeplusenplusviteàmesurequel’heure tourne et que l’arrivée de Mary approche forcément. Nous avons annoncé que ma sœurpasseraitetqueZoéétait sa fille. J’aivudans lesyeuxd’Aldo ledésird’ensavoirunpeuplus,decomprendre,maisilasentiquecen’étaitpaslemomentpourmoi,qu’ilfaudraitattendre.Ill’asentiouest-ceunsignediscretdeLéonieoudesamèrequil’aempêchédem’interrogerdavantage?Jenedécrypte pas encore tout de leurs codes familiaux,même si jeme sens à l’aise ici.Nous sommesarrivésaprèsleurpetitdéjeuner,maisClaraatenuànousrefaireducafé,ettoutlemondeestrestéautourdelatable.Ellem’adesurcroîtposéd’autoritéZoésurlesgenouxetj’essaiededistrairemonattentiondecequim’obsèdeenregardantmaniècetenterd’attraperunecuillère.Nousjouons.

–Ah!Presque!Attrape…

Elle la tient fort, et j’arriveàpeineà lui retirerde lamain.Zoé rigole à chaque foisque je luienlèvelacuillèrepuisqu’ellearriveàlareprendre.ClaraetAldoprennentl’airtrèsaffairépourallerchercherquiunjournal,quiunmorceaudesucreouunpetitgâteau,maisilsneperdentenfaitpasunemiettedelascène.SimonetLéoniesontmoinsdiscretsetmeregardent,toutsourire,ensirotantleurcafé.Léonieattaquetoutdemême:

–Oui, çadoit être la filledeSupermanen fait. Jevaisallerchercherunmorceaudekryptonitedanslacuisinepourvoirsiçaluifaitperdreunpeudesapuissance.

–Trèsdrôle!Sitesparentsn’étaientpaslà,jepourraiscroirequetueslafilledeWoodyAllen.Vousêtessûrquevousnel’avezpasadoptée,Aldo?

–Moinon,maissamèrepeutentémoigner,c’estlapremièreàl’avoirvue!

Claradécidedes’ymettreaussi:

–Oui,j’aibienessayédeladonneraprèsmaispersonnen’enajamaisvoulu.

Nousrionsunpeubêtementtousensemblequandlasonnettedel’entréerésonneetquelespectacles’arrête.JelèvelatêteversLéonie,quiprendquelquessecondesavantdeparler.

–Jevaisouvrir.

Elle se lève et sedirigevers laported’entrée.Tous les regards sont fixés sur levidequ’elle alaisséensortantdelapièce.JenesaispassimanièceestlafilledeSuperman,maismoij’aimeraisavoiràl’instantlepouvoird’entendrecequiseditàquelquesmètresdemoi.Moncerveaumoulineàtoutevitesseetmesyeuxsepréparentàentrerenactionpourvoirenfinmasœur,aprèsdixans.Zoés’agiteetnecomprendpaspourquoijenejoueplus,maisjenepeuxplusbouger.J’attends.Lesonserapproche.Cettefois,j’entends,maisjesuistropémupourcomprendrecequ’ellessedisent.EtMaryentredans lapièce, suiviedeLéoniequi laguide.Elle se figeun instant,mevoitavecZoésur lesgenoux,etdixansd’absencevolentenmilliersd’éclatsdesouvenirsquidémarrentavecledernierregardquenousnoussommeslancéilyauneéternité,danslacuisinedematante,jusqu’àcelui-ciquivientraccrochernosviesl’uneàl’autre.Çan’aprisqu’uneseconde,maisnousavonsparcouruunedistanceintersidérale.Maryseressaisitavantmoi:

–BonjourJesse.–BonjourMary.

Elleentreenfindanslapièce.Jemelève,Zoédanslesbras,etm’approchedemasœur,quitendlesmainsverssafille.

–Zoé,machérie!Viensvoirmaman.

Jeluilaisselaprendre.ZoéchouineetsedandineunpeusouslesbaisersdeMary,commepourluifairepayersonabandondesderniersjours,puisretrouvepetitàpetitleplaisird’êtreavecsamère.Personneneparle.ÀpartLéonie,aucunmembredelafamilleneconnaîtvraimentlepoidsdetoutcequisedérouleàcemoment-là.Enfin, jepense.Maryetmoinousregardonsfixement.Ellen’apas

changé, peut-être le visage un peu plus marqué par les soucis. En un instant, nous nous mettonsd’accord silencieusement sur la marche à suivre : on attend plus tard, ailleurs, seul à seul. Pourl’instant,cesontlesmondanitésetletempsreprendsoncours;Léoniel’acomprisaussietellebriselesilence:

–Mary,jeteprésentemapetitefamilleaucomplet.–Enchantée.

Tenant Zoé posée sur un bras,Mary va saluer chacun avec lamain qui lui reste de libre. Je laregardebouger,sourireetjelaretrouve.Là,àcinqans,aveccepetitsourireencoin;là,àhuit,aveccettemanière de bouger la tête, et puis, adulte, évidemment. Elleme jette des regards discrets enpassantdel’unàl’autre,ettoutlemondeserassied.

–Vousprendrezbienuncafé,Mary?–Volontiers.

Aldofaitsonnuméro,ClaracourtrechercherducaféetSimonal’aird’avoirunpeubloquésurMary. Il ne dit rien depuis son entrée. Pas plus que moi qui souris, l’esprit encore embrumé. Laconversation se déroule sur des sujets anodins. Mary savoure le plaisir de retrouver sa fille. Jen’arrivepasàmejoindreàeux.Ilfautquel’onrèglequelquechoseavant.IlfautqueMaryetmoiparlions.

–Bien…jenevoudraispascasser l’ambiance,mais…jecroisquenousavonsbesoinderéglerdeuxoutroischoses,Maryetmoi…Desquestions…familiales…et…

Lesilences’estfait.LesCaravaggioregardentleurschaussures.Marymefixedenouveau.

–Oui,ceseraitbienderéglerça.

Léonies’approchedeMary,quiluitendZoé,etpropose:

–Ehbien,montezchezmoi!Voussereztranquilles.Onvas’occuperdeZoé;ellevacommenceràavoirfaim.Çanet’ennuiepas,Mary?

–Non…c’estparfait.Allons-yJesse!–Allons-y.

Ellemedevanceverslasortie.Léoniemeregardelasuivreensouriantetenmelançantlesclefsdel’appartement,confiante,aimante.Ellesemblemedire:«Va,Jesse,va.Jeseraiavectoiquoiqu’ilarrive.».J’ensuiscertain.Jepoursuislamarchedemondestindanscelledel’escalier.

***

–…Et çane te gênepasdevenir foutre lamerdedans la viedesgensdix ans après les avoirabandonnés?!

–Jesse…jesaisque…–Tusais…tunesaisrien…Tut’estiréesansjamaisdonnerdenouvelles,tumebalancestafille

sansavoirmêmelecouragedemerencontrerenfaceettumetstoutlemondeendanger!Toujoursaussiégoïste…etlâche!

– Je ne suis pas lâche, ni égoïste ! Je devais protéger Zoé.Vite. J’ai fait ce quime semblait leplus…juste.

Ilyaplusd’unedemi-heurequenouséchangeonscrisetcoupsdegriffe,commedeuxchatsdegouttièresebattantpourunterritoire.Dixansdedouleuretd’incompréhensionressortent.Lapeine,le manque, la déception, l’attente et le refoulement de tout le paquet explosant les vannes qui leretenaient,sedéversantsurnouscommeunfleuveincontrôlable.

–Juste?Tuasunsensdelajusticequim’échappe!–Alors,excuse-moi,maisquandonfaitunboulotcommele tien,onnefaitpasde leçonsur la

justice,nidegrandsdiscourscontrel’égoïsme,monsieurlemilliardaire!–Ehbien,sijesuisaussipourri,pourquoitum’aslaisséZoésurlesbras?Çanet’apasdérangée

quetafilleseprélassedanslasoiedespalacespourlecoup!Là,j’étaisassezbonpourfairel’affaire.

