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Quelles réformes et transformations pour assurer croissance
économique et cohésion sociale ?
Madame le député,
Monsieur le secrétaire général du gouvernement,
Madame et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Chancelier de l’Institut de France,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Chers confrères,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Académie des sciences morales et politiquesDiscours du président pour la séance solennelle de rentrée (13 novembre 2017) - Version définitive
Après une année passée à étudier les réformes et transformations qui
permettront à notre pays de tenir son rang dans le monde au XXIe siècle,
l’Académie des sciences morales et politiques n’en mesure pas moins tout
le prix des traditions, par lesquelles notre présent est relié au passé dans
ce qu’il a de plus vivant. Celle qui ouvre notre séance solennelle de rentrée
nous rappelle que nous sommes avant tout, dans la vie académique, des
héritiers. Aussi est-ce avec gratitude que j’évoque la mémoire des
membres de notre Compagnie qui ont quitté cette terre dans l’année
écoulée : notre confrère le Professeur Lucien Israël, notre consœur Claude
Dulong-Sainteny et les membres correspondants Pierre Huet et Évelyne
Sullerot. Et puisque qu’il est de la nature de notre Académie de toujours
réparer les brèches que lui inflige le temps, je salue d’un même mouvement
l’arrivée dans nos rangs de nouveaux talents : Daniel Andler, élu au fauteuil
de Bernard d’Espagnat, et Pierre-André Chiappori, au fauteuil de Pierre
Bauchet, ainsi que Thomas Nagel et Yves Schwartz, élus correspondants
de notre section de Philosophie.
L’usage veut que le président fasse également un bilan des activités
de l’Académie. Le nombre et la diversité de celles-ci, manifestations
scientifiques, groupes de travail et publications confondus, sont tels qu’ils
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Académie des sciences morales et politiquesDiscours du président pour la séance solennelle de rentrée (13 novembre 2017) - Version définitive
m’interdisent de les présenter en détail. J’en citerai trois, qui s’inscrivent
dans un cadre pluriannuel : la recherche collective sur « La vie de l’esprit
dans l’Europe du Centre-Est depuis 1945 », financée par la Fondation
Del Duca et coordonnée par notre consœur Chantal Delsol ; l’achèvement
du cycle de conférences « Pour une éthique du libéralisme », proposé par
la Fondation Éthique et Économie et animé entre autres par notre confrère
Bertrand Collomb ; enfin, à l’initiative de notre section Économie politique,
statistique et finances, les deux colloques et le rapport sur l’enseignement
de l’économie au lycée, doublé par un avis de l’Académie en date du
20 mars. Nous y formulons des propositions concrètes pour que les élèves
français bénéficient d’une formation rigoureuse en sciences économiques,
qui leur permette d’en maîtriser les concepts et mécanismes de base. Cette
démarche est conforme à la mission – dévolue à l’Académie depuis ses
débuts – d’exercer une fonction de conseil auprès des pouvoirs publics.
C’est aussi la raison d’être des travaux que j’ai eu l’honneur de présider, et
dont il me revient de vous proposer à présent une synthèse.
***
Le thème des réformes et des transformations, que j’ai souhaité
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Académie des sciences morales et politiquesDiscours du président pour la séance solennelle de rentrée (13 novembre 2017) - Version définitive
soumettre, en cette année 2017, à la réflexion de l’Académie des sciences
morales et politiques, se situe au confluent de ses préoccupations
traditionnelles et des besoins les plus pressants de l’heure.
L’idée même de réforme préside aux origines de notre Compagnie.
Imprégnés de l’esprit des Lumières, les fondateurs de l’Institut se
considéraient comme les continuateurs de l’entreprise de « régénération »,
comme on disait alors, entamée en 1789. Les premières années de la
monarchie de Juillet, qui virent la naissance de notre Académie dans sa
forme définitive, furent elles aussi une période d’effervescence réformatrice.
C’est du reste pour canaliser et orienter cet élan quelque peu désordonné
que Guizot voulut disposer d’une institution consacrée aux sciences
morales et politiques. Un coup d’œil jeté à nos travaux prouverait que nous
n’avons jamais cessé depuis lors de susciter, promouvoir et accompagner
les mesures que nous jugions les plus bénéfiques pour notre pays. Certains
de leurs promoteurs ont d’ailleurs siégé parmi nous. Autant dire qu’avec le
thème de la réforme, notre Académie est en terrain familier.
