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Stephen M. Stahi Psychopharmacologie essentielle

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  • Stephen M. Stahi

    Psychopharmacologie essentielle

  • PSYCHOPHARMACOLOGIE ESSENTIELLE

    Bases neuroscientifiques et applications pratiques

    STEPHEN M. STAHL, M.D., Ph.D.

    Professeur de psychiatrie adjoint Universit de Californie, San Diego

    Illustrations de Nancy Muntner

    Traduit de l'amricain par Thierry Faivre

    Praticien hospitalier, UCPB, CH Le Vinatier, BRON

    Avec la collaboration de Patrick Lemoine

    Chef de service, UCPB, CH Le Vinatier, BRON

    Mdecine-Sciences Flammarion

    87, quai Panhard et Levassor, 75013 Paris

    http://www.medecine.flammarion.com

  • PRFACE

    Beaucoup de choses ont chang depuis la publication de la premire dition de Psychophar-macologie essentielle, il y a six ans. Cette seconde dition se propose de relater les progrs en neurosciences, la comprhension que l'on peut dsormais avoir des troubles psychiatriques et l'apparition d'une douzaine de nouveaux mdicaments vise psychiatrique qui, en peu de temps, ont fait faire un bond en avant la psychopharmacologie. Deux chapitres ont donc t ajouts, 11 des 12 chapitres originaux ont t considrablement revus, et la taille du texte a t augmente d'environ 50 %. En revanche, rien n'a chang par rapport la premire di-tion en ce qui concerne le style qui reste didactique, en s'appuyant en grande partie sur les confrences, les diapositives et les articles de l'auteur, le tout remis jour. Le nombre des illustrations recolorises a plus que doubl pour atteindre un total suprieur 500.

    Parmi les nouveauts, le lecteur trouvera la fin de chaque chapitre un rsum destin la formation mdicale continue. Ce sont d'ailleurs ces mmes cours qui ont t donns par l'auteur aux mdecins, praticiens et qui ont t accrdits par l'Universit de Californie de San Diego, en tant que base ducative pour un crdit allant jusqu' 54 heures de formation mdicale continue de catgorie I, selon les rgles dictes par l'Accreditation Council of Continuing Medical Education (ACCME) de l'American Medical Association. Des tests ont t ajouts pour chaque chapitre avec les instructions ncessaires leur ralisation ; les frais d'inscription sont galement mentionns destination des lecteurs intresss.

    De faon globale, le texte se veut facile d'accs et a pour but de prsenter les bases essen-tielles de la psychopharmacologie d'une manire dlibrment simplifie. En ralit, l'ensem-ble de cette matire doit pousser le lecteur consulter des ouvrages plus dtaills, ainsi bien sr que la littrature dite professionnelle. L'information s'organise sur les principes d'un enseignement programm, c'est--dire sur la rptition et l'interaction, dont on sait combien elles facilitent la rtention des connaissances.

    Par consquent, nous invitons le lecteur novice aborder cet ouvrage dans l'ordre, du dbut la fin, en se limitant aux dessins en couleurs et leurs lgendes. Pratiquement tout ce qui est dans le texte est prsent dans les schmas et les dessins. Une fois que le lecteur les aura tous parcourus, il lui est fortement recommand de se plonger dans le texte, depuis le dbut, tout en revoyant les illustrations par la mme occasion. Pour finir, lorsque le texte aura t lu, le lecteur pourra survoler le livre en ne s'arrtant qu'aux dessins en couleur.

    L'interaction rptitive entre la lecture du texte et l'apprentissage visuel au travers des illustrations ne pourra que favoriser un apprentissage programm. Les concepts appris de

  • viii Prface

    faon visuelle viennent en effet renforcer l'apprentissage des concepts abstraits issus du texte, en particulier chez les lecteurs qui ont plutt une mmoire photographique , c'est--dire ceux qui retiennent mieux l'information visuelle que celle qui a t lue.

    De leur ct, les lecteurs dj initis la psychopharmacologie ne devraient pas ren-contrer de difficults particulires la lecture de cet ouvrage. Les allers et retours entre le texte et les illustrations vont produire chez eux une interaction et, une fois le texte lu dans son intgralit, cela ne devrait leur poser aucun problme par la suite de passer le livre en revue simplement au travers de ses dessins.

    Le texte a volontairement t rdig un niveau conceptuel plutt que pragmatique, et formule ses ides comme un ensemble de simplifications tout en sacrifiant les exceptions la rgle. Le contenu de ce livre n'est donc pas destin au spcialiste en psychopharmaco-logie.

    Une autre restriction concerne les rfrences, puises dans les manuels et les revues (dont un certain nombre ont t rdigs par l'auteur lui-mme) plutt que dans les articles originaux.

    Pour les lecteurs intresss par les mises jour spcifiques cette seconde dition, la pre-mire section sur les donnes fondamentales couvre de faon large {avec une douzaine de nouveaux dessins en couleur) l'expression gnique et les facteurs de transcription, la neuro-biologie du dveloppement, la slection neuronale, la synaptogense et les facteurs de crois-sance, la gntique complexe des troubles psychiatriques et, enfin, les nouveaux concepts sur la neurodgnrescence comme l'apoptose.

    La deuxime section concerne les donnes cliniques. Elle a t augmente de deux chapi-tres afin de tenir compte de l'accroissement du nombre de psychotropes et des progrs faits sur la connaissance des troubles psychiatriques. Trois nouveaux systmes de neurotransmis-sion ont t incorpors et illustrs : la substance P et la famille des neuroldnines ; le monoxyde d'azote ; et les endocannabinodes comme l'anandamide ( l'endo-marijuana crbrale ). Nous avons galement insist sur les systmes de neurotransmission classiques, surtout en ce qui concerne les intercommunications srotonine-dopamine et noradrnaline-srotonine. Beaucoup de nouvelles illustrations ont t incorpores afin de figurer les voies noradrnergiques et cholinergiques.

    Dans les chapitres consacrs aux syndromes cliniques, de nouveaux sujets ont t traits, parmi lesquels le trouble bipolaire, le trouble dficitaire de l'attention, le dysfonctionnement rectile, le rle des oestrognes sur l'humeur et les troubles cognitifs de la femme tout au long du cycle de la reproduction, une partie des troubles de l'enfant et de l'adolescent et, enfin, la pharmacocintique des substances psychopharmacologiques. Certains passages ont t revus, en particulier ceux qui traitent des troubles du sommeil, de la schizophrnie et des troubles psychotiques. Dans les chapitres de thrapeutique clinique, l'expansion des nouvel-les thrapeutiques est reflte par l'ajout de plus de 30 nouvelles icnes de mdicaments, apparaissant pour la premire fois dans cette seconde dition. On remarque en particulier les nouveaux antidpresseurs, les thymorgulateurs, les neuroleptiques atypiques, les inhibiteurs de l'actylcholinestrase, les inhibiteurs des phosphodiestrases, les sdatifs-hypnotiques et bien d'autres encore.

    Il me faut aussi remercier mon diteur, la Cambridge University Press, pour ses sugges-tions particulirement utiles et ses exhortations destines raliser cette seconde dition dans les dlais.

    Et maintenant, bon voyage au centre de la psychopharmacologie, domaine fascinant s'il en est.

    STEPHEN M. STA HL, M.D., Ph.D.

  • L'HUMOUR PLEIN DE SRIEUX DE LA PSYCHOPHARMACOLOGIE

    de STEPHEN M. STAHL

    ou

    DE L'ART D'ENSEIGNER SANS ENNUYER

    par PATRICK LEMOINE

    En acceptant avec Thierry Faivre de traduire Psychopharmacologie essentielle de mon ami Stephen Stahl, et vu l'aridit annonce par le titre, je ne m'attendais certes pas clater de rire au dtour de certaines phrases. Stephen a un sens de l'image, de la comparaison, de la parabole et du dessin tellement incroyable qu'il arrive rendre lumineux et amusants des sujets aussi arides que les neuromdiateurs excitateurs de type glutamate et haletante la saga de la migration neuronale travers le cortex foetal des futurs schizophrnes. Il faut avoir lu le passage o il dcrit la guerre totale que se livrent les diffrents camps des neurones en danger d'tre suicids par apoptose : une cinquime colonne est lance, suivie par une avant-garde d'agents toxiques ; intervient alors une arme de spadassins prts tout, mme l'extermina-tion. Les sicaires arms jusqu'aux dents dcident d'un gnocide neuronal et organisent sciemment un accident vasculaire crbral ou prfrent une extermination plus douce en dclenchant un processus de type Alzheimer.

    Je ne me lasse pas non plus de visualiser certains neurones canifis lapant gentiment leur calcium lorsque le glutamate les berce de bonnes paroles, mais s'empiffrant jusqu' s'touffer lorsque ce dernier se fche, choisissant le suicide si k harclement glutamatergique persiste, et entranant parfois leurs petits copains du voisinage dans un hara-kiri collectif. Mme quand il est au plus noir, je ne rsiste pas l'humour de Stephen.

    Mais l'ouvrage de Stephen Stahl a encore bien d'autres qualits. La premire est sa capa-cit colliger des informations provenant de tous les horizons, et synthtiser le tout dans un ensemble d'une actualit hallucinante. Comment ce diable d'homme peut-il arriver tout seul dominer autant de sujets aussi varis, pour rester la pointe de la recherche neurobio-logique et psychopharmacologique ? Cette question reste un mystre complet mes yeux. On apprend tout, et plus encore, sur la dpression, l'anxit, la psychose, l'insomnie, la mala-die d'Alzheimer, les dsordres alimentaires, la toxicomanie, et mme... le sexe.

  • x L'humour plein de srieux de la psychopharmacologie

    Et que le lecteur se rassure, il ne s'agit pas simplement de glaner, digrer et resservir mme avec talent l'ensemble des donnes disponibles en psychopharmacologie. Ne nous leurrons pas, il s'agit aussi d'un livre de science-fiction qui par moments tonnerait mme Azimov.

    Stephen Stahl en effet ne se contente pas de nous donner accs au meilleur de la science, il lance des ides, dcoiffantes parfois, stupfiantes souvent. Loin des effets de mode, il se per-met par exemple, et dans plusieurs chapitres, d'aller l'encontre des ides reues. Pat exem-ple, la doctrine habituelle en psychopharmacologie et je confesse l'avoir vhicule est celle de la monothrapie. Enfin bon.,. si possibles Pragmatique, en bon Amricain califor-nien qu'il est, Stephen observe que les ordonnances de nos confrres, et mme les miennes, alignent sans vergogne des mdicaments pour le moins varis et parfois s'autorisent certaines associations pour le moins paradoxales. Et plutt que de condamner a priori, il se pose la question : et si tout cela avait un sens ? . Au fond, l'argument est simple : si dans des mala-dies finalement aussi simples, presque monosymptomatiques comme le SIDA ou le cancer, on prescrit, et raison, des tri-, voire des quadrithrapies, comment imaginer que face des processus aussi complexes que la schizophrnie, avec ses signes positifs, ngatifs, ses atteintes affectives, motrices, intellectuelles, oui, comment imaginer qu'une seule et unique thrapie pourrait suffire ? Mme chose pour la maladie d'Alzheimer. Et notre gentil auteur se met rver, propose des mariages molculaires, des unions pharmacologiques, des alliances phar-maco-stratgiques... Je crois que si j'tais un dirigeant dans l'industrie pharmaceutique, j'obligerais mes chercheurs lire cet ouvrage et, surtout, tester sans attendre les hypothses stahliennes.

