recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études...

174
a. martens, travailleurs Immigrés: critique d, quelques études - e. lambrechts, la NconcIIté des Jeunes couples belges - J. lefèvre, pour une sociologie des relatlone entre groupes linguistiques - g. deprez, le choix d'une école catho- lique - p. delfoue, le texte d'un système des pensions (II) - c. leplae• ...,.. et réalité en sociologie de la famille - c. presvelou. a. brutus et b. canivet, l'avortement dans la Yle du couple. recherches sociologiques

Transcript of recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études...

Page 1: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

a. martens, travailleurs Immigrés: critique d, quelques études - e. lambrechts,

la NconcIIté des Jeunes couples belges - J. lefèvre, pour une sociologie des

relatlone entre groupes linguistiques - g. deprez, le choix d'une école catho-

lique - p. delfoue, le texte d'un système des pensions (II) - c. leplae•

...,.. et réalité en sociologie de la famille - c. presvelou. a. brutus et

b. canivet, l'avortement dans la Yle du couple.

recherches sociologiques

Page 2: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

RECHERCHES SOCIOLOGIQUES

PUBLICATION SEMESTRIELLE

Comité de Gestion

P. DE BIE, présidentC. LEPLAE, C. PRESVELOU

Comité de Rédaction

G. DEPREZ, L. J. JADIN, rédacteurs en chefF. BOUDRU,E. LAMBRECHTS, J. LEFÈVRE

Administration - Edition

Centre de Recherches SociologiquesUniversité Catholique de Louvain

Van Evenstraat, 2 bB - 3000 LOUVAIN

Tél. 016/276.00C.C.P. n° 5650.81

Abonnement(2 numéros)

Numéro

Belgique et pays de la CEEAutres pays

225 FB250 FB

125 FB135 FB

Les manuscrits, introduits pal' un bref résumé, doivent être remisau Comité de rédaction en quatre exemplaires dactylographiés. Larédaction décline toute responsabilité quant au contenu des articles.

Copyright: La reproduction des articles est interdite sans autorisation ducomité de rédaction. .

Page 3: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

RECHERCHES SOCIOLOGIQUES

Volume III, numéro 1, juin 1972

Sommaire

Pages

A. MARTENS

Travailleurs immigrés: critique dequelques études. Application à la situa-tion belge 3

E. LAMBRECHTS

La fécondité des jeunes couples. Ana-lyse des résultats d'une enquête auprèsde 838 couples 22

J. LEFÈVREPour une sociologie des relations entregroupe linguistiques. Un modèle d'ana-lyse 44

G. DEPREZLe choix d'une école catholique . 83

P. DELFOSSELe texte d'un système des pensions.Essai d'une analyse sémiologique (II) 107

Notes de recherche

C. LEPLAEThéorie et réalité en sociologie de lafamille 126

C. PRESVELOU, A. BRUTUS et B. CANIVET

L'avortement dans la vie du couple 144

Page 4: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Ce cahier a pu être réalisé grâce à l'aide financière du Centre de RecherchesSociologiques de l'Université Catholique de Louvain.

Page 5: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

TRAVAILLEURS IMMIGRES:CRITIQUE DE QUELQUES ETUDES

Application à la situation Belge *

parA. MARTENS

En Europe, et plus particulièrement en Belgique,l'opinion publique prend conscience du phénomène«travailleurs immigrés ».Lorsque ce phénomène fait l'objet d'une analyse

sociologique, le chercheur se trouve confronté à unesérie de questions : quelles théories et quels modèlespeut-il utiliser pour comprendre et expliquer lesdifférents aspects du problème. La politique d'immi-gration menée par les Etats (d'Europe) détermineincontestablement le type d'analyse sociologiquequ'il est possible d'utiliser. Néanmoins la plupartdes études se réfèrent à certains modèles théoriquesoù la variable indépendante est, soit le statut socialet les comportements des travailleurs migrants, soitla politique d'immigration (et d'allocation) des Etatsqui font appel à la main-d'œuvre étrangère.

L'analyse historique du phénomène permet dansune certaine mesure de dépasser cette dichotomie etde ne pas réduire la dynamique sociale à un de cesdeux moments.

La situation sociale et juridique des étrangers - et parti-culièrement des travailleurs migrants - a fait l'objet ces der-niers mois, de nombreux rapports et études. Par une séried'actions collectives (grèves, manifestations, congrès, confé-rences) la situation des étrangers a ainsi été soumise à unprocessus «d'agrandissement d'échelle» jusqu'à devenir un

(*) Par l'analyse critique de quelques études consacrées à l'immigrationet aux immigrés, nous tentons de dégager des optiques et des théoriesutilisées, certains schémas d'explication.

Cette analyse fut nécessaire pour mener à bien deux recherches surl'immigration, actuellement en cours au Sociologisch Onderzoeksinstituut,Katholieke Universiteit, Leuven (cfr. infra, pp. 19-20).

3

Page 6: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

objet de préoccupation politique à l'échelon national. Le pro-blème a fait irruption dans les sphères des décisions politiquesen Belgique (1).L'objet de cet article n'est pas d'analyser la politique d'immi-

gration de la Belgique, ni la façon dont les étrangers, et parti-culièrement les travailleurs migrants, y vivent. Des études ontdéjà été publiées à ce sujet, d'autres sont en cours d'élabora-tion (2).

L'objet de cette note se situe à un autre niveau. Il s'agit eneffet de découvrir, dans l'arsenal des modèles et des théoriesrelatifs à l'immigration, quels sont ceux qui pourraient être uti-lisés pour comprendre et expliquer l'immigration de travailleursétrangers en Belgique, les conditions de vie de ces derniers,voire même certains aspects de la société belge au travers del'immigration.Il existe actuellement nombre d'études et de documents sur

l'immigration et les émigrés en Belgique. Ces études sont sur-tout descriptives. Certains tentent cependant d'expliquer l'unou l'autre phénomène qui se rapporte à l'immigration, mais lesthéories auxquelles il est fait référence sont fort diverses.L'explication y est tantôt économique, tantôt démographique,tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques,elles ont principalement pour objet les conditions de vie del'étranger ou du travailleur migrant.

(1) Certains prétendent que le problème des étrangers gravite déjà dansl'orbite des décisions politiques sous le couvert de la politique (conjonctu-relle) de l'emploi. En effet, depuis 1945, la Belgique a importé plusieurscentaines de milliers de travailleurs étrangers. Il faut cependant remarquer,que jusqu'il y a peu, le problème des travailleurs migrants n'a été considéréque du point de vue de la politique de l'emploi et de l'apport démographique(main-d'œuvre pour certains secteurs déficitaires; « reproducteurs» pourassurer le relèvement démographique de certaines régions). Actuellementla situation des étrangers est placée dans un cadre beaucoup plus large.

Quoi qu'il ne faille pas donner une importance démesurée aux évène-ments qui ont eu lieu en décembre 1970, il faut néanmoins constater qu'ilsont obligé le gouvernement à créer, au sein du Ministère de la Justice, unecommission présidée par M. H. Rolin. Cette commission a pour objet deproposer des modifications à la loi du 28 mars 1952 sur « la police desétrangers ». Cette loi détermine les conditions d'entrée, de séjour et d'éta-blissement des étrangers en Belgique.

Les travaux de cette commission ont été rendus publics récemment:ils contiennent des propositions garantissant à l'étranger un statut plusfavorable.

(2) Voir bibliographie: Annales de Droit (1970), MERTENSet WAER-SEGER(1971), VANDONINCK(1970), CLAES(1962), MELNYK(1951). VlaamsRechtsgenootschap (1969).

4

Page 7: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Le problème de l'immigration est considéré «en soi» etn'apparaît pas comme une conséquence, comme un dérivé dufonctionnement actuel de la société (belge). Il manque ainsi- et nous verrons par la suite pourquoi - une analyse telleque G. Myrdal en fit une aux Etats-Unis en 1944.

Avant de proposer un modèle d'analyse pour la Belgique, ilnous paraît important de parcourir quelques études qui ontété faites dans d'autres pays et qui abordent précisément leproblème de l'immigration sous cet angle-là: l'immigration etses problèmes trouvent leur origine dans la structure du sys-tème social du pays d'accueil et non dans le «caractère» oula « culture» de l'immigrant.

I. Types de politiques migratoires et types d'analyses sociolo-logiques

A. Etats-Unis

C'est aux Etats-Unis que la présence de « citoyens de secondezone », les immigrés de couleur, a suscité incontestablementle plus grand nombre d'études sociologiques. Parmi celles-ci,il faut citer l'ouvrage réalisé sous la direction de G. MyrdalAn American Dilemma (1944). Son point de départ est uneréflexion sur la contradiction entre la profession de foi dansl'égalité et le droit à la liberté de tout américain, et la pratiqueselon laquelle ces mêmes américains traitent de manière discri-minatoire une partie de la population.

L'étude aborde ainsi non seulement les différentes formesd'exclusion que subit la population noire, mais aussi les justifi-cations que la population blanche utilise pour renforcer cettediscrimination (3). Aux Etats-Unis, nous dit G. Myrdal, le pro-blème des noirs est donc avant tout un problème de la sociétéblanche (<<A white man's problem»). Dans la marée de travauxsociologiques qui déferle depuis l'œuvre de Myrdal, deux ouvra-gres méritent d'être mentionnés, notamment celui de C. Cox:

(3) « Though our study includes economie, social and political racerelations, at bottom our problem is the moral dilemma of the American -the conflict between his moral valuations on various levels of consciousnessand generality». MYRDAL (1964: 17).

5

Page 8: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Caste, Close, Race (1959) et celui édité par T. Parsons etK. B. Clark: The Negro Americom (1965).

Le premier approfondit la «color-class theory»: dans unesociété de classe, la race est considérée comme un aspect de laclasse sociale, et l'homme de couleur est perçu comme quelqu'unqui occupe une position au bas de l'échelle sociale.

Dans l'œuvre de T. Parsons et K. B. Clark, il nous paraîtimportant de souligner l'approche utilisée, notamment l'étudedu processus d'« inclusion»: « The process by which previouslyexcluded group attain full citizenship of membership in thesocietal community» (Parsons, 1965: 715). Car il s'agit bienici d'aboutir à la pleine jouissance de la citoyenneté, c'est-à-direà des droits politiques et sociaux.

Aussi stimulante que peut être l'étude de l'immigration noireaux Etats-Unis, les conclusions ne sont que partiellement appli-cables à l'immigration de travailleurs en Europe en général eten Belgique en particulier. L'immigration de travailleurs icidiffère sur deux points:

1) aux Etats-Unis, les noirs sont des citoyens américains (oudu moins des citoyens en puissance) ; en Europe, les travail-leurs immigrés sont et restent des étrangers (sans droitspolitiques) .

2) les caractéristiques raciales extérieures sont moins pronon-cées (particulièrement la couleur) - du moins jusqu'àmaintenant - en Belgique.

B. Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne et tout particulièrement l'Angleterreconnut après la deuxième guerre mondiale, une immigrationimportante de « citoyens britanniques» venant des pays appar-tenant à l'Empire (Antilles britanniques, Indes, Pakistan, Côteorientale de l'Afrique). Les difficultés d'intégration de cesdivers groupes firent l'objet d'un grand nombre d'études etd'enquêtes. Colour and Citizenship en constitue la synthèse.Celle-ci ne put en effet être opérée que grâce à un travailcollectif sous la direction de E. J. Rose (1969).

La similitude entre l'œuvre de Rose et celle de Myrdal estfrappante: même perspective, mêmes hypothèses, mêmes thèmes

6

Page 9: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

abordés (travail, logement, éducation, opinion publique ... ). PourRose, la discrimination faite à l'encontre des immigrants doitêtre imputée à la Grande-Bretagne. Il s'agit avant tout d'unproblème britannique, quelle que puisse être l'influence de l'ori-gine ou de la culture du migrant lui-même. «The behaviourof the British would in the end be decisive and so the mainfocus of our inquiry was to be on the response of the British.British society and British policies would be the subject of theinquiry at least as much as the immigrant communities. Ourstudy would have to be concerned with the social life of thenation» (Rose, 1969: 2).

L'accès à la pleine citoyenneté (full citizenship), tant au planlégal qu'au plan politique et social, constitue le thème centralde l'ouvrage. Les mécanismes d'exclusion, par lesquels lesimmigrés - quoique citoyens britanniques pour la plupart -n'ont pas ou ont peu accès à toute une série de biens (travail,logement, éducation, prestige ... ) sont analysés avec minutie etprécision.

L'ouvrage de E. Rose constitue ainsi une mine inépuisablede renseignements sur l'immigration en Grande-Bretagne. Ilfaut cependant prendre quelques précautions si on veut utiliserson point de vue théorique ou ses conclusions pour l'étude del'immigration de main d'œuvre en Europe continentale.En effet:

1) la grande majorité des immigrés (de couleur) possèdent lacitoyenneté britannique et disposent ainsi de droits politi-ques. Cependant depuis 1962 et surtout depuis 1965, les diffé-rents droits liés à cette citoyenneté, se rétrécissent commeune peau de chagrin. Ceci vaut surtout pour les immigrésde couleur (De La Presle, 1969). La Grande-Bretagne setrouvait ainsi, il y a une dizaine d'années, dans une situationcomparable à celle des Etats-Unis. Actuellement, les immi-grants du Commonwealth sont de plus en plus assimilés,non plus aux citoyens, mais aux étrangers. La situationdevient comparable à celle des pays européens continentaux.

2) la population immigrée, quoique numériquement moins nom-breuses (4) que dans la plupart des pays de l'Europe conti-

(4) 4 % de la population totale alors qu'en Belgique et en France, lesétrangers constituent de 7 à 8 % de la population totale.

7

Page 10: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

nentale, possède des caractères culturels et raciaux souventtrès différents de la population autochtone. Ceci renforcela «visibilité sociale» du phénomène.

C. Europe Continentale

Ici le problème de citoyens de seconde zone ne se pose pasou plus. Les immigrés qui viennent travailler en Belgique, enRépublique Fédérale, en France ou en Suisse sont et restentdes étrangers (5). Et le problème de l'intégration sociale - sicrucial pour la «survie» de la société américaine ou britan-nique - n'est pas considéré comme aigu.

L'analyse statistique des données relatives aux migrationsmontre d'ailleurs qu'il s'agit en fait d'une migration de main-d'œuvre, attirée ou refoulée selon les aléas de la conjonctureéconomique. Aux Pays-Bas, par ex., Wentholt (1967) est d'avisqu'il faut préférer cette migration (sans fixation) de travail-leurs (« internationaal werkforensisme » - littéralement : « ban-Iieusardisation internationale du travail») à l'immigration età l'établissement définitif des travailleurs sur le sol néerlandais.Une série de coûts sociaux soint ainsi épargnés.

Les politiques d'immigration ne sont cependant pas identiquespour tous les pays européens. Deux types existent:

1) la politique d'immigration de main-d'œuvre qui poursuitégalement un objectif démographique; le travailleur estincité à immigrer et à venir s'établir définitivement avectoute sa famille dans le pays d'accueil. La France, la Bel-gique et le Luxembourg pratiquent cette politique;

2) la politique d'immigration qui interdit au travailleur migrantde se faire rejoindre par sa famille: cette politique est cellede la République Fédérale, des Pays-Bas et de la Suisse.Il va sans dire que les possibilités d'observer tels ou tels phé-

nomènes se rapportant à l'immigration, dépendent en définitivedu type de politique d'immigration adoptée. Parmi les étudessur les pays d'Europe continentale, il faut certainement citerl'ouvrage de B. Granotier: Les tmvailleurs immigrés en France(1970).

(5) Sauf s'ils acquièrent une autre nationalité.

8

Page 11: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

L'apport principal de cette étude réside dans le fait que lasituation des immigrants n'est pas uniquement définie par ledéterminant ethnique-culturel mais aussi par la position del'immigré dans les rapports de production. L'auteur privilégiecertes ce deuxième déterminant (la position qu'occupe le tra-vailleurs étranger dans les rapports de production). Toutefoisil admet qu'il ne doit pas nécessairement en être ainsi ; «quela détermination ethnique-culturelle devienne prépondérantedans la conscience collective des intéressés comme des nationaux,cela reste toujours possible, mais dépend de l'affrontement desforces politiques dans la société» (1970: 15).

Cette analyse, d'inspiration marxiste, permet non seulementd'expliquer la situation des travailleurs migrants en Francemais aussi d'aborder le problème du rapport des forces entrela France et les pays d'où proviennent les migrants. Exploitationd'une main-d'œuvre allogène et impérialisme ne sont en fait,selon B. Granotier, que les deux faces d'un même problème.A la lutte des classes au sein d'une nation correspond la lutteentre nations dominantes et dominées.

En plus de l'ouvrage de B. Granotier, il faut retenir celuide R. Descloitres: Le travailleur étrançer - son adaptation autmvail industriel et à la vie urbaine. La première partie del'ouvrage constitue une analyse pénétrante des politiques demain-d'œuvre (ou d'emploi) et d'immigration pratiquées parles pays de l'OCDE.

Dans la seconde partie par contre, celle qui est consacréeà l'adaptation (optimale) des travailleurs immigrés, l'analysenous paraît plus contestable.

Le problème y est essentiellement abordé sous l'angle psycho-sociologique: les déterminants ethniques et culturels (originegéographique, langue, religion, etc ... ) y deviennent prépondé-rants et supplantent ainsi les déterminants économiques: lesrapports de force sur un marché du travail devenu international.Ce dernier point de vue faisait cependant tout l'intérêt de lapremière partie de l'ouvrage.

Mis à part l'ouvrage de Wentholt (1967) cité plus haut, quianalyse dans une série d'articles la politique d'immigrationdes Pays-Bas, la grande majorité des ouvrages aborde le pro-blème des travailleurs migrants sous un angle psycho-social.Le traumatisme provoqué par le déracinement et le travail

9

Page 12: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

industriel constitueraient le cœur du problème des travailleursmigrants; l'immigré réside dans une situation anomique (tirailléentre deux cultures) dont les effets pathologiques se font bienvite sentir. L'adaptation et l'intégration de cette nouvellepopulation font l'objet de multiples analyses. Parmi celles-ci,existe cependant, un grand nombre d'ouvrages dont la finesseou l'actualité sont fort éclairantes. Ainsi par exemple, l'ouvragede T. Ben Sassi: « Les travailleurs tunisiens dans la régionparisienne» (1968) ou celui de Meisterman & Bingemer: « DieIntegration der Gastarbeiter» (1969).

Mais il ne suffit pas de constater que ces analyses dépendenten définitive du type de politique d'immigration, auquel telou tel pays a recours.

Il nous faut encore voir quels sont les modèles et les cadresde références théoriques utilisés pour rendre compte, pourexpliquer d'une part la politique d'immigration et d'autre partles comportements et attitudes des migrants eux-mêmes.

II. Modèles et cadres de références théoriques

Les analyses sociologiques de la migration se répartissent,selon l'objet et le point de vue qu'elles adoptent en deux caté-gories:

Type 1.l'étude de la position, du statut social ainsi que descomportements et attitudes du migrant. Il s'agit dela comparaison entre les comportements des popula-tions allogènes et ceux des autochtones;

Type II.l'étude des résultats de la politique d'immigrationmenée par un état, c'est-à-dire de l'attraction de tra-vailleurs étrangers et de leur « fixation» dans uneposition sociale déterminée.

(Il est fréquent de rencontrer des ouvrages qui envisagentsimultanément ces deux points de vue. C'est le cas pour lestravaux de G. Myrdal (1944), E. J. B. Rose (1969), B. Grano-

10

Page 13: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

tier (1970). Nous citerons donc ces auteurs chaque fois qu'ille convient.)

A. Etudes de type 1

Le statut social spécifique du migrant (et les comportementsqui s'y rapportent) dépend de la position marginale qu'il occupedans la société d'accueil.

En tant qu'étranger (aux mœurs et coutumes du pays d'ac-cueil) d'une part, en tant qu'ouvrier (se situant au bas del'échelle sociale) d'autre part, le travailleur migrant occupeune position « marginale ». Dans les rapports entre le (travail-leur) migrant et la société d'accueil, les aspects ethniques etculturels sont à l'origine de sa position marginale. Les rapportsmigrants - société d'accueil relèvent des processus suivants:absorption, assimilation, intégration, adaptation, accommoda-tion, coexistence pacifique, acculturation, inclusion, etc ... Parmiles auteurs qui abordent ces thèmes on peut citer A. Descloitres(1967), Bingemer & Meistermann (1969), Marden & Mayer(1965), Borrie (1959) ...Et selon que l'accent est mis sur le caractère « étranger »,

« ouvrier» et/ou « marginal» les sujets suivants seront traités:les caractères nationaux, ethniques ou raciaux, les cultures,les relations raciales;les rapports entre classes sociales et les rapports au seinde la classe ouvrière entre étrangers et autochtones;

- l'inégalité sociale, la «déprivation relative », etc ...Ce type d'analyse appelle plusieurs remarques:

(i) Tout d'abord, comme le fait remarquer J. Rex (1967),l'utilisation des termes « assimilation », « intégration », « accom-modation » semble être inadéquate. «Such vocabularies assumea «host-immigrant framework» in which the culture andvalues of the host society are taken to be non-contradictory andstatic and in which the immigrant is seen as altering his ownpatterns of behaviour until they finally conform to those ofthe host society. The frame of reference is a cultural one andculture is seen as an independent variable which may changeregardless of man's position in the structure of social actionand relations, regardless of the degree to which possesses pro-pert y and power» (Rex, 1967: 12-14). Ainsi, comme le con-

11

Page 14: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

state J. Rex, la société d'accueil n'offre pas une constitutionmonolithique. Elle est elle-même composée de groupes en conflitpour la propriété et le pouvoir, de groupes de différents genresde vie, stratifiés par une hiérarchie de statuts. Le « newcomer »peut de plus adopter toute une série de comportements différentsaboutissant à un conformisme de plus en plus élevé aux normesde la société d'accueil. Enfin l'immigrant ne se meut pas demanière linéaire d'une culture à une autre. La plupart dutemps il est coupé de sa culture d'origine, et vit dans une« colonie », structure hybride, qui n'appartient plus au paysd'origine et pas encore à celui du pays d'accueil.

Il importe donc d'observer quel genre de « communauté pri-maire» les immigrés constituent pour accéder à certains biensrares dans la société où ils résident, quelles alliances ou oppo-sitions existent avec d'autres groupes et particulièrement avecd'autres groupes d'immigrés, ainsi que le degré d'attachementaux normes de la société d'origine (6).

L'analyse se doit d'être historique et empirique.

(ii) La seconde remarque concerne l'usage du concept marginal(au sens sociologique du mot). Les travailleurs migrants sontfréquemment considérés comme des marginaux et assimilésau sous-prolétariat (Lumpen-proletariat). Ceci paraît fort con-

(6) A titre indicatif voici sous forme de tableau, les possibilités quipeuvent exister (cfr. REX, 1967: 18)

Degree of involvement in the le-gal, social and moral norms of thehost society on the part of theimmigrants

Degree of eonfliet between thevarious ethnie groups

1. Anomie, lack of social orienta-tion

2. «Living in the colony s

3. «Living in the colony» butaccepting formaI rights in thehost society.

4. Acceptance of sorne social normsgoverning relations with stran-gers, apart from legal norms

5. Abandonment of the colonyexcept for reasons of retrospec-tive sentiment.

A free market situation betweenindividuals competing for facilitiesMobilization of monopoly powerby ethnie group in a market si-tuationUse of violence and! or mobilisa-tion of political power

Collective bargaining and tempo-rary contractual agreement

12

Page 15: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

testable. Le sous-prolétariat - Lumpen-Proletariat au sensmarxiste du terme -' est constitué d'une masse inorganiséed'individus sans travail, de voyous, chômeurs ... masse irrécu-pérable pour la lutte révolutionnaire. Comme B. Granotier(1970) le remarque fort justement, le terme de sous-prolétariatne s'applique que fort mal au travailleur migrant. Celui-ci (aprèssélection médicale et psychologique) est pleinement inséré dansle système de production. Et s'il venait à perdre son travail,il serait bien vite amené à quitter le pays d'immigration. Il estdonc bien producteur et prolétaire. Il faut cependant remarquerque, suite à un processus d'exclusion qui agit sur différentsmarchés où des biens rares sont échangés (logement, éducation,prestige, participation politique, etc ... ), les travailleurs migrantsse retrouvent dans une situation identique à celle du sous-prolétariat ou des marginaux du pays d'immigration. Quoiquevivant dans une situation similaire, les travailleurs migrants nepeuvent cependant être assimilés aux marginaux sous peinede faire perdre à ce derner terme tout pouvor explicatif.

B. Etudes de type II

Les études consacrées aux politiques d'immigration (Rose,1969; Granotier, 1970; Wentholt, 1967) évitent bien souventles erreurs de l'approche précédente. A travers l'analyse histo-rique des mesures prises par le pays d'accueil en vue d'attirerla main-d'œuvre étrangère, apparaissent les rapports de forcesur le marché du travail national et international (7). Car c'estle pays d'immigration (du moins en Europe) qui déterminel'intensité et le volume du flux migratoire. Les aspects cultu-rels - et les tensions qui peuvent résulter du choc des cul-tures - ne jouent qu'un rôle secondaire par rapport auxdéterminations qui se manifestent sur le marché du travail.

La validité et le pouvoir explicatif d'une analyse qui prendpour objet non pas tant les caractéristiques culturelles desmigrants mais les mesures politiques prises par le pays d'ac-cueil, sont confirmés par les recherches de Arnold Rose (1968).Celui-ci constate en effet que « l'adaptation et l'intégration des

(7) Ceci apparaît très clairement dans l'ouvrage de B. Granotier (1970)pour la France, de E. J. Rose (1969) pour la Grande-Bretagne et deR. Descloitres pour les pays de l'OCDE.

13

Page 16: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

immigrants dépend de l'ouverture de la politique, des pro-grammes et de la politique d'immigration ... »

Par contre, les «facteurs culturels» (degré d'attachementde l'étranger à sa société d'origine, la similitude des culturesrespectives du pays d'émigration et du pays d'immigration)semblent avoir peu d'effet sur l'intégration et l'adaptation. « Lesfaits n'accréditent pas l'opinion que le degré d'attachement desimmigrants à leur société d'origine entrave l'intégration et leuradaptation au pays d'immigration. Et les faits ne confirmentpas non plus que la similitude entre les cultures du pays d'im-migration et du pays d'émigration garantisse une meilleureintégration et adaptation des immigrants. Nous n'avons pasréfuté ces thèses, mais nous ne sommes pas parvenus à lesprouver ... Cela signifierait que l'environnement culturel et poli-tique des migrants - vu nationalement, non individuellement -a peu ou rien de commun avec leur adaptation à la sociétéd'accueil et que tous les groupes de migrants internationauxpartent, toutes proportions gardées, sur pied d'égalité quandils émigrent» (Rose, 1968: 19-20).

On ne pouvait mieux minimiser l'influence des différencesculturelles ...

Conclusion. Pour une analyse historique des politique d'immi-gration

«La philosophie essentialiste qui était solidaire de lanotion de nature reste encore à l'œuvre dans un certainusage naïf de critères d'analyse comme le sexe, l'âge, larace ou les aptitudes intellectuelles, lorsque l'on conçoitces caractéristiques comme des données naturelles, néces-saires et éternelles, dont l'efficacité pourrait être saisieindépendamment des conditions historiques et sociales quiles constituent dans leur spécificité pour une société donnéeà un moment donné du temps» (Bourdieu, Chamboredonet Passeron, 1968: 42) (8).

Cette citation de P. Bourdieu et al. met bien en lumière laprécarité des explications basées sur certaines caractéristiques

(8) Souligné par nous.

14

Page 17: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

«dites naturelles et essentielles ». P. Bourdieu va même plusloin et prétend qu'une référence à de telles variables « indépen-dantes» ne peut aboutir à une explication sociologique, car cesvariables sont en fait empruntées à d'autres sciences (biologie,psychologie, etc ... ).

Seule une approche historique permet de briser le carcan desexplications «toutes faites» de la «sociologie spontanée ».

Ceci vaut a fortiori pour la compréhension et l'explicationdes phénomènes relatifs aux travailleurs étrangers ou migrantset de la politique d'immigration en général.

Ceci étant posé, il n'est pas inutile de se demander quelpouvoir explicatif l'analyse historique de la politique d'immi-gration peut offrir.

(a) Un premier avantage de l'analyse historique est certes dedécouvrir l'époque (et ses caractéristiques politiques, éco-nomiques) à l'issue de laquelle des mesures relatives à l'im-migration de main-d'œuvre ont été prises. Sans entrer dansles détails, on peut observer que les mesures (les pluscontraignantes) concernant la mise au travail d'étrangersont été dictées lors de périodes de récession économiqueet de haut chômage et ceci bien souvent par un gouverne-ment qui bénéficiait « des pleins pouvoirs ». Qu'ensuite, larécession finie et l'importation de main-d'œuvre devenantun besoin impérieux, ces mesures législatives ne sont nulle-ment abolies mais le pouvoir tolère qu'elles ne soient pasappliquées. En d'autres mots, l'application de mesureslégales, règlements et arrêtés se fait au gré des mouvementsde conjoncture économique.Ces mesures législatives, exécutives et judiciaires sontdonc - tant en ce qui concerne la mise au travail quel'entrée et le séjour des étrangers - étroitement liées àl'état du pouvoir et du système économique.En d'autres mots la «place» (location) sociale et légaleque peut occuper un travailleur étranger dépendra en faitde la conjoncture économique. Sociologie du droit et socio-logie économique trouvent à ce propos un domaine derecherche digne d'intérêt.

(b) Un deuxième avantage que l'étude historique de la politique

15

Page 18: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

d'immigration offre, est celui d'identifier les artisans etles acteurs de cette politique.Organisations patronales, syndicales et pouvoirs publicsont au cours du temps, développé une stratégie concertée.Concertation à tout le moins bizarre, car il est hors dedoute que l'immigration de travailleurs étrangers suscitede nombreux problèmes contradictoires à un des parte-naires, le mouvement ouvrier. A l'échelon le plus élevé desdécisions politiques, économiques et sociales, les organi-sations ouvrières ne sont pas opposées au principe de l'im-migration, mais bien - lors de récessions économiqueset de haut chômage - aux modalités d'application.Il est indéniable qu'au niveau le plus élevé, les organisa-tions ouvrières apparaissent en matière d'immigration demain-d'œuvre, comme les co-gestionnaires de la politiqueéconomique du marché du travail, de la politique énergé-tique etc ... L'importation de milliers de travailleurs étran-gers, dont certains sont obligés de travailler durant plu-sieurs années dans le même secteur économique (mine,sidérurgie, soins domestiques) en est le résultat.Il n'est pas moins vrai que ces mêmes organisationsouvrières luttent pour que les conditions de vie et detravail des étrangers s'améliorent sans cesse. Garant dela compétitivité du système de production nationale etorganisateur des luttes et revendications ouvrières, l'appa-reil syndical est là encore obligé d'assumer certaines con-tradictions: assurer la production dans certains secteurséconomiques par la fixation obligatoire de la main-d'œuvreétrangère et lutter contre les discriminations que subitcette main-d'œuvre sur le même marché du travail.Seule une analyse diachronique révèle comment à chaqueépoque les différents acteurs qui orchestrèrent cette poli-tique de main-d'œuvre ont pu ou non réaliser certainsaccords et compromis desquels découlait la place octroyéeaux travailleurs étrangers dans la société d'accueil.

(c) L'approche historique de la politique d'immigration permetenfin de découvrir et déceler le processus d'« agrandisse-ment d'échelle» que subit le phénomène « présence et immi-gration de travailleurs étrangers. » Si avant et immédiate-

16

Page 19: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

ment après la deuxième guerre mondiale, l'immigrationétrangère signifiait avant tout et exclusivement une immi-gration de main-d'œuvre, depuis 1960, la poursuite d'objec-tifs démographiques (repeuplement de certaines régions)y fut adjoint (9).En d'autres mots: la population étrangère inactive a crûdans une très grande proportion (200.000 actifs pour unepopulation totale de 700.000 étrangers).Cette transformation de la structure démographique étran-gère se répercute avec un certain retard sur les structuressocio-politiques. Il est évident que, jusqu'en 1955-1960, leproblème des étrangers était réduit à, et appréhendé commeun problème de recrutement et de mise au travail d'ouvriersétrangers (avec un accent tout particulier sur le caractèreétranger de ces ouvriers).L'immigration importante d'actifs et d'inactifs après 1960suscite toute une série de problèmes de logement, d'édu-cation, de scolarisation, de soins médicaux, etc. tant et sibien que le problème de la main-d'œuvre étrangère ne peutplus se réduire à celle de la seule «force productive ».La question déborde ainsi largement du cadre relativementétroit où elle était inscrite, et nécessite de ce fait la miseen place de structures et d'institutions à objectifs pluslarges (voir à ce sujet: Martens et Huyse, 1970).Il est aussi peu probable que les acteurs traditionnels dela politique d'immigration - pouvoirs publics (Ministèrede l'Emploi et du Travail et celui de la Justice), patronatet syndicat - puissent à eux seuls maintenir le monopoledes décisions politiques en ces matières. Diverses instancespubliques tant à l'échelon communal, provincial ou national,divers groupes, mouvements et associations tant nationalesqu'étrangères revendiquent également le droit de participerà l'élaboration de cette politique. Les revendications dediverses organisations pour l'élaboration d'un statut de

(9) Nous n'aborderons pas ici les justifications et rationalisations diver-ses émises pour rendre cette politique de (re) peuplement acceptable auxyeux de l'opinion publique. Il est évident qu'aux employeurs, on fit miroiterles conséquences bénéfiques sur la stabilité de cette main-d'œuvre, qu'auxWallons, on promit un rajeunissement de population, et aux travailleursmigrants, un bonheur supplémentaire ...

Quoiqu'il en soit, le vieillissement de la population belge en général et

2 17

Page 20: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

l'étranger peuvent être interprétées comme des manifesta-tions de ce courant. La multiplication des commissionsconsultatives des étrangers auprès des communes, minis-tères (Prévoyance Sociale, Culture ... ) en est une autre.Le cadre institutionnel au sein duquel traditionnellement,les décisions politiques sont prises, semble à tout le moinsdevenir fort étroit et incapable d'inventer des solutionsaux problèmes posés par la présence d'étrangers. La ten-tation de réduire à nouveau (et continuellement) le pro-blème à une question d'importation de main-d'œuvre ouà une politique conjoncturelle de l'emploi reste cependantfort grande (10).Par ce plaidoyer pour l'étude historique de la politiqued'immigration, nous ne voulons certes pas minimiser lesbénéfices de l'analyse synchronique. L'histoire n'a pas depouvoir explicatif « par essence ». Néanmoins, elle permetde mettre l'analyse synchronique «en perspective ». Eneffet, on ne peut aborder les différents aspects du proces-sus de marginalisation ou d'intégration qu'en tenant comptede certaines constantes, de faits récurrents qui permettentde prédire dans quelle direction ces processus peuvent sedévelopper.De l'analyse diachronique, il apparaît notamment quedepuis 1945, les faits décrits plus haut (points a, b, c) sesont répétés à quatre reprises.Déceler et analyser cette récurrence permet incontestable-ment d'aborder avec plus de lucidité l'élaboration d'unepolitique d'immigration et d'intégration ...

L'analyse historique de la politique d'immigration, donneainsi une série d'éléments utiles pour observer quelle place,quel statut social est alloué aux (travailleurs) étrangers. Ellepermet de comprendre comment cette allocation s'est opéréeet comment et par qui le statut social est (re)mis en question.Il s'agit d'une vision dynamique du problème.

wallonne en particulier était vécu dans les années 60, comme un « problèmesocial à résoudre».

(10) Rappelons à cet effet les propositions du Ministère de l'Emploiet du Travail à propos de la réglementation sur le chômage (février 1967)

18

Page 21: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Cette analyse historique sera développée ultérieurement dansune thèse de doctorat qui paraîtra prochainement (11).Cette étude trouve enfin son prolongement dans une recher-

che financée par le Fonds National de la Recherche Scientifique.Elle a pour titre « Main d'œuvre étrangère - Aspects sociolo-giques et juridique d'un processus complexe d'intégration» (12).

Deux séries de processus font l'objet d'investigations parti-culières. Un premier processus concerne:

1. L'adaptation structurelle des entreprises aux caractéristiquessociologiques du groupe de travailleurs étudié. Ici se posentdes problèmes de sociologie industrielle: qualification, recy-clage, mobilité ...

2. L'adaptation de la motivation au travail d'individus issusde pays sous-industrialisés, afin qu'ils se sentent concernésde façon optimale par les tâches et l'organisation des entre-prises industrielles d'un pays hautement industrialisé. Lesapports de la recherche en sociologie industrielle permettentd'analyser ici les problèmes de changement de mentalité.

3. L'adaptation des équipements collectifs (tels que logement,soins de santé et enseignement) aux besoins spécifiques dela main-d'œuvre étrangère. Ici se pose le problème de laconception d'une politique de bien être social (welzijnsbeleid- welfare policy).

Un second processus concerne, à un niveau plus fondamental,la reconnaissance des droits politiques, économiques et sociaux.Une distinction peut être faite ici entre:

1. Le problème politico-sociologique de l'adaptation structurelledes organisations qui, dans le système politique belge, assu-rent la défense des travailleurs. On peut constater dès main-tenant, que la présence de groupes importants de travailleursmigrants a placé les organisations syndicales devant desproblèmes très complexes.

ou plus récemment encore à propos de la suppression du droit pourl'étranger d'être accompagné des membres de sa famille (novembre 1970).

(11) « Het Belgisch na-oorlogse immigratiebeleid ».(12) Cette recherche s'effectuera au sein du Sociologisch Onderzoeks-

instituut van de Katholieke Universiteit Leuven.

19

Page 22: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

2. Le processus de prise de conscience collective dans le «in-group» (en l'occurence la main-d'œuvre étrangère), desdroits politiques, économiques et sociaux actuels et futurs.

3. Le processus de prise de conscience collective dans le « out-group» (la population belge) des répercussions politiques,économiques et sociales dues à l'immigration d'un grand nom-bre de travailleurs migrants.

4. La contrainte d'adaptation exercée sur certains aspects del'ordre légal. On pense ici à l'adaptation de la législationsociale et à l'application de quelques droits fondamentauxcomme le droit de grève.

Références bibliographiques

ANNALES DE DROIT1970 La condition des étrangers en Belgique, tome

XXX, 4.

BEN SASSI T.,1968 Les travailleurs tunisiens dans la région pari-

sienne, Paris.

BORRIE,1959 The cultural integration of immigrants, Paris,

UNESCO.

BOURDIEUP., CHAMBOREVONJ. C. et PASSERON J. C.,1968 Le métier de sociologue, Paris, Mouton, Bordas.

CLAES B.,1962 De sociale integratie van Poolse en ltaliaanse

emiçromien im Belgisch Limburg, Hasselt.

Cox C.,1959 Caste, Class, Race, Northly Review Press, New

York.

de la PRESLE A.,1969 « Racisme et libertés politiques en Angleterre »,

Esprit, nv 6.

DESCLOITRESR.,1967 Le travailleur étranger. Son adaptation au tra-

vail industriel urbain, O.C.D.E., Paris.

20

Page 23: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

GRANOTIER R,1970

MARDEN & MAYER1965

Les travailleurs immigrés en France, Maspero,Paris.

Minorities in American Society.

MARTENS A. & HUYSE L.,1970 «Buitenlandse arbeiders in Brabant. Wording

van een maatschappelijk probleem », De Gidsop Maatscluuppeiiik: gebied, nO 5, mei, pp. 403-412.

MELNYK M.,1951 Les ouvriers étrangers en Belgique, Nauwe-

laerts, Louvain.

MERTENS C. & DE W AERSEGER,1971 Le temps des étrangers, ed. complexe, Bruxelles.

MYRDAL G.,1944 An American Dilemna: The Negro problem and

modern Democracu, Harper & Brothers, NewYork.

PARSONS T. & CLARK K. B.,1965 The Negro American, Beacon Press.

ROSE E. J. R,1969

ROSE A.,

Colour and Citizenship. A Rapport of BritishRace Relations, Oxford University Press, 800 p.

1968 « L'intégration des immigrants dans une nationd'accueil », Population et Famille, nv 14, juin,Bruxelles, pp. 1-20.

REX J.,1967

VAN DONINCK R,1970

Race, Community and Confliet, Oxford Univer-sity Press.

Het statuut van de Vreemde arbeiders, Licen-ciaatsverhandeling, Instituut voor sociologie,K.U.L.

VLAAMS RECHTSGENOOTSCHAP,1969 Het Juridisch Statuut van de vreemdeling in

België, Leuven.

WENTHOLT1967 De buitenlandse arbeider in N ederland, Spruyt,

Van Montgen & De Droes, Leiden.

21

Page 24: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

LA FECONDITE DES JEUNES COUPLES BELGES

Analyse des résultats d'une enquête auprès de 838 couples

parE. LAMBRECHTS·

[Première partie]

L'objet de cet article est d'étudier l'influence dudegré de religiosité, de la fréquentation de l'ensei-gnement catholique et du rang social sur les désirsen matière de fécondité. Les données utilisées pro-viennent d'une enquête réalisée en 1965, auprès de838 jeunes couples formant un échantillon représen-tatif des premiers mariages conclus en Belgiqueen 1962.

Il ressort de l'analyse que tant la fréquentationde l'école catholique que le degré de religiosité exer-cent une influence spécifique sur les désirs de fécon-dité. Ces résultats vont à l'encontre de la thèse deWestoff selon laquelle les désirs les plus élevés despersonnes qui ont toujours fréquenté l'enseignementcatholique, s'expliquent par l'effet d'un mécanismede sélectivité.

Le rang social et plus spécialement le revenu fami-lial, exerce peu d'influence sur les désirs en matièrede fécondité. Cependant, les données de l'enquêtene permettent pas de porter un jugement décisifsur la pertinence de la théorie de l'enfant-bien deconsommation. Dans ce domaine, une étude longitu-dinale semble être la méthode d'analyse la plusappropriée.

Au cours de la dernière décennie, les sociologues ont manifestéun grand intérêt pour les problèmes de fécondité et de contra-ception aussi bien dans les pays industrialisés que dans les paysen voie de développement: le nombre d'études dont l'objectifest de proposer des interprétations sociologiques aux tendancesgénérales mises à jour par les démographes n'a cessé de se

.• Je remercie particulièrement M. G. Deprez pour ces remarques criti-ques concernant une première version de cet article.

22

Page 25: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

développer. L'ensemble de ces efforts a entraîné l'apparitiond'une nouvelle spécialisation: la sociologie de la population.L'intérêt sans cesse croissant des sociologues pour ces pro-

blèmes doit être expliqué par l'acuité des problèmes démogra-phiques. En effet, les «pays pauvres» doivent faire face àune surpopulation croissante, laquelle constitue un obstacle con-sidérable sur la voie de l'amélioration du niveau de vie despopulations; cet obstacle augmente en gravité au fur et àmesure que le taux de mortalité diminue sous l'effet, entreautres, des progrès de la médecine. De leur côté, les «paysriches» sont confrontés à un risque de dépeuplement consé-cutif à l'abaissement conjugué de leurs taux de natalité et demortalité, ce qui pourrait avoir des effets néfastes sur la crois-sance économique et le développement du bien-être général.Dans les deux cas, les problèmes ont été perçus comme suffi-samment préoccupants pour qu'on s'efforce d'y faire face, entout cas en améliorant la connaissance des situations réelles.

L'intérêt des sociologues s'est également accru du fait desdébats dont font l'objet, surtout au niveau des mass-média,les valeurs religieuses et morales qui règlent les comportementsen matière de fécondité et de contraception. Ces débats, qui ontlargement sensibilisé le grand public, ont suscité un climat favo-rable à la recherche. Cette évolution est particulièrement remar-quable dans un pays comme le nôtre, où, du fait de la fortetradition catholique, tout ce qui concerne le domaine de lasexualité était exclu du débat public. Actuellement, la situations'est sensiblement modifiée; cependant, les problèmes personnelsn'en sont pas résolus pour autant. En effet, la hiérarchie catho-lique continue de promouvoir des normes très strictes en matièrede fécondité et de contraception alors que dans le contextesocio-culturel la propension à déterminer par soi-même les lignesde son comportement s'accroît.