À nulle époque cependant, il ne fut plus impérieux. Des indices
irrécusables attestent que notre pays est engagé dans un processus qui,
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s’il n’est pas promptement corrigé, nous condamnera à échéance plus ou
moins proche au déclassement. Notre chômage structurel, de l’ordre de
9 % – presque le double des taux allemand et britannique – bride notre
croissance économique. Il affecte notre cohésion sociale et mine le moral
des familles. Notre balance des paiements courants est déficitaire depuis
une douzaine d’années. Du fait notamment du niveau de nos dépenses
publiques, nos exportations, notre économie et notre territoire sont
handicapés par un manque criant de compétitivité. Notre pays connaît
certes, depuis quelques mois, une légère reprise, mais elle est plus faible
que chez nos grands partenaires et notre croissance potentielle est très
limitée. Surtout, la France est un des rares pays européens à n’avoir pas
engagé des réformes de fond pour adapter son système public à la
nouvelle donne économique mondiale. La situation, sur ce dernier point, est
en train d’évoluer très favorablement ; encore faut-il que ce processus
prenne l’ampleur nécessaire. Cette aversion apparente au changement ne
laisse pas, en effet, d’inquiéter, alors même que se profilent à l’horizon de
nouveaux défis riches de risques mais aussi d’opportunités. Le
bouleversement de la répartition internationale du travail sous la pression
des pays émergents, la révolution digitale qui remet en cause les positions
acquises dans quasiment tous les domaines, les incertitudes géopolitiques
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qui déstabilisent les relations internationales ou encore les déséquilibres
profonds qui résultent de l’augmentation massive des liquidités et des
endettements publics et privés sont autant de « lames de fond » qui se
rapprochent, pour reprendre le titre du vigoureux essai de notre confrère
Jacques de Larosière paru cette année.
L’objet des travaux qui nous ont occupés n’est pas le dénigrement
morose des maux qui accablent notre pays, mais la recherche raisonnée
des solutions grâce auxquelles, en se libérant des schémas obsolètes dans
lesquels il s’est enfermé, il recouvrera une place conforme à son histoire, à
ses atouts et à son génie. Les 29 communications qui composent notre
programme, sans rien céder sur la lucidité de leur analyse critique, nous
montrent que des avancées sont possibles dans tous les domaines. C’est
sur ce chemin que je vous propose de nous engager à leur suite, en
empruntant les pistes qu’ils ont ouvertes devant nous.
*
Le point de départ de cette entreprise de redressement national
consiste certainement à sortir de l’illusion selon laquelle la France pourrait
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indéfiniment s’exonérer des règles de bonne gouvernance économique sur
lesquelles les sociétés développées ont assis leur prospérité. Telle est la
conviction que nous a partagée, avec sa fougue et son rationalisme
habituels, notre confrère Denis Kessler dans son intervention inaugurale.
Elle se résume ainsi : si nous voulons une économie qui profite
durablement à tous, la création de richesses doit redevenir une priorité.
L’ignorer reviendrait à bâtir sur le sable tout l’édifice de nos réformes.
*
Principal sujet de préoccupation nos concitoyens, le chômage est
devenu, depuis 35 ans, un handicap structurel de notre économie, en dépit
des moyens financiers et humains considérables déployés contre ce fléau
social. L’Allemagne et le Royaume-Uni, comme les États-Unis et le Japon,
ont pourtant fait la démonstration que revenir au plein emploi, y compris en
contexte de crise, n’avait rien d’une chimère, à condition de s’attaquer aux
racines du mal. Les six exposés que nous avons entendus sur cette
question nous en ont indiqué la voie. Elle suppose, ainsi que l’a mis en
évidence la communication de Pierre Cahuc, d’actionner trois leviers : le
coût du travail, son cadre juridique et le traitement social du chômage.
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Le coût unitaire du travail est en France un des plus élevés de l’Union
européenne. Notre salaire minimum, appliqué indistinctement à tous les
travailleurs depuis l’âge de 18 ans, pénalise l’embauche des moins qualifiés
et des plus jeunes, catégories qui sont précisément censées en bénéficier.
