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Raymond Ouimet • Nicole Mauger

septentrion

Enquête sur une fille du roiCatherine de Baillon

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Des mêmes auteurs

Raymond Ouimet

Hull : mémoire vive, Hull, éditions Vents d’Ouest, 2000.

Le Grand Feu, bande dessinée en collaboration avec Christian Quesnel, éditions du Vermillon, 1999.

Une ville en flammes, Hull, Vents d’Ouest, 1996.

Visite des paroissiens du Très-Saint-Rédempteur de Hull - 1927, Société de généalogie de l’Outaouais, 1995.

Histoires de cœur insolites, Hull, Vents d’Ouest, 1994.

Pierre Miville, un ancêtre exceptionnel, éditions du Septentrion, Québec, 1988.

Nicole Mauger et al.

Feuille, feuillette, Paris, éditions Magnard, collection « Chante tout », 1985.

Oiseaux dans le vent, Paris, éditions Magnard, collection « Chante tout », 1985.

Quatre saisons, Paris, éditions Magnard, collection « Chante tout », 1985.

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Raymond Ouimet et Nicole Mauger

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Maquette de la couverture : Pierre-Louis CauchonIllustration de la couverture : Eleanor Fortescue-Brickdale, L’arrivée des filles du roi, Bibliothèque et Archives Canada, R13730-0-X-F.Révision : Solange DeschênesMise en pages : Folio infographie

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Je suis le temps, je suis l’espaceJe suis le signe et je suis la demeure

Je contemple la rive opposée de mon âgeet tous mes souvenirs sont des présences

Gatien LapointeOde au Saint-Laurent

À Nathalie, Yannic et Genevièveainsi qu’à

Vincent, Catherine, Florence et Étienne

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Introduction

Il n’y a rien de plus beau qu’une clef,tant qu’on ne sait pas ce qu’elle ouvre.

M. Maeterlinck

Filles du roi ou filles de joie ? » Dès 1640, une rumeur se faufila dans les rues de Paris : des prostituées

auraient été envoyées au Canada ! Au fil du temps, la rumeur prit si bien ses aises qu’en 1657-1658 un anonyme voyageur de passage dans la capitale parla « des putains qu’on envoie pour peupler les canadas ». Comme si cela ne suffisait pas, elle enfla tant de bouche à oreille que le vent l’emporta jusque de l’autre côté de l’océan. À la suite des voyages qu’il avait faits en Nouvelle-France entre 1683 et 1693, Louis Armand de Lom d’Arce, baron de la Hontan, écrivit ceci : « On y envoya de France plusieurs vaisseaux chargés de filles de moyenne vertu, sous la direction de quelques vieilles béguines […] ». Depuis lors, et bien que nombre de témoins d’époque à l’instar de religieux et de personnages historiques tels Pierre Boucher, gouverneur des trois-Rivières au xviie siècle, aient con tre dit ces propos diffamatoires, la rumeur ne cessa de jeter un coin d’ombre sur l’image des pionnières de la Nouvelle-France. Il a fallu attendre 1952 pour que Gustave Lanctôt1 démontre, le premier, que les contingents de filles à marier envoyées là-bas n’étaient pas composés de ces dames

«

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aux mœurs légères ! Vingt ans plus tard, Sylvio Dumas2, à son tour, démontre la justesse du propos de Lanctôt. Et puis il fau dra patienter vingt ans encore avant qu’Yves Landry3 con firme la réalité.

S’il est maintenant avéré que les filles du roi en partance pour le Canada n’étaient pas des prostituées, il faut bien ad mettre que toutes n’étaient probablement pas non plus des modèles de vertu. Orphelines ou filles en rupture avec la famille, roturières ou nobles, aventurières, marginales, filles légères ou laideronnes, sans doute issues de tous les milieux, ces émigrantes-là composaient une palette assez repré sen ta-tive de la société féminine du xviie siècle.

