Réflexions sur le contrôle juridictionnel de...

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1 Réflexions sur le contrôle juridictionnel de l’Administration dans les pays en voie de développement d’Afrique Francophone INTRODUCTION : LA FONCTION DE CONTROLE Contrôler ! Voilà un mot qui apparaît bien souvent dès qu'il y a une tâche à accomplir. Contrôler est une nécessité quels que soient le domaine et le niveau où se situe l'action? « Le contrôle est indissociable de toutes les activités sociales : individuelles, de g r o u p e ou d'Etat » (1). En effet, entre une décision, sa mise en œuvre et sa réalisation effective et totale, il y a bien souvent un certain nombre de données qui font que la décision pourrait soit ne pas se concrétiser, soit être mal appliquée. De plus la bonne foi de celui ou de ceux chargés de la mise en oeuvre d'une décision n'est pas toujours acquise. « Contrôler les hommes et contrôler l'exécution réelle de chaque tâche, c'est là, toujours là et seulement là le nœud de tout travail, de toute politique ». Contrôler dans une acception très large est donc une fonction qui consiste à suivre une action, une activité depuis sa conception jusqu'à sa réalisation finale. C'est une fonction assez importante car elle permet ou plutôt aide à passer sans trop grande en torse de la phase des idées à celle de la réalisation concrète. Cette vue générale sur la fonction de contrôle nous amène à nous interroger sur les fonctions du contrôle de l'administration. La question est importante si l'on sait que l'administration est le bras séculier et actif du pouvoir exécutif et qu'à ce titre elle dispose d'énormes prérogatives. On devine aisément la conséquence de cette situation privilégiée de l'administration sur la vie concrète des citoyens. De plus, l'administration est devenue tentaculaire et aujourd'hui, « une masse énorme de lois, règlements, décrets, arrêtés de toutes sortes constitue... la trame de vie du citoyen... L'Etat est devenu une énorme entreprise publique de sécurité, d'ordre, de développement matériel...; ses agissements et même ses inactions sont autant de motifs de doléances, et cela d'autant plus que ses tâches deviennent de plus en plus nombreuses ». LES FONCTIONS DU CONTROLE DE L'ADMINISTRATION Dans les conditions que nous venons d'évoquée, que pourrait signifier

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Réflexions sur le contrôle juridictionnel de l’Administration dans les pays en voie de développement d’Afrique Francophone

INTRODUCTION : LA FONCTION DE CONTROLE

Contrôler !

Voilà un mot qui apparaît bien souvent dès qu'il y a une tâche à accomplir.

Contrôler est une nécessité quels que soient le domaine et le niveau où se situe l'action? « Le contrôle est indissociable de toutes les activités sociales : individuelles, de g r o u p e ou d'Etat » (1). En effet, entre une décision, sa mise en œuvre et sa réalisation effective et totale, il y a bien souvent un certain nombre de données qui font que la décision pourrait soit ne pas se concrétiser, soit être mal appliquée. De plus la bonne foi de celui ou de ceux chargés de la mise en oeuvre d'une décision n'est pas toujours acquise. « Contrôler les hommes et contrôler l'exécution réelle de chaque tâche, c'est là, toujours là et seulement là le nœud de tout travail, de toute politique ».

Contrôler dans une acception très large est donc une fonction qui consiste à

suivre une action, une activité depuis sa conception jusqu'à sa réalisation finale. C'est une fonction assez importante car elle permet ou plutôt aide à passer sans trop grande en torse de la phase des idées à celle de la réalisation concrète. Cette vue générale sur la fonction de contrôle nous amène à nous interroger sur les fonctions du contrôle de l'administration. La question est importante si l'on sait que l'administration est le bras séculier et actif du pouvoir exécutif et qu'à ce titre elle dispose d'énormes prérogatives.

On devine aisément la conséquence de cette situation privilégiée de

l'administration sur la vie concrète des citoyens. De plus, l'administration est devenue tentaculaire et aujourd'hui, « une masse énorme de lois, règlements, décrets, arrêtés de toutes sortes constitue... la trame de vie du citoyen... L'Etat est devenu une énorme entreprise publique de sécurité, d'ordre, de développement matériel...; ses agissements et même ses inactions sont autant de motifs de doléances, et cela d'autant plus que ses tâches deviennent de plus en plus nombreuses ».

LES FONCTIONS DU CONTROLE DE L'ADMINISTRATION

Dans les conditions que nous venons d'évoquée, que pourrait signifier

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« contrôler l'administration ' » ou plus précisément et en d'autres termes : pourquoi contrôlerait-on l'administration et à quoi servirait ce contrôle ? Deux mots nous viennent à l'esprit lors que nous posons cette question : il s'agit des termes « efficacité » et « protection ». En effet, l'administration doit être efficace sans écraser les citoyens qui devraient être les bénéficiaires de ses activités. Dans la perspective de l'efficacité, « l'objet principal du contrôle est la concordance du fonctionnement des organes existants avec le programme qui leur a été fixé par un centre de décision donné ». II s'agit, en fait, de veiller à ce que l'Administration ne déborde pas, au nom de l'efficacité, ses prérogatives et les limites qui lui ont été fixées. En effet, « c'est précisément dans ce qu'on qualifie d'efficacité opérationnelle de l'Administration que se trouve 'la source des tendances aux atteintes à la loi, considéré comme victime obligatoire de ce qu'on appelle opportunité ».

En ce qui concerne la protection des citoyens, il faudra partir d'un constat : dans tous les pays du monde, l'Administration envahit de plus en plus presque toute la vie et parfois même l'intimité des citoyens. En effet, « par la généralité et la puissance de son intervention, l'organisation administrative intéresse au plus haut point toutes les catégories de citoyens, puisqu'elle se lie intimement à tous les actes de leur vie publique et privée ». L'Etat étant la plus grande force organisée, il s'avère nécessaire de concilier les prérogatives légitimement conférées à l'Administration d'une part et les droits et libertés des individus de même que leur patrimoine d'autre part. En effet, « en raison des complexités et des difficultés qu'il suscite, l'âge administratif que connaissent les Etats modernes fait planer sur les libertés des dangers que TOCQUEVILLE en son temps déjà stigmatisait en ces termes : « ... Je serais pour ma part, porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres, si je pensais qu'on pût jamais être assuré de l'une sans posséder l'autre... Les peuples démocratiques qui ont introduit la liberté dans la sphère politique en même temps qu'ils accroissaient le despotisme dans la sphère administrative ont été conduits à des singularités bien étranges ». C'est cette même préoccupation qui transparaît chez M. BURDEAU lorsqu'il écrivait : « l'arbitraire administratif est souvent plus redoutable que l'arbitraire politique; plus secret, plus quotidien, plus individualisé dans ses effets, il se prête moins à ces vastes mouvements de protestation qui parviennent parfois à arrêter le législateur ».

Ainsi donc le contrôle de l'Administration s'impose et si l'on posait la question de savoir celui ou ceux qui ont intérêt au contrôle de l'Administration, la première réponse qui viendrait à l'esprit serait : les administrés. En effet, le risque de l'arbitraire administratif est trop grand surtout si l'on se réfère aux réalités que connotent les notions d'opportunité et de pouvoir discrétionnaire. Cependant ce ne sont pas seulement les administrés qui ont intérêt au contrôle de l'Administration. Le contrôle « protège également. C'est là sa seconde fonction l'administration contre elle-même et la contraint à agir dans le cadre des directives du pouvoir politique, cela en veillant au respect des compétences respectives des diverses autorités administratives, en les obligeant à suivre les procédures prévues par les textes avant de prendre leur décision, en sanctionnant les détournements de pouvoir des administrateurs ... L'intérêt bien compris du pouvoir politique n'est donc pas de l'affaiblir s'il veut

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que l'Administration se conforme à ses directives et ne lui suscite pas de difficultés politiques par ses abus à l'égard des administrés ».

LES MODALITES DU CONTROLE

Ce contrôle nécessaire et utile aussi bien à l'Administration, au pouvoir exécutif qu'aux administrés eux-mêmes s'effectue selon plusieurs modalités et on pourrait dire à des degrés divers. Selon une distinction établie par le professeur A. BOCKEL, il existe globalement quatre modalités différentes du contrôle à savoir : le contrôle inorganisé, le contrôle parlementaire, le contrôle administratif et le contrôle juridictionnel.

Par contrôle inorganisé, il faut entendre le contrôle de l'opinion publique qui s'exerce soit directement, soit par l'intermédiaire d'organes d'expression de cette opinion tels que la presse, les partis politiques, les groupes de pression. C'est un contrôle de portée variable selon l'état de la conscience collective et des libertés publiques existantes. Dans le cadre des systèmes instaurés au niveau des Pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone, objet de notre analyse, le développement et l'adaptation du contrôle de l'administration sont liés à la participation des administrés au processus national de résolution des problèmes du sous-développement. Cette participation est un corollaire du développement de la conscience politique et juridique collective et des libertés publiques effectivement garanties ou dont la garantie est exigée par une opinion publique informée, formée et responsable.

Or dans ces pays on peut remarquer un certain absentéisme Fé à l'analphabétisme juridique et à la peur diffuse qu'inspire certaines autorités politico administratives qui n'hésitent pas parfois à manier la terreur psychologique et même physique afin d'obtenir des administrés qu'ils constituent une foule disciplinée et obéissante.

Quant au contrôle parlementaire, il est effectué soit directement par les questions au gouvernement, soit par le biais des commissions permanentes ou des commissions « ad hoc » chargées de vérifier un aspect particulier de l'action administrative. L'efficacité de ce contrôle souvent épisodique est fonction de l'autorité du parlement. Mais de quelle autorité dispose le parlement, pourrait-on à juste titre se demander, dans ces pays où, sous prétexte d'intégration nationale et de développement économique, les partis au pouvoir, en général des partis uniques, soumettent à leur strict contrôle toutes les institutions, même et surtout les parlements. Aussi ces pays présentent-ils souvent une façade unanimiste, fragile paravent qui cache tant d'arbitraires et d'aberrations. Une variante du contrôle parlementaire est l'Ombudsman d'origine scandinave . C'est un système de contrôle de l'Administration par un délégué parlementaire. Cette modalité adoptée en France en 1973 seulement sous le nom de Médiateur (Loi 73-6 du Janvier 1973) (12) est très peu connu dans les pays en voie de développement de l'Afrique Noire Francophone.

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Par contre, le Contrôle d'Etat y est très pondu, compte tenu des conditions particulières ces pays en ce qui concerne les problèmes économiques et financiers. En effet, « qu'il s'agisse de l'utilisation directe des deniers publics, de la mise en oeuvre des procédés financiers d'incitation ou même des répercussions que peuvent avoir certaines décisions des agents économiques des secteurs semi-publics ou privés sur les finances publiques, l'Etat va exercer un contrôle afin d'éviter toute atteinte, même indirecte, à sa propre autorité ».

En ce qui concerne le contrôle administratif, contrôle interne et attribut du

pouvoir hiérarchique, il semble efficace dans le cas où la structure hiérarchique n'est pas paralysée par la gangrène des circuits parallèles de l'Administration.

Enfin, le contrôle juridictionnel dont on pourrait signaler, pour reprendre les

termes du professeur BOCKEL, « deux formules » : la « formule soviétique » de la Prokuratura qui est un contrôle exercé par le ministère public, souvent spontanément, et la « formule occidentale » du contrôle exercé par les juridictions sur saisie des parties intéressées, confié aux juges de droit commun comme dans les pays anglo-saxons ou à des juges spécialisés en matière administrative .

La situation du système global de contrôle de l'Administration mérite réflexion et il n'est pas inutile d'examiner si le contrôle juridictionnel de l'Ad-ministration, compte tenu de sa spécialité, ne pouvait pas, s'il était mieux organisé, permettre de restaurer les autres modalités de contrôle.