L'objet de cet article est d'étudier les souhaits des jeunescouples quant à la dimension de leur famille; d'autres aspects,tels la contraception et le nombre réel d'enfants, ne seront traitésque dans la mesure où ils ont un rapport direct avec le thèmeprincipal de l'étude. On peut se demander quel est l'intérêt par-ticulier d'une analyse des souhaits en matière de fécondité. Laréponse est simple: les souhaits dans ce domaine sont censésexercer un rôle important dans la détermination du nombre réel

23

Page 26: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

moyen d'enfants par famille. On peut en effet soutenir raisonna-blement l'hypothèse selon laquelle, dans une culture où le plan-ning familial est largement répandu, les souhaits manifestés parun groupe représentatif de jeunes couples détermineront large-ment l'évolution démographique. Cette hypothèse est d'ailleursdéjà confirmée par une étude longitudinale: en comparant lenombre moyen d'enfants désirés par un groupe de jeunes couplesau nombre moyen d'enfants que les couples ont effectivementatteint après 20 ans, Westoff et al. (1957) ont constaté que,pour l'ensemble du groupe, la différence était minime entre lessouhaits et la situation réelle ultérieure. Ainsi, l'analyse dessouhaits en matière de fécondité fournit-elle des données inté-ressantes pour l'établissement d'une politique démographiqueet économique.

Les données qui sont utilisées dans cet article sont tiréesd'une recherche menée auprès de 838 jeunes couples, mariés en1962 - l'âge moyen au mariage des hommes était de 25 ans1 mois et des femmes, de 22 ans 6 mois; cette recherche avaitpour but d'étudier les attitudes et les comportements en matièrede nuptialité, de fécondité et de contraception (Henryon etLambrechts, 1968; Lambrechts et Henryon, 1970). Les inter-views ont été réalisés en 1965; les deux époux ont été interrogéssimultanément par des enquêteurs spécialisés (1). Les couplesinterrogés constituent un échantillon représentatif de l'ensembledes premiers mariages conclus en Belgique en 1962.

J. Quelques résultats généraux

Avant d'aborder le problème spécifique des souhaits desjeunes couples en ce qui concerne la dimension de la famille, ilpeut être intéressant de présenter quelques résultats rélatifsà l'intervalle protogénésique (espace de temps entre le mariageet la première naissance). Certes, les données de notre enquêtesont limitées du fait que la durée moyenne de mariage de nosinterviewés n'est que de trois ans. Elles permettent toutefoisde tirer quelques conclusions qui peuvent aider à préciser les

(1) Le guide d'interview qui a été utilisé lors des entretiens avec lescouples est repris en annexe dans les deux ouvrages où les résultatsde la recherche ont été publiés.

24

Page 27: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

attitudes et les comportements en matière de fécondité pendantles premières années de mariage.

Deux tiers environ des couples interrogés ont eu leur premierenfant durant les deux premières années de mariage. Pourpréciser la signification qu'il convient d'accorder à ce pourcen-tage, nous l'avons confronté aux données publiées par l'LN.S.pour la période 1954-1964. Ces données montrent que pendantla période considérée, le pourcentage des premières naissancesse produisant au cours des 24 mois après le mariage (pourcen-tage calculé sur le total des mariages de chaque année) estpassé de 54,9 à 60,2 0/0. Manifestement, il y a une tendance àla réduction de la période protogénésique, Cette tendance sembled'ailleurs s'inscrire dans un mouvement plus vaste, à savoirla concentration des naissances sur les premières années dumariage (Wunsch, 1967: 85).

Il faut noter cependant que la majorité (70 0/0) de ceux denos interviewés qui ont eu leur premier enfant avant 24 moisde mariage ont déclaré qu'un intervalle plus long leur paraissaitdavantage souhaitable. Cette constatation n'est pas nécessaire-ment en contradiction avec la tendance à la concentration desnaissances. En effet, le délai supplémentaire souhaité n'est engénéral que de quelques mois; en outre, il n'est question ici quedes premières naissances. Quoi qu'il en soit, le fait que la majo-rité des couples auraient préféré retarder la date de la premièrenaissance est un phénomène important en soi. Il semble qu'engénéral, les jeunes couples ne se préoccupent guère d'avancedu moment de la première naissance. Ce qui pour eux est impor-tant, c'est de ne pas aller au-delà de la dimension familialequ'ils se sont fixée comme idéal et ce problème ne se poseen général qu'après la ou les premières naissances. Cette attitudeexplique pour quelle raison beaucoup de couples ne pratiquentla contraception qu'après la première naissance: dans notreéchantillon, 60 70 des couples contracepteurs n'ont fait usagedes méthodes contraceptives qu'après la première grossesse.

Les résultats concernant le nombre d'enfants désirés sontintéressants à connaître dans la mesure où ils permettent deprévoir la dimension familiale effective. A partir des désirsmanifestés par 838 couples qui, soulignons-le encore une fois,sont représentatifs de l'ensemble des premiers mariages conclus

25

Page 28: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 1

Nombre d'enfants désirés au moment de l'interview

Nombre d'enfants Hommes Femmesdésirés Nombre 0/0 Nombre 0/0

0 38 4,5 27 3,21 146 17,4 148 17,62 351 41,9 371 44,33 186 22,2 164 19,64 56 6,7 62 7,45 et plus 22 2,6 27 3,2sans opinion 39 4,7 39 4,7

Total 838 100,0 838 100,0

en 1962, la famille de dimension limitée semble devoir êtrele modèle prédominant au cours des prochaines décennies (voirtableau 1). La plupart des interviewés souhaitent avoir deuxenfants; seule, une partie minoritaire n'en désire pas. Le nombrede ceux qui désirent avoir plus de 3 enfants est également trèslimité. D'après les commentaires des personnes interviewéesrelatifs à la dimension familiale sonhaitée, la tendance vers lafamille de dimension limitée semble être le résultat d'une orien-tation vers des valeurs privilégiant le bonheur individuel. Lafamille nombreuse et le couple sans enfants, ainsi que la familleavec un seul enfant, semblent être de moins en moins compa-tibles avec la recherche du bonheur personnel.Il est toujours intéressant de comparer des données portant

sur la situation dans différents pays. Cependant, à propos desdésirs en matière de fécondité, il est assez difficile d'obtenirdes chiffres comparables, étant donné la diversité apportée auxcritères de choix des échantillons ainsi que les différences deformulation des questions. Dans le tableau 2 sont comparésles chiffres de notre enquête avec ceux de l'enquête de Glass(1962: 244); il faut cependant souligner que ces dernièresdonnées ont trait à la dimension idéale, ce qui ne correspondpas entièrement à la dimension désirée qui est l'objet de notreenquête; en outre, les données de Glass ont été recueillies aucours d'un sondage d'opinion de type Gallup, basé sur un échan-tillon représentatif de l'ensemble de la population, alors que

26

Page 29: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

notre échantillon n'est représentatif que des premiers mariagesen 1962.

Tableau 2

Nombre moyen d'enfants souhaités dans différents pays occidentaux,selon les sondages Gallup en 1960. Pourcentages de personnes qui sou-haitent 4 enfants et plus. Comparaison avec les données de notre enquête

auprès de 838 couples.

Pays Nombre moyen Pourcentages de personnesd'enfants souhaités qui souhaitent

4 enfants et plus

Autriche 2,0 4,0Allemagne (oceid.) 2,2 4,2France 2,77 (1959/60) 16,9Grande-Bretagne 2,8 23,2Suisse 2,9 22,4Italie 3,06 (1951) 18,4Norvège 3,1 25,0Pays-Bas 3,3 38,7Etats-Unis 3,6 50,6Canada 4,2 70,1

Belgique(enquête 838 couples) 2,24 11,6

1Source: D. V. Glass, «Family Limitation in Europe: A Survey of Recent

Studies» in C. V. Kiser (ed.) , Research in Family Planning,Princeton, Princeton University Press, 1962, p. 244.

Le nombre d'enfants désirés est un des problèmes les plusimportants dans la vie d'un jeune couple. Les progrès de lamédecine ont comme résultat que les couples semblent actuelle-ment avoir plus de liberté que jadis dans la détermination dunombre d'enfants qu'ils désirent avoir effectivement. Sans nousprononcer sur l'étendue exacte de cette liberté, nous pouvonscependant dire que les conjoints décident beaucoup plus quejadis de la dimension qu'ils désirent donner à leur famille. Cecisuppose qu'ils discutent entre eux de leurs désirs en matièrede fécondité. Certains auteurs se sont beaucoup intéressés àce sujet. Ils sont d'avis que la fréquence des communicationsentre les conjoints concernant les problèmes de procréation, etplus spécialement le nombre désiré d'enfants, exerce une in-

27

Page 30: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

fluence sur le succès ou l'échec en matière de planificationfamiliale.

Sans nous attarder outre mesure sur cet aspect des choses- lequel a d'ailleurs déjà été traité dans cette revue (Henryonet Brutus-Garcia, 1970) - retenons néanmoins que près de 80 rodes conjoints interrogés ont discuté entre eux du nombre d'en-fants qu'ils désireraient avoir ; dans 70 ro des cas, il y a con-cordance entre les désirs des époux ; 78 ro des hommes ont pupréciser le nombre exact d'enfants désirés par leur épouse,tandis que 77 ro des femmes ont pu donner le même renseigne-ment pour leur mari. Certes, on pourrait faire remarquer quela situation en matière de communication entre époux n'est pasexcellente puisque dans 20 ro des cas, les époux n'ont pasdiscuté entre eux du nombre d'enfants qu'ils désireraient et quedans 30 % des cas, les désirs ne concordent pas. Il faut notertoutefois que les résultats ont été recueillis auprès de couplesqui avaient en moyenne seulement trois années de vie communeet qu'un consensus réel n'est souvent atteint qu'après unepériode de désaccord, lorsque le problème se pose d'une manièreconcrète. Il est dès lors très possible qu'au fil des années, unplus grand nombre de souples atteignent un niveau satisfaisantd'empathie et de communication.

II. Les déterminants sociaux des désirs en matière de fécondité

La suite de l'analyse a pour objet de tester un certain nombred'hypothèses relatives à l'influence des facteurs sociaux sur lesdésirs en matière de fécondité. Ainsi on mettra en relation d'unepart le nombre désiré d'enfants et d'autre part, des variablestelles que la religiosité des époux, la fréquentation de l'ensei-gnement catholique par les époux, leur rang social, leur région derésidence et le travail professionnel de l'épouse. Ces variablespeuvent être considérées comme autant d'indicateurs des méca-nismes par lesquels sont véhiculées certaines valeurs et normesspécifiques qui font que les individus ayant des caractéristiquessociales semblables se comportent d'une façon plus ou moinsuniforme. Les caractéristiques sociales renvoient donc en quel-que sorte à des sous-cultures particulières dont les comporte-ments en matière de fécondité subissent l'empreinte. On ne peut

28

Page 31: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

donc parler d'une véritable «explication» des comportementsde fécondité. Non seulement les caractéristiques sociales prisesen considération ne constituent qu'une partie de la totalité desvariables pertinentes, mais encore les relations entre les varia-bles retenues ne sont pas systématiquement définies. En consé-quence, l'approche qui est ici utilisée ne peut prétendre qu'àdonner une meilleure compréhension de l'influence de certainsfacteurs sur les comportements de fécondité.

A. La religiosité

Plusieurs études américaines ont montré qu'il y a une relationentre le facteur religion et les comportements et attitudes enmatière de fécondité. Freedman (1962: 224) prétend même quel'importance des différences entre les groupes religieux misesen évidence dans de nombreuses études, constitue une des con-statations les plus marquantes de la recherche d'après guerre.Il apparaît en particulier que les catholiques sont beaucoup plusfavorables que les autres groupes religieux à une descendanceplus nombreuse et qu'ils ont en fait plus d'enfants. On sait quel'Eglise catholique a toujours mis l'accent sur les valeurs fami-liales, demandant à ses membres de faire preuve de générositéet de renoncement, lesquelles vertus s'opposent directement àune attitude «égoïste ». La famille catholique idéale était unegrande famille.

En Belgique, la situation religieuse est totalement différentede celle qui existe aux Etats-Unis. Dans notre pays en effet, lamajorité de la population peut être considérée comme catholi-que (2). De ce fait, les différences interreligieuses ne constituentpas en tant que telles un objet important d'étude. Par contre,les catholiques se différencient les uns des autres si l'on consi-dère leur degré de religiosité et l'on peut s'attendre à ce queces différences influent fortement sur leurs comportements etattitudes en matière de fécondité. Partant de l'idée selon laquelleun homme a d'autant plus tendance à intérioriser les valeurs

(2) Est considéré comme catholique celui qui entre en rapport avecl'Eglise au moins à l'occasion de quelques grands évènements de sa viepersonnelle - naissance, mariage, décès -; à titre d'exemple, dans notreenquête, 95 % des couples interrogés ont fait bénir religieusement leurmariage.

29

Page 32: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

et les normes d'un groupe qu'il est davantage intégré à celui-ci,on peut formuler l'hypothèse suivante: plus son degré de reli-giosité s'élève (plus il est intégré à l'Eglise), plus un chrétienaura tendance à désirer plus d'enfants.

Pour tester cette hypothèse, il est nécessaire d'abord derendre opérationnelle concept de religiosité. Sans vouloir entrerdans les détails de la discussion, on peut faire remarquer quepour certains (Kerkhofs, 1954: 55) la pratique dominicale estun indicateur suffisant pour différencier les individus suivantleur niveau de religiosité; par contre, d'autres (Ryckmans, 1954;Dobbelaere, 1962) affirment que la pratique dominicale ne con-stitue qu'une dimension du comportement religieux et que l'ondoit en conséquence tenir compte d'autres dimensions telles quel'intériorisation des valeurs religieuses, l'acceptation des prin-cipes éthiques qui en découlent et la pratique sacramentelle.Gérard (1970), qui étudie le phénomène de la fécondité pourun ensemble de catholiques fréquentant régulièrement la messedominicale, mesure la religiosité ou le degré d'appartenance augroupe religieux à partir d'un ensemble d'indicateurs relevantde deux dimensions, l'une centrée sur la socialisation chrétiennedurant la jeunesse, l'autre axée sur l'intégration actuelle ausystème socio-culturel catholique.Dans cet article, le degré de religiosité est mesuré par un

indicateur mixte basé à la fois sur une pratique cultuelle objec-tive et sur les motivations qui, aux dires des interviewés, ontguidé leur comportement. Ainsi, les interviewés ont-ils étérépartis en trois catégories:

1. Les catholiques pratiquants: les personnes qui ont contractéun mariage religieux et l'ont fait pour des raisons de foi.

2. Les autres catholiques: les personnes qui ont contracté unmariage religieux pour des raisons qui ne sont pas d'abordreligieuses (contrôle social, solennisation de la cérémonie dumariage ... ).

3. Les non-catholiques: les personnes qui n'ont contracté qu'unmariage civil.

Le degré de religiosité ou le niveau d'intégration à l'Eglisecatholique est sans aucun doute influencé par la fréquentationd'une école catholique. En effet, l'école catholique, en tant

30

Page 33: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

qu'agent de socialisation n'a pas seulement pour but de trans-mettre un certain nombre de connaissances; elle a pour objectifspécifique de faire intérioriser par les jeunes générations, lesvaleurs et les normes - entre autres, dans le domaine familial-de la religion catholique. Plusieurs études américaines ont sou-ligné l'importance de l'enseignement catholique dans l'explicationdes désirs en matière de fécondité: plus la fréquentation del'école catholique a été longue, plus le nombre désiré d'enfantsest élevé.

Cela pose d'ailleurs un problème important: on peut se deman-der en effet, dans quelle mesure la relation constatée entre ladurée de la fréquentation de l'enseignement catholique et lenombre d'enfants désirés n'est pas une relation fallacieuse.Westoff (1963: 100) en particulier pose la question de savoirdans quelle mesure cette relation doit être attribuée à l'actionspécifique du système d'enseignement et à l'intériorisationcroissante des valeurs religieuses découlant du contact avec despersonnes de même conviction ou au contraire dans quellemesure cette relation est due au fait que les personnes pluscatholiques choisissent de préférence les écoles catholiques;Westoff parle à ce propos de mécanisme de sélectivité.

Venons-en maintenant aux résultats de notre enquête. Commeon pouvait s'y attendre, il existe une relation positive entre ledegré de religiosité et le nombre désiré d'enfants: les catholiquespratiquants désirent en moyenne 2,57 enfants, les autres catho-liques 1,95 et les non-catholiques 1,71 (3). La relation est égale-ment positive entre la fréquentation d'une école catholique etle nombre d'enfants désirés: si l'on considère successivement leshommes qui ont toujours fréquenté l'enseignement catholique,ceux qui ne l'ont fréquenté que partiellement et ceux qui n'ysont jamais allés, le nombre moyen d'enfants désirés passe de2,56 à 2,19 et 1,80 (4).

Ainsi que nous l'avons suggéré plus haut on peut se demanderdans quelle mesure ces deux relations sont indépendantes l'une

(3) Ces résultats correspondent aux désirs exprimes par les hommesau moment de l'interview. L'hypothèse nulle est rejetée à P<.OO1. Pourles femmes, les chiffres sont respectivement de 2,55, 1,92 et 1,80 (P<.OOl).

(4) P<.OOI. Pour les femmes, les chiffres sont respectivement de 2,42,1,98 et 1,88. (P<.OOl).

31

Page 34: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 3

Nombre moyen d'enfants désirés par les hommes et les femmes d'après le degré de religiosité, le niveau d'études, et lafréquentation de l'école catholique.

Niveau d'études EnsembleDegré de religiosité Fréquentation de primaire secondaire secondaire supérieur moyenne nombre

l'école catholique inférieur supérieur

Hommescatholiques toujours catholique 2,62 2,61 2,96 3,28 2,78 208pratiquants cath. et non cath. (a) 2,21 2,19 2,90 2,36 85

jamais catholique 2,44 2,10 1,85 2,16 2,16 75

autres catholiques toujours catholique 1,89 2,09 2,72 2,80 2,16 129cath. et non .cath. (a) 1,79 2,15 2,95 2,12 79jamais catholique 1,62 1,54 1,62 2,19 1,67 168

Nombre total de cas 744

Niveau d'études Ensembleprimaire secondaire secondaire et supérieur moyenne nombre

inférieur supérieur

Femmescatholiques toujours catholique 2,34 2,63 2,87 2,64 289pratiquants cath. et non cath. (a) 2,10 2,62 2,24 53

jamais catholique 2,15 2,11 2,26 2,17 66

autres catholiques toujours catholique 1,76 2,22 2,36 2,04 142cath. et non cath. (a) 1,60 1,95 1,68 66jamais catholique 1,70 1,78 1,70 1,73 100

Nombre total de cas 716

(a) : La moyenne n'est pas calculée quand la catégorie contient un effectif inférieur à 5.

Page 35: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

de l'autre. Pour répondre à cette question, on a introduit lafréquentation de l'école catholique comme variable de contrôledans la relation entre le degré de religiosité et le nombre désiréd'enfants. Le niveau d'enseignement a également été introduitdans le système de relations pour tester l'effet spécifique impu-table à la duré de l'enseignement suivi (voir tableau 3). Lestendances principales qui se dégagent de l'analyse des résultatspeuvent être synthétisées de la manière suivante.

1. Le degré de religiosité est un facteur important dans ladétermination du nombre d'enfants désirés. Pour les hommespar exemple, la différence initiale entre les catholiques prati-quants et les autres catholiques (0,62) se maintient chezceux qui ont toujours suivi l'enseignement catholique et n'estque faiblement réduite chez ceux qui n'ont jamais fréquentél'école catholique.

2. La fréquentation d'une école catholique a également uneinfluence positive sur le nombre d'enfants désirés. La diffé-rence entre ceux qui ont toujours et ceux qui n'ont jamaisfréquenté l'enseignement catholique qui est en moyenne de0,76, est maintenue dans le groupe des catholiques prati-quants; chez les autres catholiques, cette différence estréduite mais est néanmoins de 0,49.

3. Le nombre d'enfants désirés s'élève avec le nombre d'annéespassées dans une école catholique. Cette tendance se vérifieaussi bien chez les catholiques pratiquants (la moyenne chezles hommes, par exemple, passe de 2,62 à 3,28) que chezles autres catholiques (pour ceux-ci la moyenne passe de 1,89à 2,80). Le nombre d'années passées dans une école non-catholique semble avoir peu ou pas d'influence sur les désirsen matière de fécondité.

A.nalyse critique des résultats

La tendance qui se dégage du tableau 3, en ce qui concernel'influence du nombre d'années passées dans une école catholique,est assez semblable à celle dont Westoff et ses collègues ont faitétat dans leurs premières études (1961; 1963). Ultérieurement

3 33

Page 36: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

cependant, Westoff et Potvin ont abouti à des résultats opposés(Westoff, Potvin, 1967). Leur but à ce moment était précisé-ment de tester de manière décisive l'existence d'une relationpositive entre la fréquentation des écoles catholiques et les désirsen matière de fécondité.

C'est dans ce but qu'ils constituèrent un échantillon d'étu-diantes fréquentant des «colleges» et des universités, paropposition aux échantillons antérieurs, lesquels étaient consti-tués de femmes mariées qui avaient déjà 2 ou 3 enfants. Ilsemble en effet logique de supposer que dans ces cas l'influencede la fréquentation d'une école catholique pouvait avoir étéperturbée par des influences extérieures, lesquelles n'intervien-draient pas en ce qui concerne les étudiantes des «colleges»et des universités. Après avoir contrôlé, à l'aide de divers indi-cateurs, le degré de religiosité et le background religieux desétudiantes, les auteurs ont comparé les désirs en matière defécondité des deux groupes; celui des étudiantes de premièreannée et celui des étudiantes de dernière année. Dans l'espritde Westoff et Potvin cette méthode devait permettre de testerd'une matière décisive l'influence imputable à la durée de lafréquentation d'une école catholique. Ajoutons encore que cetterecherche ne s'est pas limitée au groupe des catholiques maisqu'elle s'est également intéressée à d'autres groupes religieux- Protestants, Juifs, Mormons - aussi bien qu'à un groupede personnes sans aucune conviction religieuse.

Les résultats montrent que les étudiantes catholiques qui fré-quentent des écoles catholiques désirent en moyenne plus d'en-fants que les étudiantes catholiques qui suivent des coursd'institutions non-catholiques. Cependant, cette différence nepeut être imputée à l'influence de l'enseignement catholique.En effet, les auteurs constatent que, quel que soit le type idéo-logique d'enseignement suivi, les étudiantes de dernière annéedésirent moins d'enfants que celles de première. Cette tendancereste constante lorsque l'on contrôle des facteurs tels que lareligiosité, le type idéologique de l'enseignement secondairesuivi, la valeur accordée à la religion par les parents et les amis,le niveau d'études des parents. Les auteurs sont en conséquenceautorisés à conclure qu'un séjour de quatre ans dans une écolecatholique n'a pas eu l'influence attendue sur les attitudes enmatière de procréation. Ils en viennent ainsi à la conclusion

34

Page 37: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

selon laquelle les désirs plus élevés des étudiantes qui suiventl'enseignement supérieur catholique doivent être expliqués parle jeu d'un mécanisme de sélectivité: cela signifie que, si lesétudiantes des écoles catholiques désirent plus d'enfants, c'estparce qu'elles sont au départ plus catholiques ou parce qu'ellesproviennent de familles plus religieuses.

Cette conclusion est en contradiction avec celle des étudesprécédentes des mêmes auteurs ainsi qu'avec la configurationdes résultats de notre enquête tels qu'ils apparaissent dans letableau 3. Il apparaît clairement en effet que, aussi bien chezles catholiques pratiquants que chez les autres catholiques, lenombre d'enfants désiré augmente au fur et à mesure que leniveau d'études s'élève, à condition que l'éducation ait été reçuedans des établissements catholiques. Ce résultat indique quele mécanisme de sélectivité dont parle Westoff ne peut pas àlui seul expliquer que les désirs des personnes qui ont fréquentél'enseignement catholique soient plus élevés.

Nous devons cependant reconnaître que l'indicateur utilisépour mesurer le degré de religiosité est assez élémentaire; enoutre, nous ne disposons pas de variables de contrôle pour mesu-rer l'influence possible du degré de religiosité de la familled'origine. Cela signifie-t-il pour autant que la validité de nosrésultats soit très faible et qu'avec des instruments de rechercheplus perfectionnés nous aurions abouti aux mêmes conclusionsque celles de Westoff et Potvin ? Cela nous semble peu pro-bable. Certes, si on ne peut exclure totalement l'existence d'unmécanisme de sélectivité, le rôle joué par l'enseignement catho-lique ne peut être sousestimé; car, s'il est vrai que les parentscatholiques envoient leurs enfants de préférence dans une écolecatholique, cela ne signifie pas nécessairement que les convic-tions religieuses soient l'élément déterminant du choix dans latotalité, sinon même dans la plupart des cas.

L'école catholique jouit en effet dans notre pays de la répu-tation de dispenser la meilleure éducation (Deprez, 1972). Dece fait, beaucoup de parents qui ne se préoccupent que peu oupas de religion envoient tout de même leurs enfants dans uneécole catholique. Le degré de religiosité de la famille d'originene peut donc expliquer à lui seul le fait que ceux qui ont fré-quenté l'enseignement catholique désirent plus d'enfants. Plusque probablement, il faut faire référence à une structure d'ex-

35

Page 38: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

plication plus complexe, laquelle peut être représentée schéma-tiquement de la manière suivante:

fréquentation del'école catholique

----->degré de religiosité<---

nombre d'enfantsdésirés

Selon ce schéma, les deux variables (durée de fréquentationde l'enseignement catholique et degré de religiosité) exercentune influence sur le nombre désiré d'enfants. Cependant, étantdonné l'interaction qui existe entre ces deux variables, on peutse poser la question de savoir s'il est possible d'isoler empirique-ment l'effet spécifique attribuable à chacune d'elles.

B. Le rang social

Dans divers pays occidentaux, on a fait des recherches surla relation entre la fécondité et le rang social, l'hypothèse étantqu'avec le degré de religiosité, le statut social est une descauses principales des différences constatées en matière defécondité. Les résultats de ces recherches ne concordent pastoujours, surtout quand ils concernent la dernière décennie.Certains auteurs (Freedman et al., 1959; Julemont et Morsa,1964) prétendent que, depuis la deuxième guerre mondiale, lafécondité est positivement liée au statut social. D'autres (Lewis-Faning, 1949; Westoff et al., 1961) affirment, avec raison, queles différences entre les couches sociales en matière de féconditéne sont pas très importantes; d'aucuns (Whelpton et al., 1966)vont même jusqu'à prétendre que la relation entre le rangsocial et la fécondité est négative. Ce manque de concordanceentre les résultats doit sans doute être interprété à la lumièred'un changement radical qui, amorcé entre les deux guerresmondiales, a fait sentir tous ses effets à partir des annéescinquante: le passage de la phase de fécondité naturelle à unephase de fécondité «volontaire », dans laquelle le nombre d'en-

36

Page 39: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

fants dépend avant tout de la libre décision des époux. L'hété-rogénéité des résultats s'expliquerait largement par l'hétérogé-néité des modèles normatifs en période de changement et lerythme inégal d'adoption des comportements nouveaux dans lesdiverses couches sociales.Avant la deuxième guerre mondiale, la relation entre le rang

social et la fécondité était négative. Pour autant qu'on puisseen juger à partir des résultats des recensements de la popula-tion, cette situation existait déjà depuis la fin du siècle passé.Dès ce moment en effet, les milieux aisés avaient adopté uneattitude «raisonnée» en matière de procréation; ils étaientacquis au principe de la limitation des naissances. Ce n'est qu'àpartir des années trente cependant qu'une telle attitude s'estintroduite dans les couches sociales moyennes et inférieures; onconstate dès cette période un déclin réel de la natalité dans cescouches sociales. De ce fait, les différences de fécondité entrestrates sociales se sont progressivement amoindries, sans pourautant disparaître totalement. La plupart des recherches actuel-les montrent en effet que le nombre moyen d'enfants est plusélevé dans les couches sociales supérieures.

Dans le contexte culturel de la fécondité volontaire, cettedifférence devrait être expliquée par le fait que les couchessociales supérieures désirent plus d'enfants. C'est cette hypo-thèse qui a donné naissance à la théorie de l'enfant en tantque bien de consommation. Selon cette théorie, dans les paysindustrialisés, l'enfant est un bien qui en tant que source desatisfaction est en compétition avec d'autres biens, cette compé-tition étant d'autant plus forte que les revenus sont plus réduits.Pour vérifier cette théorie, nous avons mis en relation le

nombre désiré d'enfants et les divers niveaux de revenus.Exception faite de la catégorie supérieure, il n'y a dans nosrésultats aucune différence significative entre les divers niveaux.Il semble cependant que ce résultat doit être attribué à l'in-fluence perturbatrice d'un autre facteur: le travail de la femme.Les femmes qui exercent une activité professionnelle désirenten effet moins d'enfants que celles qui ne travaillent pas. Dufait de l'accumulation de leurs revenus avec ceux de leur époux,ces femmes permettent à leurs familles d'accéder à une catégoriede revenu supérieure. De ce fait, la propension à désirer plusd'enfants qui résulte de l'accroissement du revenu est contre-

37

Page 40: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

carrée par le désir d'en avoir moins chez les femmes qui tra-vaillent.

Cette interprétation est confirmée quand on teste la relationentre les revenus et les désirs à l'intérieur de deux groupes:celui des familles dont la femme travaille, celui des famillesdont la femme ne travaille pas. Dans les deux groupes, on con-state une relation positive entre le niveau de revenu et le nombredésiré d'enfants (voir tableau 4).

Tableau 4

Nombre moyen d'enfants désirés par les hommes et les femmes d'aprèsle revenu mensuel de la famille et le travail professionnel de la femme

Nombre moyen d'enfantsTravail de Revenu de la Hommes Femmesla femme famille moyenne nombre moyenne nombre

La femme ne moins de 6.000 F 2,20 57 2,29 59travaille pas 6.000 F à moins

de 9.000 F 2,17 214 2,32 2159.000 F à moinsde 13.000 F 2,45 131 2,40 13013.000 F à moinsde 18.000 F 2,61 30 2,58 2918.000 F et plus 2,87 12 2,69 13

La femme moins de 6.000 F (a) 4 2,00 5travaille 6.000 F à moins

de 9.000 F 1,66 18 1,77 189.000 F à moinsde 13.000 F 1,89 142 1,97 14113.000 F à moinsde 18.000 F 2,08 90 2,13 9018.000 F et plus 2,37 67 2,32 66

Nombre total de cas 765 766

(a) la moyenne n'est pas calculée quand la catégorie contient un effectifinférieur à 5.

Cela signifie-t-il pour autant que la théorie de l'enfant-bien deconsommation peut être considérée comme valable ? Avant deporter un jugement définitif, il est nécessaire de prendre enconsidération le niveau d'études d'une part et le statut profes-sionnel d'autre part. En effet, il est notoire que le niveau derevenu est largement déterminé soit par le niveau d'études,

38

Page 41: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

soit par le statut professionnel, soit plus fréquemment par laconjonction de ces deux éléments. En les utilisant comme varia-bles de contrôle, on pourra déterminer avec plus de précisionl'effet spécifique du niveau de revenu sur le nombre désiréd'enfants.

De la lecture du tableau 5, il ressort que les différencesexistant entre les diverses catégories professionnelles ne devien-nent claires que lorsque l'on utilise une classification détaillée.Ainsi, les différences dans le nombre désiré d'enfants entred'une part les titulaires de professions libérales et les employésde rang élevé et d'autre part les employés de rang inférieur etles ouvriers, sont plus nettes que les différences existant entreles employés, les indépendants et les ouvriers. Il est malheureu-sement impossible, si l'on utilise une classification détaillée, demesurer l'influence respective de la profession et du revenuen tenant compte en même temps du statut professionnel de lafemme. La raison en est simplement que le nombre de casau sein de chacun des sous-groupes ainsi constitués serait troppetit pour pouvoir tirer des conclusions significatives.

Tableau 5

Nombre moyen d'enfants désirés par les hommes et les femmes d'aprèsla situation professionnelle du mari

Nombre d'enfants désirésProfession du mari Hommes Femmes

moyenne nombre moyenne nombre

agriculteurs 2,82 28 2,89 29autres indépendants 2,23 107 2,24 107

profes. libérales 3,00 11 2,86 11commerç., artisans,industriels 2,15 96 2,17 96

employés 2,36 267 2,40 266employés niveau sup. 2,63 81 2,64 82employés niuveau moyen 2,41 116 2,46 114employés niveau inf. 1,97 70 2,00 70

ouvriers 2,07 388 2,09 388qualifiés 2,05 243 2,07 242manœuvres 2,11 145 2,12 146

sans profession 2,00 7 2,28 7

797 797

X2 = 31,1 X2 = 45,5P < 10 / dl = 20 P < 001 / dl = 20

39

Page 42: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Cela étant, seul le niveau d'études pourra être utilisé effective-ment comme variable de contrôle. Dans ce cas en effet, des diffé-rences nettes apparaissent dans le nombre moyen d'enfantsdésirés même lorsque l'on n'utilise que trois niveaux: la moyenneva de 2,66 à 2,29 et à 2,10 si l'on considère successivement leshommes qui ont fréquenté l'enseignement supérieur, l'enseigne-ment secondaire, et l'enseignement secondaire inférieur ou l'en-seignement primaire. On peut dès lors essayer de voir ce quise passe quand on met en relation le niveau de revenu et leniveau d'études après avoir éliminé les familles dans lesquellesles femmes travaillent. Deux tendances apparaissent très claire-ment au tableau 6:1. Dans chaque catégorie de revenu, le nombre moyen d'enfants

désirés s'élève avec le niveau d'études.2. Pour chaque niveau d'études les différences liées aux caté-

gories de revenu ne sont pas très importantes et ne présen-tent pas une tendance nette.

Tableau 6

Nombre moyen d'enfants désirés par les hommes d'après leur niveaud'études et leur revenu pour ceux dont la femme ne travaille pas

Niveau d'étudesRevenu mensuel primaire et secondaire secondaire

inférieur supérieursupérieur

moins de 9.000 Fde 9.000 F àmoins de 13.000 F13.000 F et plus

2,26 (222)* 2,12 (41) 3,16 (6)

2,26 (49)2,15 (10)

2,49 (53)2,50 (10)

2,71 (28)3,00 (22)

* chiffres absolus entre parenthèses.

De ces résultats, on devrait normalement conclure que leniveau de revenu exerce peu d'influence sur le nombre d'enfantstandis que le niveau d'études exercerait une influence signifi-cative.

Nous savons cependant, suite à l'analyse de l'influence de lareligiosité et de la fréquentation de l'enseignement catholiqueque le facteur durée d'enseignement n'exerce une influencepositive que dans le cas de fréquentation d'une école catholique:la hausse du nombre d'enfants désirées en fonction du niveaud'études est nette et constante chez les personnes qui ont tou-

40

Page 43: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

jours fréquenté des écoles catholiques, ce qui n'est pas le caspour celles qui ont fréquenté d'autres établissements (voirtableau 3).

Le même phénomène devrait normalement apparaître dans letableau 6, si les facteurs degré de religiosité et fréquentationd'une école catholique étaient introduits comme contrôle. Mal-heureusement, les chiffres absolus sont trop faibles pour per-mettre d'obtenir des sous-groupes traitables de manière statis-tiquement significative, ce qui empêche de déterminer avecprécision l'influence spécifique attribuable au niveau d'études

Quelle est alors finalement notre conclusion en ce qui concernela théorie de l'enfant-bien de consommation? Nos résultatsconduisent à croire que le niveau de revenu n'exerce que peud'influence sur le nombre d'enfants désirés. Cependant il fau-drait éviter de tirer des conclusions trop hâtives. On doit tenircompte en effet des caractéristiques de notre échantillon quiest composé exclusivement de jeunes mariés. Il est possibleque ceux-ci déterminent la dimension souhaitable de leur famillede manière abstraite sans trop tenir compte de considérationsfinancières: ces considérations n'interviendraient que plus tard.On peut supposer par exemple que pour les ménages à faiblerevenu, la pression que les conditions matérielles exercent surla volonté de limiter les naissances s'accroîtrera avec le tempset que la probabilité de réaliser les souhaits initiaux diminueraen conséquence. Une étude longitudinale devrait permettre detirer des conclusions plus précises, en donnant la possibilitéd'analyser les changements susceptibles d'intervenir au coursde la totalité du cycle de procréation dans les désirs en matièrede fécondité et d'isoler les facteurs qui pourraient rendrecompte des changements éventuels.

(à suivre)

Références bibliographiques

DEPREZ G.,1972 « Le choix d'une école catholique », Recherchee Socio-

logiques, nO 1 : 83-106

41

Page 44: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

DOBBELAERE K.,1962 « ls de zondagsmis een valied criterium van kerkelijk-

heid ? », Politica XII, 2: 133-138.

FREEDMAN R.,1962 « American Studies of Family Planning and Fertility :

a Review of Major Trends and Issues»: 211-217,C. Kiser (ed.), Research. in Family Planning, Prince-ton, Princeton University Press.

GERARD H.,1970 Catholicisme et Fécondité. Recherche explorative, Lou-

vain, Vander.

GLASS D.,1962 «Family Limitation in Europa : a Survey of Recent

Studies» : 231-261 in C. Kiser (ed.), Research inFamily Planning, Princeton, Princeton UniversityPress.

HENRYON C.1970

et BRUTUS-GARCIA A.,« Distance socio-culturelle au mariage et modèles d'in-teraction conjugale en matière de fécondité », Recher-ches Socioloqiques, 1 (juin): 72-91.

HENRYON C. et LAMBRECHTS E.,1968 Le mariage en Belgique. Etude sociologique, Bruxelles,

Vie Ouvrière.

JULEMONT Gh. et MORSA J.,1964 fi: Le nombre d'enfants désirés. Un essai », Population

et Famille, 4 : 19-30.

KERKHOFS J.,1954 Godsdienstpraktijk en sociaal milieu. Proeue van

godsdienst-sociologische studie der prouincie Limburg,Brussel, Lumen Vitae.

E. et HENRYON C..Vruchtbaarheid en contraceptie bij jonge echi.paren,Een eocioloçische analyse. Antwerpen, Standaard We-tenschappelijke Uitgeverij.

LAMBRECHTS1970

LEWIS-FANING1949

E.,« Family Limitation and its Influence on Human Fer-tility during the Last fifty Years », Pœpers of theRoyal Commission on Population, London.

RIJCKMANS A.,1954 «Qu'est-ce qu'un catholique pratiquant? », Nouvelle

Revue Théologique, LXXXVI, 9 : 965-972.

42

Page 45: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

WESTOFF Ch.,1957

MlSHLER E., KELLY L.,«Preferences in Size of Family and Eventual Fer-tility Twenty Years after », Arnerican Journal ofSociology, XLII, 5: 491-497.

WESTOFF Ch., POTTER R, SAGl Ph.,1963 The Third Ghild. A Study in the Prediction of Fer-

tility, Princeton, Princeton University Press.

WESTOFF Ch., POTTER R, SAGl Ph., MlSHLE'R E.,1961 Family Growth in Metropoliian. America, Princeton,

Princeton University Press.

WESTOFF Ch. and POTVlN R,1967 Gollege Women and Fertility Values, Princeton, Prin-

ceton University Press.

WUNSCH G.,1967 Les mesures de la natalité. Quelques applications à

la Belgique, Louvain, Département Démographie del'Université Catholique de Louvain.

43

Page 46: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

POUR UNE SOCIOLOGIEDES RELATIONS ENTRE GROUPES LINGUISTIQUES

Un modèle d'analyse

par

Jacques LEFEVRE *

Après avoir énoncé les difficultés auxquelles seheurte le sociologue dans l'étude du problème com-munautaire en Belgique, l'auteur tente d'élaborerun modèle d'analyse des types de relations possiblesentre les groupes linguistiques.

Se fondant sur la constatation suivant laquellele caractère plus ou moins segmentaire d'unesociété est en relation avec son degré d'intégrationsociale, il propose comme hypothèse de travail queles sociétés sont plus ou moins intégrées suivantleur degré de segmentarîté. Parmi les sociétéspolysegmentaires, il distingue les sociétés hétéro-gènes des sociétés plurales, à partir d'une analysede leurs institutions de base. Ensuite, il se penchesur le problème des facteurs du pluralisme entreles groupes linguistiques, et plus particulièrementen Belgique.

Enfin, l'auteur se demande quelle pourrait êtrel'influence du degré de segmentar itê sur l'état desrelations entre groupes linguistiques. Il conclut enaffirmant que le problème communautaire belge nesemble pas être dû à un retard des institutionspar rapport à une complexité sociale croissante,mais serait au contraire dû à une accélération dunombre des investissements institutionnels spéci-fiques à chacune des collectivités en présence.

* L'auteur remercie Monsieur le Professeur P. de Bie pour lesremarques constructives qu'il a bien voulu lui apporter dans l'élaborationde cet article.

44

Page 47: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Jusqu'à présent, peu d'études sociologiques ont porté surla Belgique en tant qu'objet global de recherches, moins encoresur les relations entre groupes linguistiques. Nous voudrionscontribuer à combler cette lacune, en définissant des instru-ments qui nous permettent de concevoir des hypothèses, c'est-à-dire qui se situent davantage dans la perspective de la décou-verte que dans celle de la preuve.

Avant d'aborder le fond du problème, nous pensons qu'ilest important de souligner les difficultés auxquelles nous noussommes heurté : difficultés inhérentes au manque de recher-ches empiriques, au peu de systématisation des approchesthéoriques et méthodologiques, au risque de subjectivité età l'usage inconsidéré du langage sociologique dans nos sociétésindustrielles.

La pauvreté de la recherche empirique dans l'étude du pro-blème communautaire belge ne nous permet pas d'apprécierles raisons pour lesquelles des facteurs sociaux, économiquesou culturels jouent tantôt dans le sens d'une détente dans lesrelations entre groupes linguistiques, tantôt dans le sens d'uneaccentuation du conflit. Cette quasi absence de recherchessociologiques sur le terrain, et donc de données objectives,montre que le travail du sociologue dans ce domaine resteexploratoire. En outre, soulignons que les statistiques offi-cielles font appel très souvent aux données chiffrées parprovince et non par catégorie linguistique, et que les manipu-lations des Iimites régionales de 1963 (1) compliquent lescomparaisons dans le temps. Il faut, afin de ne pas éparpillernos efforts, en faisant de la compilation sociologique, con-cevoir d'abord un modèle d'analyse et des hypothèses de tra-vail qui nous guideront dans le choix des items nécessairesà une sociologie qui se veut non pas purement descriptive,mais explicative.

Nous ne nions cependant pas qu'il existe une abondantelittérature, souvent autre que sociologique, et partiale, sur lesproblèmes linguistiques belges. Cette littérature semble êtremoins du domaine de la connaissance que de celui de l'action.

(1) Les changements principaux sont l'adjonction des Fourons à laFlandre, de Mouscron à la Wallonie et la limitation à dix-neuf com-munes de l'agglomération Bruxelloise, dont le reste s'inclut dansla Flandre.

45

Page 48: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Elle est souvent le fruit de réflexions d'hommes politiques oude «policy makers », préoccupés non pas d'entreprendre unprocessus de recherche qui veut rompre avec l'apparence deschoses, et en particulier avec l'idéologie dominante dans l'uneou l'autre catégorie linguistique, mais d'amorcer sur un planplus volontariste, un essai de transformation de ce que devraitêtre la Belgique de demain.

Une seconde difficulté, propre aux recherches sur les rela-tions entre groupes linguistiques, est le manque de systéma-tisation des approches disciplinaires, théoriques et méthodo-logiques. Ces différentes approches, en insistant sur l'un oul'autre aspect de la réalité socio-culturelle, se sont trop sou-vent mutuellement exclues au lieu de se complèter. Les étudesde psychologie des peuples ou des relations inter-ethniques,par exemple, empruntent leur vocabulaire à la psychologiesociale ou à l'anthropologie culturelle; elles insistent plus surla nature des rapports qui peuvent s'instituer entre les groupesque sur la nature des groupes qui entrent en contact. Quantaux théories de l'acculturation, si elles empruntent aussi leurvocabulaire à l'anthropologie, elles insistent plus sur les chan-gements intervenus dans les contenus culturels des groupesà la suite d'un contact que sur la nature de ces groupes.

