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RAPPORT DE RECHERCHE SUR LA SITUATION DES MAL
ET NON VOYANTS DE L’UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA Accessibilité aux filières de l’enseignement supérieur
et perspectives d’autonomisation
Casablanca le 31 mars 2014
Direction : Jamal KHALIL
Chercheurs : Sana Benbelli ; Wassila Benkirane ; Amal Bousbaa ; Touria Houssam ; Khadija
Louridi ; Bouchaib Majdoul ; Abdallah Zouhairi
Recherche réalisée pour le compte de :
L’ASSOCIATION MAROCAINE POUR LA READAPTATION DES DEFICIENTS
VISUELS (AMARDEV)
AU SEIN DE: L’EQUIPE DE RECHERCHE : OBSERVATIONS SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES ET
ETUDES REGIONALES, MEMBRE DU LABORATOIRE DE RECHERCHE SUR LES
DIFFERENCIATIONS SOCIALES ET LES IDENTITES SEXUELLES RATTACHE AU CENTRE
MAROCAIN DE SCIENCES SOCIALES CM2S. UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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SOMMAIRE :
AVANT-PROPOS: .............................................................................................................................................. 3
LISTE DES ABREVIATIONS ...................................................................................................................... 5
INTRODUCTION ............................................................................................................................................ 6
I- RELATIONS FAMILIALES, AMICALES ET SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1) MNV et lien familial ............................................................................................................................ 10
2) L’entourage social des NMV ............................................................................................................... 19
II- PERCEPTIONS PAR L’AUTRE ......................................................................................................... 24
1) Un être étiqueté : entre normal et anormal ........................................................................................ 24
2) De la déficience visuelle à l’infirmité globale .................................................................................... 26
3) Voir ceux qui ne voient pas ................................................................................................................. 29
III- CURSUS UNIVERSITAIRE : LE CHOIX DES FILIERES ..................................................... 33
1) Déficience visuelle :............................................................................................................................... 33
2) Compétences et performances ............................................................................................................ 36
3) Déterminants stratégiques ................................................................................................................... 38
VI- DE L’OAPAM A L’UNIVERSITE : LA TRANSITION DIFFICILE .................................... 46
1) De l’OAPAM à l’université : une transition contrariée .................................................................... 46
2) Montasser : une transition plus au moins rastaquouère ........................................................................... 53
V- UTILISATION DU BRAILLE ET DES NOUVELLES TECHNOLOGIES POUR LES
MNV: DES OUTILS POUR UNE APPROCHE PLUS AUTONOME ............................................ 57
1) L’univers de la communication tactile : les supports de lecture braille et de codage tactile ...... 58
2) L’univers de la communication sonore : les lecteurs d’écran et les logiciels de reconnaissance
vocale ............................................................................................................................................................... 62
VI- PEDAGOGIE ET ENREGISTREMENT DES COURS ............................................................... 67
1) Pédagogie différenciée : une garantie pour l’égalité de l’accès à l’information ........................... 67
2) L’enregistrement sonore : une stratégie d’accès aux apprentissages pour les étudiants-es en
situation de handicap .................................................................................................................................... 71
VII- DE L’AVENIR ET DE SA PERCEPTION CHEZ DES JEUNES MAL OU NON-
VOYANTS ......................................................................................................................................................... 75
1) De l’optimisme : étudier, travailler et vivre normalement ensuite. ............................................... 75
2) Un avenir sombre et incertain malgré le diplôme ............................................................................ 78
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3) A l’ avenir rien de nouveau ou le caractère « stationnaire » du futur ........................................... 81
4) L’avenir n’existe pas : un présent sans futur .................................................................................... 82
CONCLUSION ................................................................................................................................................. 84
ANNEXE : Tableau récapitulatif des MNV .................................................................................................... 87
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AVANT-PROPOS :
En décembre 2013, une première réunion a été organisée avec M. Rachid RIFAI,
Président de l’Association Marocaine pour la Réadaptation des Déficients Visuels
(AMARDEV), ainsi que Mme Catherine Maestraci, Mme Clara ELHAIMER à propos de la
situation des non et mal voyants à l’Université. Par la suite, une seconde réunion, plus élargie,
a été organisée le 17/12/2013 à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (FLSH). Elle
a associé M..Saad Lazrak, Mme Moukhabir et des chercheurs universitaires. L’objet étant de
mieux partager les attentes des membres de l’association avec les chercheurs.
Lors de cette réunion plusieurs questions relatives aux personnes en déficience
visuelle ont été soulevées : vécu quotidien, insertion à l’Université, problèmes de
communication, difficultés multiples rencontrées au sein et en dehors de l’Université,
utilisation des nouvelles technologies, absentéisme, relations avec les enseignants...
L’ensemble de ces problèmes rendant difficile l’insertion de ces étudiants dans
l’environnement universitaire, il a été décidé de mener une étude qualitative afin de mieux
comprendre les causes profondes des problèmes que rencontrent les déficients visuels au sein,
voire en dehors de l’Université. Cette recherche a été confiée à l’équipe de recherche :
Observations Socio-anthropologiques et Etudes Régionales (OSER), sous la responsabilité du
professeur Jamal KHALIL.
Une problématique de départ a été adoptée, quitte à l’améliorer par la suite. Elle a été
formulée de la manière suivante « Les non-voyants adoptent une posture d’assistés, puisque
c’est cette posture qui leur a permis et leur permet encore d’avoir un diplôme et un travail.
Est-il possible de les sensibiliser et de les diriger vers d’autres attitudes où ils seront plus
autonomes ? »
Sous la direction de Jamal Khalil une équipe de chercheurs, doctorants et de post
doctorants a été constituée : Sana Benbelli ; Wassila Benkirane ; Amal Bousbaa ; Touria
Houssam ; Khadija Louridi ; Bouchaib Majdoul ; Abdallah Zouhairi. Le travail collectif
organisé consistait en l’élaboration d’un protocole de travail, la construction des différents
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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instruments de l’enquête qualitative ainsi que la démarche à suivre pour la rédaction du
présent rapport.
Par la suite il s’agissait d’entrer en relation avec les non et mal voyants (MNV) et
d’organiser les différents aspects de cette recherche.
La sensibilisation des chercheurs à cette problématique de recherche a débuté tout de
suite après. La construction des outils d’analyse s’est terminée le 12 janvier et le travail sur le
terrain a pu commencer le 13/1 en coordination avec Mme Moukhabir Pour la FLSH. Pour la
FSJES les contacts et la collecte des informations ont été établis de façon plus progressive.
Les entretiens avec la population concernée ont commencé le 13 janvier pour se
terminer le 12 février. Au départ 39 rendez-vous ont été pris avec les MNV. Au final 30
entretiens ont été réalisés. Leur retranscription s’est terminée le 8 mars. La production de ce
rapport a tenu compte non seulement de l’analyse des entretiens effectués mais aussi d’une
revue de littérature sur la question.
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LISTE DES ABREVIATIONS
CIDPH : Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées
CIH : Classification Internationale du Handicap
CM2S : CENTRE MAROCAIN DE SCIENCES SOCIALES
E.D.P.A : Etudes en Droit Public Arabe
E.AN : Etudes Anglaises
E.AR : Etudes Arabes
E.I : Etudes Islamiques
FLSH : Faculté des Lettres et Sciences Humaines
FSJES : Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales
Labo-DSIDS : Laboratoire de Recherche sur les Différenciations Sociales et les Identités
Sexuelles
MV : Malvoyant
MNV : Malvoyants et Non-Voyants
NV : Non-Voyant
OAPAM : Organisation Alaouite Pour la Protection des Aveugles
OSER : Observations Socio-anthropologiques et Etudes Régionales
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
UH2C : UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA
V: Voyant
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INTRODUCTION :
L’accès des personnes handicapées à l’enseignement est régi aussi bien par la
législation marocaine que par les conventions internationales ratifiées par le Maroc. La
convention la plus récente est relative à la Convention Internationale des Droits des Personnes
Handicapées (CIDPH) adoptée par le Conseil des Nations Unis le 13 décembre 2006, elle a
été ratifiée avec son Protocole facultatif le 14 avril 2009. Ce cadre normatif universel est une
base juridique permettant de combattre la discrimination fondée sur le handicap et de rendre
effectifs leurs principaux droits comme l’accès à l’enseignement stipulé dans l’article 24 de la
Convention. De plus, la nouvelle constitution marocaine de 2011 donne aux conventions
internationales ratifiées par le Maroc la primauté sur le droit interne du pays, une fois publiées
au Bulletin officiel. Dans son préambule, il est stipulé que le Royaume du Maroc s’engage à
« bannir et combattre toute discrimination à l'encontre de quiconque, en raison du sexe, de la
couleur, des croyances, de la culture, de l'origine sociale ou régionale, de la langue, du
handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit ». La non-discrimination basée
sur le handicap est ainsi encadrée par des normes universelles et nationales.
Et pour définir la notion du handicap, la loi n°07-92 ‘relative à la protection sociale
des personnes handicapées’ a défini le handicapé dans son article 2 comme: « toute personne
se trouvant dans un état d’incapacité ou de gêne permanente ou occasionnelle résultant d’une
déficience ou d’une inaptitude l’empêchant d’accomplir ses fonctions vitales, sans distinction
entre handicapés de naissance et ceux qui souffrent d’un handicap acquis ». Cette loi
différencie les personnes qui souffrent d’un handicap de naissance ou d’un handicap acquis.
Elle présente aussi le handicap comme le résultat d’une déficience permanente ou
occasionnelle qui empêche ces personnes d’accomplir certaines fonctions vitales. Et pour
spécifier les types d’incapacités qui découlent des déficiences, la Convention Internationale
relative aux Droits des Personnes Handicapées a présenté, dans son article premier, la
définition suivante sur les personnes handicapées : « on entend des personnes qui présentent
des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction
avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société
sur la base de l'égalité avec les autres ». Les principales incapacités des personnes
handicapées mises en avant par la Convention sont liées aux déficiences physiques, mentales,
intellectuelles ou sensorielles. Cette définition souligne aussi les barrières d’ordre
environnemental qui pourrait faire préjudice aux personnes handicapées. Afin de mieux
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cerner la notion de handicap, la Classification internationale du handicap (CIH)1, adoptée par
l’OMS en 1981 nous permet de comprendre l’évolution scientifique du handicap selon ces
trois niveaux : la déficience, l’incapacité et le handicap. Ceci dit, la déficience (Ex : lésion
physique) entraîne une incapacité d’assumer une fonction (Ex : fonction motrice). Et cette
incapacité entraîne à son tour un handicap qui est un désavantage social (Ex: ne pas pouvoir
remplir une tâche sociale).
Après avoir défini la notion du handicap en général, nous nous intéressons en
particulier au handicap lié à la déficience visuelle partielle ou totale. Nous rappelons que ce
type de déficience est régi par la loi n°05-81 ‘relative à la protection sociale des aveugles et
des déficients visuels’ qui est entrée en vigueur en 1989, sept ans après le dahir portant sa
promulgation (dahir n° 1-82-246 du 11 rejeb 1402 (6 mai 1982)). L’article 4 extrait de cette
loi informe que les aveugles et assimilés, porteurs d’une carte spéciale délivrée par
l’administration, bénéficient de l’affectation d’institutions publiques à leur éducation et leur
formation professionnelle en vue de les préparer aux métiers qui conviennent à leur état. Cette
protection juridique permet de garantir à ces déficients visuels des institutions publiques qui
leur permettent de se projeter dans un métier d’avenir le mieux adapté à leur déficience.
Toutefois la question de l’insertion de ces handicapés dans des établissements ordinaires ou
spécialisés reste divisée entre une approche favorisant l’égalité des chances à l’accès aux
établissements ordinaires ou la séparation de ces derniers dans des établissements spécialisés.
Dans ce sens, l’article 12 de la loi n°07-92 ‘relative à la protection sociale des personnes
handicapées’, promulguée par le Dahir n° 1-92-30 du 22 Rabie I 1414 (10 septembre 1993),
stipule ce qui suit : « Les handicapés suivent, chaque fois qu’il est possible, l’enseignement et
la formation professionnelle dans les établissements ordinaires d’enseignement et de
formation. L’administration procède, dans les limites de ses possibilités, à la création
d’établissement d’éducation, d’enseignement et de formation professionnelle spécialisés pour
handicapés. » D’après ce dispositif juridique, les personnes handicapées ont accès aux
établissements éducatifs ordinaires ou des structures spécialisées, mais cette orientation
scolaire reste liée à la mention « dans les limites de ses possibilités » qui pourrait
compromettre le choix de l’établissement.
1 Rapport de l’Organisation mondiale de la santé sur le handicap en 2011:
http://www.who.int/disabilities/world_report/2011/report/fr/index.html
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En plus du cadre normatif, le cadre sociologique nous permet de mieux comprendre
les notions de stigmatisation et de liminalité liées aux handicapés en général et aux déficients
visuels en particulier. D’après Goffman, les troubles de vision font partie des stigmates
corporels qui basculent l’individu dans un statut inférieur. La dysmétrie des positions entre les
voyants (les normaux) et les MNV (les stigmatisés) s’accentuent généralement dans les
interactions ‘mixtes’. Cependant, certaines impasses relevées par des chercheurs à partir de
démarches phénoménologiques ou de résultats de terrain ont montré une insuffisance de ce
cadre théorique. Dans certaines situations, il a été signalé que les handicapés ne vivent pas
exactement des situations d’exclusion ou de stigmatisation de la part des non-handicapés.
C’est ainsi que la théorie de la liminalité a été proposée par certains auteurs pour expliquer le
handicap comme une situation transitoire entre deux états de normal et d’anormal. Le concept
de liminalité a été élaboré par l’anthropologue américain Van Gennep (1909)2 dans son
ouvrage qui décrit les rites de passages. Le terme liminalité a son origine du latin limen qui
veut dire seuil. Pour Van Gennep, il existe trois grandes phases du rite : les rites pré liminales
(rites de séparation), les rites liminaires (rites de transition) et les rites post liminaux (rites
d’incorporation). Certains auteurs ont repris ce concept pour l’appliquer à divers objets de
recherche. Le handicap a été l’un des objets auquel ce concept a été appliqué d’abord par des
auteurs américains tels que Murphy(1988) 3
et ensuite en France par Calvez. La
liminalité «qualifie le moment où un individu a perdu un premier statut et n’a pas encore
accédé à un second statut ; il est dans une situation intermédiaire et flotte entre deux états »
(Calvez, 2000)4. Calvez (op.cit) utilise cette notion pour expliquer les situations de handicap à
cause de l’insuffisance du concept de stigmatisation chez Goffman ; tout en se référant aux
travaux de l’anthropologue Murphy qui est devenu tétraplégique. Calvez souligne aussi que la
situation de handicap peut créer aussi bien des sentiments d’exclusion que des sentiments de
compassion envers les personnes handicapées. Devant la possible « impasse » théorique pour
expliquer de telles situations, Calvez propose d’utiliser le concept de liminalité à la place de la
stigmatisation. La situation de liminalité que vit un handicapé peut ainsi être considérée
comme une « intégration inachevée » ou « un état de marge » selon les « variations
socioculturelles » qui concernent aussi bien la personne handicapée que son environnement.
2Gennep, A. V. (1909). Les rites de passage: étude systématique des rites. Librairie Critique Emile Nourry.
Paris. 3Murphy, R. F., Scheer, J., Murphy, Y., & Mack, R. (1988). Physical disability and social liminality: A study in
the rituals of adversity. Social science &medicine, 26(2), 235-242. 4Calvez, M. (2000). La liminalité comme cadre d'analyse du handicap. Prévenir, 39(2), 83-89.
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Dans ce présent rapport nous faisons aussi appel à ces notions théoriques pour
comprendre les rites de passage des MNV de l’institution familiale à l’institution scolaire puis
universitaire, tout en se projetant dans l’institution professionnelle.
La problématique de départ est la suivante : Les non-voyants adoptent une posture
d’assistés, puisque c’est cette posture qui leur a permis et leur permet encore d’avoir un
diplôme et un travail. Est-il possible de les sensibiliser et de les diriger vers d’autres attitudes
où ils seront plus autonomes?
Afin de vérifier si les étudiants MNV de l’université HassanII adoptent une posture
d’assistés, nous avons opté pour la démarche qualitative pour appréhender la logique des rites
de passage ; s’ils perpétuent la posture d’assistance ou au contraire ils favorisent la posture
d’autonomisation. D’ailleurs, les entretiens semi-directifs abordent le passage du cercle
familial au cercle scolaire, puis la transition de l’école à l’université, et finalement les
perspectives d’avenir des MNV du point de vue personnel et professionnel. Nous avons
réparti notre échantillon comme suit : 21 MNV de la Faculté des Lettres et Sciences
Humaines (FLSH) et 9 MNV de la Faculté des Sciences Juridiques et Sociales (FSJES). Le
choix de ces deux facultés est lié au fait que les MNV ont majoritairement un baccalauréat
littéraire qui ne leur offre pas la possibilité d’accès aux facultés des sciences.
Les différentes thématiques abordées traitent des relations des MNV avec leur
environnement familial, amical, scolaire, universitaire et les perspectives d’avenir se
rapportant à leur vie personnelle et professionnelle. Certes, le passage par l’université
constitue une étape intermédiaire importante vers le milieu professionnel, mais l’étude des
rites de passages allant de l’institution familiale, passant par l’institution scolaire et
universitaire s’avère indispensable pour l’orientation du métier d’avenir des MNV. L’objectif
de cette étude est de parvenir à déterminer l’ensemble des facteurs qui permettraient aux
MNV de sortir du cercle vicieux de l’assistance vers le cercle vertueux de l’autonomisation.
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I- RELATIONS FAMILIALES, AMICALES ET SOCIALES
Dans le présent travail, nous nous proposons de remettre en question cette emprise du
groupe sur l’individu (le MNV) en réinterrogeant la nature des rapports sociaux des MNV
avec leur entourage social. Pour ce faire, nous nous référons à la typologie dressée par
Paugam (2008)5 des liens sociaux en nous intéressant particulièrement au lien de filiation (les
origines familiales) et au lien de la participation élective (groupes d’appartenance : amis,
voisins, conjointes)6. L’appréhension de ses liens sociaux sera focalisée autour de la scolarité
des MNV. Plus particulièrement, il s’agit de comprendre en quoi la nature des rapports
sociaux peut-elle influer sur la scolarité des MNV, et dans quelle mesure la fréquentation des
établissements scolaires (OAPAM, faculté) permet-elle une prolifération du réseau social des
MNV. Nous nous proposons aussi de voir comment un MNV réagit face aux obstacles
rencontrés dans ses interactions sociales et interagit au sein des cercles sociaux (famille,
voisinage, relation d’amitié, etc.).
Nous faisons l’hypothèse que l’aide familial prend différentes formes et contribuent à
augmenter les chances des NMV d’avoir un parcours scolaire réussi. De plus, nous supposons
que la scolarité favorise la création et l’implication dans des réseaux sociaux constitué de
MNV, mais aussi de voyants des deux sexes. Enfin, nous présumons que l’effort individuel
fourni par un NMV joue un rôle indispensable dans son intégration sociale.
1) MNV ET LIEN FAMILIAL
1.1- ENTRE DISSOCIATION ET ASSOCIATION DU RAPPORT FAMILIAL : QUELLES
CONDITIONS ?
1.1.1 LE ROLE DES PARENTS : ENTRE INAPTITUDES ET ENCOURAGEMENTS
Des NMV récusent l’ignorance de leurs familles de la bonne manière de se comporter
avec eux. La tendance chez les parents est à se diriger vers deux extrêmes : gâter l’enfant et
créer chez lui un sentiment de dépendance, ou bien le marginaliser à cause de l’incapacité de
5S. Paugam, Le lien social, Paris, PUF "Que sais-je ?", 2008. 6 Paugam (2008) distingue quatre grands types de liens sociaux constituant le tissu social de l’individu : le lien
de filiation, le lien de participation élective, le lien de participation organique (l’apprentissage et l’exercice d’une
fonction déterminée dans l’organisation du travail) et le lien de citoyenneté (la reconnaissance de la souveraineté
du citoyen).
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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s’occuper de lui. Les deux cas de figures tendent à engendrer une désintégration sociale et un
manque d’autonomie chez le NMV, aussi bien durant son enfance qu’à à l’âge adulte. Un
NMV a plus de chance d’évoluer dans une ambiance saine et équilibrée s’il est issu de
parents ayant un niveau d’instruction élevé. Par contre, l’analphabétisme ou le niveau
intellectuel bas des parents sont considérés comme des facteurs compromettant la construction
d’une personnalité autonome chez l’enfant NMV, d’une part, et le bon déroulement de sa
scolarité, d’autre part.
« Imagine que mes parents sont analphabètes et influencés par les superstitions, ils sont préoccupés
par le gain matériel et ont du mal à communiquer même avec les voyants comment communiquer
alors avec les NV. Ces facteurs ont fait que je sois marginalisé dans ma famille. » (NV 15)
Ces facteurs favorisent aussi une tendance chez les parents à se diriger vers les
croyances superstitieuses, d’où le recours aux mausolées et aux charlatans. Les NMV sont
identifiés comme des personnes n’ayant pas joui de leur enfance marquée souvent par une
grande turbulence, vue l’effort incessant des parents pour que leur enfant récupère la vue.
Désespérés, ils frappent la porte de la science en recourant aux structures de santé
(consultations médicales régulières, opérations chirurgicales, etc.), ou encore font appel à des
pratiques superstitieuses, issue de secours susceptible de redonner un espoir que le monde
médical a bafoué.
« Lors de ma naissance, je pouvais voir normalement, mais le fait de tomber un jour m’a fait perdre
la vision. Ma famille a fait l’impossible pour que je puisse voir de nouveau, elle a fait le tour des
hôpitaux et des mausolées (sadat). Il faut que vous sachiez que la période d’enfance d’un NV ait lieu
dans les hôpitaux ou il est plus en contact avec les opérations chirurgicales et les médicaments. Un
NV ne joue pas assez et qu’il commence à fréquenter l’école à un âge avancé. » (NV 15)
Les croyances et les superstitions sont également avancées comme des causes du
manque de communication avec les parents. Ces croyances sont parfois relatives à des valeurs
comme la malédiction divine (balaa) se concrétise par le fait d’avoir un NV au sein de la
famille.
Cette perception négative du handicap de la part de la famille résume tous les aspects
de l’entité de l’individu à la cécité ou la déficience visuelle. Celles-ci sont conçues comme
des imperfections dont les retombées dépassent le côté physique pour impacter même le côté
intellectuel du MNV, condamné inéluctablement à l’échec, notamment scolaire. Les
stéréotypes relatif à l’inutilité des études pour un NV sont souvent présents dans l’entourage
familial des interviewés. Ils sont véhiculés par des proches ou encore intériorisés par les
parents. Croire en l’incapacité du NMV d’avoir un parcours scolaire réussi perpétue
l’invalidité de ce dernier et renforce chez lui l’image dichotomique des voyants (productifs,
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actifs, ayant un rôle au sein de la famille et la société) et des non-voyants (inutiles, passifs, un
fardeau pour la famille et la société).
« Dans ma famille, plusieurs personnes disent à ma mère « pourquoi tu l’as mis à l’école ? », j’ai
entendu une fois de mes propres oreilles un membre de la famille dire à ma mère en Tachelhit « tu
vas épuiser toute ta santé pour Moustapha l’aveugle, pourquoi tu dépenses toute cette énergie pour
l’instruire, tu n’auras aucun résultats car même les voyants ne réussissent pas les études ». Au début
même mon père ne croyait pas que je pouvais étudier et il a été contre mon inscription à l’OAPAM.
Mes tantes sont également contre mes études car dans leur perception un NV ne peut rien faire, ne
peut rien réussir et ne pourras jamais avoir un statut dans la société. « (NV 26)
Outre le niveau d’instruction des parents, qui peut être qualifié de facteur ‘objectif, un
autre facteur ‘subjectif’ a été également soulevé par les interviewés. Ce facteur est relatif aux
attentes des parents et à l’encouragement familial des MNV. En effet, plus les parents ont des
attentes élevées par rapport à la scolarité de leur enfant, plus le NMV est incité à investir dans
ses études et à déployer des efforts pour réussir.
« C’est la patience et le soutien de mes parents, de mes frères et sœurs et de mes proches qui
m’aide à aller de l’avant et à surmonter les obstacles. C’est leur soutien qui me motive et me
pousse à aller de l’avant, c’est ce qui me pousse à être à la hauteur de leurs attentes et à avoir
leur bénédiction. « (MV 1)
L’engagement des parents marque souvent le projet d’éducation de leurs enfants. Cet
engagement se manifeste tout au long de la scolarité du MNV. Il prend toute son ampleur en
cas de rupture des études par le MNV. Reprendre ses études (retour à l’école, préparation d’un
diplôme libre) est souvent attribué aux encouragements et au soutien parental qui incite les
MNV à aller de l’avant, à surmonter leur handicap, mais aussi de vaincre le pessimisme quant
à leur avenir.
Toutefois, les encouragements seuls n’impliquent pas systématiquement un
développement chez le MNV des habilités de base de l’autonomie, nécessaires non seulement
durant l’enfance, mais également à l’âge adulte (quitter la maison des parents, se marier,
employabilité future). En effet, certains parents font preuve d’une surprotection de leurs
enfants d’où la restriction de leur mobilité spatiale.
« Je viens tôt, mais parfois je ne viens pas. Lorsque mon papa ne m’accompagne pas. Et il ne
me laisse pas venir dans le bus. J’ai peur, et ma famille ne m’encourage pas. Parfois ma mère
m’accompagne. En plus, j’ai deux bus, c’est difficile de venir seule. Je prends le bus parfois
dans le retour lorsque mes amies sont avec moi. (MNV 21)
Je n’ai pas de problèmes avec la famille. C’est vrai, on ne me laisse pas sortir. Je n’essaie pas de
les défier, je préfère respecter ce qu’ils me disent. » (NV 22)
Certains MNV se montrent dociles et ne montrent aucune résistance quant aux
décisions de leurs parents. Ceci se manifeste plus chez les filles non-voyantes dont la mobilité
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est souvent dépendante de l’accompagnement de l’un des membres de leurs familles. Cette
dépendance est inculquée depuis leur petite enfance ce qui la rend évidente même à l’âge
adulte. Dépendre de sa famille pour se déplacer légitime le refus parental quant à l’accès à
l’espace public. Cet accès devient une phobie pour une MNV d’où l’absence d’un réseau
social et l’exclusivité du cercle familial.
La restriction de la mobilité spatiale n’est qu’un aspect de la soumission et de
l’aliénation à la famille. La dépendance peut être perpétuée par la famille, volontairement ou
involontairement, en empêchant le MNV de remplir certaines tâches. Ceci contribue à étaler
la dépendance sur d’autres aspects de la vie d’un NMV qui se trouve dépossédé du moindre
rôle au sein de la famille.
