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Ensayo sobre literaturas americanas

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  • ALITTERATUREAMERICAINE

    Esquisse de la

  • LAMRIQUE PRIMITIVE ETLA PRIODE COLONIALE

    LES ORIGINES DMOCRATIQUESET LES CRIVAINS DE LINDPENDANCE

    1776-1820

    LA PRIODE ROMANTIQUE, 1820-1860ESSAYISTES ET POTES

    LA PRIODE ROMANTIQUE, 1820-1860LE ROMAN

    LAVNEMENT DU RALISME1860-1914

    MODERNISME ET EXPRIMENTATION1914-1945

    LA POSIE AMRICAINE DEPUIS 1945LANTI-TRADITION

    LA PROSE AMRICAINE DEPUIS 1945RALISME ET EXPRIMENTATION

    GLOSSAIRE

    PUBLI PAR LUNITED STATESINFORMATION AGENCY.

    AUTEUR : KATHRYN VANSPANCKERENDIRECTEURS DE LA RDACTION :

    HOWARD CINCOTTA, GEORGE CLACKRVISEUR : KATHLEEN HUGCOLLABORATEUR : MICHAEL J. BANDLERDIRECTEUR ARTISTIQUE :THADDEUS A. MIKSINSKIICONOGRAPHIE : ELLEN F. TOOMEYVERSION FRANAISE : ARS, PARIS

    Couverture : 1994 Christopher Little

    LAUTEURKathryn VanSpanckeren estprofesseur danglais luniversitde Tampa o elle enseigne lalittrature amricaine, la littraturefminine et dirige un atelier deposie. Elle a notamment publiMargaret Atwood: Vision andForms (1988) et John Gardner:The Critical Perspective (1982),ainsi que de nombreux articles etpomes. Elle a fait des tournesde confrences sur la littratureamricaine en Asie, en Europe,en Amrique latine et en Afrique.De 1993 1995, elle aco-dirig lInstitut dt sur lalittrature amricaine delU.S. Information Agency.

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    SSOMMAIREOMMAIRELA

    LITTERATUREAMERICAINE

  • 2Les textes suivants ne peuvent tre reproduits sans lautorisation du dtenteur des droitsdauteur.

    In a Station of the Metro (page 63) dEzra Pound. Extrait de Personae dEzraPound. Copyright 1926 by Ezra Pound. Traduit et reproduit avec lautorisation de NewDirections Publishing Corporation. Dans le Commonwealth, lexclusion du Canada : In aStation of the Metro , extrait de Collected Shorter Poems dEzra Pound. Reproduit aveclautorisation de Faber & Faber Ltd.

    Stopping by Woods on a Snowy Evening (page 65) de Robert Frost. Extrait de ThePoetry of Robert Frost, publi sous la direction dEdward Connery Lathem. Copyright 1923, 1969 by Henry Holt and Co., Inc., 1951 by Robert Frost. Reproduit et traduit aveclautorisation de Henry Holt and Co., Inc. Dans le Commonwealth, lexclusion du Canada : Stopping by Woods on a Snowy Evening , extrait de The Poetry of Robert Frost, publi sous ladirection dEdward Connery Lathem. Publi par Jonathan Cape. Avec lautorisation de RandomHouse UK Limited.

    Disillusionment of Ten OClock (page 66) de Wallace Stevens. Extrait de SelectedPoems de Wallace Stevens. Copyright 1923, 1951 by Wallace Stevens. Reproduit aveclautorisation dAlfred A. Knopf, Inc. Dans le Commonwealth, droits accords par LaurencePollonger Ltd. : Wallace Stevens.

    The Red Wheelbarrow (page 66) et The Young Housewife (page 66) de WilliamCarlos William. Collected Poems. 1909- 1939. Vol I. Copyright 1938 New Directions PublishingCorp. Reproduit avec lautorisation de New Directions.

    The Negro Speaks of Rivers (page 69) de Langston Hughes. Extrait de SelectedPoems de Langston Hughes. Copyright 1926 by Alfred A. Knopf, Inc., 1954 by LangstonHughes. Reproduit avec lautorisation de lditeur. Dans le Commonwealth : reproduit aveclautorisation de Harold Ober Associates. Copyright 1994 by the Estate of Langston Hughes.

    The Death of the Ball Turret Gunner (pages 80) de Randall Jarrell. Extrait deRandall Jarrell : Selected Poems ; 1945 by Randall Jarrell, 1990 by Mary Von SchraderJarrell, publi par Farrar Straus & Giroux. Avec lautorisation de Rhoda Weyr Agency, New York.

    Un certain nombre dillustrations apparaissant dans ce volume sont galement protges pardes copyrights, comme il est indiqu sur les illustrations elles-mmes. Elles ne peuvent trereproduites sans lautorisation du dtenteur du copyright.

  • L a littrature amricaine commence avecles mythes transmis oralement, les l-gendes, les contes et les pomes (tou-jours chants) des civilisations indiennes. Ilnexistait pas de littrature crite dans les quel-que 500 langues et cultures tribales de lAmri-que du Nord avant larrive des Europens. Ilsagit donc dune littrature orale trs diversi-fie. Les rcits des peuples chasseurs et quasinomades comme les Navajos diffrent descontes narrs dans les tribus sdentairescomme celles des Acomas ; les lgendes despeuples lacustres du Nord, reprsents par lesOjibwas, nont rien voir avec celles des tribusdu dsert, comme celle des Hopis.

    Les tribus avaient chacune leur religion ellesvnraient des dieux, des animaux, des plantesou des personnes qui leur taient sacrs. Leursgouvernements allaient de la dmocratie auxconseils des anciens et aux thocraties. On re-trouve toutes ces variantes dans la littratureorale.

    Pourtant, il est possible de gnraliser quel-que peu. Les contes indiens trahissent tous unervrence devant la nature considre commeune mre spirituelle autant que temporelle. Vi-vante, elle est dote de pouvoirs spirituels ; sesprincipaux reprsentants sont des plantes oudes animaux, souvent des totems lis une tribu,un groupe ou un individu. Cest Ralph WaldoEmerson qui, plus tard, sera le plus proche de

    cette vnration avec son transcendantalisme.Au Mexique, on rvrait le divin Quetzalcoatl,

    dieu des Toltques et des Aztques, et loncontait un peu partout des lgendes voquant undieu tutlaire. Mais il nexiste pas de longs cy-cles religieux sur une divinit suprme. Lesquivalents les plus proches des rcits spirituelsde lAncien Monde relatent souvent les voyagesinitiatiques des chamans. Sinon, on trouve descontes chantant les hros comme le Manabojodes Ojibwas ou le Coyote des Navajos. Ces tri-cheurs ne sont gure respects. Si, loccasion,on les traite en hros, ailleurs on les traitedgostes ou dimbciles. Certains rudits,comme Carl Jung, ont dprci ces contes quiexpriment laspect infrieur, amoral de la psych,mais les chercheurs contemporains dont cer-tains Amrindiens font remarquer quUlysse etPromthe, ces hros grecs, sont eux aussi destricheurs.

    On trouve des exemples de tous les genresdans la littrature amrindienne : chants, my-thes, contes de fes, histoires drles, incanta-tions, nigmes, proverbes, popes et lgendes.Les rcits de migrations danctres abondent,comme les chants de vision ou de gurison et lescontes de tricheurs. Certaines lgendes sonttrs en faveur comme celle de la cration, nar-re avec des variantes dans bien des tribus, ocest une tortue qui supporte le monde. Dansune version cheyenne, Maheo, le crateur, doitformer le monde partir dun univers aquatique.Il envoie quatre oiseaux qui doivent plonger pourtrouver de la terre au fond. Loie, le canard et leplongeon slancent dans le ciel et foncent en pi-qu, sans pouvoir atteindre le fond, tandis que lepetit foulque, incapable de voler, parvient rap-porter dans son bec un peu de boue. Une seulecrature, la grand-mre Tortue, offre la formevoulue pour soutenir le monde de boue que mo-dle Maheo sur sa carapace do le nom indiende lAmrique l Ile de la Tortue.

    Les chants ou les pomes, comme les rcits,

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    CHAPITRE

    1LAMERIQUE PRIMITIVE ET

    LA PERIODE COLONIALE

  • vont du sacr au lger, sans oublier lhumour : ily a des berceuses, des chants de guerre, deschansons damour, des comptines, des airs pourle jeu, des chants de travail, de magie ou dedanse. Ils sont en gnral rptitifs. De courtspomes recueillis en rve ont parfois la nettetdimage et la subtilit que lon associe aux hakusjaponais ou lcole imagiste. Voici un chantchippewa :

    Jai cru entendre une sarcelleMais ctait la pagaie de mon bien-aimPlongeant dans leau.

    Les chants de vision, souvent trs brefs, pr-sentent une autre forme distincte. Ce sont deschants de gurison, de chasse ou damour. Ilsexpriment gnralement un point de vue person-nel comme ce chant modoc :

    Moi, le chantJe mavance ici.

    La tradition orale indienne et ses rapportsavec lensemble de la littrature amricaine for-ment un ensemble trs riche et trop peu tudi.La contribution des Indiens la vie de lAmri-que est bien plus importante quon ne le pense.Il existe des centaines de mots indiens dans lalangue quotidienne, dont canoe, tobacco, potato,moccasin, moose [caribou], persimmon [kaki],raccoon [raton laveur], tomahawk ou totem. Lalittrature contemporaine, dont nous parlons auchapitre huit, contient des uvres dune grandebeaut.

    LES RECITS DEXPLORATION

    Les premiers explorateurs de lAmriquentaient ni anglais, ni espagnols, ni fran-ais. Les rcits dexploration les plus an-ciens sont rdigs dans une langue scandinave.La Saga de Vinland, rdige en vieux norrois, ra-conte comment Leif Eriksson et ses Vikings se

    sont installs brivement sur la cte nord-est ducontinent sans doute, en Nouvelle-Ecosse dans la premire dcennie du XIe sicle, prs dequatre cents ans avant la dcouverte officielledu Nouveau Monde par les Europens.

    Le premier contact connu important entre lesAmriques et le reste du monde commena avecle clbre voyage de lexplorateur gnois, Chris-tophe Colomb, dont lexpdition fut finance parFerdinand dAragon et Isabelle de Castille. Im-prim en 1493, le journal de Colomb, son Epi-stola , raconte la terreur des marins qui crai-gnaient les monstres et avaient peur dune chuteau bord du monde ; leur quasi-mutinerie ; la ma-nire dont Colomb avait trafiqu le livre de bordpour que les hommes ne sachent pas quilstaient alls plus loin que quiconque ; enfin, lapremire vue de la terre, tandis quils appro-chaient de lAmrique.

    Bartolom de Las Casas est la meilleuresource dinformation sur les premiers contactsentre Amrindiens et Europens. Jeune prtre,il participa la conqute de Cuba. Il transcrivit lejournal de Colomb et, plus tard, crivit uneHistoire des Indiens, dans laquelle il critiquaitviolemment lesclavage auquel les soumettaientles Espagnols.

    Les premires tentatives anglaises de coloni-sation furent dsastreuses. La premire coloniesinstalla Roanoke, prs des ctes de Carolinedu Nord, en 1585 ; mais tous les colons disparu-rent et, ce jour, on raconte encore des lgen-des sur les Indiens aux yeux bleus de la rgion.La deuxime colonie dura plus longtemps :Jamestown fut cre en 1607. Elle souffrit de fa-mine, de brutalit et dindiscipline. Mais lescrits de lpoque dpeignent lAmrique sousdes couleurs brillantes et en font une terre pro-mise. Ces rcits firent le tour du monde. Lexplo-ration de Roanoke fut relate par Thomas Hariotdans A Brief and True Report of the New-FoundLand of Virginia (1588). Cet ouvrage fut rapide-ment traduit en latin, en franais et en allemand.