    Bref, et en un mot, au risque de me rpter, un moment o gnralement les traducteurs en ont assez, aprs de longs mois de trahison, je dis et redis que cet ouvrage est un must le Lancet et l' American Journal of Psychiatry l'ont d'ailleurs plac au top.

    Tout psychiatre prescripteur responsable, tout gnraliste curieux, tout tudiant en mde-cine et en biologie devrait en urgence l'adopter comme livre de chevet.

  • SOMMAIRE

    Prface, par S. Stahl vii

    L'humour plein de srieux de la psychopharmacologie de Stephen M. Stahl, ou de l'art d'enseigner sans ennuyer, par P. Lemoine ix

    Chapitre 1 Principes de neurotransmission chimique 1

    Chapitre 2 Rcepteurs et enzymes, cibles de l'action des mdicaments 35

    Chapitre 3 Proprits spciales du rcepteur 77

    Chapitre 4 Neurotransmission chimique, mdiateur de l'action des maladies 99

    Chapitre 5 Dpression et trouble bipolaire 135

    Chapitre 6 Antidpresseurs classiques, inhibiteurs spcifiques de la recapture de la srotonine et inhibiteurs de la recapture de la noradrnaline 199

    Chapitre 7 Antidpresseurs nouveaux et thymorgulateurs 245

    Chapitre 8 Anxiolytiques et sdatifs-hypnotiques 297

    Chapitre 9 Traitements mdicamenteux du trouble obsessionnel-compulsif, du trouble panique et des troubles phobiques 335

  • xii Sommaire

    Chapitre 10 Psychoses et schizophrnie 365

    Chapitre 11 Neuroleptiques et antipsychotiques 401

    Chapitre 12 Psychostimulants ; mdicaments de la mmoire et veillants 459

    Chapitre 13 Psychopharmacologie de la rcompense et de l'abus de drogue 499

    Chapitre 14 Spcificit de la psychopharmacologie en fonction du genre ; psychopharmacologie de la fonction sexuelle 539

    Suggestions de lecture 569

    Index 575

    Post-test de formation mdicale continue (FMC) de psychopharmacologie

  • CHAPITRE 1

    PRINCIPES DE NEUROTRANSMISSION CHIMIQUE

    I. La synapse II. Les trois dimensions de la neurotransmission

    A. Dimension spatiale : le systme nerveux, entit anatomique B. Dimension spatiale : le systme nerveux, entit neurochimique C. Dimension temporelle : signaux d'apparition rapide et signaux d'apparition lente D. Dimension fonctionnelle : vnements prsynaptiques E. Dimension fonctionnelle : vnements postsynaptiques

    III. Les diffrents neurotransmetteurs A. Pharmacope divine B. Cotransmetteurs

    IV. Neurobiologie molculaire V Neurodveloppement et plasticit neuronale

    VI. Rsum

    La psychopharmacologie moderne est en grande partie lie l'histoire de la neurotransmis-sion chimique. Afin de comprendre l'action des mdicaments sur le cerveau, de saisir l'impact des maladies sur le systme nerveux central (SNC) et d'interprter les consquences compor-tementales des mdicaments vise psychiatrique, il est ncessaire de connatre le langage et les principes de la neurotransmission. Son importance ne doit cependant pas tre surestime par l'tudiant en psychopharmacologie, mme si ce qui suit dans ce chapitre constitue le fon-dement du livre dans son entier et la carte routire d'un voyage au coeur de l'une des ques-tions les plus enthousiasmantes de la science contemporaine : comment les psychotropes agissent-ils sur le SNC ?

    La synapse

    C'est au niveau de la synapse, zone de connexion de deux neurones, que la neurotransmis-sion chimique est la mieux connue. Les neurones sont en effet organiss de faon s'chan-

    1

  • et. n,1 4re,

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    2 Psychopharmacologie

    ger des informations par son intermdiaire. La Fig. 1-1 est une reprsentation artistique de la manire dont un neurone est organis pour envoyer une information synaptique. Ceci se fait au moyen des ramifications terminales d'un long axone prtes tablir un contact avec d'autres neurones. La Fig. 1-2, l'inverse, montre comment un neurone est organis pour recevoir des informations synaptiques sur ses dendrites, son soma et son axone. La synapse est schmatiquement agrandie dans la Fig. 1-3, o est reprsente la structure spcialise permettant la neurotransmission chimique.

    Les trois dimensions de la neurotransmission

    La neurotransmission peut tre dcrite selon trois dimensions : spatiale, temporelle et fonc-tionnelle.

    FIBRES DE LA TERMINAISON AXONA

    \h,

    DENDRITES CORPS CELLULAIRE

    AX(.:11

    FIGURE 1-1. Vue d'artiste sur la faon dont un neurone est organis pour envoyer une information synap-tique. Cela se fait au moyen des ramifications terminales d'un axone Long. Chaque terminaison axonale est potentiellement apte tablir des contacts prsynaptiques avec d'autres neurones. Le dessin montre gale-ment le corps cellulaire qui est le centre de commande du neurone, au sein duquel se trouve le noyau de la cellule, et qui traite les informations entrantes et sortantes. Les dendrites sont organises en grande partie pour capturer l'information issue d'autres neurones (voir aussi Fig. 1-2).

  • PINES DENDRITIQUES

    DENDRITES

    CORPS CELLULAIRE

    Principes de neurotransmission chimique 3

    FIGURE 1-2. Organisation d'un neurone pour recevoir l'information synaptique. Le signal prsynaptique venant d'un autre neurone est reu au niveau postsynaptique en plusieurs sites, les dendrites plus particu-lirement, et souvent au niveau de structures spcialises appeles les pines dendritiques. Parmi les autres sites neuronaux postsynaptiques destins recevoir les signaux prsynaptiques d'autres neurones, on comp-te le corps cellulaire et la terminaison axonale.

    Dimension spatiale : le systme nerveux, entit anatomique Classiquement, le systme nerveux central a t dcrit comme tant form de sries de cbla-ges permettant la connexion synaptique interneuronale, l'image des lignes tlphoniques faites de milliers et milliers de cbles (Fig. 1-4). C'est le systme nerveux central en tant qu'entit anatomique, qui reprsente un schma extrmement complexe de cbles transmet-tant des impulsions lectriques partout o il est connect (par l'intermdiaire des synapses). On estime le nombre de neurones 100 milliards, ce qui fait plus de 100 000 milliards de synapses dans un cerveau humain.

  • NEURONE PRSYNAPTIQUE

    MITOCHONDRIE

    VSICULES

    NEURONE POSTSYNAPTIQUE FENTE SYNAPTIQUE

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    4 Psychopharmacologie

    FIGURE 1-3. La structure spcialise permettant la neurotransmission chimique est reprsente dans cette synapse schmatiquement agrandie. Un neurone prsynaptique envoie spcifiquement sa terminaison axo-nale vers un neurone postsynaptique pour former une synapse. L'nergie ncessaire ce processus est four-nie par les mitochondries du neurone prsynaptique. Le neurotransmetteur chimique est stock dans de petites vsicules, prt tre libr sur ordre du neurone prsynaptique. La fente synaptique est la connexion entre le neurone prsynaptique et le neurone postsynaptique. Des rcepteurs sont prsents de chaque ct de la fente ; ce sont des lments essentiels la neurotransmission chimique.

    Les neurones envoient des impulsions lectriques d'un point l'autre de la mme cellule via leur axone, mais celles-ci ne sont pas transmises directement un autre neurone. La communication intemeuronale se fait lorsqu'un neurone envoie un messager chimique ou neurotransmetteur un second neurone. La synapse est frquemment, mais pas exclusive-ment, le point de connexion o cela se produit (voir Fig. 1-3). La communication entre les neurones est donc chimique et non lectrique. Plus prcisment, une impulsion lectrique mise par le premier neurone est convertie en un signal chimique au niveau de la synapse, situe entre le premier et le second neurone. Ce processus est donc appel neurotransmission chimique. Cela se produit de faon prdominante dans une direction, de la terminaison axo-nale dite prsynaptique vers n'importe quel site d'un second neurone dit postsynaptique. Tou-tefois, il est de plus en plus tabli que le neurone postsynaptique peut rpondre au neurone prsynaptique grce un messager propre, un neurotransmetteur qui pourrait tre le monoxyde d'azote. La frquence et l'tendue d'une telle intercommunication devraient un

  • Principes de neurotransmission chimique 5

    AXONES DES NEURONES \PRSYNAPTIQUES

    SYNAPSE

    ARBRE DENDRITIQUE DU NEURONE POSTSYNAPTIQUE

    FIGURE 1-4. Le systme nerveux en tant qu'entit anatomique est form de sries de cblages permettant la connexion synaptique interneuronale, l'image des lignes tlphoniques faites de milliers et milliers de cbles. Cette figure reprsente un cble fait d'axones issus de nombreux neurones diffrents, tablissant tous des connexions synaptiques avec l'arbre dendritique du neurone postsynaptique.

    jour permettre de dterminer la faon dont la synapse fonctionne. C'est ainsi que, par exem-ple, un exercice mental induirait des changements progressifs de la structure de la synapse, favorisant la neurotransmission ce niveau (voir Fig. 1-3).

    Dimension spatiale : le systme nerveux, entit neurochimique Plus rcemment, une neurotransmission non synaptique a t dcrite et appele neurotrans-mission non synaptique par diffusion. Les messagers chimiques envoys d'un neurone l'autre diffusent vers des sites loigns de la synapse. Ainsi la neurotransmission se produit au niveau de sites compris dans le rayon de diffusion du neurotransmetteur, l'image des

  • 6 Psychopharmacologie

    tlcommunications avec les tlphones cellulaires qui fonctionnent dans le rayon de trans-mission d'un appareil donn (Fig. 1-5). Ce concept dans lequel la neurotransmission est faite de bouffes chimiques est donc appel entit neurochimique du systme nerveux (chemi-cally addressed nervous system). Le cerveau apparat non seulement comme un ensemble de cbles mais aussi comme une soupe chimique sophistique. Cette notion d'entit neuro-chimique du systme nerveux est particulirement importante pour comprendre l'action des psychotropes qui se fixent sur les rcepteurs de divers neurotransmetteurs, du fait que de tel-les substances agissent partout o le rcepteur appropri est prsent et pas uniquement sur les rcepteurs anatomiquement relis aux synapses.

    Dimension temporelle : signaux d'apparition rapide et signaux d'apparition lente Certains signaux des neurotransmetteurs surviennent trs rapidement, en quelques millise-condes, aprs la fixation au rcepteur. Deux exemples remarquables de signaux rapides sont fournis par le glutamate et l'acide gamma-aminobutyrique (GABA). Le glutamate est un neu-rotransmetteur qui excite universellement la plupart des neurones, tandis qu' l'inverse, le GABA inhibe universellement la plupart des neurones (Fig. 1-6). Tous les deux sont des neurotransmetteurs chimiques d'action rapide, induisant une variation du flux ionique qui modifie en quelques millisecondes l'excitabilit neuronale.