« Les marocains sont très bons mais c’est à double tranchant, je les excuse, même mon père, en ce
moment, je file avant qu’il me voit, je ne sors pas quand il est là, il n’aime pas savoir que je suis à
l’extérieur seul, je l’excuse, mais au fond de moi, je ne peux rien lui dire, quand je veux ranger ma
couverture il me dit laisse faire ta sœur, je me tais je ne peux rien répondre, (ta nehchem mennou),
quand je veux aller au bain je file le matin. » (NV 2)
1.1.2 REUSSIR SA VIE : C’EST AVANT TOUT UN EFFORT PERSONNEL
Certes, le soutien des parents permet aux NMV d’avoir une image positive d’eux-
mêmes, d’avoir un parcours scolaire réussi et d’être autonomes. Mais les NMV interviewés
soulignent aussi la portée incontournable de leurs efforts personnels dans la concrétisation de
leurs objectifs et leur l’intégration sociale. Cet effort personnel se traduit par une volonté de
surmonter l’image socialement pré-établie attribuant aux MNV un ensemble de stéréotypes
négatifs (passivité, inutilité, paresse, incapacité de réussir sa vie) prédestinant à l’errance ou à
la mendicité, moyen unique de survie.
« Dans la famille comme dans mon entourage, il y a des personnes qui pensent et croient que NV est
une personne normale qui peut vivre comme les autres mais il y a également ceux qui pensent qu’un
NV ne sert à rien, qu’il sera toujours un fardeau sur la famille et la société. »(NV 26)
« Les marocains ont intériorisés l’image du non voyant comme mendiant, une personne qui ne fait
rien, une personne qui doit se contenter d’apprendre le Coran. » (MV 13)
Cette perception stigmatisante est susceptible d’affecter les NMV affectés d’où leur
tendance vers l’isolement, la crainte du rejet, le manque de confiance en soi, etc., Toutefois, la
primauté de la perception des autres sur l’identité sociale est parfois remise en cause. En effet,
des interviewés mettent en avant l’effort fournie pour franchir l’image négative socialement
pré-construite.
« Même si les autres me disent parfois que je serai incapable de faire telle ou telle chose de réaliser
tel ou tel objectif, je ne les écoute pas parce que je sens que je suis capable d’aller très loin, je suis
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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capable de réaliser tout ce que je veux et même plus, il me faut juste la persévérance et la volonté
c’est tout, il est inutile d’avoir un rêve sans essayer de le concrétiser, donc je dois faire en sorte de le
réaliser. Seule la volonté et la persévérance déterminent notre réussite dans la vie. »(MV 1)
La stigmatisation dans l’entourage familial et social amène les NMV à relever le défi
d’infirmer les stéréotypes leur sont attribués. La participation du NMV à des activités
nécessitant une vision (un MNV qui exerce le football), l’instauration de nouvelles relations
sociales permettant de s’ouvrir sur le monde des voyants, la persévérance dans les études sont
autant de comportements qui visent à changer les attitudes et les croyances ancrées dans son
entourage familial.
1.2-DES RAPPORTS FAMILIAUX DIFFERENCIES
1.2.1 UNE RELATION ‘NORMALE’, HARMONIEUSE ET SOUDEE
Le rapport à la famille est souvent décrit comme étant ‘normal’ et basé sur le respect
mutuel entre le MNV et sa famille. les interviewés soulignent que ce respect n’est pas
systématique, il dépend surtout de l’attitude respectueuse du NMV à l’égard de ses proches
qui lui doivent à leur tour une réciprocité du comportement. La stabilité et l’harmonie de la
relation familiale sont fondées également sur la prise de conscience des parents que les NMV
ont des besoins spécifiques, d’une part, et de ces derniers qu’ils ont des devoirs et des
obligations vis-à-vis de sa famille.
La cécité accidentelle ou tardive est vécue comme un événement malheureux et un
moment de crise mobilisant une grande solidarité familiale. Le soutien moral et affectif de la
part de la famille aide fortement le NV à surmonter le choc et à s’adapter à la nouvelle
situation. L’adaptation passe avant tout par une implication du NMV dans un cursus scolaire
destiné exclusivement aux NMV (l’OAPAM).
« Quand j’ai perdu la vue, je suis devenu plus aimé de mon entourage, on a essayé de me
soutenir, c’est vrai que c’est choquant au début mais après je me suis habitué, je trouve cela
ordinaire. » (MV 12)
L’aide familiale prend différentes formes, elle peut se présenter sous formes de
services ou de soutien moral. Pour ce qui est des services, certains sont fournis par les parents
(accompagner le NMV à l’école, faire le trajet avec lui jusqu’à la faculté, l’accompagner aux
arrêts de bus et l’y attendre au retour, le déposer à l’école par le biais d’un moyen de transport
personnel, lui lire les cours, etc.), la fratrie ( déposer le NMV à la faculté, l’accompagner le
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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jour de l’examen comme ‘rédacteur’, lui lire les cours, etc.), ou encore par l’épouse (déposer
le NMV à la faculté).
« «Mon seul problème c’est l’écriture que je ne vois pas, je n’avais pas de problème avant, mais c’est
à la fac ou j’ai senti que j’avais un problème, au collège ma mère m’aidait à lire les leçons ; ma
mère ou mon père prenaient des leçons chez d’autres élèves et me les ramenaient. » (MV8)
« Je me déplace sans grand problème, des fois ma mère m’attends à l’arrêt de bus pour
m’accompagner, des fois je rentre seule. » (NV 10)
« Je me réveille tôt le matin, je fais ma prière, prend mon petit déjeuner, prendre le bus à l’heure
mais dernièrement c’est ma sœur qui me dépose le matin à la faculté parce qu’elle vient d’avoir une
voiture. » (MV1)
« Je demande parfois au prof de passer l’examen sous forme oral sinon je ramène ma sœur qui est
au bac pour me servir d’écrivain durant les examens. « (MV 6)
« Je prépare ici avec les filles ou à la maison, il y’a ma sœur qui m’aide à la maison elle me lit
l’imprimé. » (NV 7)
Outre les services, le réseau familial peut apporter un support affectif et moral pour
que le NMV soit entouré d’amour et d’affection. Ce support se traduit de diverses façons :
écoute, présence effective de la personne aidante, notamment lors des moments difficiles
(cécité tardive, échec scolaire, moment des examens, etc.), réconforter, encourager, conseiller,
etc.
1.2.2 Distance et concurrence dans le rapport familial
Le rapport des NMV avec leurs familles semble être affecté par la distance spéciale
imposée parfois par la scolarité. En effet, pour pouvoir poursuivre leurs études, des MNV sont
contraints de vivre loin de leurs familles, d’évoluer durant une période considérable de leur
vie tout en étant éloignés de son réseau familial. L’internat de l’OAPAM et la cité
universitaire représentent deux lieux où des MNV, durant une longue période, mènent tous les
aspects de leur existence en dehors du giron familial. Le contact avec la famille se limite aux
weekends et parfois aux périodes des vacances scolaires. Cet éloignement dû à la scolarité
influe de façon différenciée sur le rapport entretenu avec la famille. D’un côté, la limitation du
contact peut parfois avoir un effet positif : moins le contact est établi avec les proches, moins
les conflits familiaux surgissent. Par ailleurs, la distance favorise l’affection et l’hospitalité
familiale lors des visites des NMV. D’un autre côté, l’éloignement spécial, peut avoir un
impact sur lien affectif entretenu avec les proches d’où le sentiment chez certains NMV d’être
étrangers au sein de leurs propres familles. Le retour à sa famille après une interruption des
études ou lors du passage de l’OAPAM à la faculté accentue les problèmes familiaux.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« Moi je suis actuellement dans la cité universitaire ce qui fait que je ne vois ma famille qu’au cours
du Weekend. Ma famille a toujours du mal à accepter que je vive loin d’elle bien qu’elle soit à
Casablanca aussi. Elle apprécie beaucoup les vacances d’été parce que je les passe avec eux. » (MV
13)
« Je ne communiquais pas assez avec les membres de ma famille parce que j’étais un étranger pour
eux au regard de la grande période passée à l’internat. Lorsque j’ai quitté l’internat, je me suis senti
comme un orphelin qui recourt à eux pour m’adopter à contre-gré. » (NV 15)
Entre les deux extrêmes (harmonie/conflits), il existe également une situation
intermédiaire qui neutralise le rapport à la famille en le dépouillant de sa dimension affective
pour le réduire à un espace destiné à la satisfaction des besoins élémentaires. Le contact à la
famille n’est pas subjectif (amour, tendresse, conflit, haine, etc.), il est plutôt pragmatique se
tissant par nécessité. La réalisation de l’individu, ses objectifs, ses interactions, voire même
son existence se concrétisent dans la sphère publique.
« Je me rendais chez ma famille pour manger, boire, dormir, passer les moments de vide, les
moments où je n’ai rien à faire, mais si j’ai quelque chose à faire je sors à l’extérieur, je sors à la
société. » (MV 14)
Le handicap peut aussi créer une sorte de concurrence au sein de la famille, que ce soit
entre le MNV et sa fratrie ou les proches appartenant à la même génération que lui (cousins,
cousines). Une volonté d’être meilleur parfois accompagnée d’un sentiment de supériorité par
rapport aux proches voyants est que les proches voyants. Certains MNV manifestent un
sentiment de concurrence avec la fratrie ou les proches appartenant à la même génération
qu’eux. Le meilleur est celui qui est en mesure d’atteindre ses objectifs, mais surtout d’aboutir
à une satisfaction personnelle de ses propres réalisations. Réussir ses études ou occuper un
poste de travail n’équivaut pas forcément à une réussite de la personne.
« Ma famille était plus ou moins aisée ce qui a permis à mes frères et sœurs d’occuper de bon postes
mais ils ne sentent pas qu’ils sont arrivaient à avoir ce qu’ils veulent, la scolarisation ne leur a
permis pas d’atteindre leurs objectifs. » (MNV 15)
Monotonie et conformisme vont à l’encontre de la passion et la quête de la différence. La
cécité est identifiée comme un vecteur positif qui favorise cette quête et augmente ses
chances d’avoir un parcours distingué de celui des ‘normaux’. Les études prennent le sens du
défi et de la passion dont la finalité dépasse l’intégration professionnelle ultérieure. Elles
visent plutôt un épanouissement personnel.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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1.3-VERS LA VOIE DE L’AFFIRMATION
1.3.1 JE SUIS ‘REVOLUTIONNAIRE’ DONC J’EXISTE
La reconnaissance familiale est souvent favorisée par la conformité des MNV à la
ligne de conduite attendue surtout par leurs parents. Toutefois, la quête de la reconnaissance
peut se traduire autrement. À l’encontre de la soumission traduisant une ‘loyauté ’vis-à-vis
des parents, une autre attitude existe une autre non pas par la soumission mais par la
‘révolution’. Elle traduit ce que Hirschman (1995)7 qualifie de ‘prise de parole traduisant une
réclamation de la différence, une manifestation de l’existence et une revendication du droit
d’expression.
« La marginalisation au sein de ma famille a fait que je sois révolutionnaire (tawri) pour leur dire
que j’existe et que j’ai le droit de m’exprimer au sein de la famille. Ma famille n’a pas apprécié bien
évidemment mes attitudes et a considéré que j’étais une malédiction (bala’a). Elle n’a pas reconnu
qu’elle a une part de responsabilité et qu’elle n’était pas bien préparée pour prendre en charge un
handicapé avec des moyens et un niveau culturel limités. Ils étaient très surpris le jour où ils m’ont
vu sur la télévision lors de ma participation au championnat arabe à Tunisie….Je ne me retrouvais
pas dans la vie et j’étais capable de tout faire pour vivre avec dignité ou ne pas vivre. C’était un défi
pour moi." (NV 15)
La révolution prend toute son ampleur lorsque les parents n’arrivent pas à comprendre
les attitudes des MNV. L’absence de compréhension est relative à l’incapacité des parents à se
rendre compte du ressenti du NMV, sa perception de lui-même, de sa famille et sa perception
des autres. L’agitation/ l’hyperactivité (charab) et la désobéissance des parents sont décrits
comme des comportements normalisés qu’un enfant, voyant ou non, manifeste durant son
jeune âge à l’encontre de l’autorité parentale. Contrairement à ses comportements, ‘la révolte’
(tawra) connote une visée de changement du rapport NMV/ famille, un repositionnement du
NMV au sein de la famille et un changement de la perception et des attitudes adoptées par les
proches à son égard.
‘La révolution’ donne sens à l’existence du NV et refaçonne sa conception des études
jusqu’alors poursuivies par obligation ou interrompues pour heurter les parents. La scolarité
requiert désormais un autre sens et une autre valeur. Elle devient une voie vers l’affirmation
en tant qu’individu à part entière, capable de réussir et défier des obstacles que les voyants
n’affrontent pas. Réussir ses études à l’école ou en candidat libre est une source de fierté
7 Hirschman, A. O. (1995). Défection et prise de parole. Paris : Fayard.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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personnelle mais aussi de valorisation devant la famille. Confiance, respect, reconnaissance
sont autant de propriétés qui s’instaurent au fur et à mesure de l’avancement de ses études
pour mettre en place des rapports harmonieux entre un NMV et sa famille.
1.3.2 DISPOSER DE RESSOURCES FINANCIERES
Les études s’avère être le chemin principal assurant une indépendance financière à
l’âge adulte. Être autonome financièrement permet à un NMV d’avoir une reconnaissance au
sein de sa famille. Deux voies permettent d’accéder à cette autonomie : intégrer le monde du
travail, ou bien bénéficier d’un agrément de transport, octroyé au MNV au regard de son
‘handicap’. Ces deux cas de figure permettent de repositionner la place du NMV au sein de la
famille et de réordonner ses rapports antérieurs avec les membres de sa famille.
« Je connais personnellement des NV qui ont travaillé avec l’échelle 10 et ont eu des agréments. Ils ont
pu avoir un pouvoir et une valeur au sein de leurs familles parce que désormais ils détiennent l’argent
et sont devenus une source financière pour leurs familles. » (NV15)
1.3.3 L’INVESTISSEMENT DE CHAMPS D’INTERET DIVERS
L’affirmation des MNV se concrétise aussi par la pratique du sport, remporter des
prix, l’engagement dans le monde associatif en vue de défendre les droits des MNV, ou
encore en militant pour une intégration professionnelle. Faire des études est un facteur qui
favorise l’implication des MNV dans ces activités sportives, culturelles et associatives
traduisant la volonté des MNV d’aller au-delà de l’image socialement pré-construite. En effet,
la persévérance dans les études est une façon de défier les stéréotypes attribués aux NV et un
moyen permettant d’être traité comme une personne ‘normale’. Elle permet de positiver son
handicap, d’avoir des objectifs dans la vie et une vision optimiste de l’avenir. Une quête de
conquérir le statut de personne ‘normale’ se traduit par le fait d’agir en tant que telle
(diversifier ses cercles, s’impliquer dans des activités diverses, etc.), et de là amener les autres
de se comporter de la sorte.
1.3.4 DE LA FAMILLE A LA CONSTRUCTION D’UNE AUTRE FAMILLE
Les interactions sociales des NMV ne se limitent pas à la sphère de la parenté, elles sont
également nouées dans le cadre des relations conjugales. En effet, nombre de nos interviewés
sont mariés avec des femmes voyantes, certains sont père d’un enfant. L’intérêt porté au
rapport entre le NV et son épouse est relatif plus précisément à l’influence de la relation
conjugale sur la poursuite des études universitaires des NV. Le rapport à l’épouse est
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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caractérisé par le respect mutuel. L’épouse est identifiée comme une personne compréhensive,
mature, encourageant le MNV à poursuivre ses études universitaires.
« Toute personne sur le point de se marier cherche un partenaire qui comble ses défauts et ses
lacunes, chose que j’ai faite moi aussi, je lui demande par exemple de me préparer le dossier mais
c’est moi qui me déplace pour rencontrer les responsables… la maturité de ma femme a contribué à
ce que je lui raconte tout parce que je sais qu’elle est compréhensive. » (NV 15)
« J’ai trouvé des difficultés avec ma femme à cause des appels des étudiantes qui sont avec moi à la
faculté. Parce que moi aussi je les appelle pour me renseigner sur le début des cours, l’inscription, le
résumé des cours mais ma femme n’apprécie pas parfois. Mais malgré cela je comprends qu’elle soit
jalouse mais j’essaye de lui faire comprendre la situation. » (NV 14)
Outre les encouragements, l’aide peut être concrétisée par le bais de services (déposer
le NMV) et l’accord d’être en contact avec des étudiantes. Bien qu’ils soient unis à des
femmes voyantes, la tendance chez les NMV est d’assumer leur part de responsabilité dans la
gestion des tâches relatives à la vie conjugale.
2) L’ENTOURAGE SOCIAL DES NMV
2.1- DU DEDANS AU DEHORS
Une dichotomie est toujours établie entre l’intérieur (le lieu d’habitation) et l’extérieur (le
quartier, l’école, la rue, la faculté, etc.). Toutefois, l’opposition n’est pas relative à l’espace
mais à la nature des interactions caractérisant ces espaces. En effet, si les rapports dans le
réseau familial sont harmonieux, concurrentiels et parfois conflictuels, les rapports dans
l’espace public sont décrits comme étant marqués par une perception de victimisation. Ce
sentiment est récusé par les interviewés parce qu’il perpétue les positions inégalitaires
(supérieur/ inférieur) et renforce la différence entre les individus (normaux/ stigmatisés).
2.1.1 LES RELATIONS DE VOISINAGE : UNE TENDANCE VERS LE RETRAIT
Contrairement à l’école et la faculté, le quartier est un espace où les attitudes à l’égard des
NMV sont fondées sur le sentiment de pitié et de sous-estimation. Le rapport avec les voisins
est souvent distant est marqué par une relation de respect. Ce respect est dit ‘construit’ par le
NMV à travers la gestion de ses relations de voisinage (maintien de relations distanciées avec
les voisins, se limiter aux salutations usuelles, nouer des relations d’amitié en dehors du
quartier, etc.).
« J’ai une bonne relation avec les autres Dieu merci, je n’ai des conflits avec personne…Tout le
monde se comporte bien avec moi, il y a un respect partagé, si je me respecte et je respecte les
autres, je suis convaincu que les autres aussi vont me respecter. » (MV1)
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Le respect s’impose aussi aux voisins lorsque le NMV incarne un profil spécifique se
traduisant par des comportements particuliers (bien parler, avoir une bonne démarche, exercer
ses activités sportives en dehors du quartier, etc.), une attention particulière accordée à son
vestimentaire et un engagement dans un parcours scolaire réussi (avoir son Baccalauréat et
poursuivre ses études universitaires). Le retrait des NMV des relations de voisinage est
expliqué par le désir de séparer vie sociale et vie privée en vue de préserver le statut de
personne ‘mystérieuse’ identifiée par les voisins à travers un élément objectif : sa cécité ou sa
déficience visuelle.
« Je ne tisse pas de relation dans le quartier. Les voisins me voient uniquement lorsque je sors ou je
rentre chez moi. Un ami doit être toujours très loin de moi sinon il me cassera la tête en frappant à
ma porte à chaque fois alors que moi lorsque je rentre c’est pour se reposer et dormir…je préfère
rester une personne mystérieuse pour les autres, tout ce que les autres sauront de moi et que je suis
une personne aveugle et le reste, mon emploi, ce que je fais doit demeurer inconnu pour eux…cela
me permet d’être toujours une personne respectée par les autres, personne n’osera m’aborder
(yz’am a’lik). » (MV 14)
Toutefois, il arrive que des NMV soient exposés à des comportements de la part des
voisins en vue de les ridiculiser et les intimider.
« Dans le voisinage, dans mon quartier, même avec ceux qui étaient avant mes copains, avec lesquels
je jouais avant, cela fait maintenant quatre ans que j’évite de parler avec eux ou même de passer
devant eux car ils me ridiculisent, ils peuvent me demander combien de doigts ils ont pointé, où se
trouve telle ou telle personne tout en sachant que je suis NV ou bien me frapper et me dire que ce
n’est pas eux qui l’ont fait. » (NV 26)
2.1.2 L’ECOLE : LE LIEU PRIVILEGIE DES RELATIONS D’AMITIE
Les NMV interviewés déclarent avoir rencontré la plupart de leurs amis à l’école
(OAPAM). Les relations d’amitié nouées perdurent généralement même à la faculté. Les
études universitaires, quant à elles, permettent de faire également de nouvelles connaissance
en s’ouvrant plus sur le monde des voyants. La faculté est identifiée comme un espace
distingué des autres (rue, quartier, etc.) car les NMV y sont traités de la même façon que les
personnes voyantes vu l’absence du regard de victimisation.
2.2 LES RELATIONS D’AMITIE SE CREENT !
2.2.1 FAIRE LE PREMIER PAS : ALLER VERS L’AUTRE
La difficulté d’instaurer des relations d’amitié est relative à un manque de connaissance
chez les voyants de la bonne façon d’aborder les NMV, de se comporter avec eux d’où un
certain malaise qui régit généralement le contact des voyants avec les NMV. Par ailleurs, il
arrive que les voyants associent la cécité ou la déficience visuelle à d’autres imperfections
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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(surdité, mutisme) ou à des stéréotypes attribués aux NMV (agressivité, susceptibilité). La
prise de conscience de cet obstacle chez les personnes voyantes amène un NMV à être le
premier à initier le contact et qui prend l’initiative de se rapprocher de l’autre.
« Si je suis assis seul à une table à la buvette par exemple, je peux vous assurer que personne ne
viendra me parler ou me demander quelque chose, si je ne le fais pas moi, je reste seul. Je peux vous
dire même, quand je suis avec un ami à la buvette et qu’une autre personne arrive, elle ne m’adresse
jamais la parole directement même s’il s’agit d’une question qui m’intéresse ou qui me concerne
personnellement. C'est-à-dire s’il veut savoir ma filière, il demande à celui qui est à côté de moi : » il
étudie dans quelle filière ? » Sans m’adresser la parole car parfois ils ont l’impression qu’on est
incapable aussi de parler. C’est quand je lui réponds et que je lui pose aussi des questions pour briser
ces frontières qu’il commence à me parler directement. Dans mes relations avec mon entourage,
qu’il soit à la faculté ou partout dans la ville, Il faut dire que si j’ai un grand nombre d’amis et amies
à la faculté et ailleurs, c’est dû en premier lieu à un effort personnel. Je suis une personne très
sociable, Je fais toujours le premier pas vers l’autre. Les autres ne viennent pas comme ça pour
parler à un non voyant. » (NV 25)
Le rapprochement s’instaure et se renforce progressivement par le biais du contact
régulier. Un NMV actif se trouve solliciter par les autres pour leur rendre certains services, ce
qui lui procure un sentiment de fierté et lui permet de bénéficier à son tour des services qui lui
sont fournis en cas de besoin. Cette réciprocité dans les services démolie l’image négative
pré-construite sur les NMV pour instaurer une nouvelle dont les principales caractéristiques
sont l’autonomie, la persévérance et la capacité de réaliser ses objectifs.
« Je travaille tout seul ou avec un groupe d’amis mais comme je t’ai dit, pour travailler avec les
autres étudiants, je dois avoir un minimum de savoir à partager aussi. Donc je fais un effort double
de travail et de recherche sur internet pour construire des savoirs à partager car je ne peux baser ma
relation avec les autres étudiants sur la passivité. Je ne peux pas demander d’eux plus que je ne peux
leur donner, par exemple si on a prévu de travailler ensemble une matière, on partage les tâche et
chacun de nous prend la responsabilité d’expliquer aux autres la partie qu’il a pris en charge. » (NV
25)
Aller vers l’autre ne se fait pas uniquement pour changer les perceptions sur les NMV.
C’est un effort qui vise à créer une adaptation chez les autres, à les amener à changer même
leurs comportements vis-à-vis du MNV, et de là assurer son intégration au sein du groupe et
son implication dans les activités sociales. Créer de nouvelles relations sociales passe tout
d’abord par une acceptation du MNV de sa cécité ou sa déficience visuelle pour qu’il puisse
être en mesure d’en parler aux autres, de leur expliquer comment se comporter avec lui et de
les amener à concevoir ce qu’ils font non pas en termes de pitié mais de devoir.
2.2.2 LE RECOURS A DES STRATEGIES
Des NMV recourent à certaines stratégies pour instaurer des relations sociales.
L’objectif est d’élargir son réseau social en vue d’atteindre un objectif : réussir ses études
universitaires. Ces stratégies visent à rendre avantageux le stigmate de la cécité ou la
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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déficience visuelle qui sont utilisées pour tirer certains profits de la relation sociale (un bon
déroulement de sa scolarité, avoir de bonnes notes, etc.). L’une des stratégies adoptée consiste
à tenir caché son statut d’homme marié.
« Les filles sont plus affectueuses, elles s’engagent plus surtout lorsqu’il s’agit d’écrire à un non-
voyant le jour de l’examen. Par contre, les garçons non, ils trouvent toujours des excuses (sommeil,
rendez-vous avec quelqu’un), ils ne s’engagent pas. Une fille lorsqu’elle fait cela, c’est pour faire
une action caritative (khayr) mais en même temps il se peut qu’elle se dise ou qu’elle croit qu’il y a
possibilité que je sois l’homme de sa vie, son mari. Donc si je révèle que je suis marié, je brulerai mes
cartes et personne ne m’aidera par conséquent. Je sais que c’est une tromperie (ihtyal) mais bon, moi
je le fais, comme les personnes voyantes, les non-voyants eux aussi se permettent de cacher des
choses sur eux pour garder le contact avec l’autre. » (MV14)
Le but de cette stratégie est de maintenir l’aide des étudiantes susceptibles d’être
affectée en cas de découverte de son statut matrimonial d’homme marié. La logique de cette
stratégie est fondée sur l’idée que des attentes intéressées (mariage) sous-tendent l’aide des
étudiantes (transmission de l’information sur l’horaire des cours, des examens, des
rattrapages, résumé et explication des cours, enregistrement des cours, etc.). Cette stratégie
vise donc à préserver cette aide ‘féminine’, d’autant plus que les étudiantes sont identifiées
comme sérieuses, ponctuelles et plus engagées dans l’aide des étudiants NMV.
Une autre stratégie consiste à ne pas baser la relation avec autrui sur la passivité.
Autrement dit, la relation peut être crée et maintenue si elle est basée sur un rapport de don et
de contre-don. Des NMV soulignent l’importance de donner pour recevoir, d’aider pour être
aidé. Le premier cas de figure réfère à l’échange des services entre le NMV et les autres,
tandis que le deuxième renvoie à offrir des dons un étudiant voyant (inviter à un café ou à un
déjeuner, lui apporter des cadeaux) en contrepartie de ses services (lecture ou explication des
cours, accepter d’être son rédacteur le jour de l’examen, etc.).
Finalement, l’appréhension du rapport entre scolarité et lien social révèle qu’il s’agit
de deux axes étroitement liés. Le va et vient entre ces deux axes permet, d’une part, de rendre
compte de l’importance du lien social dans la réussite scolaire MNV et dans la prolifération
de leurs cercles sociaux. La scolarité, de sa part, favorise la création de nouveaux rapports
sociaux et le maintien des anciens. Outre l’école, elle favorise aussi une ouverture sur d’autres
espaces : plus un NMV est intégré dans des réseaux d’amis, plus il est mobile dans l’espace
(pratiquer du sport, fréquenter des associations, voyager en groupe, etc.).
La conjonction de ces autonomies repositionne la place du MNV au sein de sa famille
et de son réseau relationnel en lui conférant un pouvoir et une valorisation, d’une part, et en
facilitant son passage de la sphère privée à la sphère publique. Afin de vérifier si la perception
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des autres facilitent l’autonomie des MNV ou au contraire elle pérennise leur assistance, nous
allons étudier dans le chapitre suivant en quoi la perception des autres pourrait compromettre
la vision de l’autonomie chez les déficients visuels.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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II- PERCEPTIONS PAR L’AUTRE
Ce chapitre se propose d’analyser les perceptions sur les personnes souffrant d’un
handicap visuel. Dans les discours recueillis sur les perceptions, nous avons remarqué qu’il
n’y a pas de différence entre un non voyant et un mal voyant. Les perceptions sont construites
face au handicap visuel en général.