Grâce aux actes rédigés dans la colonie, nous connaissons le nom de ces femmes, ce qui nous donne, par transposition, une idée assez précise de leur nombre. Nous savons aussi quel pouvait être le cadre de vie offert à chacune en fonction du rang social de l’homme épousé. Mais de quelles informations disposons-nous sur leur milieu d’origine, c’est-à-dire leur envi -ronnement, leurs relations quotidiennes, les événements petits et grands qui avaient inévitablement ponctué leur exis tence avant leur départ de France ? Roturière ou damoiselle, chaque émigrante apportait avec elle son histoire. Mais, de génération en génération, cette histoire s’estompa et finit par se perdre comme un dessin de sable sous la vague du temps. Aujour-d’hui, en dehors de quelques généalogies, il nous reste bien peu d’indices, tout au plus quelques bribes d’histoires person-nelles comme celle de Marie Chamois qui, une fois arrivée au Canada en 1670, intenta un procès à sa mère pour abandon !

Au moment même où elles allaient poser le pied dans la colo nie, certaines « filles du roi » étaient déjà entourées de mys tère. L’une d’elles le fut certainement plus que toutes les autres pour que, près de trois siècles plus tard, en 1943, la Société généalogique canadienne-française consacre plusieurs pages à sa famille. L’auteur de l’article, Archange Godbout, s’appuyant sur un faisceau d’arguments particulièrement soli-

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des, mit en évidence le lien de sang reliant à la noblesse cette femme hors du commun. Depuis lors, la demoiselle n’a jamais cessé d’aiguillonner la curiosité des uns et les sup positions des autres. En 1997, l’équipe formée par René Jetté, John P. Du Long, Roland-Yves Gagné et Gail F. Moreau pré sen ta dans les Mémoires de la Société généalogique canadienne-française une étude démontrant, hors de tout doute raisonnable, que la personne en question descendait de l’em pereur d’Occident, Charlemagne, du roi de France Louis VII et d’Anne de Russie et saint Arnould de Metz. Quelques années aupa ravant, René Jetté lui avait attribué le nombre consi dé rable d’un million de descendants4 ! Ce personnage avait pour nom : Catherine de Baillon.

Noble, Catherine de Baillon l’était, cela est établi. Sa des cendance est très vaste, certes : rien qu’en Amérique du Nord, plus d’une centaine de milliers de personnes trouvent cette « fille du roi » dans les rangs de leurs ancêtres. Parmi nos con temporains, certains ont fait ou font l’actualité : Lucien Bouchard et Robert Bourassa, précédents premiers ministres du Québec, Jean Chrétien, premier ministre du Canada, et Céline Dion… Et puis, parmi tous les autres dont Catherine est la lointaine grand grand grand grand… mère, il y a… l’un des auteurs de ce livre !

Alors qui était donc cette émigrante débarquant en Nouvelle-France en 1669 ? Au travers des études faites à son sujet, une partie de son arbre généalogique ascendant nous est connue, à commencer par ses parents : Alphonse de Baillon, petit noble d’Île-de-France, et Loyse de Marle, son épouse. Mais de Catherine elle-même, de ce qui la conduisit à tra verser l’océan pour aller à la rencontre d’une existence tota lement inconnue et forcément pleine de pièges, de sa vie sur le vieux continent, nous ignorions tout. C’est ce mystère pré cisé ment que nous avons eu envie de percer.

D’archives notariales en sentences de bailliage, d’actes de baptêmes en actes de sépulture, pour retrouver Catherine

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nous avons cheminé. Pour elle, nous avons parcouru l’Île-de-France, la haute et la basse Normandie, de même que le cœur du Québec et la Côte-du-Sud, caracolant allègrement sur plus de cent cinquante années d’actes. Nous avons joué avec elle à un magnifique jeu de piste, à une extraordinaire course au trésor. De termes anciens en signatures pâles, au travers de docu ments jaunis aux feuillets encore oints, parfois, de poudre à sécher l’encre, nous avons interrogé ses parents, sa fratrie et puis ses enfants. Au fil de l’enquête très serrée que nous avons menée pour déverrouiller le secret, nous avons obtenu des réponses, parfois même avant que nous n’ayons posé nos questions. D’étape en étape, la « fille du roi » sans cesse nous a tenus en haleine, et pourtant toujours parfai-tement silencieuse, tandis qu’elle nous conduisait plus avant vers le centre du mystère.

