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Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer 4 e colloque international des Instituts Gineste-Marescotti. Paris 2011 > La Maison de l’Amitié est un pôle gérontologique de proximité, un milieu de vie, où chacun a un rôle à part entière et une parti- cipation citoyenne. Manager un milieu de vie, c’est sortir de son bureau pour respirer l’air des couloirs et se montrer visible- ment présent. C’est aussi mettre en place une organisation pour un développement durable servie par une gouvernance claire. Aucune personne ne peut accepter de disparaître au nom de « l’organisation ». Les solutions toutes faites n’existent pas. Chacun trouve ce qui lui convient, l’expérimente, c’est la formation action, celle qui permet une remise en question permanente sans culpabilité, et qui permet d’avancer dans les missions à accomplir. MOTS CLÉS: Maison de l’amitié – Milieu de vie – Management – Citoyen – Organisation – Pôle gérontologique. RECRUITING AND MOTIVATING: AN ART The House of Friendship (Maison de l’Amitié) is a neighbourhood gerontological pole, a living environment in which everyone has a unique role to play in a context of citizen participation. Managing a living environment means leaving one’s office and brea- thing in the air of corridors and showing one’s involvement. Such management also involves the setting up of organization enabling sustainable development backed up by clear governance. No-one can agree to be swallowed up in the name of an “organization”. There are no ready-made solutions. Everyone finds suitable solutions, tries them out, thus creating training in action, generating guilt-free ongoing questioning and enabling progress to be achieved in terms of the mission to be fulfilled. KEYWORDS: House of friendship – Living environment – Management – Citizen – Organization – Gerontological pole. RÉSUMÉ/ABSTRACT > Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer Recruter – motiver : tout un art C. DEUTSCHMEYER 1 , N. CAMBOULIVE 2 , M. FIEFFE GOUVERNANTE 3 1. PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION LA MAISON DE L’AMITIÉ. 2. DIRECTRICE ET 3. GOUVERNANTE DE LA MAISON DE L’AMITIÉ (ALBI). 417 LA REVUE FRANCOPHONE DE GÉRIATRIE ET DE GÉRONTOLOGIE • OCTOBRE 2011 • TOME XVIII • N°178 La maison de l’amitié, un pôle gérontologique de proximité La Maison de l’Amitié, associa- tion à but non lucratif, est gestion- naire de plusieurs établissements médico-sociaux. Elle s’est inscrite dès sa création dans une démarche d’ouverture de l’établissement à tous et compte aujourd’hui 800 adhérents qui cohabitent grâce à une diversité d’activités et de services : un foyer restaurant en libre service (ouvert à la population dont les salariés du quartier, 26000 repas servis en 2010), un foyer logement «Olga Ducoudray» (18 appartements. GMP 2011 : 92 à 227), un Ehpad « Olga Ducoudray » (33 lits, GMP 2011 : 675), un centre de 90 ateliers ou activités inter-âge animé par des bénévoles compétents, un service d’accompagnement à la scolarité (29 bénévoles enseignants encadrent 90 enfants), un centre d’ac- cueil de jour autonome «Le Petit Can- tou » pour personnes désorientées psychiques (15 places, GMP 2011 : 777). Tous ces établissements sont clai- rement affichés comme des lieux de vie ordinaire. La place prépondérante du bénévole: un rôle à part entière et une participation citoyenne La Maison de l’Amitié compte 133 bénévoles actifs œuvrant pour l’es- sentiel à l’animation du centre des activités socioculturelles. La forte professionnalisation qu’a connu l’As- sociation ne s’est jamais traduite par la mise à l’écart des bénévoles. Au contraire, la culture du bénévolat reste très ancrée et constitue une réelle force d’ouverture. En effet, faire intervenir des bénévoles, c’est «faire entrer la cité» dans nos établisse- ments et c’est développer du lien social. La Maison de l’Amitié a rédigé une « Charte du bénévole » ; celle-ci constituant une base indispensable. Les bénévoles apportent à nos rési- dents d’autres formes d’échanges en dehors de toute relation soignant/soigné. Non seulement, les équipes ont intégré cette proximité mais y voient une complémentarité. L’établissement se nomme «Mai- son de l’Amitié» tout un programme en soi mais surtout tout un concept à préserver, la «Maison» l’endroit où l’on vit, où l’on habite, où l’on accueille, où l’on rêve, que l’on imprègne de ses marques, de son odeur, de ses désirs. Et si l’objectif d’une maison de retraite, d’un établissement d’héber- gement Ehpad c’est d’être une nou- velle maison à un moment de la vie, pouvons-nous affirmer qu’effecti- vement dans toutes nos maisons les résidents ont la possibilité de rêver, d’accueillir, d’exprimer leurs désirs, bref d’avoir une vie personnelle? Mais si ce n’est pas aisé, est-ce une utopie ? Est-ce qu’un certain mode de fonctionnement, d’administration, de management ne peut pas favori- ser, aider à trouver de nouvelles réponses, à surmonter le «ce n’est pas possible» trop souvent avancé? C’est l’hypothèse que je vais essayer de démontrer maintenant. Quand on est directeur d’établis- sement, on a des rêves; avoir de l’ar- gent pour répondre aux objectifs, >

