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3 ÉDITOGuillaume Roubaud-Quashie On connaît la chanson !

4 POÉSIESFrancis Combes Jean Métellus

5 REGARDÉtienne Chosson America latina 1960-2013

6 u21 LE DOSSIERPEUR ET POLITIQUEPrésentation : Florian Gulli et Jean Quétier La peur partout ?Danièle Linhart La peur au travail Georges Lefebvre La Grande Peur de 1789 Ludivine Bantigny Péril jeune, peur des jeunes. Des « apaches » à La« racaille » Thierry Paquot Peurs urbaines, GéoGraPhie de l’insécurité Florian Gulli et Jean Quétier Vivre sans peurs ? Marc Augé Les nouvelles peurs Jean-François Téaldi La peur ? Un moyen de faire monter l’audimat Anthony Caillé Le besoin d’une politique progressiste en matière desécurité des citoyens Élisabeth Roudinesco De la peur à la haine Jean-François Bolzinger La démocratie pour réhabiliter la scienceLaurent Mucchielli Mesurer la peur ? Arnaud Macé La philosophie, la peur de mourir et le courage collectif

22 u24 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENIsabelle De Almeida Trouver les chemins d'un projet d'émancipationhumaine du XXIe siècle

BRÊVES DE SECTEURPierre Dharréville Pas de modification de la démocratie sansdémocratieIan Brossat Mariage pour tous : une véritable aspiration de la société Laurence Cohen L'avortement est un droit

27 FORUM DES LECTEURS

28 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff Gattaz, le laboureur et le CAC 40

30 MOUVEMENT RÉELRoger Bruyeron Les trois vies de Georges Politzer

32 HISTOIREVincent Corriol Servage et société au Moyen Âge

34 PRODUCTION DE TERRITOIRESSylvain Delboy et Sarah Kassler Utopies réalistes pour un territoirecomestible et solidaire

36 SCIENCESBernard Jégou Les défis des sciences médicales au XXIe siècle

38 DROITFrédéric Tribuiani Pour le droit pénal, contre le tout répressif

40 SONDAGESNina Léger Hollande déçoit la gauche de plus en plus

42 STATISTIQUESMichaël Orand Les habitants des quartiers populaires, variablesd’ajustement de la crise économique ?

44 REVUE DES MÉDIAAnthony Maranghi Rassurez-vous, François Hollande n’a pas changé !

46 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon

• LIRE : Florian Gulli Le clivage gauche/droite a-t-il encore un sens ? • Corinne Saminadayar-Perrin, Jules Vallès• Julia Christ, Florian Nicodème, L’injustice sociale : quelles voiespour la critique ?• Laurence Cohen (dir.), Et si les femmes révolutionnaient le travail ?

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LA REVUEDU PROJET

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Réagissez aux articles, exposez votre point de vue. Écrivez à [email protected]

Numéro spécial de La Revue du projet, « Refonder l’Europe », dès maintenant disponible dans les fédérations du PCF.

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écemment invité à Bruxelles aux côtés de MaïtéMola, vice-présidente du PGE, et de l’excellenthistorien Pascal Dupuy, j’ai été amené à revoirce très grand film qu’est La Marseillaise.Chronique de quelques faits ayant contribué à

la chute de la Monarchie. C’est bien sûr un film sur laRévolution française – nourri aux meilleures sources –mais c’est aussi un film du Front populaire (1937-1938).Ce n’est pas le lieu pour en vanter les qualités artistiqueset saluer, après Aragon, ce saisissant « réalisme lumi-neux ». Mais, par bien des aspects, ce chef-d’œuvre atoute sa place dans notre revue politique.Car entre mille fortes questions, il pose celle des condi-tions et des contours du rassemblement social qui vintà bout d’un ordre millénaire. Car entre mille questions, ilpose celle de la construction de l’unité victorieuse.Nous sommes dans un village provençal de 1790. Unmisérable paysan travaille une terre qui ne lui appartientpas ; un pigeon survient et mange ses récoltes ; le pay-san l’abat mais, surpris la fronde à la main, est arrêté etjugé. C’est cette scène judiciaire qui va nous retenir : lepetit propriétaire terrien, par ailleurs maire du village, PaulGirault, y fait face au seigneur du lieu.« Le seigneur — Laissez les paysans tuer nos pigeons etbientôt ils brûleront nos châteaux.Le maire — Ah oui ! Vous avouez donc que e sont vos bienset vos titres féodaux que vous défendez […].Le seigneur — Détruisez-les, ces droits féodaux aprèslesquels vous en avez tant, et c’en est fait de cette hié-rarchie sociale […] dont vous êtes tout de même un béné-ficiaire.Le maire — Hum hum… un bien petit bénéficiaire ! Ohmais je la connais la chanson ! Allez ! Elle consiste à vou-loir me faire croire que si vos privilèges disparaissent,mon petit bien les suivra. Et que si je veux conserver mamodeste aisance, je dois me faire le défenseur des abusdont vous vivez. Enfin bref, que nos deux causes, celledu grand seigneur possédant la moitié de la contrée, etcelle de Paul Girault, ancien premier maître sur les vais-seaux de Sa Majesté, sont solidaires. Tenez… »Tout l’avenir de la Révolution se joue là, dans cette ques-tion : dans quel camp s’inscrira le petit propriétaire ? Celuides classes populaires et la Révolution triomphe (commeici) ; celui de la classe dominante (ici, la noblesse) et levieux monde poursuit sa vieille route. Cette question des frontières du « eux » et du « nous »appartient assurément au XVIIIe siècle mais, mutatismutandis, elle est une question toujours aussi décisivependant le Front populaire si on veut bien se rappeler quele fascisme tente alors (non sans succès…) de prendre lepouvoir en s’appuyant sur ces classes moyennes et queles communistes, en ce domaine, sont engagés dans ceque Maurice Thorez appelle une formidable « course devitesse ». On déploie alors tout un arsenal stratégique quiva de l’argumentation et des revendications politiques

ciblant spécifiquement ce public à la création d’un quo-tidien comme Ce soir dont on confie la direction à desintellectuels susceptibles de capter leur oreille (ô com-bien quand les directeurs ont pour nom Louis Aragon etJean-Richard Bloch), en passant par la réorientation deL’Humanité et la mise en avant de figures non ouvrières. Mais assez d’histoire ! Cette Marseillaise a-t-elle encorequelque chose à nous dire (à nous chanter) trois quartsde siècle plus tard ? Poser la question, c’est y répondre…Qui n’entend ce message sans cesse susurré à ce mondede la « modeste aisance » : vous avez plus à perdre avecles classes populaires qui vont vous taxer jusqu’à rendregorge, plutôt qu’à rester, avec nous, les très riches, quisommes, dans le fond, comme vous. Qui ne voit les unesdu Point désignant à ses lecteurs (et qui sont-ils si ce n’est,précisément, ces moyens à la « modeste aisance » ?) lesennemis communs : le cheminot, le chômeur, le fraudeurpauvre ? Disons les choses clairement : la grande bour-geoisie ne cesse de travailler à lier à elle ce monde diverset nombreux de la « modeste aisance », ces millions dePaul Girault de notre temps. C’est que leur poids dans labalance de l’évolution sociale et politique est évidemmenttrès lourd : il demeure, aujourd’hui encore, décisif.De ce point de vue, que dire, pour notre camp ? D’abordnous féliciter de tous les dispositifs anciens et récentsdont nous sommes dotés pour ne pas abandonner cesdivisions fournies aux dangereuses sirènes : de la fonda-tion Gabriel-Péri aux Lettres françaises en passant par LaPensée (non que ces structures s’adressent exclusive-ment à ces portions sociales mais on comprend bien quelrôle privilégié peut être le leur dans ce segment social, tantque notre société restera aussi inégalitaire en matière cul-turelle). Sont-ils assez connus ? appropriés ? méthodi-quement ouverts à toutes les richesses disponibles ? arti-culés ? Sans doute avons-nous là plus que des marges deprogression mais le problème, perçu, est et sera affronté.Il y aurait bien des pistes à évoquer encore mais la placemanque et il faut conclure.Diviser pour régner, c’est l’éternelle devise des puissants :les coins qu’ils enfoncent dans le grand camp qui a inté-rêt à s’unir face à eux, varient avec le temps et il nousappartient de les analyser pour mieux construire les outilsadaptés à leur expulsion. Du travail donc, encore et tou-jours – on y reviendra donc le mois prochain. Qui connaîtla chanson d’aujourd’hui ? n

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GUILLAUME ROUBAUD-QUASHIE,Rédacteur en chef

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POÉS

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Jean Métellus, mort le 4 janvier dernier, étaitun de nos amis. J’ai souvent eu l’occasion deparler avec lui et de goûter la simplicité et la

profondeur de ses propos. Il avait une élégance etune autorité qui rendaient sa présence évidente.Né en 1937 à Jacmel, (la ville d’un autre grand poètede Haïti, René Depestre), il était issu d’une famillede quinze enfants. Adolescent, il a reçu une édu-cation chrétienne mais a aussi été fortementinfluencé par deux professeurs marxistes. Et cettedouble formation l’a durablement marqué. Aprèsavoir été un temps professeur de mathématiques,il quitte Haïti en 1959, au moment de la dictaturesanguinaire de François Duvalier, « Papa Doc »,pour la France où il mène des études de médecineet de linguistique.

Neurologue spécialisé dans les troubles du lan-gage, notamment chez l’enfant, il a développé enparallèle un travail de scientifique de réputationinternationale et une œuvre d’écrivain.

Ce n’est qu’à l’âge de trente ans qu’il a commencéà écrire des poèmes. Ses premiers vers ont étépubliés dans Les Lettres Nouvelles de MauriceNadeau et Les Temps modernes de Sartre. Et c’esten 1978 que Maurice Nadeau publia le recueil quil’a fait connaître, Au pipirite chantant.

Jean Métellus était romancier (il a parlé notam-ment de l’exil et des contradictions de la bourgeoi-sie haïtienne). Il a aussi écrit pour le théâtre. Sapièce Anacoana, consacrée à l’héroïne haïtiennependue par les Espagnols en 1504, fut montée parAntoine Vitez. Il a enfin produit des essais dans les-quels se manifeste son attachement à l’histoire deHaïti et sa lucidité politique.

Jean Métellus n’a jamais oublié que ce nom degénéral romain dont il avait hérité lui venait de sesancêtres esclaves. Dans son livre Voix nègres, voixrebelles, il retrace dans des poèmes narratifs quipourraient passer pour des slams, le destin desgrandes figures du mouvement d’émancipationdes Noirs.

Quel que soit le genre pratiqué, Jean Métellus estavant tout poète. Son écriture qui ne s’enfermepas dans des formes prédéterminées est portéepar le chant, un chant d’amour et d’espérance.C’est une poésie de grand souffle et d’une bellesimplicité. Ce qui lui fut parfois reproché.

Comme une journaliste lui demandait si la poésieétait une arme, il répondit : « C’est une arme qui ades limites : c’est le couteau contre la kalachni-kov ».

Mais la poésie est d’abord pour lui parole de vie.Médecin et poète, la parole poétique est chez luiun art-médecine, une parole qui guérit.

Jean Métellus

FRANCIS COMBES

Je suis le seul rivage de la mémoire des Antilles

Et la joue savoureuse qui répand et accueille les parfums

Je suis la lèvre généreuse de l’enfance

Haïti, Quisqueya, Bohio,

Terre hospitalière et fraîche

J’ai voulu t’enserrer vivante dans mes bras,

Dresser pour toi un monument fait d’orgues et de flûtes,

Rajeunir tes arrière-saisons,

Décorer les voliges de tes maisons

Fille aînée des Antilles,

Tu as vu mourir tes enfants

Tu as bu le sang des orages

Comme le papier l’encre de ma plume

Comme la terre les sueurs de la mère

Comme l’occupant le suc de ton lait

Comme l’incendie l’or d’une saison

Comme un glaive l’histoire d’une vie

Sais-tu le nom de ces piérides qui ont dégarni tes vergers ?

Et l’origine de cette écume qui flotte comme la bave ducrapaud

Sur ton corps flétri, lacéré jusqu’aux lisières des cheveux

Je ne vois plus tes yeux coruscants qui cramponnaientparfum, bonheur

Et soumettaient le serpent

Pourtant tu manges de la cannelle, la carpelle avec sesakènes

Bois-tu l’œuf cru avec passion

Et manges-tu la chair des gousses d’ail

Le grand plaisir de tes entrailles et les murailles de tabeauté

Et que fais-tu de la citronnelle qui chasse le sort desmauvais esprits

(in Au pipirite chantant)

Terre

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REGARD

Est-il pertinent de réaliser une expo-sition d'artistes d'Amérique latinetant ce continent est divers et

hétérogène ? Oui, semble nous répon-dre l'exposition récente de la FondationCartier, car tous ces artistes ont au moinsle point commun d'avoir été ignorés enFrance.Ainsi, cet événement est non seulementl'occasion de rendre justice à de nom-

breux artistes et de les découvrir maissurtout de comprendre comment ceux-ci ont su créer coûte que coûte malgréles difficiles situations du continent aucours du XXe siècle. Tout en étant en lienavec les productions occidentales, cesartistes ont, en effet, dû se passer demusées, de soutiens institutionnels etmédiatiques pour créer des œuvres dis-crètes, sincères et subversives et faire

face aux politiques réactionnaires deleurs pays : absence de liberté d'expres-sion, coups d'État, dictatures, emprison-nements…

Du 19 novembre 2013 au 6 avril 2014Fondation Cartier

Marcelo Montecino, Managua, 1979. Tirage Cibachrome, 20 x 25,5 cm. Tirage d’époque.Collection privée, courtesy Toluca Fine Art, Paris © Marcelo Montecino.

ÉTIENNE CHOSSON

America latina 1960-2013

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La peur partout ?

La peur est le point final de bien des discours. Arme tac-tique des puissants pour asseoir leur domination maisaussi dernier recours explicatif pour rendre compte de ladivision de la société. Que penser de ce sentiment à biendes égards politique ?

demeure passif et spectateur de sonexistence et, s’il lui arrive parfoisd’agir, c’est sur le mode de la réactionet de la destruction.Se dessinerait alors en creux l’exi-gence d’une autre politique, une poli-tique s’adressant à la seule raison ouà d’autres émotions, lesquelles pro-duiraient des effets libérateurs etseraient capables de rivaliser avec la

puissance de la peur. Tout cela estbien connu. Et c’est aussi pour cetteraison que tout cela mérite examen.L’explication par la peur a quelquechose de mécanique, d’un peu tropfacile parfois, qui la rend suspecte.L’enjeu n’est pas de se passer de cettecatégorie, mais simplement de l’uti-liser avec plus de circonspection,d’être attentif aux zones d’ombre quecrée nécessairement toute grilled’analyse. À voir la peur partout, onrisque de laisser s’échapper le réel lui-même.L’explication par la peur, par les pho-bies, confine parfois au mépris. Si onne voit dans le discours adverse quel’expression d’une peur, alors on ledisqualifie en le ramenant à un pro-pos irrationnel qui ne renvoie à aucunargument. D’un même geste, onreconnaît une divergence et on s’endébarrasse sans discussion. Cettemanœuvre devrait nous interroger.Elle est antidémocratique puisqu’ellerefuse de reconnaître l’autre comme

un interlocuteur légitime. Il suffit dese rappeler la campagne menée en2005 à l’occasion du référendum surle Traité constitutionnel européen :c’est nous qui avions été les victimesd’un tel déni de reconnaissance. Ceuxqui avaient l’outrecuidance d’appe-ler à voter « non » étaient vilipendés.Ils avaient peur de l’avenir, peur de lamondialisation, peur du « plombier

polonais », etc. Bref, ils étaient en debien mauvaises dispositions pourvoter. Certains sont même allésjusqu’à suggérer qu’il aurait mieuxvalu se contenter de leur expliquer lesbienfaits du texte au lieu de les lais-ser décider de son adoption.Au-delà du mépris dont peut témoi-gner le fait de ramener la conduite del’autre à un comportement engendrépresque mécaniquement par la peur,c’est sur la valeur explicative de cettecatégorie tant usitée que l’on peutporter le soupçon. Il est bien beau detout expliquer par la peur, mais qu’yapprend-on au juste ? Un exemple.Comment comprendre le soutiend’une bonne partie de la populationau désormais célèbre bijoutier de Nicequi tua un cambrioleur au cours d’unbraquage cet automne ? La « peur del’insécurité », la « peur de l’autre »expliquent-elles quoi que ce soit ?L’enjeu est moins de saisir les motifspsychologiques qui assaillent cethomme et ceux qui le soutiennent

PAR FLORIAN GULLIET JEAN QUÉTIER*

a peur est l’une des catégo-ries explicatives les plus uti-lisées dans les discours cri-tiques spontanés. S’agit-ild’expliquer les victoires dela droite ? Cette dernière a

agité la peur de l’insécurité auprès del’électorat. S’agit-il de rendre comptede la montée du Front national ? Ilexacerbe la peur de l’étranger au seindes catégories populaires. S’agit-il derendre raison de l’incapacité de tantde colères à se transformer en mili-tantisme politique ? Là encore la peur,celle de s’engager. S’agit-il de trouverdes causes au faible taux de syndica-lisation ? Toujours et encore la peur,celle que le management utilise pourrendre les salariés dociles.

L’EXPLICATION PAR LA PEURBref, la peur est l’émotion primairegrâce à laquelle la domination sem-ble se reproduire. Elle est l’un desleviers essentiels du pouvoir. La peurest susceptible de jouer ce rôle en rai-son des effets psychologiques qu’elleproduit. La peur neutraliserait la rai-son et l’esprit critique, rendantl’homme apeuré sensible à toute sortede manipulations et de séductions.La peur serait aussi une formidablepuissance de déliaison, facteur deséparation et obstacle à l’apparitionde solidarité. La peur retirerait enfinà l’homme toute capacité d’initiativevéritable. L’homme en proie à la peur

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« L’explication par la peur a quelque chosede mécanique, d’un peu trop facile parfois,

qui la rend suspecte. »

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PRÉSENTATION

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que d’essayer de comprendre pour-quoi la peur se transforme, chez luiet chez d’autres, en haine et en vio-lence. Or, précisément, recourir à lapeur ne nous permet pas du tout d’ex-pliquer pourquoi, dans les circons-tances actuelles, le bijoutier avait plusde chances de passer à l’acte qu’au-paravant et pourquoi, d’autre part,l’expression d’idées favorables à unemploi excessif de la légitime défensepouvait faire recette et recevoir unetelle audience. Pourquoi la peurdésar me-t-elle les travailleurs faceaux patrons et arme-t-elle les bijou-tiers face aux cambrioleurs ?

RÉSISTER À LA TENTATION DE FAIRE DES PEURS DE SIMPLES ILLUSIONSLe problème de cette grille de lecture– l’explication par la peur –, c’est aussiqu’elle peut permettre de retirer toutcontenu à certaines revendications,les transformant en de pures illusionssans aucune pertinence objective. Iln’y a pas de problème réel, seulementune disposition psychologique, quel’on peut sans doute comprendre maisqu’il faudrait chercher à dépasser. Parexemple, que penser de la catégoriede « xénophobie » ? Bien sûr, on peutdéjà lui reprocher d’ethniciser desconduites sociales qui n’ont pas grand-chose à voir avec le fait que leursauteurs soient des étrangers. Mais sur-tout, puisqu’il s’agirait d’une simplephobie, on peut finir par penser qu’iln’y a en réalité aucun problème réelmais seulement une complexion psy-chologique sans fondement. Voilàcomment on peut passer à côté de pro-blèmes sociaux sans même s’en ren-dre compte. Voilà comment on peutpar exemple finir par nier qu’il y ait del’insécurité dans certains quartiers oùles misères sont concentrées. On passepar glissements successifs de pro-

blèmes quotidiens de sécurité à la peurde l’insécurité dont on peut commen-cer à douter qu’elle renvoie à quelquechose de réel, et de là, à la xénopho-bie au prétexte que les auteurs de l’acteont tel ou tel patronyme. Si la xéno-phobie entraîne malheureusement desconséquences bien réelles pour celleset ceux qui en sont les victimes, il estpeu probable que nous parvenions àlutter contre elle de manière efficaceuniquement en lui attribuant une ori-gine imaginaire.Il peut donc y avoir des peurs, mais ilfaut résister à la tentation d’en fairede simples illusions ; la tentation étantplus forte lorsque ces peurs ne ren-voient pas de façon immédiate à nosproblématiques politiques habi-tuelles.

Enfin, l’explication par la peur pré-suppose que la peur est un mal dontil faut s’affranchir. Il semble aller desoi que le monde rêvé est un mondeoù les hommes pourraient vivre libé-rés de cette inquiétude. Mais c’estoublier un peu naïvement que cer-tains font l’apologie de la peur, de l’ex-position au danger, de la prise derisque. L’idéal, selon eux, ne serait pasde vivre sans connaître la peur, maisde surmonter sa peur, ce qui supposede l’avoir d’abord ressentie.S’affranchir de la peur ? L’idéal étroitet paresseux de ceux qui n’osent rienet qui n’ont pas le courage de s’expo-ser au danger et d’entreprendre quoique ce soit. C’était hier le discours del’aristocratie militaire fascinée par laguerre et ses supposées vertus. C’estaujourd’hui le discours de la classedominante qui ne se contente pasd’affirmer que la guerre économiqueest une nécessité. La guerre écono-mique, la prise de risque inhérenteau fait d’entreprendre, l’expositionaux dangers de la concurrence,

seraient autant d’occasions de prou-ver sa valeur, de développer ses capa-cités, de devenir qui l’on est.

LIBÉRER LES HOMMES DE LA PEUR DU LENDEMAIN,ET APRÈS ?Socialisme et communisme sont alorsconçus comme des incitations auparasitisme et à « l’assistanat »,comme des idéaux d’hommes apeu-rés qui n’ont pas la force de surmon-ter leurs craintes. Pour échapper à lacritique, il faut affirmer clairementque « libérer les hommes de la peurdu lendemain » n’est pas l’alpha etl’oméga d’une politique communiste.Cette libération ne peut être qu’unpréalable. Sans aller jusqu’à nous pro-poser de prescrire ce que devrait êtrela norme d’une « vie humaine accom-plie », il nous faut prendre la mesurede l’enjeu qui accompagne la ques-tion de la peur. On ne peut pas son-ger sérieusement à apporter desréponses politiques aux difficultésposées par la peur sans mettre lespieds sur des terrains que nous lais-sons d’ordinaire au choix et à la dis-crétion des individus. Sur le terrainanthropologique par exemple, nousdisons : « L’humain d’abord ! » Oui,mais quel humain ? Lorsqu’on se foca-lise sur l’opposition du travail et ducapital, il est vrai que la question sepose à peine. Avec le problème de lapeur, on le voit, il en va autrement etc’est finalement à une interrogationd’ordre moral que le projet commu-niste se voit confronté. Quel mode devie voulons-nous opposer aussi bienau raciste qu’au trader ou au soldat ? n

*Florian Gulli et Jean Quétier sontresponsables de la rubriqueMouvement réel. Ils sont lescoordonnateurs de ce dossier.

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ENTRETIEN AVEC DANIÈLE LINHART*

Peut-on dire que l’instaurationd’un climat de peur est une stra-tégie managériale courante ?

Cette stratégie que je qualifierais plu-tôt de précarisation subjective dessalariés fait partie de ce que l’on pour-rait appeler « la modernisation mana-gériale ». Le management français estconvaincu de la nécessité de trans-former ses salariés qui ne seraient pasadaptés aux nouvelles règles de laconcurrence mondiale, qui seraientenclins à la contestation et à n’en fairequ’à leur tête, selon leurs propresvaleurs professionnelles, éthiques etcitoyennes. En France, l’emploi estencore relativement stable (les CDIet les emplois publics dominent lar-gement le marché même s’ils sont envoie de diminution) ; miser sur la pré-carité objective des salariés pour lesformater, les conditionner ne suffitdonc pas. Le management s’orientevers des pratiques de déstabilisationet de fragilisation des salariés stablesafin de les mettre au pied du mur. Ils’agit de les dépouiller des ressourcesqui leur permettraient d’opposer leurpoint de vue professionnel sur lesquestions de qualité et d’utilité du tra-vail. Ces ressources sont essentielle-ment leur métier, leur expérience etleurs réseaux. L’objectif managérialconsiste à faire en sorte que les sala-riés ne se sentent pas trop à l’aise dansleur travail, qu’ils ne puissent plus ledominer, le maîtriser, et découvrentles limites de leurs compétences,qu’ils soient ainsi obligés de se rac-crocher aux méthodes, pratiques, cri-tères de travail imposés unilatérale-ment par leur hiérarchie. En somme,l’objectif est que la peur ou l’angoisseles conduise à accepter cette idée queleur travail appartient à leur seulemployeur, et qu’ils doivent renon-cer à le marquer de leur empreinte.

À quels exemples pensez-vous ?On peut citer, à titre d’exemples decette stratégie de précarisation sub-jective des salariés, les pratiques dechangements incessants qui traver-sent toutes les grandes entreprises, lesrestructurations de diverses natures,telles que les redéfinitions de services,de départements, les recompositionsde métiers, la mobilité systématique(le fameux time to move de France

Télécom), les déménagements géo-graphiques, les changements de logi-ciels, la reconfiguration des espaces…Certes, les directions allèguent lanécessité de s’ajuster à un environne-ment fluctuant, incertain et présen-tent le changement comme une vertuen soi qui remplace celle de progrès,mais il y a bien aussi l’objectif dedésap proprier les salariés de toutemaîtrise de leur travail. « Il nous fautproduire de l’amnésie », expliquaitdans les années quatre-vingt-dix unmanager de France Télécom.

Quel est l’intérêt pour la classe domi-nante capitaliste de faire peser unclimat de peur dans les entreprises ?Il s’agit de reprendre la main sur lessalariés à un moment où le taylo-risme, qui est un mode de coercitionet de contrôle particulièrement effi-cace (en tant qu’il inscrit la domina-tion dans la définition même destâches), devient moins pertinent, enraison de l’évolution de la nature dutravail et de son environnement.Désormais, compte tenu des situa-tions de travail plus complexes, il fautdavantage lâcher la bride, mais pourcela, le management veut pouvoircompter sur des salariés qui se com-portent en relais fidèles et incondi-tionnels de la rationalité voulue parl’entreprise. Il faut que les salariéss’appliquent à eux-mêmes la logiquede l’économie des temps et des coûtsindépendamment de la finalité deleurs missions. D’où la nécessité debriser tout ce qui pourrait contrecar-rer la docilité, la conformité recher-chée, en plongeant les salariés dansun rapport subjectif au travail insé-curisé, qui les désarme. Dans cecontexte les méthodes standardisées,les processus, les bonnes pratiquesédictées par la direction, sont censésjouer le rôle de bouées auxquelles lessalariés chercheraient à se raccrocher.

