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Fallaitpasmechercher!

J’ai24ans,unpèretyranniqueetunempirebabylonienàgérer.MafortunecolossaleetmonjoliculfontdemoilemeilleurpartideLosAngeles.Jesouris,onsepâme.J’ordonne,onm’obéit.J’auraispum’appelerMike,JohnouWilliam,maismeschromosomesenontdécidéautrement.Jem’appelledoncValentineLaine,jesuisunefemmequidoits’imposerdansunmondederequins,etriennipersonnenemerésiste.

Aumoinsjusqu’àl’arrivéefracassantedeNilsEriksen,quim’asauvélavietoutenymettantunsoukimprobable.Sanscesse,nosdestinss’entrechoquent,s’entremêlent,s’entrelacent,etnoscorpsnedemandentqu’àlesimiter…

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Désir-Divineinsolence

Lajournéeavaitpourtantbiencommencé!Romane,jeuneassistanted’édition,aréussiàobtenirunrendez-vousavecunepersonnalitéincontournable.Maistrèsviteriennevaplus:auboutd’uneheured’entretien,elleréaliseque«lapersonnalitéincontournable»l’aconfondueavecquelqu’und’autre,etquandelles’enfuit,mortedehonte,elleseretrouvecoincée,seule,dansl’ascenseur.Neluiresteplusqu’àrespirerprofondémentenattendantqu’unhérossuper-sexyladélivre.Là,ellerêve,lesmecs,çafaitlongtempsqu’elleafaitunecroixdessus…Etpourtant…

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BadLove–Captivemaisinsoumise

Unmatin,Elsaseretrouveprisedansunefusilladedevantlesécuriesoùelletravaille.L’inconnuquiétaitvisél’entraînedanssafuitepourlaprotégerdestueursdontelleavulevisage.RetenuedanssonharasduKentucky,elleserebellecontrecettecaptivité,maisnepeuts’empêcherdetombersouslecharmedubelOscar,aussisexyquemystérieux…Entredangeretséduction,lavied’Elsaseretrouvecomplètementbouleversée!

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Séduction&tentation:NorahetLucilla

Norah,étudianteenjournalisme,vientdedécrocherunstagedansleprestigieuxmagazinedemodeFashionable.Lajeunefemmeestaucombledubonheur:sonjobestidéal,elleadorelavieeffrénéedeParisetelleemménageavecRémi,sonamourdelycée.Toutseraitparfaits’iln’yavaitpasLucilla,larigoureusePDGdeFashionable,quil’intrigueautantqu’ellelafascine.Lucillaestarrivéeautopdel’échellesociale,elleestrespectéeetinaccessible.Maiselleestsurtoutincroyablementsexy.LasuperbeItaliennefaitnaîtrechezNorahdespenséesinavouablesetdesfantasmesinconnusquilabouleversent.Etquandlesdeuxfemmescèdentàlatentation,cesonttouteslescertitudesdeNorahquivolentenéclats!

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Insupportable...maisàtomber!

Noran’aque24ansmaissesgrands-parentsluiontdéjàconfiélaresponsabilitédeleurhôtelnew-yorkais.Àlatêted’unétablissementaussiprestigieuxquedélabré,ellesebatentrelesclientscapricieuxetlesfacturesàpayer.Riendebienexcitantjusqu’aujouroùellerencontreNeilCaine,LEdesignerquetoutlemondes’arrachepoursacréativité…maisdonttoutlemonderedoutelesfrasques!Leurrelationserapleinedesurprises,depassion...etdetensionsentousgenres.

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GabrielSimon

IMPOSSIBLELOVERETROUVE-MOI

Volume5

ZPAR_005

1.Erreursetconséquences

LibrairieésotériquedePhoebe,GreenwichVillage.

14h13.Jeudi3décembre2015.

Jemesensdéfaillir.Mavuesebrouilleetmesjambescèdentsousmoi.Jetentedemerattraperaucomptoirenbois.Serenaseprécipitepourmesouteniretmeretientdejustesse.Moncœurbatfortdansmapoitrine.

Cen’estpaspossible…

Çanepeutpasêtrevrai…

Jesuisentrainderêver…

C’estuncauchemar…

Maxavaitenfinréussiàmerejoindredanssonfutur,icien2015.Nousavonspasséensembledesmomentsdebonheurextraordinaires,etvoilàqu’enl’espacedequelquesinstants,touts’estemballé,lemondes’estcommeretourné,etMaxs’esteffondré.Ilestpartimaintenant,évaporédanslesairs,disparu…

Àjamais?

–Emily!Emily!Parle-moi.Çava?mesoufflevivementSerenaenmeretenantdanssesbras.

Moncerveauestembrouillé.J’aidumalàarticuler,etlevisagedemonamiem’apparaîtbrumeux.Phoebe s’approche. Je sens une pression douce sur mes tempes et une forte odeur de plantes etd’alcool.Çamefileuncoupdefouetimmédiat.

Jemeredresse,m’assiedsettousseunboncoup.

–Çava,çavaaller,merci,parviens-jeàarticuler.

J’entendsmavoixcommevenantd’ailleurs.Serenamecaresseledos.

–Phoebe, reprends-jeen la regardantparendessous…Qu’est-cequi s’estpassé?Toutaété sivite.Jen’airienvuvenir.Jevousensupplie,dites-moicequevoussavez.

Elleprenduntempsderéflexion,puis:

–Levoyagedansletempsestquelquechosedebienpluscomplexeetdangereuxquevousnelecroyez.Cen’estpaspour rienquecesaventuresdoivent resterconfidentielles.Plusieurs fois,vousavez voyagé vers le passé. Vous n’avez rencontré aucun souci particulier, et c’est une chance. Le

destinétaitenvotrefaveur.En1963,vousn’existezpasencore.C’estunpeucommesivousévoluiezdansunautremondequelevôtre.Lesrisquesysontmoindres.Maisnaviguerverslefutur,c’estbiendifférent.Maxaunevieaprès1963.S’ilvoyagedanslefutur,ilinterromptlecoursdesavieetcréecequ’onappelleunparadoxe temporel.Une faille enquelque sorte.Soncorpsnepeutpas résisterlongtempsen2015.Onnepeutpasjouerinnocemmentavecceschoses-là.

Jouerinnocemment?Commesionm’avaitdonnélemoded’emploi!Jen’airiendemandé,moi,çam’est tombédessus tout seul.C’est vrai, quoi, ce n’est pasmoi qui joue avec le temps, c’est ledestinquijoueavecmoi.

Jeme sens tout demême coupable : Donald nous amis en garde ; il nous a bien dit de faireattention.Maiscommentsavoircequ’ilfautfaireetnepasfaire?

Serenas’estrelevéeetamislabouilloireenroute.

–Phoebe?fais-jeenretenantmeslarmes.–Oui?–Jepeuxutiliserlaportetemporelledelalibrairiepourallervoir…siMaxvabien?

Elleal’airtroubléeparmaquestion.

–Jesuisnavrée,Emily,medit-elledoucement.Cen’estpluspossible.Jenesenspluslaprésencedelaporte.Voshistoiresontdûcréerdesinterruptionsdanslescanauxtemporels,etlesconnexionsentrelessassesontrompues.

Uneboulemontedansmagorge.

–Vousavezmisunsacrébazar,murmure-t-elle, l’airsongeur,commesielleavaitdéjàvécucegenredesituation.

Jesensmonmondes’écrouler.Jemerelèvelentement.

–Tuneveuxpasuneboissonchaude?medemandeSerena.Çateferaitdubien,tusais.

Cequimeferaitdubien,c’estderevoirMax…

Envie.

–Non,luiréponds-jefaiblement.Jevaisyaller.

Jemedirigecommeunzombieverslasortie.

–Emily!appelleSerena.Tut’envascommeça?–Oui,jegère,net’enfaispas,luiréponds-jeententantunfaiblesourire.

Maisjusteavantd’ouvrirlaporte,jemeretournedenouveau:

–Justeunesupposition,Phoebe…

–Oui?–Sijamaisjevoyageaisgrâceàuneautreportetemporelle,est-cequeçamettraitMaxendanger?–Non,pasdanscesens-là.–OK.–Faitesattentionàvous,faitPhoebedoucement.–Merci,luisoufflé-je.Mercipourtoutcequevousavezfait.

SerenaetPhoebemesourient,pleinesd’empathie.

Lecarillonsonnederrièremoietunventfraisseglisseentrelespansdemonmanteau.J’aifroid,dehorsetdedans.Maisjemereprends.Laportetemporelledelalibrairienefonctionneplus?Ilfautentrouveruneautre!Etenpremierlieu,réessayerlaseulequejeconnaissepourl’instant:

Danny.

Jepassemamanchesurmesyeuxpourlessécheretj’accélèrelepas.Unepetitepluiefinesemetàtomber.Lemondeestcontremoi,ouquoi?

Jem’en fiche. Le destin peut bienmettre autant d’obstacles qu’il veut entreMax etmoi, je lessurmonteraitous,unparun,peuimportentletempsetl’énergiequ’ilfaudra.

ArrivéeaupiedduCarawayBuilding,j’aiunmomentd’hésitation.Jesuiscenséeêtremalade,pasauboulot.Si lesgensdeSullivan inc.mevoientenpleinepromenade, ils risquentdeseposerdesquestions.Enfin,quandjedis«lesgensdeSullivaninc.»,jepensesurtoutàVoldemort!SijamaisCarmenm’aperçoit, ilva falloirque je trouveautrechoseque lesmensongespitoyablesque je luisersdepuisdeuxjours.Sinon,ellerisquedenepasmelouper.

Jepénètredanslegrandhallbondé.Quaranteétagesdebureaux,çadraineunesacréepopulation!Jesuisattentive:ils’agitdenepasmefairerepérer.Mesyeuxcourentdevisageenvisage,vérifiantqu’iln’yapersonnequimeconnaisse.J’avanceàpasdeloup,enlongeantlemur.Lesseulsquimeprêtentattentionsontlesvigilesetleconcierge.Maisc’estdecourtedurée:ilssaventquijesuisetdoiventsimplementsedirequemoncomportementcouveunburn-outcarabiné.

Enfin, j’arrive au niveau des ascenseurs. La foule y est compacte et les cabines déversent àintervallesréguliersleurlotdecostardsetdetailleursnoirsetgris.Maisilyaunebonnenouvelle:jenevoisplusderéparateurstravaillantsurDanny!Deuxièmebonnenouvelle:iln’atoujourspasl’airdefonctionner.C’estunbonpoint,celasignifiepeut-êtrequemaportetemporelleesttoujoursopérationnelle.

Enfin,j’espère.

Detoutefaçon, iln’yapasà tergiverser, il fautquecelamarche.Jen’ai toutsimplementpas lechoix.Malheureusement,impossibledelesavoirpourl’instant:jen’arrivepasàmeretrouverseule– condition requise pour le voyage. Les allées et venues des businessmen et businesswomen sontincessantes.

Ilmefauttrouverunhallplustranquille.Jemontedansl’unedescabinesentrottinantauseind’un

petit groupe de personnes en pleine conversation, à l’air très sérieux, répétant à l’envi lesmots «ASAP»et«rétroplanning».

L’ascenseurs’ouvreetserefermequasimentàchaqueétage.Ilyenapourdesheures!Lestressmonte.JerevoislesimagesdeMax,sifébrile,souffrantatrocement.Lesouvenirdecesinstantsdedouleurraviveenmoiunesensationdenauséequejetentedecamoufler.Jeprieintérieurementpourqu’il aille bien.Mais comment le pourrait-il alors que je l’ai vu, quasimentmourant, disparaître,commes’ilsedésintégraitdanslesairs?

Moncœurbat,maisjenedoispasmelaisseraller.Leplusimportantpourl’instantestdetrouverunétagecalmedanslequeljepourraimeretrouverseule,etenfinappelerDanny.

Lesétagessesuccèdentàunelenteurdésespérante.Jetrépigne.Enfin,lesportess’ouvrentsurunhallquasimentvide.

C’estmachance!

Jemeglisseàl’extérieur,maisjetressaille:c’estletrente-sixième!C’estmonétage.Vite,jemeretourne, mais trop tard : l’ascenseur est déjà reparti. Je suis coincée. Je regarde autour de moiprécautionneusement.Ils’agitdenepassefairepincer.

–Emily!Tueslà?!

Jemeretourneensursaut.

–Ah,Olympia!fais-je,àdemisoulagée.C’esttoi…–C’estgénialdetevoir!s’exclame-t-elle.Çaveutdirequeçavamieux!Tutefaisrareàl’agence

depuis ta présentationWhite-Rose. D’ailleurs, bravo, il paraît que t’as assuré unmax. Tu nous asmanqué,àAgnèsetàmoi.Elleadestrucsàteraconter,jetedispas!

Etellepartd’unrirepétillant,commeàsonhabitude.

J’aimeraistellementqu’elleneparlepassifort.Jeregardeautourdemoicommeunlièvreprisenchasse.Jedoisavouerquesi,d’ordinaire,c’estunplaisirdevoirOlympia, là,cen’est justepas lemoment.

–Oui,j’ensuissûre,bafouillé-je,malàl’aise.–Qu’est-cequ’ilya,Emily?Quelquechosenevapas?Unproblème?fait-ellevivement.–Non,non,non,répliqué-jeenvitesse.Un…commentdire…souci.Avecmonpetitami.Untruc

de…desanté.Jesuisunpeuinquiète,voilàtout.–Tonmec ?!Le fameuxmonsieurLongue-Distance ?Waouh, alors çadevient sérieux ?Vas-y,

maisraconte.T’asdesnews,ilfautlespartager!

Le ton super potins d’Olympiame donne un coup au cœur.Nos discussions sont généralementenjouées,maislà,c’estcomplètementàcôtédelaplaque.Merde,quoi!Maxestpeut-être…

…peut-êtremort?