1) UN ETRE ETIQUETE : ENTRE NORMAL ET ANORMAL
Le premier point que nous analysons dans la perception de l’autre sur le MNV est la
distinction entre personne normale et personne anormale. Le MNV se sent anormal parce
qu’il est traité comme tel. La personne non voyante est rapportée en contradiction avec
personne normale et non pas avec personne voyante. Le handicap visuel fait du MNV un être
qui n’est pas comme les autres d’où sa qualification d’anormal. Ce préjugé pousse les
étudiants à ne pas aller vers un MNV et donc à garder cette vision stigmatisante à son égard.
Sa différence des étudiants « normaux » dépasse, pour eux, son incapacité de voir. Son
handicap visuel s’étend pour atteindre ses capacités mentales qui sont qualifiées d’
« anormales ». Cette extrapolation du handicap visuel à celui mental sert mieux la
catégorisation du MNV loin du monde des « normaux ».
« Au lycée, nous étions renfermés et non pas ouverts sur notre environnement. De temps en
temps, on nous ramenait des gens de la société civile pour nous visiter, telle une visite dans un
zoo. C’est comme si nous étions une espèce d’animaux protégés. » (MV17)
« A la fac, les étudiants ont des préjugés un peu durs. Ils ont des préjugés qui les empêchent
d’aller, et de faire le premier pas vers le NV. Pour eux un NV n’est pas seulement quelqu’un qui
a un handicap visuel mais ils vont plus loin que cela, ils pensent qu’il peut être anormal et qu’il
peut avoir des capacités mentales anormales. (NV25)
Cette attitude stigmatisante8 envers le MNV le pousse à vouloir s’en démarquer ce qui rend sa
vie plus difficile encore. Ce sentiment d’infériorité par rapport aux étudiants voyants peut
même créer un complexe chez le MNV. Il l’amène à faire des efforts dans le but d’être
considéré comme une personne « normale »9. Quand il s’agit d’un mal voyant, il essaie de ne
pas être reconnu en tant que tel. Il cherche à cacher son handicap pour être perçu en tant que
8 - Goffman, E. (1975). Stigmates. Les usages sociaux des handicaps. trad. Fr. Paris. Ed. Minuit. (Ire éd. 1963). 9 - Becker, H. (1985). Outsiders. Études de sociologie de la déviance, trad. de l'américain par J. P. Briand et J.-
M. Chapoulie, Paris, Métaillé.
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personne capable de voir comme les autres. Ceci fait qu’un MNV en général vit mal son
handicap puisque ce dernier n’est pas socialement accepté ni facilement toléré.
« Je vais vous dire une chose, tout non voyant est complexé, il ne faut pas se faire des illusions en
pensant que le contraire est juste. C’est vrai qu’ils sont parfois extravertis mais chacun a un
complexe spécifique. Les mal voyants par exemple font tout vraiment tout pour se prendre pour des
personnes normales capables de voir comme les autres. Ce comportement en lui-même est un
complexe…moi non plus, je n’apprécie pas le fait que je sois non voyant ». (MV13)
Parmi les facteurs qui accentuent cette distinction entre normal et anormal, il y a le
passage par l’OAPAM. Un MNV y passe la plupart de son temps ce qui l’éloigne de sa
famille. Cet éloignement donne au MNV le sentiment d’être étranger dans sa famille. Ce
sentiment est si fort chez le MNV qu’une fois de retour chez ses parents, il perd le sentiment
d’appartenance à sa famille. D’un côté, il quitte un endroit où il était toujours en présence de
personnes ayant le même handicap que lui et donc qui se comprennent bien et se sentent
« normaux » entre eux. De l’autre côté, il rejoint sa famille qui n’a pas les compétences qu’il
faut pour le comprendre et lui faciliter la vie. Ceci fait que le MNV se sent tel un « étranger »
dans sa famille, voire un « orphelin » qui est « adopté » mais non désiré.
« Je ne communiquais pas assez avec les membres de ma famille parce que j’étais un étranger pour
eux au regard de la grande période passée à l’internat. Lorsque j’ai quitté l’internat, je me suis senti
comme un orphelin qui recourt à eux pour m’adopter contre leur gré. Mais après ils ont compris que
moi aussi je suis un être humain, j’ai un avis et une existence dans la société… ». (NV15)
Un autre facteur faisant que le MNV est considéré comme une personne anormale est
qu’il passe une enfance différente. L’enfant MNV ne joue pas comme les autres enfants
puisque la conception de son handicap dans la société, surtout la famille, est dramatisante. Il
vit son enfance loin des autres enfants « normaux ». À force de veiller sur l’enfant MNV et
de vouloir le protéger, la famille le prive de pouvoir s’intégrer avec les « autres » enfants.
Après cet isolement, il passe à l’OAPAM qui est considéré en tant qu’ « endroit fermé ».
L’organisation est citée en opposition au monde des personnes voyantes. Elle est le monde
des MNV qui les isole de l’autre monde ce qui augmente l’écart entre handicapés et
« normaux ». Lorsque le MNV devient étudiant à la faculté, il se heurte à une nouvelle réalité
qui le met dans le monde des normaux. De ce fait, il se sent différent, inférieur et marginalisé
puisque ce monde n’est pas le sien auquel il s’est habitué. Il se sent comme un intrus qui est
sous le regard des autres. Son handicap lui procure un sentiment d’infériorité qui le pousse à
réagir négativement et à ne pas s’adapter à cette situation à laquelle il n’a pas été habitué ni
même pas initié.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« Pour que la personnalité de l’enfant soit équilibrée, il est indispensable qu’il dort bien, mange de
façon équilibrée et joue suffisamment. Les NV n’ont pas ces trois facteurs parce qu’ils ne jouent pas
assez et fréquente un endroit fermé par la suite qui est l’organisation. L’accès à la faculté équivaut
l’accès au monde des personnes voyantes ce qui crée chez le NV un sentiment que tout le monde le
regarde, qu’il est marginalisé, qu’il est perçu comme un non humain, qu’il est inférieur par rapport
aux voyants, et du coup il fuit la réalité ou commence à se comporter de façon antipathique ».
(NV15)
La succession des événements non intégrateurs dans la vie du MNV fait de lui une
personne anormale. C’est la vision que lui reflète la société autour de lui. Une vision qu’il
vient justement d’un autre monde chose qu’il reçoit et qui le rend indigné.
« Il n’y a pas de différence entre V et NV. Les NV ne sont pas des extraterrestres! » (NV23)
D’autres réactions visent à montrer aux « autres » que le MNV est aussi une personne
« normale ». Ce sont des actions qui rendent le MNV visible dans la société. Des actions pour
se prouver et prouver à la société qu’un MNV est une personne « capable » de se prendre en
charge et même d’aider les autres y compris les personnes voyantes.
« Un jour moi aussi j’ai aidé personnellement une étudiante qui avait du mal à voir, je lui ai payé les
consultations et les lunettes médicales. Ces gestes te permettent de sentir que tu es capable de donner
et de recevoir, que tu es une personne normale d’une façon plus claire. » (NV15)
Mis à part cette distinction entre personne normale et anormale à laquelle le MNV est
souvent confronté, une autre perception est présente dans son entourage social. Celle de
considérer que le MNV est une personne qui n’est capable de rien faire.
2) DE LA DEFICIENCE VISUELLE A L’INFIRMITE GLOBALE
Le MNV est une personne qui a un handicap visuel mais qui est perçue comme une
personne polyhandicapée. Il souffre physiquement d’un seul handicap et socialement d’une
perception qui conjugue en lui plusieurs handicaps. Le MNV, du fait qu’il est classé
« handicapé », est qualifié de victime « mskin مسكين » qui manque de capacités. Le MNV est
« une personne qui ne voit pas, c’est tout ! » toutefois, cette incapacité de voir est vue en tant
qu’incapacité totale.
« Je suis contre l’appellation d’Handicapé. Je pense qu’il ne faut plus utiliser le mot
Handicapé. Qu’est-ce qu’un non voyant ? C’est une personne qui ne voit pas, c’est tout !
Lorsqu’on monte dans le bus, les gens commencent à parler de nous en menant un discours de
victimisation et en parlant à haute voix comme si on est sourds alors qu’on est uniquement
incapables de voir. Ce discours me fait rire. Je vous assure que 70% des marocains ne savent
rien sur la situation des non-voyants. » (MV13)
Dans ce passage, le MNV est considéré comme ne pouvant ni voir ni bien entendre.
Dans le passage qui suit, son handicap visuel est aussi extrapolé vers d’autres handicaps. Il est
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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considéré comme incapable d’entendre une question et d’y répondre. Ceci est plus frappant
venant d’un étudiant universitaire envers un MNV aussi étudiant universitaire. Cette
perception qui part du handicap visuel pour considérer une personne en tant qu’incapable voir
infirme est donc inconsciemment intériorisée. Le fait de ne pas adresser la parole directement
au MNV alors qu’on parle de lui et en sa présence suscite un grand étonnement de la part de
ce dernier. C’est un incident qui est assez fréquent et qui pousse le MNV à prendre la parole
et à répondre à la question qui est sensée lui être destinée. Sa prise de parole est une façon de
se révolter et de faire savoir qu’un MNV est capable d’entendre, de comprendre et de parler
sans qu’on parle à sa place.
« Par exemple si je suis debout avec un voyant et il y’a quelqu’un qui arrive et ne t’adresse pas la
parole et demande à l’autre « demande lui si elle veut ça »comme si moi je n’entendais pas (rire) ; il
ne te parle pas directement, par exemple quand il y’a un prof qui arrive il demande à l’autre « dis-
lui si elle a compris » » ! (MV6)
« Je peux vous dire même, quand je suis avec un ami à la buvette de la faculté et qu’une autre
personne arrive, elle ne m’adresse jamais la parole directement même s’il s’agit d’une question qui
m’intéresse ou qui me concerne personnellement. C'est-à-dire s’il veut savoir ma filière, il demande à
celui qui est à côté de moi : « il étudie dans quelle filière ? » Sans m’adresser la parole car parfois ils
ont l’impression qu’on est incapable aussi de parler. C’est quand je lui réponds et que je lui pose
aussi des questions pour briser ces frontières qu’il commence à me parler directement. » (NV25)
Pour le MNV, cette perception qui fait de lui un infirme, incapable sur plusieurs plans
n’a pas de raisons d’être. Il ne comprend pas pourquoi les personnes voyantes et surtout les
étudiants n’arrivent pas à bien comprendre la nature et les limites de leur handicap qui ne
dépassent pas la vue. Le MNV déclare avec ironie que perdre la vue ne signifie nullement être
une personne infirme. Cette situation pousse le MNV à vouloir corriger cette perception et à
saisir les occasions pour le faire. Le MNV se trouve souvent à la fois obligé et désireux de
briser l’image qui fait de lui une personne polyhandicapée, dès que l’occasion se présente à
lui.
« Moi quand j’ai une occasion de le faire comme la dernière fois le prof me l’a demandé et j’ai parlé
en public devant mes camarades ça m’a plu, pour qu’ils voient que tu es une personne normale. Tu
n’as plus la vue mais tu as encore une bouche, des oreilles, des jambes… (rires) » (NV2)
A un autre niveau, cette fois-ci en lien avec les capacités mentales, le MNV est
considéré comme n’ayant pas de compétences. Son handicap visuel est extrapolé vers celui
mental. Ceci est d’autant plus difficile à accepter par le MNV quand il émane d’une personne
responsable et en contact direct avec les MNV.
« Ils ont également des stéréotypes, pour certains un non voyant est un attardé mental, ils ne sont pas
habitués à le voir dans l’espace public. » (NV25)
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« En ce qui concerne les comportements, il y avait un professeur au lycée qui répétait tout le temps
que les non-voyants sont tous des débiles, jusqu’à présent je n’arrive pas à comprendre ce
professeur. » (MV13)
« Mais le problème, c’est qu’ils croient que l’OAPAM est une école pour les fous. » (NV24)
Toujours dans cette perception qui fait du MNV une personne infirme et incapable,
nous relevons l’aspect de la prise en charge totale. Face à cette attitude réductrice de ses
capacités, le MNV se sent comme un petit enfant envers qui on adopte un discours simpliste
ou une personne folle qui est sensé peu comprendre.
« Mais pour la perception de la société, tu sens que les autres te facilitent l’information comme si tu
étais un petit enfant ou une personne folle. Mais par rapport à une autre société comme la Tunisie
(suite à un voyage avec les NV du centre de kinésithérapie), ils sont plus ouverts et plus tolérants
envers les NV. Il y avait même des cadres NV qui donnent des directives aux V. » (NV23)
Dans le même sens, quand un MNV fait quelque chose des plus simples et des plus
ordinaires, il est pris pour « un génie ». Ceci révèle que dans les perceptions des autres, il est
sensé ne rien savoir, ni pouvoir faire. Le MNV est une personne qui reste dans un monde à
part et qui ne peut pas faire ce que les « normaux » fassent. C’est une personne qu’on imagine
dans les écoles coraniques et nulle part ailleurs.
« Pour les gens on doit encore poursuivre l’enseignement des écoles coraniques « lmsid لمسيد », des
fois un non voyant fait des choses simples comme la manipulation d’un téléphone et on le prend pour
un génie. » (Entretien 12)
« Ils ont une perception du mal voyant qui étudie et qui reste isolé dans les mosquées et les zaouïas. »
(Entretien 25)
Le MNV est également une personne qui ne mérite pas qu’on « gaspille » de l’argent
et de l’énergie pour elle. On voit en le MNV quelqu’un qui ne peut rien faire et qui n’a pas
d’avenir et donc il serait inutile de vouloir l’inscrire à l’école et de croire qu’il pourrait réussir
ses études. Les gens ne sont pas habitués à voir un MNV étudier et réussir ses études parce
qu’ils manquent d’informations sur le handicap visuel. Ils montrent leur surprise en sachant
qu’un MNV fait des études et des études universitaires en plus.
« Dans ma famille, plusieurs personnes disent à ma mère « pourquoi tu l’as mis à l’école ? », j’ai
entendu une fois de mes propres oreilles un membre de la famille dire à ma mère en Tachelhit « tu
vas épuiser toute ta santé pour l’aveugle, pourquoi tu dépenses toute cette énergie pour l’enseigner,
tu n’auras aucun résultat car même les voyants ne réussissent pas les études ». Au début même mon
père ne croyait pas que je pouvais étudier et il a été contre mon inscription à l’OAPAM. Mes tantes
sont également contre mes études car dans leur perception un NV ne peut rien faire, ne peut rien
réussir et ne pourra jamais avoir un statut dans la société. » (NV 26)
« Je choque les gens en leur disant que je fais des études, c’est un « problème » de te voir manipuler
le téléphone ou l’ordinateur, perdre la vue n’est pas grave » (MV11)
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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L’infirmité dans laquelle on imagine le MNV atteint son extrême lorsqu’on croit qu’il
n’est pas capable de manger tout seul. Cette perception montre à quel point la situation de la
personne handicapée n’est pas socialement connue. Cette « ignorance » exprimée au MNV le
choque et le laisse perplexe devant une telle injustice qui le met dans les rangs des infirmes. Il
se sent sous-estimé sans raisons.
« On nous aide, en fait des fois on nous sous-estime en nous aidant à descendre les marches par
exemple, on sent qu’on ne peut rien faire, un non-voyant peut se débrouiller ! (MV11)
« Un exemple pour t’illustrer que nous sommes renfermés et qu’ils nous ont encerclé dans ce monde,
un jour une fille au lycée m’a demandé : Comment faites-vous pour reconnaître l’endroit de la
bouche lorsque vous mangez? La question elle-même te montre que la personne est ignorante. »
(MV17)
« Je ne comprends pas pourquoi la société ne tolère pas le NV ! Ils ont l’impression que le NV est
une personne qui n’est même pas capable de mettre la nourriture dans la bouche. Alors que nous
somme normaux, il y a juste la vue qu’on n’a pas ! » (NV24)
3) VOIR CEUX QUI NE VOIENT PAS
Les images que les personnes voyantes se font des MNV relèvent d’un étiquetage10
plutôt
stigmatisant. Ces images parfois mitigées peuvent se concrétiser en comportements envers le
MNV. Ces comportements révèlent au MNV qu’il est sous-estimé et qu’il suscite des
sentiments tels que la pitié.
« Il y a certains qui ont une vision de pitié (ʃafaqa شفقة ), d’autres une vision satirique (suxrija سخرية ) et une autre catégorie de respect ( iħtiram احترام ). Mais c’est la pitié qui domine. » (NV22)
Selon les perceptions des gens, le MNV est une pauvre personne dont la vie est
malheureuse. C’est une personne qui déclenche tous les sentiments de pitié et de compassion
dès qu’on la voit. Cette image que les personnes voyantes reflètent aux MNV est mal acceptée
et mal vécue par ces derniers. Cette image est en effet réductrice de la personne du MNV.
C’est un étiquetage commun qui ne tient pas compte de la différence entre les MNV et qui a
tendance à les noyer tous dans une réalité unique. Le MNV est contraint de subir cette
pression qui réduit ses capacités et le remet à une place qui n’est pas la sienne. Quand des
expressions de pitié lui sont adressées, il en souffre en silence tout en ayant une forte envie de
réagir et de montrer qu’il n’est pas une pauvre personne.
« Le regard des gens est plein de compassion/pitié et ça fait mal, le truc qu’on appelle « msan lħamd
» tu es dans le bus ,(«! un bruit qu’on fait avec la bouche avant de dire « le pauvre) « مسان الحامد
10 - Becker, H. (1985). Outsiders. Études de sociologie de la déviance, trad. de l'américain par J. P. Briand et J.-
M. Chapoulie, Paris, Métaillé.
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mta, mskin مسكين», moi je ris mais au fond de moi, c’est…j’ai envie de lui dire « qui te dit que je
suis à plaindre? », les marocains sont de bonnes personnes mais c’est à double tranchant » (NV2)
Cette pitié exprimée au MNV le met mal à l’aise, il n’apprécie pas d’être vu de la sorte
et déteste même l’expression avec laquelle on le qualifie de « pauvre personne »
(mskin En plus des paroles que le MNV reçoit et qui montrent qu’on a pitié de lui et .(مسكين
de sa situation, il y a les comportements envers lui. Le MNV, selon les perceptions, est une
personne anormale et donc qui nécessite un comportement « spécial ». Se comporter
différemment avec le MNV lui rappelle sa déficience et accentue son handicap. Il préfère que
les gens se comportent normalement avec lui ce qui l’aiderait à mieux s’intégrer socialement
et à pouvoir développer ses compétences.
« Ma relation avec la famille et les voisins était normale. Mais moi je n’appréciais pas qu’on me
traite avec un comportement spécial, je n’aimais pas cela. Et le mot que je détestais le plus quand je
l’entendais c’était le pauvre ( mskin مسكين ), je détestais entendre ce mot. » (MV16)
La pitié s’avère être un sentiment que le MNV suscite chez toute personne avec qui il
rentre en contact même les professeurs. Il se peut que le comportement d’un professeur avec
un MNV soit caractérisé par une certaine compassion envers lui du fait de son handicap
visuel. Dans ce cas, le MNV se voit avantagé par rapport aux étudiants voyants.
« Il y a des enseignants qui nous traitent avec compassion/de la pitié (lˤaʈifa العاطفة), il peut pendant
l’oral se dire cet étudiant est NV, je vais l’aider un peu. » (NV2)
Un MNV nous confirme que même dans le cas du recrutement des MNV par l’Etat, la
pitié y est pour quelque chose. Offrir un poste de travail à un MNV est souvent un acte de
charité. Ce poste est attribué pour garantir un salaire mensuel et non pas pour que le MNV
effectue un travail donné. Ainsi ce fait est plutôt marginalisant à l’égard du MNV et confirme
encore une fois que les représentations sociales sur les handicapés visuels font circuler sur eux
des images d’impuissance et d’incapacité.
« Quand tu intègres le marché du travail, tu vas t’asseoir, ils te donnent un bureau, Tu y viens
chaque jour sans rien faire (titi nini تيتي نيني ), c'est-à-dire, tu ne fais pas… c'est-à-dire l’Etat te fait
de la charité en t’offrant un poste mais elle te marginalise en même temps, c'est-à-dire, tu ne te sens
pas acteur dans ton domaine ou ta spécialité… » (NV29)
Une autre image attribuée au MNV est celle de la mendicité. Parce qu’on a peut-être
déjà vu un MNV mendier, les gens généralisent à tous les MNV surtout que cela coïncide très
bien avec l’image d’incapable que les gens ont tendance à associer à toute personne non
voyante.
« Les gens pensent que les MNV sont des mendiants » (MV6)
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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La mendicité est tellement liée à la situation du MNV qu’elle ne nécessite pas l’action de
mendier. Voir un MNV est une raison suffisante pour penser qu’il est mendiant et pour lui
donner de l’argent comme don de bienfaisance sans même « attendre » qu’il le demande.
Cette charité se fait dans une volonté d’aide et de bienfaisance innocente certes mais blessante
en même temps pour le MNV.
« Je ne sais pas encore comment les gens me voient de loin mais quand ils s’approchent (
lħamdulilah الحمد هلل ) c’est bien, une fois dans le bus, je me suis installé et une dame qui était assise
de l’autre côté a donné un dirham au receveur et lui a demandé de me le donner, je l’ai pris et je l’ai
embrassé et lui ai demandé de le lui rendre, elle m’a dit non tu le prends, j’ai dis non tu le reprends,
moi j’ai pas de problème, j’ai compris mais un autre l’aurait sûrement insulté, oui il l’aurait insulté,
moi je l’excuse car elle ne sait rien mais je voulais lui montrer que ça ne se fait pas comme ça une
autre fois elle doit réfléchir avant, je l’ai excusé car elle est bonne c’est une femme âgée et elle ne sait
rien, elle l’a fait de bonne foi, un autre l’aurait insulté, moi je l’ai excusée. » (NV2)
Une autre image qui ressort des représentations sur les MNV est celle relative à
l’assistanat. Les MNV sont perçus en tant que personnes qui ont besoin d’être assistées en
permanence. Le MNV est confronté à l’aide imposée par les personnes de son entourage. Il
est mis sans cesse en situation de défense pour prouver sa capacité à vivre sans être tout le
temps assisté. Il se trouve contraint à adopter l’attitude « voice »11
pour expliquer et faire
arrêter l’effet de cette perception sur lui. L’aide tout le temps offerte au MNV l’étouffe et le
prive de se sentir libre et autonome. Il doit montrer aux autres que la perte de la vue
n’implique pas autant de dépendance. Ainsi le handicap visuel peut même ne pas marquer de
différences entre un MNV et une personne voyante en termes de compétences.
« Tous les voisins se comportent bien avec moi. Leur contact avec moi est basé surtout sur la
compassion à cause de mon déficit visuel, ils pensent que j’ai besoin d’une aide permanente. En
général, en se rendant compte d’être face à un non voyant, toute personne tendra à se comporter avec
compassion, mais il revient à nous de lui montrer qu’on est capable d’être comme elle et même
meilleure qu’elle. (MV1)
Si le MNV peut expliquer à son entourage qu’il n’a pas besoin d’être assisté, il ne peut
le faire avec les membres de sa famille. La volonté d’assister le MNV par les membres de sa
famille n’est pas motivée seulement par le sentiment de compassion. En famille, le MNV a
une place plus importante qu’avec des voisins ou des connaissances. Ce qui motive les
membres de la famille c’est leur amour envers le MNV et aussi. On ne veut pas que le MNV
ait de la peine à faire quelque chose parce qu’on pense qu’il souffre déjà de son handicap.
C’est une façon aussi de faire attention à lui pour lui éviter tout risque possible. L’attitude du
MNV, dans ce cas, diffère de celle face aux autres personnes de son entourage. Il choisit
11 - Hirschman, A. O. (1970). Exit, voice, and loyalty: Responses to decline in firms, organizations, and states
(Vol. 25). Harvard university press.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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l’ « exit »12
pour éviter la confrontation puisqu’il est conscient que c’est l’aspect affectif
envers lui qui pousse les membres de sa famille à vouloir l’assister.
« Je les excuse, même mon père, en ce moment, je file avant qu’il ne me voit. Je ne sors pas quand il
est là. Il n’aime pas savoir que je suis à l’extérieur seul, je l’excuse, mais au fond de moi, je ne peux
rien lui dire. Quand je veux ranger ma couverture, il me dit laisse faire ta sœur, je me tais je ne peux
rien répondre (ta nħʃam mnu تنحشم منو ). Quand je veux aller au bain je file tôt le matin avant qu’il
ne se réveille. (NV2)
Les perceptions sur les MNV vont dans le sens de l’infériorité par rapport aux
personnes voyantes. Elles révèlent la croyance en l’incapacité physique et mentale d’un
déficient visuel. Ces perceptions jouent un rôle non négligeable dans la vie d’un MNV. Elles
sont responsables de son enfermement sur lui-même et ne permettent pas son intégration saine
au sein de la société ni la compréhension par les membres de cette dernière de la nature de sa
situation de handicap visuel. En plus de ces stigmatisations sociales, nous cherchons à
connaître s’il existe des clichés qui stigmatisent le choix de filières pour les MNV ou ils sont
plutôt libres dans leur choix du cursus universitaire.
12
- Hirschman, Ibid
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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III- CURSUS UNIVERSITAIRE : LE CHOIX DES FILIERES
L’accès aux études supérieures est régi par des lois d’égalité des chances au niveau
international et il est soutenu par les textes relatifs aux droits de l’homme et les conventions
sur les droits des personnes handicapées. Toujours en termes d’accessibilité et de choix des
études, le progrès technologique, au niveau mondial, a changé la donne pour les étudiants en
situation de handicap et un grand nombre d’établissements d’enseignement et de formation,
publics et privés, se sont dotés des moyens nécessaires facilitant l’accès aux études et
élargissant ainsi le choix des filières et des métiers d’avenir. Cependant, le choix de la filière
d’études dans le supérieur n’est pas toujours chose aisée aujourd’hui, surtout que dans ce
cadre de formation plutôt libre, l’étudiant ne peut compter que sur lui-même, ses propres
compétences et ses motivations. A cette étape du cursus, l’étudiant est considéré comme
entrant dans l’âge adulte et donc libre de ses choix et entièrement responsable de ses projets
de formation et à visée professionnelle.
Notre enquête auprès d’un groupe d’étudiants MNV inscrits en licence fondamentale
au sein de la FLSH dans les filières d’études islamiques, études arabes et études anglaises, et
de la FSJES dans la filière de droit public arabe vise à comprendre le comment et le pourquoi
de la transition secondaire-universitaire et à préciser les conditions d’orientation vers les
filières choisies.