Cette tendance s’est-elle accentuéeces dernières années ?Cette tendance ne fait que s’accen-tuer et se perfectionner ; le change-ment continue à faire partie du modenormal de fonctionnement des entre-prises. S’y ajoutent des processus defragilisation sous la forme d’une miseen concurrence systématique dessalariés entre eux et d’évaluations per-sonnalisées de leur performance. Aucours d’entretiens annuels ou bi-

annuels, les salariés se voient assignerdes objectifs de plus en plus exigeantset sont notés, jaugés, le plus souventpar des hiérarchies qui, en raison deleur mobilité, ne sont pas vraimenten mesure d’évaluer le travail réel deleurs subordonnés. D’où un senti-ment d’arbitraire particulièrementdouloureux dans un contexte d’in-tensification du travail. Les salariésredoutent souvent ce moment fati-dique de l’entretien, d’autant plusqu’ils se sentent perdre la maîtrise deleur travail pour les raisons évoquéesplus haut.

La souffrance qui en découle faitl’objet de nombre de missions dili-gentées au parlement, dans lesministères, et occupe les média. Lesentreprises manifestent leurs préoc-cupations en proposant de soutenirleurs salariés dans cette phase dif-ficile, mais totalement nécessaireselon elles. Les directions des res-sources humaines sont là pour pren-dre en charge toutes les difficultésde la vie hors travail de sorte que lessalariés puissent arriver l’esprit tota-lement libre pour s’engager à fonddans leur travail, selon les critèresrequis. Les numéros verts pourappeler des psychologues, lesconciergeries qui règlent les pro-blèmes de la vie courante, lesséances de massage etc., tout estprogrammé pour que les salariésacceptent de se mouler dans la cul-ture, la philosophie et la rationalitéde leur entreprise.

Quel est l’effet de la peur sur lesstratégies individuelles et collec-tives des salariés ?Les salariés confrontés à ce type de

LA PEUR AU TRAVAILLes dirigeants des entreprises distillent un climat depeur pour mieux imposer leurs critères de gestion.

« En somme,l’objectif est que lapeur ou l’angoisse

les conduise àaccepter cette idée

que leur travailappartient à leur

seul employeur, etqu’ils doiventrenoncer à le

marquer de leurempreinte. »

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PAR GEORGES LEFEBVRE*

Dans l’Ancien régime, la men-dicité était une des plaies descampagnes ; à partir de 1788,

le chômage et la cherté des vivres l’ag-gravèrent. Les troubles innombrablesde la disette accrurent le désordre. Lacrise politique y fut pour beaucoupcar, en surexcitant les esprits, elle ren-dit les Français turbulents. Dans lemendiant, le vagabond, l’émeutier,on dénonça partout le « brigand ».L’époque de la moisson, en touttemps, donnait du souci : elle devintune échéance redoutable ; les alarmeslocales se multiplièrent.

LE COMPLOTARISTOCRATIQUEAu moment où la récolte commen-çait, le conflit qui mettait aux prisesle Tiers État et l’aristocratie soutenuepar le pouvoir royal et qui, déjà, enplusieurs provinces, avait donné auxrévoltes de la faim un caractère social,tourna tout à coup en guerre civile.L’insurrection parisienne [prise de laBastille, le 14 juillet 1789 – NDLR] etles mesures de sûreté qui devaient,croyait-on, chasser les gens sans aveude la capitale et des grandes villesgénéralisèrent la crainte des brigands,tandis qu’on attendait anxieusementle coup que les aristocrates vaincusallaient porter au Tiers État pour sevenger de lui avec le concours del’étranger. […] Comment admettre,en effet, que l’aristocratie françaiseet européenne ainsi que les monar-chies despotiques verraient d’un œiltranquille le succès de la Révolution ?[…]. Les rois auraient intérêt à aider

LA GRANDE PEUR DE 1789

les princes et les nobles français émi-grés et à leur fournir le moyen deremettre les Français sous le joug.Ainsi, dès le mois de juillet 1789, lacollusion de l’aristocratie et de l’étran-ger, qui a pesé d’un si grand poids surl’histoire de la Révolution française,a été considérée comme certaine.Avec le « complot aristocratique »,naquit l’idée maîtresse qui généralisala peur.Que les aristocrates eussent pris à leursolde les brigands annoncés, on n’endouta pas et, ainsi, la crise écono-mique et sociale, conjuguant leurseffets, répandirent dans tous lesesprits la même terreur et permirentà certaines alarmes locales de se pro-pager à travers le royaume. […] Dansla seconde quinzaine de juillet 1789,entre les innombrables causes d’in-sécurité qui alarmaient le royaume etle « complot aristocratique », la syn-thèse se réalise brusquement et c’estla cause principale de la Grande Peur[prenons pour exemple de cettecontamination des craintes popu-laires par le « complot aristocratique »,la peur des humbles de souffrir de lafaim : le peuple finit par être persuadéque la disette en céréales et les prixdevenus excessifs de celles-ci s’expli-quaient par la volonté des aristocratesde réduire le Tiers État par la famine– NDLR].Nous voici donc au seuil de la GrandePeur : le bruit se répand que leserrants si redoutés sont enrôlés auservice de l’aristocratie. […] La peurdes brigands, née à la fin de l’hiver1789, atteignit le paroxysme dans laseconde quinzaine de juillet et s’éten-dit, plus ou moins, à toute la France.[…] Jusqu’ici, l’arrivée des brigands

était possible et redoutée : mainte-nant, elle devient une certitude ; ilssont présents, on les voit ou on lesentend ; généralement, il s’ensuit unepanique […]. Le caractère propre à laGrande Peur, c’est que ces alarmes sepropagent très loin et avec une grandepromptitude au lieu de rester locales.Chemin faisant, elles engendrent àleur tour de nouvelles preuves del’existence des brigands et aussi destroubles, qui l’entretiennent et lui ser-vent de relais. On a cru aisément queles brigands arrivaient parce qu’onles attendait. Les courants de peur

n’ont pas été très nombreux [cinq entout – NDLR], mais ils ont recouvertla plus grande partie du royaume […].Ces paniques ont été bien des foisdécrites […]. On commence par son-ner le tocsin qui ne tarde pas à pla-ner, des heures et des heures, sur descantons entiers. Les femmes, sevoyant déjà violées, puis massacréesavec leurs enfants, au milieu du vil-lage en flammes, pleurent et selamentent, s’enfuient dans les boisou le long des chemins, avec quelquesprovisions et des hardes ramasséesau hasard. Plus d’une fois, leshommes les suivent après avoirenterré ce qu’ils ont de plus précieux

La Grande Peur bouleverse les campagnes françaises entre le 20 juillet et le6 août 1789. Elle naît de la crainte du « brigand » qui s’explique elle-mêmepar les circonstances économiques, sociales et politiques dans lesquellesse trouve la France en 1789.

précarisation subjective ont tendanceà s’enfermer dans un isolement quicorrespond à la bataille qu’ils mènentparfois jusqu’à l’épuisement pourparvenir à faire leur travail, à remplirleurs objectifs tout en préservant leursvaleurs. Ils se concentrent sur leursdifficultés personnelles, luttent contreun sentiment de dévalorisation lié àune perte de maîtrise de leur travail,

et se referment sur leurs propres pro-blèmes. La mise en concurrenceengendre un climat de défiance géné-ralisée, et les collègues sont souventperçus comme des obstacles ou desmenaces. C’est une diminution de lavie collective, une perte de substancedes collectifs de travail qui caractéri-sent le monde du travail moderne, lesvaleurs syndicales en pâtissent. Le

mal-être est vécu de façon très per-sonnelle et n’est pas nécessairementinterprété comme un symptôme d’unrapport de forces défavorable entresalariés et employeurs. n

*Danièle Linhart est sociologue. Elleest directrice de recherche au CNRS.

Propos recueillis par Davy Castel.

« Avec le “complotaristocratique”,

naquit l’idéemaîtresse qui

généralisa la peur. »

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et lâché les bestiaux dans la cam-pagne. Mais, ordinairement, soit res-pect humain, soit réel courage, soitenfin par crainte de l’autorité tradi-tionnelle, ils s’assemblent à l’appeldu syndic, du curé ou du seigneur.

L’EFFERVESCENCERÉVOLUTIONNAIREAlors commencent les préparatifs dela défense, sous la direction du sei-gneur lui-même ou d’un ancien mili-taire. On s’arme comme on peut ; onplace des sentinelles ; on barricadel’entrée du village ou le pont ; onenvoie des détachements à la décou-verte. La nuit venue, des patrouillescirculent et tout le monde reste sur lequi-vive. […] Cette réaction contre lapanique, on la retrouve partout […].Au fond, c’est très improprement quel’on caractérise ces événements dunom de Grande Peur. Ils le sont toutautant par l’ardeur guerrière quidressa aussitôt les Français contre ledanger qu’on leur annonçait. Ils lesont plus encore par le sentiment trèschaleureux qui les mena, dès le pre-mier moment, au secours les uns desautres, sentiment complexe où la soli-darité de classe qui animait le TiersÉtat en face de l’aristocratie tenait évi-

demment la plus grande place, maisoù l’on discerne aussi la preuve quel’unité nationale était déjà très avan-cée puisque les curés et les seigneursmarchèrent souvent au premier rang.[…] Or, ces sentiments d’unité et defierté nationales sont inséparables del’effervescence révolutionnaire. Si lepeuple s’est levé, c’est pour déjouerle complot dont les brigands et lestroupes étrangères n’étaient que lesinstruments, c’est pour achever la

défaite de l’aristocratie. Ainsi, laGrande Peur exerça une profondeinfluence sur le conflit social, par laréaction tumultueuse qu’elle provo-qua : entre les membres du Tiers État,la solidarité de classe se manifesta demanière éclatante et il prit de sa forceune conscience pus claire […].Au cours de ces événements, beau-

coup de bruits coururent où seretrouve l’opinion populaire quiexplique la propagation foudroyantede la terreur […]. Certes, on annoncedes brigands, en ajoutant souventqu’ils viennent de Paris ou desgrandes villes, et leur nombre croîtsur place de minute en minute […] ;mais aux brigands se joignent égale-ment les troupes royales ou étran-gères. […] Les princes en effet sontsouvent à la tête des envahisseurs.[…] Aux princes on associa toutel’aristocratie. […] Le zèle que les sei-gneurs montrèrent souvent pour ladéfense ne modifia pas l’opinion : ilsdonnaient le change et on les regardacomme des otages ; ceux qui se mon-

trèrent indifférents furent pris à par-tie ; et, quand il fut avéré que les bri-gands n’existaient pas, on pensa queles nobles avaient voulu tirer ven-geance des paysans en leur jouant unmauvais tour et en leur faisant per-dre leur journée. Il en résulta de nou-veaux troubles […]. Le principal résul-tat de la Grande Peur fut ainsid’envenimer la haine qu’on portait àl’aristocratie et de fortifier le mouve-ment révolutionnaire. […]Aussi, la Grande Peur se retournaassez fréquemment contre les nobleset le haut clergé, réputés ses instiga-teurs. Le plus souvent, on se contentade murmurer ou de menacer […]. Lesvexations furent assez fréquentes.[…]. Les châteaux, plus que jamais,parurent suspects ; les visites se mul-tiplièrent. […] Des châteaux furentmenacés d’incendie, […] quelques-uns furent pillés […]. Les paysans sefirent aussi restituer, çà et là, les fusilsqu’on leur avait confisqués ; ils mas-sacrèrent les pigeons ; ils réclamèrentmême l’abandon des droits seigneu-riaux […]. Ainsi, la Grande Peur a précipité laruine du régime seigneurial […]. C’estdans l’histoire des paysans qu’elles’inscrit surtout en traits fulgurants.[…] En rassemblant les paysans, elleleur donna conscience de leur forceet renforça l’attaque qui était en trainde ruiner le régime seigneurial. Cen’est donc pas seulement le caractèreétranger et pittoresque de la GrandePeur qui mérite de retenir l’attention :elle a contribué à préparer la nuit du4 août et, à ce titre, elle compte parmiles épisodes les plus importants del’histoire de notre nation. n

*Extraits de Georges Lefebvre, LaGrande Peur de 1789, © Colin, 1932,publiés avec l’aimable autorisationde l’éditeur.

« Ainsi, la GrandePeur a précipité la

ruine du régimeseigneurial. »

QUI EST GEORGES LEFEBVRE ?Président de la Société des études robespierristesà partir de 1932, puis titulaire de la chaire d’Histoirede la Révolution française en Sorbonne de 1937 à1945, Georges Lefebvre (1874-1959) exerce jusqu’auxannées 1950, avec Camille-Ernest Labrousse, uneinfluence majeure sur les recherches consacrées àla Révolution française. La Grande Peur de 1789,publiée en 1932, est l’un de ses maîtres-ouvragesainsi que le point de départ des travaux d’histoire« vue d’en bas ». Immédiatement devenu un clas-sique, tant par l’ampleur des sources abordées quepar la finesse de son analyse, ce livre demeure encoreaujourd’hui le travail de référence sur ce momentdécisif de l’histoire de la Révolution française.

PAR LUDIVINE BANTIGNY*

L e « péril jeune » : l’expressionpourrait n’être qu’un titre de film– celui de Cédric Klapisch, sorti

en 1994. Elle est en réalité symptoma-tique d’une peur qui revient tarauder

PÉRIL JEUNE, PEUR DES JEUNES.DES « APACHES » À LA « RACAILLE »

avec régularité les fondements de lasociété, ou du moins ses observateurs.Car cette peur est souvent alimentéepar les commentateurs politiques etmédiatiques soucieux de trouver desmots qui, loin de seulement la décrire,contribuent aussi à la nourrir : de« l’apache » à la « racaille », en passant

par le « zazou », le « blouson noir » etle « loubard ».

UNE PEUR SÉCULAIRECette peur n’a donc rien de neuf : elleest au contraire séculaire et dit beau-coup sur l’anxiété qui ronge parfois lessociétés à propos de « la jeunesse ».Celle-ci a d’ailleurs été parfois érigéeen « nouvelle classe dangereuse ». C’estbien sûr là que le bât blesse : dans cettefaçon d’imaginer que la jeunesse pour-

Stigmatiser les jeunes empêche d’entendre leurrefus d’un ordre qu’ils n’acceptent pas.

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*Ludivine Bantigny est historienne.Elle est maître de conférences enhistoire contemporaine à l'universitéde Rouen.

rait être un groupe en soi, et pourquoipas une classe – ne parle-t-on pas de« classe d’âge » ? Or, il y a là de touteévidence une manière de contournerla dimension sociologiquement hété-rogène des jeunes concernés et d’ou-

blier dans le même mouvement cequ’est véritablement une « classesociale ».C’est en 1902 que surgit le terme« Apaches » pour désigner des jeunesen marge de la société, assurémentdéviants, souvent délinquants, assu-mant de ne pas obéir aux ordres et auxnormes que la société industrielle vou-drait leur imposer. Michelle Perrot l’asouligné en évoquant un « symbole deleur mobilité frondeuse », ce mot« Apache », évidemment forgé pour lesdisqualifier, est réapproprié par ceuxqu’il stigmatise et qui en retournent le

sens pour l’assumer avec fierté. Il enira de même des « zazous » durantl’Occupation : le régime de Vichy et lescollaborateurs les ont en horreur, cesjeunes gens opposés au nouvel ordreconservateur auquel ils s’opposent parleurs postures décalées ; la presse col-laborationniste les traite alors de para-sites qu’il faudrait éliminer « à l’on-guent gris » comme le suggère unéditorialiste de La Gerbe en avril 1942,puis tour à tour de « judéo-gaullistes »ou de « judéo-négro-américains ». Onretrouve cette même inversion du stig-mate dans l’épisode des « blousonsnoirs », expression lancée par la presseà l’été 1959 pour désigner quelquesbandes de jeunes soudain devenus unphénomène de société et un grandsujet d’anxiété. Là encore, une foisdésignés, ces jeunes – ouvriers le plussouvent – finissent par accepter la for-mule qui leur confère une symboliqueidentitaire et se revêtent des attributsvestimentaires qu’elle tend à leur assi-gner. Enfin, un semblable retourne-ment s’opère avec la « racaille », motemployé par le ministre de l’IntérieurNicolas Sarkozy en 2005 qui prétendvouloir « s’en débarrasser ». Lesémeutes qui suivront dans de nom-breuses banlieues populaires la mortde Zyed Benna, 17 ans, et BounaTraoré, 15 ans, dans le transformateurélectrique où, poursuivis par la police,ils s’étaient réfugiés, seront l’occasionpour certains commentateurs d’utili-ser des termes plus violents encore àl’endroit des jeunes révoltés : d’aucuns,comme Catherine Kintzler ou RobertRedeker, n’hésiteront pas à les quali-fier de « barbares ».

LA PEUR PERMET DE NE PASENTENDRE LES RAISONS DE LACOLÈRECes mots sont autant de symptômessociaux : qu’il s’agisse de l’entréecontestée dans l’ère industrielle, de laguerre ou d’un air du temps sécuri-taire. La peur des jeunes en dit moinssur les jeunes eux-mêmes que sur ladifficulté d’une société à assurer lespassages de témoin et l’incertitude deshéritages. Comme affect inquiet voireterrorisé, cette peur empêche de sai-sir, sociologiquement et politique-ment, les situations et les conditions :celles que subissent de nombreuxjeunes voués aux stigmatisations, à lafragilité, à la précarité. Elle évite sou-vent d’entendre les raisons de la colère :ainsi, après les émeutes de 2005, lestémoignages recueillis auprès de cesjeunes indiquaient la rationalité desactions menées, tant la rage et le déses -poir se tournaient tout autant contrel’institution scolaire qui les conduisaitselon eux à l’échec, à la frustration età la relégation, que contre l’institutionpolicière à l’origine de harcèlementset de discriminations.Le sentiment partagé réside chaquefois dans la légitimité de la révolte, laviolence se concevant dès lors commeun mode possible du répertoire d’ac-tion en signe de contestation et d’in-soumission. Et la peur naît bien de là :dans l’ébranlement d’un ordre que cer-tains jeunes n’acceptent pas. n

« La peur desjeunes en ditmoins sur lesjeunes eux-

mêmes que sur ladifficulté d’une

société à assurerles passages de témoin etl’incertitude

des héritages. »

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PAR THIERRY PAQUOT*

Tout individu ressent, dans cer-taines conditions, une sorted’abandon, d’isolement, qui

génère le sentiment de peur.Rationnelle ou non, la peur corres-pond à la frayeur qui nous envahitlorsqu’un bruit suspect nous inquiète,un danger nous guette, un mal-êtrenous étreint. Nous craignons alors

pour notre intégrité, nos biens, notrevie. Certains enfants ne peuvent s’en-dormir qu’avec une lumière allumée.De nombreux adultes vérifient, à plu-sieurs reprises, si la serrure de leurporte est bien verrouillée. S’enfermerleur semble la meilleure manière dene pas être attaqué, mais si la maisonest isolée, cette défense s’avérera bienprécaire… Le feu éloigne les animaux,aussi les premiers humains l’entre-tiennent-ils toute la nuit afin de dor-mir tranquille. Les plus anciens sitesarchéologiques d’un village ou d’unepetite ville témoignent d’une palis-sade protectrice ou mieux encored’une fortification. Le soir venu, lesportes étaient fermées, le couvre-feuappliqué et le tour de garde organisé.L’ennemi, nécessairement extérieur,n’avait aucune prise : « Dormez tran-quilles, braves gens ! ».

L’ENNEMI S’AVÈREDORÉNAVANT À L’INTÉRIEURL’industrialisation, l’extension duréseau ferré, la généralisation des fluxde toute nature, la prolifération desbanlieues, tout cela entraîne la démo-lition des remparts. Les incivilités, lescambriolages, les atteintes aux bienset aux personnes se manifestent alorsdifféremment, « l’ennemi » se trouvedorénavant à l’intérieur. Toute uneindustrie de la peur se met en placeavec des portes blindées, des digi-

codes, des alarmes, des caméras devidéosurveillance, des rondes devigiles, des assurances spéciales. Lesmédia participent à la surenchère decette insécurité, souvent plus fantas-mée que vécue. Certains partis poli-tiques élaborent et distillent une idéo-logie sécuritaire qui leur assure desvoix. La peur est sur la ville. Au lieude comprendre d’où vient cette peuret tenter d’y remédier en luttantcontre l’exclusion sociale, la ségréga-

tion territoriale, la paupérisation, laxénophobie, la discrimination eth-nique, les pouvoirs ici comme ailleursadoptent des mesures essentielle-ment répressives (arrêtés municipauxinterdisant aux adolescents de sortiraprès telle heure, règlements anti-mendicité, contrôle au faciès, théo-rie de la « vitre brisée », généralisa-tion des caméras devidéosurveillance, etc.). Dans certainsquartiers, des riverains s’auto-orga-nisent et patrouillent la nuit tandisque les policiers se terrent dans leurcommissariat. Des habitants récla-ment des éclairages dissuasifs pour

les parkings ou aux abords de leurimmeuble, depuis peu « résidentia-lisé » (c’est-à-dire clôturé par unegrille avec une seule porte d’entrée

munie d’un vidéo code). En 1972,Oscar Newman publie DefensibleSpace. Crime prevention ThroughUrban Design (« L’espace qui peut êtredéfendu. La prévention du crime àtravers l’urbanisme » pourrait-on tra-duire), dans lequel il suggère de sup-primer les angles morts, les bosquets,les creux, les obstacles (local à pou-belles, boîtes aux lettres massives,escalier caché par un pan de mur, etc.)tout ce qui permettrait à un « voyou »de se dissimuler avant d’attaquer saproie. Depuis une trentaine d’annéesles enclaves résidentielles sécurisées(gated communities) se multiplientun peu partout dans le monde : enAmérique du Sud où le kidnappingavec demande de rançon est bana-lisé, aux États-Unis où les ravages dela drogue génèrent des cambriolages,en Europe où les gens désirent unetranquillité hors des lieux urbains par-tagés, etc. Ces quartiers vidéosurveil-lés provoquent une interruption dela continuité urbaine, le piéton doitles contourner puisqu’il ne peut lestraverser. Les citadins édifient desmurs à l’intérieur de la ville, celle-cin’est plus accessible à tous, l’urbanitédevient sélective et discriminante.

LA GÉOGRAPHIE DEL’INSÉCURITÉ URBAINE SEGÉNÉRALISE De nombreux conflits se déroulentau cœur des villes (Syrie, Liban,Israël/Palestine, Centrafrique, Mali…).Dans des pays en paix comme laFrance, l’armée se prépare à des com-bats de rue, dans des agglomérationsgangrenées par l’économie de ladrogue, les gangs s’évertuent àconserver leurs positions, etc. La ville(mais existe-t-elle encore ?) n’assureplus la réunion pacifique de la diver-sité populationnelle, des gratte-ciels’affichent comme unités verticalesd’habitation craintivement fermées,des quartiers bunkérisés font séces-sion, des bidonvilles sont rançonnéset terrorisés par des caïds. La réalitéressemble de plus en plus à la science-fiction, faut-il s’en réjouir ? n

*Thierry Paquot est philosophe. Ilest professeur à l’Institutd’urbanisme de Paris (universitéParis-Est Créteil Val-de-Marne)

« Toute une industrie de la peur se met enplace avec des portes blindées, des

digicodes, des alarmes, des caméras de vidéosurveillance, des rondes de vigiles,

des assurances spéciales. »

« Certains partispolitiques

élaborent etdistillent une

idéologiesécuritaire qui leurassure des voix. »

PEURS URBAINES, GÉOGRAPHIE DE L’INSÉCURITÉLa ville, si elle existe encore, ne permet plus de réunir de manière pacifique lapopulation dans sa diversité.

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PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER*

«L a vie, la santé, l’amour sontprécaires, pourquoi le tra-vail échapperait-il à cette

loi ? » À en croire cette déclaration deLaurence Parisot, ancienne présidentedu Mouvement des entreprises deFrance (MEDEF), les capitalistesseraient les aventuriers du mondecontemporain. S’inscrivant ostensi-blement dans la perspective néolibé-rale qui a connu ses heures de gloiredans les années quatre-vingt, les entre-preneurs se distingueraient du com-mun des mortels par un goût du risqueparticulièrement prononcé qu’il fau-drait considérer comme la normemorale d’un nouveau mode de vie.L’intensité de leur existence viendraitnotamment du fait qu’ils vivraient sanspeurs, ou plus précisément qu’ils n’au-raient pas peur d’avoir peur. Commentcomprendre cet étrange modèle deconduite que l’on peut encore diffici-lement remettre en cause aujourd’huisans être taxés de ringards archaïques,voire de réactionnaires ? L’expression« vivre sans peurs » se dit en deux sens.Le premier correspond presque en toutpoint aux objectifs de Laurence Parisot.Vivre sans peurs signifie alors vivre enaffrontant ce qui fait peur aux autres.Tout comme on guérirait de la phobiedes araignées et des serpents en se for-çant à caresser ces charmantes petitesbêtes, il faudrait accepter de vivre l’ex-périence de la peur pour pouvoir pas-ser outre. Il faudrait non seulementadmettre la part de risque propre àtoute existence, mais il faudrait encoreen faire une valeur, et pour ainsi direune occasion de prouver son courage.Puisque la vie est courte, profitons-encar la chance sourit aux audacieux !

LA MORALE DES « FORTS »C’est une idée qu’on trouvait déjàchez Nietzsche qui opposait cettemorale des « forts », capables de sur-monter leurs peurs en acceptant deles vivre, à une morale des « faibles »ou des « esclaves » dont le seul objec-tif serait de faire disparaître tout cequi peut susciter la peur. Pensantdécouvrir une parenté fondamentale

entre l’ambition du christianisme etcelle du socialisme, Nietzsche rejetaitainsi de manière radicale le secondsens que l’on peut donner à l’expres-sion « vivre sans peurs » : imaginerune société dont les membres nesoient plus forcés de vivre dans la peurconstante du lendemain. À cet égard,les paroles de Nietzsche dans Par-delàbien et mal sont sans ambiguïté : « Quisonde la conscience de l’Européend’aujourd’hui finira toujours parextraire des mille replis et cachettesde la morale le même impératif, l’im-pératif de la pusillanimité du trou-peau – “nous voulons qu’un beau jour,il n’y ait plus à avoir peur de rien !”Un beau jour – la volonté et le che-min qui y mènent s’appellentaujourd’hui, partout en Europe, le“progrès”. »

LA FASCINATION DU RISQUEOn va retrouver cette oppositionnietzschéenne – entre l’esprit préten-dument moutonnier de ceux qui nevoudraient pas regarder la peur enface et la « grande santé » de ceux quiaiment le risque – sous une formeradicalisée au lendemain de laPremière Guerre mondiale, aprèsqu’une génération a fait l’expériencedes tranchées. Cette apologie de lapeur surmontée, que Losurdo nomme« l’idéologie de la guerre », fera le litde la révolution conservatrice enAllemagne. Oswald Spengler écrit en1933 : « C’en est fini de la vile sécuritédu siècle passé. La vie exposée aupéril, la vie authentiquement histo-rique, a retrouvé ses droits ». À l’èrede la guerre totale, l’aspiration à lasécurité est le signe le plus évidentd’appartenance à « la race des vain-cus ». Karl Jaspers, qu’on pouvaitcroire plus modéré, écrit un an plustôt : « La vie la plus authentique estdirigée vers la mort » tandis que « laplus pauvre est réduite à l’angoisseface à la mort ». De façon plus sibyl-line, les Beiträge zur Philosophie (VomEreignis Récemment traduit ainsi :« Contribution à la philosophie. Del’avenance ») de Heidegger continue-ront de ressasser le même thème :« Seul le péril peut inciter à ce qu’il ya de plus haut ».