    D'autre part, les signaux d'autres neurotransmetteurs peuvent mettre plus de temps faire effet, de l'ordre de plusieurs millisecondes jusqu' ventuellement plusieurs secondes. Comme les signaux apparition lente (slow-onset signais) peuvent persister suffisamment longtemps pour agir sur une neurotransmission donne et la moduler par une autre neuro-transmission, on appelle parfois ces neurotransmetteurs des neuromodulateurs (voir Fig. 1-6). Un signal neuromodulateur d'apparition lente mais de longue dure peut agir sur un neu-rone et l'influencer non seulement par son action propre, mais aussi en modifiant la neuro-transmission d'un second messager chimique envoy avant le premier signal. La noradrnaline et la srotonine figurent parmi les neurotransmetteurs d'apparition lente et d'action de longue dure, de mme que diffrents neuropeptides. Bien que leurs signaux puissent mettre plusieurs secondes se dvelopper, les cascades biochimiques qu'ils provo-quent peuvent durer plusieurs jours.

    Dimension fonctionnelle : vnements prsynaptiques La troisime dimension de la neurotransmission chimique est fonctionnelle, ce qui signifie que la cascade d'vnements molculaires et cellulaires est mise en oeuvre par un processus de trans-mission de signaux chimiques. Les vnements sont d'abord prsynaptiques, puis postsynapti-ques. Une impulsion lectrique dans le premier neurone (prsynaptique) est convertie en un signal chimique au niveau de la synapse par un processus appel couplage excitation-scrtion.

    Lorsqu'une impulsion lectrique arrive la terminaison de l'axone prsynaptique, elle provoque la libration du neurotransmetteur stock ce niveau (voir Fig. 1-3). Les impul-sions lectriques ouvrent les canaux ioniques, par exemple les canaux calciques et les canaux sodiques, dpendants du voltage, en modifiant la charge en ions travers les membranes neu-ronales. Un flux d'ions calcium pntre dans le neurone et provoque l'ancrage des vsicules synaptiques la face interne de la membrane plasmatique. Celles-ci dversent (librent) ensuite leur contenu chimique dans la synapse. Cette communication chimique est prpare en amont par la synthse et le stockage pralables du neurotransmetteur dans la terminaison axonale du neurone prsynaptique.

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    FIGURE 1-5. Conceptualisation du systme nerveux en tant qu'entit chimique. Deux synapses relies ana-tomiquement (neurones A et B) sont reprsentes en train de communiquer (flche 1) avec leurs rcepteurs postsynaptiques correspondants (a et b). Toutefois, des rcepteurs du neurotransmetteur a, du neurotransmet-teur b et du neurotransmetteur c se trouvent distance de la connexion synaptique du systme nerveux anato-miquement reli. Si le neurotransmetteur A diffuse partir de sa synapse avant d'tre dtruit, il va pouvoir interagir avec d'autres rcepteurs situs distance (flche 2). Si ce neurotransmetteur A rencontre un rcepteur diffrent qui ne peut le reconnatre (rcepteur c), il n'interagira pas avec lui quand bien mme il diffuse vers lui (flche 3). Ainsi, un messager chimique envoy d'un neurone vers un autre peut se rpandre par diffusion vers un site localis distance de sa synapse. Le phnomne de neurotransmission peut donc se produire au niveau d'un rcepteur compatible situ dans le rayon de diffusion du neurotransmetteur appareill. Tout cela peut tre compar aux moyens modernes de communication l'aide des tlphones cellulaires qui fonctionnent dans le rayon d'mission d'un lment donn. Ce concept est celui du systme nerveux en tant qu'entit chimique au sein duquel la neurotransmission se fait par bouffes chimiques. Le cerveau n'est donc pas seulement une collection de cbles (voir Fig. 1-2 et le systme nerveux en tant qu'entit anatomique), mais aussi une soupe chimique sophistique (voir Fig. 1-3 et le systme nerveux en tant qu'entit chimique).

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  • GABA (inhibiteur) glutamate

    (excitateur)

    monoamines/ neuropeptides (modulateurs)

    FIGURE 1-6. Certains signaux de neurotransmetteurs surviennent trs rapidement (neurones livres A et C), en quelques millisecondes, alors que d'autres sont lents apparatre (neurone tortue B). Le neurotrans-metteur glutamate (neurone A) est d'apparition rapide et est excitateur (+), tandis que le neurotransmetteur GABA (neurone C) est d'apparition rapide et est inhibiteur (). Par contraste aux signaux rapides du glu-tamate et du GABA, la neurotransmission dpendant des neurotransmetteurs appels monoamines et neu-ropeptides est d'apparition lente (neurone B) et soit excitatrice (+) soit inhibitrice (). Dans ce contexte, un signal rapide signifie un signal apparaissant en quelques millisecondes, tandis qu'un signal lent se produit en plusieurs millisecondes, voire en quelques secondes. Les neurotransmetteurs lents peuvent nanmoins avoir une action de longue dure. On les appelle parfois neuromodulateurs car ils sont capables de moduler un signal diffrent induit par un autre neurotransmetteur. Sur cette figure, trois neurones (A, B et C) sont en train d'tablir une transmission vers une dendrite d'un mme neurone. Si le signal lent de B est encore pr-sent lorsque le signal de A ou de C arrive, le signal B modulera l'un ou l'autre de ces derniers. Ainsi, le signal de neuromodulation d'action longue du neurone B va mettre au diapason le neurone postsynaptique, non seulement au travers d'une action propre, mais aussi en modifiant l'action des neurones A et C.

  • Principes de neurotransmission chimique 9

    Les neurones neurotransmetteurs monoaminergiques fabriquent non seulement les neu-rotransmetteurs eux-mmes, mais aussi les enzymes ncessaires la synthse des monoamines (Fig. 1-7), les rcepteurs pour leur recapture et leur rgulation (Fig. 1-8), et les vsicules synaptiques contenant le neurotransmetteur. Pour cela, ils reoivent des instructions du centre de commande , sorte de quartier gnral, c'est--dire le noyau cellulaire qui contient l'acide dsoxyribonuclique (ADN). Cette activit a lieu dans le corps cellulaire, mais ensuite les neurones prsynaptiques monoaminergiques envoient tous ces lments dans les terminaisons prsynaptiques, vritables postes avancs de ce neurone dans le cerveau (voir Fig. 1-1 1-3, 1-7, 1-8). Le neurotransmetteur est ensuite concentr et stock dans les vsicules du neurone prsynaptique, comme un pistolet charg prt tirer.

    Du fait de la prsence dans les terminaisons axonales du matriel enzymatique de synthse (voir Fig. 1-7), une plus grande quantit de monoamines peut y tre produite. De plus, une pompe pour la recapture des monoamines prsente au niveau prsynaptique (voir Fig. 1-8) permet de capturer et de rutiliser les monoamines utilises dans telle neurotransmission pour telle autre neurotransmission. Tel est le cas pour la neurotransmission utilisant des neu-ropeptides (Fig. 1-9).

    Dans le cas des neuropeptides, la synthse prsynaptique des neurotransmetteurs a lieu uniquement dans le corps cellulaire car la machinerie complexe de synthse des neuropepti-des n'est pas prsente dans la terminaison axonale. La synthse d'un neuropeptide spcifique commence avec un gne pr-propeptide dans le noyau cellulaire (voir Fig. 1-9). Ce gne est transcrit en acide ribonuclique (ARN) primaire pouvant tre modifi, ou corrig , pour la cration de diffrentes versions de l'ARN appeles variants d'pissage alternatif comme l'ARN pr-propeptide.

    Ensuite, cet ARN est transcrit en pr-propeptide qui entre dans le rticulum endoplasmi-que (voir Fig. 1-9). C'est le prcurseur du prcurseur ; on dit parfois aussi grand-parent du neurotransmetteur neuropeptidique. Ce pr-propeptide grand-parent neuropep-tidique possde un peptide queue , appel peptide signal, qui permet l'entre du pr-pro-peptide dans le rticulum endoplasmique, o la queue est coupe par une enzyme appele peptidase signal formant le propeptide ou parent du neuropeptide. Le propeptide est le prcurseur direct du neuropeptide neurotransmetteur.

    Ce propeptide parental quitte ensuite le rticulum endoplasmique et entre dans les vsicu-les synaptiques, o il est finalement transform en neuropeptide par une enzyme appele convertase. Puisque seules les vsicules synaptiques contenant le neuropeptide neurotrans-metteur sont transportes le long de l'axone jusqu' la terminaison, mais pas la machinerie enzymatique de synthse, aucune synthse du neuropeptide neurotransmetteur ne peut avoir lieu localement au niveau de la terminaison axonale.

    Il ne semble pas exister de pompe de recapture des neuropeptides, et donc une fois lib-rs, il n'y a pas de recapture pour une nouvelle utilisation (voir Fig. 1-9). Les peptidases met-tent fin l'action des peptides en catabolisant le peptide neurotransmetteur en mtabolites inactifs.

    Dimension fonctionnelle : vnements postsynaptiques

    II Une fois que le neurotransmetteur est libr par le neurone prsynaptique, il s'en va travers la synapse o il recherche el atteint les sites les plus slectifs (pour lui) sur les rcepteurs du neurone postsynaptique. (Cela sera dtaill dans la section venant aprs la neurobiologie

  • L'ARNm cre une

    ---->

    enzyme

    . stunamcm..-a.

    NEUROTRANSMETTEUR

    /ADN r NOYAU

    ARNm

    SYNTHSE ENZYMATIQUE

    CORPS CELLULAIRE

    ENZYME ------

    TRANSPORT DE L'ENZYME

    TERMINAISON AXONALE

    FIGURE 1-7. Transport axonal des enzymes de synthse des monoamines l'intrieur d'un neurone monoaminergique. Les enzymes sont des protines cres (synthtises) dans le corps cellulaire, avec pour point de dpart le noyau. Une fois synthtises, les enzymes sont transportes le long de l'axone jusqu' la terminaison axonale afin de raliser les fonctions ncessaires la neurotransmission, comme fabriquer ou dtruire des neurotransmetteurs. L'ADN, situ dans le noyau, est le centre de commande , o les ordres de synthse des protines enzymatiques sont excuts. L'ADN est le modle partir duquel a lieu la synthse de l'ARNm qui son tour est un modle pour la synthse protique destine produire des enzymes selon les rgles molculaires classiques.

    10

  • SYNTHSE DE RCEPTEURS

    CORPS CELLULAIRE

    --TRANSPORT DU RCEPTEUR

    RCEPTEUR

    ENZYME ---

    TERMINAISON AXONALE

    LE RECEPTEUR EST INSR DANS LA MEMBRANE

    FIGURE 1-8. Transport axonal d'un rcepteur prsynaptique dans un neurone monoaminergique. De faon comparable au processus reprsent dans la Figure 1-7, les rcepteurs sont galement des protines cres (synthtises) dans le corps cellulaire du neurone. Les rcepteurs eux aussi sont transports dans diverses rgions du neurone, dont la terminaison axonale, o ils sont insrs la membrane neuronale de manire assurer diverses fonctions pendant la neurotransmission, comme capturer un neurotransmetteur libr par un neurone voisin ou ragir ce neurotransmetteur.