Jefrémisàcetteidée.Etpuis,qu’est-cequej’aidit?«Petitami»?Cemotparaîtsifutileencemomenttragique.JeregardeOlympiadanslesyeux,maisellenesemblepasdeviner,nicomprendrequ’ilyaquelquechosedegrave.Etjeneveuxrienluidire.Paslà,pasmaintenant.Encetinstant,jemesenstellementéloignéedetouscespetitscancansdeboulot…Leslarmesmemontentauxyeux.Surtout, ne pas laisser Olympia s’en rendre compte. Elle me poserait des questions auxquelles ilfaudraitrépondre.

JepiétinenerveusementetpriepourqueCarmennenoussurprennepasen flag’, là,en traindediscutermecsdanslecouloir,Olympiaenpauseintempestive,etmoienpleineécolebuissonnière.

–Bon,Olympia, je te laisse, ilfautquejecoure, luifais-jeaveclemeilleursouriredont jesuiscapableencemoment.Jetevoisplustard,hein?

–Euh…OK,répond-elle,unpeudéroutéeparmoncomportement.–Et,biensûr,tunem’aspasvue,n’est-cepas?luichuchoté-jeavecunclind’œil.–Oui,oui,bienentendu,articule-t-elle,serendantfinalementcomptequequelquechosenetourne

peut-êtrepasrond.

Je file vers l’escalier en lui faisant un bref geste de lamain.Une fois la lourde porte demétalreferméederrièremoi, jem’yadosseun instant, fermant lesyeuxet soufflantpour reprendremesesprits.Jegrimpequatreàquatrelesmarchesvers lerooftop.C’estprobablementmaseulechance.Unefoisarrivéeàdestination,j’ouvrelaporte.

Yes!Iln’yapersonne.

C’estunpeul’heurecreuse.Personnenesehâteaubarenpleinmilieud’après-midi.Parcontre,ilfautfairevite,carilyatoujourslesfumeursquiprofitentdelaterrassedubuilding.C’estlemomentdevérité.Jem’approchedesascenseursetj’appuiesurlebouton.Jeretiensmonsouffle.Sic’estunecabinenormalequi s’ouvre,c’est lacata.Parcontre, si c’estDanny,c’estdebonaugure : laportetemporelleestpeut-êtretoujoursenfonctionnement.

Jecroiselesdoigts…

Bruitdeporte…

C’estDanny!

Ouf!

Je bondis dans sa direction et pénètre dans la cabine. J’appuie sur le bouton et je me laissetransporteràtraverslesâges.Lesportess’ouvrentau36eétage:papierpeintorangeetmoquettevertolive.

Jeressensunimmensesoulagement,puisimmédiatementuneviveinquiétude:commentvaMax?

JemeprécipitedansleslocauxdeWhitmaninc.Onmejettequelquesregardssurpris.Ilfautquejemecalme.J’attireunpeutropl’attentionsurmoi.Eneffet,unejeunefemmequiarpentelescouloirscommeunedératée,çan’estpastrèsdiscret.JeglisseunœilfurtifdanslebureaudeMax.Personne.

Cen’estpasbonsigne.

Heureusement,jetomberapidementsurEunice.

–Oh,mademoiselleGreen,quellebonnesurprise!–BonjourEunice,commentallez-vous?luifais-je,essoufflée,tentantdegardermoncalme.–Bien,mademoiselle.Trèsbien.Jetenaisàvousremercierpourvotresoutien,l’autrejour,lors

deceterribleévénement,merépond-elleavecferveur.–Cen’estrien,vraiment,c’esttoutnaturel,luirépliqué-jeenvitesse.Dites-moi,Eunice,oùestM.

Whitman?Ilnesemblepasêtredanssonbureau.– Non, effectivement, voici deux jours que personne ne l’a vu ici. C’est curieux, cela ne lui

ressemblepas.

Puis,enbaissantlavoix:

–Voussavez,reprend-elle,M.Whitmanauncomportementunpeu«spécial»cestemps-ci.Jenel’aijamaisvuainsi.Vousyêtespeut-êtrepourquelquechose?murmure-t-elled’untonespiègle.

–Jenesaispas,Eunice,bredouillé-je.Bon,jevaisessayerailleurs.–Quandvous l’aurez trouvé,dites-luibienque ledirecteurdeCadillacsouhaite luiparlerdesa

présentation.–Jen’ymanqueraipasEunice.Aurevoir.–Àbientôt!lance-t-elleavecunsourireléger.

Quand jevois labonnehumeurde touscesgensalorsque jeme ronge les sangs, j’ai enviedehurler!

LaconversationavecEunicem’adonnéuncoupaucœur.Jecommenceàvéritablementpaniquer.Il vamaintenant falloir partir à la recherche deMax, en pleinNewYork de 1963 .Vais-je en êtrecapable?

Etpuis,toutàcoup,unepenséemefige:etsiMax–quelquesoitsonétat–n’étaitjamaisrevenuen1963?Ets’ilétaitrestécoincédansces«canauxtemporels»,commelesaappelésPhoebe?Jefrissonne.L’idéequ’une imprudencedenotrepart aitpumenerà lapertedeMax, à sadisparitiontotalemeglacelecœur.

Jene saispasoùaller le chercher enpremier. Je réfléchisun instant : si, lebardu rooftop ! Jem’élanceverslesascenseurs.Arrivéeenhaut,jefileverslabaievitréeetdébouleentrombedanslesalon feutré. À cette heure-ci, il n’y a personne. Le barman – un jeune blondinet à l’air sévère –astiquesoigneusementlezinc.Jem’approcheetluidemandes’iln’apasvuMaxdernièrement.

–M.Whitman?Non,celafaitdéjàquelquetemps,répond-ildemanièreévasive.–Pardonnez-moi,maisenêtes-voussûr?–Absolumentcertain!C’estceluiquinouslaisselesplusgrospourboires,alorsvouspensezbien

quejem’enrendscomptequandiln’estpaslà!éclate-t-ild’unrireinsolent.

Jenerelèvepas,maisj’insiste:

–Et…etDonald?–Donald?Lebarman?fait-il,toutétonné.–Oui,Donaldquitravailleici.–C’estcurieuxquevousposiezlaquestion,parceque,justement,onnel’apasvudelajournée.Et

hiernonplus.Àmonavis,lebossnevapasapprécier.Quandilmontreraleboutdesonnez,ilvatrèsprobablementsefairevir…

–Oui,oui,merci,l’interromps-je.Bonaprès-midi.Aurevoir.

Ilmesalued’untonincertain,etjereprendsmacourseversmaprochaineétape:l’appartementdeMax.

Ensautantdansl’ascenseur, jebousculelégèrementdeuxfumeurs,clopesencoreéteintesaubec,quimeregardentavecsurprise.Jem’excusedemanièreconfuse, interrompuepar lafermeturedesportes.

Notepourmoi:essayerd’êtreunpeuplusdiscrète.

J’aibiencomprismaintenantqu’ilfautfaireprofilbas:lesvoyagesdansletempsnesontpasdeschosesàprendreàlalégère.Jepaiecetapprentissageauprixfort.

Àchaqueétage,denouvellestêtesentrentetsortent,papotant,réfléchissant,ousecurantlenezendouce.Toutecettevie,silégèreetanodine,merendfurieuse.Personnenepeutdoncvoirquejesuisenpleindrame?Quelamortestlà,touteproche?!

Non,personne.

Etc’estmalheureusementcomplètementnormal.Lesriresemplissent régulièrement lacabine,etcelameserrelecœuràchaquefois.Maisjenedoisrienlaisserparaître.Jesuistouteàmespensées,quandtoutàcoup:

–Emily!

Lafemmequivientdem’appelerjoyeusementaposélepiedjusteàcôtédemoidanslacabine.

–Oh…Betty.Bonjour,bredouillé-je.

C’estpasvrai !Combiende foisva-t-il falloirque je fassesemblant?Que jemontreunvisageenjouéalorsquejemeursendedans?

Betty a dû venir rendre visite à son mari Aaron au travail. À entendre son ton, nous sommesdevenues lesmeilleuresamiesdumondedepuis lapartyqu’ilsontorganisée l’autresoirdans leurmaison du Connecticut. Elle me serre dans ses bras avec effusion, force gestes, dans un flot deparolesetderougeàlèvres.

–C’estletimingparfait!s’exclame-t-elle.MachèreEmily,jemerendsàuneréunionTupperwareaubardurooftop.Venezvousjoindreànous,ilyauratouteslesépousesdescadresduCaraway.C’estvraimentunmomentdélicieuxàchaquefois.C’estexactementcequ’ilvousfaut.

Exactementcequ’ilmefaut?Mêmedansmonétat,jeréprimeunlégerrire.

–Jesuisdésolée,Betty,jesuisvraimenttrèspressée,m’excusé-jeavecunsourirepoli.J’apprécievotreinvitation,maisceserapouruneautrefois.

–N’attendonspaslaprochaineréunion.Ilfautab-so-lu-mentquenousprenionsunverretouteslesdeux.

–Oui,oui…,articulé-jemachinalement.

Heureusement,notreconversationestinterrompueparl’ouverturedesportesaurez-de-chaussée.D’ungeste,jeprendscongédemanouvellemeilleureamieetjefileàtraverslehallenm’empêchantdecourir.

Bizarrequandmême, cetteBetty.Ellem’a rejointedans l’ascenseurquidescendait alorsqu’elleallaitaubardurooftop…Elledoitvraimentvouloirqu’ondeviennecopines.

Jemetsdecôtécespenséespourmeconcentrersurmonobjectif:l’appartementdeMax.

Rienn’estplusfrustrantquedes’obligeràmarcheralorsquel’onestpressé.Jeneveuxpasfairede vagues en 1963 et tiens à passer aussi inaperçue que possible. C’est une torture ! Mes talonsclaquentsurletrottoirenunrythmed’unelenteurdésespérante.

Enfin, j’y suis. Le ciel est sombre et menaçant. L’immeuble de Max paraît gris et morneaujourd’hui.

Est-cequejemefaisdesidées?

Je pénètre dans l’entrée. Aucun signe du concierge. Je ne peux pas monter directement dansl’ascenseur, il y a une porte fermée à franchir.Mais à droite, sur lemur, un gadget furieusementmoderne:uninterphone!Jepressevivementsurlebouton«Whitman».

Aucuneréponse.

Jesensmestripesseretourner.Jememetsàtrembler.

Je sonne de nouveau. Puis encore. Furieusement. Désespérément. Quand soudain, un bruitélectrique : on m’ouvre la porte. Je cours, pétrie d’angoisse. J’ai du mal à avaler ma salive tantl’inquiétude m’étrangle. Enfin, l’ascenseur s’ouvre au dernier étage. Le couloir est baigné d’unefaiblelumière: laportedel’appartementdeMaxestouverte.Jeretiensmonsouffle.J’avanceavecprudence,oubliantmafrénésie.

Jeposeunpieddansl’entrée.

J’aiuncridesurprise.

Là,debout,devantmoi:

–Donald?!

2.Miseaupoint

AppartementdeMax,MadisonSquarePark.

17h31.Mardi3décembre1963.

Donald a les traits tirés. De profonds cernes sombres soulignent ses yeux. Il a perdu cetteexpressionunpeujuvénilequilecaractérisait.Ilestmanifestementtourmentéparquelquechose.

Degrave?

–Donald!m’écrié-jedenouveau.Que…quefaites-vouslà?EtMax?Oùest-il?–Ilfautqu’onparle,Emily.C’esttrèsimportant,fait-ilenm’indiquantlecanapédelamain.–Cen’estpascequejevousdemande!luirépliqué-jevivement.Max?Est-ilvivant?!–C’estunelonguehistoire.Nousdevonsparl…–Stop!hurlé-je.Excusez-moi,Donald,maisjem’entapepourl’instantdetoutesvoshistoires!

Onverraçaplustard.Maxa-t-ilsurvécu,ouiounon?!

L’aircontrit,ilouvrelabouchepourrépondre,maisilestaussitôtinterrompuparunmouvementaufonddelapièce.Jelèvelesyeux.Là-bas,sortantducouloir,setenantaumur:

–Max!

Jem’élanceversluiàtraverslapièce.

–Tuesvivant!Max!

Jeme jettesur lui,danssesbras. Ilm’enlace tendrement.Je reposema têtecontresapoitrine. Ilposesabouchesurmescheveux.

–Toutvabien,Emily.Jesuislà.Jevaisbien,articule-t-ild’unevoixfaible.–J’aieusipeur,murmuré-je.

Donalds’approcheavecunsourireattendri:

–Max,tudevraisresteraulit.Ilfauttereposer.Tuespasséparuneépreuvetrèsdouloureuse.Onne se rend pas compte,mais ce que tu as traversé, c’est plus éprouvant qu’un trek au sommet del’Everest!Laisseletempsàtoncorpsderécupérer.

–Çavaaller,Donald.Net’enfaispas,luisouritMaxd’unairmalicieux.

Ilme serre plus fort dans ses bras. Je ressens une immense vague de chaleur enveloppermoncœur.

–Tumedonneslaforcedetoutaffronter,mechuchoteMax.

Jemeloveencoreplusprofondémentcontrelui.

–Alorsilesttempsdediscuter,annonceDonaldd’untonunpeutropsolennelàmongoût.–Jenousfaisunetassedethé,dis-jeenmedégageantdeladouceétreintedeMax.

Jesens toutàcoupque l’atmosphèresedétend.Jecroisquenousavons tous les troisbesoinderelâcher la pression.Donald offre son bras àMax pour l’aider à descendre les quelquesmarchesmenantaucanapé,maisilrefuseetsemaintientdroitcommeuni,passantsamaindanssescheveux,réajustantsoncoldechemised’ungesteflegmatique.Cetypeestlaclasseincarnée,mêmequandilrevientdelamort.Jesensmoncœurfondre.