Les résultats que nous présenterons dans ce chapitre se basent principalement sur les
questions ciblant les raisons du choix de la filière d’étude. D’autres informations ‘relatives au
profil personnel, au cursus scolaire antérieur et à l’intérêt pour le diplôme universitaire’
apportent des éléments complémentaires qui pourraient renforcer les résultats de l’analyse
et/ou permettre d’autres interprétations. Afin de faciliter l’analyse des informations relevées
dans les questionnaires, nous allons les accompagner de données chiffrées relatives aux points
suivants :
- Type de déficience visuelle vs possibilités d’orientation
- Prérequis et compétences post secondaires vs projets et souhaits d’études
- Stratégies d’orientation vs débouchées métiers possibles
1) DEFICIENCE VISUELLE :
Parmi le groupe d’étudiants enquêtés, il y a des personnes malvoyantes (MV) et d’autres
non-voyantes (NV). D’après Pierre Griffon, formateur et psychologue clinicien spécialisé
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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dans la rééducation des personnes déficientes visuelles (APAM-France), ces deux catégories
sont bien distinctes et ont des conséquences différentes. Pourtant, il a observé que la société et
la loi ne font aucune distinction entre les déficients visuels et utilisent les mots ‘’cécité’’ et
‘’aveugle’’ pour qualifier des personnes qui présentent pourtant différents types d’atteinte de
la vue réparties en catégories selon le degré de déficience.
« Pour un grand nombre de personnes on est voyant ou l ‘on est aveugle, et si l‘on est aveugle cela
veut dire que l'on est un handicapé de la vue, sans que la nature et la gravité de la déficience et du
handicap soient clairement définies » 13
La malvoyance doit être mieux connue afin d’être appréhendée de façon correcte et ne
pas être assimilée à la cécité :
« Si la cécité est le fait de n’avoir aucune perception visuelle, la « mal voyance », pourtant plus
courante, est une notion moins connue et plus complexe. Sous des formes diverses, le plus souvent
évolutives, elle engage l’acuité visuelle et/ou les atteintes du champ visuel. »14
Cette connaissance corrigerait la représentation que les autres se font de la déficience
visuelle et induirait un comportement et un traitement plus juste et moins stigmatisant. Elle
permettrait également la mise en place de moyens adéquats, souvent déjà existants ou intégrée
à la technologie utilisée à l’université mais non exploitée par ignorance comme les
agrandisseurs ou les dessins en relief. Le guide d’accompagnement cité plus-haut (CPU,
2012) expose divers outils et moyens adaptés aux personnes déficientes visuelles et parle de
mesures de compensation auxquelles ont droit les personnes en situation de handicap mises en
place parallèlement aux mesures d’accessibilité qui sont d’ordre plus général et bénéfique
pour tout public.
Ces études permettent d’avancer qu’il existe différentes possibilités pour chaque
catégorie qui ouvrent les portes à des choix plus larges et plus en compatibilité avec leurs
besoins spécifiques et pouvant correspondre à leurs souhaits ou projets d’orientation.
Parmi les 30 étudiants en situation de handicap visuel de notre enquête, il y a presque
autant de MV que de NV (14 malvoyants et 16 non-voyants) mais ils sont tous logés à la
même enseigne.
13 GRIFFON, P. Déficiences visuelles : pour une meilleure intégration. C.T.N.E.R.H.I. 1995 14
CPU. Conférence des présidents d’université. Guide de l’accompagnement de l’étudiant handicapé à
l’université. Paris : CPU/Paris : Crédit coopératif, 2012
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Le non-respect de cette différence représente une situation handicapante pour ce
public. Les étudiants MNV se réorientent suite à des difficultés qui auraient pu être
surmontées si l’environnement et les moyens technologiques le permettaient.
« Au début, je ne voulais pas faire la filière des Etudes Islamiques. Je suis allé à la fac de Ben M’sik
pour faire l’histoire-géo, mais j’ai reçu l’appel d’un ami qui m’a averti qu’un étudiant qui a fait la
même filière n’était pas autorisé à continuer les études, sous prétexte qu’ils vont se baser sur des
documents visuels alors qu’il est NV » (NV26)
Nous pouvons avancer que la déficience visuelle est déterminante dans le choix des
filières mais nous ne pouvons ignorer que l’ignorance et l’absence d’aménagements et de
matériels d’accessibilité ont une grande part de responsabilité et font de l’environnement un
élément handicapant dans la vie universitaire des MNV. Nous remarquons aussi que cette
situation limite le choix bien avant l’université :
« Quand j’étais voyant, je voulais faire Sciences Maths parce que j’étais brillant en Maths. Le
professeur m’avait dit il fallait renforcer le français. Mais quand j’ai perdu la vue, j’ai tout
abandonné. Mais pour l’orientation dans le lycée, on m’a dit qu’il n’y avait pas la possibilité
d’étudier Sciences Maths. Donc, j’ai fait lettres parce que je n’avais pas le choix » (NV 24)
Ainsi l’inexistence d’un équipement matériel et technologique adapté a banni les
études techniques et scientifiques du cursus secondaire de l’unique établissement public
spécialisé pour les déficients visuels, l’OAPAM, d’où sont majoritairement issus ces
étudiants. Le handicap visuel devient discriminant.
47%
53%
Type de déficience visuelle
MV NV
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
36
« […] Il n’y a aucune orientation et très peu d’horizons pour les NV, à part cette dernière ouverture
dans la kinésithérapie ». (NV24)
Cependant, même pour cette branche qui ouvre une autre possibilité aux MNV, à
savoir la kinésithérapie, les obstacles ne manquent pas comme nous le constaterons dans le
témoignage suivant :
« À vrai dire pour le choix de la branche, je voulais faire kinésithérapie. Mais l’école est à Temara,
c’est loin. Je me suis énervée parce que l’école que je voulais faire était loin. » (NV 20)
Le handicap visuel détermine l’orientation dès le secondaire et isole l’individu dans un
système différencié plutôt pénalisant par un programme fortement tronqué et déjà orienté vers
des études à sens unique. L’impact des deux types de déterminants qui suivront n’en sera que
plus fort.
2) COMPETENCES ET PERFORMANCES
Les déterminants relatifs aux compétences et performances scolaires agissent en tant que
processus d’auto-sélection. Le choix des filières d’étude universitaires dépend des scores
obtenus : notes et moyennes de fin d’études secondaires. Ces scores révèlent les compétences
et performances des étudiants et leurs permettent d’exprimer leurs souhaits et leurs projets
d’études supérieures.
2.1- LE MANQUE DE PRE-REQUIS TECHNIQUES ET SCIENTIFIQUES :
Comme nous l’avons vu précédemment, le cursus secondaire des étudiants déficients
visuels au sein de l’OAPAM est littéraire et majoritairement arabisé. Les étudiants ayant suivi
un enseignement commun jusqu’au BAC et ayant eu de très bons résultats dans les matières
scientifiques représentent un nombre minime. C’est ainsi qu’une grande majorité d’entre eux
87%
13%
Etablisement d'étude pré-universitaire
OAPAM ETABLISSEMENT COMMUN
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
37
ont une bonne maîtrise des matières littéraires arabophones et des techniques du braille et de
l’informatique comme outils d’apprentissage.
Sur les 30 MNV enquêtés, 1 seul a obtenu un BAC scientifique. Il a perdu la vue après
et n’a repris ses études que 20 ans plus tard. Il s’est inscrit en études islamiques mais il n’a
aucune connaissance du braille et compte plus sur les ressources auditives.
« Tout d’abord que moi j’ai eu mon bac en 1993, juste après le bac j’ai perdu la vue. J’ai eu des
complications à cause du diabète et la conséquence était la perte de la vision. Donc je n’ai pas
terminer les études car pour moi la première contrainte c’était comment j’allais faire pour le trajet
c'est-à-dire comment je pouvais aller et venir de la fac, deuxièmement comment j’allais écrire les
cours alors que je ne connaissais pas le braille et si je devais enregistrer, comment je pourrais faire
en plus que c’était couteux car il n’y avait pas encore ces nouvelles technologies, on avait besoin
d’un magnétophone qui marchait avec des cassettes et qui nécessitait un budget ce que je n’avais pas.
Donc j’e n’ai pas continué les études. » (NV 27)
Le cas de cet étudiant qui s’est trouvé face à un ensemble de difficultés qui l’ont
découragé et l’ont conduit à abandonner ses études faute de moyens, soulève un bon nombre
de questions concernant l’information, l’orientation et l’accompagnement face à un drame de
vie aussi important que la perte de la vue.
La situation de cet étudiant n’est pas un cas isolé car d’autres ont perdu la vue juste
avant le secondaire et avaient des compétences prometteuses mais ont été orientés vers le
système spécifique à formation unique pour MNV et ont été contraints, faute de moyens, à
suivre une voie autre que celle souhaitée et que leurs compétences leur permettait.
« En fait au lycée j’étais scientifique mais comme je suis allé dans l’OAPAM, un enseignant de lycée
a appelé mon père et lui a dit qu’il fallait mieux qu’il m’amène à l’OAPAM ; en classe de première
j’avais des difficultés avec les matières scientifiques, et comme dans l’OAPAM il n’y avait que le bac
lettres j’ai alors changé en lettres. »(MV8)
«Quand j’étais voyant, je voulais faire Sciences Maths parce que j’étais brillant en Maths. Le
professeur m’avait dit il fallait renforcer le français. Mais quand j’ai perdu la vue, j’ai tout
abandonné. Mais pour l’orientation dans le lycée, on m’a dit qu’il n’y avait pas la possibilité
d’étudier Sciences Maths. Donc, j’ai fait lettres parce que je n’avais pas le choix et je n’avais pas les
moyens pour partir faire une branche scientifique en France. » (NV24)
La maîtrise de connaissances en matières littéraires arabophones s’avère être la
compétence majeure post-secondaire des étudiants MNV et une orientation vers des études
supérieures de même nature se présente alors comme une évidence :
«Dès le début j’étais décidé à poursuivre mes études universitaires dans la filière des études arabes,
c’était évident pour moi de venir à la faculté et de choisir cette filière. » (MV1)
2-2- LA DEFICIENCE EN COMPETENCE LINGUISTIQUE DE LANGUE ETRANGERE : FRANÇAIS
ET ANGLAIS
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
38
L’enseignement des langues étrangères dans le programme du secondaire est plutôt
complémentaire et limité en termes de taux horaire. C’est la raison pour laquelle nous
observons plus d’orientation vers des études de langues arabes que françaises ou anglaises.
Sur les 30 étudiants MNV, deux se sont inscrits en études anglaises. L’un d’eux a
obtenu une licence en études islamiques et constatant son inefficacité sur le marché du travail,
s’est réorienté vers l’anglais. Le second a choisi cette filière plus par défi de son handicap.
Une 3ème
personne a jugé avoir les compétences nécessaires pour s’inscrire dans cette filière
mais n’a pas pu réaliser son souhait à cause d’un problème de l’audition :
« Je voulais faire les études anglaises. Mais, j’ai un problème au niveau de l’écoute. Comme vous le
savez je porte un appareil de détection de son car j’ai un problème au niveau de l’ouïe » (NV24)
Ainsi, le choix d’études sur compétences linguistiques est rare parmi le public des
MNV qui se voit conditionné par la prédominance de la langue arabe dans le cursus antérieur
et le manque de ressources matérielles et techniques à l’université pouvant faciliter
l’amélioration de leur compétences en langues.
3) DETERMINANTS STRATEGIQUES
Le choix final de la filière d’études se concrétise par l’inscription. C’est ainsi que le
groupe d’étudiants MNV enquêté s’est retrouvé dans ces trois filières dominantes, par ordre
d’importance : les études islamiques (E.I.), les études en droit arabe public (E.DAP.) et les
études arabes (E.AR.). Le choix de la filière anglaise (E.AN) reste assez exceptionnel.
93%
7%
Compétence en langues
ARABE ANGLAIS
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
39
L’un des étudiant se trouve être inscrit dans deux de ces filières : les E.I. et les E.DAP.
Comme on peut le constater, la filière la plus cotée est celle des études islamiques qui
représente 50% du choix d’études. Vient ensuite la filière du droit public arabe puis les études
arabes et, en dernier lieu, les études anglaises.
Les raisons de ces choix corrélés à des variables d’intérêt du diplôme et de vision
d’avenir révèlent un mélange de crainte, d’appréhension, d’espoir et de doute communs à tous
les étudiants souhaitant aller vers l’indépendance et les projets de vie autonome mais encore
plus présents chez un public d’avance discriminé et stigmatisé par la déficience visuelle.
Dans le graphique suivant, nous allons observer les raisons de choix communes aux
filières recensées.
50%
27%
17%
6%
CHOIX DES FILIERES
E.I. E.DPA. E.AR. E.AN.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
40
La plupart de ces étudiants se sont orientés vers ces études plus pour la facilité et
l’accessibilité de la langue arabe, raison n°1 du choix de ces filières. En termes
d’investissement, de risque et de gain, ce choix paraît censé vu les déterminants de
compétences et performances observées précédemment orientés vers la maîtrise de la langue
arabe. Se lancer dans des études qui demanderaient plus d’efforts et de moyens présenterait un
risque d’échec ou de difficultés qui pourrait prolonger cette étape universitaire et mener à
l’abandon alors que l’objectif est d’exploiter ses propres compétences pour réussir ses études.
La disponibilité des ressources, l’accès au travail et la fuite de la solitude sont trois
raisons qui se retrouvent dans le même ordre d’importance chez nos enquêtés MNV et qui
arrivent en 2ème
position :
La disponibilité des ressources en langue arabe vient consolider la 1ère
raison du choix
de la filière et constituerait ainsi un élément positif et rassurant pouvant compenser la
déficience dû au handicap visuel. C’est un élément qui favorise l’égalité des chances dans des
études qui se basent plus sur l’acquisition des savoirs.
En outre, pour les MNV, poursuivre des études supérieures paraît déjà comme un
grand effort et un combat personnel, psychologique et social visant à sortir de l’isolement où
les a enfermé leur handicap et qui s’est trouvé renforcé par leur intégration d’un établissement
différencié. Ainsi, « Fuir l’oisiveté et la solitude/ s’occuper » révèle la situation angoissante
de ce public :
« Au début, je trouvais beaucoup de difficultés parce que c’était une nouvelle expérience pour moi,
une expérience bizarre : connaître de nouveaux étudiants, de nouveaux professeurs, même la faculté
0 5 10 15 20 25 30
Accessibilité de la langue arabe
Disponibilité des ressources en langue arabe
Eviter l’isolation/ la solitude/ s’occuper
Accéder à un travail à l’Etat
Faire pareil que les amis
Accessibilité du transport
Accéder au salaire de l’échelle 10
Sur conseil
Raisons communes du choix des filières recensées
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
41
en tant que lieux spacieux représentait un obstacle pour moi, il m’était difficile au début que j’y sois
à l’aise » (MV1)
« En fait cette expérience nous a beaucoup servi, tu t’intègres avec les gens normaux ; l’idée que tu
avais avant au sein des autres élèves non-voyants, tu dois changer, l’environnement ou tu étais est
différent dans l’OAPAM » (MV5)
« Après l’obtention de ma première licence, il y avait un vide dans ma vie, je le remplissais avec
facebook, twitter, aljazeera. Donc, je voulais combler ce vide » (MV17)
« Je voulais faire études islamiques, mais mes amis étaient avec moi dans les études arabes, je ne
voulais pas rester seul dans les études islamiques » (NV21)
« J’ai pensé à reprendre les études pour échapper à l’oisiveté et pour le bénéfice intellectuel » (NV27)
Facilité, accessibilité de la langue arabe et disponibilité des ressources dans un
domaine limité (uniquement les filières littéraires et de langue arabe), semblent un bon moyen
de faire face à son handicap et ses conséquences psychologiques et sociales ainsi qu’au
manque de moyens au sein de l’université :
« C’est une expérience un peu difficile surtout en ces moments des examens, même si on veut
étudier on ne trouve pas comment, tu veux étudier tu dois chercher quelqu’un qui lit pour toi, pour
enregistrer, tu dois trouver quelqu’un qui te dicte, si tu veux résumer tu dois trouver quelqu’un qui te
dicte pour que tu puisses écrire avec le braille. Tout ça n’est pas disponible, même si tu veux le faire ;
C’est tout ce qu’il y a, c’est le choix qui correspond à ton niveau, tu ne peux pas faire une autre
branche et toi tu ne peux pas le faire» (MV4)
« J’ai fait les études islamiques car il y’a un beaucoup d’enregistrements disponibles même sur le
marché, par exemple j’achète des CD et ça marche, mais dans les études anglaises il n y’a pas ça, j’ai
fait cette licence en anglais juste pour passer le temps » (MV8)
Aussi rejoindre ses ‘’semblables’’ pour se sentir moins seul et mener le même combat
afin d’obtenir son diplôme et d’accéder rapidement à un travail sécurisant, de préférence avec
l’Etat :
« Je voulais faire études islamiques, mais mes amis étaient avec moi dans les études arabes, je ne
voulais pas rester seul dans les études islamiques » (NV21)
« J’ai réfléchi et j’ai demandé conseil à mes amis qui m’ont précédé et j’ai choisi la filière études
islamiques. Je compte devenir fonctionnaire, enseignant ou quelque chose comme ça » (MV9)
«Avec la licence c’est échelle 10, j’étudie pour décrocher un diplôme » (MV11)
« Je ne regrette pas mon choix. Il représente pour moi l’échelle 10 peu importe le domaine. » (MV13)
Les raisons relevant de l’accessibilité du transport ont également été évoquées mais
semblent ne préoccuper qu’un petit nombre d’étudiants car la plupart bénéficient du logement
à la cité universitaire et ont choisi la faculté à proximité ou ont un accès facile à la faculté.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
42
Ceux pour qui le transport pose problème souhaitaient suivre des études qui n’offraient pas
ces avantages :
« Je voulais m’inscrire en Histoire mais j’ai opté pour Droit Arabe pour une seule raison : la
proximité de la cité universitaire. Les étudiants qui font leurs études à Ain Chock et qui sont ici à la
cité universitaire ont beaucoup de difficultés. Le soir, ils nous racontent des histoires terribles
relatives au risque d’être écrasé par un bus, tomer dans la boue par exemple. Le non-voyant ne doit
pas vivre ce genre de situations, il faut qu’il y ait un moyen de transport de la cité aux facultés »
(MV13)
« Je voulais faire kinésithérapie. Mais l’école est à Temara, c’est loin. Je me suis énervée parce que
l’école que je voulais faire était loin. Donc, je me suis inscrite en études arabes sans réfléchir »
(NV20)
D’autre part, certains MNV ont été obligé d’abandonner leurs souhaits initiaux ou de
se réorienter suite aux difficultés rencontrées. Le graphique suivant en présente les raisons :
En termes de stratégies, ces étudiants ont donc évité des orientations incertaines aussi
bien au niveau de la formation qu’au niveau de l’emploi.
Concernant, la compétence en langues étrangères, les deux cas recensés sont ceux qui
l’ont exprimé explicitement mais si on compte aussi tous les étudiants qui ont fait leur choix
pour l’accessibilité de la langue arabe, le pourcentage serait beaucoup plus grand.
A côté de ces déterminants stratégiques d’ordre général qui expliquent la prévalence
des filières littéraires et de langue arabe, il en existe d’autres d’ordre spécifique à chacune des
filières. Ces déterminants stratégiques spécifiques tournent plus autour de l’activité future et
des opportunités du marché du travail :
6
3
2
Non accessibilités d’autres formations et études TECH/KINE/H.Géo
Non disponibilité des ressources en braille et audio-visuelles
Pas de compétences en langues étrangères
Raisons d'abandon d'autres choix
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
43
Etudes islamiques Etudes arabes Etudes anglaises Droit public en
langue arabe
Intérêt personnel/
culture et
connaissance
Chemin d’Allah/
filière bénite/ bonne
voie
Possibilité de devenir
‘’Mourchid’’
prédicateur
Accessibilité du
métier
d’enseignement
Disponibilité des
ressources audio-
visuelles
Suivre les amis Plus de chance de
trouver un emploi
Par défi
Utilité
Intérêt associatif/
militantisme
Débouchés emplois
multiples
Etudes pratiques/
culture et
connaissance des
droits
Proximité de la cité
universitaire
Ainsi la majorité des choix sont pensés en termes de possibilité de trouver un emploi
et les filières qui semblent offrir cette opportunité sont, par ordre d’importance, les études
islamiques et les études en droit arabe privé. Les études anglaises semblent être un recours de
2ème
choix comme on le lira dans l’un des témoignages ci-après. Ces témoignages sont des
exemples de ce que la plupart des MNV enquêtés ont exprimé sur leur crainte de l’avenir et
l’adéquation de leur choix avec les possibilités du marché de l’emploi. Leur désir
d’autonomie et d’indépendance financière est leur 1ère
motivation :
« Ma motivation est double : personnelle mais aussi j’ai pensé que le droit a plusieurs débouchés
professionnels même si aujourd’hui et avant on ne donne pas de l’importance aux NV, tu obtiens la
licence et tout et tu ne travailles pas. Je me suis dit que le droit m’aidera à m’en sortir à 25%, mais
ces 25% est le taux le plus élevé » (NV3)
« J’ai déjà une licence en Etudes Islamiques, je n’ai pas trouvé de travail après et ensuite je me suis
dit de préparer une autre licence en anglais » (MV8)
« L’un de mes enseignants m’a conseillé de faire les études arabes ou les études islamiques parce
que j’avais un bon niveau en arabe, pour que mon CV soit riche, me facilite l’accès au travail »
(NV10)
Le métier qui leur semble le plus accessible actuellement étant celui de prédicateur ou
‘’imam’’, la majorité s’inscrit en études islamiques (50%). En effet, depuis le lancement
officiel de cette formation à Rabat par le ministère des Habous et des affaires islamiques en
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
44
2005, une nouvelle possibilité d’emploi en tant que prédicateurs et prédicatrices et imams
s’est ouverte à tout le public y compris les MNV à condition qu’ils répondent aux conditions
de sélection dont l’obtention d’une licence. Cette filière les motive doublement car, en plus de
la possibilité d’emploi, ils s’y sentent valorisés et s’y ressourcent spirituellement :
« Les études islamiques […] c’est le chemin d’Allah c’est bien de le connaître bien, je m’y suis
trouvé […] Je peux postuler pour mourchid religieux (prédicateur), les mourchidin (prédicateurs)
ont besoin d’une licence » (NV2)
«J’ai choisi les études islamiques parce qu’à mon âge on doit retourner vers la bonne voie » (MV12)
« C’est une branche (EI) bénite moubaraka, c’est Dieu qui nous a facilité l’accès à cette filière »
(NV 23)
Parallèlement, l’accès à des métiers du domaine juridique encourage les études en
droit public arabe mais à moindre échelle (27%). Les autres choix répondent plus à un besoin
de s’occuper ou de faire comme les autres que par ambition. Le seul choix qui sort du lot et
qui défie les orientations traditionnelles des MNV ne représente que 6% et concerne le choix
de la filière anglaise. Ainsi, étudier avec les possibilités qu’offre le handicap visuel, à moindre
coût, en profitant des ressources disponibles et en visant les possibilités d’emplois offertes à
un public MNV semble la meilleure stratégie adoptée par notre échantillon d’étudiants MNV.
Et pour conclure, l’enquête auprès des NMV a montré une prévalence des filières
littéraires et de langue arabe dans le choix d’études : les études islamiques, le droit public
arabe et les études arabes. Cette prévalence répond à trois grands déterminants : le handicap
visuel, les compétences et performances post-secondaires et les stratégies d’investissement en
termes de risque et de gain.
L’étude des compétences et des performances scolaires au terme des études
secondaires ont un historique assez complexe. Le milieu social et culturel ainsi que le type de
système éducatif d’intégration jouent des rôles déterminants. Les processus d’auto-exclusion
et d’auto-sélection se mettent en marche dans la famille déjà et se poursuivent dans
l’établissement scolaire différencié avec des programmes différenciés. Dans de telles
conditions on ne peut parler d’égalité des chances ou de choix vu que ces choix sont déjà pris
et systématisés.
Enfin, les stratégies d’investissement, intégrant les deux déterminants précédents,
évaluent les risques et gains au cours et au terme d’une formation universitaire et ne
permettent pas de dire que les MNV ont les mêmes possibilités que les étudiants ‘’normaux’’.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
45
Avec un capital aussi minime que la compétence en langue arabe, la maîtrise du braille et de
certains logiciels de lecture, il n’y a qu’une seule possibilité : c’est le choix des filières
littéraires et de langue arabe. Et parmi ces filières, les MNV doivent évaluer celle qui leur
permettra de réussir à moindre coût et d’intégrer le monde du travail rapidement ; ce qui
soulève une autre problématique sur l’efficacité de cette stratégie à atteindre cet objectif.
Les résultats de cette étude sur le choix des filières nous poussent à admettre que les
MNV semblent acculés plutôt que face à un choix. Devant un choix de filière assez limité,
nous cherchons à connaître comment se passe la transition universitaire malgré toutes les
contraintes précitées.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
46
VI- DE L’OAPAM A L’UNIVERSITE : LA TRANSITION DIFFICILE
Entrer dans le monde universitaire c’est apprendre à vivre autrement, apprendre à faire
des choix, apprendre à devenir plus indépendant et plus autonome. C’est à l’université que se
forge réellement une bonne partie de la personnalité de l’étudiant. Mais en l’absence d’un
accompagnement adéquat, institutionnalisé et adapté aux besoins de tout un chacun, les
nouveaux élèves se retrouvent seuls confrontés à une multitude de changements, notamment
en ce qui concerne le rythme de travail. En effet, l’élève se retrouve face à un nouveau rythme
qui semble largement moins soutenu qu’au lycée : des journées d’étude moins remplies,
considérablement moins d’heures de cours, et pas de compte à rendre à qui que ce soit.
L’étudiant a souvent du mal à retrouver un rythme de travail régulier surtout au début
puisqu’il n’est plus supervisé ni par ses professeurs, ni par le corps administratif étant donné
le climat assez laxiste qui caractérise la vie à l’université.
Le présent chapitre traitera la problématique des entraves liées au vécu et à
l’expérience de la transition du monde du lycée, avec ses conditions propres, dédié
exclusivement aux non et mal voyants à un monde universitaire hétérogène, qui, pour
reprendre les propos de certains étudiants, « n’est pas fait pour les non-voyants ». A travers
une série d’entretiens semi-directifs auprès des étudiants en déficiences visuelles, on a pu
mettre le doigt sur quelques problèmes liés en partie au changement du cadre pédagogique,
spatial et relationnel.
1) DE L’OAPAM A L’UNIVERSITE : UNE TRANSITION CONTRARIEE
« A la faculté, c’est une nouvelle vie, tu dois lier de nouvelles amitiés, de nouvelles relations, tu dois
trouver le moyen pour s’adapter à ce nouveau monde. Tu trouves que les autres ont sur toi un regard
différent, ils te perçoivent d’une façon différente. Ils ne voient pas en toi une personne normale donc
ils ont un regard un peu personnel. Au départ nous étions à l’OAPAM, c’était un monde restreint car
nous étions que des non-voyants, on vit entre nous dans un monde clos et restreint. Le contact avec le
monde extérieur ne constituait que 50% des contacts. Mais après le Bac, quand on arrive à la faculté,
on se trouve confrontés à une réalité tout à fait différente, à un monde différent de celui où nous
avons vécu jusque-là. Nous étions tous des amis, on se connaissait tous, c’était une petite société. La
plupart du temps ils ont un regard de pitié, si quelqu’un passe à côté de toi tu entends « meskine » (le
pauvre) et autres mots. Mais on essaye de créer une atmosphère d’adaptation. C’est le début qui est
difficile. ». (NV26)
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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1.1- L’OAPAM COMME CHOIX UNIQUE : UN ENSEIGNEMENT INDULGENT
« DIAL LKHATER »
L’Article 4 de la Loi n° 5-81 relative à la protection sociale des aveugles et des faibles
de vue stipule que « Les aveugles et assimilés, porteurs d’une carte spéciale délivrée par
l’administration, bénéficient des avantages suivants : 1. Affectation d’institutions publiques à
leur éducation et leur formation professionnelle en vue de les préparer aux métiers qui
conviennent à leur état ».15
Il faut signaler d’abord que cette loi date des années 80 et venait encadrer le droit à la
scolarisation des personnes en déficience visuelle, mais, allant de cette date jusqu’à nos jours,
le Maroc n’a pas réalisé de progression considérable au titre de la promotion de la
scolarisation de cette catégorie de citoyens.
