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JulietteDuval

TOUTÇA,C’ESTLAFAUTEDUCHAT!

Volume3

ZRED_003

1.Caféettractations

Enfoncéedanslecanapé,j'attendslesexplications:qu'est-cequipeutbienjustifierlaprésencededizainesdejournalistesdevantlesportesdeParadise?

– Euh, bon, commence Jason en empilant des sucres pour s'occuper les mains. Tu connaisDorotheaLewis?

–Jedevrais?–Ehbien,situvasdetempsentempsaucinéma,oui.

Uneactrice.Pourquoinesuis-jepasétonnée?L'endogamiefonctionnebiendansleshow-biz.

–ElleatournédansUnjour,peut-être.–Ah.

Jeneretiensjamaislesnomsdesacteurs,c'estterrible.Enrevanche,jemesouvienstrèsbiendeson visage. Une sorte d'Audrey Hepburn moderne…Magnifique. Un rêve de photographe. Et uncauchemarpourunepetiteamie.

MêmesijenesuispasvraimentlapetiteamiedeJason.

–Etdonc,lesjournalistespensentquevousêtesensemble,parceque…?–C'estuncoupmarketing.

Bim,lapyramidedesucress'effondred'uncoup.Jasonlacontemplecommesielleluienvoulaitpersonnellement.

–Elledoit tournerdansunenouvelle sériebaséeàSanFrancisco.Unedenoschansons servirad'ailleursdegénériqueàcelle-ci.Nosproducteursontdoncpenséquec'étaitunebonnechosequ'onnousvoieensemble.

–Admettons.Doncvousavezprislethé…–Dîné,enfait.Etilyaeuquelquesphotos…Enfin,tusaisqu'onpeutinterpréterunephotodela

façonqu'onveut.

Vrai.Jemedemanded'ailleurspourquoi,àl'heuredePhotoshop,ilexisteencoredespaparazzis.Unbonmontageàl'aided'imagesd'archivesetletourestjoué.Ilparaîtquecertainsjournauxfloutentvolontairementleursclichéspourleurdonnerl'aspect«prissurlevif».

–…EttuaslaisséentendrequeDorotheaétaitplusqu'uneamie,c'estça?– Pas du tout. Au contraire, j'ai dit que j'avais déjà une petite amie. Mon manager était furax.

Seulementça,évidemment,personnenel'aretenu.

Certes. « Je me tape la cat-sitter », ça fait tout de suite moins glamour que « J'ai une liaisonsecrèteavecl'actriceenvoguedumoment».

Jasonaoptépourlamurailledesucres.Ceux-ciformentunrempartdéfensifdevantsatasse.

–Etqu'est-cequetuvasfaire,alors?–Ehbien,jemedisaisquenouspourrionssortir,quejeteprésenteofficiellementàlapressepour

fairetairelarumeur.–Quoi?

Jemelèvesivitequejemanquederenverserlatablebasse.Lamurailledesucresvacille.

–Ducalme!lanceJasonenlevantlesmains,unsourirecanailleauxlèvres.Jeplaisantais.

Ouais.Aveclui,onnesaitjamais.

Jemerassiedsàcontrecœur.

–Jenetrouvepasçadrôle.–Net'inquiètepas.Ilsfinirontbienparselasser.–Situledis…Enfait,j'étaisvenuepourtoutautrechose,àlabase.–Vraiment?

Jasonm'adresseunclind’œilcoquin.Lafangirlenmoifondcommeunsucredansunetassedecafébrûlant.Jemeraidis,jambesserrées,dosdroit.

Nepasmelaisserdéconcentrer.

–J'aienfintrouvél'adressedetamystérieusevictime.–Quoi?

Jasonseredresse,passantenunclind’œildumode«flirt»àuneattitudemortellementsérieuse.

–Commentça?

JeluirelatemarencontrefortuiteavecKarenetlafaçondontjeluiaisoutirélesinformations.Ilbroiemachinalementunsucreentresesdoigts.

–Tuvasyaller,alors?–C'étaitleplan,non?–Jeviensavectoi.–Quoi?Tunepeuxpas,elletereconnaîtraitimmédiatement!–Rienneditqu'elleestfandugroupe.Etpuisjemedéguiserai.–C'estça.Tuenfilerastoncostumedecitrouillepourluidemanderunbonbonouunsort?

Unnouveausucresubitlesortdupremier.Jasons'essuienerveusementlesdoigts.

–C'esttropdélicat.Jedoiscontrôler…–MonsieurSky,vousavezdelavisite.

Nous levons la tête avec un bel ensemble sur un Nelson aussi sombre et imperturbable que

d'habitude.

–J'avaisditdenelaisserentrerpersonne!–Votrefrère,Monsieur.Et…

Miranda fait irruption dans le salon sans lui laisser le temps de finir. Elle est suivie d'un jeunehommeblondquiluiressembleassezpourlaissersupposerunliendeparenté.

Commentont-ils faitpourentrer? Ilsont forcé lebarragedepaparazzis?Lavache, il fautêtresacrémentmotivé!

–Miranda,constatefroidementJason.Detouslesmomentsmalchoisis…–Jaz,intervientlejeunehomme.Écoute-laaumoins.–Àmoinsquetun'aiesaucontraireprécisémentcalculétoncoup?Lamèrerendantvisiteaufils

prodigue,jevoisd'icilestitresdestabloïds.

Miranda prend une inspiration saccadée. Les ailes de son nez, pincées et blanchies, trahissent àellesseulessacolère.Ellebalaielesalonduregardet,commeilfallaits'yattendre,s'arrêtesurmoi.

–Mademoiselle.Enquellequalitéêtes-vousprésente,aujourd'hui?–Décoratriced'intérieur.

C'est vrai, j'ai passémesdernières soirées à fantasmer à partir des plansprêtés parNelson.Onpourrait faire de Paradise un endroit extraordinaire. Admettons que j'aie un budget illimité et untempsinfini…

Çava,toutlemondealedroitderêver.

Ilsepeutmêmequej'aieeffectuéquelquessimulationssurmonordinateur.Justepourmerendrecompte.Jen'aiencorerienmontréàJason,maisj'ypense!

–Ilestvraiquecetendroitenagrandbesoin,approuvelejeunehommeblondavecunsourireencoin.

Ilauraitpresquel'airsympathique.Maisprudence,j'ignoreencoredansquelcampiljoue.

–Vousdevriezvoirnotremaisonfamiliale,ajoute-t-il.C'estl'unedesplusanciennesetplusbellespropriétésdeSanFrancisco.

Tiens?Jasonl'avaitsoigneusementomisedanssalisted'endroitsàvisiter.

Laphotographeenmois'agite.Parréflexe,jevérifielaprésencedeRobertàmescôtés.Biensûr,j'aidéjà assezdematièrepour l'exposition,mais… ilpiquemacuriosité. Jason se renfrogne,brascroiséssurlapoitrine,lèvrespincées.

–Tudevraisavoirhonted'exploitertonfilscadet,dit-ilàMiranda.–C'estluiquiaproposé,sedéfendcelle-ci.Ilsouffredelasituation,toutcommenous.

Pourquelqu'unquisouffre,jetrouvel'intéressésingulièrementdétendu.Ils'estassisàunboutducanapépourreprendrelespyramidesencubesdesucre.Passionfamiliale?Entredeuxbriques,ilmelancedessouriresaimables.Paslegenre«Salutbeauté,qu'est-cequetufaiscesoir?»,maisplutôt«Soyonsalliésenzonedeconflit».

–Brian?insisteJason.

L'interpellébrossedesgrainsdesucredesesdoigts.

– Eh bien, le temps est peut-être venu d'enterrer la hache de guerre. Celam'évitera de prendrequinzekilosparcequejedéjeunelesamedichezmamanetledimancheavectoi.LeCastleprépareunfabuleuxhashbrown,mais tout lemonden'apas lachancedemangercommedix sansprendreungramme.

Etenplusilaimelehashbrown.Cethommem'estdeplusenplussympathique.

Jasonesquisseunsourireviteétoufféderrièresonpoing.

–Danscecas,réunissons-nousdansunlieupublic.Ainsi,Mirandapourracontinueràmontrerauxtabloïdsquellefamilleunienousformons.

–Maistonamiemeurtd'enviededécouvrirlamaisondeRedwoods,plaideBriandansuneffortlouablepourignorerl'aciditédupropos.

Jasonseretourneversmoi.Sonvisages'adoucitetunvéritablesourires'épanouitsurseslèvres.Par-dessussonépaule,j'observeMirandasecrisper,puissedétendre.Ellemedétestesansdoute,maisellevientderéaliser,commesoncadet,qu'ellepouvaitm'utiliseràsonprofit.

Jedétesteça.

Jem'empressederemettrelespendulesàl'heure.

–Oh,pasàcepoint.J'aidéjàsuffisammentdeclichéspourl'exposition.–L'exposition?relèveBrian.–Kimestphotographe.Elleprépareuneexposition sur lesvieillesdemeuresdeSanFrancisco,

expliqueJasonavecunepointedefierté.

Serend-ilcomptequ'iltendlesclouspoursoncercueil?

Mirandasaisitaussitôtlaballeaubond.

–AlorsvousdevezabsolumentveniràRedwoods!Vousnepouvezpasmonteruneexpositionenignorantlefleurondel'architecturedelaville.

Cen'estpaslamodestiequil'étouffe...

La plaidoirie est interrompue par le retour de Nelson, porteur d'une immense cafetière et d'unplateaudecookiesà lapistachesansgluten.Jasonposeunemainsurmongenouetm'interrogedu

regard. Est-ce que je veux aller à Redwoods ? Je cligne des paupières, incertaine. Il ne peut pasprendresadécisionenfonctiondemeschoix,c'eststressant!Etpuisils'agitdesafamille,aprèstout.

– Admettons que nous envisagions une visite, commence-t-il… Je ne veux pas croiser James.Jamais.

–Viensundimanche,proposeaussitôtMiranda.Ilpasselajournéeauclubdegolf.–Jen'aijamaiscompriscequ'onpouvaittrouverdepassionnantàpousseruneballedansuntrou,

soupireBrian.–Justepourlecafé,alors,négocieJason.Jemelèvetardledimanche,jen'auraipasfaimàmidi.–Tun’asvisiblementpasceproblèmequandtudéjeunesauCastleavectonfrère,relèveMiranda

d’untonpincé.–Leurhashbrownsemangesansfaim.C’estàprendreouàlaisser.

Sijecomprendsbien,jesersdeprétexteauxretrouvailles,maispersonnenemedemandemonavis.

Je trempeuncookiedansmoncafé, songeuse.End'autrescirconstances, j'auraisdéjà trouvéunprétexte pourm'échapper.Mais il s'agit de Jason, et puis à la façon dont ils parlent deRedwoods,toutefiertéfamilialemiseàpart,j'ail'impressionqueçapourraitbienvaloirlecoup.

–Pèreatoujoursrefuséquelapressepubliedesphotosdelapropriété,meconfieBriantandisqueles deux autres en sont à négocier les minutes. Vous disposerez de clichés inédits pour votreexposition.

–Nerisque-t-ilpasdes'yopposer,s'ils'enaperçoit?–Mèrevousadonnésonautorisation.Celasuffit.–Mmm.Enréalité,vousespérezqu'ilneviendrajamaisàmonexposition,n'est-cepas?

Brianéclatederire.

–Touché,lance-t-ilenfrançais.Alors,viendrez-vous?

Jemordsdans lecookiepour laisseràJason le loisirderépondre.Après tout, jenesuisqu'unepauvreotagedansunepartiedontlesenjeuxmedépassent.Jasonposeunemainsurmongenou.

Àmonavis,l'excusedelacat-sitteretmêmecelledeladécoratriceontfaitlongfeu.

–Justeuneheure,accorde-t-ildemauvaisegrâce.Nousavonstousdeuxdesemploisdutempstrèschargés.

–Nousaussi,s'empressedesoulignerMiranda.Jedoisorganiserlegaladecharitédelaparoisseettonfrèretravailledur.

Ellen'apasdit«contrairementàtoi»,maislesous-entenduplanesurlapièceaveclalégèretéd'unAirbus.Dansuneffortlouablepourallégerlatension,Brians'exclame:

–Cescookiessontdélicieux!Oùlesachètes-tu?–C'estBerenice,lacuisinière,quilesprépare.–Situm'enapportesuneboîtedimanche,jeterendraipeut-êtretacollectiondepetitesvoituresde

luxe…

–Jesavaisquec'étaittoiquilesavaisprises!s'exclameJason,faussementindigné.

Ils'entenddetouteévidencebienmieuxavecsonfrèrequ'avecsesparents.Unenostalgiefamilièremeserrelecœur.Sij'avaiseuunesœur…Maisj'enaipresqueeuune,àunecertainepériodedemavie,etl'expériences'esttrèsmalterminée.

–Nestor,appelleMiranda,pouvez-vousnousdiresilesphotographesontlibéréleslieux?–C'estNelson,rectifié-je.

Ellemetoisecommesij'avaisproféréuneinsanité.Jason,lui,accentuesacaressesurmongenou.Jefrissonne,toujoursaussisensibleàsoncontact.