Nousnousrecroquevillonschacundansuncoin,blessés.Marys’estassisesurlecanapé,lesbrascroisés,etjeregardeparlafenêtre,debout,ensilence.Jeluitourneledos.Lemouvementdelaruem’apaiseunpeu.Nousnenousensortonspas.JepenseàLéonie.

«Levouloiretledire»?Maisquoi?Est-cequejepeuxdire?Puis-jepardonner?Uneéternitéestpassée.Ilesttemps,non?

Jerestetournéverslafenêtre,pluscalme.

–Pourquoim’as-tulaisséMary?–…–Pourquoim’as-tuabandonné?Tum’as rangédansunecase sansmêmevérifierquec’était la

bonne,ettuastoutlaissé,tellementsûrequetuavaisraison.Çaaétédifficile,tusais.Maintenanttureviens, et il faudrait que ça se passe comme tu l’as décidé, une fois de plus… comme si de rienn’était…

–JesuisdésoléeJesse…Çaaétédifficilepourmoiaussi,mais j’avais tropmal.Tuavais l’airtellementplusfortquemoi…desavoir…Jevoulaistrouvercommentm’ensortir…

J’entendssavoixquisebrise.Jen’arrivepasencoreàmetournerversellealorsquemeslarmesjaillissent sans que je puisse les en empêcher. Des larmes anciennes, enfouies. Des larmes quel’adolescentquejenesuisplusn’avaitjamaispuverser.Deslarmesquimelaventdupasséetquifontapparaître toutes les sales couches qui dissimulaient l’amour que j’ai pourma sœur et que je n’aijamaiscesséd’avoir.Jemeretourneenfin.

–Mary…

Elleselève,enlarmesaussi,etsejettedansmesbras.

Dixans!

Nousrestonsenlacésunlongmoment,reprenantnotrevielàoùnousl’avionslaisséeetretrouvant

la complicité de notre enfance. Nous décidons que nous ne nous quitterons plus et qu’il fautdésormais s’allier pour nous sortir de l’histoire dans laquelle Mary s’est enferrée. Nous nousdétachonsdoucement,apaisés.

JepeuxenfinappelerLéonie.

***

–Ilsveulentlescodesdescomptessecretssurlesquelsilyabeaucoupd’argent.J’aitoutmissuruneclefavantd’effacerlesfichiersdemonordinateur,maisj’aifaitçaviteet j’aioubliéd’effaceraussicequimontraitquej’avaistoutsauvegardéetilsl’onttrouvé…

Marynousexpliqueenfintoutel’affaireendétail.L’amitiéquilaliaitauxautreshackers,lafaçondont ils sont tombés sur de l’argent sale en voulantmontrer que la sécurité des banques n’est pasinfaillibleetsurtoutlamanièreaveclaquellesesanciensamisontbasculéàlavuedetoutcetargentcachéetàdisposition.Ellenepensaitpasqu’ilspourraientdeveniraussidangereux.

–Ilssonttrois,maisça,vouslesavezmalheureusement…

Ellese tourneversLéonie, l’airdésolé,maisLéonien’estpasmontéeseule. IlyaaussiZoé,etSimonquidévoreMarydesyeux.

–Ilss’appellentJonathanKing,ThaddeusHandersonetPabloAguilera.Jepensaisquenousavionslesmêmesbuts,lesmêmesidéauxetpuis…

–Etoùestcettefameuseclef,Mary?–Jel’aicachéeetilestpréférablequelemoinsdepersonnespossiblenesachentoù,Jesse.

Saréponsem’exaspère.Encorela«méthodeMary»!

–Jeteremerciedetaconfiance…Aprèstoutcequ’onavécuàcausedecetteclef!–Justement!Moinsvousensaurez,moinsilsaurontdemoyensdepressionsurvous.–C’estça…Detoutefaçon,jeveuxréglerçacesoirauplustard.Tuespartante?–Oui.–Çavaêtreplus facilegrâceà toi.Tuvasnousdirecomment fairepour les joindreeton leur

donneraunrendez-vouspourlespiéger.

ZoéfaitduchevalsurlesgenouxdeSimon,etLéonierentredanslaconversation:

–Tuasdécidédel’endroit?Qu’est-cequetuveuxqu’onfasse?–Rien.IlesthorsdequestionqueMaryettoisoyezlà.–Comment?

Léoniesemblesoudainprêteàm’arracherlesyeux,commesij’avaisditlapirechosequipuisseêtre.

–Tuasétéassezexposéecommeça!Jeneprendspaslerisque!–MaisJesse,jenesuispasuneenfantàprotéger,etj’aiuncompteàrégleraveccestypes.

–Moiaussimoncherfrère!–Écoutez…

Ilvafalloirêtreconvaincant.

–Jesaisetjevouscomprends,maisjem’envoudraistoutemaviesiçatournemaletque…–Etnous,onnes’envoudrapasdenepasavoirétélàsiçatournemalpeut-être?–Léonie,tusaisquej’airaison…Ilsuffitquequelquechosedérape,qu’ilsvousprennentenotage

oujenesaisquoi…–Ilaraison!Etpuisçanesertàriend’êtretouslàetdevousmettreendangerinutilement.

MerciSimon!

Maryrevientàlacharge.

–Onpeutsavoiroùtucompteslespiégeraumoins?–Non.Comme tudis toi-mêmepour la clef, «moinsdepersonnes…», tuvois ceque je veux

dire…–Vengeanceunpeuminable,maisOK!Vousvoulezvotrepetitrodéoentrehommes,quoi!–Ironise,maisquinousaenvoyélescow-boysdéjà?Etpuis,cen’estpasça.D’ailleurs,Simonne

vientpasnonplus.

DésoléSimon!Jevoisqueçatevexe,maisjen’aipaslechoix.

–Ah?Mais…jepeuxparticiper…sansproblème…conduireou…–LaissetomberSimon,tuvoisbienquelesmèresetleschauffeursnesontpasconviés.–Léonie…–Jesse?J’aifaituneerreurdediagnostic?Uneautreproposition,doc?

Quandelleestcommeça,cen’estpaslapeined’insister.

–Non.Onenreparlera.Jevaisprévenirlesautres…

Jem’éloignedanslachambrepourenvoyerunSMS:

[Akira,Henry,onmetlepiègeenplacepourcesoir.CentralPark,18heures.Bassindesbateauxminiaturesentrela72eet75eEst.Mobilisezquelquesgarsdelasécuritéaussi.Jeparspourl’hôtel.JesuisavecMary.]

J’imaginequ’Henryvaêtreunpeusurpris.Akira, jen’ensais rien ; ila toujours l’aird’êtreaucourantdetoutavantqueçanesepasse.Quandjereviens,SimonetMaryjouentavecZoé,etLéonieestautéléphone.

–OK,Jenny,onfaitcommeça.

Elle raccroche et me regarde d’une manière indescriptible, mais son humeur a l’air d’avoirchangédepuistoutàl’heure.Pasforcémentenmieux!

–Ehbien,touts’arrangepourtesplansJesse!JedoisrappelerJennyenfindematinéeetjeverraiEvacesoir.Jetrouvequ’onneseconnaîtpasassez.

–Eva?Oui…c’estunebonneidée…vousallezfairequoi?–Complotdefilles.–Jevois…Bon,Mary,lesautresnousattendent.–C’estparti!

MaryembrasseZoé,salueSimonetLéonieetsedirigeverslaporte.Jem’approchedeLéonie,unpeuinquietdenosdernierséchanges,etl’attireàl’écartdesautres.

–Çava?–Oui,net’inquiètepas.–Je…jet’appelletoutàl’heure.J’ai…quelquechoseàtedire.–Tunepeuxpasmelediremaintenant?–Non.–Alorsj’attendrai,misterMystère.