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  • On tira du texte et des illustrations de nombreu-ses gravures et, pendant plus de deux cents ans,on en fit de multiples rditions.

    Le journal du capitaine John Smith, le principaldocument que nous ayons sur la colonie deJamestown, est loppos du compte renduscientifique de Hariot. Smith tait un incurableromantique et il semble avoir beaucoup brod.Cest lui que nous devons lhistoire de la jeuneIndienne, Pocahontas. Invention ou non, le contefait dsormais partie de limaginaire historiqueamricain. La fille prfre du chef Powhatan au-rait sauv la vie du capitaine Smith qui avait tfait prisonnier. Plus tard, lorsque les Anglais per-suadrent Powhatan de leur donner Pocahontasen otage, ils auraient t sduits par la douceur,lintelligence et la beaut de cette jeune fille. En1614, elle pousa John Rolfe et ce mariage inau-gura une priode de paix de huit ans entre co-lons et Indiens, ce qui assura la survie de la pe-tite colonie.

    Au XVIIe sicle, pirates, aventuriers et explora-teurs frayrent un chemin une nouvelle vaguede colons accompagns de leurs femmes et deleurs enfants. Les premiers textes sont des jour-naux, des lettres, des livres de bord et des rap-ports aux armateurs, suivis plus tard des archi-ves des colonies. LAngleterre ayant peupl lescolonies dAmrique du Nord, les crits les plusconnus sont rdigs en anglais. Tandis que la lit-trature des minorits continue dtre floris-sante en ce XXe sicle et que la vie devient de plusen plus pluriculturelle, les chercheurs redcou-vrent limportance de lhritage multiethnique. Ilest donc important de reconnatre lexistence deces dbuts cosmopolites.

    LA PERIODE COLONIALEEN NOUVELLE-ANGLETERRE

    Aucune autre colonie dans lhistoire na,semble-t-il, t aussi intellectuelle quecelle des puritains. De 1630 1690, il yavait autant de diplms des universits en Nou-

    velle-Angleterre que dans la mtropole chosetonnante si lon considre qu lpoque lesgens instruits taient des aristocrates peu en-clins risquer leur vie dans ces tendues sauva-ges. Les puritains, souvent autodidactes, consti-tuaient de remarquables exceptions. Ilsvoulaient sinstruire pour mieux comprendre etaccomplir la volont de Dieu, tandis quilscraient leurs colonies dans toute la Nouvelle-Angleterre.

    Pour les puritains, un crit intressant devaitcommuniquer la ncessit dadorer Dieu et met-tre en garde contre les dangers que couraitlme exile sur la terre. Leur style tait divers,allant de la posie mtaphysique complexe auxjournaux ordinaires ou lhistoire religieuse p-dante. Certains thmes demeuraient constants.La vie tait considre comme une preuve ; oubien on allait vers la damnation ternelle, oubien le salut ternel rcompensait la vie dvote.Le monde tait un champ de bataille entre lesforces divines et celles de Satan, ennemi redou-table qui savait revtir de multiples apparences.Bien des puritains attendaient le retour duChrist sur la terre, qui mettrait fin la misredes hommes et marquerait lavnement de milleans de paix et de prosprit.

    On a not depuis longtemps le lien qui existeentre puritanisme et capitalisme: leur moteurcommun est lambition, le travail et la russite.Certes, les puritains ignoraient sils taientsauvs et sils compteraient au nombre deslus, mais il croyaient que la russite tait un si-gne dlection. Richesse et position socialentaient pas recherches pour elles-mmes,mais elles rassuraient sur la sant spirituelle etles promesses de vie ternelle.

    En outre, lide quon tait seulement linten-dant des richesses acquises tait un encourage-ment supplmentaire. Toutes choses taient dessymboles dots de sens spirituel et senrichirsoi-mme en amliorant le bien-tre de la com-munaut, ctait participer au plan divin. Toute la

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  • The First Thanksgiving, tableau de J.L.G. Ferris, reprsente les premiers colons et quelques Indiensftant labondance des rcoltes.

    vie tait lexpression de la volont de Dieu une croyance que nous retrouverons dans letranscendantalisme.

    En notant les vnements quotidiens pour ydcouvrir un sens spirituel, les auteurs citaientvolontiers la Bible. Lhistoire tait un panoramareligieux symbolique menant au triomphe despuritains dans le Nouveau Monde et au royaumede Dieu sur la terre.

    Les premiers colons qui partirent sinstalleren Nouvelle-Angleterre, connus sous le nom deplerins, taient un petit groupe de puritainsqui avaient fui lAngleterre pour se rendre auxPays-Bas dj connus pour leur tolrance reli-gieuse en 1608, une poque o ils taientperscuts.

    Ils interprtaient littralement la Bible et seconformaient au texte de la Deuxime Eptre auxCorinthiens, Sortez dau milieu deux et tenez-vous lcart, dit le Seigneur. Les sparatis-tes ont donc form des Eglises clandestinesqui juraient fidlit au groupe et non plus au roi.Considrs comme tratres la Couronne et h-rtiques promis lenfer, ils furent souvent per-scuts. Et leur sparation finit par les menerjusque dans le Nouveau Monde.

    Elu gouverneur de Plymouth, dans la coloniede la Baie du Massachusetts, peu de temps aprsle dbarquement des sparatistes, William Brad-ford tait un homme pieux qui avait appris plu-sieurs langues, dont lhbreu, pour voir de sesyeux les anciens oracles de Dieu dans leurbeaut originelle. Il tait parti pour les Pays-Bas et avait fait la traverse bord du Mayflower,et ses devoirs de gouverneur le mettaient enparfaite position pour devenir le premier histo-rien de la colonie. Son ouvrage Of Plymouth Plan-tation (1651) est un rcit passionnant des d-buts de la colonie. Voici comment il dcrit sapremire vision de lAmrique :

    Ayant pass le vaste ocan ainsi quune mer devicissitudes ils navaient pas damis pourles accueillir, ni dauberges pour reposer leursmembres fatigus ; pas de maisons et moinsencore de villes ou sarrter et chercher dusecours des barbares sauvages natten-daient quune occasion pour les cribler deflches. Ctait lhiver, et ceux qui connaissentles hivers de ces contres savent quils sontdurs et pres, et sujets de violentes temp-tes tous ont le visage tann par les intem-

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    Peinture. Avec lautorisation de la Smithsonian Institution

    William Bradford (1590-1657)

  • pries, et le pays, bois pais et fourrs, pr-sente un aspect sauvage et rude.

    B radford a aussi transcrit le premier docu-ment dautogouvernement du NouveauMonde anglais, le pacte du Mayflowerrdig tandis que les plerins taient encore bord et annonciateur de la Dclaration dInd-pendance un sicle et demi plus tard.

    Les puritains dsapprouvaient les distractionsmondaines, telles que la danse ou les jeux decartes, quils associaient aux aristocrates irre-ligieux et un mode de vie immoral. Les lectures lgres tombaient galement dans cette cat-gorie. Ils mettaient toute leur nergie dans lesouvrages srieux ou pieux : entre autres, posie,sermons, brochures thologiques, histoire.Leurs journaux et leurs mditations traduisentbien la vie intrieure de ces tres ardents, por-ts lintrospection.

    Anne Bradstreet (v. 1612-1672)Le premier recueil de pomes publi par un

    Amricain fut aussi le premier livre amricainpubli par une femme. Il nest pas surprenantque le livre ait paru en Angleterre, puisquil nyavait pas dimprimeries dans les premiers tempsde la colonie. Ne et leve en Angleterre, AnneBradstreet tait la fille de lintendant duncomte. Elle migra avec sa famille lge dedix-huit ans. Son mari fut gouverneur de la colo-nie de la Baie du Massachusetts, qui allait de-venir plus tard la grande ville de Boston. Elle pr-frait ses longues posies religieuses, traitantde thmes classiques, comme les saisons, maisles lecteurs contemporains ont un faible pourses uvres pleines desprit sur des sujets quo-tidiens et pour ses pomes remplis damourpour son mari et ses enfants. Elle puisait son in-spiration chez les potes mtaphysiques anglaiset son uvre The Tenth Muse Lately Sprung Up inAmerica (1650) trahit linfluence dEdmundSpenser et de Philip Sidney, entre autres. Elle

    use souvent de mtaphores alambiques et detraits compliqus. Limagerie orientale parcourtTo My Dear and Loving Husband, ainsi que lethme de lamour et lide de comparaison sichers lEurope de ce temps. Mais elle donneune pieuse conclusion ses vers :

    Si jamais deux furent un, alors cest bien nous.Si jamais homme fut aim de sa femme, cest

    bien toi ;Si jamais femme fut heureuse avec un homme,Comparez, femmes, si vous le pouvez, votre

    sort au mien.Je prise ton amour plus que toutes les mines

    dorOu que toutes les richesses que lOrient recle.Mon amour est tel que les fleuves ne sauraient

    ltancher,Et rien ne le peut satisfaire que lamour de toi.Ton amour est tel que je ne puis te le rendre ;Que les cieux te le rendent, telle est ma

    prire.Alors, tant que nous vivrons, persvrons dans

    lamourAinsi, quand nous mourrons, nous vivrons

    jamais.

    Edward Taylor (v. 1644-1729)Comme Anne Bradstreet et tous les premiers

    crivains de Nouvelle-Angleterre, le merveilleuxpote et pasteur que fut Edward Taylor tait nen Angleterre. Fils dun fermier, ce professeurpartit en 1668, refusant de prter serment lEglise dAngleterre. Il tudia Harvard et,comme la plupart des pasteurs qui y avaient tforms, il savait le grec, le latin et lhbreu. Cethomme altruiste et pieux agit comme un mis-sionnaire auprs des colons lorsquil acceptason poste de pasteur Westfield, ville-frontiredu Massachusetts, 160 kilomtres dans lint-rieur des terres. Il tait le plus instruit de la r-gion et exploita ses connaissances en travaillantcomme pasteur, mdecin et citoyen.

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  • Jamais il ne publia ses pomes que lon dcou-vrit seulement dans les annes 1930. Il aurait vul, sans le moindre doute, un signe de la provi-dence ; aujourdhui, ses lecteurs sont heureuxde possder ses uvres les plus beaux exem-ples de la posie du XVIIe sicle en Amrique.

    Il a crit plusieurs uvres : des lgies fun-bres, des pomes lyriques, une disputationmdivale et une Metrical History of Christianity(principalement une histoire des martyrs). Sesmeilleurs crits, si lon en croit la critique mo-derne, sont une srie de brves mditations.

    Michael Wigglesworth (1631-1705)N en Angleterre comme Edward Taylor et,

    comme lui, form Harvard, ce pasteur puritainqui pratiquait la mdecine est le troisime potedes colonies jouissant de quelque rputation.Dans son uvre la plus connue, The Day ofDoom (1662), il fait appel aux thmes puritains.Long rcit qui tombe souvent dans le vers demirliton, cette terrifiante vulgarisation de la doc-trine calviniste tait le pome le plus lu de lapriode.

    Cest trs mauvais mais cela plaisait. Lau-teur y mlait la fascination pour les histoire ter-rifiantes lautorit de Calvin. Pendant plus dedeux sicles, on a appris par cur ce long monu-ment lev la crainte religieuse ; les enfants lercitaient et les ans le citaient sans cesse. Ilny a dailleurs pas loin des terribles chtimentsdu pome leffroyable blessure que sinflige lepasteur puritain coupable de Nathaniel Haw-thorne, Arthur Dimmesdale, dans La Lettre car-late (1850) ou le capitaine Achab de Melville, ceFaust estropi de Nouvelle-Angleterre dont laqute dun savoir interdit fait sombrer le navirede lhumanit amricaine dans Moby Dick(1851). (Moby Dick tait le roman favori deWilliam Faulkner, dont les uvres profondes ettroublantes donnent penser que la sombre vi-sion mtaphysique de lAmrique protestantenest pas encore puise.)