Les méthodes d'analyse les plus fréquemment utilisées dansce genre de recherches sont les méthodes comparatives et parconstruction de typologies, méthodes qui par définition insistentplus sur l'universalité de certains phénomènes sociaux que surleur singularité.

La diversité de ces approches partielles rend nécessaireune méthode d'analyse plus globale. II ne s'agit pas de con-struire une théorie générale qui serait forcément formelle;mais nous voulons avant tout définir des concepts sociologiquesutilisables dans le cadre d'une théorie à moyenne portée pourl'analyse d'une société complexe et différenciée comme la Bel-gique, sous l'angle des rapports entre catégories linguistiques.

Les préoccupations mêmes des sociologues qui ont abordéce domaine de recherche se sont profondément modifiées cesdernières années, sous les influences conjugées de leur milieusociétal et de leurs points de vue théoriques.

Jusque dans les années 60, les exigences fonctionnelles dela société belge étaient considérées comme un donné, comme

46

Page 49: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

une chose instituée et immuable. On confondait les impératifsfonctionnels d'un objet réel (l'Etat) et les impératifs fonc-tionnels d'un objet de connaissance (le système social). Leschangements institutionnels qui pouvaient être établis devaientse faire dans les limites permises par ces exigences fonction-nelles et devaient répondre à un certain nombre de besoinsculturels, dont le principal était un besoin de mobilité socialede la classe moyenne flamande. Ainsi, plusieurs auteurs ontsouligné que le mouvement flamand a joué un double rôle :il a rendu la langue néerlandaise légalement obligatoire danstous les secteurs d'activité en région flamande, et il a permisl'apparition et le développement de nouvelles élites flamandesopposées à la classe supérieure francophone. Jan Grootaers(1963 : 305), par exemple, affirme que la lutte linguistiqueest finalement une opposition sociale inconsciente entre laclasse supérieure francophone en Flandre et à Bruxelles etla nouvelle classe moyenne flamande.

Ce n'est que plus récemment que les sociologues se sontdemandés si le conflit linguistique ne visait pas à détruire lesystème social belge. Daniel Seiler et Jean Raes (1970), parexemple, se demandent si la résurgence du conflit communau-taire à partir de 1960 ne risque pas de perturber, sinon dedétruire les relations institutionnalisées qui s'étaient établiesentre les clivages cléricaux-anticléricaux et bourgeois-prolé-taires, et de conduire la Belgique à deux réalités politiquesdissemblables, qui mettraient en péril le système politiqueexistant. Ces auteurs concluent en affirmant que le problèmecommunautaire n'est pas tant un problème de relations entregroupes linguistiques qu'un problème de conflit entre uni-taristes et fédéralistes, conflit qui, selon eux, serait un phéno-mène conjoncturel et non structurel. Par rapport à nos pré-occupations, l'apport essentiel de ces deux auteurs est d'avoirposé le problème de l'existence possible à court terme de deuxsystèmes socio-politiques en Belgique, même s'ils répondentpar la négative. Aussi longtemps que les sociologues de laBelgique adoptaient des perspectives théoriques fonctionna-listes, ils ne pouvaient s'interroger que sur un système stra-tifié mais intégré, ou que sur des phénomènes de différen-ciation ou de spécialisation fonctionnelle.

Pierre Servais (1970) va plus loin encore: il se demande

47

Page 50: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

si les deux communautés qui composent la Belgique constituentmaintenant déjà, chacune pour leur part, une entité nationale.A la question de savoir si les Wallons et les Flamands ont lesentiment d'appartenir à une communauté nationale spécifi-que, il répond, sur base d'enquêtes, par l'affirmative dans lecas de l'existence d'une communauté flamande, mais parl'incertitude dans le cas de l'existence d'une communautéwallone.

Poser le problème de l'existence, en Belgique, de deuxsystèmes socio-politiques en conflit semble être le point d'abou-tissement, par rapport au contexte social et aux théoriessociologiques actuelles, d'une sociologie de la Belgique, pointd'aboutissement qui n'a été rendu possible que parce qu'aupa-ravant l'analyse fonctionnelle avait permis d'entrevoir cetteproblématique.

Un troisième type de difficulté auquel nous nous sommesheurté est inhérent à tout travail de sociologue étudiant sapropre société et au risque de subjectivité qu'il encourt. Deplus, le sujet qui nous préoccupe est d'autant plus difficileà traiter qu'il est d'actualité et que nous manquons de reculpour expliquer sans passion. Nombreux sont en effet leschercheurs qui, lorsqu'ils abordent des sujets brûlants commenotre problème communautaire, loin de parler avec bon senset objectivité, emploient un langage qui se caractérise par lapréciosité ou un penchant à l'obscurantisme.

L'usage qui est fait dans notre société de concepts socio-logiques sur un plan polémique, c'est-à-dire dans un tout autresens que celui qui leur est donné par les sociologues, conduit,si un lecteur attentif n'en a pas pris conscience, à des impas-ses au niveau de la réflexion. Le langage sociologique est eneffet devenu si répandu dans les pays industrialisés que lacritique sociale s'est appropriée une part importante de saterminologie. Il faut souligner que la contestation sociale nedoit en aucune manière être confondue avec la conception dusociologue en tant qu'homme de science ou en tant qu'analystede notre société, même si quelquefois il est aussi un analyseur,c'est-à-dire celui qui révèle les structures de nos institutions,celui qui les provoque et les force à parler. L'usage inconsidéréde l'épithète «sociologique », la popularité même du socio-logue, l'image de marque de contestataire ou de révolutionnaire

48

Page 51: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

qu'on lui attribue, risquent de fausser la compréhension del'objectif que nous nous sommes imposé. Notre problématiquene consiste pas à dénoncer les méfaits de nos structures,mais à aborder l'étude du mouvement historique de notresociété et de son orientation. Comment d'une société intégréeou qui se disait telle, passons-nous à une société qui semblese caractériser de plus en plus par un manque de consensuset comment la connaissance sociologique pourrait-elle aidernotre société à se transformer ?

Il ne s'agit donc pas d'affirmer un certain nombre devaleurs sociales qui orientent l'action des Flamands, desWallons ou des Bruxellois, ni de décrire des comportementspolitiques à travers le discours ou les actes, car cela impliqueun choix et donc un risque accru de subjectivité, mais demontrer que le problème des types de relations possibles entreles catégories linguistiques peut être scientifiquement abordé,par l'étude de la production et de la reproduction des rapportssociaux les plus courants au sein et entre ces catégories,c'est-à-dire par l'étude de leurs institutions. Nous nous pro-posons donc de présenter un modèle d'analyse qui, sous l'angled'une sociologie des rapports entre catégories linguistiques,permettrait une meilleure compréhension d'une société diffé-renciée comme la Belgique. Dans une première phase, nousdéfinirons ce que nous entendons par caractère uni-segmentaireou pluri-segmentaire d'une société globale, à partir d'uneanalyse des institutions de base des différentes collectivitésenglobantes ou englobées. Dans une seconde phase, nous nouspencherons sur le problème des facteurs de segmentarité, etdans une troisième phase enfin, nous nous demanderons quellepourrait être l'influence du degré de segmentarité sur l'étatdes relations entre collectivités.

Au niveau de l'analyse macro-sociologique, sur un plansynchronique, nous nous demandons pour commencer quellesorte de typologie des sociétés globales serait suffisammentbien fondée en sociologie et susceptible d'être appliquée àl'étude des relations entre catégories linguistiques. En sefondant sur la constatation suivant laquelle le caractère plusou moins segmentaire d'une société est en relation avec sondegré d'intégration sociale, il n'y a qu'un pas à faire pourproposer comme hypothèse que les sociétés sont plus ou moins

4 49

Page 52: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

intégrées suivant leur degré de segmentarité. Ce dernier termesuggère non seulement l'idée d'une multiplicité d'appartenanceset de références, mais, à notre sens, il suggère aussi l'idéed'une lutte entre divers fragments de la société. Si les sociétésunisegmentaires sont les plus intégrées, celles qui témoignentdes plus hauts degrés de cohésion sociale, inversément, lessociétés polysegmentaires sont les moins intégrées.

I. Sociétés homogènes et sociétés hétérogènes

Si nous classons les sociétés d'après le degré de compositionqu'elles présentent, nous pouvons distinguer des sociétés àsegment unique, que nous appellerons homogènes, et dessociétés polysegmentaires, que nous appellerons hétérogènesou plurales.

Pour Emile Durkheim, une société unisegmentaire ou homo-gène, est «une société qui n'en renferme pas d'autres, plussimples qu'elle, qui non seulement est actuellement réduite àun segment unique, mais encore qui ne présente aucune traced'une segmentation antérieure» (1963: 82). Une sociétéhomogène est donc une société qui se décompose immédiate-ment en individus juxtaposés comme des atomes, et ne formantpas, à l'intérieur de cette société, des groupes spéciaux etdifférents de celle-ci. L'intégration d'une société homogèneest fonction de la ressemblance entre les individus membresde cette société, la conscience collective l'emportant sur laconscience individuelle. L'homogénéité se manifeste ainsi parl'uniformité du système de valeurs, des modèles d'action et dela structure sociale.

La Belgique, comme toutes les sociétés modernes, ne peutévidemment pas répondre à ce signalement. Seule, la horde,dont l'existence est plus conçue comme un postulat de lascience que comme un fait historique, semble répondre exacte-ment à cette définition.

Emile Durkheim avait pressenti l'existence de plusieurstypes de sociétés polysegmentaires. Nous suggérons, par hypo-thèse, que les sociétés hétérogènes et les sociétés plurales sontles seules alternatives possibles des sociétés homogènes. Parsociété hétérogène, nous entendons une société polysegmen-taire, dont l'organisation est travaillée par un processus de

50

Page 53: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

différenciation qui s'opère par la division d'une collectivitéremplissant deux ou plusieurs fonctions en sous-collectivitésremplissant chacunes une des fonctions de la collectivité origi-nelle, ou par la redéfinition par chaque sous-collectivité decertains éléments culturels de manière à ce que ceux-ci leursoient spécifiques.

L'intégration des sociétés hétérogènes dépend d'un minimumde consensus sur des valeurs qui pour ce faire doivent être,selon le schéma proposé par Talcott Parsons, générales, insti-tutionnalisées et compatibles entre elles. Il est évident que laBelgique, dans la mesure où la collectivité flamande et la col-lectivité francophone ont redéfini certains éléments culturels,peut être considérée à première vue comme une société hété-rogène. Si la distinction entre société homogène et sociétéhétérogène semble claire, il n'en va pas de même pour ladistinction entre société hétérogène et société plurale. PourEmile Durkheim, dans les sociétés polysegmentaires, la dis-tance entre les collectivités composantes ne saurait être trèsgrande, «autrement, il ne pourrait y avoir entre elles aucunecommunauté morale» (1963 : 85). Nous pensons qu'une sociétéplurale, par rapport à une société hétérogène, est une sociétédans laquelle cette distance est maximale, bien qu'on puisseencore parler d'une seule société.

II. Sociétés plurales

Le concept de pluralisme se réfère à l'existence de clivagesaccentués entre les unités qui composent une société. Une desdéfinitions les plus élaborées de ce concept nous est donnéepar Pierre van den Berghe (1967 : 70) ; pour ce dernier, unesociété est plurale, lorsqu'on y trouve deux caractéristiquesessentielles :

a) une division segmentaire des collectivités qui appar-tiennent souvent, mais pas nécessairement à des culturesou sous-cultures différentes ;

b) une division segmentaire de la structure sociale, auniveau des institutions, qui doivent être analogues, paral-lèles et non complémentaires, bien que distinctes etpolymorphes.

51

Page 54: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Comme les sociétés hétérogènes, les sociétés plurales sontdonc polysegmentaires, mais, en outre, les différentes collec-tivités composantes ou segments doivent posséder des insti-tutions qui, tout en étant de même nature, ont la propriétéd'affecter des formes différentes (elles sont donc poly-morphes). Nous verrons, lorsque nous analyserons le conceptd'institution, que le pluralisme se réfère à des sociétés danslesquelles les institutions des différentes collectivités se diffé-rencient, non pas par les valeurs qui les sous-tendent (ellessont donc analogues), mais par leur organisation matérielle(elles sont donc distinctes). Qu'elles soient parallèles et noncomplémentaires signifie qu'elles ne sont pas spécialiséesfonctionnellement dans le cadre d'un système social global ;pour qu'il y ait pluralisme, une institution qui existe dansla collectivité A doit aussi exister dans la collectivité B,et l'institution de la collectivité A ne dépend pas de celle dela collectivité B et inversément.

Bref, par opposition à l'hétérogénéité, le pluralisme exclutdeux types de phénomènes : les sociétés divisées en collecti-vités distinctes, mais possédant un système homogène d'insti-tutions, et la différenciation ou la spécialisation des institu-tions de chacune des collectivités composantes, c'est-à-dire leurcomplémentarité.

Outre le caractère segmentaire des collectivités et la poly-morphie des institutions, d'autres caractéristiques plus spéci-fiques sont souvent associées au pluralisme. C'est ainsi queJ.S. Furnivall (1948), un des premiers théoriciens du plura-lisme, insiste sur l'interdépendance économique comme basede l'intégration sociale d'une société plurale, et sur la primautédes rapports utilitaires entre les membres des différentes col-lectivités. Il définit une société plurale comme un ensemblede groupes culturels fortement différenciés, limités et reliésentre eux par un chaînon économique : le marché.

C'est en nous référant à cette dernière définition, que nouspouvons mieux comprendre pourquoi le pluralisme est un con-cept à la mode (2). En effet, si nous considérons l'Europecomme un vaste marché économique, uni, mais composé de

(2) Une revue, «Plural Societies », est même consacrée à l'étudedu concept.

52

Page 55: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

collectivités distinctes, il n'y a qu'un pas à faire pour affirmerqu'elle est une société plurale. Ce pas, cependant, nous ne lefranchirons pas, car seule une recherche sur le terrain peutnous permettre d'analyser le caractère polymorphe des insti-tutions des différents pays qui la composent. On identifieainsi généralement trop vite comme sociétés plurales, toutesles sociétés ou groupements de sociétés qui forment un marchééconomique commun. Un continent, les pays capitalistes ou lespays socialistes, le monde industrialisé, la terre entière, pour-quoi pas, sont ainsi assimilés aux sociétés plurales. Nouspensons qu'il s'agit là d'un usage trop extensif et donc abusifde ce concept, usage qui lui faite perdre son pouvoir ana-lytique.M. G. Smith (1965: 63) considère le pluralisme comme

étant la coexistence de systèmes institutionnels incompatiblesdans une même structure regroupante. Il semble cependantqu'il ne soit pas possible de concevoir des groupes quicoexistent à l'intérieur d'une société globale, sans subir desinteractions; il existe des processus de transversalité oud'acculturation, c'est-à-dire d'intégration normative, qui ren-dent peu à peu moins incompatibles les systèmes institutionnelsen présence. Bref, nous pensons que la conception du plura-lisme de M. G. Smith est trop limitative, parce qu'elle neconvient pas à une analyse diachronique des relations entregroupes ethniques ou linguistiques.

Si l'on réfère le terme de «système institutionnel» à lasociété globale, l'analyse sociologique amène à considérer un«système institutionnel» englobant et des «sous-systèmesinstitutionnels» englobés. Si l'assimilation entre les collecti-vités composantes est totale, il n'y a plus de «sous-systèmesinstitutionnels»; si la différenciation prévaut, jusqu'où peut-onencore parler d'un «système institutionnel» ? Le concept desociété plurale permet de comprendre des sociétés qui, tout enétant composées de groupes ségrégatifs et qui ont un «sous-système institutionnel» propre, sont caractérisées par unminimum d'institutions communes. Il semble donc que pourmieux appréhender la notion de pluralisme, il est importantde définir avec exactitude ce que l'on entend par institutionssociales.

53

Page 56: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

III. Les institutions

En nous référant à l'analyse institutionnelle de RenéLourau (1969; 1970), nous pouvons décomposer une institu-tion en trois niveaux : l'institué, l'instituant et l'institution-nalisé, qui analysés dialectiquement s'inscrire comme des outilsd'analyse des contradictions sociales. Cette analyse nous per-met de faire une distinction entre l'ensemble des valeurs quicaractérisent un groupe donné (les institués), ceux qui lescréent ou les pratiquent (les instituants), et ce qui en estleurs produits (les institutionnalisés). Venons-en à la défini-tion de ces trois composantes des institutions.

Une institution, c'est d'abord un institué, c'est-à-dire un« ordre» pré-établi, un ensemble de valeurs, de modèles quiguident la socialisation. Cet ensemble normatif paraît univer-sel, parce qu'il désigne des objectifs, des finalités, des fonc-tions qui sont reconnus universellement comme légitimes, voireindispensables dans une société donnée. L'institué définit, dansl'abstrait, le moment de l'universalité de l'institution ou celuide sa fonctionnalité idéologique. Considéré comme un donné,il ressemble aux exigences fonctionnelles de la société, tellesqu'elles sont définies par Talcott Parsons.

La « Nation », par exemple, est un institué, une norme uni-verselle, propre à notre société. Elle a une fonctionnalité,c'est-à-dire qu'elle signifie la satisfaction d'un certain nombrede besoins primaires et dérivés. Elle fonctionne selon cer-taines règles et tout un cortège de modèles de comportementlui sont associés; elle est une norme légitime, qu'on retrouvepartout dans nos sociétés industrielles.

L'institution, c'est non seulement une forme culturelle,qu'une analyse de type fonctionnaliste peut appréhender, maisc'est aussi une forme sociale instituante. Instituer, c'est créer,fonder, rompre avec un ordre ancien pour en créer un autre,mais c'est aussi pratiquer cet ordre ancien. En pratiquantl'ordre existant, les acteurs sociaux continuent de l'instituer.Une institution, c'est donc aussi un instituant: elle impliqueune production ou une reproduction d'un institué. Mais la plu-ralité d'objectifs ou d'intérêts particuliers des diverses caté-gories englobées dans un système social nie l'universalité del'institué. Les particularités de statuts font que les normes

54

Page 57: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

universelles sont du domaine de l'imaginaire en face des inté-rêts concrets des différentes catégories sociales engagées dansune action commune. L'instituant définit, selon René Lourau,« le moment de particularité» de l'institution, puisque, mêmeau niveau de l'Etat ou du Pouvoir, les objectifs officiels recou-vrent en fait une pluralité d'objectifs particuliers.

Si nous reprenons l'exemple de 'la « Nation », nous pouvonsdire qu'elle est aussi un instituant, c'est-à-dire des groupesqui pratiquent ses normes et son système de valeurs, qui repro-duisent ainsi l'institué et continuent de l'instituer. Ce sont,par exemple, pour la Nation belge, les cléricaux et les anti-cléricaux, les progressistes et les conservateurs, la bourgeoisieet la classe ouvrière, les fédéralistes et les unitaristes, lesFlamands, les Wallons et les Bruxellois. Ces groupes nientl'universalité de la norme «Nation », parce qu'ils ont desmodèles d'action qui leur sont propres et ne peuvent doncimaginer cette norme de façon identique. L'analyse action-naliste, telle qu'elle a été élaborée par Alain Touraine (1965),en tant qu'elle est une analyse des mouvements sociaux et deleur action créatrice, semble bien indiquée pour appréhenderce « moment de particularité» de nos institutions.

Enfin, une institution, c'est aussi le résultat d'un rapportdialectique entre institué et instituant, c'est-à-dire une formesociale visible, dotée d'une organisation juridique et matériellesingulière, et qui est indispensable dans la mesure où on veutque se réalise concrètement l'institué. L'institutionnalisé seconstitue par l'action de l'instituant sur et contre l'institué.Au niveau de !'analysemorphologique, l'institutionnalisé est,selon René Lourau, «le moment de singularité» de l'insti-tution.

Dans le cas de la «Nation », l'institutionnalisé, c'est, parexemple, l'Etat belge, c'est-à-dire un ensemble singulier, occu-pant nécessairement un espace bien délimité et le mettant envaleur, organisé de corps constitués et d'instances officiellesservant à son administration.Par rapport à l'analyse fonctionnelle, l'apport essentiel de

l'analyse institutionnelle est, à notre avis, d'avoir montré quele concept d'institution ne servait pas qu'à désigner des cristal-lisations de l'immuable ou des comportements stables, perma-nents, fixes et contraignants. C'était privilégier le consensus,

55

Page 58: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

et sous-estimer la négativité, c'est-à-dire «les oppositionsobjectives et subjectives qui ne peuvent manquer de naîtreentre les finalités de l'institution (sa «fonction» officielle)et le poids de la réalité matérielle» (Lourau, 1970 : 129).

De plus, nous pensons qu'un modèle d'analyse pour l'étudedes relations entre groupes linguistiques, basé sur la connais-sance des institutions, est particulièrement bien approprié àla Belgique, ce pays qui a toujours résolu ses problèmes com-munautaires à force de lois, c'est-à-dire d'institutionnalisés.

IV. Analyse institutionnelle et segmentarité

Nous affirmons, par hypothèse, qu'une société homogèneest une société dans laquelle les institués, les instituants etles institutionnalisés des institutions de base des différentescatégories sociales sont identiques. Dans la figure l, nousschématisons le cas d'une telle société qui serait composée detrois catégories sociales ayant les mêmes institués, les mêmesinstituants et les mêmes institutionnalisés. Notons que l'exis-tence de ces catégories sociales est du domaine du présupposéthéorique car, comme nous l'avons souligné précédemment, unesociété homogène est une société qui se décompose immédiate-ment en individus, sans former des groupes spéciaux à l'inté-rieur de celle-ci.

Par institutions de base, nous entendons la parenté, l'éduca-tion, la religion, le travail, la propriété et certaines formes desolidarité. Nous les appelons institutions de base, parce qu'ellessont contraignantes et que bon nombre d'autres institutionsleurs sont associées et peuvent s'y rattacher. Ainsi, par exem-ple, à l'institution de base « parenté », peuvent se rattacher lesinstitutions de ménage, d'héritage, de célibat, de divorce, deveuvage, d'adultère, de polygamie, de rôles du père ou dela mère, etc., c'est-à-dire des formes distinctes de groupementsocial, de modèle de comportement ou de système de .valeurs.

Dès qu'un des instituants ou des institutionnalisés d'unedes institutions de base de cette société se différencie dansdeux catégories sociales, nous parlerons de société hétérogèneou de société plurale.

56

Page 59: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Figure 1 Figure 2Une société homogène Une société hétérogène

Caté- Insti- Caté- Insti-go ries tution gories tutionsociales sociales

Insti- Insti- Institu- Inst.i- Insti- Insbitu-tué tuant tionnalisé tué tuant tionnalisé

Cat. A Ct ~ Y Cat. A Ct ~1 YCat. B Ct ~ Y Cat. B Ct ~2 YCat. C Ct ~ Y Cat. C Ct ~3 Y

Nous affirmons qu'une société hétérogène est une sociétédans laquelle:

les institués et les institutionnalisés des institutions debase sont identiques pour les diverses catégories socialesde cette société,les instituants d'une ou de plusieurs institutions de base sedifférencient de par leur forme sociale.

Dans la figure 2, nous schématisons le cas d'une tellesociété, qui serait composée de trois catégories sociales ayantles mêmes institués et les mêmes institutionnalisés, mais sedifférenciant au niveau de leur rôle d'instituant, soit qu'ellesnient cette institution tout en la subissant, soit qu'elles lapratiquent tout en la niant.

De même, nous affirmons qu'une société plurale est unesociété dans laquelle :- les institués des institutions de base sont identiques pour

les diverses catégories sociales de cette société,les instituants et les institutionnalisés d'une ou de plusieursinstitutions de base se différencient de par leur formesociale.Dans la figure 3, nous schématisons le cas d'une telle

société, qui serait toujours composée de trois catégories socia-les ayant le même modèle de valeur (l'institué), mais se dif-férenciant au niveau de l'expression morphologique de cemodèle de valeur (l'institutionnalisé), différenciation quirésulte de la diversité et de la capacité instituante de cescatégories sociales.

57

Page 60: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Figure 3 Figure 4Une société plurale Trois sociétés distinctes

Caté- InsU- Caté- InsU-gories tutlon gories tutionsociales sociales

Insfi- Inati- Institu- Instî- InsU- Inscitu-tut! tuant tîonnalisé tué tuant tionnalisé

Cat. A a ~1 YI Cat. A al (31 YICat. B a (32 Y2 Cat. B a2 (32 Y2Cat. C a (33 y3 Cat. C aa (33 Y3

Enfin, nous parlerons de sociétés distinctes, lorsqu'une ouplusieurs institutions de base de deux ou plusieurs catégoriessociales diffèrent au niveau de l'institué, de l'instituant et del'institutionnalisé. Dans la figure 4, nous schématisons le casde telles sociétés, l'une étant formée par la catégorie A, laseconde par la catégorie B et la troisième par la catégorie C.L'existence d'un modèle de valeurs commun à plusieurs caté-

gories sociales semble être un critère indispensable pour pou-voir parler d'une seule société. C'est parce que le comporte-ment des acteurs sociaux est modelé sur les valeurs fonda-mentales de la société que l'on peut parler d'une massed'hommes comme d'une «société ». «Sans un fond de valeurscommunes à un groupe d'individus, affirme Robert Merton,il peut y avoir des relations sociales, des échanges désordonnésentre les hommes, mais pas de société» (1965 : 177).

Jusqu'à présent, nous avons considéré ces trois types desociétés comme distincts et séparés, mais un peu de réflexionmontre qu'ils forment un continuum, dont les sociétés homo-gènes et les sociétés plurales occupent les extrémités.

D'un côté en effet, une société peut être plus ou moinshétérogène, comme elle peut être plus ou moins plurale. Unesociété dont une seule des institutions de base est (re)produitedifféremment par deux instituants seulement est moins hété-rogène qu'une société dans laquelle toutes les institutions debase sont reproduites différemment par de nombreux insti-tuants. Le degré d'hétérogénéité est donc fonction du nombredes institutions de base qui se différencient au niveau de la

58

Page 61: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

« particularité» et du nombre des instituants qui (re)produi-sent différemment ces institutions de base.

De même, le degré de pluralisme est fonction du nombredes institutions de base qui se différencient au niveau de la« particularité» et de la «singularité », et du nombre descatégories sociales qui définissent différemment ce «momentde singularité» des institutions. A une extrémité, on trouvedes sociétés hautement plurales, qui ne sont intégrées que parune ou quelques institutions contrôlées par le groupe domi-nant; à l'autre extrémité, on trouve des sociétés dans les-quelles toutes les institutions de base sont communes auxdifférentes collectivités, sauf, par exemple, l'institution reli-gieuse ou l'institution familiale.

D'un autre côté, nous avons déjà suggéré que la segrnen-tarité est une variable dont la présence ou l'absence dans unesociété donnée est relative. Il ne s'agit donc pas d'une variabledichotomique, mais d'une variable continue, qui va de l'assimi-lation totale (société homogène) au conflit (société plurale),en passant par l'intégration normative, grâce à des institutionsdifférenciées, mais qui n'en sont pas moins spécialisées fonc-tionnellement, complémentaires et dépendantes les unes desautres (société hétérogène).

Si les études qui portent sur l'intégration des sociétés hété-rogènes sont relativement nombreuses (cfr. par exemple, lestravaux de T. Parsons et R. Merton), il n'en va pas de mêmesur l'intégration des sociétés plurales, auxquelles on associegénéralement le caractère ségrégatif, le manque de cohésionsociale. Certains auteurs n'hésitent même pas à affirmer quele concept de pluralisme est synonyme de «verzuiling» (VanDe Kerkhove, 1971 : 92). Il est donc généralement utilisé pourcaractériser une société dans laquelle les «gaps» culturels etsociaux entre les catégories composantes sont tellement nom-breux et profonds, qu'on peut, à la limite seulement, parlerd'une seule société, d'un seul système social. Nous pensonscependant qu'il y a continuum entre société hétérogène etsociété plurale. En effet, dans la mesure où tous les conflitsdurables finissent par se traduire par une tendance à l'insti-tutionnalisation, si, dans les sociétés hétérogènes, les multiplesgroupes instituants sont des nœuds de tendances opposées, ilsemble évident que des oppositions devront se manifester un

59

Page 62: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

jour ou l'autre au niveau de l'institutionnalisé. Ce qui veutdire que, sans intervention directe de l'Etat, en laissant fairela régulation démocratique, les sociétés hétérogènes risquentde se transformer en sociétés plurales, dans la mesure où lesgroupes sont capables d'instituer et si des processus d'unifor-misation de la structure sociale ne jouent pas ou ne jouent quefaiblement. Ne serait-ce pas le cas pour la Belgique, où desinstituants flamands parviennent à obtenir le transfert deLouvain-francophone à Ottignies et le dédoublement de l'Uni-versité Libre de Bruxelles, c'est-à-dire à obtenir des institu-tionnalisés spécifiques aux communautés en présence, lorsquele gouvernement décide de « geler» les problèmes communau-taires et d'instaurer une e trève linguistique », c'est-à-dired'intervenir le plus rarement possible dans les relations entregroupes linguistiques?

Parler d'un langage, c'est parler d'un institutionnalisé, c'est-à-dire d'une application singulière, circonstancielle et déter-minée d'une forme de solidarité. C'est en effet un lieu communque d'affirmer que le langage s'est formé au sein de la société,plus exactement le jour où des hommes ont éprouvé le besoinde communiquer entre eux. II est donc le résultat d'un rapportdialectique entre les locuteurs ou «hommes voulant entrer encontact », et de ce fait créateurs ou reproducteurs de langage,et la valeur «communication» qui manifeste un certain désirde solidarité. «Les langues, comme l'affirme Joshua Fishman,reflètent plus qu'elles ne créent les normes de la vie socio-culturelle» (1971: 105). On doit considérer la langue, noncomme une institution de base, mais comme une institutiondérivée de l'institution de base «forme de solidarité », dansson «moment de singularité ».

Nous dirons que, lorsque deux catégories sociales se diffé-rencient par la langue, toute autre chose restant égale, cescatégories sont entrées dans un processus de pluralisation,même si la société intégrante reste hétérogène. La languen'étant pas une institution de base, on ne peut en effet pasencore parler de société plurale. Cette distinction nous paraîtimportante, car elle met en évidence l'existence possible desociétés hétérogènes en voie de pluralisation. Plus générale-ment, nous affirmons qu'une société est en voie de pluralisationdès qu'une de ses institutions dérivées est (re)produite par

60

Page 63: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

des catégories sociales distinctes et que cette (re)productionse manifeste par une forme sociale visible qui est spécifiqueà chacune de ces catégories.

V. Les facteurs du pluralisme

Si nous considérons le pluralisme comme une variabledépendante, nous pouvons nous demander quels sont les fac-teurs qui rendent une société plus ou moins plurale ; autre-ment dit, quels sont les facteurs qui agissent sur la diversifi-cation des instituants et des institués des institutions de base?Nous analyserons successivement quelques-uns des facteursdémographiques, sociaux, économiques et culturels.

A. Les facteurs démographiques

Après les travaux de Pierre van den Berghe (1967) etMarie Haug (1967), nous pouvons affirmer que le degré depluralisme qui existe dans une société donnée est fonctiondirecte de l'étendue géographique du pays, de la taille de lapopulation, du nombre absolu de catégories sociales, de leurgrandeur relative et en particulier de la grandeur numériquede la ou des catégories dominées par rapport à la ou aux caté-gories dominantes, et de la concentration géographique de cescatégories à l'intérieur du pays. De plus, le degré de plura-lisme est fonction inverse du taux de densité de la populationet du degré d'urbanisation du pays (3).

Du point de vue d'une sociologie des relations entre groupeslinguistiques, nous constatons que seules, dans le cas de laBelgique, la grandeur numérique relative des catégories domi-nées par rapport à la catégorie dominante, et la concentrationgéographique des collectivités favorisent le degré de plura-lisme. Il semble évident que la dispersion d'un groupe dans unou plusieurs autres groupes peut le réduire à une impuissancerelative et que sa capacité de créer des institutions spécifiques

(3) Marie Haug (1967), lors d'une analyse du degré de pluralismesocial et culturel qui porte sur 114 pays, a constaté que, parmi lesfacteurs démographiques, l'étendue géographique du pays et son degréd'urbanisation ont le plus d'impact sur le degré de pluralisme. Plusun pays est grand, plus est élevé le degré de pluralisme. Moins unpays est urbanisé, plus est élevé le degré de pluralisme.

61

Page 64: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

peut être beaucoup plus grande si ce groupe, même minorisé,est concentré dans une région déterminée. Soulignons quec'est grâce au mouvement flamand, «d'ailleurs radicalisé parl'attitude wallonne elle-même », attitude «caractérisée par le'refus de -tout bilinguisme franco-néerlandais» (Meynaud,Ladrière, Perin, 1965: 93), que la législation linguistiquede 1873 (date de l'introduction du néerlandais dans la justiceen Flandre) à nos jours, a permis de localiser les quatre col-lectivités, flamande, wallonne, bruxelloise et allemande, dansleur territoire respectif, et de dégager ainsi quatre régionsdistinctes en fait et en droit.Dans la mesure où les acteurs sociaux sont plongés dans

un climat anxiogène, dû au fait, par exemple, qu'ils se sententminorisés numériquement, ces acteurs sociaux auront ten-dance à rompre avec l'ordre ancien, cause de leur anxiété,pour en créer un autre plus spécifique, et de là plus apaisant.La grandeur numérique relativement faible de la Walloniepar rapport à la Flandre, et de Bruxelles par rapport auxdeux autres collectivités entraîne un réflexe de conservationdes collectivités minorisées, et permet ainsi la création d'insti-tutionnalisés spécifiques à ces collectivités.

Une autre caractéristique démographique, le taux d'accrois-sement soit de la population globale, soit des différentes col-lectivités, semble déterminer moins le degré de pluralisme queson évolution qualitative. Ainsi, si Marie Haug n'a pas décou-vert de relations significatives entre le degré de pluralismeet le taux d'accroissement de la population globale, Pierrevan den Berghe a mis en évidence la distinction entre unpluralisme transitoire, qui existe dans les pays où les groupesethniques s'assimilent rapidement au groupe dominant, c'est-à-dire où les rapports numériques entre les catégories changenten peu de temps, et un pluralisme stable, caractéristique de laBelgique où les rapports numériques entre les collectivitésrestent inchangés ou n'évoluent que très lentement.

En 1965, la population de la région de langue néerlandaisereprésentait 55,52 % de la population totale belge, celle deWallonie 32,73 70, celle de Bruxelles-Capitale 11,22 70 et cellede la région de langue alemande 0,63 %. En 1969, ces chiffresétaient respectivement de 55,93 70 pour la Flandre, 32,32 %pour la Wallonie, 11,11 % pour Bruxelles-Capitale et 0,64 0/0

62

Page 65: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

pour la region de langue allemande (4). Si les habitantsde la région flamande, par rapport à ceux des régions wal-lonne et bruxelloise ont un taux d'accroissement net légère.ment plus élevé, il n'en reste pas moins que le nombre deBelges d'expression flamande qui deviennent francophones estplus élevé que le contraire. Bruxelles est généralement consi-dérée, par une certaine élite flamande, comme un des centresde francisation de la Belgique. Mais ne serait-il pas toutaussi naturel que les Wallons la considèrent comme un centrede e bruxellisation s ? En 1968, par exemple, sur 28.093 per-sonnes venues habiter à Bruxelles, 14.491 provenaient de Flan-dre et 13.602 de Wallonie (5). Le résultat de ces tendancesopposées (plus forte natalité en Flandre, mais plus forte pro-portion aussi de néerlandophones qui deviennent francopho-nes) est une stabilité relative dans les proportions entre caté-gories linguistiques; ce qui explique, en partie au moins, l'évo-lution relativement lente du conflit communautaire.

Soulignons cependant qu'une confusion est maintenue partoutes les catégories linguistiques entre ce qui est «franco-phone» et ce qui est «wallon»; les Bruxellois comme lesWallons, par peur d'être minorisés numériquement si un obser-vateur les considère séparément; les Wallons aussi, par man-que de principe d'identité ; et les Flamands, parce qu'ils valo-risent l'identité linguistique et, par une sorte de processusde transfert, l'appliquent aux collectivités wallonne et bruxel-loise. Nous affirmons que classer les Wallons et les Bruxelloisdans une même communauté linguistique (6) est en effet plusune hypothèse de travail à vérifier qu'un postulat. Commel'affirme Joshua Fishman, «l'ensemble des locuteurs devariétés d'une langue particulière ne forment pas nécessaire-ment une seule communauté linguistique» (1971 : 48).

(4) Chiffres extraits des Statistiques démographiques, Institut Natio-nal de Statistique, et cités par François Coppieters (1971: 7).

(5) Chiffres donnés par le Ministre de l'Intérieur en réponse à unequestion de M. Baert, sénateur de la Volksunie, et cités par le Soirdu 29 janvier 1970.

(6) Par communauté linguistique, nous entendons une communauténée d'une communication intensive et/ou d'un intégration symboliqueen relation avec la possibilité de communication, «sans tenir comptedu nombre de langues ou de variétés employêes » (Gumperz, 1964 : 37).

63

Page 66: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

B. Les facteurs sociaux

Au niveau social, le degré de pluralisme semble être fonctioninverse de la facilité avec laquelle un individu peut passerd'une collectivité à l'autre, c'est-à-dire, par exemple, du tauxd'intermariage entre les membres des différentes collectivités.De plus, il semble être fonction directe de l'importance desmécanismes de distance sociale qui peuvent exister entre lescatégories linguistiques, du rapport entre liens à l'intérieurde ces catégories et liens entre ces catégories, et du degré depolarisation ou de différenciation des rôles à l'intérieur descatégories d'une part, et entre celles-ci d'autres part.Le rapport entre liens à l'intérieur des catégories linguisti-

ques et entre ces catégories, liens mesurés non seulement entermes de quantité, mais aussi de qualité, c'est-à-dire d'affec-tivité et de réciprocité, peut déterminer l'autonomie structu-relle des sous-systèmes et notamment le nombre et le genredes institutions fonctionnellement spécifiques ou communesaux différentes collectivités dans une même société. On peutainsi trouver des catégories dans lesquelles la structure desrôles est différente de celle qui est pratiquée dans les autrescatégories et est donc institutionnalisée de façon spécifique.De telles sociétés, hautement pluralistes, ne sont donc intégréesque par l'une ou l'autre structure de rôle ou institution com-mune. Il semble que cela ne soit pas le cas de la Belgique,bien que des mécanismes de distance mesurée en termessociaux existent entre les catégories linguistiques en fonctionde l'appartenance de leurs membres à des milieux qu'ils jugenteux-mêmes inférieurs ou supérieurs. Citons, par exemple, lespréjugés qui règnent à propos des membres des autres groupeslinguistiques, une certaine paresse, peu importe qu'elle soitjustifiée ou non, des Wallons à apprendre le néerlandais, uncomplexe de supériorité et un chauvinisme des francophoneset des nouvelles élites flamandes en matière linguistique etculturelle.Un autre facteur social du pluralisme est l'importance

croissante prise par ceux qui sont dits e marginaux s enmatière linguistique. On observe en effet que dans les momentshistoriques où la société est instituante, des groupes de mar-ginaux ou de déviants jouent un rôle essentiel dans la création

64

Page 67: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

des nouvelles institutions. Ces déviants dévoilent les manque-ments et les limites des institutions existantes, tout en étantleurs produits. Roger Bastide souligne ce phénomène, lorsqu'ilaffirme qu'il faut attendre que la société tout entière «entreen période de crise (c'est-à-dire que les processus acculturatifsaient déjà commencé, mais n'aient encore atteint que le stadede désagrégation des vieilles communautés, sans aller jusqu'àleur reconstruction) pour que les individus marginaux puissentremplir un rôle utile et devenir, de par leur marginalismemême, les conducteurs nouveaux de ces communautés, quiavaient maintenant cessé de donner leur confiance aux chefset aux anciens, parce qu'ils étaient impuissants devant lasituation de déstructuration où leurs groupements étaiententrés» (1971 : 114).René Lourau distingue trois types de déviants qu'il met en

relation avec les trois moments du concept d'institution. Lepremier type est le déviant idéologique : il réagit contre le«moment d'universalité» des institutions, c'est-à-dire contreles institués; il émet donc des doutes sur leurs valeurs ou surleurs finalités. Le deuxième type est constitué par le déviantlibidinal : il agit sur le «moment de particularité» des insti-tutions; «il occupe une trop grande place dans la structurelibidinale du groupe, et jette le doute, par sa seule présence,sur le sérieux de l'idéologie ». En parlant de structure libidi-nale, nous nous référons à l'agencement, à l'interdépendanceentre des acteurs sociaux dont les désirs et la recherche duplaisir n'ont de signification que par leur participation àl'ensemble qu'Ils composent. Selon Georges Lapassade, ledéviant libidinal est « le plus hippie des déviants. Il introduitdans le groupe le «trip », le jeu, l'humour et la distanciation.Il dégonfle le « sérieux» des gens en place, de tous les faiseursde discours» (1971: 191). Le troisième type enfin est ledéviant organisationnel, «qui attaque de front, et non pluspar l'intermédiaire de désaccords théoriques ou de comporte-ments physiques anxiogènes, le point où se rencontre les pro-blèmes les plus pratiques et matériels, d'une part, et, d'autrepart, les questions les plus théoriques: l'organisation»(Lourau, 1970: 282); il s'attaque au «moment de singula-rité» des institutions, c'est-à-dire aux institutionnalisés.

Selon la typologie que nous avons élaborée aux pages pré-

5 65

Page 68: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

cédentes, nous dirons qu'un nombre croissant de déviantslibidinaux en matière linguistique est un facteur d'hétérogé-néisation d'une société globale, tandis qu'un nombre croissantde déviants organisationnels est un facteur de pluralisation.Cette montée de déviants libidinaux et organisationnels nedoit pas seulement être mesurée en termes numériques, maisaussi, à notre avis, en termes de capacité d'intervention dansla vie publique.Dès 1830, la Belgique peut être considérée, sur le plan lin-

guistique, comme une société hétérogène, travaillée qu'elleétait et qu'elle est toujours par un processus de différenciationsociale qui se manifeste par l'érosion de la classe supérieurefrancophone en Flandre, au profit d'une classe fonctionnellecomposée de nouvelles élites flamandes, fonctionnelle en cesens que c'est par les fonctions qu'elle exerce au niveau éco-nomique, social et culturel qu'elle monte dans la hiérarchiesociale (de Bie, 1965 : 104). L'essentiel, par rapport à notreproblématique est de souligner qu'il existe en Flandre depuislongtemps déjà une aspiration à l'autogestion, c'est-à-dire unevolonté de susciter des institutions qui seraient propres à laFlandre et qui résulteraient de la capacité instituante de cesélites flamandes: des institutions flamandes pour les Fla-mands. Il importe peu de savoir, à ce moment de notreréflexion, si les Flamands et les Wallons ont des institués quise différencient; l'important est de mettre en évidence que,dès le siècle dernier, la Belgique se différencie déjà au niveaudes instituants.On peut se demander si le dynanisme de cette nouvelle

classe flamande ne provient pas de sa situation anomique oude son caractère marginal, par rapport à la structure tradi-tionnelle en Flandre. Cette situation anomique ou dévianteserait due non seulement au fait qu'il s'agit d'une classe enmobilité, mais aussi, comme le souligne Pierre de Bie, aumanque d'accord sur le plan de l'évaluation de leur statut. Eneffet, si cette nouvelle élite a objectivement acquis un certainnombre d'indices de statut social élevé et si un nombre crois-sant de Flamands la considèrent comme étant au sommet dela pyramide sociale, il n'en est pas moins vrai, qu'au regardde l'ancienne classe supérieure francophone, elle est composéede « nouveaux riches» qui, parce qu'ils ont des salaires élevés

66

Page 69: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

et exercent une profession dont le standing est reconnu, pos-sèdent une grande influence sociale. Nous en venons ainsi àl'idée émise par Max Weber, selon laquelle il y a création ouinnovation, c'est-à-dire capacité instituante, quand des acteurssociaux n'ont pas de congruence de statut. Les marginaux, eten l'occurence cette nouvelle élite flamande, dont les caracté-ristiques de statut ont éclaté, doivent, s'ils veulent que lesforces sociales rétribuent leur action, imposer leurs propresinstitutions à leur société.L'expérience des anthropologues nous montre que bien sou-

vent l'expression concrète et spécifique d'un nationalismeexacerbé, par des moyens institutionnalisés, est une des pre-mières manifestations d'un consensus entre des acteurs sociauxqui ont été ou ont cru avoir été subordonnés à d'autres quiont voulu leur imposer leurs propres institutions. On pourraitainsi faire un parallélisme entre, par exemple, le «retour àl'authenticité» ou la «négritude» et le «flamingantisme » oule « wallingantisme », dans la mesure où, comme les Africains,les catégories linguistiques en Belgique ont pris collectivementconscience ou prennent seulement conscience d'être ou d'avoirété subordonnées à une autre catégorie sociale.