SPECIFICITE ET RAISON D'ETRE DU CONTROLE

JURIDICTIONNEL DE L'ADMINISTRATION

Le fait que le contrôle juridictionnel soit un contrôle externe pourrait être d'une certaine importance. En effet, cela pourrait empêcher l'Administration d'être à la fois juge et partie. II est vrai que beaucoup d'autres modalités de contrôle sont des contrôles externes, tel le contrôle parlementaire, et ils sont cependant inefficaces. Ce caractère ne suffit donc pas à lui seul pour spécifier le contrôle juridictionnel de l'Administration. Aussi nous faudra-t-il rechercher d'autres éléments qui font de ce contrôle quelque chose de particulier. A cet effet, nous pouvons souligner que ce contrôle est un contrôle au coup par coup, « ultime recours ouvert à tous » avec obligation pour le juge de statuer sous peine de déni de justice- Enfin, la décision, en principe, s'impose à l'administration et est revêtue de l'autorité de la chose jugée même s'il n'existe aucune voie d'exécution administrative. Au total, « le règlement des litiges administratifs par une juridiction est le plus complexe des modes de règlements mais en revanche, c'est celui qui offre un maximum de garanties aux requérants ». Les juridictions sont en effet des organes en principe indépendants du pouvoir exécutif qui statuent selon une procédure contradictoire.

Quant à la raison d'être du contrôle juridictionnel, nous l'examinerons à travers les fonctions attendues du contrôle juridictionnel de l'administration.

Lorsqu'on pense aux fonctions attendues du contrôle juridictionnel de l'Administration, deux mots surgissent à l'esprit : légalité et opportunité. En effet, le

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contrôle vise avant tout à faire la part entre la légalité et le pouvoir discrétionnaire qui peur fort bien: se transformer en pouvoir abusif ou pouvoir arbitraire. En d'autres termes, le contrôle a pour fonction essentielle de permettre la conciliation des prérogatives de l'Administration avec la sauvegarde des droits individuels. Mais dans les pays en voie de développement, objet de notre propos, d'autres considérations s'ajoutent à celles que nous venons d'évoquer. En effet, les Pays en voie de développement de l'Afrique Noire Francophone sont pour la plupart caractérisés par l'influence politico-juridique française d'une part et le problème du sous développement d'autre part. Ces deux éléments impliquent d'une part une nécessaire conciliation entre les réalités locales et les organes de contrôle d'ins-piration française et entre les impératifs de développement et la sauvegarde des droits individuels et libertés publiques d'autre part. II s'agira alors de faire en sorte que, en plus des fonctions classiques de protection des citoyens et de régulation des pouvoirs le contrôle juridictionnel de l'Administration assume une fonction pédagogique et une fonction de remise en ordre.

Pour qu'il y ait contrôle juridictionnel de l'Administration, il faut

nécessairement :

1. Un mécanisme de contrôle, à savoir : a) des organes, c'est-à-dire des structures b) des hommes chargés de les mettre en mouvement, en l'occurrence des

magistrats c) des voies de recours c'est-à-dire des moyens permettant de déclencher le

contrôle. 2. Un titulaire de l'initiative de saisine qui peut exercer (c'est-à-dire qui

dispose des moyens d'exercer) et qui exerce effectivement le droit de recours dont il jouit.

Les mécanismes de contrôle de même que les titulaires de l'initiative de

recours peuvent varier d'un pays à l'autre. Il faut signaler ici que c'est une ga-geure de vouloir étudier les pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone, car « la diversité des pays africains s'est souvent opposée aux recherches d'ensemble ». L'Afrique est un continent et, à ce titre, présente un kaléidoscope de réalités. Et il n'est guère possible, à moins d'être prétentieux, de vouloir y découvrir un droit africain qui serait basé sur un fonds commun africain. Choque pays africain a son histoire, ses institutions, son originalité et des particularités. A la rigueur, on pourrait parler des droits africains mais en sachant très bien qu'il ne s'agit pas de droits spécifiques à l'Afrique. En effet « peut-on parler aujourd'hui de droits africains ? Ne devrait-on pas plutôt dire droits ou législations en vigueur ou en cours d'élaboration dans les Etats d'Afrique ? II découle des analyses relatives aux. droits que le législateur africain tend à reprendre, en l'adaptant par moments, la législation étrangère (moderne) ...(Ces droits) devront pour répondre aux aspirations et aux cultures profondes des peuples, puiser l'essentiel dans le patrimoine juridique ancestral encore vivace.

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Ce sera l’œuvre des peuples eux-mêmes aidés par les juristes, qui sauront, il faut l'espérer, traduire en termes modernes, les droits africains. Ce n'est pas le moindre des défis que l'Afrique leur lance ». Notre travail est donc une réflexion générale que nous mènerons à la fois sur ce qui existe que sur une prospective de ce qui pourrait être. Nous voulons noter ici que si les pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone doivent se méfier du mimétisme, ils doivent aussi éviter le refus systématique de tout emprunt.

I. FONCTIONS ATTENDUES DES ORGANES DE CONTROLE JURIDICTIONNEL DE L'ADMINISTRATION ET

PROBLEMATIQUE DE L'ADAPTATION DES JURIDICTIONS AUX FINALITES DU CONTROLE

Qu'attendent les autorités politico-administratives et les administrés des organes de contrôle juridictionnel de l'Administration institués ? Et ces organes sont-ils adaptés c'est-à-dire adéquats pour servir à ce qu'on en attend ?

Avant de chercher à répondre à ces questions, il est important d'examiner brièvement deux points relatifs à l'Administration elle-même et aux fonctions du contrôle juridictionnel.

Comme l'a écrit A. DE TOCQUEVILLE « c'est surtout dans le détail qu'il est dangereux d'asservir les hommes ». Et le détail, c'est l'Administration qui en répond, c'est elle qui en a la maîtrise. En effet, de quelque côté qu'il se tourne, l'administré rencontre presque toujours l'Administration, la puissante machine administrative avec ses importantes prérogatives. Dès lors le risque de l'arbitraire est bien grand. Ce n'est même pas un risque, c'est une réalité, sauf que l'arbitraire administratif est plus caché et vécu de façon plus individuelle. Or comme l'a écrit M. J. RIVERO : « la crainte du juge est le commencement de la sagesse ». Dans ces conditions, l'Administration a-t-elle ou doit-elle avoir des limites ?

Dans une certaine conception des rapports entre gouvernants et gouvernés, en l'occurrence dans les Etats basés sur la démocratie et le droit, la réponse à cette question est affirmative. L'Administration, si elle dispose légitimement de prérogatives lui permettant de remplir ses fonctions, doit avoir nécessairement des limites. D'abord elle est soumise à la légalité, ensuite, elle doit répondre des conséquences de ses actes. En effet la démocratie et l'Etat de droit supposent la limitation et le contrôle de l'Administration. II faut noter cependant que ces limitations ne vont pas de soi. En effet, nulle part, l'Adminis-tration n'a accepté d'elle-même sa soumission à la légalité et le principe de sa responsabilité. Cette attitude séculaire de toute administration démontre la nécessité et l'importance du contrôle juridictionnel de l'Administration.

Quelles fonctions sont alors dévolues à ce contrôle juridictionnel ?

Nous devons ici établir une distinction entre les fonctions prévues et les fonctions réelles surtout en ce qui concerne les pays en voie de développement et

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parce qu'il s'agit essentiellement de pays anciennement colonisés et ayant subi très fortement une influence politico-juridique longtemps imposée de l'extérieur. En effet, les fonctions réelles ne sont pas toujours identiques à celles initialement fixées surtout s'il s'agit d'un système d'emprunt. Or « il n'y a de droit, écrit JELLINEK, que celui qui est réellement en vigueur ».

FONCTIONS ATTENDUES DES ORGANES DE CONTROLE

Les organes de contrôle juridictionnel de l'administration ont été institués par les autorités politico-administratives et tous les administrés devraient pouvoir en être les usagers. Ainsi donc, aussi bien les autorités politico-administratives que les citoyens en attendent quelque chose. Qu'en attendent-ils ?

Dans notre analyse des fonctions attendues des Organes de contrôle, nous examinerons d'abord les fonctions traditionnelles du contrôle juridictionnel de l'administration. Cet examen nous permettra de faire ressortir comment ces fonctions s'intègrent ou non dans les réalités des Pays en voie de développement. Nous examinerons alors les fonctions du contrôle juridictionnel de l'Administration telles qu'elles devraient être dans les pays en voie de développement. Ce cheminement nous permettra par la suite de poser la problématique de l'adaptation de ces Organes aux finalités du contrôle.

Les fonctions traditionnelles du contrôle juridictionnel de

l'Administration.

Traditionnellement, la fonction spécifique du contrôle juridictionnel de l'Administration est relative à l'examen de la conformité de la conduite de l'Ad-ministration à la règle de droit loto sensu. Cet examen tend à protéger aussi bien l'Administration que l'administré. Défendre les citoyens contre l'arbitraire du pouvoir, certainement, mais aussi protéger l'Administration contre elle-même, contre ses propres incohérences, la rendre crédible et fiable. Cette fonction implique bien souvent soit une annulation, soit une réparation. Mais vu de plus près, le problème semble plus complexe et c'est de la finalité même du droit administratif qu'il faut partir pour le bien comprendre.

En effet, « le système de Droit administratif peut tendre à réaliser deux objectifs différents. Il peut s'attacher à rendre l'action de l'administration le plus efficace possible pour permettre à celle-ci de défendre l'intérêt général dans les meilleures conditions. Il peut, au contraire, viser à assurer la plus grande protection possible des administrés face aux activités de l'Administration. Ces deux finalités sont évidemment contradictoires : dans la première perspective, il convient de donner à l'Administration les prérogatives les plus larges, dans la seconde, il faut limiter au maximum ces pouvoirs ».

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Cependant, il est nécessaire d'arriver à concilier ces deux perspectives car par intérêt général, on entend bien souvent des réalités difficiles à cerner et le passage de là à l'arbitraire est bien facile et souvent vite franchi. L'une des fonctions traditionnelles du contrôle juridictionnel de l'administration est de résoudre cette contradiction en valorisant la défense des droits des particuliers . Mais il ne faut pas oublier l'autre aspect du contrôle juridictionnel de l'Administration qui consiste à introduire de la cohérence dans le système administratif. Ainsi, on peut dire que les fonctions traditionnelles du contrôle juridictionnel de l'Administration sont d'une part une fonction protectrice et d'autre part une fonction régulatrice des pouvoirs et des services publics.

Dans les pays en voie de développement, la fonction protectrice n'est pas toujours acceptée par les autorités politico-administratives. Deux raisons pour-raient peut-être expliquer cette attitude. D'abord le fait que l'autorité ne supporte pas la contestation qu'elle considère trop souvent comme une subversion et, à la limite, comme un crime de lèse-majesté. Ensuite le fait que face aux problèmes de développement socio-économique, les autorités préfèrent un Etat de police, qu'il ne faut pas confondre avec un Etat policier, à un Etat de droit. Elles préfèrent avoir le moins de limitations possible.

A première vue, on pourrait épouser ce refus de limitations en admettant que l'Administration et les autorités politiques doivent avoir les mains libres pour mener à bien les tâches de développement socioéconomique. Mais une analyse plus profonde et un regard quelque peu perspicace sur la réalité du pouvoir dans ces pays montrent qu'il est nécessaire de prévoir des limitations à l'Administration et de bien délimiter sa zone d'évolution. En effet, le développement ne peut avoir, contrairement à ce que l'on pense souvent, dans la plupart de ces pays, comme unique moteur l'Etat et son administration. La base de tout processus de développement est la confiance, car seule la confiance permet une participation active de tous à l’œuvre commune de développement, participation sans laquelle rien de durable et d'efficace ne peut être entrepris. Or, cette confiance ne peut exister que si les individus se sentent protégés contre toute éventuelle velléité d'arbitraire, d'où nécessité de la fonction protectrice.

En ce qui concerne la réalité du pouvoir, ce refus de limitations n'est souvent que la manifestation de la peur d'un pouvoir qui manque d'assise populaire et qui cependant voudrait utiliser l'administration comme il l'entend et à des fins qui l'arrangent sans jamais avoir de compte à rendre à qui que ce soit. Très rapidement, on passe ainsi de la tentation de l'arbitraire à la réalité de l'arbitraire qui parfois même devient systématique.