    Les pomes de Nouvelle-Angleterre imi-tent la forme et la technique hrites dela mre patrie, mme si la passion reli-gieuse et les nombreuses rfrences bibliquesleur donnent un ton particulier. Dans leur isole-ment, les crivains des colonies imitaient unstyle dj pass de mode en Angleterre. Ainsi,Edward Taylor, le meilleur pote amricain, cri-vait des pomes mtaphysiques, genre dsuet Londres. Parfois, des uvres dune grande origi-nalit, telles celles de Taylor, jaillissaient du d-sert des colonies.

    Ces crivains semblaient mconnatre degrands auteurs anglais comme Ben Jonson. Cer-tains reniaient les potes anglais qui apparte-naient de plus dautres sectes, et se coupaientainsi des modles lyriques ou dramatiques lesplus achevs de la langue anglaise. Enfin, beau-coup restaient dans lignorance cause du man-que de livres.

    Le grand modle dcriture, de foi et de com-portement tait la Bible dans la traduction an-glaise de 1611, dj dpasse sa sortie. Lan-ciennet de la Bible, bien antrieure lEglisecatholique, lui confrait son autorit aux yeuxdes puritains.

    Ces derniers restaient fidles aux rcits delAncien Testament, intimement persuads que, linstar des Hbreux, ils taient perscuts cause de leur foi, quils connaissaient le vraiDieu et quils taient les lus qui tabliraient surterre la Nouvelle Jrusalem le paradis en cemonde. Ils taient conscients des parallles quelon pouvait faire entre le peuple juif de lAncienTestament et eux-mmes. Mose avait conduitles Hbreux hors dEgypte, fendu les eaux de lamer Rouge avec laide de Dieu pour dlivrer sonpeuple et reu les tables de la loi. Comme lui, lespuritains savaient quils sauvaient le peuple dela corruption spirituelle qui rgnait en Angle-terre, quils avaient miraculeusement traverslocan avec laide de Dieu et quils craient denouvelles lois et une nouvelle forme de gouver-

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  • 9nement, conformes aux dsirs duTout-Puissant.

    Samuel Sewall (1652-1730)Plus faciles lire que la posie re-

    ligieuse hrisse de citations bibli-ques, les rcits historiques relatentdes vnements rels en donnantdes dtails vivants. Ainsi, Le Journal(1790) du gouverneur John Winthropoffre au lecteur le meilleur tableaudes dbuts de la colonie de la baiedu Massachusetts et le meilleur ex-pos de la thorie politique despuritains.

    Le Diary de Samuel Sewall, quiporte sur les annes 1674-1729, estplaisant et agrable. N en Angle-terre, Sewal arriva trs jeune dansles colonies. Il stablit dans la r-gion de Boston et, aprs des tudes Harvard, fit une carrire juridique,administrative et religieuse.

    Il tait n suffisamment tard pourvoir soprer le changement entre lavie religieuse stricte des premierspuritains et la priode de richessemercantile que connut la Nouvelle-Angleterre ; son journal, que loncompare souvent celui de soncontemporain britannique, SamuelPepys, traduit sans le vouloir les mo-difications de cette priode detransition.

    A linstar de Samuel Pepys, il re-late sa vie quotidienne par le menu.Il note de petits achats de friandisespour une femme quil courtise, ainsique leurs dsaccords sur la questionde savoir sil devrait adop-ter des manires aristocratiques,comme porter une perruque et rou-ler en carrosse.

    Mary Rowlandson(v. 1635-v. 1678)

    La premire femme crivain derenom fut Mary Rowlandson,pouse de pasteur, qui donna unrcit touchant de sa captivit deonze semaines chez les Indiens, aucours dun massacre en 1676.Il est certain que louvrage ranimala flamme du sentiment indiano-phobe, comme le fit The Re-deemed Captive (1707) de JohnWilliams, dans lequel il raconteses deux ans de captivit auxmains des Franais et des Indiens,aprs un massacre. Les crits f-minins de lpoque sont le plussouvent des rcits personnelsnexigeant pas de connaissancesparticulires mais auxquels onpeut reconnatre les qualits deralisme familial et desprit debon sens. Il est certain que desuvres comme le Journal de Sa-rah Kemble Knight (publi aprssa mort en 1825), rcit dun voyagesolitaire de Boston New York etretour en 1704, chappent lacomplexit tortueuse de bien descrits puritains.

    Cotton Mather (1663-1728)On se doit de citer Cotton Ma-

    ther, le matre pdant. Troisimemaillon de la dynastie des quatreMather de la baie du Massa-chusetts, il dcrivit la Nouvelle-An-gleterre dans plus de 500 ouvra-ges. Sa Magnalia Christi Ameri-cana (Ecclesiastical History ofNew England) de 1702, son uvrela plus ambitieuse, est une chroni-que exhaustive de la colonisation

    COTTON MATHER

    Gravure The BettmannArchive

  • de la Nouvelle-Angleterre travers une srie debiographies. Dans cet norme ouvrage, on voit lesaint puritain errant dans le dsert pour y tablirle royaume de Dieu ; il sagit en fait dun rcit de la vie des saints amricains. Le zle enflammde Mather fait quelque peu oublier la pompositde son style.

    Roger Williams (v. 1603-1683)A laube du XVIIe sicle, le dogmatisme religieux

    sapaisait, malgr les efforts sporadiques despuritains qui sopposaient lesprit de tol-rance. Le pasteur Roger Williams souffrit en rai-son de sa conception de la religion. N en An-gleterre, il fut banni du Massachusetts en pleinmilieu du terrible hiver de 1635. Prvenu en se-cret par le gouverneur John Winthrop, il survcutgrce aux Indiens ; en 1636, il fonda une nouvellecolonie dans le Rhode Island, o lon accueillaitles fidles de diverses religions.

    Diplm de luniversit de Cambridge, RogerWilliams avait lesprit ouvert et de la compassionpour les humbles. Il tait en avance sur sontemps, condamnait limprialisme et affirmaitque les rois dEurope navaient aucunement ledroit de donner des chartes aux colons, car laterre appartenait aux Indiens. Il croyait gale-ment la sparation de lEglise et de lEtat quireste un principe fondamental dans lAmriquedaujourdhui. Il estimait, en outre, que les tribu-naux navaient pas le droit de punir les individuspour des raisons religieuses ce qui allait len-contre des principes thocratiques de Nouvelle-Angleterre. Fervent de dmocratie et dgalit, ilfut toujours un ami des Indiens. Dans ses ouvra-ges, on trouve le premier vocabulaire des languesindiennes, A Key Into the Languages of America(1643), qui est aussi un embryon dethnographie,dcrivant de manire trs vivante le mode de viedes Indiens tel quil avait pu le connatre en par-tageant leur existence. Chaque chapitre est con-sacr un sujet particulier. Mots et expressionsrelatifs ce sujet sont accompagns de commen-

    taires, danecdotes et dun pome en guise deconclusion. Voici la fin du premier chapitre :

    Si les enfants de la nature, sauvages oudompts,

    Sont humains et courtois,Comment pouvez-vous, enfants de Dieu,Tant manquer dhumanit.

    D ans le chapitre des distractions, il pro-pose cette rflexion : cest une bientrange vrit quun homme trouve sou-vent meilleur accueil et hospitalit parmi cesbarbares que chez des milliers qui se prtendentchrtiens .

    Stant rendu en Angleterre pendant la guerrecivile qui dchirait le pays, il organisa des livrai-sons de bois destines aux pauvres de Londrespendant lhiver. Il tait laptre de la tolrancenon seulement pour les diverses sectes chr-tiennes, mais aussi pour les non-chrtiens. Cest la volont et le commandement deDieu quon autorise les consciences les pluspaennes, juives, turques ou antichrtienneschez tous les hommes, dans toutes les na-tions, crivait-il dans The Bloudy Tenent ofPersecution for Cause of Conscience (1644).

    Dans les colonies amricaines, les influencestaient rciproques. Par exemple, John Eliot tra-duisit la Bible dans le dialecte narragansett. Cer-tains Indiens se convertirent au christianisme.Aujourdhui encore, lEglise amrindienne estun mlange de christianisme et de croyancetraditionnelle.

    Lesprit de tolrance et de libert religieusequi se faisait jour dans les colonies naquit dansle Rhode Island et en Pennsylvanie, o vivaientles quakers. Humains et tolrants, les Amis,comme on les appelait, croyaient au caractresacr de la conscience individuelle, source delordre social et du sens moral. Chasss du Mas-sachusetts, o lon craignait leur influence, ilsfondrent une colonie florissante, la Pennsylva-

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    nie, sous lautorit de William Penn,en 1681.

    John Woolman (1720-1772)Luvre quaker la plus connue

    est le long Journal (1774) de JohnWoolman, compte rendu dune vieintrieure crit dans un style sensi-ble et pur. Cet homme admirablequitta la ville et son agrable de-meure pour vivre avec les Indiensdans les contres sauvages, car ilpensait beaucoup apprendre leurcontact et voulait partager leursides. Il exprime avec simplicitson dsir de sentir et de com-prendre leur vie, et lesprit qui pr-side leur existence. Epris dejustice, cest tout naturellementquil en vient la critique sociale :Jai vu que de nombreux Blancsvendaient souvent du rhum aux In-diens ce qui, je le crois, est ungrand mal.

    Woolman fut lun des pre-miers opposants les-clavage, publiant deuxessais, Some Considerations on theKeeping of Negroes, en 1754 et 1762.Anim de proccupations humani-taires, il pratiqua l obissancepassive aux autorits et aux loisquil jugeait injustes, prfigurantainsi, un sicle de distance, HenryDavid Thoreau et son clbre essai,La Dsobissance civile (1849).

    Jonathan Edwards(1703-1758)

    N dix-sept ans avant John Wool-man, il en est loppos. Woolmantait autodidacte, Edwards trs cul-tiv. Le premier avait suivi sa lu-

    mire intrieure ; le second staitconsacr ltude du droit et dupouvoir. Tous deux taient de bonscrivains, mais ils exprimaient desvisions opposes de la vie reli-gieuse dans les colonies.

    Model par son sens du devoir etpar son environnement puritainstrict, Jonahan Edwards dfendit lecalvinisme le plus sombre et leplus rigide contre les forces du li-bralisme qui surgissaient autourde lui. Il est surtout connu pour unsermon terrifiant intitul Sinnersin the Hands of an Angry God (1741) :

    Si la main de Dieu souvrait, voustomberiez aussitt, pour des-cendre et plonger dans le gouf-fre sans fond Le Dieu quivous retient au bord de labmedes enfers, peu prs commevous tenez une araigne ou quel-que misrable insecte au-dessus du feu, vous a en excra-tion et vous osez le provoquerpour lui, vous ne valez absolu-ment rien, vous mritez seule-ment dtre prcipit dans lesprofondeurs.

    Ces sermons exeraient un im-pact extraordinaire ; lassistanceentire clatait en sanglots hystri-ques. A la longue, pourtant, cetteexagration dans lhorreur loignale peuple du calvinisme queJonathan Edwards dfendait avecvaillance. Ses sermons mdivaux,dogmatiques, ne correspondaientplus la vie paisible et prospredes colons du XVIIIe sicle. Aprs

    JONATHAN EDWARDS

    Gravure The BettmannArchive

  • Jonathan Edwards, de nouveaux courants, plusenclins la tolrance, commencrent gagnerdu terrain.

    LA LITTERATURE DES COLONIESDU CENTRE ET DU SUD

    L a littrature du Sud tait aristocratique etlaque, reflet des systmes conomiqueset sociaux dominants des plantations. Lespremiers immigrants anglais avaient t attirsvers les colonies du Sud par lappt conomiqueplus que par la libert de religion.