Les écoles publiques n’ont jamais été adaptées aux besoins des élèves aveugles - et
elles ne le sont toujours pas d’ailleurs. Elles ne disposent pas d’équipements spécialisés et peu
de professeurs sont formés à enseigner les aveugles. Et étant donné que les enseignants et les
écoles ne sont pas préparés, ils refusent souvent de prendre en charge les élèves aveugles dans
leurs classes sous prétexte que dans les écoles intégrées, les aveugles se perdent souvent dans
le système : il vaut mieux aller chercher des institutions spécialisées qui ont les moyens et les
compétences pour subvenir aux besoins de ces élèves.
Lorsqu’elles en ont les moyens, les familles dont les enfants sont aveugles ou
malvoyants tentent de leur faire intégrer des établissements privés, des établissements
médico-sociaux, ou de solliciter l’aide des organismes d’aide aux aveugles. Mais l’écrasante
majorité des familles des enfants aveugles ou malvoyants vivent dans des situations précaires,
et si la volonté d’étudier est bien là, que ce soit chez l’enfant lui-même ou bien un membre de
sa famille qui tient à sa scolarisation, les familles n’ont souvent d’autre alternative que de
solliciter les services de l’OAPAM (Organisation Alaouite de la Protection des Aveugles au
Maroc). Créée en 1967, l'Organisation Alaouite pour la protection des aveugles au Maroc
(OAPAM) est le seul établissement à Casablanca qui s’occupe des aveugles et des
malvoyants.
15B.O. n° 3636 du 13 Ramadan 1402 (7 Juillet 1982).
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
48
Le choix de l’OAPAM n’est pas dicté simplement par sa présence en exclusivité sur la
scène thématique des aveugles dans la région ; le recours au service de l’organisation peut
être expliqué par la présence d’une prise en charge totale de la personne en déficience
visuelle, un atout non négligeable pour l’ensemble de ces familles. L'aide apportée aux non-
voyants à l’OAPAM concerne deux volets principaux : pédagogique (formation) et social
(prise en charge totale des pensionnaires). L'OAPAM est pour ainsi dire plus qu'un
établissement scolaire, c'est aussi un lieu où ces les élèves sont censés apprendre à vivre avec
leur handicap.
Et loin de ces considérations de choix, nombreux sont les témoignages qui pointent le
doigt sur la dégradation au niveau des services fournis aux élèves au sein de l’organisation
depuis sa création. Selon les propos des étudiants interviewés, cette dégradation est due, d’une
part, à un manque de qualification du personnel et des éducateurs sur place :
« … Le professeur ne donne pas grand-chose, et puis c’était un enseignement (dial lkhater), tu
pouvais facilement avoir 13, sans peine, vous comprenez ? Nous sommes restés fainéants jusqu’en
sixième et en bac, nous avons su que nous allions passer hors l’OAPAM » (NV30)
Par manque de professeurs, et pour assurer la pérennité des cours dans les différentes
matières, l’organisation fait appel à l’appui d’autres professeurs qui viennent d’autres
établissements scolaires. Ces professeurs ne sont ni initiés, ni habitués, ni qualifiés pour
assurer des cours pour des NV/MV.
« En arrivant au secondaire collégial, le niveau des études a commencé à régresser, imaginez avec
moi, un professeur qui voit, juste pour savoir comment le niveau régresse, parce l’élève surtout au
collège, à cette période de l’adolescence, si tu ne le pousses pas (lama waraktich alih) à étudier, il
peut ne pas étudier. Nous, parmi les choses qui arrivaient, comment ? Le professeur qui nous
enseigne arrive à voir, nous avons une production écrite, il nous dit par exemple : « faites cet
exercice » en classe, chacun le fait, ceux qui ont appris et ceux qui n’ont pas appris, celui qui a
appris fait ce qu’il sait, celui qui n’a pas appris, gribouille et c’est tout. Le professeur qui voit, bien
sûr, ne corrigera pas le Braille, donc il doit choisir un élève qui lui lira, il lui dit : « tiens, à qui est
cette copie ? Lis- moi » et cet élève… si je sais que c’est ta copie et que je te connais, je corrige tes
fautes en lisant. L’élève sert son ami mais en même temps il cause sa perte (kaykhrouj alih), nous, on
n’avait pas cette idée, la personne travaille bien ça y est, parce que tu as 14, 16 et là le niveau a
commencé à régresser ». (NV30)
D’autre part cette dégradation est flagrante au niveau de l’état du matériel, sachant
qu’à la base de l’intégration des élèves, l’acquisition et l’entretien régulier d’un matériel
spécifique sont supposés leur permettre de suivre correctement leurs cours. Entre absence des
moyens et les conditions d’études précaires, le résultat inévitable est d’avoir un élève qui,
même s’il arrive à décrocher son bac, va se retrouver en définitive avec un déficit et des
lacunes sur plusieurs niveaux, à l’exception de ceux et celles dont le désir de réussite
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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académique est suffisamment fort pour les inciter à multiplier les efforts fournis et à
surmonter les obstacles malgré les conditions qui ne jouent pas en leur faveur.
1.2- D’UN ESPACE ORDONNE A UN LABYRINTHE : VIVRE SANS
S’APPROPRIER L’ESPACE
Si nous voulons dépasser les reproches mis en avant par certains étudiants et qui
portent actuellement un regard plus au moins distant sur les conditions à l’organisation, il est
impératif de prendre en considération les points positifs que les étudiants souhaiteraient voir
mis en œuvre à l’université, à l’instar de ce qui se passait à l’OAPAM. A l’arrivée à
l’organisation, les gens donnent d’abord l’occasion à l’élève, lors de sa première rentrée, de
découvrir les lieux où il évoluera pour lui permettre de se familiariser avec son nouvel
environnement. L’élève arrive rapidement à se diriger seul dans les classes ou dans les autres
parties de l’organisation. Les gens veillent aussi à prévenir les élèves de tout changement
(aménagement de la classe) ou obstacle nouveau.
L’élève aveugle ou malvoyant s’approprie son espace puisqu’il parvient à une
autonomie de mouvements et déplacements dans un environnement familier d’autant qu’il
arrive à investir tous les espaces disponibles, qu’il soit un espace de loisir ou de distraction,
ou un espace de travail.
La quête de cette autonomie de mouvement et de déplacement dans un espace comme
celui de la faculté semble pour un étudiant en déficience visuelle une aventure dangereuse.
« …C’est difficile, il y a les escaliers, les jardins, les pentes, les passages étroits. » (NV21)
Nous pouvons comprendre déjà pourquoi l’espace investi par les étudiants NV ou MV reste
limité et réduit aux classes de cours et à cet espace qui leur était dédié pour faire des révisions
ou échanger des informations. L’espace comme il a été construit et aménagé n’accuse
nullement le souci et la prise en considération des besoins spécifiques des étudiants en
déficience visuelle. Dès l’entrée, l’étudiant NV ou MV se trouve en situation de besoin d’aide.
Et malgré les efforts qu’il déploie pour se monter autonome, des situations parfois délicates le
dépassent ; par exemple, rien que le changement de salle de cours, qui implique parfois un
changement de bâtiment, rend l'aventure difficile sans être accompagné.
« Je vais vous donner un exemple que la fac ne pense pas aux NV, par exemple cette salle où nous
nous trouvons (Les nouveaux locaux du Master) pourquoi n’a-t-elle pas une porte d’entrée pour les
NV, pourquoi sommes obligé de faire le tour de l’établissement avec tous les escaliers, les allées, les
personnes auxquelles on se heurte » (NV27).
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« …oui, surtout à la faculté de droit qui est très grande, une personne qui voit peut s’y perdre, qu’en
est-il alors d’une personne qui ne sait pas, cette histoire de transport est très importante » (NV30)
Les étudiants NV ou MV ont un sentiment de mépris vis-à-vis de l’espace à la faculté
(particulièrement la faculté des lettres). Ils ne sont jamais arrivés à l’exploiter comme ils le
désirent, ni à aborder les espaces de socialisation communs (bibliothèque, espace de sport,
buvette, etc.) qui ne sont pas disponibles à la base. Les étudiants NV/MV sont privés de ce
sentiment d’appropriation de l’espace et gardent toujours le statut d’étrangers.
1.3- DU « COLLECTIF » A « L’INDIVIDUEL »
Comme le disent les spécialistes, pour assurer la bonne intégration de l’élève en
situation d’handicap, soit le placer seul dans une classe ordinaire, et nous parlons ici
« d'intégration individuelle », soit le placer dans des classes dites « annexées » ou
« intégrées » (des classes attachées à un établissement spécialisé mais qui fonctionnent dans
une école ordinaire), soit lui permettre de profiter du palier adaptatif constitué par la CLIS.
Pour un élève qui présente des difficultés scolaires liées à un handicap (visuel dans notre cas),
en primaire ou plus exceptionnellement en maternelle, l'affectation à une CLIS doit se faire le
plus tôt possible pour permettre à l’élève d’en tirer le plus grand profit avant de rejoindre, à
temps partiel ou complet, une classe ordinaire16
. L’effectif de telles classes ne dépasse pas 12
élèves et chacun d'entre eux est pris en charge autour d'un projet global actualisé au minimum
tous les ans. Ce projet concerne autant les aspects scolaires que rééducatifs ou éventuellement
matériels. Et si le projet à l’OAPAM se veut une tentative d’alignement aux normes
reconnues au sujet de la scolarisation et la prise en charge des personnes en déficience
visuelle, il n’en est pas moins que la projection dans le futur reste un sujet occulté. Les élèves
évoluent pendant de longues années dans des classes avec leurs semblables, avec une
pédagogie commune, un nombre très restreint, pour se retrouver après le bac devant un mode
très différent :
« Il est bien, normal, c’est juste que nous avons fait des études dans l’OAPAM, on était enfermé entre
nous MNV, on a vécu entre nous depuis le primaire, de 07 heures jusqu’à 18H00, c’est comme ta
famille, mais après tu sors et tu dois t’intégrer avec les autres, c’est pour ca que c’est difficile, mais
lhamdulillah » (NV7)
Classe d’Intégration Scolaire dans laquelle l’élève en déficience peut passer quelque temps pour confirmer ses
acquis de base et ses stratégies de compensation du handicap. 16
Forestier D. (1 992). Les classes d'intégration scolaire, Réadaptation, 395,221 -22
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
51
Evoluer dans un groupe restreint en classe est une occasion de bénéficier de plus
d’attention de la part des professeurs et du cadre administratif. C’est permettre aussi au staff
des enseignants de s’arrêter de près sur les besoins spécifiques de tout un chacun et de faire du
mieux pour y répondre. L'enseignant attentif au comportement de l'élève qui présente un
handicap visuel ainsi qu’aux moyens de compensation qu’il utilise favorise la réussite de son
intégration.
La présence d’un étudiant à déficience visuelle au milieu d’un groupe dominé par des
voyants, peut provoquer chez lui un sentiment de discrimination. Les professeurs oublient, le
plus souvent par inattention, que les NV les MV ne peuvent pas capter les informations à
distance, ni tenir compte des gestes, des regards...Ils oublient aussi de les nommer
expressément pour les questionner, de lire à haute voix lorsqu’ils écrivent au tableau.
« Le seul problème qui se pose c’est lorsque le professeur explique le cours sur le tableau, on sent
qu’il ne s’adresse pas à nous mais aux étudiants voyants, nous on se base sur l’ouïe donc si le
professeur utilise le tableau il doit au moins utiliser le micro notamment lorsqu’il s’agit de
l’amphi ». (MV1)
Dans la foule des interactions et parfois pris par l’ambiance du cours, le professeur
perd de vue qu’il s’adresse aussi à des étudiants qui ne peuvent suivre toute les modalités
d’explication utilisées :
« … quand le professeur donne son cours, il utilise un micro, mais parfois, inconsciemment, il s’en
éloigne pour écrire quelque chose au tableau, alors si je ne suis pas dans les premières rangées je
n’entends plus rien et le dictaphone ne capte rien. Le prof écrit au tableau ce que je ne vois pas et
parfois ce qu’il écrit il ne l’explique pas au tableau ou bien il dit juste la moitié. Le prof n’a pas
constamment en tête qu’il a des étudiants NV. » (NV27).
Les autres étudiants voyants ont leur part de responsabilité dans le mauvais
déroulement des cours du fait qu’ils oublient la présence des étudiants NV/MV et leur besoin
de silence. Le silence en classe est très sollicité par l’ensemble des étudiants NV/MV afin
d’assurer un bon suivi du discours émis par les différents intervenants et des discussions
menées. Mais surtout, le silence est primordial pour permettre un enregistrement efficace des
cours par dictaphone.
«Pour le déroulement des cours, sincèrement, ils sont parfois perturbés à cause de certains étudiants
qui parlent, et du coup dérangent les autres. Nous, on est les plus touchés par ces perturbations parce
qu’elles nuisent à l’enregistrement que l’on fait des cours. Ils dérangent le professeur et nous
dérangent aussi. Parfois je m’énerve beaucoup à cause de cela. ». (MV1)
Une classe hétérogène régie par des normes et des règles des dominants ne sert pas
l’intérêt des minorités, et sans prise de conscience de la présence de cette minorité à besoins
spécifiques, on risque de compromettre la réussite de son intégration.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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1.4- DE L’ORAL A L’ECRIT, CHANGEMENT D’ATTITUDE PEDAGOGIQUE
« En fait cette expérience nous a beaucoup servi, tu t’intègres avec les gens normaux ; l’idée que tu
avais avant au sein des autres élèves non-voyants, tu dois changer, l’environnement ou tu étais est
différent dans l’OAPAM là-bas il y avait le braille, ici tu rencontres d’autres personnes, là-bas tu
étudiais oralement, ici il y’a l’écrit. Ici on manque l’intérêt pour les NV, ils ne font pas de différence
entre les autres et nous » (MV5)
Il est à noter que l'enseignement au sien de l'Organisation alaouite pour la protection
des aveugles au Maroc est conforme aux programmes du ministère de l'éducation nationale.
Pour les livres scolaires, l'OAPAM de Casablanca assure pour l'ensemble des élèves des livres
en braille. Dès lors le braille est à la base de toute l’opération d’apprentissage à l’OAPAM.
Tous les élèves ont reçu un enseignement régulier sur l’écriture et le calcul en Braille,
dispensé par des enseignants spécialisés, que ce soit au cours du primaire ou du secondaire.
Les élèves communiquent en utilisant essentiellement ce système d’écriture fondé sur le
toucher.
Les études à la faculté des lettres et de droit nécessitent des compétences un peu
spécifiques basées essentiellement sur l’écoute, la prise de note. Et avec un peu de chance on
peut tomber sur un enseignant qui met ses cours à disposition sous forme de polycopié.
« Pour les NV nous avons un problème, les professeurs se basent sur certains ouvrages qui n’existent
pas en braille, les livres qui se composent de 300/400 pages n’existent pas en format audio, aussi il
n’y a pas des personnes qui peuvent nous faire la lecture. Il y a un problème de la disponibilité des
outils et du matériel d’apprentissage pour les NV. Quand le professeur demande aux étudiants de
faire le résumé d’un ouvrage, il ne prend pas en considération qu’il a également des étudiants NV
qui ne trouvent personne pour faire la lecture et s’il se trouve, il doit avoir assez de temps, les mêmes
préférences d’apprentissage, le même niveau et la même orientation. Il doit avoir également l’envie
de faire une lecture. Donc les problèmes des NV ne sont pas pris en charge dans les enseignements. »
(NV27)
Pour s’adapter à cette nouvelle situation l’étudiant en déficience visuelle se trouve
dans l’obligation de procéder à un changement d’attitude pédagogique. Enregistrer, écouter et
réécouter ou bien photocopier, chercher quelqu’un pour te lire, puis enregistrer pour écouter et
réécouter, c’est le leitmotiv de tous les étudiants NV/MV. Et si les étudiants ont relevé le défi
de changer leur attitude pédagogique, il reste d’autres contraintes à surmonter.
Beaucoup d’enseignants refusent d’être enregistrés :
« Les professeurs doivent se mettre d’accord pour le [l’élève NV/MV] laisser enregistrer parce qu’il y
en a certains qui refusent, il [le professeur] peut être du parti communiste et veut parler sans retenue
donc il n’accepte pas qu’on enregistre, en droit, mais dans d’autres branches, je ne sais pas, qu’ils le
laissent enregistrer et qu’ils lui donnent les leçons sur clé ou enregistrées pour le dispenser de
l’enregistrement… » (NV30)
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Dans des cas similaires, les étudiants NV/MV n’ont pas d’autres alternatives que
solliciter l’aide d’autres étudiants voyants. Ainsi, il doit constituer un réseau de personnes, le
plus souvent bénévoles, qui interviendront à différents moments pour la lecture, la photocopie
et la numérisation de documents. Entre le temps perdu dans l’enregistrement et la recherche
d’une tierce personne pour le faire et celui consacré aux autres activités, le temps dévolu au
travail se retrouve gravement amputé. En effet, un cours enregistré et réécouté implique de
passer 3 fois plus de temps sur ce seul enseignement.
« Moi j’avais un problème cette année concernant les examens, sachant que le cours dure environ
1heure et demi, on a deux cours par jour c'est-à-dire 3 heures auxquelles j’assiste, et puisque je
n’écris pas en braille donc j’enregistre et pour réécouter les enregistrements ça me prend 3 autres
heures tout en cherchent quelqu’un autre pour lui dicter la synthèse si je ne trouve personne c’est un
problème car je dois écrire la synthèse pour éviter d’écouter tout l’enregistrement. Enregistrer la
synthèse est impossible car cela demande la présence de deux dictaphones le premier en marche et le
deuxième pour enregistrer ma voix et qui doit être de bonne qualité. Déjà le dictaphone que j’utilise
pour enregistrer n’est pas d’une bonne qualité » (NV27)
En référence à ce cadre que nous avons essayé d’établir en se basant sur les propos des
étudiants en déficience visuelle, il est manifeste que les évolutions en profondeur et allant
dans le sens d'une intégration plus large et plus aisée de ces étudiants sont lentes et difficiles.
Un manque de cohérence apparaît entre l'enseignement spécialisé (OAPAM) et
l'enseignement ordinaire (l’université) et ricoche sur le devenir des étudiants qui ont relevé ce
défi. La transition est jouée à l’individuel sans une stratégie claire et déterminée à l’avance, et
chaque étudiant utilise ses moyens de bord pour s’affranchir des différentes contraintes.
2) MONTASSER : UNE TRANSITION PLUS AU MOINS RASTAQUOUERE
« …moi, je ne vais pas vous mentir, je… je... moi, j’essaie de sortir de… parce que les non-voyants
ont leur propre monde, ils ont une société qui leur est propre, moi… et d’autres personnes
commencent à penser à cela, c’est que nous devons sortir de cette carcasse (kawka’a), nous devons
sortir, et j’ai commencé à essayer de travailler, le pic de mon travail a commencé à la faculté, en
deuxième année, même la première année je l’ai passée… j’ai triché un peu et tout ça, mais en
deuxième année, c’est comme si j’ai apprécié, quand j’ai passé l’année entière, le premier et le
deuxième semestre, j’ai apprécié, j’ai commencé à apprendre et j’ai commencé à travailler. Je
partais… je me suis intégré avec des étudiants qui voient parce que nous étions trois non-voyants et
l’amphi contenait plus d’une centaine de personnes, donc tu étais contraint de t’intégrer. On partait
à Al Saoud, on révisait ensemble, on étudiait, eux aussi, ils nous aident, ils me lisent, on révise
ensemble, ils m’enregistrent si je veux enregistrer, ils me dictent des choses en Braille de temps en
temps si je dois faire un exposé et qu’il est long et technique, je ne peux pas l’apprendre en entier,
parce que les exposés, je les passais après les avoir appris, je prenais l’exposé, je l’apprenais et je le
Pour des raisons éthiques on a procédé à un changement de prénom
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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disais oralement, parce qu’en droit général, tu peux prendre une idée et la développer, ce n’est pas
technique, ce n’est pas un plus un égalent à deux, si tu veux parler une heure tu dois maîtriser cela,
et si j’avais un exposé technique je l’écrivais en Braille, si c’est un exposé qui comporte beaucoup de
chiffres et tout ce qui est technique, je l’écris, les étudiants me dictaient c'est-à-dire les personnes qui
voient nous ont beaucoup aidé… Il n’a pas une formation et ne connaît pas ses droits et ses devoirs,
il ne sait pas quelle loi le concerne, il y a des non-voyants qui arrivent à la fac, cherchent des
scripteurs, obtiennent la licence et montent à Rabat faire des manifestations devant le parlement pour
qu’ils leur trouvent un emploi. Il est embauché, il ne fait rien au travail ou s’il peut même trébucher
devant la porte pour qu’on lui dise de ne plus venir, c’est mieux même, vous me comprenez ? C’est
tout, c’est tout ce qu’il peut faire, il n’y a pas une vision, parce que même les responsables, on les
comprend parfois, si un bébé ne pleure pas pour réclamer sa nourriture, tu ne le nourriras pas. Si
j’étais à la fac, ce sont les décisions fondamentales à prendre. »
Montasser est un jeune malvoyant de 26 ans, récemment marié. Etudiant à la faculté
de droit, il a pu décrocher son bac, sa licence et son Master avec mention, et se prépare pour
postuler au doctorat. Les propos de Montasser font preuve d’une maturité exprimée par le
regard critique qu’il a pu développer sur son vécu comme élève et puis comme étudiant, mais
aussi un regard critique sur le parcours de ces collègues. Il a rejoint l’OAPAM à un âge
précoce. A 5ans il était déjà en classe avec ces camarades en statut d’écoutant. Il a commencé
à apprendre le braille avant d’intégrer officiellement la première année du primaire. Le coup
de chance dont Montasser a profité, c’est d’avoir vécu à L’OAPAM pendant ses moments de
gloire, quand il y avait encore des encadrants étrangers.
« C’est la formation basique, c’était une formation excellente, les personnes qui avaient travaillé
avec nous l’ont bien fait, comme je vous ai dit … Je voulais vous dire, nous, à l’enseignement
primaire, au CP, en première et deuxième années, nous avons eu une formation excellente, on a eu
de bonnes connaissances, nous avons connu les animaux, que ce soit ceux qui ne voient absolument
rien ou moi, parce que moi aussi même si je vois un peu je ne connais pas exactement l’aigle, je peux
confondre entre un aigle et une cigogne, vous comprenez, parce que pour moi, ils me paraissent tous
les deux avoir des ailes, une tête et des pattes… »
Le parcours de Montasser est la preuve que la réussite scolaire est possible avec un
peu de volonté, et ce malgré les fardeaux qui pèsent sur le dos des personnes en déficience
visuelle.
2.1- INITIATIVE PERSONNELLE : ANTICIPER L’INTEGRATION
Conscient du climat ambiant à l’OAPAM et qui dénote un délaissement et un manque
de rigueur, Montasser a eu la volonté de prendre l’initiative de chercher un moyen pour
combler le déficit au niveau de la qualité de l’enseignement dispensé à l’OAPAM.
« … qu’est ce qu’on a commencé à faire ? On étudiait à l’OAPAM et les matières qu’on avait à
l’examen, on avait le français, l’éducation islamique et les mathématiques, on allait les étudier en
dehors de l’organisation. Nous avions une institution à côté qui s’appelle « Al KHANSAA » et une
autre « ZIRYAB », on allait étudier avec eux… ils étaient obligeants avec nous (kaytaawnou maana),
ils nous laissent entrer, assister, parce que nous savions que pour combler les lacunes que nous
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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avions à l’OAPAM, nous allions étudier dans ces institutions…des initiatives individuelles, parce que
nous savions, pourquoi je vous disais que quelqu’un qui a la base peut faire des efforts plus tard,
nous, nous savions que l’enseignement était insuffisant, on sortait hors de l’OAPAM et on allait
assister à une séance de philosophie, deux séances par semaine, les mathématiques…»
Le recours à des institutions publiques a bien servi Montasser non seulement au
niveau des connaissances acquises mais également pour se familiariser à l’expérience avec les
étudiants voyants. Le rapport établi entre NV/MV au sein de l’OAPAM peut être qualifié de
rapport « normal » entre élèves où il peut y avoir des valeurs de concurrence et de conflit. Le
rapport aux élèves voyants peut prendre d’autres formes, fondées cette fois-ci sur la pitié mais
parfois aussi sur le mépris. Montasser voulait échapper à ce genre de rapports (pitié, mépris)
qui nuit à l’image de soi et cherchait à instaurer un nouveau rapport dont il pourrait tirer profit
et qui préserverait en même temps sa dignité.
2.2- INSTAURER UN RAPPORT GAGNANT-GAGNANT AVEC LES
VOYANTS
Si pour réussir, certains étudiants NV/MV n’hésitent pas à profiter de leur handicap, à
supplier, à tricher s’il le faut, Montasser est convaincu que le retour de manivelle fait très mal
et la réputation malheureuse qui en découle colle à la peau pour longtemps.
« Tu le retardes, il ne t’aidera pas, et c’est ce qui arrive à la plupart des étudiants maintenant, ils
veulent s’intégrer mais…, il y en a certains qui sont submergés par la religion, (lwazi’i edini ghaleb
a’alih), même si je vais perdre du temps, je fais une bonne action (ndir khir)… tu deviens une charge
(a’ala) pour lui »
Et pour éviter les situations l’embarras, manifesté chez les autres étudiants par la fuite,
l’esquive et la mise en avant de prétextes pour se débarrasser de l’étudiant à déficience
visuelle, Montasser s’impose comme étant un étudiant qui a son mot à dire, qui a des
compétences désirées, recherchées par les autres :
« … Et pour qu’ils t’aident, c’est à toi de t’intégrer parmi eux, tu dois t’imposer, parce que lorsque
quelqu’un te voit, … quelqu’un qui voit ne peut pas venir, te déposer, te lire s’il ne sent pas qu’il en
profite aussi (kaystafed menek) /ça doit être une relation gagnant-gagnant… »
Le NV/MV doit fournir un effort pour dépasser la méconnaissance des déficients
visuels, en présence d’une représentation sociale qui fonctionne à un haut niveau de
généralité. Elle se traduit par des sentiments complexes de peur, de fascination et de rejet
renvoyant beaucoup plus à un objet psychique de type phobique, qu'à l'objet réel que constitue
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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le handicapé. Le sujet handicapé est décrit comme : "plus renfermé, timoré, timide, anxieux
dépendant, émotif…"17
Les prérequis à la réussite de la transition et de l’intégration de l’étudiant déficient
visuel résident en tout premier lieu dans sa propre motivation comme dans les conditions
psychologiques et fonctionnelles qu'il a réunies pour y parvenir. C'est en effet d'elle que va
dépendre sa capacité à réagir et par là à modifier les comportements et les attitudes spontanées
et réfléchis du milieu estudiantin à son égard. Il est normal que les membres de son nouvel
entourage ressentent vis-à-vis de sa déficience, comme dans leur relation avec lui, de la gêne,
de l'angoisse, et manifestent une volonté soit d'assistance et de protection exagérée soit de
fuite et d’ignorance.