Ilestjusteparfait.

Depuislacuisine,jelesentendsparler,etperçoismêmequelquesrires.DonaldetMaxontl’airdes’êtrerapprochés.C’estdansl’adversitéquel’oncomptesesamis,n’est-cepas?

J’attrape la bouilloire, toute ronde, blanche, et habillée demotifs styleMondrian. Je la remplisd’eauet lapose sur la résistancecourbéeenescargot.Enattendantque l’eaubouille, j’ai le tempsd’observercettecuisinesosixties.Lesplacardsdubassonthabillésdeboissombrerainuré,alorsqueceuxduhautsontpeints,soitenjaune,soitenorange.Couleursreprisessurlesassisescarréesdestabouretsautissucrêpéépais.Aucentredelapièce,unetableblanccrèmeprolongelebar,àgauche.Les murs, eux, sont recouverts de briquettes très « New York ». Max a visiblement recouru auxservicesd’undesigneretd’unarchitected’intérieur.Toutestnickelchrome.Fautdirequ’ilnedoitpaspasserdesheuresdanssacuisine.Aussi,elleestcommeneuve.Àtelpointquej’ailesentimentdemeretrouverdansundécorreconstituédesannéessoixante.

Lesifflementdelavapeurm’interrompt.Jepréparel’EarlGreydansunebellethéièrechroméeàla poignée noire et j’apporte le tout aux garçons. En arrivant dans le salon, je descends les troismarchesmenant au canapé. Sur la table basse, ils ont déjà sorti les tasses, cuillères et sucre de lalonguecommodevitréeauxpiedscompas,justeàdroitedusofa.

Unefoislaboissonservie,nousnousregardonstouslestroisdanslesyeux.C’estladeuxièmefoisque nous nous retrouvons dans cette situation : autour d’un verre, Donald nous mettant en gardecontrelesdangersdesvoyagesdansletemps.Aujourd’hui,l’atmosphèreestmoinstendue,malgrélacatastropheévitéede justesse.Nous avonsbienbesoinde souffler.Mais celanenous empêchepasd’êtreattentifsàcequeDonaldaànousdire.

Luiaprisplacesurunechaise,dosvoûté,genouxunpeuécartésetcoudessurlescuisses.Nousluifaisons face, sur le canapé, de l’autre côtéde la tablebasse.Maxest assis bien au fond,plaqué audossier. Je suis,moi, à demi allongée, contre lui. Ilm’entoure de son bras et jeme réchauffe lesmainsautourdematasse.Jefermelesyeuxuninstant,savourantcettepaixenfinretrouvée.

Donaldportesatassedethéàseslèvres,puisbrisececalmesilence.

–Audébut,jedoisavouerquej’étaisunpeuexcité.Aiderquelqu’unàvoyagerdansletemps,cen’est pas rien. Je ressentais une fébrilité presque électrique.Ça faisait trois ans que jeme tenais àl’écartdetoutesceshistoires,alorsçam’afaitquelquechose,iln’yapasàdire.Deplus…

Savoixseperd.Ilhésiteuninstant,puis:

–Deplus, j’avais le sentimentd’œuvrerpour réparermonerreur. J’avais cette sensationque ledestinm’avaitguidéversvousetqu’ilétaitdemondevoirdevousaideràvousretrouver.

Ilnousregardeintensémentendisantcela.Sesyeuxbleusbrillent.Sonémotionestvisible.

–Malheureusement, ça s’est gâté par la suite. C’est souvent comme ça, ajoute-t-il en levant lessourcils,commepourlui-même.Quandjenet’aipasvurevenir,Max,lestressestmontéenflèche.Jemesuistoutdesuitedit :quelleerreurai-jefait?Qu’est-cequiabienpusepasser?Mapremièrepeur a été d’avoir mal utilisé la porte temporelle. On peut se retrouver coincé à jamais dans lesabyssesdutemps.C’estrarissime,maisc’esttragique.

–Tuasfaittrèsattention,Donald.C’estmafaute,paslatienne,lerassureMax.–Cen’estpasvrai.J’auraisdûteprévenir,mieuxtebriefer.ÀPhoebeetàmoi,celaparaissaitsi

évidentquetun’allaispasresterlà-bas,en2015,quel’onnes’estpasposédequestions.Commentpouvais-tusavoir?Jem’enveux.

–Parfois,encasd’erreur,iln’yapasdecoupable,pasderesponsable,répliqueMax.C’estjusteledestin.Encoreunefois,net’excusepas.Tun’avaispasàfairecequetuasfaitpourmoi.Jet’aiforcélamain,jen’aiàm’enprendrequ’àmoi-même.

Donaldreprendunegorgéedethé.JenotequeMaxetDonaldsetutoientmaintenant.

– Phoebe et moi, nous nous sommes regardés, reprend ce dernier. Nous avions tous les deuxressentiaumêmeinstantquequelquechoseclochait.Maisilyaunechosequ’elleacompriseavantmoi:ellenesentaitpluslaprésencedelaporte.Etça,cen’estpasbonsignepourlapersonnequiavoyagé.

–Maispourquoin’as-tupaslaisséunmotpourlaPhoebede2015,commetul’asfaitpourMax,pourqu’ilpuissevoyager?luidemandé-je,passanttoutnaturellementaututoiement,moiaussi.

–C’estvrai,pourquoi?reprendMax.–C’estuneexcellentequestion,répondDonald.Lesouciestquecelan’auraitpasfonctionné:le

temps aurait passé depuis 1963 dans unmonde sans toi,Max.Une fois lemot arrivé en 2015 , tuauraissuccombédepuisbienlongtemps.

– Je ne comprends pas. Le destin nous permet de nous trouver, Max et moi, parce que noussommescensésêtredes«âmessœurs».Alorspourquoi,d’unautrecôté,ilnousmetautantdebâtonsdanslesroues?m’exclamé-je,unpeuirritée.

–Cen’estpasclair,effectivement,répliqueplacidementDonald.Nousconnaissonssipeudechosesurcesvoyagestemporels…Commesinousétionsdeshommespréhistoriquescomprenantàpeinecommentfairedufeu.Leplussouvent,cequiarriveestfortuit.Lerestedutemps,cenesontquedesexpérimentations.

–Quoiqu’ilensoit,Max,luifais-jeenrelevantlatêteverslui,jesuistellementdésolée.Jem’enveuxterriblement.J’auraistellementvouluquetupuissesvisiter2015avecmoi!

–Toinonplus,tun’aspasàt’envouloir.Cevoyage,jel’aidésiréautantquetoi,sicen’estplus.C’estmoiquiaimistoutenœuvrepourvenirteretrouver.Jen’enpouvaisplusdenepasavoirdetesnouvelles. Tum’as terriblementmanqué.Tu le sais, et je te le répète.C’estmoi qui suis allé voirDonaldpourleconvaincredem’aider.Jesuislaseulepersonneiciàêtreresponsabledetoutcequi

estarrivé.–Max…

Jel’embrassetendrement.

–Tuasdûtantsouffrir.Quandjet’aivu,pliédedouleur,tunepeuxpassavoirlemalqueçam’afait,luimurmuré-je.

–Quandjesuisrevenuen1963,jenerespiraisquasimentplus.Àquelquesminutesprès,jeseraisdéfinitivementparti.Heureusement,PhoebeetDonaldétaientlàetsesontimmédiatementoccupésdemoi.Et,biensûr,impossibledem’ameneràl’hôpital.Expliqueràunmédecinquejesouffred’un«syndrometemporel»,çanenousauraitpasvraimentavancés.Restaitqu’àattendre:unefoisrevenuici,en1963,monétatnepouvaitques’améliorer.Letoutétaitdesavoirsinousn’avionspasdépassélepointdenon-retour.

–C’étaitlimite,marmonneDonaldensepassantlamainsurlevisage.–Ilsm’ontramenéici,reprendMax,etdepuis,Donalds’occupedemoi.J’aipeuàpeureprisdes

forces.–Tusouffresencore?–Lesdouleurssesontestompées.Maisçava,jetelepromets.Net’inquiètepaspourmoi.

Nepass’inquiéter?Ilplaisante?

–J’ypense,Donald,fais-je,songeuse,vousaviezdécidédeneplusvousvoiravecPhoebe,n’est-cepas?Deresteràl’écartdepuisl’accident?

–Oui,c’estvrai…,laisse-t-iltraînerd’untonvague.–C’estdoncdenotrefautesivousvousêtesrevus.Onvousaplusoumoinsforcélamainavec

toutecettehistoire,jemetrompe?

Donaldrougit,maisiln’éludepaslaquestion.

–Non,pasvraiment.Jenesaispas,jeressensquelquechosedeparticulier.Votrehistoirerésonneenmoidemanièrespéciale.Çapeutparaîtrebizarre,maisjeprendsçapresquecommeunemission.Peut-êtrelamissionquimepermettraderéparermonerreur.Etpuis,ajoute-t-ilenbaissantlavoix,jedoisavouerquecelam’afait…plaisir…derevoirPhoebe.

Nous comprenons aisément que Donald est toujours amoureux de Phoebe. Totalement etpassionnément,sil’onencroitsonexpression.Celamefaitdelapeine:iltombefollementamoureuxdequelqu’unàdesdécenniesd’intervalle(bon,ça,jeconnais),maisunterribleaccidentsurvient,etnonseulementilestbloquédanslepassé,maisenplusilestséparédelafemmequ’ilaime!C’estterrible.

Jen’ose imaginerêtredans lamêmesituation.Ledestinasescapricesquinous font tournerenbourrique!Etc’estpourçaqu’ilfautprendreletaureauparlescornesetsebattre.

Donaldavisiblementunaccèsdemélancolie.

–Tudevraispartirtereposer,Donald,luidis-je.Tuenasbienbesoin.–Tuessûrequetoutirabien,Emily?Ettoi,Max,tudoisencoreresteralitéuntemps.

–Jem’occuperaidelui.Etjem’enoccuperaibien!souris-je.–Maisjevaistrèsbien!s’exclameMax,faussementindigné.

Nousrionstouslestrois.Leschosesvontmieux,etjem’enréjouis.

–Parcontre,ilvafalloirramenerça,reprendDonaldplussérieusementendésignantleMacBookposésurlacommodeenbois.Siquelqu’untombedessus,jen’imaginemêmepaslacatastrophe.

–Oui,tuasraison,acquiesceMax.–Sanscompterleslivresquej’aiaperçusdanslabibliothèque,continueDonald.–Jerapporteraitoutçaàmonprochainpassageen2015,lerassuré-je.–Jedétesteêtrelerabat-joie,sedéfendDonald,maisseulelaprudencepeutvouspermettredebien

vivrecette situation.La faille temporellecrééepar levoyagedeMaxestapparemmentclose,maisl’équilibreesttrèsfragile.C’estpourvousquejediscela.Phoebeetmoiavonsfaitdesbêtises,etenconséquence, nous sommesmaintenant séparés…pour toujours. Je ne vous souhaite pas lemêmesort.

Maxetmoinousnousregardonsenhaussantlessourcils.Ilmecaressedoucementlajoue.Noussavonsquenotrerelationestterriblementprécaire,maisselefairerappeleresttoujoursdifficile.

–Donald,pourquoinevousvoyez-vousplusavecPhoebe?nepuis-jem’empêcherdedemander.Lemalestfait,n’est-cepas?Tunevaspasprovoquerunautreaccident!Surtoutaveclaprudencedonttufaispreuve.

– C’est cette même prudence qui nous le défend. En attendant de pouvoir réparer cette grosseerreur,jedoismerésigneràavoirlemoinsdecontactspossibleavecmonentourage.

–Mais,etlebar?– Justement : je reste très en retrait vis-à-vis des clients. Je cultive un anonymat sans soupçon.

Aprèsletravail,jenesorspas.J’évitelemonde.–C’estterrible!Tun’asdoncaucunevie?–Jusqu’àcequejepuisseréparermafaute,non,conclut-ildemanièredéfinitive.–Maisilyanous,là,aujourd’hui,faitremarquerMax.

UnsouriretristesedessinesurlevisagedeDonald.

–Jedoisyallermaintenant.Jepeuxvousfaireconfiance,n’est-cepas?

Donald se lève en nous précisant de le contacter au moindre doute : ce n’est pas le momentd’ajouterdesproblèmessupplémentairesàcettesituationdéjàbiencompliquée.

Ilrefermelaportederrièreluiaprèsnousavoirlancéundernierclind’œilcomplice.

Enfinseuls,Maxetmoinousenlaçons.Jemenichetoutcontreluietserrefortsontorse.

–Aïe!fait-ilsoudain.–Mince!Çava?–Net’inquiètepas,dit-ilenriant.Jenesuispasencoretotalementremis.Lesdouleurspeuventêtre

encorefortes.Maisnet’arrêtepas.J’aimemieuxsouffrirdanstesbrasqued’êtredansmonlitloindetoi.

Nousnous sourions.Mamain sur sanuque, j’élèvemonvisagepouratteindre ses lèvresque jegoûtedélicatement.

Quel bonheur de se retrouver enfin ! Être là, seul à seul, les yeux dans les yeux, nos cœursbattants…etvivants!

Nouspourrionsrestercommeceladesheures,àsentirnoscorpschaudsencontact,nosbouchesse trouver et se retrouver.Mais au fond, nous savons qu’une chose nous dérange et brouille nospensées.Noussommesensemble,mais…etaprès?

–Commenttul’imagines,toi?fais-jedoucement.–Dequoi?–Tusais…Lefutur,dis-je.–Lequel?demande-t-il.–Tusaisbien:lenôtre.Touslesdeux.

Maxexpireprofondément.