En nous limitant à l'après-guerre, nous pouvons dire quela différenciation entre Flamands et Wallons, au niveau desinstituants, s'est manifestée lors de plusieurs évènements poli-tiques importants comme, en 1945, dans le domaine de larépression de la collaboration avec l'ennemi pendant la guerre;en 1950, à l'occasion de l'affaire royale; en 1955, de la luttescolaire; et en 1960, au cours des grèves.

L'essentiel est de souligner que les nouvelles élites fla-mandes, par leur seule présence, ont troublé le sérieux de laclasse traditionnellement au pouvoir en Flandre, les Franco-phones n'y restant plus le seul groupe de référence. C'estdonc en tant que déviants libidinaux qu'elles se sont trans-formées en instituants, privilégiant, dans une première actioncréatrice, l'utilisation fréquente de symboles nationalistes.Depuis les années 60, leur volonté de se transformer endéviants organisationnels se manifeste par leurs attaquesdirectes contre la répartition traditionnelle du pouvoir en Bel-gique et leur désir de produire des institutions qui permet-traient une gestion spécifique des collectivités. Le dédouble-

67

Page 70: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

ment de certains ministères, comme celui de la culture, del'éducation nationale ou de l'économie régionale, est un desindices de cette production d'institutionnalisés propres auxdifférentes catégories linguistiques.

Du côté francophone, la volonté de nier les institutions tra-ditionnelles et d'en créer des nouvelles fonctionnellement spé-cifiques a été engendrée par l'opposition aux mouvementsflamands, dont on a craint l'impérialisme. Si, en Wallonie età Bruxelles, l'importance des déviants libidinaux est toujoursrestée minime et n'a jamais concerné que quelques intellectuelsdésireux de se rapprocher de la France, c'est parce que « dansla Belgique francophone de jadis, les Wallons (et les Bruxel-lois) ne se sentaient nullement le besoin de se définir entant que membres appartenant à une communauté spécifique»(Servais, 1970 : 144). La réaction, pour tardive qu'elle a été,n'en a pas moins été virulente; les interventions publiques dedéviants organisationnels wallons ont été de plus en plus nom-breuses, depuis que le syndicaliste André Renard, pendant lesgrèves de 1960, a réclamé le dédoublement de bon nombre degrandes administrations, comme les ministères de l'Intérieur,des Affaires économiques, des Travaux publics et de l'Educa-tion nationale.

Un des indices de l'importance croissante prise par lesdéviants organisationnels, tant en Flandre qu'en Wallonie età Bruxelles, est l'augmentation du nombre des élus politiquesproclamant ouvertement leur volonté de doter la Belgiqued'institutions autonomes selon les régions linguistiques. Dansla figure 5, nous schématisons l'évolution du nombre des élusà la Chambre des Représentants, de 1961 à 1971, selon leurappartenance aux partis dits «traditionnels» (Parti Social-Chrétien, Parti Socialiste Belge et Parti pour la Liberté et leProgrès) et aux partis dits «linguistiques» (Volksunie, Ras-semblement Wallon et Front des Francophones). Nous voyonsque les membres de ces derniers, qu'on peut facilement assi-miler aux déviants organisationnels, soucieux qu'ils sont devoir s'instaurer dans les régions linguistiques des institutionsautonomes à pouvoir de décision, sont passés de cinq repré-sentants en 1961 à quarante six en 1971. Notons toutefoisque les déviants organisationnels ne se trouvent pas seule-ment, au niveau politique, dans ces partis «linguistiques »,

68

Page 71: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

mais que bon nombre des élus des partis «traditionnels»prônent aussi un certain fédéralisme, c'est-à-dire un degréd'autonomie, souvent mal défini, des institutions des diversescatégories linguistiques?

Figure 5

Membres de la Chambre des Représentants

Partis 1961 1965 1968 1971

PSC - PSB - PLP 200 189 175 161VU - RW - FDF 5 15 32 46Divers 7 8 5 5

Total 212 212 212 212

C. Les facteurs économiques

Du point de vue économique, il semble qu'une similitudedans les produits des activités des différentes collectivitéssoit un facteur important du pluralisme. François Cardis(1964 : 144) a montré, en se référant à l'histoire de la Suisse,que des différences de niveaux de développement économiquedes diverses collectivités jouent en faveur d'une diminutiond'autonomie de ces collectivités.

Il est évident que le pluralisme ne conserve un sens que dansla mesure où les collectivités composantes justifient leurexistence par un apport réel à la vie de la société englobante.S'il y avait déséquilibre économique entre des régions appeléesà participer à une société globale, la collectivité économique-ment la plus forte tenterait, dans nos sociétés caractériséespar le libéralisme économique, d'imposer ses propres institu-tions aux autres, d'autant plus que la réalité des intérêtséconomiques dans la conduite des affaires politiques ne faitplus de doute dans les démocraties occidentales.

Nous avons déjà souligné que l'interdépendance économiqueétait un des facteurs de base de l'intégration des sociétés plu-rales. Cette interdépendance économique est d'autant plusforte que les niveaux de développement économique des diver-ses régions sont égaux, car peu nombreux sont les entrepre-

69

Page 72: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

neurs des regions riches qui, sans intervention des pouvoirspolitiques, sont disposés à investir dans des régions en pertede vitesse économique, comme la Wallonie. Cette dernièreaffirmation se vérifie dans le cas de la Belgique, si nous con-sidérons les investissements étrangers, investissements moinssoumis à un pouvoir politique que ceux qui découlent de l'appli-cation des lois de relance économique. Selon une déclarationministérielle, les investissements étrangers réalisés en Belgi-que de 1959 à 1969 se sont en effet répartis comme suit:

Flandre (4 provinces)Wallonie (4 provinces)BrabantTotal

60.736.888.000 francs29.691.314.000 francs14.545.225.000 francs

104.973.427.000 francs (7).

Nous voyons ainsi que si la Flandre, en pleine expansionéconomique, a accueilli plus de 58 % des investissements étran-gers en Belgique, la Wallonie n'en a reçu que 28 %. Parcontre, si nous analysons les crédits accordés sous le couvertde la loi d'expansion économique du 14 juillet 1966, c'est-à-direplus directement répartis entre les collectivités par le pouvoirpolitique, nous constatons que le fossé dans l'aide aux inves-tissements entre la Flandre et la Wallonie tend à se réduire(voir figure 6).Notons toutefois que les Wallons se sentent frustrés, lors-

qu'ils analysent, par exemple, les répercussions des investisse-ments dans le cadre des lois d'expansion économique sur lenombre des nouveaux postes de travail. Ainsi, selon le Bul-letin Mensuel de la Chambre de Commerce et d'Industrie duCentre, du r= janvier 1959 au 30 septembre 1970, si 165.859emplois ont été créés dans la région de langue néerlandaisedu pays, 70.807 seulement ont été créés dans la région delangue française (Coppieters, 1971 : 9). Cette frustation expli-que, en partie au moins, une tendance qui se fait jour de plusen plus en Wallonie à réclamer une répartition paritaire descrédits pour l'expansion économique des deux régions. Cettetendance est contrecarrée par l'opinion flamande qui rétorqueque seul l'établissement scientifique des besoins et des priori-tés, à partir des données démographiques, c'est-à-dire à partir

(7) Cité par Walter Nova, 1970: 43.

70

Page 73: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

de critères appelés «objectifs », doit déterminer cette répar-tition.

Figure 6

Crédits accordés sous le couvertde la loi d'expansion économique de 1966

(en millions de francs)

Wallonie Flandre Bruxelles Royaume

1967 5.738 8.917 191 14.846

1968 7.845 11.762 95 19.702

1969 (provisoire) 13.062 14.584 65 (estimation) 27.711

Total 26.645 35.263 351 62.259

0/0 Royaume 42,8 56,6 0,6 100,0

(Source: Nova, 1970: 37)

Dans la mesure où, comme nous venons de le souligner,une similitude dans les produits des activités économiques estun des facteurs du pluralisme, si cette répartition paritaireétait d'application, nous devrions la considérer comme un deces facteurs, parce qu'elle favorise cette similitude.

En résumé, nous pouvons dire que, du point de vue écono-mique, le déclin relatif de la Wallonie, dont le produit intérieurbrut par habitant est passé de 53.200 francs en 1955 à70.200 francs en 1968, l'essor de la Flandre, dont ce produitest passé de 45.200 à 72.200 francs, et le haut niveau écono-mique de Bruxelles par rapport aux deux autres régions (cemême produit y est passé de 74.500 à 111.500 francs), jouent,contrairement à ce qu'on pourrait penser à première vue,dans le sens inverse du pluralisme, parce qu'il y a déséquilibreéconomique entre les diverses collectivités.

Si notre schéma, mettant en rapport l'équilibre économiqueentre les différentes collectivités et un degré élevé de plura-lisme, se révèle être exact, nous devons nous attendre à ceque ce soit lorsque les niveaux économiques des collectivitéssont égaux que des institutionnalisés spécifiques à ces collec-tivités apparaissent. Or nous constatons justement que c'est

71

Page 74: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

à partir des années 65-66, années pendant lesquelles les pro-duits intérieurs bruts par habitant en Flandre et en Wallonieont été les plus proches, que la production de tels institution-nalisés s'est accélérée. Citons notamment le transfert de lasection francophone de l'Université Catholique de Louvain enWallonie, le dédoublement en une section francophone et unesection néerlandophone de l'Université Libre de Bruxelles etla révision de la Constitution belge dans le sens d'une décentra-lisation et d'une délimitation exacte de trois régions : Bruxel-les, Flandre et Wallonie.

D. Les facteurs culturels

Nous avons jusqu'à présent analysé quelques-uns des fac-teurs démographiques, sociaux et économiques du pluralisme.Voyons maintenant ce qu'il en est des facteurs culturels. Plusl'origine des traditions culturelles est éloignée, plus le degréde pluralisme est élevé. Selon Pierre van den Berghe, la Bel-gique, comme la Yougoslavie ou la Suisse, parce qu'elle estune société « où l'on trouve en nombre appréciable des ethniesqui sont clairement distinctes, mais qui possèdent néanmoinsune origine historique commune» (1967: 74), constitue uncas intermédiaire du pluralisme.

L'accumulation de deux ou plusieurs particularismes cul-turels dans une même catégorie détermine une propension àun degré élevé de pluralisme. En effet, si, dans une sociétéglobale, au particularisme linguistique des diverses catégoriessociales vient s'ajouter, par exemple, un particularisme reli-gieux, le degré de pluralisme de cette société risque d'êtreplus élevé que celui d'une société clans laquelle les catégoriessociales ne se distinguent que par leur particularisme linguis-tique, car à des instituants et à des institutionnalisés spéci-fiques de type linguistique viendront s'ajouter des instituantset des institutionnalisés de type religieux.

Dans le cas de la Belgique, le mouvement flamand a tou-jours affirmé que les Flamands étaient dans leur grandemajorité des catholiques, tandis que les Wallons étaient moinsreligieux. Même s'il est vrai que la proportion d'enfantsdans les écoles catholiques est plus grande en Flandre qu'enWallonie, il n'en reste pas moins que cette affirmation reste

72

Page 75: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

plus du domaine du stéréotype, jouant le rôle d'un processusidentificateur de la collectivité flamande, que de celui d'uneréalité objectivement analysée.

L'aspect idéologique du pluralisme doit aussi être considéré,notamment cette perception subjective des différences, réellesou imaginaires, des acteurs sociaux de chacune des collectivi-tés, mais également le système de valeurs se rapportant aupluralisme. Si celui-ci est considéré comme une richesse àpromouvoir, les collectivités auront tendance à multiplier desstructures objectivement différenciées, c'est-à-dire des insti-tutionnalisés spécifiques à chacune des collectivités, dont lafonction latente est de renforcer l'éloignement entre ces col-lectivités.

En Belgique, le pluralisme, dans la mesure où il permet deconsidérer comme naturelles la variété sociologique des milieuxsocio-politiques et l'autonomie de chaque personne humaine,est considéré comme une source de démocratie. Mais parcequ'il est valorisé, il permet la création d'institutions propres àchacune des collectivités et qui accroissent la distance socio-culturelle entre ces collectivités.

VI. Segmentarité et développement

Affirmer que tel ou tel pays est une société hétérogène ouune société plurale a peu d'utilité, si on ne prend pas conscienceque ces sociétés se développent différemment ou changentselon une logique qui leur est spécifique. A l'analyse syn-chronique, doit succéder l'analyse diachronique des types derelations possibles entre les diverses catégories au sein mêmede cette société.

Du point de vue structurel, nous pouvons classer les caté-gories linguistiques sur un continuum qui va de l'assimilationstructurelle au conflit, en passant par divers degrés d'inté-gration dont les principaux seraient l'accommodation focale etl'accommodation alterne. Ces différents niveaux structurels serapportent à la fois au type de relation et à la distance socialeentre les catégories linguistiques.

Nous parlerons d'accommodation, lorsque diverses catégoriessociales coexistent, sans se fondre en une nouvelle unité.L'accommodation focale a lieu lorsque les groupes en présence

73

Page 76: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

sont interdépendants et complémentaires à l'intérieur d'unemême structure sociale, dont ils constituent les pôles, chaquegroupe gardant son originalité. Il y a accommodation alternelorsque des individus d'une catégorie peuvent passer dans uneautre catégorie, bien qu'il existe toujours deux ou plusieurscatégories, les unes supérieures et majoritaires, les autresinférieures et minoritaires. La notion d'accommodation alternefait donc référence aux concepts de «groupe majoritaire» etde «groupe minoritaire ». Comme l'a souligné Louis Wirth(1957 : 349), il serait trop simpliste de définir ces conceptsen terme de nombre; l'existence d'une minorité dépend en effetplus d'une situation subjective, que d'une situation objective.Dans la mesure où l'accommodationcommel'intégration impli-

quent l'existence de plusieurs catégories dans une même struc-ture regroupante, nous pensons qu'il est légitime de les con-sidérer comme des concepts équivalents. Bien plus importanteest la distinction entre l'assimilation et l'intégration ou l'accom-modation. Elizabeth Sommerlad et John Berry (1970: 25)ont montré que dans l'assimilation, l'acteur social s'identifiedirectement à la société globale, tandis que dans l'intégration,c'est en tant que membre d'un groupe qu'il s'identifie à cettesociété (voir figure 7).

Figure 7

Schéma du rôle de l'identification pour distinguerl'assimilation de l'intégration

I.-S =lS

Assimilation Intégration

S = SociétéIG = Identification au groupe

1 = Individu.- = Processus d'identification

Une application politique de cette distinction peut êtretrouvée dans la différence existant entre un Etat fédéral et

74

Page 77: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

un Etat centralisé. Si l'Etat centralisé est du domaine de l'assi-milation, l'Etat fédéral est du domaine de l'intégration, dansla mesure où il résulte le plus souvent d'un mouvement decommunautés déjà constituées et désireuses de maintenir leurscaractères propres. Dans l'Etat fédéral, l'individu n'est pasdirectement en contact avec le Pouvoir central, comme l'exigela tradition jacobine, mais, c'est en tant que membre d'unecommunauté spécifique, dans laquelle s'accomplit son existenceréelle, qu'il participe à la vie nationale.En appliquant la distinction entre ces deux concept à la

société belge, nous pouvons dire, par exemple, que :

- les Wallons qui s'identifient au groupe wallon ont desattitudes favorables à l'égard de l'intégration et défa-vorables à l'égard de l'assimilation,

- tandis que les Wallons qui s'identifient au groupe belgeont des attitudes favorables à l'égard de l'assimilationet défavorables à l'égard de l'intégration.

Selon les évaluations recueillies par Pierre Servais (1970 :143), il semble que les Flamands ont des attitudes plus favo-rables que les Wallons à l'égard de l'intégration, dans lamesure où ils manifestent beaucoup plus que les Wallons leurattachement et leur appartenance à leur communauté.En règle générale, au niveau du processus d'intégration, les

groupes peuvent s'accorder le droit de manifester leurs diffé-rences aussi longtemps qu'elles ne mettent pas en causel'existence même de la société englobante, qu'elles ne conduisentdonc pas à une rupture de cette société. Notons que lorsqu'il y aintégration, nous pouvons parler de groupes ou mêmed'ethnies, et plus de catégories sociales, dans la mesure oùles concepts de groupe et d'ethnie se réfèrent à l'existenced'un principe d'identité, c'est-à-dire d'une conscience de soiet d'une volonté de vivre en commun.

Après le point de vue structurel, distinguons un point devue culturel. On peut en effet aussi classer l'ensemble desphénomènes qui résultent du contact entre des catégoriessociales sur un continuum qui va de l'assimilation culturelleà la résistance, en passant par l'adaptation de la contre-assi-milation cuturelle. Nous parlerons d'assimilation culturelle oud'acculturation, lorsque les membres d'une catégorie sociale ont

75

Page 78: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

les mêmes comportements culturels que ceux des membresde la société englobante. L'adaptation est la réinterprétationd'une culture à travers les patterns d'une autre culture. Sila résistance se situe au début d'un contact entre deux cultures,la contre-assimilation culturelle est un effort de retour enarrière, qui ne vient que lorsqu'une culture sent qu'elle vadisparaître; elle n'apparaît que lorsque l'assimilation a déjàcommencé et est donc pénétrée de valeurs nouvelles.

Il est évident que les processus que nous avons mis en evi-dence lors de la description du continuum structurel et ducontinuum culturel peuvent interférer l'un sur l'autre; l'assi-milation structurelle, par exemple, d'une catégorie linguistiquedans une autre passe par le processus d'assimilation cultu-relle ; de même, la contre-assimilation culturelle passe par leprocessus d'intégration ou d'accommodation.

Notre hypothèse est qu'à un type de société globale (homo-gène, hétérogène ou plurale) correspondent une partie du con-tinuum structurel et une partie du continuum culturel. Commel'a déjà suggéré Marie Haug (1967 : 303), sur un plan théori-que, nous pouvons considérer l'homogénéité, l'hétérogénéité etle pluralisme comme des variables indépendantes, dont la pré-sence ou l'absence dans une société donnée est relative et quidéterminent l'état des relations et la distance sociale entre lescatégories linguistiques (voir figure 8).

Figure 8

Schéma du rôle du degré de segmentarité pour distinguer l'étatdes relations entre les catégories sociales des points de vue structurel

et culturel

1Accomodation Accomodationalterne focale

1+----------------------------------------------------*11 HETEROGENEITE1

ConflitAssimilationstructurelle

PLURALISME HOMOGENEITE

+----------------------------------------------------*+----------------------------------------------------*Résistance Contre-assimilation Adaptation

culturelle1

AssimilationCulturelle

76

Page 79: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Ainsi, nous suggérons par hypothèse qu'une société homo-gène est une société qui se caractérise du point de vue struc-turel par l'assimilation structurelle, et du point de vue culturelpar l'assimilation culturelle. Nous pensons que notre pro-prosition se justifie, car l'homogénéité implique la nonexistence de groupes dans une société globale, c'est-à-direl'identification des acteurs sociaux à cette société et la ressem-blance des comportements culturels de ces acteurs, deux traitscaractéristiques de l'assimilation structurelle et culturelle.

De même, nous suggérons par hypothèse qu'une sociétéhétérogène est une société qui se caractérise du point de vuestructurel par l'accommodation focale ou l'accommodationalterne, et du point de vue culturel par l'adaptation ou lacontre-assimilation. On peut ainsi distinguer quatre types desociété hétérogène :

1. accommodation focale + adaptation,2. accommodation focale + contre-assimilation culturelle,3. accommodation alterne + adaptation,4. accommodation alterne + contre-assimilation culturelle

Notre proposition se justifie dans la mesure où une sociétéhétérogène est une société qui implique l'existence d'une multi-plicité de groupes qui sont intégrés par leur spécialisationfonctionnelle (on parle alors d'accommodation) et par un mini-mum de valeurs communes (on parle alors de contre-assimi-lation culturelle ou d'adaptation).

Enfin, nous suggérons par hypothèse qu'une société pluraleest une société qui se caractérise du point de vue structurelpar la contre-assimilation ou la résistance. On peut ainsidistinguer aussi quatre types de société plurale:

1. accommodation alterne + contre-assimilation culturelle,2. accommodation alterne + résistance,3. conflit + contre-assimilation culturelle,4. conflit + résistance.

L'accommodation alterne peut caractériser tantôt des sociétéshétérogènes, tantôt des sociétés plurales (ce qui témoigne bienla proximité de ces deux types de société). Mais, tandis que,dans les sociétés hétérogènes, le (s) groupe (s) minoritaire (s)légitime(nt) l'autorité du ou des groupes majoritaires, dans les

77

Page 80: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

sociétés plurales, le(s) groupe(s) minoritaire(s) la consi-dère(nt) comme dominatrice et provoquante.

Dans notre modèle d'analyse, l'état des relations entre lescatégories sociales, et dans notre cas les catégories linguisti-ques, est considéré comme théoriquement dépendant du carac-tère homogène, hétérogène ou plural de la société englobante,c'est-à-dire de la concordance ou de la spécificité des « momentsd'universalité, de particularité ou de singularité» des institu-tions de ces catégories linguistiques.

VII. En guise de conclusion

Nous pensons que le modèle d'analyse que nous avons pré-senté, et son application à la société belge offrent une chancede progresser dans l'explication des relations entre les groupeslinguistiques. Mais, au stade où nous sommes resté, notremodèle reste exploratoire, exigeant une critique et une évalua-tion rigoureuse. Ce ne sera évidemment qu'après une recher-cherche sur le terrain que nous pourrons déterminer si laBelgique doit toujours être considérée comme une société hété-rogène ou déjà comme une société plurale, au niveau desgroupes linguistiques, et analyser ainsi l'état des relationsexistantes et possibles entre ces groupes.

Néanmoins, si jusqu'à présent il ne semble pas que l'une oul'autre institution de base se différencie au niveau de l'institu-tionnalisé selon les collectivités, des symptômes de pluralisa-tion existent, notamment et à titre d'exemples, l'emploi d'unelangue spécifique pour la collectivité flamande et la collectivitéfrancophone, la création de deux Conseils culturels, dont cer-tains décrets ont force de loi dans la région à laquelle ils sontrattachés, et en règle générale une décentralisation de bonnombre de grandes administrations et d'associations politi-ques, culturelles et syndicales par collectivité. On peut alorsse demander si cette décentralisation se fera autour de deuxcollectivités (wallonne et flamande) ou autour de trois ou qua-tre collectivités (wallonne, flamande, bruxelloise et allemande).

Bref, que a Belgique soit une société hétérogène en voie depluralisation, du point de vue des groupes linguistiques, n'estqu'une hypothèse de travail, qu'une première approximationnous a permis de mettre en évidence, mais qui devrait être

78

Page 81: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

vérifiée empiriquement. Cependant, parmi les divers facteursdu pluralisme que nous avons indiqués, si quelques-uns jouentpositivement, d'autres, plus nombreux peut-être, jouent néga-tivement et sont donc en faveur du maintien de l'existencedu caractère hétérogène de notre société. Parmi les facteurspositifs du pluralisme, rappelons la grandeur numérique rela-tivement faible de la Wallonie par rapport à la Flandre et laconcentration géographique des collectivités du point de vuedémographique, l'existence de mécanismes de distance socialeentre celles-ci et l'importance croissante prise par les margi-naux organisationnels du point de vue social, et le fait quele pluralisme est considéré comme une richesse à promouvoir,car ses dysfonctions ne sont pas encore clairement apparues,du point de vue idéologique.

Dans la figure 8, la Belgique pourrait être ainsi classéesur notre continuum au point de rencontre entre société hété-rogène et société plurale, point de rencontre, mais aussi pointchaud, car il est le centre d'un conflit entre la logique desrapports entre les groupes dans une société hétérogène et unesociété plurale. Ce moment dialectique où ces rapports secaractérisent par l'accommodation alterne et la contre-assimi-lation culturelle, vu Son caractère transitoire, est par essenceinstable. Suivant que nous allons vers une société plurale ouvers une société hétérogène, nous devons nous attendre à ceque les rapports entre les groupes se caractérisent par le con-flit et la résistance ou par l'accommodation focale et l'adap-tation.

Nous pensons que notre modèle d'analyse attire l'attentionsur le fait qu'une société est en crise, non pas lorsqu'ellene change pas, mais lorsqu'elle change trop, c'est-à-direlorsqu'elle passe d'un type de rationalité dans les rapportsentre les groupes à un autre, autrement dit de l'homogénéitéà l'hétérogénéité, ou de l'hétérogénéité au pluralisme. Le pas-sage de l'un à l'autre dépend de la capacité d'instituer desgroupes linguistiques en présence, capacité qui est elle-mêmedéterminée par des facteurs démographiques, sociaux, écono-miques et culturels, et qui détermine les types de relations pos-sibles entre les groupes. Dans le cas de la Belgique, le pro-blème communautaire ne semble donc pas être tant un retardde nos institutions par rapport à une complexité sociale crois-

79

Page 82: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

sante, mais semble être au contraire une accélération du nom-bre des investissements institutionnels et de leur qualité, c'est-à-dire de leur caractère spécifique ou général, dans la mesureoù, grâce à leur environnement sociétal, les groupes linguisti-ques peuvent institutionnaliser des solutions à des problèmesdont la grande majorité des acteurs sociaux n'a pas encorepris conscience.

Nous ne voulons pas opposer une théorie du conflit (ou unethéorie du pluralisme) à une théorie de l'intégration (ou unethéorie de l'hétérogénéité), car le conflit peut déjà existerdans une société hétérogène. Mais alors que dans les sociétéshétérogènes le conflit peut être rapidement résolu, si tous lesacteurs sociaux qui appartiennent aux différents groupes enprésence admettent la règle démocratique du pouvoir au plusgrand nombre, dans les sociétés plurales, le conflit restantlatent, des mécanismes spéciaux de régulation de ce conflitdoivent être mis en place au niveau de la société englobante,pour que ce conflit ne dégénère pas en lutte directe.

Références bibliographiques

BASTIDE R.,1971 Anthropologie appliquée, Payot, Paris.

DE BlE P.,1965 «Aspects socio-culturels des classes sociales ascen-

dantes en Belgique », Cahiers Internationaux de So-ciologie, vol. XXXIX: 91-109.

CARDIS F.,1964 Fédéralisme et intégration européenne, Centre de

Recherches Européennes, Université de Lausanne,Lausanne.

COPPIETERS F.,1972 Les problèmes communautaires en Belgique, Institut

Belge d'Information et de Documentation, Bruxelles.

DURKHEIM E.,1963 Les règles de la méthode sociologique, Presses Univer-

sitaires de France, Paris.

FISHMAN J.,1971 Sociolinguistique, Editions Labor, Bruxelles.

80

Page 83: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

FURNIVALLJ.1948

GROOTAERSJ.,1963

GUMPERZJ.,1964

HAUG M.,1967

LA,PASSAD.EG.,1971

LOURAUR.,19691970

MERTONR.,1965

Colonial policy and practice, Cambridge UniversityPress, London.

« Approche sociologique de la question linguistique »,Revue Nouvelle, n" 10 : 303-314.

e Linguistic and social interaction in two communi-ties », American Anthropologist, nO 2 : 37-53.

« Social and cultural pluralism as a concept in socialsystem analysis », American Journal of Sociology,nv 3 : 294-304.

«L'analyse institutionnelle », L'Homme et la Société,nv 19 : 185-192.

L'institut contre l'institué, Editions Anthropos, Paris.L'analyse institutionnelle, Editions de Minuit, Paris.

Eléments de théorie et de méthode sociologique, Plon,Paris.

MEYNAUDJ. et alii,1965 La décision politique en Belgique, Cahiers de la Fon-

dation Nationale des Sciences Politiques, Colin, Paris.

NOVAW.,1970 Dossier pou?' un gouvernement wallon, Editions de

la Fondation André Renard, Liège.

SElLER D. et RAES J.,1970 Idéologies et citoyens. Analyse d'un échantillon de

l'électorat wallon, Editions Vie Ouvrière, Bruxelles.

SERVAISP.,1970

SMITH M.,1965

« Le sentiment national en Flandres et en Wallonie »,Recherches Sociologiques, vol. I, nv 2: 123-144.

«Social and cultural pluralism » dans VAN DENBERGHE P., Africa, social problems of change andconflici, Chandler Publ. Co, San Francisco: 58-76.

SOMMERLADE. et BERRY J.,1970 «The role of ethnie identification in distinguishing

between attitudes towards assimilation and integra-

6 81

Page 84: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

tion of a minority racial group s, Human Relations,n° 1: 23-29.

TOURAINE A.,

1965 Sociologie de l'action, Editions du Seuil, Paris.VAN DE KERCKHOVE J.,

1971 «Pluralist society in new perspective », Sociologicalcontributions from Flamâere, 1969-1970, OrganisatieVoor Vlaamse Sociologen, Antwerpen.

VAN DEN BERG HE P.,1967 «Pluralisme social et culturel), Cahiers Internatio-

naux de Socioloçie, vol. XLIII: 67-68.

WIRTH L.,1957 «The problem of minority group, dans LINTON R.,

The science of man in the world crieis, Columbia Uni-versity Press, New-York: 347-372.

82

Page 85: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

LE CHOIX D'UNE ECOLE CATHOLIQUE

par

Gerard DEPREZ

Selon la logique du pluralisme institutionnel quiexiste en Belgique, en matière d'enseignement, lechoix d'un réseau d'enseignement est d'abord uneaffaire de convictions religieuses ou philosophi-ques. L'objet de cet article est de voir dans quellemesure ce schéma correspond à la réalité, en cequi concerne en particulier le choix d'une écolecatholique.

Le matériau empirique est constitué par lesréponses de 304 pères de famille dont un fils aumoins avait suivi en 1967 les cours de premièreannée de l'enseignement secondaire dans un éta-blissement situé en Wallonie.

L'analyse des caractéristiques objectives desparents qui envoient leurs enfants dans une écolecatholique suggère que le choix d'une telle écoleest influencé par plusieurs fadeurs, parmi lesquelsla position sociale de la famille.

La question est ainsi posée de savoir dans quellemesure le choix d'une école catholique n'est pasautant influencé par la position du père de familledans la structure sociale que par l'intensité de sesconvictions religieuses.

1. Position du problème

Le pluralisme institutionnel, en particulier en matièred'enseignement, est une des caractéristiques marquantes dela société belge. Par pluralisme institutionnel, on fait référenceà l'existence au sein de la société, de plusieurs ensemblesd'institutions largement, sinon totalement autonomes les unspar rapport aux autres, qui se partagent la réalisation d'unobjectif formellement identique, à savoir: l'éducation, la santé,

83

Page 86: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

la solidarité ... (1) Dans un article précédent (Deprez, 1970),il a été suggéré qu'une telle situation renvoie à ce qu'on peutappeler le problème de l'intégration morale d'une société. Lepluralisme institutionnel manifeste tout à la fois et corréla-tivement:- l'importance sinon le privilège accordé dans la société à

la fonction d'endoctrinement ;- l'existence d'un désaccord sur les contenus à transmettre

dans l'exercice de cette fonction.La question fondamentale posée par le pluralisme institu-

tionnel consiste à se demander quel est le nombre et la naturedes systèmes institutionnels en présence. Cette question nepeut en effet être résolue à-priori, indépendamment des objec-tifs précis de l'analyse. Une étude qui s'intéresserait parexemple aux processus de décision en matière d'implantationsou de nominations de personnel devrait, dans le domainescolaire, tenir compte de l'existence d'au moins quatre grandsréseaux (le réseau d'Etat, le réseau libre, le réseau provincial,le réseau communal). Du point de vue qui nous occupe cepen-dant la représentation du système institutionnel comme sys-tème dualiste semble la plus opportune.

Nous sommes en effet intéressé par le fait de savoir quelssont les parents qui placent leurs enfants dans tel réseaud'institutions plutôt que dans tel autre et pour quelles raisonsils agissent ainsi. De ce fait, nous sommes tenus de prendrecomme hypothèse de départ le principe qui préside formelle-ment au fonctionnement du pluralisme institutionnel: ce prin-cipe formel c'est, dans l'état actuel des choses, le libre choixdu père de famille.Que faut-il entendre par cette expression ? Pour répondre

précisément à cette question, il est nécessaire de se référer auxtextes qui sont à la base de l'organisation actuelle du systèmeinstitutionnel: le Pacte scolaire du 20 novembre 1958 et la

(1) La notion de pluralisme institutionnel est d'usage courant en Bel-gique. ElIe y est d'aiIIeurs utilisée dans un sens conforme à certainesapproches théoriques dans le domaine sociologique et ethnologique. Ainsi,par exemple, P. Van den Berghe (1967 : 69-71) définit le pluralisme par« le caractère segmentaire des collectivités ou groupements et la poly-morphie des institutions». Le modèle proposé par J. Lefèvre (1972), quidistingue entre société homogène, société hétérogène et société plurale, encomplétant l'approche fonctionnaliste à la lumière de l'analyse institution-neIle, va dans le même sens.

84

Page 87: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

loi du 29 mai 1959. Selon ces textes, le libre choix des parentsrepose sur la réalisation pratique de deux conditions :

1. «Le droit des parents de choisir le genre d'éducation deleurs enfants implique la possibilité de disposer à unedistance raisonnable d'une école correspondant à leur choix.Indépendamment du droit qui lui accorde l'article 3, pre-mier alinéa, (2) l'Etat pour respecter le libre choix desparents est obligé:- à la demande des parents qui désirent un enseignement

non confessionnel et ne trouvent pas à une distanceraisonnable une école dont au moins les deux tiers dupersonnel sont titulaires d'un diplôme de l'enseignementnon confessionnel, soit d'ouvrir une école d'Etat ou unesection d'école d'Etat, soit d'assumer les frais de trans-port vers une telle école ou section, soit d'admettreaux subventions une école libre non confessionnelleexistante.à la demande des parents qui désirent un enseignementconfessionnel et ne trouvent pas à une distance rai-sonnable une école dont au moins les deux tiers du per-sonnel sont titulaires d'un diplôme de l'enseignementconfessionnel, d'admettre aux subventions une écolelibre confessionnelle existante ».

2. «Dans les établissements officiels d'enseignement primaireet secondaire de plein exercice, l'horaire hebdomadaire com-prend au moins deux heures de religion et deux heuresde morale ...Le chef de famille, le tuteur ou la personne légale à qui estconfié la garde de l'enfant est tenu, lors de la premièreinscription d'un enfant, de choisir pour celui-ci, par décla-ration signée, le cours de religion ou le cours de morale ».(Moniteur Belge, 19 juin 1959).Ainsi qu'il ressort des textes qui précèdent, la dimension

fondamentale du libre choix consiste, pour le père de famille,

(2) Aux termes de l'article 3, premier alinéa: « L'Etat organise unenseignement gardien, primaire, moyen normal, technique et artistiqueet crée, là où le besoin s'en fait sentir, les établissements et sectionsd'établissements nécessaires à cet effet». (Moniteur Belge, 19 juin 1959).

85

Page 88: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

dans la possibilité pratique de choisir entre un établissementconfessionnel et un établissement non confessionnel. Il importedonc de définir le contenu des branches de l'alternative.Par établissement confessionnel, il faut entendre un établis-

sement scolaire dont l'objectif explicite est d'éduquer et deformer les enfants en conformité avec les valeurs et les normesd'une confession religieuse déterminée. Pour utiliser le langagede P. Bourdieu (1966) et sans y mettre aucune nuance préjo-rative, il s'agit d'établissements qui visent à un «endoctrine-ment» religieux spécifique (3). Dans notre pays, les écolesconfessionnelles sont quasi exclusivement des écoles catho-liques.

Réserve faite des écoles officielles confessionnelles dont ilsera question plus loin, la plupart des écoles catholiques sontdites libres, c'est-à-dire qu'elles sont organisées par des per-sonnes privées. En fait, dans la quasi totalité des cas, ce sontdes congrégations religieuses ou les autorités ecclésiastiqueslocales ou diocésaines qui constituent les pouvoirs organisa-teurs. Dans ce sens, on peut dire que l'école libre catholiqueest une institution d'Eglise. «L'enseignement catholique estune expression de la sollicitude qui anime toute l'Eglise àl'égard des jeunes générations et de l'établissement duRoyaume de Dieu sur terre. L'école catholique forme un milieudans lequel les éducateurs, pénétrés de l'esprit du Christ,aident les jeunes à réaliser leur croissance selon les exigenceshumaines et chrétiennes. Sa marque spécifique est de donnerune orientation religieuse. Le Christ vit en elle: Il imprègneaussi bien les éducateurs et les élèves que la vie communau-taire de toute l'institution; »... L'éducateur catholique areçu un mandat de l'Eglise pour transmettre les vérités révé-lées par le Christ et les conséquences qui en découlent. Toutle travail d'éducation et d'enseignement est donc à mettre sousle signe de la conception chrétienne de la pédagogie ».(Suenens, L. J. et alii, 1964)On le voit, l'orientation, l'esprit, le climat d'une école catho-lique ne souffrent, au niveau des principes, d'aucune ambiguïté.

Il n'en va pas de même par contre pour les établissements

(3) Par endoctrinement, on fait référence ici à l'ensemble des actionsqui, dans un contexte institutionnel précis, ont pour but de faire intérioriserpar les membres les principes d'une doctrine, quelle qu'elle soit.

86

Page 89: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

non confessionnels, seconde branche du libre choix. La manièrela plus simple de procéder serait sans doute de dire que lesécoles non confessionnelles regroupent toutes celles quin'appartiennent pas à la première catégorie. Mais cette défi-nition purement négative, outre qu'elle tend à faire croireque le choix d'une telle école est seulement l'expression d'unrefus ou l'absence d'un choix positif, ne fournit aucune indi-cation sur le contenu concret de la non confessionnalité ousur les formes possibles de celle-ci. Pour aboutir à une défini-tion plus positive, il importe de préciser les différences quiexistent entre les notions d'enseignement non confessionnel,d'enseignement neutre et d'eseignement officiel.L'enseignement officiel est celui qui est organisé par l'Etat,

les provinces, les communes, les associations de Communes oupar toute personne de droit public. L'ensemble de l'enseigne-ment officiel est soumis, du point de vue «idéologique» aurégime organisé par l'article 8 de la loi du 29 mai 1959, àsavoir qu'il doit organiser le choix pour le père de familleentre le cours de religion et le cours de morale. Cela ne permetpas cependant de définir la totalité de l'enseignement officielcomme un enseignement non confessionnel.En effet, il faut distinguer à cet égard l'enseignement orga-

nisé par l'Etat et celui qui est organisé par les pouvoirssubordonnés. L'enseignement d'Etat est nécessairement neu-tre. Par contre, l'enseignement organisé par les provinces etpar les communes peut être réparti en trois catégories :- l'enseignement officiel confessionnel;- l'enseignement officiel non confessionnel engagé;- l'enseignement officiel non confessionnel neutre.

Cette situation a été expressément consacrée par les négo-ciateurs du Pacte scolaire qui, s'ils ont établi l'obligation théo-rique d'organiser le choix entre la religion et de morale, ontcependant laissé aux pouvoirs subordonnés le droit de nommerle personnel enseignant en toute liberté et d'organiser unenseignement ou neutre, ou engagé, dans un sens ou dansl'autre. Ainsi une administration communale a-t-elle le droit,par exemple, de décider explicitement que les écoles qu'elleorganise sont des écoles d'inspiration catholique et de choisirle personnel enseignant en conséquence. C'est d'ailleurs la com-

87

Page 90: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

position du corps enseignant qui a été retenue comme critèrelégal pour déterminer le caractère idéologique des établisse-ments organisés par les pouvoirs subordonnés : selon qu'il y aou non les deux tiers au moins du personnel d'un établisse-ment qui sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement nonconfessionnel, cet établissement est lui-même considéré commenon confessionnel ou comme confessionnel.II ressort de ce qui précède que l'orientation ou le climat

idéologique de l'enseignement officiel est caractérisé par uneprofonde hétérogénéité. Même si l'on accepte de faire abstrac-tion de l'enseignement public confessionnel en l'assimilant aureste de l'enseignement catholique, il n'est pas possible de défi-nir l'orientation «doctrinale» de l'enseignement officiel nonconfessionnel à l'aide d'un concept positif univoque: mêmed'un strict point de vue légal, le concept de neutralité nesuffit pas à lui seul à rendre compte de la situation réelle.

On peut cependant soutenir raisonnablement la thèse selonlaquelle la neutralité «idéologique» constitue pour l'enseigne-ment officiel non confessionnel le pôle positif de référence. Entant que service public, l'enseignement officiel s'impose derespecter toutes les convictions philosophiques ou religieusesdes parents dont les enfants leur sont confiés.

Au niveau des principes, cette tendance à la neutralité peutse définir dans les termes suivants: «La neutralité impliquepour le maître, le refus de témoigner devant ses élèves enfaveur d'un système religieux ou philosophique quel qu'il soit.Se refusant dans l'intérêt bien compris de la chose publique, àmettre en cause n'importe quelle croyance ou conviction,proscrivant tout prosélytisme déclaré ou caché, aussi bien dela part des enseignants que de la part des élèves, l'école neutre,dans un climat positif fonde son enseignement sur la diversitéreconnue des idées ... Il s'agit en somme de donner aux jeunesune ouverture d'esprit à la pluralité des valeurs qui constituentl'humanisme occidental... L'école neutre contribue ainsi à déve-lopper l'esprit de tolérance et à préparer les jeunes à leurtâche future de citoyens qui, bien que d'appartenance philo-sophique ou politique variée, sont appelés à collaborer frater-nellementà l'édification d'un monde meilleur (Commission per-manente du Pacte Scolaire, 1970).

Cependant, si la neutralité constitue le principe positif de

88

Page 91: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

légitimation de l'enseignement non confessionnel, on doit recon-naître également que celui-ci est caractérisé par un pôle néga-tif, ou si l'on veut, par une tendance purement privative. Eneffet, du point de vue de critères organisationnels précis,l'enseignement officiel non confessionnel peut être décritcomme un ensemble d'organisations dans lequel le fait catho-lique est objectivement minorisé. Ainsi, le ministère de l'Edu-cation nationale est-il quasi automatiquement dévolu, mêmedans les gouvernements que dominent les partis confessionnels(P.S.C. - C.V.P.), à des personnalités du monde non catholique.Ainsi également, a-t-on fait admettre que les établissementsnon confessionnels ne devraient pas avoir dans leur corpsenseignant plus d'un tiers de diplômés de l'enseignement catho-lique. Il sort du cadre de notre propos de faire l'analyse desprocessus qui permettent de rendre compte de cette situation.Cependant, on peut suggérer que la minorisation objective dufait catholique dans l'enseignement public non confessionnelest corrélative et de la position dominante de l'enseignementcatholique au niveau de la société globale et de l'hostilité anté-rieure des catholiques à l'égard de l'enseignement public.

En résumé, le système actuel du pluralisme institutionnela pour objectif d'assurer le libre choix des parents entre:- un enseignement catholique homogène ou exclusif.- un enseignement non confessionnel dont l'orientation idéo-

logique oscille entre un pôle positif de neutralité et unpôle privatif de minorisation du fait catholique.

Selon la logique du pluralisme institutionnel, le choix d'unétablissement scolaire est d'abord une affaire de convictionsreligieuses ou philosophiques. L'enseignement confessionnellibre est subsidié pour permettre aux parents qui désirent unenseignement homogène catholique de disposer des établisse-ments nécessaires; l'enseignement public non confessionnel estorganisé de façon à satisfaire les préférences de tous les autresparents et en particulier, par la force des choses, de ceux quidésirent un enseignement non catholique.