MANQUE DE PLANIFICATION DE TRANSITION ET DEFAILLANCE DES
SERVICES DE SOUTIEN
Nous pouvons avancer qu’il est souhaitable de penser à mettre en place un processus
complet de planification de la transition au profit des nouveaux étudiants pour permettre de
bien cerner les compétences dont les étudiants ont besoin pour bien évoluer dans le contexte
de l’université. A ce titre, un travail de coordination entre l’OAPAM, l’université et
l’association sur place ainsi que les représentants des étudiants en déficience visuelle s’avère
impératif pour aider les étudiants à mener à bien leur intégration.
La tendance qui semble se développer est la mise en place, au sein de chaque
université ou de façon interuniversitaire, de services spécialisés d'aide à l'intégration doté d'un
"responsable de l'accueil des handicapés" en lui assignant le rôle de soutenir, accueillir,
orienter, suivre et aider les étudiants handicapés qui le désirent. Et si l’idée semble porteuse
en matière d’aide et d’accompagnement aux étudiants, beaucoup de choses restent à modifier
et à coordonner. Mais c'est surtout le manque de moyens, humains et matériels, qui se fait le
plus cruellement sentir. Nous allons ainsi voir dans le chapitre suivant les outils qui s’adaptent
le mieux aux MNV afin de mieux s’intégrer dans le milieu universitaire.
17Pierre GNFFON, DÉFICIENCES VISUELLES : pour une meilleure intégration Les personnes handicapées
en France : données sociales 2ème édition 1995, @Annie Triomphe Co-édition INSERM-CTNERHI
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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V- UTILISATION DU BRAILLE ET DES NOUVELLES TECHNOLOGIES POUR LES MNV: DES
OUTILS POUR UNE APPROCHE PLUS AUTONOME
La déficience visuelle partielle ou totale pourrait handicaper les MNV de lire et écrire
sans la présence d’outils qui pourraient compenser cette déficience. D’ailleurs le Conseil
Economique et Social recommande l’utilisation des outils adaptés aux déficients visuels au
Maroc, nous citons entre autres mesures:
« -Adapter les programmes pédagogiques et les outils didactiques aux différents types de handicap,
notamment les bibliothèques parlantes pour les déficients visuels…
- Renforcer l’accessibilité aux systèmes publics ordinaires de la formation professionnelle et des
études supérieures, par le réaménagement de classes préparatoires, l’adaptation des programmes et
outils pédagogiques aux différents types de handicap et les bourses d’étude» 18
Dans le but de compenser une déficience sensorielle majeure telle que la vue ; il est
nécessaire de développer d’autres outils de communication qui s’adaptent le mieux aux
facultés sensorielles des MNV comme l’ouïe et le toucher. Ceci dit, nous allons étudier les
codes tactiles et sonores qui favorisent l’autonomie dans la communication chez les MNV.
Avant le développement des nouveaux moyens de communication, le braille19
était le
principal moyen de décodage tactile. Alors que de nos jours, les nombreux logiciels de
conversion sonore ont offert une nouvelle alternative aux MNV pour le décodage sonore de
nombreux fichiers textuels. Suite à l’émergence des nouveaux lecteurs d’écran qui effectuent
la conversion sonore comme le JAWS et le NVDA, pouvons-nous parler du déclin du
décodage tactile et l’essor du décodage sonore, ou s’agit-il d’une complémentarité entre les
modes de communication tactile et sonore ?
Les entretiens réalisés avec les étudiants NV et MV de l’Université Hassan II
Casablanca nous permettront de connaître les principaux moyens de communication tactile et
sonore utilisés pour accéder à l’information et aux études.
18 Rapport du Conseil Economique et Social, Respect des droits et inclusion des personnes en situation de
handicap, Auto-Saisine n°5 / 2012, p : 18, juillet 2012 19
Le braille est un système d’écriture à l’usage des personnes non-voyantes ou malvoyantes. Cette méthode de
lecture tactile a été inventée par Louis Braille (1809-1852) qui avait perdu la vue à la suite d'un accident.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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1) L’UNIVERS DE LA COMMUNICATION TACTILE : LES SUPPORTS DE LECTURE
BRAILLE ET DE CODAGE TACTILE
Le braille est universellement connu comme une méthode de décodage tactile, ce qui
n’empêche pas les NV et les MV d’utiliser le clavier braille pour le codage de l’information
en vue d’une sauvegarde numérique ou d’une copie imprimée en braille. Nous allons ainsi
découvrir les principaux moyens de décodage et de codage tactile.
1.2- LE DECODAGE TACTILE : LES SUPPORTS DE LECTURE EN BRAILLE
Nous entendons par le décodage tactile, l’ensemble des textes imprimés ou des codes
numériques en braille pouvant faire l’objet d’une lecture tactile sur papier ou sur des appareils
numériques pour les MNV. Dans ce sens, nous allons énumérer les différentes possibilités qui
s’offrent aux MNV pour le décodage de l’écriture braille. Parmi les supports en braille, nous
citons les livres imprimés en braille dans le cadre d’une bibliothèque braille, ou l’impression
des fichiers format « texte » d’une base numérique à une imprimante braille, et finalement les
appareils numériques de conversion en braille. Suite à l’analyse des entretiens, nous avons
remarqué que le décodage braille se fait uniquement par la lecture des imprimés ou des livres
en braille. Ceci dit, les étudiants n’utilisent pas les appareils numériques de conversion tactile
comme le Top-Braille20
ou le Braille Sense21
. Ces outils technologiques restent inaccessibles
pour les étudiants MNV soit parce qu’ils méconnaissent ces appareils, soit parce qu’ils n’ont
pas les moyens économiques pour se les procurer.
Afin de vérifier la fréquence d’utilisation des imprimés par les MNV de l’université
HassanII Casablanca, nous les avons interrogés sur l’utilisation de ces méthodes avant
l’obtention du baccalauréat et après l’accès à l’université. Nous avons ainsi constaté que la
lecture des imprimés en braille était plus utilisée au sein de l’organisation des NV (l’OAPAM
20
Le Top-Braille : c’est une machine inventée par Raoul Parienti qui lui a permis de remporter le premier prix du
concours Lépine en 2010. Il s’agit d’un appareil qui peut transformer les textes tapuscrits (livres, imprimés et
journaux) en points tactiles (braille) ou encore en sons. Cet appareil a la forme d’une souris métallique dotée
d’une caméra liée à un microprocesseur qui convertit les caractères en son ou en forme braille accessible au
toucher en haut de la souris du Top-Braille. Cet appareil peut reconnaître même les couleurs au toucher. 21
Braille Sense : appareil qui accomplit plusieurs fonctions, parmi ces fonctions: la transcription et la conversion
des fichiers numérisés en braille décodables au toucher (avec la possibilité d’impression), la lecture sonore, le
traitement de texte et la gestion des fichiers dans la mémoire de l’appareil. Pour la fonction tactile, cet appareil
est équipé d'une plage Braille intégrée de 32 caractères permettant de lire les caractères en braille suite à la
conversion des données textuelles d’un PC ou d’un smartphone connecté par Bluetooth. Pour la deuxième
fonction, il s’agit de la synthèse vocale permettant d’orienter ou de convertir les fichiers textuels en fichiers
sonores. Et finalement, il permet de créer des documents ou des fichiers pouvant être stockés dans la mémoire de
l’appareil.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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est l’organisation de provenance de la majorité des bacheliers qui accèdent à l’université)
grâce à la prise en charge de l’établissement des imprimés en braille. Alors que dans le cadre
universitaire, les étudiants utilisent rarement les imprimés en braille faute d’une bibliothèque
braille ou à cause de la cherté des imprimés en braille non pris en charge par l’université.
D’ailleurs parmi les points qui sont les plus revendiqués dans la liste de recommandations,
nous citons la nécessité d’une bibliothèque braille ou une bibliothèque parlante :
« Créer une bibliothèque exclusivement pour les MNV là où les étudiants peuvent retrouver les cours
écrits en braille ou enregistré en audio. Et mettre en place tous les outils qui peuvent faciliter les
études pour les MNV.» (MV1)
« Mettre à disposition une bibliothèque qui contient toutes les leçons imprimées en braille ou des
documents numérisés convertibles en fichier sonore, et ce pour toutes les branches. En plus, des
livres, des dictionnaires et des encyclopédies en braille. » (MV20)
D’après les principales recommandations des étudiants MNV de l’université Hassan
II, nous soulignons l’importance d’une bibliothèque braille ou une bibliothèque parlante
comme alternative ; ce qui démontre la pénurie des imprimés en braille et l’inaccessibilité des
outils adaptés aux MNV. D’après certains MNV, les centres copies pour imprimer en braille
sont très rares et l’imprimante braille ou l’embosseuse est extrêmement chère. Certains l’ont
même souligné dans le cadre des besoins spécifiques des MNV :
« Pour les besoins des MNV : une imprimante Braille et des livres en braille. » (MV9)
Ceci dit, la rareté des ouvrages imprimés en braille ou encore le coût élevé de
l’impression en braille contraint l’étudiant à opter pour une méthode moins couteuse comme
les moyens de communication sonore.
En plus des limites logistiques, il y a certains étudiants NMV qui ne maîtrisent pas
cette méthode de reconnaissance tactile, soit parce qu’ils sont MV22
et ils peuvent lire et écrire
les caractères de l’alphabet ou parce qu’ils ont perdu la vue à un âge tardif. Après cet état des
lieux concernant les imprimés en braille, nous allons vérifier si les étudiants utilisent des
appareils pour coder le braille.
22
Les MV qui n’utilisent pas le braille font souvent recours aux logiciels d’agrandissement de l’écriture.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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1.2- LE CODAGE TACTILE : LE CLAVIER BRAILLE ET LE CLAVIER ALPHANUMERIQUE
Nous avons observé antérieurement que l’usage du décodage tactile à travers le braille est
très limité à la faculté. La question qui reste est de voir si la méthode du codage tactile est
maîtrisée ou utilisée par les MNV.
Nous entendons par le codage tactile l’ensemble des appareils permettant aux MNV de
sauvegarder les données à travers l’utilisation d’un clavier braille ou d’un clavier
alphanumérique. D’après le témoignage de certains étudiants, les appareils d’écriture en
braille comme la machine à écrire braille ou le natebraille23
font beaucoup de bruit, et certains
professeurs ne l’acceptent pas.
« Il fait du bruit et c’est trop lent. En plus, parfois on dérange les autres avec le bruit ; j’essaie seulement
d’enregistrer. » (MV4)
« Durant les cours, les professeurs ne laissent pas les MNV écrire en Braille, ils disent que ça fait du
bruit et que ça dérange. » (MV8)
La technique de codage tactile en braille durant les cours est rarement utilisée à cause du
bruit et la lenteur dans la prise des notes avec le clavier braille. Afin d’éviter le dérangement
provoqué par le bruit de l’appareil, certains MNV enregistrent les cours magistraux ‘si les
professeurs sont consentants’ afin de les réécouter ou pour les retaper en braille après les
cours. Le travail de codage ou de retranscription en braille est par conséquent reporté par
certains MNV, voici les techniques utilisées pour lire le cours avant de le retranscrire :
«Parfois j’imprime (les polycops tapuscrits ou manuscrits), ou je les prends de la librairie. Après, je
demande à quelqu’un (V) pour me les lire, puis il me dicte pour je puisse écrire en braille, ou bien je
l’enregistre pour l’écouter chez moi. » (MV4)
« Avec l’enregistrement ou bien les filles me dictent et j’écris en Braille…» (NV7)
Si les cours magistraux sont déjà enregistrés sur le dictaphone, les MNV demandent
rarement aux V de leur lire les polycops pour les enregistrer. Mais dans le cas où ces cours ne
sont pas enregistrés, les MNV demandent souvent aux V de leur lire les cours car ces cours
tapuscrits ou manuscrits sont rarement décodés par les logiciels de reconnaissance visuelle
comme les OCR. Donc, les MNV se voient obligés de mobiliser un V pour lire les cours avant
la retranscription. En plus de cette dépendance vis-à-vis du V, ce processus de codage tactile
prend beaucoup de temps comme le soulignent certains MNV :
23 Le BrailleNote : c’est un petit appareil qui a la principale fonction de prendre des notes en braille, et il y a
même la possibilité dans certains appareils sophistiquées de lire en braille les informations stockées.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« Il faut acheter le cours (le polycop) composé de 300 pages et l’écrire en braille ; ceci demande presque
un mois de travail chose qui n’est pas facile, la seule solution c’est d’enregistrer les cours ... » (MV13)
« Si le jour dure 24 heures (pour les voyants), je dirais qu’il nous faudrait (non-voyants) 48 heures… Je
dois enregistrer sur le dictaphone, écouter les différents points du cours, puis écrire en braille, finalement
je révise.» (MV16)
Nous avons remarqué que cette technique nécessite beaucoup de temps pour les
étudiants qui reportent la transcription. En plus, l’énumération des différentes étapes avant le
codage tactile démontre que les MNV mobilisent plus de temps que les V pour pouvoir
écouter et écrire les cours. D’ailleurs l’étudiant MV16 exprime sa souffrance à cause de la
longue période passée pour convertir ses notes sonores en notes tactiles. En plus de la
contrainte temporelle, une autre contrainte d’ordre matérielle s’impose car l’impression d’une
feuille braille est plus volumineuse qu’une feuille avec des caractères textuels.
« Par exemple : pour une feuille écrite au stylo, il faudrait à peu près 5 feuilles imprimées en braille,
donc ça prend plus de temps.. » (MV19)
Pour le cas des MNV arabisants, Les documents écrits en arabe demandent plus de
volume lors de la transcription en braille ; et cela dépend aussi des lettres (consonnes) arabes
si elles sont retranscrites avec les mouvements ḥarakat (voyelles) ou pas. Devant
l’engagement temporel et matériel pour l’impression des documents en braille, les étudiants
ne sont pas très motivés par la méthode de codage tactile en braille, sachant que l’impression
des documents en braille est très couteuse.
Comme autre alternative, certains étudiants utilisent le clavier de l’ordinateur
(alphanumérique) pour prendre leurs notes et sauvegarder leurs fichiers et documents
numérisés. Cet étudiant expose les limites de l’utilisation de cette technique :
« Pour moi, je tape mes notes sur le clavier de l’ordinateur car je connais l’emplacement des touches
alphanumériques avec précision, et après je convertis le fichier tapé en notes sonores. Pour la prise
de notes en classe, il faudrait avoir un ordinateur avec une bonne batterie, et il faudrait être très
rapide dans la saisie. » (NV24)
Parmi les étudiants qui gèrent les données numériques, nous avons remarqué que
l'exploitation du PC est très faible en classe ; faute de moyens financiers pour se procurer un
PC portable ou faute de batterie de longue durée. Malgré les ressources financières limitées de
certains étudiants qui ne possèdent pas de PC, nous pouvons dire que l’utilisation de la
transcription numérique constitue une nouvelle alternative de codage tactile grâce au clavier
alphanumérique où l’emplacement des touches est maîtrisé par certains MNV. En guise
d’éclairage, certains MV font même appel aux logiciels d’agrandissement comme ces MV :
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« Il y a un centre de copies où les professeurs déposent leurs cours, et s’il en manque je peux demander à
des amis. Donc, je les scanne et je les insère dans des fichiers sur ordinateur pour agrandir l’écriture. »
(MV11)
« Et dans d’autres matières, il y a une fille qui a une écriture acceptable qui dépose ses prises de notes
dans le centre copie, je les photocopie… Après, je peux lire après agrandissement » (MV18)
Ces témoignages démontrent que certains MV ont la possibilité de recoder l’écriture
après avoir scanné les cours et agrandi grâce à des logiciels d’agrandissement sur l’ordinateur.
En plus de cette méthode qui concerne une minorité de MV qui peuvent lire, la possibilité du
codage tactile numérique permet à un grand nombre de MNV de créer des fichiers «format
texte » décodables grâce à la conversion tactile24
ou sonore25
; cette technique est réalisable
grâce aux lecteurs d’écran que nous allons développer dans cette deuxième sous-partie.
2) L’UNIVERS DE LA COMMUNICATION SONORE : LES LECTEURS D’ECRAN ET LES
LOGICIELS DE RECONNAISSANCE VOCALE
Les nouvelles technologies de l’information présentent plus de perspectives
d’autonomisation pour les MNV et ce, principalement grâce aux lecteurs d’écran qui ont
favorisé l’accès aux moteurs de recherche dans différentes langues. Ces nouveaux moyens de
communication ont aussi contribué au développement des réseaux relationnels entre MNV ;
surtout à travers les réseaux sociaux ou les messageries électroniques qui leur permettent de
partager les informations ou les documents textuels convertibles en données sonores. Malgré
l’efficacité de ces logiciels de conversion sonore au niveau des smartphones ou des
ordinateurs, ces logiciels pour MNV ne sont pas généralisés pour différentes raisons ; allant
des contraintes économiques au manque d’intérêt porté à ces outils durant les cours
d’informatique à la faculté. Dans ce sens, nous avons demandé aux étudiants MNV de
l’université HassanII de nous citer les différents logiciels de décodage sonore, leur fréquence
d’utilisation ainsi que leurs finalités.
2.1- Le décodage sonore
Nous entendons par le décodage sonore, les logiciels ou les lecteurs d’écran qui
permettent de convertir les données textuelles en données sonores. D’après les étudiants
interrogés, les logiciels les plus utilisés par les MNV sont : JAWS, NVDA, Ibsar, Leila,
Selma et Mehdi. Et comme logiciel utilisé en parallèle, nous citons des logiciels comme
24
Conversion tactile grâce à l’impression ; faute d’outils technologiques de lecture sur des appareils comme le
Braille Sense ou le Top-Braille. 25
Conversion sonore réalisable grâce aux lecteurs d’écran comme le JAWS, le NVDA, IBSAR, Leila et Selma
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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l’Acapella26
pour le choix de la voix féminine ou masculine. En plus, certains étudiants MNV
utilisent des logiciels intermédiaires pour convertir certains textes scannées à des formats
reconnus comme le word. Ces logiciels nommés OCR pour la reconnaissance optique des
caractères, ou encore appelé vidéocodage facilitent la conversion des données textuelles
scannés. Cependant, ces derniers logiciels ne permettent pas de traduire les textes avec
précision, et l’accès à la reconnaissance des images est encore en cours de développement. En
plus des logiciels adaptés aux ordinateurs, il existe d’autres logiciels intégrés comme
application de lecture sonore dans certains smartphone comme l’IPhone ou autres
smartphones qui introduisent l’option du narrateur pour lire les applications et les messages.
D’après les entretiens réalisés avec les étudiants de l’université Hassan II, nous avons
constaté que la majorité connait les logiciels et les utilise souvent. Pour ceux qui ont une
connaissance limitée des logiciels ou l’utilisent parfois, nous avons appris que ces derniers
n’avaient pas les moyens économiques ou ils n’avaient pas eu l’occasion de les étudier durant
les cours d’informatique. Et parmi ceux qui l’utilisent souvent, la plupart d’entre eux
priorisent les études puis ils laissent la distraction en deuxième plan et la communication en
dernier plan. Voici les témoignages de certains MNV à ce propos :
« Tu peux tout faire avec JAWS, tu peux écrire et tout, il peut aussi enregistrer les cours sur le PC.
La technologie est développée ce sont les mentalités qui doivent changer. » (MV8)
« J’apprécie le fait que certains professeurs travaillent avec l’ordinateur et les outils de technologie.
Je les aborde en leur demandant de me donner les cours sur une clé USB, chose qu’ils acceptent.
Après, je lis les cours par le logiciel JAWS. » (MV14)
Le logiciel JAWS est le lecteur d’écran le plus utilisé par les MNV de l’université.
Cependant la nécessité d’avoir des documents numérisés s’impose car le JAWS ou les autres
logiciels de conversion sonore ne peuvent lire que les documents tapuscrits et numérisés ;
c’est pour cette raison que la collaboration des professeurs est souhaitable afin d’obtenir les
cours numérisés. Parmi les autres supports numériques, nous citons les moteurs de recherche
où les étudiants peuvent réaliser leurs recherches sans demander aux V la lecture des polycops
manuscrits, comme le relate ce NV :
« Je m’en passe des cours, je prends connaissance des matières, des chapitres à étudier puis je fais
mes propres recherches sur internet, je trouve que c’est plus intéressant. Car si je prends le polycop,
26 Logiciel acapela virtual speaker : logiciel sonore développé par le groupe Acapela (expert européen de la voix)
pour faire parler les contenus dans 25 langues y compris l’arabe.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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je ne sais quoi faire, je dois chercher quelqu’un pour me lire, ce qui n’est pas toujours possible. Donc
je préfère travailler sur internet et de temps en temps travailler avec les amis. » (NV25)
En plus des moteurs de recherche, nous citons les pages des réseaux sociaux ou encore
les sites internet de partage de documents. Les témoignages suivants relatent l’efficacité de
ces techniques de partage:
« Il s’agit d’un groupe (sur le réseau social Facebook) auquel les étudiants de 1ère année ont accès.
Tu peux y accéder en intégrant ton nom d’utilisateur, puis l’administrateur t’accepte. Les membres
de ce groupe partagent les documents du cours ; ils sont par conséquent téléchargeables sur le net.
Dans d’autres cas, je demande à un intermédiaire de m’enregistrer les documents sur une clé USB
ou sur un CD… » (NV2)
« Il y a une initiative que les étudiants ont déjà mis en marche et que j’ai appréciée et encouragée,
c’est un étudiant qui a proposé de créer un site internet destiné aux étudiants et dans lequel les cours
seront publiés. Je l’ai contacté et j’ai proposé que tous les cours soient enregistrés et publiés dans le
site et que l’enregistrement et la diffusion soient instantanés pour que l’étudiant absent soit à jour.
Cette idée marche très bien sauf quelques retards dans la diffusion. » (NV27)
L’efficacité de ces modes de diffusion s’explique par la facilité d’accès aux documents
numériques (textuels ou sonores) et la rapidité dans l’accès à l’information. Malgré certains
retards dans la diffusion de l’information ou dans l’envoi des documents, cette technique de
partage des documents s’avère très utile surtout que les documents numérisés sont facilement
lus par les lecteurs d’écran ou les logiciels de conversion sonore.
Il parait évident que l’utilisation de ces logiciels de conversion sonore atténuent la
dépendance ou l’assistance demandée aux voyants concernant la lecture des documents
tapuscrits numérisés, sachant que les documents manuscrits ne sont pas toujours décodables
par les OCR. Nous avons aussi déduit que les contraintes financières empêchent certains
étudiants MNV de disposer d’un ordinateur avec ces logiciels sonores ; ce qui entrave leur
autonomie et perpétue leur recours à l’aide des voyants pour la lecture des documents, ou
encore ils cèdent à la facilité du codage sonore grâce aux enregistrements des cours après la
demande du consentement de l’enseignant.
2.2- LE CODAGE SONORE :
Nous entendons par le codage sonore l’ensemble des outils utilisés pour sauvegarder
les données sonores. Grâce aux nouveaux logiciels de reconnaissance vocale comme Speech
and Recognition et Dragon Naturally speaking ou encore les applications de reconnaissance
vocale « Talk » sur ordinateurs, tablettes et smartphones, il y a la possibilité de dicter les
données sonores qui peuvent être converties en texte. Cependant cette démarche de codage
reste méconnue ou inaccessible pour les étudiants de l’université Hassan II. La méthode
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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classique pour sauvegarder les données est l’enregistrement à travers le dictaphone. Par
conséquent, la technique d’enregistrement comme moyen de codage sonore reste la principale
technique de codage de l’information pour les MNV. Les raisons derrière l’utilisation massive
de cette technique de codage sonore sera développée dans le chapitre suivant.
En définitive, les logiciels les plus utilisés sont ceux liés au décodage sonore comme
les lecteurs d’écran JAWS et NVDA. Par contre les logiciels de reconnaissance vocale ne sont
pas très développés dans toutes les langues et difficilement accessibles. Il est clair que
l’éventail de logiciels offerts par les nouvelles technologies offrent de nouveaux moyens
d’autonomisation pour les MNV, mais il y a d’autres axes d’amélioration au niveau des
logiciels pour développer certains codes qui ne sont pas toujours convertibles par les OCR
comme : l’image ou les textes manuscrits.
En guise de conclusion, les moyens de communication tactiles et sonores ‘adaptés aux
MNV’ permettent de réduire le handicap de communication. En l’absence d’œil électronique
qui puisse rétablir la déficience visuelle, les outils précités sont les seuls capables de favoriser
l’autonomie dans la lecture et l’écriture chez les déficients visuels. À part les logiciels de
conversion tactile et sonores, certains MV utilisent les logiciels d’agrandissement de
caractères, mais cette technique reste très rare et relative au degré d’atteinte visuelle de
chaque MV.
Finalement, la prévalence de l’usage des moyens de communication sonore au
détriment des moyens de communication tactile s’explique par la facilité d’accès à certains
logiciels sonores par opposition aux outils tactiles qui sont difficilement accessibles. Cette
inaccessibilité est justifiée par la non disponibilité d’une imprimante braille chez les étudiants
ou faute d’une bibliothèque braille ou d’un centre copie braille. Bien qu’il existe des outils de
haute technologie qui permettent de convertir les données textuelles en données tactiles
comme la souris Top-Braille ou l’appareil Braille Sense, ces derniers sont méconnus ou
inaccessibles pour les étudiants de l’université HassanII Casablanca. D’autres projets pour les
MNV sont en cours de développement à différente échelle à travers le monde, il s’agit d’outils
de haute technologie comme la canne roulante munie d'un GPS ou les appareils de conversion
des données graphiques et textuelles en surface tactile grâce à des supports gonflables qui
permettent de transformer les images et les textes sélectionnés en formes et reliefs imprimés
en 3D. L’évolution de tous ces outils tactiles et sonores favorise non seulement l’accessibilité
de l’information mais elle contribue aussi à l’autonomisation progressive des MNV.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Vu l’accessibilité limitée ou réduite des outils technologiques pour les étudiants MNV
de l’université Hassan II, nous allons citer dans le chapitre suivant les méthodes et les outils
traditionnels pour l’apprentissage comme le dictaphone.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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VI- PEDAGOGIE ET ENREGISTREMENT DES COURS
Parmi les divers pratiques et outils utilisés par les étudiants MNV à l’université, nous
nous sommes intéressés plus particulièrement à l’enregistrement sonore ; une pratique
courante et privilégiée chez la totalité des étudiants aussi bien de la FLSH que ceux de la
FSJES. En effet, cette pratique garantit l’accès aux apprentissages avec une certaine
autonomie. Cependant, elle se heurte à deux problèmes majeurs: le refus de certains
enseignants d’être enregistrés pendant le cours, et le besoin d’une autre personne (étudiant
voyant, ami, membre de la famille) pour faire l’enregistrement des cours, chose que plusieurs
étudiants en situation de handicap visuel considèrent comme un frein à leurs apprentissages.