Jel’embrasseetrejoinsmasœur.

«Levouloiretledire»,yarriverai-je?

4.Passageàniveau

Léonie

Jem’enveuxdem’êtreemportée.Jessevoulaitmeprotéger,c’esttout.Jelesais,maisçaaétéplusfortquemoi.J’espèrequ’ilnel’apasmalprisaumomentoùtoutbasculepourlui.Maisbon,ilveutmeparler…Onverrabiencequ’ilaàmedire;jepourraiaussim’expliquer.

Enattendant,SimontraînechezmoicommeunevieillechaussettesanssajumelledepuisledépartdeMary et de Jesse. Il a beau avoir l’air passionné par Zoé, je suppose qu’il a autre chose àmedemander que la taille des couches de la petite. Je sens qu’il cherche le moyen d’entamer ladiscussion,avec sonair faussementdécontractédu typequiveutparaîtrenaturelà l’extérieurmaisdontl’intérieurturbineàpleinrégime.Ilnemelafaitpasàmoi!Jeleconnaismonfrère;onatoutde même grandi ensemble ; ce qu’il a tendance à oublier. Il croit certainement que personne n’aremarquécommeil«merlan-fritait»enregardantMary.J’imaginedoncquelesujetquisembletantle préoccuper est plutôt grande, classe et avec un charme indéniable, en plus d’être intelligente.Attendons.

–Elleestsympacetteenfant.Elleressemblebeaucoupàsamère,non?Sonpèreestcomment?

Bingo !Monsieur veut savoir si la sœur est maquée. Je vais le faire lanterner un peu ; ça mecalmera.

–Àquelniveau?

LatêtedeSimons’allonge.Ilnes’attendaitpasàcetterépliquedefourbasse.

–Bah…commentçaàquelniveau?Jenesaispasmoi…–Précisetaquestion.Queveux-tusavoir?–Non…mais…rien…Jedisaisçapourparler,histoirede…

Lepauvre,ilasortilesramesmaiscen’estpasfaciledefaireavancerunpaquebotsurunemerdemélasseavecdeuxpetitsboutsdebois.Enplus,ilm’énerveànepasattaquerleschosesdefront.

–Histoiredequoi?Tut’intéressesaumecdeMary?

Ça,c’estunpeuvache!

Simonapris labourrasqueenpleinepoire. Jedoisnéanmoinsdirequ’ilest restédignedans ledécoiffage,maisjeviensdeluiéclaterunmorceaud’espoir.Onaentenduletrucsebriserjusqu’enbasdel’immeuble,etlabouchedeSimonamarquélecoupparunpetitrictusfigé.Ceseraitpasséinaperçupourn’importequid’autre,maispaspourmoi.Ducoup,çamefaitdelapeine.Iln’apasméritéça.Jevaisrecollerlesmorceaux.

–Allez, je te taquine.Mary élève Zoé toute seule. Le père s’est tiré dès qu’il a su qu’elle étaitenceinte,etjeneluiconnaispasderemplaçant.

Tous lesmorceaux éparpillés ont effectué un rembobinage et sont venus se recoller sur lemurnommé«espérance»demonfrère,enluilaissantaupassageunsourirebéatsurlevisage.Jeviensdefaireunheureux.

–Bon,jevoisqueçavamieux,maisnet’excitepas!JenesaispastoutdelaviedeMary,surtoutpasdesaviesentimentaleetencoremoinssiuntypeaussi«passionnant»quetoipourraitluiplaire.

Simonnerelèvemêmepaslapiquetellementilal’aircontent.J’ail’impressionqueCupidonyestpeut-êtrealléunpeufortpourunepremièrerencontre.

–Non…mais jen’aipasditqu’ellemeplaisait…C’était juste commeça…pour savoir…Quevas-tuimaginer?

–C’estça!Ehbien,sij’étaisJésus,jeneterebaptiseraispasPierre,maisHypocriteetcen’estpassurtoiquejecompteraispourbâtirmonéglise!Lachrétientéseraitrestéeunesecteinconnueavecdestypesdetatrempe!

–Aucuneimportance,jen’aipasl’intentiondefinirenapôtre.

Pasmal!Turemontes.

–Bon,monfrère,ilesttempsderejoindre«NotrePère».EmmèneZoéavectoichezlesparentset réfléchis à ta tactique de drague avecMary,mais évite demettre tes gros sabots de pèlerin, ont’entendvenirà troiscentskilomètresà la ronde,etMarya l’oreille fine.Tupeuxdéjàessayerdeplaireàsafille;ceseraunebonneentrée!

–Tuesvraimentpénibleparfois.

SimonattrapeZoé,quial’airravidesefaireporterparlefuturprétendantdesamère,etleplaisirsembleréciproque.Jelespoussedehors.Ilssontdéjàentrainderigoler.

Aprèstout…siçasetrouve…Riennemeparaîtimpossibledepuisquelquetemps.Cen’estpastoutça,ilfautquejerappelleJennyetEva.

***

[Rejoins-moiauboutduPier17vers14heures.Ondéjeuneraensemble.J’aibesoindetevoir.][J’yserai.]

CederniermessagedeJessemetrottedanslatêtependantquejefaislenumérodeJenny.

PourquoiauPier17?

Elleréponddèslapremièresonnerie.Elledevaitattendremoncoupdefil.

–Léonie,j’aimerdé.

Jennyal’aircomplètementflippée.

–Tuasmerdéquoi?Qu’ya-t-il?–Jenesuispasassezbonne!Jenepourraijamaismontermonagencededétectives!–Ahbon?Sicen’estqueça…tum’asfaitpeur!Cen’estpastrèsgrave,tusais.Enplus,cen’est

pastonmétier,donc…–Non,maiscen’estpasvraimentleproblème…C’estparcequejepensequ’enfait…tuvois…

Jennyaautrechoseàmedire.Jecommenceàm’inquiéter:

–Non,maislà,jenevoisrienjustementparcequejenecomprendsrienàcequetumeracontes.C’estquoileproblème?

–…–Jenny?–Ehbien…j’airappeléJohn.Tusais,pourlerassureretpuis…j’aicruquejepouvaisluicacher

destrucs,inventer,etalors…–…tuasparlédeJesse!?

Ellevientdem’envoyeruncoupdepoingdansleventrequim’afaitremonterl’estomaclelongdelacolonnevertébrale.Jesensqu’ilestentraind’envahirmatêtepourlafaireexploser.

–Qu’as-tufaitJenny?–Non,non,calme-toi!Jen’airiendit,maisjemesuisnoyéedansdesincohérencesenessayantde

luifairecroirequemarechercheétaitvaguementunhasard.Jepensequ’ilnem’apascrue…maisalorspasdutout,dutout…

–OK…bon…c’estunpeumoinsgravequejenelepensais…

Monestomacglissedoucementdenouveauverssaplaceinitiale,maismoncrânerésonneencoreduchoc.

–Oui…enfin,jenesaispas…Auxdeux-troischosesqu’ilm’ademandées,j’aicomprisque…–Quequoi?Accélère,tuvasmetueravectonsuspenseenyoyo!

Monestomachésitedenouveausurlecheminàprendre.

–Ehbien,jecroisqu’ilacommencéàenquêtersurl’affaireetquedonc…–…ilvaremonterassezvitejusqu’ànous.–Oui.

Espéronsqu’ilnefouillerapastropavantcesoir…

Jenny n’en mène pas large. Elle a l’air d’une communiante qui se serait goinfrée de la boîted’hostiesjusteavantlamesse,maisjenesuispasmonsieurlecuré.

–Écoute…toutçaestdemafauteaprèstout.Tuasfaitcequejetedemandaisetaumieux.Lejeuétaitunpeurisqué.

–Tunem’enveuxpas?

–Maisnon.

Parcontre,jevaiséviterdeluidirequ’onrègletoutçaaujourd’hui.