L'Administration doit donc être contrôlée et sanctionnée et c'est, nous

semble-t-il, la meilleure façon de l'aider à mieux remplir ses fonctions. Quant à la fonction régulatrice des pouvoirs et des services publics, deux

éléments importants sont à considérer : il s'agit des compétences et des pro-cédures. En effet, le contrôle juridictionnel de l'administration veille au respect des compétences de chaque autorité administrative et s'il y a des procédures prévues

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par les textes, il oblige les autorités administratives à les suivre avant de prendre leur décision. « Un des aspects les moins perçus mais certainement l'un des plus importants du contrôle de l'administration est la protection de l'ordre juridique. Les Organes chargés du contrôle assument cette fonction en apportant leur contribution à la définition de certaines exigences de liberté. Ce contrôle de légalité apparaît alors comme un des moyens destinés à assurer et à défendre les assises, les institutions et la discipline de l'ordre juridique ... Dans le domaine du contrôle de la légalité des formes, les organes de contrôle peuvent aider à une meilleure organisation et à une meilleure harmonisation de l'action administrative par la construction ... d'un véritable code des formes administratives. ». C'est cela, la fonction régulatrice, et dans les pays en voie de développement, cette fonction ne devrait pas, en principe, être moins importante. En effet, l'administration y est souvent peu cohérente car les « circuits administratifs parallèles » sont connus de tous et tout le monde sait qu'ils sont plus efficaces que toutes les procédures administratives normales. Dès lors, aussi bien l'Administration que les administrés se font très peu de souci quant à la rigueur dans le fonctionnement et au respect des attributions et des procédures.

A côté de ces fonctions traditionnelles dont nous venons de parler, il existe d'autres fonctions du contrôle juridictionnel de l'administration qui, à première vue, apparaissent comme des fonctions secondaires mais qui, dans les pays en voie de développement, devraient revêtir une plus grande importance.

Les Pays en voie de développement et le contrôle juridictionnel de

l'Administration Fonctions spécifiques.

Si nous nous en tenons à ce que nous avons analysé jusqu'à présent, on devrait se contenter de ces fonctions classiques et traditionnelles du contrôle et en examiner la réalité et l'effectivité. En effet, les Pays en voie de développement n'ont pas échappé, malgré toutes les tentatives de réforme, à la difficulté qu'il y a à se détacher d'un modèle adopté au départ et à innover ou à adapter aux réalités et aux exigences de leur milieu et de leur situation. Aussi ces fonctions classiques devraient-elles être également valables dans les pays objet de notre réflexion.

Mais certains éléments nous obligent à affiner notre analyse et à rechercher s'il n'y a pas d'autres fonctions qui, dans les conditions des Pays en voie de développement, prennent de l'importance. En France, pays qui a engendré le modèle dont se sont largement inspirés les pays en voie de développement, l'organisation et la conception du contrôle juridictionnel de l'administration évolue au fil du temps. Cette évolution est liée à la place importante de la jurisprudence et de la doctrine ainsi qu'au niveau d'élévation de la conscience juridique des administrés. Ainsi, « personne ne discute aujourd'hui la nécessité d'un système de contrôle de l'Administration pour protéger les droits et les intérêts des citoyens.

L'Administration elle-même l'admet, ne serait-ce que pour être lavée de soupçons injustifiés. Le débat ne porte donc plus que sur l'étendue et les moda-lités du contrôle. ». Dans les Pays en voie de développement, rien de tel, aussi

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aboutissons-nous à une acception plus large des fonctions du contrôle juridictionnel de l'Administration et devons-nous insister sur certaines fonctions dont l'importance tient aux conditions socio-juridiques propres de ces pays.

La fonction pédagogique.

Par leur intervention, les juges administratifs, s'ils disposent de la marge

de manœuvre nécessaire, exercent une certaine influence sur les textes, sur l'Administration et sur la conscience collective. En effet, par le contrôle juridictionnel de l'administration, le juge peut progressivement apporter des précisions au bloc légal et créer, à l'occasion, des principes qui vont faire évoluer les rapports entre l'administration et les administrés. Cette fonction qui consiste à préciser ou à créer des normes et des principes est aussi et surtout une fonction pédagogique. En effet, elle amènerait à une compréhension plus grande et à un approfondissement des fondements textuels et principiels du fonctionnement de l'Administration et de ses rapports avec les hommes et les institutions.

Si en France, on n'insiste plus beaucoup sur cette fonction et si on craint même parfois que par ce biais, le juge administratif ne devienne le supérieur hiérarchique de l'Administration, c'est peut-être en raison de la riche expérience déjà acquise par la juridiction administrative et de sa grande et longue tradition.

Par contre, dans les Pays en voie de développement où justement les textes sont souvent copiés de systèmes et de contextes étrangers aux réalités quotidiennes que vivent les administrés, cette fonction s'avère fondamentale. Elle devrait en effet conférer au système du droit administratif une certaine originalité et le dynamisme nécessaire pour l'intégrer dans l'environnement social et politico-juridique de ces pays.

Mais la fonction pédagogique ne concerne pas seulement les textes, l'Administration elle-même en tant que telle devrait bénéficier des effets de cette fonction. Dans les Pays en voie de développement en effet, le juge administratif devrait être très exigeant pour l'Administration et cela se ferait essentiellement par un contrôle étendu, le plus étendu possible. Ainsi, le juge administratif, s'il sanctionnait même les omissions, l'indifférence et les légèretés dont fait souvent preuve l'Administration donnerait l'occasion d'une moralisation de l'administration.

Un dernier aspect de la fonction pédagogique est relatif à l'élévation de la conscience juridique collective. Lorsque l'occasion s'offre souvent de sanctionner l'Administration, soit en lui donnant raison ou en lui donnant tort, l'administré acquiert peu à peu la conviction que l'on peut avoir raison contre l'Ad-ministration, qu'elle n'est pas ce bastion inattaquable dont elle s'évertue bien souvent à afficher l'image. Dès lors, aux yeux du commun des administrés, l'Ad-ministration cesse de paraître cette puissance souveraine et intangible bien distante et de loin plus forte que le simple administré dont elle devrait pourtant n'être que le serviteur.

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Les fonctions « restauratrice » et de « développement »

Par fonction « restauratrice », nous voulons entendre une fonction de réhabilitation des contrôles non juridictionnels de l'Administration. Lorsqu'on examine le système global de contrôle de l'Administration dans les Pays en voie de développement, on se rend compte que les contrôles non-juridictionnels à savoir le contrôle administratif, le contrôle politique et le contrôle par l'opinion publique sont difficilement réalisables dans des conditions adéquates. En effet, le contrôle administratif est contrebalancé par l'existence de circuits administratifs parallèles et par le népotisme tacitement admis comme système de fonc-tionnement de l'Administration. Quant au contrôle parlementaire et au contrôle par l'opinion publique, la conception qu'a le pouvoir politique de son autorité et l'influence qui ü exerce sur les « Parlements » par le biais des partis n'autorise pas à en attendre quoi que ce soit. Dès lors, il ne reste comme possibilité de contrôler réellement l'Administration que le contrôle juridictionnel.

Or, exercé comme il le faut, ce contrôle devrait permettre de réhabiliter les contrôles, administratif, parlementaire et par l'opinion publique, actuellement presque impossibles même s'ils existent dans les textes. En effet, en mettant la cohérence et de la rigueur dans le fonctionnement de l'Administration, en clarifiant les rapports, entre, d'une part l’ administration et les administrés, d'autre part l'administration et les autres institutions de l'Etat, le contrôle juridictionnel de l'administration aurait permis la réhabilitation des autres contrôles de l'Administration

En ce qui concerne ce que nous appelons « fonction de développement », il s'agit d'une certaine conception du rôle que doit jouer le juge administratif dans les Pays en voie de développement. Nous pensons en effet que le développement socio-économique est un devoir à la limite une obligation aussi bien pour l'Administration que pour les administrés. Dès lors, le contrôle juridictionnel de l'Administration pourrait permettre de sanctionner toutes les attitudes anti-développement, ce qui aiderait certainement la transformation des mentalité.

II est vrai que les éléments constitutifs du processus de développement sont complexes et il est difficile de déterminer in abstracto dans quel sens orienter le changement nécessaire des mentalités. Cependant le juge administratif étant lui-même plongé dans les réalités quotidiennes peut bien percevoir dans quelle perspective aider à une évolution des mentalités et à une prise de conscience que nous devons tous, administrés et Administration, travailler à créer un Etat de droit.

Nous avons analysé les fonctions du contrôle juridictionnel de l'administration, posons-nous à présent la question de savoir s'il existe une adéquation entre les Organes et les finalités du contrôle.

PROBLEMATIQUE DE L'ADAPTATION

C'est une vieille problématique que celle de l'adaptation des institutions et des Organes au contexte spécifique des Pays en voie de développement et aux

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finalités qui sont les leurs. « Au lendemain des indépendances, deux écoles de pensée apparaissent. Pour les uns, minoritaires, il est vrai, la décolonisation juridique devrait être radicale... Lors du douzième festival des arts et de la culture tenu à Conakry en Novembre 1979, le Président SEKOU TOURE déclarait : « toute vie moderne qui ne plonge pas ses racines dans le passé est aussitôt balayée au premier coup de tempête et toute vie traditionnelle qui refuse l'ouverture et s'enferme sur soi est vouée à la sclérose de l'étouffement, à l'extermination ... » Le tout est ... de savoir intégrer les valeurs culturelles étrangères dans une autre culture, sans altérer celle-ci. Dans la perspective dégagée par le Président SEKOU TOURE, il s'agit de plonger ses racines dans la tradition le plus profondément possible, sans pour autant dresser des barrières qui empêcheraient tout apport extérieur. il s'agit, en d'autres termes, d'être ouvert tout en restait maître de ce qu'il faut retenir et de ce qu'il faut rejeter.

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En fait, si sur le plan théorique, cet idéal paraît satisfaisant, sur le plan pratique, il semble extrêmement difficile à réaliser. En effet que représente la tradition dans la matière qui nous concerne ? La colonisation française a fait table rase de tout ce qui existait avant elle et a instauré à la place des structures qui ne sont ni tout à fait à l'image de ce qui existe en France, ni inspirées de ce qui existait avant la colonisation. Peut-être est-ce l'appréhension de cette situation qui justifie la position de la deuxième école de pensée. En effet, « d'autres comme Léopold SEDAR SENGHOR, tout en soulignant les aspects négatifs de la domination coloniale, sont sans doute plus sensibles à ses aspects positifs ... Le Président SENGHOR ... semble, (en effet) plus enclin à réaliser une synthèse des systèmes juridiques précoloniaux et des systèmes importés d'inspiration française ... Abdoulaye WADE allait dans le même sens lorsqu'il déclarait au premier Congrès des écrivains et artistes noirs : « Les composantes d'un éventuel droit africain doivent être nécessairement le droit coutumier, le droit musulman, le droit français » ... Plus de deux décennies après les indépendances ... la situation actuelle des Etats africains est pour le moins ambigüe ». Ainsi, le problème de l'adaptation reste d'actualité et la réflexion doit continuer à ce sujet. En effet, l'écart entre le droit prévu et son application ou plus précisément son effectivité pose réellement le problème de l'adaptation des Organes aux finalités.

« Les pouvoirs publics ivoiriens (par exemple sont conscients de l'écart qui demeure entre le droit et son application. Loin de penser que le droit soit un simple reflet des conditions économiques et sociales, ils estiment qu'il a une exceptionnelle puissance de transformation des mœurs ainsi que le déclarait le Président HOUPHOUET BOIGNY, dans un discours prononcé à MONTREAL le 25 Août 1967 « l'adoption officielle des structures juridiques modernes, des cadres institutionnels nouveaux fournit à tous l'image de la vie sociale de demain. Elle est une projection tangible des buts à atteindre. L'écart entre la réalité d'aujourd'hui et les actes du législateur indique la direction dans laquelle doit s'engager l'effort de tous. » C'est à la lumière de ce explications qu'il convient, en définitive, de juge les emprunts aux modèles fournis par les Etats modernes. »

Quoique partageant cette conception qui veut que le droit soit non

seulement un reflet, mais aussi un moteur du développement, nous pensons qu'il existe des conditions objectives qui font que les structures modernes risquent de ne pas jouer le rôle qu’on en attend. C'est tenant compte de cet état de chose qu'en effet « le Président de la Cour Suprême de Côte-d'Ivoire a lui même suggéré implicitement une solution lorsque, dans un colloque académique il se demandait si l'on n'avait pas brûlé prématurément l'étape de la justice retenue : il est certain que le remplacement du système contentieux actuel par celui de la justice retenue paraîtrait une régression à ceux qui préfèrent la perfection. des solution idéales aux tâtonnements inévitables des institution vivantes. ». Mais cela ne devait pas nous empêcher, bien au contraire, de réfléchir sur la problématique de l'adaptation.