Jemedemandesicetteaddictionpasseraunjour.

–Nousallonspeut-êtredevoirpasserlanuitici…commenceMiranda.

Pourtouteréponse,Jasonmeserrecontrelui,sonautremainsurmanuque.Lesfrissonssefontvaguesdechaleur.Jem'efforcederespirerparlenezetdecalmermeshormonesenébullition.

– Pas question ! s'exclameBrian. J'ai encore une présentation à boucler pour demain. Tu avaispromisqueçaneprendraitpaslongtemps.

–J'ignoraisqu'ilyauraitautantdejournalistes,plaideMiranda.Àquelpropos,d'ailleurs?–Laviederockstar,répondJasonavecungesteévasif.Jevaisprévenirlasécuritédevouslaisser

passer.

Àpeines'est-iléloignéqueMirandasetourneversmoi.

–Cetteinvitationesttrèsimportanteàmesyeux.Jevoussauraisgréd'entenircompte.

Que s'imagine-t-elle ? Que je vais distraire Jason de son devoir filial dès qu'elle aura le dostourné?Jeluiadresseunsourirepleindedents:

–J'aihâtedevisiterRedwoods.–Jejoueraivolontierslesguides,indiqueBrian.

AinsiMirandapourraparlerenprivéàsonaîné.Bienjoué.

–Nousverrons,dis-jesansmecompromettre.

SiJasonréclamemaprésence,ilalapriorité.J'ignorecequ'ilattenddecettevisite,maisquoiqu'ilarrive,jelesoutiendrai.

–Àtrèsbientôt,alors,dit-ilens'inclinantlégèrementpourmesaluer.–Àbientôt,grogneJasonenmeretenantparlataille.

Soitilestjaloux(desonfrère!?),soitilm'utilisecommeboucliercontrelestentativesd'étreintestentaculairesdeMiranda.Laported'entrées'estàpeinereferméequ'ilsetourneversmoi.

–Uneheure,c'estlemaximumsupportable.Enattendant,toi,turestespourlanuit?

Jenel'avaisabsolumentpasprévu,maismaintenantqu'illepropose,pourquoipas?Enguisederéponse,jepasselesbrasautourdesoncoupourl'embrasser.Seslèvresdoucesontencorelasaveurducafé.Jeleslèche,puislesmordille…

–Pourrappel,indiquelavoixdistinguéedeNelson,leschambressontaupremierétage.

J'échangeun regard avec Jason, puis nous éclatonsde rire.Un rire irrépressible, libérateur destensionsdesderniersjours.

–Allonsaupremierétage,donc,proposeJasonentredeuxaccèsd'hilarité.

Bonne idée.D'iciquenousarrivionsàsachambre, lacrisede fourireseseradissipée.Etnouspourronsnouslivreràtoutessortesd'activitésquesamèreréprouveraitàcoupsûr.

2.Entredeuxchaises

–Aufait,quesepasse-t-ilentreJulianetTallulah?

Etellesortd'où,cettequestion?

Jeregardelepaysagedéfileràtraverslavitre.Aujourd'hui,nousprofitonsd'unevéritablevoituredeluxe(nemedemandezpaslamarque,jenelesretiensjamais,maisjenotel'espace,lessiègesencuir,lepare-brisepanoramiqueetlesmilleetunaccessoirescensésnousfaciliterlavie).Histoire,jesuppose,denepas tropcontrasterdans ledécor.Lequartier respire laclasse, le luxeet lesvigilesprivés,àenjugerparl'absenceapparentedetoutpaparazzi.

–Tudevraislesavoirmieuxquemoi.Julianesttonami.–EtTallulahlatienne.

Elles’autoproclamemameilleureamie,nuance.Celanesignifiepasnécessairementqu'ellelesoit.

–TuconnaisJuliandepuispluslongtemps.–Maislesfillessontplusbavardes.–Sicen'estpasuncliché,ça!

Bon, d'accord, dans le cas deTallulah, c'estmêmeun euphémisme.Mais ce n'est pasune raisonpourmettretoutlemondedanslemêmesac!

–C'estunfaitscientifique,affirmeJasonavecassurance.–Donc,tunediscutesjamaisdetesaventuresavectesamis?

Jasonmecouleunregardencoinavantdeposerunemainpossessivesurmacuisse.Jelerepoussed’unepichenette.

–Concentre-toisurlaconduite,s'ilteplaît.Jenecroispasquelatechnologiedecettevoitureaillejusqu'àlafairesedirigertouteseule.

–Tun'espasune«aventure».

C'estpourtantcequenousavionsconclu.

MaisjeconnaisassezJason,àprésent,pournepasmejetersurlechiffonrougequ'ilagitesousmonnez.Àlaplace,jeréponds:

–Jecroisqu'ilss'entendentbien.

Enfin,si«biens'entendre»signifie«selivreràtoutessortesdepratiquessexuellesquej'auraispréférécontinuerd'ignorer».

Enfait,Jasonapresqueraison(mêmesijeneleluidiraijamais):Tallulahesttropbavarde.Jen'airien contre Julian, au contraire, mais je me passerais de certains détails intimes, au contraire deViolet,quienredemande(sielleattendquejeluidévoilecegenredechosesausujetdeJason,ellerisquedesedesséchersurplace).

–C'estplusqu'uneaventure,tupenses?–Jen'ensaisrien!Etpuisçanenousregardepas.–Cesontnosamis:çanousregardedoncenpartie.–OncroiraitentendreViolet.

LamâchoiredeJasonsecontracte,salèvreinférieureressortcommecelled'unenfantboudeur:laremarquel'avexé.Jemeretienspournepasrire.Etj'étouffelapetitevoixqui,dufondd'unezonenonidentifiéedemoncerveau,s'extasie:«Ilesttropmignon!»SijedisaisàJasonqu'ilestmignon,par-dessuslemarché,ilmeferaitlatêtependantaumoins…dixminutes?Ilestincapablederesterlongtempsfâché.Enfin,saufenverssesparents.

Il enlève samain dema cuisse pour prendre un virage serré. Notre véhicule s'engage sur unecornicheformantunbalconau-dessusdelabaiedeSanFrancisco.Unpâlesoleild'hiverdiffuseunelumière douce sur le paysage. Robert saute de lui-même dans mes mains ; j'ouvre la vitre pourprendredesclichés.

–Redwoods,m'indiqueJasonenpointantl'indexdroitdevantnous.

La route s'achève en cul-de-sac devant une immense grille blanche. Au-dessus de celle-ci, unepancarteenboisrouge,trèswestern,affichelenomdelapropriété.

–C'estlàquetuasgrandi?–Oui…

Despapillonsremuentdansmonestomac.Jen'aipasderacines,pasdeportd'attache.J'aigrandiauxquatrecoinsdelaplanèteetj'ensuisfière.Néanmoins,oupeut-êtreàcausedeça,j'aitoujoursétéfascinée par les gens qui n'ont jamais quitté leur terre natale.Comme s'ils détenaient une sorte desagesse qui m'échappe. Jason annonce notre arrivée dans l'interphone pendant que je contemplel'immensemurblancquiceintlapropriété.

La grille s'ouvre lentement sur une allée pavée de rouge. Le long de celle-ci se dressent desséquoiascentenaires,àenjugerparleurtaille.Jemitrailledeplusbelle.Cesarbresontunehistoire.La propriété sans doute aussi. J'aperçois un empilement de rochers entre deux troncs, de l'eau quicoule.Unécureuildétaleànotrepassage.

–Tacartemémoireserapleineavantquenousn'arrivionsàlamaison,plaisanteJason.–Pasgrave,j'enaideuxautres.–Quellefilleprévoyante.

La lente caresse de ses doigts surma cuisseme distraitmomentanément.Malgré l'air frais quis'engouffreparmafenêtreouverte,j'aisoudaintropchaud.

–Quelletaillefaitleparc,aujuste?– Je l'ignore. C'est grand. Enfant, je pouvais m'y perdre des après-midi entiers. À mon avis,

certainsendroitsn'ontjamaisvupasserunjardinier.–C'esttrèsdifférentdeParadise.–Etpourquoiaurais-jevouluacquérirunecopiedecetendroit?Jen'yaipasprécisémentdebons

souvenirs,tusais.

Oups,j'aiperduuneoccasiondemetaire.

–Désolée,jepensaisàl'exposition.

Jasonfaitsemblantdemecroire.

– C'est bien pour ça que j'ai accepté de venir, explique-t-il. Au moins, tu auras un panoramacompletdesarchitectureslocales.

–Merci.

Cettefois,c'estàmoidefairesemblantdecroirequ'ilnevientquepourmoi.Nousdevenonstrèsfortsàcepetitjeu.Aprèsavoirroulécequimesembleuneéternité,nousparvenonsenfinenvuedubâtiment.Desbâtiments,plutôt :derrièrelecorpsdelogisprincipalsedresseunerangéedepetitesbâtissescolléeslesunesauxautres.Surladroite,unimmensehangarautoitrecouvertdetuilesplates.

– Le garage, m'indique Jason. La dernière fois que j'ai vérifié, il contenait une vingtaine debolides.Jamescroitfermementquelacylindréedetavoituredéfinit tapositionsociale.Ilenaunepourchaqueoccasion.

–Impressionnant.–Ridicule.

Ilestvraiquedesoncôté,ilsemblepeusesoucierdecequ'ilconduit.LaseulevoituregaréeenpermanenceàParadiseest levieuxtacotqu'ilutilisequandilveutpasser incognito.Lesautressontdesvéhiculesdelocation.

–Attends,tuphotographieslegarage?–Pourquoipas?Iladucachet.Ondiraituneanciennegrange.– C'est une ancienne grange. Cet endroit était une propriété agricole au siècle dernier. Les

propriétairessuccessifsontconservélesmurstoutenapportantdesaménagements.

Dontunparkingcouvert,justedevantuneallée,elleaussicouverte,quimèneàlamaison.Certainsnedevaientpasaimersemouiller.Deuxautresvéhicules,ungrosSUVprétentieuxetunpetitbolidemaniable,sontdéjàgarés.CeuxdeBrianetMiranda,jesuppose.

Unejeunefemmehispaniquevêtued'unensemblenoiravectablierblancnousaccueilleàl'entréede l'allée couverte. Bien qu'elle soit aimable et souriante, j'ai une pensée pour Nelson. Son styleinimitablememanquesoudain.

–JevoussouhaitelabienvenueàRedwoods.Sivousvoulezbienmesuivre…

Là,onsecroiraitdansunhôtelcinqétoiles.Jem'étonnequ'unvoituriernesoitpaschargédelavoiture.L'hôtessenousprendnosmanteauxavantdenousconduireausalon.Jesuissoudainheureused'avoir opté pour une robe vintage issue du stock inépuisable de Tallulah plutôt que pour monhabituelensemblepulletjean.

Ici, pas d'interminables couloirs dans lesquels s'égarer. Les volumes sont ouverts aumaximum.Des plantes grimpantes en profitent pour s'épanouir le long desmurs de pierre, sous les grandesverrièresencastréesdansletoit.

Cettefois,jesuisamoureuse.

–Jason,monchéri!lanceMirandaennousvoyantentrer.–Avez-vousfaitbonneroute?s'enquiertBrian,affable.–Toutàfait.Cetendroitestmagnifique!

L'attentiondeMirandasetourneversmoi.Pourlapremièrefoisdepuisnotrerencontre,ellenemedévisagepasd'unairhostile.

–Redwoodsvousplaît?–Beaucoup.C'esttrèsdifférentdecequej'aivisitéjusque-là.

Mon interlocutrice se rengorge. Visiblement, elle possède le même point faible que Violetconcernantsamaison.

–C'estmoi qui l'ai découverte à l'époque, vous savez ?MonDieu, j'étais toute jeunemariée etJames si occupé…Ce n'était qu'une ruine, pouvez-vous imaginer cela ? Plus de toit, la grange àmoitiéeffondrée,leparcrevenuàl'étatsauvage…QuandJamesl'avue,ilaétéhorrifié.Ildisaitqu'ily en aurait pour une fortune et plusieurs années à tout reconstruire. Il n'avait pas tort.Les travauxn'ontprisfinqu'àlanaissancedeBrian,maisçavalaitlecoup,n'est-cepas?

–Complètement.–Désirez-vousvisiter?

Je jetteuncoupd’œil à Jasonpour tâter le terrain.Biensûrque jeveuxvisiter.Réflexion faite,j'auraisdûprendreunecartemémoiredeplus.Cetendroitestjustephénoménal.

–Allez-y,répond-ilenagitantunemaindésinvolte.JevaisboireunverreetdiscuteravecBrian.

Jerêveouilvientdem'abandonnercommeunevieillechaussette?

D'accord, il connaît déjà la maison. Mais qu'est-ce qui me prouve que Miranda ne va pas enprofiter pour me poignarder dans le dos et enterrer mon cadavre au pied de l'une des plantesgrimpantes?Sonsoudainaccèsdebienveillancemeparaîthautementsuspect.Pourcequej'aivududomaine,quelqu'unpourraitdisparaîtreicisanslaisserdetraces.