–Onva attendre.D’ici à ce qu’il trouvevraiment quelque chose…J’espère que ce sera fini, etpuis…s’illesattrapetousrapidement…aprèstout…

–C’estvrai?Tum’ôtesunpoids,jetejure.Jem’envoulais!Jenesavaispascommentteledire.

AbsolutionpourJenny.Estomacrentréaubercailpourmapomme.

–Laisse!Tusaisbienqu’entrenous,c’est«Àlavie,àlamort».–Cochonquis’endédie!J’avaispeurquetumedétestesetquetunemeprêtespluslapoussette

quis’ouvretouteseule,là,tusais?Tul’asencore?–Non,maisc’estpasvrai!

Je ne peux pas m’empêcher d’éclater de rire. Jennym’accompagne dans la foulée. Je n’arrivejamaisàluienvouloirbienlongtemps.Elleesttellement…unique.Moncrâneafiniderésonner.

–Ilfautquejetelaisse,j’aiunautrecoupdefilàdonneretjedoisretrouverJesseà14heures.–OK,OK!Tiens-moiaucourantdecequ’ilsepasse.–Jen’ymanqueraipas.

Évidemment,maisquandceseraterminé.AvecJenny,c’estplussûr!

JeraccrocheetappelleEva.Ilnemeresteplusgrandtempspourarriveràl’heureaurendez-vousquem’afixéJesse.Jesorspendantquejeluitéléphone.

–Eva,c’estLéonie.–Ah!Léonie!Çamefaitplaisirdet’entendre.Commentvas-tu?–Bien,bien.Jemedisaisqu’onn’avait jamaiseu le tempsdediscuter toutes lesdeux.Tuserais

librecesoirpourboireunverre?–Maisavecplaisir!Tuasunendroitdeprédilection?– Non, je te laisse choisir, mais quelque part en terrasse. Il fait beau et j’en profiterai pour

promenerZoé.–Super ! J’aiune idée alors. Je t’envoie l’adresse sur tonportable.C’estdansCentralPark.Tu

verras,c’estsympacommetout.–Parfait!Àcesoir.–Àcesoir.

Voilà,affaireJennyréglée,affaireEvaencours.Nemeresteplusquel’affaireJesse.Monénigme,monamour.Sera-t-ontranquillesunjour?

***

Jessem’attendauboutduquai.Leventlégeragitesescheveux.Lesrefletsdusoleildansl’eauluidonnent l’air de scintiller. Plus je m’approche et plus je suis heureuse de le retrouver. Mon

énervementdetoutàl’heureestlargementpassé,etsonsourirem’indiquequ’ilnem’apasdemandédevenir pourmeparler de ça.Nous sommes juste deux amoureuxqui se retrouvent. J’arrive toutcontrelui.Ilm’entouredesesbrasavantdemedonnerunbaiser,celuidesretrouvailles,celuidetouslespardons,celuiquinousreditàchaquefoiscequenoussommesl’unpourl’autre.

–Jevoulaistevoir,teparler.–Tuesbiensérieuxd’uncoup!Maispourquoiici?–Pourça.Jet’aipréparéunesurprise.J’aifaitlivrerunrepas.–Oùça?–Viens.

Ilmeprendpar lamain etmeguide sur unepasserelle quimène à unpetit yacht. Jesse sembleradieuxetému.

–C’estàtoi?Jenesavaispasquetuavaisunbateau.

Ilm’expliqueendétachantlesamarres:

–C’estlapremièrechosequej’aiachetéequandj’aicommencéàgagnerdel’argent.J’aiapprisàleconduireetj’allaistoujoursàunendroitoùjeveuxt’emmener.OnyvoittoutNewYork.Jerestaisdesheuresàregarder.Tuvasvoir.

Ilsedirigeverslacabinedepilotageets’arrêtedevantmoi,dansunétatétrange,entoutcasquejeneluiconnaissaispas.

–Jen’aijamaisemmenépersonnesurcebateau.Tueslapremière.

Jerestefigéecommeuneidiote,lecœurbattant.

«Lapremière.»

Jenesaispasquoiluirépondre.Ilyaunevibrationétrangequisembleflotterdansl’air,commesinousétionsentraindepasserdansunespacedifférent.Jen’arrivepasàdéfinirsic’estlasensationdeflottementdueaubateau,l’attitudedeJesse,monémotion…

–C’est…jesuistouchée…C’est…unbeaucadeau.

Ilm’entourelesépaulesdesonbras,m’embrasseau-dessusdel’oreilleetm’emmèneprendrelabarre avec lui.Nous restons enlacés ennous éloignantduport. JessepasseGovernors Islandet sedirigeverslaStatuedelaLiberté.Nousnaviguonsensilence.Letempsal’airsuspendu.Malgrélebruitdelamer,desoiseaux,desbateauxquipassentauloin,noussommescommeseulsaumonde.

***

Jesseajetél’ancreàquelquescentainesdemètresdelacôtequidonnesurlaplaceauxdrapeaux.D’ici,lavueestmagnifique.LadyLibertyestdedos,et,aufond,nousvoyonsManhattanetlepontdeBrooklyn. Il faitgrandsoleilet tout luitdemille feux,commesiunartificiergénialallumait,puis

éteignait iciet làdesmilliersdebougies,augrédesafacétie,pournousfairedécouvrir toutes lesfacettesetlabeautédeNewYork.Nousn’avonspaséchangéunmotdepuisledépart.Nosrespirationsse sontcalées sur lamêmecadenceetnous regardons tous lesdeuxdans lamêmedirection.Nouslaissonsl’instantseremplir.Ilaprisletempsd’installerledéjeunerdanslepetitsalonduyacht,maisnousn’yavonspastouché.Noussommeslà,enlacés,faceàlabeautéofferte.

–Léonie.–Jesse.–Çateplaît?–C’estmagnifique.–Jevoulaisquetuvoiescequejeregardais toutseulavant,cequejegardaispourmoipour le

partageravectoi.

Ilserremamainunpeuplusfort.Ilestcomplètementlà,avecmoi,àmescôtés,maisaussicommetotalement englouti par lui-même. Je ne l’ai jamais vu comme ça. J’ai l’impression de voir unechrysalide frémir juste avant la sortiedupapillon. J’aimaisdéjà la chrysalide,mais lepapillonestencoremieux…

–C’est…plusbeauquetoutcequetum’asoffertjusque-là,Jesse.

Ilsetourneversmoietmesouritdoucement.

–Jevoulaislepartageravectoiparceque…–…–Jeneveuxplusregarder…Jen’aiplusenviederegarderleschoses…mavie…sanstoi.–…–Jenepourraispas…jenepourraisplus…C’estcommesijenepouvaisêtreentièrementmoi-

mêmequesitueslà…tucomprends?Tuveux?–Oh!Jesse…moinonplus,jenepourraisplus…–Jet’aime.

Lepapillon sedéploiedevantmoi. Il estplusbeauque tout ceque jen’avais jamaispuvoir, niimaginer.

–Jet’aime.–Tuveuxqu’onreste…–…ensemble?Oui.

Lebaiserqu’onsedonneàcetinstantn’apasdenom.Ilestledébutetlafin,ilestceluipartagépartous ceux qui se jurent un jour amour et fidélité,mais aussi le seul et l’unique, le nôtre, l’éternelrecommencement, le saut dans le vide et lamainqui nous retient, la peur et l’envie, le bonheur etl’angoisse,lepassage,ledésir.

Nousentronsdansl’amour.Nousallonslefaire,etceseranotrepremièrefois.Denouveau.