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La Maison de l’Amitié est un pôle gérontologique de proximité, un milieu de vie, où chacun a un rôle à part entière et une parti-cipation citoyenne. Manager un milieu de vie, c’est sortir de son bureau pour respirer l’air des couloirs et se montrer visible-ment présent. C’est aussi mettre en place une organisation pour un développement durable servie par une gouvernance claire.Aucune personne ne peut accepter de disparaître au nom de « l’organisation ». Les solutions toutes faites n’existent pas. Chacuntrouve ce qui lui convient, l’expérimente, c’est la formation action, celle qui permet une remise en question permanente sansculpabilité, et qui permet d’avancer dans les missions à accomplir. MOTS CLÉS: Maison de l’amitié – Milieu de vie – Management – Citoyen – Organisation – Pôle gérontologique.

RECRUITING AND MOTIVATING: AN ARTThe House of Friendship (Maison de l’Amitié) is a neighbourhood gerontological pole, a living environment in which everyonehas a unique role to play in a context of citizen participation. Managing a living environment means leaving one’s office and brea-thing in the air of corridors and showing one’s involvement. Such management also involves the setting up of organizationenabling sustainable development backed up by clear governance. No-one can agree to be swallowed up in the name of an“organization”. There are no ready-made solutions. Everyone finds suitable solutions, tries them out, thus creating training inaction, generating guilt-free ongoing questioning and enabling progress to be achieved in terms of the mission to be fulfilled. KEYWORDS: House of friendship – Living environment – Management – Citizen – Organization – Gerontological pole.

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>Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer

Recruter – motiver: tout un artC. DEUTSCHMEYER1, N. CAMBOULIVE2, M. FIEFFE GOUVERNANTE3

1. PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION LA MAISON DE L’AMITIÉ. 2. DIRECTRICE ET 3. GOUVERNANTE DE LA MAISON DE L’AMITIÉ (ALBI).

417LA REVUE FRANCOPHONE DE GÉRIATRIE ET DE GÉRONTOLOGIE • OCTOBRE 2011 • TOME XVIII • N°178

La maison de l’amitié, un pôle gérontologique de proximité

La Maison de l’Amitié, associa-tion à but non lucratif, est gestion-naire de plusieurs établissementsmédico-sociaux. Elle s’est inscritedès sa création dans une démarched’ouverture de l’établissement à touset compte aujourd’hui 800 adhérentsqui cohabitent grâce à une diversitéd’activités et de services : un foyerrestaurant en libre service (ouvert àla population dont les salariés duquartier, 26000 repas servis en 2010),un foyer logement «Olga Ducoudray»(18 appartements. GMP 2011 : 92 à227), un Ehpad «Olga Ducoudray»(33 lits, GMP 2011 : 675), un centrede 90 ateliers ou activités inter-âgeanimé par des bénévoles compétents,un service d’accompagnement à lascolarité (29 bénévoles enseignantsencadrent 90 enfants), un centre d’ac-cueil de jour autonome «Le Petit Can-tou» pour personnes désorientéespsychiques (15 places, GMP 2011 :777).