    11

  • peptide et

    ARNm pr-propeptide

    pr-propeptide gne

    pr-propeptide

    ry,

    rticulum endoplasmique

    peptidase signal

    propeptide

    convertase

    vsicule synaptique

    peptide

    peptidase catabolique

    FIGURE 1-9. Synthse d'un neurotransmetteur dans un neurone neuropeptidergique. Cette synthse se produit seulement dans k corps cellulaire car la machinerie complexe de synthse de neuropeptides n'est pas transporte dans la terminaison axonale. La synthse d'un neuropeptide spcifique commence avec la transcription d'un gne pr-propeptide dans le noyau cellulaire. Ce gne est transcrit en ARN primaire pou-vant tre modifi, ou corrig , pour la cration de diffrentes versions de l'ARN appeles variants d'pis - sage alternatif tel que l'ARN pr-propeptide. Ensuite, cet ARN est transcrit en pr-propeptide qui entre dans le rticulum endoplasmique, o la queue est coupe par une enzyme appele peptidase signal formant le propeptide, le prcurseur direct du neuropeptide neurotransmetteur. Finalement, le propeptide entre dans les vsicules synaptiques o il est lui-mme transform en neuropeptide. Les vsicules synaptiques contenant le neuropeptide neurotransmetteur sont transportes le long de l'axone jusqu' la terminaison axonale, dpourvue de pompe de recapture pour le neuropeptide. L'action des peptides est acheve par catabolisme par les peptidases qui fractionnent le peptide neurotransmetteur en mtabolites inactifs.

    mtabolite Inactif

    12

  • neurotransmetteur (premier messager)

    neurotransmetteur li

    000'4

    me. *oeil 04IL 0 a de VA da Vedee e *e. eleratee

    likleekelermeleled14 .0110, Iti

    trry10111111.1n1140 ego:. a

    A 1'000 Pb fleek tek ibee

    'Te 01'n

    /-1-1-1.- actions cellulaires (effet biologique)

    systme effecteur

    second messager

    Principes de neurotransmission chimique 13

    = neurotransmetteur

    KAI = rcepteur

    FIGURE 1-10. volution fonctionnelle de la neurotransmission au niveau d'un neurone postsynaptique. Le neurotransmetteur libr par le neurone prsynaptique est le premier messager. Il se fixe son rcepteur, puis le neurotransmetteur li induit au niveau du systme effecteur la fabrication d'un second messager. Ce dernier se trouve l'intrieur du neurone postsynaptique. C'est ce second messager qui est ensuite l'origine de la constitution des actions cellulaires et des effets biologiques. Un exemple de cela est celui du neurone qui commence synthtiser une substance chimique qui va modifier son taux de dcharge. Ainsi, l'informa-tion issue du neurone prsynaptique est transmise au neurone postsynaptique -par une cascade d'vne-ments. Il s'agit donc de notre reprsentation du fonctionnement crbral penser, se remmorer, contrler les mouvements, etc. travers la synthse de substances chimiques et la dcharge des neurones crbraux.

    molculaire et dans les Chapitres 2, 3 et 4.) L'occupation du rcepteur par le neurotransmet-teur se liant des sites trs spcifiques provoque la mise en route des vnements postsynap-tiques de la neurotransmission chimique (Fig. 1-10). Cette raction est trs semblable la liaison des enzymes leur substrat au niveau de leur site actif. Le neurotransmetteur est une sorte de cl ajuste slectivement une serrure : le rcepteur.

  • 14 Psychopharmacologie

    Classiquement, il est admis que le complexe neurotransmetteur-rcepteur lance un pro-cessus qui transforme le signal chimique en impulsion lectrique dans le second neurone. Cela est certainement vrai pour la neurotransmission rapide (fast-onset neurotransmission) et peut aussi expliquer l'action initiale de certains neurotransmetteurs libration lente (slow-onset neurotransmitters). Cependant, on sait dsormais que le neurone postsynaptique pos-sde un rpertoire de rponses beaucoup plus vaste que le simple changement de polarisa-tion de sa membrane l'entranant plus ou moins produire un potentiel d'action. De nombreux processus biochimiques ont lieu en fait au sein du neurone lorsque les neurotrans-metteurs occupent ses rcepteurs. Certains d'entre eux se produisent en quelques millise-condes, tandis que d'autres mettent plusieurs jours se dvelopper (Fig. 1-11 1-13).

    Dans le neurone postsynaptique, la neurotransmission chimique dbute par l'occupation du rcepteur par le neurotransmetteur appel premier messager. Cela conduit de nombreux vnements intracellulaires, en commenant par la production de messagers supplmentaires (voir Fig. 1-10). Le second messager est chimique et intracellulaire. Il est engendr par le neu-rotransmetteur premier messager lorsque ce dernier se fixe au rcepteur situ l'extrieur de la cellule, dans la synapse reliant le premier neurone au second. Les meilleurs exemples de second messager sont l'adnosine monophosphate cyclique (AMPc) et le phosphatidyl-inosi-tol. Certains rcepteurs sont coupls un seul type de second messager, tandis que d'autres le sont plusieurs types.

    Le signal intracellulaire du second messager peut conduire le second neurone changer ses flux ioniques, propager ou interrompre les impulsions lectriques neuronales, phos-phoryler des protines intracellulaires, ou raliser bien d'autres actions encore. Cela se pro-duit travers une cascade biochimique pouvant ventuellement atteindre le noyau cellulaire et provoquer l'expression de certains gnes ou au contraire leur rpression (voir Fig. 1-11). Une fois l'expression gnique dclenche, il se produit alors une seconde cascade biochimi-que directement lie l'expression ou la rpression de gnes spcifiques (voir Fig. 1-12). Nombre de ces phnomnes demeurent encore mystrieux. Ces vnements de neurotrans-mission postsynaptique ressemblent, au niveau molculaire, au pony express : l'infor-mation chimique, encode dans le complexe rcepteur-neurotransmetteur, circule d'un cavalier molculaire l'autre jusqu' ce que le message soit gliss dans la bote lettre (ADN) approprie au sein du gnome du neurone postsynaptique (voir Fig. 1-11).

    Ainsi, la fonction de la neurotransmission chimique n'est pas tant de faire communiquer un neurotransmetteur prsynaptique avec ses rcepteurs postsynaptiques que de convertir un gnome prsynaptique en un gnome postsynaptique : ADN ADN ; centre de commande prsynaptique centre de commande postsynaptique.

    En rsum, le message de neurotransmission chimique est transfr travers trois voies molculaires squentielles de type pony express : (1) une voie prsynaptique de synthse du neurotransmetteur, o partir du gnome prsynaptique se produisent la synthse et l'emballage du neurotransmetteur ainsi que des enzymes et des rcepteurs (voir Fig 1-7 1-9) ; (2) une voie postsynaptique avec la fixation sur le rcepteur et les seconds messagers (voir Fig. 1-10) agissant sur le gnome avec mise en route de l'expression de gnes (voir Fig. 1-11) ; et (3) une autre voie postsynaptique, commenant par des gnes postsynaptiques nou-vellement exprims, puis le transfert d'informations, consquence biochimique de la fameuse cascade molculaire travers le neurone postsynaptique (voir Fig. 1-12).

    Il est clair dsormais que la neurotransmission ne doit pas tre rsume la fixation d'un neurotransmetteur un rcepteur, ou mme la modification de flux ioniques ni mme la seule cration de seconds messagers. De tels vnements apparaissent et disparaissent pen-dant des dures de l'ordre de la milliseconde ou de la seconde, une fois le neurotransmetteur prsynaptique libr (voir Fig. 1-13). Le but ultime de la neurotransmission rside dans la

  • w

    MISE EN FONCTION D'UN GNE gr en,

    FIGURE 1-11. Dclenchement d'une cascade aboutissant la mise en fonction d'un gne. Le neurotrans-metteur se fixe son rcepteur en haut de l'image, crant un second messager. Celui-ci active une enzyme intracellulaire qui contribue la cration de facteurs de transcription (pointes de flche rouges), lesquels pro-voquent l'activation du gne (segment d'ADN rouge).

    15

  • neurotransmetteur 0 11 some,*

    invagination

    Golgi

    Lqi

    0 0

    3 ribosome

    rcepteur 11 0. complet

    et-

    rcepteur protinique en partie form

    lysosome secondaire

    rticulum endoplasmique

    ARNm

    ADN noyau

    neurotransmetteur li

    FIGURE 1-12. Comme dans les Figures 1-7 1-9, l'ADN, situ dans le noyau, est le centre de commande , o les ordres de synthse protique sont excuts. L'ADN est un gabarit pour la synthse de l'ARNm qui est son tour le gabarit de la synthse protique de faon fabriquer les rcepteurs selon les rgles molculaires classiques. Nous pouvons voir ici la neurobiologie molculaire de la synthse de rcep-teurs. Le processus commence dans le noyau cellulaire o un gne (segment d'ADN rouge) est transcrit

    rz

    16

  • rponse

    activation/inhibition des canaux ioniques

    activation des seconds messagers

    enzyme active

    synthse de l'AFIN

    synthse protique `d'une enzyme par exemple)

    activit enzymatique\%.

    6h 12h 1 jour 10 jours

    jours FIGURE 1-13. volution dans le temps de la rponse postsynaptique vis--vis des neurotransmetteurs pr-synaptiques. En haut, les actions les plus immdiates sont celles des canaux ioniques ou de la formation du second messager. Puis vient l'activation des enzymes intracellulaires, induisant la transcription des gnes en synthse de l'ARN. Puis, tout naturellement, vient la traduction de l'ARN en protines. Ces dernires ont des fonctions, dont l'activit enzymatique. Lorsque l'activit enzymatique a commenc, cela fait dj des heures que le tout premier vnement de neurotransmission a dbut. Une fois mise en route, la modification de l'activit enzymatique peut se maintenir pendant des jours. Ainsi, les effets ultimes de la neurotransmis-sion ne sont pas seulement retards, ils sont aussi de longue dure.

    en ARM messager (flche 1). Ce dernier se dplace dans le rticulum endoplasmique (flche 2) o les ribosomes assurent la traduction en protines de rcepteur partiellement formes (flche 3). L'tape suivante consiste en la transformation des protines partiellement fonnes en molcules de rcepteurs compltes dans l'appareil de Golgi (flche 4). Les molcules de rcepteurs compltes sont des protines ; elles sont transportes vers la mem-brane cellulaire (flche 5) o elles peuvent dsormais interagir avec le neurotransmetteur (flche 6). Le neuro-transmetteur se fixe son rcepteur (voir Fig. 1-10). En plus de dclencher le systme second messager (voir Fig. 1-10), le neurotransmetteur li peut galement induire la formation d'une invagination de la membrane (flche 7). Ce processus retire de la circulation le rcepteur li, lorsque le neurone souhaite voir diminuer le nombre de rcepteurs disponibles. Ce phnomne peut tre invers ou alors il peut tre poursuivi dans les ly-sosomes (flche 8), sige de la destruction des rcepteurs (flche 9). Ce processus est utile pour supprimer les vieux rcepteurs pouvant ainsi tr remplacs par de nouvelles versions issues de l'ADN du noyau cellulaire.