Pour analyser les récits des « étudiants en situation de handicap visuel » concernant
l’utilisation des enregistrements sonores et les difficultés qu’ils rencontrent, nous allons faire
appel à la notion de « coopération »27
qui intervient dans la relation de l’étudiant en situation
de handicap visuel avec ses pairs, son entourage familial et affectif qui agissent comme des
« tuteurs ». Avant de jeter la lumière sur la méthode d’enregistrement des cours, nous allons
présenter le rôle de la pédagogie différenciée pour les MNV.
1) PEDAGOGIE DIFFERENCIEE : UNE GARANTIE POUR L’EGALITE DE L’ACCES A
L’INFORMATION
La pédagogie différenciée est une pédagogie qui permet à des personnes qui n’ont pas
les mêmes capacités ni les mêmes compétences de bénéficier d’une façon égale des mêmes
enseignements. C’est une pédagogie qui reconnait les multiples différences qui existent entre
les étudiants-es. Dans ce cadre, elle s’oppose fortement à la pédagogie traditionnelle qui
déploie un enseignement « uniforme » en utilisant les mêmes outils et les mêmes contenus.
Ainsi les étudiants-es en situation de handicap visuel (MV et NV) à l’université souffrent de
l’inadaptation des enseignements qui répondent pas à leurs besoins. Le fait qu’ils n’aient pas
accès aux informations visuelles les écarte en quelque sorte du processus d’apprentissage.
27 DEJOURS (1993) définit la notion de « coopération » comme les liens qu’établissent des individus ensemble
afin d’accomplir volontairement un travail commun. Il ajoute que cette définition s’attache au fait que : « la
notion de liens qui associent les agents entre eux, implique des relations d’intercompréhension,
d’interdépendance et d’obligation ». Dejours, Christophe., (1993) « Coopération et construction de l’identité en
situation de travail » consultation en ligne
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« Je pense qu’on est trop nombreux dans cette branche, 2ème problème c’est qu’on ne prend pas en
considération les niveaux des étudiants, il y a certains qui ont fait ta’lim assil qui sont plus avancés,
et en plus il n’y a pas de classification selon les niveaux, soit en fonction du bac ou en fonction de
ceux qui ne voient pas bien, tout est mélangé. » (MV18)
«Le seul problème qui se pose c’est lorsque le professeur explique le cours sur le tableau, on sent
qu’il ne s’adresse pas à nous mais aux étudiants voyants, nous on se base sur l’ouïe donc si le
professeur utilise le tableau il doit au moins utiliser le micro notamment lorsqu’il s’agit d’amphi »
(MV1)
Les études à l’Université posent tout d’abord le problème de l’effectif. La présence des
étudiants-es en situation de handicap visuel en nombre limité dans des amphis avec des
centaines d’étudiants-es voyant fait triompher les principes de l’uniformité et de la normalité.
Ainsi les apprentissages sont dispensés en fonction des étudiants les plus représentatifs.
Ensuite, les étudiants dans le même groupe n’ont pas le même niveau de connaissances. Les
étudiants-es en situation de handicap visuel se trouvent dans l’obligation de compenser avec
un travail et des recherches personnelles, chose qui n’est pas facile en l’absence d’outils de
travail appropriés à leur handicap.
« Le problème que j’ai trouvé dans cette filière c’est que chaque professeur nous demande de lire un
ouvrage de référence, mais ces ouvrages n’existent pas en braille donc nous nous limitons au cours
donné. » (NV26)
Enfin, les supports utilisés pour les enseignements au sein de l’université sont
généralement des supports traditionnels qui se basent sur le visuel. Et ce, malgré l’effort de
quelques enseignants-es d’introduire l’usage du Power Point comme nouvelle technique. Il
reste que les enseignements ne répondent pas aux besoins des étudiants-es en situation de
handicap visuel.
1.1- LA RELATION ENSEIGNANT -E/ETUDIANT -E :
L’interaction enseignant -e/ étudiant -e reste au cœur de tout enseignement, qu’il
s’agisse d’un modèle d’apprentissage traditionnel, d’une pédagogie intégrée ou différenciée.
La relation tissée entre l’enseignant -e et l’étudiant -e en situation de handicap visuel permet
de créer de nouvelles passerelles d’apprentissage à travers l’échange, le dialogue et surtout la
proposition et la négociation de nouvelles méthodes.
Ainsi l’absence d’interaction peut accentuer le problème d’accès aux apprentissages.
Les enseignants ne sont pas sensibilisés aux problèmes d’apprentissages des étudiants-es en
situation de handicap visuel. Le manque de disponibilité et d’écoute des enseignants-es et le
renoncement des étudiants à faire part de leurs obstacles d’apprentissage convaincu de
l’inutilité de leur démarche, laisse certainement échapper l’opportunité de faire des
remédiations et de chercher des solutions adéquates.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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« Je ne pense pas qu’il y ait un professeur qui ait adressé la parole un jour à un étudiant non voyant.
Il n’y a pas de contact entre les deux.
Parfois c’est dû à l’étudiant qui est intraverti mais d’autres fois, c’est dû aussi au professeur qui
veut juste assurer son heure et demi de travail et partir rapidement après. Il n’a pas le temps de régler
ou d’entendre les problèmes d’un non voyant. » NV13
L’analyse des récits recueillis auprès des étudiants-es en situation de handicap visuel,
non-voyants et mal voyants, montre que dans le cas où ces derniers communiquent leurs
obstacles aux professeurs, deux réactions sont à enregistrer : L’indifférence ou la coopération.
1.2- LA NOTION DE « COOPERATION » ENTRE ENSEIGNANT-E/ ETUDIANT-E :
Travailler avec une pédagogie différenciée, rappelons-le, signifie individualiser les
enseignements et les adapter aux besoins des étudiants –es en situation de handicap visuel.
Une approche qui ne peut se réaliser sans passer par l’écoute, l’interaction et le dialogue
mutuel afin de trouver d’éventuelles solutions aux obstacles d’apprentissage.
Véronique CARRIERE remarque que « même si certains enseignants refusent
d’adapter leur support, la plupart d’entre eux apportent volontiers leur soutien aux
étudiants »28
ce qu’elle qualifie par « coopération », notion qui nait de l’interaction entre
enseignants-es et étudiants-es. Pour définir cette notion, elle adopte la définition de
Montangero et Maurice Naville « la coopération au sens général consiste dans l’ajustement
de la pensée ou des actions personnelles à celles des autres, avec une mise en relation
réciproque des perspectives »29
.
Les étudiants en situation de handicap visuel interviewés ont relevé également ce
genre de « coopération » de la part de certains professeurs. Le cas le plus marquant est celui
du professeur des Etudes Islamiques qui a fait l’enregistrement d’un ouvrage de référence de
sa propre voix sur CD, spécialement pour les étudiants-es en situation de handicap visuel afin
de leur faciliter l’accès au contenu.
« Il y a un professeur que j’aimerais bien remercier car il a fait une bonne initiative. Il nous a fait
(« nous » renvoie aux étudiants non-voyants), l’enregistrement du livre sur lequel nous allons
travailler avec sa propre voix afin de nous faciliter l’accès, il l’a fait exprès pour les étudiants NV. » (NV 26)
28 CARRIERE, V., Apprentissage médié par les TICE :le cas des étudiants déficients visuels, thèse de doctorat,
8 juin 2012, p 182 29 CARRIERE, V., La pédagogie différenciée : un processus coopératif entre enseignant et étudiant déficient
visuel, p. 4, consultation en ligne le 10/03/2014
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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La «coopération » entre Professeurs et Etudiants peut contribuer à faciliter l’accès aux
apprentissages puisqu’elle ouvre la voie vers des initiatives, même individuelles, qui
répondent aux besoins fondamentaux des étudiants-es en situation de handicap visuel.
Il faut noter que la notion de « coopération » intervient également dans les relations de
pairs (Etudiant-e en situation de handicap visuel à Etudiant-e voyant) quand il s’agit de
convertir les polycopiés en Word ou notamment pour l’enregistrement des cours format audio.
1.3- DE L’INDIFFERENCE AUX DIFFERENCES, AUX INEGALITES D’APPRENTISSAGES30
Les enseignants -es ignorent parfois la présence de ces étudiants-es en situation de
handicap visuel dans leur classes vu le grand nombre d’étudiants par groupe (surtout dans les
filières de littérature Arabe et des Etudes Islamiques à la FLSH et la filière du Droits à la
FSJES où le nombre d’étudiants dépasse parfois les 300 par groupe). Mais, quand ils sont
avertis de leur présence par le contact direct de ces derniers, les enseignants-es restent
indifférents à cette situation.
« On aurait aimé avoir une cellule spéciale dans l’administration pour les étudiants NV. Cette cellule
sera responsable de la relation entre l’étudiant et le professeur. Elle peut prévenir le professeur à
l’avance de la présence de l’étudiant NV dans son groupe pour qu’il te permette au moins de suivre
les cours avec un peu plus d’intérêt de la part du professeur » (NV26)
« Tu parles au professeur mais il te répond qu’il ne peut rien pour toi, il te dit « qu’est-ce que tu veux
que je fasse pour toi ? Tu es comme les autres (bhalek bhal lakhrin) » » (NV28)
L’indifférence des enseignants-es peut être expliquée selon les étudiants-es en
situation de handicap visuel par deux faits : la méconnaissance des implications didactiques à
la déficience visuelle et l’utilisation limitée des TICE.
En effet, certains étudiants interviewés relèvent l’absence de formation des professeurs
en matière de communication et d’implication didactique en faveur des personnes en situation
de handicap visuel. Les professeurs habitués à des classes de personnes normales, ne sont pas
sensibilisés aux méthodes d’enseignement adaptées à cette catégorie.
« Il faut que les professeurs soient conscients des différences des étudiants, il faut consacrer des
séances de formation pour les professeurs car c’est difficile pour un professeur qui n’a jamais eu
contact avec un NV de lui dispenser un enseignement. Certains se trouvent dans une situation où ils
ne savent pas comment faire et c’est à l’étudiant NV de chercher une stratégie pour s’adapter au
professeur. » (NV26)
En outre, L’absence ou l’utilisation limitée des TICE freine le processus
d’apprentissage chez les étudiants -es en situation de handicap visuel qui utilisent de plus en
30 « L’indifférence aux différences transforme les inégalités initiales devant la culture en inégalités
d’apprentissage, puis de réussite scolaire comme l’a montré Pierre Bourdieu [1966] » Perrenoud,
Philippe, Pédagogie différenciée, Issy-les-Moulineaux, ESF éditeur, 1997, p. 9
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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plus l’outil informatique (plage braille, synthèse vocale, logiciel de navigation internet,
dictaphone…).
L’enseignement à l’université se fait généralement à travers les explications orales ou/
et écrites données en cours, les polycopiés quelquefois manuscrits et les lectures (Livres-
revues- ouvrages généraux…). Sauf pour l’explication orale, il est basé sur des supports
visuels non adaptés aux besoins des étudiants –es à déficience visuelle ; cependant même les
explications orales qui posent autrement le problème de prise de note. Ce décalage entre les
méthodes utilisées par les enseignants-es à l’université et les besoins des étudiants-es en
situation de handicap visuel en matière d’adaptation des contenus aux nouvelles techniques
informatiques constitue un obstacle majeur pour ces derniers, et accentue les inégalités
d’apprentissage.
« Tout enseignement est intéressant, mais pour un NV, il doit faire beaucoup d'effort, un double
effort pour y arriver et pouvoir être au niveau des autres, des Voyants car c'est un enseignement
basé sur l'écrit c'est-à-dire le visuel, alors que nous nous basons sur l'écoute. » (NV 25)
« On trouve des difficultés pour l’accès aux livres. Si tu veux juste valider les modules, tu peux te
contenter des polycops. Mais si tu veux améliorer ton niveau, il faudrait lire plusieurs ouvrages. Il
faudrait les scanner et les agrandir dans le PC » (MV 18)
« On demande qu’ils (les professeurs) nous enregistrent le contenu en version Word sur une clé
USB, ils refusent sous prétexte qu’ils ne disposent pas des contenus en Word. » (NV28)
Face à cette situation, la totalité des étudiants –es en situation de handicap visuel
adoptent la méthode d’enregistrement des cours à l’aide d’un dictaphone, seul moyen en leur
possession pour assurer le suivi des cours d’une façon régulière mais qui se heurte à d’autres
problèmes.
2) L’ENREGISTREMENT SONORE, UNE STRATEGIE D ’ACCES AUX APPRENTISSAGES
POUR LES ETUDIANTS-ES EN SITUATION DE HANDICAP
L’absence d’une pédagogie d’enseignement adaptée aux besoins des étudiants-es en
situation de handicap visuel, à laquelle s’ajoute le manque d’initiation aux nouvelles
techniques en informatique font de l’enregistrement sonore l’outil le plus utilisé par la
totalité de ces derniers.
Cependant, l’utilisation de cet outil avec tout ce qu’il présente comme opportunités
d’apprentissage n’est pas sans inconvénients pour les étudiants-es en situation de handicap
visuel. Des inconvénients liés non seulement au matériel et à la logistique mais également
d’ordre interactionnel et social.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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2.1- LES DIVERSES UTIL ISATIONS DE L’ENREGISTREMENT SONORE:
Le recours des étudiants en situation de handicap visuel à l’enregistrement sonore des
cours rentre dans un mode de compensation du déficit visuel par le développement de la
capacité auditive ce qui nous renvoie à la notion de « résilience ».
La résilience dans le cas de ces étudiants-es consiste en leur capacité de s’adapter et
adapter leurs moyens biologiques, psychologiques et matériels afin d’affronter leur
difficultés31
. La notion de résilience ne s’arrête pas sur les déterminants biologiques et
psychologiques mais elle intervient aussi pour l’adaptation des moyens matériels.
L’analyse des récits des étudiants-es en situation de handicap visuel autour de la
question de l’enregistrement sonore montre qu’ils utilisent tous cet outil. Certains le
combinent avec le braille ou avec des logiciels informatiques Jaws, Tucks, Laila ou Salma.
« Je dois enregistrer dans le dictaphone, écouter les différents points du cours, écrire le braille après
je révise. » (MV16)
« Comme j’ai dit, moi je ne me base pas sur les cours, je fais mes recherches via internet avec des
logiciels de navigation et j’essaye en classe d’enregistrer le maximum d’explications mais je travaille
beaucoup hors classe. » (NV27)
D’autres font de lui le seul élément d’apprentissage. En effet, tous les étudiants-es de
notre enquête ne maîtrisent pas le braille surtout ceux qui ont perdu la vue à l’âge adulte et qui
n’ont pas passé par l’OAPAM. En plus, plusieurs étudiants-es ne sont pas initiés à l’utilisation
des techniques informatiques. Pour cette catégorie, le seul moyen de prendre des notes en
classe ou en amphis est de faire un enregistrement sonore.
« Il n’y a pas de version audio des livres et en plus si on trouve le livre sur internet et si quelqu’un
met une recherche sur internet, c’est en version PDF et non en Word, alors que les logiciels dont
nous disposons ne font pas la lecture des documents PDF. Ensuite, il y a plusieurs NV qui ne
maitrisent pas les logiciels ils ont l’habitude d’étudier à travers l’écoute, ils ont appris cela dès leur
jeune âge » (NV18)
L’enregistrement est un moyen de convertir les supports visuels écrits (polycopiés,
livres, synthèses) en supports auditives plus accessibles aux étudiants-es en situation de
handicap visuel, ce qui permet d’y revenir plus tard pour la préparation aux examens.
« Je prépare également avec ma fiancée, elle s’est adaptée à mon rythme de travail et on travaille
bien ensemble, elle me lit les polycopiés on fait ensemble les synthèses puis je les enregistre, après je
les réécoute une fois seul » (NV28)
Outre la possibilité de l’accès par audition aux cours, l’enregistrement sonore est très
courant chez les étudiants-es en situation de handicap visuel grâce à son coût matériel réduit.
31 ANAUT, M., La résilience, Surmonter les traumatismes, Paris, Nathan, 2003, p.33
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Les étudiants peuvent utiliser un dictaphone, un magnétophone et dans certains cas ils
utilisent leurs téléphones portables ce qu’on peut qualifier comme « résilience matérielle » qui
réduit le coût des apprentissages et encourage les étudiants NV et MV à s’engager dans les
études universitaires.
« Donc je n’ai pas terminé les études car pour moi la première contrainte c’était comment j’allais
faire pour le trajet c'est-à-dire comment je pouvais aller et venir de la fac, deuxièmement comment
j’allais écrire les cours alors que je ne connaissais pas le braille et si je devais enregistrer, comment
je pourrais faire en plus que c’était couteux car il n’y avait pas encore ces nouvelles technologies, on
avait besoin d’un magnétophone qui marchait avec des cassettes et qui nécessitait un budget ce que
je n’avais pas. » (NV27)
2.2- LES LIMITES DE L’UTILISATION DE L’ENREGISTREMENT SONORE :
L’enregistrement sonore est un outil qui permet aux étudiants-es en situation de
handicap visuel l’accès aux apprentissages. Cependant, cette méthode se heurte à plusieurs
obstacles dont le plus exprimé dans les récits est le refus de certains professeurs qu’ils soient
enregistrés pendant les séances.
« Il y a un professeur qui n’a pas apprécié d’être enregistré pendant les cours et quand on lui a
expliqué que cet enregistrement sera au profit des NV, il a dit aux étudiants « vous pouvez les aider
vous-mêmes et coopérer avec eux pour l’accès aux cours sans enregistrement », je ne sais pas
pourquoi, peut être que ça le dérange ou quoi ! » (NV27)
Les étudiants-es expliquent les causes du refus par le fait que certains professeurs
abordent, selon la matière enseignée, des sujets sensibles, ainsi ils refusent de laisser une trace
sonore de leurs propos. D’autres trouvent que c’est par manque d’intérêt de la part de ces
professeurs à la situation de l’étudiant en situation de handicap visuel.
« Il y a des professeurs qui refusent d’être enregistrés et l’expliquent cela par le fait que le contenu
des cours est sensible, il peut toucher le gouvernement, la législation…ils refusent que cela fait
l’objet d’un enregistrement vocal et nous demandent de prendre les notes des autres étudiants à côté
du polycop déposé déjà au centre de copie » (NV28)
« J’ai également l’enregistrement d’un professeur qui a refusé que le dictaphone soit mis devant lui,
il a dit que cela perturbe ses idées. » (NV28)
Le refus de certains professeurs des enregistrements sonore entrave la relation avec
l’étudiant-e, limite l’interaction et accentue la dépendance de ce dernier. Cependant,
l’enregistrement sonore n’est pas vraiment un outil favorable à l’autonomie des étudiants-es
en situation de handicap visuel puisqu’ils ont toujours besoin de personnes voyantes
(Camarades, amis-es, membres de la famille) pour leur faire la lecture ou l’enregistrement des
polycops ce qui nous renvoie encore une fois à la notion de « coopération » mais cette fois
dans le cercle familial ou celui de pairs.
« La plupart des profs peuvent te laisser le cours chez des centre de photocopie, je prends ces cours et
je les ramène chez moi, il y’a mes frères et sœurs qui me les lisent et je les enregistre sur le
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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dictaphone. J’ai deux sœurs et un frère ; ma sœur à une licence en anglais et mon frère bachelier et
qui travaille dans une société, ma sœur a un niveau baccalauréat, parfois ce sont mes amis dans la
cité universitaire qui m’aident à enregistrer. » (NV9)
Le fait d’avoir besoin de personne disponible pour assurer la lecture et
l’enregistrement impose aux étudiants en situation de handicap visuel d’entretenir
continuellement des relations avec les amis-es et parfois crée un sentiment de redevabilité.
« Il y a des NV qui refusent de partager les enregistrements avec les voyants. Moi j’essaye d’être
compréhensif vis-à-vis de tout le monde, je cultive mes relations avec le bon comportement, je
m’excuse toujours auprès des personnes qui me rendent des services et je multiplie les
remerciements, et si j’ai l’occasion de rendre le service je le fais même en payant un café » (NV28)
Il faut noter que le niveau scolaire des frères et des sœurs influe parfois le choix de la
filière des étudiants-es en situation de handicap visuel. Ainsi plusieurs d’entre eux n’optent
pas pour les filières de langue étrangères à cause de cet obstacle.
Finalement, l’enregistrement sonore demande aux étudiants-es en situation de
handicap visuel beaucoup de temps pour écouter les enregistrements, faire les synthèses
enregistrer les synthèses, les réécouter encore une fois sans oublier les enregistrements
réalisés peuvent être de très mauvaise qualité.
« Le cours dure environ 1heure et demi, on a deux cours par jour c'est-à-dire 3 heures de suite et
puisque je n’écris pas en braille donc j’enregistre et pour réécouter les enregistrements ça me prend
3 autres heures tout en cherchant quelqu’un d'autre pour lui dictée la synthèse si je ne trouve
personne c’est un problème car je dois écrire la synthèse pour éviter d’écouter tout l’enregistrement.
Enregistrer la synthèse est impossible car cela demande la présence de deux dictaphones le premier
en marche et le deuxième pour enregistrer ma voix et qui doit être de bonne qualité. » (NV27)
« Mais là, je me base sur l’enregistrement mais parfois la qualité de l’enregistrement est très
mauvaise si le dictaphone n’est pas mis juste à côté du prof, ensuite écouter les enregistrements est
une tâche qui n’est pas facile cela demande beaucoup de temps et d’effort de concentration (…)
parfois j’enregistre également les discussion en aparté des personnes à côté de moi, deux filles qui
parlent du maquillage, des catalogues de beauté alors que je n’ai pas le droit de leur demander de se
taire pendant le cours » (NV28)
L’absence d’une pédagogie différenciée adaptée aux besoins des étudiants en situation
de handicap visuel font de l’enregistrement sonore des cours le moyen d’apprentissage le plus
utilisé à l’université. Cependant, c’est un outil à la fois apprécié et critiqué de la part des
étudiants-es qui doivent chercher continuellement des personnes qui acceptent de faire la
lecture ; ce qui accentue le sentiment de dépendance et crée des conflits. Pourtant, certains
étudiants-es non-voyants relève le fait que beaucoup d’étudiants voyants viennent solliciter
leurs enregistrements, un acte qui renforce le sentiment d’inégalité.
Après avoir étudié la pédagogie différenciée qui pourrait renforcer l’égalité des
chances des MNV à l’accès aux méthodes et aux outils adaptés à leur déficience, nous nous
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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projetons dans les perspectives d’avenir et plus particulièrement dans le métier d’avenir
adapté aux MNV.
VII- DE L’AVENIR ET DE SA PERCEPTION CHEZ DES JEUNES MAL OU NON-
VOYANTS
Dans cette partie, nous lions la situation des MNV au concept de « pont et porte »32
de
Simmel pour décrire la situation de passage ou de transit. La liminalité peut être utilisée
comme un concept descriptif d’une situation intermédiaire mais cette description est plutôt
statique. Tandis que la métaphore du « pont et porte » permet d’apporter une description plus
dynamique de cette situation. Le pont implique un parcours et un mouvement. La porte
implique l’existence d’un seuil, concept utilisé d’ailleurs au sein de la théorie de la liminalité,
et d’une action d’ouverture de cette porte ou au moins une tentative de le faire. Pour Simmel
« le pont va montrer comment l’homme unifie la scission de l’être purement naturel, et la
porte, au contraire comment de cet être naturel il scinde l’uniformité continue » (Simmel,
1909). Nous essayons ainsi de montrer comment des MNV se représentent l’avenir à partir de
cette métaphore.
L’analyse des récits des MNV autour de leur perception de l’avenir montre que ces
perceptions peuvent être analysées aussi bien comme étant une situation liminaire et un
passage ou non réussi du Pont vers la Porte. Nous avons regroupé ces perceptions selon quatre
typologies. D’abord une vision optimiste de l’avenir, une autre pessimiste, une autre qui le
voit stationnaire et enfin une autre qui ne souhaite même pas y penser et s’attache fortement
au présent.
1) DE L’OPTIMISME : ETUDIER, TRAVAILLER ET VIVRE NORMALEMENT
ENSUITE.
1.1- ETUDIER ET PREPARER UN DIPLOME : UN PROJET INCONTOURNABLE
Chez les étudiants MNV la préparation d’un diplôme est considérée comme un projet
très important pour améliorer les chances d’avoir un emploi une fois le diplôme obtenu. Des
32Simmel (Georg), « Pont et porte » (1909), in Simmel (Georg), La tragédie de la culture et autres essais, Paris,
Rivages, 1988, p. 161-168.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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études menées avec sérieux permettent aussi bien l’obtention de ce diplôme qu’une bonne
formation académique qui servira pour bien exercer son futur emploi.
« Dieu merci ( Alhamdulillahالحمد هلل ) , étant comme chacun Dieu merci ( الحمد Alhamdulillah) qui a étudié et a eu un diplôme, l’emploi pour moi est la récompense de ceهلل
que j’ai vécu, quand il y’aura l’emploi tout ça va être récompensé, c’est le souhait de chacun »
(MV9)
« Je suis optimiste Dieu merci (Alhamdulillahالحمد هلل ) , si je garde le même niveau je
réaliserai tout ce que je veux, avec l’aide de Dieu, certes, il y aura des obstacles mais je suis
optimiste et je me dis que je suis capable de surmonter ou d’éviter ces obstacles » (MV1)
Pour les MNV les études diplomantes sont considérées comme le seul moyen de
garantir un avenir meilleur. Etudier est la voie presque unique qui permet à un MNV de se
frayer un chemin malgré la difficulté et les contraintes rencontrées à cause de sa situation de
handicap.
« Ils n’ont pas beaucoup de perspectives s’ils n’étudient pas. Si tu n’étudies pas (silence),
c’est comme (silence) c’est comme si tu vas sortir dans la rue pour demander l’aumône. »
(NV20)
« Pour nous les NV la seule chance c’est les études, un voyant il peut faire d’autres
choses» (NV7)
Le diplôme considéré à la fois comme un document officiel et entant que symbole
d’une maitrise de savoirs. Dans la métaphore du « Pont et porte» (Simmel, 1909), le diplôme
est comme une clé capable d’ouvrir la porte de l’avenir pour passer vers une vie meilleure. La
sortie de la situation de liminalité vers la post-liminalité est possible grâce au diplôme qui
permet d’ouvrir cette porte. Le rôle du diplôme en tant que « clé » pour accéder à un emploi
est explicitement exprimé. Non seulement le diplôme est une clé mais c’est une clé qui peut
être une clé « passe-partout ».
« Il (le diplôme) représente pour moi l’échelle10, peu importe le domaine. » (MV14)
L’objectif est donc clairement exprimé et le diplôme ne représente qu’un outil et non
pas un objectif en lui-même. C’est surtout dans le cas des MNV qui comptent trouver un
travail avec l’Etat que l’importance du diplôme en tant que gage d’entrée dans la fonction
publique est clairement montrée.
1.2- UN AVENIR QUI PASSE OBLIGATOIREMENT PAR LE TRAVAIL
L’objectif principal de l’obtention d’un diplôme est le « travail ». Par le terme
« travail » les MNV veulent souvent dire un emploi salarié ou fonctionnaire au sein de l’Etat.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Mais parfois le travail réfère aussi à certains métiers manuels ou intellectuels. Trouver un bon
travail est une ouverture de la porte et une entrée dans un monde plus stable et normale.