Nousnousembrassonslonguement.LalumièreestmagnifiqueetlabaiedeNewYorknousbercedesesflots.JesenslecorpsdeJessecontrelemienetj’ail’impressiond’avoir15ans,uncœurtout

neuf qui bat pour la première fois, un corps vierge de l’amour qu’on va lui donner et qu’il vaprendre, partager et offrir à son tour. Jeme sensmaladroite, presque pataude. Jesse etmoi, nousavonsdéjàtantvécuetnousavonstantàvivre.C’estcommeunéternelrecommencement,unmondeàexplorer.Jesentaisconfusémentquenousrentrionsdansuneauraparticulièreenleretrouvanttoutàl’heure,maisjenepensaispasquenousallionsnousyinstaller,nousengager.J’aipresque…peur,commeunemontéedestressquiauraitlefrissondubonheur.Letrac.C’estça,jepensequec’estcequelesartistesappellentletrac,maisenpuissancemille.Lepetitcreuxquivousvrillel’estomacmaisqu’onattend,quivousfaitbattrelecœurplusvite.Lesautdutrapézistequiselancedanslevide.Çapeutrater,maisonyvaquandmême.

Notrebaiserdureencore,puisnosbouches sedétachent, lentement, commesi ça leurparaissaitabsurdedesesépareruneseuleseconde,deneplusfairequ’une.

–JemesenstoutedrôleJesse.–Moiaussi.–Etcen’estpaslemaldemer.–Moinonplus.

Noslèvresseretrouvent,furtivement,maisaveclamêmepassion.

–C’estétranged’êtreici,aumilieudenullepart,justeavantcesoiretlepiègequetuvastendreàcestypes…C’estcommesinousétionsseulsaumonde…

–C’estcequejevoulais…qu’onvivecetinstant.Surtoutsiçadevaitmaltourneretque…–Nedispasça.

Jeluiposelamainsurlabouche.

–Jenelesupporteraispas.Jenesurvivraispassijeteperdais.

Jessemefixeintensément.

–Onneseperdrapas.Jamais.Noussommesliésdésormais.

Il m’entraîne à l’intérieur du yacht sur les coussins moelleux du petit canapé du salon. Le soltangue, ballotté augrédu ressac causépar les flots qui nous entourent.Unyacht dans lequel deuxêtresquis’aimentvontréapprendreàseconnaître.

–J’aienviedetoi.–Alorsneparlepas,viens.

Jesses’approchedemoi.Jenoussensencorepresquetimides.Çapourraitêtreridicule,maisc’estsimplementémouvant.

–J’aienviedetevoirnuemaintenant.

Jenousretrouved’uncoup.Lasimplicité,l’évidence.Jemelève,devantluiquiresteassis.

–Sicen’estqueça,çapeutsefaire!Tucomptestravaillerunpeuoujemedébrouille?–Non,vas-y,jeregarde.J’agirailemomentvenu.–Fainéant!–C’estquilecapitaineici?

Je le regardedroit dans lesyeux et commence à retirermes chaussures etmon jean. Je suis enpetiteculotte.Jesensmondésirmonter.

–Stop!

Jesse pose sa main sur mon sexe à travers le tissu et commence à me caresser doucement enappuyantparpetitestouchesprécisesauxendroitslesplussensibles.Ilvaetvient,seglisse.Jesensletissusursesdoigtss’introduiredansmonintimité.Lasoielelaissepénétrerdansmonantredeplusenplus humide sous son toucher.C’est doux et gênant à la fois,mais j’aime cette sensation. Jesseretiresamaindoucement,sereculeunpeuetmedit:

–Continue.

Je reste un instant en suspens avant de reprendre. J’ai hâte que mes vêtements me quittentcomplètement.

–Monsieurpeutpeut-êtrem’indiquercequ’ilvoudraitvoiràprésent?–Non.Propose.

Jeretirealorsmaculotte.Ilfallaitquecettepartdemoidéjàenfeuselibèredéfinitivement.

–Danscecas…ilvam’êtredifficiledenepasagir…

Jessem’attiredélicatementversluienposantunemaindechaquecôtédemonbassin.Ilsoulèvemachemiseetembrassemonventre.Unsouffledechaleurm’envahitetjesenssoncourantinondermonsexe.LabouchedeJessevientglissersurma toison.J’attends.Jesais leplaisirqu’ilpeutmedonner. J’en ai de plus en plus envie. De ses lèvres. De sa langue en moi. Il me laisse le tempsd’imaginer,passesesmainssurmeshanches,surlehautdemescuisses,m’effleureavecsonvisage,puis il prend mes fesses, redescend et écarte lentement mes cuisses en les tenant par-derrière.J’accompagnelemouvement,disponible,offerte.Ilposealorssesmainsdechaquecôtédemonsexeetécartemeslèvresdesespouces,découvrantmonclitorisquejesentaisdéjàtendusouslapeaufinequilelaissedésormaisànu.Jelesens,oui,maisJesse,lui,levoit,etilyposesoudainleboutdelalangue.Lecontactmefaitl’effetd’unedécharge;d’autantplusqueJessenelelèchepastoutdesuite,mais appuie par à-coups comme s’il voulait le repousser sous sa cachette naturelle. Le plaisir estimmédiatetjepourraispresquejouirsur-le-champ,maisJessenes’arrêtepaslà.Toutengardantsalanguesurmonextrémité laplussensible, il introduitplusieursdoigtsenmoiavec lamainqu’ilalaisséglisserdemonpubis.Jen’aiplusenviequ’ilsoitleseulàs’occuper,nileseulàêtreencoretotalementhabillé.

–Arrête!Jeveuxtevoiraussi,sentirtapeau.

Ilm’abandonneensouriant,sereculantsurlecanapé,etenlèvesachemise.Sontorseetsonfront

brillent déjà légèrement sous les perles de sueur. La vue de son corpsmuscléme fait toujours lemêmeeffet.J’aienviedelesaisir,delegoûteretqu’ilsoitàmoi.

Jeprendssatêteetl’embrasseenlepoussantaufonddelabanquettesurlaquellejemontedanslemêmemouvement, sans lâcher levisagequiva servirmonplaisirdansquelques secondes. Jesseacomprisetselaissefaire.Jelechevaucheetc’estmoiquiimprimelemouvementdesalanguesurmon sexe. Jeveuxqueça aillevite.L’excitationest telleque je jouispresqueaussitôt.Mes jambestremblentetj’aidumalàresterdanslapositionquej’aimoi-mêmeinitiée.AlorsJessemeporteetmebasculesurlabanquetteduyacht.

–J’aienviedelamêmechose.–Oui.

Ilretirealorslerestedesesvêtements,presqueenunseulgeste,etvientdressersonsexequimeparaîtimmenseau-dessusdemonvisage.Jel’attrape,lelèchesurtoutelalongueurjusqu’augland,queJesseenfoncesoudaindansmabouche.Ilycommencealorsunva-et-vientcommesic’étaitmonvagin.J’accompagnesonmouvementdemeslèvresetdemalanguepourluifaireressentirleplusdesensations possible. Cette position étrange m’excite presque autant que celle que je lui imposaisquelques secondes auparavant. Je le sens se tendre et se gonfler davantage à chaque passage. Ilpourraitvenirdansmabouche–jeneluienvoudraispas–,maisjesaisqu’ilvaseretenir,qu’ilveutquel’onpoursuiveautrementaprès.Jesaisqu’ilveutmedonnerencoreduplaisiravantdeprendrelesien. Il continue, allant jusqu’au bord de sa jouissance. Sa position me permet de le caresser,d’atteindrechaquepartiedesoncorps,sescuissesrobustes,sesfesseslissesetfermes,sestesticulesqui viennent presque toucher le bas demonvisage quand il s’enfonce davantage, son torse que jerepoussetendrementquandjeveuxqu’ilsuspendeunmomentsonva-et-vientpourquejepuissejouerdesonsexeavecmalangue.

Ilserelèveunpeu,puisseretiredemaboucheetseretournepourembrassermonentrejambequiaeuletempsdesecalmerunpeudepuissonpremierorgasme.JeguidedenouveaulemembredeJessedansmabouchependantquesa languese réintroduitenmoi,visitant tous les recoinsqu’elleconnaîtparcœur.Nousnousdonnonsduplaisirainsijusqu’àladernièrelimite,puisJesseserelèvepourvenirs’allongersurmoi.Jeremontemesjambesenlesécartantpourl’accueillir.