–Déjà,ilvafalloiroubliercettevieàchevalsurdeuxépoques.–Çaauraitétésibien!meplains-je.–Tum’étonnes ! s’exclameMax.Passerchacunson tour l’unchez l’autre ;pouvoir s’amuserà

sauterde1963à2015quandonveut, suruncoupde tête ;prendre lemeilleurdechaqueépoque ;vivredeschosesdedingue!Toutça,cen’estpluspossible.C’est…dupassé!

Jesouris.

–Oui, tu as raison, c’est dupassé.Mais notre relation doit forcément avoir une sorte d’avenir,non?Sinon,pourquoiledestinnousaurait-iljetésdanslesbrasl’undel’autre?

–C’esttellementmystérieux…,susurre-t-il.– Moi, je peux toujours voyager dans le temps. Mais combien de temps pourrai-je faire ça ?

Toujours?Dessautsdevingt-quatre,quarante-huitheuresàchaquefois?C’estintenable!Etpuis,jen’aiaucunpouvoirsurmaportetemporelle.Imaginonsquel’ascenseursemettesoudainàm’envoyerdansunetoutautreépoque?Pire,qu’ilrestebloquésur1963:toi,tuavancesdansletemps,etmoi,jesuiscoincéesurlemêmecalendrier!

–Notrelienesttellementfragile.Etjeneveuxpasteperdre,murmureMaxavecsavoixchaude.–Non,jamais!fais-jeenl’embrassant.Oualors…–Oui?–Renoncercomplètementà2015?annoncé-jesoudainenmerasseyant.–Qu’est-cequetuveuxdireparlà?répond-ilenfronçantunsourcil.–Ehbien,venirvivreàjamaisavectoi.Toutlaisserderrièremoi…–Tuveuxdiresupporterlemachismedenotreépoque?Tebattrecontrecestypesinsupportables

auquotidiendanstontravail?–Ça,pourtoi,jepourrailefaire!–D’accord,mais ta famille, tesparents, tesamis?Leur fairecroireque tues…quoi?morte?

N’est-cepascruel?argumente-t-iljudicieusement.

–Jen’yavaispaspensé,murmuré-jepourmoi-même.–Sansparlerdevivredansunmondeoùl’onsaitdéjàcequivaarriver…Tuauraisl’impression

devivreenboucle.Devivredans…lepassé.

JemerendscomptequeMaxmedissuadedemonidée,audétrimentdesonbien-êtreàlui.C’estvraimentquelqu’undebien,oualorsilesttoutsimplement…

Amoureux!

Moncœurbatfort.Commentconciliercetamourimmenseetlasituationimpossibledanslaquellenoussommes?

–C’estvrai,luirépliqué-je.Toutescesguerres,toutescescatastrophesqui,jelesais,vontarriver,sansquejepuisserienyfaire,sansquej’aieledroitdeprévenirquiquecesoit.Quellehorreur!

–Pourrais-tuvraimentlaisserdeshumainsalleràlamortsansriendire?conclutMax.

Jeréfléchisuninstant.

–Max?–Oui?–Combiensont-ils,tupenses?luilancé-je,presquecandidement.

Maxmeregardeintensément.Ilsaitdequoijeparle.

–Tuveuxdire,lesvoyageursdutempsquivivent,là,autourdenous?–Oui,desgensanonymes,disséminésdanslapopulation,quisaventtoutcequivasepasser?Par

exemple,touscesprophètesetcesgourousqu’ontraitedefoussontpeut-être…–Non,jepensequ’ilyaunebonnepartdecinglésdanslelot,rit-il.Certains…–… sont peut-être tout simplement des couples comme nous ? Des personnes qui vivent leur

amourdemanièredécalée,maiscachée?–C’estvertigineuxquandonypense.–Enattendant,aucundeceux-làneviendraréglernotreproblème.–Notresalutestdansl’instant,Emily.Ilnefautpenserqu’àça.Entoutcas,pourlemoment.Vivre

chaquesecondecommeellevientetprofiterdecebonheurtantqu’ildure.–Maisjusqu’àquandpourrons-noustenircommeça,Max?–Jesuisprêtàvivreunprésentperpétuelsic’estpourressentircequemoncœuréprouveence

moment.–Jet’aime.–Jet’aime.

Notreétreintesefaitplusforte,noscaressesplusfougueusesetpluspressantes.Noscorpsavaientbesoindeseretrouver.

***

Laluneesthauteetsonrefletsefaitdoubledansl’irisdeMax.Lamélancoliejouelesmontagnes

russesavecnous.Ellemonteetdescendsanscriergare.

–Suffit!s’exclameMax.Allez,onsort:jet’emmèneaucinéma.

Ilarboreungrandsourire.

–Tuessûrqueçaira?fais-jeenhaussantlessourcils.

Notredernièreexpériencedecinén’étaitpasdesplusréjouissantes.

–Ilyaunnouveaufilmquisejoueàdeuxpas.UnJerryLewis.Tunedoispasconnaître,c’estunvieuxtrucpourtoi,maisc’estunecomédieetçavanousfaireunbienfou!Ças’appelle…Laisse-moimerappeler…DocteurJerryetMisterLove.Çatedit?

–Tuplaisantes?Maisj’adorecefilm!J’aidûlevoirdixfois.JerryLewismefaitmourirderire.–JerryLewisestconnuen2015?!Jen’enrevienspas!s’étonne-t-il.–Allons-y,dis-jeenmelevant,sourireauxlèvres.

Nousenfilonsnosmanteaux.Aumomentdesortir,Maxmetientlaporte.Jem’approchedeluietluisusurre:

–Jemeursd’enviedemeretrouverdanslenoiravectoi.

3.Arrangementsavecl’amour

MadisonAvenue,NewYork.

8h45.Mercredi4décembre1963.

Le soleil brille cematin surMadisonAvenue. Je lève les yeux vers lemagnifique ciel bleu engardantmamainenvisière.Ilfaittrèsfrais,etMaxmeserrecontreluienmarchant.

Ilportedefinsgantsnoirsencuiretunmanteauàdiscretscarreauxs’arrêtantàmi-cuisses,ornéd’unedizainedegrosboutonsébènerangésenbataillonmilitairesurledevant.Onlecroiraitsortid’undéfiléhautecouture!Àvoirlecommundesmortelsàl’heuredepointeencematinde1963,Max jure complètement. Tout lemonde semble porter lemême grand trench-coat, crème ou noir,avec chapeau etmine pressée. Lui, regardmalicieux, visage fin et racé, paraît posséder lemondeentieravecflegmeetélégance.

S’ilpeuts’autoriseràdénoter,ilfautqu’enrevanchejepasselepluspossibleinaperçue.Jeportemontailleurgrischiné,mignon,maisneutres’iln’estpasrehausséd’accessoires.Jesuisprotégéedufroidparunépaismanteaudelainenoirs’évasantdepuislesaissellesjusqu’auxgenoux.Noshaleinessefigentdansl’airenfinevapeurvolatileetnospassemêlentàceuxdescentainesdepassantsenunconcertvibrantetmécanique.

–Onaletempspouruncafé,non?faitMaxensepenchantversmoi.–Avecplaisir!luisouris-je.

Quelques mètres plus loin, nous pénétrons dans une brasserie, évidemment enfumée, maischaleureuseetvivante, au seind’un flotdepersonnesallant etvenant.Àcetteheure-ci, c’estplutôtfaciled’êtreanonymedanslafoule.

La fuméede cigarette est partout.Çamedonneenvied’engrillerune.Maisnon, jenevaispascommencer à fumer dès le matin. On a dit « prendre le meilleur des deux époques », pas lesmauvaiseshabitudes!

Le brouhaha est constant et tout le monde est pressé dans ce lieu. Des vagues humainespermanentessedéploientetsereplient,fenduesparlesserveusesquislalomententrelestables.Maxestmalin:iln’yapasmeilleurendroitpourpasserinaperçus.Neutralitétemporelleoblige!Aprèscequis’estpassé,mieuxvautêtrevigilants.

Nous commandons nos cafés et nous nous faufilons en direction de la vitrine où nous nousinstallonssurdehautstabouretsdebar,accoudéssurunepetitetablette.Lesrayonsdumatinviennentfrappernostassesblanches,etnousbuvonsavecplaisirlaboissonbrûlante.Notreconversationpeutseteniràl’écartd’oreillesindiscrètes.

–C’estunebonnechosequenousallionstouslesdeuxtravailler,réfléchitMax.Encoreunpeu,et

Euniceauraitappelélapolice.Ellen’estpashabituéeàmevoirabsentdubureau.–Etpuis, je nepeuxpasmepermettredem’absenter plus longtempsduboulot, répliqué-je.Ça

n’est vraiment pas sérieux ! Surtout que j’étais en lice pour une belle promotion… Je ne sais pasquelletêtevafaireVoldemortquandellevamevoir.

–Voldemort?Queldrôledenom!

J’éclatederire.

– Non, elle ne s’appelle pas réellement comme ça ! m’exclamé-je. C’est en référence à unpersonnagederoman.Enfin,jeteraconterai.Envrai,c’estCarmen.Maissitulaconnaissaisetsituconnaissaislepersonnageduroman,tul’appelleraisaussiVoldemort!

Maxritdemevoirjoyeuse.Nousnousprenonstendrementlamain.C’estça,lebonheur:prendrelamaindelapersonnequ’onaime,avecunboncafé,lesoleilquibrille,etNewYorkfaceànous.

Elleestpasbelle,lavie?

– Il n’empêchequ’il va falloir se faire à ça : nous avons tous lesdeuxunevieprofessionnelle,reprend-il.Etçaauraitétéaussilecassinousvivionsàlamêmeépoque.Donc,pasderegret.

–Jereviendrailesoir.Touslessoirs.Autantquepossible.–Etilfaudraêtreprudents.Pasdecadeaux.–Ahsi!Maisplusquestiondelesfairevoyagerdansletemps,répliqué-jeavecunsourire.–Donc,iln’yaquemoiquipuissetefairedescadeaux!Tuestrèsmaligne,fait-ilmalicieusement

enmetouchantleboutdunezdesondoigt.

Toutsourire,nousnousembrassons.

–Enrevanche,plusdetentativesdevoyageverslefutur,ditMaxavecunepointededéception.–Etplusdedouleursatroces!Ilfautvoirleschosesduboncôté.–Tuasraison.J’adoretonoptimisme.Tuesunefemmeincroyable,Emily.Ledestinnes’estpas

trompéquandilt’amisesurmonchemin.–C’esttoiqu’ilamissurlemien!J’ail’impressionqu’ilmefaitplustournerenbourriqueque

toi,minaudé-jeunpeu.–Ça,cen’estpassûr:tusaisquejedeviensfouquandjenetevoispas,Emily.Taprésencem’est

devenuetotalementnécessaire.

Jemelovedanssesbras.Maismalheureusement, l’heure tourne,et le tempsn’attendpas,mêmequandonestamoureux.Nousrepartonsàpied,touslesdeuxendirectionduCarawayBuilding.Nousallonstravailler,commesiderienn’était,aumêmeendroit,àcinquante-deuxansd’intervalle.

Franchissantlehall,nousmontonsensembledanslemêmeascenseur.JelaisseMaxdescendreau36 e étage, avec un baiser en guise d’au revoir. Jeme laisse porter jusqu’au rooftop. Là, commeprévu, personne pour me tenir compagnie. Je peux tranquillement appeler Danny pour rejoindreSullivaninc.dansmonbonvieux2015.

Plusfacilequ’unecorrespondancedemétro!

***

CarawayBuilding,36eétage.

9h20.Vendredi4décembre2015.

J’ai encore quelques minutes devant moi. J’en profite pour écouter ma boîte vocale. Rien deVoldemort,enrevanche,troismessagesdemamère.Évidemment,elles’inquiètedenepasavoirdemesnouvelles.Jelarappelleillico.

–Machérie!Celafaitdesannéesquej’essaiedetejoindre!Toutvabien?s’écrie-t-elleàpeineletéléphonedécroché.

Desannées?Ellenecroitpassibiendire…

–Jesaismaman,c’estjustementpourçaquejet’appellecematin.Tusais,j’aieupleindeboulot…–Oui,oui,jeleconnaistonrefrain,Emy,iln’empêchequ’uncoupdefildetempsentemps,çane

vapastecoûtertonposte!–Effectivement,m’excusé-je,tuasrais…– Du coup, m’interrompt-elle, si je venais ce midi dans ton quartier, comme ça, on pourrait

déjeunertouteslesdeux!–Oui,OK,maman,luiréponds-jedansunsourire.–Comment?souffle-t-elle,surpriseparmaréponsepositive.Emy?Tuessûrequetoutvabien?–Biensûr,maman!Çameferaplaisirdetevoir.Vers13heures,çateva?–Euh…OK,oui,bredouille-t-elle,peuhabituéeàmetrouveraussiconciliante.Tiens,l’occasion

esttropbonne:jeviendraiavecpapaaussi.

Il estvraique jene faispasassezattentionàmesparents. Ilsméritentplus !Nous raccrochons,mais je n’ai pas terminémonnetworking matinal. J’appelle Serena évidemment : il faut que je larassure. Elle est restée sur l’image d’unMax, noué de douleur, agonisant sur le sol de l’arrière-boutiquedelalibrairie,etjemedoisdeluidonnerdesnouvelles.

–Emily,enfin!J’avaishâtequetum’appelles,dit-elled’untonanxieux.Alors?Ausondetavoix,jecomprendsqu’onaévitélepire.Jemetrompe?

–Tunetetrompespas!m’exclamé-je,heureusedeleclamertouthaut.–C’estgénial!Maiscommentva-t-il?–Mieux.Çan’apasétéfacile,maisDonald…

Toutàcoup,jem’interromps.Garderlaneutralitétemporelle,celasignifieaussinepasparlerdeschosesquisepassentdel’autrecôtédelaportetemporelle.