L’éloge du risque de Laurence Parisot,de la vie qui tutoie la mort (réelle ousymbolique) sans sourciller, est doncune vieille histoire. C’est l’éternel dis-cours des puissants, des aristocratiesantiques, féodales ou industrielles.Avec peut-être quelques modulations :le centre de gravité du discours qui sedéplace du terrain militaire au terrainéconomique, l’intensité du combatexigé qui a sans doute diminué. Maispour l’essentiel tout est là ! Et en par-ticulier, la critique des aspirationspopulaires à une vie qui ne soit pasconstamment gâchée par la peur.

La limite de ce discours, c’est lacontradiction qui l’habite, contradic-tion que l’on ne peut pas longtempsdissimuler. Ceux qui sont fascinés parle risque, ceux qui aiment à se distin-guer en affrontant ce qui fait peur auxautres, sont précisément ceux qui,dans leur existence quotidienne, nesont jamais exposés à la menace et àla peur. Il est facile de mépriser la peurlorsqu’on est protégé par son statut,par son capital, par son réseau de rela-tions. Vouloir le risque sans défaillirest le luxe de ceux qui ne connaissentpas la peur au quotidien. n

« On va retrouvercette opposition

nietzschéenne - entre l'esprit

prétendumentmoutonnier de

ceux qui nevoudraient pas

regarder la peur enface et la « grande

santé » de ceux quiaiment le risque -sous une forme

radicalisée aulendemain de lapremière guerre

mondiale. »

*Florian Gulli et Jean Quétier sontresponsables de la rubriqueMouvement réel. Ils sont lescoordonnateurs de ce dossier.

VIVRE SANS PEURS ?Ceux qui sont fascinés par le risque, ceux quiaiment à se distinguer en affrontant ce qui fait peuraux autres, sont précisément ceux qui, dans leurexistence quotidienne, ne sont jamais exposés à lamenace et à la peur.

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PAR MARC AUGÉ*

N ous n’avons pas fini de tirer lesconclusions du changementd’échelle qui affecte la vie sur

la planète.Ce changement est fondamentale-ment économique et technologique(les innovations technologiques créentde nouveaux biens de consommationqui, en retour, commandent les nou-velles formes d’organisation du tra-vail). Le capitalisme a réussi à créer unmarché coextensif à la terre entière.Les grandes entreprises échappent àla logique de l’intérêt national. Lalogique financière impose sa loi auxÉtats. Et cette domination est brus-quement devenue si évidente qu’ellesemble sans appel.La planète s’urbanise et parallèlementle paysage urbain se transforme radica-lement. L’architecture grandiose desquartiers d’affaires symbolise, partoutdans le monde, de la manière la plusdirecte qui soit, le pouvoir des entre-prises qui élèvent dans le ciel diurne leurstours miroitantes qui s’illuminent la nuit.Les protestataires eux-mêmes sont pri-sonniers du monde d’images qu’a créél’expansion prodigieuse des média etde la communication électronique. Enquelques décennies à peine, notre envi-ronnement le plus familier a été trans-formé. Les catégories de la sensation,de la perception et de l’imagination ontété bouleversées par les innovationstechnologiques et la puissance de l’ap-pareil industriel qui les diffuse.

LA PEUR DE L’APPRENTISORCIER TOUJOURSPRÉSENTELe corps s’équipe : on le drogue, on ledope de plus en plus efficacement. Onentreprendra bientôt d’augmenter sesperformances grâce aux nanotechno-logies, en y insérant des microproces-seurs, forme glorieuse de la greffe élec-tronique. Le paradoxe de ce corpstriomphant, toutefois, c’est qu’il n’estplus le corps de personne, qu’iléchappe à celui ou celle qui s’en croyaitle maître, qu’il est prisonnier des tech-niques ou des substances qui le pro-pulsent au-delà de toute performancepensable, comme reste prisonnier deson bracelet magique l’individuastreint à la surveillance électronique.Quand les séductions de la fictionpénètrent le réel, elles suscitent la

crainte d’une dépossession del’homme par les techniques qu’il ainventées. La peur de l’apprenti sor-cier est toujours présente, et ce d’au-tant plus que les applications des tech-nologies susceptibles de confectionnerdes corps invulnérables et performantssont prioritairement d’ordre militaire.Au moment même où les machinesguerrières commencent à remplacerles hommes (pensons aux drones), lecorps humain aspire à l’invulnérabi-lité et à la puissance des machines.

LA PEUR CHANGE DE VISAGE Ce changement est politique. On parledes puissances montantes et des pays« émergents » ; on entend leurs exi-gences de représentativité dans les ins-tances internationales. Mais un autrelangage et de nouvelles notions(crimes contre l’humanité, droit d’in-gérence) ont fait leur apparition. Onles utilise pour rendre compte de situa-tions conflictuelles locales. Locales carles guerres, au sens ancien du terme,sont aujourd’hui réservées aux petitspays et sont essentiellement desguerres civiles ou des conflits de fron-

tières. Mais ces conflits locaux s’ins-crivent dans le contexte transnationalcréé par le terrorisme politico-religieuxà vocation planétaire qui suscite desformes nouvelles de peur et de mobi-lisation… La peur change de visage etse fait diffuse ; tout attentat la relance.Ce changement est écologique et social.Les catastrophes naturelles prennentde l’ampleur. Nous maltraitons la pla-nète et sommes sans doute en partieresponsables de cet état de fait. Il fautajouter que les plus faibles en sont lespremières victimes. Or l’écart ne cessede se creuser, à l’échelle de la planète,entre les plus riches des riches et les

plus pauvres des pauvres, de mêmequ’entre les plus instruits et les plusdémunis culturellement. Nous vivonsdans une oligarchie globale à troisclasses : les possédants, (du capitalfinancier ou symbolique), les consom-mateurs et les exclus - les plus fragilesdes consommateurs craignant à termede basculer dans la catégorie des exclus.Cette situation ne peut que susciter desformes inédites de violence.

DEUX PANIQUES DE SENS INVERSE Ce changement d’échelle est démo-graphique. La population du mondeau début du XXe siècle correspondaiten gros à celle de la seule Chineaujourd’hui. Cette expansion démo-graphique est inégale selon les pays ;les pays développés ont le plus sou-vent un taux de fécondité en baisse.On imagine aisément, et l’on entendsouvent, les craintes que cette inéga-lité suscite. Deux paniques de sensinverse se renforcent mutuellement.La migration hors des pays où la vieest chaque jour plus difficile s’inten-sifie ; les migrants risquent souventleur vie pour fuir. Ces mouvements depopulation suscitent les craintes despays ou des régions d’accueil, enEurope bien sûr, mais aussi en Afrique,en Amérique ou en Asie.Au XVIe siècle, la Renaissance, italienned’abord, française ensuite, est passéepar un retour à l’Antiquité gréco-latineet aussi par des apports lointains(Amérique, Afrique, Chine) dans les-quels Lévi-Strauss a pu voir la sourcede la vitalité et du dynamisme euro-péens à cette époque. L’ « ici », danscette perspective, c’était clairementl’Europe, et l’ « ailleurs » le reste dumonde. Les choses ont-elles vraimentchangé ? Oui, en ce sens qu’il y a tou-jours un centre du monde, mais qu’ils’est démultiplié et en quelque mesuredéterritorialisé. La « métacité virtuelle »dont parle Paul Virilio, ce sont à la foisles mégapoles planétaires, les réseauxd’échange, de communication et d’in-formation qui les relient et les puis-sances financières plus ou moins ano-nymes qui dominent l’ensemble. Ensorte que, dans ce monde où noussommes tenus informés quotidienne-ment des malheurs qui nous mena-cent, nous avons chaque jour davan-tage le sentiment d’être colonisés sanssavoir exactement par qui. n

*Marc Augé est anthropologue. Il estdirecteur d’études à l’École deshautes études en sciences sociales(EHESS).

« Nous vivonsdans une oligarchie

globale à troisclasses : les

possédants, (ducapital financier ou

symbolique), lesconsommateurs et

les exclus. »

LES NOUVELLES PEURSUn mal-être généralisé semble s'être emparé dessociétés humaines et menacer leur équilibre.

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PAR JEAN-FRANÇOIS TÉALDI*

«L a France a peur ! » Lacélèbre phrase prononcéepar Roger Gicquel le

18 février 1976 au vingt heures de TF1,après la mort à Troyes du petitPhilippe Bertrand, marque le débutd’une dérive qui s’accroît. Les diffu-seurs ont compris ce soir-là que lapeur permettait de booster l’audimat.Les média dominants exploitent lapeur pour parer les baisses d’au-dience, dramatisent les événementspour renflouer les caisses. Depuis plusde dix ans la violence sévit, imagesanxiogènes, même sur le servicepublic et en bas de l’écran défilent lesbandeaux qui nous informent de toutfait-divers.

SOCIALISATION DE LA PEURMais au-delà, les média socialisent lapeur, reconstruisent la réalité en laformatant, sélectionnent les mots,son exposition ; cette médiatisation

suscite un sentiment d’insécurité, unepsychose individuelle et collectivenéfaste à la démocratie, car les peurscontribuent à l’opinion, elles sontcontagieuses. Chiffres d’insécurité,faits-divers sanglants, délits, donnentl’impression d’une menace, bien quele fait-divers ne soit pas un paramè-tre de la réalité. Ce n’est pas parce qu’ily a des agressions de personnes âgées,des crimes contre les enfants dans lesmédia que ceux-ci ont augmenté.La peur apparaît massivement audébut des années 2000, les imagesdramatisent les mots ; leur multidif-fusion en boucle des faits-divers surles chaînes d’info en continu, faitoublier qu’ils sont ponctuels. On se

LA PEUR ? UN MOYEN DE FAIREMONTER L’AUDIMAT !

souvient des effets dévastateurs pourJospin de reportages sur l’insécuritélors de l’élection de 2002 (visagetuméfié de papy Voise) ; les chaînesavaient accru leur couverture de laviolence durant la campagne ; d’au-tres dérapages seront commis(Laroche, Outreau).Cette peur valide le discours queconstruit l’extrême droite et la droiteextrême, entraîne le rejet de l’autre etun repli sécuritaire pour des genssocialement isolés, sans emplois,femmes seules, seniors… Dans unepériode plus récente, celle du mariagepour tous, par peur de la différenceon a banalisé la haine portée par lesmicros-trottoirs, puis ce fut le feuil-leton de l’été « Marseille, capitale ducrime » !Le baromètre INA STAT de juin 2013,pointe que les faits divers ont aug-menté de 73 % entre 2003 et 2012 dansles journaux télévisés, 2 062 contre1 191, plus de cinq sujets par jour etles émissions de divertissementn’échappent pas à la tendance.

« QUE FAIRE ? » AURAIT DITOULIANOV !Des journalistes, leurs syndicats,Acrimed, dénoncent régulièrementcette tendance qui expose la peur àl’audimat. En juillet le Front degauche Média dénonçait : « Les faits-divers, séries de l’été ! La révolte deTrappes a fait les unes, à coups dedéclarations martiales du ministre del’Intérieur et d’élus de droite vautrésdans les éructations du FN. Où estl’investigation qui aurait permis d’ex-pliquer cette révolte autrement quepar le seul voile ? Poser les questionsdu mal vivre des banlieues, où sévis-sent chômage et exclusion est moinsvendeur pour l’audimat ! Les citoyens

ne s’y retrouvent plus. Il est temps quecesse le sensationnalisme avec aubout la montée des communauta-rismes et des haines. »Chacun peut agir individuellementou collectivement. Les journalistes,leurs syndicats, mais aussi le téléspec-tateur-citoyen ; un individu, un quar-tier mis en cause, peuvent s’adresseraux auteurs du reportage, au direc-teur de l’information, au médiateur,saisir le conseil supérieur de l’audio-visuel (CSA), voire la justice pour exi-ger un droit de réponse.

À terme la solution réside dans lespropositions du Front de gauche etdu PCF : interdire aux groupes indus-triels vivant de subventions publiquesde posséder des média, adopter uneloi anti-concentrations, accorder laresponsabilité juridique aux rédac-tions et le droit de veto sur la nomi-nation des rédacteurs en chef ; réfor-mer le CSA en l’ouvrant aux syndicatset aux téléspectateurs, lui donner plusde pouvoirs de contrôle des émissionsdiffusées. n

Pour enrayer l’instrumentalisation de la peur, enprogression dans les journaux télévisés depuis lesannées 2000, chacun peut intervenir individuelle-ment et collectivement. PCF et Front de gauchefont des propositions structurelles.

« Cette peur entraîne le rejet de l’autre et un repli sécuritaire pour des gens

socialement isolés, sans emplois, femmes seules, seniors. »

« Poser lesquestions

du mal vivre desbanlieues, où

sévissentchômage et

exclusion est moinsvendeur pour

l’audimat. »

*Jean-François Téaldi est journaliste.Il est responsable du secteur Médiadu Conseil national du PCF.

Réagissez aux articles,exposez votre point de vue.

Écrivez à [email protected]

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PAR ANTHONY CAILLÉ*

L e droit à la sécurité est avanttout de la responsabilité del’État et de l’ensemble des ser-

vices publics qui y concourent.L’aspiration à la sécurité doit être aussiune des priorités des forces politiqueset syndicales de progrès au même titreque le combat pour le droit social, lasanté, le logement, les transports etc.

NE PAS LAISSER CETTEQUESTION À LA DROITELa droite ne se prive pas d’utiliser lesquestions de sécurité à des fins poli-tiques, mais sans jamais apporter lesréponses adéquates. Elle choisit des’attaquer uniquement aux consé-quences et jamais aux causes, d’où lapriorité donnée à la répression plu-tôt qu’à la prévention et la dissuasion.À l’opposé du « tout sécuritaire », l’an-gélisme aveugle ne peut pas être laréponse adaptée à la situation de ladélinquance dans notre pays. Durantdes années, les forces de progrès (par-tis politiques, associations et mêmessyndicats) ont défendu la thèse selonlaquelle c’est par le changement desociété que les problèmes de la délin-quance disparaîtront. Aujourd’hui,plus que jamais, si l’on veut changerla société, il est impératif de seconfronter au problème de l’insécu-rité parce qu’il est l’une des premièrespréoccupations des citoyens.Il faut donc regarder les faits.L’insécurité est bien réelle dans lepays. La délinquance augmente mal-gré les annonces médiatiques duministre de l’intérieur Manuel Valls.Nous ne devons pas ignorer la réalitévécue par cette partie de la popula-tion qui subit l’insécurité dans sa viequotidienne. Population par ailleursdéçue par la police. Combien de foisles victimes d’actes de délinquancese rendant au commissariat ou à lagendarmerie s’entendent dire : « Nousne pouvons pas prendre votre plaintecar nous manquons de personnel »ou « Votre préjudice ne nécessite pasune plainte ».Reconnaître ce vécu et s’en préoccu-

LE BESOIN D’UNE POLITIQUE PROGRESSISTE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ DES CITOYENS

per ce n’est pas rejoindre les idéesrépressives de la droite et de l’extrêmedroite. Au contraire, la meilleure façonde combattre ces thèses c’est d’agiravec les victimes de l’insécurité afinde préconiser une autre politique quele « tout répressif ».

S’ATTAQUER AUX CAUSESSTRUCTURELLES DEL’INSÉCURITÉLes causes de l’insécurité sont mul-tiples : le mal vivre, le désœuvrement,l’injustice face au droit au travail, laperte de repères pour le respect d’au-trui, la tentation de l’argent roi géné-rée par la société capitaliste, etc. Maisl’une des causes principales du déve-

loppement de l’insécurité dans notrepays est le désengagement de l’État :désengagement de l’école, des citésurbanisées, mais aussi désengage-ment financier tant et si bien que lesmoyens alloués à la police et à la gen-darmerie nationale ne sont plus à lahauteur des attentes exprimés par lescitoyens en matière de liberté et detranquillité.

ENTRE SPECTACLE ET RENTABILITÉÀ partir des années 1970, les gouver-nements successifs, mais plus parti-culièrement ceux de droite, ontorienté les missions de la police vers« l’ordre public » et le tout répressif.Ainsi, à chaque événement, du mou-vement revendicatif aux faits divers,les seules réponses apportées sont la

Dans une société démocratique, le droit de vivreen sécurité est un droit fondamental pour le déve-loppement de la solidarité, de la fraternité et de lajustice sociale.

« force » et la répression. Nous nousrappelons des « opérations coups depoing » du ministre de l’intérieurMichel Poniatowski qui consistaientà envoyer des forces de police (CRSet GM) non pas pour trouver unesolution positive aux problèmes maisuniquement pour démontrer « laforce de l’État ». La doctrine des « opé-rations coups de poing » est toujoursd’actualité, tandis que les problèmesdemeurent irrésolus. Par ailleurs, laconception des gouvernements et desministres de l’Intérieur a toujours étéde considérer que la police n’était utileque si elle était rentable en ce quiconcerne les interpellations, lesgardes à vue et les affaires élucidées.Nous considérons qu’il est néfasted’intégrer la notion de rentabilité dansl’appréciation d’un service publiccomme la police nationale. Celaconduit invariablement à la culturede résultat et au « tout sécuritaire ».

UN SERVICE PUBLICNATIONAL DE SÉCURITÉ AUPLUS PRÈS DES GENSIl ne s’agit pas, pour nous, de créerune société « policière » dans laquellechaque citoyen serait surveillé etencadré. La police n’a pas vocation àêtre un instrument répressif servantdes fins politiciennes ou des plans decarrière de ministres de l’Intérieur. Ils’agit de créer un véritable servicepublic de police nationale quiréponde aux attentes des citoyens.Pour cela nous considérons que laréunion des services existants – lapolice et gendarmerie nationale etmême les polices municipales – enun seul service public de sécurité estde nature à répondre plus positive-ment aux préoccupations descitoyens.Avec des personnels formés aux exi-gences du XXIe siècle, bénéficiant dedroits communs à l’ensemble desfonctionnaires, ayant des salaires à lahauteur des missions exigeantes etcomplexes qu’ils assument quotidien-nement, nous pensons que l’effica-cité d’une police visant la sécuritépour tous serait bien plus grande.Ainsi face aux violences à l’école, laréponse n’est sûrement pas la présencede policiers dans les collèges et leslycées. Cela aurait un effet d’autantplus néfaste que les personnels ne sontpas formés aux comportements indis-pensables à avoir dans un établisse-ment scolaire. De plus, nous considé-

« Nousconsidérons qu’il

est néfasted’intégrer la notionde rentabilité dansl'appréciation d'un

service publiccomme la police

nationale. »

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rons qu’il faut donner à l’Éducationnationale les moyens pour assurer lasécurité des élèves et des enseignantsdans les enceintes scolaires. Enrevanche, une présence préventive estsouhaitable. Autrefois, à l’entrée et àla sortie des écoles, la présence de lapolice avait un double objectif : dis-suasion et prévention des actes délic-tueux d’une part, respect de l’autorité,le policier étant perçu comme utilepour la sécurité, d’autre part.

LA POLICE DE QUARTIERFace aux problèmes de la délinquancedans les cités urbanisées, la réponse,comme nous l’avons déjà souligné,n’est pas le « tout sécuritaire ». Il nesuffit pas qu’un ministre déclare bête-ment : « Je vais nettoyer les cités au

Kärcher et je vais vous débarrasser dela racaille ! ». Bien sûr, ce discours plaîtà une partie de la population et plusparticulièrement aux victimes de ladélinquance. Refusant ces discourssimplistes qui ne résolvent rien, nousne retombons pas dans l’angélismeprécédemment évoqué. Si, après lesmesures de prévention et de dissua-sion, des actes délictueux se perpé-tuent et que des citoyens dans les citéssouffrent de l’insécurité, il est néces-saire de se montrer ferme pour réta-blir la tranquillité démocratique.Pour faire face aux problèmes dedélinquance, il faut mettre en œuvrece que nous appelons « la police dequartier », ce que les politiques degauche ont traduit en « police deproximité ». L’échec relatif de la police

de proximité, malgré de nombreuxaspects positifs, s’explique assez lar-gement par le manque de moyens.L’erreur, celle des gouvernements degauche en particulier, a été la sup-pression des commissariats et desgendarmeries des villes jugées nonrentables en matière de délinquanceet de criminalité.Une police proche des gens, encontact permanent avec les popula-tions et les différents acteurs associa-tifs et économiques, créerait lesconditions du rétablissement de laconfiance entre policiers et citoyens.C’est cela, agir pour une véritable poli-tique de sécurité publique. n

*Anthony Caillé est policier,syndicaliste.

DE LA PEUR À LA HAINEENTRETIEN AVECÉLISABETH ROUDINESCO*

L a psychologie sociale a-t-elledes choses à nous apprendresur les peurs qui traversent le

peuple ?Je ne m’intéresse pas vraiment à lapsychologie sociale sous cette forme.La question de la peur des foules estun vieux thème réactionnaire qui datede Gustave Le Bon. Ce dernier assi-milait les foules à des monstres, fémi-nins le plus souvent, et faisait des révo-lutions l’œuvre de furies hystériques.Freud aussi s’est penché sur la psy-chologie des foules dans Psychologiedes masses et analyse du moi mais iln’a pas tant traité de la peur que del’autorité, il y prenait notammentl’exemple de l’Église et de l’armée.C’est d’ailleurs un texte qui doit êtreréinterprété historiquement. Ce n’estpas un ouvrage qui préfigure le fas-cisme comme l’ont dit Lacan ou d’au-tres, c’est plutôt un texte sur l’après-coup de la révolution bolchevique àlaquelle Freud se réfère nettement.Freud pensait que l’humanité étaitcapable de tous les déchaînementsmais ce n’était pas un réactionnairecomme Le Bon, il plaçait au contraireun espoir dans l’intériorisation de laloi. Je ne dis pas qu’il faut tout garderchez Freud, bien au contraire, il fautune interprétation critique, mais jeconstate que l’anti-freudisme radicals’appuie très souvent sur une vérita-ble haine de l’intellect. Toutefois, demanière générale, je ne considère pasque la psychologie sociale ou autre ait

vraiment des choses à nous appren-dre sur la manière dont un tyranaccède au pouvoir. Je ne crois pasqu’on puisse expliquer la montée dufascisme par la répression du désircomme le faisait Wilhelm Reich parexemple.

Néanmoins, considérez-vous que lasociété contemporaine est principa-lement animée par la peur ?Oui. Le journal Le Monde a publiérécemment une étude montrant àquel point les Français sont plongésdans la morosité. Évidemment le peu-ple a peur du lendemain, de ne paspouvoir finir le mois, mais il ressentégalement une peur politique, unepeur de l’autre, une peur de perdre sasouveraineté qui fait le lit de l’extrêmedroite. Je trouve que les réponses quel’on propose aujourd’hui à ce pro-blème sont souvent trop centrées surl’économie et pas assez sur la poli-tique et sur l’idéologie. Quand il y aune crise économique, cela ne sert àrien d’asséner des chiffres auxquelsles gens ne comprennent rien : il fautau contraire relancer des engagementspolitiques, un idéal, un désir de chan-gement. Je continue à croire qu’unedes solutions est d’éduquer le peupleafin d’endiguer la peur. En cela, je restetrès fidèle à l’esprit de 1789. Pouratteindre cet objectif, je pense qu’ilfaut chercher à mobiliser sur desthèmes idéologiques comme la luttecontre le racisme et l’antisémitisme.Je trouve aussi que les média ont unegrande part de responsabilité dans lamise en place de ce climat de peur.

Quand on voit que le nombre deFrançais favorables au rétablissementde la peine de mort a augmenté etavoisine les 50 %, on se dit que le jour-nal de vingt heures devrait arrêter debrandir chaque jour des faits diversdélibérément grossis pour faire croirequ’il y a un pédophile à tous les coinsde rue. On a tout de suite peur que lemoindre fait divers prenne la formedes attentats perpétrés par AndersBreivik.

Selon vous, y a-t-il un lien entre lesdifférentes peurs sur lesquelless’appuie l’extrême droite ?Oui, il y a clairement un point com-mun, non seulement entre peur ethaine mais aussi entre les différentespeurs et les différentes haines. Onpourrait presque dire que celui qui esthomophobe est aussi, inconsciem-ment, antisémite ou raciste car, aufond, ces gens ont la haine de tout etjouent sur toutes peurs : d’ailleurs, his-toriquement, dans le discours antisé-mite, la haine du Juif est associée à lahaine de l’homosexuel : les deuxseraient « féminisés », donc rangésdans un degré d’inhumanité prochede la bestialité.Le fait par exemple que Dieudonnéne s’avance plus masqué a eu le méritede révéler les convergences qui peu-vent exister entre des gens venus d’ho-rizons très différents d’Alain Soral àRenaud Camus ou encore Marc-Édouard Nabe : ils s’entendent d’ail-leurs très bien pour hurler ensemblecontre tout le monde ou les uns contreles autres sur des plateaux de télévi-

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sion complaisants. Ils ont un pointcommun : ils haïssent Freud ou plu-tôt le « nom » de Freud, c’est quandmême extraordinaire : haïr un nom !Sans avoir lu une ligne d’un œuvre etsans connaître les travaux des histo-riens. Comme si ce nom incarnait leparadigme de toutes les peurs. Jusqu’àprésent, les liens entre ces gensn’étaient pas forcément visibles car ilsne s’exprimaient pas tous de la mêmemanière, mais maintenant c’est unpeu différent. En tout cas, je me fais

insulter aussi bien de la part d’antisé-mites, d’anti-freudiens que de racistes,de pétainistes ou d’homophobes.Comme si j’étais l’incarnation du nomde Freud et « bolchevique » ou« freudo-sémite » (dérivé de freudo-marxiste) par-dessus le marché.Aux États-Unis, c’est la frange extrêmedes républicains qui occupe cetteplace. C’est le même type de per-sonnes qui se mobilisent contre lestentatives faites par Barack Obamapour mettre en place une Sécuritésociale aux États-Unis. C’est pour celaque je soutiens aussi bien ChristianeTaubira dans son combat contre l’ho-mophobie et le racisme que ManuelValls dans sa lutte contre l’antisémi-tisme. Concernant l’affaire Dieudonné

par exemple, je considère qu’il existeen France un arsenal de lois, notam-ment la loi de 1972, qui permettentd’agir avec une grande fermeté.Personnellement, je ne suis pas favo-rable à la loi Gayssot, car je considèreque le rôle du législateur n’est pas decontrôler le travail des historiens.Néanmoins, je crois qu’il faut remo-biliser les couches populaires sur desthèmes progressistes afin de battre enbrèche les logiques identitaires pré-tendument « antisystème ».