On peut cependant se poser la question de savoir si l'élément«idéologique» est le seul élément ou même l'élément déter-minant qui préside au choix des parents. Selon la logique dulibre choix, la préférence donnée à l'enseignement catholiqueserait avant tout le signe d'une motivation religieuse exclu-

89

Page 92: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

l'live; par ailleurs et corrélativement, le choix d'une école nonconfessionnelle signifierait normalement une conviction noncatholique ou une attitude religieuse plus ouverte.Ce schéma correspond-il à la réalité? C'est la question à

laquelle cet article s'efforcera de répondre.

II. Les caractéristiques de l'échantillon

Pour expliquer les caractéristiques de l'échantillon, il importetout d'abord de préciser que les résultats sur lesquels se fondecette analyse constituent une sorte de sous-produit d'uneenquête de portée plus générale. L'objectif fondamental decette enquête était en effet d'étudier la problématique duchoix des études secondaires, en s'efforçant de préciser lapart respective des contraintes objectives et des systèmesde valeurs dans la détermination des projets de carrière sco-laire que les parents font à propos de leurs enfants (4).Les caractéristiques de l'échantillon ont été déterminées en

fonction de cet objectif général et aussi, de manière nonmoins contraignante, en fonction des ressources disponibles.L'intention initiale était d'étudier le problème du choix desétudes secondaires dans toute la Wallonie. Toutefois, pourlimiter les frais d'enquêtes dûs à une trop grande dispersiongéographique de l'échantillon, il a été décidé de restreindrela population de l'étude à trois grandes régions: la provincede Hainaut, la province de Namur, l'arrondissement de Nivelles(soit la région du Brabant wallon).On peut cependant considérer que cette délimitation ne met

pas fondamentalement en cause la représentativité de l'échan-tillon par rapport à la Wallonie toute entière. En effet, laprovince de Hainaut présente dans le domaine de l'enseigne-ment nombre de traits structurels comparables à ceux de laprovince de Liège, tandis que la province de Namur peut, sansforcer les choses, être considérée comme très proche de laprovince de Luxembourg. De ce fait, les résultats de l'enquêtepeuvent être étendus dans une très large mesure à l'ensem-

(4) Le choix des études secondaires est une étude menée sous la directionde P. de Bie par C. Leplae, G. Deprez et J. Nizet; les résultats sonten cours de publication.

90

Page 93: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

ble de la Wallonie, même si, au sens le plus strict, ils ne sontreprésentatifs que de la région prise en considération.

Cette délimitation géographique étant établie, et comptetenu des moyens disponibles, il a été décidé de limiter lenombre des sujets interviewés à 300 personnes (5). Celles-ciont été identifiées de la manière suivante :1. Tirage au sort de 31 établissements (1 sur 4).

On a établi un inventaire complet de tous les établisse-ments qui, dans l'aire géographique retenue, dispensaientun enseignement pour garçons en première année du cyclesecondaire inférieur (de formation générale, technique, ouprofessionnel); un classement alphabétique a ensuite étéconstitué, lequel a servi de base à l'élaboration d'une sommecumulée des effectifs, chaque établissement étant ainsiidentifié par un ensemble de numéros correspondant àl'importance de sa population scolaire; le tirage des éta-blissements s'est fait au moyen de tables aléatoires.

2. Tirage au sort des sujets.Au sein de chacun des établissements retenus, il a été pro-cédé au tirage aléatoire d'un nombre d'élèves proportionnelà l'importance de la population de l'établissement par rap-port à la population totale des 31 établissements; pourchaque élève, on a également tiré au sort deux remplaçantsde façon à pouvoir faire face aux refus éventuels. L'identi-fication des pères de famille a été faite à partir des fichiersdes établissements que toutes les directions concernées ontaccepté de mettre à la disposition des enquêteurs - cedont nous les remercions vivement.En résumé, l'échantillon est constitué par 304 pères de

familles dont un fils au moins avait suivi en 1967, les coursde première année de l'enseignement secondaire, dans un éta-blissement situé en Wallonie, et plus précisément dans la pro-vince de Hainaut, dans la province de Namur ou dans l'arron-dissement de Nivelles.

(5) En fait, 304 personnes ont été interviewées, un enquêteur ayantinterrogé à la fois les sujets retenus et leurs premiers remplaçants. Il aété décidé de prendre en considération les 4 interviews supplémentairesqui ont résulté de cette démarche.

91

Page 94: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

III. L'analyse des résultats

A. L'influence des convictions religieuses

Dans la logique du pluralisme institutionnel, on doit s'atten-dre à ce que le choix d'une école catholique soit étroitementlié à l'intensité des convictions religieuses du père de famiIIe.En vue de tester l'importance de cette relation, chaque sujetde l'échantillon a été classé sur une échelle d'intégration reli-gieuse à trois niveaux :

forte intégration : assitance à la messe dominicale ou pen-dant la semaine et communion fréquente sans qu'elle soitpourtant hebdomadaire;

intégration modérée ou faible : assistance à la messe domi-nicale et communion pascale, ou assistance irrégulière àà la messe et participation sacramentelle épisodique, ouencore pratique saisonnière sans participation sacramen-telle;

intégration nulle: ni pratique, ni communion.La relation entre le degré d'intégration religieuse du père de

famille et le choix du type idéologique d'établissement estdonnée au tableau I.

Tableau 1

Pourcentages de choix d'un établissement catholique ou officielselon le degré d'intégration religieuse du père de famille *

Degré d'intégration Type idéologique Totalreligieuse du père de l'établissement % N

catholique officiel

Fort 78,3 21,7 100 46Moyen 58,2 41,8 100 110Nul 26 74 100 104

N == 260; X2 = 41,56; P < .001'" Le terme « officiel l> peut être considéré comme synonyme du terme

«non confessionnel»; en effet, après vérification, aucun établissementofficiel de l'échantillon ne s'est révélé être confessionnel.

92

Page 95: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

La relation indiquée par les résultats est très claire: au furet à mesure que le degré d'intégration religieuse du pères'intensifie, la probabilité pour un enfant d'être placé dans unétablissement catholique s'accroît. Cependant, si la physiono-mie générale des résultats est très nette, deux phénomènes nemanquent pas de surprendre. Le pourcentage des pères defamilles très catholiques qui placent leur fils dans une écoleofficielle (22 %, soit plus de 1 sur 5) paraît assez élevé. Eneffet, si l'on sait l'importance que les autorités ecclésiastiquesaccordent à la fréquentation d'un enseignement catholique (6)et si l'on admet que les catholiques fortement intégrés àl'Eglise sont les plus enclins à respecter ses valeurs et sesnormes, la fréquence des choix «non conformes» est remar-quable. Mais ce qui est plus surprenant encore, c'est que plusdu quart des pères de famille dont l'intégration à l'Eglise estnulle (il s'agit, rappelons-le, de sujets qui ne s'approchentjamais des sacrements et qui ne vont jamais à la messe)envoient leurs enfants dans une école catholique.

Une explication possible de ce dernier phénomène pourraitêtre recherchée dans les convictions religieuses de l'épouse.En effet, on pourrait supposer, par exemple, que les pères defamilles dont le degré d'intégration à l'Eglise est nul et quienvoient leur enfant dans une école catholique agissent ainsisous l'effet des convictions religieuses de leurs épouses. Lesrésultats du tableau II ne permettent pas de soutenir une tellehypothèse.

Certes les convictions religieuses de l'épouse ne sont passans influence sur le choix du type idéologique d'établissementquand leur intensité est supérieure à celle des convictions dumari. Il reste vrai toutefois qu'un quart environ des enfantsdont les parents n'ont aucune intégration à l'Eglise sont placésdans des établissements catholiques.

(6) Le 28 mai 1970, les évêques de Belgique ont fait une déclaration danslaquelle is ont réaffirmé l'importance et la valeur toujours actuelle del'école catholique pour l'éducation chrétienne: «Dans notre société plura-liste, l'école confessionnelle est plus que jamais nécessaire, elle est la mieuxà même d'initier les jeunes aux vérités et aux motivations profondes dela vie chrétienne» (souligné par nous). (SUENENS, L. J. et alii, 1970)

93

Page 96: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 2

Pourcentages de choix d'un établissement catholique ou officielselon le degré d'intégration religieuse de l'époux d'une part,

de l'épouse d'autre part

Degré Degré d'intégration Type idéologique Totald'intégration religieuse de l'épouse de l'établissement 0/0 Nreligieuse de l'époux catholique officiel

Fort 79,5 20,5 100 44Fort Moyen (-)* (-) 100 2

Nul -** 100

Fort 80,9 19,1 100 21Moyen Moyen 54,8 45,2 100 84

Nul (-) (-) 100 4

Fort 37,5 62,5 100 8Nul Moyen 29,2 70,8 100 24

Nul 23,6 76,4 100 70

N = 257.••Le sigle ( ) correspond à des cases où le nombre des cas est trop petitpour obtenir des résultats statistiquement significatifs.

**Le sigle - correspond à des cases vides.

B. L'influence de la socialisation institutionnelle des époux

Plusieurs études ont mis en évidence l'influence du typeidéologique d'enseignement suivi par les élèves ou par lesétudiants sur certains aspects de leur comportement socialultérieur (Dobbelaere, 1968 ; Lambrechts et Henryon, 1970).Ces études suggèrent l'interprétation selon laquelle l'enseigne-ment suivi exerce son influence par le biais de la socialisation« idéologique» spécifique à laquelle les institutions soumettentleurs membres. Dans le cadre de cette recherche, la théoriede la socialisation institutionnelle tendrait à expliquer le choixpar les parents d'une école catholique ou d'une école officielleà partir du caractère idéologique de l'établissement qu'ils onteux-mêmes fréquenté dans leur jeunesse. Les résultats dutableau 3 permettent de voir quelle est l'importance de larelation entre les choix actuels et les situations antérieures.

94

Page 97: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 3

Pourcentages de choix d'une école catholique ou d'une école officielled'après la socialisation institutionnelle des parents

Socalisation institution,nelle des époux *

Type idéologiquede l'établissement

fréquenté par l'enfantcatholique officiel

Total% N

Homogène catholiqueHétérogèneHomogène officiel

72,351,423,1

27,748,676,9

100100100

6514291

N = 298; X2 = 38.68; P < .001* La catégorie «homogène catholique» regroupe les couples dont les deuxconjoints ont fréquenté exclusivement l'enseignement catholique; lacatégorie «homogène officiel» ceux qui n'ont fréquenté que l'enseigne-ment officiel ; la catégorie «hétérogène» regroupe tous les autres cas.

Tableau 4

Pourcentages de choix d'un établissement catholique ou officield'après le degré d'intégration religieuse du coupleet le type de socialisation institutionnelle de celui-ci

Degré d'intégrationdu couple

Type de socialisation Type idéologiqueinstitutionnelle de l'établissement

catholique officiel

Total% N

FortHomogène catholique 88,5 11,5 100 26Hétérogène 77,1 22,9 100 35Homogène officiel (60) (40) 100 4

Homogène catholique 78,6 21,4 100 14Hétérogène 63,8 36,2 100 47Homogène officiel 26,5 73,5 100 34

Homogène catholique 50 50 100 20Hétérogène 25 75 100 36Homogène officiel 13,5 86,5 100 37

Moyen

Nul

N = 254

Nous savons cependant, pour l'avoir vérifié aux tableauxprécédents, que l'association est étroite entre les convictionsreligieuses des parents et le choix du type idéologique de

95

Page 98: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

l'établissement. De ce fait, il importe de savoir si la relationconstatée entre le type idéologique de l'établissement fré-quenté par les parents et celui de l'établissement choisi pourl'enfant n'est pas imputable aux convictions religieuses elles-mêmes des parents. En d'autres termes, il importe de savoirsi la socialisation institutionnelle des parents exerce un effetspécifique quand on introduit le niveau d'intégration dansl'église comme variable de contrôle.Les résultats du tableau 4 permettent de conclure que les

deux variables exercent une influence spécifique: à chaqueniveau d'intégration religieuse du couple, le type de socialisa-tion institutionnelle exerce un effet; par ailleurs, à l'intérieurd'un même type de socialisation institutionnelle, les convictionsreligieuses ont une influence propre.

Le fait de n'avoir fréquenté que des établissements catho-liques accroît à tous les niveaux d'intégration religieuse, laprobabilité que les parents placent de nouveau leur enfantdans une telle école; l'influence de la fréquentation antérieureexclusive d'établissements catholiques est particulièrementforte chez les parents dont le niveau de catholicité est bas:leurs enfants ont 1 chance sur 2 d'aller dans une école catho-lique soit le double de la moyenne de leur catégorie.L'influence de la fréquentation d'une école officielle apparaît

avec autant de netteté que celle de la fréquentation d'écolescatholiques. Le fait qu'ils aient fait tous les deux leurs étudesdans des établissements officiels fait diminuer chez tous lesparents la propension à placer leur enfant dans une écolecatholique. Cette diminution est particulièrement nette pourles parents moyennement ou nullement intégrés à l'Eglise.

Le jeu conjugué des deux variables apparaît de manière par-ticulièrement claire si l'on compare les catégories extrêmes.Les parents très catholiques ayant suivi un enseignementhomogène catholique placent leur enfant dans une école catho-lique quasi exactement dans la même proportion que lesparents non intégrés à l'Eglise issus de l'enseignement officielplacent leur enfant dans une école officielle; quant aux parentstrès catholiques issus de l'école officielle, ils ont à peine plusde chance de mettre leur enfant dans une école catholiqueque les parents non intégrés mais issus d'une école catho-lique.

96

Page 99: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

C. L'influence du statut professionnel

Traditionnellement, dans la plupart des travaux sociologi-ques consacrés à l'analyse des comportements sociaux, le statutprofessionnel des individus apparaît comme une variableimportante sinon déterminante quant à l'interprétation desdifférences comportementales. Dans le cas qui nous occupe,les développements historiques de la question scolaire ainsique les faits d'expérience courante portent tout naturellementà s'interroger sur l'influence possible du statut professionnelquant au choix du type idéologique d'établissement.

Tableau 5

Pourcentages de choix d'une école catholique ou d'une école officielleen fonction du statut professionnel du père

Statut professionnel Type idéologique Totaldu père de l'établissement % N

fréquenté par l'enfantcatholique officiel

Industriel, cadresupérieur, professionlibérale 82,8 17,2 100 35indépendant, artisanou agriculteur 61,5 38,5 100 39employé 56,8 43,2 100 81ouvrier qualifié 21,7 78,3 100 60ouvrier spécialiséou manœuvre 33,0 67,0 100 85

N = 300; X2 = 46,71; P < .001

Les résultats du tableau 5 montrent que la relation entrele statut professionnel du père de famille et le choix du typeidéologique d'établissement est très étroite. Chaque catégorieprofessionnelle semble caractérisée par un pattern relative-ment spécifique de comportement, la propension à choisir uneécole catholique atteignant son maximum au niveau le plusélevé de la «hiérarchie » professionnelle: un fils de cadresupérieur ou de profession libérale a pratiquement 4 fois plusde chances qu'un fils d'ouvrier qualifié d'être placé dans uneécole catholique.

7 97

Page 100: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Cependant le phénomène le plus marquant qui se dégagedes résultats du tableau 5 ne réside pas, nous semble-t-il, dansl'existence de patterns relativement propres à chaque caté-gorie professionnelle.

Certes, les différences sont réelles entre toutes les caté-gories considérées. Mais on ne peut manquer d'être frappépar le fait que la répartition des préférences des ouvriers con-sidérés globalement, s'oppose à la répartition des préférencesexprimées par les autres catégories. Seuls en effet les ouvriersmarquent pour l'école catholique une désaffection très nettepuisque chez eux, et chez eux seuls, les préférences en faveurde celle-ci sont situées très en dessous de la moyenne générale.

En tant que tel, ce phénomène ne se prête pas aisément àinterprétation. On peut difficilement soutenir en effet qu'ilexiste, dans le cas présent, un rapport logique entre l'exerciced'une activité professionnelle d'un type déterminé et la natureintrinsèque du choix effectué. Comment expliquer dès lors, quele pattern de la catégorie des ouvriers soit très en faveur del'école officielle?

On sait que le degré d'intégration à l'église catholique n'estpas indépendant du statut social (voir en particulier pour laBelgique, Dobbelaere, 1966 : 215-313). Dès lors, la question sepose tout naturellement de savoir dans quelle mesure la rela-tion constatée entre le statut professionnel et le choix du typeidéologique d'établissement n'est pas imputable à l'inégale dis-tribution dans les diverses catégories professionnelles desdivers degrés d'intégration religieuse.

Pour tester cette hypothèse, nous introduisons au tableau 6le degré d'intégration religieuse comme variable de contrôle.

Les résultats présentés ci-dessous permettent de conclureque les deux variables exercent une influence spécifique: àl'intérieur de chaque catégorie professionnelle le degré d'inté-gration à l'église introduit des différences sensibles, tandisque le statut professionnel fait sentir son effet, quel que soitle degré d'intégration considéré.Le fait d'être très ou même modérément catholique quand

on est ouvrier accroît fortement la propension à placer sonfils dans une école catholique; cependant, un fils de cadresupérieur non pratiquant a presque autant de chances d'aller

98

Page 101: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 6

Pourcentages de choix d'un établissement catholique ou officiel d'aprèsle degré d'intégration religieuse de l'époux et son statut professionnel

Degré d'intégration Statut professionnel Type idéologique Totalreligieuse de l'époux de l'époux de l'établissement % N

catholique officiel

cadre sup.prof. libérale 87,5 12,5 100 16

Fort indépendantemployé 75 25 100 24ouvrier (66,6) (33,4) 100 6

cadre sup.prof. libérale 91,7 8,3 100 12

Moyen indépendantemployé 68,7 31,3 100 48ouvrier 40 60 100 50

cadre sup.prof. libérale (60) (40) 100 5

Nul indépendantemployé 34,4 65,6 100 32ouvrier 19,7 80,3 100 66

N == 259

dans un tel établissement que le fils d'un ouvrier très catho-lique.

On ne peut donc rendre compte de la relation existant entrele statut professionnel du père et le choix du type idéologiqued'établissement en invoquant l'action des convictions religieu-ses des parents.

La question se pose dès lors de savoir quelle est la signifi-cation qu'il convient d'accorder à l'action de la variable statutprofessionnel.

D. L'influence de la position sociale

Jusqu'à présent, la variable statut professionnel a été intro-duite dans l'analyse sans qu'on s'efforce de rechercher la logi-que qui pourrait permettre d'interpréter le sens de son action.

99

Page 102: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

On peut se demander par exemple, dans quelle mesure,l'influence du statut professionnel n'est pas imputable en faità l'action du statut scolaire. Dans cette optique, la faible pro-pension des ouvriers à placer leurs enfants dans des écolescatholiques s'expliquerait essentiellement à partir de leurniveau de scolarisation, lequel est naturellement plus faibleen milieu ouvrier que dans les autres catégories de la popula-tion. Le postulat implicite d'une telle interprétation serait lesuivant: si l'école catholique est d'autant plus choisie que leniveau d'études du père s'élève, cela tient au fait qu'elleapparaît comme le moyen institutionnel le plus adéquat poursatisfaire les aspirations scolaires les plus élevées; plus faible-ment scolarisés, les ouvriers auraient des niveaux d'aspirationplus limités qui les écarteraient d'un réseau institutionnel plusorienté vers les carrières scolaires plus longues.

Pour tester cette hypothèse, nous introduisons le niveau

Tableau 7

Pourcentages de choix d'un établissement catholique ou officield'après le niveau d'études et le statut professionnel du père

Niveau d'étudesdu père

Statut professionnel Type idéologique Totaldu père de l'établissement % N

catholique officiel

Secondaire

cadre BUp.prof .libérale 100indépendantemployé 47 53 100 34ouvrier 27,8 72,2 100 97

cadre sup.prof. libérale (75) (25) 100 8indépendantemployé 62,5 37,5 100 72ouvrier 28,9 71,1 100 45

cadre BUp.prof. libérale 85,2 14,8 100 27indépendantemployé 69,2 30,8 100 13ouvrier (33,3) (66,7) 100 6

Primaire

Supérieur

N = 296

100

Page 103: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

d'études du père comme variable de contrôle dans la relationentre statut professionnel et type d'établissement choisi.

Ainsi qu'il ressort de l'analyse des résultats du tableau 7,le niveau d'études du père ne semble exercer d'effet spécifiquequ'aux niveaux moyen et supérieur de la «hiérarchie» desstatuts professionnels. Plus leur niveau d'études s'élève, plusles indépendants et les employés semblent attirés par l'écolecatholique. Au niveau ouvrier par contre, la propension despères les plus scolarisés à placer leur enfant dans une écolecatholique n'est pas significativement différente de celle despères les moins scolarisés. En outre, si l'on prend tous lespères qui n'ont pas dépassé le niveau secondaire inférieur, l'onvoit que les indépendants et les employés choisissent deux foisplus souvent l'école catholique pour leurs enfants que lesouvriers.En conséquence, on ne peut soutenir l'hypothèse selon

laquelle la relation constatée entre le type d'établissement etle statut professionnel du père est imputable à l'action dustatut scolaire de celui-ci. Cela est confirmé d'ailleurs par lefait que les ouvriers qualifiés - c'est-à-dire dans la plupartdes cas, les plus scolarisés - ont une propension moindre àchoisir l'école catholique que les ouvriers spécialisés oumanœuvres (cf. tableau 5).

On peut dès lors envisager un autre type d'interprétationqui accentuerait l'importance des éléments financiers pourexpliquer l'influence du statut professionnel sur le choix dutype d'établissement. Chacun sait en effet que contrairementà l'école officielle l'école catholique fait assez largement appelà la «générosité» des parents qui lui confient leurs enfants.Non seulement les transports vers une telle école ne sont pasprix en charge par la collectivité, mais encore les parents sont-ils fréquemment sollicités au profit de fonds d'équipement,d'investissement ... frais auxquels les établissements libres sontlégalement astreints de pourvoir par eux-mêmes.

Dans ce contexte, le choix d'une école catholique pourraîtêtre largement influencé par le niveau de revenus des familles.Toutes autres choses restant égales par ailleurs, la fréquencecroissante des choix d'une école catholique en fonction de« l'échelle» des statuts professionnels renverrait à une logiqueéconomique; étant plus chère, l'école catholique serait d'autant

101

Page 104: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

moins choisie que les ressources des familles sont plus limitées.Pour tester cette hypothèse, nous introduisons le niveau de

revenus comme variable de contrôle dans la relation entre lestatut professionnel et le choix du type idéologique d'établis-sement.

Tableau 8

Pourcentages de choix d'un établissement catholique ou officield'après le niveau d'études et Je statut professionnel du père

Niveau de revenus Statut professionnel Type d'établissement(par mois) du père catholique officiel

Total0/0 N

cadre sup.prof. libérale 100

Moins de 12.000 F indépendantemployé 63,6 36,4 100 33ouvrier 24,7 75,3 100 77

cadre sup.prof. libérale (-) (-) 100 2

de 12.000 à 20.000 F indépendantemployé 56,5 43,5 100 46ouvrier 34,1 65,9 100 41

cadre sup.prof. libérale 87 13 100 31

Plus de 20.000 F indépendantemployé 53,5 46,5 100 28ouvrier (37,5) (62,5) 100 8

N == 266

Les résultats du tableau 8 suggèrent que l'influence speer-fique du niveau de revenus n'est guère sensible. Au niveau descatégories professionnelles moyennes (indépendants etemployés) les résultats ont une physionomie inverse de cellequ'on aurait pu attendre, renvoyant sans doute à l'action defacteurs qui ne sont pas contrôlés dans l'analyse. Au niveauouvrier, par contre, l'effet du facteur revenu est décelable;cependant, à chaque niveau de revenus, les ouvriers restentbeaucoup moins enclins que toutes les autres catégories pro-fessionnelles à placer leur fils dans une école catholique.

102

Page 105: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Dans la mesure où ni le niveau d'instruction, ni le montantdes revenus n'exercent, en tant que tels, une influence sensiblesur le choix du type d'établissement, la question reste poséede savoir à quelle logique il convient d'attribuer l'influence dustatut professionnel du père de famille.

Nous croyons qu'il est éclairant d'introduire, à ce propos,la distinction proposée par P. Bourdieu (1966) entre les pro-priétés de la condition de classe et celles de la position declasse. Par «propriété de la condition de classe », on entendles déterminations spécifiques qui pèsent sur certains groupesd'individus du fait de l'exercice d'un certain type de pratiqueprofessionnelle et des conditions matérielles de leur existence.Par «propriétés de la position de classe », on fait référenceaux déterminations spécifiques qu'un groupe social reçoit duseul fait des relations qui l'unissent aux autres parties consti-tutives de la structure sociale, c'est-à-dire, en fait, de saposition dans la structure sociale.Le fait que les diverses catégories professionnelles (en par-

ticulier les ouvriers) continuent de manifester un patterntout à fait spécifique en matière de choix d'établissement,même lorsqu'elles partagent avec d'autres certaines conditionsobjectives d'existence (dont les revenus et le niveau de scola-risation), suggère que leur comportement dans le domaineconsidéré obéit davantage à la logique de la position de classequ'à celle de la condition de classe. En d'autres termes, si lesouvriers choisissent moins fréquemment l'école catholique quene le font les indépendants et les employés, et ceux-ci à leurtour moins fréquemment que les cadres supérieurs et les titu-laires de professions libérales, ce n'est pas tant du fait de lanature intrinsèque de leur travail ou de leurs conditionsd'existence mais surtout du fait que chacun de ces groupesentretient avec l'école catholique un rapport particulier, quiest à la fois le reflet et l'expression de sa position dans latotalité de la structure sociale existante.

En d'autres termes, c'est la perception de la position declasse, de la sienne propre comme de celle des autres, etl'appréhension d'un certain type de rapport que l'école catho-lique entretient avec la totalité de la structure sociale, quipermettent d'expliquer que chaque catégorie professionnelledéveloppe une proprension propre à l'égard de l'école catholi-

103

Page 106: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

que. Certes, il faut se garder de tirer des quelques chiffresdisponibles des propositions hâtives. Nous pensons néanmoins,au vu des résultats présentés que le choix de l'école catholiquedans la mesure (et dans cette mesure la seulement) où ilrelève spécifiquement du statut professionnel du père, faitpartie de «ces actes sociaux qui, sans même qu'on ait à levouloir et à le savoir, traduisent ou trahissent, aux yeux desautres et surtout des étrangers au groupe, une certaine posi-tion dans la société» (Bourdieu, 1966 ; 221).

IV. Conclusion

Au terme de cette analyse, nous suggérons qu'il faut aban-donner l'idée selon laquelle la «dimension idéologique» con-stitue l'élément unique en fonction duquel les parents oriententleurs enfants vers tel réseau de préférence à tel autre. Lasituation réelle est que le choix du type idéologique d'établis-sement est fonction de plusieurs variables dont chacune estsusceptible de prendre des valeurs différentes et dont le poidsspécifique varie en fonction des valeurs prises par la totalitédes autres.

Certes, la trop brève analyse à laquelle nous nous sommeslivré n'a pris en considération que trois grandes variables:le degré d'intégration à l'église, le type idéologique de sociali-sation institutionnelle et la position sociale du père de famille.De ce fait, il n'est pas possible d'identifier la totalité deséléments qui interviennent dans l'équation de choix, pas plusqu'il n'est possible, vu le nombre réduit d'effectifs, de préciserl'effet spécifique de chaque variable quand les deux autressont connues.

On peut penser néanmoins que les résultats obtenus pré-sentent un intérêt certain si on les resitue dans le contextegénéral du pluralisme institutionnel et du «contentieux sco-laire» qui en constitue le fondement.

Dans ce contexte, la mise en évidence de l'effet de la positionsociale des individus sur leur propension à placer leur enfantdans une école catholique mène à penser que le contentieuxscolaire n'est pas réductible à un conflit entre catholiques d'uncôté et laïques de l'autre. Certes, il est vrai que c'est l'écolecatholique qui fait l'objet du débat, ou plus exactement l'enjeu

104

Page 107: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

du conflit. De même qu'il est vrai que c'est au nom de valeursréligieuses d'une part, philosophiques de l'autre, que s'orga-nisent les systèmes de légitimation des conceptions antago-nistes. Par contre, on peut se demander si la nature des pro-tagonistes est adéquatement définie par un schéma qui faits'opposer des catholiques à des laïques dans un univers socialamputé de toute autre dimension structurelle.

Si l'on s'en tient aux résultats présentés - ceux en parti-culier repris aux tableaux 5 et 6 - il ne semble pas que lesouvriers perçoivent l'école catholique comme une institutiondont le caractère distinctif se situe au niveau des valeursreligieuses qu'elle incarne. Tout se passe au contraire commesi l'école catholique était située en dehors de l'univers per-ceptif commun à leur groupe social et que seules de fortesconvictions religieuses pouvaient modifier cette représentation.

Par opposition, le comportement de la classe moyenne etsurtout celui de la classe supérieure semblent spontanémentorientés vers l'école catholique et ce à un point tels que parmiles parents qui n'ont aucune intégration à l'église il s'en trouveune majorité pour placer leur enfant dans une école catho-lique.

Ainsi, le conflit à propos de l'école catholique n'apparaît-ilplus seulement comme l'opposition de deux groupes définisd'une manière schématique par un axe de confessionnalité/non confessionnalité. C'est, en Wallonie en tout cas, un conflitdans lequel la «dynamique confessionnelle» véhicule en per-manence une «dynamique sociale », laquelle est sans douted'autant moins visible que la première lui fournit un systèmeprivilégié de légitimation.

Références bibliographiques

BOURDIEU, P.1966a

1966b

« Condition de classe et position de classe» ArchivesEuropéennes de Sociologie, VII : 201-229.« Fins et fonctions du système d'enseignement », do-cument ronéotypé, Ecole Pratique des Hautes Etudes,Paris.

105

Page 108: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

COMMISSIONPERMANENTE DU PACTE SCOLAIRE1970 La notion de neutralité, texte repris dans Humanités

Chrétiennes, sept.yoctobre, 9-11.

DEPREZ, G.1970 « La guerre scolaire et sa pacification. (1)., Recher-

ches Sociologiques, nv 2: 170-208.

DOBBELAERE,K.1966 Socioloçische Analyse van de Katholieiteit, Standaard

Wetenschappelijke Uitgeverij, Antwerpen.1968 «Avoir des enfants ». Pp. 79-111 in P. de Bie & al.,

La Dyade Conjugale, Bruxelles, Les Editions VieOuvrière.

HOUBEN, R. et INGHAM, F.1962 Le Pacte Scolaire et son application. (2" éd.), Docu-

ments CEPESS, Bruxelles.

LAMBRECHTS,E. et HENRYON, Cl.1970 Vruchtbaarheid en Contraceptie bij Jonqe Echtparen,

Standaard Wetenschappelijke Uitgeveri], Antwerpen.

LEFÈVRE, J.1972 « Pour une sociologie des relations entre groupes lin-

guistiques. Un modèle d'analyse >, Recherches Socio-logiques, n° 1 : 44-82.

SUENENS, L. J. et alii1964 Lettre Collective des Evêques de Belgique, texte repris

dans Responsabilités et Statut des éducateurs chré-tiens, Bruxelles, 1965: 7-15.

1970 Déclaration des Evêques de Belgique du 28 mai 1970,texte repris dans Humanités Chrétiennes, sept';octo-bre, 8.

VAN DEN BERGHE, P.1967 «Pluralisme social et cultural ». Cahiers Internatio-

naux de Sociologie (juillet-décembre): 67-78.

106

Page 109: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

LE TEXTE D'UN SYSTEME DES PENSIONS

Essai d'une analyse sémiologique

parPascale DELFOSSE *

(Deuxième partie)

Dans la première partie de cet article, nous pro-posions les bases de l'appareil conceptuel utilisé enanalyse sémiologique, les appliquant à l'étude d'untexte du Bureau de Programmation Economiquerelatif au remaniement du système des pensions.

Le texte découpé en unités de lecteurs homogènes,nous procédions à la lecture articulée de ces unités.Notre intérêt était, à ce moment, celui de l'appré-hension des relations entre les unités structuralesrelevées au niveau du code sémique. Nous distin-guions trois types de relation : la relation d'équi-valence, la relation de référence, la relation d'impli-cation simple. Ce jeu de relations dégagé sert depoint d'appui essentiel à cette deuxième partie del'article. Nous procédons à une nouvelle lecture dutexte découpé. Cette lecture englobe les niveaux :code réel, système terminologique, système rhéto-rique ; elle aboutit au constat de la circularité dutexte qui prétend au changement ; elle trace la grillede l'idéologie du compromis.

1. Le système rhétorique

Le système rhétorique correspond au plan de la connotation.Il est lui-même une relation entre un signifiant et une signifié.Nous renvoyons au schéma exposé précédemment (Delfosse,1971: 160) pour rendre compte du fait que le signifiant rhéto-rique englobe à la fois le système terminologique (code sémique

,. La première partie de cet article a paru dans Recherche Sociologiques,1971, nO 2.

107

Page 110: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

inclus) et le code réel. La lecture du signifiant rhétorique devientdonc, celle d'unités (significatives et distinctives) dont l'éten-due ne couvre pas tout à fait l'étendue des lexies du code réel.Pourquoi dans ce cas avoir produit le travail du code sémique?

Il est bien évident que le jeu des relations dégagées entre lesunités structurales sert de point d'appui essentiel à cette nouvellelecture ou lecture de connotation. Cette lecture ne prétend pasépuiser la signification du texte, c'est-à-dire que le signifiérhétorique que nous présenterons n'est qu'une expression dusignifié implicite au signifiant précisé. Le signifié rhétoriqueaura à la fois un caractère «général, global et diffus: c'estsi l'on veut un fragment d'idéologie. » Il ne faut cependant passous-estimer ses effets opérants: l'instance idéologique, loind'agir comme simple effet ou système de représentation, d'unepratique entièrement «naturalisée », constitue plus exactementune grille. Et, comme en toute grille, son effet de lecture n'estpas étranger à son effet de masque. Les espaces découpés parses mailles permettent de lire autre chose, que ce qui est masquépar ses points forts. Mais ceux-ci seuls, coûtures, opèrent préci-sément, la distribution des lacunes. On conçoit qu'en cetteperspective, l'idéologique soit agissant (Vidal, 1971 : 214).

A. Le signifiant rhétorique

Notre lecture est celle d'un aller-retour entre des unités struc-turales repérées au niveau du code réel. Elle est aussi relative-ment celle du système terminologique dans la mesure où nousfaisons remarquer le flou de certain signe de ce système. Elleest enfin attentive à la rhétorique du texte ou à la mise enforme comme technique d'argumentation.

C. 1. Régime des travailleurs salariés

Les groupes ouvriers, employés, marins, mineurs s'articulentau régime fixé par l'arrêté royal du 24 octobre 1967, qui s'il nemodifie en rien le régime précédemment cité (voir le texteopéré), laisse subsister diverses caractéristiques.L'imprécision des diverses caractéristiquee n'empêche pas de

se trouver devant une relation d'équivalence entre les groupes

108

Page 111: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 1)ph. 4T.1

nommés. Ces derniers sont marqués par des mesures définiesunivoquement par l'émetteur.

Une nouvelle imprécision surgit: la notion de minima; quoide plus vague, embrouillé qu'une notion ; encore plus: la notionde minima.

Quels sont les critères utilisés pour fonder un minimum néces-saire à la vie dans la société belge ?

Les deux signes (minimum et vital) mêlent leur flou réci-proque que ne dissipe pas le tableau chiffré des montantsde ces minima relatifs aux ouvriers et employés. La notion deminima ne peut matérialiser son contour dans le dessin duchiffre articulant le sort des ouvriers et des employés. Lesproque que ne dissipe pas le tableau chiffré des montantsdes minima de pension. Le groupe des employés sert de pointde référence positif en rapport avec le groupe des salariés.

(D. 4) C. 2. Régime des travailleurs indépendantsph. 1

(D. 4)ph. 3

(D. 5)ph. 2

Le groupe des indépendants dispose d'un regime fort malprécisé dans le texte. Si «le régime continue à former un dip-tique », la lexie contient une idée de mouvement dans le temps,une idée de passé dont le point d'ancrage échappe à la lecture.Les signes: «une partie basée sur la capitalisation », «une

partie sur la solidarité si le revenu ne dépasse pas certainsplafonds» et « enquête sur les reseourcee » échangent un nou--veau jeu de flou. Ils nous abandonnent à une partielle incerti-tude. Les ombres planent sur l'étendue des intéressés. Quels sontces plafonds? Comment procède-t-on à une enquête sur lesressources? Les intéressés, qui sont-ils? L'enquête sur lesressources aura à les départager.

De leur division potentielle, nous passons à leur cohésionréalisée grâce à l'intervention des 47 70 de l'Etat en faveur des«travailleurs indépendants », «contre 16 % seulement enrégime des travailleurs salariés ».A la lecture horizontale des lexies succède la lecture verticale.

Les travailleurs salariés sont en relation avec les travailleursindépendants. Ces derniers occupent une position nettement plusfavorisée par rapport aux travailleurs salariés. Cette relation deréférence positive aux travailleurs indépendants se double d'une

109

Page 112: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

relation d'implication simple. L'Etat intervient en faveur dechacun des deux groupes.

(D. 6) C. 3. Régime des assurés libres-revenu garanti aux personnesph. 1 ,âgéesph. 2

(D. 6)ph. 3

(D. 6)ph. 5ph. 6

Connaître les personnes visées par la loi du 12 février 1963suppose que nous les discernions dans un grand mouvementde «chute» et de «non chute ». Des personnes «tombent»et des personnes «ne tombent pas» sous l'application d'unrégime obligatoire de pension.

Celles qui «ne tombent pas» s'assurent une rente de vieillesse« par des versements annuels capitalisés ». Les personnes «quitombent» obtiennent un complément de pension «grâce à uneffort de prévoyance individuelle ». Il est dans ce cas, avanta-geux de «tomber» (d'être assuré obligatoire).

Mais l'Etat est là pour compenser les méfaits de l'absencede chute. Il octroie «une majoration de rente de vieillesse '!)

lorsque ces rentes n'atteignent pas un niveau convenable, oulorsque ces rentes atteignent «un niveau pas convenable ».

Ainsi ceux qui ne tombent pas (un grand nombre de défavo-risés) jouissent à la pension d'un niveau de vie «pas conve-nable ». Mais la loi est là (1'" avril 1969). Elle garantit unrevenu pour les personnes âgées sans pour autant «toucher»toutes les personnes qui ne tombent pas (sous l'applicationd'un régime obligatoire). En effet, «il reste loisible à chacund'effectués des versements dans le cadre de l'assurance libre ».Au loisir du versement répond le service d'une rente. Nousparcourons en lecture verticale les connotateurs des groupesthéoriques. Les personnes qui ne tombent pas et les personnesqui tombent sous l'application d'un régime obligatoire voientleur sort lié à la loi du 12 février 1963. Cette dernière les placedans une relation d'équivalence. Elle accorde d'un côté, elleprévoit de l'autre, dans les deux cas: « contre paiement ». Nouspassons ensuite « au grand nombre de défavorisés ». Ce groupeest-il une partie commune des deux groupes préalables. Appar-tient-il à l'un d'entre eux seulement? (Les assurés libres et lesassurés obligatoires). L'ambiguité disparaît en articulant l'unité(les assurés libres) à celles qui lui succèdent. Parmi les assurés

110

Page 113: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 7)ph. 3

libres (ceux-là qui ne tombent pas et sont désavantagés) ily a des personnes dont un grand nombre est défavorisé.

Pourtant la situation des assurés libres ne se révèle pas sidéfavorable si on la compare à celle des indépendants. Unerelation d'équivalence s'instaure entre le groupe des assuréslibres (dans son ensemble) et celui des indépendants. Tandisqu'une relation de référence se noue entre une partie de chacundes deux groupes par l'instauration commune d'une enquêtesur les ressources. L'enquête sur les ressources est nettementplus stricte pour l'octroi du revenu garanti (pour les personnesagées) que pour le calcul de la rente (pour les indépendants).Le jugement sur l'enquête relative aux ressources des personnesâgées fait écho à celle relative aux revenus des indépendants.Ceux-ci occupent le pôle positif de la relation.

C. 4. Régime des services publics

La règle générale du régime des fonctionnaires de l'Etat estclairement développée. Un «normalement» laisse entendre uneou des règles particulières. Poursuivant la lecture verticale desvariantes du signifiant « régimes» nous trouvons : « des dispo-sitions spéciales », « un régime totalement distinct », « des régi-mes distincts », autant de signes en opposition à celui de larègle générale et contenue, d'ailleurs implicitement, dans le« normalement ». Autant de signes encore, qui ne sont que leséquivalents sémantiques du signe: règle particulière.

Notre lecture voit se lier au sort commun de l'exception: lesenseignants, les magistrats, les militaires, les gendarmes, lepersonnel des provinces. Une relation d'équivalence s'instaureentre ces différents groupes théoriques du fait de leur quali-fication de «régimes distincts» (non spécifiés). Pourquoi nepas préciser les régimes relatifs aux différents groupes théo-riques cités? La question s'applique aussi au régime des com-munes dont « la règle générale est le système des fonctionnairesde l'Etat », tandis qu'un système plus avantageux est accordéà «plusieurs communes» et que «certaines grandes villes»disposent de leur propre caisse de pension. Quel est ce systèmeplus avantageux? Quelles sont ces communes et ces grandesvilles?

L'espace de la règle générale regroupe les fonctionnaires de

111

Page 114: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 9)ph. 2ph. 3

(D. 10)E. 1ph. 1ph. 2

l'Etat et les communes. L'espace des exceptions regroupe lesenseignants, les magistrats, les militaires, les gendarmes, lepersonnel des provinces, le personnel de plusieurs grandes com-munes, le personnel de plusieurs grandes villes. Deux relationsd'équivalence émergent: l'une se fonde sur un régime clairementprécisé et l'autre sur le flou de l'exception.

C. 5. Les appréciations

L'émetteur apprécie les regimes exposés (C.l. -+ C.5.). Lesvariantes du signifiant « les régimes» s'accompagnent de quali-fications volontairement émises par l'émetteur.

Notre lecture reste attentive à l'articulation variable desvariantes du signifiant «des pensionnés» ainsi qu'au sens deleurs articulations donnés par leurs liens aux variantes dusignifiant «les régimes ».

Notre première remarque relève en fait d'une analyse sou-cieuse du système rhétorique. Le texte ne néglige pas les tech-niques d'argumentation utiles à la provocation d'une attentiontoute particulière à propos d'un problème spécifique.

A l'intérieur d'une même découpe l'émetteur du texte sautedu problème général de la discordance des régimes cités auproblème particulier des ouvriers et des employés. Ces derniersne peuvent cumuler une activité lucrative et la pension. Ainsides groupes « dispersés» sous l'appellation de « divers régimesen présence », le texte enchaîne sur deux groupes nettementprécisés: les ouvriers et les employés. L'esprit ne garde pasla trace diffuse et se grave, au contraire, de l'expression nette.L'accent est posé et dirige l'intérêt. Les ouvriers et les employéssont dans une relation d'équivalence.

Les travailleurs salariés apparaissent comme un groupedéfavorisé en rapport avec les travailleurs indépendants si l'onconsidère les interventions de l'Etat (<< c'est-à-dire la collec-tivité ») dans l'un et l'autre régime.

La précarité financière du régime des indépendants se trouveamoindrie au profit du régime, encore plus désavantagé, destravailleurs salariés. Une appréciation portée à l'un des régimesest en fait destiné à mieux focaliser l'attention vis-à-vis del'autre régime. Cet autre régime est, encore une fois, celui des

112

Page 115: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 10)E. 2ph. 1

(D. 10)E. 2ph.l

travailleurs salariés. Ils sont dans une relation de référencenégative avec les travailleurs indépendants.

Nous avons à peine le temps de nous interroger sur l'ambi-guité de la lexie : « le financement de l'actuel régime de revenugaranti pour les personnes âgées est également d'ores et déjàà charge intégrale de la collectivité ». Cet « également d'ores etdéjà» nous renvoie à un groupe en pointillé. En effet, aucunautre groupe ne réalise la condition d'un revenu garanti àcharge intégrale de la collectivité. Le groupe le plus prochede cette condition est celui des indépendants dans la mesureoù l'Etat-collectivité représente 47 ro des prestations accordées.Dans ce cas, la charge est partielle et non intégrale. Une tenta-tive de rapprochement pousse, en fait, à écarter les deux grou-pes (personnes âgées-indépendants). Pourtant les signes « éga-lement» et «collectivité» suscite le rapprochement des deuxgroupes et produit de la sorte une relation d'équivalence entreles personnes âgées et les indépendants.