« A l’avenir, je pense que le regard des autres changera si je réalise beaucoup de choses
si je travail et je produis. N’importe où quand une personne travaille et produit les gens
la respectent. Et maintenant, les NV qui par exemple, gagnent des concours de psalmodie
du Coran « التجويدtajwid » ou les métiers d’artisanat, par exemple, ce regard négatif est
brisé petit à petit, même dans le bus les NV ne mendient pas, ils vendent des choses, du
« kleenex », et les choses vont changer. Si on voit un NV orateur de la prière du vendredi
da’iya », un NV animateur à la radio, ce regard داعية» Imam », un NV prêcheur إمام »
négatif va se briser, les mass médias aident dans ce sens, les NV doivent prendre
l’initiative et produire, réaliser des choses, et à chaque fois qu’il en a l’occasion montrer
ses compétences, il sera respecté par les gens » (NV2)
L’étape de la faculté se termine par une intégration de la vie professionnelle qui veut
aussi dire vie sociale. Le travail permet de sortir de la liminalité et de quitter le Pont. Cette
sortie se fait vers le monde « normal ». Cette expression est reprise par un MNV qui décrit le
fait de trouver un travail comme une façon de redevenir normal comme les autres.
« Avec la volonté de Dieu, je suis optimiste. Il ne faudrait pas se lamenter sur son
sort et attendre que l’autre fasse quelque chose pour toi. Il faudrait commencer le
changement par soi-même et ne pas attendre l’Etat. Il faut compter sur soi et ne
jamais montrer que tu es n’est pas normal « sawi » sinon jamais ils vont te
considérer comme personne normale « sawi » » (NV23)
La vision de ce qui vient après la porte est construite à partir des expériences et des
parcours d’autres MNV qui sont passés par le pont de la faculté notamment. Non seulement
ces MNV qui ont réussi ont trouvé du travail mais en plus ils sont excellents dans leurs
domaines d’activité.
1.3- SE MARIER ET AVOIR DES ENFANTS
Fonder une famille et avoir des enfants qui vivront dans de bonnes conditions sont des
étapes projetées mais qui se trouvent aussi au-delà de la porte. Une fois la « porte » ouverte
sur un emploi, les ressources financières mais aussi symboliques faciliteront en principe la
fondation d’une famille.
« Pour l’avenir si Dieu le veut (إن شاء هللا Inchallah) , j’espère que ce sera bien, je
me vois comme chef de famille, avec des enfants, je me comporterai normalement
avec eux, je leur montrerai que je ne vois pas, d’ailleurs ils vont le savoir dès leur
jeune âge, ils vont trouver ça normal et quand ils grandiront ce sera toujours
normal, tu comprends ? C’est une vision positive ; il me faut une seule chose : le
travail, c’est ce dont j’ai besoin, ni plus ni moins. » (NV3)
Après l’ouverture de la porte, c’est le travail qui est la première étape. Ce n’est que
après que le projet de se marier et fonder une famille peut voir le jour. Pour commencer une
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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nouvelle vie après le passage de la porte, les MNV mettent toutes les chances de leurs côtés.
En plus des ressources financières, le choix du conjoint n’est pas aléatoire mais suit une
logique de préférence pour une personne non-handicapée. Les MNV donnent explicitement
une raison « fonctionnelle » de ce choix et celui-ci peut être expliqué par une volonté de finir
avec la période liminale. Le passage par le pont doit être oublié et fonder une famille avec une
personne « normale » est aussi une façon de vivre normalement.
« Je suis optimiste, Je veux aller en France, je veux faire un tour là bas et à propos du
mariage, j’ai un projet maintenant, il est voyant ; une fois il y’avait un mal-voyant qui voulait
se marier avec moi mais j’ai refusé, il te faut quelqu’un qui t’aide dans la vie. » (MV6)
« Je voudrais me marier avec une fille qui a un permis de conduire pour ne pas mettre mes
pieds dans les nombreuses flaques de la ville de Casablanca. Imagine, je suis parfumé et je
porte un costume et une cravate, ça serait honteux de mettre mes pieds dans une flaque
d’eau ! »(MV17)
La vision de l’avenir de ces MNV est assez claire : les études permettent d’obtenir un
diplôme qui ouvrira une porte sur l’avenir. Avoir un travail est le but principal escompté de
l’ouverture de cette porte. Le diplôme est une clé qui en permet une ouverture pacifique.
L’importance du diplôme n’est pas uniquement administrative mais elle est aussi académique.
Le diplôme obtenu avec mérite et après un travail sérieux permet l’acquisition de
connaissances et de savoirs faire utiles pour trouver ce travail. La preuve en est les MNV qui
ont réussi et excellé dans les divers domaines professionnels non obligatoirement dans des
emplois avec l’Etat.
Cependant, cette vision optimiste de l’avenir n’est pas présente chez d’autres MNV
qui eux ne perçoivent pas de la même façon le passage à travers la porte de l’avenir. L’avenir
pour d’autres MNV nécessite une lutte et un effort important pour ouvrir cette porte.
2) UN AVENIR SOMBRE ET INCERTAIN MALGRE LE DIPLOME
2.1- LE CHOMAGE COMME DESTINEE APRES LA FIN DES ETUDES
Pour d’autres MNV Il y’a des opportunités pour travailler et vivre correctement mais
les opportunités offertes aux MNV sont très limités voire absentes. L’Etat comme employeur
n’offre plus l’occasion aux MNV pour devenir fonctionnaires. Il y’a même une discrimination
envers les MNV pour les recrutements directs et les concours de la fonction publique. Malgré
le quota institué pour le recrutement des handicapés, l’accès des MNV en tant que handicapés
est devenu impossible. Le discours des MNV est assez pessimiste voire accusateur concernant
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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certaines pratiques durant les concours de la fonction publique qui ont pour but de les
empêcher d’être sélectionnés. Comme le montre Simmel la fermeture de la porte « sa
fermeture donne le sentiment d’une clôture bien plus forte, face à tout cet espace au-delà, que
ne le peut la simple paroi inarticulée » (Simmel, 1909). Les concours et le recrutement direct
peuvent être assimilés à des portes mais qui sont très fermés selon les MNV.
« Je le vois flou et ambigu « غامض Ghamid » , quand j’obtiens la licence je vais candidater
pour un poste avec l’Etat, et je vais voir, est ce que c’est l’enseignement, ou je ne sais pas. les
concours c’est un autre sujet, parfois il y’a des pistons, tu dois ramener aussi un écrivain, c’est
toi qui dois le ramener avec toi mais parfois quand il n’est pas bon tu dois lui dicter comment
s’écrit chaque mot , c’est comme ça. » (MV5)
La discrimination basée sur leur handicap est un sentiment souvent exprimé par ces
MNV. Que ce soit à partir de leurs propres expériences ou d’autres MNV qu’ils connaissent,
ils décrivent des comportements éliminatoires envers eux. Malgré le discours officiel de l’Etat
stipulant une prise en considération de leur situation de handicap, les MNV rapportent des
agissements contraires à ce discours. La description de la stigmatisation est très explicite et
exprimée avec beaucoup d’amertume.
«J’ai passé le concours, disqualification organisée, je l’ai passé alors, lorsque j’ai passé le
concours, je l’ai passé brillamment, vous comprenez ? Et je savais ce que je faisais et j’avais
bien préparé et en fin de compte, je suis venu et je n’ai pas trouvé mon nom affiché. Alors
quand tu fais comme ça, comment te sentiras-tu professeur ? Je dialogue avec vous, excusez-
moi je vais entrer avec vous dans une discussion. (…) comment te sentiras-tu ? Tu ne te sentiras
pas marginalisé ? Que…que tu es dans ton pays et que tu es disqualifié. Alors ce gouvernement,
cet Etat lorsqu’ils te traiteront ainsi, que te restera-t-il, tu ne verras plus que la rue, alors tu iras
mendier, donc ils vont nous faire revenir aux jours des ténèbres. Le non voyant lorsqu‘il allait
apprendre le Coran et qu’il allait le lire sur les cimetières ou alors il allait mendier dans les
mosquées ou dans les autobus. » (NV29)
Les MNV se sentent ainsi victimes d’une attitude contradictoire de la part de l’Etat. A
la fois celui-ci véhicule un discours valorisant et favorable envers les MNV mais en même
temps les institutions de l’Etat capable de recruter des fonctionnaires ne veulent pas des
MNV. Ceux-ci considèrent d’ailleurs ces institutions comme un employeur principal voire
unique. C’est cette attente mal ou pas du tout satisfaite qui génère un sentiment d’exclusion et
de déception parmi les MNV.
2.2- SANS TRAVAIL, IL N’Y A RIEN
Sans emploi avec l’Etat ces MNV considèrent qu’ils ne peuvent pas changer leur
situation liminaire et passer d’un statut incertain et instable vers un autre qui est plus sûr.
L’absence d’un travail fonctionnaire est surtout une occasion ratée pour devenir autonome au
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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moins financièrement par rapport à la famille notamment. La porte de l’emploi avec l‘Etat est
l’unique entrée vers le futur et la sortie d’une mauvaise situation sur tous les plans.
« Je n’ai pas d’avenir, Il est inconnu (مجهول Majhoul), ça fait trois and que j’ai une licence en
études islamiques, j’ai postulé pour tous les ministères, les Habous, la Justice, et tout, bien qu’il
y’ait le quota de 7% pour les handicapés, ils ont dit qu’il n y’a pas le recrutement direct et qu’il
fallait passer des concours et quand nous allons passer les concours ils ne nous acceptent pas
qu’est ce qu’on va faire ? Je ne te cache rien, j’ai fait cette licence en anglais juste pour passer
le temps, si seulement ils nous ont donné l’accord d’aller tenter notre chance ailleurs, ils ne
vont pas te donner de visa, sachant que j’ai mes frères à l’étranger et on ne me donne pas le
visa » (MV8)
Dans ce cas les MNV considèrent que la seule porte à ouvrir est celle de l’Etat. Tandis
que les MNV précédents voient devant eux plusieurs « portes » à ouvrir (Etat, secteur privé,
métiers artistiques, métiers religieux), les autres considèrent qu’il n’existe que la porte de
l’emploi avec l’Etat. Or, devant cette porte se trouve un obstacle artificiel et spécifiquement
entravant les MNV et qui les empêche de l’ouvrir à travers le diplôme ou les concours.
2.3- LA REVENDICATION UNIQUE MOYEN POUR UN EMPLOI AVEC L’ETAT
Arrivés au seuil d’une porte qui ne s’ouvre pas à travers les moyens dont ils disposent
(diplôme, concours, quota pour handicapés), ces MNV estiment que c’est avec d’autres
manières que la porte devra être franchie. La revendication reste une voie privilégiée et même
incontournable pour décrocher un emploi avec l’Etat. A l’instar des mouvements de
protestations des diplômés chômeurs voyants, les MNV diplômés mènent des mouvements de
revendication en vue d’accéder à la fonction publique. Les MNV qui sont en cours de
préparation d’un diplôme ou ceux qui en préparent un deuxième sont déjà dans l’esprit de
cette revendication.
« Mon avenir si Dieu le veut (إن شاء هللاInchallah) , c’est que j’espère travailler et rendre à mes
parents ce qu’ils ont fait avec moi, c’est mon objectif, depuis mon enfance et ils sont avec moi, le
médecin, l’école. Pour travailler, il y’aura surement des difficultés, les sit-in «اعتصامات i‘tissamates» , les grèves «إضرابات idrabates » et tout ça. Tu te sentiras alors déçu et déprimé
mouħbat ». Ça sera difficile de réaliser tes objectifs. » (NV7) محبط»
Des MNV parlent déjà du fait que ce sont des manifestations et des sit-in qui les
attendent pour décrocher un emploi. C’est comme si la contestation devient une action et une
étape planifiée consciemment ou inconsciemment dans le parcours futur des MNV. Elle peut
au moins être considérée comme une stratégie de remplacement en cas de la non ouverture de
la porte avec les moyens réguliers (diplôme, concours, quota).
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Si des MNV perçoivent la porte du travail ou l’emploi et y tentent d’y accéder de
manières différentes, d’autres MNV ne considèrent pas que le travail est capable d’apporter
un changement par rapport à leur vie actuelle.
3) A L’ AVENIR RIEN DE NOUVEAU OU LE CARACTÈRE
« STATIONNAIRE » DU FUTUR
3.1- LA PORTE EXISTE MAIS ELLE EST INVISIBLE :
Certains MNV considèrent que leur situation ne changera pas. C’est comme si
n’importe quel changement tel que le fait d’avoir un travail ou un emploi n’est pas capable de
changer leurs vécu présent. Ces MNV considèrent le futur comme une continuité d’un présent
mal vécu. La perception de ce caractère « stationnaire » du futur montre aussi une conception
linéaire et monotone du temps.
« Je vois l’avenir stationnaire, pas d’avenir. Sauf si tu as les moyens, ou tu es riche. C’est le
seul moyen pour être autonome. » (NV22)
Les indices du présent ne montrent pas des changements et des variations importantes
pour le futur. En utilisant la métaphore de la porte et du pont on peut décrire ces MNV comme
évoluant sur un pont qui continue à être le même après un possible franchissement de la porte
du travail ou de l’emploi. Les MNV ne font que marcher sur ce pont sans aucune perspective
de sortir d’une situation liminaire. L’effet du passage de la porte sur eux est neutre au
contraire des deux précédents.
3.2- UN AVENIR IDENTIQUE AU PRESENT
Comme une troisième forme de l’avenir, ces MNV parlent d’un avenir sans goût. C’est
un avenir qui n’apportera rien de nouveau. Le futur est perçu à partir du présent. Il est perçu
d’une manière froide et « normale », et à la limite d’une équivalence entre l’optimisme et le
pessimisme.
« Je l’imagine de façon normale (silence), je le perçois de façon normale » (MV13)
Même si la porte sera traversée rien ne changera dans la vie de ces MNV. Le travail et
même le mariage ne sont pas capables de changer les choses. Le handicap sera toujours là et
les changements contingents ne sont pas capables d’améliorer les choses.
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Bien que l’avenir pour ces MNV soit sans nouveauté il existe quand même.
Cependant, pour d’autres MNV l’avenir n’existe même pas et sa perception est impossible. Le
présent l’emporte comme temps de vie et de représentation.
4) L’AVENIR N’EXISTE PAS : UN PRESENT SANS FUTUR
4.1- UN AVENIR INCONCEVABLE
Dans le cas d’autres MNV c’est une négation de l’avenir qui est avancée. Pour eux
l’avenir n’existe pas et « ils ne veulent même pas » y penser. Bien qu’ils suivent des études
diplômantes ces MNV ne considèrent pas que ce qu’ils font soit en relation avec une situation
future.
« Pour le moment, je n’arrive pas à imaginer l’avenir, je suis tout simplement la vague,
c’est tout. Je vois que je fais un effort, j’avance mais dans l’incertitude car j’ai repris
les études avec beaucoup de retard, j’ai perdu 20 de ma vie alors que je vois maintenant
que je pouvais le faire bien avant. C’est vrai que les choses ont vraiment changé depuis
le temps que j’ai perdu la vue et maintenant au niveau des transports, des moyens
technologiques, et même pour moi psychiquement et mentalement. Mais il reste que j’ai
perdu beaucoup de temps. » (NV27)
Cette situation montre que le sentiment d’incertitude et d’ambigüité chez ces MNV est
si important qu’il empêche toute perception du futur. Cette position liminaire ferme les MNV
sur le présent et oriente même ce qu’ils font vers une position de « ici et maintenant ».
L’expérience douloureuse du passé et même du présent rend ces MNV incapable de concevoir
un temps mobile. Ils préfèrent un temps statique et immédiat. Au plus, c’est un futur
pragmatique traduisible en objectifs pratiques.
4.2- UNE EMPRISE DU PRESENT
Le présent semble peser lourd dans le récit de ces MNV. L’ancrage dans la situation
actuelle avec ses inconvénients rend opaque jusqu’à le faire disparaître toute image du futur.
L’effort important est déployé dans le présent.
« Je n’essaye pas de l’imaginer et je ne veux pas l’imaginer. Moi j’avance dans ce
que je fais maintenant, j’ai des objectifs et des stratégies que je suis, je ne laisse
rien au hasard. Par exemple, mon seul souci cette année et d’obtenir mon DEUG
avec une bonne mention. Je ne m’occupe pas de ce qui va venir après, je vis le
moment mais avec une stratégie, un plan A, plan B. je vais faire un bac libre cette
année pour faire une autre filière » (NV25)
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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Cette conception puissante du présent au dépend de l’absence de toute idée du futur
permet à ces MNV de mettre en place des objectifs à court terme. Les actions sont précises et
plus centrées sur le présent. C’est une situation vécu comme s’il n’y avait pas de grande porte
à ouvrir pour ces MNV et que tout doit se faire sur le pont. Le pont est perçu d’une manière
circulaire et fermé sur lui-même.
En définitive, ces quatre descriptions de l’avenir selon les MNV ne sont pas
exhaustives ni même peut être exclusives. Elles permettent cependant un point de vue
analytique de leurs perceptions du futur. L’état de liminalité dans lequel se trouvent les MNV
est différemment vécu. Certains pensent qu’ils s’en sortiront avec les outils réguliers qu’ils
sont en train d’acquérir durant leurs cursus à la faculté. Avec le diplôme obtenu et les
connaissances théoriques et pratiques acquises à la faculté ils pensent qu’ils pourront avoir un
travail ou un emploi. Ce travail est une « porte » de sortie de cette situation liminale vers une
autre situation plus « normale ». D’autres MNV considèrent cependant que pour avoir un
travail ils auront à utiliser la revendication comme moyen pour « ouvrir » voire défoncer la
porte. Cette porte qui ne s’ouvre pas avec des « clés » tels que le recrutement sur diplôme ou
les concours. D’autres MNV n’ont confiance dans aucuns de ces moyens pour sortir de leurs
situations. Ils voient l’avenir en tant que tel, inchangé et semblable à un présent mal vécu.
Enfin d’autres MNV ne conçoivent pas une idée de l’avenir. Pour eux c’est le présent qui
compte et qui pèse le plus. Le présent est ainsi tellement envahissant qu’il occulte toute idée
du futur.
Devant le manque de perspectives d’avenir ou les limites dans la projection du métier
d’avenir, nous avons recueilli les recommandations des MNV que nous allons présenter dans
la conclusion du rapport.
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CONCLUSION
Les récits de vie des MNV ont révélé la persistance de la posture d’assistés chez la
majorité des étudiants déficients visuels de l’université Hassan II. Toutefois, certains MNV
tendent vers une approche plus autonome en utilisant les nouvelles technologies afin d’éviter
l’assistance des personnes V, et ils refusent aussi l’ensemble des stéréotypes péjoratifs des
MNV assistés, dépendants des V ou encore le cliché de mendiant.
L’étude des rites de passage du cercle familial au cercle scolaire nous a permis de
déduire que la surprotection des MNV par les parents se perpétue à l’école puisque
l’enseignant adopte la même approche protectionniste. La relation Enfant-Adulte peut
persister dans le milieu universitaire dans le cas où certains professeurs assistent tellement les
MNV que ces derniers ne fournissent pas beaucoup d’efforts. Cette aide par compassion ou
par « bonne action » ne leur rend pas service dans la mesure où les enseignants contribuent à
la pérennité de l’assistance. Donc, il serait souhaitable de renforcer leur autonomie en évitant
le protectionnisme et opter davantage pour la relation Adulte-Adulte.
Faute de sensibilisation de la famille et des formateurs sur le comportement non
discriminatoire des MNV, il est important de prévoir des actions comme des journées de
sensibilisation par les acteurs associatifs ou des activités culturelles et artistiques organisées
par les MNV à la faculté. Afin d’atténuer l’image stigmatisante des MNV, il est aussi
souhaitable de mettre à disposition des proches et des formateurs des guides ou des manuels
pour mieux se comporter avec les MNV.
Et dans la perspective d’élargir les choix des filières pour les MNV et de les orienter
vers des métiers d’avenir qui s’adaptent à leurs spécificités, l’étude des mathématiques et le
renforcement des langues et des matières scientifiques paraît nécessaire dans leur formation
de base au sein de l’école spécialisée OAPAM ou dans les établissements ordinaires qui
accueillent rarement les déficients visuels. Au niveau de l’université, il est recommandé de
renforcer les langues étrangères parce que les MNV optent en général pour les filières de
2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C
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langue arabe (les études islamiques, le droit public arabe et les études arabes) à cause des
leurs limites linguistiques.
Cette transition de l’OAPAM (établissement de provenance de la majorité des MNV) à
l’université ne pourrait être réussie sans la coordination des acteurs de l’OAPAM, de
l’université et de l’association. Il ressort aussi que la représentativité des étudiants MNV, lors
de la coordination entre les différents responsables, s’avère importante pour déterminer leurs
besoins spécifiques. Nous avons aussi noté le rôle joué par la cellule informatique au niveau
la FLSH qui a permis aux MNV de se familiariser avec les logiciels de conversion sonore ;
contrairement aux MNV de la FSJES qui restent défavorisés en termes de formation
spécialisée en informatique. En plus de la cellule informatiques pour les MNV, il est aussi
recommandé de mettre en place, au sein de chaque université ou au niveau interuniversitaire,
des services spécialisés d'intégration dotés d'un responsable de "l'accueil des personnes aux
besoins spécifiques" ; dont le rôle est de soutenir, d’accueillir, d’orienter, et de suivre les
étudiants qui ont des besoins spécifiques. Il est vrai que le capital humain est important pour
l’accompagnement, mais les ressources matérielles sont aussi indispensables pour utiliser les
outils qui s’adaptent le mieux aux types de déficience.
Afin d’assurer l’autonomie dans l’apprentissage chez les MNV, il est essentiel de
sensibiliser les formateurs à l’adoption une approche différenciée selon les prérequis des
apprenants. Cette pédagogie différenciée consiste à atteindre le même objectif de
l’apprentissage tout en veillant à utiliser les méthodes et les outils d’enseignement les mieux
adaptés aux capacités et aux degrés de déficiences de ces étudiants. Cette approche
différenciée devrait être appliquée aussi bien au niveau des écoles primaire-secondaire qu’au
sein de l’université.
D’après les récits des MNV de l’Université Hassan II, les outils les plus utilisés sont le
dictaphone et les logiciels de conversion sonore ou les lecteurs d’écran comme le JAWS et le
NVDA. La prévalence des moyens de communication sonore au détriment des moyens de
conversion tactile, comme le clavier Braille Sense ou les imprimés en braille, s’explique par
leur coût plus réduit et leur accessibilité. Faute d’accessibilité des outils de conversion tactile,
les étudiants MNV sont contraints d’opter pour des stratégies d’apprentissages limitées aux
moyens de communication sonore. Nous avons retenu ainsi des recommandations ; la mise à
disposition des MNV d’un centre copie en braille pour imprimer les polycops en braille, ou
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l’accès au clavier Braille Sense lié à l’ordinateur afin de lire les documents numérisés grâce à
la technique tactile.
L’accès aux livres numériques figure aussi parmi les principales revendications des
MNV. Ils ont ainsi souligné le rôle du professeur pour leur fournir les documents numérisés
pouvant être décodés par ordinateur. La lecture sonore de ces documents grâce aux logiciels
installés sur ordinateur permet de réduire la dépendance des MNV envers les V pour la lecture
des polycops. Le recours des MNV aux V pour lire les cours est justifié par le fait que ces
documents ne sont pas toujours lisibles ou reconnus par les logiciels de reconnaissance
optiques des caractères OCR.
Et en guise d’égalité des chances à l’accès aux livres des bibliothèques, nous avons
repéré à maintes reprises la réclamation d’une bibliothèque braille et sonore. Dans ce sens,
l’université pourrait établir des partenariats avec des bibliothèques numériques et sonores afin
de faciliter l’accès aux livres numériques et aux livres audio. En cas d’indisponibilité des
livres imprimés en braille, la lecture des livres numériques ‘grâce aux logiciels de conversion
sonore ou la technique de décodage tactile grâce au clavier Braille Sense’ pourrait fonctionner
comme alternative. Finalement l’accès aux ressources et aux outils tactiles et sonores ‘adaptés
aux MNV’ permet de réduire le handicap de communication.
En plus de l’autonomie dans la communication, il est important de sensibiliser tous les
NV d’utiliser la canne pour l’autonomie dans le déplacement car la loi ne les protège pas en
cas de non-recours à cet outil. Il serait aussi souhaitable de munir les déficients visuels de
montres parlantes munies d’un GPS dans le but de mieux les guider, et de réduire le handicap
du positionnement dans les repères spatiotemporels.
La prise de conscience de l’importance de l’utilisation des méthodes et des outils les
mieux adaptés aux déficients visuels n’est pas seulement une question de solidarité mais une
stratégie d’autonomisation pour éviter la posture de la révolte des MNV qui bénéficient de la
protection de la CIDPH. Ceci dit, il est recommandé de prendre la question de l’autonomie
des MNV et de leurs débouchés au sérieux afin de prévenir les revendications de masse qui
est très présente dans les récits des MNV interviewés. Enfin, cette stratégie ou orientation
d’avenir permettra aux MNV de sortir du cercle vicieux de l’assistance et de rentrer dans le
cercle vertueux de l’autonomisation.
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ANNEXE : TABLEAU RECAPITULATIF DES MNV
N°MNV Etablissement Sexe Âge Situation
matrimoniale
Filière Cycle LMD
MV1 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.AR Licence
NV2 FLSH MASCULIN 33 ans Célibataire E.I Licence
NV3 FSJES MASCULIN 27 ans Marié E.D.P.A Licence
MV4 FLSH MASCULIN 25 ans Célibataire E.I Licence
MV5 FLSH MASCULIN 24 ans Célibataire E.I Licence
MV6 FLSH FÉMININ 20 ans Célibataire E.AR Licence
NV7 FLSH FÉMININ 24 ans Célibataire E.AR Licence
MV8 FLSH FÉMININ 26 ans Célibataire E.AN Licence
MV9 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence
NV10 FLSH FÉMININ 25 ans Célibataire E.I Licence
MV11 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence
MV12 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence
MV13 FSJES MASCULIN 23 ans Célibataire E.D.P.A Licence
MV14 FSJES MASCULIN 31 ans Marié et père
d'un enfant
E.D.P.A Licence
NV15 FSJES MASCULIN 46 ans Marié et père
d'un enfant
E.D.P.A Licence
MV16 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence
MV17 FSJES MASCULIN 25 ans Célibataire E.D.P.A Licence
MV18 FLSH MASCULIN 27 ans Célibataire E.I Licence
MV19 FLSH et
FSJES
FÉMININ 24 ans Célibataire E.I et
E.D.P.A
Licence
NV20 FLSH FÉMININ 29 ans Célibataire E.AR Licence
NV21 FLSH FÉMININ 26ans Célibataire E.AR Licence
NV22 FSJES MASCULIN 22 ans Célibataire E.D.P.A Licence
NV23 FLSH MASCULIN 22 ans Célibataire E.I Licence
NV24 FLSH MASCULIN 33 ans Célibataire E.I Licence
NV25 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.AN Licence
NV26 FLSH MASCULIN 20 ans Célibataire E.I Licence
NV27 FLSH MASCULIN 41 ans Célibataire E.I Licence
NV28 FSEJ MASCULIN 29 ans Célibataire E.D.P.A Licence
NV29 FSJES MASCULIN 36 ans Marié E.I Licence
NV30 FSJES MASCULIN 26 ans Marié E.D.P.A Master