JemecramponneàRobert.Si ça se trouve, savueva rappelermaprofessionàMirandaet ellechangera d'avis au sujet de l'opportunité d'un tour guidé. Hélas, ma manœuvre se solde par unlamentableéchec.

– Jason m'a dit que vous prépariez une exposition sur les demeures remarquables de SanFrancisco?demandemonhôtesseenmeguidantàtraversleslieux.

–Eneffet.–C'estuneexcellenteidée.Notrepatrimoineimmobilieresttropsouventignoré.Lesgenssefont

uneimagetellementclichédelaville!Dansl'imaginairecollectif,elleresteliéeauFlowerPower.–EtàlaSiliconValley.–Pourtant,j'estimequ'ilestaussiimportantdecultivernosracines,necroyez-vouspas?–Si.Sûrement.– Savez-vous qu'une famille d'ours occupait le terrain, avant notre arrivée ? L'animal

emblématiquedelaCalifornie,sicen'estpasunsignedudestin…

Jem'arrêtepourphotographierune cascadenaturelle installée autourd'uneporte.À l'arrièredemoncrâne,lesplansdeParadisedéfilentenaccéléré.Yaurait-ilmoyende…

Maisnon,Jasonnevoudrajamaisd'unedécorationquirappellepeuouprouRedwoods.Jedoismemontrerpluscréative!

–Jesuisheureusequevoussoyezvenus,lanceMirandaàbrûle-pourpoint.

Ohoh.Jesavaisbienqu'uneembuscadesedissimulaitderrièrel'invitation.

–Jen'ysuispourrien.–Ohsi.Monfilsarefusédemeparlerdurantdesannées.Alorsjenesaispasquellerelationvous

entretenezaujuste,maisvotrearrivéel'aincontestablementadouci.–C'estleretouràSanFrancisco.OulaprésencedeBrian.– Pas de fausse modestie, s'il vous plaît. Vous savez… il est épuisant de me sentir sans cesse

tirailléeentremonmarietmonfils.

Jehochelatêtesansmecompromettre.

Ausecours!Àquelmomentsuis-jepasséedustatutd'ennemiepotentielleàceluideconfidente?

–Jasonn'ajamaisétéunenfantfacile,continueMirandaenmesuivantàpetitspasrapidestandisquejepoursuislavisite.

Jepousseuneporteetdemeurefigéedevantlelagontropicalintérieurquis'offreàmesyeux.D'unreversdemanche,j'essuiel'objectifdeRobert,quis'estembuésousl'effetdelachaleur.

Jeveuxlemême!Unepiscineextérieureestbientropfroide...

–Iln'ena toujours faitqu'à sa tête,poursuitMirandadansmondos.ContrairementàBrian,quiétait un enfant docile. Or mon mari est très strict. Il a des idées bien arrêtées sur l'éducation, larespectabilité…

–Etlamusiquen'estpasunecarrièrerespectableselonlui.–Ilyadequoi,vousnetrouvezpas?Touscesscandalesqu'onlitdanslapresse!Ladrogue,le

sexe,l'alcool…–Ilnefautpascroiretoutcequ'onlitdanslapresse.

–Quandvousserezmère,contreMiranda,vouscomprendrezcequec'estdes'inquiéterpoursonenfant.

– Jene saispas…Mesparentsm'ont toujoursditde faire ceque jevoulais,pourvuque je soisheureuse.

Unangepasse.Puisdeux.Puistrois.

Quoi?Jen'aijamaisditquej'étaisdouéepourfairelaconversation!

Sielleabesoind'unconseilenpsychologie,jepeuxluipasserl'adressedeViolet.

–Ehbien je ne sais pas, avouepiteusementMiranda. J'aimerais parvenir à réconcilier James etJason,maisilscampentchacunsurleurspositions.

–LefaitqueJasonnesoitpaslefilsbiologiquedevotremarinedoitpasaider,jesuppose.

Mirandablanchitd'uncoup.Puisdeuxtachesrougescolorentsespommettesets'étendentpeuàpeuaurestedesonvisage.J'accélèrelepasjusqu'àlaportesuivante,desfoisqu'illuiprennel'enviedemenoyerdanslelagon.

Jecroisquej'aimislespiedsdansleplat...

Elle me rattrape au moment où je pénètre dans un jardin d'hiver. Avec des papillons. Princeadorerait.(Lespapillons,moins.)

–Cen'estpasunsujetdontjedésireparleravecuneinconnue.

Tiens,monstatutvientd'enprendreuncoup.

–Vousavezraison,maisvousdevriezenparleravecJason.–Jecroisqueledéjeunerestbientôtprêt,nousdevrionsrejoindrelasalleàmanger.

Jem'abstienssagementdefaireremarquerquenousn'avonspasterminélavisite.L'humeurn'yestmanifestementplus.

Tantpis!

Danslasalleàmanger,unmurentierestcreusédenichesdanslesquellescroissentdesorchidées.

Direquejefaiscrevermêmelescactus...

Je retrouveJasonavecun tel soulagementque jene réagispasquand ilm'enlacepourposerunbaisersurmes lèvres.Soncontactmerassureet j'enaibienbesoinaprèsmonentretienprivéavecMiranda.

Heureusement,noussommesplacéscôteàcôteaudéjeuner,mêmesi la tableest sigrandequ'ilfaudraitquejetendelebrasaumaximumpourseulementtouchersonépaule.Enfacedemoi,Brianm'adresseunsourirecomplicepar-dessusunpotdefougères.

–Alors,quepensez-vousdeRedwoods,Kim?

Enfinunsujetsansrisque.

Je me lance dans une analyse détaillée des lieux, assortie d'un millier de questions : commentfonctionnentlesfontainesintégréesauxmurs?Ya-t-iluncircuitsousleplancher?Qu'enest-ildel'isolationthermique?Brianyrépondvolontiers,amusédemonenthousiasme.Aumomentduplatprincipal,Mirandaelle-mêmes'estassezdétenduepourparticiperàlaconversation.QuantàJason,ilarapidementcomprisl'intérêtdejouerenterrainneutreetévoquenosprojetspourParadise.

–Ladécorationactuelleestàjeter.Surchargée,demauvaisgoût…

Sonregarderreostensiblementautourdelasalleàmanger.S’ilinsinuequeRedwoodspartagecestravers, il exagère un peu ! Surchargé, peut-être, surtout en végétaux, mais de mauvais goût,certainementpas.

–J’aidemandéàKimderevoirtoutçasousunangleradical.Trèsépuré,inspirationzen.

Jem’enétouffeàmoitiéavecmachaudréedepalourdes,audemeurantdélicieuse.Nousn’avonsjamaisparléd’inspirationzen!Toutcequej’aientendu,c’est«carteblanche»et«budgetillimité».Ilseraitpeut-êtretempsquejeluimontremesesquisses.

–C’estàlamode,accordeMirandaavecunemouedemépris,maispersonnellement,jetrouvequecelamanqued’authenticité.

–Parcequetun’aspasvucedontKimestcapable.

Euh,Jason?Toinonplus,jetelerappelle.

J’arboreunsourirehypocritepourconfirmer:

–Laplupartdesgensne comprennent rienauxprincipesduzen.Ni au feng shui, d’ailleurs, enparlantdephénomènesdemode.

Ça,c’estlavérité.

Lesconceptsonttendanceàperdreleurâmequandilss’éloignentdeleurberceau,surtoutquandl’économiedemarchés’enempare.L’internationalisationn’apasquedesbonscôtés.

–Maisvous,oui,relèveMiranda,ironique.–J’aivécuplusieursmoisenChine.

Etpas àPékinouTaïwan, trèsoccidentalisées,maisdansdes coinsde campagneoubliéspar latechnologiemoderne.Jedoutetoutefoisquenoslogementsd’alorspuissentservird’inspirationpourladécorationdeParadise,àmoinsdenourrirunepassionpourlesblattes.

–Vraiment?–Kim est une grande voyageuse, annonce Jason avec autant de fierté que s’il avait gagné une

médailleolympique.

Enfin, aumoins, ça nous fournit une base de conversation.Mirandamet un point d’honneur àsoulignerqu’elleaussiavoyagé,ycompris(extraordinaire)enEurope(vousvousrendezcompte,ilsontmêmel’électricité,là-bas).Jefaisdemonmieuxpournepas,petita),éclaterderire,etpetitb),lancerderemarquessarcastiquesausujetdesrichestouristes.Jasons’enchargetrèsbienpourmoi.ÀladéchargedeMiranda,ellenecèdepasàlaprovocation.

–Jesuisheureusequetuaiesenfintrouvéunefiancée,lance-t-elleaumomentoùledessertarrive.

Unefiancée?Oùça?

Lastupeurm’ayantrenduemomentanémentmuette,Jasonenprofitepourrépondre:

–J’ensuistrèsheureuxégalement.

Mais...Je...

Brianm’achèved’un«Excellentchoix»accompagnéd’unclind’œil.Mevoyantouvrirlabouche,Jasontendlebraspourposerunemainsurmonpoignet.

–Machérie,inutiledenouscacher,noussommesenfamille,affirme-t-ilavecunclind’œil,àlafoiscompliceetrailleur.

Mirandas’épanouitplusvitequ’unefleurdansledésertaprèslapluieàlamentiondefamille.Sonexpressionbéatebloquemesprotestationsdansmagorge.Aprèstout,siçaluifaittellementplaisir…ÀJasondeluiavouerlavéritéunefoisquejeseraipartie,puisqu’ilacommencé!

– Je suppose qu’il est inutile d’espérer vous voir pour Noël ? risque-t-elle sous l’effet del’euphorie.

–Tusupposesbien,répondsobrementJason.–Danscecas,pourquoin’emmènes-tupasKimàlamontagne?TuadoraislesNoëlsblancsquand

tuétaispetit.

Ohoh.

J’aiunmauvaispressentiment.Lajuxtapositiondesmots«montagne»et«Noëlsblancs»dansunmilieufortunéaméricain,trèscertainement.

–Vous pourriez emprunter le chalet d’Aspen. James préfère la plage, cette année, et ce pauvreBriancroulesousletravail.Ilseraitdommagedelelaisserfermé.

J’enétaissûre.

Je repousse lamonstruosité pâtissière couverte de fleurs en sucre qui vient d’atterrir dansmonassiette.Lesmotsm’échappentavantquejenepuisseencalculerlesconséquences.

–Alorsça,iln’enestpasquestion.

3.Souvenirsglacés

L'attention générale se tourne aussitôt vers moi. Miranda s'est raidie, le dos droit comme uneplanchedebois.Jeluiadresseunsourirequej'espèreapaisant.

–Désolée,maisjedétesteAspen.–Vousconnaissez?

Le ton suggère clairement qu'elle croyait que mes expériences de voyage se limitaient auxbidonvilles.Agacée, jeplantemacuillèredans leglaçagedugâteau.Elle tient touteseule tellementc'estépais.

–J'yaivécuuncertaintemps.– C'est vrai ? réagit Brian avec un enthousiasme un peu forcé. Nous nous sommes peut-être

croiséssanslesavoir,alors?

Laréflexionmelaissesansvoix.

Ilapeut-êtreraison?

Voyons, quel âge avait Jason, à l'époque ? 14, 18 ans ? Oui, c'est possible. Le destin aimedécidémentjoueravecnotrehistoire.Noussommes-nousréellementrencontrésparlepassé,ounoscheminssesont-ilscontentésdesuivredesvoiesparallèles?

–J'endoute.Nousnedevionspasfréquenterlesmêmesendroits.–Surlespistes,alors?

Jesecouelatête.

–Jen'aimepasskier.

D'accord,ça,c’estunmensonge.

J'adoraisça,àl'époque.Maisilestvraiquejenesuispasremontéesurdesskisdepuis.

–Jet'apprendrai,prometaussitôtJason.

Jerêve,ilcomptevraimentaccepter?

–Pasquestion.Laneigemedonnedesengelures.

Jasonfroncelessourcilsdevantcetteexcusebidon.Jem'empressed'enrajouterunecouche:

–Etpuislavilleestbientropsnobinardepourmoi.

Miranda est prise d'un haut-le-corps devant pareille remarque, sans doute sacrilège à ses yeux.Pourtant,cettepartiedemonargumentairepossèdeunepartdevérité.Aspenestlavilleoùtouteslescélébritésviennentskier,ouaumoinssemontrerenterrassesurfonddemontagnesenneigées.LesboutiquesrivalisentaveccellesdelaCinquièmeAvenueàNewYorketleprixdel'immobilier,déjààl'époque,obligeait lesménagesmodestesàchoisirentrevivredansunecabaneaufonddesboisetdéménager pour une station plus abordable. Brianm'adresse un sourire mi-figuemi-raisin, assezlucide pour reconnaître la véracité demes propos, tout en ayant conscience de faire partie desditssnobinards.

–MaisNoëln'estpasvraimentNoëlàSanFrancisco,seplaintJason.–AllonsdansleYosemite,danscecas.C'estbienplusprès.

Incidemment,jecroisquejeviensd'accepterdepasserNoëlaveclui,maisuneurgenceàlafois.

–Ilesttroptardpourfairedesréservations,objecteJason.Noëlestdansmoinsdequinzejours!