–J’aienviedetevoir,deteregarderdanslesyeuxquandnousallonsjouirenmêmetemps.–Moiaussi.

J’enserreJesseavecmescuisses.Noussommestotalementnus,collés,lesyeuxdanslesyeux.Ilaintroduitsonsexeenmoi,etjelesensglisserdoucement,tenduàl’extrêmemaisd’unedouceursanspareille.Noussommesenosmose,commesinosdeuxcorpsétaientsimplementdespartiesautrefoisséparéesquiviennentdeseretrouverpoursesouderdenouveau.Iln’yaplusdeuxêtres,maisunseulquiaunjourétéscindéetquiapporteàsamoitiéréconciliéetoutcequ’ilaapprisdelaséparation.Cesont des retrouvailles. Une fête des corps qui apaise et déploie notre être le plus intime, le plusprofond.Jessem’entouredesesbrascommejel’aientourédemesjambes.Samainsoutientmatête,seslèvresparcourentmonvisage,vontdemaboucheàmonfront,descendentsurmoncou,salangueglisse dans mes oreilles et ses dents memordillent, parfois jusque sur le bout des seins. Chaquecontactdesaboucheaugmenteleplaisirqu’ilmeprocureparleva-et-vientdesonsexe,commesi

touscesmouvementsnefaisaientqu’unseuletmême.Nosyeuxsequittentlemoinspossible.Chaquefacettedesespupillesmesignaleparunéclatdifférentunpetitmorceauduplaisirqu’onsedonne,enattendantl’envolfinal.

–Embrasse-moi.

Salanguevientseglisserdansmabouchecommeelleseglissaittoutàl’heuredansmonsexe.Noslèvres ont le goût de toutes les parties denos corpsdéjà explorées. J’ai l’impressionde connaîtreJesseenentier,deleposséder,del’avoirintégrétotalementenmoi.Ilcontinuedebougerdoucementdanslebasdemonventrequandjesenslemomentdebasculequivam’emporterbientôt.Jesseestdanslemêmeétat.Jesaisqu’ilaatteint,enmêmetempsquemoi,lepointdenon-retour.Ilfaudraitune catastrophe désormais pour que notre parcours vers l’orgasme s’interrompe. Ça ne peut êtrequ’unemontéeinexorable,etellecommencemaintenant.

Sapression se faitplus forte. Ilvadeplusenplusvite et semble s’enfoncerplus loinenmoiàchaquemouvement.Iln’yaplusquenosbassinsquis’agitent,commefrénétiques,alorsquelehautdenotrecorpsestenlacé.Nossoufflessesontcaléssurlemêmerythme,celuidel’attente.Ilssontdeplus en plus courts, haletants, puis, d’un coup, j’oublie tout. Je n’ai plus autour de moi qu’unemyriade de sensations.L’enveloppe de Jesse, quime semble commeun rocher indestructiblemaistellementléger,l’odeurdesescheveuxetdesapeauetlapuissancedesonmembrequimeparcourtm’emportentdanssonmouvement.Jemelaissealler,glisserverslui.Soudain,toutsecrispe,setend.J’ai l’impression de serrer le sexe de Jesse dans le mien avec une telle force qu’il ne peut plusbouger,niseretirer.Ilfrémitentièrementaumomentmêmeoùjemerendscomptedemonproprefrémissement. Il ne bouge presque plus, juste une ou deux dernières saccades, et je nous entendspousserunrâleaumomentoùladéflagrationnousemporte.Lajouissanceafinidenoussouder.Noscorpsnepeuventplussedétacher.Lesexeetl’amournousonttransformésenstatue:unseulbloc,unseulcœurpourdeux.Ilvanousfalloirunbonmomentpourretrouvernoscorpsrespectifs.

***

–On pourrait peut-être déjeuner, non ? J’avais presque oublié que tu avais prévu àmanger. Jemeursdefaim!

–Tun’esqu’unventre!–Pastoipeut-être?–Si!Àtable!

Jessesejettesurlefoiegras,lechampagneetlestoastsavantquejen’aiepubougeruncil.

–Ehbien!Onnediraitpasquetuesmilliardairepourtejetersurlefoiegrascommesitun’enavaispasmangédepuisdessemaines!

Jessesetourneversmoi,labouchepleine.

–Hein?Maisçanefaitpasdessemainesqu’onneviticiqued’amouretd’eausalée?

Ilal’œilquifrise.Nouséclatonsderireenmêmetempsetjemejettesurluipourdévorerlerepas

àmontour,avantderecommenceràledévorer,lui.Ilnousrestepeudetempsavantleretourauport,maisj’aienviedeleprendredenouveauenmoi.Jesaisquej’auraitoujoursfaimdeJesse.

5.Voiesansissue

Jesse

Nousrejoignonsleportensilence,commenousenétionspartis.Labulledetempssuspendu,rienqu’ànous,s’apprêteàéclaterpour laisserplaceauquotidien,quipeutnousatteindre,nousblesser.Nous retournons vers le tourbillon de la vie après nous être permis ce pas en retrait, mais noussavons désormais que cemoment-là nous appartient à jamais, qu’il sera notre refuge et que nouspourronsnousyreplonger,enrêveouenréalité,pourrevenirànousdeux.Personnenepourranousleretirer.J’ailaisséLéonieentrerdansmavie,j’aiadmisqu’elleyétait,jeluiaiavouéquejevoulaisqu’elleyreste.Jeluiaifaitconfiance.Jeluifaisconfiance.Jenepensaispasenêtrecapable,maisj’airéussi à le dire, àm’abandonner parce que c’est elle, parce que c’est nous et parce que c’est cettehistoireimprobableetévidente,surprenanteetnécessaire,essentielle…quipourraits’achevercesoirsileschosestournaientmal.Ellessepasserontbien,illefaut.Jenepeuxpaséchouer.Ilyatropdechosesenjeu.Notrevietoutsimplement.

LeyachtvientseglisserlelongduPier17.Jelaissetomberl’ancreetcoupelesmoteursavantdesautersurleportpouryattacherlesamarres.Léoniemeregardefaire.Elleprofitecommemoidesdernièressecondes.Nousnousretrouvonssoudainsurlaterreferme,avantdenousséparerunefoisencorepourenfiniravecladrôled’histoirequiapermisnotrerencontreetquidoitseclorepourquenouspuissionspoursuivrelanôtre.

– Tu feras attention à toi James Bond. Les méchants sont vraiment méchants. Ce n’est pas ducinéma. Et puis… je ne serai pas là pour te sortir du pétrin puisque 007 n’a pas voulu queMoneypennysejoigneàlasauterie…

–Ilest toujoursplussûrqueMoneypennyresteà l’abripourprotéger lesarrières.Net’inquiètepas ; ça va être une simple promenade.Onva les rouler dans la farine et se débarrasser d’eux enmoinsdetempsqu’ilnefautàJennypourouvriretfermerlapoussettemagique.

La tendresse qui nous inonde à ce moment-là est le symbole de notre amour et de notreconnivence.Nousnousembrassonstendrement.J’ail’impressionquenousnousconnaissonsdepuistoujoursetqueçanepourrajamaiss’arrêter.

–Ettoi,quevas-tufaireenattendantlafindemamission?– Je vaisme promener avecZoé et lamoufette en laisse. Enfin…c’est lamoufette qui sera en

laisse,hein!Zoé,elle,seradanssapoussettemagiquejustement…

Jesouris.

–Etpuisj’airendez-vousavecEva.J’aienviequ’onseconnaissemieux.–Jesais.

Etjesaisaussiqu’elleveutmedirequelquechoseàproposd’Henry.Çaattendraquetoutsoitplus

calme.