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Inadaptation des Organes de contrôle.

Pour mieux apprécier si les organes de contrôle tels que nous les avons vus sont adaptés ou non, il nous faudra les replacer dans le contexte général des pays en voie de développement, contexte très bien explicité par le professeur BOCKEL dans une réflexion sur le contrôle juridictionnel de l'Administration dans les Etats francophones d'Afrique Noire. D'abord la conscience juridique collective, très peu développée au regard des institutions exogènes de contrôle, est étrangère à cette conception de contrôle juridictionnel de l'Administration. En effet, si nous reprenons la distinction faite par le professeur BOCKEL divisant les administrés en deux catégories à savoir : un « secteur central dépendant », de l'extérieur et un « secteur périphérique rural », nous pouvons nous rendre compte du fait que, de part et d'autre, et pour des raisons tout à fait différentes, l'éclosion d'un système de contrôle juridictionnel de l'administration n'est pas possible ou du moins n'est pas appréhendé comme un élément important. Aussi, le « secteur périphérique rural » vit-il ses rapports avec l'administration comme des rapports de domination où l'administration est toute puissante. Par contre, « le secteur central, peu ouvert, trop dépendant de l'Etat lui-même ou de l'étranger, ne peut sécréter une attitude favorable à un contrôle juridictionnel de l'Administration. »

Ensuite, dans les pays en voie de développement, les systèmes politiques n'acceptent pas encore que l'Administration, leur bras séculier, soit contrôlée par un organe extérieur tel le juge administratif. C'est pour cette raison que « le système politique n'est pas encore parvenu bien souvent à équilibrer les droits et les devoirs du citoyen et de l'Etat ».

On comprend dès lors la suggestion implicite faite en 1973 par le Président de la Cour Suprême de Côte-d'Ivoire dans un colloque académique sur le rôle du juge dans la société moderne, suggestion où il souhaitait « le remplacement du système contentieux actuel par celui de la justice retenue ... II est probable, disait-il, qu'en matière d'excès de pouvoir notamment, la transformation du recours juridictionnel actuel en recours administratif déféré au Chef de l'Etat serait de nature à faciliter considérablement la contestation pour des motifs de droits des décisions de l'Administration. En effet, les administrés s'adresseraient plus volontiers au Président de la République qu'à un organe juridictionnel indépendant : le recours en annulation perdrait le caractère d'attaque personnelle qu'il possède en Afrique, qu'on veuille ou non ... D'autre part les conseillers juridiques dont le chef de l'Etat ne manquerait pas de s'entourer et comment ne pas songer à une adaptation pour la chambre administrative - pourraient, sans inconvénient, être beaucoup plus hardis que la juridiction ne l'est aujourd'hui : statuant au nom du Chef de l'Etat, il n'auraient pas les réactions de réserve qu'ils donnent l'impression d'avoir à l'heure actuelle. Enfin, rendues par le Président de la République, les décisions sur recours seraient exécutées sans retard et s'imposeraient sans difficulté à l'Administration. Croit-on que les justiciables éprouveraient le même défaut d'intérêt à l'égard d'une justice plus conforme à leurs traditions dans la procédure, plus hardie et plus

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efficace dans la solution des affaires ? L'éventuel retour à une justice déléguée se ferait alors progressivement… en respectant les particularités de la situation ivoirienne.

II est clair, selon ce point de vue, qui est celui d'un homme de terrain, d'un praticien, qu'en Côte d'Ivoire les Organes de contrôle juridictionnel de l'Administration sont inadaptés. En effet, l'on constate face à ces organes un désintérêt des justiciables, une réserve des juges administratifs eux-mêmes, et comme toujours une grande susceptibilité de l'Administration, pouvoir complémentaire du pouvoir politique. Ces attitudes laissent supposer que l'instrument n'est pas adapté à la fonction pour laquelle il a été créé et mériterait donc d'être revu. A cet effet, le Président de la Cour Suprême de la Côte-d'Ivoire a fait des propositions qui semblent, du point de vue théorique, tout au moins, assez satisfaisantes.

En effet, c'est un cheminement progressif qu'il préconise, cheminement qui fera refaire à ces Pays les étapes suivies par la juridiction administrative en France, à savoir « justice retenue », puis lorsque les conditions seront mûres, « justice déléguée ». Il faut noter que cette proposition ne s'inspire pas systé-matiquement du modèle français mais tient compte de la conception traditionnelle du pouvoir où l'autorité, le roi est à la fois chef et juge. Ceci démontre que tous les peuples passent par les mêmes étapes.

L'adoption de cette solution effacerait certainement la susceptibilité d e s autorités politico-administratives mais influencerait-elle la réserve des juges et l'absentéisme des justiciables ? Ceci reste à démontrer et c'est pourquoi il n'est pas étonnant que d'autres points de vues existent et soutiennent la nécessité non seulement d'un contrôle par une juridiction mais encore et surtout par une juridiction administrative autonome. En effet, un ancien ministre malgache de la justice écrivait en 1964 « dans un pays jeune, la spécialisation s'impose : les juges administratifs, absorbés par leurs tâches et préoccupés de connaître une administration dont les rouages sont nombreux et les problèmes complexes doivent pouvoir se consacrer entièrement à leurs tâches dans l'esprit du droit public; les juges judi-ciaires confrontés aux difficultés quotidiennes des procès civils ou répressifs doivent également se consacrer à de nouveaux problèmes posés par l'application d'un droit civil rénové, du droit des affaires, du droit rural, du droit des investissements, toutes branches nouvelles, pleines d'incertitudes, mais riches par les recherches et les travaux qu'elles suscitent. Ce sont là des tâches suffisamment étendues et suffisamment importantes ».

Si le premier point de vue tient essentiellement compte des aspects psycho-sociologiques du problème, celui-ci se rattache à des aspects beaucoup plus techniques. Deux éléments nous paraissent, quant à nous, importants pour que le contrôle juridictionnel de l'Administration puisse remplir sa triple fonction à savoir : le contrôle de l'activité administrative, la protection du droit des administrés, la formulation des règles juridiques applicables à l'Ad-ministration.

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Ces deux éléments sont : une solution à la distanciation aussi bien géographique que psychologique, ensuite la simplification des procédures et des formes. Tant que des solutions adéquates ne seront pas trouvées à ces problèmes, nous pouvons dire que le problème de l'adaptation des Organes reste posé.

Mais en dehors de ces éléments, il existe d'autres problèmes non moins importants et qui sont relatifs à l'indépendance du juge et à l'exécution de ses jugements.

L'indépendance du Juge et l'exécution de ses jugements.

Le juge chargé de contrôler l'Administration, ses actes et ses activités est-il indépendant ? et lorsqu'il a rendu son jugement, l'Administration est-elle apte à l'exécuter ?

L'indépendance du juge

Le problème de l'indépendance du juge, lorsqu'il est posé, concerne

beaucoup plus le juge judiciaire que le juge administratif. Cependant tout juge devrait disposer d'une certaine indépendance si l'on souhaite qu'il remplisse réellement sa mission. La question nous semble encore plus importante lorsqu'il s'agit des pays africains où la fonction judiciaire ne semble pas jouir effectivement des prérogatives qui sont les siennes. c II est communément admis qu'il n'existe pas de justice véritable dans un pays si les juges appelés à la rendre ne sont pas pleinement indépendants - de leurs passions, de leurs intérêts et aussi des autorités qui exercent les pouvoirs législatif et exécutif -. Cette indépendance, certes, les magistrats doivent la trouver dans la force de leur caractère, mais il est souhaitable que les institutions elles-mêmes viennent la soutenir afin que le justiciable puisse être assuré de trouver un juge impartial dans les circonstances les plus délicats.

Même lorsqu'ils ne précisent pas les moyens de l'assurer, tous les Etats africains proclament dans leur Constitution l'Indépendance de la Magistrature. D'après les Constitutions des Etats africains, les statuts des magistrats, distincts du statut général de la fonction publique, sont du domaine de la loi. Tous les Etats sont dotés d'un tel statut à l'exception de la Guinée où les magistrats, selon une circulaire du 2 Juillet 1963 du Président de la République, ne constituent pas un corps indépendant des autres organes de l'Etat... Les magistrats, quel que soit leur grade, qu'ils appartiennent au siège ou au parquet, sont nommés par le Chef de l'Etat..: garant de l'indépendance de la magistrature... Les magistrats du siège sont inamovibles. Cette règle.... est inscrite dans les constitutions et reprise dans les statuts ou est énoncée seulement dans ceux-ci. La Guinée, le Mali et le Zaïre n'ont pas consacré, semble-t-il, le principe de l'inamovibilité... Les Magistrats du parquet... relèvent au peint de vue disciplinaire en Afrique du ministre de !a justice et du Président de la République ». Malgré ces garanties constitutionnelles et statutaires, nous ne devons pas nous illusionner sur l'effectivité de l'indépendance du juge. En effet, les textes ne sont bien souvent que des façades constitutionnelles, statutaires ou juridiques bien fragiles. Au

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surplus, le juge administratif n'étant séparé ni de l'Administration active ni de l'ordre judiciaire ne dispose pas de garanties statutaires spécifiques alors qu'il est appelé à trancher entre le plus faible, l'Administré, et le plus fort, l'Administration. Si l'Indépendance dépend en partie des garanties statutaires, elle dépend beaucoup plus du juge. Il nous semble en effet que l'Indépendance est avant tout un état d'esprit, une façon de se comporter devant les problèmes et face aux pouvoirs.

« L'indépendance est... chose toute intérieure et pratiquement impossible à assurer : quel est l'homme indépendant de son milieu, des journaux qu'il lit, de l'influence des colères populaires.

Le juge n'est pas plus indépendant que quiconque et ce qu'il convient d'assurer, c'est son autonomie. II faut qu'il soit mis à l'abri de toute crainte s'il est amené à rendre une décision désagréable au pouvoir ou à quelque puissance que ce soit. II faut également qu'il ne puisse pas être favorisé dans sa carrière s'il lui arrive de rendre une décision agréable soit au pouvoir, soit à un groupe de pression quelconque... II faut débarrasser le magistrat de l'espoir d'obtenir de la bienveillance gouvernementale une carrière particulièrement brillante » . Le juge de l'Administration plus que tout autre a besoin de cette indépendance intérieure car il est chargé de trancher un litige entre deux parties inégales dont la plus forte est ,directement sa structure d'origine et même parfois son autorité hiérarchique. Dès lors, il n'est pas naturellement porté à exercer en toute indépendance sa mission de juge.

Ce n'est pas qu'il soit nécessairement menacé, mais il s'autocensure à tort ou à raison et cette attitude renforce l'impossibilité dans laquelle se trouvent les organes de contrôle juridictionnel de l'Administration de répondre aux fonctions qui leur sont dévolues. Le juge de l'Administration est souvent découragé aussi par l'attitude des autorités politico-administratives face à l'exécution des jugements les concernant.

Le problème de l'exécution des jugements

Le problème posé par l'exécution des jugements par l'Administration n'est

pas spécifique aux Pays en voie de développement. Cependant il y prend une dimension particulière parce qu'il y est ressenti comme une démonstration de la toute puissance de l'Administration. II constitue ainsi une invitation tacite à la fois au justiciable de ne pas perdre son énergie à s'attaquer à l'Administration et au juge de ne pas se faire des illusions sur ses propres limites.