Tous ces établissements sont clai-

rement affichés comme des lieux devie ordinaire.

La place prépondérante dubénévole: un rôle à part entière etune participation citoyenne

La Maison de l’Amitié compte 133bénévoles actifs œuvrant pour l’es-sentiel à l’animation du centre desactivités socioculturelles. La forteprofessionnalisation qu’a connu l’As-sociation ne s’est jamais traduite parla mise à l’écart des bénévoles. Aucontraire, la culture du bénévolatreste très ancrée et constitue uneréelle force d’ouverture. En effet, faireintervenir des bénévoles, c’est «faireentrer la cité» dans nos établisse-ments et c’est développer du liensocial. La Maison de l’Amitié a rédigéune «Charte du bénévole»; celle-ciconstituant une base indispensable.Les bénévoles apportent à nos rési-dents d’autres formes d’échangesen dehors de toute relationsoignant/soigné. Non seulement, leséquipes ont intégré cette proximitémais y voient une complémentarité.

L’établissement se nomme «Mai-

son de l’Amitié» tout un programmeen soi mais surtout tout un conceptà préserver, la « Maison » l’endroitoù l’on vit, où l’on habite, où l’onaccueille, où l’on rêve, que l’onimprègne de ses marques, de sonodeur, de ses désirs.

Et si l’objectif d’une maison deretraite, d’un établissement d’héber-gement Ehpad c’est d’être une nou-velle maison à un moment de la vie,pouvons-nous affirmer qu’effecti-vement dans toutes nos maisons lesrésidents ont la possibilité de rêver,d’accueillir, d’exprimer leurs désirs,bref d’avoir une vie personnelle?

Mais si ce n’est pas aisé, est-ceune utopie?

Est-ce qu’un certain mode defonctionnement, d’administration,de management ne peut pas favori-ser, aider à trouver de nouvellesréponses, à surmonter le «ce n’estpas possible» trop souvent avancé?C’est l’hypothèse que je vais essayerde démontrer maintenant.

Quand on est directeur d’établis-sement, on a des rêves; avoir de l’ar-gent pour répondre aux objectifs, >

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avoir une équipe de personnel stable,performante, engagée, avoir descadres sur lesquels on délègue voireon se repose, et des résidents satis-faits, heureux de vivre. Bref, on viseune inaccessible étoile comme diraitJacques Brel.

Mais aussi on rêve de faire la paixentre tous, d’aplanir les tensions quifinissent par faire baisser les brasaux plus courageux d’entre nous.

Quand on parle de management,en fait de quoi parle-t-on?

Une des définitions c’est « l’en-semble des activités d’organisationet de gestion de l’entreprise et de sonpersonnel ». On trouve là une par-faite concordance avec les 3 fonc-tions de direction, à savoir la fonc-tion stratégique qui donnera des butset des objectifs, la fonction de res-ponsable, car il faut assumer les choixfaits et leurs conséquences et la fonc-tion d’animateur de l’équipe pluri-disciplinaire.

Comment s’y prendre ? Il s’agitde bâtir ensemble un projet fédéra-teur et d’installer chacun dans uneplace où s’il ne joue pas son rôle ilva empêcher le projet d’aboutir.

Le projet de la Maison de l’Amitiéest très ordinaire:

Permettre à chacun de continuerà vivre ce qu’il a à vivre, à l’âge qu’ila, dans une poursuite d’épanouis-sement personnel, d’accomplisse-ment et d’équilibre de sa vie. Et cecidans le plein respect des individua-lités mais en s’appuyant sur un soclecollectif solide, bienveillant, dans uneambiance de solidarité et d’entraide…

Dans cette optique, il est ques-tion de regarder des gens debout,puisque le propre de l’être humainc’est d’être vertical, ainsi nous l’ap-prend la démarche de soins appli-quée chez nous «l’Humanitude».

A partir du moment où l’on voitles choses ainsi, il y a des valeurs debase communes à partager, croiredans l’être humain et dans ses capa-cités innombrables, croire qu’à toutâge de la vie, chacun a un rôle à jouer.