–Bon.–Bon.–Jecroisqu’ilfautqu’onyaillemaintenant.–Oui.–Tum’appellesdèsquetoutestfini.–Biensûr!Etjecoursterejoindre.–Etonferal’amourcommedesbêtes?–Commed’habitude!Jenevoispasquoifaired’autre.–Alorsdépêche-toi,tudevraisdéjàêtrerevenu!

J’embrasseLéonieetcommenceàpartir,àreculons,jusqu’àcequenosmainssedétachent.Jesensqu’elleestinquiète,maisqu’elleseretientdemeledirepourmelaisseragir.Saconfiancemeporte.Jem’éloigneenfin.Sonregardsuitmondépart,colléàmondos.Jemeretourneunedernièrefoisavantdedisparaîtreauboutduport.Elleest toujours là,n’apasbougé.Nousnousvoyonsencoredistinctement.J’articulepourqu’ellelisesurmeslèvres:

–JET’AI-ME.

Ellemesouritetjelissurlessiennes:

–MOIAU-SSI.

Nous nous faisons un dernier signe de la main, et je pars aussi vite que je le peux, sans meretourner, rejoindreHenryetAkiraà l’hôtel.Lecompteà reboursacommencé.Quand je reverraiLéonie,nousseronsenfinlibres.

***

–Toutestprêt?–Oui,c’estbon.L’équipeestenroutepoursécuriser lecoin.Ilsn’attendentplusquenouset les

ordres.

Les choses dangereuses ont commencé.Nous avons prévenu les anciens amis deMary par sonbiais.Le rendez-vous est fixé.Tous les gars de l’équipe de sécurité sont sur le coup, envoyés parHenry.NoussommesdevantlePlazzaentrainderentrerdanslavoiturepourrejoindreCentralPark,quandMarydébarqueàl’improviste.J’auraisdûprévoirqu’elleprépareraituntruccommeça.Henryl’aperçoitetsetourneversmoi,tenduetinquietdevoirtoutelapréparationvolerenéclats.Akiralafixe,impénétrable,commesisonarrivéen’avaitpasplusd’importancequel’atterrissaged’unpigeonsuruntoitnew-yorkais.Quantàmoi,jetentedenepasm’énerver.

–Décidément,onnepeutpastefaireconfiance.Ilmesemblaitqu’ons’étaitmisd’accordpourqueturestesàl’écart,non?

–C’estsurtouttoiquiétaisd’accord!–Onn’aplusletempsdepolémiquer,Mary.Turesteslàetpuisc’esttout.

–Jenepensepas.

Henry se retourne vers la voiture et pose les mains sur le toit, comme pour se calmer ens’appuyant sur quelque chose de solide au moment où tout risque de basculer. Akira tente deraisonnerMaryàsamanière:

–Quand laballe est lancée, il n’estpasprudentd’interrompre sa course avantde connaître sonpointd’arrivée.

Jenesuispascertainquecesoitlesummumdelapertinence.Maryn’apascillé.

–MerciAkira,maisjepensequevotresentencen’apasvraimentébranléladécisiondemasœur.Nousallonssimplementl’empêcherdemonterdanscettevoiture;ceseraplussimple.

Henryfaitvolte-face,décidéluiaussiàutiliserlaforces’illefaut.

–Jenem’adressaispasàvotresœur,M.Franklin.

J’aiunmomentdedouteavantdesaisircequeveutmedireAkira,puisfixeMarydansl’attentedelasuite.Visiblement,leninja,commel’appelleLéonie,acomprisquelquechosequinousaéchappé.

–Pourquoies-tusisûrequetuvasmonterdanscettevoitureavecnous,Mary?

Ellemesourit,vaguementtriomphante,certainequesonargumentvaêtreimparable:

–Thaddeusaacceptélerendez-vousuniquementparcequejeluiaiditquejeseraislà,aveclaclef.Sansmoi,ilnesepasserarien.

Sonargumentesteffectivementimparable.

–Tunousasdoublés,quoi!–Neleprendspascommeça,Jesse.Toutcequ’ils’estpasséestdemafaute.Jenepeuxpasvous

laisser prendre tous les risques sans en courir aussi, et je connais ces types. Ils n’auraient jamaisacceptélarencontresijen’avaispasétélà.C’estaussi…surtout,unehistoireentreeuxetmoi.

Henrymonteàl’arrièredelavoiture,sansunmot.Latensionestàsoncomble.JeregardeAkira.Sonvisageestdemarbre.Ilnebougepasuncil.J’aipourtantlavisionnetteetprécisequ’ilhochelatêtepourmedired’approuverladécisiondeMary,avantqu’ilseglissesubitementàcôtéd’Henry.

C’estuneimagesubliminaleouilm’avraimentfaitunsigne?

Jemeretrouveseul,faceàmasœur.L’affrontementestsilencieuxmaisréel.Nousn’avonsplusdetempsàperdre,etpourtantnousperdonsdeprécieuses secondesdesilence.Ellemepasse soudaindevantetvas’asseoir,elleaussi,danslavoiture,àl’avant,côtépassager.Nousn’avonspaséchangéuneparole.Jefaisletourdelavoitureetmemetsauvolant.Jedémarre.Noussommesenroutepourlerendez-vous.

***

Jem’arrête quelques dizaines demètres avant le lieu choisi pour la rencontre afin de déposerHenry et Akira, qui descendent de la voiture, toujours silencieux. Ils vont rejoindre les gars del’équipedesécuritéetsepositionnerensurveillanceaveceux.Levoyages’estdéroulésansqu’aucundenousn’ouvrelabouche,etlafindutrajetn’estpasplusloquaceentremasœuretmoi.

Jemegaredevantl’entréequidonnesurlebassinauxbateauxminiatures,etnoussortonsànotretour de la voiture. Je n’ai pas envie de parler. J’en veux àMary et, enmême temps, j’admire soncourage.Quelquepart, j’approuveaussisadécisioncarjesaisqu’ellearaison.Ellenepouvaitpasfaireunautrechoix.Ilmemetenporte-à-faux,mais,oui,elleavaitbesoinderéparerseserreurs.Etpuis,d’unecertainemanière,c’estunefaçoncommeuneautredenousretrouvervraiment:affronterenfin les choses ensemble alors que nous avons fui chacun de notre côté depuis la mort de nosparents.Cettefois,aucundenousdeuxn’abandonneral’autre,quitteàtoutperdredéfinitivement.

Nousavançonsverslebassin.Ilyapeudemonde,justequelquesclientsàlacafétériaquidonnesur le point d’eau. Je cherche des yeux Henry et Akira, tente de repérer le reste de l’équipe etd’apercevoirnosennemis.Marymarcheàmescôtés,aumêmepas,puissefigesoudain.

–Jesse.

Jemetourneverselle.Lastupeuretlacrainteselisentsursonvisage.Jeregardeàmontourverslepointqu’ellefixeaveceffroi.C’estunetabledelacafétéria,unpeuisolée,souslesarbres.Iln’yaquedeuxpersonnesattablées.Deuxpersonnesavecàleurcôtéunepoussetteetundrôled’animalenlaisse. Mon cerveau met quelque temps à me fournir l’information complète tant je refuse decomprendre ce que je vois. J’y suis obligé lorsque les deux personnes m’aperçoivent aussi et serendentcomptedecequ’ilestentraindesepasser.Sanslesavoir,cellesquin’auraientjamaisdûsetrouverlàontdécidédeboireunverreàl’endroitexactoùnousavonsdonnérendez-vousànospiresennemis.Eva,LéonieetZoé.

Ilestpeut-êtreencoretempsqu’elless’enfuient.

–Thaddeus…Pablo…Jonathan.