    17

  • 18 Psychopharmacologie

    modification profonde et durable des activits biochimiques du neurone postsynaptique cible. Puisque l'ADN postsynaptique doit attendre que les messagers molculaires du pony express se soient fray un chemin depuis les rcepteurs postsynaptiques, souvent situs sur les dendrites, jusqu'au noyau neuronal, cela prend forcment du temps pour que la neuro-transmission puisse enfin commencer modifier les processus biochimiques du neurone postsynaptique cible (voir Fig. 1-13). 11 faut habituellement des heures entre la fixation du neurotransmetteur sur le rcepteur et son expression gnique. De plus, comme le dernier messager, appel facteur de transcription et dclench par la neurotransmission, ne provo-que que le tout dbut de l'action du gne (voir Fig. 1-11), il faut encore des heures l'activa-tion gnique pour tre totalement mise en oeuvre travers les vnements biochimiques qu'elle dclenche (voir Fig. 1-12 et 1-13). Ces vnements biochimiques peuvent ne dbuter que des heures, voire des jours aprs que la neurotransmission a eu lieu, et par la suite ils peuvent encore durer pendant des jours ou des semaines (voir Fig. 1-13).

    Ainsi, la courte bouffe de neurotransmission biochimique d'un neurone prsynaptique peut dclencher une profonde raction postsynaptique, laquelle mettra des heures se dve-lopper et durera des jours, des semaines ou davantage. Chaque lment de l'ensemble du pro-cessus de neurotransmission chimique peut tre modifi par les psychotropes. Ils agissent, pour la plupart, sur le processus de contrle de la neurotransmission chimique, soit au niveau du neurotransmetteur lui-mme, soit au niveau des enzymes et, plus particulirement, des rcep-teurs. Indubitablement, les psychotropes du futur agiront directement sur les cascades biochi-miques, et en particulier sur les lments de contrle de l'expression des gnes pr- et postsynaptiques. Selon le mme raisonnement, les maladies mentales et neurologiques affectent (ou sont suspectes d'affecter) elles aussi les mmes aspects de la neurotransmission chimique.

    Les diffrents neurotransmetteurs On connat l'heure actuelle plusieurs douzaines de neurotransmissions et de neurotrans-metteurs candidats dans le cerveau (Tableau 1I). En considrant thoriquement la quantit de matriel gntique dtenue par les neurones, il pourrait exister des centaines voire des milliers de substances chimiques propres au cerveau. Au dpart, environ une demi-douzaine de neurotransmetteurs classiques tait identifie. Ces dernires annes, un nombre tou-jours croissant de ces substances a t dcouvert. Les neurotransmetteurs classiques sont des amines ou des acides amins de relativement bas poids molculaire. Mais, actuellement, nous savons que des chanes d'acides amins appels peptides peuvent avoir aussi des actions en tant que neurotransmetteurs. De nombreux neurotransmetteurs rcemment dcouverts sont effectivement des peptides, dnomms spcifiquement neuropeptides (voir Fig. 1-9).

    Pharmacope divine

    Certains neurotransmetteurs naturels peuvent tre similaires aux psychotropes que nous utilisons. Par exemple, il est bien connu que le cerveau produit sa propre morphine (la bta-endorphine) et sa propre marijuana (l'anandamide). Le cerveau peut mme fabri-quer ses propres antidpresseurs, anxiolytiques ou hallucinognes, et les psychotropes imitent souvent les neurotransmetteurs crbraux naturels. Frquemment, on dcouvre les drogues avant les neurotransmetteurs naturels. La morphine tait connue avant la dcouverte de la bta-endorphine ; la marijuana avant les rcepteurs cannabinodes et l'anandamide ; les benzodiazpines diazpam (Valium) et alprazolam (Xanax) avant les rcepteurs benzodiazpiniques ; les antidpresseurs amitriptyline (Laroxyl, Elavil) et fluoxtine (Prozac) avant le site de transport de la srotonine. Tout cela souligne ce qui

  • Principes de neurotransmission chimique 19

    Tableau 1-1. Neurotransmetteurs crbraux

    Amines Srotonine (5HT) Dopamine (DA) Noradrnaline (NA, norpinphrine) Adrnaline (Ad) Actylcholine (Ach) Tyramine Octopamine Phnylthylamine Tryptamine Mlatonine Histamine

    Peptides hypophysaires Corticotropine (ACTH) Hormone de croissance (GH, growth

    hormone) Lipotropine Alpha-melanocyte-stimulating hormone

    (alpha-MSH) Ocytocine Vasopressine Thyroid-stimulating hormone (TSH) Prolactine

    Hormones circulantes Angiotensine Calcitonine Glucagon Insuline Leptine Peptide atrial natriurtique (Estrognes Andrognes Progestrone Hormones thyrodiennes

    Hypothalamic-releasing hormones Corticotropin-releasing factor (CRF) Gonadotropin-releasing hormone (GnRH) Somatostatine Thyrotropin-releasing hormone (TRH)

    Acides amins Acide gamma-aminobutyrique (GABA) Glycine Acide glutamique (glutamate) Acide aspartique (aspartate) Gamma-hydroxybutyrate

    Hormones intestinales Cholcystokinine (CCK) Gastrine Mouline Polypeptide pancratique Scrtine Peptide intestinal vasomoteur (VII', vasoactive

    intestinal peptide) Peptides opiodes

    Dynorphine Bta-endorphine Met-enkphaline Leu-enkphaline Kyotorphine

    Peptides divers Bombsine Bradykinine Carnosine Neuropeptide Y Neurotensine Delta sleep factor Galanine Oxrine

    Gaz Monoxyde d'azote (ou oxyde nitrique, NO) Monoxyde de carbone (CO)

    Lipide neurotransmetteur Anandamide

    Neurokinines/tachykinines Substance P Neurokinine A Neurokinine B

    a t dit plus haut, savoir que la grande majorit des substances qui agissent sur le SNC agissent sur le processus de neurotransmission. Ceci arrive quelquefois mme d'une faon qui souvent reproduit ou mime des actions du cerveau lorsqu'il se sert de ses propres pro-duits chimiques.

  • 20 Psychopharmacologie

    Cotransmetteurs

    On pensait l'origine que chaque neurone utilisait un seul neurotransmetteur et cela au niveau de toutes ses synapses. De nos jours, nous savons dsormais que de nombreux neuro-nes reclent plus d'un neurotransmetteur (Tableau 1II). C'est ainsi que le concept de cotransmission a merg. Il implique souvent une monoamine couple un neuropeptide. Sous certaines conditions, la monoamine est libre seule ; sous d'autres conditions, les deux produits sont librs, augmentant le rpertoire des options de la neurotransmission chimique pour ce type de neurones.

    De faon incroyable, le neurone utilise une certaine polymdication propre. Derrire l'utilisation et l'action de nombreux psychotropes, tout un raisonnement a t construit partir de la conception du neurone n'utilisant qu'un neurotransmetteur, et de l'ide que plus une substance est slective, plus elle semble pouvoir modifier la neurotransmission. Cela semble vrai jusqu' un certain point. En fait, nous savons maintenant que la fonction physio-logique de nombreux neurones est une fonction de communication l'aide de plusieurs neu-rotransmetteurs.

    Il peut donc tre ncessaire d'utiliser les actions d'un psychotrope polyvalent pour rem-placer ou modifier une neurotransmission anormale. Si le neurone lui-mme pratique la poly-mdication, peut-tre le psychopharmacologue devrait-il faire de mme. De nos jours, il manque encore une base de raisonnement pour se servir de l'action de psychotropes spcifi-ques et multiples comme dans le cas de la cotransmission, et nombre de polymdications sont empiriques ou mme irrationnelles. Plus notre comprhension de la cotransmission pro-gressera, plus les psychotropes action multiple pourront avoir des applications cliniques. Cela, en fait, expliquerait pourquoi les utilisations de substances mcanismes multiples ou la combinaison de tels produits sont, dans la pratique psychopharmacologique, la rgle et non l'exception. Toute la difficult est d'en trouver la rationalit.

    Tableau 1II. Colocalisation des transmetteurs

    Amines/Acides amins Dopamine Dopamine Noradrnaline Noradrnaline Noradrnaline Adrnaline Srotonine Srotonine Srotonine Actylcholine Actylcholine Actylcholine Actylcholine Actylcholine Acide gamma-aminobutyrique (GABA) Acide gamma-aminobutyrique (GABA)

    Peptides Enkphaline Cholcystokinine Somatostatine Enkphaline Neurotensine Enkphaline Substance P- Thyrotropin-releasing hormone Enkphaline Peptide intestinal vasomoteur Enkphaline Neurotensine Luteinizing-hormone-releasing hormone Somatostatine Somatostatine Motiline

  • Principes de neurotransmission chimique 21

    Neurobiologie molculaire Comme nous l'avons dit plus haut, le but de la neurotransmission chimique est de modifier le fonctionnement des neurones postsynaptiques cibles. Pour apprhender les consquences long terme de la neurotransmission chimique sur le neurone postsynaptique (par exemple voir Fig. 1-13), il faut comprendre les mcanismes molculaires de rgulation de l'expression gnique par la neurotransmission. On estime la taille du gnome humain 80 000 100 000 gnes, au sein de trois millions de paires de bases d'ADN, situs sur les 23 chromo-somes. De faon tonnante, les gnes ne reprsentent que 3 p. 100 du matriel ADN. On ne sait pas quoi servent les 97 p. 100 restants, mais on peut raisonnablement supposer qu'ils ont malgr tout une raison d'exister. Il faudra sans doute attendre l'achvement du Projet de squenage du Gnome Humain, qui tente de squencer l'ensemble des 3 millions de paires de bases d'ici quelques annes, pour mieux comprendre la fonction de tout cet ADN. Une fois que l'ADN sera squenc, il deviendra plus facile d'tablir sa fonction.

    La fonction gnrale de divers gnes dans l'ADN crbral est solidement tablie : ils contien-nent toute l'information ncessaire la synthse de protines entrant dans la composition de -structures impliques dans les fonctions spcialises des neurones. En fin de compte, si la neuro-transmission chimique active les gnes adquats, toutes sortes de modifications vont avoir lieu dans la cellule postsynaptique. Il s'agit en particulier de la fabrication, la consolidation et la des-truction de synapses ; de la stimulation du bourgeonnement des axones ; et de la synthse de diverses protines, enzymes et rcepteurs qui rgulent la neurotransmission dans la cellule cible.

    Comment la neurotransmission rgule-t-elle l'expression gnique ? Nous avons dj dis-cut la faon dont la neurotransmission chimique convertit l'occupation du rcepteur par un neurotransmetteur en la cration d'un second messager (voir Fig. 1-10), puis en l'activation d'enzymes qui leur tour sont l'origine de facteurs de transcription qui activent des gnes (voir Fig. 1-11). La plupart des gnes possdent deux rgions, l'une dite codante, l'autre rgulatrice (Fig. 1-14). La rgion codante est le modle partir duquel l'ARN est fait l'aide d'une enzyme appele ARN polymrase. Toutefois, l'ARN polymrase doit tre active, sinon elle n'est pas fonctionnelle.