Ilm'adresseungrandsourireetmecaresseledosdelamainavantdedécréter:

–Nousenreparleronsplustard.D'icilà,voyonssinouspouvonsmangercegâteausansrisquerlecomadiabétique.

–Jason!s'indignesamère.Siungâteaun'estpassucré,cen'estpasvraimentungâteau.–Bereniceprépared'excellentscookiessanssucreetsansfarinedeblé.–Tum’endoisd’ailleursunpanier,rappelleBrian.–Jenetedoisriendutout,voleurdepetitesvoitures!

Brianéclatederire.Destractationss’ensuiventconcernantlemontantdelarançonencookiesdesjouets,éloignantlaconversationdesrivagesdangereuxd'Aspen.

Sauvée!Enfin,temporairement...

***

–Alors,c'estquoil'histoire?demandeJasonentournantlaclédecontact.

Noussommesrepartisjusteaprèslecaféafind'êtrecertainsdenepascroiserJames.SiJasons'estradouciencequiconcernesamère,ilnesemblepasprêtàpardonneràsonpère.

–Quellehistoire?– Aspen. Tu ne croyais quand même pas que j'allais gober tous les prétextes que tu nous as

balancés?

Euhsi.Unpeu.Onaledroitd'espérer.

Jepinceleslèvres.Sij'aidonnédesprétextes,ildoitbiensedouterquec'estparcequejen'aipasenvied'enparler,non?

–Allez,Kim.Toi,nepasaimerleski?Oùestpasséemonaventurière?

Quelquechosedanslafaçondontilaprononcé«monaventurière»medonnedesfrissons.Messeinssetendentsousletissudemarobe.L'inconvénientdesortiravecunchanteur:ilvoustientsousl'emprisedesavoixdesirène.

–Onpourrait éviter le sujet ?LeYosemite, c'est bien, non ? Jen'y suis jamais allée, enplus,j'aimeraisbeaucoupprendredesphotos…

–Etmoij'aienviedepasserNoëlàAspenavectoi.–MaispourquoiAspen?Jecroyaisquetuvoulaisneriendevoiràtesparents?–J'aipassétousmesNoëlsd'enfantdanscechalet.Moralement,ilm'appartientautantqu'àeux.Et

malgréuneambiance rarementaubeau fixeà l’époque, j'yaimesplusbeauxsouvenirs.Alors j'aienviedelespartageraveclafemmeque…avectoi.

J'essayedetoutesmesforcesdenepasterminermentalementlaphrasequ'ila laisséeinachevée.Çapourraitêtren'importequoi.Vraiment.Etjen'aitoujourspasenvied'alleràAspen.

–D'accord,maismoi,cesontmespiressouvenirs.J'aijurédeneplusjamaisymettrelespieds.–Pourquoi?–Deuxdespersonnesquej'aimaisleplusaumondeysontmortes.

La réplique cloue le bec à Jason. Encore heureux, car une grosse boule s'est formée dans magorge, comme à chaque fois que je m'autorise à regarder en arrière. Mes yeux s'humidifient. Jeclignedespaupièrespourenchasserleslarmes.

Non,vraiment,cen'estpaspossible.

–Jesuisdésolé,dit-ilauboutd'unmoment.Maisfuirlaréalitén'estjamaisunebonnechose.Peut-êtrequ'aucontraire,yretournertepermettraitdetournerlapage?

Cethommeestplustêtuqu'unemule.Quandilveutquelquechose,riennepeutl'enfairedémordre.Etpuis,c'estquoicettepsychologiedebazar?IlasuividescoursauprèsdeViolet?

–Fuirlaréalité?Ditl'hommequirefusedeparleravecsamèredesonvéritablepère?

LesmâchoiresdeJasonsecrispent.Unepointederemordsmetransperceàl'idéed'avoirrecouruàpareilcoupbaspourmesortird'affaire.

–C'estellequirefused'enparler.–Jen'aipaseul'impressionquetuinsistaisbeaucoup.

Jasondonne un coupde frein inutilement brutal devant un feu qui vient de passer au rouge.Laceinturedesécuritémecoupelesouffle.

– D'accord. Je te propose un marché : je mets les choses au point avec ma mère, et toi tum'accompagnesàAspen.

–Hein?Quelestlerapportentrelesdeux?–C'esttoiquil'asdit:nepasfuirlaréalité.

Oups.Telestprisquicroyaitprendre.

–Oualors,onpeutrestercommeçaetnepasseprendrelatête.–TuasdesprojetspourNoël?

Questionpiège.

–Euh…Absolument.

RegarderMiraclesurla34eRueenmangeantdelaglacevanille/pécanàmêmelepotconstitueunprogrammetoutàfaitvalable.

–Quiconsistentà…?–Ettoi?Nemedispasqu'unerockstardetoncalibrepasseNoëlsursoncanapéavecunpaquet

dechips?–JecompteallerskieràAspenavectoi.–Etavantquetamèreneproposedeteprêterlechalet?–J'auraispuenlouerun.

Àjouerauplustêtu,nousenavonspourtoutelasoirée!

–Couponslapoireendeux:jepasseNoëlavectoi,maisnousallonsailleursqu'àAspen.Ilexistebiend'autresstationsdeski,non?

–Aspenestimportantepourmoi.Toutl'intérêtdeNoël,c'estderenoueravecsesracines,non?–Euh…

Aucuneidée.

J'aifêtéNoël–quandjel'aifêté–danslesendroitslesplusimprobables,alorslescalendriersdel'Avent,lessapins,toutlefolklore,çamepasseunpeuau-dessusdelatête.Sauf,justement,quandjevivaisàAspen...

Jetiresurunemècheéchappéedemaqueue-de-cheval.Lejouroùj'aiquittélaville,j'aijurédenejamaisyremettre lespieds.Suis-jevraimentprêteà trahircettepromessepourJason?Sioui, j'aipluschangéquejenelecroyaisdepuismonarrivéeàSanFrancisco.

–Arrêtedeteprendrelatête,meconseilleJasonenaccélérantpourfranchirunebosse.Tusaisquetufiniraspardireoui.

Cettearrogance!J'aibienenviededirenon,pourlapeine.

–Jevaisyréfléchir.

Sonriretriomphantmedonneenviedelefrapperoudel'embrasserpourlefairetaire.Jenesaisjamais, avec lui. Lesmains croisées surmes genoux, je regarde défiler les larges rues de PacificHeightsàtraverslesvitresdelavoiture.Unétrangesentimentdefamiliaritém'envahit.Cen'estpaschez moi. Ce n'est pas mon univers. Pourtant mon cerveau semble avoir appuyé sur la touche

«retouràlamaison».Peut-êtrequeJasonaraison.Peut-êtreai-jebesoinderetourneràAspen,leseulfoyerquej'aiejamaisconnu…seulementpourluifairemesadieuxdéfinitifs,àtêtereposée.Mondépartaétéplutôtchaotique,àl'époque.

Merde,ilaraison,jevaisfinirpardireoui.Çam'énerve.

Je consulte ma messagerie. Karen ne m'a toujours pas recontactée. Dois-je passer outre sarecommandation et contacter notre cible moi-même ? Le temps file et la sortie du livre serapproche…Connorm'a envoyéquelques textesqu'il a rédigéspour l'exposition. Je regarderai çaplustard.Unanciencollègue,devenurédacteurenchefd'unmagazinedevoyages,meproposeunemissionenChinepourleprintemps.Pourquoipas?Jen’aipasencoredécidé,maisaprèstout,telleatoujoursétémavie,volerd’unendroitàunautre,butinerquelquessouvenirs,puisrepartir.MêmesiSanFrancisco possède un parfumbien agréable (celui de Jason), il n’a jamais été question que jereste.

Jerelèvelenez.NousentronsdéjàdansleparcdeParadise.Aumoins,iln'yaplusdepaparazzispostésdevant.Jasonavaitraison,lebuzzn'apasduré.

Et moi, j'ai un peu trop vite oublié le côté rock star de l'affaire, propulsée dans les histoiresfamiliales.

Desrectanglesdeterreratisséedéfilentlelongdesflancsdelavoiture.SijeparsenChine,jeneverraijamaisfleurircesplates-bandesendormies.Moncœurseserreàcerappel.

Jedeviensstupidementsentimentale.

C'estlafautedeJason.Ouplutôt,celledeTallulah.OudeViolet,avecsesgrandesthéories.Tiens,etpourquoipascelleduchat?

–Bon,jevaisrentrer…

Jasons'interposeaussitôtentremavoitureetmoi.

–Arrêtedefuir.–J'aibesoind'êtreaucalmepourréfléchir.–Aucalme?EntreVioletetTallulah?

Vusouscetangle…

–Etpuisnousdevonsparler,ajoute-t-il.–Justement.J'aioubliémescroquischezViolet.–Tesquoi?

Déstabilisé,ilreculed'unpas.J'enprofiteetfoncedansl'ouverture.Sansgrandeconviction.Jasonmerattrapeauvoletmeserrecontrelui.Jecapituleaussitôt;ilaledondefaireenvoleraussibienmesidéesnoiresquemesbonnesrésolutions.Lenezenfouidanssoncou,jefermelesyeuxetlaissesonodeuretsachaleurm'envelopper.C'estsibonquej'enronronneraispresque.

–Ladécoration,dis-je,leslèvrescontresacarotide.Jevoulaistesoumettemespropositions.

Jelesensvibreràchacunedemesparoles.Sesmainsétreignentmataille.Iltournelégèrementlatêtepourmerépondre,saboucheàquelquesmillimètresdemonoreille.

–Excellenteidée.Commençonsparmachambre.Tusoumettrastoutcequetuvoudras.

Ledoublesensmefaitfrémir.Mapoitrinedevientlourde,matêtelégère.Jegoûtesapeauduboutdelalangue.

Délicieux.J'enveuxplus,toutdesuite.

Après tout, ladécorationpeutbienattendreencoreunpeu.Jasonm'entraîne,aussi impatientquemoi,etjenesongemêmepasàrésister.Nouspassonslaported'entréeennoustenantlamain.Nelsonnous salue d'un « Bienvenue, je vaism'occuper du chat ».Cet homme est parfait. Il ne sourcillemêmepasennousvoyantmonternousenfermerdanslachambredeJason.Quandlaporteserefermederrièrenous,j'oublieinstantanémentmespréoccupations.Iln'existeplusqueJason,moietlelitquinoustendlesbras.

Aumoment où Jasonm'enlace, le début du dernier tube deGolden emplit la pièce. D'un gesteagacé, ilsortsontéléphoneportabledelapochedesonblousonet l'éteintsansmêmeregarderquiappelait.Moncœur sedilate à l'idéequ'encemoment, je comptepour luiplusquen'importequoid'autre.

Mêmejustepourdusexe.

J'éteinsmonpropreappareil,quiatterritquelquepartsur lamoquette. Ildisparaîtdans les longspoils,rapidementrecouvertdemaparkaetdemesbottes.

–Continue,m'inviteJason,lesourireauxlèvres.–Toid'abord.

L'avant-goûtdesapeauquejeviensd'avoirnemesuffitplus.Jeleveuxtoutentier,toutdesuite.

–Enmêmetemps,alors,marchande-t-il.

Argh,maispourquoifaut-ilquenousdiscutionstout,toutletemps?

–Chacunsontour.–Vendu.

Il retire sonT-shirt avec une lenteur insupportable.Histoire de l'inciter à accélérer, j'entoure satailledemesbrasetentreprendsd'embrasserchaquecentimètrecarrédepeauainsidévoilée.

–Kim,gronde-t-ildecettevoixquiretentitjusqu'auplusprofonddemoi.

Perdant toutcontrôle, j'enviensà lécheretmêmeàmordillercetépidermeparfait. Il interromptsondéshabillagepourenfouirunemaindansmescheveux,qu'iltireenarrière.Lalégèredouleurne

contribuequ'àmedéchaînerdavantage.

OublionsleT-shirtpourpasserdirectementauplatderésistance.

Mesmains glissent jusqu'à sa ceinture, dont elles font sauter le bouton.Un, deux, trois…Monsoufflecaresseletissunoirduboxerendessous(leschatonsontmystérieusementdisparudepuislesoir du concert). La prise de Jason sur mes cheveux se raffermit tandis que son sexe vient à larencontredemeslèvresàtraverslabarrièredutextile.Maisilnefaitpasminedem'arrêter.

Ilcèdeaussifacilement?Jesuispresquedéçue...

Jetiresurlepantalonpourlefaireglisser.Leboxersuitaussitôtlemêmechemin.

Sinousjouionsaustrip-poker,j'auraisremportélapartiehautlamain.

Jeprendsunmomentpourcontemplerl'épidermeainsidévoilé.Malangueglissesurmeslèvresdevanttantdeperfection.J'ail'impressionqu’onm’offreleplusbeaudescadeaux.

–Kim!

Moncadeaus'impatiente.

Unemainposéesursahanche,j'enroulel'autreautourdesonérection,dureetchaude.J'engoûtedélicatementlegoûtduboutdelalangue.Lasaveurmâleetsaléemefaitsaliver.Jen'ai jamaisétéaccroàquoiquecesoit.Nialcool,nitabac,nijeu,niréseauxsociaux,nimêmel'adrénalinequejerecherchepourtantsivolontiers.Maisça,songoût,sonodeur,jen'enaijamaisassez.Aupointdemefairefairen'importequoi.