Pour faire vivre cette valeur, nousavons bâti l’équilibre des choses àl’image d’un trépied : un pied est

constitué par l’institution, le Conseild’Administration, le personnel, lesbénévoles, un pied est constitué parles résidents, les usagers, un piedest constitué par les familles. Pourque le trépied soit à l’équilibre il estimpérieux que chacun des trois piedssoit à la même hauteur que lesautres, car il suffit que l’un tombe,quel qu’il soit, pour faire tomber lesdeux autres. Autrement dit, chacuna son rôle et aucun des autres ne peutjouer une autre partition que la siennedont il est responsable.

Manager c’est aussi l’art de gérerde façon la plus judicieuse possibleles affaires du ménage, en référenceau «mesnage» du XIIIème siècle, etdonc il faut du savoir-faire.

Dans notre siècle, Fayol fait réfé-rence à cinq compétences essen-tielles: prévoir, organiser, comman-der, coordonner, contrôler. A monsens, c’est là qu’est le nœud desinterprétations différentes qui peu-vent aboutir à la mise en place desystèmes rigides car trop planifiés,cadrés, de procédures procédurièresà tel point qu’on ne sait plus pour-quoi elles sont utiles, de normes tropsécuritaires, restrictives, et l’on vapour bien se conduire, en bon mana -ger, oublier les usagers, leurs désirs,leurs attentes, mettre des entraves,des freins, à des vies qui ne nousappartiennent pas : c’est ainsi quenous bâtissons des murs, que dansl’objectif de bien faire nous enfer-mons, nous empêchons les habitantsde la maison de se conduire commedes êtres libres, citoyens.

Notre interprétation de ces cinqcompétences est qu’il y a une margede manœuvre, de liberté. Les normessont ce qu’elles sont, il y en a tou-jours eu, des bonnes et des moinsbonnes. Il s’agit de les appliquer pours’en débarrasser au plus vite. C’estce que j’appelle les préalables, lesincontournables, les pré-requis: çane vaut vraiment pas la peine de s’yattarder. En effet, si on se laisse pié-ger par elles, si on les subit, si l’ons’en lamente, toute notre énergiepasse là.

En France, tous les Ehpad fonc-tionnent grâce à une convention tri-partite qu’ils ont signée avec l’Etat

et le Département. Cette conventionassigne aux dirigeants des prescrip-tions qu’il faut respecter. Elle nousdit ce qu’il faut faire mais elle ne ditpas comment le faire. Par exempledans la nôtre il est dit: «L’établisse-ment est tenu d’entretenir le lingedes résidents ».

Jusque là, qui trouve à redire ?Personne.

Est – ce difficile à respecter? Non.On va donc laver le linge que

chaque résident fournit et chacund’eux pourra garder ses draps, sesserviettes.

Mais si cette prescription estinterprétée autrement, certains éta-blissements non seulement vontfournir tout le linge de maison, maisaussi des pyjamas bleus boutonnésderrière pour tout le monde et quesais-je encore… qui l’a dit ? Pas laconvention tripartite.

Question : qui cela arrange defonctionner comme ça? Sans doutepas les résidents que l’on dépossèdepetit à petit de ce qu’ils sont; ils nesont donc plus maîtres de leur vie,et la relation n’est plus d’adulte àadulte mais d’assisté à dominant.

L’impérieuse nécessité d’unephilosophie partagée

Le socle du collectif qui régit notreorganisation c’est une philosophiepartagée par tous les acteurs et unevolonté affichée et façonnée au quo-tidien d’être dans une culture du«care», du prendre soin de la per-sonne dans sa globalité. Chacun dèsl’entrée dans la maison est sensibi-lisé, responsabilisé, mobilisé, guidé,stimulé, soutenu dans ses réflexionset ses pratiques. En effet que l’on soitadministrateur, bénévole, profession-nel, famille, résident, chacun à laplace où il est, est un acteur.