    Alors que nombre des habitants du Sud taientde pauvres fermiers ou des commerants dont leniveau de vie ntait gure suprieur celui desesclaves, la classe suprieure cultive suivaitlidal classique inspir de la noblesse terriennede lAncien Monde, que seul lesclavage rendaitpossible. Librs du travail manuel, les richesBlancs du Sud pouvaient sadonner leurs loisirset rver dune vie aristocratique dans les rgionssauvages de lAmrique. Linsistance puritainesur le travail, linstruction et lhonnt tait rare on parlait plutt de monter cheval et daller la chasse. Lglise servait de foyer une vie so-ciale raffine et non de forum lexamen minu-tieux des consciences.

    William Byrd (1674-1744)Toute la vie du Sud tait centre sur lidal du

    gentilhomme. Homme de la Renaissance aussihabile grer ses domaines qu lire le grecclassique, il avait de plus les pouvoirs dun sei-gneur fodal.

    William Byrd dcrit ainsi le mode de vie de saplantation de Westover, dans la clbre lettrequil crivait en 1726 son ami anglais CharlesBoyle, comte dOrrery :

    Outre les avantages dun air pur, nous avons enabondance toutes les denres sans encourirde dpenses (ceux dentre nous qui poss-dent des plantations). Jai une grande famille

    et ma porte est ouverte tous, et pourtant jenai pas de notes payer et la pice dargentdans mon gousset nen bougera pas de plu-sieurs lunes.

    Comme les patriarches, je possde trou-peaux et btail, servantes et serviteurs, ettoutes sortes dartisans mon service, desorte que je vis dans une espce dindpen-dance, sauf envers la Providence.

    Cest l la quintessence de lesprit aristocra-tique du Sud colonial. William Byrd tait ngo-ciant, marchand et planteur. Hritier de plus de1 000 hectares, il finit par en possder plus de7 000. Sa bibliothque de 3600 ouvrages tait laplus importante du Sud. Son pre envoya ce gar-on dune vive intelligence dans dexcellentescoles, en Angleterre et aux Pays-Bas. Il fr-quenta la Cour de France, devint membre de laRoyal Society et lia amiti avec plusieurs cri-vains anglais de son temps, en particulier WilliamWycherley et William Congreve.

    Il est surtout connu aujourdhui pour son His-tory of the Dividing Line, journal dun voyage dequelques semaines en1729. Il parcourut prs de1 000 kilomtres dans lintrieur des terres pourreconnatre les limites sparant les colonies voi-sines de Virginie et de Caroline du Nord. Les im-pressions des vastes tendues, des rencontresavec les Indiens, avec des Blancs demi civiliss,comme avec des animaux sauvages et des diffi-cults de toutes sortes, que retira de son exp-dition cet homme raffin forment la matire dunlivre qui ne peut tre quamricain et qui porte lamarque du Sud. Il se gausse des premiers colonsde Virginie, une centaine dhommes, pour laplupart chasss de leur famille, et rit de ce que, Jamestown, en vrais Anglais, ils ont construitune glise de cinquante livres et une taverne quileur en a cot cinq cents. Il nous offre un bonexemple de lintrt que portaient les hommesdu Sud leur environnement : la terre, les In-diens, les colons, les plantes, les animaux.

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  • Robert Beverley (v. 1673-1722)Autre planteur prospre, lauteur de The His-

    tory and Present State of Virginia (1705, 1722) re-late lhistoire de sa colonie dans un style pleindhumanit et de force. Comme William Byrd, iladmirait les Indiens et samusait des bizarres su-perstitions que les Europens nourrissaient surla Virginie entre autres, lide que le paysnoircit le teint de tous ceux qui sy rendent. Ilnotait encore le sens de lhospitalit des gens duSud, trait qui existe encore de nos jours.

    L a satire est frquente dans le Sud colo-nial. Dans une brochure intitule A Trueand Historical Narrative of the Colony ofGeorgia (1741), un groupe de colons en colrese moqurent du fondateur de la Georgie, le g-nral James Oglethorpe. Ils faisaient mine de lelouer pour les avoir gards dans la pauvret etleur avoir impos un travail abusif, tout cela pourquils cultivent la remarquable vertu de lhumi-lit et pour que leur soient pargnes les in-quitudes de lambition.

    Un pome satirique violent, The SotweedFactor, dEbenezer Cook, un Anglais qui staitessay sans succs au commerce du tabac, tour-nait en ridicule la colonie du Maryland. Lauteurse moquait des manires rustaudes de la colonieavec un humour trs vif et accusait les colons delavoir tromp. Le pome se termine sur cettemaldiction un peu trop virulente : Que la co-lre divine dvaste donc ces rgions/O nulhomme nest fidle et nulle femme, chaste.

    Le Sud cette poque est reprsent par unetradition littraire la fois lgre, mondaine, r-aliste et soucieuse dinformation. Elle imite lesmodes littraires anglaises et atteint son apogeavec des observations prcises et pleines des-prit sur les trangets du Nouveau Monde.

    Olaudah Equiano (Gustavus Vassa)(v. 1745-v. 1797)

    Pendant la priode coloniale, il y eut des cri-vains noirs importants comme Olaudah Equiano

    et Jupiter Hammon. Ibo originaire du Niger,Equiano fut le premier Noir dAmrique crireune autobiographie, La Vridique Histoire parlui-mme dOlaudah Equiano (1789), o ilvoque sa terre natale ainsi que les horreurs etatrocits conscutives sa captivit et lescla-vage dans les Antilles. Converti au christianisme,Equiano se lamente sur le traitement si peuchrtien quil a reu des chrtiens sentimentquexprimeront bien des Afro-Amricains aucours des sicles venir.

    Jupiter Hammon (v. 1720-v. 1800)Le pote noir amricain Jupiter Hammon, es-

    clave Long Island, dans lEtat de New York, estconnu pour ses pomes religieux ainsi que pourson ouvrage, An Address to the Negroes of theState of New York (1787), dans lequel il prnait lalibration des enfants desclaves, afin que cesderniers ne soient pas condamns un escla-vage hrditaire. Son pome, An EveningThought, fut le premier quait publi un hommenoir en Amrique. n

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  • L a guerre dIndpendance livre contre laGrande-Bretagne (1775-1783) fut la pre-mire guerre de libration mene contreune puissance coloniale. A lpoque, ce triompheparut tre un signe divin marquant lAmrique etson peuple pour une destine dexception. Lavictoire militaire attisa les espoirs nationalistesdune littrature nouvelle. Pourtant, lexcep-tion dcrits politiques de premier plan, peuduvres dignes dintrt furent publies cette priode ou peu aprs.

    Les critiques anglais fustigeaient les ouvragesamricains. Les Amricains ntaient que tropconscients de leur dpendance lgard des mo-dles littraires de leur ancienne patrie, aussi laqute dune littrature nationale prit-elle untour obsessionnel. Comme lcrivait le rdacteuren chef dune revue vers 1816 : La dpendanceest un tat dgradant, lourd de disgrce, et d-pendre dun esprit tranger pour ce que nouspourrions nous-mmes produire, cest ajouter lecrime de lindolence la faiblesse de la btise.

    A linverse des rvolutions militaires, les rvo-lutions culturelles ne sauraient tre imposes ;elles naissent du terreau de lexprience parta-ge. Elles sont lexpression du cur du peuple ;elles se font peu peu, partir de nouvelles sen-sibilits et des trsors de lexprience. Cin-quante ans dhistoire accumule seraient nces-

    saires pour que lAmrique conquire son ind-pendance culturelle et engendre sa premiregrande gnration dcrivains : Washington Ir-ving, James Fenimore Cooper, Ralph WaldoEmerson, Henry David Thoreau, Herman Mel-ville, Nathaniel Hawthorne, Edgar Allan Poe, WaltWhitman et Emily Dickinson. La conqute decette indpendance littraire fut ralentie parune longue identification lAngleterre, une imi-tation excessive des modles classiques, enfinune situation conomique et politique peu favo-rable ldition.

    En dpit de leur patriotisme, les crivains delIndpendance restaient prisonniers dun cer-tain malaise et ne parvinrent jamais trouver ra-cine dans leurs sensibilits amricaines. Ns an-glais, ils ltaient encore en atteignant lge mr ;ils avaient adopt les modes de pense, les habi-tudes vestimentaires et les comportements de lamtropole. Leurs parents et grands-parentstaient anglais (ou europens), ainsi que tousleurs amis. Enfin, un retard littraire qui les s-parait des Anglais accentuait encore le rflexedimitation. Cinquante ans aprs lapoge de leurrputation en Angleterre, les auteurs noclassi-ques comme Joseph Addison, Richard Steele,Jonathan Swift, Alexander Pope, Oliver Gold-smith ou Samuel Johnson taient encore ardem-ment imits dans le Nouveau Monde.

    Et puis, le travail passionnant qutait ldifica-tion dune nation neuve attirait les hommes detalent vers la politique, le droit et la diplomatie.Ils y rcoltaient honneur, gloire et scurit finan-cire, alors qucrire ne rapportait gure. Dsor-mais coups de lAngleterre, les premiers cri-vains amricains se retrouvaient sans diteursmodernes, sans public et sans protection lgale.Laide ditoriale, la distribution et la publicittaient rudimentaires.

    Jusquen 1825, la plupart des crivainspayaient les imprimeurs pour faire publier leuruvre. Seuls les individus jouissant de loisirs etdune large aisance, comme Washington Irving et

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    CHAPITRE

    2LES ORIGINES

    DEMOCRATIQUES ET LESECRIVAINS DE

    LINDEPENDANCE1776-1820

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    le groupe Knickerbocker de NewYork, ou les potes du Connecticutquon appelait les beaux esprits deHartford, pouvaient donc donner li-bre cours leur dsir dcrire. Uneexception : Benjamin Franklin. Bienque n dans une famille pauvre, iltait imprimeuret pouvait donc pu-blier ses propres crits.

    Charles Brockden Brown taitplus conforme au modle. Auteurde plusieurs romans gothiquesintressants, il fut le premiercrivain amricain tenter de vivrede sa plume, mais il termina sacourte existence dans la misre.

    Un autre problme tait lab-sence de public. Les rares Amri-cains cultivs voulaient lire descrivains europens connus, enpartie cause du respect exagrque la jeune nation portait ses an-ciens matres. Compte tenu de lamdiocre qualit de la productionlittraire amricaine, une telle pr-frence ntait pas totalement sansfondement, mais elle privait les au-teurs amricains de public.

    Linexistence de lois efficacessur les droits dauteur tait peut-tre la principale cause de la sta-gnation littraire. Les imprimeursqui pirataient les ouvrages anglais succs navaient pas envie da-cheter des textes inconnus un au-teur amricain. La rimpressionsans autorisation de livres tran-gers tait considre, au dbut,comme un service rendre aux co-lonies, en mme temps quunesource de bnfices pour des im-primeurs comme Franklin qui pro-duisaient les uvres classiques et

    les grands ouvrages europens.Tous les imprimeurs amricains

    agissaient de mme. On citelexemple de Matthew Carey, un im-portant diteur, qui payait un agent Londres une sorte despion lit-traire pour quil lui envoie deslots de bonnes feuilles ou mmedpreuves bord de navires rapi-des qui faisaient la traverse en unmois. Ses hommes en prenaient li-vraison ds larrive du navire etdistribuaient la tche des impri-meurs qui travaillaient par quipes.Ainsi, un livre pouvait tre repro-duit en un seul jour et mis en placedans les librairies presque aussivite quen Angleterre.

    Les ditions importes lgale-ment taient plus chres et ne pou-vaient donc concurrencer les livrespirats, aussi les auteurs trangerstels que Walter Scott ou CharlesDickens taient-ils lss commeles auteurs amricains. Mais lespremiers avaient au moins uncontrat avec leur diteur en Angle-terre et ils avaient dj une rputa-tion. Un James Fenimore Cooperdevait non seulement se contenterdune rmunration insuffisante,mais il lui fallait encore supporterque ses ouvrages soient pirats sa barbe. Quatre imprimeurs diff-rents semparrent de son premiersuccs, LEspion (1821), dans lemois qui suivit sa parution.