Nous étions partis à la recherche de Catherine de Baillon et voilà que sans cesse, continuellement sur notre chemin, c’est Catherine Marie Miville, sa fille aînée, que nous avons croisée ; si bien que l’une et l’autre ont fini par s’installer en parts égales dans notre enquête. Il ne nous restait plus alors qu’à vous raconter leur histoire à toutes deux, une histoire à vous faire rêver entre deux époques et deux continents.

Pour ce voyage-là, il ne pouvait y avoir meilleur guide que Catherine Marie. C’est donc elle qui nous conduira tout au long du récit : au début et à la fin de chaque chapitre nous l’accompagnerons dans sa quête pour retrouver ses racines maternelles en France et l’héritage qui en découlait. Entre ces deux moments, la fille aînée de Jacques Miville et de Cathe rine de Baillon nous entraînera vers les rivages d’une période française plus ancienne, à la découverte d’une parentèle qu’elle n’a pu connaître.

Pour vous permettre de repérer facilement les liens fami-liaux, un certain nombre de documents ont été réunis en annexe : généalogies des de Baillon, courtes biographies des prin cipaux personnages cités dans cet ouvrage, liste com men-

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tée des lieux et, pour finir, un glossaire de termes et expres-sions en usage au xviie siècle.

Nous tenons ici à remercier chaleureusement tous ceux et celles qui nous ont apporté leur aide, petite ou grande, mais toujours précieuse. Ces remerciements vont en particu-lier : à M. Ramière de Fortanier, conservateur des Archives départe mentales des Yvelines, pour son soutien dans nos recherches, et ses équipes pour leur écoute et leur courtoisie ; à M. Gen tien Bimbenet pour la communication qu’il a bien voulu nous faire de sa thèse sur les de Baillon ; à M. Pierre Rous seau, pour les informations qu’il nous a transmises au sujet des terres de Ragonant et de la Vacheresse ainsi que pour le relais bien veillant qu’il a assuré dès la première heure ; à M. Pierre Bétourné qui, depuis la Côte-d’Or a bien voulu s’intéresser à notre projet ; à Mme Danielle Glomot qui a mis à notre dis position des tables d’état civil de plusieurs paroisses de la vallée de Chevreuse ; à Mme de Wendel pour son accueil sur les terres de ce qui fut l’ancien fief de Ragonant, à M. et Mme Yvan Sarrazin pour leurs précieuses informations sur le duc de Verneuil, à Mme Colette Michaud, historienne, pour ses conseils et le travail de transcription dont elle a bien voulu se charger ; à Mme Hélène Cadieux, directrice des Archives nationales du Québec en Outaouais et à M. Luc Brazeau, archiviste, pour leur appui constant ; à l’équipe des Archives départementales de l’Essonne pour les informations qu’elle a bien voulu nous communiquer ; à M. Raymond trentin pour ses renseignements sur la paroisse Saint-Nom-de-Lévis ; à M. Jacques Mauger pour les recherches qu’il a bien voulu faire aux Archives départementales de la Seine et Marne ainsi qu’à Mlle Florence Mauger pour les recherches effec-tuées au Service historique des armées de terre, à M. André Séguin, généalogiste, qui a accepté de lire et commenter notre manus crit, à Mme Madeleine Delplanque, pour les recherches qu’elle a faites aux Archives départementales de la Lozère, à M. Jean-Claude trottier pour le décryptage d’un document,

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et à Mme Geneviève Ouimet pour un fastidieux travail de transcription dont elle s’est chargée. un fraternel et très grand merci à M. Jean-Guy Ouimet qui a bien voulu assurer la numérisation de nombreux documents destinés à illustrer ce livre. À toutes et tous, nos remerciements et notre gratitude.

Gatineau (Québec) 27 juillet 2001 Orléans (France)Raymond Ouimet Nicole Mauger

Notes

1. Gustave Lanctôt, Filles de joie ou filles du roi. Étude sur l’émi gration féminine en Nouvelle-France, Montréal, Chanteclerc, 1952.

2. Sylvio Dumas, Les Filles du roi en Nouvelle-France, Québec, Société historique de Québec, Cahiers d’histoire, 1972.

3. Yves Landry, Les Filles du roi au xviie siècle, Montréal, Leméac, 1992.

4. Valynseele, Joseph et al., La Généalogie, histoire et pratique, Paris, éditions Larousse, 1991, p. 234.

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I

LA FILLE DU ROI

Les rêves de femmes ne sont jamaisdes rêves d’exil, mais d’intimité.