Notre démarche analytique ne reproduit pas le rythme deprogression du texte: le problème des personnes âgées est traitéen un seul énoncé où apparaissaient déjà de nouvelles considé-rations relatives aux salariés. Les signes «aussi précaritéfinancière» rattachent directement et encore une fois les tra-vailleurs salariés aux travailleurs indépendants.Le bénéfice de la précarité financière appartient aussi aux

travailleurs salariés. Si nous prenons en considération le con-texte des unités significatives, c'est-à-dire les unités distinctivesauxquelles s'articulent «la précarité financière du régime destravailleurs indépendants» et «la précarité financière durégime des travailleurs salariés» nous lisons dans le premiercas: « il n'est pas inutile de souligner ... » et dans le second cas:« il n'est pas excessif de parler ... »

Pour mieux sentir l'impact de ces parties de lexies nousles transformons en leur formulation affirmative:

il est utile de souligner.il est minimal de parler.

Le texte passe ainsi discrètement d'une relation d'équivalence,entre les deux groupes, basée sur «la précarité financière v,à une relation de référence: les unités distinctives mesurentdifféremment cette précarité. Le groupe de référence positifest celui des indépendants.

8 113

Page 116: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 10)E. 3ph. 2

(D. 11)ph. 2

(D. 12)ph.1ph. 2

(D. 13)ph. 1ph. 2

A 1'imprécision des engagements futurs, nous passons à laprécision des groupes: les indépendants - les salariés - les ser-vices publics exclus. Au conditionnel de l'avenir se noue unerelation d'équivalence entre les deux groupes théoriques: lesindépendants et les salariés.Une nouvelle relation d'équivalence s'établit entre les salariéset les indépendants par la qualification d'une identique insuf-fisance des montants de pension.

Aux lacunes du système légal, dont l'exemple précis est ladifférence entre le mouvement des salaires et des appointementsmoyens, répond l'imprécision des «régimes divers» en appli-cation variable à l'égard de certains travailleurs. Les équivalentssémantiques d'appointements et de salaires sont respectivementles employés et les salariés. Une relation de référence apparaîtentre ces deux derniers groupes.

Le groupe des employés occupe le pôle positif de la relation.Les « certains travailleurs» sont ± implicitement des favorisés.Qui sont-ils ? Serait-ce diviser le groupe que de les nommer ?Ne serait-ce pas en même temps distraire du peu d'efficacitéde ces régimes divers ?

Le plus grand nombre des indigents se trouvent parmi lespensionnés en général et surtout « parmi ceux d'entre eux quine peuvent justifier d'une carrière complète ». Le problèmeest grace ». Le niveau de la considération est différent desniveaux notés précédemment. Ce niveau est du même ordre quecelui de la découpe (D.9). A ce niveau, tous les régimes étaientregroupés pour être qualifiés de «discordants », cette fois cesont les pensionnés en général qui sont traités et qualifiés« d'indigents ». Les deux niveaux restent abstraits dans lamesure où les régimes et les personnes ne sont pas précisés.

L'unité de découpe D.9 englobe toutes les unités D.lO, D.H,D.12 dans la mesure où elle annonce le problème des régimes.L'unité de découpe D.13 englobe le problème des régimes.L'unité de découpe D.13 englobe toutes les unités D.14, D.15,D.16, D.l7, dans la mesure où elle annonce le problème despersonnes pensionnées en général.

Ces remarques sont de l'ordre d'une analyse logique du dis-cours.

Les personnes âgées et les travailleurs salariés à carrièreincomplète sont dans une relation d'équivalence suite à l'effet

114

Page 117: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 15)ph.3ph.4

(D. 17)ph.lph.22

négatif des mesures fixant un revenu garanti trop bas et lasuppression de l'octroi de la majoration de la rente de vieillesse.

La communauté active se révèle être la bienfaitrice nécessaireà l'amélioration du sort des pensionnés. Une relation d'impli-cation simple se forme entre les deux groupes théoriques aprèstrès globalement nommés.

Il y a cependant des limites à la bienfaisance. Ces limitesviennent de l'évolution de la répartition socio-professionnellede la population active. Elle rend intenable un régime distinctde pension pour les indépendants. Le nombre des cotisants dece groupe décroît alors que le nombre de ses pensionnés aug-mentent. Les pensionnés indépendants sont placés, implicitementcette fois dans une relation de référence positive par rapportaux autres groupes de pensionnés.

L'émetteur fera des propositions de telle sorte que cette rela-tion entre les indépendants et la population active ne se trans-forme pas en une relation d'implication simple. Ce pourraitêtre le cas si les cotisants indépendants ne sont plus suffisam-ment nombreux pour couvrir les frais de leurs pensionnés. Cesderniers seraient dès lors à charge de la population active.

La richesse nationale doit être partagée entre les actifs etles pensionnés. Les deux groupes sont reliés par une relationd'implication simple au connotateur «richesse nationale ».

Le niveau de formulation de la lexie correspond à une prisede position générale. Les connotateurs «sur un plan global»marquent le décalage par rapport aux lexies antérieures etrejoignent, par contre, le niveau de formulation de la lexiesuivante dans le mesure où celle-ci fait appel à «une visionglobale du problème du troisième âge ». Ces lexies se rappro-chent en ce sens des lexies (ou unités de découpe) D.9, D.13,D.16 et D.17.

(D. 18) C. 6. Hypothèses de travailph. 1

L'émetteur élabore des propositions pour une nouveau sys-tème de pensions. Il fonde ses propositions sur des notionstelles que la «solidarité réelle et intégrale» «le minimumvital », «la pension de base ».L'âge de la retraite et le financement par une taxe affectée

deviennent des signes ambigus par contamination de l'ambi-

115

Page 118: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 19)(D. 20)

(D. 22)

(D. 22)E.6F. 1

guïté des notions utilisées et non définies par l'émetteur. Lesquestions se posent: la solidarité réelle et intégrale vise-t-elletous les groupes précédemment nommés ? Doit-elle se réaliseressentiellement entre le groupe des indépendants et celui dessalariés ? La solidarité suppose-t-elle une simple transformationdu régime des indépendants par rapport aux autres groupes ?

Les différentes optiques introduites par la formulation desquestions sont permises étant donné la mise à jour des relationsdans la première partie du texte. Les questions resterontouvertes aussi longtemps que les relations entre les groupesn'auront pas été mises à jour dans cette deuxième partie dutexte.

Les groupes: salariés, indépendants, services publics, per-sonnes âgées-assurés libres, se dissolvent au niveau des quatrehypothèses, entre les groupes et leurs sous-ensembles homme,femme, ménage, isolé. Le montant des pensions est directementénoncé sous forme de chiffres sans aucun critère justificatifde ces montants. La notion de «pension de base» reçoit uncontenu chiffré. Dès lors, la notion de « solidarité» devient elleaussi un espace chiffré.Les groupes théoriques visés disparaissent dans des ensembles

encore plus vastes lorsque le texte nomme « les contribuables»et «la masse imposable ». Il devient impossible d'établir desrelations entre les composantes potentielles de ces deux unitéssignificatives. Ils réalisent une cohésion, apparente voire mêmel'homogénéisation des groupes. Il devient par contre intéressantde constater une modification dans la désignation de ces grou-pes. Le texte avait abandonné, provisoirement les groupes dela première partie. Il y revient (D.22 E.6 F.l).

Le groupe des salariés prend la responsabilité totale du paie-ment de sa cotisation à la pension de base. En échange de cettecontribution, l'employeur doit augmenter le salaire direct jus-qu'à concurrence de ce qu'il ne devrait plus payer. Une relationd'équivalence s'instaure entre les deux groupes du fait de leurresponsabilité respective et calculée à part égale. Une rupturese produit dans la logique de cette relation. Cette dernièrese transforme en une relation d'implication simple entre lepatron et le travailleur. Le régime, réellement proposé, estcelui du maintien partiel de la cotisation patronale en vued'assurer un supplément à la pension de base, par le canal

116

Page 119: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

(D. 22)E. 6F. 2

(D. 22)E. 6F. 3

(D. 22)E. 6F. 4

du Fonds Unique. La proposition se justifie, d'après l'émet-teur, si l'on prend en considération (à titre de groupe deréférence positif) les ménages pensionnés, surtout employés etles isolés.En conclusion de cette lexie: une relation d'implication simpleréunit le groupe patronal à celui des salariés. Une relation deréférence s'établit entre le groupe des salariés et celui desménages pensionnés surtout employés et isolés.

La lexie s'articule à la précédente par une double relationd'équivalence. En effet, le groupe des indépendants peut recevoirun supplément de pension par l'intermédiaire du canal duFonds Unique. Ce groupe est, de la sorte, dans une positionsemblable à celle des salariés par rapport à cet organisme.Ce même groupe des indépendants est encore dans une relationd'équivalence, cette fois par rapport au groupe patronal. Lesindépendants pourront « aussi cotiser auprès du Fonds Unique ».Dès lors, ils paieront une cotisation comme le groupe patronal.La relation des services publics avec l'Etat reste une relation

d'implication simple dans la mesure où l'Etat continue à inter-venir en leur faveur, même si cette intervention n'apparaît«plus désormais que pour financer un supplément de pensionpar rapport à la pension de base ».

Les groupes spécifiés se fondent, à nouveau, en un amalgamediffus. Il y a ceux qui ont cotisé durant « une période minimaleà fixer» et ceux qui n'auront pas cotisé durant cette période.Pour ces derniers la pension de base ne sera pas versée.Le groupe de ceux ayant cotisé durant la période minimale

est le groupe de référence positif par rapport à ceux n'ayantpas cotisé durant cette période. Il leur reste néanmoins «lapossibilité d'obtenir le minimum vital garanti à tous ». Cesderniers sont placés dans une relation d'équivalences avec legroupe des personnes poursuivant leurs activités profession-nelles (E.6 F.5) ; comme elles, ils ne peuvent toucher la pensionde base mais bien le minimum vital. Cette relation n'est pour-tant pas nette. Le contexte des unités significatives «minimumvital garanti» diffère selon les groupes visés. Nous lisons d'unepart: «la possibilité d'obtenir» (ceux n'ayant pas cotisé)d'autre part: «sous-réserve toujours qu'un minimum vital -sans oublier qu'un régime d'une demi-pension sera, éventuelle-

117

Page 120: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

ment, accordé à ceux qui poursuivent leurs activités profession-nelles ».

B. Le signifié rhétorique

Nous relevons du signifiant rhétorique, des signifiés dontle caractère plus ou moins diffus nous fait classer ces quatrepoints successifs selon leur degré de généralité.

1. Les indépendants sont les plus favorisésLes salariés et les ouvriers en particulier sont les plusdéfavorisés

Le statut de l'activité professionnelle détermine le statut dupensionné. L'actif-salarié devient le pensionné salarié. L'actif-indépendant devient le pensionné-indépendant. L'actif-fonction-naire des services publics devient le pensionné-fonctionnairedes services publics.

Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'identificationdes trois grandes catégories de pensionnés continuent à êtrequalifiées en fonction des activités professionnelles. Ces dernièressont elles-mêmes considérées à la fois comme trait d'un rapportsocial entre partenaires économiques et comme lieu de contra-dictions sociales.

Ce ne sont donc pas les conduites techniques qui servent àla qualification des activités professionnelles.

Les trois grandes catégories, les salariés, les indépendantset le personnel des services publics contiennent chacune, uneidée de rapport en fonction d'un dénominateur commun impli-cite: l'employeur.salarié indépendant agents des sel'vices publics

1employeur(dirigeantd'entreprise ... )

IIIemployeur(indépendant)

remployeur(Etat)

signifie une relation d'équivalencesignifie une relation d'implication.

118

Page 121: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

De ces rapports, il ressort entre les groupes un réseau derelations socio-professionnelle hiérarchisées qu'il s'agit soit devaloriser ou au contraire de contester. Il est une quatrièmecatégorie de pensionnés: les assurés libres. Ces derniers sontceux qui n'ont pas exercé de métier valorisé (ou dévalorisé)du statut «d'activité professionnelle ». Il faut songer, notam-ment aux rentiers. Nous constatons qu'un seul type de relation(la relation d'implication simple) est établie dans le texte entrece groupe et la loi. La loi n'est certes pas un groupe au mêmetitre que les indépendants, les salariés ... et qui cependant reçoitle statut d'une personne ou d'un groupe dans la mesure oùcomme eux: «elle accorde ... ». Notre travail met en évidenceles relations entre les unités structurales appartenant aux quatregrandes catégories de pensionnés cités. Nous revenons aux troispremières de ces catégories. Quelques sous-groupes de la caté-gorie «pensionné-salarié» sont spécifiés: les ouvriers, lesemployés, les marins, les mineurs. Ces sous-groupes sont, à leurtour définis dans leurs relations par rapport à une situationcommune.La catégorie pensionné-indépendant reste envisagée dans sa

totalité et se trouve en relation avec la première catégorie. Lejeu de leurs relations est assez fréquent si on le compare àceux existant entre les autres groupes.

Les relations entre les groupes indépendants-salariés sontsoit des relations d'équivalence (toujours quelque peu atténuéepar le contexte), soit des relations de référence dont les pen-sionnés indépendants occupent le pôle positif. Sans douteexiste-t-il aussi des relations de référence entre les sous-groupesouvriers-employés. Cependant le contexte des unités structu-rales en cause n'accentue pas nettement l'aspect positif de lasituation des employés. A la différence du groupe des indé-pendants pour lequel le contexte de la relation souligne précisé-ment les avantages (47 % des interventions de l'Etat en faveurdes indépendants contre 16 <;'0 seulement en régime des travail-leurs salariés).

La position avantageuse des indépendants est d'autant plusmarquée qu'elle se reproduit vis-à-vis des personnes âgées etqu'ils sont en relation d'implication simple avec l'Etat et le texteprécise à l'occasion qu'être à charge de l'Etat, c'est être àcharge de la collectivité et de la population active pour qui ils

119

Page 122: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

deviennent un véritable poids étant donné «l'évolution de larépartition socio-professionnelle ».Dans la deuxième partie du texte, les indépendants sont nom-

més non plus en tant que pensionné mais en tant qu'actifsayant à verser une cotisation.

Dire: les «indépendants» sont nommés douze fois dans letexte ne permet d'inférer à aucune conclusion significative. Parcontre, l'analyse des relations de ce groupe avec les autresgroupes et la précision du sens de ces relations autorise à con-clure que les indépendants servent véritablement de pivot deréférence et de transformation nécessaire du système des pen-sions. Cette transformation doit se faire au profit des plusdéfavorisés: les salariés.

Dans la catégorie des pensionnés-fonctionnaires des servicespublics se trouvent mentionnés différents sous-groupes: lesfonctionnaires de l'Etat, les enseignants, les magistrats, lesmilitaires, les gendarmes, le personnel des provinces, le per-sonnel des communes et de grandes villes. Ces différents sous-groupes nouent des relations identifiées du seul fait de leurappartenance à une règle générale fixant leur régime ou àl'exception de cette règle.

Il s'agit d'une véritable catégorie à part dans la mesure oùelle n'est mise en rapport avec aucune des autres catégoriesou autres sous-groupes de l'une de ces catégories. La catégorie« services publics» apparaît cependant dans la deuxième partiedu texte sous forme d'une relation d'implication simple avecl'Etat (<< en ce qui concerne les services publics ... l'Etat n'inter-venant cependant plus désormais que pour financer un supplé-ment de pension par rapport à la pension de base »).

2. La circularité des relations entre les sous-groupes

Les propositions relatives à l'avenir du système des pensionsn'apporte qu'une modification partielle des relations entre lesdifférents groupes. Sans doute le texte ne nomme-t-il plus lesquatre grandes catégories citées dans sa première partie. Ajuste titre puisque le texte introduit, désormais, deux grandescatégories plus englobantes que les quatre précédentes. Il y ad'une part les pensionnés qui auront payé leur cotisation durant

120

Page 123: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

une période minimale et d'autre part, « les autres» qui n'aurontpas payé de cotisation durant cette période minimale. Ces deuxgrandes catégories se doublent de nouvelles subdivisions tou-jours plus englobantes par rapport aux quatre premières caté-gories. Ce sont:

soit « Homme-Ménage»« Homme-Isolé»

et «Femme-Ménage»« Femme-Isolé»

soit « Homme-Femme-Ménage »« Homme-Femme-Isolé ».

A ceux qui auront payé une cotisation durant une périodeminimale, il est versé une pension de base fonction de nouvellessubdivisions précisées. Il n'en reste pas moins qu'un complémentde pension est attribué à chacun des sous-groupes tels que letexte les a nommés dans la première partie. C'est à ce niveauque nous retrouvons les sous-groupes sans qu'ils soient pourtantspécifiés explicitement dans la deuxième partie du texte. Lessalariés, les indépendants et un de ses sous-groupes: les em-ployeurs sont inscrits mais à titre d'actifs pouvant verser unecotisation en échange de quoi ils obtiendront (pour les indé-pendants) ou accorderont (les employeurs pour les salariés) uncomplément de pension.

A côté de ceux qui auront versé la cotisation durant la périodeminimale, il y a « les autres ». Ces «autres» sont placés dansune relation d'équivalence avec les actifs pensionnés. Ces der-niers touchent, comme les précédents, le minimum vital garanti(la relation d'équivalence est incertaine puisqu'une deuxièmehypothèse est avancée: «ne leur accorder qu'une deml-pension»).

Sont-ils susceptibles de constituer une catégorie pouvantrecouvrir partiellement chacune des quatre grandes anciennescatégories ? Les autres sont-ils des rentiers, certains indépen-dants, des chômeurs chroniques, des accidentés ne disposentque de leur assurance maladie-invalidité pour subsister, ceuxlà dont les papiers sont égarés, ceux là «non déclarés» parl'employeur? De toute manière, ces «autres» reçoivent indis-tinctement le minimum vital garanti pour les personnes âgées.Aussi, pouvons-nous nous poser la question relative «au soucide solidarité réelle et intégrale ».

121

Page 124: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

3. La circularité des valeurs

Le texte contient deux parties. L'une rapporte la situationexistante. L'autre élabore des hypothèses de travail pour unetransformation du système des pensions. Nous considérons qu'iln'y a pas de transformation des valeurs sous-jaeentes au sys-tème des pensions. Les notions de solidarité, de minimum vitalet de pension de base à partir desquelles l'émetteur propose sonnouveau système, conservent un même matériau de soubasse-ment. L'émetteur annonce «on ne pourrait perdre de vue nonplus que le problème des personnes âgées n'est pas uniquementun problème de ressources. Il faut, autrement dit, inscrire l'évo-lution des pensions dans une vision globale de l'effort quidevrait être entrepris en faveur du troisième âge ». Le texten'inscrit pas cette perspective d'une «vision globale» lors dudéveloppement du travail. Là où il laisse attendre une trans-formation des valeurs sous-jacentes au système des pensionsexistant, là il conserve les valeurs. Le minimum vital existesous forme de chiffre. Il reste ce minimum vital sans qu'aucuncritère ne vienne justifier sa nécessaire reconversion ou trans-formation.

Il en est de même pour la notion de solidarité. Cette notioncorrespond à une amélioration du système des pensions et nonà une redistribution fondamentale des cotisations en rapportaux besoins de ces différents groupes et notamment des groupessociaux les plus défavorisés (il faut se rappeler les groupes lesplus défavorisés et camouflés derrière la vague trajectoire dusigne « les autres») à qui n'est accordé que le minimum vital.

La notion de :e pension de base» est, elle aussi l'écho de cal-culs dont les opérations ne répondent à aucun critère sous-entendu lors de l'affirmation d'une «nécessaire vision globaledu problème concernant le troisième âge.»

Nous avons montré à propos de la notion de solidarité com-ment tous les sous-groupes réalisent au niveau du rêve le jeude relations réellement solidaires. Au niveau du rêve par ceque le complément de pension à la pension de base établit con-crètement, existentiellement les montants de pension différen-tiellement perçus et donc partagés par chacun des sous-groupes,sans tenir compte, nous le répétons des besoins respectifs.

122

Page 125: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

4. Le texte connote une idéologie de compromis

Le texte se situe à l'intérieur du système de rationalité etdes valeurs dominantes de la société socio-économique belge.Nous ne pouvons cependant parler de «participationisme» àson propos. Même si les rapports entre les groupes ne sont pasanalysés, en terme de rapports de contradiction, d'exploitationce qui serait les exprimer comme porteurs d'exigences révolu-tionnaires, ce qui serait encore reconnaître «l'adversaire»comme classe sociale. Les groupes sont placés, au niveau dutexte, dans des rapports de type hiérarchique. II y a des favo-risés, il y a des défavorisés, il y a des « moins défavorisés ».

Cependant il s'agit d'aménager le système des pensions detelle manière que les défavorisés le soient moins. Le souci dela promotion des intérêts de ce groupe particulier et qui estsous-jacent à la première partie du texte, doit se réaliser grâceà la négociation dont la notion de solidarité entre les groupesest le reflet.La notion de solidarité est une mesure assez relativement

« intégrée» à cette rationnalité du système puisqu'une partieseulement des cotisations est calculée au prorata des revenuspour une distribution univoque d'une pension de base vis-à-visd'une certaine catégorie seulement (les pensionnés qui aurontversé une cotisation durant une période minimale). Il restepossible d'augmenter cette pension de base au moyen du com-plément de pension inégalement réparti en rapport aux besoins.De plus certains groupes pourront même échapper à cette soli-darité: il reste loisible de se retrancher de la. première catégorieen ne payant pas de cotisation durant la période fixée.Le souci d'une «solidarité réelle et intégrale» entre "lesdif-

férentes catégories socio-professionnelles' ne répond donc pasà la volonté de mettre fin à l'arbitraire du système socio-écono-mique, mais reflète bien, répétons-le la recherche d'une amélio-ration du' système des pensions. Cette amélioration doit seréaliser par un accord entre les parties et non par leur affron-tement.Nous avons, préalablement, utilisé l'expression« il reste

loisible de se retrancher de la première catégorie ... » Noussongeons, dans ce cas, aux groupes qui ont la réelle possibilitéde choisir d'appartenir à l'une ou l'autre catégorie (ceux qui

123

Page 126: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

auront cotisé - ceux qui n'auront pas cotisé). II ne faut cepen-dant pas ignorer ceux-là pour qui n'existent pas le choix et quiparticipent obligatoirement à, cette catégorie et ne reçoiventqu'un minimum vital. Le texte ne nomme pas ces groupes oula grille idéologiquene permet pas de les déchiffrer.Faut-il attendre une crise des rapports sociaux réels pour

que s'ébranle un glissement global de la grille idéologique etqu'il soit possible de les déceler et d'en définir les actions etrelations?Nous pensons avoir tracé le dessin de la grille idéologique

du texte. N'est-ce pas aussi d'une certaine façon souligner « sesblancs », ses lacunes et de la sorte faire émerger une redistri-bution des relations sociales dénoncées.Sans doute la pratique théorique ne s'accompagne pas du

glissement global de la grille idéologiqueet cependant un nouvelespace des rapports sociaux émerge; nous les qualifierons, nonplus d'hiérarchiques, mais de contradictoires.

Références bibliographiques

BARTHES R.,1967 Système de la, mode, le Seuil, Paris.

BUREAU DE PROGRAMMATION ECONOMIQUE,1970 Etude« Statistiques et prévisionnelles sur la,

Sécurité Sociale.

DELFOSSE P.,1971 «Le texte d'un système des pensions », Reeher-

chee Sociologiques, nO 2: 155-180.HJELMSLEV L.,

1958 Prolégomènes d'une théorie du langa,ge, Ed. deMinuit, Paris.

MARTINET A.,1968 Le La,nga,ge. Encyclopédie de la, Pléiade, Galli-

mard, Paris.

MOUNIN G.,1970 Introduction à la,Sémiologie, Ed. de Minuit, Paris.

124

Page 127: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

PERELMAN C., et OLBRECHTS-TYTECA L.,1970 Traité de l'argumentation, Ed. de l'Institut de

Sociologie de l'U.L.B., Bruxelles.

PRrETO L.,1966 Messages et Signaux, P.U.F., Paris.

SEBAG L.,1964 Marxisme et Structuralisme, Payot, Paris.

VIDAL D.,1971 Essai sur l'idéologie. Editions Anthropos-Paris,

Paris.

125

Page 128: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

NOTES DE RECHERCHES

THEORIE ET REALITE EN SOCIOLOGIE DE LA FAMILLE

par

Claire LEPLAE

II semble que lorsque le sociologue élabore une théoriede l'évolution de la famille, il établit une dichotomieexcessive entre le présent et le passé. Appuyant la dé-marche de sa pensée principalement sur des faits frap-pants, il dégage un type de famille ancienne quis'éloigne progressivement de la réalité.

Une investigation des situations au XVIIe et XVIII"siècles, fondée sur des données démographiques, des mé-moires, des généalogies, montre que, du moins en Bel-gique, en matière de mariage, de condition de la fem-me et d'emprise du chef de famille, la famille tradi-tionnelle n'était pas aussi différente de la famillemoderne que ne le font croire les théoriciens.

Durant ces dernières décennies, la sociologie s'est développée aupoint qu'elle peut prétendre être une science. Elle a précisé des con-cepts, découvert des tendances et des constantes. Mais on peut sedemander si, en dehors des constats qu'ils retirent de leurs étudesempiriques, les sociologues - pour se procurer la satisfaction d'avan-cer en terrain ferme ou donnant dans le prophétisme -, n'ont pasle travers de généraliser à outrance. En matière de comparaisonsynchronique et plus encore en matière de comparaison diachronique,ils accuseraient les contrastes, déclareraient trop facilement autrece qui est analogue. Pourrait-on affirmer que les vues du passé, surlesquelles se fondent certaines théories d'évolution transmises à lanouvelle génération de sociologues, ne sont pas devenues par tropsimplistes ?

Lorsque le sociologue se retourne vers le passé, il rencontre unetradition, de plus il soumet souvent cette tradition à un procédéd'intégration forcée, de telle sorte qu'elle finit par se présentersous la forme d'un système cohérent, logique au point que toutecontradiction en est éliminée. Les souvenirs, les informations sontassociés dans l'esprit. Ils s'évoquent, les uns amènent à reconstruireles autres, dans une direction bien tracée.

Le sociologue de la famille semble particulièrement enclin à suivrece processus de construction. Les événements vécus s'organisent, com-

126

Page 129: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

me le souligne Halbwachs: «c'est ainsi que nos souvenirs de fa-mille... traversent la couche superficielle des souvenirs récents, etnous conduisent par une voie directe, c'est-à-dire par une suite de ré-flexions qui, dans la masse des autres, forment un système mieuxlié et en quelque sorte plus rigide, dans les régions éloignées dupassé.» (1952: 139).Quant aux souvenirs de la famille, transmis, appris par nos lec-

tures, il ne serait peut-être pas trop hasardeux de prétendre qu'ilsse ramassent en une représentation «idéal-type» sévère. Par dé-cantations successives, le sociologue produit une essence de la familled'autrefois, qui, semble-t-il, s'éloigne progressivement de la familledu passé dans son essence. Nous remarquons que cette représentationde la famille ancienne s'insinue dans notre mentalité actuelle de socio-logue sans que nous nous en défendions. Elle préside à la façon dontnous lisons les textes et pal' conséquent à la façon dont nous écrivons.

Nous posons la question de savoir si le sociologue a suffisammenttenu compte de ce que peut révéler l'histoire, interrogée pour distin-guer sous l'ancien régime différents types de familles? A l'appuide cette question nous apporterons quelques précisions pal' lesquellesla famille d'autrefois se présente déjà sous d'autres couleurs.

I. La dichotomie famille traditionnelle-famille moderne

L'intention de distinguer le présent du passé, conduit à définirla famille ancienne d'après certains critères et la famille contem-poraine par d'autres qui leur sont opposés. Cette dichotomie abusiveapparaît dans de nombreux écrits. Un exemple du genre se trouvedans un texte célèbre de Burgess et Locke, dont la thèse est près dedominer toute étude de l'évolution de la famille:

«A high degree of family integration may be achieved by corn-munit y pressure, elaborate ritual, rigorous discipline, subordinationof other members to the head, and co-operative economie activities,as in patriarcal family. Or it may be achieved by mutual affection,sympathie understanding, common interests, and democratie re-lationship between husband and wife, and between parents andchildren, as in the companionship family.» (1960 : 289).

Ces auteurs distinguent donc deux types de familles. Ceci s'admetsans discussion. Ce qui paraît moins acceptable c'est de prétendre,comme on le fait trop souvent, que le premier. type représente, sansplus, la famille d'autrefois. Suivant cette ligne de pensée, l'unité dela famille ancienne apparaît comme découlant presque exclusivementde la contrainte. Burgess et Locke citent le contrôle social commepremier facteur de l'unité de la famille, alors qu'il semble plus jus-tifié de citer d'abord, pour la famille ancienne, la collaboration dansle devenir de la collectivité que représente la famille.

Si l'on examine de façon plus approfondie les facteurs intégra-tifs cités pal' ces auteurs, et attribués à la famille ancienne ou à lafamille actuelle, il apparaît que les distinctions sont quelque peu

127

Page 130: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

forcées. Dans nos contrées du moins en ce qui concerne le contrôlesocial, sous l'ancien régime, le droit favorisait incontestablementdavantage, et du dehors, l'unité du groupe familial, mais quant àla pression sociale, ce n'est pas certain: ainsi, par le passé, lesrapports sexuels hors mariage furent plus souvent ouvertement ad-mis, plus «institutionnalisés », du moins dans la haute société. Lesrites familiaux, certes plus empreints de simplicité, existent en-core à présent, sous la forme de cérémonies familiales, anniversaires,fêtes de Noël, et de St Nicolas, et celle des égards témoignés auxpersonnes plus âgées. Quant à la sévérité de la discipline, dans unesociété non démocratique la famille est par excellence le milieu oùse trouvent des adoucissements à la rigueur des hiérarchies ; sousl'ancien régime la famille traditionnelle était probablement le lieuprivilégié des compensations. Et le partage des expériences, la con-fiance mutuelle, la coopération dans les décisions, peuvent-ils êtredéniés aux membres d'une famille ayant une destinée commune'! Quipourrait refuser de reconnaître l'influence intégrative des com-munications et interactions au sein de la famille traditionnelle,moins orientée vers l'extérieur, déléguant moins ses fonctions etdont les contacts sociaux étaient plus circonscrits? Enfin, les in-térêts communs : les loisirs, la religion et le maintien d'un statutsupérieur dans le communauté, cités par Burgess et Locke (1960 :291) comme particularités de la famille de compagnonnage actuellesemblent être tout autant des facteurs d'unité de la famille ancienne.Lorsque nous nous retournons vers les auteurs européens, il appa-

raît que la plupart des sociologues dépeignent aussi la famille an-cienne sous de sombres couleurs. Le texte qui dans l'ouvrage de Pri-gent introduit les remarquables articles de Régine Pernoux et LéonMoreel exprime fort bien ce qui est actuellement transmis sur lafamille du XVIIIe siècle, laquelle est considérée par l'auteur com-me une sorte d'accomplissement de la famille traditionnelle :

«Ce qui la caractérise d'abord c'est l'autorité du père, autantsur les personnes que sur les biens de sa conjointe et de ses enfants.

Dans ce foyer qui est celui du 'chef de famille' l'épouse est sou-mise à un régime de véritable mineure, correspondant d'ailleurs àson statut dans la société du temps.

Quant aux enfants, c'est jusqu'à un âge avancé qu'ils demeurentdans un état de tutelle absolue. Celle-ci d'ailleurs ne concernant passeulement leur éducation ou la disposition de leurs biens mais ré-glant jusqu'à l'établissement de leur propre foyer, le choix du con-joint, ou même leur vocation.

A cette époque où une opinion énervée s'élève contre toutes lestutelles, où l'on s'apprête à déifier la Liberté, où tout individu s'af-franchit, on comprend que cette famille rigide et tyrannique ap-paraisse comme une cible tout désignée aux esprits novateurs.»(1954 : 19).Ce n'est qu'avec une grande hésitation que nous passerions sous

silence les attributs affectifs de la famille ancienne. Ceux-ci ne se

128

Page 131: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

sont-ils pas effacés dans le temps? Il Y a bien à parier que si dansun avenir lointain on recherchait les témoignages d'affection fa-miliale à l'époque actuelle, cette investigation ne serait pas telle-ment en faveur de la famille contemporaine. Et cela ne prouveraitrien car l'intimité familiale laisse peu de traces. Si la littératureréclamant quelque douceur dans l'éducation et prônant l'intimitéfamiliale n'apparaît qu'à la fin du XVIIIe siècle, il n'est pas cer-tain que bien avant en nos contrées, dans la masse de la population,la vie familiale n'ait pas atteint la chaleur du foyer moderne. Toutcomme il s'est fait de la bonne cuisine avant l'édition de manuelsculinaires, l'intimité de la famille a bien pu exister avant d'être re-tracée par la plume.

II. Elements rectificatifs de l'image de la famille traditionnelle

Nous avons découvert au fil de nos lectures, des textes et desrelevés statistiques qui pourraient jeter un jour nouveau sur lafamille ancienne de nos contrées. La documentation est peu abon-dante, ou du moins encore fort éparse, il s'ensuit que le présenttravail ne constitue qu'autant de points d'interrogation. Nous n'a-bordons que deux aspects de la famille, l'emprise du chef de familleet le mariage. Ces deux aspects permettent d'avancer que sous l'an-cien régime, les membres de la famille ne se trouvaient pas dansdes conditions tellement différentes des conditions présentes.

A. La férule du chef de famille

Une première difficulté rencontrée dans l'analyse de la familleancienne provient du fait que beaucoup de nos connaissances neconcernent qu'un milieu exceptionnel, la haute aristocratie. Il s'agi-rait de savoir jusqu'à quel point nos ancêtres adoptaient les mêmescomportements et surtout de pouvoir assurer que l'image de la hautesociété tirée des œuvres littéraires représente la réalité. On peut sedemander si les anecdotes, les potins piquants rapportés sur ce milieutrès particulier n'en soulignent qu'un aspect. Toute époque a ses mo-dèles, et dans ce groupe social chacun, cherchant le succès, veillait àfeindre le personnage du jour, à se conformer au rôle en vogue, sibien qu'en famille, la distance n'était parfois que de surface. (1).

(1) La preuve s'en trouve dans les Mémoires du Prince de Ligne:«Ce n'était pas à la mode alors - écrit-il en parlant de son père -d'être bon père, ni bon mari.» (1927 : 7).

Déjà la lecture de ces mémoires apprend combien il est malaisé dereconstituer le climat familial du temps. Si le père de l'écrivain paraîtbien avoir été un parfait despote: «Ma mère avait grand peur de lui.Elle accoucha de moi en grand vertugadin et elle mourût de mêmequelques années après tant il aimait les cérémonies et l'air de dignité» ;ainsi qu'un mauvais père: «mon père ne m'aimait pas. Je ne saispourquoi car nous ne nous connaissions pas.o (1927: 7); tout n'estpas dit sur les relations parents-enfants si l'on néglige l'incident narré

9 129

Page 132: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Les livres de raison sont autant de témoignages de la constantesollicitude du chef de famille pour le bien de ses proches, mais ilsne constituent d'ordinaire qu'un journal de famille. La plupart seréduisent à l'annotation des événements familiaux ou locaux. Leurton est généralement impersonnel, l'auteur n'y épanche guère ses sen-timents et ne rapporte pas ceux de ses proches. La sécheresse dustyle tend à nous induire en erreur, elle ne prouve pas l'inexistencede relations affectives (2).

A qui veut les rechercher dans les mémoires et les lettres, lespreuves des liens affectifs parents-enfants dans la famille ancien-ne montrent des attitudes charmantes. Nous n'en avons pas fait unrelevé systématique lequel constituerait la matière d'un autre tra-vail (3).

à la page précédente: «Un jour mon père envoie ma sœur dans sachambre en pénitence. Elle ne veut pas y aller. Mon père pour la fairesortir, la traîne avec son fauteuil où elle était et accroche à la porte,et la tête insubordonnée lui dit: Je savais bien que vous étiez mauvaispère, mais vous êtes aussi mauvais cocher.» (1927: 6). Ce dernier traitindique des rapports familiaux d'une tout autre coloration.

(2) Ainsi, une seule allusion à l'attachement conjugal se trouve rap-portée par François Philippe de Spoelberch. Le 24 mars 1709, il notele décès de son beau-père, le 30 mars 1709: «Dame Alexandrine vanden Hecke la mère de ma femme est aussi morte, de chagrin.:. (deRijckman de Betz, 1935: 259). Et ce n'est pas parce que, comme onle faisait à l'époque, Robert Coppieters (1970) dénomme sa femmeMadame tout au cours de son journal, qu'il faut en conclure au manqued'attachement. Au long de ces pages, retraçant l'histoire de la région,épouse, filles, beaux-fils, petits-enfants apparaissent constamment, etçà et là se dévoile une profonde affection.

(3) Toutefois croyant à l'intérêt que le sociologue pourrait leurprêter, nous rapportons quelques-unes de ces preuves. La première setrouve dans les mémoires du même Prince de Ligne. Lorsque son filsCharles, fut appelé encore enfant à le suivre dans ses campagnes:«Je le tins pas la main aux premiers coups de fusil que je lui fis tirerà une petite affaire d'avant-postes contre les Prussiens, et m'élançantà cheval avec lui, tout en galopant, je lui dis: Mon Charles, il seraitjoli que nous eussions ensemble, ainsi une petite blessure.» (1927: 176).Marmontel écrit à ses enfants: «Ce qui dans mes souvenirs fait lecharme de ma patrie, c'est l'impression des premiers sentiments dontmon âme fut comme imbue et pénétrée par l'inexprimable tendresseque ma famille avait pour moi. Si j'ai quelque bonté dans le caractère,c'est à ces douces émotions, à ce bonheur habituel d'aimer et d'êtreaimé que je crois le devoir.» (1818: 3). Montesquieu disait volontiers :«Avec mes enfants, j'ai vécu comme avec des amis.» (Lenotre,1941 : 15».On a assez loué le paisible bonheur familial de la classe bourgeoise

pour ne plus devoir s'étendre sur cette question. Quant à la classerurale, aux textes souvent cités de Restü de la Bretonne, décrivant ungrand-père despote, on doit ajouter que Nicolas lui-même disait dece grand-père: «L'éducation que donna Pierre et sa manière d'élever,ressemblait assez à celles des anciens romains et des Français d'il y adeux cents ans.» (1924: 47, 55, 106, 108).

130

Page 133: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

La négligence des preuves de liens affectifs étroits dans la familletraditionnelle incite à nous demander combien la démarche de lapensée du sociologue, sur un plan général, l'amène à s'écarter dela réalité. Lorsque le sociologue centre son attention sur le systèmefamilial, il est aussitôt porté à certaines déductions : il dégage deslois fondamentales, ainsi que des corollaires de ces lois. Ce sont ceslois que Comte déjà mettait en évidence lorsqu'il déclarait que lafamille consiste essentiellement dans la combinaison de deux rôlesfondamentaux de relations: 10 la subordination des sexes; 20 lasubordination des âges. De ces lois, nous tirons entre autres lescorollaires suivants: a. Dans la famille traditionnelle, les membresdu sexe masculin tiennent exclusivement les rênes du gouvernementde la maison; b. les hommes mûrs sont soumis à l'autorité d'unchef de famille âgé.

a. Premier corollaire

Le premier corollaire peut nous mener loin, aussi loin que Comtelui-même dans cette affirmation : la principale force de la femmeconsiste à surmonter la difficulté d'obéir. On a trop souvent pré-tendu que les capacités de la femme étaient paralysées sous l'ancienrégime et qu'aucune grande responsabilité ne lui était confiée.

De fait, une tendance à l'égalité des sexes apparaît très tôten Belgique, dès le XIII' siècle; elle se manifeste dans le droiturbain et particulièrement en Flandre. Suivant l'étude de Gilissen(1963: 320), cette tendance se traduit par l'égalité des père etmère dans l'exercice de la puissance sur les enfants, par la capacitécivile complète de la femme majeure non mariée, par le développe-ment de la capacité de la femme marchande, même mariée, par desrégimes matrimoniaux donnant à la femme des droits identiques àceux du mari, par l'égalité des droits de l'époux survivant, femmeou mari, par l'égalité quasi complète des sexes en matière succes-sorale.

Quant à la capacité de tester, elle est assez souvent reconnue àla fille à un âge plus jeune qu'au garçon: selon Esmein (1929:236-237) la différence est de deux ans, les âges se dispersent entre12 et 18 ans pour les filles et 14 et 20 ans pour les garçons.

Et le retour aux cas concrets adoucit considérablement l'image dela condition de la femme dans le passé. Il reste de nombreusespreuves de la reconnaissance de la capacité de la femme à colla-borer au gouvernement de la maison. Lorsque le chef de familles'en trouvait empêché ou incapable, il semble bien que ce soit lafemme qui assurait le relai plutôt qu'un membre masculin de lafamille. Même plus, selon Lichtervelde: «Les archives nous mon-trent qu'en fait elle prend souvent une part prépondérante à lagestion du patrimoine.» (1942: 47) (4).

(4) Nous nous bornons à citer trois auteurs à l'appui de l'affirmation

131

Page 134: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Quant au ton des relations entre mari et femme, il se trouvedes exemples d'où l'on peut déduire que le couple «moderne» n'estpas seulement contemporain. Les lettres du Général de Martagnecitées par Philippe Ariès (1960: 453-455) mettent en évidence letype démocratique des relations conjugales. C'est pourquoi, le socio-logue aurait bien tort de croire que le trait le plus relevé de lafamille contemporaine en fait son originalité.

b. Second corollaire

La subordination des âges évoque l'image des adultes, des hom-mes mûrs soumis à l'autorité d'un chef de famille âgé. Et l'onne serait pas loin de prétendre que l'autorité du chef de famillevieillissant a réduit la famille ancienne à l'immobilisme.

Cette conception de la famille traditionnelle ne peut être géné-ralisée. Ainsi Lichtervelde (1942: 47-48) expose que dans nosProvinces belges la structure juridique de la famille maintient unéquilibre entre les droits de la famille et les droits de la personne.La puissance paternelle prend fin à la majorité, généralement fixéeà 25 ans, comme en France, ou à l'émancipation qui résulte auto-matiquement soit du mariage, soit de l'entrée en religion. Lesenfants sitôt mariés sont juridiquement détachés de leurs parentset aussitôt indépendants. Ils forment une cellule nouvelle et échap-pent à l'autorité du chef de la maison (5). L'indépendance des

de la participation de la femme aux décisions familiales. Au XVIe siècle,à 17 ans, Marguerite de Lalaing:_ «procéda elle-même au remembre-ment de ses biens.» (Schyrgens, 1928: 6). Pour le XVIIIe siècle,relevons le témoignage du Général Marbot: «II existait au chateau deLaval une famille noble comprenant trois fils. Le chef de famille decette maison étant accablé par la goutte, ses affaires étaient dirigéespar son épouse, femme d'un rare mérité.» (1919: 7). A la mêmeépoque, Malon-Riga écrit à sa famille à propos d'un neveu qu'on luia confié et qui ne lui donne aucunement satisfaction: «II manqueabsolument de moyens... il sera malheureux, j'ose le prédire, à moinsqu'il ne suive aveuglément les conseils de sa mère, ou ne trouve unefemme spiritueIle qui ait assez d'ascendant sur lui pour le mener et cedevra être avec beaucoup de précautions car il a une assez mauvaisetête.» (Bronne, 1962: 110). Exilé, Malou acheta 900 acres à troismilles de Princeton. La propriété étant de bon rapport, il écrivit à safemme pour la convaincre de le rejoindre en Amérique avec leursenfants, s'exprimant en ces termes: « ... avec les moyens que je vous diset quelques-uns de vos meubles, vous tiendrez ici le premier rang ...C'est le conseil de l'amitié et de l'amour paternel, c'est aussi ma volontédéterminée, pour autant qu'elle soit encore quelque chose dans mafamille.» Evoquant les dangers du voyage, et l'éducation des enfants,son épouse refuse de le rejoindre. Il lui répond: «mon courage, quelquegrand. qu'il soit, succombe à l'idée affreuse d'une séparation de meschers enfants, dont le souvenir ne cesse de me poursuivre et de m'acca-bler. Adieu, je vous embrasse tous tendrement.» (Bronne, 1962: 113).Ces textes montrent combien les décisions importantes concernant lafamille étaient déjà partagées entre mari et femme.