Je laisseglisserma langue le longde laveinesoussonsexedressé.Par réflexe,mapoitrinesetendcontreletissudemonsoutien-gorge.Jasonmurmurequelquesparolesincohérentes,commeuneprièrequisemueengrognementquandjeleprendsenfindansmabouche.Jeprendsmontempspourle savourer. Doucement, de la pointe de la langue. Plus impatiemment, des lèvres, des dents, desdoigts,detoutcedontjepeuxjouersurlui.Seshanchesviennentàlarencontredemagorge.Jecroisquejepourraisjouircommeça,encorehabillée,sansqu'ilmetouche,justeenlesentantàmamerci.

–Kim,arrête!

Jegrogne tandis qu'ilm'arrachemonnouveaudessert préféré. Il se laisseglisser àmonniveaupourappuyersonfronttrempédesueurcontrelemienetrepoussemesmainsbaladeuses.

–Situcontinues,jenetiendraipaslongtemps,tusais?–Onpourratoujoursrecommencer.

Ilritenposantsabouchecontrelamienne.Lesvibrationséveillentdesmilliersdepapillonsdansmonventre.

C'esttropparfait.C'estlouche,quandc'esttropparfait,non?

Ilm'attrapesoudainàbras-le-corpsetmesoulèvesursonépaulecommesi jenepesais rien. Jeglapis,latêteenbas:

–Lâche-moi!

Il obtempère un peu trop brutalement àmon goût enme jetant sur le lit. Le sommier émet uncraquementsinistre.

–Euh…Ilacraqué,là?Jason?

Il faut croire que le désir rend sourd. Ignorant complètement les protestations de son lit, Jasonentreprenddem'arrachermesvêtements.Ausenslittéralduterme:lescouturesdemarobecèdentàleurtourdansunfroissementbrutal.

–Eh!

Tallulahvametuer.

Çam'apprendra àm'habiller élégamment pour déjeuner.Mes jeans auraient résisté, eux. Enfin,peut-être.

La bouche de Jason s'empare de la mienne, autant pour me faire taire que pour ramener monattention sur ce quenous sommes en train de faire.Avecun certain succès :mon corps s'embraseinstantanément.JemetortillepourfrotterunesurfacemaximaledepeaucontrecelledeJason.Nonsansdifficulté:marobeàmoitiédéchiréem'entravelespoignets,etmescollants,leschevilles.

–Jason!

Ilsereculeàpeinepourmedévisagerd'unairdémoniaque.Lebleudesesyeuxressembleàunenuitinfinie.

–Tuesàmoi.

Jedétestecetteréplique.

Çafaittellementhommedescavernes.Etpuisl'esclavageaétéaboli.Alorspourquoiest-cequejetrouveçaérotique?Jeparviensenfinàdégagerunemain,quejepresseaussitôtaucreuxdesesreins.

–Alorsprends-moi.

Son érection frotte contre mes cuisses, que l'entrave à mes chevilles m'empêche d'écartercomplètement.J'insiste,memoquantcomplètementdeparaîtresupplier:

–Prends-moi,s'ilteplaît,toutdesuite.

Pourtouteréponse, ilsepenchesurmapoitrine.Monsoutien-gorgeenfragiledentellenoirenerésiste pas plus longtemps que la robe. L’obstacle écarté, Jason embrassemon sein, puis saisit lapointedresséeentresesdents.Untorrentdedésirliquideserépandcommeunetraînéedepoudreà

traverschacunedemesterminaisonsnerveuses.Mescuissess'humidifient.JegriffeledosdeJason,me tortille pour dégager mes chevilles de ce satané collant. Il rit encore tout en concentrant sonattentionsurmapoitrine.Salanguetracelecontourdemonmamelongauchetandisquesesdoigtspincentlégèrementledroit.

C'esttropbon!

Àquelmomentest-cedevenusibon?Pourquoiest-ceaussibonalorsquenousne faisons riend'extraordinaire?

Lecollantcèdeenfindansuncraquementsonore,auquelrépondceluidulit.

Ilabougé!Lesommierabougé,non?Jesuissûrequ'ilpenche!

Cependant, Jason a profité de l'écartement de mes cuisses pour se positionner entre elles,m'embrassant simultanément de telle façon que la position du lit se trouve reléguée très loin dansl'ordredemespréoccupations.J'enroulemesjambesautourdesesreins.

–Attends,halète-t-ilcontremabouche.–Pourquoi?

Pourtouteréponse,illanceunbrasdansladirectiondelatabledechevet.

Préservatif.Merde,j'avaisoublié!Quandjedisaisquecetterelationmegrillelesneurones!

Jemecontorsionnepourouvrir le tiroir.Lelitcraquedenouveauetsemetàpencherdel'autrecôté.CommeJasonneréagitpas,jemepersuadevitequ'ils'agitdemonimaginationetmeconcentresurlapoignéedepréservatifsquejeviensd'attraper.Ouvrirunemballageaveclesdentsn'estpassifacile que ça en a l'air dans les bouquins. Jasonme le subtilise, en profitant pourm'embrasser aupassage. Je le regarde enfiler le latex, à genoux au-dessus demoi, comme si je voulais graver leclichépourl'éternitédansmamémoire.

–Viens…

Ils'allongedoucementsurmoi,sesdeuxmainssousmanuque,commesij'étaisfragileaupointderisquer demebriser.Pour une raisonquim'échappe (sûrement un court-circuit dansmon cerveaubienéchaufféparnospréliminaires),mesyeuxs'humidifient.Ilembrassechacunedemespaupièrestandisquejem'enrouleautourdeluicommedulierreautourd'unchêne.

Aucunechancedetedébarrasserdemoi.

Sonsexes'enfonceenmoisilentementquej'aienviedetrépignerd'impatience.Jevaismourirs'ilnemeprendpastoutdesuite.Enmêmetemps…c'esttellementdélicieuxquejepourraissangloter.Jel'embrassesauvagement,mordantmêmesalèvredansmahâteàpasseràlavitessesupérieure.Peuàpeu,ilaccélèrelerythme,seretirantpresquecomplètementavantdeplongerunenouvellefois.Meshanches suivent le rythme, se balancent de gauche à droite tandis que je recherche l'angle depénétrationidéal.

–Plusvite.Plusfort.

Soncoupdereinssuivantmecoupelarespiration.

–Ohoui,commeça.Justelà.

Commesij'avaislâchélesrênes,Jasonsedéchaîne.Ilm'embrasseàperdrehaleinetandisquesonsexemepilonne,percutantàchaquefoislepointdélicieuxquimepropulsetoujoursunpeuplushautsurl'échelleduplaisir.Sarespirationsefaiterratique;sespupillessedilatentaupointquesesyeuxdeviennentpresquenoirs.Jefermelesmiens.Lelitgrincedeplusenplusetlematelastressautesousnotreassaut,maisquis'ensoucie?

Crac!

Jehurleetmeraccrocheàcequejepeux(enl’occurrence,lecorpsnudemonpartenaire)quandlelits'écroule.Nousatterrissonsplusieurscentimètresplusbasdansunemêléedebrasetdejambes,heureusement, intacts : si le matelas penche sur un côté et forme un angle suspect à l'une de sesextrémités,ilabienjouésonrôleenamortissantlachute.Jeremarqued'unevoixbizarrementaiguë:

–Jet'avaisditqueçaavaitcraqué.

Jasonseredressesuruncoude,s'assurequenousn'avonsriendecassé(endehorsdel'humeurdumoment) puis éclate d'un fou rire incontrôlable. Je demeure interloquée, hésitant entre l'imiter,insulter le lit défaillant (au prix qu'il doit coûter, c'est un scandale) et hurler de frustration. Troiscoupsfrappésàlaportemefontsursauter.

–Toutvabien,Monsieur?interrogelavoixstylée,quoiquelégèrementinquiète,deNelson.–Trèsbien!crieJasonenretour.Vouspouvezrentrerchezvous,Nelson.

Lespasdumajordomesesontàpeineéloignésdanslecouloirquelefourirelereprend.

–C'est lapremière foisqu'un trucpareilm'arrive, explique-t-il entredeuxgloussements.Onnes'ennuiepas,avectoi.

Bon. Jeme penche pour évaluer l'étendue des dégâts.Visiblement, c'est le cadre qui a cédé. Lematelassembleencoresolideetstable,àprésentqu'ilreposeàmêmelesol.Aumoins,ilnetomberapasplusbas.Jem'étiredetoutmonlong,reinscambrés,poitrinefièrementpointéeversleplafond.LeriredeJasons'éteinttandisqu'ilmecontempled'unairaffamé.

–Qu'est-cequetufais?–Jet'attends.Nousn'avionspasterminé,ilmesemble.–Maislelit…

Iltournelatêteàdroite,puisàgauche,poureffectuersonproprebilan.Puisilhausselesépaules.

–Audiablelelit.

Sesmainscourentsurmoncorps,réveillantlessensationsencorevives.Celles-cisemblentmêmes'intensifieraprèsnotrepauseimprévue.

Toujoursbonàretenirpourl'avenir.

Jeposelatêtesursescuissesetsouffledoucementsursonsexeencoredressé.Celui-citressaille,faisant siffler son propriétaire entre ses dents. Je promènemes doigts tout autour, les cuisses, lesbourses, l'aine, tout en évitant la zone stratégique. Puis, d'un seul coup, jeme retrouve sur le dos,Jasonau-dessusdemoi,levisageterriblementsérieux.

–Assezjoué.

Lapremièrepénétrationmefaithaleter.

Ohoui,cetrucdel'interruptionestdéfinitivementàretenir.

Je retiensma respiration pour que la vague nem'emporte pas trop vite. Jason en fait autant. Jedevine,àsamâchoirecrispée,sonfrontbarréd'unpli,qu'ilaautantdemalquemoiàrésister.Nosbouches s'effleurent dans une caresse aérienne, précautionneuse et pourtant si sensuelle que desétincellesdansentdansmonchampdevision.

–Viens.–Viensavecmoi.

Mesbrasentourentsesépaules,mabouchenequittepaslasiennetandisqu'ilseretire lentementpourmieuxrevenir.Ilmurmuremonprénomcontremeslèvres,commeunelitanie.Jecrielesienaumoment où la vague déferle. Le plaisir recroquevillemes doigts de pied et se propage jusqu'à laracinedemescheveux,meretournantcommeungant.JesensJasons'arquerau-dessusdemoiavecun long gémissement quand l'orgasme le frappe à son tour. Nous demeurons étendus l'un contrel'autre,incapablesdenousséparer,aumilieudelachambredévastée.

Quandilseretire,ilprendsoindetirerlacouettesurmoi,pourcompenserlapertedechaleur.Jemeblottiscontresondostandisqu'ilsedétournepourretirerlepréservatif.Accrojesuis,accrojereste.Mêmeaprèsunerelationsexuelleplusquesatisfaisante,j'aibesoindesonodeur,desachaleur.Quandilseretourneversmoi,jemeblottisentresesbrasavecunsoupirdebien-être.

–Ilvafalloirchangerdechambre,murmure-t-ildansmescheveux.

Ohnon,j'aimebiencelle-ci.

EllesentJasonetlesexe.Définitivementmonparfumpréféré.Quiabesoind'unlit,avecça?

–Mmmoui,dansunpetitmoment.–Jet'aiépuisée?

Ilestbientropcontentdelui.Maisaprèstout,siçaluifaitplaisir…

Jehochelatêtecontresapoitrine.Ilcaressedoucementmescheveuxetjeronronnedesatisfaction.Encoreunpeu.Justeunpetitmoment.

4.Scienceetconscience

–Etilestsolide?

Levendeurmefixed'unairdubitatif.

–Solide?–Oui, si par exemple…des enfants s'amusent à sauter dessus, il ne va pas s'effondrer, n'est-ce

pas?Ilnefaudraitpasqu'ilsseblessent.

Levendeur(uncousindeNelson,àenjugerparsoncostumestrictetsonattituderigide)tenteunsourirequi se figeenunaffreux rictus.Sesenfants (à supposerqu'il enait)n'oseraient sansdoutejamaissautersurdeslits.

MaispourquoiJasonm'a-t-ilchargéed'unemissionpareille!?Aprèstout,nousavonscassécelitàdeux.

«Ceseratapremièremissionentantquedécoratrice»,m'a-t-ilannoncéaprèscettefameusenuitquiavuledécèsprématurédulitdesachambre.Pasunegrosseperte,celadit,vul'âgeetlalaideurdelachose.J'aidoncpassédeuxjournéesentièresàébaucherdesprojetsdedécorationpourladitechambre.Noussommestombésd'accordsurdesmursblancsàl'exceptiondeceluifaceaulit,peintauxcouleursdel'océan.Pourlemobilier,l'aluminiumbrosséaemportél'adhésiondeJason.Facile…jusqu'aumomentdelamiseenœuvre.

–Pasbesoind'allerdanslesmagasins.OnpeutchoisirsurInternet.–Etteretrouverànouveauavecunlitquis'effondreraàlapremièreoccasion?–Pourquoipas?Ilmesemblequelafindelanuitenvalaitlapeine.