Antisystème, on sait très bien ce quecela recouvre : la haine de tout ce quipense mais aussi de tout ce qui feraitintrusion dans l’irrationnel de la peur.

Vous êtes intervenue à plusieursreprises en faveur de la loi autorisantle mariage pour tous. De quoi l’ho-mophobie est-elle la peur ?Depuis la fin du XIXe siècle, tout chan-gement dans la famille alimente lapeur du peuple. L’extrême droite bran-dit les lois naturelles de la famille alorsque ce n’est même pas cela qui est enjeu. Ceux qui sont descendus dans larue contre l’ouverture du mariage auxhomosexuels avaient peur que tout lemonde devienne homosexuel alorsqu’il ne s’agissait que d’ouvrir des

droits pour 6 % de la population fran-çaise. Ils ont donné une image ducatholicisme digne de MonseigneurLefebvre et qui n’est même pasconforme à la réalité de cette religionaujourd’hui : beaucoup de famillescatholiques acceptent à présent l’ho-mosexualité et bientôt l’union descouples homosexuels. En réalité, ceque ne supportent pas Frigide Barjotet les autres opposants à cette loi, c’estl’idée que l’homosexualité se norma-lise. Ils n’acceptent l’homosexualitéqu’à travers les figures d’Oscar Wilde,de Marcel Proust ou d’André Gide. Ilsveulent bien de l’homosexuel mauditmais ils ne supportent pas l’homo-sexuel qui ne se voit pas, celui quipénètre le corps de la nation en invi-sible. L’homophobie, tout comme l’an-tisémitisme, a besoin de reconnaîtrecelui dont elle a peur, elle ne supportepas qu’il devienne comme tout lemonde.

Les peurs qui meuvent la sociétéfrançaise ont-elles quelque chose despécifique ?Il y a peut-être le passage à l’Europequi est un peu plus douloureux enFrance que dans d’autres pays commel’Allemagne ou l’Italie, qui n’ont pasla même tradition en matière de cen-tralisation nationale. Néanmoins, jene crois pas par exemple que le fas-cisme puisse se retrouver en positionde conquérir le pouvoir en France ouque Marine Le Pen puisse remporterl’élection présidentielle. Je crois quel’extrême droite se fera toujours absor-ber par la droite. Je suis assez d’accordavec Zeev Sternhell pour dire que laFrance est pour ainsi dire toujours bal-lottée entre Valmy et Vichy. Dans lamesure où une partie des peurs quel’on retrouve aujourd’hui dans lasociété française peuvent s’expliquerpar ce que Jacques Derrida nommaitune « désouverainisation », on peutregretter que la droite ne soit pasdavantage républicaine ou gaulliste.Le Conseil national de la Résistances’appuyait sur un compromis gaullo-communiste, lequel reposait sur unpatriotisme qui n’était pas un natio-nalisme. Dans le gaullisme commedans le communisme, il existait uncertain universalisme hérité de laRévolution française qui se refusait àcultiver la peur. n

« Je continue à croire qu’une des solutions est d’éduquer le peuple

afin d’endiguer la peur. En cela, je reste très fidèle

à l’esprit de 1789. »

*Élisabeth Roudinesco esthistorienne de la psychanalyse. Elle est directrice de recherche àl’université de Paris 7 Denis-Diderot.

Propos recueillis par Jean Quétier.

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LA DÉMOCRATIE POUR RÉHABILITER LA SCIENCELe scientifique n’existe plus. Il n’y a plus que des tra-vailleurs scientifiques. Est-ce cette désacralisationqui fait peur ? La science, tout comme Dieu, ne définitplus une vérité sécurisante, mais toujours précaire.

PAR JEAN-FRANÇOIS BOLZINGER*

Dans l’art de ne pas traiter lesproblèmes, la vision conserva-trice du sacro-saint principe de

précaution est exemplaire. En blo-quant les expérimentations dès larecherche, elle nous enferme dans unevie hermétique au progrès technique,social, économique… Heureusementnos ancêtres n’ont pas renoncé à maî-triser le feu !

DES MODES DE GESTION ETD’ORGANISATIONMORTIFÈRESLe travail est œuvre humaine. Latransformation de la nature aussi. Larecherche et les découvertes pren-nent aujourd’hui leur source en par-tie au cœur du travail lui-même, alorsque les chercheurs sont des salariésau même titre que les autres. Ils sontsoumis aux modes d’organisation dutravail et aux stratégies relevant duWall Street management, d’unelogique de fonctionnement et d’orien-tation de l’entreprise fondée sur laperformance financière. Cette logiquepilotée par la financiarisation, déjàfortement présente dans le privé etqui imprègne le public progressive-ment, procède par la fixation d’ob-jectifs individuels quantitatifs de courtterme, contradictoires avec le déve-loppement humain durable. Elle estmortifère pour le travail et larecherche, en imposant un mode desurexploitation de la part intellec-tuelle du travail. Ce mode de mana-gement, rarement pointé du doigt,génère démobilisation dans le travail,non-qualité, dysfonctionnements,accidents style AZF. Une cinquantained’accidents industriels graves(Bhopal, Tchernobyl, etc.) sont sur-venus depuis 1979 (fusion du cœurde la centrale nucléaire de Three MileIsland aux États-Unis). Les analysesdémentent que les causes se rédui-sent à la défaillance ou à l’erreurhumaine. « Fondamentalement, lescauses profondes des catastrophessont d’origine organisationnelle. Cesont les dérives et les dysfonctionne-

ments des organisations chargées degérer les risques qui sont à la sourcedes accidents. Le fonctionnement desorganisations et au premier chef leursinstances managériales demeurenténigmatiques. Il est à craindre que cetrou noir des organisations persistelongtemps, malgré de nouvelles situa-tions catastrophiques provoquées parelles-mêmes » (Michel Llory, « La facecachée des catastrophes indus-trielles » Santé et Travail, janvier 2014)

RÉCONCILIER SCIENCE,TRAVAIL ET SOCIÉTÉLa révolution écologique doit être toutle contraire de la révolution de la peur(peur du nucléaire, peur des usines,peur de la science…). La pérennité dela domination de la logique capita-liste dans notre travail, dans nos viesou encore au cœur de sciences ettechniques synonymes de danger,n’est pas une fatalité. La non mise encause de la logique de productivité etde la profitabilité incite à s’en pren-dre aux sciences et techniquescomme bouc émissaire. Mais l’élabo-ration d’une alternative au manage-ment bureaucratique déresponsabi-lisant et au management financier estde nature à redonner sens au travailen favorisant la réconciliation entrescience, travail et société.

Le combat communiste est fonda-mentalement progressiste. Mais sil’idée de jeter le bébé science avecl’eau du bain écologiste a pris corps,c’est aussi parce que la nouvelle placede la science et du chercheur n’a pasété suffisamment éclaircie. Pourquoise laisser ballotter entre une sciencetoute puissante qui définit la vérité àsuivre, donc scientiste, et une sciencemarchande où la finalité devient la

finance ? Un chercheur est un salariéqualifié ayant des responsabilités.Dans les entreprises, les salariésdemandent la démocratie, la trans-parence des choix de gestion et desstratégies, des droits d’interventionindividuels et collectifs. Émerge lanécessité d’agir pour une conceptionde l’entreprise, distincte de la sociétéd’actionnaires, une communauté detravail créative redéfinissant ses liensavec la société, ouverte sur les acteurslocaux externes. La responsabilité duchercheur mérite dans ce cadre d'êtreréfléchie. Où s’arrête sa liberté ? Si onconsidère que l’enfermement dans lalogique marchande est une impasse,rester sur une vision du penseur et dudécideur des orientations derecherche en vase clos est aussi pro-blématique. Face à l’ampleur desdomaines de découvertes à venir etla rapidité d’évolution de notresociété, il y a lieu d’avancer sur unpartage des responsabilités. Cela sup-pose de reconnaître la responsabilitédu chercheur (professionnellementet socialement), mais aussi celle descitoyens, des travailleurs, des poli-tiques avec des débats où l’informa-tion et la compréhension par tous desenjeux scientifiques, technologiques,économiques, sociaux, environne-mentaux, humains) sont une prioritédémocratique.Le principe de précaution pourrait,dans ce cadre, s’interpréter commeun principe de vigilance applicable àtoutes les activités productives et quiresponsabilise tous les acteurs. Plutôtque de céder aux problématiques depeur, de non-maîtrise, d’obscuran-tisme ou de scientisme, conjuguerrecherche, travail et interaction démo-cratique avec la société est un axe decombat progressiste, porteur d’éman-cipation humaine. C’est le moyen de« réussir à canaliser le progrès desconnaissances scientifiques et tech-niques pour que les transformationsde la société qu’il induit, restent cen-trées sur le respect de la dignitéhumaine, la gestion et l’entretien desbiens communs matériels de l’huma-nité, l’exercice d’une vigilance soute-nue sur l’évolution des équilibresnaturels, la satisfaction des besoinssociaux exprimés, l’élaboration d’uneéthique de vie. » (Luc Foulquier,Roland Charlionet, L’être humain etla nature, quelle écologie, 2013). n

*Jean-François Bolzinger estmembre du Conseil national du PCF.Il est codirecteur de la revueProgressistes.

« La révolutionécologique doit êtretout le contraire dela révolution de la

peur. »

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PAR LAURENT MUCCHIELLI*

Les enquêtes de « victimation » inter-rogent anonymement des échan-tillons représentatifs de personnessur ce qu’elles ont pu éventuellementsubir sur une période de temps déter-minée, qu’elles l’aient ou non signaléaux services de police et de gendar-merie. Elles permettent donc demesurer assez finement la fréquenceet l’évolution réelle des comporte-ments indépendamment de l’actiondes administrations et de l’évolutiondu droit.L’on peut ainsi évaluer le fameux« chiffre noir » qui a hanté pendantdes décennies les commentateurs desstatistiques administratives. L’ons’aperçoit aussi que le taux de plaintedes victimes varie considérablementselon le genre d’infractions : il est ainsitrès fort pour les cambriolages et lesagressions physiques les plus gravesmais au contraire très faible (entre 5et 10 % selon les enquêtes) pour lesagressions verbales et par ailleurspour les agressions sexuelles qui sontprincipalement intrafamiliales.

Les enquêtes de délinquance auto-déclarée (ou auto-révélée) interro-gent anonymement des échantillonsreprésentatifs de personnes sur leurséventuels comportements déviantset délinquants, qu’ils aient ou non faitl’objet de dénonciations. Elles ont étéinventées aux États-Unis dès la fin desannées 1940 mais n’ont été réaliséesen France qu’à partir des années 1990.Pour des raisons d’abord pratiques(la passation des questionnaires) maisaussi idéologiques (le préjugé auterme duquel seuls les jeunes com-mettraient des actes de délinquance),ces enquêtes sont presque toujoursréalisées sur les adolescents scolari-sés. Outre qu’elles ne disent donc riensur les adultes, elles excluent de faitles jeunes déscolarisés dont certainssont parmi les jeunes les plus enga-gés dans la délinquance. Reste queces enquêtes ont opéré une révolu-tion dans le milieu scientifique, enrévélant l’étendue insoupçonnée des

MESURER LA PEUR ?

actes délinquants et des conduites àrisque, commis par les adolescentsdes deux sexes. Loin d’être l’excep-tion, ces comportements déviants(par rapport aux normes officiellesdes adultes) sont particulièrementfréquents à l’adolescence. Contrairement aux préjugés ordi-naires, la majorité des adolescent(e)sa commis un acte délinquant aumoins une fois dans sa vie (par exem-ple une bagarre à la sortie de l’école,qui peut aujourd’hui être qualifiée de« coups et blessures volontaires aveccirconstances aggravantes », mêmeen l’absence de réels dommages phy-siques).

Les enquêtes sur le sentiment d’insé-curité peuvent, selon les questionsposées, interroger la peur personnelle(« avez-vous peur lorsque vous ren-trez chez vous ? ») ou bien l’opiniongénérale des personnes (« pensez-vous que l’insécurité est un problèmeprioritaire ? »). Les résultats sont tota-lement différents. La plupart des per-sonnes qui déclarent en effet que« l’insécurité » est une priorité poli-tique disent par ailleurs ne pas avoirde problèmes de ce type dans leur viepersonnelle. Comme toutes les opi-nions politiques, cette préoccupation

sécuritaire varie selon les contextes.Faible jusqu’à la fin des années 1990,elle a connu une brusque poussée en1999-2002, dans le contexte d’hyper-politisation de cette question, avantde décroître fortement (dans l’en-quête régionale Île-de-France, lapréoccupation pour la sécurité estpassée de près de 40 % en 2001 àmoins de 13 % en 2009). En échange,ce sont les préoccupations sociales(le chômage, la pauvreté) qui sontremontées en tête. Les enquêtes quiinterrogent en revanche la peur per-sonnelle témoignent d’une assezgrande stabilité des déclarations.Environ 8 % des personnes interro-gées dans la même enquête régionaledéclarent ainsi avoir peur chez elles,en 2009 comme en 2001. Les per-sonnes âgées ont beaucoup plus peurque les jeunes lors même qu’elles sontbeaucoup moins souvent victimesqu’eux de vols ou d’agressions. Demême, les femmes ont davantagepeur que les hommes. La solitude, laprécarité socio-économique, le faitde résider dans un quartier pauvresont aussi des facteurs explicatifs decette peur qui exprime ainsi demanière générale un sentiment devulnérabilité plus que d’insécurité. n

Les enquêtes en population générale sont d’une nature différente des statis-tiques administratives. En effet, elles n’interrogent pas l’activité des adminis-trations mais directement le vécu et/ou le ressenti de la population, à partird’échantillons représentatifs et de questionnaires élaborés par les cher-cheurs. Trois types d’enquêtes apportent ainsi des contributions majeures àla connaissance en ce domaine.

« La plupart despersonnes

qui déclarent eneffet que

« l’insécurité » estune priorité

politiquedisent par ailleurs

ne pas avoir deproblèmes

de ce type dans leurvie personnelle. »

Réagissez aux articles,exposez votre point de vue.

Écrivez à [email protected]

*Laurent Mucchielli est sociologue.Il est directeur de recherche auCNRS, rattaché au laboratoireméditerranéen de sociologie d’Aix-en-Provence.

Extrait de l’article « Les techniques etles enjeux de la mesure de ladélinquance », Savoir/Agir, n°14,2010, publié avec l’aimableautorisation de la revue.

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PAR ARNAUD MACÉ*

L es anciens Grecs de l’âgearchaïque et classique, tout aumoins les hommes libres des

cités, avaient une existence politique,ce qui signifie aussi qu’ils en payaientle prix, celui de la lutte : lutte contrel’ennemi extérieur pour que la cité etdonc l’ensemble des hommes, femmeset enfants qui la composent restentlibres, lutte contre l’ennemi intérieurpour que les lois de la cité soientconformes à leurs vœux. La guerre, laguerre civile, la révolte et la révolutionfaisaient partie de leur vie. Ils nous ontlaissé certains témoignages de leurcourage collectif. Ainsi lorsque lescitoyens composant la flotte d’Athènes,apprenant qu’une révolution oligar-chique a eu lieu à Athènes en 411, seréunissent à Samos, destituent leurschefs, se proclament le peuple et prê-tent serment de vivre en démocratie.

LE COURAGE D’ENTRER EN RÉVOLTELe pouvoir collectif de ceux qui se réu-nissent pour défendre leur liberté estpourtant un pouvoir faible, car il n’estfait que de l’addition des individus qui,les uns après les autres, chacun leurtour, doivent avoir le courage d’entrer

en révolte. Le tyran d’Athènes,Pisistrate, connaissait cette faiblessedes masses. Ainsi, c’est en profitant dela sieste du peuple d’Athènes en sou-lèvement, qu’il surprit son monde etlança ses fils à cheval à la poursuitedes combattants en débandade, enleur enjoignant de rentrer chacun chezsoi et de « retourner chacun à ses pro-pres affaires » (« epi ta heôutou »,Hérdote, Histoires, I, 63, 12). « Si vous rentrez tous chez vous, si vousvous occupez chacun de vos affaires,

LA PHILOSOPHIE, LA PEUR DE MOURIR ET LE COURAGE COLLECTIF

alors il ne vous sera rien fait. » Le cou-rage collectif se disperse dès que cha-cun des atomes qui composent legroupe est renvoyé à son existenceindividuelle, au souci des siens, à lapeur de leur mort et à celle de la siennepropre. Seul face à la peur, le citoyenvacille. Avoir peur de sa propre mortdevient dès lors aussi un problèmepolitique ; avoir peur de sa propremort, c’est ne plus être disponible pourservir le bien commun.

SE DÉFAIRE DE LA PEUR DE LA MORTCette peur est un thème que les phi-losophes de l’Antiquité ont tenu à trai-ter. Platon et Épicure présentent deuxmanières opposées de se défaire de lapeur de la mort par le pouvoir de ladémonstration. Dans le Phédon dePlaton, la peur de la mort est présen-tée comme prenant sa source danscette croyance enfantine que l’âme,sortant du corps à sa mort, pourraitêtre dispersée et dissipée par le vent,surtout si on meurt un jour de grandvent plutôt qu’un jour calme. Dès lors,il s’agit de se demander si l’âme faitvraiment partie de ce genre de chosesqui est susceptible de subir le fait d’êtredispersé et qui correspond à ce qui aété ou est composé – en revanche, cequi n’est pas composé ne peut pas être

divisé. Les choses qui restent toujoursidentiques à elles-mêmes sont, le plusvraisemblablement, celles qui ne sontpas composées ; celles qui ne cessentde changer sont des choses compo-sées. L’âme ne sera pas décomposéesi elle est une chose simple. Or celadépend de ce à quoi elle s’apparente.Si elle se donne des objets de connais-sance tels que les formes intelligibles,dotées d’une unicité absolue, invisi-bles et immuables, elle peut en venirà ressembler à son objet. Si elle se com-

plaît dans le spectacle des corps, elles’assimilera à ce qui se décompose.Bref, l’amour du savoir rend immor-tel. L’âme purifiée, celle du philosophe,ne sera pas dispersée.Au contraire, Épicure entend démon-trer que l’âme est essentiellement unechose qui peut être dispersée, car elleest tout simplement une partie ducorps (voir Lettre à Hérodote, 63-66),un corps composé de subtiles partiesmatérielles, répandu à travers tout lereste du corps de telle sorte que nouspuissions percevoir et penser, et qui,lorsque l’agrégat entier se défait, envient à son tour à se répandre en per-dant à son tour les pouvoirs qu’elleavait acquis en tant que partie d’unagrégat matériel. Sans son enveloppel’âme perd ses pouvoirs. Et donc nousne sentirons plus. La dispersion denotre corps est aussi la dispersion denos sensations, de plaisir comme dedouleur, celle aussi de notreconscience. Avec la mort s’éteindraaussi ce qui en nous a peur de mourir,puisque la mort est privation de la sen-sation (Lettre à Ménécée, 124).Paradoxalement Épicure embrasse laconception même qui semblait, dansle Phédon, être à la source de la peurde mourir. Ce que l’on craint – subirl’ultime dispersion de l’agrégat dematière que nous sommes – est en effetcertain, mais cette vérité de la peur enest en même temps le meilleurremède. Il en va de même pour les col-lectifs : eux aussi ne sont que des agré-gats menacés constamment par la dis-persion et la défaillance de leursparties. Les groupes que les hommesforment pour lutter ne sont pas plusque la somme éphémère de leurs par-ties, toutes plus fragiles les unes queles autres dès qu’on les saisit une à une.Les groupes meurent comme nousmourrons, par dispersion. Mais savoircela, c’est aussi savoir que l’on a moinspeur ensemble. Car la faiblesse desparties n’empêche pas leur réunion,aussi éphémère soit-elle, de formerdes torrents. n

Le courage collectif se disperse dès que chacun des atomes qui compo-sent le groupe est renvoyé à son existence individuelle, au souci des siens, àla peur de leur mort et à celle de la sienne propre. Seul face à la peur, lecitoyen vacille.

« Les groupes meurent comme nousmourrons, par dispersion.

Mais savoir cela, c'est aussi savoir que l'on a moins peur ensemble. »

*Arnaud Macé est philosophe. Il estmaître de conférences à l'universitéde Franche-Comté.

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

LE GRAND ENTRETIEN

Trouver les chemins d'un projet d'émancipationhumaine du XXIe sièclePrésidente du Conseil national du PCF, Isabelle De Almeida, coordonne lecomité du projet. Elle explique les raisons de sa création et sa méthode de tra-vail jusqu'au prochain congrès. À l'image de l'Europe en novembre dernier,quatre autres sujets transversaux donneront lieu à des conventions natio-nales pour tracer les contours du communisme de nouvelle génération.

epuis son dernier congrès,le PCF a créé le comité duprojet. A partir de quelconstat ? Quelle est saplace dans la direction ?Le 36e congrès s’est fixé

comme objectif de lancer un travail surle projet communiste pour plusieurs rai-sons. Tout d’abord, parce que noussommes confrontés, ici en France, maisplus largement en Europe et dans lemonde, à une crise de civilisation, unecrise historique qui oblige, face à des défisnouveaux, à des réponses de toute autreampleur que celles qui sont apportées àce jour.Nous voulons travailler dans un mêmemouvement aux urgences politiquesimmédiates et à des réponses de plus enplus structurelles d’anticipation, d’éla-boration d’un nouveau projet d’émanci-pation humaine.Cela demande de la transversalité dansnotre élaboration collective. Longtemps,le travail d’élaboration se faisait demanière sectorielle. Avec l’apport de laréflexion de tous les secteurs, le comitédu projet permet cette transversalité.Cela permet la confrontation d’idées et,de ce fait,une plus grande cohérence.Le comité du projet a une place réelledans la direction du PCF. Pierre Laurenten est le principal animateur et, à sescôtés, la coordination me revient, en tantque Présidente du Conseil national. Au-delà de cette symbolique, le fait de regrou-per tous les responsables de secteur, desmembres de la direction nationale, ainsique les responsables de nos espaces deréflexion et d’étude – Espaces Marx, leLEM et les trois revues, La Revue du pro-jet, Économie & politiqueet Progressistes –

dans une régularité de travail, tous lesquinze jours, sur des objectifs partagésmontre concrètement que le comité duprojet tient une place prépondérantedans notre activité. C’est très importantpour notre parti.

Une première convention nationalea eu lieu sur le projet européen duPCF. D’autres vont-elles suivre ?Pourquoi avoir commencé parl’Europe ?Le comité de pilotage a proposé aucomité du projet de définir cinq chan-tiers transversaux à travailler d’ici le pro-chain congrès qui nous paraissent essen-tiels pour produire un projet cohérent.Nous avons l’ambition de faire uneconvention nationale sur chacun de cesthèmes. Le premier chantier que nousavons investi, l’Europe, allait de soi dansle calendrier, avec à l’horizon, leséchéances électorales en mai 2014.Reprendre la question européenne nousparaissait, en effet, une évidence quandtant de nouvelles questions se posentautrement à cette échelle, avec la crisede régression sociale – éminemment poli-tique – qui traverse l’idée européenne etqui suscite tant de défiance dans notrepeuple, et dans les peuples européens.Nous avions à renouveler notre projeteuropéen avec comme objectif d’appor-ter des solutions à la crise et non d’êtredans le constat. Avec cette convention,nous avons franchi une étape et apportéde nouvelles réponses par exemple surles questions de la démocratie, du rôle del’euro et sur le chemin à prendre pourmodifier les rapports de forces en Europe.Nous n’avons pas la prétention d’avoir faitle tour de toute la question mais nous

avons ciblé des problématiques. Et je nepeux que me féliciter et féliciter tous ceuxet celles qui ont contribué à cette conven-tion d’avoir mis à disposition des commu-nistes et, au-delà, aux forces sociales etpolitiques françaises et européennes pro-gressistes un texte fort. Un numéro horssérie de La Revue du projet est consacréà ce texte ainsi qu’à l’ensemble des tra-vaux de la convention. C’est un outil pré-cieux, un guide pour l’action, pour la cam-pagne à mener cette année mais, surtout,il s’agit d’un texte de référence du PCFvalidé par la direction nationale. Bien plusqu’un programme, il donne à voir la viséeeuropéenne qui est la nôtre.Nous avons déjà engagé le travail d’unautre chantier, celui de la question de l’in-dustrie. Nous prévoyons d’y consacrerune convention le 11 octobre prochain.Ensuite, nous voulons aborder la ques-tion de l’appropriation sociale, ainsi quecelle de la démocratie citoyenne et duvivre ensemble.