Il convient de le fixer en fonction de la réalité du marché du travail, en
laissant à d’autres outils, notamment budgétaires – prime pour l’emploi ou
impôt négatif – le soin de porter le revenu des ménages les plus modestes
au niveau adapté. Un deuxième facteur bien identifié de cherté du travail en
France est le poids de la fiscalité. Une baisse sensible des cotisations
sociales des employeurs changerait la donne et lèverait de surcroît un
verrou à l’attractivité de notre territoire pour la création d’emplois. Notre
gouvernement est en train d’y procéder. Reste enfin la question du temps
de travail. Le passage aux 35 heures hebdomadaires a mécaniquement
provoqué une hausse du salaire horaire ; la rémunération à la tâche, en
desserrant ce carcan, aurait un effet bénéfique sur l’emploi.
La réforme du Code du travail, sur laquelle nous avons bénéficié des
lumières de Gilbert Cette et qui est le premier des chantiers engagés par
l’actuelle équipe au pouvoir, a attiré l’attention de nos concitoyens sur le
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problème de la rigidité du cadre juridique du travail, prisonnier de la dualité
entre un CDI surprotecteur et un CDD qui représente plus de 80 % des
créations d’emplois. Dans un contexte économique en permanente
évolution, nous avons besoin, plus que jamais, de flexibilité, dans l’esprit de
ce que défend depuis longtemps notre confrère Jean Tirole : c’est le salarié
qui doit être protégé, et non l’emploi. L’instauration d’un contrat unique
aurait l’avantage, sous ce rapport, de décongestionner le marché du travail,
à condition de responsabiliser les entreprises par un système de bonus
malus, en fonction du coût induit sur l’assurance chômage par leurs
licenciements.
Cette évolution du modèle juridique du contrat de travail s’impose
d’autant plus qu’émergent de nouvelles formes de travail indépendant qu’a
analysées pour nous Bertrand Martinot. Ces activités, qui ne se substituent
pas pour l’heure au travail salarié, participent d’un éclatement des formes
du travail, qui brouille les catégories classiques et révèle les aspirations des
travailleurs à des modes différents d’organisation et de relation de travail :
en particulier la faculté d’aménager les horaires, la diversification des
revenus et des expériences professionnelles et plus généralement tout ce
qui favorise l’autonomie. Le contrat de travail de l’avenir sera celui qui
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saura satisfaire ces attentes. Il faudra, dans le même temps, garantir une
protection ad hoc aux « nouveaux indépendants » économiquement
dépendants, comme les travailleurs des plateformes. La généralisation d’un
statut intermédiaire entre le salariat et le non salariat, inspiré de celui des
agents d’assurance, ou l’institution de tiers de confiance, comme dans les
sociétés de portage salarial, offrent des solutions crédibles pour cela.
Il n’est d’ailleurs pas exclu, le progrès des technologies numériques
aidant, que le travail indépendant – notamment l’auto-entrepreneuriat –
explose dans les prochaines décennies. Nous tenons là, au minimum, un
gisement d’emplois, en particulier pour des travailleurs peu qualifiés, dont
nous serions inconséquents d’entraver le développement. Un autre
avantage que je vois au travail indépendant est son adaptabilité à l’inégale
productivité des individus, qui peuvent moduler en conséquence leurs
horaires ou leur rémunération. Dans un système très contraint, cet élément
de souplesse doit être encouragé.
Le traitement social du chômage a quant à lui surtout fait la preuve de
son caractère économiquement contre-productif. Les montants et la durée
d’indemnisation n’ont pas été conçus, en France, en vue d’accompagner
ceux qui en bénéficient dans un retour rapide à l’emploi. La générosité du
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système a même pour effet pervers d’alimenter un travail par intermittence
reposant sur l’enchaînement des contrats courts. Une remise à plat est
inévitable, dans le sens d’une meilleure articulation des droits et des
devoirs des chômeurs, afin que l’assurance chômage devienne un
instrument à part entière de la politique de l’emploi.