C'est le problème de l'autorité de la chose jugée qui se pose ainsi. « L'autorité de la chose jugée fait peser sur l'Administration deux séries d'obligations. La première est négative. L'Administration a l'obligation de ne rien faire qui puisse aller à l'encontre des décisions de justice et l'on sait que la violation de la chose jugée est assimilée par le juge à la violation de la loi. La seconde est positive et se traduit alors, non plus comme une obligation de ne pas faire, mais par une obligation d'agir. C'est le devoir de prendre toutes les

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mesures d'exécution qu'implique la décision de justice ». Vu sur le plan théorique, voilà donc la position du problème. En principe donc, l'Administration devrait s'exécuter chaque fois qu'une décision est revêtue de l'autorité de la chose jugée. Au cas où elle ne s'exécuterait pas, de quels moyens dispose soit le juge, soit le requérant pour ne pas permettre à l'Administration de s'affranchir ainsi du contrôle du juge ? « De quelle garantie d'exécution jouit un plaignant bénéficiaire d'un jugement annulant un acte de l'Administration ou le condamnant à réparer si 1) le juge ne peut donner ni ordre ni injonction à l'autorité administrative. 2) L'autorité administrative ne peut faire l'objet d'aucune mesure d'exécution forcée En France même, diverses mesures d'amélioration des relations entre l'Administration et le public ont permis de résoudre progressivement ce problème jusqu'à la dernière loi française du 16 Juillet 1980 relative aux astreintes en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public.

Si le principe de l'autorité de la chose jugée est admis dans les pays en voie de développement et si même parfois certaines dispositions originales sont édictées ne serait-ce que pour en assurer la publicité, il n'existe pas de formules qui permettent d'obliger l'Administration à exécuter les décisions revêtues d'autorité de la chose jugée. « Formellement, les textes en vigueur (dans les pays en voie de développement) reprennent à leur compte ce principe, en disposant expressément que les décisions d'annulation pour excès de pouvoir ont un effet absolu, ergaomnes (Mauritanie, Congo, Niger Côte-d'Ivoire, Sénégal etc.) Afin d'en renforcer la portée à l'égard des tiers notamment, il est souvent prévu que les décisions d'annulation soient obligatoirement publiées au journal officiel, pour autant que l'acte annulé l'ait également été à l'origine. C'est là une dispo-sition ... sans équivalent en droit français ... Mais on ne trouve pas actuellement l'équivalent, dans les textes applicables en Afrique Noire Francophone, de la loi française du 16 Juillet 1980 ... qui détermine, entre autres, de nouvelles modalités d'exécution des condamnations pécuniaires prononcées contre l'Administration. On peut cependant mentionner ici les trois premiers alinéas de l'article 187 de la loi ivoirienne de 1978 ... qui permettent à la Cour Suprême d'adresser annuellement au Chef de l'Etat un rapport sur les suites de la procédure devant la chambre administrative et sur son délai d'exécution, d'y joindre un état complet des affaires non jugées, et d'attirer l'attention de celui-ci sur des suggestions d'amélioration susceptibles de remédier aux difficultés constatées ».

Ainsi, en dehors de quelques bribes qu'on pourrait découvrir ici et là et qui laisseraient supposer que le législateur se préoccupe du problème de l'exécution par l'Administration des jugements la condamnant, le problème reste entier. Ainsi donc le système aboutit à une impasse lorsque l'Administration refuse de s'exécuter et s'obstine dans cette attitude. II nous paraît intéressant de souligner ici une nuance importante explicitée par le Professeur JACQUOT dans une étude sur le Cameroun. « L'autorité de la chose jugée, écrivait-il, confère aux arrêts des juridictions administratives camerounaises force obligatoire (les parties doivent s'y conformer) et même, dans une certaine mesure, force exécutoire qui se matérialise par la formule exécutoire apposée au bas des arrêts. II résulte de cette formule qu'aucun problème d'exécution ne se posera en ce qui concerne les

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particuliers s'ils ne se conforment pas à la décision, on peut utiliser contre eux les voies d'exécution forcée du droit commun. Mais dans la pratique, le juge administratif au Cameroun aura rarement l'occasion de condamner les particuliers (sauf aux dépens) puisqu'il n'est compétent que pour connaître des recours dirigés contre les personnes morales de droit public.

Par contre, toutes les fois qu'il fera droit aux prétentions du requérant, se posera la question de l'exécution par l'Administration de sa décision ». Cette remarque montre bien que le problème général des fonctions juridictionnelles de l'Administration et celui spécifique de l'exécution des jugements se pose dans un rapport de c pot de fer » contre le « pot de terre ».

Somme toute, nous pouvons conclure que les organes de contrôle ne sont pas adaptés, que l'indépendance du juge de l'Administration reste à conquérir et que l'Administration se trouve tout à fait libre d'exécuter les jugements qui le condamnent ou plus précisément qui exigent de lui de se plier aux obligations liées à l'autorité de la chose jugée dont sont revêtues les décisions la concernant.

Face à une telle situation, que faire ? Y-a-t-il moyen d'arriver à un système de contrôle de plus en plus performant ?

II. POUR UNE AMELIORATION DU SYSTEME DE RECOURS ET DE CONTROLE JURIDICTIONNEL POUR UN

MECANISME DE CONTROLE PLUS EFFICACE

Quatre idées nous semblent résumer ce qui constituerait des piliers pour renforcer l'édifice du contrôle juridictionnel de l'Administration. Ces quatre idées, ce sont : la décentralisation, la conciliation, la formation des magistrats et l'essor de la doctrine.

DECENTRALISATION ET CONCILIATION Sans être partisan d'un retour systématique au passé précolonial que

d'aucuns se plaisent à adorer comme porteur de valeurs inaltérables et immuables, nous n'hésitons pas à aller y puiser notre inspiration. C'est, en effet, de ce passé, que nous tirons la perspective de décentralisation et de conciliation et surtout la liaison entre ces deux éléments. Cela ne signifie guère qu'on ne pourrait trouver la même réalité dans d'autres directions mais puisque le passé explique souvent le présent qui engendre l'avenir, nous avons préféré aller à cette source. En effet « tradition et modernité s'opposent en un perpétuel conflit dans la société africaine actuelle. (Or) dans l'Afrique précoloniale, les chefs, que ceux-ci fussent à la tête d'un royaume ou plus simplement d'un village, administraient la justice » (43). Ainsi donc, il existait une imbrication entre le pouvoir politique, l'Administration et la justice. Cependant une idée très noble de la justice avait cours. Ainsi « dans l'ancien royaume des Guin, les rois avaient...

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conscience de l'importance que revêtait pour eux l'exercice de la justice : tous les matins, ils procédaient à une libation où ils formulaient le souhait d'avoir à prononcer de nombreux jugements... Ils savaient, et la tradition rapporte, que chacune des décisions qu'ils rendaient constituait le gage de la survie de Ici, société. De même, lors des cérémonies d'intronisation d'un nouveau roi, les premiers conseils donnés à celui-ci portaient sur la qualité de la justice qu'il aurait à rendre ». Ce soin et cette préoccupation apportés au problème de la justice traditionnelle, qu'elle soit administrative, civile, ou pénale, tient au fait que la cohésion sociale constituait un impératif majeur et l'on considérait tout litige comme un facteur d'éclatement social. Dans « la tradition de bien des lignages du Sud-Togo ... les conflits sont clairement conçus comme source de destruction d'un groupe ». Comme on peut s'en rendre compte, le but visé est toujours la sauvegarde de bons rapports entre les diverses composantes de la société. La décentralisation et la conciliation sont essentiellement au service de la société et de sa cohésion. Mais que connotent exactement ces idées de décen-tralisation et de conciliation ?

La décentralisation des organes de contrôle

Dans le système traditionnel qui nous sert de référence « un chef est avant tout un juge car tout litige fait peser un risque identique à tous les niveaux de société et menace le statut social de chacun d'eux.

D'autre part ... les justiciables attendent de tout représentant du pouvoir ce minimum de protection que constitue la garantie de leurs droits ». Pour répondre à cette exigence fondamentale « le système social traditionnel impose qu'il y ait autant de juridictions que de détenteurs de l'autorité. Et chacune de celles-ci a une mission identique à remplir sauvegarder la cohésion sociale ». Ainsi donc, depuis les temps précoloniaux, le génie de ces peuples avait permis de procéder à une décentralisation des organes de contrôle. L'idée qui sous-tend cette décentralisation, c'est qu'aucun conflit ne doit être laissé au hasard car tout conflit non résolu couve une crise sociale qui pourrait éclater un jour ou l'autre. Toutes les relations étaient concernées aussi bien les rapports entre particuliers que les rapports des particuliers avec l'Administration.

Cette situation changera avec l'avènement de l'influence politico-juridique coloniale et alors apparut la distanciation aussi bien géographique que psycho-logique. L'ère des indépendances n'y modifiera pas grand chose. Ainsi de nos jours, dans la plupart des pays en voie de développement, les organes du contrôle juridictionnel de l'administration sont bien loin des justiciables potentiels. Pour remédier à cet éloignement, la décentralisation des organes de contrôle apparaît comme une des solutions. Et sans craindre de tomber dans la caducité, on peut aisément s'inspirer de l'organisation telle qu'elle se trouvait dans la période traditionnelle. En effet, partout où vivaient des hommes, il existait une structure juridictionnelle qui permettait le contrôle de tout le système social, politique et administratif. Ainsi la présence d'organes de contrôle était intimement liée à l'organisation administrative qui elle-même descendait à tous les paliers de la vie sociale. Une telle organisation aurait pu poser un problème de personnel car

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couvrir, niveaux par niveaux, tous les échelons de l'organisation administrative exigeait un nombre d'agents important. Mais là encore, et compte tenu du contexte socio-juridique chaque détenteur de l'autorité constituait une juridiction. Il s'entourait de conseillers ou de sages mais il était le véritable détenteur aussi bien de l'autorité politique que de l'autorité juridictionnelle. Le contexte étant en changement ou tout au moins appelé à changer, il est évident que l'on ne saurait aujourd'hui confier à la même autorité les compétences politique et juridictionnelle. Cependant on peut par une approche d'organisation différente, « rapprocher la justice du justiciable » et surtout la justice administrative de tout administré. On trouve dans certaines réformes de l'appareil judiciaire des esquisses d'une telle décentralisation de la justice administrative. C'est ainsi que la loi du 23 Mars 1981 portant organisation judiciaire en République Populaire du Bénin prévoit une chambre administrative par province. C'est ce qu'expliquait Monsieur le Président de la République du Bénin dans l'un des discours où il présentait la réforme de l'organisation judiciaire. « Parmi les importantes innovations de notre réforme judiciaire, disait-il, il y a lieu de mentionner ... l'institution, au sein des tribunaux popu-laires de province, d'une chambre administrative.

Ainsi, la chambre administrative du tribunal populaire de province est compétente pour connaître du contentieux des actes émanant des autorités administratives de son ressort, de tous litiges de plein contentieux mettant en cause une personne morale de droit public, des réclamations des particuliers contre les dommages causés par le fait personnel des entrepreneurs, concessionnaires et régisseurs de l'Administration... ».

Dans l'actuelle organisation administrative de la République Populaire du Bénin, il y a six provinces, ce qui fait six chambres administratives au lieu d'une seule avant cette loi. Par cette même réforme, le principe du double degré de juridiction, qui jusque là n'existait pas, est assuré sauf pour les actes des autorités centrales. 11 faut en effet noter que « les décisions rendues en matière administrative par le tribunal populaire de province peuvent être frappées d'appel devant la cour populaire centrale. Le caractère de décentralisation de la justice administrative apparaît encore plus clairement lorsqu'on sait que les actes des autorités centrales échappent à la compétence de ces juridictions pour relever de celle, de la chambre administrative de la cour populaire centrale dont le Président de la République Populaire du Bénin avait dit : « la cour populaire centrale est, et doit demeurer pour toujours, la base fondamentale de notre nouvel appareil judiciaire. Dans ces conditions, elle doit jouer, non seulement le rôle traditionnel d'unificateur du droit et de régulateur de jurisprudence, mais elle doit aussi et surtout, animer et contrôler tout l'appareil judiciaire... Ce faisant, la Cour Populaire Centrale doit surveiller la discipline des juges à tous les échelons, et devenir le centre permanent d'impulsion du droit de notre société en pleine mutation qualitative ». Ainsi, la chambre administrative du tribunal populaire de province connaît des actes des autorités et de l'administration provinciales et « la chambre administrative (de la Cour Populaire Centrale) est juge de droit commun en premier et dernier ressort des actes émanant des autorités centrale. Cet exemple de déconcentration des organes est certainement

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dans le contexte du Bénin un progrès par rapport à ce qui existait mais ce n'est pas encore une solution vraiment satisfaisante.