–Emily?Çava?s’enquiert-elle.–Oui,Serena,je…Non,rien.–Tunepeuxriendire,c’estça?–Voilà,lâché-jed’untondéçu.–Maxvabien,c’estleprincipal.Net’inquiètepas,jesaisquetudoisrester trèsdiscrètesurces

voyagestemporels:Phoebem’afaitlamorale!–Àcepropos,ilfautabsolumentquejem’excuseauprèsd’elle,pourtouslesennuisqu’onluia

causés.–Ehbien,elleestjusteàcôtédemoi.J’enclenchelehaut-parleur.–Phoebe?–Oui,Emily,jesuislà.Jesuisravied’apprendrequeMaxest…–…envie!m’exclamé-jejoyeusement.D’ailleurs,jedoisvraimentm’excuser.Touscesennuis,

toutcestress,etsimplementparimprudencedenotrepart,c’estimpardonnable.–Ohnon,aucontraire,l’entends-jediredesavoixdouceetposée,c’estparfaitementpardonnable.

C’est l’amour. Il n’y en a pas deux, de cegenred’amourdansunevie.Et jamais je nepourrai envouloiràdeuxpersonnesdetouttenterpourvivreleurbonheurensemble.

J’aiunebouledanslagorge.Jesaisledramequ’elleavécuavecDonald.Cetamourimpossiblequilesahappés,rapprochés,puisfinalementlâchementabandonnés.

Qui décide, finalement ? Le destin ? Nous ? À partir de quand avons-nous notre part deresponsabilités?

Jegardemesquestionspourmoi,bienévidemment.Jeraccrocheaprèsm’êtreexcuséemillefoisdenouveau.Chacunvamaintenantvaqueràsesoccupations:PhoebeetSerenaouvrentlaboutique,etmoi…directionl’openspace.

Arrivéeàmonbureau,jerangesouslatablelegrandsacencuirpleindescadeauxrapportésde1963:MacBook,scanner,livres,etc.Jelepoussedupiedbienaufond,histoirequepersonnenemepose de questions à ce sujet. Derrièremoi,Mikeme salue, un peu étonné parma présence,maisvisiblementplutôtcontentdemerevoir.Moi-même,jemesenscommerevenued’unlong,trèslongvoyage.Ils’estpassédesmilliersdechosesensipeudetemps.

Assise,j’allumemonordi,jereplacemesstylos:mesréflexesreviennentvite.Alorsquejelancemeslogiciels,jevoisuneombreobscurcirmonécran.Jemeretourne:Voldemort!

Lesraisonsdesonsurnommefrappentimmédiatement:sonregardmeglace.Aucontrairedesonhomonymederoman,jesaisqu’ellen’estpasfondamentalementméchante,maisilyaunje-ne-sais-quoidanssonexpressionquiôtesur-le-champl’enviedejouerauplusmalin.Heureusement,cen’estpascequej’avaisprévu.

Maissonton,s’ilestfermeetrésolu,estbienmoinsmordantquecequejeredoutais.

–Emily,nousdevonsparler.Venezavecmoi.

Ni«bonjour»,ni«Vousallezmieux?»…Magorgesedessècheunpeu.Qu’est-cequivaencoremetomberdessus?

Je me lève et la suis vers son bureau comme une élève prise en faute. Elle referme la portederrièreelleets’assiedfaceàmoi,del’autrecôtédesatable.Jerêve,oumachaiseestplusbassequelasienne?

–Emily,reprend-elle,nouslesavonstouteslesdeux:ilyaunproblème.

J’avaledifficilementmasalive.Moncœurbat,etj’attendslasuitesagement.

– Vous réagissez de manière… comment dire… un peu particulière depuis votre présentationWhite-Rose.Celanevousressemblepas,mêmesivousaveztoujourseuunpetitcôté…fantaisiste,dirons-nous.

Fantaisiste?C’estbienlapremièrefoisquej’entendsuntrucpareil!Jesuisunpeu«spontanée»parfois,maisoh,onabienledroitdevivre,non?Maisjerestestoïqueetj’acquiesceenpinçantleslèvres.

–Ya-t-ilunproblème?Quelquechosedontvousvoulezmeparler?m’interroge-t-elle.

Jemerendscomptequec’estlapremièrefoisqueCarmenmontreautantdesollicitude.

Ilyadoncunvéritableêtrehumainsouscettecarapace!

–Unproblème?bredouillé-je.Euh…–J’aientendudirequevotrepetitamiavaitdesennuisdesanté.C’estça?– Des petits soucis… Oui, ça n’allait pas fort, marmonné-je sans réellement savoir ce que je

pourraisbienluidire.–Bien,Emily,allonsdroitaubut:voulez-vousresterchezSullivaninc.?

Gloups!Derrièrelacompassion,yaurait-iluneenviedemevirer?!

–Si,si,Carmen,biensûrquejeveuxrester!Je…jesuisparfaitementdésoléepourcesderniersjours. Jen’étaispas trèsen forme,eteffectivement,monpetitaminonplus.Etmesparents…Ouhlà…Enfin,toutçaétaitunpeuchaotique.

Carmenplisselesyeux,lementonreposantsursesmains.

–Maisçavamieux!Beaucoupmieux!Ilnefautpasvousinquiéter.Jevaismereprendreetmedonneràfond!m’exclamé-jeavecautantdepunchetdesourirequepossible.

–Hmmm…

Carmensembleenpleineréflexion.

–Emily,jenevouscachepasqueJimmySullivanaadorévotreprésentation.Jecroissavoirqu’ilaimeraitvousconfierungrosbudgetd’icipeu.Si toutsedéroulebien,vouspourrezmêmepasserseniord’icilafindel’année,malgrévotrejeuneâge.Maistoutcecipeuttrèsbientomberàl’eausivouslâchezlesrênes.J’espèreréellementquevousallezvousreprendre.

Jerespireungrandcoup.

OK.Primo:onnemevirepas,ouf!

Deuzio : lebigbossde laboîte, JimmySullivan,aadorémonboulot,yeah! Jemedemandece

qu’enauraitditAaron, sonpère…Hmmm…Pas simpled’avoir l’espritquivagabondecinquante-deuxansenarrièrealorsquel’onn’aque24ans!

Et tertio :Carmenprend le tempsdemebrieferetdecomprendre la situation,c’estpeut-être lesignequ’elle…croitenmoi?

–Mercibeaucoup,beaucoup!Jevaisfaireattention,promis!!lancé-jevivementenmeredressantsurmachaise.

Carmenesquisseundemi-sourire.

–Ilvafalloirredoublerd’efforts:onaunetonnedetravaild’icilafindel’année.C’estlerushavantlesfêtes,etonabesoindequelqu’unàquionpuissesefier.Jecomptedoncsurvous,articule-t-elledistinctementenmeserrantfortlamain.

Jesorsdesonbureauavecdeuxenvies:soufflerunboncoupetmeremettreauboulot!

***

Lesoirestvenu.J’aivéculajournéeavecdouceur.Ledéjeuneravecmesparentsétaittrèschouette–mamèren’apresquepasrâlé!Àrefaire!Etpuis,jesaisquejerejoinsMaxaprèsletravail,etçachangelavie.Plusd’inquiétudequantàsonétatdesanté.Nerestequel’incertitudedel’avenir,maisonaététrèsclairs:lefutur,c’estleproblèmedufutur!Notreintérêtànous,c’estleprésent.

Ehbien,allonsmettreçaenpratique!

***

CarawayBuilding,rooftop.

Mercredi4décembre1963.

Jem’arrangepourprendreDannyetjefileverslerooftopoùm’attendMaxcesoir.

Enarrivantprèsdeladevanturevitréedubar,jel’aperçois,assisdansl’undesgrandsfauteuilsdecuir, quelques dossiers posés négligemment sur la table basse, papiers à la main, mordillant uncrayon,l’œilconcentré.Leslumièrestamiséessculptentsonvisageentraitsvifsetnacrés.Sesyeuxlégèrement en amande sont plissés. Il a retiré sa cravate que je vois pendre sur l’accoudoir (unehérésie en 1963 !). Il passe samain dans ses cheveux et les rend plus rebelles encore. Je pourraisl’observerpendantdesheures.

J’entrediscrètement.Jem’approcheàpasdeloupetm’installefaceàlui,dansungrandfauteuilclub,maisrestecachéeparlespapiersqu’iltientprèsdesonvisage.

Uneminutepasseetilresteparfaitementstatique.

Benalors?Ilsortunpeulenezdesonboulot,oui?

Maisjecontinueàjouerlejeuetnedisrien.Toutàcoup,savoixpassepar-dessuslesdocuments:

–Alors,combiendetempsva-t-ilfalloirquej’attendeavantd’avoirunbaiser?Ilfautquejememetteàgenoux?

Jesourisetmelèveenvitessepoursauteràsoncou.Noslèvressecaressent.Nousnoussourionsavecbonheur.

–Commeça,tum’espionnes?fait-ilmalicieusement.–Hein?Maisdequoituparles?–Là,dehors,àtraverslesvitres.

Jerougisenuninstant.Puisjeluiassèneunepetitetapesurl’épaule.

–Non,maisoh!Qu’est-cequec’estquecesruses?legrondé-jeironiquement.–Tuesbellequandtut’énerves,metitille-t-il.Tuasunepetitefossettequiapparaîtsurlajoue.

J’agrippesanuqueetnouslaissonsnosbouchesseretrouverdenouveau.Puisjemerassiedsalorsqu’unserveurarrive.

–Donald!Jenet’avaispasvu,luidis-je.Commentçava?–Bonjourmademoiselle.Trèsbien,merci.

Ilmefaut troissecondespourcomprendrequeDonaldestdanssonrôledeserveuretquenoussommes en public, dans le vrai monde. Il tient à sa discrétion, et je ne suis pas censée briser laneutralitétemporelle.Jemerattrapeenmecomportantcommeune«vraie»cliente.

–Ceserauntonicontherockspourmoi,s’ilvousplaît.–Lamêmechose,complèteMax.

Donaldacquiesceets’éloigne.

–Oh,s’ilvousplaît!lerappelé-jesoudain.–Oui?–Mettez-moiunpeudegindansmontonic.–Bien,répond-ilsimplement.

Maxmesourit.

–Attentionàtoi,lepréviens-je,tuvasm’avoirsurledospendantdeuxjours:c’estleweek-enden2015,etj’aifaitensortequepersonneneparteàmarecherche!

Ilprendunaircontrit,presqueembarrassé.

Àcroirequeçaneluifaitpasplaisir!

–Lesouci,dit-ildoucement,estquej’avaisjustementprévudepartirpendantquarante-huitheures.–Ohnon!m’écrié-je,lecœurdescendantdansl’estomac.Pourletravail?Oùça?

–Non,paspourletravail:jevaisauxBahamaspourprofiterdusoleil.

Quoi?

–Jenousaiprisunbungalowsouslespalmiers,surlaplage.Jemesuisditqueçapouvaitnousfairedubiendeprendrelalumièreaumilieudel’hiver,complète-t-il,réjoui.

Jesuistropnaïve,parfois…

Jemejettedanssesbras.Nouséclatonsderire.

–Tu pensais vraiment que je pouvais partir comme ça sans toi ?me demande-t-il, ses yeux enamandemefaisantfondre.

–Non,biensûr,bluffé-je,faisantsemblantd’avoirpercéàjoursonpetitjeudèsledébut.

Ilmetientlevisageaucreuxdesespaumesetdéposebaisersurbaisersurmeslèvres.

–MaisMax?–Oui?–Tontravail?Tunepeuxpaslaisser laboîte,commeça,n’importequand?EtEunicequisera

touteseule,perduederrièresonbureau?

Ilsourit.

–J’aidécidéqu’àpartirdemaintenant,jesuivrailecalendrierde2015.Jeseraienweek-endenmêmetempsquetoi.

–Mais…lesprojets,lescontrats…Tuesfou!– Je passais déjà tous mes week-ends à l’agence, donc ça, ça ne changera pas. Je prendrai

simplementmesjoursdecongéensemaine.Jesuisleboss,jefaiscequejeveux!Ilfautbienqueçameserveàquelquechose.Jen’aipaslepouvoirdevoyagerdansletemps,maisjepeuxjoueraveclui,conclut-iljoyeusement.

–Donc?– Donc, la voiture nous attendra d’ici une petite heure au bas de l’immeuble. Le jet est en

préparation,etnousdevrionsdécollerdel’aéroportdanslafoulée.Çateconvient?

PartirauxBahamaspourleweek-end?Siçameconvient?

Jeprendsunairmalicieuxetluirétorque:

–Situprometsdemefairel’amourjusqu’àplussoif,alorsOK.

***

Le sable blanc brûle délicieusement la plante de nos pieds. Les rayons du soleil nous dorent lapeau.Nousmarchonsseuls,maindanslamain,suivantuneétroitebandedeplagelongeantlalisièred’une forêt luxuriante.Danscetendroit retiré, le ressacdesvaguesaccompagnenosbaisersetnosconversations.Auloin,j’aperçoisencorel’UnionJack,petitconfettiflottantàladevanturedenotre

hôtel.

–Direquec’esttoujoursunecoloniebritanniqueàcetteépoque,murmuré-je.–Oui,ilsnedeviendrontindépendantsqu’en1973,répondMaxsimplement.–Hein?dis-jeenm’arrêtantdesurprise.Maiscommentsais-tuça?–Lelivresurl’histoiredumonde:tul’asrepris,maisavantça,jel’ailu!sourit-il.Commeça,je

n’auraipastoujoursuntrainderetardsurtoi.

Jecraquecomplètement.Ilsaittoujoursmesurprendre.Ya-t-ilunequalitéqu’iln’apas?