    Paradoxalement, la loi de 1790autorisant le piratage littraire,tait dinspiration nationaliste.uvre du grand lexicographe NoahWebster, futur auteur du clbredictionnaire amricain, elle prot-

    NOAH WEBSTER

    Gravure The BettmannArchive

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    geait uniquement les auteurs amricains, lidetant que les Anglais pouvaient se dfendre toutseuls. Si nuisible que ft la loi, aucun des pre-miers diteurs ne souhaitait la voir changer, carils en tiraient grand profit. Le piratage contribua affamer la premire gnration dcrivainsamricains de sorte que la gnration suivanteproduisit encore moins duvres de qualit.Lapoge du piratage, 1815, correspond untiage dans la littrature amricaine. Nan-moins, au cours des cinquante premires an-nes aprs lIndpendance, labondance de li-vres trangers bon march contribua former lepublic ainsi que les premiers grands crivains,qui commenrent simposer vers 1825.

    LAGE DES LUMIERES EN AMERIQUE

    Ce mouvement fut marqu par laprsance de la raison sur la tradition, dela recherche scientifique sur les dogmesreligieux et du gouvernement reprsentatif surla monarchie. Les penseurs et les crivainscroyaient aux idaux de justice, de libert etdgalit tenus pour des droits naturels.

    Benjamin Franklin (1706-1790)Celui que le philosophe cossais David Hume

    nommait le premier grand homme de lettres de lAmrique incarnait lidal rationnel du Si-cle des lumires. A la fois pragmatique et ida-liste, travailleur acharn dont les entreprisesconnurent le plus grand succs, BenjaminFranklin raconta les dbuts de sa vie dans saclbre Autobiographie. Ecrivain, imprimeur,diteur, savant, philanthrope et diplomate, il futle personnage le plus clbre et le plus respectde son temps. Ce dmocrate n pauvre dans unge aristocratique que son exemple contribua libraliser fut le premier grand self-made-mande lAmrique.

    Immigrant de la deuxime gnration, Ben-jamin Franklin avait pour pre un puritain, fabri-cant de chandelles, qui avait quitt lAngleterre

    en 1683 pour sinstaller Boston. La vie deFranklin illustre de bien des manires limpactdes Lumires sur un individu dou. Autodidacte,il avait lu Locke, lord Shaftesbury, Addison etdautres contemporains ; il avait appris deux mener sa vie conformment la raison et rompre avec la tradition en particulier avec lavieille tradition puritaine chaque fois quellemenaait dtouffer son idal.

    Tout jeune, Benjamin Franklin avait appris plu-sieurs langues, avait beaucoup lu et staitexerc crire. Lorsquil quitta Boston pourPhiladelphie, en Pennsylvanie, son bagage intel-lectuel tait celui des couches sociales sup-rieures. Mais il avait aussi les vertus puritainesdu travail soign, de lauto-examen minutieux etdu dsir de samliorer. Grce ces qualits, ilaccda progressivement la richesse, la res-pectabilit et aux honneurs. Jamais goste, il es-saya toujours daider les autres russir en in-augurant un genre bien amricain, le manueldauto-apprentissage.

    Le succs pendant de nombreuses annes deson Almanach du Bonhomme Richard, lanc en1732, fit de lui un homme prospre et clbredans toutes les colonies. Dans cet ouvrage an-nuel, qui contenait toutes sortes de conseils etdinformations utiles, des personnages dis-trayants, comme le vieux pre Abraham ou lebonhomme Richard, exhortaient le lecteur entermes piquants et mmorables. Dans Le che-min de la richesse, publi dabord dans lAlma-nach, le pre Abraham respectable vieillard auxlongues mches blanches, cite abondammentle Bonhomme Richard. Le sage se contentedun seul mot, dit-il. Dieu aide ceux qui sai-dent eux-mmes. Tt couch, tt lev, te don-nera sagesse, sant et prosprit. Richard estun fin psychologue (lindustrie paie les dettesque le dsespoir augmente) qui conseille tou-jours de travailler ( la diligence est mre de lachance). Ne soyez pas paresseux, ajoute-t-ilcar un aujourdhui vaut bien deux demains. Il

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    BENJAMIN FRANKLIN

    Tableau. Avec lautorisation de la Bibliothque du Congrs

  • avait le gnie de la formule qui condense unprincipe moral : avec ce quon dpense pour unvice, on lverait deux enfants ; une petiteavarie fera couler un grand navire ; les sots or-ganisent les banquets o festoient les sages .

    L Autobiographie est aussi, en partie, un livredauto-apprentissage crit pour son fils. La sec-tion la plus connue de ce rcit dcrit son pro-gramme scientifique damlioration person-nelle. Une liste de treize vertus : temprance,silence, ordre, dtermination, frugalit, indus-trie, sincrit, justice, modration, propret,tranquillit, chastet et humilit, saccompagnepour chacune dune maxime. Pour la temp-rance, il est dit : Ne mange pas jusqu la som-nolence. Ne bois pas jusqu la griserie.

    Pour acqurir de bonnes habitudes, il avait in-vent un calendrier perptuel dans lequel il cul-tivait chaque semaine une vertu, notant dunpoint noir chacun de ses manques. Sa thorieprfigure le behaviorisme, tandis que son sys-tme de notation prsage la modification mo-derne du comportement. Ce projet de travail sursoi mle la croyance des Lumires en la perfec-tibilit humaine la pratique puritaine de lexa-men de conscience.

    Trs jeune, Benjamin Franklin comprit quelcriture serait le meilleur moyen de rpandreses ides, aussi perfectionna-t-il sa prose sou-ple, non pour le principe mais pour se forger unoutil. Ecris comme les savants, disait-il, etparle comme le vulgaire. Il se conforma auconseil donn par la Royal Society en 1667recommandant une manire de parler natu-relle, sans fioritures.

    Malgr sa rputation et sa richesse, Franklinne perdit jamais sa sensibilit de dmocrate. Iljoua un rle important la Convention de 1787 aucours de laquelle fut rdige la Constitution desEtats-Unis. A la fin de sa vie, il prsidait une as-sociation contre lesclavage et lune de ses der-nires entreprises fut de promouvoir lenseigne-ment public universel.

    Hector St. John de Crvecur (1735-1813)Autre figure des Lumires, lauteur des Lettres

    dun cultivateur amricain (1782) fit aux Euro-pens une description passionne des perspec-tives de paix, de richesse et de dignit quoffraitlAmrique. Ni amricain, ni cultivateur, cet aris-tocrate franais qui possdait une plantation auxenvirons de New York avant lIndpendance fitun loge enthousiaste des colonies pour leur in-dustrie, leur tolrance et leur prosprit crois-sante. Dans ses douze Lettres, il fait de lAmri-que un paradis agraire vision qui devaitinspirer Jefferson, Emerson et bien dautrescrivains jusqu nos jours.

    Crvecur fut le premier Europen qui sutcrer une vision cohrente de lAmrique et dunouveau type dhomme quelle faonnait. Cestlui qui, le premier, exploita limage du creusetamricain :

    Quest-ce donc que lAmricain, cet hommenouveau? Europen ou descendant dEuro-pen, il prsente un trange mlange dori-gines que vous ne trouverez dans aucun autrepays. Je puis vous indiquer une famille o legrand-pre tait anglais et sa femme nerlan-daise ; leur fils avait pous une Franaise etles quatre petits-fils sont maintenant maris des femmes venues de nations diffrentesIci, les individus de toutes origines se fondenten une nouvelle race dhommes dont les tra-vaux et la postrit changeront un jour lemonde.

    LE PAMPHLET POLITIQUEThomas Paine (1737-1809)

    Le pamphlet, genre le plus pris des auteurspolitiques de lpoque, traduit la passion de lalittrature rvolutionnaire amricaine. Il enparut plus de deux mille au cours de la priode.Menaants pour les loyalistes, ils enflammaientles patriotes ; ils tenaient lieu de thtre, car deslectures publiques taient souvent organises

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    pour chauffer les esprits. Les sol-dats les lisaient dans les camps ;quant aux loyalistes, ils en faisaientdes autodafs.

    Le pamphlet de ThomasPaine, Le Sens commun, sevendit plus de 100000 ex-emplaires en trois mois. Au-jourdhui, encore, il nous exalte.La cause de lAmrique est, dansune large mesure, la cause de lhu-manit entire, crivait Paine, ex-primant lide dune exceptionamricaine encore forte aux Etats-Unis savoir que, en raison deson exprience de la dmocratie etparce quelle est thoriquementouverte tous les immigrants,laventure de lAmrique prfigurele destin de toute lhumanit.

    Dans une dmocratie, les critspolitiques doivent tre clairs pourattirer les lecteurs. Et pour queles lecteurs fussent informs, lesfondateurs de la nation prnaientlenseignement universel. La vie lit-traire tait simple mais vigou-reuse, si lon en juge par la prolif-ration des journaux. Il sen lisaitplus en Amrique pendant la guerredIndpendance que nulle partailleurs dans le monde. Limmigra-tion commandait aussi un style sim-ple, car la clart tait indispensableau nouveau venu qui ntait sansdoute pas de langue anglaise. Lapremire version de la DclarationdIndpendance rdige par Tho-mas Jefferson est claire et logique,mais les modifications de la com-mission lont encore simplifie. Lesarticles du Fdraliste, qui soute-naient la Constitution, sont compo-

    ss darguments justes et lucides,parfaitement adapts au dbatdmocratique.

    LE NEO-CLASSICISME:EPOPEE, FAUSSE EPOPEE,SATIREMalheureusement, les crits lit-traires ntaient pas aussi sim-ples et aussi directs que les essaispolitiques. Chaque fois quils es-sayaient dcrire de la posie, laplupart des auteurs cultivs tom-baient dans le pige du noclassi-cisme lgant. Lpope, en parti-culier, exera une attraction fatale.Les patriotes littraires amri-cains taient persuads que leurguerre dIndpendance trouveraitson expression naturelle danslpope long rcit en vers destyle enlev clbrant les exploitsdun hros lgendaire.

    Beaucoup sy essayrent maisaucun ne russit. Timothy Dwight(1752-1817), lun des beaux espritsde Hartford (Hartford Wits), enest un exemple. Ce futur prsidentde luniversit Yale, avait bti sonpope, The Conquest of Canaan,sur le rcit biblique des efforts ac-complis par Josu pour entrerdans la Terre promise. Dans sonallgorie, le gnral George Wash-ington, commandant de larmeamricaine, futur premier prsi-dent des Etats-Unis, incarnait lepersonnage de Josu et emprun-tait la forme du couplet que Popeavait utilise pour traduire Ho-mre. Luvre tait aussi ambi-tieuse quennuyeuse. Les critiquesanglais lreintrent ; mme les

    THOMAS PAINE

    Portrait. Avec lautorisation dela Bibliothque du Congrs

  • amis de Dwight, comme John Trumbull (1750-1831), restrent insensibles.

    I l nest pas tonnant que le pome satiriqueait connu une bien meilleure fortune que laposie srieuse. Le genre hrocomique en-couragea les potes amricains choisir unetonalit plus naturelle qui leur faisait viter lebourbier des sentiments patriotiques et leurchapelet dpithtes prtentieuses et attenduesainsi que les conventions potiques insipides,empruntes Homre et Virgile par le biais despotes anglais.