(5) Pour nos contrées, il se trouve une confirmation de l'usage de

132

Page 135: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

adultes est assurée par les droits successoraux et les dispositionstestamentaires ou autres du père de famille qui maintient l'égalitéentre ses enfants. Verhaegen précise: «Si à l'égard des biensféodaux les femmes en général sont moins bien favorisées que leshommes, et les cadets que les aînés, ces biens ne pas pas consé-quents parce qu'il ne s'agit que du domaine propriétaire attachéau fief, d'ordinaire peu considérable. D'ailleurs, ceci est encore cor-rigé par les mœurs. La mémoire du père de famille qui ne partagepas ses enfants avec une honnête égalité est vouée au mépris.»(1934 : 373). Il s'ensuit que l'on ne connaît pas habituellement dansles Provinces belges de ces branches pauvres ni de ces parents quela pauvreté oblige à vivre aux dépens des aînés de famille et sousleur tutelle.L'emprise qu'aurait exercée le chef de famille âgé n'est pas

seulement réduite par des coutumes régionales, elle l'est aussi parla situation démographique qui la limite de fait: si l'on tientcompte de la mortalité à cette époque, un grand nombre de chefsde famille étaient jeunes et totalement indépendants. P. Deprez(1965 : 624-625) a calculé pour certaines régions des Flandres l'âgemoyen de décès des personnes âgées de 15 ans et davantage, il lesitue entre 46 et 53 ans pour la première moitié du XVIII" siècle.Sur mille hommes ayant atteint l'âge de 15 ans et au delà, lamoitié mourait entre 25 et 54 ans. Si l'on considère que l'âgemoyen de mariage à l'époque si situe entre 25 et 29 ans, lescohortes des hommes étaient déjà bien décimées au moment dumariage de leur fils aîné, et subissaient continuellement de lourdespertes.

Pour la France, les données sont semblables. Du tableau de lapopulation française dressé par Bourgeois-Pichat (1952) on peuttirer qu'en 1776 le groupe d'âge de 25 à 29 ans était composé de982.000 hommes, celui de 50 à 54 ans de 570.000 hommes. Commela période de fécondité s'étendait en moyenne sur 17 années etqu'un nombre relativement élevé de mariages étaient tardifs, onpeut conclure qu'à l'âge ou l'homme fondait un foyer il se trouvaitplus souvent orphelin de père que soumis à la tutelle d'un hommeplus âgé. Evidemment ce calcul est grossier étant donné que lamortalité des célibataires est à toute époque supérieure à celle deshommes mariés. Mais par ailleurs, il faut encore considérer lasénescence plus précoce : parmi les pères encore en vie, combien nese voyaient-ils pas contraints d'abandonner les rênes du gouverne-ment de la maison ?

La charge qu'assumaient les jeunes dans la famille d'autrefoisa été soulignée par A. Sauvy: «Dans la société traditionnelle,l'enfant était en quelque sorte happé par la famille. Non seulementla solidarité était très forte, mais le sentiment des responsabilités

la néo-localité dans l'analyse de E. Hélin (1929: 239). En 1801 àLiège, 37 % des ménages étaient composés de une ou deux personnes,80 % des ménages ne comprenaient pas plus de cinq personnes.

133

Page 136: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

venait de bonne heure, la moitié des jeunes de moins de 25 ansétaient orphelins d'au moins un parent.» (1968 : 5). Il se confirmedonc que de façon générale, l'autorité du père de famille n'exerçaitpas une action d'étouffement sur les hommes jeunes. Relevons qu'àpartir de la seconde moitié du XVIII" siècle, la longévité s'estaccrue; en même temps naissait l'idéologie de l'individualisme,de la liberté. Cette aspiration ne va pas cesser de se répandre, etlorsque la tension sera devenue insoutenable, le chef de familleexercera son autorité «en jeune s , en compagnon.

TI. Le mariage

Le choix matrimonial

De toutes les composantes de l'institution familiale, le mariagesemble différencier par excellence la famille ancienne de la famillecontemporaine. Le mariage dans la famille ancienne aurait été autresur plusieurs points: l'exercice du choix matrimonial, le nombrerelativement réduit de personnes autorisées à se marier, la précocitédu mariage et la différence d'âge entre les époux.

On peut décrire de telle façon la représentation que l'on se faitdu mariage dans la famille traditionnelle. Sous l'ancien régimele mariage était conçu dans l'intérêt d'une collectivité d'individus, lafamille, attelés ensemble au maintien et au progrès de leur com-mune situation, dans une société qui offrait peu de chances d'aveniret de protection en dehors du soutien que constituait la familleelle-même. Le mariage dépendait de circonstances économiques;lesquelles, forcément dans la société préindustrielle, se, réduisaientau patrimoine familial ou aux charges exercées par les membres dela famille. Suivant les possibilités de sa famille et de la famille àlaquelle il se serait allié, l'individu était autorisé à acquérir le statutmatrimonial, source de satisfactions émotionnelles aussi bien dansla société que dans la famille car la société était fortement orientéevers la continuation de la lignée. Le célibat, souvent involontaire,constituait un statut de second ordre. Selon Reinhard: «les céli-bataires étaient plains et moqués.» (Duplessis-Le Guélinel, 1954 : 7).

On considère généralement que les parents cherchaient à bienmarier leurs aînés quitte à leur destiner la plus grande part desbiens dont ils disposaient. Les personnes qui se mariaient, étantde ce seul fait privilégiées, se sentaient en retour obligées d'accepterle conjoint que proposait le chef de famille. Lequel se prononçaitpour l'union qui lui paraissait être la plus favorable au groupefamilial tout entier. Ceci constituait une sorte de compensationpour les membres de la famille qui n'avaient pu être établis ; dumoins y trouvaient-ils leur compte, par les avantages économiquesou sociaux de l'union contractée par leurs aînés. Ce texte deCantillon confirme en matière de mariage l'inégalité de conditionliée au rang dans la fratrie: «Les cadets vivent pour la plupart

134

Page 137: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

garçons soit dans les Armées, soit dans les Cloîtres, mais rarementen trouvera-t-on qui ne soient prêts à se marier, si on leur offredes héritières et des fortunes, c'est-à-dire le moïen d'entretenir unefamille sur le pié de vivre qu'ils ont en vue, et sans lequel ilscroiraient rendre leurs enfants malheureux.» (1952: 102).

Reste à savoir si les vues, qui viennent d'être exposées, exprimentla situation générale. On pourrait interroger le passé avec profitpour savoir jusqu'à quel point le mariage était imposé. A nouveaula petite histoire nous rapporte de ces cas révoltants, se situant nonseulement dans les familles régnantes et dans la haute société, oùl'union matrimoniale avait un caractère politique très prononcé,mais aussi dans la bourgeoisie : le bourgeois était parfois prêt àsacrifier à ses ambitions, et le mariage constituait un canal toutindiqué pour les réaliser.

Dans quelles proportions le mariage présentait-il cet aspect?D'après Renesse, en Belgique comme en France, il semble bien quedans l'aristocratie le mariage était généralement imposé: «Ce sontles parents qui cherchent ou font chercher par leurs amis le fiancéqui enlèvera la jeune fille à son chapitre de chanoinesse. Ce sonteux qui marient les enfants.» (1924 : 101).

Mais, pour les autres milieux il n'en aurait pas été de même;les Goncourt nous apprennent: «qu'il y avait besoin, pour qu'unmariage s'accomplit, sinon d'un commencement de passion, au moinsd'une certaine sympathie de la jeune fille pour le jeune homme quise présentait à elle.» (1882: 229).

II faut d'ailleurs distinguer le mariage de raison (mariage pra-tiquement imposé) et le mariage par présentation (mariage arrangé)qui ne constituait qu'une proposition de mariage. A la source despropositions se trouvait un champ généralement étroit d'éligiblesdu fait que les relations sociales, limitées par des moyens de com-munication peu efficaces et parfois par la faible densité de la popu-lation, étaient réduites à un petit nombre de familles déjà appa-rentées, vivant dans un espace géographique de peu d'envergure.

Qui peut prétendre que le chef de famille ne cherchait pasà aboutir à des unions assorties, autant que faire se peut, aussi biensous l'aspect des goûts et des caractères qui du point de vue desavantages matériels? Sous ce même angle, on peut concevoir quecomme la femme était associée au gouvernement de la maison elleparticipait au choix matrimonial, prenant une large part dans lasupputation des chances de bonheur des candidats au mariage; etl'on se refuse à croire qu'elle n'ait d'ordinaire pas pris en considé-ration les sentiments personnels de ses enfants. Que l'influence desfemmes dans le choix matrimonial ait existé ou fut même impor-tante, nous en trouvons la preuve, assez pauvre du reste, dans lerôle des femmes au XIXe siècle et même au XXe siècle en matièrede mariages arrangés. On a pu connaître un certain nombre de«marieuses» (et non de e marleurs s que je sache) qui s'effor-çaient d'organiser des rencontres, ou même de proposer le mariage

135

Page 138: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

à des jeunes gens qui auraient pu se convenir. Ces comportementspeuvent être considérés comme une survivance de l'action de lafemme sur le choix matrimonial.

De toute façon, la possibilité de contracter mariage à son choixexistait sous l'ancien régime. Cependant, le législateur suit unetendance restrictive. Au XVIe siècle, l'âge de 25 ans pour lesjeunes gens, de 20 ans pour les jeunes filles fut requis pour con-tracter mariage sans consentement des parents. Une ordonnancedu 29 novembre 1623 fixe uniformément à 25 ans l'âge jusquelequel le consentement des parents était requis ; passé cet âge, ilsuffisait aux enfants désireux de se marier de s'être mis en devoirde requérir l'avis et le conseil de leurs parents sans être tenusd'attendre leur consentement. Comme l'âge du mariage était plussouvent élevé à cette époque, nombre d'hommes et de femmes pou-vaient exercer le choix matrimonial en toute liberté.

Le célibat

Quant aux personnes qui ne se mariaient pas, Funck-Brentanoet Duplessis-Le-Guélinel citent en exemple des familles très nom-breuses dont un grand nombre d'enfants en étaient réduits à vivredans l'état de célibat. Duplessis-Le Guélinel (1954: 13) se fondesur les travaux de Mathorez : qui a fait des dépouillements de livresde raison et indique le sort de 176 enfants mâles pris dans diversesfamilles ; moins de 39 % ont fondé un foyer; 30 % sont entrésdans les ordres ; 23 % sont morts célibataires ; 7 % ont été tuésà la guerre et 1 % ont émigré.

Les travaux historico-dêmographiques actuels, ne confirment pasces vues. Ainsi, Peller (1965 : 89) en ce qui concerne les famillesrégnantes européennes, découvre que du XVIe au XVIIIe siècle,la proportion des hommes mariés à l'âge de 50 ans varie de70,3 % à 79,6 %, celles des femmes de 75,9 % à 86,8 %. On saità présent que le célibat n'était pas répandu dans les régions rurales,et dans certaines contrées peut-être même moins qu'il ne l'est àl'époque actuelle. En France, la proportion de célibataires varieselon les localités. D'après huit sondages rapportés par L. Henry(1954: 454) sur la population féminine décédée à l'âge de 45 ou50 ans et davantage, l'effectif des femmes mourant célibataires sesitue de façon générale en dessous de 10 %. La proportion estparfois bien basse. A. Girard (1959 : 489), pour la période de 1760à 1790, n'a compté que 2,6 % de célibataires chez les femmesdécédées à l'âge de 45 ans ou davantage. En incluant dans les calculsles femmes dont l'état matrimonial est incertain, le pourcentagen'atteint que 7,8. Cependant, cette faible proportion de célibatairesde sexe féminin appelle deux réserves: les femmes non mariéesauraient peut-être émigré en région urbaine, pour le service domes-tique notamment ou pour s'y consacrer à l'état religieux.

Pour nos Provinces belges nous ne disposons à présent que de

136

Page 139: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

données calculées sur des faibles effectifs; les travaux sont encours. Aussi nous sommes-nous bornée à effectuer un relevé som-maire des informations que l'on peut trouver dans l'ouvrage deMerghelynck, Recueil de généalogies de Flandre (1877). Cet ouvragea paru convenir à notre propos; les informations concernent desfamilles nobles et des familles patriciennes qui n'ont pas obtenu lanoblesse; elles permettent différents calculs qui jettent un journouveau sur la question. Il présente cependant de nombreuseslacunes: il est spatialement limité, et l'on ne sait s'il représente unun échantillon valable; en outre, on n'y trouve qu'assez rarementtous les renseignements voulus pour une même famille, il enrésulte que l'analyse ne porte que. sur un petit nombre de cas,parmi lesquels les familles nombreuses sont quelque peu sous-repré-sentées. Le calcul est donc approximatif.

Cependant, à la lumière de ce document, on peut approcher laquestion de savoir si c'est avec raison que l'on croit que toutefamille comptait un certain nombre d'enfants dont l'avenir étaitsacrifié, de célibataires involontaires. Nous rendons compte de lasituation au XVIIe et au XVIIIe siècle.

En fondant les calculs sur deux cents familles, il apparaît que60 % de celles-ci n'ont pas plus de trois enfants à établir. Dans cesfamilles, le taux de célibat religieux ou laïc est de 12 % ; 27 %des familles ont eu de quatre à six enfants adultes, leur taux decélibat est de 23 % ; 13 % des familles ont eu plus de 7 enfantsà placer, leur taux de célibat est de 37 %.

Si l'on considère les familles nombreuses, celles de quatre enfantsou davantage, il apparaît que pour un quart d'entre elles tousles enfants sont mariés (dont une famille de 9 enfants). Si l'onajoute les familles qui comptent un ou deux célibataires, ce quine paraît pas excessif, leur taux de célibat est de 15 %. Parailleurs, 21 familles totalisent 87 célibataires, leur taux de célibatatteint 57 %,. certaines familles comptent jusqu'à six ou sept céli-bataires.

Il ressort de ce calcul, que pour la majorité des familles, lecélibat n'atteint pas des proportions extraordinaires par rapport àla situation au cours de la première moitié du XXe siècle. Lemariage n'apparaît plus comme un privilège au sein des familles.La situation se définit mieux en avançant qu'il y avait des famillessacrifiées, parmi celles qui comptaient le plus d'enfants où mani-festement l'avenir des enfants a été entravé. Notons que ces familles,qui représentent le type traditionnel qui nous est parvenu par latransmission des souvenirs, ne constitue qu'une faible minorité dansle présent relevé, si faible que bien que ce relevé soit très limitéil permet de croire que jamais les familles de cette sorte n'ontconstitué une majorité. Ceci amène à reconsidérer l'hypothèsesuivant laquelle l'enfant est pour la famille actuelle un bien deconsommation, tandis qu'il était pour la famille ancienne un biende production, d'où le couple aurait été porté à une plus grande

187

Page 140: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

procréation. Il y a lieu de se raviser en ce qui concerne les famillesnobles et bourgeoises, elles avaient toutes les raisons de limiter lesnaissances.

Notre représentation de la famille ancienne forme si bien unsystème que nous allons même jusqu'à prétendre que les aînés setrouvaient dans l'obligation de se marier, «la famille existant avantl'individu », situation positivement contraignante, tandis que lescadets se trouvaient obligés de rester dans l'état de célibat, situationnégativement contraignante. Pour autant que la population étudiéepuisse nous éclairer, il apparaît qu'un certain nombre d'aînés nese mariaient pas. Nous avons même relevé des familles (un petitnombre évidemment) dont le quatrième fils ou même le cinquièmeenfant s'était marié alors que ses aînés étaient entrés dans lesordres ou restaient célibataires. A partir des données analysées, ilapparaît que la proportion de célibataires n'est pas tellement diffé-rente: parmi les premiers, les seconds et les troisièmes enfants,elle est de l'ordre de 18 % ; pour le quatrième enfant elle s'élèveà 28 % et pour les cinquièmes enfants et les suivants, elle atteint25 %. De fait, ces chiffres sont biaisés par la présence d'enfantsappartenant à des familles réduites dont la nuptialité est supérieure.Si l'on se fonde seulement sur les familles nombreuses, celles dequatre enfants ou davantage, il apparaît que la proportion decélibataires ne diffère guère suivant le rang de l'enfant; 22 %pour ·les aînés, 30 % pour les seconds et troisièmes enfants. Ladimension de la famille semble plus discriminatoire que le rang dansla famille. Ceci permet de croire à une certaine liberté de choix d'unétat matrimonial ou de célibat. Comme ce calcul n'est fondé quesur un petit nombre de cas, il y a évidemment lieu d'approfondir laquestion par l'analyse d'autres populations.

Si l'on distingue le célibat laïc et le celibat religieux, il se con-state que ce dernier est plus fréquent dans les familles nombreuses.L'état religieux se retrouve souvent dans une même famille: quatre,cinq enfants prononcent des vœux. Ceci semble signifier qu'on aitexercé une forte pression sur eux. Cependant, au XXe siècle, pourlequel nous OSons croire qu'aucune forte pression n'est exercée enfaveur de l'état religieux, les vocations se trouvent aussi plus sou-vent dans les grandes familles. M. Mattez (1958: 694), dans sonétude sur les religieuses du diocèse de Tournai, en 1954, a con-staté que les familles nombreuses produisent la moitié des vocations,et que des familles comptent même cinq, six, sept jusqu'à huitvocations. On l'attribue au mode d'éducation ou à une sorte d'ému-lation entre les enfants. Ceci permet de croire, que le nombresupérieur de cas de célibat religieux dans les grandes famillesd'autrefois, ne peut être considéré toujours comme l'effet du méca-nisme de placement des enfants, dans lequel l'état religieux auraitété une solution de second ordre. Comme au XXe siècle, l'état reli-gieux est acquis plus souvent par des enfants appartenant à unefamille de grande dimension, on ne peut refuser d'envisager que,

138

Page 141: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

sous l'ancien regime, les familles nombreuses comptaient égalementune proportion élevée de vocations réelles.

L'age au mariage

L'âge au mariage constitue un autre aspect sous lequel la familletraditionnelle s'oppose à la famille contemporaine; il était parfoistrès précoce, souvent tardif. Du point de vue juridique la différenceest certaine, l'âge légal était de 14 ans pour les garçons et de12 ans pour les filles. Cette situation se manque pas de nousheurter, d'autant plus que la plénitude de la puberté se produisaitplus tard qu'à présent, vers 16 ans pour les femmes et 18 ans pourles hommes; la loi permettait donc des mariages d'enfants n'ayantpas atteint la maturité physiologique.

Sans reprendre toutes les données recueillies par les démographes,nous indiquons seulement que pour L. Henry (1954: 456) l'âgedu mariage se situe pour les hommes à 28 ans en moyenne et pourles femmes à 25 ans environ. Si l'on tient compte de la maturitéphysiologique plus tardive à cette époque, du point de vue biolo-gique l'âge au mariage n'était pas tellement différent de l'âge aumariage actuel. P. Deprez (1956 :615) donne l'âge moyen aumariage dans quelques localités des FIandres au XVIIIe siècle,celui-ci est en général moins élevé qu'en France, mais fluctue dansle temps. Cet âge se disperse entre 23,5 ans et 29,6 pour leshommes ainsi qu'entre 22,0 ans et 28,5 ans pour les femmes.M. Dorban (1970 : 386) a constaté dans une commune rurale qu'àla même époque l'âge moyen au mariage est de 26 ans pour lesjeunes gens et de 24 ans pour les jeunes filles. Cependant, cet âgemoyen n'a guère d'intérêt pour notre propos étant donné la plusgrande dispersion de l'âge au mariage sous l'ancien régime. Laquestion qui nous intéresse est la proportion de personnes ayantcontracté mariage à un âge inhabituel à présent.

En ce qui concerne le mariage précoce, Peller (1956: 90) nousapporte quelques précisions à propos des mariages dans les famillesrégnantes européennes. De 1580 à 1779 moins de 0,5 % des garçonsappartenant à ces familles se trouvent mariés à 15 ans, pour lesfilles, le taux dépasse légèrement 2 %. Ces taux nous paraissentconstituer un maximum étant donné les raisons politiques qui pré-sidaient aux unions matrimoniales des familles de haut lignage.D'après un échantillon de 200 hommes et de 200 femmes tiré del'ouvrage de Merghelynck, au XVIIe et au XVIIIe siècle, noustrouvons pour les hommes : aucun mariage en dessous de 15 ans ;0,5 % de mariages en dessous de 20 ans, (un garçon âgé de 16 ans) ;pour le sexe féminin : 1,5 % de filles mariées à 13, 14 et 15 ans ;ces cas ne se trouvent pas dans la haute aristocratie.

Pour ce même échantillon de Flandre, 86,5 % des hommes semariaient entre 20 et 35 ans et 85 % des femmes entre 17 et 31 ans.Le mode et l'âge médian se recouvrent pour les hommes, 27 ans ;

139

Page 142: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

pour les femmes le mode est 22 ans, l'âge médian 23 ans. Il nese trouve que 13 % des hommes qui se soient mariés après l'âgede 35 ans et 13,5 % des femmes mariées après 31 ans. Bien quela dispersion des âges au mariage était plus large autrefois, de cepoint de vue les mœurs n'étaient pas tellement différentes de cellesde notre époque, ou du moins pas aussi différentes qu'elles leparaissent d'après les études fondées sur les témoignages contem-porains.

La différence d'âge entre époux

Lorsqu'on compare l'institution matrimoniale ancienne au mariageactuel, on fait état de la différence d'âge entre époux. Parce quele mariage était, dit-on, bien plus l'union de deux famiIles quel'union de deux personnes, une conjonction d'intérêts, il n'était pastenu compte de la différence d'âge entre les époux, si grande soit-elle, et l'on cite des cas de très jeunes filles mariées à des barbons,ou de jouvenceaux unis à des femmes mûres, ou même nettementvieilles.

Nous avons relevé, toujours dans Merghelynck (1877) la diffé-rence d'âge entre les époux. Cet ouvrage malheureusement ne fournitque peu de données utiles de cette sorte. La question posée est desavoir jusqu'à quel point les mariages anciens différent des maria-ges contemporains. Dans leur recherche consacrée au mariage enBelgique à l'époque actuelle, Henryon et Lambrechts (1968 : 62) ontrelevé 80,8 % de conjoints du même âge ou dont la différence d'âgene dépasse pas 5 ans ; le pourcentage correspondant pour 165 cou-ples du XVIIe et XVIIIe en Flandre est seulement de 45 %.Cependant, actuellement, des mariages sont conclus entre person-nes dont l'écart d'âge dépasse 5 ans: d'après les mêmes auteurs;l'écart va jusqu'à 15 ans de plus pour l'homme, et est le fait de18 % de couples contemporains; il atteint 8 ans de plus pour lafemme, ce qui est le cas pour 1,2 % des ménages. Pour la périodeancienne, les proportions sont de 36,5 % et 3,7 %. On peut doncconsidérer qu'autrefois 85 % des personnes se mariaient avec desdifférences d'âge qui ne dépassent pas celles que l'on retrouve encoreaujourd'hui.

Les couples dont la différence d'âge nous choque actuellement,de 16 ans à 36 ans de plus pour les hommes et de 10 à 31 ans deplus pour les femmes représentent donc seulement 15 % des unionssous l'ancien régime. La proportion n'en est pas moins surprenante,surtout lorsqu'on apprend que près de 4 % des femmes avaientau moins dix ans de plus que leur mari. De façon générale, cettedifférence d'âge en faveur de la femme signifie bien que les intérêtsfamiliaux et économiques ou les ambitions avaient le pas sur d'autresconsidérations : de tels mariages furent conclus pour les avantagesqu'apportait la femme ou faute de mieux en raison du peu d'atoutsdont l'homme aurait pu se targuer. Dans le cas de forte différence

140

Page 143: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

d'âges, le premier mariage constituait sans doute une des étapesd'un planning à long terme : sitôt dissous par le décès du conjointplus âgé, il permettait une seconde union bénéficiant des avantagesacquis précédemment. Quant aux couples dont le mari se trouveplus âgé que son épouse, nous ne leur rendons peut-être pas justicelorsqu'aveuglés par le caractère rigide que nous attribuons au sys-tème familial d'ancien régime, nous inférons qu'ils étaient malheu-reux. On observe à présent qu'une femme dont le mari est âgé àbeaucoup de chances d'être chérie et choyée et que l'égalité desâges qui favorise le compagnonnage paraît avoir réduit les atten-tions réservées à l'épouse. L'amour peut revêtir des colorations biendifférentes.

Ces quelques données semblent indiquer que la famille d'autrefoiset la famille actuelle ne s'opposent pas autant que le feraient croirecertains sociologues. Du moins en ce qui concerne nos Provincesbelges, et sans doute la France, en dehors du milieu de la hautearistocratie. Elles incitent surtout à distinguer plusieurs types defamilles traditionnelles. La famille traditionnelle varie non seule-ment à travers les continents, mais suivant la classe sociale, lerégime politique et les régions, parfois très proches. Il semble bienqu'on ne puisse généraliser le caractère contraignant de la conditionde la femme, ni l'emprise de l'autocratie du père, ni les différencesliées au rang de l'enfant.

Notre image de la famille traditionnelle serait en partie forméede matériaux exceptionnels, faits frappants donc mieux retenus. Iln'en reste pas moins que cette image est composée de traits spé-cifiques qui ne se retrouvent plus à notre époque. Les présentesréflexions, toutes limitées qu'elles soient, pourront peut-être avoirpour effet une plus grande circonspection en ce qui concerne lesvues des sociologues sur le passé, trop souvent reconstruit en oppo-sition au présent.

Références bibliographiques

BOURGEOIS-PICHAT, J.,1952 « Note sur l'évolution générale de la population française

depuis le XVIIIe siècle» Population, VII, 319-329.BRONNE, C.,

1962 La vie impétueuse de Malou-Riça, Turnhout, Brepols.BURGESS, E. W. et LoCKE, H.J.,

1960 The Family from. Institution to Companio1!ship,New York,American Book Co, sec. éd.

CANTILLON, R.,1952 Essai sur la nature du commerce en général, Texte original

de 1755 avec des études et des commentaires, Paris, INED.

141

Page 144: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

COPPIETERS,1907

DEPREZ, P.,1965

DORBAN,M.,1970

ESMEIN, A.,1929

GILISSEN, J.,1962

R.,Journal d'événements divers et remarquables (1767-1797),publié par Paul Verhaegen, Recueil de chronique, charteset autres documents concernant l'histoire et les antiquitésde la Flandre, 3e série, Bruges, Imprimerie L. De Plancke.

« The Demographie development of Flanders in the Eight-teenth Century » in D.V. Glass et D.E.C. Eversley (éd.)Population in Historu, Essays in Hisioricai Demography,Londres, Edward Arnold.

« Familles de Muno à la fin de l'ancien rêgime », Recher-ches économiques de Louvain, XXXVI, nv 4.

Le mariage en droit canonique, Paris, R. GénestaI.

« Le statut de la femme dans l'ancien droit belge », inLa femme, Recueils de la société Jean Bodin pour l'histoirecomparative des institutions, Bruxelles, Editions de la Li-brairie encyclopédique.

GIRARD,A.,1959 « Aperçu de la démographie de Sottenville-lès-Rouen vers

la fin du XVIIIe siècle » Population, XIV, nO 3.DE GONCOURT,E. et J.,

1892 La femme au XVIIIe siècle, Paris, Charpentier.HALBWACHS,M.,

1952 Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, PUF, sec. éd.HELIN, E.,

1969

HENRY, L.,1965

« La taille des ménages avant la révolution industrielle:le cas de Liège en 1801)) Recherches économiques de Lou-vain, XXXV, nO 4.

« The Population of France in the Eightteenth Century »in D.V. Class et D.E.C. Eversley (éd.), Population in His-tory, Essays in Historical Demography, Londres, EdwardArnold.

HENRYON, C. et LAMBRECHTS,E.,1968 Le mariage en Belgique. Etude sociologique, Bruxelles,

Editions Vie Ouvrière.DE LIGNE, C., prince

1927 Fragments de l'h'istoire de 1na vie, publiés 'par FélicienLeuridant, Paris, Plon et Nourrit.

DE LICHTERVEIJJE,L.,1942 La famille dans la Belgique d'autrefois, Tournai-Paris,

Casterman.MARBOT,général baron

1919 Mémoires: Gênes-Austerlitz, Paris, Plon.MARMONTEL,J. F.,

1818 Mémoires d'un père pour Bervir à l'instruction de 8es en-fants, Œuores complètes, Paris, Verdière, Tome I, rééd.

DE MARTAGNE,Général1960 Correspondance inédite 1756-1782, cité par Philippe Ariès

in L'enfant et la vie de famille sous l'ancien régime, Paris,Plon.

142

Page 145: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

MATTEZ, M.-T.,1956 « Les religieuses du diocèse de Tournai. Etude sociologique

de leur provenance» Bulletin de l'In8titut de RecherchesEconomiqu-es et Sociales, Université de Louvain, XXII,nO 7, 694.

MERQHELYNCK, A.,1877 Recueil de généalogies inédites de Flandre, Wulveringhem.

DE MONTESQUIEU, C.,1941 cité par G. Lenotre in La vie de f<Lmille<LUXVIIIe siècle,

Paris, Albin Michel.PELLER, S.,

1965 « Births and Deaths among Europe's Ruling Families since1500» in D.V. Glass and n.E.C. Eversley (éd.) , Populationin History, Essays in Historieal Demography, Londres,Edward Arnold.

PRIGENT, R.,1954 Renouveau des idées sur la famille, Paris, PUF, INED,

cahier nO 18.REINHARD, M.,

1954 Histoire de la population mondiale de 1700 à 1948, cité parG. Duplessis-Le-Guélinel, Les mariages en France, Paris,Armand Colin.

DE RENESSE, T.,1924 Silhouettes d'ancêt?'es, Bruxelles, A. Dewit, Tome 1.

RESTIF DE LA BRETONNE, N. E.,1924 La vie de mon père, Paris, Bossard, rééd.

DE RYCKMAN DE BETZ,1935 Les livres de raison des Spoelberch. (1563-1873) Tongres.

SAUVY, A.,1968 Les muiaiione sociopolitiques réeuliamt des variations de

la population, Communication au V· Colloque de l'Associa-tion internationale des sociologues de langue française àNeuchatel.

SCHYRGENS, J.,1928 Berlaymont, Bruxelles, A. Dewit.

VERHAEGEN, P.,1934 Le conseille?' d'Etat Comte Cornet de Grez (1735-1811),

Bruxelles, La Renaissance du Livre.

143

Page 146: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

L'AVORTEMENT DANS LA VIE DU COUPLE

par

C. PRESVELOU, A. BRUTUS et B. CANIVET

Les débats actuels sur la législation relative à l'avor-tement semblent justifier l'étude des opinions en lamatière. Cet article présente une brève analyse dedonnées relatives à ce sujet, récoltées au sein d'unéchantillon de jeunes couples belges de milieu urbain.Les auteurs s'intéressent particulièrement aux opi-

nions des femmes. Celles-ci se montrent en majoritéréticentes au recours libre à l'avortement tandis qu'untiers environ d'entre elles l'approuvent. Lorsqu'on com-pare quelques caractéristiques socio-culturelles de cesgroupes, on constate que le degré de pratique religieuseparaît être un élément important dans la différenciationdes opinions.La mise en rapport de ces opinions avec d'autres don-

nées relatives à la vie sexuelle, conjugale et familialesemble fonder l'hypothèse que les personnes qui accep-tent l'avortement se retrouvent en majorité parmi cellesqui se montrent les plus ouvertes au changement.

L'avortement est un sujet vivement discuté ces derniers temps enBelgique, suite à la proposition de loi Calewaert déposé au sénat le18 février 1971.Ce projet de libéralisation de la législation sur l'avortement a

suscité de nombreuses réactions et prises de position: les points devue juridique, moral et médical ont déjà été amplement abordés (1).Nous constatons cependant l'absence d'études portant sur l'avortementconsidéré comme phénomène social et envisageant ses différentsaspects.

De même qu'on s'est penché sur les implications sociales du recoursgénéralisé à la contraception, celle-ci considérée comme un élémentmodifiant la vie conjugale, on devrait également analyser l'avortementen tant que comportement social ayant des implications sur l'individu,le groupe conjugal et la collectivité.

En Europe, quelques enquêtes empiriques ont déjà été réalisées,

(1) Pour la France et la Belgique, voir entre autres les ouvrages citésdans la. bibliographie.

144

Page 147: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

notamment en France (2), qui ont tenté de connaître les motivationset les caractéristiques socio-économiques des femmes qui se sontfait avorter, mais elles n'ont porté que sur des avortées identifiéesdans les maternités par suite de complications post-abortives oujugées par des tribunaux correctionnels. L'analyse sociologique del'avortement clandestin et de la situation familiale, sociale ou écono-mique qui le provoque nous paraît être de première importance, maiselle n'a pas encore pu être réalisée, ce qui est certes très explicableétant donné les difficultés à contacter la population concernée.

En publiant ces quelques notes, nous n'avons pas l'intention d'entrerdans le débat complexe sur la libéralisation de la loi régissant l'avorte-ment, mais nous désirons contribuer, bien que d'une manière limitée,à l'étude des opinions de la population, aspect qui ne doit pas êtrenégligé lorsqu'on propose des lois traitant d'un domaine où «lapersonne» est fortement engagée. Nous analyserons les opinions d'unecouche de la population très directement concernée par le débat.

Notre article ne constitue en fait qu'une première exploitation dequelques résultats d'une enquête beaucoup plus vaste sur les modesde vie et la participation sociale des jeunes foyers ainsi que sur leursimages de la vie conjugale (3).

Cette enquête fut réalisée en 1971, sur un échantillon de jeunescouples belges (403) résidant en milieu urbain, âgés de 21 à 31 ans,mariés depuis un à dix ans, et ayant au moins un enfant (4).

Parmi les 806 personnes interviewées, trois quart environ (291hommes, 292 femmes dont 279 couples) ont donné leur avis sur despropositions relatives à différentes formes possibles de vie familialedans l'avenir, c.-à-d. la vie familiale de leurs enfants (5).

Certaines des propositions soumises à l'avis des enquêtés avaienttrait à l'avortement et à la contraception. Bien que ces propositionssoient peu nombreuses, la présentation des opinions récoltées nousa paru intéressante pour différentes raisons. Tout d'abord, ces avisfurent recueillis avant que le dépôt au Sénat du projet de loi Cale-waert ne provoque l'apparition de déclarations et de publications detendances opposées et que celles-ci n'aient pu influencer l'opinionpersonnelle des gens. Ensuite, comme ces opinions ne se rapportentpas à la situation concrète et présente du couple, elles expriment dessouhaits relativement dépassionnés puisqu'elles concernent la viefamiliale telle que les répondants la conçoivent pour l'avenir. Enfin,

(2) Il s'agit des enquêtes présentées par A. M. Dourlen-Rollier (1963).et de celles citées par Dalsace I. et Dourlen-Rollier A. M. (1970) : 39-45).(3) Cette recherche a été réalisée grâce à l'appui du F.N.R.C. que nous

remercions ici.La problématique générale de cette recherche a fait l'objet de deux

publications précédentes (Presvelou, 1970; 1971).(4) Les interviews ont été réalisés dans des grandes communes franco-

phones et bilingues du pays: Forest, Ixelles, Watermael-Boitsfort, Woluwé-St-Pierre, Mons, Namur et Liège.(5) Un questionnaire fut envoyé en mars 1971 aux personnes précé-

demment interviewées.

10 145

Page 148: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

les opinions émises sont celles de personnes qui sont le plus confron-tées au problème de la contraception et à celui de l'avortement: lamajorité est en effet âgée de 25 à 30 ans, a de 3 à 5 ans d'unionconjugale et n'a pas terminé la période de procréation (6).C'est pourquoi, nous présentons ces quelques opinions relatives à

l'avortement ; et pour mieux les comprendre, nous les analyseronsd'une part, en fonction du contexte socio-culturel et d'autre part,nous les mettrons en parallèle avec quelques traits reflétant les con-ceptions des enquêtés en matière de vie sexuelle,conjugale et familiale.Ces trois étapes de l'analyse constitueront les trois volets de cette

note. Entamons à présent le premier d'entre eux qui consiste doncen la présentation globale des opinions relatives à l'avortement.

J. Opinions sur l'avortement

Tableau 1

Répartition des opinions relatives à la proposition:«Si une nouvelle naissance n'est pas souhaitée, le couple peut décider

librement de recourir ou non à l'avertament »

N %

tout à fait d'accord 124 21,3plutôt d'accord 75 12,9plutôt pas d'accord 127 21,8pas du tout d'accord 208 35,7indécis 47 8,0sans réponse 2 0,3

Total 583 100,0

Ces résultats indiquent que la presque totalité des personnes inter-rogées prend position en face de cette proposition : seules 8 % semontrent indécises. Les opinions se partagent entre une minoritéimportante favorable à l'avortement (34,2%) et une majorité quis'y montre défavorable (57,5 %). Cette tendance se maintient lors-qu'on sépare les opinions selon le sexe des répondants. Mais letableau 2 indique aussi que, bien qu'elles soient plus directementconcernées, les femmes se montrent plus nettement opposées à l'avor-tement que les hommes.

(6) Le problème de la planification se pose sans doute pour la plupartd'entre eux et d'autre part, beaucoup souhaitent déjà limiter leur descen-dance au nombre actuel d'enfants: 44,86% ont déjà 2 enfants et 13,36%en ont plus de 2, alors que le nombre moyen d'enfants par famille, enBelgique, est approximativement de 2,5.

146

Page 149: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 2

Répartition selon le sexe des opinions concernant l'avortement

Hommes FemmesOpinions N 0/0 N 0/0

tout à fait d'accordou plutôt d'accord 115 39,5 84 28,8

plutôt pas d'accord oupas du tout d'accord 151 51,9 184 63,0

indécis 24 8,3 23 7,9sans réponse 1 0,3 1 0,3

Total 291 100,0 292 100,0

En effet, seuls 39,9 % des hommes et 28,8 % des femmes déclarentêtre d'accord avec la proposition, tandis que 51,9 % des effectifsmasculins et 63,0 % des effectifs féminins disent ne pas être d'accord.

Deux aspects de cette proposition sont à mettre en évidence: d'unepart, son caractère assez général car dans cette phrase, on ne précisepas les raisons pour lesquelles une autre naissance n'est pas souhaitéeet d'autre part, le fait que la décision ne revient qu'au couple.

En effet, à cause de la formulation assez générale de la proposition,l'avortement peut être considéré par les répondants comme un moyenà utiliser aussi bien dans des situations extrêmes ou difficiles (dangerde mort pour la mère, circonstances économico-sociales ou psycholo-giques critiques) que dans les cas où. tout simplement on ne désirepas une autre naissance (que la contraception ait ou non été prati-quée). Du fait que les répondants aient pu comprendre que ces diffé-rentes circonstances étaient toutes implicitement incluses dans laproposition, on peut penser qu'ils ont été moins nombreux à répondred'une manière favorable que si l'avortement avait été uniquementconsidéré comme une solution dans le cas d'une situation extrême oudifficile (7).

(7) Voir à ce sujet les renseignements donnés par A. M. Dourlen-Rollier (Colloque de l'Institut de Sociologie D.L.B., 1971 : 33).

Notons à simple titre d'information qu'un récent sondage d'opinionréalisé en France par la SOFRES pour le compte de l'Express (no 1087du 8-14 mai 1972, p. 42) indique que parmi les mille femmes âgées de18 à 25 ans qui ont été interrogées, 30 % seulement déclarent que l'avor-tement devrait être autorisé par la loi dans tous les cas lorsque la femmele demande, tandis que 57 % assortissent leur réponse favorable de la

147

Page 150: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

D'autre part, dans la phrase présentée aux personnes interrogées,on laissait au couple la liberté de décider de recourir ou non à l'avor-tement. On pourrait alors penser que le nombre de personnes quimarquent leur accord est positivement influencé par le fait qu'onrevendique très fort le respect de la liberté au sein de notre société.Ceci nous paraît toutefois peu probable dans une proposition quitraite de l'avortement étant donné la cristallisation des opinions surce thème.

II. Les femmes face à l'avortement: analyse des réponses enfonction des caractéristiques sociales des répondantes

Des enquêtes ont mis en évidence quelques traits caractérisant lesfemmes qui ont recours à l'avortement: «c'est parmi les femmesde 20 à 30 ans que les avortements sont les plus nombreux », 60 à70 % des femmes qui se font avorter sont mariées, près des troisquarts des avortées sont mères de famiIle et « l'avortement est princi-palement un phénomène conjugal qui prédominerait dans les famillesde deux enfants» (Dalsace et Dourlen-Rollier, 1970 : 40 et 41) (8).

Ces constatations appuient l'idée mentionnée plus haut que lespersonnes interviewées dans le cadre de notre enquête, et particulière-ment les femmes dont les opinions feront l'objet de la suite de l'ana-lyse, font partie de la catégorie de population la plus concernée parla question. C'est donc peut-être parmi elles qu'on aurait dû trouverun nombre élevé d'opinions favorables à l'avortement. Commentexpliquer alors que seules 28,8 % d'entre elles l'approuvent? Si l'onconsidère que l'ensemble de la population est peut-être moins direc-tement concerné par le problème que les personnes interrogées dansnotre enquête, on peut se demander si la proportion de gens qui dansla population, approuvent l'avortement, n'est pas encore inférieure.

Pour essayer de connaître des facteurs de différenciation desopinions féminines relatives à l'avortement que nous avons présentéesplus haut, nous allons aborder l'analyse des caractéristique socio-culturelles de deux groupes de répondantes : celles qui sont favorableset celles qui sont défavorables à la proposition. Nous mettrons leursopinions en relation avec les variables suivantes : la dimension dela famille, l'âge, le niveau d'études, l'exercice d'une activité profes-

clause restrictive « oui, mais seulement dans les cas exceptionnels» ct13 % ne l'admettent en aucun cas.(8) Concernant l'interprétation des résultats présentés par ces auteurs

nous désirons émettre certaines réserves. Tout d'abord il nous paraîtévident que les avortées sont en majorité des mères de familles, si c'estparmi les femmes de 20 à 30 ans que les avortements sont les plus nom-breux ; on sait en effet que dans la population, la proportion des mèresde famille est très élevée dans cette catégorie d'âge. De plus, l'affirmationque les avortements se rencontrent le plus souvent dans les familles dedeux enfants nous paraît devoir être nuancée par le fait que cette dimensionfamiliale est très fréquente dans la population.

148

Page 151: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

sionnelle et le degré de pratique religieuse. D'autres variables auraientpu trouver leur place dans cette analyse (9). Le statut socio-profes-sionnel surtout aurait contribué à mieux saisir le sens des opinionsémises d'autant plus qu'on mentionne souvent les situations socio-économiques précaires (Dalsace et Dourlen-Rollier, 1970 : 42) commeune des raisons principales du recours à l'avortement.

Nous avons tenté de déceler les influences possibles de l'âge d'unepart, et du nombre d'enfants d'autre part, sur les opinions relativesau problème qui nous occupe. Tenant compte du fait que notre échan-tillon est assez homogène, nous avons établi des catégories assezdétaillées. La comparaison des opinions correspondant à ces caté-gories ne semble pas indiquer un impact quelconque de ces deuxvariables (voir tableaux 3 et 4).

Tableau 3

Nombre d'enfants vivants et opinion relative à l'avortement

Nombre d'enfants

1Total

Opinion sur un deux troisl'avortement N % N % N % N %

pour 33 29.7 42 34.5 9 25.71 84 31.3contre 87 70.3 80 65.5 26 74,3 184 68.7

Total 111 100.0 122 100.0 35 100.0 1 268 100.0

X2 = 0.395 dl = 2 N.S. (10)

Tableau 4

Age des femmes et opinion relative à l'avortement

Catégorie d'âge

1Total

Opinion sur 21 à -25 25 à .29 29 à 31 S.R.l'avortement N % N % N % N % N 0/'0

pour 24 32.1 35 28.3 24 36.4 1

=184 31.3

contre 51 67.9 89 71.7 42 63.6 2 184 68.7

Total 75 100.0 124 100.0 66 100.0 3 -1 268 100.0

X2 = 1.346 dl = 2 N.S.