À l’arrière-plan de chacune ces réformes se pose la question des
relations sociales. Le paritarisme est-il encore d’actualité ? Non, a répondu
fermement Jean-Marc Daniel, qui a estimé que ce mode de gestion était
daté et voué à disparaître tôt ou tard. Son point de vue radical invite à
s’interroger sur ce que devrait être, en 2017, une représentation efficiente
des travailleurs. Nonobstant quelques nuances, il ressort de l’avis des
spécialistes que nous avons reçus que les négociations collectives doivent
être, autant que possible, décentralisées au niveau des entreprises, selon
une logique d’« inversion de la hiérarchie des normes », étant saufs les
principes généraux du droit du travail. Cette organisation serait le gage
d’une meilleure prise en compte de la situation propre à chaque entreprise,
ainsi que du point de vue de ses salariés. Les ordonnances du 22
septembre dernier réformant le Code du travail ont marqué un grand pas
vers la facilitation du dialogue au sein des entreprises de toute taille. Avec
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d’autres de leurs dispositions qui vont dans le sens de la flexibilité et de la
simplification, elles témoignent d’une volonté d’affronter – enfin ! – les
véritables causes du chômage. Elles méritent, à ce titre, d’être saluées.
Un des drames du marché du travail français est la part considérable
de jeunes qu’il laisse sans emploi : un quart environ, ce qui s’explique entre
autres par les déficiences de notre système éducatif. 20 % des élèves
français terminent chaque année leur scolarité en situation d’échec lourd,
dont 15 % sans aucun diplôme. Les classements internationaux, tels PISA
(Program for International Student Assessment), mis en place par l’OCDE,
ou TIMSS (Trends in Mathematics and Science Study), attestent d’une
détérioration globale du niveau de formation, ce qui ne peut manquer
d’avoir des conséquences sur notre productivité. Les communications de
Christian Forestier sur la lutte contre l’échec scolaire et de Jean-Michel
Blanquer sur la filière professionnelle ont insisté sur le fait que ces
problèmes nécessiteraient un traitement dès le plus jeune âge et ne se
régleraient pas par des mesures uniformes, mais en laissant aux
établissements une plus grande liberté d’expérimentation. L’enjeu
spécifique des lycées professionnels est de généraliser l’apprentissage et
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de s’intégrer au tissu économique local, à l’exemple de ce qui se pratique
en Allemagne ou en Suisse avec de très bons résultats en termes
d’insertion professionnelle. Les premières décisions de Jean-Michel
Blanquer, devenu entre temps ministre de l’Éducation nationale, laissent
présager qu’il saura réussir dans cette entreprise.
*
L’évocation de la question éducative m’amène à envisager, après les
moyens de libérer l’emploi, ceux de susciter l’innovation, qui sera demain le
moteur de notre croissance. La révolution des technologies bouleverse nos
modèles économiques, mais elle ouvre aussi des perspectives inédites de
progrès. Notre pays, en ce domaine, dispose de réels atouts. Six
communications nous ont exposé comment en user au mieux.
La clé de l’innovation, nous la trouverons d’abord dans notre système
d’enseignement supérieur et de recherche, pourvu que nous lui donnions
les moyens de soutenir la compétition internationale. Ainsi que le déclarait
en effet voici tout juste dix ans, depuis cette même tribune, notre regretté
secrétaire perpétuel Michel Albert, « dans ce monde concurrentiel […], c’est
le “savoir” qui fera la différence. […] Le “libre-échange” du XXIe siècle, c’est
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la compétition intellectuelle et scientifique1. » À partir d’enquêtes menées
en Europe et aux États-Unis, Philippe Aghion nous a montré qu’un bon
niveau d’innovation dans l’enseignement supérieur reposait toujours sur la
combinaison de trois facteurs : un investissement soutenu, l’autonomie des
établissements et l’incitation à une recherche de qualité, obtenue par la
répartition d’une partie du financement sur des critères scientifiques. Ce
sont là des éléments de l’indispensable réforme de nos universités.