    Dans le joyeux MFingal (1776-1782) de JohnTrumbull, les motions stylises et les tournuresde phrase conventionnelles alimentent la satiretandis que lloquence prtentieuse de lInd-pendance est elle aussi ridiculise. Inspir delHudibras de lcrivain anglais Samuel Butler, lepome tourne en drision MFingal, un tory. Leton est souvent piquant, par exemple lorsquilest dit du criminel condamn la pendaison :

    Lhomme qui lon passe la corde au couA bien pitre opinion de la justice.

    MFingal fut rdit une trentaine de fois, r-imprim pendant un demi-sicle et connut lesuccs des deux cts de lAtlantique. La satireplaisait au public parce quelle renfermait unecritique sociale et que les sujets politiques etsociaux avaient la faveur du temps. La premirecomdie amricaine prsente sur scne, TheContrast, produite en 1787 par Royall Tyler (1757-1826), campe avec humour le colonel Manly, offi-cier amricain, face un certain Dimple qui imiteles manires anglaises. Naturellement, Dimpleest tourn en ridicule. En outre, la pice met enscne le premier personnage yankee, Jonathan.

    Autre uvre satirique, le roman ModernChivalry, publi en feuilleton de 1792 1815 parHugh Henry Brackenridge, raille de faon m-morable les excs de lpoque. Cet immigrantcossais (1748-1815), enfant de la Frontire, tira

    de Don Quichotte linspiration de son normeroman picaresque qui raconte les msaventuresde Farrago et de son valet, Teague ORegan,brute stupide mais irrsistiblement humaine.

    LE POETE DE LINDEPENDANCEAMERICAINEPhilip Freneau (1752-1832)

    Ce pote sut assimiler les premiers frmisse-ments du romantisme europen et chapper limitation et luniversalit vague des beaux es-prits de Hartford. La clef de sa russite, commede son chec, fut un esprit passionnment prisde dmocratie alli un caractre inflexible.

    Les Hartford Wits, tous de bons patriotes,taient fidles au conservatisme culturel desclasses aises. Freneau lutta contre ce reste desvieilles attitudes tories, dnonant les critsdune faction aristocratique sise Hartford, enfaveur de la monarchie et des titres. Lui-mmeavait reu une bonne instruction et connaissaitses classiques aussi bien que nimporte quel belesprit de Hartford, mais il pousa les ides lib-rales et dmocratiques.

    Ce descendant de huguenots se battit pendantla guerre dIndpendance et fut fait prisonnieren 1780. Il fut emprisonn sur les pontons an-glais o il faillit mourir avant que sa famille neparvnt le faire relcher. Son pome TheBritish Prison Ship condamne violemment lesbrutalits des Anglais. Ce pome et dautres telsque Eutaw Springs, American Liberty, APolitical Litany, A Midnight Consultation etGeorge the Thirds Soliloquy lui apportrentla clbrit en le consacrant pote de lInd-pendance amricaine.

    Au cours de sa vie, Philip Freneau fut rdac-teur en chef de plusieurs revues, toujours atten-tif la cause de la dmocratie. En 1791, ThomasJefferson laida fonder la National Gazette,journal militant antifdraliste ; cest ainsi quildevint le premier grand journaliste dopinion enAmrique, en mme temps que le prdcesseur

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    littraire de William Cullen Bryant,William Lloyd Garrison etH.L. Mencken.

    Pote et journaliste, Freneauresta fidle lidal dmocratique.Ses pomes, publis dans les jour-naux destins au grand public, cl-braient toujours des sujets amri-cains. The Virtue of Tobacco louait cette plante indigne, pilierde lconomie du Sud, tandis queThe Jug of Rum clbre lalcooldes Antilles, denre essentielle ducommerce de lAmrique ses d-buts et grand produit dexportationdu Nouveau Monde.

    Ces premires annes virentaussi slaborer les fondements defutures uvres littraires. Le na-tionalisme inspira des uvres dansbien des domaines, engendrant unnouveau regard sur la spcificitamricaine. Noah Webster (1758-1843) publia son American Dic-tionary ainsi quun manuel scolairede lecture et dorthographe. SonSpelling Book se vendit plus de100 millions dexemplaires. Mis jour, les dictionnaires Webster ser-vent toujours de rfrence au-jourdhui. L American Geography,de Jedidiah Morse, autre uvre im-portante, contribua diffuser lesconnaissances du continent amri-cain. Certains des crits les plusintressants de lpoque, non litt-raires, sont les rcits dexplora-teurs comme Meriwether Lewis(1774-1809) et Zebulon Pike (1779-1813) relatant leurs expditionsdans le territoire de la Louisiane,cette vaste partie du continentnord-amricain que Thomas Jeffer-

    son acheta Napolon en 1803.

    LES ROMANCIERS

    Les premiers crivains large-ment reconnus aujourdhui,Charles Brockden Brown,Washington Irving et James Feni-more Cooper voquaient des su-jets amricains, de vastes perspec-tives historiques, des thmes lisau changement et empreints denostalgie. Ils pratiqurent de nom-breux genres en prose, crrent denouvelles formes et dcouvrirentde nouvelles manires de vivre deleur plume. Avec eux, la littratureamricaine simposa peu peu auxEtats-Unis et ltranger.

    Charles Brockden Brown(1771-1810)

    Dj mentionn au titre de pre-mier crivain de profession, il sin-spira des auteurs anglais, Mrs. Rad-cliffe et William Godwin. (Lapremire tait connue pour ses ro-mans gothiques terrifiants, tan-dis que le second, romancier et r-formateur, tait le pre de MaryShelley, lauteur de Frankenstein,marie au pote Percy ByssheShelley.)

    Pouss par la ncessit, Browncrivit la hte quatre romans ob-sdants en deux ans : Wieland(1798), Arthur Mervyn (1799), Or-mond (1799) et Edgar Huntley(1799). Il devint ainsi le crateur du gothique amricain , exploitantun genre fort populaire lpoque,associant dcors exotiques etsauvages, dimension psychologiqueinquitante et beaucoup de sus-

    AuXVIIIe sicle, enAmrique, lesLumires taientun mouvementmarqu par laprsance de laraison sur latradition, de larecherchescientifique sur lesdogmes religieuxet dugouvernementreprsentatif sur lamonarchie. Lespenseurs et lescrivains croyaientaux idaux dejustice, de libertet dgalit,considrs commedes droits naturels.

  • pense. Chteaux ou abbayes en ruines, fant-mes, secrets, mystrieux, personnages mena-ants et jeunes filles solitaires, sauves par leurintelligence et leur force dme. Les plus russisde ces romans offrent outre un extraordinairesuspense et une note de magie, une explorationaigu de lme humaine. Les critiques pensentque la sensibilit gothique de Charles Brock-den Brown est lexpression des profondes in-quitudes suscites par linsuffisance des insti-tutions sociales de la jeune nation.

    Les dcors de Brown sont incontestablementamricains. Homme de conviction, il sut donnerune couleur dramatique des thories scientifi-ques, dvelopper une thorie personnelle du ro-man et, malgr sa pauvret, se faire le championde critres littraires levs. Avec ses dfauts,son uvre nen possde pas moins une sombrepuissance. Il apparat de plus en plus comme leprcurseur dcrivains romantiques tels que Ed-gar Allan Poe, Herman Melville et Nathaniel Haw-thorne. Son uvre exprime les craintes subcon-scientes que la priode des Lumires refoulaitsous un optimisme de faade.

    Washington Irving (1789-1859)Dernier n des onze enfants dune famille pro-

    spre de ngociants new-yorkais, WashingtonIrving devint, linstar de Benjamin Franklin etde Nathaniel Hawthorne, ambassadeur culturelet diplomatique en Europe. En dpit de son ta-lent, il naurait sans doute jamais embrass lacarrire dcrivain tant donn les maigres ren-tres financires quimpliquait cette activit, siune srie dincidents fortuits ne lavaient paslanc dans le mtier. Grce des amis, il russit faire publier son Sketch Book (1819-1820) si-multanment en Angleterre et en Amrique, et obtenir un copyright et une rmunration dansles deux pays.

    Le Sketch Book of Geoffrey Crayon (son pseu-donyme) renferme deux de ses nouvelles qui onteu le plus de succs, Rip Van Winkle et La l-

    gende de la valle somnifre. Le mot sketch(esquisse) dfinit bien le style dlicat, lgantet cependant lger dIrving et le mot crayonvoque son talent de coloriste ou de crateurdune riche palette de nuances et de sentiments.Il transforme les Catskill, montagnes qui bordentlHudson au nord de la ville de New York, en paysfabuleux et magique.

    Les lecteurs amricains adoptrent avec gra-titude lhistoire des Catskill imagine par Ir-ving, mme sil sagissait ce quils ignoraient dune adaptation partir de sources allemandes.Il donna lAmrique quelque chose qui lui man-quait cruellement au cours de ces premiresannes frustes et matrialistes : une manireimage de tisser des liens avec cette terrenouvelle.

    Nul na su mieux que Washington Irving huma-niser la terre, lui donner un nom, un visage etdes lgendes. Lhistoire de Rip Van Winkle,qui resta vingt ans plong dans le sommeil pourdcouvrir son rveil que les colonies avaientconquis leur indpendance, finit par faire partiedu folklore. On ladapta pour la scne, elle sefondit dans la tradition orale et finit par devenirpour les gnrations suivantes une authentiquelgende amricaine.

    Irving sut dcouvrir et satisfaire le got pourlhistoire de la jeune nation en formation. Onpeut voir dans ses nombreuses uvres ses ef-forts assidus pour forger lme de la nouvelle na-tion en recrant lhistoire et en lui insufflant lavie et limagination. Il choisit pour thmes les as-pects les plus marquants de lhistoire amri-caine : la dcouverte du Nouveau Monde, le h-ros national que fut le premier prsident etlexploration de lOuest. Sa premire uvre futune History of New York (1809) sous la domina-tion des Pays-Bas, satire blouissante prtendu-ment crite par un certain DiedrichKnickerbocker (qui donna son nom aux amiscrivains dIrving, connus sous le nom de Knick-erbocker School).

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  • James Fenimore Cooper(1789-1851)

    Comme Irving, James FenimoreCooper sut voquer le pass. Chezlui, on retrouve le mythe puissantde lge dor et le regret poignantde sa perte. Tandis quIrving etdautres avant et aprs lui parcou-raient lEurope en qute de ses l-gendes, de ses chteaux et de sesgrands thmes, Cooper sut saisir lemythe premier de lAmrique : ellechappait au temps comme sesgrands espaces. Lhistoire delAmrique empitait sur lter-nit ; lhistoire europenne enAmrique consistait rejouer lachute de lhomme chass du para-dis. Le domaine cyclique de la na-ture ntait peru quau momentmme de sa destruction ; les ten-dues sauvages disparaissaient,svanouissant comme un miragedevant la rue des pionniers. Telleest la vision fondamentalement tra-gique quavait Cooper de la des-truction paradoxale des grands es-paces, ce nouvel Eden qui avaitattir les premiers colons.

    Grce son exprience person-nelle, Cooper sut voquer avecforce la transformation de la natureinviole et bien dautres sujets telsla mer ou le choc entre peuples decivilisations diffrentes. N dansune famille quaker, il passa son en-fance dans le domaine de son pre Otsego Lake (devenu Coopers-town) dans le centre de lEtat deNew York. La rgion, relativementpaisible pendant lenfance de Coo-per, avait toutefois connu un mas-sacre dIndiens. Le jeune Cooper

    passa sa jeunesse dans un milieuquasi fodal. Son pre, le juge Coo-per, tait propritaire terrien etnotable. Enfant, Otsego Lake, ilctoya souvent des hommes de laFrontire et des Indiens.