Quel est l’objectif du processus ?J’ai parlé de transversalité, d’élaborationpartagée avec le collectif militant et intel-lectuel communiste qui est très riche maispas assez mobilisé. Il y a aussi tout le tra-vail de propositions des parlementaires,leur travail législatif et celui de l’ensembledes élus avec leurs innovations locales etleurs expériences qui sont une véritablerichesse à mettre en synergie avec cetteélaboration du projet communiste. Il y aaussi tous ceux, acteurs militants, intel-lectuels, qui élaborent des réflexions, desanalyses, des études et des propositionsqui portent de la confrontation, voire dela co-élaboration politique et qui, pourcertains, sont à la recherche d’espaces

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de construction collective qui manquentà notre pays. Notre travail sur le projet doitêtre le creuset de cette mise en commun,de cet enrichissement. Aussi, dans notrefaçon de travailler, nous partons d’un tra-vail sur les questions telles qu’elles seposent aujourd’hui dans la société – etnon pas comme nous les posions avantou comme on voudrait qu’elles se posas-sent. Ensuite, nous associons les secteursde travail à la validation des probléma-tiques et des réponses à apporter. Nousmenons aussi des auditions avec desacteurs – communistes ou non – et nousassocions les militants communistes ,avec leurs expériences à cette construc-

tion. Nous souhaitons impliquer non seu-lement les militants communistes inves-tis sur la question traitée mais aussi, pluslargement, tous les adhérents, les mem-bres du Conseil national et les directionsdépartementales. Nous faisons appel auxcontributions pour enrichir les travauxmais aussi pour favoriser l’appropriationdes questions et des possibles réponses.C’est ainsi que nous conduisons lesréflexions de la convention qui doit êtreun lieu de rencontre collective où nousexpliquons, travaillons un texte qui estensuite mis en validation.La validation est une étape importantequi permet d’acter que les réponses pro-posées constituent le projet de tous lescommunistes, fruit d’une constructioncollective approuvée par le Conseil natio-nal. Pour autant, la validation ne marquepas un point final à la réflexion et au tra-vail qui se poursuivent, bien entendu,après la convention. Et il y a aussi la question de l’appropria-tion par les communistes. À mon sens, ilne s’agit pas juste de lire les travaux unefois votés mais aussi de comprendre oùse situent les enjeux et les réponses à

apporter. C’est ainsi que notre projetpourra être traduit en initiatives et enaction. C’est dans ce sens que nousdevons encore plus associer et faireconnaître les étapes et le processus demise en travail collectif de notre projet.Le comité du projet ne se veut pas uncomité d’experts. J’ai bien conscienceque ce que je décris là est un objectif detravail et qu’il nous faut plus largementet plus collectivement lui donner de l’im-portance, de l’intérêt et le concrétiseravec les communistes et dans la société.C’est pourquoi nous avons beaucoupd’efforts à produire pour le rendre effi-cace, utile et visible. Même avec un calen-drier difficile à tenir, la convention Europea permis de mener à bien ce travail.Nous avons l’intention de mieux faire pourla deuxième convention, non pas sur laqualité du contenu mais sur le temps àse donner pour être bien dans un pro-cessus de co-élaboration.

En affirmant que le projet commu-niste est sans cesse en construction,le PCF ne risque-t-il pas d’apparaîtreflou sur ses intentions et son projetde société ?Quelles seraient selon vous lesgrandes lignes du projet commu-niste du XXIe siècle, le communismede nouvelle génération ?Je regroupe les deux questions en uneseule réponse. Si nous en étions restés,au PCF, sur le projet communiste d’il y a30 ans, que dirions-nous aujourd’hui surles questions qui se posent actuellementsur la fin de vie, sur la vision de l’entreprisepar les jeunes générations, sur la diffé-rence entre individualisme et individua-lisation… et bien d’autres encore. Lemonde a changé, les rapports avec lemonde également, les fragmentations dela société, les dominations et les aliéna-tions aussi, à l’échelle de la mondialisa-tion.Quand nous parlons de communismede nouvelle génération et du commu-nisme du XXIe siècle, nous avons à êtredans une ambition refondatrice et sur-tout ouverte aux aspirations, aux expé-riences novatrices – parfois isolées – pourtrouver les chemins d’une transforma-tion sociale pour un projet d’émancipa-tion humaine du XXIe siècle.

« Avec cette convention, nous avonsfranchi une étape et apporté de nouvelles

réponses par exemple sur les questions dela démocratie, du rôle de l'euro et sur le

chemin à prendre pour modifier lesrapports de forces en Europe. »

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Les membres duComité du projetque vous pouvezcontacter.(voir p.48)

Numéro spécial de La Revue du projet,« Refonder l’Europe »,disponible dans lesfédérations du PCF.

« À notre époque,il est essentiel de

faire vivre et detravailler le projet

communiste. »

Nous avons trois fils rouges pour ce pro-jet de transformation sociale :l l’émancipation de toutes les formes

d’exploitation et d’aliénation ;l la solidarité, la mise en commun et en

partage des moyens, des potentialitésqui existent, du local au mondial pourlancer le chantier d’une nouvelle mon-dialité ;

l les conditions du libre développementdes individualités pour créer les condi-tions d’un vivre ensemble du local aumondial.

À notre époque, il est essentiel de fairevivre et de travailler le projet commu-niste. En effet, la crise que nous vivonsn’est pas seulement la crise du capita-lisme mais aussi une crise de civilisation.S’arrêter de réfléchir à notre projet, auxréponses de transformation sociale etrenoncer à le faire vivre dans la sociétélaisserait le champ libre à ceux et cellesqui avancent depuis des années et mar-quent des points avec pour projet celuide l’exploitation, de la mise en concur-rence, du profit, des inégalités...Je suis persuadée que la question du par-tage et de la mise en commun nécessairespour faire civilisation humaine, au sens devivre ensemble, a beaucoup plus depotentiels qu’on ne le croit. À nous, et àbien d’autres de créer les conditions deles faire émerger dans un projet de trans-formation commun, collectif et populaire.C’est une belle ambition. Le comité duprojet, avec le PCF, veut y contribuer. n

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BRÈVES DE SECTEUR

Pas de modificationde la démocratie sans démocratie Le président de la République, dans le flot de son dis-cours libéral a de nouveau annoncé un coup d'accé-lérateur de la destruction de la démocratie locale avecpour objectif la réduction de la dépense publique.Suppression d'un tiers des régions et « digestion » desdépartements par les métropoles sont désormais évo-quées comme de grands progrès par les dirigeants duconseil de simplification et du gouvernement. En Grèce,au plus fort de la crise, c'est à une réduction drastiquede la démocratie que nous avons assisté sous l'impul-sion de la troïka, par le biais du programme Kallikratis(réduction du nombre de mairies de 2/3, passage de57 départements à 13 régions et compression des bud-gets des autorités locales…). Pour les marchés finan-ciers, la démocratie locale est un obstacle, une pertede temps, une dépense inutile. Les services publicslocaux assurant la réponse aux besoins quotidiens etla solidarité, eux, sont devenus une cible pour conten-ter les appétits du MEDEF. La décentralisation est désor -mais aux oubliettes avec la démocratie locale, tandisque l'État se réorganise autour de grands-duchés.Nos institutions sont en train de connaître des évolu-tions radicales que les citoyennes et citoyens se voientimposer. Ces évolutions éloignent les élus des citoyens,orientent les choix politiques autour des désirs desmarchés, réduisent les espaces d'intervention démo-cratique. Il ne doit pas y avoir de modification de ladémocratie sans démocratie et toute décision doit êtreprise par les citoyennes et citoyens concernés eux-mêmes. Nous appelons les citoyens et leurs élus à s'éle-ver contre ces atteintes à la démocratie et à la souve-raineté populaire.

PIERRE DHARRÉVILLE

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Mariage pour tous : une véritableaspiration de la société Environ 7 000 mariages homosexuels ont été célébrésen 2013 en France, selon des chiffres de l'INSEE. Cesstatistiques montrent que l’adoption de la loi sur lemariage pour tous répond à une véritable aspirationde la société.

Cette information donne raison à tous ceux qui ontpris une part active au combat pour permettre à tousles couples d’accéder au mariage et à l’adoption. LePCF est fier d’avoir participé à cette grande avancéesociale. Les allégations des opposants au mariage pourtous qui prédisaient l’apocalypse si la loi était adop-tée n’en sont que plus ridicules.Il convient maintenant de poursuivre le combat pourl’égalité des droits en ouvrant la procréation médica-lement assistée (PMA) aux couples lesbiens sur les-quels continue de peser une insupportable discrimi-nation. Le PCF participera à toutes les mobilisationsen ce sens.

IAN BROSSAT

LGBT

L'avortement est un droit Le Parti communiste français tient à souligner à nou-veau la gravité de la situation concernant le respectdes droits sexuels et reproductifs, dont l'IVG, en Franceet en Europe.

Nous nous opposons aux velléités du gouvernementespagnol qui s'apprête à adopter la législation la plusrétrograde en matière de droit à l'avortement depuisdes décennies. Cette menace pour les femmesd'Espagne s'additionne à des régressions effectives enPologne et dans d'autres pays européens. Le rejet durapport Estrela par le parlement européen en décem-bre confirme ces dérives extrêmement dangereusespour une Europe qui se prétend fondée sur le respectdes droits humains

Nous voulons une Europe qui garantisse le droit à lamaternité choisie. Nous serons en France, en Espagneet ailleurs en Europe, dans la rue pour rappeler quel'avortement est un droit pour toutes.

LAURENCE COHEN

DROITS DES FEMMES/FÉMINISME

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LA REVUE DU PROJET

CITOYENNES, CITOYENS... PARTICIPEZ !

CHAQUE MOIS UN THÈME QUI VOUS CONCERNEPOUR CONSTRUIRE ENSEMBLE UN PROJET D’ÉMANCIPATION HUMAINE

« BEAUCOUP METTENT DE L’ÉNERGIE À RÉSISTER, IL EN FAUTTOUT AUTANT QUI SE MÊLENT DU DÉBAT POLITIQUE ! »Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a invité ainsi l’ensemble des forces sociales, syndicales, associa-tives, à investir le débat d'idées et à participer à la construction d'une véritable alternative politique à gauche.Nous voulons nous appuyer sur l’expérience professionnelle, citoyenne et sociale de chacune et chacun, en mettant à contribu-tion toutes les intelligences et les compétences. La Revue du projet est un outil au service de cette ambition.Vous souhaitez apporter votre contribution ? Vous avez des idées, des suggestions, des critiques ? Vous voulez participer à ungroupe de travail en partageant votre savoir et vos capacités avec d'autres ?

LAISSEZ-NOUS VOS COORDONNÉES, NOUS PRENDRONS CONTACT AVEC VOUS.OU ÉCRIVEZ-NOUS PAR COURRIEL À : [email protected]

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La Revue du projet - 2, place du Colonel-Fabien - 75019 Paris

10 N°PAR AN

En ligne sur : http://projet.pcf.fr

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LA REVUE DU PROJET

BULLETIN D’ABONNEMENT

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La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacRédacteur en chef : Guillaume Roubaud-Quashie • Secrétariat de rédaction : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Caroline Bardot,Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, Amar Bellal, Marine Roussillon, Côme Simien, Renaud Boissac, ÉtienneChosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, Michaël Orand, Pierre Crépel, Florian Gulli, Jean Quétier, SéverineCharret, Vincent Bordas, Nina Léger, Franck Delorieux, Francis Combes • Direction artistique et illustrations : Frédo CoyèreMise en page : Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19)Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex) • Dépôt légal : février 2014 - N°34.

ISSN 2265-4585 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

Les chiffres du dernier rapport rapport de l’ONG Oxfam sontéloquents. Les 1 % les plus riches de la planète détiennent 50 %des richesses mondiales.

« Près de la moitié des richesses mondiales – revenus tels que lessalaires, les profits des entreprises, etc. – (46 %) sont détenues parles 1 % les plus riches de notre planète, selon le dernier rapport del’ONG Oxfam. Leur richesse s’élevait en 2012 à 110 000 milliards dedollars. Pour le dire autrement : les 85 plus grandes fortunes de laplanète possèdent autant que 3,5 milliards de personnes, soit la moi-tié de la population mondiale. Dans 24 pays sur les 26 pour lesquelsles données sont disponibles, la part des revenus des 1 % les plusriches a augmenté depuis 1980, et ce, malgré la crise financière de2008. Aux États-Unis, les 1 % les plus riches ont capté 95 % de la crois-sance entre 2009 et 2012 tandis que les 90 % les moins riches sesont appauvris, leur revenu annuel moyen passant de 31 166 dollarsen 2009 à 30 439 dollars en 2012. Depuis 1980, la part de revenusdes 1 % les plus fortunés a même doublé, comme en Chine ou auPortugal. En Europe, les pays scandinaves, considérés comme lesplus égalitaires, ont vu la part des revenus allant aux 1 % les plus richesaugmenter de plus de 50 %. Par exemple en Norvège, le revenu annuelmoyen des 1 % les plus riches est passé de 87 912 euros en 1980 à280 177 euros en 2008. Au Danemark, il est passé de 66 922 eurosà 189 769 euros sur la même période.Le rapport note aussi que 10 % de la population mondiale détient 86% du « patrimoine mondial » alors que les 70 % les plus pauvres (plusde 3 milliards d’adultes) n’en détiennent que 3 %. Cet accroissementdes inégalités de richesses a notamment pour conséquences deréduire l’accès de tous à l’éducation et aux soins, pourtant moteursdu développement des pays. Enfin, le sentiment d’injustice socialemet en péril la cohésion sociale, indiquent les auteurs. » . Observatoiredes inégalités, janvier 2014.

N.M.

LA CRISE PROFITE AUX PLUS RICHES

Complètement d'accord sur laréforme des institutions et le rééqui-librage des pouvoirs. Au sujet du sta-tut de l'élu il me semble qu'il faudrait,peut être, élargir le propos au « statutde l'engagement ». L'élu doit pouvoirtrouver facilement des possibilités dereconversion (ce qui en partie résou-drait le problème de la « carriérisa-tion ») et envisager sereinement samandature sur le moyen et le longterme. Mais il faut aussi pour promou-voir la démocratie de proximité pren-dre des mesures urgentes de soutiendes associations et des bénévoles...

M.B.

UN STATUT DEL’ENGAGEMENT

Tout ce qui amoindrit ce Michel Onfrayest bon à prendre. Pour ce que j'en ailu et vu, il ne s'agit que d'un pseudo-maître à penser, qui se goberge dequelques pouvoirs fascinant quelquesconvaincus. Et comme de fasciner àfasciser il y a peu... ça marche au pasde l'oie de sinistre mémoire. Merci pourcet article.

J.Y.M.

À PROPOS DEMICHEL ONFRAY

REVUE DU PROJET

ÇA TOURNE !

La Revue du projet innove et vous propose désormais chaque mois un entretien vidéo avec un dirigeant com-muniste, un intellectuel progressiste ou un syndicaliste, mis en ligne sur le site http://projet.pcf.fr/L’objectif est d’approfondir un sujet tout en faisant tomber la barrière de l'écrit.Ce mois-ci, rendez-vous sur le thème du coût du capital avec FRÉDÉRIC BOCCARA, économiste, mem-bre de la commission économique du PCF et du collectif d'animation de la revue Économie&Politique. Il est signataire du manifeste des économistes atterrés.Retrouvez également l'entretien du mois dernier, sur le thème « dessine-moi une ville humaine » avec PAULCHEMETOV, grand prix national d’architecture et coprésident du comité scientifique du Grand Paris.

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élection, l’été dernier, à ladirection du MEDEF de PierreGattaz, fils d’Yvon (le papa futprésident du CNPF sousMitterrand), a donné lieu à unesérie de commentaires

convergents, on pourrait presque par-ler « d’éléments de langage », commes’il s’agissait de messages concoctés pardes agences de « comm’ ». Que nousrépétait-on avec méthode ? Que cettecampagne électorale fut un modèle de« démocratie » patronale où l’on a choisiun patron « normal », pur « industriel »et surtout un patron de « combat ».Reprenons chacun de ces thèmes.

UNE DÉMOCRATIEPATRONALE ? Le renouvellement de la direction duMEDEF a donné lieu à une étonnantecomédie démocratique : divers candi-dats en effet ont couru les média, fait untour de France, motivé, dit-on, les700 000 membres de l’organisation. Ilsont fait comme si… mais c’était surtoutpour la galerie car en fait l’industriellambda ne votait pas, il était « encadré »par des territoires ou des fédérations quivotaient à sa place. Il n’y a au MEDEF que561 grands électeurs, très exactement.Et le plus souvent, ils suivent un premiervote fourni par le conseil exécutif de l’or-ganisation, lequel comprend 45 mem-

Gattaz, le laboureuret le CAC 40Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) a changé de patron en2013. Un nouveau chef a rallié les suffrages (façon de parler, on va le voir) surune posture de « patron moyen » et d'homme « de combat ». Ce renouvel-lement a donné lieu à une littérature sur laquelle il n'est pas inutile de reve-nir. Comment Gattaz est-il devenu roi ?

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bres. Pour Gattaz, le conseil s’est par-tagé en deux moitiés à peu près égales.Bref à l’arrivée, ce n’est pas 700 000patrons qui ont décidé, ni 561 grandsélecteurs, ni même 42 membres duconseil exécutif mais à peine une dizaine

de cadors, plutôt parisiens, qui ont faitpencher la balance. Gattaz est l’enfantd’un compromis réalisé dans le premiercercle de pouvoir.

GATTAZ, UN PATRON« NORMAL »Ici, on peut faire le lien avec le deuxièmethème récurrent : Gattaz serait un patron« normal ». L’image qui a été vendue delui est celle d’un entrepreneur « moyen »,un homme de province, un personnagebien moins voyant (et chatoyant) queles marquis du CAC 40. Le Figaro s’estmême laissé aller à imaginer un combatde titans entre un patronat de la jet-setet le patron « laboureur » que représen-tait Gattaz. « Il existe des patrons labou-reurs, écrivait ce quotidien, qui creusentchaque jour leur sillon, Pierre Gattaz est

l’un des leurs. Cet ingénieur en télécom-munications qui dirige depuis vingt ansl’entreprise familiale Radiall, fondée en1952, est à l’image de ces dizaines de mil-liers de patrons de PME et de grossesentreprises familiales passionnés par les

produits qui sortent de leurs usines. »Cette image pieuse, Gattaz l’entretient.Démago à ses heures, il aime, dans sonlivre Le printemps des magiciens parexemple, fustiger « les personnalités éco-nomiques, les membres des cerclespatronaux, les syndicalistes, les hommesde la droite libérale, les intellectuels dela gauche maoïste ou trotskiste qui n’ontjamais croisé un ouvrier de leur vie, niparlé à un ingénieur ni visité une usine. »Dans la foulée, on ajouta que Gattaz étaitun pur industriel. On valorisa son statut(« la passion de l’industrie l’habite » tou-jours selon Le Figaro) et sa rhétoriquesur le « retour » de l’industrie française.On mettait ainsi en sourdine la démarchepatronale de financiarisation de l’éco-nomie. Ce discours, bien dans l’air dutemps, et faisant écho aux mignardises

« La base patronale actuelle se comporteen troupes de choc du libéralisme, portées

par une idéologie revancharde, théorisant leprincipe d’inégalité, nourrissant une

détestation des « assistés », desfonctionnaires, des impôts, de l’État. »

PAR GÉRARD STREIFF

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de Montebourg, plut aux patrons« petits » et « moyens », agacés par lesnobliaux de la Bourse et leurs machinsmondialisés… Mais ces propos sont légè-rement abusifs car comment oublier quece sont « les membres des cercles patro-naux » parisiens qui, en dernière instance,ont fait roi Gattaz. S’il a été élu, c’est grâceau soutien des secteurs de la banque etde l’assurance, venus renforcer le mondede la métallurgie (UIMM) et du bâtimentet des travaux publics (BTP). D’ailleurs(voir extrait ci-dessous), ce sont ces« cercles patronaux-là » qui sont pré-sents à tous les postes clés de son orga-nigramme et non les patrons « moyens ».

UN PATRON DE « COMBAT » ? Ici encore, Gattaz a eu le nez fin. La basepatronale du MEDEF s’est radicalisée.Certes le MEDEF de Parisot fut lui ausside tous les combats régressifs, antiso-ciaux. Mais les manières de Parisot, sesarrangements de salon, ses universitésd’été aux ordres du jour tarabiscotés necorrespondaient plus tout à fait à unevéritable hargne de classe qui traversele patronat. La base patronale actuellese comporte en troupes de choc du libé-ralisme, portées par une idéologie revan-charde, théorisant le principe d’inéga-lité, nourrissant une détestation des« assistés », des fonctionnaires, desimpôts, de l’État. Gattaz a surfé sur – etalimenté – cette surenchère (égalemententretenue par des syndicats patronauxrivaux comme la Confédération géné-rale des petites et moyennes entreprises(CGPME), toujours prêts à disputer lareprésentativité du MEDEF). C’est cette« base » que l’on a retrouvée, déchaînée,le 8 octobre dernier lors d’un meetingdu MEDEF à Lyon, 2  000 patrons« remontés comme des pendules » »(dixit Le Monde), qui fustigeaient « unesphère publique démentielle », « un coûtdu travail insupportable », « des régle-mentations inutiles ». « Il faut en finir avecle Code du travail et ses 3 000 pages »lança le responsable local du MEDEF.« Nous nous battrons dans la rue s’il le

faut pour défendre notre liberté d’en-treprendre » dit-on encore. C’est elle quiétait en grande partie à la manœuvre enBretagne.

Ce discours agressif n’est pas forcémentcelui des princes du CAC 40. Eux aussien veulent toujours plus mais ils se trou-vent dans une situation de quasi-coges-tion du pouvoir, avec la haute adminis-tration et les cabinets ministériels,squattant les 1001 organismes « pari-taires » où se prennent les grandes déci-

sions, comme l’accord national interpro-fessionnel (ANI) par exemple. Des orga-nismes dont la « base » patronale, demanière générale, ne connaît même pasl’existence. Les maîtres de ces puissantesfédérations patronales sont les parte-naires privilégiés des pouvoirs publics,ils disposent d’une ample bureaucratie,ils sont les interlocuteurs qui comptent,très jaloux de leurs prérogatives, commela métallurgie (UIMM), soucieuse deconserver la commission sociale, c’est-à-dire la gestion directe des négocia-tions sur l’emploi et les retraites. Fruitd’un compromis, Gattaz est porté parcette caste quasi-mondaine, ouverte aucompromis social libéral et dans le mêmetemps il parle « pour les laboureurs »,plus ordinaires. Un marquis avec un bon-net rouge, en quelque sorte. n

LES HUIT PÔLES DE GATTAZLe nouvel organigramme du MEDEF se compose de huit pôles distinctsd’importance inégale. Le premier, dirigé par Geoffroy Roux de Bézieux(vice-président délégué et trésorier) reprend le périmètre de la commis-sion économique présidée dans les années 1990 par un autre libéral, DenisKessler. Elle couvre les questions d’économie, de fiscalité, de compétiti-vité, de consommation, de développement durable et d’innovation.La deuxième pile est dédiée au social (droit du travail, retraites, santé,marché du travail…) sur les contours cette fois-ci de la commission socialedirigée du temps du CNPF par Denis Gautier-Sauvagnac, l’ex-homme fortde la métallurgie. Elle est placée sous la houlette de son successeur àl’UIMM Jean-François Pillard, nommé en binôme avec un assureur, ClaudeTendil, le PDG de Generali, un proche de Denis Kessler. Patrick Bernasconi,le patron de la Fédération des travaux publics, rallié à Gattaz, a le titre device-président délégué et supervise le réseau et les MEDEF territoriaux.Quant à Jean-Claude Volot, l’ex médiateur interentreprises qui a très tôtsoutenu Gattaz, il s’occupe des questions d’export, dissociés du reste dessujets d’économie internationale (B20...) regroupés dans un pôle à part.Thibault Lanxade, petit candidat rallié lui aussi très tôt à Gattaz, est récom-pensé en prenant les commandes d’un ensemble dédié aux PME et à l’en-trepreneuriat. Autre nouveauté : la constitution d’un pôle sur la sphèrepublique - « la baisse des dépenses de l’État » décrypte un membre del’équipe – placé sous la direction de l’ex-ministre déléguée à l’Emploi d’AlainJuppé, Anne-Marie Couderc, aujourd’hui PDG de Presstalis. Les servicesn’ont pas été oubliés puisque la direction du huitième ensemble revientà Jean-Pierre Letartre, patron d’Ernst&Young. L’actuel président duGroupement des professions de service (GPS) s’occupe de la prospectiveet anime la réflexion du MEDEF sur la « France 2020 ».

D'après le Figaro/Économie, 3 juillet 2013

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ans les biographies deGeorges Politzer on oublietrop souvent qu’une trèsgrande partie de sa vie a étéconsacrée à son travail deprofesseur de philosophie :

ce fut pourtant sa « première vie ». Dèsson arrivée en France pendant l’été 1921 – il a alors 18 ans – le jeune Hongroisfait valider son examen de fin d’études ets’inscrit à la Sorbonne pour y poursuivredes études supérieures de philosophie.Il aura pour maîtres Léon Brunschvicg,André Lalande, Georges Dumas, entreautres, c’est-à-dire les représentants dumouvement rationaliste fortement teintéd’idéalisme de l’université française.Mouvement fondamentalement opposéà la pensée de Bergson et au bergsonismealors régnant dans la culture de l’époque.C’est après avoir suivi les cours deBrunschvicg qu’il soutiendra un mémoirede diplôme d’études supérieures sur lerôle de l’imagination chez Kant et qu’ilécrira ses premiers articles précisémentsur Brunschvicg, Nabert, etc. En 1926, cinqans après son arrivée en France, il est reçuà l’agrégation de philosophie en mêmetemps que Vladimir Jankélévitch etGeorges Friedmann.

UN ENSEIGNEMENT OUVERTNous laissons de côté pour l’instant sesécrits sur Freud et son immense intérêtpour la psychanalyse et la psychologie,soulignons que sa vie fut en premier lieucelle d’un enseignant. D’abord nommé aulycée de Moulins, puis à celui de Cherbourg,

Les trois vies deGeorges Politzer

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ELLe communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.

Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

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à Vendôme ensuite, il enseignera près dedix ans à Dreux et sera finalement nomméau lycée Marcelin-Berthelot de Saint-Maurà la rentrée 1939 : le temps de saluer sesélèves, puisqu’il sera appelé sous les dra-peaux dans le courant du mois d’octobreet qu’il ne rejoindra jamais son poste aprèsla défaite de 1940. Il entre à partir de cemoment dans la clandestinité avec sonépouse Maï et quelques autres camarades,Jacques Solomon et son épouse, JacquesDecour, et plus tard Danièle Casanova, etc.

J’insiste sur sa vie de professeur, dont nousavons quelques témoignages, aussi biende la part de certains de ses collègues quede ses élèves : enthousiaste, plutôt gai, ilavait aussi des colères qui exprimaientautant son engagement rationaliste contretoutes formes de « mythologies » que sespassions partisanes. Assurément sonenseignement ne fut ni neutre ni inodoreet sans saveur : assez dogmatique sur laforme, il était tout de même très ouvertpuisque ce qui caractérise la philosophieselon sa pensée, c’est la remise en ques-tion de tout ce qui jusque-là a été tenupour des vérités intangibles et sacrées.Rien de sacré pour un philosophe, pasmême la philosophie ! Comment pourrait-il en être autrement, puisque la philoso-phie, dans notre système d’enseignement,a été conçue comme une école de l’ap-prentissage du jugement, de la liberté depenser  ? De plus, en «  fidèle  » deBrunschvicg, il enseigne – et il ne cesserade le faire jusque dans ses derniers arti-cles publiés dans la revue de Paul Langevin,

La Pensée – que la pensée philosophiquese nourrit du progrès de la science et qu’elledoit donc être en permanence attentiveaux avancées de celle-ci, et dans tous lesdomaines, les sciences exactes et lessciences humaines qui sont encore bal-butiantes. La philosophie ne se nourrit pasque d’elle-même, elle pense avec sontemps, parfois contre lui, contre l’idéolo-gie – Politzer dit la mythologie – qui règnedans un système d’exploitation de l’hommepar l’homme qui exige précisément le

maniement de l’illusion, du mensonge,autant de formes de violence exercéescontre les individus.