Je ledétested'avoir lepouvoirdeme faire rougiravecunclind’œil etuneallusiongraveleuse.Maissoyonshonnête,j'adoreceàquoil'allusionserapporte...

–Vas-ysiçat'amuse.

Ça nem'amuse pas. Enfin si, un petit peu.Disons que çam'amuserait si le vendeur ressemblaitdavantage à Berenice et un peu moins à Nelson, même si mes relations avec ce dernier se sontdétenduesdepuisquej'aihéritédutitrededécoratriceenchef.

–Ehbien,jenesaispass'ilaététestépour…–Jepeuxessayer?–Quoi?–S'ilrésisteàmonpoids, ildevraitsurvivreauxenfants,dis-jeenmepenchantpourretirerune

chaussure.–Non!Mademoiselle…Madame…Cen'estpasfaitpour.–Tantpis,dis-jeenbarrantlenomdumagasinsurmaliste.

Plus que trois. Espérons quema chasse au trésor finira par payer. Aumoment où je passe lesportesvitrées,montéléphoneportablevibredansmapoche.Jeledégainecommeunrevolver,prêteàrépondreàunénième«Alors?»deJason.Ilahâted'étrennernotrenouveaulit.Desdécorateurssontdéjààl’œuvrepourlesmurs.Avoirdel'argentcontribuelargementàaméliorerlesdélais.

Maisc'estlenomdeKarenquis'affichesurl'écran.Jemefige,l'indexenl'air.J'avaispresquefinipar espérer que cette histoire passerait à la trappe. Çame paraît tellement hasardeux…Enmêmetemps, un rush d'adrénaline familier me fait tourner la tête tandis que je prends connaissance dumessage.

[AdelineSmithersonvousrecevrademainàdixheures.]

Merveilleux. Il neme reste plus qu'à croiser les doigts pour que Jason soit pris. Je continue àpenser qu'il vautmieux qu'il nem'accompagne pas. Trop de choses pourraientmal tourner. Je luimontrerailemessagecesoir:àladernièreminute,ilauradumalàmodifiersonemploidutemps.

Jesuismachiavélique.

Enattendant,j'aiencoreunlitàtrouver.Jesoupireenentrantl'adressedumagasinsuivantsurleGPS.Cettehistoirevaachevermonpauvrevieuxtacot.

***

–Kim?

Jemedétournedumiroirdanslequeljem'appliquaisunecouchedemascara.Letubem'échappedesmainstandisquejepousseuncridesurprise.

–Jason?

Monétonnementleravit.Illissesoigneusementsaperruqueenprenantlapose.

–Tunem'aspasreconnu,hein?

Àprésentqu'ilparleetqu'ilbouge,si.Maisilfautreconnaîtrequesondéguisementestréussi.AulieudubeauetséduisantchanteurdeGolden,j'aidevantmoiunAméricainmoyenavecunecertainetendanceàabuserdelabièreetdesburgers(bedonàl'appui),descheveuxblondsunpeutroplongs,unT-shirtXXLàl'effigiedeDarkVadoretunjeanbaggytoutsaufélégant.Sesirisbleuocéansont,àmon grand regret, dissimulés derrière de banales lentilles marron. Quant aux prothèses qui luidéforment les joues, lui conférant l'allure d'un hamster gavé au hash brown, elles détruisentdéfinitivement son potentiel de sexytude. Tout comme l'autocollant qui lui fait les dents grises etirrégulières.

–Beurk.–Jesavaisbienquetunem'aimaisquepourmaplastique,selamente-t-il,faussementtragique.–Tudevaisvraimentpousserleréalismejusqu'àt'aspergerdecetteinfâmeeaudeCologne?–Cesontlespetitsdétailsquifontlebondéguisement.

Ilm'enlace.Ses lèvreseffleurentmoncouetmalgrésonaspectet sonodeur, je sensmonpoulss’accélérer.

–Tuesunspécialisteenlamatière,ondirait.–Sijeveuxsortirsansêtreassailliparlespaparazzis,jen'aipastroplechoix.

Jemetortillepouréchapperàsonétreinte,malàl'aisecommeàchaquefoisqu'ilévoquesonstatutderockstar.J'aibienconsciencedejouerlesautruches,maisjen'ypeuxrien,jen'arrivepasàfairecollerl'imagedeJason-le-propriétaire-de-PrinceavecJason-la-star-adulée-par-des-millions-de-fans.

–Espéronsqu'Adelinenesedouteraderien…–Arrêtedestresser.Jetedisquetoutvabiensepasser.

Jecontinueà l'espérer tandisquenousnousdirigeonsversNobHill,oùvitnotrecible. Jasonal'airparfaitementà l'aiseauvolantdemonépave roulante.Avecpareiléquipage,nousne risquonsd'attirer que l'attentiondes ferrailleurs.Quandnousnousgaronsdevant une élégante villa de stylevictorien,j'aipresquepeurqu'onnousrefoule.Celanem'empêchepasdemitraillerlavilla:mêmestylequecelledeViolet,maisàl'échellequatreoucinq.Àenjugerparlesdifférencesdanslescorpsdebâtiments, les ajouts se sont faitspetit àpetit et pas toujours enharmonie.L'ensemble conservetoutefoisuncachetindéniable.

Adeline nous ouvre à la première sonnerie. Guettait-elle notre arrivée derrière les rideaux endentelle?D'aprèsKaren,elleestmèreaufoyer,etenjournée,lesenfantsàl'école,elledoits'ennuyer.

–Bienvenue,mademoiselleAncel.–Bonjouretmercid'avoiracceptédenousrecevoir.JevousprésenteDaytonSmith,monassistant.

Leregardd'Adelines'attardeàpeinesurlefauxDayton.Jusqu'ici,ledéguisementfonctionne.

–Désirez-vousprendreunthé?–Volontiers.

Celanousdonneral'occasiond'orienterlaconversationdanslesensquinousintéresse.Jepressele bras de Jason en un geste d'avertissement : c'est moi qui mène la conversation, il se contented'écouter. Sagement, il s'assied àma droite sur le canapé, tandis qu'à gauche, jeme place face aufauteuild'Adeline.

–Karenm'aditquevousprépariezuneexpositionsur lesvieillesdemeuresdeSanFrancisco?commence-t-elleenjouantaveclaporcelaineornéedepetitesroses.

Tassesetsoucoupessontellesaussiunpeudépareillées,maiscelaajouteàleurcharme.

Violetadoreraitcetendroit.

JeserreRobertcontremoietm'efforcedenepasperdredevuelebutdenotrevisite.Parlerphotospourendormirsaméfiance,puisembrayersurlereste.

–Toutàfait.Ellem'aditquejenedevaismanquerlavôtresousaucunprétexte.

Adelines'épanouitsouslecompliment.Sesdoigtssuiventamoureusementlebordd'unetasse.

– Eh bien, je fais demonmieux. Voyez-vous, j'ai persuadé Howard, monmari, d'acheter cettemaisonquandnousnoussommesmariés.Ellenevalaitalorsguèremieuxqu'uneruine…Cesvieillesdamessontsidifficilesàentretenir!

J'aidéjàentenducettehistoirequelquepart...

Ahoui,Redwoods.Décidément,larestaurationsembleunpasse-tempsenvogueparmilesfemmesaufoyerducoin.Unesueurfroidemeglacesoudainàl'idéequejem'engageexactementsurlemêmecheminavecParadise.

Maisnon,jedonnejusteuncoupdemain.Cen'estpascommesijecomptaism'yinstaller.

Adeline continuededétailler par lemenu les travauxaccomplispour rendre son lustre àSevenGables,commeelleabaptisélapropriété.Celacontinueparlalistedesboutiquesd'antiquitéducoin.JesuiscertainequecelapassionneraitViolet,maislajambedeJasonsepresseimpatiemmentcontrelamienne.

–Vousavezfaituntravailremarquable!Vousavezuneformationenarchitectureancienne?–Jesuisautodidacte.J'aiabandonnémesétudesaprès…

Jesaisisaubondlaperchequemetendsonhésitation.

–C'estvrai,Karenm'aparlédecequis'étaitpassé.Jesuisdésoléepourvous.– Il ne faut pas, repart-elle avec vivacité. Jem'en suis sortie. Je suis vivante, contrairement aux

autresvictimes.C'estl'essentiel,vousnetrouvezpas?

Je hoche prudemment la tête.Adeline tourne et retourne la tasse entre ses doigts, nerveuse.Detouteévidence,ledrameluipèseencore.

– Jeme suis sentie coupable durant des années, poursuit-elle. Jeme disais que peut-être, d'unecertainefaçon,jel'avaisencouragé…C'étaitunhommed'apparencesirespectable!

–Unhommequiavaitdéjàtuéplusieursjeunesfilles,quandmême.–C'estcequeditmonpsychologue.Ilm'apousséeàmeconfieràKarenenmedisantquej'avais

besoind'exorciserlepassé.

Dansune confessionpublique ? Jemedemande cequ'enpenseraitViolet.Àcôtédemoi, Jasonserrelespoings.Luinonplusnedoitpastrouverl'idéeexcellente.

–Etvousvousensouvenezencore?–Pasbien,avoue-t-elle.Ilavaitmisquelquechosedansmonverre…Unedrogue.J'étaisàmoitié

inconsciente.Quelle sensationhorrible ! J'en fais encoredescauchemars.Entendrecequi sepasseautourdevoussanspouvoirleverlepetitdoigt…

Ellefrissonne,sesdoigts tremblantsautourdela tasse.Jasons'emparedela théièreposéesur latablebasseetentreprenddenousservir,sansunmotmalgrélesquestionsquidoiventluibrûlerleslèvres.

–Cedoitêtrehorrible,dis-jed'untoncompatissant.Vousétiezdoncconscienteaumomentoùilatentédevousenlever?

– Jevoyais flou.Tout tournait autourdemoi,mesoreilles sifflaient…Si cesgensn'étaientpasvenusàmonsecours,jeseraismorte,moiaussi!

JesensJasonseraidir.

Là,çacraint.Sielleparledeçadanssontémoignage...

–Quelsgens?Vousn’étiezpasseuleavecvotreagresseur?

Elleprendunepetitegorgéedethéavantdesecouerlatêteensignededénégation.

–Non,ilyavaitd'autrespersonnes,j'ensuiscertaine.–Etvousn'enavezpasparléàlapolice?–Jen'étaispassûredecequej'avaisvuouimaginé.Etpuissurlemoment,jevoulaisjusteoublier,

laissertoutçaderrièremoi.Messéancesdepsychologiem'ontaidéeàyvoirplusclair.Jevoudraisretrouvercespersonnes,pourlesremercier.

Çapartd'unbonsentiment,mais...

–Ilsrisquentd'avoirdesennuis,sionlesretrouve,vousnecroyezpas?

Adelineouvretoutgrandsesyeuxbleupâle.

–Desennuis?Pourquoi?

Pitié,épargnez-moilesclichéssurlesblondes.

–Unhommeestmort,danscetteaffaire.– Un homme…Oh, vous voulez parler demon agresseur. Il l'avait mérité. Le tribunal l'aurait

condamnéàmortdetoutefaçon.

Majaugedesympathiediminueàvued’œil.Sonagresseurétaitsansaucundouteuneordure,maisjen'aimepasqu'onparledeviehumaineavecautantdedésinvolture.

–Oui,maiss'ilnes'agissaitpasdepoliciers,ilspeuventquandmêmeêtretraînésenjustice.

Adelineagitelesdoigts,désinvolte.

–Maisnon.C'étaitilyalongtemps.Etpuisjeveuxlesretrouver.Karenm'aditquelelivreseraitlemeilleurmoyendetoucherlepluslargepublic.

Tuparles.Elleveutsurtoutenvendrelepluspossible.

J'ai malheureusement atteint les limites de la conversation. Insister davantage éveillerait lessoupçonsdenotrehôtesse.Jeluiadresseunsourirehypocrite.

– J'espère qu'il vous apportera ce que vous espérez. En attendant, si vous me montriez lesmerveillesquevousavezréaliséesdanscettemaison?

LavisiteauraitétébienplusagréablesanslaprésencesilencieusedeJasonetlaconfirmationdelamenace qui pèse sur le groupe. J'ai l'impression qu'un gros nuage noir s'est posé surmon épauletandisquejem'extasieconsciencieusementsurchaquedétailindiquéparAdeline.Elleavraimentfaitdubontravail,c'estleseulpointensafaveur.Pourlereste,cetteécerveléeneserendpascomptedel'impactdesadécision.EtKarenn'aideenrien.Jeréfléchisàunmoyendelaconvaincredenepasutiliserletémoignaged'Adeline,envain.Contrairementànotrehôtesse,Karenn'estpasidiote,elleflaireraittoutdesuitel'anguillesousroche.

Aumoins,ellenelesapasreconnus,ellenepourrapaslesidentifier.

Je doute néanmoins que cela suffise à tranquilliser Tom, que Jason m'a décrit comme le plusangoissédugroupe.Quellepoisse!Jephotographielespersonnagessculptéssousl'undespignonssansparveniràtrouveràcetteactivitémonplaisirhabituel.