    Natty Bumppo, le clbre hroslittraire de Cooper, incarne sa vi-sion jeffersonienne de lhomme dela Frontire considr comme unaristocrate naturel. Au dbut de1823, dans Les Pionniers, lauteurrencontre son personnage. Nattyest le premier homme de la Fron-tire accder la clbrit dansla littrature amricaine et le pr-curseur dinnombrables cow-boyset hros de la Fort. Cest lindivi-dualiste idalis, dune parfaitedroiture, meilleur que la socitquil protge. Pauvre et seul, maispur, il est la pierre de touche desvaleurs thiques et prfigure leBilly Budd de Melville et le HuckFinn de Mark Twain.

    Inspir en partie de la vie dupionnier Daniel Boone quakercomme Cooper Natty Bumppo,remarquable homme des boiscomme son modle, est un hommepacifique qui a t adopt par unetribu indienne. Boone et Bumppoadorent la nature et la libert. Ilsvont toujours vers louest pourchapper aux nouveaux colonsquils ont guids dans ce pays in-connu o ils sont devenus des l-gendes vivantes. En outre, Natty estchaste, de caractre lev et pro-fondment religieux : il est le che-valier chrtien des romans mdi-vaux transpos dans la fort viergeet le sol rocheux de lAmrique.

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    JAMES FENIMORECOOPER

    Photo. Avec laimableautorisation de la Bibliothque

    du Congrs

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    Le fil qui unit les cinq rcitsconnus sous le nom de Roman deBas-de-Cuir est la vie de NattyBumppo. uvre la plus russie deCooper, ils constituent une vastepope en prose qui a pour dcorle continent nord-amricain, pourpersonnages les tribus indiennes,et pour contexte social les guerreset la migration vers louest. Ces ro-mans font revivre la vie de la Fron-tire de 1740 1804.

    Cooper y dcrit les vagues suc-cessives de colons : les contrespeuples lorigine dIndiens ; lar-rive des premiers Blancs, clai-reurs, soldats, marchands et hom-mes de la Frontire suivis despremiers colons, hommes pauvreset rudes, et de leurs familles ; enfinla bourgeoisie et les premiresprofessions librales le juge, lemdecin et le banquier. Chaque va-gue nouvelle repousse la prc-dente : les Blancs repoussent lesIndiens qui se replient vers louest ;les classes moyennes civilisesqui ont bti coles, glises et pri-sons dplacent plus louest lespremiers colons qui refoulent leur tour les Indiens arrivs avanteux. Cooper voque cette succes-sion interminable de nouveaux ve-nus et en peroit les avantagescomme les inconvnients.

    Ses romans rvlent une tensiontrs forte entre lindividu solitaireet la socit, la nature et la culture,la spiritualit et la religion tablie.Chez lui, le monde naturel et lIn-dien sont essentiellement bons comme le sont les sphres haute-ment civilises o voluent ses

    personnages les plus cultivs. Lespersonnages intermdiaires sontsouvent suspects, surtout les pau-vres colons blancs, avides, trop in-cultes ou trop frustes pour appr-cier la nature ou la culture. Alinstar dautres observateurs sen-sibles de linteraction de civilisa-tions trs diverses, comme Kipling,E.M. Forster, Herman Melville,Cooper tait un adepte du relati-visme culturel. Il savait quaucunecivilisation na le monopole de lavertu ou du raffinement.

    Il acceptait la vie en Amriquecontrairement Irving qui traitaitlAmricain comme aurait pu lefaire un Europen en adaptantles lgendes, la civilisation et lhis-toire de lAncien Monde. Cooperalla plus loin. Il cra un dcor, despersonnages et des thmes indubi-tablement amricains. Il fut le pre-mier faire retentir la note tragi-que qui ne devait plus disparatredu roman amricain.

    LES FEMMESET LES MINORITES

    Alors que la priode colo-niale avait suscit lclo-sion de plusieurs talentsfminins remarquables, lre delIndpendance ne favorisa pas lacration des femmes, ni celle desminorits, malgr le nombre dco-les, de revues, de journaux et declubs littraires qui se craientpartout. Des femmes comme AnneBradstreet, Anne Hutchinson, AnnCotton et Sarah Kemble Knightexercrent une influence socialeet littraire considrable, en dpit

    PHILLIS WHEATLEY

    Gravure The BettmannArchive

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    des conditions de vie rudes et des dangers ; des18 femmes qui partirent pour lAmrique borddu Mayflower en 1620, seules quatre survcurent la premire anne. Lorsque chaque personnevalide comptait et que les circonstances taientmouvantes, le talent pouvait sexprimer. Mais, mesure que les institutions culturelles pre-naient forme dans la jeune nation, les femmes etles minorits en furent peu peu exclues.

    Phillis Wheatley (v. 1753-1784)Etant donn les difficults de lexistence dans

    lAmrique des dbuts, il est paradoxal que cer-tains des meilleurs pomes de la priode aientt crits par une esclave exceptionnelle. Pre-mier crivain afro-amricain dimportance auxEtats-Unis, Phillis Wheatley tait ne en Afriqueet fut amene Boston vers lge de sept ans. Untailleur pieux et ais, John Wheatley, lachetapour tenir compagnie sa femme. Tous deuxconstatrent vite lintelligence remarquable dela fillette et, avec laide de leur fille Mary, Phillisapprit lire et crire.

    Les thmes de sa posie sont religieux et sonstyle noclassique. Parmi ses pomes les plusconnus, citons To S.M., a Young African Painter,on Seeing His Works, hommage un autre Noirde talent, ainsi quun court pome o elle faitmontre de sa forte sensibilit religieuse, passepar le crible de sa conversion au christianisme.Lexpression de ce pome est sincre ; il af-fronte le racisme des Blancs et affirme lgalitspirituelle. De fait, Phyllis Wheatley fut la pre-mire traiter de ces questions avec assurancedans ses vers, comme dans On Being Broughtfrom Africa to America :

    La Providence mamena ici de ma terre paenne,

    Apprit mon me entnbre comprendreQuil y a un Dieu et quil y a un Sauveur ;Il fut un temps o je ne cherchais ni ne

    connaissais la rdemption.

    Certains tiennent dans le mpris notresombre race,

    Leur couleur ne peut venir que du dmon.Rappelez-vous, chrtiens : les Noirs, aussi

    noirs que Can,Peuvent slever et rejoindre le cortge des

    anges.

    Autres femmes crivainsNombre dentre elles ont t redcouvertes

    par les chercheurs fministes. Susanna Rowson(v. 1762-1824) fut lune des premires romanci-res professionnelles dAmrique. Au nombre deses sept romans figure le grand succs du romande sduction, Charlotte Temple (1791). Lauteurtraite de sujets fministes et abolitionnistes, etdonne des Indiens une image pleine de respect.

    Autre romancire bien oublie, HannahFoster (1758-1840), dont le grand succsde librairie, The Coquette (1797), a pourhrone une jeune femme dchire entre vertuet tentation. Repousse par celui quelle aime,un homme dEglise au cur sec, elle est sduite,abandonne, met un enfant au monde et meurtdans la solitude.

    Judith Sargent Murray (1751-1820) publia sousun pseudonyme masculin afin de susciter un in-trt srieux pour ses uvres. Mercy Otis War-ren (1728-1814) tait pote, historienne, drama-turge, satiriste et patriote. Elle organisait chezelle des runions prrvolutionnaires, brocar-dait les Britanniques dans ses pices pleines deverve et crivit la seule histoire contemporainervolutionnaire de la guerre dIndpendance.

    La correspondance en gnral et les lettreschanges entre des femmes comme Mercy OtisWarren et Abigail Adams constituent dimpor-tants documents pour la priode. En 1776, parexemple, Abigail Adams crivait son mari JohnAdams (futur deuxime prsident des Etats-Unis) pour lui recommander de garantir lind-pendance des femmes dans la future Constitu-tion des Etats-Unis. n

  • L e mouvement romantique prit naissanceen Allemagne, mais il se rpandit rapide-ment en Angleterre, en France et au-del, atteignant lAmrique vers 1820, une ving-taine dannes aprs que William Wordsworth etSamuel Taylor Coleridge eurent rvolutionn laposie anglaise avec la publication des LyricalBallads. En Amrique comme en Europe, cettenouvelle vision du monde lectrisait les milieuxartistiques et intellectuels. Pourtant, il y avaitune diffrence de taille : en Amrique, le roman-tisme concida avec une priode dexpansion na-tionale et avec la dcouverte dune voix amri-caine distincte. La consolidation dune identitnationale en mme temps que lidalisme et lapassion du romantisme ont t le terreau sur le-quel se sont panouis les chefs-duvre de laRenaissance amricaine.

    Les ides romantiques sinspiraient surtoutde lart, de la dimension spirituelle et esthtiquede la nature et de mtaphores de croissance or-ganique. Ctait lart et non la science, pensaientles romantiques, qui exprimait le mieux la vrituniverselle. Ils soulignaient limportance decette expression pour lindividu et pour la so-cit. Dans un essai intitul The Poet (1844),Ralph Waldo Emerson, sans doute le plus in-fluent des crivains de son temps, affirme:

    Car tous les hommes vivent de la vrit et ontbesoin de sexprimer. Quil sagisse damour,

    dart, davarice, de politique, de travail ou dejeux, nous tchons de profrer notre pniblesecret. Lhomme nest que la moiti de sontre, lautre moiti tant ce quil exprime.

    Le dveloppement de ltre tait devenu unthme essentiel ; la conscience de soi, la m-thode premire. Si, comme le veut la thorie ro-mantique, ltre et la nature ne font quun, loindtre une impasse o se fourvoie lgosme, laconscience de soi constitue un mode de connais-sance qui souvre sur lunivers. Si le moi et lhu-manit ne font quun, alors lindividu a le devoirmoral de rformer les ingalits sociales et desoulager la souffrance humaine. De nouveauxtermes associs des sens positifs apparurent :ralisation de soi, expression de ltre profond,indpendance.

    Tandis que le concept du moi subjectif prenaitde limportance, on commenait explorer leroyaume de la psychologie. On mettait au pointdes effets artistiques et des techniques excep-tionnelles pour voquer lintensit des tats psy-chologiques. Le sublime, cette impression debeaut accomplie dans la grandeur engendraitdes sentiments de crainte rvrentielle, dim-mensit et de puissance.

    Le romantisme convenait parfaitement laplupart des potes et des essayistes amricains.Les montagnes majestueuses, les dserts et lestropiques incarnaient le sublime. Lesprit roman-tique cadrait bien avec la dmocratie amri-caine ; il mettait lindividualisme en relief, affir-mait la valeur de lhomme ordinaire et setournait vers linspiration pour ses valeurs es-thtiques et thiques. Le mouvement romanti-que inspira un nouvel optimisme aux transcen-dantalistes amricains : Ralph Waldo Emerson,Henry David Thoreau et leurs pairs.

    LE TRANSCENDANTALISMELe mouvement transcendantaliste naquit en r-action contre le rationalisme du XVIIIe sicle et

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    CHAPITRE

    3LA PERIODE ROMANTIQUE

    1820-1860 :ESSAYISTES ET POETES

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    rvla la tendance humanitaire dela pense du XIXe sicle. Il se fon-dait sur une croyance fondamen-tale en lunit du monde et deDieu. Lme de chacun est identi-que celle du monde. La doctrinede lindpendance et de lindivi-dualisme se dveloppa sur la foi enlunit de lme humaine avec Dieu.

    Le transcendantalisme tait li Concord, petite bourgade situe 32 km louest de Boston. Concordavait t la premire communautfonde lintrieur des terres parla colonie de la Baie du Massachu-setts. Entoure de forts, elle taitet demeure une ville paisible, suffi-samment proche des librairies etdes universits de Boston pourjouir dune excellente culture,mais assez loigne pour restersereine. Ce fut le site du premieraccrochage de la guerre dInd-pendance. Un pome de RalphWaldo Emerson rappelle le souve-nir de la bataille, Concord Hymn,qui renferme lune des plus cl-bres strophes douverture de la lit-trature amricaine :

    Prs du pont grossiersurplombant le flot cumant,

    Leur drapeau se dployait dansla brise davril.