Elle n'est pas encore satisfaisante parce que, compte tenu de l'environnement socio-politique, il serait souhaitable qu'à tous les échelons de l'organisation administrative, on puisse retrouver une juridiction ayant pour mission de contrôler l'administration. Ce serait alors une véritable décentralisation de la juridiction administrative qui n'implique d'ailleurs pas nécessairement une activité toujours contentieuse. En effet, une juridiction peut très bien avoir des attributions autres que contentieuses.

La conciliation juridictionnelle

L'idée de conciliation vient du fait que nul n'a jamais souhaité un contentieux pour lui-même. En effet, si l'on peut prévenir le contentieux, c'est-à-dire éviter d'arriver à la phase contentieuse d'un litige ou d'une contestation, il vaut toujours mieux le faire et cela, les traditions africaines pré-coloniales l'avaient bien compris . C'est d'ailleurs cette idée qui animait la règle du recours administratif obligatoire avant toute saisine d'une juridiction administrative, règle que l'on retrouve dans la plupart des pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone. Mais le sens de la règle a été parfois inversé et elle sert alors plutôt de moyen dilatoire et de moment privilégié pour intimider ou dissuader l'administré justiciable. Dès lors, elle échoue dans son .objectif qui aurait été d'éviter le contentieux en réglant le problème posé ou en donnant des explications susceptibles de convaincre la partie adverse. En effet, la règle du recours administratif préalable « ne présente d'intérêt que si deux conditions, d'ailleurs liées, sont remplies : le recours préalable administratif doit être l'occasion d'un réexamen sérieux de la décision contestée : il doit éviter un pourcentage élevé de réclamations contentieuses. A défaut de satisfaire à ces ,conditions, les inconvénients que comporte le système (allongement des délais d'examen des recours par le juge, alourdissement des tâches administratives, complication des règles de procédure) ont toute chance de l'emporter » . Dans les Pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone, ce sont ces inconvénients qui l'ont emporté car les autorités politico-administratives n'ont pas compris « qu'on ne perd pas la face quand on décide de revenir sur une décision illégale et de reconnaître ainsi son erreur » . Cette espèce de conciliation, si an peut la nommer ainsi, avec l'Administration avant échoué, il faudrait chercher d'autres voies pour y arriver et c'est l'approche d'une de ces voies que nous avons dénommé « conciliation juridictionnelle ». On dit généralement que les traditions africaines connaissent des institutions de conciliation dont la « palabre » qui consiste en une assemblée des anciens sur la place publique pour trancher les linges et les conflits. De là, on pourrait être tenté de coller à la peau de l'africain comme une " tunique de Nessus " l'idée de non-processivité. L'africain serait ainsi essentiellement conciliateur et peu pro-cessif. Ce sont là des clichés auxquels nous ne saurons donner notre adhésion car nous savons que tous les peuples du monde entier réagissent sur plus d'un point de façon quasi-identique. La seule différence tient au fait que l'histoire et l'environnement en ajoutent ou en retranchent à telle ou telle attitude. C'est d'ailleurs presque à cette même conclusion a::'aboutit M. Marc GJIDARA

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lorsqu'il écrit : « le goût marqué des français pour le droit (ce qui ne veut pas dire pour les procès) a souvent été souligné, alors que dans certains pays on constate le peu d'empressement des individus non seulement à intenter des actions en justice, mais aussi à avoir affaire au droit en général... C'est ainsi que dans certaines recherches faites sur la processivité, et au Japon en particulier... le fait a été mis en relief que le droit pouvait être parfois indésirable. Les travaux de M. NODA sur les comportements juridiques des Japonais, établissent que l'individu moyen considère le droit comme détestable, qu'il évite autant de poursuivre autrui que d'être poursuivi lui-même en offrant spontanément à cette fin ou en acceptant une compensation. II semble que cette idée-réflexe soit finalement assez répandue et commune à tous les justiciables d'où qu'ils soient » . L'exemple du Japon cité par l'auteur prouve que s'il existait un esprit non processif, ce qui n'est d'ailleurs pas un mal, ce n'est pas qu'en Afrique qu'il faudra le chercher. Mais il prouve surtout que l'idée de conciliation est un réflexe commun à tous les justiciables. Aussi notre idée de conciliation ne partira-t-elle pas de la « palabre africaine » mais de la recherche de solutions d'efficacité du contrôle juridictionnel de l'Administration.

Qu'entendons-nous alors par conciliation juridictionnelle ?

Il s'agira de « confier au juge une mission de conciliation avant d'examiner le litige dans les conditions habituelles » de la procédure contentieuse. Il faut préciser ici que « la conciliation ne comporte aucun pouvoir de décision de la part du juge et paraît entrer dans le cadre du pouvoir d'instruction qui lui est reconnu ». Pourquoi confier une telle mission au juge ?

D'abord, comme nous l'avons déjà montré, parce que l'Administration n'accepte pas souvent un réexamen de décision, ce qui, à la différence de pays comme la France, constitue une barrière pour la phase contentieuse et par conséquent pour le contrôle juridictionnel de l'Administration. Ensuite, parce que le juge est une personne un peu plus neutre que les deux parties adverses à savoir l'Administration et l'administré. Enfin, parce que ce même juge est appelé à connaître du contentieux en cas d'échec de la procédure de conciliation. L'idée de conciliation préalablement à une phase contentieuse probable se retrouve peu ou prou aujourd'hui dans beaucoup de réflexions sur les problèmes du contentieux administratif.

C'est ainsi que dans une « Etude sur la prévention du Contentieux Administratif » il est écrit que « la conciliation pourrait être tentée dans les litiges qui posent essentiellement à juger des questions de fait et qui ont donné lieu à expertise... Cela dit, peut-on imaginer une généralisation de la procédure de conciliation ? Rien ne s'y oppose en droit mais la question mérite une étude ... En particulier, une assez large extension de la conciliation supposerait que le recours à cette procédure conserve les délais de recours contentieux, mais elle risque alors d'obliger le juge à procéder, en cas d'échec, à plusieurs examens successifs de la même affaire, ce qui alourdit singulièrement se tâche » . Cette étude faite par des praticiens chevronnés reconnaît la possibilité de la généralisation de la procédure de conciliation. Cependant quelques différences existent entre les conclusions de cette étude et notre approche de la « conciliation juridictionnelle ».

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D'abord la conciliation est proposée ici par le Conseil d'Etat comme un moyen de prévenir le contentieux administratif alors que pour nous, dans les Pays en voie de développement de l'Afrique Noire Francophone, la conciliation servirait à promouvoir le développement du contrôle juridictionnel de l'Admi-nistration. En effet, une fois que le juge aura été saisi pour la procédure de conciliation, il y aura plus de probabilités que l'Administration réagisse positi-vement au risque de se voir engagée automatiquement dans une phase contentieuse. Ensuite, dans le contexte des pays concernés où une jurisprudence autogénérée constitue encore une tâche à faire, la possibilité d'examens successifs de la même affaire en cas d'échec de la procédure de conciliation n'alourdit pas la tâche du juge. Au contraire, cette possibilité lui permettra de produire une jurisprudence bien adaptée aux conditions que vivent les administrés.

C'est une variante de la conciliation mais plus proche de la médiation que

l'on retrouve dans les idées développées par Mme DUTHEIL DE LA ROCHERE Jacqueline au 8è colloque juridique franco-britannique à Paris en décembre 1976. Elle disait en effet ceci : « on pourrait peut-être imaginer une commission de médiation dans les locaux du Conseil d'Etat, une sorte de « section gracieuse » qui recevrait les requêtes individuelles ou bien se saisirait elle-même des cas de mal administration ou d'injustice administrative qu'elle pourrait découvrir. Pas une nouvelle section du Conseil d'Etat. Mais une section qui emprunterait la qualité des services de documentation et de secrétariat de la Haute Assemblée. Une section où la collégialité garantirait l'indépendance et maintiendrait la possibilité de contact personnel avec les réquérants. La triple origine des commissaires (conseil d'Etat, cour des comptes, cour de cassation) garantirait aussi l'indépendance. La nomination des commissaires se ferait par le chef d'Etat sur proposition des hautes juridictions qui seules choisiraient les titulaires de ces importantes fonctions. Il faudrait éviter à ce stade toute intervention parlementaire pour éliminer le risque de politisation de l'institution ». Dans cette proposition qui vise à améliorer et à rendre plus efficace l'institution du médiateur, deux éléments retiennent notre attention. II s'agit de l'autosaisine dont nous parlerons plus loin et l'élimination de la politisation de l'institution. A la vérité, cette proposition de « section gracieuse » siégeant dans le cadre du Conseil d'Etat, tout en relevant beaucoup plus de la médiation que de la « conciliation juridictionnelle » se rapproche cependant de celle-ci. En effet, elle montre le souci constant de tous les pays, même et surtout les plus industrialisées; de mieux protéger les administrés en tentant d'arranger entre les parties les situations conflictuelles sans aller nécessairement à la phase contentieuse. La « conciliation juridictionnelle » que nous préconisons se situe essentiellement dans cette idée de règlement pour éviter le procès. Mais nous insisterons sur l'idée de règlement car il s'agira d'habituer tous les administrés à faire régler sans peur et sans négligence tous les litiges, tous les conflits qui pourraient naître entre eux et l'Administration. L'idée de conciliation rendra les esprits plus disponibles puisque la procédure ne deviendra contentieuse que s'il y a échec de la conciliation. Dans la réalisation de cet objectif, la liaison de la décentralisation des organes et de la procédure de conciliation nous semble être l'idéal. Ainsi, à tous les échelons où une procédure contentieuse administrative est possible, il y aura une procédure de conciliation préalable.

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Voilà pour ce qui est de l'organisation même des structures mais les hommes chargés de promouvoir un contentieux administratif plus efficace et un droit administratif plus adapté qui sont-ils et comment doivent-ils être ?

Formation des Magistrats et Place de la Doctrine

II ne suffit pas d'avoir une excellente institution, encore faudrait-il que les hommes soient à même de la faire fonctionner et la fassent effectivement fonctionner. Dans ce sens, deux catégories de personnes sont à prendre en considération : il s'agit d'une part des Magistrats, d'autre part des chercheurs et des professeurs de science juridique. Ces deux catégories de personnes, « les faiseurs de systèmes » doivent jouer un rôle important dans la valorisation de la jurisprudence et de la doctrine en droit administratif des Pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone.

Bien avant l'ère des indépendances africaines M. RIVERO insistait déjà

pour la France, il est vrai, sur « la collaboration jugée nécessaire (entre la jurisprudence.

En effet, « il est particulièrement saisissant de voir, surtout dans un système juridique qui cherche encore ses bases, la jurisprudence suprême, s'en tenir à un rôle purement négatif, ou considéré comme tel à cause de la timidité de ses tentatives constructives. » . Pour l'avenir, il faudra que la jurisprudence soit un « moyen d'évolution juridique ». Dans un Etat où le pouvoir législatif fonctionne normalement, la jurisprudence ne devrait avoir d'autres rôles que l'interprétation, l'application des lois et l'unification du droit. (Dans les pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone) la carence, justifiée ou non du législateur en titre, aurait dû permettre à la jurisprudence un rôle plus audacieux. II n'en a rien été, alors que, selon le schéma adopté par ces pays, la jurisprudence est essentiellement créatrice de droit et de principes généraux et devrait donc être plus audacieuse. Ainsi donc, nous pouvons comprendre l'importance que revêtent de nos jours le problème de la formation des magistrats et l'essor de la doctrine sur la base d'une jurisprudence engendrée à partir des réalités nationales propres.