Par-delà l’excellence de la recherche publique, le soutien à
l’innovation passe par la mise en place d’un écosystème favorable à
l’éclosion et au développement d’initiatives privées. C’est à ce dessein que
travaille depuis 2013 la Commission Innovation 2030, à l’origine d’un
« concours mondial d’innovation » qui a sélectionné et soutenu plusieurs
dizaines de projets dans les domaines retenus comme les plus stratégiques
pour notre pays. Sa présidente, Anne Lauvergeon, nous en a dressé un
premier bilan. Le phénomène des start-up, depuis le début des années
2000, nous a révélé l’appétence des Français pour la création
d’entreprises. Tirons-en parti, plutôt que de leur compliquer la tâche !
Nous n’avions pas le loisir, dans un programme très dense,
1 Académie des sciences morales et politiques, Séance publique annuelle du lundi 12 novembre 2007. Discours du président et du secrétaire perpétuel, Paris, Palais de l’Institut, 2007, p. 23.
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d’examiner en détail les secteurs les plus innovants. Nous avons fait une
exception pour les technologies de l’information, dont la révolution
permanente a aujourd’hui un effet d’entraînement sur tous les autres. Après
avoir démontré leurs progrès, Thierry Breton a déployé sous nos yeux
émerveillés les perspectives vertigineuses ouvertes par l’application de la
physique quantique à l’informatique, qui pourrait doter nos ordinateurs, d’ici
une trentaine d’années, de capacités pratiquement illimitées d’analyse, de
protection et de stockage des données. Tout le monde s’accorde, dès à
présent, pour reconnaître que la collecte et l’exploitation des données
seront à l’avenir une source essentielle de richesse, en lien avec le
développement de l’intelligence artificielle et des objets connectés. D’où
l’inquiétude qui est revenue à plusieurs reprises dans nos séances de voir
les grands opérateurs américains – les désormais célèbres Gafa – et leurs
équivalents chinois régner en maîtres sur ce marché. Il est temps que nous
autres Européens nous mobilisions pour leur opposer une alternative.
Parmi les innovations du numérique, celle des plateformes nous est
apparue comme particulièrement prometteuse. Nous en avons retenu deux
applications concrètes. La première a révolutionné le secteur des services
à la personne, en simplifiant considérablement la mise en relation des
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particuliers et des prestataires, ce qui a ouvert le marché à de nouveaux
acteurs – chacun peut avoir en tête l’expérience d’Uber. Michèle
Debonneuil nous a toutefois indiqué comment nous pourrions aller plus loin
que cette économie de « petits boulots », en intégrant les objets connectés
à des chaînes de production qui requerront des emplois qualifiés. La
seconde, dont nous a entretenus Élisabeth Grosdhomme, est l’essor depuis
une petite dizaine d’années d’une économie dite collaborative, dans
laquelle des particuliers mettent à disposition, contre rémunération, leurs
biens ou leurs compétences. Son poids est encore modeste, mais elle est
déjà entrée dans nos habitudes de consommation. Pour ces deux
intervenantes, il ne fait pas de doute que l’économie des plateformes soit
porteuse de croissance pour notre pays, pourvu qu’elle fasse l’objet d’une
régulation équilibrée qui empêche à la fois les distorsions de concurrence
et la captation de la valeur créée entre les mains de quelques sociétés. Ce
cadre est à inventer ; espérons que les autorités françaises et européennes
s’y attèlent rapidement.
Notre recherche des atouts productifs français aurait été incomplète si
nous avions fait l’impasse sur les domaines dans lesquels notre pays
occupe traditionnellement des positions fortes, mais qui ont aujourd’hui
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besoin d’être réanimés. C’est le cas de la production d’énergie. Notre
électricité est moins chère et plus propre que celle de la plupart de nos
voisins et elle garantit notre indépendance énergétique à 55 % ; cependant,
les bases de cette réussite sont fragilisées depuis une vingtaine d’années
faute d’un pilotage à long terme, ainsi que nous l’a expliqué Jean-Paul
Bouttes. Hiérarchiser les priorités, bâtir une stratégie européenne, jouer de
la complémentarité des modes de production et investir dans les
technologies décarbonées (où nous avons laissé le champ libre aux
Américains et aux Chinois) nous permettrait de rester dans le jeu, tout en
intégrant la contrainte environnementale.