Maryvientdenommerlestroisorduresquis’asseyentcalmementàlatabledeLéonieaprèsêtresortiesdenullepart.Ilsnousregardent.CeluiquidoitêtrePabloouvreostensiblementunpandesavestepournousmontrerqu’ilestarmé.Unobservateurextérieurneremarqueraitmêmepasqu’undramesejoueici.Jenepeuxpasdétachermonregarddelafemmequej’aime.Ilesttroptardpours’échapper.Jen’aipasd’autrechoixqued’allerm’asseoiràcettetableàmontourpourtenterletoutpourletout…etgagner.

***

Nous sommes désormais tous assis autour de la table comme une petite bande qui aurait seshabitudesici,maisl’après-midin’estpasfestive.J’ailesentimentdésagréabled’êtretombédansmonproprepiège.Enapprochantde la table, j’ai aperçuHenryetAkiraendifficultéde l’autrecôtédu

bassin,entourésparquelquessbires.Ilsembleraitqueles«hackers»soientplusnombreuxqueprévuetbienmieuxorganisésquecequel’onpensait.MêmenosarrièresnesontplusunrefugepossibleetLéonie est piégée, comme nous tous ! Je lui jette des regards furtifs. Elle tient le choc avec uncourage sans faille.Ondiraitque,pourelle, les troispetitsgangstersà lamanqueneméritentquedédainetmépris.Maryestégalementétrangementcalme.Jesaisqu’ellesnecraquerontpas.

Lebalcommenceetc’estThaddeusquil’ouvre:

–Ondiraitquenoussommesenpositiondeforcecettefois,non?Onnevousentendpasfairelesfiers.

–Pasbesoin,vousêtestellementminables.

Léonien’apaspus’enempêcher.J’aivuThaddeustiqueretMaryesquisserunsourire.Evaresteenretrait,maissereine.Entoutcas,c’estl’imagequ’elledonne!

–Bien ! Jevoisqu’ilyades indécrottables. Ilvautmieuxparleravecdesgenssérieux.Donne-nouslaclef,Mary.

Jetenteunpetitbluff:

–Vousn’êtespastantqueçaenpositiondeforce.Noussommesdansunlieupublicoùonnefaitpasn’importequoiet j’aideshommesàmoidansleparc.Ceseraitpeut-êtreplussagedediscutercalmement.

–Voshommesnesontpastrèsdiscretsetilssonthorsd’étatdenuiredepuisdéjàpasmaldetemps.Quantàvotrelieupublic…c’estvousquil’avezchoisi…Regardezautourdevous,iln’yapersonneici.Parcontre,nous,noussommeslà,armés.Etpuisilyaunbébé.C’estfragileunbébé…

–Salauds!J’espèrequevotremèreestdéjàmorte,qu’ellen’apprennejamaiscequevousvenezdedire.

Cettefois,c’estEvaquin’apaspuseretenir.

–Nevousoccupezpasdemamère.

IlsetourneversMary.

–Laclef.

Marylefixe,fouilledanssapocheetposeuneclefUSBsurlatable.Lesdeuxautress’agitentsurleursiège,certainsdetoucherbientôtleGraal,maisThaddeusn’esquissemêmepasungeste.

–Mary…j’aimebienjoueraussi…maislà,jefatigue.Jeveuxlaclef,lavraie.

JeregardeMary.Ellenousadoublésetelleessaiedelesdoubleraussi.J’admiresonsang-froid,maisilvafalloirnoussortirdelà.Jecommenceàréfléchiràlaconfigurationdelatable.

Est-cequej’auraisletempsdelafairevolercontreeuxsansblesserlesautres?Oui,maisaprès?

Thaddeusreprend:

–Oùestlaclef,Mary?–Cherche…–Trèsdrôle.

ThaddeusjetteunœilàZoéensoupirantetfaisantminedeseleverpoursedirigerverselle.

–OK!OK!Paslapeinedejouerlestortionnaires,Thaddeus.Laclefestdanslamoufette.

L’annoncedeMaryglacetoutlemonde,entredégoûtetincrédulité.CeluiquidoitêtrePablon’enrevientpas:

–Nonmais…tuluiasglisséçadansle…– Toujours aussi vif Pablo ! Non, je lui ai fait avaler dans un sachet. Un truc de narco ! Par

contre…ellevalaressortirparoùtupenses.Petitcadeau!

À la vue de la tête que font les trois, Léonie etEva ne peuvent se retenir de pouffermalgré lasituation. J’avoue que j’ai du mal à retenir un sourire. Thaddeus apprécie moyennement, trèsmoyennement.

–Jevois…J’éventreraisbienlabêteici,histoiredevouscalmeretpourenfinirvite,maisonvafaireçatranquillement,aucalme.Passeulstoutdemême.Pablo?Jonathan?

Àl’appeldeleurnom,lesdeuxacolytesselèvent,commeprogrammés.PabloattrapelapoussettedeZoéetJonathanprendLéoniepar lebras.S’il lui faitmal, jenerépondsplusdemesréactions,maisLéoniemefaitunsignediscretpourmediredenepasagirtoutdesuite.Thaddeussesaisitdelamoufette.

–Onvapartirtranquillementavecl’enfant,lafurieetlabestiole.Voustrois,vousnebougezpas.Onvouspréviendraquandonseraensécuritéetquevouspourrezrécupérervos«amies».Enfin,necomptezpastropsurlamoufette…Jen’aipasenviedesurveillersontransit.Onferapluscourt,maissiçavousintéresse,onvousrendralesmorceaux.Çadoitbiensemangercetruc-là…

Jelesvoiss’éloigneretjenepeuxrienfaire.MaryetEvasontrestées,tétanisées.Pourl’instant,jen’aipasd’autrechoixqued’attendreetdevoirlafemmequej’aimeemportéepardesbrutesetmanièceendanger.

Jelesretrouverai.Ilsontgagnéunebataillemaispaslaguerre!

J’ensuislàdemesruminationsquandlamoufette,quin’apasl’aird’apprécierd’êtretenuedanslesbrasdeThaddeus,commenceàgigoter,sedébattre.Ondiraitmêmequ’elleessaiedemordre.Entoutcas,Thaddeusperdlecontrôledelasituationetnelaretientpasassez.Lamoufetteluigrimpesurlatête,semblearracherquelquescheveuxaupassage,puissejettesurlesoletdétaleàtoutevitesseverslesarbres.

–NomdeDieu!C’estlamoufettequivasauverlasituation.

Eva,Mary etmoi nous levons d’un coup. Pendant une fraction de seconde, les trois types nousregardentet semblenthésiter,puis ils lâchentLéonieetZoéet seprécipitent après lamoufette,quisemblepropulséeàunevitessesupersoniqueverslesbroussaillesoùonnepeutquelaperdre.Léonien’attendpasunesecondepouragripperlapoussettedeZoéetcourirversnous.Jemedirigeverselleàtoutevitesseenpoursuivantnosagresseursetjem’arrêtepourlaprendredansmesbras.

–Çava?–Oui.Onn’arien.Rattrape-lesetramène-moileurpeau.C’esteuxqu’onvabouffer.–Avecplaisir!

Jeluisourisetrelèvelatêtepourcontinuerlapoursuite,maisleschosesontchangésurleterrain.Nousnesommesplusseuls.Destypesarmésseprécipitentversnous.Ilensortdepartout.JecroisreconnaîtreceuxquiretenaientAkiraetHenrytoutàl’heure.Ilvafalloirsebattre.Jepeuxaumoinsessayer de les retenir et laisser le temps à Léonie et aux autres de s’enfuir. Je me retourne versLéonie.

–Sauve-toiviteetvatemettreàl’abriavecZoé.

JeregardeMaryetEvaquis’approchaientpournousrejoindre.

–Sauvez-vous!Partez!

Etjemeprécipiteversleshommesquidéboulent.

Jevaisaumoinslesretenir,maissicestypesutilisentleursarmes,jesuismort.Sauve-toiLéonie,sauve-toi ! Je t’aime. Nous nous retrouverons quoi qu’il arrive, je te le promets. Nous nousretrouverons.

Àsuivre,nemanquezpasleprochainépisode.

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