Aucun droit n'est garanti si sa violation ne peut être sanctionnée de même

aucun contrôle ne peut être effectué si celui qui détient l'initiative de le provoquer ne met en oeuvre la procédure de contrôle. Dans le contexte spécifique aux Pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone, il est important d'examiner dans quelle mesure les conditions de mise en oeuvre de la procédure de contrôle juridictionnel de l'Administration peuvent devenir favorables à l'exercice effectif du droit de recours. Nous venons d'esquisser des propositions pour rendre le contrôle un peu plus efficace. Mais un deuxième volet s'impose à notre réflexion : l'exercice du droit de recours.

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POUR UNE AMELIORATION DES CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE RECOURS

On a parfois soutenu que certains peuples n'ont pas l'esprit de procès et

qu'ils préfèrent régler tous leurs problèmes par des voies autres que la voie conten-tieuse. II est possible que dans certaines parties du monde, l'on soit beaucoup plus sensible à telle ou telle voie de règlement des conflits mais il n’en demeure pas moins que la voie contentieuse reste valable. Et si l'on remarque parfois que la voie contentieuse semble délaissée, ce n'est guère parce que les hommes susceptibles de l'utiliser rejettent l'esprit de procès mais bien souvent parce que les procédures ne sont pas adaptées aux réalités quotidiennes que vivent ses usagers potentiels. II s'avère donc nécessaire de faire de nouvelles approches de solution afin de permettre un fonctionnement régulier et normal du droit de recours dont disposent tout administré.

QUELQUES APPROCHES DE SOLUTION LA « SOLIDARITE

CONTENTIEUSE » ET L'AUTOSAISINE.

L'idée de concevoir une c solidarité contentieuse » nous a été dictée par la vieille tradition précoloniale des pays en voie de développement d'Afrique Noire Francophone qui insiste sur la notion de solidarité. II en est d'ailleurs de même de l'autosaisine mais comme elle existe dans les structures modernes nous n'insisterons pas sur l'aspect traditionnel.

Cependant avant de préciser ces deux notions, nous voulons nous démarquer par rapport à ceux qui pensent et soutiennent qu'il existe des valeurs qui sont de l'essence de ces pays, valeurs que très facilement on tend à poser en idéal à atteindre.

« Lorsque Macluhan, l'un des rares à avoir perçu ces problèmes de valeur dans une perspective autre que statique et définitive décrit le développement historique de l'humanité... il distingue trois phases de cette évolution : la première, la « phase tribale » est celle où

« L'homme vit dans un village et fonde son organisation sociale sur la participation totale des individus... sa culture essentiellement orale, ce qui correspond à l'état de ses besoins, à la technologie ambiante, se caractérise par l'importance qu'y prend le mythe, ainsi que la répétition, la circularité. »

La seconde phase de ce développement est « l'âge de l'écriture ».

« Dans l'âge de l'écriture, la vie humaine est placée sous le signe du fractionnement... L'homme de l'alphabet... fonde une culture qui tourne le dos à la richesse émotionnelle de l'âge précédent. » La troisième phase est ou sera selon Macluhan celle du « village global »

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« Le village global implique un rapport au monde très proche de celui qui apparaît dans la société tribale. L'homme du village global pousse à l'infini les caractéristiques de l'homme tribal ».

Ce qui nous séduit dans cette analyse, ce sont les caractéristiques de chaque phase et le parallèle que l'on peut établir entre ces phases.

A travers toutes les sociétés, l'organisation sociale fut d'abord fondée sur c la participation totale des individus » c'est-à-dire que tout le monde se sentait concerné par chaque chose et par toutes les réalités de la société. Puis arriva une phase de fractionnement qui se reflète dans toutes les structures et institutions de la société. Enfin, l'on retournera, toutes les sociétés retourneront, dans une phase finale, à cette solidarité sociale de la première phase. Les sociétés industrialisées dites développées sont certainement à la phase de fractionnement et possèdent en germe les idées de la société globale. Quant aux pays dits en voie de développement, ils sont entre la société solidaire et la société fractionnée, émiettée, fortement individualisée.

« II importe donc, de reconnaître la naïveté ou le caractère hautement mystificateur de toutes les idéologies qui proposent un quelconque retour ou recours aux vieilles traditions de nos ancêtres... Nous ne sommes ni l'incarnation des valeurs de l'Afrique d'hier, ni de celle d'une Europe qui s'est imposée à nous. C'est cela l'honnêteté, c'est aussi cela l'authenticité... Tout ce que l'on revendique dans cette vaine entreprise comme étant la spécificité de l'Afrique ou de « l'âme noire », n'est-ce pas « chose humaine, trop humaine » selon l'étape à laquelle un peuple, tout peuple se trouve à un moment donné de son évolution historique et sociologique ? ».

Ainsi donc, même si notre approche s'inspire du passé, ce n'est guère parce

que cela serait spécifique aux pays en voie de développement mais parce que, compte tenu des conditions propres à ces pays aujourd'hui, ces structures permettraient une évolution plus normale et plus sereine. Deux idées-forces nous éclairent ici. II s'agit, d'une part, d'éviter l'individualisme et le formalisme excessifs d'où l'idée de solidarité contentieuse, d'autre part, il s'agit de promouvoir la transparence de l'Administration et de la juridiction administrative elle-même. Ces deux idées judicieusement appliquées devraient conduire à l'éclosion de ce que M. C. DEBBASCH appelle « contentieux de mission », ce qui permettra d'aboutir un jour à un « contentieux de gestion ». Analysant en effet, l'état actuel du contentieux en France, M. Charles DEBBASCH avait écrit qu'avant, la mission du juge était, non pas la sauvegarde d'un équilibre réalisé entre puissance publique et citoyens mais d'assujettir l'Administration au respect du droit c'était un « contentieux de mission ». Aujourd'hui, le contentieux est un « contentieux de gestion ». II ne s'agit plus de bâtir dans des arrêts de principe les fondements des relations entre l'Administration et les administrés, mais d'appliquer dans les arrêts d'espèce, les règles générales dégagées hier.

Dans les pays en voie de développement, l'heure est à l'édification des principes devant régir les rapports entre l'Administration et les administrés. Dès

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lors, il faut pouvoir trouver un système qui permette de dépasser les obstacles et les barrières aussi bien matériels que psychologiques.

LE CONCEPT DE « SOLIDARITE CONTENTIEUSE » DEFINITION

DE LA NOTION

Dans la phase traditionnelle des sociétés africaines, il existe un facteur important de cohésion sociale que l'on appelle solidarité. Cet élément comporte des implications diverses selon le domaine où l'or. se situe. Mais en général, cela signifie que ce qui touche un membre de la communauté est comme ayant touché chaque membre de la communauté et toute la communauté dans sa globalité. Ainsi, en matière de justice traditionnelle, c rien n'empêchait,... parce qu'il s'agissait avant tout de régler des différends qui opposaient à un moment donné les individus, qu un même problème soit porté devant le même tribunal par les membres de générations successives » . Tout le monde se sentait concerné au point que se produit un ralliement de toutes les générations.

C'est cela la solidarité sociale, une solidarité qui couvre tous les aspects de la vie de chaque individu et qui naturellement trouve son prolongement dans une espèce de « solidarité contentieuse ». En effet, chaque intérêt lésé, chaque droit violé constitue une atteinte à l'ordonnancement juridique, donc à l'organisation sociale, dont le maintien et la sauvegarde est et devrait être l'affaire de tous. Cette conception est évidemment à l'opposé de la conception individualiste développée en France et que, dans une note, M. Gaston JEZE spécifiait en ces termes : « on pouvait soutenir que le fonctionnaire non touché a un intérêt direct et personnel à faire apprécier par le Conseil d'Etat la légalité d'une mesure qui demain, sera peut-être prise contre lui. La jurisprudence n'admet point cette thèse. CHACUN POUR SOI, tel est le principe. Tant qu'un agent n'est pas touché directement, il n'a pas qualité pour se plaindre, le Conseil d'Etat n'est -pas constitué pour donner des consultations de droit. »

Or aujourd'hui encore, dans les pays en voie de développement, on devrait pouvoir instituer une « solidarité contentieuse » c'est-à-dire procéder à une extension des conditions de saisine. A cet égard, on établira une distinction théorique entre l'intérêt à agir et la qualité à agir. La qualité à agir sera alors généralisée à telle enseigne que le simple fait d'être un membre de la communauté confèrerait une qualité à agir même si l'on n'a aucun intérêt direct à agir. A la limite, n'importe quel administré pourrait se substituer à celui qui a intérêt à agir si ce dernier avait peur ou hésitait car « le maintien de l'ordre public n'est pas la responsabilité exclusive des autorités administratives » (76). Ainsi donc, parents, amis, témoins et toute autorité auraient qualité à agir surtout quand il s'agit du contentieux de l'annulation. La réponse à la question de savoir à qui appartient le droit d'introduire un recours prendra alors une nouvelle signification, une signification beaucoup plus sociale qu'individuelle. On retrouve d'ailleurs une approche de cette conception au niveau de la juridiction administrative en Pologne. En effet, « le droit d'introduire un recours contre une décision administrative appartient à la partie ou à l'organisation sociale qui a pris part à la procédure

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administrative ainsi qu'au procureur, (il faut préciser que les droits des organisations sociales dans la procédure administrative ont été notablement élargis...) le délai de recours a été fixé à 30 jours à partir de la notification ou de la publication de la décision. Le procureur dispose de son côté d'un délai de six mois pour se pourvoir ».

On nous objectera peut-être que nous réduisons des notions complexes telles la qualité à agir et l'intérêt à agir à des réalités bien simples et peut-être même nous reprochera-t-on de rêver d'une société où existeraient des institutions caduques. En fait, rien de tout cela ne peut être évoqué par quelqu'un qui vit de l'intérieur les réalités quotidiennes de ces sociétés où ce qu'on pourrait appeler une complexification sociale n'est en réalité qu'un mélange hétérogène qu'il faudra à présent tenter d'harmoniser. Pour ce faire, il faudra partir des structures les plus simples mais qui imprègnent l'ensemble des populations de ces pays. La complexification sera alors progressive et endogène donc le fruit d'une maturation provenant soit du milieu soit d'un emprunt conscient et adapté.

CONSEQUENCES DE LA MISE EN ŒUVRE DE LA SOLIDARITE CONTENTIEUSE.

Lorsqu'on réfléchit sur les conséquences que pourrait avoir la mise en

œuvre de cette « solidarité contentieuse », la première idée qui vient à l'esprit est une idée négative. En effet, se dit-on, n'y a-t-il pas le risque, d'entretenir une atmosphère de vengeance qui entraînerait fatalement à un essor de l'esprit processif (le procès pour le procès) et à un encombrement des juridictions. Tout d'abord, nous devons nous rendre compte que nous sommes en contentieux administratif et qu'il est difficile d'entrevoir une quelconque ambiance de vengeance. Par contre, il est évident que non seulement, il peut y avoir encombrement des juridictions mais encore que l'Administration, se sentant comme surveillée constamment comme « Caïn et l’œil » se laisse aller à une certaine passivité. Cependant, nous pensons que rien ne doit être jamais figé et qu'avant qu'on en arrive à cela, il faudra chercher des solutions. C'est en somme un processus de transformation progressive qui se mettra en marche. Ainsi, apparaîtront des conséquences plutôt positives qui feront tourner efficacement le rouage des institutions et qui entraîneront une participation active de tous à la problématique de progrès national.

Evoquons, entre autres, trois points :

D'abord, l'ensemble des administrés se sentiront concernés par le problème de l'ordonnancement juridique. Cela ferait naître progressivement une conscience juridique aigüe, ce qui, dans le contexte actuel n'existe pas. Puisque n'importe qui aura qualité à agir, -celui qui a intérêt à agir ne se sentira plus menacé par cette peur diffuse de subir en secret des représailles. Ensuite l'Administration elle-même sera bien obligée de changer de méthode de travail. Le risque existe, certes, de voir l'Administration appliquer à la lettre les textes, ce qui pourrait aussi bien aboutir à un résultat peu positif.