Les relations instaurées sontbasées sur la confiance à priori, etsur l’idée que plus l’on donne et plusl’on reçoit. C’est la théorie de Mauss,le don et le contre don, «je te donne,tu me donnes, je te rends » : on vadonc « profiter » équitablement del’échange mais il faut que la récipro-cité soit un à-priori fondamentalcréant une obligation mutuelle quiva maintenir la relation. Le don crée

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cette durable relation entre chaquepersonne et la communauté car fon-dée sur des valeurs de loyauté, defidélité, de lien, un sentiment d’ap-partenance, et à l’instar des polyné-siens, crée du «mana», de la valeurspirituelle. Plus on donne, plus onest grand. Les choses faites ont dusens, et c’est ainsi que nous faisonsvivre chez nous le trépied dont je vousparlais tout à l’heure.

Une organisation pour un dévelop-pement durable servie par unegouvernance claire

De fait, manager dans unedémarche partagée d’information,de consultation, de concertation etde prise en décision implique de façonresponsable tous les acteurs concer-nés, puisque l’objectif de cette gou-vernance est d’aboutir à une amé-lioration du bien commun.

Cela signifie que pour garantirles droits des usagers on va mettreen œuvre à tous les niveaux tous lesmoyens permettant de répondre qua-litativement à leurs besoins et donctrouver des fonctionnements adap-tés pour éviter toute dichotomie entresens et action entre politique et tech-nique.

Comment nous y prenons-nous?Je vais développer quelques aspectsmanagériaux sur lesquels nous nousappuyons:• Une culture de la promotion, del’innovation, de la créativité : unmanagement par innovation

Tout être est riche de quelquechose, il suffit de le solliciter pour queles champs des possibles s’ouvrent.Laisser une place importante à l’in-tuition, à l’expérience, au courage, àl’imagination est chez nous un pro-cessus délibéré qui conduit à la pro-position et à l’adaptation par les béné-voles, les personnels et les usagerseux-mêmes de produits nouveaux.

Deux innovations sur trois sontprovoquées ainsi. Par exemple, aucours des recrutements, je m’inté-resse, après avoir vérifié les diplômes,le CV… à ce que peut apporter le futuremployé ou bénévole, à qui je veuxdonner une vision libératrice de l’ac-compagnement d’adultes. «Et, à partça, que savez-vous faire?»

À cette question, les réponsessont multiples: «je sais faire la cui-sine ou j’étais coiffeuse…»

Immédiatement des savoir-faireémergent et, s’ils sont utilisés, ils vontpermettre d’avoir des nouvelles com-pétences complémentaires au métierde base, mais surtout ils qualifientencore plus la personne. C’est uneauxiliaire de vie sociale, certes, maiselle est aussi repérée parce que c’estelle qui fabrique des gâteaux, ou bienmaquille, coiffe, va à la pêche. On nese pose plus la question de savoir sicette fonction est dans la fiche deposte mais on cherche à décentrerle postulant d’une préoccupation dusoin trop lourde dans lequel il estpiégé par toutes ces quantités detâches ingrates qui y sont attachées.

Pour les résidents, quand on leurdemande, que faisiez-vous autrefois,qu’aimeriez-vous faire? On va décou-vrir aussi quels sont les centres d’in-térêt, «Ah vous aimez tricoter, maisil y a dans la maison des personnesqui souhaitent avoir un tricot faitmain…». On va ainsi trouver de l’uti-lité à la personne âgée et quand jela présente à l’équipe je n’oublie pasde dire «Mme X sait chanter, sait fairedes confitures» etc.• Une culture de la réussite et de laperformance pour fabriquer de labientraitance.

S’appuyer sur tous ces savoirsaccumulés pour les mettre au profitdu groupe permet d’enrichir la viesociale, d’épaissir les relations pro-fessionnelles et inter personnellesde chacun, de fidéliser le personnel,de lutter contre l’épuisement et leburn out.

Les choses sont de haute luttecar nous sommes dans un contexteparticulièrement disqualifiant : lemonde des personnes âgées est peuattractif, le personnel qui en a lacharge est peu valorisé par lessalaires servis, les tâches à accom-plir peuvent être vécues commelourdes car répétitives, sans fin.

Comment créer du positif avecces contraintes? Comment motiver,mobiliser en fabriquant de la valeurajoutée aux métiers, aux missions,aux tâches à accomplir, commentfabriquer de l’utilité sociale?