La végétation forme ici comme une petite alcôve. Les épaisses feuilles vert sombre tressaillentdansl’airetcréentcommeunabri,striantlesabledemarquesmouvantesetombragées.Maxs’assied,faceàlamer.Jem’agenouilledevantluietnospeauxchaufféesparlesoleilentrentencontact.Noslèvressehappent,impatiemment,inlassablement.Etalorsquenosmainstrouventleurcheminsurnoscorps,j’aisoudainunaccèsdeculpabilité:

–Onn’estpasunpeutropheureux,Max?Onnevapaslepayeràunmomentdonné?– Je pensequ’on a déjà réglé notre solde, si tu veuxmon avis.On a gagné le droit de se faire

plaisir.–Carpediem?–Carpediem.

Etnotreétreintenousemporte,allongés,âmecontreâme,corpscontrecorps.

Les ombres vacillent sur le visage déjà hâlé deMax. Nos paupières sont presque closes et nelaissentfiltrerqu’unpeudelapuissanteluminositétropicale.Tousnosautressenssontenéveil.Noslèvressontbrûlantesetsatinées.LeurdouceurparaîtsanségaleetjeperçoisungoûtdeselenpassantmalanguesurcellesdeMax.Jelesmordillelégèrement:ellessontfermesetsensuellescommeunfruitmûretjuteux.

Sesmainsglissentsurmondospoudrédecristauxdesable.Cematin,jesuissortieavecunbikini,malgré lesquelquesregardsderemontrancedecertainsclientsde l’hôtel–en1963 ,cemaillotdebainpeutencorechoquer!Et,àcetinstantprécis,jemeféliciteencoredavantagedemonchoix,ensentantlescaressesdeMaxsurmoncorps.

L’odeurdesapeaum’enivre.Aujourd’hui,surcetteîle,elleestplusparfuméeetsuavequejamais.Rienquecela,etl’excitationmonte.Ouplutôtdescendenmoi:jesensdestressaillementsdansmonbassinetmonsexe.JelâchedesgémissementslégersalorsqueMaxpassesesdoigtssousl’élastiquedemonmaillot.Ilm’agrippelesfesses,mepressantfermementcontresoncorps.

Ilgrogned’envie.Ilmeveut,maintenant.Laforcedesondésirsemesureàsonétreinte,folleetincandescente. Nous roulons dans le sable, profitant de cet espace de liberté. Nos corps vont etviennententrel’alcôveombragéeetlagrèveexposéeauxrayonsblancsdusoleil.

Max me mord le cou et me dévore les épaules. Puis sa bouche s’active décrivant des volutesinsenséessurmesseinsetmonventre.Jem’ensuisàpeinerenducompte,maisiladéjàdétachélesnœuds de mon bikini, et je le laisse lécher et mordre mes tétons, durcis d’excitation, mes mains

agrippéesàsanuque,explorantsescheveux.

Alors qu’il me tient la taille, ses baisers fous descendent vers mon pubis. Ma respirations’accélère.Ilretiresansménagementlebasdemonmaillot.Sabouches’approchedemonbas-ventre.Jepeuxvoirl’excitationbrillerdanssonregard.Seslèvresglissentsurmafentehumide,titillantlesreplisintimesdesalangue,verslehaut,verslebas.Ilm’arrachedespetitscrisdeplaisir,rauquesetaigus.

Ilenfoncedeuxdoigtsenmoitoutenjouantavecmonclitoris.Jeruisselled’excitation.Jeperdslecontrôle,balançantmonbassind’avant enarrière,profitantde sesgestes experts.Entièrementnue,offerteà lamer,auxvents,etàMax, je laisses’exprimermonplaisir.Mais jenerestepaspassive.Fermement,mapaumeserefermesurl’énormebosseétirantletissudesonslipdebain.Ilgeintetmeregarded’unœilplissédeplaisir.

Jeluiretired’ungestesonmaillotetlibèresonsexe,beau,long,satinéetdurcidedésir.Maxnouspositionneavecdouceurpouragacerdesalanguemonclitoristandisquejeleprendsenbouche.Jejoueavecsonglandentournoyantautouravecmalangue.C’estdouxetincroyablementexcitant.Puisj’enfonce plus avant son membre dans ma bouche que je presse contre mon palais en caressesmouvantes.

Ilfrémitetamorceunva-et-vientavecsonbassintoutentitillantmonintimitédeplusbelle.Nosrythmes concordent, nous sommes synchrones. Nous ressentons les mêmes accès de plaisir auxmêmes instants et je resserremesdoigts sur ses fesses fermesetmusclées à chaque soubresautdevolupté.

Jejoueavecsondésir.Jefaiscourirlapointedemalanguelelongdesaverge,prenantensuitesesboursesdansmabouche,lessuçotantetlesléchantdesorteàlerendreabsolumentdingue.Max,lui,me procuremille sensations différentes que je ne savaismême pas pouvoir ressentir.Mon amantconnaîtsibienmoncorpsquejegémissanspouvoirmeretenir.Nousatteignonsbientôtunedoucefrénésiequinoustransporteloin.

Les vagues jouant avec le sable à quelques mètres en contrebas nous accompagnent de leurmouvementincessant.Unebrisechaudevientparintermittencenouseffleurerlapeau.Onperçoitdescrisd’oiseauxquel’ondevineexotiquesetcolorés.

D’unmouvementsynchronisé,nousrevenonsàuneétreinteplusclassique,retrouvantnoslèvresetnoslangues.

–Ilfaitsichaudici,glissé-je.–Oui,etcen’estpasuniquementlesoleil…–Max,nepourrions-nouspasrestericitoutenotrevie?

Ilrit.

–Tuveuxdirevenirs’installerici,auxBahamas,àl’écartdumonde?–Etàl’écartdutemps…Tousnosproblèmesseraientrésolus,fais-je,songeuse,àdemisérieuse.–TudépériraissansNewYorketsafrénésie!sourit-il.

–Jedépérissanssoleiletsanstoi.–Onvafaireensortedetoutconcilier.Net’inquiètepas,conclut-ilavecunclind’œil.

Ils’assiedalorssursestalons,m’invitantàlerejoindreàcalifourchon,àdemiaccroupiesursescuisses. Je prends ses épaules entre mes mains et les masse. J’adore sentir sa carrure athlétique,ferme,virileetvigoureuse.Jecaressesescuissesavecmonsexequejefaisalleretvenird’avantenarrière.Ilfaitcourirsesmainssurmeshanches.Nousnouséchauffonsdavantage,sicelaétaitencorepossible.

PuisMaxmeplaquecontrelui.Sondésirestaussipuissantquelemien.J’attrapesaverged’unemain,laguideetl’enfonceenmoi.Uncrinouséchappeàtousdeux.Sonsexeimposantmepossèdeprofondémentetlespremierscoupsdebassinqu’ilmedonnem’arrachentsoupirsursoupir.

Faceàface,nosvisagessontàvingtcentimètresl’undel’autreetnosyeuxsontmagnétisés.Jenepeuxquittersesirisclairsetétincelants.Sonregardintenseparticiped’unesorted’hypnose,etjem’yperdscomplètement.Jem’oublieetneveuxvivrequedanssesprunellesenflammées.Pourtoujours.

Je niche mon visage dans son cou, grognant et haletant tout contre sa peau douce et hâlée.L’humiditédemonhaleinesemêleàsalégèresueurmasculine.J’entendssesrâlesdeplaisirdanslecreuxdemonoreille.Lessonsmepénètrentetmevisitentintimement.

Nosrespirationsetnossoupirsalternentets’échangent.Ilsdeviennentvifsethaletants,emportéspar ledésir.Unedoucebrise joue surnospeaux.Nous sommescommeà l’écartde tout ;dansunmondequin’appartientqu’ànous;dansunmondequin’auraitétéinventéquepournous.

Jemepenche en arrière jusqu’à cequemondosverse sur le sable.Max, toujours assis sur sestalons,metientencorefermement,bassincontrebassin,allantdeplusbelleenmoi.Jemelaisseallertotalement,àdemiallongéesurletapisdorédelaplage,mesbrasbougeantaugrédessoubresautsdenotreétreinte.J’aifermélespaupièresetjesenslesrayonsdusoleilsebattreaveclesfeuillagespouravoirlafaveurdemonvisage.C’estunevoluptéintenseettotale.

Jecrie.Leplaisirmonte.J’enfoncemesdoigtsdanslesableetjerécupèredespoignéesdecristauxblancsetbeigesquejelaissefilerenpluielégère.Maxsepencheunpeuplussurmoietsesmainscajolentma poitrine ; ses doigts naviguant d’un sein à l’autre ; d’un téton à l’autre. Il les prend àpleinesmains,puissepenchantplusbasencore,àpleinebouche.

Jegardelesyeuxclosetsavourecesinstantsd’éternitédansunlâcher-prisetotal.Jesuis touteàlui;ilenprofite,etmoi,jesuisauseptièmeciel.

–Max?parviens-jeàarticulerentredeuxhalètements.–Oui?fait-ild’unevoixrauquededésir.–Rien…Jevoulais justeêtre sûrequecen’étaitpas rêve.Que tuétaisvraiment là.Que tout ce

plaisirn’étaitpasvirtuel.

Ilsourittandisquejemeredressepourgoûterseslèvres.

–Quisait?Nousallonspeut-êtrenousréveillerchacundenotrecôté,seulsdansnoslitsrespectifs,

ennousrendantcomptequetoutcecin’auraétéqu’unrêve.–Tout?Depuisledébut?Tuycroisvraiment?fais-jeavecunsourireespiègle.–Ilfautcontinueràfairel’amour.Encoreettoujours.Neserait-cequepourêtresûrs.C’estleseul

moyendesavoir.–C’estuneexpériencescientifique,bienentendu…–Lescobayessontconsentants.C’estunbondébut.

Nousrions, frontcontrefront,ensueuretgémissantdeplaisir,sans jamaisarrêternosétreintesquiattisentlefeuennous.

Tout à coup, c’estMaxqui s’étend dos au sable, sans interrompre notre danse charnelle. Jemeredresse dans le mouvement : mes sensations en sont décuplées. Un cri m’échappe, plus fort quejamais.Jesuismaintenantassisesurlui,guidantsavergeenmoiparlesmouvementsdemonbassin.

J’ondule sur lui, allant doucement d’un côté, et repartant brusquement de l’autre.Max remue ettressaille,perdudansdessoubresautsdedésir.Jecaressesontorseferme.Jenemelassepasdefairecourirmesdoigts sur sesmuscles saillants, je suis insatiablede lui. Je reposemespaumes sur sesépaulesetm’ytiens,toutenayantlesgenouxancrésdanslesable.Monbassinestalorscomplètementlibéré.Jem’amuseavecsaverge,cherchantàluiprocurerdessensationssurprenantes.

Sesgémissementss’accentuent.Ilapprécie,etjeveuxsatisfairesesardeurs.Sonbassinremonteetme martèle de plus en plus puissamment. Les à-coups sont si sauvages que je dois m’agripperfermementàsesépaulespournepasperdrel’équilibre.Jemebaisseencore,etnosvisagessonttoutcontre;noslèvresàquelquesmillimètresdedistance,noussentonsnossoufflessemêler.

L’incendieennousnefaitquegagnerenintensité.Unvolcanesttapi,prêtàexploser.Noscorpsnesontplusquedesautomatesmusparuneexcitationfolle,oublianttouteréflexionettoutepudeur.Unelame de fond vient à nous, et soudain, elle exulte, éclate et se déchaîne. De violentes secoussesm’agitent;lessaccadesfontvibrertoutmoncorps.Maxm’étreintavecforce.Noussommesréunisenunmomentdefureurfolleetd’infiniedouceur,toutàlafois.Nosmainssecherchent,setrouventets’enlacent.

–AlorsMax,c’estunrêveounon?–C’estcertainementplusfortqu’aucundemesrêvesprécédents.–Alors…c’estunnouveaurêve?–C’estunrêvequel’onvitàdeux.C’estnotrerêve.–Mais…ilestvrai?–Qu’est-cequeçachange?–Çachangequejen’aipasenviedemeréveiller!ris-je.–Personnenenousyoblige,sourit-ilmalicieusement.Nousavonstoutnotretemps.–Letempsd’unweek-end…–L’éternitédenotreamour…

4.Pasderépit

MadisonAvenue,NewYork.

13h34.Vendredi11décembre2015.

Unesemaineestpasséedepuislamiseenplacedenotrenouvelemploidutemps.C’estàpeinesijesuisretournéeàmonappartement.JepassetoutesmesnuitschezMax,etlesjournéesautravail.J’aidéjà rattrapé tout mon retard, à croire que l’amour est un réservoir d’énergie inépuisable.L’alternanceentrelesépoquesrendunpeuschizophrène,maisjem’yfaisdoucement.

Évidemment,àsautersanscessed’uneépoqueàl’autre,jedoism’habillerplusquejamaisstrictlysixties.Mes collègues de bureau doivent se dire que j’ai définitivement rompu avec la mode descinquantedernièresannées.

–Tesfringuessontvraimentclasse!s’exclameAgnèsencroquantsescarottesaucumin.–C’estvrai,renchéritOlympia,oùtrouves-tudesvêtementsvintageenaussibonétat?Ondirait

qu’ilssontneufs.Entoutcas,àmonavis,monsieurLongue-Distancedoitaussiêtreunfandesannéessoixante,vutonapplicationàentretenirunegarde-robeaussisélecte.

– Iln’yapasàdire :çavabienavec tonbronzage tropical,mecharrieAgnès.Bronzagehyperlouche,d’ailleurs!

Elleséclatentderiretouteslesdeux.Jerisavecelles,maispasquestiondeleurexpliquerquoiquecesoit!

– Au fait, on le voit quand, monsieur Longue-Distance ? continue-t-elle, les yeux plissés et lesouriremalicieux.