LA PHILOSOPHIE ESTLIBÉRATION L’enseignement de la philosophie auraune valeur purgative et cathartique : com-battre les fausses idées et libérer la pen-sée, afin que les hommes, les jeunes genset les jeunes filles d’abord à qui l’ensei-gnant s’adresse, apprennent à penser jus-tement par eux-mêmes. Enseigner la phi-losophie, aux yeux de Politzer, c’estparticiper à l’émancipation de ceux quiauront à combattre pour gagner leur vie.En tous les sens de cette dernière expres-sion. Politzer fait souvent allusion à Socrate,non à un penseur dont le système éclaireet explique tout, mais à un penseur quiinvite ses auditeurs à penser à leur tourpar eux-mêmes en sachant questionnersur ce qui est essentiel dans ce qui estrecherché : un libérateur. La philosophieest libération : de l’autorité, de la croyance,

« Enseigner la philosophie, aux yeux de Politzer, c’est participer àl’émancipation de ceux qui auront à

combattre pour gagner leur vie. »

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Georges Politzer fut durant sa trop brève existence (1903-1942) : un profes-seur de philosophie, un écrivain, auteur de deux livres retentissants, un mili-tant, fidèle jusqu’à la mort dans son engagement au sein du Parti commu-niste français.

PAR ROGER BRUYERON*

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du pouvoir, etc. au nom précisément dela raison, c’est-à-dire de l’exigence d’uni-versalité ou de vérité. Sinon elle ne vautpas une heure de peine. « Les philosophesseront, de nouveau, amis de la vérité, maispar là même ennemis des dieux, enne-mis de l’État et corrupteurs de la jeu-nesse », écrit-il en 1925, à l’aube de sonentrée en fonction dans ce métier qu’il aaimé et honoré. « Corrompre la jeunesse »,il faut s’entendre : il faut la libérer du poidsde l’idéologie familiale et sociale, redon-ner aux jeunes élèves le goût de disposerlibrement d’eux-mêmes, et leur insuffler,s’il se peut, la force d’assumer leur indé-pendance, leur fierté et leur responsabi-lité. En gros, ce que disait Socrate à sesauditeurs : soyez vivants, pensez et agis-sez par vous-mêmes sans vos maîtres,sachez répondre de vous-mêmes ! Cettedernière formule est celle qui exprime lemieux ce que nous appelons les Lumières,ce mouvement de pensée qui prend nais-sance au milieu du XVIIIe siècle et dont seréclamera Georges Politzer. Le principeen est : aie l’audace de penser par toi-même ! La philosophie qu’il enseigneprend sa source dans Socrate et Platon,mais aussi dans Descartes et la penséedes Lumières, celle de d’Alembert, deDiderot, de Maupertuis, d’Holbach etd’Helvétius, c’est-à-dire du matérialismefrançais. Très rapidement l’enseignementde Georges Politzer va rejoindre sa pro-pre évolution philosophique et son enga-gement au sein de la classe ouvrière.

UN DÉSIR DE REFONDER LAPSYCHOLOGIEPour comprendre cela, il faut revenir unpeu en arrière. « Deuxième vie » : à côtéde son métier de professeur, Politzer futaussi un auteur dont au moins deux publi-cations firent un bruit qu’on entend encore.Très tôt il publia des articles dans de jeunesrevues – Philosophies, puis L’Esprit – maisc’est surtout avec son premier livre, Critiquedes fondements de la psychologie, qu’il vadevenir justement célèbre. C’est en effetdans cet ouvrage que pour la première foisen France un philosophe de formation,connaissant bien l’allemand, présente etexamine de manière critique l’œuvre deFreud, c’est-à-dire la psychanalyse. Certesle nom de Freud est alors connu etquelques-unes de ses œuvres sont tra-duites en français lorsqu’en 1928 paraîtl’ouvrage de ce jeune philosophe, mais cesont quelques médecins (Angelo Hesnard,Emmanuel Régis…) et quelques écrivains(Jules Romains) qui en ont parlé, non desphilosophes. Plus précisément les philo-sophes qui s’intéressent à la psychologie,cette discipline étant alors enseignée dansle cadre de la licence de philosophie,auraient dû être attentifs à ce qui se passeà Vienne. Or ils l’ont ignoré. Ce sera l’origi-nalité de Politzer, animé du désir de refon-der la psychologie qu’il juge formelle et

abstraite, traitant de fonctions et non del’homme concret vivant son existence defaçon plus ou moins difficile – son dramedira-t-il –, de faire connaître la pensée deFreud. Il souhaite en effet construire unepsychologie concrète, rendant comptede la vie réelle des individus, de leurs souf-frances, de leurs espoirs, un homme quitravaille et non un muscle qui se contracte,etc. Or la démarche de Freud lui semble àce sujet tout à fait exemplaire : Politzer futun défenseur enthousiaste de cetteméthode qui consiste essentiellement àécouter ce que le malade, plus largementle patient, donc notre semblable, a à dire.Car le drame humain passe, s’exprime, serévèle et finalement s’assume dans le récitque l’individu fait de sa vie. Même si ce récitest lacunaire, obscur et mystificateur. Laméthode de Freud est, aux yeux mêmesde Politzer à ce moment-là, proprementrévolutionnaire : elle consiste à se mettreà l’écoute de ce qui se dit réellement, dece que tel individu dit de sa vie, de sa souf-

france à partir de ses rêves, de ses actesmanqués, de ses symptômes. Ce quijusqu’ici avait été totalement ignoré, voireméprisé. La psychanalyse a inventé laméthode la plus concrète pour entrer dansune relation nouvelle avec autrui, faite deconnaissance et de reconnaissance, per-mettant à chacun de se mieux compren-dre ou/et de se mieux assumer, avec l’aided’autrui grâce au langage qui est le proprede l’humain. Freud est un libérateur, il per-met de combattre la mythologie des psy-chologues qui parlent de perception, demémoire, etc. et non de l’individu qui, danstelles circonstances, perçoit ceci, se sou-vient de cela, rêve, imagine, souffre et jouit.De l’individu qui apprend, qui travaille, quihabite, qui désire, qui aime ou qui déses-père, bref de l’individu vivant, dans desconditions physiques, psycho-sexuelles,sociales, économiques données. Dans unmonde qui est plus historique que natu-rel. La vraie psychologie sera concrète oune sera pas.

LA VÉRITÉ DE L’HOMME ESTDANS SON ACTIONMais Freud lui-même trahit son inspirationpremière, toujours selon Politzer, lorsqu’ilréintroduit, dans ses explications théo-riques, dans sa théorie, sa doctrine, la psychologie académique qu’on croyaitdéfinitivement chassée grâce à lui préci -

sément. La théorie de l’inconscient, del’appareil psychique, la théorie des pul-sions aussi bien, tout ceci dépossède fina-lement l’individu de sa propre vie : une viequi se fait en lui mais sans lui, indépendam-ment de lui, contre lui… Cela, Politzer lerefuse : il n’admettra jamais que l’individupuisse être dépossédé de son existence,qu’on parle de lui comme s’il était le sim-ple jouet de forces impersonnelles, abs-traites et sans rapport avec sa singularité,son unicité, c’est-à-dire sa liberté. Cet êtrequi parle est un être libre, volonté etconscience de lui-même : parler d’incons-cient, ou de conscience mystifiée commele feront, quelques années plus tard sesanciens amis Henri Lefebvre et NorbertGuterman ou les tenants du freudo-marxisme, c’est retirer à l’homme toutepossibilité de reprendre sa vie en main, dese révolter, de changer radicalement savie. Par exemple sa condition d’ouvrier,plus largement de travailleur. C’est en fairel’instrument de processus qui le dépas-

sent, le déshumaniser. Comment alors« transformer le monde » et non pas seu-lement « l’interpréter » comme le soute-nait le jeune Marx dans la onzième desThèse sur Feuerbach si l’individu est inca-pable de réfléchir son existence, seul maisplus certainement avec autrui ? S’ouvrealors, avec Politzer, une critique vigoureusede la psychanalyse, du moins de certainsde ses aspects, qui ne finira qu’avec sa vie,mais que reprendront ses successeurs,Sartre, Merleau-Ponty, ou à laquelle serontsensibles Lacan ou Canguilhem. Parado -xalement, le texte philosophique françaisqui fait le premier l’éloge de Freud, est aussicelui qui en présente la critique la plus radi-cale ! Et la plus féconde puisqu’elle conduiracertains psychanalystes à réévaluer lechamp et la fonction de la parole et du lan-gage dans la situation analytique. Mais cettecritique vaut aussi pour l’ensemble dessciences humaines qui se refusent à pren-dre en considération ce que les hommesfont de ce que l’on veut faire d’eux. La véritéde l’homme est dans son action – dansson agir – ce qui suppose une inaliénableliberté. n

« Politzer n’admettra jamais que l’individupuisse être dépossédé de son existence,

qu’on parle de lui comme s’il était le simplejouet de forces impersonnelles, abstraites

et sans rapport avec sa singularité, sonunicité, c’est-à-dire sa liberté. »

Suite de l’article dans le prochainnuméro.*Roger Bruyeron est professeur dephilosophie en Première supérieureau lycée Condorcet à Paris.

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es historiens médiévistes sontrégulièrement confrontés aufossé qui existe encoreaujourd’hui entre des représen-tations populaires ancrées dansdes fantasmes anciens et les

acquis de la recherche ; le servage médié-val en est un bel exemple. Le stéréotypedu pauvre serf médiéval, attaché à laterre qu’il cultive sans espoir de s’échap-per, écrasé de charges et d’obligationsinfamantes et vexatoires, est des plustenaces. Une étude minutieuse desconséquences du statut servile sur lequotidien des paysans montre pourtantune situation plus nuancée : constitutifde la seigneurie, le servage constitueaussi un des rouages de la société médié-vale. C’est peut-être ce qui peut expli-quer le paradoxe apparent de la taciteacceptation par les paysans dépendantsd’une situation et d’un statut à l’intérieurduquel ils peuvent œuvrer, seul ou col-lectivement, pour en tirer avantage.Cette image archétypale résulte notam-ment de la condamnation aux XVIIIe etXIXe siècle d’un système féodal conçucomme violent et primitif, une étape sau-vage dont il faudrait se défaire pour attein-dre un niveau de civilisation évolué. Lasociété médiévale, et particulièrement lasociété rurale, est alors analysée en termesde conflits et d’oppositions, présentéecomme une société violente, dominéepar des rapports de forces, comme si tousles seigneurs étaient riches et puissantset tous les paysans pauvres et miséra-bles. Ce qui a parfois conduit les histo-riens, y compris les plus pertinents d’en-tre eux, à parler « d’anarchie féodale », de«  terrorisme seigneurial  » (Pierre

Servage et sociétéau Moyen Âge Si les sources nous apprennent que les rapports de forces entre paysans et sei-gneurs pouvaient parfois être violents et au détriment des premiers, elles nousmontrent aussi souvent l'adhésion de ceux-ci à l'ordre économique, politiqueet social de la seigneurie féodale : le statut servile n'était pas forcément à l'ori-gine des inégalités et l'objet de contestations.

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Bonnassie), « d’encellulement » (RobertFossier) pour décrire cette société.

UN STATUT, DES SERVAGESLe servage représente un fait médiévalcomplexe que les médiévistes ont encoredu mal à appréhender, déroutés par l’in-finie variété des situations particulières.Il a longtemps été présenté comme la sur-vivance archaïque d’un état féodal ancienqui, après les campagnes d’affranchisse-ments des XIIe et XIIIe siècles, ne pèseraitplus que sur les franges inférieures de lapaysannerie, trop pauvres pour pouvoir

racheter leur liberté. Pourtant le servageconstitue un élément incontournable dela société médiévale, d’autant plus diffi-cile à caractériser qu’il existe en réalitépresque autant de modalités différentesdu servage que de seigneuries serviles,rendues difficilement repérables du faitde l’immense variété des termes utiliséspour dénommer les serfs. Au-delà de sesvariations locales ou conjoncturelles, leservage est bien présent dans les socié-tés européennes tout au long du millé-naire médiéval et même au-delà.Cette pluralité des formes, des situationset des dénominations s’oppose radica-lement à la stricte bipolarisation sociale

théorisée par les juristes du Moyen Âge,qui insistent sur le caractère absolu de laservitude : « tous les hommes sont soitlibres, soit serfs », reprenant un adage issudu droit romain. Distinction radicale, quimarque bien le caractère particulier duservage : il s’agit d’un statut à part entière,qui semble cependant mal adapté auxnuances de la diversité sociale médiévale.Marc Bloch le premier insistait sur ce point :le servage constitue une réalité stricte-ment et authentiquement médiévale, quin’est assimilable à aucune autre forme deservitude. L’emploi continu du terme latinde servus (« esclave » en latin classique)vient dissimuler une rupture fondamen-tale : à la différence de l’esclave, le serfmédiéval, membre à part entière du corpssocial, s’inscrit dans une communauté àlaquelle il participe. Marc Bloch, en souli-gnant la similitude de vocabulaire entreservage et vassalité, invite donc à consi-dérer le servage comme un fait social qui,en tant que tel, constitue sans doute l’undes meilleurs moyens de compréhensiondes rapports qui structurent la sociétémédiévale.Si le servage peut être conçu comme unerestriction de certains droits de l’individuau profit de son seigneur, il ne signifiecependant pas asservissement de sa per-sonne. Soumis à son seigneur, le serf n’estpas soumis à toute la société. La percep-tion peut alors en être différente, selonoù l’on se situe : le juriste anglais Bractonécrivait ainsi au milieu du XIIIe siècle que« l’on peut être serf envers quelqu’un ethomme libre vis-à-vis d’un autre ». Libred’agir vis-à-vis d’un tiers, le serf n’estentravé que lorsqu’il se retrouve en conflitavec son seigneur, ou lorsqu’on toucheaux terres que le serf tient de son seigneur.Lien personnel d’homme à homme pui-sant aux mêmes sources que la relationvassalique, le servage est bien d’abordune notion sociale avant d’être une notion

« Il existe des serfsriches et des libres

pauvres, et le statutjuridique ne sauraitdéterminer tout le

statut social del’individu. »

PAR VINCENT CORRIOL*

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès

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juridique, qui ne résume pas toute la condi-tion de l’individu. Ainsi le statut de l’indi-vidu sera mentionné dans certains typesd’actes (d’éditions et affranchissements,reconnaissances, aveux), quand il seraabsent d’autres parce qu’il n’entraîne dansce cas aucune conséquence particulière.Cette « relativité du servage » a parfoisconduit les historiens à parler, plus large-ment, de dépendance. Si cette notionreprésente l’inconvénient de contournerla notion de servitude, et finalement del’évacuer, elle souligne cependant la néces-sité qu’il y a à se pencher de près sur laréalité des conditions. Une dépendancejuridique symbolique, même privative deliberté, est parfois bien moins difficile àsupporter que la dépendance écono-mique du petit paysan libre, qui dépendde l’embauche sur les grandes exploita-tions pour sa survie. Les tentatives de défi-nir le servage par ses charges ont d’ailleurstoutes échoué, en raison de l’infinie variétéde celles-ci, qui entravent aussi toute com-paraison entre charges serviles et chargesréputées libres. Réduire le servage à sonversant économique revient à se mépren-dre sur sa nature : l’affranchissement nesignifie pas forcément amélioration desconditions de vie des personnes concer-nées. Il existe des serfs riches et des librespauvres, et le statut juridique ne sauraitdéterminer tout le statut social de l’indi-vidu. Le statut servile ne revêt d’ailleurspas encore, au Moyen Âge, le caractèrehumiliant que les juristes du XVIIIe sièclese sont appliqué à lui attacher (la fameuse« macule servile »). Le mépris qui trans-paraît alors est plutôt celui des élites cul-tivées envers le monde paysan dans sonensemble. S’exprime ici la revendicationd’une supériorité sociale de la noblessequi, comme le fait Adalbéron de Laon auXIe siècle, oppose radicalement les noblesaux serfs, rejetant toute la paysanneriedans un même dédain.La vision que l’on a du servage dépenddonc de l’approche que l’on peut en faire :strictement bipolaire si l’on en fait une lec-ture juridique, infiniment nuancée si l’ons’intéresse aux actes de la pratique. Ceux-ci permettent cependant de s’immiscerau plus près des réalités serviles.

UN EXEMPLE JURASSIEN AUXIVe SIÈCLEL’étude dans le long terme d’une seigneu-rie servile comme celle des abbés de Saint-Oyend-de-Joux / Saint-Claude, dans leJura français, livre une image nuancée dela servitude. Plutôt qu’un statut juridiquequi s’appliquerait d’un bloc à des paysanscontraints, le servage prend la forme d’obli-gations féodales diverses qui s’agrègentlentement les unes aux autres en un lentprocessus d’unification des redevances

paysannes et donc des conditions. Cemouvement de convergence s’accom-pagne d’une définition de la coutume : àla coutume spécifique de ceux de la villes’oppose une coutume rejetant tous lesautres dans un statut commun. On nesaurait pour autant parler encore de sta-tut : ce n’est que dans un second temps,au cours du XIVe siècle, que les seigneurs,sous l’influence du droit romain, com-mencent à caractériser ces conditionspar des termes juridiques : libres, serfs,mais aussi nobles ou bourgeois.Cette définition du statut, tardive (pasavant le milieu du XIVe siècle) et progres-sive (le processus s’étire des années 1280aux années 1360), obéit à des motivationscomplexes. Elle s’inscrit dans un proces-

sus de rationalisation et de normalisationde la gestion seigneuriale, tous les pay-sans étant désormais soumis à un barèmesimilaire. La fixation d’un servage coutu-mier peut aussi être interprétée commeun recul de l’arbitraire seigneurial : les pay-sans dépendants savent ce qu’ils doiventpayer, mais aussi ce que le seigneur nepeut exiger d’eux. Paradoxalement, l’uni-formisation des statuts, en fondant tousles villageois dans une même condition,offre aussi un point de convergence auxintérêts particuliers des villageois en ren-forçant les solidarités villageoises. En sou-mettant tous les individus à la même règle,le servage devient un élément de cohé-sion des communautés rurales, qui peu-vent alors s’affirmer en tant que telles.Rouage et relais du pouvoir abbatial, lacommunauté est aussi un contrepoids.Les communautés deviennent un inter-médiaire obligé entre le seigneur et sesdépendants, médiatisant un rapport per-sonnel qui tend au contraire à resserrerle lien qui unit le serf à son seigneur. Toutse passe comme si on assistait à un accordtacite, jamais formulé, entre d’un côté descommunautés qui aspirent à la recon-naissance et cherchent à s’imposer faceau seigneur, et de l’autre un pouvoir sei-gneurial qui, en imposant un statut uniquede dépendants à l’ensemble de ses tenan-ciers, cherche à assurer une relative sécu-rité de ses ressources dans un contexteéconomique encore fragile. Dans ce mou-vement simultané, si l’individu apparaîtde plus en plus étroitement soumis à sonseigneur par un statut juridique contrai-

gnant, il échappe en même temps à cettedépendance en se regroupant, la com-munauté permettant alors de médiatiserdes rapports sociaux de plus en plusrigides et d’éviter les conflits.On tient peut-être ici un des facteurs d’ex-plication de cette généralisation du ser-vage, qui semble s’effectuer sans heurts.Le monde paysan témoigne d’uneconscience aiguë de ses intérêts. Le cen-tre de ses préoccupations n’est pas le sta-tut mais l’accès aux incultes (prés, bois,landes, forêts), que les communautéstentent de se faire garantir, jusqu’à enobtenir la jouissance gratuite et exclusive.Les communautés, en obtenant un accordtacite d’autonomie dans la gestion de leurterritoire, obtiennent la satisfaction d’une

revendication essentielle à leurs yeux.Faire partie de ces communautés servilespermet de bénéficier de l’accès auxincultes, privilège très convoité si l’on enjuge par la pression que les communau-tés voisines exercent sur les forêts. Il estd’ailleurs frappant de constater que dansles terres du monastère l’élevage n’estjamais taxé, au contraire des autres pro-ductions agricoles. On comprend mieuxalors l’intérêt des communautés pour lesincultes : l’exploitation du bois commel’élevage peuvent être des ressourcesd’autant plus rentables qu’elles ne sontque peu ou pas taxées.C’est peut-être ce qui explique que l’onne constate aucune trace de révoltes, decontestation du statut servile, ou d’uneémigration des paysans jurassiens au pro-fit des seigneuries voisines affranchies.Le large accès aux incultes et le haut degréd’autonomie des communautés com-pensent sans doute, aux yeux des pay-sans, le poids du statut servile. Celui-ciapparaît finalement comme une contre-partie à payer pour bénéficier de l’accèsaux incultes, sources de revenus intéres-sants. Garanti par la coutume, le statutservile n’apparaît finalement pas si rudeque cela aux yeux de ces paysans… quinous invitent donc à le considérer autre-ment. n

« En soumettant tous les individus à lamême règle, le servage devient un élémentde cohésion des communautés rurales, quipeuvent alors s’affirmer en tant que telles. »

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*Vincent Corriol est historien. Il estmaître de conférences en histoiremédiévale à l’université du Maine -Le Mans.

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ésireuses de s’inscrire dansune dynamique plus soute-nable, de nombreuses initia-tives citoyennes ont émergéau cours de ces dernièresannées afin d’initier un

renouveau des pratiques agricoles. Cesinitiatives prônent un nouvel écosystèmeplus en lien avec le territoire, fondé notam-ment sur le principe d’une résiliencelocale. Elles réintroduisent progressive-ment des comestibles dans nos espacesde vie ou valorisent les ressources exis-tantes, tout en favorisant le partage desrécoltes et des savoir-faire. Multiformeset multiscalaires, elles ont en commundifférentes valeurs telles que celles depromouvoir une production alimentairelocale, de lutter contre le gaspillage, deprivilégier des techniques de culture favo-risant la biodiversité ainsi que celles de

Utopies réalistes pourun territoire comestible et solidaire Les différentes crises que nous traversons nous amènent à nous interrogersur les systèmes de production mis en place, sur nos modes de consom-mation et plus largement sur nos rapports à notre environnement.

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contribuer à un besoin d’aménitéssociales et de développer la solidarité.

VERS L’ÉMERGENCED’ESPACES PUBLICSCOMESTIBLES ? Dans le contexte urbain et périurbain,l‘espace public – reflet des besoins deshabitants – se voit attribuer cette nou-velle fonction alimentaire. Les différentesinitiatives, précédemment évoquées,remettent en effet en question l’usagedes espaces publics qui ne sont alorsplus seulement considérés comme deslieux de passage ou de loisirs appréciéspour leur caractère esthétique, mais éga-lement comme des lieux de productionalimentaire qui portent des activités col-lectives et intergénérationnelles.

Le renouveau des jardins communau-taires, qu’ils soient partagés, familiaux,ouvriers ou solidaires traduit cette ten-dance. La mise en place de ces espacesde jardinage collectif et d’interactionssociales constitue une réponse aux aspi-rations des usagers. Cette pratique dujardinage, accessible à tous, est prétexteà une diversité d’usages : activités péda-

gogiques et culturelles, événements fes-tifs, insertion sociale… Exploitant et revendiquant les micro-espaces publics comme des zones d’ex-périmentation et de production alimen-taire, le mouvement des « IncroyablesComestibles » participe à cette réflexionet ouvre des occasions. La recherche del’autosuffisance alimentaire incite descitoyens à planter et laisser à dispositionde tous des comestibles. Cette actiongratuite et spontanée permet d’opérerun changement de regard.

LES ESPACES PRIVATIFS : UN POTENTIEL ALIMENTAIRESOUS-ESTIMÉ ? Alors que l’agriculture de proximité estpeu à peu réintroduite dans l’espacepublic urbain, l’espace privatif – en milieupériurbain et rural – est porteur quant àlui d’autres enjeux et d’autres possibili-tés. En effet, les jardins privés représen-tent une importante réserve foncière etoffrent un potentiel de productionvivrière très souvent sous-estimé. L’initiative « Les Fruits du voisin » génèrede nouvelles synergies en préservant eten valorisant les ressources comesti-

PAR SYLVAIN DELBOY ET SARAHKASSLER*

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Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapportsde l'Homme à son milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d'un savoir populaire émancipateur.

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bles existantes. Pour ce faire, elle établitun réseau de partage des comestibleset des savoir-faire du jardin entre parti-culiers à partir des excédents desrécoltes, plus particulièrement de cellesdes arbres et arbustes fruitiers. Onconstate en effet que cette productionde proximité est abondante et n’est pasintégralement consommée – faute detemps, faute d’énergie ou simplement

du fait que les quantités produites parcertains arbres fruitiers sont trop impor-tantes et se périment très rapidement.Ces échanges sont facilités par des outilsnumériques (carte participative permet-tant de géoréférencer les ressources,manuel des bonnes pratiques) et pardes actions de terrain (aide aux récoltes,mis en place de points relais, animationd’événements saisonniers et d’ateliers

pédagogiques sur le jardinage). Ces outilspermettent d’optimiser et de dynami-ser le potentiel de production et de soli-darité.

MUTUALISER LES PRATIQUESET CRÉER DES CIRCUITSCOURTS Participatives, écologiques, solidaires,durables, pédagogiques, reproductiblesces différentes initiatives partageant denombreux points communs se distin-guent surtout par leur complémentarité.Cette complémentarité incite à une miseen réseau afin de mutualiser les res-sources et créer des circuits courts.Néanmoins, cette valorisation reposesur une dynamique locale. Celle-ci esttantôt à l’échelle d’une communecomme l’initiative expérimentale « R-URBAN » développant un projet d’agro-

cité à Colombes, tantôt à une échelleplus globale comme le mouvement des« Colibris » qui valorise des initiatives àl’échelle nationale. Le développementdes outils numériques et des réseauxsociaux contribue largement à créer desliens entre ces communautés decitoyens engagés. La simplicité et l’adaptabilité de ces prin-cipes de production alimentaire aux dif-férents contextes locaux ont permis leursuccès et leur développement rapide etspontané. À l’heure où le discours sur legaspillage alimentaire et le mode de fonc-tionnement « faites-le vous-même »(D.I.Y.) prennent véritablement leur essor,ces projets ouvrent de nouvelles pers-pectives, en contribuant chacun à leurfaçon à une appropriation territoriale,au changement des mentalités et à ladéfinition de véritables stratégies dura-bles et collectives. n

« La recherche del’autosuffisance

alimentaire incitedes citoyens à

planter et laisser àdisposition de tousdes comestibles. »

*Sylvain Delboy et Sarah Kasslersont paysagistes à L’AtelierSensomoto.