Plus critique apparaît l’état de notre agriculture, tel que l’a décrit
Lionel Fontagné. Elle n’a cessé, depuis vingt-cinq ans, de perdre des parts
de marché à l’exportation, malgré l’importance des aides publiques. Cette
situation appelle une remise en cause de notre politique agricole, qui revoie
l’allocation des soutiens et rende des marges de manœuvre au monde
agricole, en soutenant par exemple l’organisation de filières compétitives,
dans le respect des règles sanitaires qui garantissent à l’étranger la qualité
et la traçabilité de nos produits.
*
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Le cas de l’agriculture, comme celui du chômage nous rappellent que
la dépense publique n’est pas toujours facteur d’efficacité. Du fait de sa
dérive, qui l’a hissée au niveau record de 57 % du PIB, elle est devenue un
handicap qui pèse lourdement sur la compétitivité de notre économie et de
notre territoire et hypothèque le patrimoine des Français. Malgré le niveau
exorbitant de nos prélèvements obligatoires, elle alimente depuis trente-
cinq ans des déficits qui viennent gonfler notre dette publique. Notre
Parlement a voté pendant des années des budgets en déficit de plus de
3 % du PIB, en violation des traités signés par notre pays. Quant à la dette
publique, elle dépasse désormais 2200 milliards d’euros et avoisine ainsi
100 % du PIB. Une remontée significative des taux d’intérêt – aujourd’hui
exceptionnellement bas – pourrait poser des problèmes de soutenabilité.
Comment échapper à cette perspective, tout en améliorant la gestion de
nos comptes publics ? C’est ce que nous ont enseigné cinq
communications.
Nous avions demandé à François Ecalle comment ramener
rapidement et durablement nos dépenses publiques en deçà de 50 % du
PIB. Il a déterminé à cette fin, pour chacun de nos grands postes
budgétaires, une « valeur cible », tenant compte à la fois des besoins du
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pays – qui justifient par exemple que soient actuellement renforcés nos
moyens de sécurité et de défense – et des économies qui peuvent être
raisonnablement dégagées, en s’inspirant le cas échéant de ce qui se
pratique chez nos voisins. Il a insisté pour que ces efforts soient opérés de
manière globale et dans la durée. Donner un caractère contraignant à la loi
de programmation des dépenses publiques y contribuerait, à condition
qu’elle s’applique aussi aux collectivités locales et aux régimes sociaux.
Un vaste champ de réformes qui s’ouvre devant nous est la
modernisation de notre fonction publique. Elle implique en premier lieu une
gestion optimisée des ressources humaines – un bon point de départ serait
de veiller au respect par tous les agents de leurs obligations en termes de
durée du travail. Par-delà l’indispensable réduction des effectifs, corollaire
d’une rationalisation des services et de la généralisation de l’outil que sont
les nouvelles technologies de l’information, il s’agira d’aller vers une plus
grande souplesse, en facilitant la mobilité des fonctionnaires et en
recourant plus volontiers aux engagements contractuels. Cela irait de pair
avec une révision du statut de la fonction publique. L’autre volet de la
réforme de notre administration porte sur la refonte de ses structures. C’est
l’exercice auquel s’est livrée Agnès Verdier-Molinié à propos des
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collectivités territoriales. Elle a conclu que l’architecture la plus pertinente
tant du point de vue de l’efficacité administrative que du contrôle
démocratique serait de ne laisser subsister que les actuelles
intercommunalités et les régions, tout en procédant à une véritable
décentralisation, y compris sur le plan fiscal. Le débat est ouvert, mais la
réponse ne pourra être indéfiniment différée.
La réforme de notre protection sociale n’est pas moins impérative, si
nous voulons préserver les principes de cohésion et de solidarité qui en
constituent la base sans mettre en péril son financement, aujourd’hui
fâcheusement assis, pour partie, sur la dette. J’ai dit plus haut un mot de
l’assurance chômage, mais comment ne pas penser à notre système de
santé, un des plus chers au monde et en déficit permanent ? Du moins,
ajoute-t-on généralement, assure-t-il au plus grand nombre l’accès à des
soins de qualité. Tel n’est pas l’avis du Professeur Guy Vallancien, qui
estime que nous pourrions faire beaucoup mieux, tout en ramenant les
comptes à l’équilibre. La révolution médicale qui s’annonce, basée sur la
télémédecine, donne l’occasion de redessiner en profondeur le paysage
médical, pour une prise en charge adaptée à chaque pathologie, et de
réduire ainsi les frais.