–Ehbien,quand…quand lesdistancesserontmoins longues, j’imagine, fais-jeavecunsourireénigmatique.

–En toutcas,pasunephoto,mêmepasunprénom :c’est à sedemander s’il existe,me taquineOlympia.

– Personne ne vous a demandé deme croire, ris-je en haussant les épaules.De plus, je n’avaisjamaisabordélaquestion:c’estOlympiaquiadécidéunjourd’enfaireunsujetdeconversation.

–J’aisurtoutpenséqu’ilétaittempsquetuarrêtesdenousfairedescachotteries!s’amuse-t-elle.

Ilestclairquelescachotteries,çan’estpaslefortdemescopines.Ellessontplutôtverséesdans…laparole!

***

CarawayBuilding,rooftop.

17h01.Mercredi11décembre1963.

J’aipumelibérerplustôtcesoir,etça,laveilleduweek-end,c’estappréciable!Jevaispouvoirfaire la surprise àMax, et c’est d’un pas vif et gai que je sors de l’ascenseur au dernier étage del’immeuble,en1963.

Notepourmoi:préparerunalibiaucasoùl’undemescollèguesmedemanderaitpourquoionmevoitarriveretquitterlebureau,maisjamaistraverserlehalld’entréedurez-de-chaussée.

Jepassedevantladevanturedubaretyjetteunœil,mais–j’auraisdûm’endouter–Maxn’yestpasencoreàcetteheure.Àcemomentprécis,laportedubars’ouvre,ets’endéverseungroupedefemmespapotantbruyamment.Jemetienslégèrementàl’écart,attendantquelquessecondesdansunediscrétiontoute«neutretemporellement»,letempsqu’elleslaissentlechamplibre.

La petite troupe se dissout rapidement sous les au revoir de chacune, et ne reste enfin qu’unefemmequejereconnaisimmédiatement.Malheureusement,c’estréciproque.

–E-MI-LY!Oh,quelleheureusesurprise!s’exclameBettyàmavue.

Elletrottineversmoietmeprenddanssesbrasenm’embrassant.

–Jesuisra-viedevousvoir.C’estunecoïncidencemerveilleuse.–BonsoirBetty,luiréponds-jecordialement.C’esteffectivementunsacréhasard.

Je savais que j’allais forcément la recroiser un jour ou l’autre. Entre ses visites à Aaron, sesgoûtersentreamies(desamies,vraiment?)aubardurooftop,etlafréquencedemesvisitesen1963,c’estplutôtétonnantquecenesoitpasarrivéplustôt.

–Commentallez-vous?s’inquiète-t-elle.Vousn’aviezpas l’airdansvotreassiette lorsdenotredernièrerencontre.

– Ça va mieux, je vous remercie, et vous ? m’obligé-je à lui demander pour ne pas paraîtremalpolie.

–Onnepeutmieux!Etdevousvoirégaieencoremajournée.Vousm’aviezpromisunverreladernièrefois,vousvousensouvenez?Ehbien,allons-y!

–Euh…Ehbien,je…–Ahnon!Vousn’allezpasmefilerentrelesdoigtsencoreunefois,megronde-t-ellegentiment.

Oncroiraitentendremamère!

–Ilsetrouvequej’airendez-vousavecMax,fais-jeenindiquantlebar.–Iln’estmanifestementpasencorearrivé,sourit-elle.–Oui,effectivement,bredouillé-je.Alorsoui,OK,vapourunverre.

Jemedirigeverslaported’entrée,enapercevantdéjàDonald,derrièrelebar.

–Ohnon,pasici!s’écrieBetty.Jeviensd’ensortir.C’estunlieudélicieuxetjenevoudraispasm’enlasser.Vouscomprenez,touteslesconfiseriesontungoûtdecartonquandonenabuse.

L’analogiemeparaîtunpeucurieuse,maisjecomprendsoùelleveutenvenir.

–Laissez-moifaire,jevousemmènedansunendroitcharmant,seréjouit-elle.Leurscocktailssontàtomberparterre.

JepenseàMax,quidéjàdécalesesweek-endspourmoi…Maisenfin,ilestencoretôt,etilestvraique j’avaispromisceverredepuis longtemps. Il est tantque je tiennecettepromesse, et autantmedébarrasserde cela leplus tôt possible. Jen’aurai qu’àprétextermon rendez-vous avecMaxpourm’éclipserdèsquelemomentparaîtraopportun.

Maistoutàcoup,jeréaliseque…

–Betty!Jesuisnavrée,jeviensdemerappelerquej’aioubliémonporte-monnaieàlamaison.

Payericiavecdesbillets2015:noway!

–Accordez-moi cinqminutes le temps d’aller voirMax pour qu’ilme dépanne, reprends-je.Àcroirequenousn’arriveronsdoncjamaisàgagnernotreindépendance,nouslesfemmes!fais-jeenriantdemanièreunpeutropinsistante.

Bettynerelèvepasmaplaisanterieetpréfèreallerauplussimple:

–Nevoussouciezpasdecespetitsdétails:jevousinviteet…–Mais…–Tututut!C’estunplaisir.Suivez-moi,c’estunordre,fait-elled’unevoixfermeetenjouée.

Jelasuissansconvictionenmepersuadantquej’exagéraisunpeuàvouloir l’éviterà toutprix.Certes,ilyalanécessitédelaneutralitétemporellemêléeàl’impatiencederevoirMax,maisilfautbien à certainsmoments composer avec le destin. Et il est bien possible que je passe unmomentsympathiqueaveccettefameuseBetty.

Nous pénétrons dans un établissement relativement chic sur une des artères partant deMadisonAvenue.L’ambianceestdétendueet,àcetteheure,onytrouveencoremajoritairementdesfemmes.Leserveur est affable et reconnaît Betty. Je n’ai pas le droit de choisir ma boisson, car Betty sait «exactement ce qu’il vous faut,Emily ! ».Enmoins de cinqminutes, un extraordinaire empilementd’étagesmulticoloresm’estservidansunverredontlevolumemerappelleplusceluid’unecoupeàdessert.

–Vousallezvoir,c’estbonpourlemoral,meglisseBettyavecunclind’œil,toutensemettantàsiroterlesienàl’aided’unepaillelonguecommemonavant-bras.

Jeforceunsourire,enparvenantmêmeàmasquermeseffortssanstropdedifficultés.

Betty prend alors un petit air de conspiratrice, rentrant sa tête dans ses épaules et souriantmalicieusement:

–Vouspouveztoutmeracontermaintenant,machérie.Jepeuxvousappeler«machérie»,n’est-cepas?Max-le-Magnifique,commentl’avez-vousrencontré?C’estunbeauparti,non?

Etelleconclutparunclind’œiletunrictusqui,j’espère,n’aaucuneconnotationscabreuse.

Jemeretrouvedoncexactementdanslasituationquej’espéraiséviter:avoiràparlerdemoi,oudeMaxetmoi,oudequoiquecesoitquipuissedéborderdelaneutralitétemporellequi–entrenous–commenceunpeuàmepeser.Ilvafalloirdépêcherdestrésorsd’imaginationpourdétournerlesquestions,d’autantquejesenslafatiguedelasemainecommenceràdélicatementseposersurmesépaules.

– Oh vous savez, comme tout le monde, lui réponds-je vaguement. On se serre la main et lecourantpasse,puisdefilenaiguille…Maisparlez-moiplutôtdevous,Betty.VotremaisondansleConnecticutestmagnifique.Çafaitlongtempsquevousl’avez?

–NotreappartementàNewYorkesttrèsagréable,maisjen’aimepasmecontenterdecequej’ai.Ilfautallerdel’avant,s’agrandir,monterleséchelons.Qu’enpensez-vous?Maxestdugenrewinner,celasesenttoutdesuite.

Ellen’apasvraimentréponduàmaquestionetj’entrevoisunelégèrepiqueindirectementlancéeàAaron. Iln’apparaîteffectivementpascommeunrequindubusiness,comme l’avait fait remarquerMax. Manifestement, cela n’est pas du goût de Betty. Je me demande encore comment Aaron estfinalementpasséPDGdesaboîtequ’ilamêmerebaptiséedesonnom.

–Etdonc,vousavezacquiscettemaisonpourypasservosweek-ends,c’estcela?reprends-jeenréprimantunbâillement.

–Etpourinviterdumonde.Voussavezqu’ilestcruciald’entretenirsonréseau.C’estleterreaudusuccès,glisse-t-ellecommesiellemedonnaitdesastucespournepasbrûlerungratin.

–Oui,jecomprends…

Je laissemaphrase en suspens. J’ai le cerveauunpeuengourdi.Sûrement l’effet conjointde lafatigueetducocktailEmpire-State-Buildingdontlesétagesdisparaissentunàundansmonestomac.Mespaupièress’alourdissentunpeu.L’imaged’unboncafébrûlantmetraversel’esprit,maisjen’aimêmepaslaforced’appelerleserveur.

–Doncvoustravaillez,Emily,sij’aibiencompris,merelanceBetty,toujoursplusvolubile.–Oui,oui,bredouillé-jeensirotantmaboissondansl’espoirillusoirequeçameredonneuncoup

defouet.–Secrétaire?Dansuneagencedepub,aussi?s’enquiert-elle.–Non,enfinoui:dansuneagencedepub,maisentantquecréa.

Lesmotssebousculentpoursortirdemabouchealorsquemonesprits’amollitfranchement.Leconceptdeneutralité temporelle sembledevenirdeplus enplus lointain etbrumeux, et je sensmaconcentrationsedéliterprogressivement.

–Créative?Trèsimpressionnantpourunejeunefemmecommevous.Dansquelleagence?– Agence ? Ah, oui, dans une agence…, articulé-je dans un phrasé dont les voyelles s’étirent

paresseusement.–AvecMax?mepresseBetty.–Non,jenetravaillepasavecMax,fais-jeenfronçantexagérémentlessourcilsetenessayantde

rassemblermespensées.Jel’aijusterencontrédanssonagence.–Ah,commec’estintéressant,acquiesce-t-elle.Maisqu’yfaisiez-vous?–Oh,je…

Qu’est-cequej’yfaisaisdéjà?Çameparaîtfloud’uncoup.

–…jepassaisparlà…Unepromenade…Mesuisperdue…Unentretiend’embauchepeut-être?marmonné-jepresquepourmoi,enpleineconfusionmentale.

Jefrissonne.Non,enfait,j’aichaud.Levertige.Unpeu.Maisjesuisassise,çadevraitaller.Max?Ahnon,iln’estpaslà,biensûr.Jesuisdansunbar.Oùça?Jenesaismêmeplus.JevoisBetty.Ahoui,c’estvrai:jesuisaveclafemmed’Aaron.Aaron,lefutur-père-de-mon-big-boss.

–Emily?Vousn’avezpasl’airtrèsbien,s’inquiète-t-elle.–Çavaaller,jevousremercieBetty,marmoné-jeendodelinantdelatête,m’appliquantàgarder

monéquilibre.–Non, je ne pense pas.Allons prendre l’air.Et puis, je vais vous raccompagner.Vous semblez

épuisée.

Jemelaissefaire,appréciantdenepasavoiràmedépêtrerdecerendez-vousimpromptupardesmensongesfumeux.

L’airextérieurestagréable,maisnefaitpasgrand-chosepourmonétat.

–Suivez-moi,Emily,medit-ellefermementenmeprenantlamain.

Jeme bats pour garder les paupières ouvertes tandis quemon pas se cale dans celui de Betty.Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce un contrecoup du décalage temporel ? Il ne faut pas que jem’évanouisseici.Jecommenceàavoirpeur.Jenedoispasalleràl’hôpital!Pourquoidéjà?Ahoui,jen’existepasencore…

Dans le flot de passants, nous croisons une dame. Son visage me dit quelque chose… Un airfamilier…Oùdoncai-jebienpu lavoir?Soudain, sesyeuxse fixent surmoi.La femmese fige,visiblement troublée. Nous passons à quelques centimètres d’elle, mais elle nous suit du regardjusqu’àcequenousnousperdionsdanslafoule.

Impossiblederassemblerefficacementlepeudeluciditéqu’ilmereste:l’imagedecettefemmeseperddanslesméandresdemonesprit.

– Je vous raccompagne en voiture, m’annonce Betty en ouvrant la portière passager de sonOldsmobileflambantneuve.

–Mais, ce n’est pas la peine, protesté-jemollement. LeCaraway est à deux pas. Pas besoin deprendrelavoiture.

Bettynerépondpasetm’installedanslevéhiculesanslamoindrerésistancedemapart.

J’entends la voiture démarrer, puis le grondement régulier et satisfaisant du moteur. Le

mouvementdutraficmebercedoucement,etmoncerveau,ramollietcotonneux,essaiedem’alerterdequelquechose,sansarriverclairementàleformuler.

Jeparviensnéanmoinsàmeposercettequestionquifileetrepassesanscessedansmatête:

Maisqu’est-cequim’arrive?!

5.Guet-apens

Lieuinconnu.

Heureincertaine.

Il fait nuit maintenant, et les lumières des réverbères s’enchaînent régulièrement, éclairant letableaudebordparintermittence,m’entraînantdansunesortededoucehypnose.

Je ne vois plus de gratte-ciel.Nous avons quittéNewYork.Depuis combien de temps roulons-nous?Àquellevitesse roulons-nous?Dequelleannéedatecemodèled’Oldsmobile?Toutescesquestionssesuiventdemanièrelinéaire,aléatoire,sanshiérarchieaucune,nilamoindrepossibilitéderéponse.Mesneuronessontcommeparalysés,neutralisés.Jenesaissijesourisounon.Suis-jeentraindeparler?

Letempsdemeposerlaquestion,lesmusclesdemeslèvressecrispentmalgrémoi.Jelessens.Doncnon,jeneparlepas.