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l existe des millions de virus et onn’en connaît que quelques mil-liers, leurs mutations pourraientêtre inquiétantes. Est-ce cela legrand défi ?Les maladies virales humaines se

sont répandues à partir du néolithique,notamment avec la domestication desanimaux et la nouvelle agriculture quientraîna une promiscuité animal-homme. Les maladies infectieuses cor-respondent toujours à un bras de ferentre la lutte pour la vie (des micro-orga-nismes) et celle de leurs hôtes, c’est à quigagnera une bataille dont l’issue est sou-vent incertaine. Nous sommes tous leshéritiers des populations humaines qui,par le passé, ont survécu aux pandémiestelles que la peste, la grippe, etc. Lesagents infectieux (virus et bactéries) ontdéveloppé des stratégies de contourne-ment des défenses naturelles, leursmutations adaptatives sont très rapides,des vaccins efficaces peuvent devenirinopérants, la résistance aux antibio-tiques se développe. En outre, l’hommemoderne voyage, ce qui se transmettaitparfois sur plusieurs années peut setransmettre en quelques heures. C’estdonc un énorme défi, mais pas le seul.

Et les maladies neuro-psychiatriques,les pollutions, le stress chronique...Des projections ont été faites à l’échelle

Les défis des sciencesmédicales au XXIe siècle

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de l’Europe : des millions de personnessont et seront plus encore affectées pardes maladies neuro-dégénératives. Autreexemple, que je connais bien : le dévelop-pement du cancer du testicule, il croît danstous les pays, c’est le plus fréquent chezl’homme jeune, mais on n’en connaît pasles causes, même si l’on pense qu’il est liéà l’environnement (au sens large du terme).Certaines menaces sont bien identifiées,d’autres moins. Les maladies dues auxchangements d’organisation de la sociétéexplosent certes, mais elles ont toujoursexisté, le contexte d’urbanisation, les condi-tions de travail et de vie peuvent les aggra-ver. Ce sont effectivement des frontsmajeurs, mais parmi d’autres. Attentionaux modes, les plans cancer, SIDA, mala-dies neurologiques, c’est aussi souvent unprétexte pour déshabiller X en habillant Y !

Il y a régulièrement des polémiquessur le(s) cancer(s).Défi multiple et paradoxal. La vie s’allongegrâce à la prise en charge médicale et sani-taire. En retour, les maladies liées à cetallongement se répandent : le cancer dela prostate, Alzheimer, etc. Il y a des can-cers dont l’étiologie est connue (c’est lecas, par exemple, du lien entre le tabac etl’amiante pour le cancer du poumon).Certains ont cru que le séquençage dugénome allait permettre de vaincre le can-cer, mais cela ne suffit pas. La chimiothé-rapie, développée à partir des années 1960,a permis de très grands progrès. Il est vraiqu’on a assisté ensuite à une stagnationrelative, il y a toutefois eu des découvertes

non négligeables, notamment au sujet del’existence de protéines particulières danscertaines tumeurs, cela a débouché surdes thérapies innovantes : un anticorps vase coller spécifiquement à la cellule tumo-rale pour la tuer, comme dans les méla-nomes. On prend conscience de pro-blèmes nouveaux inaperçus, mais leschoses progressent néanmoins.

La recherche fondamentale nonciblée a-t-elle fait avancer la connais-sance et les traitements de maladiescomme le cancer, mieux que desplans spécifiques ?N’opposons pas le ciblé et le non ciblé. Cequi est dramatique, c’est que le ciblagedes moyens de recherche sur certainesmaladies serve de prétexte à la diminu-tion des crédits de base, avec pour consé-quence que de plus en plus souvent lacréativité libre de la communauté scien-tifique n’est plus soutenue, alors que lehasard lui-même joue un rôle fondamen-tal dans la découverte. On nous demanded’aller toujours plus vite, de déposer desbrevets : enrichir les industriels, ce seraitenrichir le pays. Mais c’est souvent trèsdéséquilibré ! Cela favorise d’ailleurs aussila dictature de « l’opinion », par exempleen matraquant des sondages pour défi-nir les orientations. L’organisation de larecherche ne doit pas être guidée parl’émotion du moment et les stratégies poli-tiques qui en découlent. Les discussionspubliques sont nécessaires et il est nor-mal que les grandes décisions politiquessoient prises par le parlement, mais les

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La santé est un concept global, il s'agit de vaincre les maladies, de faire faceaux menaces sanitaires, de soigner le plus grand nombre et de s'attaqueraux inégalités. Mais on est aujourd'hui assez désorienté sur l'avenir dessciences médicales : les affirmations les plus contradictoires circulent...

La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Etnous pensons avec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sansscience n’est souvent qu'une impasse.

ENTRETIEN AVEC BERNARD JÉGOU*

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politiques n’ont pas à trancher le débatscientifique et à brider la créativité. Unecertaine « République des chercheurs »,comme disait Frédéric Joliot, doit êtreconservée. L’autonomie relative (PierreBourdieu) n’a rien à voir avec l’isolementdans une tour d’ivoire.

La thérapie génique, les cellules-souches tiendront-elles leurs pro-messes, seront-elles à l’origine degrands bouleversements ?Comme le disait Marcelin Berthelot auXIXe siècle, la science (clinique) est née dela poursuite d’un double résultat : « l’art defaire de l’or » (la « pierre philosophale »),mais aussi « l’art de se rendre immortel ».Les thérapies cellulaires, c’est le rêve deremplacer les organes usés ou défectueuxà partir de cellules-souches. Cela est renduenvisageable par l’avancée des sciencesde la vie. Par exemple, un pancréas qui s’ar-rête (on ne sait guère pourquoi…), c’est lediabète et une vie rendue difficile ; le rem-

placer serait formidable. Mais il ne faut passurvendre ces progrès, donner de fauxespoirs, se livrer à une promotion débri-dée. Croire qu’on réglera le problème àcourt terme, c’est de la science-fiction. Enoutre, pour ce qui concerne les cellules-souches, il existe des problèmes éthiquesdélicats : doit-on s’autoriser à modifier legénome génital et ainsi modifier le génomedes générations futures ?

Et la disparité entre pays pour l’accèsaux soins ?Oui, il faut aussi mettre fin à des fléaux pourlesquels on a déjà les solutions médicales.Des maladies qu’on espérait éradiquer fontdes millions de victimes et/ou reparaissent.Ainsi, la poliomyélite fait des ravages enAfghanistan, au Pakistan ou en Syrie, cer-taines vaccinations régressent, même cheznous. Et il y a de nouvelles menaces, parexemple celles résultant du réchauffementde la planète qui va faire apparaître unenouvelle cartographie des maladies infec-tieuses. Tout cela est très souvent lié à l’or-dre économique mondial qui est catastro-phique. Mais ces inégalités ont lieu aussi àl’intérieur d’un même pays, entre couchessociales, entre zones géographiques, cesont en général le reflet d’écarts écono-

miques. Par exemple, le chômage favoriseou accroît certaines maladies, comme lesaddictions ; on décroche aussi sur les soinsdentaires, avec les conséquences que celaentraîne, on renonce aux appareils audi-tifs, du coup on s’isole ; il y a alors des consé-quences sur les enfants, leur scolarité. Enfait, seule une partie de la population a accèsà l’ensemble des progrès et les inégalitéss’aggravent.

Tu es biologiste de formation et tu asété président du conseil scientifiquede l’INSERM. Le fait de ne pas êtremédecin à l’origine a-t-il été un handi-cap à cet égard ?Non, je ne crois pas, mais c’est une ques-tion intéressante. Autrefois, à l’INSERM, ily avait, juxtaposés, beaucoup de méde-cins qui ne faisaient guère de rechercheet beaucoup de biologistes qui en prati-quaient une souvent éloignée de la méde-cine proprement dite. Depuis trente ans,le travail en équipe est devenu absolument

fondamental, avec partage et diffusiondes connaissances. Il y a des biologistesqui sont capables de poser des questionsfondamentales sur les animaux, voire surl’homme, ils doivent donc les tester avecdes médecins ; il y a des médecins qui ontla curiosité intellectuelle et les ressourcespour découvrir (du moins quand leursconditions de travail leur laissent le tempsde s’y consacrer). Cette évolution trans-disciplinaire est une des clés de l’enrichis-sement intellectuel et du progrès, c’est laconception du laboratoire que je dirige.

Peut-on parler d’amélioration del’Homme ?Ta question permet d’évoquer deux choses.La première, c’est l’eugénisme, avec toutesses facettes, souvent monstrueuses auXXe siècle. Aujourd’hui, pour certains, onpratique déjà une certaine forme d’eugé-nisme, avec le diagnostic pré-implanta-toire : pour détecter certaines maladiesgénétiques, lorsque les parents sont por-teurs de mutations, on prélève une petitecellule dans l’embryon et, selon les résul-tats, on poursuit ou arrête la grossesse.Dans de tels cas, la décision ne peut appar-tenir au seul médecin. Chaque avancée dela recherche sur les cellules-souches nous

« Notre statut de fonctionnaire-chercheur,régulièrement si décrié, est a priori une

garantie vis-à-vis des pressions politiques,industrielles et commerciales. »

*Bernard Jégou est directeur del'Institut de recherche, santé,environnement, travail (IRSET) àRennes.Propos recueillis par Pierre Crépel.

rapproche encore plus du moment où onpourra « trier » la population, on arrive à desrésultats qui n’étaient même pas imagina-bles il y a quelques décennies. Pour l’es-sentiel, celles des thérapies géniques quine touchent pas aux cellules germinalesconstituent un progrès important. Mais,modifier des caractéristiques génétiquesà visée de transmission, utiliser le génomepour façonner les générations à venir, agirsur l’embryon pour diminuer le nombre denaissances de filles au profit des garçons,comme cela est souhaité dans certainspays, cela tourne vite au cauchemar. Ladeuxième chose que ta question évoque,c’est ce qu’on appelle l’homme « bionique »,c’est-à-dire un homme réparé par la com-binaison d’organes de synthèse d’électro-nique « embarquée ». Que pourrait signi-fier améliorer « l’homme » ? Le rendre plusperformant, en meilleure santé, plus paci-fique, immortel ?

Les dirigeants politiques doivent-ilsse mêler de la science médicale enelle-même ?Il est normal que les autorités politiquesse penchent sur ces enjeux. Prenons lesexemples de l’environnement et du cli-mat, le spécialiste a des choses à dire, ildoit les dire, mais en tant que scientifique,sans confusion des genres ; il a naturelle-ment droit à ses convictions personnelleset à leur affirmation, mais ne doit pas lesconfondre totalement avec son expertise.Notre statut de fonctionnaire-chercheur,régulièrement si décrié, est a priori unegarantie vis-à-vis des pressions politiques,industrielles et commerciales. Un cher-cheur précarisé n’a plus la liberté de pen-ser, il doit aller chercher de l’argent là où ilest, donc subir des pressions. Lorsque jeremets un rapport sur une question scien-tifique, je dois m’extraire d’une vision mili-tante et rendre compte des contradic-tions révélées par l’état de la science à unmoment donné. Cet avis ne doit pas êtreinstrumentalisé d’un point de vue poli-tique, même s’il doit inspirer celui-ci quidoit légiférer. Il m’est arrivé à plusieursreprises de refuser cet amalgame, les diri-geants politiques ne le comprennent pastoujours. Mais il faut que le rôle de « vigie »et l’indépendance des scientifiques soientrespectés. n

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istoriquement, le droit pénala été l’occasion de renfor-cer le pouvoir du roi. Le pre-mier droit pénal relevait del’Église catholique et neconcernait que les délits reli-

gieux tels que le blasphème. Pour lesdélits non religieux, la sanction était lais-sée à l’appréciation du seigneur local.Lorsque les rois de France ont voulu affer-mir leur pouvoir et le centraliser dansleurs mains, ils ont vu dans l’édiction d’undroit pénal laïc le moyen d’imposer leursouveraineté sur leurs sujets en confis-quant le droit de punir à leurs vassaux eten réduisant à la portion congrue la partdes délits religieux par rapport à celledes délits laïcs. En effet, le droit de punirest le droit régalien par excellence et,une fois accaparé, il a permis au souve-rain de s’emparer de tous les autres pou-

Pour le droit pénal,contre le tout répressifLes objectifs du droit pénal sont nombreux et variés, mais tous sont poli-tiques. Après une évolution liée au renforcement du pouvoir royal, le droitpénal a servi à mettre en avant les valeurs de la société, et on chercheaujourd'hui à l'utiliser pour réduire la délinquance. Or, le droit pénal n'estpas la solution au problème de la criminalité en ce qu'il ne peut réprimerque des faits passés et non lutter contre la dangerosité des individus.

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voirs au plan national. Si ce mouvements’est déroulé sur plusieurs siècles, nousen sommes sans conteste les héritierspuisque les décisions de justice sontencore aujourd’hui rendues au nom dupeuple français, à qui appartient la sou-veraineté nationale.

DROIT PÉNAL ET VALEURS DELA SOCIÉTÉLorsque le besoin d’imposer le pouvoirdu souverain sur l’ensemble du territoires’est fait moins pressant, le droit pénala servi à édicter les valeurs essentiellesde la société. Ce caractère déclaratif dudroit pénal a longtemps été central caril permettait au pouvoir, qu’il soit royalou républicain, de mettre en avant cer-

taines valeurs en les protégeant par desinfractions, et en les hiérarchisant entreelles en modulant la gravité de la peineencourue. C’est ainsi que la vie, l’inté-grité physique, la sécurité de l’État et lapropriété sociale sont devenues desvaleurs essentielles car pénalement pro-tégées. À titre d’exemple de hiérarchi-sation, l’atteinte à la propriété du citoyenlambda est considérée comme moinsimportante qu’une atteinte à sa viepuisque le vol simple est puni d’une peinede trois ans d’emprisonnement alors quele meurtre est puni de trente ans deréclusion criminelle. De plus, il est frap-pant de constater que dans le Code pénalde 1810, le premier titre du catalogue desinfractions était consacré aux Crimes et

PAR FRÉDÉRIC TRIBUIANI*

H« Ce caractère déclaratif du droit pénal alongtemps été central car il permettait aupouvoir, qu’il soit royal ou républicain, demettre en avant certaines valeurs en lesprotégeant par des infractions, et en leshiérarchisant entre elles en modulant la

gravité de la peine encourue. »

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délits contre la chose publique et quesuivait un deuxième titre consacré auxCrimes et délits contre les particuliers,subdivisé en deux chapitres dévolus res-pectivement aux personnes et aux pro-priétés alors que, dans le Code pénalactuel, qui a succédé à celui de Napoléonen 1994, le premier livre du cataloguedes infractions est intitulé Des crimes etdélits contre les personnes, le deuxième,Des crimes et délits contre les biens etle troisième, Des crimes et délits contrela nation, l’État et la paix publique.

Aujourd’hui cependant, si ce caractèredéclaratif demeure, il est de moins enmoins fort. En effet, le droit pénal ne secontente plus d’affirmer les grandesvaleurs en incriminant les atteintes réellesà l’État, aux personnes et aux biens pourdevenir la garantie du respect de règlesqui ne protègent qu’indirectement cesvaleurs. De ce fait, le droit pénal devientde plus en plus complexe, technique etde moins en moins clair, compréhensi-ble et accessible, notamment dans lecadre industriel. Si ce recul du caractèredéclaratif direct du droit pénal peut êtreregretté, il faut cependant reconnaîtreque la sanction pénale est, aujourd’hui,le meilleur, voire le seul moyen d’assu-rer le respect des règles d’hygiène et desécurité dans les entreprises.

DROIT PÉNAL ETDÉLINQUANCEEnfin, les tenants de l’idéologie sécuri-taire répressive veulent que le droit pénalfasse baisser la délinquance. Pour cefaire, ils créent sans cesse de nouvellesinfractions et exhortent les magistratsà prononcer des peines de plus en pluslourdes, tout en refusant de donner lesmoyens de réinsérer les condamnés.Cette approche est absurde. En effet,plus le nombre de comportements péna-

lement sanctionnés est important etplus le nombre d’infractions commisesest élevé, ce qui entraîne une hausse dela délinquance. De plus, on assiste à unrefus de la société de laisser impunis lespetits délits qui étaient avant tolérés ouréglés par un simple passage au com-missariat. D’autre part, il convient de gar-der à l’esprit qu’il existe deux types dedélinquance  : la primodélinquanceconstituée des faits commis avant toutecondamnation pénale définitive, et laréitération d’infractions qui est plus large

que la récidive légale car composée dedivers régimes juridiques dont la délimi-tation est relativement arbitraire.Or, le droit pénal, par définition, est celuiqui s’adresse avant tout aux personnesqui ont commis une infraction pénale.En effet, si la connaissance par tout unchacun de la sanction encourue permet,en théorie, aux individus de faire un cal-cul coût-avantage censé être défavora-ble au crime, il ne faut pas perdre de vuequ’il peut se révéler au contraire favora-ble au passage à l’acte, que l’être humainn’est pas toujours rationnel et qu’il peuttoujours espérer passer entre les maillesdu filet. Comment, à partir de là, peut-on exiger du droit pénal qu’il réduise laprimodélinquance ?Au contraire, le terrain du droit pénal doitporter sur la réduction de la réitérationd’infractions, c’est-à-dire celles com-mises après qu’une condamnation estintervenue. En effet, si un individu a com-mis une infraction pénale, c’est en prin-cipe parce qu’il n’a pas respecté un inter-dit social qui porte atteinte à une valeurjugée essentielle par la société si l’onadhère aux thèses criminologiques com-binées de Robert Merton et d’ÉtienneDe Greeff. La condamnation et la peineont alors deux fonctions essentielles :mettre fin au litige et éviter la récidive.

En effet, l’un des objectifs du droit pénala toujours été d’éviter les vendettas sansfin, et une peine acceptée par la victimelui permet d’une part de ne pas remet-tre en cause sa confiance dans le sys-tème et d’autre part de ne pas engagerde représailles personnelles. Cependant,il est à noter que la peine la plus lourdedéçoit presque nécessairement la vic-time en ce qu’elle ne peut pas effacerl’acte subi. De l’autre côté de l’infraction,une peine qui ne viserait pas à réintégrerpleinement l’auteur d’un crime ou d’undélit dans la société serait soit inhumaine,soit inutile. En effet, enfermer une per-sonne à vie sans possibilité d’être libé-rée est considéré, en Allemagne parexemple, comme une atteinte à la dignitéhumaine. Mais libérer une personne quia été condamnée sans avoir rien faitd’autre que de l’enfermer, en fort mau-vaise compagnie, pendant plusieurs moisou années ne peut avoir d’autre effet quede la rendre définitivement et irrémé-diablement criminelle, voire d’aggraverles actes qu’elle sera amenée à commet-tre dans le futur. Il convient donc d’utili-ser le temps de la peine pour resociali-ser les condamnés, c’est-à-dire de leurpermettre de se réintégrer dans lasociété afin de pouvoir y vivre dans lerespect des lois. Cependant, que lestenants du tout répressif se rassurent,le caractère punitif de la peine ne doitpas pourtant être exclu, car il participeégalement à cette resocialisation, il doitsimplement ne pas être exclusif.Quant à la lutte contre la primodélin-quance, que faire si le droit pénal serévèle inadapté ? Faire en sorte que lesorganes normaux de socialisation telsque la famille, l’école et l’ensemble de lasociété ne transmettent plus des valeursd’égoïsme, d’individualisme, de concur-rence et de recherche à tout prix de laréussite, mais simplement de vivreensemble ? n

*Frédéric Tribuiani est étudiant desecond cycle en droit pénal etsciences criminelles à l'universitéToulouse-1-Capitole.

« Il convient donc d'utiliser le temps de lapeine pour resocialiser les condamnés, c'est-

à-dire de leur permettre de se réintégrerdans la société afin de pouvoir y vivre dans le

respect des lois. »

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PAR NINA LÉGER

Hollande déçoit la gauchede plus en plusSO

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Sondage BVA : F. Hollande de moins en moins à gauche, janvier 2014

Alors, le président, trop à gauche ou trop à droite ? Cette ques-tion avait déjà été posée il y a un an. Et on voit que l'actiongouvernementale a fait évoluer cette appréciation. Les Françaissont aujourd'hui 36 % à juger que François Hollande n'est pasassez à gauche, contre 24 % il y a un an. Et 24 % à le trouvertrop à gauche. Les 36 % restant le trouvent « juste comme ilfaut », jolie formule s'il en est. Au delà des chiffres, c'est bien

l'évolution de l'opinion qui est intéressante. Soulignons éga-lement que les positions du président rendent compliqué lepositionnement de la droite : 62 % des sondés estiment quel'UMP doit « s’inscrire dans une coopération avec le gouver-nement pour mettre en place ce pacte [de responsabilité desentreprises] ». Comme il n'est « pas trop à gauche », la coo-pération en sera bien entendu facilitée !

NOVEMBRE 2012

32 %

24 %

39 %

JANVIER 2014

24 %

36 %

36 %

Trop à gauche

Pas assez à gauche

Juste comme il faut

Personnellement, trouvez-vous que François Hollande esttrop à gauche, pas assez à gauche ou juste comme il faut, ni trop ni pas assez à gauche ?

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Le rapport 2013 de l’Observatoire national des zones urbainessensibles (ONZUS), remis en décembre dernier, livre une visionalarmante des conséquences de la crise sur ces territoires.Les ZUS sont des quartiers urbains concentrant des difficul-tés économiques et sociales. Elles correspondent aux quar-tiers de grands ensembles ou aux centres urbains dégradés,et recouvrent en grande partie les quartiers dits sensibles desbanlieues des grandes agglomérations. Alors que la situationsemblait relativement stable sur le moyen terme, elle s’estdégradée subitement sur les toutes dernières années. Lesinégalités entre ces zones et le reste des agglomérations danslesquelles elles se trouvent se creusent ainsi de plus en plus.

En matière de revenus par exemple, alors que le revenu parunité de consommation croît d’environ 1 % sur l’ensemble dela France métropolitaine entre 2009 et 2010, il a stagné dansles ZUS. Il en résulte un taux de pauvreté toujours plus impor-tant, puisqu’en 2010, plus d’un habitant de ZUS sur trois (36,1 %)vivait en dessous du seuil de pauvreté, soit trois fois plus quedans le reste des agglomérations.

Sur la question de l’emploi, la situation est tout aussi préoc-cupante, puisque le décrochage des ZUS par rapport au reste

des territoires urbains, amorcé en 2009, se poursuit (voir legraphique). En effet, depuis 2009, le taux de chômage dansles quartiers hors ZUS des unités urbaines est relativementstable, autour de 9,5 %. Dans le même temps, le taux de chô-mage en ZUS n’a cessé d’augmenter, passant de 18,5 % desactifs en 2009 à 24,2 % en 2012, soit une augmentation de30 %. En 2012, un actif sur quatre vivant en ZUS était donc auchômage. À cette aggravation du chômage vient par ailleurss’ajouter une baisse sensible du taux d’activité. Au total, 14,7 %des habitants de ZUS ayant entre 15 et 64 ans sont au chô-mage, contre 7 % pour les habitants des autres quartiers desagglomérations.

L’intérêt de ce rapport 2013 de l’ONZUS, c’est qu’il permetd’analyser les conséquences de la crise économique de 2008sur les différentes classes sociales, et pas seulement à desniveaux nationaux agrégés. Ce que l’on constate, en particu-lier dans le domaine de l’emploi, c’est bien que les habitantsdes ZUS sont les premières victimes de cette crise, alors quele reste des Français semble relativement épargné. On savaitdéjà que lors de crises, c’est ceux qui sont dans les situationsdéjà les plus précaires qui subissent les effets les plus impor-tants, puisqu’ils sont les variables d’ajustement les plus acces-

sibles. Mais la persistance d’un effetconcentré principalement sur lesclasses populaires, d’une ampleurjamais vue, et qui plus est sur unepériode relativement longue en regarddu cycle économique, est un élémentnouveau : il devrait nous alerter surla nécessité d’agir en urgence pourles habitants des quartiers populaires,malheureusement souvent délaisséspar les pouvoirs publics. L’annoncede l’installation prochaine d’uneagence Pôle Emploi dans la ville deClichy-sous-Bois semble malheureu-sement arriver un peu tard au regarddu désengagement chronique del’État durant les quinze dernièresannées. Elle ne marque pas véritable-ment l’amorce d’une politique volon-tariste en faveur de ces quartiers.

PAR MICHAËL ORAND

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Les habitants des quartierspopulaires, variablesd’ajustement de la criseéconomique ?

TAUX DE CHÔMAGE DANS LES ZONES URBAINES SENSIBLES ETDANS LES AUTRES QUARTIERS DE LEURS AGGLOMÉRATIONS

Source : INSEE, ONZUSLecture : en 2006, le taux de chômage était de 19,3 % en ZUS et de 9,3 % dans les quartiers hors ZUS de leurs agglomérations.

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es vœux de combat et d’ave-nir  », avaient promis lesproches de FrançoisHollande à l’occasion de l’al-locution télévisée du prési-dent de la République, ce

31 décembre. Alors que le couperet desderniers chiffres de l’emploi venait detomber, annonçant officiellement l’échecde la promesse d’inverser la fameusecourbe du chômage avant fin 2013, leprésident et son équipe ont martelé qu'ilsétaient sur la bonne voie. Il a annoncé lamise en place d’un Pacte de responsa-bilité des entreprises, résumé ainsi :«  moins de charges et moins decontraintes sur l’activité », contre « plusd’embauches et de dialogue ».

UNE EXÉGÈSE PEURASSURANTEEn proposant la fin des cotisations fami-liales patronales, le président de laRépublique a répondu à une vieille exi-gence de classe du MEDEF et fait un nou-veau cadeau de 30 milliards au patronataprès les 20 milliards du Crédit d’impôtcompétitivité pour les entreprises (CICE).Aucune mention n’a été faite des« contreparties » incluant le paquet sur-prise du chef de l’État, si l’on exclut lesnégociations de branche. Sans surprise,le président du MEDEF – Pierre Gattaz –

Rassurez-vous,François Hollanden’a pas changé !

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a salué « le plus grand compromis socialdepuis des décennies », affirmant aupassage que ce discours témoignaitd’une « prise de conscience de la réalitéde la France » (Le Figaro, 15/01/14). Onpourrait croire – tout comme ThierryLepaon, secrétaire général de la CGT –que « Pierre Gattaz est premier minis-tre » (Le Monde, 20/01/13).