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Cependant, l'application conséquente de la notion de « solidarité contentieuse » en permettant aux juges de connaître d'à peu près tout pourrait aider à concevoir une nouvelle orientation du principe de légalité. On pourrait par exemple adopter une « légalité du développement » grâce à laquelle toute omission et toute indifférence de la part de l'Administration serait appréciée par le juge et sanctionnée, au besoin. La c légalité du développement » devrait pouvoir sanctionner toute politique de gaspillage et de prestige (que l'on rencontre paradoxalement dans la plupart des pays en voie de développement) après une appréciation du « bilan coût-avantage » de la décision ou de l'action administrative. Une Administration routière qui se préoccupe d'agrandir et de renouveler le parc automobile de son personnel dirigeant en achetant, pour soit disant des raisons de service, des voitures de luxe qui consomment beaucoup de carburant (cette administration disposant de bons d'essence qu'elle négocie d'ailleurs parfois aux dépôts d'essence) alors que dans le même temps les routes sont pour la plupart impraticables ne devrait-elle pas être sanctionnée ? Or des cas du genre, on en rencontre quotidiennement dans les Pays en voie de développement. Mais personne ne se sent la qualité d'agir en justice contre un tel état de choses.

Enfin, la jurisprudence se développera car les juridictions administratives connaîtront de tous les cas d'espèce et auront ainsi la possibilité de poser des principes qui serviront plus tard à résoudre des cas analogues.

L'AUTOSAISINE PAR LE JUGE.

L'autosaisine dans le système traditionnel africain.

Si nous admettons que toute personne puisse saisir le juge administratif,

est-il concevable que le juge se saisisse lui-même ? C'est une question que nous nous sommes souvent posée et à laquelle nous tenterons à présent de répondre. Et avant que d'entamer la problématique de l'autosaisine du juge par lui-même, une histoire nous vient à l'esprit, une histoire qui s'est déroulée dans un village africain à l'époque où existaient encore les structures traditionnelles de justice. Un jour, un chef traditionnel, assis devant son palais, vit passer et repasser une dizaine de fois en moins d'une heure un jeune enfant qui allait d'une agglomération à une autre et s'en retournait. Ce va-et-vient insolite étonna le chef qui interpella l'enfant pour s'enquérir de ce qu'il y avait. Le garçon lui raconta qu'il portait un message de son frère à une fille qui habitait de l'autre côté. Le chef fit venir sur le champ ce jeune homme et lui demanda la cause du message qu'il envoyait depuis le matin à la jeune fille. Par la suite, le chef convoque la jeune fille pour l'interroger à son tour. Puis il convoqua sa cour pour trancher un litige qui commençait de naître entre le jeune homme et la jeune fille.

Cette histoire nous révèle deux éléments eu égard au problème qui nous intéresse. D'abord, il n'existait pas une séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, ensuite, l'autosaisine par l'organe chargé de juger était une pratique courante.

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Dans le système français, le juge ne saurait se saisir. « Les tribunaux administratifs rendent des jugements et n'ont donc pas l'initiative de l'action contre l'administration. Leur tâche se résout à trancher les litiges portés devant eux par les particuliers ou les administrations... II suffit au citoyen qui entend déclencher le contrôle de désigner la décision administrative qui lui fait grief ».

Par contre, dans les structures anciennes des pays africains, le juge pouvait se saisir lui-même. Le contexte était tout différent. En effet, « la tradition africaine n'était pas fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs, mais sur celui de l’unité du pouvoir. Comme le relevait M. T. 0. ELIAS : « quel que soit le type de société africaine considérée (sociétés sans Etat ou sociétés parvenues au stade de l'Etat), les pouvoirs législatif, juridictionnel et exécutif tendaient à coïncider dans leurs titulaires comme dans leur exercice ». C'est ce que confirme l'observation faite par le ministre rwandais de la justice à propos de son pays : c Dans le RWANDA ancien, le juge personnifiait tout le pouvoir selon le degré auquel il était placé »... (en fait) la tradition africaine... se trouve coïncider avec la tradition marxiste d'unité de pouvoir ». Dans cette tradition marxiste d'unité de pouvoir, le juge peut-il se saisit lui-même ?

Là aussi le juge ne peut pas se saisir lui-même. Cependant il existe une structure fondamentale dans le système de contrôle dont l'originalité mérite l'attention. II s'agit de ce que l'on appelle « Prokuratura ».

La Prokuratura dans les systèmes marxistes.

L'origine de cette institution remonte à l'époque des Tsars. C'est en effet « Pierre le Grand (qui) dans sa volonté de créer un Etat moderne, soumis à un régime de droit et fortement centralisé, avait institué auprès du Sénat un procureur Général, assisté de procureurs répartis sur l'ensemble du territoire et chargés de contrôler les activités administratives au double point de vue du respect de la loi et de l'accomplissement honnête et consciencieux des fonctions. c Oeil du Tsar » selon l'expression de Pierre Le Grand, ils pouvaient former des protestations contre les actes administratifs, adresser des recommandations et observations, rédiger des rapports sur les résultats de leurs investigations ». L'histoire de l'origine de cette institution est tout à fait significative de l'esprit qui la gouverne. D'abord, elle est née parce que le Tsar voulait avoir un Etat moderne mais il avait compris que cela ne se pouvait sans la soumission de l'Administration au régime de droit. Ensuite, si on n'était pas dans un système d'unité du pouvoir, cette institution aurait une forte connotation juridictionnelle. En effet, le Procureur et le système du Parquet font partie intégrante de l'organisation judiciaire. La Prokuratura supprimée au lendemain de la révolution bolchévique fut reprise en compte par le système soviétique en 1922. « A cette époque, les dirigeants étaient préoccupés par la prolifération des illégalités, qui risquait d'aboutir à une véritable anarchie juridique. Comme le dit LENINE dans sa lettre célèbre sur la Prokuratura « Nous vivons dans un océan d'illégalités »... La Prokuratura a donc été créée avec sa double mission administrative et judiciaire, p a r une loi du 28 Mai 1922 ».

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C'est surtout sa mission administrative qui nous intéresse ici. Cette « mission qui est la plus importante selon la doctrine soviétique, est habituelle-ment dénommée « surveillance générale de la légalité ». Elle était ainsi définie dans la loi de 1922 . « exercer au nom de l'Etat la surveillance de la !égalité des actions de tous les agents administratifs, établissements économiques, organismes publics et privés et citoyens, en protestant contre les actes illégaux et en déclenchant des poursuites contre les coupables ». Protester contre les actes illégaux et poursuivre les coupables, voilà résumée sa mission qui selon la formulation actuelle que l'on retrouve dans la Constitution du 7 Octobre 1977 en son article 164 est ainsi spécifiée : « la surveillance suprême de l'exécution stricte et uniforme des lois par tous les ministères, comités d'Etat et départements, par les entreprises, les administrations et les organisations, par les organes exécutifs et administratifs des soviets locaux des députés du peuple, par les kolkhozes, les coopératives et les autres organisations sociales, par les fonctionnaires, ainsi que par les citoyens incombe au Procureur général de l'URSS et aux procureurs qui lui sont subordonnés ».

Cette Prokuratura a à sa disposition plusieurs modes d'intervention dont la protestation et le pouvoir de déclencher des poursuites. « Le procédé le plus original et le plus formalisé de son intervention est la « protestation ». C'est selon la définition donnée par un dictionnaire juridique soviétique, « un acte juridique par lequel le procureur, dans l'exécution de la surveillance générale, demande la modification ou l'annulation d'un acte illégal ». Cette demande doit être adressée soit à l'auteur de l'acte, soit à son supérieur hiérarchique ». Le procureur n'est pas un juge, c'est peut-être pour cela qu'il peut se saisir lui-même. Mais les moyens dont il dispose pour faire aboutir une réclamation sont si grands que l'on est tenté de le rapprocher du juge. Cependant, strictement parlant, le juge ne peut se saisir lui-même.

II n'y a donc que dans la vieille tradition africaine que le juge qui est à la fois, l'exécutif et le législatif peut se saisir lui-même d'une affaire. Peut-on alors aujourd'hui préconiser dans les pays en voie de développement une autosaisine du juge par lui-même ? Nous pensons que l'on peut répondre affir-mativement à cette question. En effet, si ce que nous avons appelé la « conciliation juridictionnelle » échoue, le juge doit-il attendre d'être à nouveau saisi avant de déclencher la procédure contentieuse ? Evidemment non. Nous pouvons dès lors dire qu'il s'est saisi lui-même, tout au moins en ce qui concerne la procédure contentieuse. Cette voie peut être doublée d'une procédure à l'image de la Prokuratura. C'est, la conciliation juridictionnelle mise à part, ce qu'ont choisi certains pays comme le Bénin et qu'on retrouve dans la quatrième partie (article 293 à 359) de la loi n° 81-004 du 24 mars 1981 portant organisation judiciaire. Selon cette loi, « le Parquet populaire central... contrôle l'observation de la loi par les organes dépendant du conseil exécutif national, les organes locaux du pouvoir d'Etat, les fonctionnaires et les citoyens... Lorsque dans une affaire, le Parquet Populaire Central relève à l'encontre d'un agent permanent de l'Etat une faute qui ne ressortit pas au domaine pénal, il demande contre lui des sanctions d'ordre administratif, disciplinaire ou social ».

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Si ce parquet populaire ne peut pas annuler lui-même un acte qui fait grief, il dispose cependant de moyens lui permettant de soustraire cet acte de l'ordonnancement juridique national. C'est certainement un pas mais ce n'est pas suffisant surtout si l'on sait que dans les pays en voie de développement, ce ne sont ni les textes bien pensés, ni les institutions bien agencées sur le papier qui font dé-faut mais leur mise en oeuvre. De plus personne ne peut nous faire traire que dans les Pays en voie de développement, tous les responsables politiques ne veulent que le bien de leur pays. Dès lors, un « oeil du pouvoir », pour paraphraser l' « oeil du Tsar », ne saurait toujours garantir ou promouvoir l'efficacité et l'effectivité de l'exercice du droit de recours permettant à tout justiciable de contribuer à la sau-vegarde si nécessaire de l'ordonnancement juridique.

Au total, et pour prendre un exemple concret, si nous remettons les structures du Bénin dans le contexte de notre hypothèse, nous aurons un cas de figure semblable à ce qui suit :

1) La chambre administrative du tribunal populaire de province sera compétente pour « connaître du contentieux de tous les actes émanant de toutes les autorités administratives de son ressort », et ses décisions peuvent être frappées d'appel. La saisine de cette chambre sera généralisée, ouverte à tout administré même n'ayant pas un intérêt à agir. En effet, le simple fait d'être membre de la communauté nationale et d'avoir la capacité juridique d'agir confère qualité pour agir.

2) La chambre administrative de la Cour Populaire Centrale « juge de droit commun en premier et dernier ressort des actes émanant des autorités centrales... juge d'appel de toutes les décisions rendues par les tribunaux populaires de Province... » mais aussi chargée d'une mission de « conciliation juridictionnelle ». La saisine de cette chambre pour la « conciliation juridictionnelle » ne pourra être faite que par quelqu'un qui a un intérêt à agir. Mais si la conciliation échoue, le juge se saisit lui-même de cette affaire pour une procédure contentieuse et tranche en dernier ressort.

3) Le Parquet Populaire Central enfin, qui, dans sa mission de surveillance

« peut attaquer tout acte illégal devant les juridictions compétentes ». Dans les pays en voie de développement, le Ministère Public peut

valablement, en plus de sa mission traditionnelle, jouer un rôle de « surveillance administrative » mais à la condition qu'il ait une certaine indépendance vis-à-vis de l'exécutif et des partis politiques.

La solidarité même en matière contentieuse aiderait certainement une grande partie de la population à ne pas devenir des victimes permanentes du maquis législatif, réglementaire et administratif, cette espèce de dédale où Ariane même ne se retrouverait plus. Mais ce n'est qu'un palliatif. Ce vers quoi il faut tendre, c'est l'éveil total de la conscience juridique et politique de tous les citoyens qui donnerait au contrôle juridictionnel de l'Administration toute sa dimension et l'effectivité aux fonctions qui lui sont dévolues. Dès lors, il faudra réfléchir sur une certaine mise en ordre des textes de l'Administration et les modalités pratiques pour les faire connaître à tous les administrés.