(9) L'état actuel du traitement mécanographique de nos données nenous permettait pas de les prendre en considération.

(10) Tous les X2 présentés dans cet article ont été calculés comptenon tenu des sans réponse. La mention N.S. indique que les différencesne sont pas significatives.

149

Page 152: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Le degré d'instruction est une autre variable qui nous paraissaitpouvoir influencer les opinions relatives à l'avortement, par sa liaisonà la possibilité d'information et de réflexion. D'après P. D. Bardis,qui a réalisé une enquête aux Etats-Unis, les gens qui désapprouventle plus l'avortement se rencontrent parmi ceux dont le niveau d'étudesest le plus bas. (Bardis, 1972: 111). Cependant, nos données nenous permettent pas de tirer une pareille conclusion. Le tableau 5montre bien que les proportions de personnes favorables et d'opposéessont presque identiques dans chacune des catégories. Notons toutefoisque les effectifs de la catégorie « niveau d'études primaires ~ sontsous-représentés et ceux de la catégorie « supérieur ou universitaire»sur-représentés, si l'on compare nos résultats à ceux d'une enquêteà caractère national prenant en considération une tranche de popu-lation semblable à la nôtre (Henryon et Lambrechts, 1968 : 46). Ceciest probablement dû au fait que nos données ne concernent que desjeunes femmes du milieu urbain dont le niveau d'études est proba-blement un peu supérieur à celui des jeunes femmes de l'ensemblede la population.

Tableau 1)

Niveau d'études (dernier diplôme obtenu) et opinion relative à l'avortement

Niveau d'études Totalprim. second. second. supér. ou S.R.

Opinion sur infér. supér. univers.l'avortement

N % N % N % N % N % N %

pour 11 32.3 25 29.1 22 32.8 25 31.6 1 84 31.3

contre 23 67.7 61 70.9 45 67.2 54 68.4 1 184 68.7

Total 34 100.0 86 100.0 67 100.0 79 100.0 2 - , 268 100.0

X2 = 0.168 dl = 3 N.S.

Travail de la femme à l'extérieur du foyer et taille familialeréduite ont souvent été associés sans que l'on ait pu cependant pré-ciser si cette concordance est le reflet d'une mentalité plus contra-ceptive chez les femmes qui veulent exercer une profession et d'undésir d'une famille plus nombreuse chez celles qui restent au foyer.On peut également se demander si le fait d'exercer une activité profes-sionnelle n'amène pas progressivement les femmes à désirer limiterplus efficacement le nombre de leurs enfants. Dans cette optique,et si l'on considère l'avortement comme un moyen extrême de limitationdes naissances, on pourrait s'attendre à trouver parmi les femmes quiexercent une activité professionnelle le plus grand nombre d'échos

150

Page 153: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

favorables. Ce n'est pas ce qui ressort du tableau 6 où la faible ten-dance observée allant dans le sens de notre hypothèse ne s'exprimepas par des différences statistiquement significatives. Ceci s'expliquepeut être par le fait que même si les femmes qui exercent une activitéprofessionnelle ont une volonté plus ferme de limiter leur descendance,elles n'accepteraient pas pour autant aller jusqu'à l'interruption d'unegrossesse déjà en cours.

Tableau 6

Exercice d'une activité professionnelle par les femmes et opinion relativeà l'avortement

Activité professionnelle TotalOpinion sur temps temps non S.R.l'avortement plein partiel

N % N % N % N % N %

pour 31 32.3 19 42.2 34 27.0 0 84 31.3

contre 65 67.7 26 57.8 92 73.0 1 184 67.8

Total 96 100.0 45 100.0 126 100.0 1 268 100.0

X2 = 2.18 dl 1 N.S.

Les convictions morales et religieuses doivent certainement êtreretenues parmi l'ensemble des variables socio-culturelles. Le problèmemoral que pose indiscutablement l'acte abortif rend les opinions enla matière fort dépendantes des valeurs que l'individu considèrecomme fondamentales. La part prise par la religion catholique dansla promotion et la conservation de ces valeurs morales est en Belgiquetellement importante que l'on identifie facilement «morale» et«morale catholique»; c'est pourquoi nous avons pensé pouvoirapprocher l'impact des convictions morales par l'analyse des con-victions religieuses.

On connaît la difficulté de construire un indice complet de lareligiosité (11) ; pour approcher l'influence de cette variable nousanalyserons donc le degré de pratique religieuse. Celui-ci fut mesuréà l'aide des réponses à la question suivante: «Pourquoi avez-vouscontracté un mariage religieux?» Le regroupement des différentesmotivations relevées nous a permis de ranger nos interviewées entrois catégories distinctes qui sont présentées dans le tableau 7ci-dessous.

(11) Voir à ce propos Gérard (1970: 11-13) et Lambrechts (1972 : 30).

151

Page 154: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 7

Degré de pratique religieuse et opinion relative à l'avortement

Degré de pratique religieuse Totalpratique sans prat. sans prat. S.R.

Opinion sur régul. mais cert. et sansl'avortement convictions convictions

N 0/0 N 0/0 N 0/0 N 0/0 N 0/0

pour 15 14.2 33 33.7 32 55.2 4 84 31.3

contre 91 85.8 65 66.3 26 44.8 2 184 68,7

Total 106 100.0 98 100.0 58 100.0 6 -1 268 100.0

X2 35.3 dl 2 p<.OOl

Il ressort très clairement du tableau que les catholiques prati-quantes sont très nombreuses à manifester leur opposition à l'avorte-ment tandis que les non croyantes y sont nettement plus favorables;les croyantes non pratiquantes se retrouvent par contre autant parmiles opposantes que parmi les personnes favorables.

Nous croyons donc que parmi les variables socio-culturelles consi-dérées, seul le degré de pratique religieuse a une influence surles opinions relatives à l'avortement. Comment comprendre cetteinfluence? L'avortement est-il rejeté par un grand nombre de catho-liques parce qu'il met en cause un des principes fondamentaux de lamorale : le respect de la vie ? Cela nous paraît évident. Mais peut-êtred'autres facteurs liés à la religion interviennent-ils aussi : si l'onrefuse l'avortement n'est-ce pas aussi parce que pour certains, commela contraception, il va à l'encontre de la fin procréatrice du mariage?

La réponse à ces questions nécessiterait une analyse approfondiequi nous paraît très intéressante, et qu'il serait souhaitable d'entre-prendre ultérieurement.

III. Opinion sur l'avortement et opuuons sur différents domainesde la vie sexuelle, conjugale et familiale

La contraception est actuellement un sujet de grande importancedans la vie du couple et de la famille. A ce titre, et parce qu'il setrouve en rapport étroit avec l'avortement puisqu'ils visent tous deux,bien que d'une manière différente, la limitation des naissances, ilnous semble intéressant de commencer ce troisième volet de l'analysepar la mise en relation des opinions relatives à ces deux domaines.

Le tableau 8 montre bien que l'ensemble de notre échantillon se

152

Page 155: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 8

Réponse à la question: « si une naissance n'est pas souhaitée, l'emploi detout moyen contraceptif se [ustifie » et opinion relative à l'avortement

Opinion relative Opinion sur l'avortementà l'emploi de tout Pour Contre Totalcontraceptif N % N % N %Tout à fait d'accord ouplutôt pas d'accord 79 94,0 133 72,3 212 79,1

Indécis 1 1,2 11 6,0 12 4,5Plutôt pas d'accord oupas du tout d'accord 4 4,8 39 21,2 43 16,0

Sans réponse 1 0,5 1 0,4

Total 84 100,0 184 100,0 268 100,0

X2 = 6.72 dl = 1 p<.Ol (12)

déclare favorable à l'emploi de moyens contraceptifs. Seules 16 %des interviewées y manifestent leur opposition. On constate de plusque celles qui désapprouvent l'avortement sont moins nombreuses àse dire favorables à l'emploi de tout moyen contraceptif que cellesqui l'approuvent (72,2 % contre 94,03 %); l'approbation reste toute-fois l'opinion la plus largement répandue.

Ces résultats pourraient faire supposer que des femmes favorablesà l'avortement et qui sont aussi, comme on vient de le voir, trèsfavorables à la contraception, manifesteraient dans d'autres domainesde la vie sexuelle, conjugale et familiale une tendance que l'on pourraitqualifier de progressiste. Nous essayerons de préciser cette hypothèse.

D'autre part, on peut se demander quelle est, dans ces mêmesdomaines, la position de celles qui s'opposent à l'avortement. Nouspourrions, soit les croire très opposées à l'introduction de change-ments dans la vie conjugale et familiale, soit, en considérant quel'avortement relève d'un domaine très spécifique, celui de la morale,les croire capables d'accepter des conceptions nouvelles dans plusieursdomaines de la vie familiale. C'est ce que nous allons essayer de voirpar la suite.

Pour cerner de plus près la tendance progressiste, c'est-à-dire cetteattitude accueillante à l'égard du changement des normes sociales,nous disposions d'un large éventail de propositions parmi lesquellesneuf ont été retenues pour cette analyse. Toutes concernent la familledans l'avenir. Les répondantes ont donné leur avis sur ces phrasesqui proposent soit des changements modérés ou radicaux, soit le

(12) Ces calculs ont été faits compte non tenu des indécis.

153

Page 156: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

maintien de situations traditionnelles dans un certain nombre dedomaines de la vie sexuelle, conjugale et familiale.

Des neuf phrases retenues, trois proposent l'attitude novatriced'accepter la vie sexuelle en dehors de l'état de mariage; trois con-cernent la libéralisation de la vie en couple : tant dans ses formesque dans sa durée; et enfin trois autres se rapportent à la répartitiondes rôles sociaux du mari et de l'épouse.

En plus de ces neufs propositions, nous avons jugé utile de présen-ter les réponses à une autre question relative au domaine sexuel : lecomportement préconjugal des couples interviewés.

Nous allons donc voir si l'avortement peut être aussi associé àd'autres comportements novateurs.

Le tableau 9 reprend les propositions relatives à la vie sexuelleen dehors du mariage et présente la distribution des opinions quis'y rapportent au sein des deux groupes de personnes favorables etd'opposantes à l'avortement. De la lecture du tableau, il ressort queles femmes qui sont favorables à l'avortement sont toujours beaucoupplus nombreuses à marquer leur accord avec ces propositions quiexpriment un désir de libéralisation de certains comportementssexuels. Les opposantes à l'avortement se montrent par contre plusréservées bien qu'environ 30 % d'entre elles approuvent les deuxpremières propositions. La troisième proposition suscite auprès d'ellesune réaction nettement plus positive; remarquons que c'est égalementle cas dans le groupe favorable à l'avortement. Cela semble confirmerque notre échantillon dans son ensemble, approuve très largementla contraception à l'opposé de l'avortement même si la pratique decelle-si s'étend aux célibataires.

Une tendance assez nette semble se dégager des analyses précé-dentes : le fait d'être favorable à une libéralisation de la vie sexuelleva de pair avec l'opinion favorable à l'avortement. Notons toutefoisque la minorité des personnes qui, tout en étant favorables à l'inno-vation, sont opposées à l'avortement est importante: certainsauraient pu supposer que les opposantes à l'avortement manifeste-raient la plus grande résistance aux changements.

Il nous paraît intéressant de voir dans ce même domaine si larelation entre le comportement sexuel pré-conjugal et les opinionsrelatives à l'avortement présente la même tendance que celle quenous venons de constater.

Le tableau 10 montre bien que la proportion de personnes favorablesà l'avortement et qui déclarent avoir eu des relations sexuelles avantle mariage est beaucoup plus forte que celle des interviewées quisont contre l'avortement et qui déclarent également avoir eu desrelations sexuelles prêconjugales (82,2, % contre 55,5 %). Remarquonsici que ce comportement est largement répandu dans notre échantillon.

Voyons à présent quelles sont les réactions des deux sous-échan-tillons (pour et contre l'avortement) lorsqu'on leur propose d'admettredes façons nouvelles de concevoir la vie en couple (voir tableau 11).

154

Page 157: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 9

Diverses opinions relatives à la vie sexuelle en dehors du mariage et opinion relative à l'avortement

Opinion sur l'avortement Répartition globalePour Contre des opinions

Propositions qui relatives à la vieconcernent la vie sexuelle D'ac· Pas lndé. SR D'ac· Pas Indé. SR sexuelle

cord d'ac. cis cord d'ac. eis Pascord cord D'accord d'accord

«que les fiancés puissentvivre ensemble quelquetemps avant de se marier s 67,8 20,3 11,9 0,0 29,3 54,4 13,6 2,7 41,4 43,6

«que la maternité soitpermise aux femmes célibatairesqui ne souhaitent pas se marter s 55,9 34,6 8,3 1,2 26,1 63,6 9,8 0,5 35,4 54,4

«les moyens contraceptifssont en vente libre pour tous:mariés et cêlibataires s 85,7 6,0 8,3 0,0 58,7 32,1 9,2 0,0 67,1 23,8

•...enen

Page 158: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Tableau 10

Relations sexuelles avant le mariage et opinion relative à l'avortement

Opinion sur l'avortementRelations sexuelles Pour Contre Totalavant le mariage N 0/0 N 0/0 N 0/0

Oui en ont eu 69 82,2 104 55,5 173 64,5

Non n'en ont pas eu 15 17,8 78 42,4 93 34,7

Sans réponse 0 0,0 2 1,1 2 0,8

Total 84 100,0 184 100,0 268 100,0

X2 16.5 dl 1 P<.OOl

Ici aussi les personnes favorables à l'avortement acceptent beaucoupplus souvent des conceptions nouvelles de la vie en couple commel'union libre ou le fait de se marier sans vouloir d'enfant. De mêmeils sont plus nombreux à accepter une dissolution facile des liensconjugaux.

On peut donc penser qu'en ce domaine, les personnes qui se mon-trent le plus souvent ouvertes au changement sont celles qui acceptentl'avortement. Par contre, celles qui le refusent valorisent très fortl'institution du mariage et s'opposent assez nettement à la libérali-sation des normes en ce domaine.

Les femmes interrogées ont également donné leur opinion sur despropositions concernant des rôles possibles de l'homme et de la femmedans la vie familiale de l'avenir. Dans le tableau 12 qui présenteces opinions, on constate que dans l'ensemble, lorsqu'on propose desmodèles de comportement qui se détachent du modèle traditionnelde répartition des rôles, les personnes favorables à l'avortement sontplus nombreuses que les autres à les accepter. Elles sont aussi plusnombreuses à rejeter la première proposition qui prône un retourà une forme de vie familiale très traditionnelle. Toutefois, il fautnoter que parmi les personnes qui sont contre l'avortement, unemajorité marque souvent une tendance progressiste.

156

Page 159: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

•....••....•Tableau 11

Opinions qui concernent la vie du couple et opinion relative à l'avortement

Propositions quiconcernent la viedu couple

Opinion sur l'avortement Répartition globalePour Contre des opinions

concernant la vieD'ac- Pas Indé- SR D'ac- Pas Indé- SR du couplecord d'ac- ds cord d'ac- ds Pas

cord cord D'accord d'accord

«que l'union libre puisseêtre aussi acceptée quel'état de mariage» 29,8 9,560,7

«qu'il soit aussi facilede divorcer que de semarier» 54,8 35,7 9,5

«il est admis que descouples souhaitent etdécident de ne jamaisavoir 'd'enfant» 3,6 7,189,3

21,7 66,3 11,4

12,0 76,6 11,4

70,1 21,7 8,2

0,6 34,0 54,9

25,4 63,8

76,1 16,0

Page 160: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

~ Tableau 120100 Diverses opinions relatives rôles masculins et féminins dans la vie familiale et professionnelleaux

Opinion sur l'avortement Répartition globalePropositions qui Pour Contre des opinionsconcernent les relatives auxrôles D'ac- Pas Indé- SR D'ac_ Pas Indé- SR rôles

cord d'ac- cis cord d'ac- cis Pascord cord D'accord d'accord

«la femme se consacreexclusivement à sonfoyer et à ses enfants,l'homme à son travail» 25,0 72,6 2,4 0,0 40,2 52,7 6,5 0,6 35,5 58,9

«si un homme préfèrerester au foyer et safemme travailler àl'extérieur, ils le fontsans pour autant en êtrecritiqués> 54,7 27,4 15,5 2,4 40,0 49,4 12,0 1,6 42,5 42,5

«le travail à tempspartiel est généralisépour tous, hommes etfemmes» 67,8 17,9 11,9 2,4 59,2 27,7 10,9 2,2 61,9 24,6

Page 161: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Conclusions

L'étendue actuelle du débat sur l'avortement nous a incitées àprésenter ici une analyse des opinions en la matière qui, bien quelimitée, nous a permis de constater l'existence de deux courants asseznettement définis, au sein de notre échantillon de jeunes femmesmariées de milieu urbain. D'une part, une proportion de personnesqui approuvent l'avortement et qui pourraient être qualifiées de pro-gressistes parce qu'elles prônent plus souvent que les autres deschangements dans certains domaines de la vie sexuelle, conjugale etfamiliale que nous avons considérés. D'autre part, un plus grandnombre de personnes opposées, parmi lesquelles on en trouve beaucoupqui sont très attachées aux modèles de vie et de comportement tradi-tionnels ; mais également assez bien d'autres favorables à l'innovation,et toutefois plus réticentes à tout ce qui porte atteinte à la formeprivilégiée de vie en couple qu'est le mariage. Il nous paraît importantde prendre ces nuances en considération et de ne pas conclure tropvite à l'existence d'une homogénéité des opinions dans tous lesdomaines de la vie familiale.

D'autre part, si l'on essaye d'expliquer la différenciation desopinions sur l'avortement en fonction des variables socio-culturelles,on remarque que parmi les variables que nous avons considérées,seul le degré de pratique religieuse semble avoir une influence. Celasignifierait que le problème moral soulevé par l'avortement empêchela majorité des jeunes femmes (et peut-être de la population) d'accep-ter cette forme extrême de limitation des naissances, alors que lesautres femmes, en nombre plus restreint, considèrent soit que leproblème moral ne se pose pas, soit qu'il est moins impératif que lasituation économique, sociale ou psychologique difficile dans laquellese trouve la femme qui se fait avorter. Nous pensons qu'il seraitintéressant d'approfondir cette analyse de l'influence de la religionpour déceler, comme nous l'avons dit plus haut si seul l'aspect moralest en question ici, ou s'il faut par contre aussi envisager le problèmesous l'angle du respect de la fin procréatrice du mariage.

Enfin, nous tenons à mettre en évidence qu'il serait intéressant dechercher à étudier de manière plus complète les opinions et attentesde l'ensemble de la population belge en ce domaine pour connaîtreles mentalités qui y sont les plus fréquentes. La connaissance de cesmentalités nous paraît être un important préalable à la propositionde nouveaux règlements. Une telle étude permettrait notamment desavoir dans quels domaines une libéralisation des lois est avant toutattendue.

159

Page 162: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Références bibliographiques

ANSART P. et DOURLEN-RoLLIER A.-M.,1971 La société, le sexe et la loi, Coll. VIA Casterman, Tournai.

BARDIS P. D.,1972 « Abortion and Public Opinion ». A Research Note, Journal

of Marriage and the Family, vol. 34, nQ 1 : 111.

En collaboration,1971 Cahiers des Annales de Droit, no 4, U.C.L., Louvain.

En collaboration,1971 L'avortement, Editions Universitaires, Paris.

Colloque,1972 Avortement et contraception, Sociologie du Droit et de la

Justice, Editions de l'Institut de Sociologie, U.L.B., Bruxel-les.

DALSACE J. et DOURLEN-RoLLIER A.-M.,1970 L'avortement, Casterman, Coll. VIA, Tournai.

DE LOCHT P.,1971 Un moraliste s'interroge, CEF A, Bruxelles.

DOURLEN-RoLLIER A.-M.,1963 La vérité sur l'avorte'ment, Maloine, Paris.

FERIN J., LECART G., MEULDERS M.-T., HEYLEN V.,1972 Libéraliser l'avortement, E.P.E., Parents d'aujourd'hui,

Duculot, Gembloux.

GÉRARD H.,1970 Catholicisme et fécondité. Recherche exploratoire, Louvain,

Vander.

HENRYON C. et LAMBRECHTS E.,1968 Le mariage en Belgique, E.V.O., Bruxelles.

LAMBRECHTS E.,1972 La fécondité des jeunes couples belges, Recherches Socio-

logiques, nv 1 : 22-43.

PRESVELOU C.,1970a

1970b

« Images and Counter-Images of Young Families n , COMI-FA, Louvain.« Les nouvelles familles. Participation socio-culturelle etdialectique des images à propos de la vie conjugale et fami-liale », Recherches Sociologiques, Louvain, nO 1 : 44-71.

160

Page 163: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

PUBLICATIONS RECENTES DES MEMBRES DE

L'INSTITUT DES SCIENCES POLITIQUES ET SOCIALES

DE L'UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN

BECKERS,Marc avec la participation de FRÈREJean-Paul, LLANOSMarcelino, LEBBE Paul, Systèmes de gestion et attitudesdes travailleurs. Recherche effectuée par le Centre deRecherches Sociologiques sous la direction de DE BlEPierre pour le compte de l'Office Belge pour l'Accroisse-ment de la Productivité, C.R.S., Louvain, 1971, 91 p.

La recherche présentée dans ces pages est orientée vers desproblèmes qui se posent concrètement dans la société. Dans le cadrede référence et avec les méthodes d'une discipline scientifique - lasociologie - elle veut apporter une meilleure connaissance d'unesérie limitée de problèmes qui se posent actuellement.

Elle s'inscrit dans le prolongement de travaux antérieurs et a pourobjectif de préciser dans quel sens et dans quelle mesure les attitudesdes dirigeants influencent l'implication des travailleurs à la vie del'entreprise. En d'autres termes, il s'agit de rechercher quel typed'équilibre s'établit dans l'entreprise quand se rencontrent d'unepart, un système de gestion donné, et d'autre part, des conduitesouvrières, elles aussi orientées par une vision de l'entreprise et dutravail.

Dans une autre perspective, on peut considérer que la recherchevise à isoler certains facteurs de changement de la société industrielle.

Page 164: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

VERDOODTAlbert, Relations entre anglophones et francophonesdans les syndicats québecois, Centre international derecherches sur le bilinguisme, Cité universitaire deQuébec, 1970, 238 p.

Recherche sur le terrain menée essentiellement auprès de laF.T.Q. (Fédération des travailleurs du Québec) et plus particulière-ment auprès de 14 grands syndicats pan-américains ou pan-cana-diens actifs au Québec et auprès de 11 autres syndicats pan-améri-cains ou pan-canadiens établis au Québec.

Le cadre théorique est repris à Clark et Wilson tel qu'il futappliqué par Meisel et Lenieux à d'autres organisations non-gouver-nementales du Canada.

Les conclusions répondent aux questions suivantes:1) Comment établir entre les groupes linguistiques les modes struc-

turels de relations qui conviennent aux objectifs poursuivis?2) Comment établir entre les groupes linguistiques des modes struc-

turels de relations qui pourront être modifiés quand les objectifsd'un des groupes linguistiques changent?

3) Quand un problème se pose au niveau structurel inférieur, nefaut-il pas chercher la solution à un niveau structurel supérieur?

PlRET Baudouin, L'aide de la Belgique aux pays sous-développés,Ed. Vie Ouvrière, Bruxelles, 1972, 208 p.

L'ouvrage montre que l'aide de la Belgique répond plus aux solli-citations de groupes d'intérêts privés qu'aux impératifs d'une véri-table développement. Il analyse la participation de la Belgique àce que l'on appelle de plus en plus le « développement du sous-développement». Après une analyse des différentes composantes dece que l'on appelle (abusivement selon l'A.) l'aide de la Belgiqueaux pays sous-développés (chapitre I), l'étude situe celle-ci dans lecontexte plus global des relations économiques entre les pays indus-trialisés et les pays sous-développés (problèmes des matières pre-mières, des préférences douanières pour les produits industriels duTiers-Monde et de l'importation de travailleurs étrangers) (chapitreII). A côté des flux de l' « aide », il faut considérer les reflux enprovenance du Tiers-Monde, plus importante que ceux-ci, comme lemontre l'A. pour la Belgique et le Zaïre (chapitre III). L'aide belges'insère de plus en plus dans le cadre de l'aide internationale àtravers laquelle s'opère, selon l'A., le contrôle du « développementdu sous-développement», c'est-à-dire une croissance économique (par-fois) sans développement pour la masse des gens (chapitre IV).Enfin, l'A. analyse les différents groupes de pression (Eglise, mi-lieux d'affaires, coopérants, anciens coloniaux, etc ... ) qui agissentsur la coopération au développement. En conclusion, B. Piret proposeune aide à certains régimes politiques plutôt qu'à d'autres parce queselon lui, c'est à ce niveau que se pose fondamentalement le problèmedu développement.

Page 165: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

REZSOHAZYRudolf, Temps social et développement. Le rôle desfacteurs socio-culturels dans la croissance, La Renaissancedu livre, Bruxelles, 1970, 259 p.

Comment le temps est-il valorisé et utilisé? Quelles sont les straté-gies temporelles dominantes dans les différents sociétés et pour lesdifférentes classes? Comment la prévision conditionne-t-elle lesprojets des nations, des groupes et des individus? Quelle est l'impor-tance de la précision pour le fonctionnement d'une société com-plexe? Comment l'aménagement rationnel des séquences temporellesdevient-il la clé de la performance économique? Comment unesociété élabore-t-elle une certaine conception du temps et pourquoila change-t-elle ?

En réponse à ces questions, l'auteur propose une théorie du tempssocial qui, sociologique dans son inspiration, s'inscrit dans uneperspective historique. Elle est démontrée à partir de recherchesempiriques, d'une documentation abondante provenant de nombreuxpays et, notamment d'une enquête comparative entre le Pérou etla Belgique.

Voici donc une contribution importante à la fois à la théorie dudéveloppement et à la connaissance du comportement culturel dansdes sociétés à degré de croissance différent. Le sociologue aussi bienque l'anthropologue, l'historien aussi bien que l'économiste y trou-vent des éléments pour la construction de leur discipline.

LAMBRECHTSEdmond et HENRYON Claude, Vruehtbaarheid encontraceptie bi,i jonge echtparen. Een socirJlogische ana-lyse, Standaard Wetenschappelijke Uitgeverij, Antwer-pen, 1970, 197 p.

Les auteurs présentent les résultats d'une enquête effectuée en1965 auprès de couples constitués par premier mariage en 1962.L'échantillon, de type aléatoire, est fortement représentatif de lapopulation considérée: 1000 jeunes ménages, domiciliés dans 557communes différentes, ont été visités ; 838 ont accepté de recevoirles enquêteurs chargés de les interviewer.

L'étude portant sur les attitudes et les comportements en matièrede fécondité et de contraception, se compose de deux parties. Lapremière, traitant des composantes de la fécondité, envisage l'inter-valle réel et idéal entre le mariage et la première naissance, lenombre d'enfants désirés et attendus, la pratique de la contraceptionet la connaissance des moyens contraceptifs.Dans la seconde partie, les auteurs étudient les facteurs sociaux

qui influencent la taille familiale désirée et attendue et la contra-ception. Ils constatent que le nombre d'enfants désirés et attenduspar les couples est influencé par leur degré d'intégration à la religioncatholique; dans ce contexte, les auteurs soulignent également l'im-portance de l'éducation dans une école catholique. La pratique dela contraception dépend principalement du niveau d'études del'épouse. La religiosité du couple, facteur important en ce qui con-cerne le choix des moyens contraceptifs, n'influence pas la décisioninitiale de pratiquer la contraception.

Les auteurs se proposent de réinterroger les mêmes couples aprèsdix ans de mariage.

Page 166: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

REZSOHAZY Rudolf, Théorie et critique des faits sociaux, LaRenaissance du livre, Bruxelles, 1971, 248 p.

Le but de ce manuel est de présenter les principales démarchesdans le traitement scientifique des faits sociaux et dans la recon-stitution de la réalité sociale, comprenant- l'analyse des notions fondamentales de fait social et d'acteur

social,- l'étude des différentes voies d'accès à la réalité, c'est-à-dire des

multiples sources d'information et d'observation,la mise en place des cadres de la recherche, dressés par la for-mulation des hypothèses, le choix des variables, la définitiondes concepts, l'élaboration d'un modèle,les phases successives de la critique des faits sociaux et des infor-mateurs qui les rapportent,

- la synthèse des faits, c'est-à-dire la reconstitution de la réalitésociale et, enfin,

- l'explication.La partie consacrée à l'explication comprend l'exposé des princi-

pales approches théoriques, présente la méthode du dosage des diffé-rents facteurs de l'explication, analyse les formes diachroniques (lacausalité historique, les lois causales, etc ... ) et synchroniques del'explication (comme la relation fonctionnelle) et montre les princi-pales techniques de démonstration des rapports explicatifs, commela comparaison, l'analyse multivariée, etc ...

Le volume comprend une bibliographie sélective dans le domainede la méthodologie des différentes branches des sciences sociales.

GERARD Hubert, Catholicisme et fécondité. Recherche explora-toire, Louvain, Vander, 1970, 232 p.

L'objectif de cette recherche exploratoire est de dégager les rela-tions existant entre le phénomène de la fécondité et l'appartenanceau catholicisme, et d'estimer, pour ces relations, la valeur explica-tive de la doctrine de l'Eglise en matière de procréation, telle qu'elleest perçue par les enquêtées.

Le phénomène de la fécondité est défini non seulement par lafécondité réalisée, mais aussi par les variables intermédiaires phy-siologiques, comportementales et mentales. L'appartenance au catho-licisme est mesurée d'une part par l'intégration actuelle et la socia-lisation dans la collectivité religieuse, d'autre part par les orienta-tions mentales vis-à-vis du changement au sein de l'Eglise et vis-à-visde la personnalisation de l'engagement religieux.

Les données de cette recherche furent recueillies par interviewsen 1966 auprès de 326 femmes belges, mariées, de résidence urbaine,catholiques et fréquentant régulièrement la messe dominicale.

Page 167: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

SOCIAL COMPASSREVUE INTERNATIONALE DES

ETUDES SOCIO-RELIGIEUSES

Volume XIX / 1972

N° 1 : Sociologie de la Religion en Afrique du Sud

Au sommaire:

ARTICLESA. P. R. KELLERMAN

Religious Affiliation in South Africa.C.J. ALANT

The Relevance of Socio-Economic Groups in the Analysisof the Nederduitse Gereformeerde Kerk in South Africa.

E. HIGGINSLes rôles religieux dans le contexte multi-racial sud africain.Profil du ministère dans le calvinisme et le catholicisme.

M. WESTThérapie et changement social dans les Eglises urbainesd'Afrique du Sud.

H. L. WATTSSome Structural Problems of Urban Religion. A Case Studyfrom the City of Durban.

S. BROWNDe l'adhésion à un nouveau système religieux à la transfor-mation d'un système de valeurs. Etude d'une communautérurale africaine.

T. D. VERRYNAnglican and Roman Catholic Priests in South Africa:Some Questionnaire Responses.

CHRONIQUES

J. E. REINDERS, S. E. WELZBibliographie concernant la Sociologie des Religions en Afri-que du Sud.

KASKI, La HayeBibliographie internationale de sociologie des religions (1).

Rédaction et Administration: SOCIAL COMPASS,

Vlamingenstraat 115 _ B 3000 Leuven(Belgique)

Prix de l'abonnement (4 numéros par an: 650 pages): 450 FB.Prix de vente .au numéro: 125 FB.

Page 168: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

LES «BELGIAN ARCHIVES FOR THE SOCIAL SCIENCES:.

Depuis quelques années, une tendance s'est fait jour, un peu partoutdans le monde et surtout aux Etats-Unis, de créer des organismeschargés de conserver et de centraliser les informations extrêmementabondantes d'ordre socio-êconomique recueillies à des fins administra-tives ou scientifiques. L'intérêt suscité par de telles initiatives agénéralement été très vif et a sans doute même dépassé les espoirsdes promoteurs de ces premières banques de données. L'explicationest pourtant évidente: le progrès réel des sciences humaines est liéà la disponibilité d'une large documentation constituée d'observationsréitérées et d'enquêtes multiples portant sur des faits aussi variésque possible, relevés à des époques et en des lieux divers.S'il faut bien reconnaître que l'observation, sociologique notamment,demeure encore aujourd'hui très individualisée et accomplie dans lechef de chercheurs isolés ou d'institutions aux ressources limitées, iln'en est pas moins urgent de mettre tout en œuvre pour pallier cettedésorganisation relative et cette dissémination des efforts. Or, il n'estguère douteux que les banques de données constituent actuellementle meilleur moyen de répondre à cette préoccupation et si le problèmede l'harmonisation internationale des méthodes de collectes des don-nées en sciences humaines risque de se poser dans un avenir plus oumoins lointain, le bon sens et l'efficacité commandent surtout pourl'heure de ne plus laisser disparaître aucune source utile de rensei-gnements et de mettre tout chercheur intéressé en mesure d'élargirses champs d'analyse et de faciliter l'exécution de ses propres travauxpar l'accès direct aux informations similaires déjà rassembléesailleurs.

En Belgique, une lacune était à combler dans ce domaine. C'est laraison pour laquelle le Département de Démographie a pris en 1970l'initiative de créer une banque de données destinée à conserver età rendre disponibles pour la communauté des chercheurs en sciencessociales, les résultats d'enquêtes, de sondages ou de recensements, quitrop souvent disparaissent après une première exploitation.Très rapidement, s'y est joint le projet de développer parallèlementà ces Archives, une bibliothèque de programmes d'analyse de manièreà rationaliser ici aussi, les investissements en temps et en argentdemandés aux chercheurs.

Les c:Belgian Archives for the Social Sciences (BASS):. veulent doncdonner à la recherche en sciences sociales un appui matériel en luifournissant des données et des programmes d'exploitation. En outre,ce service développe en son sein des recherches propres de nature àaccroître l'efficacité des outils qu'il propose.Ce projet a reçu le support financier du Fonds National de laRecherche Scientifique de Belgique .

.•Van Evenstraat 2A, 3000 LOUVAIN (Belgique)

Page 169: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

Université Libre de Bruxelles

EDITIONS DE L'INSTITUT DE SOCIOLOGIE

REVUE DELtINSTITUT DE SOCIOLOGIE

Revue trirnestrielle

Science politique, économie politique, économie sociale,sociologie du travail, sociologie africaine, psychologiesociale, sociographie, etc.Chronique démographique. Note critique. Notices biblio-graphiques.

Numéros spéciaux

L'Université européenneRaisonnement et démarches de l'historienCorps médical et assurance maladieSociologie de la «Construction Nationale» dans les nou-

veaux EtatsAperçu sociologique sur le QuébecImage de l'homme et sociologie contemporaineSociologie de la littératureL'ingénieur et l'informationLe pluriIinguismeLa sociologie du droit et de la justiceL'automobile dans la société

Rédaction

INSTITUT DE SOCIOLOGIE44, avenue Jeanne, B-I050 Bruxelles, BelgiqueTél.: (02) 48.81.58

Administration et abonnements

EDITIONS DE L'INSTITUT DE SOCIOLOGIEParc Léopold, B-I040 Bruxelles, BelgiqueTél. : (02) 35.01.86

Abonnements: Belgique: 600 FB ; autres pays: 700 FBLe numéro: 200 FB Le numéro double: 400 FB

Page 170: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

CENTRE DE RECHERCHES SOCIOLOGIQUESUniversité Catholique de Louvain

PUBLICATIONS

BECKERS M. avec la participation de FRÈRE J. P., LLANOS M.,LEBBE P., Sy8tème8 de ge8tion et attitude8 des tratvailleur8,Recherche effectuée par le Centre de Recherches Sociologiquessous la direction de DE BlE P. pour le compte de l'Office Belgepour l'Accroissement de la Productivité, C.R.S., Louvain,1971, 91 p.

DE BlE P., Budgets familiaux en Belgique, 1957-1958. Modes devie dans trois milieux socio-professionnels, Nauwelaerts, Lou-vain, 1960, 434 p.

DE BlE P., DOBBELAEREK., LEPLAEC., PIEL J., La dyade conjugale.Etude sociologique, Vie Ouvrière, 1968, 137 p.

DE BlE P., PRESVE'LOUC., National family guiding imaçes andpolicies, Transactions of the F'irst International Seminar,Louvain, ICOF A, 1967, 170 p. Deuxième édition, VANDER,Louvain, 1972, 170 p.

HENRYONC., LAMBRECHTSE., Le mariage en Belgique. Etude socio-logique, Vie Ouvrière, Bruxelles, 1968, 259 p.

HUYSE L., L'apathie politique. Etude sociologique, Editions Scienti-fiques Erasme, Anvers/Bruxelles, 1969, 222 p.

LAMBRECHTSE., HENRYON C., Vrucktbaarkeid en oontraeeptie bijjonge ecktparen. Een eoeioloçieche analyse, StandaardWeten-schappelijke Uitgeverij, Antwerpen, 1970, 197 p.

LEPLAE C., Les fiançailles. Etude sociologique, Presses Universi-taires de France, Bibliothèque de Philosophie Contemporaine,Paris, 1947, 344 p.

PIEL J., Relations sociales et loisirs des adolescents, Renaissancedu Livre, Bruxelles, 1968, 335 p.

PRESVELOUC., La consommation de la famille: phénomène socio-logique. Essai d'une sociologie de la con80mmation familiale,Vie Ouvrière, Bruxelles, 1968, 319 p.

PRESVELOUC., DE BlE P., Images and counter-images of youngfamilies, Transactions of the Second International Seminar,ICOF A, Louvain, 1969, 162 p.

Page 171: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

.'ho•••••••••••.'a socié •.érevue internationale

de recherches et de synthèses sociologiquesEDITIONS ANTHROPOS

Direction - Rédaction, 95, boulevard Saint-Michel, Paris-ô,Tél. 325.18.95

Administration - Abonnements, 15, rue Racine, Paris-6, Tél. 326-99-99N° 22 octobre-novembre décembre 1971

SOCIOLOGIE ECONOMIE ET ANTHROPOLOGIESOMMAIRE

Débats, études théoriques, synthèsesHenri LEFEBVRE: La re-production des rapports de production 3Adam SCHAFF: Au sujet de la traduction des thèses de Marx

sur Feuerbach " . .. 25Celso FURTADO: Dépendance externe et théorie économique 53Arghrri EMMANUEL: Le colonialisme des « poor-whites» et

le mythe de l'impérialisme d'investissement?. 67Henri DENIS: Marchés nouveaux et accumulation du capital 97Isaac GUELFAT: Les derniers étendards - De John Maynard

Keynes à Milton Friedman 107RecherchesGérard LAGNE'AU: Directions générales et participations sin-

gulières . " .• 131Georges LAPASSADE: La macumba - Une contre-culture en

noir et rouge . 147Etudes critiquesAndré REGNIER: De la morphologie selon V. 1. Propp à la

notion de système préinterprétatif . . . . . 171Laura MAKARIUS: L'apothéose de Cinna - Mythe de naissance

du structuralisme. . • . . . . . . . 191Bernard DELFENDAHL: Critique de l'anthropologie savante

Claude Lévi-Strauss, homéliste et scolastique. . . 211Olivier CARRÉ: La « conversion modale» selon Jacques Ber-

que dans l'orient second. . . . . . . . 237Yves GOUSSAULT: L'éducation des masses paysannes dans les

économies capitalistes dépendantes . 243Comptes rendus . . . . . . . . . . . . 253Georges AUCLAIR: Le Mana quotidien - Structures et fonctions

de la chronique des faits divers (Claude Javeau)Jacques FOURNIER: Politique de l'Education (Claude Javeau)Ernst FISCHER: Die Revolution ist anders (Arno Munster)Erich FROMM: La crise de la psychanalyse - Essais sur Freud,

Marx et la psychologie sociale (Louis Arnaud)Robert KALIVODA: Marx et Freud - La pensée contemporaine

et le marxisme (Louis Arnaud)Mario DE ANDRADEet Marc OLLIVIER: La guerre en Angola

(Samir Amin)Jean CAZENEUVE: Sociologie du Rite (Eddy Treves)Jean ZIEGLER: Le pouvoir africain - Eléments d'une sociologie

politique de l'Afrique noire et sa Diaspora aux Amé-riques (Louis Schneiter)

Revue des revues (Christiane Rolle et Nello Zagnoli). 263Livres reçus . 274Le numéro: 18 FAbonnement: 1 an (4 numéros) France: 60 F - Etranger: 70 FCCP : Paris 8 721 23

Page 172: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

REa PUBLICAREVUE DE L'INSTITUT BELGE

DE SCIENCE POLITIQUE

Rédacteurs en chef de la revue :Léo Moulin, Wilfried Dewachter

Secrétaires Généraux de l'institut :André Philippart, Hugo Van Hassel

SOMMAIRE 1972 - ND 1

In memoriam: Jean MEYNAUD 5Het belang: een typologische beschrijving van een fun-

damenteel maatschappelijk begrip,door KRUITHOF 7

Les bases de la politique étrangère d'Israël,par Paul GlNIEWSKI . 21

Giovanni Gentile and the IdeaIist content of ItalianFascism,by Rex BAILEY . 29

L'avenir politique de l'Europe,par A.-P. FROGNIER . 51

Les effectifs de la fédération d'arrondissement du POBde Verviers (1919-1939),par Jean PUISSANT . 63

Fiction as political prophecy,by Gordon W. KELLER 91

Sur l'idéologie,par Jérôme GRYNPAS 113

L'an 40. La Belgique occupéepar J. GERARD-LIBOIS et J. GOTOVITCH 137

Informations - Inlichtingen . 147Comptes rendus - Boekbesprekingen 152

Trimestriel - minimum 160 pages par numéro

Rue des Champs-Élysées 43 - B-I050 Bruxelles (Belgium)

Abonnement annuel : Belgique : 450 FBEtranger : 580 FB

Collection complète 1959-1970: 4.500 FB

Société Générale de Banque - Compte 68.702;00

Page 173: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

RECHERCHES SOCIOLOGIQUES

Sommaires

Volume l, numéro 1, ju.in 1970

P. DE BlE Avant-propos 3

c. LEPLAE La sociologie de la famille en Bel-gique 1957-1968 . 5

c. PRESVELOU Les nouvelles familles. Participationsocio-culturelle et dialectique desimages à propos de la vie conjugaleet familiale . 44

c. HENRYON et Distance socio-culturelle au mariageA. BRUTUS-GARCIAet modèles d'interaction conjugale

en matière de fécondité

G. HOFFMANN Famille nucléaire isolée ou familleélargie modifiée

Volume I, numéro 2, décembre 1970

P. SERVAIS Le sentiment national en Flandre eten Wallonie .

C. LEPLAE Approche sociologique de la musiquecultuelle récente 145

G. DE'PREZ La guerre scolaire et sa pacifica-tion (1) 170

F. BOUDRU Vers une sociologie des comporte-ments patrimoniaux de la famille 209

J. BONIS Attitudes de jeunes Belges à l'égarddes loisirs et de la culture 223

72

91

123

Page 174: recherches sociologiques · 2016. 2. 10. · tantôt socio-psychologique, Quant aux études sociologiques, elles ont principalement pour objet les conditions de vie de l'étranger

RECHERCHES SOCIOLOGIQUES

Sommaires

Volume II, numéro 1, juin 1971 .

R. HILL La famille dans les sociétés occiden-tales . 3

M. CROZIER L'engagement social du sociologue 25

P. VERCAUTEREN Notes pour une théorie de la légiti-mation 45

G. DEPREz La guerre scolaire et sa pacifica-tion (II) 67

B. GAILLY

C. PIRET

Notes de recherche

De l'ambition aux stratégies 92

Signification politique de la grève duLimbourg 107

-'

J. P. FRÈRE etM. BECKERSEquipe OBAP

P. DELFOSSE

A. CORTEN-VANDERHAEGHE

A. GRYSPEERDT

A. BEGUIN

A. VERDOODT

Volume II, numéro 2, décembre 1971

Caractéristiques individuelles des di-rigeants et modes d'accès au pouvoirdans l'entreprise

Le texte d'un système des pen-sions (1)

Le travail des femmes dans les maga-sins à rayons multiples

Notes de recherche

Directions pour l'investigation ensociologie de la télévision : théorie,problématiques et techniques. 214

Analyse des échecs et abandons àl'Université, importance du milieusocial d'origine . 226

Etude bibliographique

Sociologie du langage

127

155

181

242