    Par chance, la zone rgulatrice du gne peut provoquer ce phnomne. Le gne possde un lment activateur et un lment promoteur (voir Fig. 1-14), qui peuvent dmarrer l'expression gnique l'aide de facteurs de transcription. Ces derniers sont activs lorsqu'ils sont phosphoryls, ce qui leur permet de se lier la rgion rgulatrice du gne (Fig. 1-15). L'ARN polymrase est alors active son tour, et la partie codante du gne de transcription cre alors l'ARNm (Fig. 1-16). Bien sr, une fois que l'ARN est transcrit, il se traduit lui-mme en protine correspondante (voir Fig. 1-16).

    elle"

    Si de telles transformations dans l'expression gnique provoquent des modifications au niveau des connexions et des fonctions gres par ces dernires, on peut facilement compren-dre que les gnes peuvent modifier le comportement. Le fonctionnement neuronal est contrl par des gnes et les substances dont ils assurent la production, de mme que le comportement issu de ce fonctionnement neuronal. Comme les processus mentaux et le comportement qui en est driv naissent des connexions entre neurones crbraux, on conoit que les gnes puissent agir sur le comportement. Mais ce dernier peut-il modifier les gnes ? On sait que l'apprentissage, de mme que les expriences avec l'environnement, peuvent modifier l'expression des gnes et donc conduire des changements au niveau des connexions neuro-nales. Dans cette perspective, les expriences humaines, l'ducation et mme une psychoth-rapie peuvent changer l'expression des gnes qui modifient la rpartition et la force de connexions synaptiques spcifiques. Cela peut alors provoquer des changements comporte-mentaux long terme, engendrs par l'exprience originale via des changements gntiques

  • noyau cellulaire

    facteur de transcription - (inactif)

    protine kinase

    gne ARN polymrase

    (inactive)

    activateur

    le gne est teint

    FIGURE 1-14. Activation d'un gne, premire partie. Ici, le gne est . teint . Les lments de son activa-tion sont la protine kinase (une enzyme), un facteur de transcription, l'ARN polymrase (une autre enzy-me) et le gne lui-mme. Ce gne est teint parce que le facteur de transcription n'a pas encore t activ. Le gne possde une rgion rgulatrice et une rgion codante. La rgion rgulatrice possde un lment ac-tivateur et un lment promoteur, point de dpart de l'expression gnique par leur interaction avec les fac-teurs de transcription activs. La rgion codante est directement transcrite en ARN correspondant une fois que le gne est activ.

    noyau cellulaire

    facteur de transcription activ

    FIGURE. 1-15. Activation d'un gne, deuxime partie. Le facteur de transcription est maintenant activ car il a t phosphoryl par la protine kinase, ce qui lui a permis de se lier la rgion rgulatrice du gne.

    22

  • Principes de neurotransmission chimique 23

    alleprotine

    FIGURE 1-16. Activation d'un gne, troisime partie. Le gne lui-mme est dsormais activ car le facteur de transcription s'est li sa rgion rgulatrice, ce qui active ensuite l'enzyme ARN polymrase. Ainsi, le gne est transcrit en ARNm, qui son tour est traduit en sa protine correspondante. Cette protine est donc le produit de l'activation de ce gne particulier.

    que cette exprience dclenche. On peut donc dire que les gnes modifient le comportement et vice versa.

    Des exemples spcifiques sont fournis par les enzymes (voir Fig. 1-7) et les rcepteurs (voir Fig. 1-8), qui sont des protines codes par les gnes neuronaux et synthtises lorsque le gne appropri est mis en route (voir aussi Fig. 1-12). Pour saisir totalement la fonction du rcepteur, il est ncessaire de connatre la nature exacte de la protine qui forme ce rcep-teur, partir de sa squence d'acides amins. Pour ce faire, on peut cloner le rcepteur avec des techniques molculaires courantes. Ce sont des diffrences mineures de structure qui permettent d'expliquer les distinctions entre rcepteurs dans diffrentes espces (par exem-ple entre l'homme et les animaux de laboratoire), dans certaines maladies (c'est--dire, rcepteurs sains versus rcepteurs malades ), et parmi les sous-types pharmacologiques de rcepteurs (c'est--dire, les rcepteurs sur lesquels se fixent les mmes neurotransmetteurs mais de faon diffrente et avec une gamme tendue de proprits pharmacologiques diff-rentes). Nous verrons cela en dtail dans le Chapitre 2.

    En rvlant aux scientifiques la structure du rcepteur, les techniques de neurobiologie molculaire clairent son fonctionnement. Ces connaissances permettent aux chimistes d'affi-ner leurs recherches sur les rcepteurs en tant que cibles pour dvelopper de nouveaux mdica-ments. Plus spcifiquement, on peut tablir des comparaisons entre familles de rcepteurs de structure similaire pour pouvoir ultrieurement tre capable de dcrire des modifications de la structure des rcepteurs provoques par les maladies hrditaires et les mdicaments.

    Bien que, la plupart du temps, la dcouverte des rcepteurs ait lieu aprs celle des neuro-transmetteurs et des mdicaments qui se lient eux, le contraire a pu parfois se produire.

  • 24 Psychopharmacologie

    Dans ce cas, lorsque l'on dcouvre le gne d'un rcepteur pour lequel aucun ligand n'est connu, on le dit rcepteur orphelin en attendant le jour o le ligand sera dcouvert.

    11 est donc fondamental ici de comprendre que le gnome (c'est--dire l'ADN) est respon-sable de la production des rcepteurs, et que celle-ci peut tre module par l'adaptation phy-siologique, les mdicaments et les maladies.

    Neurodveloppement et plasticit neuronale

    La comprhension du dveloppement du cerveau humain progresse vive allure. La plupart des neurones sont forms la fin du deuxime trimestre de vie prnatale (Fig. 1-17). La migration neuronale dbute dans les premires semaines de la conception et est en grande partie acheve la naissance. Le dveloppement du cerveau humain est donc plus dynami-que avant la naissance qu' l'ge adulte ; 5 ans, le cerveau a dj atteint 95 p. 100 de sa taille adulte. D'autre part, plusieurs processus touchant la structure crbrale persistent tout au long de la vie. La mylinisation des fibres axonales et l'arborescence des neurones se prolon-gent au moins jusqu' l'adolescence. La synaptogense, de la mme faon, se poursuit tout au long de la vie.

    Le neurone et ses synapses sont donc plastiques , variables et mallables. Dans de sur-prenants et rcents comptes rendus, on peut lire que certains neurones se divisent aprs la naissance, y compris dans le cerveau des mammifres et peut-tre mme chez l'homme. Tout aussi tonnante, toutefois, est la dcouverte que, priodiquement, durant la vie entire et sous certaines conditions, les neurones se tuent eux-mmes dans une sorte de hara-kiri molculaire appel apoptose. En fait, jusqu' 90 p. 100 des neurones crs au cours du dve-loppement foetal se suicident par apoptose avant la naissance. Comme un cerveau humain arriv maturit contient environ 100 milliards de neurones, il est possible qu'il y ait initiale-ment 1 000 milliards de neurones et que des centaines de milliards soient dtruits par apop-tose entre la conception et la naissance.

    Comment les neurones se dtruisent-ils ? L'apoptose est programme dans le gnome de diverses cellules, y compris les neurones, et provoque, une fois active, leur autodestruction. Il ne s'agit donc pas de cette lamentable affaire d'empoisonnement ou d'touffement cellu-laire qu'est la ncrose (Fig. 1-18). La mort cellulaire par ncrose se caractrise par une bles-sure grave et brutale, associe une rponse inflammatoire. Par contraste, l'apoptose est plus subtile, l'origine d'un vritable suspense sur sa survenue ou non. Les cellules touches par l'apoptose rtrcissent, tandis que les cellules ncroses explosent (voir Fig. 1-18). Les scien-tifiques qui ont dcouvert l'apoptose ont forg ce mot, d'une part pour le faire rimer avec ncrose et d'autre part pour introduire la notion de chute , comme les ptales tombant d'une fleur ou les feuilles d'un arbre. Le mcanisme de mort cellulaire dpend d'un ensemble de gnes, prts entrer en jeu si on les active.

    Pourquoi donc un neurone se trancherait-il lui-mme la gorge- ? La rponse est simple : si un neurone ou son ADN sont endommags par un virus ou une toxine, l'apoptose dtruit et supprime sans faire d'histoire les gnes malades, protgeant les neurones sains voisins. Plus encore, l'apoptose semble participer normalement au dveloppement du SNC immature. La redondance des neurones au tout dbut du dveloppement est l'une des merveilles du cerveau. Ces neurones entrent dans une comptition acharne pour effectuer leur migration, innerver les neurones cibles et boire les facteurs trophiques ravitaillant ces processus. Apparemment, c'est le plus apte qui survit, car 50 90 p. 100 des diffrentes sortes de neurones meurent cette tape de la maturation. L'apoptose est un mcanisme naturel d'limination des neurones indsirables, qui vite la pagaille molculaire que la ncrose aurait cre.

  • dveloppement

    neurulation

    neurogense

    A croissance maximale synaptogense

    limination comptitive

    migration depuis la zone ventriculaire

    mort cellulaire programme

    mylinisation

    arborescence dendritique et axonale

    Principes de neurotransmission chimique 25

    4 8 semaine s

    12 16 20 24 28 32 4 2 5 S

    .

    s S mois ans ans 18 60+ ans

    CONCEPTION NAISSANCE

    temps FIGURE 1-17. volution temporelle du dveloppement crbral. Les vnements du dveloppement crbral et neuronal humain les plus prcoces sont en haut du graphique, alors que les vnements conscutifs et de longue dure sont en bas. La croissance maximale des nouveaux neurones est acheve avant la naissance, ainsi que les processus de migration neuronale et de mort cellulaire programme. Aprs la naissance, la synaptoge-nese, la mylinisation et l'arborisation dendritique et axonale se produisent tout au long de la vie de l'individu. L'limination comptitive des synapses (mais pas des neurones) atteint son apoge la pubert.

    Des douzaines de facteurs neurotrophiques rgulent la survie des neurones dans le sys-tme nerveux central et priphrique (Tableau 1III). Une bonne soupe avec des petites nouilles en forme de lettres de l'alphabet (les facteurs neurotrophiques) entre dans l'labora-tion, au niveau crbral, d'un bouillon chimique qui baigne et nourrit les cellules nerveuses. Certains s'apparentent au nerve growth factor (NGF), d'autres au glial tell line-derived neuro-trophic factor (GDNF) et d'autres encore diffrents facteurs neurotrophiques (voir Tableau 1III). Certains de ces facteurs peuvent conduire le neurone commettre un suicide cellulaire en se passant au fil de Ppe de l'apoptose. Le cerveau semble capable de dcider

  • \ ncrose

    ,...-..... Iiiil M.

    ,

    suicide neuronal

    meurtre neuronal

    apoptose

    FIGURE 1-18. La mort neuronale peut survenir soit par ncrose, soit par apoptose. La ncrose est un assassinat, au cours duquel le neurone explose avec pour consquence une raction inflammatoire au fait d'avoir t dtruit par des poisons ou des toxines (le glutamate, par exemple), ou par suffocation. L'apop-tose, d'autre part, ressemble un suicide et est le rsultat d'une activation de la machinerie gntique dont le but est d'induire l' affaiblissement du neurone sans provoquer le mme gchis molculaire que la ncrose.