JeseraistellementplustranquillesansJason.

La pensée instinctive me paralyse un instant. Sans Jason, je me moquerais bien de l'impact dutémoignage d'Adeline. Je n'aurais pas passé deux jours à choisir des lits au lieu de travailler surl'exposition. Je ne m'inquiéterais pas non plus de trouver ma photo dans les tabloïds. Surtout, jen'auraisjamaisenvisagéderetourneràAspen.

Est-ceunsignequejedoism'éloigner?

JeregardedepuislebalconlabaiedeSanFranciscobalayéeparunventfroid.Noëlapproche.Ai-jevraimentenviederompreavecJasonetdepasserleréveillondevantlatélévisionavecunseaudepop-corn ? À présent que je me suis engagée, autant aller jusqu'au bout, non ? Je prendrai madécisionaprèslesfêtes.Nouvelleannée,nouveaudépart,toutça.

–Ilfaitfroid,ici,seplaintAdeline.Rentrons.–Oui.J'aiterminé,detoutefaçon.Merciencorepourvotreaccueil.–Maisderien.Vousmedonnerezladatedel'exposition?–Jevousenverrailesphotosretenuesparmail,sicelavousconvient.

NouséchangeonsnoscoordonnéessousleregardacérédeJason.Queva-t-ildécider?Jepourraism'inquiéter de l'usage qu'il va faire de ces renseignements collectés par mon biais… Mais j'aiconfianceenlui(etc'estçaquidevraitvéritablementm'inquiéter).Iltrouveraunmoyenderéglertoutcela au mieux. Nous prenons congé d'Adeline sans avoir, du moins il faut l'espérer, éveillé sessoupçons.

***

Leretourestanormalementsilencieux.JejettedesregardsàladérobéeàJason,souhaitantqu’ilenlèverapidementcespostichesquiledéfigurent.Cependant,forceestdereconnaîtrequ’ilssesontmontrésbienutiles.Adelinene luiapasaccordéunsecondregard,sansdouteaussiparceque j’aiaccaparélaconversation.J’aimeraisbiensavoircequ’ilpensedetoutça,maisjerespectesonbesoinde réfléchir. À sa place, je serais aussi paumée. J’envoie un remerciement à Karen pourl’organisationdelavisite,bienquej’aieplutôtenviedel’envoyeraudiable.Aprèstout,c’estdesafaute si Jason se trouve aujourd’hui en position inconfortable. J’envoie également (curiositémalsaine)untextoàTallulahpoursavoirsiellesetrouveavecJulian.Peut-êtrepourrait-elleapaiserleschosesdesoncôté…Àconditiond’êtreaucourant.Mesallusionssubtilesn’ayantaboutiàrienpour l’instant, j’en conclus que Julian ne lui a pas parlé de l’affaire. Ce qui est une bonne chose,Tallulahayanttendanceàparlerplusvitequ’elleneréfléchit.

–Qu’est-cequetuenpenses?lâchesoudainJason.–Quoi?–Quedevons-nousfaireausujetd’Adeline?–Euh…C’estàmoiquetuposeslaquestion?

Ilmelanceuncoupd’œilexaspéré.

Brrr,décidément,ceslentillesmarronluivonttrèsmal.

–Tuvoisquelqu’und’autredanslavoiture?–Non,maiscen’estpasàmoidedéciderpourvous.JesuiscertainequeCynthiaseraitdemon

avis.–Jenetedemandepasdedécider.Jetedemandeunconseil.Çasefait,dansuncouple,tusais?

Uncouple.Uncouple.Depuisquandformons-nousuncouple,d’abord?

Jedécidedenepasreleverladernièreremarque.Lemomentestmalchoisipourendiscuter.Cequimelaissecommeuniqueoptiond'embrayersurlaquestioninitiale.

Jemesuisfaitmanipulerunefoisdeplus,jecrois.

–Adelinenevousapasvus.Commentveux-tuqu’onfasselelienavecvous?– Ils pourraient reprendre les emplois du tempsde l’époque.Nous étions les seuls à finir aussi

tard.–Tucroisvraimentquelecollègeconservelesemploisdutempssurplusdedixans?–Noussommesdevenuscélèbresrapidementaprès.Jecrainsquetoutcequinousconcernenesoit

devenucollector.

Ilconduitunmomentensilence,concentrésurlaroute,avantdereprendre:

–Noussommesrevenuspourunconcertprivé,ilyaquatreans.C’étaittrèsétrange.Nousavionsquittélecollègeenparfaitsanonymesoupresque,etlà,unmurentiernousétaitconsacrédanslehallde l’établissement. Photos de classe, résultats scolaires, articles de journaux…Même les anciensprésidentsn’ontpasledroitàuntelcinéma!Nosprofesseursdel’époquenousontcouvertsd’élogesalorsquenousn’étionspasprécisémentdesélèvesmodèles.Mêmeceuxquinousdétestaient.

–Jolierevanche,non?–Enmêmetemps,nousnouscontentonsdefairedelamusique.Jeveuxdire,c’estgénial,jesuis

trèsheureuxdepouvoirenvivreetjouerpartoutdanslemonde,maiscen’estpasnonpluscommesinousavionsremportéunprixNobel.

–Tuestropmodeste.Moijetrouveçaplutôtcool.Aumoins,ilsn’ontpasdepréjugéscontrelerock.

–C’estvrai.Delàànousconsidérercommeunmodèlepourlesgosses,ilyaunelimite.–Tun’auraispasaiméavoircegenredemodèle,àl’époque?

Ilsecouela tête.Unemècheblondelui tombedans l’œil.Je larepousse,récoltantaupassageunbaisersurmonpoignet.

– Certainement pas. Tout l’intérêt de jouer du rock, c’est la rebelle attitude. Si ça devient uneinstitution,oùestlefun?

– Tu as raison. En fait, vous auriez dû mettre le feu au bâtiment. Ça vous aurait fait gagnerplusieurspointssurl’échelledesrebelles,enplusdedétruiretouteslespreuves.

–Pasbête.J’ypenseraipourlaprochainefois.

Unsouriretaquinjouesurseslèvresuninstant,viteeffacéparunenouvelleridedepréoccupation.J’entrouvrelafenêtrepourchasserl’odeurdel’eaudeCologne.Cetrucestunvéritablepoison!

–Nousdevrionspeut-êtredirelavéritéàAdeline,réfléchit-il.–Hein?Pourquoi?–Sielleal’occasiondenousremercier,ellerenoncerapeut-êtreàpubliersontémoignage.–Oualors,elleenprofiterapourlevendredixfoispluscher.–Ellen’apasbesoind’argent.–Maisdereconnaissance,si.

Jason passe une main dans ses cheveux, dérangeant sa perruque blonde. Je pouffe devant lespectaclequ’iloffre.Soncharmenaturelenprenduncoup.

–Bon,décrète-t-il,j’aibesoind’yréfléchir.J’enauraitoutletempsdurantleséjouràAspen.Nousprendronsunedécisionaprès.

Ahoui,Aspen.J’avaispresqueréussiàl’oublier.

Monpèreal’étonnantecapacitéd’oubliersystématiquementsesrendez-vousmédicaux.Mamèreabeau lenoterengrossur l’agenda, lecalendrier, son téléphoneportableetmêmeposerdespost-itjaunefluosursonatelier,iln’yarienàfaire,ils’ensouvienttroisjoursplustard.Ehbien,disonsquej’aiàpeuprèsautantenvied’alleràAspenquedemefairearracherunedent.

Jasonposeunemainsurmacuisse.

–Tunevaspasreculer,n’est-cepas?–Jepeux?–Non.–C’estbiencequejepensais.

Je pourraisme rendredemain à l’aéroport pour embarquer dans le premier avion.MesparentssonttropoccupéscetteannéepourfêterNoël,maissijeleurparled’Aspen,jesuissûredelesfaireréagir.Ilsmedonneraientraison.Pourquoirouvrir lesplaiesdupasséquandl’avenirvoustendlesbras,viergeetaccueillant?IlsnesontjamaisrevenusàAspennonplus,pasmêmepourserecueillirsur la tombedemagrand-mère.«Lesmortsviventdansnos souvenirs,Kim»,ont-ils répétécentfois.Jesuisd’accordaveceux.Maispeut-être,parfois,peut-onremplacerdemauvaissouvenirspardemeilleurs ? Skier avec Jason, profiter d’unNoël traditionnel, ne peut queme faire du bien. Jerepartiraid’unmeilleurpiedensuite,prêteàconquérirlemonde.

Oui,bon,jen’ycroisabsolumentpas.

Lavérité,c’estquejesuisincapablededirenonàJason,mêmes’ilmeproposaitdeplongerdansunbassinpleindepiranhas.Çacraint.

–Toutsepasserabien,promet-ilcommes’illisaitdansmespensées(qui,àmaminelugubre,nedoiventpasêtredifficilesàdeviner).

–Tuesvoyant?–Non,j’aiconfianceennousdeux.

Ehbien,çaenfaitaumoinsun…

Sa main posée sur ma cuisse, je m’absorbe à mon tour dans mes pensées. Mon mauvaispressentiment n’est-il que l’effet d’une méfiance naturelle ? Ou dois-je m’attendre à descomplicationsinévitables,àfréquenterunerockstar?

5.Départetdécision

Lamaisonsentlacannelleetlesapin.J'avaissuggéréqu'onenlèvelesdécorationsavantdepartir,pouréviterdecommencerl’annéeparlacorvéederangement,maisVioletetTallulahontpoussédescris d'orfraie. Il paraît que ça porte malheur. Personnellement, je trouve plutôt déprimante laperspectivedemeretrouverencoresouslespommesencireetlehouxquandnousreviendrons,lesfêtes passées.AprèsAspen, l'exposition arrivera très vite et il sera temps pourmoi de quitter SanFrancisco…

Je vérifie ma valise. Trois paquets emballés dans du papier doré sont planqués sous les pulls.Qu'offre-t-onàunerockstarquiadéjàtout,hein?RéponselejourdeNoël.

–Tuesprête?

Tallulaharborecematinunchapeaupoiluqui,àmonavis,n'ajamaisétéàlamode.Ladernièrefois que j'ai compté, elle avait rempli quatre valises, soi-disant de jouets destinés à ses nombreuxneveuxetnièces.

–Terminé!–Tuastellementdechance!soupire-t-elleenselaissanttombersurmonlit.–Jecroyaisquetuétaisraviederetrouvertafamille?–C'estvrai.Jelesadore,mais…puisqueJasont'inviteàAspen,jemesuisditquepeut-êtreJulian

auraitlamêmeidée.–Tunelaluiaspassoufflée?

ConnaissantTallulah,jedoutequ'ellesesoitembarrasséedesubtilités.Elleécartelesbrasdansungestethéâtral.

–Ilm'aditqu'ilrentraitdanssafamille.C'estsacré,pourlui.–Enmêmetemps,Noëlestunefêtefamiliale.–Çadépendpourqui.Tuvoisparfoistesparents,toi?–Biensûr!L'andernier…Non,celuid'avant…Oualorsc'étaitdéjàilyadeuxans?Bref,nous

avonspasséunsuperréveillonsurlaplage.AvecdespèresNoëlquidevaientmourirdechaudsousleurhabitrougeetdesavionsquipassaientdanslecielavecdesbannières«JoyeuxNoël».

–Bof,grimaceTallulah.Noëlàlaplage,cen'estpasvraimentNoël.–DitlafillequivapasserlesfêtesàHawaï.– Nous restons dans la maison ! Il y a un véritable sapin et ma mère pulvérise de la neige

artificiellepartout.

Chacunsontruc.

–Jesuissûrequetuvasbient'amuser.–Moinsquetoi,veinarde!Aspen,tuterendscompte…

–JeconnaisAspen.–Maistun'yesjamaisalléeencompagnied'unestardurock.

Non,etjepréfèreévitertrèsfortdepenseràcetaspect-làdelaquestion.

Montéléphoneémetuntrille.Jasonserait-ilenavance?MaislesmessagesproviennentdeNelson,d'unepart (pourm'informerqu'ilabien transmis les instructionsconcernantPrinceàBerenice, lesseizepages),etdeBerenice,d'autrepart(pourmediredenepasm'inquiéterausujetdubandit,ilseratraitécommeunroi).

–Jenem'inquiètepas,dis-jeàvoixhauteendéchiffrantlesecondmessage.–Combiendefoisas-tudemandéàVioletsicefichuchatrisquaitdefuguerdenouveau?Ellen'est

pascomportementaliste,tusais.–Non,mais…C'estlapremièrefoisquejem'occuped'unanimal,jeveuxfaireçabien.–Tuparles.Tun'asmêmepasencaissélechèque.–Ceseraitdélicat,étantdonnéquejesorsavecJason.

Tallulah rebondit sur le matelas (qui heureusement pour elle a l'air plus solide que celui deParadise)pours'asseoirentailleur,lesbrasautourdesgenoux.

–DonctureconnaisofficiellementqueJasonesttonpetitami?–Ettoi,avecJulian?Jecroyaisquec'étaitjustepours'amuser?