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Autre sujet de préoccupation, la question des retraites a été traitée
par Philippe Trainar. Celui-ci a établi avec rigueur que notre système par
répartition était incapable en l’état actuel de faire face au vieillissement de
la population, et que le seul paramètre sur lequel nous pouvions jouer était
l’allongement du temps de cotisation, ce que justifie du reste l’allongement
de l’espérance de vie. Il a défendu en outre l’instauration d’un système de
retraite par points et l’alignement des régimes particuliers sur le régime
général, pour une plus grande équité.
Bien que distincte de la protection sociale, la politique du logement
s’inscrit elle aussi dans notre tradition d’un État-Providence. Les
40 milliards d’euros d’aides publiques qu’elle mobilise chaque année sont-
ils pour autant employés à bon escient ? Étienne Wasmer nous dira, dans
quelques semaines, comment nous pourrions assurer un toit à tous les
jeunes ménages, en faisant un meilleur usage de ces concours.
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L’urgence de réduire nos dettes est telle que j’avais demandé à
plusieurs intervenants de raisonner à pression fiscale constante. Cela
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n’interdit pas, dès maintenant, de la répartir différemment, afin que les
prélèvements obligatoires ne soient pas un frein à la croissance, voire qu’ils
la stimulent.
Henri de Castries et Michel Didier nous ont décrit le système fiscal
français comme un monstre de complexité, obéissant davantage aux
besoins financiers du moment ou à des considérations idéologiques qu’à
une logique économique, pour un rendement très médiocre. Les assiettes
retenues passent à côté des vrais flux de richesses et des taux de
prélèvement pratiquement confiscatoires découragent l’activité ou poussent
à l’exil fiscal. Cette situation a conduit à multiplier les régimes dérogatoires
qui renforcent encore le caractère inéquitable et illisible de l’ensemble.
Neutralité, modération et stabilité sont les principes que les deux
intervenants retiennent pour une réforme de la fiscalité. Pour Henri
de Castries, celle-ci doit baisser en priorité la taxation du travail et du
capital, qui a les effets les plus dommageables sur l’emploi et l’économie,
quitte à augmenter la taxe sur la valeur ajoutée, dont nous n’utilisons pas
assez les avantages. Sur le point particulier de la fiscalité sur le capital,
Michel Didier a préconisé de remplacer les trois impôts existants par un
prélèvement unique proportionnel au revenu de l’épargne, afin qu’il soit de
nouveau avantageux de réinvestir celui-ci dans l’économie productive. On
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a vu depuis que c’était la solution retenue par le gouvernement. L’un et
l’autre n’ont pas caché qu’une baisse de la fiscalité serait à désirer sans
attendre, pour dynamiser notre économie. Il faut au moins qu’à terme, celle-
ci soit ramenée au niveau européen, ce qui est une condition élémentaire
de compétitivité dans une économie ouverte.
Cette compétitivité s’éprouve aussi au niveau du droit. L’activité
économique est corsetée, en France, par tout un ensemble de
réglementations, en inflation constante. La stabilité du système juridique
français, dont les définitions existent en soi, est sans doute un héritage à
préserver, ainsi que nous l’a rappelé Marie-Anne Frison-Roche. Une
simplification de notre droit, pour autant, est possible, du moment qu’elle
suit une méthodologie appropriée, que nous a exposée Maryvonne de
Saint-Pulgent. Elle repose, entre autres, sur la limitation de la production
normative et sur la systématisation des études d’impact, afin que soient
mieux prises en compte les contraintes finales sur les agents économiques.
Le Royaume-Uni et l’Allemagne nous offrent, là encore, des exemples
concluants.
*
Je n’ai considéré, jusqu’ici, la réforme qu’à l’intérieur des frontières
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françaises (où il y a, on l’admettra, de quoi faire). Mais nous ne pouvons
pas nous abstraire de notre environnement européen et international, qui
influe très sensiblement sur notre destin. Trois enjeux, dans ce domaine,
ont été examinés : relancer la construction européenne, garantir la stabilité
financière et assurer la sécurité nationale et collective.