    26

  • Principes de neurotransmission chimique 27

    Tableau 1III- Facteurs neurotrophiques : une soupe de tonifiants crbraux en forme de lettres de l'alphabet

    NGF Nerve growth factor P75 Proaptotic receptors TrkA Antiaptotic receptors GDNF Glial tell line- derived neurotrophic factors, dont la neurturine, le c-REF

    et le R-alpha BDNF Brain-derived neurotrophic factor NT-3, 4 et 5 Neurotrophines 3,4 et 5 CNTF Ciliary neurotrophic factor ILGF I et II Insuline like growth factors FGF Fibroblast growth factor (formes acide et basique) EGF Epidermal growth factor

    Tableau 1IV. Molcules de reconnaissance

    PSA-NCAM, polysialic acid-neuronal cell adhesion molecule NCAM, molcules neuronales d'adhsion cellulaire (H-CAM, G-CAM et VCAM-1, par exemple) APP, protine prcurseur de l'amylode (arnyloid precursor protein) Intgrine N-Cadhrine Laminine Tenscine Protoglycanes Heparin-binding growth-associated molecule Glial hyaluronate-binding protein Clustrine

    quelles cellules nerveuses vivront et lesquelles mourront, en dsignant les facteurs neurotro-phiques qui les nourriront ou les frapperont mort. Cela dit, certaines molcules (telles que le NGF) peuvent agir sur les rcepteurs proapoptotiques de la grande faucheuse et pro-voquer le dcs neuronal par apoptose. Toutefois, si le NGF dcide d'tre un rcepteur neu-roprotecteur garde du corps , le neurone se dveloppera.

    Non seulement les bons neurones doivent-ils tre slectionns, mais encore faut-il que leur migration se fasse vers les rgions crbrales appropries. Tant que le cerveau est en construction in utero, l'ensemble des neurones se ballade. Plus tard, seul leur axone bougera. Au dpart, les neurones sont produits au centre du cerveau en dveloppement. Considrons 100 milliards de neurones humains, slectionns- parmi 1 000 milliards, et devant effectuer une migration vers l'endroit adapt pour pouvoir fonctionner correctement. Qui peut bien diriger toute cette circulation neuronale ? C'est, en fin de compte, une tonnante forme de communication chimique qui guide les neurones au bon endroit en suivant la bonne squence. Chacun voyage vers sa propre destination, une vitesse pouvant atteindre soixante microns par heure, s'installe, puis envoie son axone se connecter d'autres neurones.

    Ces neurones savent o se rendre grce une srie de signaux chimiques remarquables, diffrents des neurotransmetteurs et appels molcules d'adhsion (Tableau 1IV). Les cellu-les gliales commencent par former une matrice cellulaire. Les neurones suivent les fibres glia-les, vritable piste travers le cerveau, jusqu' destination. Ensuite, les neurones suivent

  • facteur de croissance rpulsif

    orse-

    normal

    facteur de croissance attractif

    :le n af

    1. n

    28 Psychopharmacologie

    FIGURE 1-19. Les facteurs neurotrophiques peuvent tre rpulsifs (panneau du milieu), ce qui provoque la croissance de l'axone dans une direction oppose du lieu o ils se trouvent. Les facteurs neurotrophiques peuvent tre galement attractifs et ainsi favoriser la croissance axonale vers eux. Les facteurs neurotrophi-ques dirigent donc le trafic axonal au sein du cerveau, et dterminent quelle synapse va se connecter avec telle ou telle cible postsynaptique.

    l'axone d'autres neurones dj en place, en suivant la piste ouverte par ces derniers. Les molcules d'adhsion recouvrent la surface du neurone en migration, tandis que des mol-cules complmentaires, disposes la surface des cellules gliales, permettent au neurone de s'y fixer. Cela ressemble une sorte de velcro molculaire, qui accroche le neurone temporai-rement et guide sa progression le long d'une route pave des surfaces cellulaires adquates. La colonisation du cerveau par les neurones en migration est acheve la naissance, mais leurs axones peuvent pousser durant la vie entire en cas de stimulation ad hoc.

    Une fois que les neurones se sont tablis sur leurs terres, leur travail est alors de fabriquer des synapses. Comment leur axone sait-il o aller ? Les neurotrophines ne rgulent pas seulement la vie ou la mort des neurones, mais aussi le bourgeonnement de l'axone et la cible qu'il doit attein-dre. Pendant le dveloppement du cerveau immature, elles guident l'axone travers le cerveau, en suivant des chemins longs et complexes, afin qu'il atteigne sa cible. Les neurotrophines pro-voquent la formation d'un axone par le neurone en lui faisant pousser un cne de croissance. Lorsque ce dernier est form, les neurotrophines, ainsi que d'autres facteurs servent de mol-cules de reconnaissance pour l'axone en croissance, vraisemblablement partir de leur scrtion par les neurones et la glie, au sein de la compote chimique de l'espace extracellulaire crbral.

    Ces molcules de reconnaissance peuvent soit repousser, soit attirer les axones en crois-sance, les envoyant dans une direction comme un smaphore guide un navire (Fig. 1-19). Par le fait, certaines de ces molcules sont appeles smaphorines pour traduire cette fonction. Une fois que l'extrmit de l'axone en croissance arrive bon port, des smaphorines, les collapsines, le font s'affaisser pour qu'il s'arrime la rgion postsynaptique approprie et l'empchent de faire voile ailleurs. D'autres molcules de reconnaissance repoussent les axo-

  • Principes de neurotransmission chimique 29

    Naissance

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    6 ans 14-60 ans

    FIGURE 1-20. Les synapses sont formes un rythme frntique entre la naissance et l'ge de 6 ans. Tou-tefois, il se produit une limination comptitive et une restructuration des synapses. Ce phnomne, dont l'apoge a lieu au cours de la pubert et de l'adolescence, laisse survivre environ de la moiti aux deux tiers des synapses prsentes au cours de l'enfance lors de l'entre dans l'ge adulte,

    nes par l'mission de signaux de guidage de rpulsion de l'axone (repulsive axon guidance signais ou RAGS) (voir Fig. 1-19).

    Au fur et mesure que le cerveau se dveloppe, la progression du cne de croissance de l'axone devient plus difficile sans toutefois prendre fin. Le fait que la croissance axonale demeure possible dans le cerveau mature suggre que les neurones continuent de changer leurs cibles de communication, peut-tre en rparant, rgnrant et reconstruisant des synapses selon l'volution des fonctions du neurone. Un trs grand nombre de molcules de reconnaissance supervise ce processus. Parmi celles-ci, on compte bien sr les smaphorines et les collapsines, mais aussi des molcules telles que les natrines, les molcules neuronales d'adhsion cellulaire (NCAM, neuronal cellular adhesion molecules), les intgrines, les cadhrines et les cytokines (voir Tableau 1IV).

    Il est intressant de noter que c'est l'ge de 6 ans que le cerveau contient le plus grand nombre de synapses qu' tout autre poque de la vie (Fig, 1-20). Au cours des 5 10 annes suivantes, et pendant l'adolescence, le cerveau supprimera systmatiquement la moiti des synapses prsentes l'ge de 6 ans. Il restera alors environ 100 000 milliards de synapses au total et jusqu' 10 000 synapses par neurone. L'lagage des synapses se fait par l'interm-diaire de l'excitotoxicit (nous verrons cela en dtail dans le Chapitre 4). Fort heureusement, les expriences neurodveloppementales et la programmation gntique guident le cerveau pour qu'il dcide de manire avise quelles connexions garder et lesquelles dtruire. Si cette dcision est prise de faon approprie, l'individu prospre au fur et mesure des tches maturatives et entre harmonieusement dans la vie adulte. En revanche, de mauvais choix pourraient thoriquement conduire des troubles neurodveloppementaux tels que la schi-zophrnie ou le trouble dficitaire de l'attention avec hyperactivit.

  • 30 Psychopharmacologie

    FIGURE 1-21. Le neurone est compos d'un corps cellulaire, d'un axone et d'un arbre dendritique (litt-ralement, des ramifications semblables celles d'un arbre). L'arbre dendritique est un flux constant qui cor-rige les connexions synaptiques tout au long de la vie.

    L'apparition de nouvelles synapses et l'lagage des anciennes se poursuivent tout au long de la vie, mais une allure beaucoup plus lente et des distances plus faibles que lors des stades prcoces du dveloppement. Il s'ensuit au cours de la vie entire du neurone une modification constante des axones et des dendrites de chaque neurone, tablissant ainsi de nouvelles connexions, en supprimant d'anciennes, l'image des branches d'un arbre (Fig. 1-21). En effet, les termes arborisation des terminaisons neuronales et arbre dendritique traduisent ce pro-cessus constant de ramification (Fig. 1-22) et d'lagage (Fig. 1-23) qui a lieu tout au long de la vie de ce neurone. Une fois acheve la spectaculaire diminution du nombre de neurones avant la naissance et de synapses la fin de l'enfance et au dbut de l'adolescence, l'activit au sein du cerveau mature devient beaucoup plus calme, consistant en de modeste.s- extensions en vue de l'entretien et du remodelage des synapses, et sur des distances beaucoup plus faibles.

    Bien que ce remodelage structurel continu des synapses dans le cerveau mature, dirig par les molcules de reconnaissance, n'ait aucune commune mesure avec la croissance marque et de longue distance du dveloppement crbral prcoce, cette limitation pourrait tre bnfique en partie parce qu'elle autoriserait une certaine plasticit structurale tout en limi-tant une croissance axonale anarchique. Les fonctions crbrales seraient ainsi stabilises l'ge adulte et un recblage chaotique vit, en limitant la fois la croissance axonale partir de cibles appropries ou partir de neurones inappropris. D'autre part, on saisit mieux le

  • facteur de croissance (protine)

    neurone hypotrophie

    Principes de neurotransmission chimique 31

    FIGURE 1-22. L'arbre dendritique d'un neurone peut bourgeonner, crotre et tablir une multitude de nouvelles connexions synaptiques tout au long de sa vie. Le contrle de la fabrication des connexions den-dritiques d'un neurone non dvelopp est ralis par divers facteurs de croissance dont l'action promeut le processus de bourgeonnement et donc la formation des synapses de l'arbre dendritique.

    prix attach une telle spcificit de la croissance quand un neurone long axone du cer-veau adulte ou de la moelle pinire meurt, et qu'il devient difficile de rtablir la connexion synaptique originale, mme si la croissance axonale est enclenche.