Jacqueline MabitLes hommes ont passé

Grande-Anse, 1688. L’hiver bat son plein et les jours de grand vent sont arrivés. Sur le Saint-Laurent tout capa-

ra çonné de glaces mouvantes, la poudrerie court en force jusqu’à faire disparaître la rive opposée. Par les champs comme en forêt, épinettes et sapins ploient, blancs et lourds, tels d’immobiles veilleurs.

Les journées sont à leur plus court et les travaux agri-coles ne reprendront qu’au début du printemps, lorsque la neige aura libéré la place, si bien que la vie tourne un peu au ralenti. Bien sûr, entre le lever et le coucher du jour il y a toujours à faire dans la maison, à l’étable ou dans la grange ; mais, le soir venu, le corps a encore de la réserve d’énergie. Alors, quand tout va bien, on s’invite pour une veillée, en-tre voisins les plus proches : les anciens racontent, les jeunes dansent et tout le monde chante des chansons de cette Vieille France que l’on a quittée il n’y a pas si longtemps encore.

À 110 kilomètres au nord-est de Québec, l’hiver a pris la Grande-Anse dans ses filets. La petite rivière Saint-Jean

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est figée et, tandis qu’entre ciel et cheminées l’odeur âpre du bois brûlé court en longs rubans gris, les maisons n’en finis-sent pas de craquer sous le gel. Ce soir, à deux enjambées du grand fleuve, il y a veillée chez les Miville… mais ce n’est pas une veillée pour faire naître des regards pleins de rires timides, ou plus hardis, entre gars et filles. Ici, la mort par deux fois vient d’entrer. L’épidémie de fièvre pourpre qui sévit en Nouvelle-France depuis l’année dernière a fait ses ravages jusqu’ici et hier, le 27e jour de janvier, elle a emporté Jacques Miville. Le prêtre a prononcé les dernières prières de l’Église au-dessus du corps puis a rédigé l’acte de sépulture en latin.

Est-ce parce que le froid a rendu la terre du cimetière plus dure que pierre ou bien Jacques Miville jouissait-il d’une grande notoriété, toujours est-il qu’hier les hommes valides sont allés à la chapelle de la Rivière-Ouelle ; là ils ont amé nagé une ouverture dans le plancher de la petite église en bois puis ont fait glisser le corps du défunt en dessous. Depuis, on n’a point cessé de prier dans la maison : main te nant c’est pour la femme de Jacques, Catherine, née Catherine Marie de Baillon, que la terrifiante maladie vient d’emporter à l’âge de 43 ans.

Demain, les époux seront réunis pour l’éternité en une sépulture comme on en réserve d’habitude aux seigneurs.

Dans une chambre aux fenêtres voilées de givre, la dé-funte repose. Autour de son lit, dans la pâle et vacillante lumière de quelques chandelles, ses six enfants : Catherine Marie — 17 ans, Charles — 16 ans, Jean — 15 ans, Charles le cadet — 12 ans, Claude Marie que tout le monde appelle Marie Claude et qui a tout juste 6 ans, et puis le petit dernier, Robert — 5 ans. Six enfants désormais totalement orphelins. Ceux des voisins qui le pouvaient ont accouru. Dieu merci, car, pour ce qui est de la parentèle, la plus proche par la dis tance habite du côté de Québec ; celle-là viendra peut-être, mais beaucoup plus tard, et pour autant que la prochaine sai-son le permettra… Quant aux autres membres de la parenté, ceux du côté des de Baillon, ils habitent si loin, en France, qu’on sait tout juste qu’ils existent !