Uneombrepassesursonvisage.Jem'enveuxsoudaind'avoiradoptélabonnevieilletactiquedu«lameilleuredéfense,c'estl'attaque».

–Jelecroyaisaussi,soupire-t-elle.Maisilestsi…Enfinjenepensaispasqu'ilseraittellement…humain,quoi!

–Tupensaisquelesrockstarsétaientdessortesdedemi-dieux?–Quelque chose dans ce genre, rigole-t-elle. Toi, tu as plutôt le problème inverse. Tu as enfin

écoutéleursalbums?–Euh…J'aiététrèsoccupée.

Pasdupe,ellemelancel'oreilleràlatêtepourmepunirdemonmensonge.Jelerattrapeauvol.

–D'accord,jen'aimepaspenseràJasonentantquechanteurdeGolden.Etalors?–Alorsc'estsavie,quandmême!

PasàAspen.

ÀAspen,nousserons tous lesdeux, loindumondeet…necherchezpasplus loinpourquoi j'aiacceptédel'accompagnerendépitdufaitquemonestomacsesoulèveàchaquefoisquejem'imaginearpenterlesruesdelaville.

–Oui,jesais.Maiscen'estpascommesijecomptaisl'épouser.Cen'estqu'uneparenthèse,nousymettonscequenousvoulons.

Tallulahmecontemplecommesijem'étaissoudaintransforméeenlutindupèreNoël.

–Tuesincroyable.

Jen'aipasl'impressionquecesoituncompliment,bizarrement.

Jeclaquelecouvercledelavalised'ungesteénergique.Prête!Jen'attendsplusqueJason.Nousdescendonslesvalises(lamienneetlesquatredeTallulah)dansl'entréeavantderejoindreVioletausalon.Tallulahs'approchedescadeauxposéssouslesapin.Nousavonsdécidédenelesouvrirqu'ànotreretour,maislacuriositéladévore.

–Reposeça!lancelavoixdeVioletdederrièrelecanapé.–Jenefaisaisquelesoupeser,protesteTallulah.Mmm…Légermaispastrop.Vulaforme,çane

peutpasêtreunlivre.Duparfumglouglouterait.Troprigidepourunvêtement.Alors…–Alors tu le sauras l'annéeprochaine, conclutViolet, impitoyable.Kim, je croisque tudevrais

jeteruncoupd’œilparlafenêtre.Faisattentionàbienresterderrièrelesrideaux.

Ohoh.Monintuitionmeditquejenevaispasapprécierdutout.

Tallulah,plusrapidequemoi,adéjàbondiàl'autrefenêtre,sanssesoucierd'êtrevue.

–Lavache!Ilssontcombien,là-dehors?

Dutout,dutout.

Jemetraînejusqu'àlafenêtrecommeonvaàl'abattoir.UngrosSUVauxvitresteintéesstationnedevantleportail.Toutautour,descaméras,desjournalisteshystériquesetdesmicros.

OhmonDieu,ondiraitunremakedufilmd'Hitchcock,LesOiseaux.

Remplacezlesoiseauxpardesjournalistesetonyest.Jesuissûrequ'ilsvontbientôtentrerparlacheminée.

–Oups,faitTallulah.Jecroisquevousêtesrepérés.–JedisàJasondes'enaller.

Horsdequestionquejesortedelamaisonaveccettemeutesousnosfenêtres.Jen'aijamaisétéfandesfilmsdepoursuiteavecdeszombies.

–Alorsturenonces?demandeViolet.

Jemehérisseaussitôtsouslacritiqueimplicite.

–Quoi,jerenonce?–Jasont'attend.–Jasonestuncrétin.Pourquois'arrête-t-ilaumilieud'unemeutedejournalistes?

ToutenrépondantàViolet,jetapeunmessagesurmontéléphoneportable.

[Départreporté.Démarre.]–Parcequ'ilaenviedevoirsituoseraslerejoindre,suggèreViolet.–Laréponseest«non».Illesaittrèsbien,d'ailleurs.Nousétionsd'accordlà-dessus:riendans

lesjournaux.–Ettuyascru?railleViolet.Tuneterendsvraimentpascomptedequiilest.

J'aibienenviedeluiraconternotrevisiteàSevenGables,histoiredeluiclouerlebec.Jasonsaittrès bien comment échapper aux journalistes, quand il le veut, alors pourquoi s'exposerait-ilvolontairement?Montéléphonevibre.

[Viens.]

Merde,ilveutvraimentquejelefasse?Àquoiiljoue?

Jerépondsaussitôt:

[Pasquestion.J'attendsqu'ilssoientpartis.]–Tudevraisyaller,conseilleTallulah.J'aiunavionàprendre,moi,et ilsbloquent la rue.Mon

taxinepourrajamaissegarer!

Toutlemondeaofficiellementperdularaison,ouquoi!?

Montéléphonerenchérit:

[Ilssaventoùtuhabites,ilsconnaissentprobablementtonnom.Ilsnepartirontpas.]

Ehbien,voilàquiesttrèsréconfortant.

–J'aideslunettesnoiresdansmachambre,poursuitTallulah.Nebougepas,jetelesapporte!Tuveuxunchapeau,aussi?

–Non,unhélicoptère!Ilesthorsdequestionquejetraversecechampdemines.Vousdélirez,ouquoi?

–C'estuntest,affirmetrèssérieusementViolet.Àtoidedécidersituveuxlepasserounon.

Untest,maintenant!Oùestlacaméracachée?Jetaperageusement:

[Vaaudiableetemmène-lesavectoi.]

Jesuissûreques'ildémarre, toutlemondelesuivraet jepourraisortirsansrisquedemefaireagresseràcoupsdemicrosetdecaméras.Montéléphonesonnedeuxminutesplustard.Jesaisisleprétexte de retournerm'enfermer dansma chambre. Finalement, j'adore les feuilles de houx et lespommesencire.Jepourraisattendrequelesfêtespassentblottiesousmacouette.LeprogrammetéléannonceunerediffusiondesDentsdelamer.Toutàfaitadaptéàcequimeguettedehors.

–Allô?–Kim,qu'est-cequetuattends?Plusletempspasse,plusilsserontnombreux.–Grand bien leur fasse. Lamétéo annonce des températures négatives pour la nuit. Ils vont se

gelerlesmiches.–Ilfautquetuviennes.L'avionnousattend.

Ohoui,lejetprivépourAspen.

Jen'aijamaisvoyagéenjetprivé.Qu'enpenseraientceschasseursdepeople,là-dehors?Quedumal,sûrement.

–Ehbien,reporte.–Unplandevolnesereportepascommeça.–Jason,affronterlesjournalistesnefaisaitpaspartiedenotreaccord.–Quelaccord?

Ceculot!

Lafuméemesortdesnarines.Bientôt,jevaisprendrefeu,cequiconstitueunefaçoncommeuneautrederésoudreledilemme.

–Tuavaisditquetoutsepasseraitbien,quelapressenesauraitrien…–Lesecretatenuplusd'unmois,Kim.C'estunrecord.–Donc,engros,tuesentraindem'expliquerquetuasmentietquetusavaisdèsledépartqueça

finiraitcommeça?

Une bonne chose que nous ayons cette conversation par téléphone. Je nem'énerve pas souvent,maisquandçam'arrive,jeprésenteunecertainetendanceàjeterdesobjets.Jerefermelepoingsurunepommeencire.

–Cen'estpassigrave,jetelepromets.–Passigrave?Si je sorsmaintenant, je suissûred'avoirma têteenpremièrepagede tous les

tabloïdsdupaysdemain!–C'estbientôtNoël,ilsaurontd'autressujetsdepréoccupation.

C'estça,etmoijesuisunedinde.

Jelâchelapauvrepomme(Violetmetuerasij'abîmesesdécorationsvintage)etchercheduregardautre chose à lancer. Une paire de chaussettes demeurée sur le lit me servira de défouloir. Je laprojettedetoutesmesforcescontrelaporte.

–Jerefuse.–Tuashontedemoi?–Nousavonsdéjàeucetteconversation.–Parcequemoi,jen'aipaspeurd'affirmerhautetfortquenoussommesensemble.

La-la-la,jenet'entendspas,jenet'entendspas…Quoi!?

–Attends,nemedispasquetuasmontéceplanjustepournousafficher.–Non!Cen'étaitpasprémédité,jetejure.Maispuisquenousensommeslà,autantenprofiter.

–Enprofiterpourquoi?

Unlongsilencemerépond.Jemelaissetomberàplatdossurlelitetm'amuseàlancerlapairedechaussettesenl'air,quej'aiprissoinderamasser.Est-cequej'entendslarumeurenfler,dehors?LetéléphonedeVioletadéjàsonnéplusieursfois.

Commentai-jepumefourrerdansunesituationpareille?

Voilàcequ'ongagneàécouterseshormones.Laluxureestl'undesseptpéchéscapitauxet...

–Kim,jeneveuxpasmecacher,nouscacher.Jesaisquenoussommesensembledepuispeudetemps,mais,mêmesiçateparaîtdingue,j'aisuqueceseraitdusérieuxentrenousdèsnotrepremièrerencontre.

–Çameparaîtdingue.

Ilprenduneinspirationbruyante.J'entendsdescrisentoiledefond.J'espèrequelameuteenfolienes'attaquepasàsavoiture…

–Fileavantd'avoirdesennuis.–Passanstoi.

Bordel,quecethommeesttêtu.

–Nouspartironsdemain.–Tucroisqu'ilsserontpartisdemain?Tuasencoredeschosesàapprendresurlesjournalistes

people.–Denuit,jeleuréchapperaisanspeine.JenesuispasexactementungenredeCendrillonpotiche,

tusais?

Sonriremefaitvibrer.Jeserreleschaussettescontremoi.

–J'avaisremarqué.MaisKim,jetedemandedefaireçapourmoi,pournous.Situsors,c'estquetuacceptesd'assumernotrecouple.Sinon…

Ilneterminepassaphrase,laissantplanerledoute.Sinonquoi?Onsesépare?Detoutefaçon,c'est ce qui arrivera dans quelques semaines, alors un peu plus tôt, un peu plus tard, quelleimportance ? Pourtantma gorge se noue à cette perspective. J'entrouvre la porte dema chambre,traverse lecouloirpourentrerdanscelledeTallulah.Lesvoletssontdéjà fermés.Je lesentrouvrepourscruterlafouledanslarue.Celle-ciaencoregrossietserreleSUVdeprès.

Jenepeuxpasfaireça.Ceseraitlaporteouverteàdesennuissansfin.

D'un autre côté, je ne vais pas non plusme laisser impressionner par des photographes,mêmemunisd'untéléobjectifplusgrosquelemien.

Si je branche leKärcher que nous avons utilisé pour nettoyer le toit, combien arriverai-je à endégommer?

Cetteidéemefaitriremalgrémoi.

–Kim?Tuestoujourslà?–Ouais.Lesjournalistesaussi.–Écoute, je teproposelachosesuivante : je t'attendsencoredixminutes.Sidansdixminutes tu

n'espaslà,j'iraiprendrecetavionseul.–Duchantage?–Cen'estpasduchantage.Jetelaisselechoix.–Ilsdisenttousça:vousavezlechoix,payeroumelaisserdiffusercesphotosdevousdansune

situationcompromettante…–Jetiensàtoi,Kim.Vraiment.J'aibesoindesavoirsic'estréciproque.

Aprèslechantage,lecoupbas.

Unegrossebouleseformedansmagorge.S'ilmefaitpleurer,jeletuedemespropresmains.Jemurmureun«OK»étranglédanslecombinéavantderaccrocher.

Etmaintenant,c'estl'heuredefairemonchoix.Jasonoumatranquillité?

Jedescendsl'escalieràpaslents,poingsserrés.Lesvalisesposéesdansl'entréemenarguent.Dixminutes.J'aidixminutespourmedécider.

Àsuivre,nemanquezpasleprochainépisode.

Egalementdisponible:

Toutça,c’estlafauteduchat!-4

Toutça,c'estlafauteduchat!JedevaisresteràSanFranciscoquelquessemainesseulement,letempsd'uneexpositiondephotos.MaisPrince,cemauditfélin,atoutfichuparterre!Prince,etsurtoutsonpropriétaire:Jason,lebeau,séduisant,irrésistiblechanteurdeGolden.Unaimantàproblèmes!Legenred'hommequejefuissansmeretourner,d'ordinaire.Seulement,jen'aijamaissurésisteràundéfi…Surtoutquandcelui-ciestaussisexyqueJason.Alors,lesproblèmes,j’enfaismonaffaire.Quitteàjetermoncœurettoutesmesconvictionsdanslabalance!

Egalementdisponible:

Prêteàtout?

Deuxinconnusirrépressiblementattirésl’unparl’autrepassentensembleunenuittorride,ilsn’ontpasprévudeserevoir.Ouimaisvoilà,elle,c’estTessHarper,unejeunefemmequiaungrandbesoind’argentetquiparticipeàuneémissiondetélé-réalité,quitteàpasserpourunepoufiasse.Lui,c’estColinCooper,ilestproducteur,plutôtintello,etdétestelespaillettesetlesbimbos.Etilsn’avaientpasledroitdeserencontrer.

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Retrouveztouteslesséries

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