    Comme nous l'avons vu prcdemment, les neurones et la glie voisine de soutien laborent un riche ensemble de facteurs neurotrophiques, promouvant les connexions synaptiques (voir Fig. 1-22) ou les liminant (voir Fig. 1-23). Le potentiel de libration des facteurs de crois-sance est maintenu une fois pour toutes, ce qui contribue . la possibilit constante de rvision synaptique durant toute la vie du neurone donn. Des changements potentiels de la synapto-gense semblent permettre l'apprentissage, la maturit motionnelle et le dveloppement d'habilets motrices et cognitives tout au long de la vie. Quoi qu'il en soit, la faon dont le cer-veau dlivre ses facteurs neurotrophiques pendant le fonctionnement physiologique de l'adulte normal demeure imprcise. Vraisemblablement, la requte de faire fonctionner les neurones concide avec la ncessit de les maintenir prts fonctionner, tche rendue possible par le saupoudrage du bouillon crbral avec des facteurs neurotrophiques qui maintiennent les neurones en bonne sant. Il est possible que le fait de penser ou d'tudier provoque la lib-ration de facteurs neurotrophiques. Peut-tre un principe du genre pas utilis = perdu

  • Dendrites pouvant tre lagues

    lagage normal

    32 Psychopharmacologie

    FIGURE 1-23. L'arbre dendritique d'un neurone ne fait pas que bourgeonner, crotre ni tablir de multi-ples connexions synaptiques tout au long de la vie, comme le montre la Figure 1-22. Il est galement capa-ble, si ncessaire, de supprimer, de modifier, de tailler ou de dtruire de telles connexions. Le processus de dmantlement des synapses et des dendrites peut tre contrl par la suppression de facteurs de croissance ou par le processus naturel de destruction parfois appel excitotoxicit. Il existe donc un processus normal d'lagage destin supprimer les dendrites qui ont besoin d'tre tailles.

    s'applique-t-il aux neurones adultes, avec en prime la prservation des neurones et la cration de nouvelles connexions si le cerveau demeure actif. II est mme possible que le cerveau perde sa force en l'absence d'exercice mental. Il est en effet concevable que l'inactivit provoque l'lagage de synapses inutilises ou rouilles , ou mme dclenche le dcs par apoptose des neurones inactifs. l'oppos, la stimulation mentale prviendrait ces phnomnes, et la psy-chothrapie pourrait dans cette optique conduire les facteurs neurotrophiques prserver des cellules critiques et innerver de nouvelles cibles thrapeutiques en vue de modifier certaines motions et certains comportements. Seules les recherches futures nous claireront sur la manire dont il faut utiliser les mdicaments et la psychothrapie pour quilibrer au mieux l'assaisonnement de ce dlicat ragot qu'est notre cerveau. -

    Rsum

    Le lecteur doit maintenant raliser que la neurotransmission chimique est le fondement de la psychopharmacologie. Elle est constitue de trois dimensions, spatiale, temporelle et fonc-tionnelle. La dimension spatiale est faite la fois d'un cblage physique, le systme nerveux en tant qu'entit anatomique, et d'une soupe chimique , le systme nerveux en tant qu'entit chimique. La dimension temporelle montre que la neurotransmission peut tre rapide (de quelques millisecondes) ou lente (jusqu' plusieurs secondes) se produire, selon

  • Principes de neurotransmission chimique 33

    qu'elle dpende de neurotransmetteurs ou de neuromodulateurs, dont il existe des dizaines de sortes. La neurotransmission peut galement provoquer des actions de courte (quelques millisecondes) ou de trs longue dure (des jours, des semaines, voire plus). La dimension fonctionnelle de la neurotransmission chimique est le processus par lequel une impulsion lectrique dans un neurone est convertie en un message chimique au niveau de la connexion tablie entre deux neurones (la synapse), puis de nouveau en un message chimique qui va modifier l'expression gnique dans le second neurone.

    Ce chapitre souligne galement d'autres points : la neurotransmission chimique se produit parfois par l'intermdiaire de plus d'un neurotransmetteur dans un seul neurone. Les sub-stances psychotropes (par exemple la marijuana et la morphine) imitent souvent l'action des neurotransmetteurs naturels. Les techniques de neurobiologie molculaire montrent que le matriel gntique du neurone est responsable de la production des protines en gnral, et des neurotransmetteurs en particulier. Cela peut tre modifi par les adaptations physiologi-ques, les mdicaments et Ies maladies. Pour finir, le neurone modifie de faon dynamique ses connexions synaptiques tout au long de la vie, en rponse l'apprentissage, les expriences de vie, la programmation gntique, les mdicaments et les maladies.

    p

  • P"

    CHAPITRE 2

    RCEPTEURS ET ENZYMES, CIBLES DE L'ACTION DES MDICAMENTS

    I. L'organisation du rcepteur : ses trois parties IL Travail d'quipe de la synapse

    A. Canaux ioniques B. Transporteurs et pompes de transport actif C. La recapture synaptique du neurotransmetteur : un exemple de transport molculaire

    utilisant une pompe de transport actif D. Systmes seconds messagers E. Rgulation ionique E Rgulation gnique

    III. Les rcepteurs, sites de l'action des mdicaments IV. Les enzymes, sites de l'action des mdicaments V. Rsum : modification de la neurotransmission chimique par les mdicaments

    Dans le premier chapitre, nous avons vu combien la psychopharmacologie moderne est essentielle dans l'tude de la neurotransmission chimique. Le prsent chapitre se veut plus spcifique et discutera, sur le plan pratique, la faon dont les psychotropes (NdT : CNS drags) agissent sur la neurotransmission chimique par une ou deux manires trs spcifiques : de faon prpondrante en stimulant (agoniste) ou bloquant (antagoniste) les rcepteurs des neurotransmetteurs ; en second lieu, et moins frquemment, en inhibant les enzymes de rgulation.

    Compte tenu de l'importance capitale des rcepteurs et des enzymes pour la comprhen-sion du mode d'action des mdicaments, ce chapitre partira la dcouverte des proprits de ces trs fascinantes cibles des psychotropes. Tout d'abord, nous considrerons l'organisation du rcepteur isol ainsi que des mcanismes de fixation des neurotransmetteurs et des mdi-caments. Nous dcrirons par la suite la faon dont les rcepteurs fonctionnent au sein de l'quipe de neurotransmission synaptique, en incluant les ions, les canaux ioniques, les trans-porteurs, le systme second messager, les facteurs de transcription, les gnes et les produits

    35

  • 36 Psychopharmacologie

    O = ACIDE AMIN (1 UNIT)

    DEHORS

    CHANE D'ACIDES AMINS

    MEMBRANE

    NH - 000000000 ene sa

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    COOH

    DEDANS

    FIGURE 2-1. Diagramme schmatique d'un rcepteur ; sa structure protique est organise essentielle-ment sous forme d'une longue chane d'acides amins. Cette chane s'enroule plusieurs fois en dedans et en dehors de la cellule, ce qui cre trois domaines du rcepteur : la premire portion, extracellulaire, est la partie de la chane totalement en dehors du neurone ; la seconde, la portion intracellulaire, est constitue des lments de la chane situs entirement l'intrieur du neurone ; et la troisime, la portion transmem-branaire, est faite des domaines du rcepteur qui se trouvent dans la membrane du neurone.

    gniques. Pour finir, nous discuterons des enzymes et rcepteurs en tant que sites d'action des mdicaments et verrons de quelle manire ces derniers modifient leur tour la neuro-transmission chimique.

    L'organisation du rcepteur : ses trois parties Les rcepteurs sont constitus de longues chanes d'acides amins et sont par consquent des protines (Fig. 2-1). Ils sont pour l'essentiel situs dans la membrane du neurone (voir Fig. 2-1 et 2-2). En ralit, les rcepteurs affects la neurotransmission sont constitus de trois parties : l'une est extracellulaire, l'autre transmembranaire et la troisime intracellulaire (voir Fig. 2-2). La chane d'acides amins constituant le rcepteur ne ressemble pas relle-ment au chapelet reprsent de manire simplifie sur les Fig. 2-1 et 2-2, mais voque plutt

  • VUE DE CT D'UN RCEPTEUR SEPT DOMAINES TRANSMEMBRANAIRES

    EXTRACELLULAIRE

    MEMBRANE TRANS-MEMBRANE

    INTRACELLULAIRE

    Rcepteurs et enzymes, cibles de l'action des mdicaments 37

    FIGURE 2-2. Vue transversale d'un rcepteur sept domaines transrnembranaires. C'est la structure commune de nombreux rcepteurs des neurotransmetteurs et des hormones. La chane d'acides amins entre et sort plusieurs fois de la cellule, crant ainsi trois portions du rcepteur : la premire est la partie qui se trouve en dehors de la cellule (c'est la portion extracellulaire) ; la seconde est la partie situe dans la cellule (la portion intracellulaire) ; et enfin la troisime est la partie qui traverse la membrane plusieurs fois (dite portion transmembranaire). Tout au long de cet ouvrage, ce rcepteur sera reprsent de faon sch-matique comme l'icne figurant dans le petit cadre.

    une sorte d'hlice alpha, comparable une spirale s'enroulant autour d'un noyau central (Fig. 2-3 et 2-4). Le site de liaison du neurotransmetteur se trouve, pour de nombreux rcepteurs, l'intrieur du noyau central (c'est--dire au sein de l'hlice des Fig. 2-3 et 2-4).

    La portion de liaison extracellulaire d'un rcepteur est la partie se trouvant l'extrieur de la cellule. On croyait auparavant qu'elle contenait le site de fixation slective pour le neuro-transmetteur. Mais dsormais on sait, comme cela a t mentionn plus haut, que celui-ci est souvent situ dans la deuxime partie du rcepteur, c'est--dire la partie transmembranaire (voir Fig. 2-3 et 24).

    Certains mdicaments entrent en comptition avec le neurotransmetteur pour se fixer sur le site, et se comportent comme le neurotransmetteur lui-mme soit pour se lier au site, soit pour empcher la fixation du neurotransmetteur. Les mdicaments peuvent aussi agir sur des sites de liaison uniques et totalement distincts, situs sur un autre endroit du rcepteur. Il nous sera donn de revoir cela en dtail dans le paragraphe consacr la modulation allost-rique du Chapitre 3. Toute une recherche est en cours pour localiser ces sites de liaison, qui pourraient en fait se trouver dans les domaines transmembranaires et tre distincts du site de liaison du neurotransmetteur lui-mme. Ce dernier site est parfaitement diffrent d'un rcep-teur l'autre, et c'est cette diffrence qui est la caractristique fondamentale pour distinguer les rcepteurs les uns des autres. Certains rcepteurs possdent mme des sites de liaison pour deux neurotransmetteurs distincts, qui sont alors appels cotransmetteurs.

    Les domaines transmembranaires (voir Fig. 2-2 et 2-3) jouent probablement un rle struc-tural comme maintenir le rcepteur en place et lui permettre certains mouvements par rap-port la membrane. Ils peuvent tre semblables d'un rcepteur l'autre et ainsi former de

  • FIGURE 2-3. Les sept domaines transmembranaires ne sont pas disposs sur une mme ligne mais plutt en cercle. Au milieu de ce dernier se trouve la partie centrale o les neurotransmetteurs trouvent leurs sites de liaison. Cette figure reprsente chaque domaine transmembranaire sous forme d'une spirale, chacune tant en fait bine hlice alpha. Les sept spirales sont disposes en cercle. Au centre du cercle se trouve le site de liaison du neurotransmetteur. Puisqu'il y a sept domaines transmembranaires ( gauche), l'icne qui les reprsente porte le numro sept ( droite).

    FIGURE 2-4. Cette figure montre une vue de dessus du rcepteur. Tout ce que nous voyons est la portion extracellulaire du rcepteur qui dpasse hors de la membrane. Ces domaines extracellulaires sont connec-ts aux divers domaines transmernbranaires. La partie centrale est le lieu de fixation du