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Ce soir, il y a du monde autour des jeunes Miville, mais une fois l’office des funérailles passé et chacun rentré chez soi, qui prendra le relais, qui s’occupera d’eux désormais, qui va leur apporter aide et secours ? Sûrement pas la famille, tout au moins pas pour le moment. Pour le quotidien, les deux aînés sont probablement tout à fait capables de prendre la suite des parents : à 16 et 17 ans, pétrir le pain, couper le bois, ense mencer la terre, récolter le blé sont des travaux qu’ils ont déjà accomplis maintes et maintes fois ; et pour ce qui est de veiller sur leurs plus jeunes frères et sœur, leur donner le bon exemple, ils ont sûrement été éduqués en ce sens. Seulement voilà, Catherine Marie et Charles sont encore loin d’avoir 25 ans — l’âge de la majorité à cette époque. Dès lors, ils ne peuvent pas disposer des maigres biens qui leur échoient et, légalement, ils ne peuvent pas non plus bénéficier du bail à ferme que leur père avait obtenu, en 1684, du marchand Charles Aubert de La Chesnaye. Jusqu’à ce que les autorités soient informées de la situation et prennent une décision, les orphelins pourront compter sur la petite collectivité des sei-gneuries de la Bouteillerie et de la Pocatière où leurs parents avaient de nombreux amis… mais ensuite ?

Plus de père, plus de mère, le poids des responsabilités pèse tout entier sur les épaules de l’aînée des filles, Cath-erine Marie. À partir de maintenant, avec ou sans les fièvres pourpres, il va falloir affronter ce que chaque instant porte d’inconnu, jour après jour… tout comme feu mademoiselle de Baillon, lorsqu’elle s’était embarquée pour le Nouveau Monde voilà bientôt 19 ans, en 1669.

* * *Les « filles du roy »

Août 1669, plein été sur Québec. Depuis que le Saint-Jean-Baptiste avait été annoncé, un frisson d’attente passait sur la ville. C’est que l’arrivée de ce navire-là voulait dire tout à la

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fois une chance de bonheur et un hasard de loterie. Aussi, lorsqu’il se mit à grandir contre le ciel, venant du bout du monde, chacun se chercha sans doute un bon prétexte pour avoir à faire du côté du fleuve. Le voilier mit l’ancre, tout odo rant de ces longues semaines de mer, rebondi de passa gers, de bêtes et de marchandises. tandis que les hommes d’équi-page terminaient les manœuvres, les premières cha lou pes se rapprochaient de la grève. Bientôt les voix se délièrent entre terre et eau tandis que, de loin, les regards se cher chaient puis se rencontraient enfin entre gens de con naissance.

Là haut, sur le pont du Saint-Jean-Baptiste, 149 jeunes femmes et jeunes filles1, serrées comme un essaim contre le bastingage, attendaient immobiles, entre murmures et demi-silence, attentives à saisir le moindre indice, la moin-dre réso nance de cette nouvelle existence qui venait à elles. Ces passa gères formaient un groupe un peu particulier : bien qu’ap partenant à diverses couches sociales de la so-ciété fran çaise, la plupart d’entre elles, sinon toutes, arriv-aient cepen dant tout droit de la Salpêtrière, un hôpital de Paris dont la réputation était ambiguë. La supérieure des ursulines de Québec, mère Marie de l’Incarnation, écrira plus tard dans une lettre à son fils2 : « […] il y en a de toutes conditions, il s’en est trouvé de très-grossières, et de très-difficiles à con duire […] » ; elle ajou tera toutefois : « Il y en a d’autres de nais sance et qui lui ont donnée [à Anne Gasnier, recruteuse] plus de satisfac tion. » Les demoiselles de naissance, c’est-à-dire celles qui sont issues de la noblesse ou de la bour geoisie, n’étaient que quatre ou cinq, et l’une d’entre elles, au moins, n’avait pas fait la traver sée par envie d’aventure… peut-être même était-elle montée à bord du Saint-Jean-Baptiste contre son gré. Elle avait 24 ans et s’ap-pelait Cathe rine de Baillon. Avec toutes ses compagnes, elle avait accom pli la longue traversée pour une seule et bonne raison : le souhait, sinon l’obligation de trouver un mari ! Filles de biens comme filles de peu, toutes ces demoi selles étaient les « filles du roy ».