Il nous faut, avant tout, inaugurer une nouvelle étape dans la
construction européenne. Le processus d’intégration économique des pays
membres de la zone euro a certes connu d’importantes avancées depuis la
crise des dettes souveraines, mais l’heure est désormais à son
accélération, au profit d’une gouvernance plus efficace. Ce sera l’objet, au
mois de décembre, d’une intervention de l’ancien président du Conseil
européen Herman Van Rompuy. On suivra particulièrement, sur ce point,
les initiatives que vient de prendre le président de la République pour
relancer ce processus par l’intermédiaire du couple franco-allemand.
La crise financière de 2007-2008 a conduit la mise en place d’un
encadrement plus strict des activités bancaires. C’était nécessaire. Mais il
convient de s’assurer qu’il reste compatible avec le financement de la
croissance, notamment en Europe, comme il est indispensable de se
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pencher sur la condition essentielle de la stabilité financière. Jacques de
Larosière nous entretiendra des risques que font courir, au niveau mondial,
le surendettement et la création massive de liquidités. Le gouverneur de la
Banque de France, François Villeroy de Galhau, nous a expliqué de son
côté pourquoi il était primordial, dans ce contexte, de persévérer dans la
voie de la régulation indiquée par le Comité de Bâle.
Un défi non moins pressant est celui de la montée des périls dans un
environnement international déstabilisé par la dissémination du terrorisme
et de la criminalité et le regain de puissance des régimes autoritaires. Les
attentats qui nous ont frappés ces dernières années nous ont montré que
notre territoire n’était pas à l’abri des menaces. Hakim El Karoui nous dira,
dans quelques semaines, comment faire régresser l’ennemi intérieur qu’est
devenu le fondamentalisme musulman. Mais cela ne suffira pas : c’est toute
notre stratégie de défense et de sécurité qui doit être repensée en fonction
de nos intérêts et de nos moyens, nous a prévenu Nicolas Baverez, alors
que notre armée montre qu’elle a atteint ses limites opérationnelles. La
réponse, a-t-il ajouté, sera à trouver au niveau européen, par la prise de
conscience de ce que la sécurité a un coût et que la défense de nos
démocraties ne peut être déléguée à d’autres puissances.
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Arrivé au terme de ce propos, je ne suis pas sans éprouver quelque
scrupule. Je ne doute pas de la pertinence des analyses et des
préconisations qui nous ont été présentées. Mais avoir raison, ici, n’est pas
tout : seule comptera, aux yeux de la postérité, la mise en œuvre.
Quelles que soient les appréciations que l’on porte sur son action,
force est de reconnaître que l’exécutif qui a pris ses fonctions au mois de
mai dernier est animé d’un vrai projet de transformation et se donne les
moyens de l’appliquer. On le créditera également de traiter les problèmes
de front, méthode que la plupart de nos intervenants ont indiquée comme la
plus appropriée, plutôt que de diviser les efforts. On peut ainsi espérer,
dans un délai raisonnable, engranger quelques résultats, qui nous feront
voir le bien-fondé des premiers changements entrepris.
Car nous le savons depuis Michel Crozier : « On ne change pas la
société par décret. » Ou, pour le dire avec Renan : « De nos jours (et cela
rend la tâche des réformateurs difficile), ce sont les peuples qui doivent
comprendre2. » En dernier ressort, c’est de l’adhésion des Français que 2 Ernest Renan, La réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy, 1871, p. 4.
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dépendra le succès des réformes engagées. Comment faire comprendre à
nos concitoyens les enjeux qui déterminent l’avenir de notre pays ? C’est la
question que j’ai demandé à notre confrère Jean Tirole de traiter pour
l’ultime séance annuelle, consacrée aux « Français et l’économie ». Je suis
certain qu’il saura utilement nous éclairer.
Aussi est-ce sur une note optimiste que je conclus. C’est sous l’égide
de Minerve, déesse de la sagesse, et non de Cassandre, la devineresse
incomprise, que sont placées nos Académies. Si je n’avais pas confiance
dans le bon sens de nos compatriotes, dans leur capacité à se mobiliser
collectivement et à se dépasser, comme ils l’ont montré au cours de notre
histoire, jamais je n’aurais proposé un tel sujet. Je suis sûr de n’être pas
déçu.
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