• Tout d’abord en professionnalisantles emplois : depuis 5 ans noussommes 14 à avoir suivi une for-mation qualifiante, diplômante età l’avoir réussie.

• Ensuite en ayant obtenu le label«site qualifiant» pour des centresde formation «AMP», «auxiliairesde vie» afin que nos équipes trans-mettent leur savoir-faire aux sta-giaires: ainsi les tuteurs désignés,par ce rôle de transmission, endos-sent la responsabilité de faireconnaître nos façons de faire.

Jean Philippe Toutut, sociologue(Alpha Conseil Castres) dit : «Dansles métiers à autrui, la qualificationn’est pas qu’une compétence elledépasse les savoirs et les savoir-faireet comprend un positionnementéthique».

Dès la création des établisse-ments, Centre d’Accueil de Jour,EHPAD particulièrement, le choixmanagérial a été de constituer uneseule équipe de travail. Il n’y a pasd’un côté l’équipe médicale, et d’unautre une équipe constituée des nonmédicaux. Cela évite les pièges desstéréotypes des métiers et d’une mis-sion trop morcelée. Le risque majeurquand chacun ne se sent pas consi-déré au même niveau, et vousconnaissez l’enjeu du pouvoir médi-cal, est que l’on n’a pas le mêmeobjectif.

Or, nos établissements sont dits«lieux de vie» où l’on soigne, et nonpas lieux de soins. Le seraient-ils,on constate qu’ils n’exonèrent per-sonne de devoir aller à l’hôpital quandc’est nécessaire.

Donc nous ne sommes pas unhôpital. La loi est formelle. N’est pashôpital qui veut.

Tous les résidents ont droit auxsoins médicaux bien sûr, maiscomme à domicile chez soi, on n’apas besoin d’être entouré de blousesblanches, d’avoir des couloirs rem-plis de chariots, des chambres sansâme. Chez nous, chaque résident ases meubles, son lit tant que c’estpossible, sa sonnette à la porte d’en-trée, sa boîte aux lettres, il les uti-lise s’il le peut, mais on n’aligne pasles installations, sur leur non utili-

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sation possible comme principed’équipement.

C’est ainsi qu’on déshumanise lesmaisons et que comme à l’hôpital ondépouille les personnes qui y vivent.Que se passe-t-il quand on est à l’hô-pital?

On nous dit, déshabillez-vous,couchez-vous : les gens à l’hôpitalsont des gens couchés. Même quandon arrive à l’hôpital la veille d’uneintervention, alors qu’encore on n’areçu aucun soin, il faut d’abord secoucher puisqu’on est malade.

Alors on n’a plus qu’une hâte, c’est de sortir vite.

En maison de retraite, on est làpour y rester, et en attendant la mort,quelle solution avons-nous si ce n’estd’essayer de vivre dignement letemps qu’il reste. Il faut donc du per-sonnel convaincu de cela, convaincuque ce temps là vaut la peine d’êtrevécu, et que c’est justement là qu’estla valeur de leur intervention.

La vieillesse est-elle un naufrage?comme disait le général de Gaulle.

D’abord je pense qu’à tout âge onrisque la noyade, la disparition.

L’idée de naufrage fait référenceà un accident, cherchons les causes:s’agit-il d’une avarie survenuecomme l’accident de santé, ou biend’erreurs humaines, de dysfonction-nements que l’on pourrait imputerà l’institution : nous existons pouraider des personnes à vivre, pour leshéberger, pour les accompagner sinécessaire. Jamais je crois, pourenfermer, provoquer des naufragesde leur vie.

On sait que nos établissementsfabriquent des effets iatrogènes, dufait de la lourdeur institutionnelle,d’un collectif trop prégnant, d’indi-vidualisation très parcellaire. Et lesprofessionnels les fabriquent bieninvolontairement, en souffrant eux-mêmes de les faire.• Pour contrer cela, pour les faire

participer à l’amélioration de leursituation, nous avons choisi de leurfaire bâtir ensemble des projetsambitieux qui dépassent toute lamaison et qui font appel à un sur-passement de soi, que l’on soitsalarié, administrateur, résident.