    L, les hardis fermiers setenaient en ordre de bataille,

    L, retentit le coup de feuquentendit le monde entier.

    Concord fut la premire coloniedartistes la campagne, le pre-mier foyer qui offrit un choix spiri-tuel et culturel autre que le mat-

    rialisme amricain. On y entendaitdes conversations leves et on yvivait simplement (Emersoncomme Thoreau cultivaient leur jar-din potager). Le premier sinstalla Concord en 1834, le second y passasa vie et tous deux en taient lespiliers, mais y vinrent aussi le ro-mancier Nathaniel Hawthorne, lafministe Margaret Fuller, le pda-gogue Bronson Alcott et le poteWilliam Ellery Channing. Le Trans-cendental Club, fond en 1836,rassembla divers moments Emer-son, Thoreau, Fuller, Channing, Al-cott, Orestes Brownson (un pas-teur renomm), Theodore Parker(abolitionniste et pasteur) et biendautres.

    Ils publiaient une revue trimes-trielle, The Dial, dabord dite parMargaret Fuller, puis par Emerson.Tous se proccupaient autant derforme que de littrature. Nombredentre eux prchaient labolitionde lesclavage et certains partici-paient des communauts utopi-ques comme Brook Farm (quHaw-thorne a dcrite dans Valjoie) etFruitlands.

    A linverse de bien des groupeseuropens, les transcendantalistesne publirent jamais de manifeste.Ils insistaient sur les diffrencesentre les tres et poussaient lindi-vidualisme lextrme. Les cri-vains amricains se considraientsouvent comme des explorateurssolitaires, en marge de la socit etdes conventions. Le hros amri-cain tels le capitaine Achab deMelville, le Huck Finn de MarkTwain ou lArthur Gordon Pym dEd-

    RALPHWALDO EMERSON

    Photo. Avec lautorisation de laNational Portrait Gallery,Smithsonian Institution

  • gar Allan Poe affronte le danger, voire la mort, la recherche de la dcouverte mtaphysique deson moi. Pour lcrivain romantique, rien ntaitdonn. Les conventions sociales et littraires re-prsentaient un danger plus quun secours. Lapression en vue de dcouvrir une forme litt-raire authentique, un contenu, une voix taitnorme. Il est vident, en juger par les nom-breux chefs-duvre produits au cours des troisdcennies qui prcdrent la guerre de Sces-sion (1861-1865), que les crivains de cette pri-ode surent relever le dfi.

    Ralph Waldo Emerson (1803-1882)Figure dominante de son poque, Emerson

    avait un sentiment mystique de la mission quilstait donne. Beaucoup laccusrent de d-former le christianisme, mais il expliquait que,pour lui, tre un bon pasteur signifiait quitterlEglise. Le discours quil pronona en 1838, lafacult de thologie de Harvard, devait len ban-nir pendant trente ans. Il y accusait lEglise da-gir comme si Dieu tait mort et de sattacherau dogme en touffant lesprit.

    On a dit que sa philosophie tait contradic-toire et il est exact quil mettait tous sessoins viter de construire un systmeintellectuellement logique, car un tel systmeaurait t la ngation de sa croyance romantiqueen lintuition et la souplesse. Dans un essai inti-tul Self-Reliance, il fait remarquer que lacohrence imbcile est le spectre des petits es-prits. Et pourtant, il se montre remarquable-ment cohrent dans son appel la naissancedun individualisme amricain inspir par la na-ture. La plupart de ses grandes ides nces-sit dune nouvelle vision nationale, utilisationde lexprience personnelle, ide de lAmesuprieure cosmique et doctrine de la com-pensation sont dj apparentes dans son pre-mier ouvrage, La Nature (1836), qui dbute ainsi :

    Nous vivons dans une re rtrospective qui

    construit les spulcres de ses pres, crit desbiographies, des histoires, des critiques. Lesgnrations prcdentes voyaient Dieu face face ; nous ne le voyons que par leurs yeux.Pourquoi naurions-nous pas, nous aussi, unerelation originale avec lunivers? Pourquoi nepas avoir une posie de lintuition et non de latradition, une religion qui se rvle nous etnon leur histoire? Enfouis au sein dune sai-son de la nature dont les flots de vie nous en-tourent et nous parcourent [...] pourquoi de-vrions-nous errer parmi les ossementsdesschs du pass [] ? Le soleil brilleaussi aujourdhui. Les champs regorgent de linet de laine. Il y a des terres neuves, des hom-mes nouveaux, des penses indites. Exi-geons notre travail, nos lois, notre culte.

    Emerson avait une passion pour le gnie deMontaigne et il dit un jour Bronson Alcott quilvoulait crire, comme lui, un livre drle, remplide posie, de thologie, de choses journalires,de philosophie, danecdotes, de scories.

    La vision spirituelle dEmerson, son stylemaill daphorismes sont proprement enthou-siasmants ; lun des transcendantalistes affirmaitqu lcouter on se sentait aller au ciel sur unebalanoire. Une bonne part de ses intuitions luiviennent de son tude des religions orientales,notamment lhindouisme, le confucianisme et lesoufisme. Son pome Brahma puise dessources hindoues pour entrevoir un ordrecosmique :

    Si le tueur rouge croit avoir tuOu si la victime se croit assassine,Cest quils ignorent les voies subtilesQue je pratique pour passer et revenir.

    Le lointain, loubli me sont prochesLombre et la lumire me sont unes ;Les dieux vanouis mapparaissent ;La honte et la gloire me sont unes.

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  • Ils se trompent quand ils croientmabandonner ;

    Sils passent prs de moi, je suisles ailes ;

    Je suis celui qui doute, je suis le doute mme,

    Je suis lhymne que chantent lesbrahmanes.

    Les dieux puissants aspirent mon sjour

    Et les Sept languissent en vain,Mais toi, tendre amant du bien!Trouve-moi et tourne le dos au

    ciel.

    Publi dans le premier numrode l Atlantic Monthly (1857), cepome troubla les lecteurs peu fa-miliers de Brahma. Emerson donnace conseil lintention de seslecteurs : Dites-leur de lire Jho-vah au lieu de Brahma.

    Selon le critique britanniqueMatthew Arnold, les textes de lan-gue anglaise les plus importants duXIXe sicle furent les pomes deWilliam Wordsworth et les essaisde Ralph Waldo Emerson. Grandpote en prose, Emerson influenaune longue ligne de potes amri-cains, parmi lesquels figurent WaltWhitman, Emily Dickinson, EdwinArlington Robinson, Wallace Ste-vens, Hart Crane et Robert Frost.On pense en outre quil inspira lesphilosophies de John Dewey,George Santayana, FriedrichNietzsche et William James.

    Henry David Thoreau(1817-1862)

    Dascendance franaise et cos-

    saise, Thoreau naquit Concord oil passa son existence. N dans unefamille pauvre, comme Emerson, iltravailla pour tudier Harvard.Toute sa vie, il semploya rduireses besoins au minimum et parvint vivre avec trs peu dargent. Onpeut dire que sa vie se confonditavec sa carrire. Non-conformiste,il seffora de vivre en accord avecses principes rigoureux.

    Son chef-duvre, Walden ou laVie dans les bois (1854), est le rcitdes deux ans, deux mois et deuxjours (de 1845 1847) quil passadans une cabane, construite de sesmains, prs de Walden Pond, sur unterrain appartenant Emerson. Ilrduisit ce laps de temps un an,aussi le livre est-il construit de ma-nire voquer subtilement lasuccession des saisons.

    Avec Walden ou la Vie dans lesbois, Thoreau, qui adorait les rcitsde voyage et qui en a lui-mmecrit plusieurs, nous livre un anti-voyage qui souvre paradoxalementsur la dcouverte de soi, ce que nulouvrage amricain navait encorefait. Il sagit en fait dun guide devie selon lidal classique. Mlantposie et philosophie, ce long essaimet le lecteur au dfi de se pen-cher sur sa vie et de la vivre danslauthenticit. La construction de lacabane, dcrite en dtail, nestquune mtaphore illustrant ldifi-cation attentive de lme. Dans sonjournal, la date du 30 janvier 1852,Thoreau explique pourquoi il pr-fre vivre au mme endroit : Jaipeur de voyager ou de visiter deslieux clbres, car cela pourrait com-

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    HENRY DAVID THOREAU

    Photo The BettmannArchive

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    pltement dissiper mon esprit. La mthode de retraite et de

    concentration de Thoreau ressem-ble aux techniques de mditationasiatiques. Comme Emerson etWhitman, il avait subi linfluence dela philosophie hindoue et boud-dhiste. Son bien le plus prcieuxtait sa bibliothque douvragesasiatiques, quil partageait avecEmerson. Son style clectiquepuise chez les classiques grecs etlatins ; il est aussi limpide et aussiriche en mtaphores que celui despotes mtaphysiques anglais de lafin de la Renaissance.

    Dans Walden, non seulementThoreau met lpreuve les tho-ries du transcendantalisme mais ilfait revivre laventure collective delAmrique du XIXe sicle : la vie auxabords de la Frontire. Pour 1851,son journal offre ce texte :

    De lpoque des mnestrels celle des potes lakistes, y com-pris Chaucer, Spenser, Shakes-peare et Milton, la littrature an-glaise ne respire pas ce courantde fracheur et [...] de vie sau-vage. Cest une littrature civili-se, [...] hritire de la Grce etde Rome. Ses contres sauvagessont un bosquet, son homme li-bre, Robin des Bois. On trouvechez ces potes un vritableamour de la nature [...]. Seschroniques nous disent quelmoment ses btes sauvages ontdisparu, mais jamais quel mo-ment le sauvage en elle-mmesest teint. LAmrique tait n-cessaire et attendue.

    Walden inspira William ButlerYeats, le grand pote nationalisteirlandais, pour The Lake Isle ofInnisfree, tandis que La Dsobis-sance civile de Thoreau et sa tho-rie de la rsistance passive fondesur la ncessit morale pour lejuste de dsobir aux lois injustesinspirrent le Mahatma Gandhidans sa lutte pour lindpendancede lInde, ainsi que le combat deMartin Luther King pour les droitsciviques des Noirs amricains auXXe sicle.

    Thoreau demeure le transcen-dantaliste qui suscite le plusdintrt, du fait de sa prise deconscience cologique, de son in-dpendance et de son autosuffi-sance, de son engagement thiqueen faveur de labolitionnisme et desa thorie politique de dsobis-sance civile et de rsistance non-violente. Ses ides toujours aussineuves et son style potique incisifau service dune observation mti-culeuse gardent leur modernit.

    Walt Whitman (1819-1892)N Long Island, dans lEtat de

    New York, cet homme du peuple,menuisier ses heures, produisitune uvre novatrice, brillante, ex-primant lesprit dmocratique dupays. Ctait un autodidacte quiavait abandonn lcole lge deonze ans pour travailler. Il lui man-qua donc linstruction tradition-nelle qui faisait de la plupart desauteurs Amricains des imitateursrespectueux des Anglais. Son re-cueil, Feuilles dherbe (1855), quilrcrivit et rvisa pendant toute sa

    WALT WHITMAN

    Photo. Avec lautorisation de laBibliothque du Congrs

  • vie, contient le Chant de moi-mme, pome leplus original quait jamais crit un Amricain. Lesloges enthousiastes dEmerson et de quelquesautres pour ce volume audacieux confirmrentau pote sa vocation, mme si le livre ne connutpas un grand succs auprs du public.

    Cette uvre visionnaire, qui clbre toute lacration, a t largement inspire par les critsdEmerson, en particulier son essai The Poetqui annonait une sorte de barde, robuste,sincre, universel, trangement proche de Whit-man lui-mme. La forme novatrice du pome vers libres et absence de rimes sa libre cl-bration de la sexualit, sa vibrante sensibilit d-mocratique et son