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En 1669, une arrivée de « filles du roy » à Québec n’avait rien de surprenant : chaque année depuis cinq ans, le Saint-Jean-Baptiste et d’autres navires convoyaient un nombre va ria ble de ces passagères jusqu’à la colonie. Il faut savoir qu’au début des années 1660 la Nouvelle-France manquait cruel lement de femmes à marier. Alors, en 1663, Jean-Baptiste Colbert, ministre de la Marine, conçut un plan fort simple pour combler ce grave déficit de présence féminine : le trésor royal allait s’en gager à contribuer dorénavant aux frais de voyage et à une partie du coût de l’établissement en Nouvelle-France de jeunes femmes et jeunes filles de France en âge de fonder un foyer et de faire des enfants… Depuis, une ou deux fois par an, les candidates à l’émigration étaient dirigées vers un port de mer d’où elles embarquaient pour le Canada. La haute surveillance de ces protégées du roi était confiée à une femme capable de maintenir celles-ci sous une discipline rigou reuse pendant toute la traversée de l’Atlantique ; pour le voyage de l’été 1669, le chaperon du groupe fut Anne Gasnier, veuve de Jean Bourdon.

Arrivée des filles du roi en Nouvelle-France d’après une peinture de C. W. Jefferys. (ANC, C-10688)

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Hélas, en dépit des dispositions de 1663, la situation n’avait cessé de s’aggraver d’année en année ! À tel point qu’en 1667 la Nouvelle-France ne comptait que 162 femmes bonnes à marier… pour 716 hommes. Ce qui faisait plus d’un demi-millier d’habitants mâles de la colonie à se trouver privés de vie conjugale ! Comme la nature a ses lois biolo-giques, bon nombre de ces jeunes gens qui couraient les bois pour faire la traite des fourrures avaient pris l’habitude de fréquenter de très près les belles Amérindiennes. Il faut dire que beaucoup de « Sauvagesses » n’hésitaient pas à mettre de côté leur partenaire habituel pour s’abandonner aux caresses savantes des galants aventuriers au visage pâle. Mais, le plus souvent, les enfants nés de ces amourements restaient dans les tribus où, dès lors, ils étaient intégrés à la communauté amé rindienne. Le maintien du peuplement de la colonie avait donc continué à être un véritable problème, et la situation était devenue si préoccupante que, le 5 avril 1669, Louis XIV signa un édit par lequel il instaurait une amende pour les parents des jeunes gens et filles à qui n’apparaîtrait pas assez tôt l’attrait du mariage : « Qu’il soit établi quelque peine pécu niaire, applicable aux hôpitaux des lieux, contre les pères qui ne marieront pas leurs enfants à l’âge de vingt ans pour les garçons et de seize ans pour les filles3. »

Alors, en ce jour d’août 1669, tandis qu’ils accueillaient Anne Gasnier et ses recrues sur la grève de la basse-ville, les dignitaires de la colonie imaginaient probablement une belle floraison de nouveaux foyers avant l’hiver. Ils ne devaient pas être les seuls à faire ce calcul, car bon nombre de résidents mâles se trouvaient là aussi, repérant déjà, dans le lot des arri vantes, un minois susceptible de leur plaire ou quelque robuste silhouette faite pour les épauler au quotidien et leur donner une nombreuse descendance. On se regardait des deux côtés, mais plutôt à la dérobée de la part des filles. Pour lors, la fatigue du voyage l’emportait sur tout le reste et il fallait encore écouter les harangues de bienvenue avant

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Table des matières

Introduction 9

I La fille du roi 15

II Ascension d’une famille : les Miville 37

III une vie en Nouvelle-France 57

IV Les ancêtres de Catherine de Baillon 85

V Alphonse de Baillon et les siens 107

VI L’oncle et les tantes de France 129

VII un secret bien gardé 169

Conclusion 205

Annexe A : Alphonse de Baillon et sa descendance 209Annexe B : trois branches de la famille de Baillon 215Annexe C : Galerie des personnages 225Annexe D : D’un lieu à l’autre 243Annexe E : Généalogie de Catherine de Baillon

à Charlemagne, empereur d’Occident 251Annexe F : Glossaire 257

Bibliographie 261

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ce troisième tirage est composé en sabon corps 11selon une maquette réalisée par josée lalancette

et achevé d’imprimer en décembre 2011sur les presses de marquis imprimeur

à cap-saint-ignacepour le compte de gilles hermain

éditeur à l’enseigne du septentrion

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