C’est ainsi que ce sont les malades

d’Alzheimer du Cantou qui portentchaque année le symbole de la nati-vité, de la lumière, en fabriquant etanimant avec tous ceux qui le veu-lent « la crèche vivante». Imaginezun peu, 35 santons vivants, du prési-dent, aux familles, aux résidents quiprésentent ensemble des tableaux,qui chantent, récitent leur mini texterépété pendant 3 mois. La perfor-mance sur scène est réelle, toutautant dans les coulisses, où chacunassis dans l’ordre d’apparition attend,se tait, se prépare à son rôle, sansdésordre, sans trouble du compor-tement, sans déambulation. Quellefierté pour tous ces personnels quiencadrent, soufflent, pilotent, chan-gent les décors, les costumes, dansune apparente facilité! J’y vois là lapreuve qu’une organisation très pen-sée, très encadrée, où tous les détailssont prévus, où tous les obstacles sontdégagés, permettent à tous les habi-tants de la maison de vivre dans uneétonnante fluidité, peut être assimi-lable à de la sérénité.

Dans le même esprit nous avons,pendant des années, fait un défiléde mode multi-générations bien sur,où la plus ancienne avait 90 ans, leplus jeune 4 ans, où chacun portaitdes vêtements de la saison prêtéspar les boutiques d’Albi. Cela se pas-sait au théâtre de la ville, et la salleétait comble à tel point que c’est l’As-sociation des Commerçants duCentre Ville qui a repris l’évènementà son compte.

On voit qu’en mutualisant les res-sources de l’ensemble de la maison,les locaux, le matériel, les humains,en les mettant toutes au service desrésidents de quelque service qu’ilssoient permet de trouver une éner-gie démultipliée qui porte chacun.

D’autant plus que nous cultivonsdes spécificités auxquelles noussommes attachés, le bénévolat et ladémarche de soins Humanitude pouravancer dans la bientraitance. Cesdeux données permettent une ouver-ture sur l’extérieur, et nos établis-sements affichent complet depuisleur ouverture.• Manager un milieu de vie c’est per-

mettre que la vie circule librement,c’est libérer les habitants de toutes

les contraintes non indispensables,c’est aussi penser que les habitantsdoivent faire «maison» et que nous,le personnel, n’y sommes qu’in-tervenants. Ce n’est pas chez nous,ne nous y trompons pas, on ne dortpas là.

Et ce n’est pas parce que les rési-dents ont besoin de nous qu’ils doi-vent être maintenus en dépendance:ils ne sont pas nos obligés. La rela-tion d’aide repose sur la capacité qu’aun soignant à amener toute personneen difficulté à mobiliser ses propresressources pour mieux vivre la situa-tion qu’elle vit. Cela a peu à voir avecles aides matérielles, techniques,quotidiennes. On peut faire une toi-lette, donner à manger sans être dansune relation d’aide. Cette dernièreest basée sur le fait que l’on recon-naît à la personne soignée ses affects,ses émotions.

En fait, le vocabulaire dans notresecteur est très important et c’estle rôle du manager d’employer le bonmot respectueux pour que la repré-sentation que l’on en a soit la pluspositive possible.

Les solutions toutes faites n’exis-tent pas. Chacun trouve ce qui luiconvient, l’expérimente, c’est la for-mation action, celle qui permet uneremise en question permanente sansculpabilité, mais aussi d’avancer dansles missions à accomplir.

Pour conclure, manager un milieude vie c’est aussi sortir de son bureaupour respirer l’air des couloirs et semontrer visiblement présent, c’estêtre rassurant, authentique, dire toutela vérité toujours. Aucune personnene peut accepter de disparaître aunom de « l’organisation » et nousdevons, selon Aristote, être dans uneéducation à la vertu, forme de bien-veillance, de réciprocité qui dépendde la situation dans laquelle se trou-vent les «autrui».

2012 c’est l’Année Européenne duvieillissement actif et de la solida-rité intergénérationnelle. Gageonsau cours de cette année de témoi-gner, comme le dit Kafka, que «c’estle bonheur qui supprime la vieillesseet non le contraire», puisqu’on n’arien trouvé de mieux pour vivre long-temps que de vivre vieux.

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