Le « tournant » de Hollande avait déjàété débattu après ses vœux du31 décembre. Mais quel tournant ? Celuid’un socialiste vers la social-démocra-tie, ou bien celui de la «  nécessité  »comme l’a énoncé Jacques Julliard(Marianne, 18/01/14) ? En tout cas, il s’agitbien « d’une accélération » de la poli-tique menée même si François Hollandese défend de s’être engagé vers la voielibérale en disant qu’il ne fait que du« donnant-donnant avec le patronat »(Le Monde, 18/01/14). Du côté de lapresse, le doute est en revanche moinsprésent. Excepté celle du courant del’opposition, Le Figaro, tous s’accordentà affirmer, ou à avouer, selon les réti-cences, le virage tant annoncé.

RUPTURE, DÉCALAGE OUCOMING OUT ?Si le Pacte de compétitivité annoncé ennovembre 2012 avait bien enterré le dis-cours du Bourget, il n’avait pourtant pasdéclenché de réactions quant à un chan-gement radical de politique. Questionde visibilité, sûrement. La médiatisationdes vœux du président expose claire-

ment ce que Hollande essaie de nousfaire comprendre depuis près de deuxans déjà. S’il est bien explicite que lesentreprises seront de nouveau privilé-giées et mises au cœur des efforts del’État, rien n’est clairement dit sur lesconditions du dialogue social, de sesacteurs ou de ses objectifs (Le Monde,9/01/ 2014).

L’UMP n’en mène pas large, malgré lescepticisme déclaré de ses membresquant à l’application du Pacte. Et celan’est pourtant pas pour réjouir les sym-pathisants socialistes : car en assumantune politique libérale, le président acoupé l’herbe sous le pied de l’opposi-tion. Moins de charges sur les entreprises,moins de dépenses publiques, moinsd’impôts… Le nouveau programme éco-nomique de Hollande dame le pion à ladroite, dans une similitude évidente avecles vœux de Jean-François Copé du30 décembre : « Il est urgent de baisserdrastiquement les impôts, les chargessociales et la dépense publique, de sup-primer sans trembler toutes les régle-mentations absurdes  » (Le Monde,7/01/14).Le « tournant » annoncé doit donc s’ana-lyser à deux niveaux : le premier est celuiqui oppose la période où FrançoisHollande était encore candidat à l’élec-tion présidentielle et celle d’aujourd’hui.À ce premier degré, il y a bien une rup-ture entre l’annonce et les pratiques.Ainsi, pour Élie Cohen, qui répond auMonde, le 8 janvier 2014 : « les choix poli-

PAR ANTHONY MARANGHI

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tiques affichés par le président lors deses vœux sont en rupture par rapport àceux qu’il a faits depuis son élection »,évoquant l’augmentation des impôts oula réduction des dépenses publiques.En revanche, rien à dire sur la continuitédes pratiques avec le discours du can-didat Hollande aux primaires socialistesde 2011 : à l’époque, rappelle l’écono-miste, l’ancien secrétaire du PS avaitfocalisé son programme sur la résorp-tion de la dette, plaidant pour un rééqui-librage des comptes publics plus rapideet radical que celui proposé par le PS. Ildéfendait enfin déjà l’idée d’un « pacteproductif », n’hésitant pas à se présen-ter, dans son livre Le Rêve français (Privat,2011), en promoteur de « l’esprit d’en-treprise ».Il semble donc acquis que les paroles etles actes ne collent pas. Mais faut-il vrai-ment parler de « tournant », ou n’est-cepas simplement l’affirmation d’une syn-thèse libérale faite lors de sa conférencede presse du 14 janvier ? Il n’était pasnécessaire d’attendre cette épiphanietélévisuelle pour se rendre compte quel’argument de la « rupture idéologique »ne tient pas.

QUAND LA GAUCHE« BOUGEAIT »... IL Y A TRENTEANSLe tournant 2014 « rappelle 1983 par lesenjeux et la méthode » comme le sou-ligne Jean-Pierre Robin dans Le Figaro du19 janvier. Il faut remonter aux années1980, aux premiers pas de François

Hollande en politique, pour comprendreles origines du discours libéral de ce der-nier. Dès sa sortie des bancs de l’ENA, ausein de la célèbre « promotion Voltaire »(1980), il s’engage dans la campagne pré-sidentielle de 1981 pour l’union de lagauche. Après l’élection de FrançoisMitterrand, le 10 mai 1981, et deux pre-mières années de présidence marquéespar la nomination de ministres commu-nistes et de nombreuses nationalisations,le premier plan de rigueur de 1983 marqueun premier « tournant » dans la conver-sion du Parti socialiste à l’idéologie néo-libérale, marquant la naissance du consen-sus de ses membres autour d’une gauchese qualifiant de « moderne ».C’est dans un ouvrage collectif tombédans l’oubli, et aujourd’hui « épuisé », quese trouve l’embryon idéologique de l’ac-tuel « tournant social-démocrate ». C’esten relisant La Gauche bouge, publié en1985 aux éditions Jean-Claude Lattès,qu’on voit comment François Hollandeprônait déjà ouvertement le libéralismesous le pseudonyme de Jean-FrançoisTrans, aux côtés de Jean-Pierre Jouyet,ancien camarade de promotion, et deceux du mouvement « Trans-courants »(Jean-Michel Gaillard, Jean-Yves Le Drianet Jean-Pierre Mignard). La « bande descinq » affichait une ambition politiqueclaire : créer une « troisième voie » fon-dée sur une économie de marché mon-dialisée et « une réflexion progressistecoupée de tout courant idéologique ».Dans le contexte des politiques néolibé-rales d’alors, il semblerait qu’une politique

économique de gauche, fondée sur unerelance par la demande, ne correspon-dait plus à « l’efficacité économique ».Finalement, le libéralisme de FrançoisHollande n’a jamais faibli, en trente ansde carrière politique. Suite aux multiplesabandons des salariés (d’Arcelor Mittalou de Petit-Couronne, entre autres) aubénéfice des entrepreneurs, ce « pacted’irresponsabilité sociale », dénoncé parPierre Laurent dans l’Humanité du 15 jan-vier, a définitivement fait tomber lemasque présidentiel qui ne trompe pluspersonne. En concluant un pacte don-nant la priorité au patronat, c’est lecontrat social que le « président despatrons » risque d’enterrer. n

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Le clivage gauche/droitea-t-il encore un sens ?

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PAR FLORIAN GULLI

On connaît la réponse du philosophe Alain : « La pre-mière idée qui me vient est que l’homme qui pose cettequestion n’est certainement pas un homme de gauche ».Les choses ont néanmoins beaucoup changé depuis cepropos de 1930. Aujourd’hui, la défiance vis-à-vis de lagauche et de la droite, le sentiment croissant qu’une dif-férence seulement marginale distingue les deux, sontlargement répandus dans la population et en particulierdans les classes populaires. Gérard Streiff écrivait dansLa Revue du Projet : « ni droite, ni gauche, le premier partide France ».Ce sentiment n’a pas épargné les philosophes. CorneliusCastoriadis par exemple, que nul ne suspectera d’être dedroite, se déclarait dès 1986 « déçu du gauche-droite ».L’historien américain d’inspiration marxiste ChristopherLasch, dans un ouvrage de 1991, affirmait « l’obsoles-cence du clivage gauche-droite » au motif que gauche etdroite partageaient désormais « les mêmes convictionsfondamentales ». Ces thèses sont reprises aujourd’huipar le philosophe Jean-Claude Michéa qui se déclaresocialiste mais par-delà la gauche et la droite, s’autori-sant de Marx et d’Engels qui toujours assumèrent leurappartenance au socialisme sans jamais toutefois se dire« de gauche ».

DÉSILLUSION À L’ÉGARD DE LA GAUCHELes discussions autour du clivage gauche/droite quiretiennent notre attention viennent d’une désillusion àl’égard de la gauche. Elles cherchent à expliquer le ral-liement répété des gouvernements de gauche aux poli-tiques libérales, sans recourir au schème insatisfaisantde la « trahison ».Les mises en question radicales de l’idée de « gauche »,qui vont jusqu’à estimer qu’il faut s’en passer désormais,mobilisent en général trois types d’arguments. Le pre-mier est stratégique : le mot « gauche » n’est absolumentplus mobilisateur aujourd’hui. On aura beau se déclarer« 100 % à gauche », « parti de gauche », « vraie gauche »,« gauche de gauche », rien n’y fera. Et le constat d’unedévalorisation durable du mot semble incontestable.André Tosel, s’inscrivant dans cette analyse stratégique,propose en guise de « cure d’abstinence linguistique »,

de « mesure d’hygiène mentale », de ne plus prononcerle mot « gauche ». Si l’unité des classes populaires doitse faire, ce ne sera pas autour de ce mot discrédité quidivise les gens plus qu’il ne les rassemble. Reste alors àsavoir par quel terme mobilisateur remplacer le signi-fiant « gauche » : « Peuple » ? « Socialisme » ?« Communisme » ? « Les 99 % » ? À moins que tout cecine soit pas affaire de mots.Le second argument est d’ordre idéologique. La gauchepartagerait désormais « les mêmes convictions » (Lasch)que la droite. Gauche et droite ne seraient que deux

variantes complémentaires du libéralisme (Michéa). Biensûr, on pourrait arguer qu’une telle analyse est caricatu-rale ; que des clivages idéologiques persistent ; qu’il existe,en France en particulier, une gauche qui ne s’est pas ral-liée au libéralisme, etc. Mais peut-être l’essentiel n’est-il pas là ! On peut en effet contester le présupposé vou-lant que la gauche soit d’abord la traduction politiqued’une idéologie. Si l’idéologie est évidemment impor-tante, elle n’est pas d’une grande aide quand il faut défi-nir le clivage qui nous intéresse. Car à regarder les conte-nus proposés par les organisations de gauche au coursdu siècle dernier et à l’échelle de la planète, il est biendifficile de trouver une cohérence et quelques invariants.Tantôt ces organisations ont défendu la petite propriétéet le partage des terres, tantôt elles ont favorisé la col-

Le virage libéral de la social-démocratie européenne sème le doute sur lapertinence d’un clivage qui ne date pas d’hier. Plusieurs auteurs se sontnotamment interrogés récemment sur son rapport au clivage de classe.

Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d'hier et d'aujourd'hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d'autres, les analyses et le projetdes communistes.

« Le mot « Gauche » a donc toujours un sens.

Il désigne, d'un point de vue de classe, l'alliance entre lesclasses fondamentales et la

fraction subalterne de la classedominante, celle qui est

la plus éloignée du pouvoirsocial réel. »

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lectivisation. Ici elles étaient favorables à la colonisation,là-bas, elles lui étaient hostiles. Elles défendent l’égalité,mais cela arrive aussi à la droite (pensons à MiltonFriedman et Friedrich Hayek, grands pourfendeurs desdiscriminations). Comme la droite enfin, il leur arrive deprivatiser des entreprises publiques. Et pourtant, mal-gré cet embrouillamini idéologique, il est possible d’iden-tifier une gauche et une droite. Christopher Lasch illus-tre bien ce paradoxe. Il commence son livre Le seul etvrai paradis en déclarant l’obsolescence du clivagegauche/droite, mais le termine en identifiant très clai-rement une droite et une gauche malgré l’indifférencia-tion idéologique affirmée. Manière de reconnaître taci-tement que le clivage gauche/droite n’est pas réductibleaux oppositions idéologiques.

STRUCTURATION DE LA SOCIÉTÉ EN CLASSESLe clivage gauche/droite renvoie, au-delà des idéologies,à la structuration de la société en classes. S’il persiste, cen’est donc pas seulement dans la tête de quelques nos-talgiques. Il a un fondement objectif. Bien sûr, il faut segarder de la vision caricaturale voulant que la gauchereprésente les classes populaires tandis que la droitedéfendrait la bourgeoisie. La structure de classes dessociétés modernes est « un jeu à trois protagonistes »(Jacques Bidet), non à deux : les classes fondamentalesd’une part et d’autre part une classe dominante elle-même divisée en deux fractions hiérarchisées. On peutalors faire apparaître « le paradoxe du concept de gauche »(Bidet). Il y a la « gauche » en tant qu’expression de lafraction de la classe dominante la plus éloignée du pou-voir social réel et la « Gauche », avec une majuscule,comme alliance entre cette dernière fraction et les classespopulaires. Ce qui donne par exemple avant l’affaireDreyfus en France : une gauche identifiée à la bourgeoi-sie et une droite identifiée à l’aristocratie alors hégémo-nique, les socialistes se situant le plus souvent hors ducadre parlementaire, donc en deçà de la dichotomie.Précisons pour éviter tout malentendu, que les alliancesdont on parle ici sont des alliances de classes et non departis politiques. Les partis socialistes et communistesau XXe siècle ont toujours accueilli en leur sein l’alliancedont il est question.Le philosophe Jean-Claude Michéa reconnaît à la Gauchedu XXe siècle ses mérites mais affirme en même tempsque le contexte social qui l’a rendue possible estaujourd’hui révolu et qu’il est illusoire par conséquentde vouloir la ressusciter. En effet, le traditionalisme féo-dal, dont la menace avait justifié l’existence de la Gauche,a définitivement disparu de la scène politique en 1945.Depuis cette date et faute d’ennemis, l’alliance de la bour-geoisie et des classes populaires n’a plus de raison d’être.Le jeu social s’est simplifié et ne compte plus que deuxprotagonistes. Il n’y a plus de place désormais que pourla « gauche » au sens faible qui fera les intérêts de la bour-geoisie quoiqu’en suivant des méthodes légèrement dif-férentes de celles de la droite. Dans ce contexte, le cli-vage gauche/droite semble avoir perdu toute pertinence.Les analyses du philosophe Jacques Bidet permettent derétablir la pertinence du clivage politique et donc cellede la « Gauche » au sens fort. Selon lui en effet, la tripar-tition sociale est constitutive de la modernité politique.

Elle ne prend pas fin à la Libération ; les éléments chan-gent mais la structure persiste. Il y a aujourd’hui encoreface aux classes fondamentales une classe dominante àdeux pôles (c’est là ce qui sépare Jacques Bidet et Jean-Claude Michéa). À côté de ceux qui fondent leur pouvoirsur la propriété (la finance), il y a ceux qui fondent leurpouvoir sur le savoir et les compétences (l’élite, lesexperts). Ce que d’ailleurs Christopher Lasch entrevoyaitdans Le Seul et vrai paradis en identifiant une droite liéeaux actionnaires et une nouvelle gauche « regroupantles professions managériales et intellectuelles » (la « nou-velle classe »). Cette composante de la classe dominante(les « cadres », la « technocratie ») commence à se déve-lopper à la fin du XIXe siècle, mais n’apparaît vraimentcomme groupe identifiable qu’à partir des années 1960en France. Son affinité éventuelle avec les classes fon-damentales vient de ce qu’elle se tient, elle aussi, à dis-tance du pouvoir social réel, celui des actionnaires.Dans ce contexte, « le paradoxe du concept de gauche »persiste. Les conditions sont encore réunies pour qu’il yait une Gauche (populaire) comme alliance de classe, etnon pas seulement une gauche (élitaire) libérale. Ce quiexplique l’invisibilité de la Gauche (populaire)aujourd’hui, c’est la désorganisation relative des classesfondamentales, qui ne sont plus en mesure d’exercer uneinfluence sur la fraction subalterne de la classe domi-nante. Mais pourquoi une alliance de classe, pourrait-on objecter ? Pourquoi ne pas tenter la voie de l’autono-mie des classes populaires ? Le principe de légitimitémoderne, le principe majoritaire, impose les alliancesde classes. Dans un jeu à trois protagonistes, on ne gagnepas tout seul. Refuser l’alliance, c’est créer du même couples conditions d’une alliance entre la finance et l’élite,alliance au sommet qui n’a jamais fait les affaires desclasses populaires. Tout cela est bien connu : la victoireest à celui qui sait diviser son adversaire (la bourgeoisie,elle, connaît la chanson !).Le mot « Gauche » a donc toujours un sens. Il désigne,d’un point de vue de classe, l’alliance entre les classesfondamentales et la fraction subalterne de la classe domi-nante, celle qui est la plus éloignée du pouvoir social réel(la bourgeoisie au XIXe siècle, l’élite technocratiqueaujourd’hui). Il n’en reste pas moins que le terme neséduit plus. La remobilisation des classes populaires,préalable à toute politique communiste, devra donc sansdoute se faire sur d’autres bases sémantiques. n

Bibliographie• JACQUES BIDET, L'État-monde, Libéralisme, socialisme etcommunisme à l'échelle globale, PUF, 2011.

• CORNELIUS CASTORIADIS, Une société à la dérive,Seuil, 2005.

• CHRISTOPHER LASCH, Le seul et vrai paradis. Une histoire de l'idéologie du progrès et de ses critiques,Flammarion, 2006.

• JEAN-CLAUDE MICHÉA, Les mystères de la gauche. De l'idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu,Climats, 2013.

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Jules Vallès Paris, Gallimard, 2013

CORINNE SAMINADAYAR-PERRIN

PAR STÈVE BESSAC

Écrire une biographie est toujours un « pari » (F. Dosse),pari réussi par Corinne Saminadayar-Perrin qui, tout aulong de douze chapitres chronologiques, retrace la viede Jules Vallès (1832-1885) en l’insérant dans ce XIXe siè-cle français rythmé par les révolutions. Pour ce faire, laprofesseur de littérature française de Montpellier III s’ap-puie sur les écrits publics et les correspondances de Vallès,sur les autres productions du champ littéraire ainsi quesur une bonne connaissance socio-politique du XIXe siè-cle. Du Puy-en-Velay d’où est natif Jules Vallez (nomd’état-civil qui devient Vallès sous sa plume), en Auvergne,à Paris, en passant par Saint-Etienne puis Nantes, CorinneSaminadayar-Perrin évoque le parcours d’un « ventre-creux » parmi tant d’autres. Fils d’un instituteur et d’unepaysanne de condition modeste, Jules fait des études,perçues comme un moyen d’ascension sociale mais, bienque bachelier – titre du second volet de la trilogie auto-biographique de Jacques Vingtras –, il a du mal à trouverun emploi et ne peut vivre de sa plume. L’auteur, en pre-nant en compte les déterminismes socioéconomiques,permet aux lecteurs de mieux comprendre le parcoursde Vallès qui, tout en occupant un poste de fonctionnaireà la mairie de Vaugirard dans le 15e arrondissement, pour-suit une carrière de journaliste, « débouché le plus acces-sible et le plus rentable aux bacheliers dépourvus de res-sources personnelles » (p. 146). Le journalisme est aussiun moyen de mener un combat politique contre le SecondEmpire et en faveur d’une République socialiste. Ainsi,après avoir publié L’Argent (1857) dans lequel il dénoncele paupérisme du peuple, le Ponot (habitant du Puy-en-Velay) participe au Figaro dont la devise est « sans laliberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». À plu-sieurs reprises, la mise en application de l’axiome deBeaumarchais vaut à Vallès le courroux de la censureimpériale et la prison. Il poursuit alors son engagementsur le terrain politique, en se présentant à l’élection légis-lative de 1869, notamment contre Jules Simon. Cette can-didature n’empêche pas le chef des républicains modé-rés de l’emporter mais, en étant candidat, Vallès peutainsi défendre ses idées, celles des vaincus de Juin 1848(lorsque les ouvriers réclament le droit au travail en juin1848, les républicains modérés au pouvoir les réprimentdans le sang). Avec la chute de l’Empire en septembre1870, le « réfractaire » voit l’occasion d’instaurer l’alliancede la Marianne et de la Sociale et participe à une pre-mière tentative révolutionnaire le 31 octobre 1870. Puis,

dans un contexte de guerre face à la Prusse, dans Parisassiégé avec des Parisiens affamés, Vallès prend part à laCommune. Il coécrit l’Affiche rouge et crée un journal, leCri du Peuple. Mi-avril 1871, il se retire de la publicationafin de se consacrer pleinement à l’action politique.Demeurant à Paris jusqu’au bout de la Semaine san-glante, il combat pour défendre son idéal de la Communetout en évitant le maximum d’exécutions sommaires.Recherché, Vallès parvient à s’exiler à Londres où il restejusqu’à l’amnistie de 1880. Il rentre alors à Paris et pour-suit son combat politique en recréant Le Cri du Peuple,« journal du socialisme révolutionnaire » dans lequelécrit notamment Jules Guesde. Affaibli par le diabète,Vallès décède le 14 février 1885, « au moins 100 000 per-sonnes suivent le cortège que surmontent des drapeauxrouges et des drapeaux noirs ».

L’injustice sociale : quelles voiespour la critique ?PUF, Paris, 2013

JULIA CHRIST, FLORIAN NICODÈME (DIR.)

PAR JEAN QUÉTIER

En proposant un recueil portant sur le thème de l’injus-tice sociale, Julia Christ et Florian Nicodème s’inscriventdans une perspective globalisante qui entend nous offrirune vue d’ensemble sur une vieille question plus quejamais d’actualité. L’angle d’attaque choisi est résolu-ment interdisciplinaire : dans l’ouvrage, la parole estbeaucoup donnée à la philosophie, mais aussi à la socio-logie, à l’économie ou encore à la psychanalyse. À cetégard, la filiation avec les travaux de l’École de Francfortest clairement revendiquée, tant pour ce qui est d’uneméthode qui vise à dépasser les frontières existant entreles différentes sciences sociales instituées, que dans l’at-tention portée à des thématiques comme celle de lareconnaissance, développée récemment par AxelHonneth, l’actuel directeur de l’Institut de recherchesociale de Francfort. Il faut toutefois signaler que toutesles contributions présentées dans cet ouvrage collectifne revendiquent pas cet héritage. Ainsi, Robert Castelaffirme par exemple son attachement à la tradition soli-dariste française et au concept de droit social sans pren-dre appui sur les productions francfortoises. D’autres,tels Bruno Karsenti ou Bertrand Ogilvie, se montrentmême très critiques à l’égard de certains aspects de lathéorie de la reconnaissance, cette dernière étant consi-dérée comme trop ambiguë ou trop moralisante. À cetégard, l’ouvrage entend moins nous offrir une réponseunifiée qu’un panorama des débats actuels sur la ques-tion de l’injustice sociale. On remarquera pour conclure

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que la pensée de Karl Marx et ses différentes interpréta-tions conservent une place centrale dans les discussions,que ce soit pour penser la conflictualité sociale, l’articu-lation entre partage et lutte des classes, ou encore la ten-sion entre l’économique et l’historico-politique.

Et si les femmes révolutionnaient le travail ? Fondation Gabriel Péri

LAURENCE COHEN (DIR.)

PAR MARINE ROUSSILLON

Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif, mené pardes membres de la commission « Droits des Femmes/Féminisme » du PCF et de la Fondation Gabriel Péri. Ilrend compte des inégalités entre hommes et femmesau travail, tout en proposant des pistes pour que lessyndicats, les partis politiques et l’ensemble des acteursdu travail puissent les combattre. E. Boussard-Verechiaétudie ainsi la « surmortalité contractuelle » des femmes– les différentes raisons qui font que leurs contrats sontplus facilement rompus. La question de l’inégalité pro-fessionnelle entre les femmes et les hommes dans lesfonctions publiques est posée par l’audition de l’éco-nomiste Françoise Milewski et l’article de la sociologueSophie Pohic. Marie-Christine Vergiat fait un bilan despolitiques en direction des femmes menées par l’Unioneuropéenne : cette mise au point est particulièrementutile à l’approche des prochaines élections européennes.Le volume rassemble ainsi des informations et des ana-lyses permettant de saisir la réalité des inégalités entrefemmes et hommes au travail et de mieux comprendrece qui les rend particulièrement difficiles à combattre.C’est d’abord en les rendant visibles, par la publicationd’ouvrages comme celui-ci mais aussi par la créationd’institutions et la promulgation de règles nouvelles,que l’on permettra aux syndicats et au monde du tra-vail d’en faire un objet de luttes.Ces luttes ne sont pas un simple « supplément d’âme »dans la lutte des classes : elles sont essentielles parceque le combat contre les inégalités entre hommes etfemmes a pour enjeu une transformation profonde dutravail et l’émancipation de tous les travailleurs, quelque soit leur sexe. C’est la thèse forte du volume, déve-loppée notamment dans les articles de la syndicalisteMaryse Dumas, de l’économiste Bernard Friot et dujuriste Hervé Tourniquet. Voilà qui fait de cet ouvrage –dont il faut souligner la concision – un outil utile nonseulement aux féministes mais à tous ceux qui veulent« révolutionner le travail ».

EXPRESSION COMMUNISTE

PÉRIODIQUES

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Guillaume [email protected]

Pierre LaurentSecrétaire national du PCF Responsable national du projet

Isabelle De Almeida Responsable nationale adjointe du projet

Marc Brynhole Olivier Dartigolles Jean-Luc Gibelin Isabelle Lorand Alain Obadia Véronique Sandoval

AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

Xavier Compain [email protected]

CULTURE

Alain Hayot [email protected]

DROITS ET LIBERTÉS

Fabienne Haloui [email protected]

DROITS DES FEMMES ET FÉMINISME

Laurence Cohen [email protected]

ÉCOLOGIE

Hervé Bramy [email protected]

ÉCONOMIE ET FINANCES

Yves Dimicoli [email protected]

ÉDUCATION

Marine [email protected]

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - RECHERCHE

Anne [email protected]

JEUNESSE

Isabelle De Almeida [email protected]

MOUVEMENT DU MONDE

Jacques Fath [email protected]

PRODUCTION, INDUSTRIE ET SERVICES

Alain [email protected]

TRAVAIL, EMPLOI

Véronique Sandoval [email protected]

Pierre Dharré[email protected]

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Patrick Le [email protected]

PROJET EUROPÉEN

Frédéric [email protected]

Amar [email protected]

Isabelle Lorand [email protected]

VILLE, RURALITÉ, AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

SPORT

Nicolas Bonnet [email protected]

SANTÉ, PROTECTION SOCIALE

Jean-Luc Gibelin [email protected]

Patrice [email protected] Michel Laurent

Lieu d’études sur le mouvement des idées et des [email protected]

L’ÉQ

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Jean QuétierMouvement réel

Renaud BoissacDroit

Hélène BidardRédactrice en chef

adjointe

Davy CastelRédacteur en chef

adjoint

Guillaume Roubaud-QuashieRédacteur en chef

Igor MartinacheRédacteur en chef

adjoint

Frédo CoyèreMise en page/graphisme

Caroline BardotRédactrice en chef

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Noëlle MansouxSecrétaire de rédaction

Vincent BordasRelecture

Sébastien ThomasseyMise en page

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Nicolas Dutent Mouvementréel/Regard

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Corinne Luxembourg

Production de territoires

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Séverine Charret Production de territoires

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Amar BellalSciences

Michaël OrandStatistiques

Étienne ChossonRegard

Francis CombesPoésies

Franck DelorieuxPoésies

Pierre CrépelSciences

Léo PurguetteTravail de secteurs

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