Qu’est-cequim’arrive?Jemesensnauséeuse.Oùsuis-je?Ahoui,l’Oldsmobile.Jemerappelledistinctementunsalondecollectionneursoù,avecmongrand-père–Ohpapy,tumemanques–,nousétions tombés sur une flopéede ces voitures. Il y avait tout un tas demodèles, des années1950 et1960.C’étaitbeau,cetalignementparfaitdevéhiculesrutilants.Çadonnaitenvie.Envied’êtredanscesautomobiles,danscetunivers sixties,etdevivre toutcequecesgensdevaientvivrequandcesvoitures-làsillonnaientl’immenseréseauroutierdenotrebonnevieilleAmerica.

Et maintenant ? Ah oui, l’Oldsmobile. Mais qui conduit ? Max ? J’ai dû tourner la tête carj’aperçoisdésormaislaconductrice.Betty.Betty?Hého,Betty!Betty,vousm’entendez?Betty?!

Elle ne bronche pas. Peut-être parce que je n’ai rien dit ? Je ne l’ai pas vraiment appelée ?Cen’étaitquedansmatête?Pourquoiai-jel’impressiondedevenirfolle?

Jefrissonne.Quandonfrissonne,c’estqu’onafroid.Oupeur.Est-cequej’éprouvel’unedecessensations?

Maismon cerveau est déjà passé à autre chose :Max.C’est commeun éclair de lucidité !Maxdoit…m’attendre.Là-bas,auCaraway…

Ledoux ronronnementdumoteur est très apaisant,mais jenedorspas. Jene suispas fatiguée,non.Jesuis…engourdie?Parfois,mespaupièressefermentetmecoupentdumondeextérieur.Est-cequej’arriveàbouger?Mamaindroitepassedevantmonvisage,àquelquescentimètresdemesyeux.Elledécrituneparabolehésitante,commedouéed’unevolontépropre.Oui,jebouge.Plusoumoins.

Lemoteurestmoinsmonocordedepuisquelquetemps.Ilyadesvariationsdansleronronnement,

desralentissements,debrefsarrêts,parfois.Puis,enfin,unstationnementpluslong.Àmadroite,laportière s’ouvre. Il fait sombre, il n’y a pas de lampadaire.La lune seule rase les alentours d’unelueur pâle et bleutée. Unmanteau glacé m’enveloppe. Comme il fait froid tout à coup ! L’air esthumide. Je n’aperçois que des bois aux environs. Nous sommes dans une minuscule clairièreentouréepard’immenseschênes.Bettysembleentreretsortirdemonchampdevisionsansque jecomprennebiencomment.

Jesuisdeboutmaintenant,appuyéed’unemainsurlecapotdel’Oldsmobile.

–Betty…où…sommes-nous?bredouillé-je.

Ça, je suis sûre de l’avoir dit.C’est bel et bien sorti demabouche.Le froidme revigore.Mespenséess’éclaircissentunpeu.Nousétionsaubar,puisBettym’aemmenéedanssavoiture…

C’estévident!Cettefemmem’adroguée…Mais…

–Pou…Pourquoi?luidemandé-je.

Ça,j’aicruledire,maispeut-êtren’étaient-cequedesborborygmes.

Bettyéclatederire.Longuement.

–Be…Betty ?C’est vraiment…drôle ?C’est…une blague ?marmonné-je après un effort deconcentration.

–Drôle?Oh,jenesaispas,fait-elleenpenchantlatêtesurlecôté.Çadépendpourqui.Pourtoipeut-êtrepas.Enfin,c’estàtoidevoir.Àtoid’ytrouverdel’amusement.Tuescréativeaprèstout!Jesuissûrequetuasuneimaginationinépuisable.

Chacundesesmotsmeparvientavecuneclartécristalline.Moncerveaun’estpascomplètementH.S.visiblement.Maisdèslorsqu’ils’agitderépondreoudebouger,j’affrontedessablesmouvantsinvincibles.Mesémotionssemblent,ellesaussi,anesthésiées,maisc’estpeut-êtremieuxainsi…

–Jesaiscequisepassedanstatête.Tuteposesdesquestions,Emilychérie.Etc’estbiennormal.Il n’y a rien de pire que l’incertitude. « Que faisons-nous là ? Que va-t-il se passer ? » C’estdéstabilisant.Paniquant,même,cetteimprévisibilité.Aussi,jevaisterendreunserviceett’apaiser:oui, tuvasmourir.Pasdanscinquanteans,pasdansdix,nimêmedansunan.Tuvasmourir, là,cesoir.

Meslèvresbougent,maisriennesort.Jecroisquejetremble.Defroidetdepeur.

–Quelchocj’aieuquandjet’aivuechezmoi,avecMax,àlaparty!Moncœurafaitunbond.Jen’aimême pas su le dissimuler.Ça neme ressemble pas, tu sais. J’ai habituellement un don pourgardercontenanceentoutesituation.ÇafaitpartiedemestalentsnaturelspourlesquelsAaronnemecomplimentepasassez.Parfois,jenesaiss’ilestingratous’ilneserendpascomptedetoutcequejefais,toutcequejesacrifiepourlui.Maispeuimporte.Lafinjustifielesmoyens.Jen’aipasbesoindeseslouangestoutdesuite.Pasencore.

Monpiedglisseunpeusurlabouemolle,maisjeparviensàgardermonéquilibre.

–Etc’estvraiqu’ilyavaitdequoiêtresurprise,reprend-elle.Tuaslemême…visage.Vousêtessi… semblables. Je dirais identiques, trait pour trait. Enfin, suffisamment pour que cela poseproblème.

–Mais…maisdequi…?balbutié-je.–Tunesaispasdequijeparle?Vraiment?C’estétonnant,cesméandresdanslesquelsledestin

nous mène et nous perd parfois. J’étais persuadée que tu comprendrais immédiatement. Peut-êtremême que tu ne la connais pas ? Pfff, peu importe !Cela ne change rien à l’affaire. Toi etMaryWatson:mêmecombat.Vousêtesapparemmentinterchangeables.Entoutcasauxyeuxdudestin.

MaryWatson?Lenomrésonnefortementenmoi.Ilmefautdéroulerunimmenseparcheminpourretrouver la trace de ce nom dans les tréfonds de mon cerveau. Toute mon attention, maconcentration,monénergiesecondensentsoudain.MaryWatson…Watson…

–Heureusementqu’Atticusestlà,continueBettypresquepourelle.Ilm’aguidée,suivieetsauvéetantdefois…

Atticus:jelerevoisàlaparty,cethommelugubre,àlasilhouetteosseuse,auxjouescreuséesetàl’auraglaciale.

–Lorsd’unedenosséances,ilapréditquecetteMaryetMaxs’aimeraientd’unamourfortetrare.Untrucexceptionnel.Maissic’étaitqueça!Cettefilleétaitdouéepourlapub,trèsdouée.Maxetelleallaient révolutionner les choses et faire grandir l’agence ; devenir riches, immensément riches !s’écrie-t-ellepresque,unrâledanslavoix.

Maisoui,biensûr!

Mary Watson, c’est la jeune créa avec laquelle Max devait avoir un entretien d’embauche.Apparemmentsidouéeetparfaitepourlejob…Maisellen’estjamaisvenue.Curieux…Ducoup,jel’ai«remplacée»auhasarddemeserrementstemporels.

Dansunmurmureécœuré,Bettyajoute:

–Alorsqu’Aaron,rien.Toutesavieàbalayerderrièrelescostardschics,glissantdanslacendredeleurscigares.Uncadremoyen,sansambition…

Puis,seressaisissant,avecunéclatmauvaisdanslesyeux:

–Maissiseulement…Oh!Atticusaétésiclairàcesujet…Siseulementj’arrivaisàinterceptercetteMaryetàagirpourqu’elleetMaxneserencontrentpas…Là,Aaronauraitsachanceetpourraitoccuper laplacequi lui revient.Et j’ai réussi ! s’exclame-t-elleavecune joie indécente. J’aiécartécettepauvrefille.Éliminée,disparue,commeoneffaceune tachedisgracieusesurunchemisier.Jesuismêmeparvenue à prendre son book, celui qui lamontrait si prometteuse, si géniale.De quoifaire décoller la carrière d’Aaron !Atticus l’a dit. Atticus a toujours raison.Mais toi, fait-elle entendant un index calme et hostile, toi, tu as soudainement débarqué tout juste après que jeme suisdébarrassée de l’autre… Dingue ! À croire que le destin voulait prendre sa revanche. Mais

heureusement,jesuisbienguidéeetjesaism’occuperdesobstacleslesunsaprèslesautres.Jesuispatiente et tenace. Tu vas pouvoir suivre le même chemin que l’autre : l’étang. Enfin je seraitranquille,débarrasséedetouscesobstaclesquiobstruentlechemind’Aaronverslesuccès.

Jesuiseffondrée,abasourdie.Bettyvientdem’avouerqu’elleacommisunmeurtrecomme«oneffaceune tachedisgracieuse surunchemisier», selon sespropresmots !Cette femmeest folleàlier!

Les éléments s’assemblentmaintenant à toute vitesse dansma tête comme des pièces de puzzletrouvantenfinleurplace.

Quelque tempsaprès le rendez-vous« annulé»deMaryWatson, je revoisMaxm’apprendre lanouvelle, terrible,affreuse : lecorpsde la jeunefemmeaétéretrouvésansviedansunétang.Puiscettemèrebouleverséequej’aicroiséeunepremièrefoisetquejesuisquasimentpersuadéed’avoirrevue, tout à l’heure, sur le trottoir, en sortant du bar. L’ai-je réellement aperçue, ou était-ce unehallucination?Unesortedeprésageinstinctif,uneintuitiondecequiallaitsepasser,decequejesuisentraindevivre,là,maintenant,deboutdanslabouevisqueuse?

J’aimalàlatête,tellementmal.JelèvelesyeuxsurlevisagedeBetty,quisembleàlafoisinaniméetbrûlantd’uneflammemauvaise.Jeressensunhaut-le-cœur.Lanausée.Levertige.Leslarmesquimemouillentlesyeux.Cettenuitlugubre,glacialeethumide,etmoi,piégéeparcettepsychopathe,àmillelieuesdetouteformed’habitation.Etlepire:jesuisbloquée,engourdie…droguéebiensûr.Cefabuleux cocktail multicolore – « exactement ce qu’il vous faut, ma chérie » –, arrosé d’unnarcotique.Ledébutdemafin.

Un immense hurlement jaillit enmoi, du plus profond demes tripes,mais ne sort qu’un faiblesoupir.Jetrembletantquemesmembress’entrechoquent.

–Maintenantsuis-moi,m’intimesimplementBetty.L’étangestparlà.Vite!Jen’aipastoutelanuit.J’aiunevieàconstruire,moi.C’estlatiennequiseterminecesoir.

Lasuivre?Nonmais,çavapas?

Bettym’agrippe lebras et jen’arrivepas àme libérerde sonétreinte !Moncorps,drogué, estincapablederésister.Est-cedecettemanièrequ’elles’estdébarrasséedeMary?Ohoui,sûrement.Impossibledecrier,illusoiredesebattre.

Mon cœur bat à tout rompre.Ma poitrine va exploser.Ma peau gèle dans l’air hivernal et dessoubresautsdepleursmefonttressaillir.

Je tente demobiliser toutes les forces restant enmoi, de concentrer tout le potentiel devolontédissipéparladroguequ’elleamisedansmonverre.

Quefaire?

Mestalonsdevilles’enfoncentdanslaterremolletandisqueBettycontinuedetirersurmonbras,toujourspersuadéequejevaislasuivregentiment.Elleestencoreplusdémentequejenelepensais.

Jemelaissesoudaintomberausol.Lachuteestdure,et l’engourdissementn’apasanesthésiéladouleur. Je lâche un râle grinçant. J’aimal.Mes larmes ruissellent silencieusement, semêlant à laterreengouttessalesetbrunes.

Maisaumoins,Bettydevrameporterpourmemeneràl’étang!Celanemesauverapeut-êtrepas,maisjen’aipasd’autreplan.

Je l’entendsqui lâcheuncri.Ellepeste.Sonvisageestconvulsédecolère.Ellepassesesmainssousmesaissellesetsemetàmetraînersurlesol.Elleenrage.Jemelaisseallerautantquepossible.Jeneveuxpasluifaciliterlatâcheetjemeconcentredetoutmonêtrepourpesercommeunpoidsmort.Elleglisseelleaussietbatdespiedsdanslaboue.Ellefulmine,maiségaleàelle-même,neselaissepasbloqueretserelèvesansrelâche.

Çalaralentit,maisellecontinue!

C’estdonccommeçaque l’on ressent la fin?C’estdonc ici, l’aboutissementde toutemavie?Cellequeledestinm’adonnée?Toutescesaventures,touscesvoyagestemporels,cetamourinouï…toutçapourterminerici,decettefaçon?

–Tufaislamaligne,siffleBetty,entreseslèvres,maisçaprendraletempsqu’ilfaudra,etmêmes’ilfauttetraînerparlesdents…tucrèveras.

Àsuivre,nemanquezpasleprochainépisode.

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QuandIvyClemens,jeunecomédiennedestand-up,indépendanteetsûred’elle,répondàl’annoncen°345856,ellen’imaginepasqu’elles’apprêteàjouerlerôledesavie…Etquelrôle!EngagéeparSimonStonepourincarnersafiancéelorsd’unefêtedefamille,Ivydoitrenonceràcequ’elleest.D’artistefauchée,elledevientlarichehéritièred’unefamilledediamantaires.Lajeunefemmeselanceaveccuriositédanscedéfipourlemoinssurprenantetterriblementattractif.Maisperdueentrefictionetréalité,elleserabienvitedéstabiliséeparunpartenaireaussitroublantqu’énigmatique.

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Mai2016

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