Progrès technique et révolution industrielle, l’exemple de ...

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Progrès technique et révolution industrielle, l’exemple de l’Angleterre au XIX ème siècle. En économie de marché, l’activité ne croît pas régulièrement. Il y a tantôt des phases d’expansion (forte croissance de l’activité), tantôt des phases de récession ou de crise (chute de l’activité). Ces fluctuations récurrentes de l’activité s’appellent des cycles économiques. Les économistes en distinguent plusieurs, selon leur durée. Certains sont courts (cycles mineurs ou courts d’environ 4 ans de l’anglais Kitchin, cycles majeurs de 8 ans du français Clément Juglar), d’autres sont longs, environ 50 ans (cycles du russe Kondratieff, cycles de Schumpeter, qui nous intéressent ici). Joseph Alois Schumpeter est un économiste autrichien (1883-1950) qui mit le progrès technique au centre du cycle long. Son ouvrage le plus célèbre est « Capitalisme, socialisme et démocratie » (1942). Il y définit notamment la révolution industrielle comme une « grappe d’innovations », et explique le processus fondamental de la « destruction créatrice ». Nous présenterons les principaux éléments de l’analyse de Schumpeter puis nous prendrons l’exemple de la révolution industrielle en Angleterre à la fin du XVIIIème siècle que nous illustrerons ensuite avec un exemple concret, celui de la ville de Hayle en Cornouailles. Cet article replace donc dans une perspective de long terme l’article précédent sur ce blog (28 avril 2015), qui décrivait le modèle de développement Sauvy- Fourastié basé sur les gains de productivité obtenus grâce au progrès technique. I) Progrès technique et révolutions industrielles : A) qu’est-ce qu’une révolution industrielle pour Schumpeter ? Pour Schumpeter, la « machine » capitaliste n’est pas « stationnaire ». L’activité suit sur le très long terme, une succession de fluctuations, de cycles, au coeur desquels il place l’intensité plus ou moins forte du progrès technique. Un cycle comprend une longue phase de croissance économique rythmée par une révolution industrielle, puis une longue phase de déclin (les effets des innovations, donc des gains de productivité, finissent par s’essouffler). Il faut attendre une nouvelle révolution industrielle majeure, avec des effets d’entraînement sur toute l’économie, pour relancer l’activité. Une révolution industrielle se caractérise par une « grappe d’innovations ». Les innovations arrivent par « vague ». Les innovations sont l’application des inventions à l’économie. L’innovation est donc la mise sur le marché des nouveaux produits ou procédés découverts dans les laboratoires (où s’effectuent la recherche-développement, les inventions). Elles sont mises en oeuvre par l’entrepreneur. Celui-ci ose prendre des risques, contrairement au « gestionnaire routinier » de son affaire. Le profit est perçu alors comme étant la récompense de la prise de risque et non un simple résultat comptable positif (recettes- dépenses). En effet, l’entrepreneur qui innove le premier va disposer d’une position de monopole temporaire sur le marché et va pouvoir imposer un prix élevé, source de profit, profit qui pourra être réinvesti dans de nouvelles recherches). « En fait, l’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle, tous éléments créés par l’initiative capitaliste » (J.A.Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, édition 1972 p 116). Schumpeter distingue ainsi 5 types d’innovations : nouveaux produits, nouveaux procédés de production, nouveaux marchés, nouvelles matières premières, nouvelles formes d’organisation (source idem, p 97).

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Progrès technique et révolution industrielle, l’exemple de l’Angleterre au XIX ème siècle. En économie de marché, l’activité ne croît pas régulièrement. Il y a tantôt des phases d’expansion (forte croissance de l’activité), tantôt des phases de récession ou de crise (chute de l’activité). Ces fluctuations récurrentes de l’activité s’appellent des cycles économiques. Les économistes en distinguent plusieurs, selon leur durée. Certains sont courts (cycles mineurs ou courts d’environ 4 ans de l’anglais Kitchin, cycles majeurs de 8 ans du français Clément Juglar), d’autres sont longs, environ 50 ans (cycles du russe Kondratieff, cycles de Schumpeter, qui nous intéressent ici). Joseph Alois Schumpeter est un économiste autrichien (1883-1950) qui mit le progrès technique au centre du cycle long. Son ouvrage le plus célèbre est « Capitalisme, socialisme et démocratie » (1942). Il y définit notamment la révolution industrielle comme une « grappe d’innovations », et explique le processus fondamental de la « destruction créatrice ». Nous présenterons les principaux éléments de l’analyse de Schumpeter puis nous prendrons l’exemple de la révolution industrielle en Angleterre à la fin du XVIIIème siècle que nous illustrerons ensuite avec un exemple concret, celui de la ville de Hayle en Cornouailles. Cet article replace donc dans une perspective de long terme l’article précédent sur ce blog (28 avril 2015), qui décrivait le modèle de développement Sauvy-Fourastié basé sur les gains de productivité obtenus grâce au progrès technique. I) Progrès technique et révolutions industrielles : A) qu’est-ce qu’une révolution industrielle pour Schumpeter ? Pour Schumpeter, la « machine » capitaliste n’est pas « stationnaire ». L’activité suit sur le très long terme, une succession de fluctuations, de cycles, au cœur desquels il place l’intensité plus ou moins forte du progrès technique. Un cycle comprend une longue phase de croissance économique rythmée par une révolution industrielle, puis une longue phase de déclin (les effets des innovations, donc des gains de productivité, finissent par s’essouffler). Il faut attendre une nouvelle révolution industrielle majeure, avec des effets d’entraînement sur toute l’économie, pour relancer l’activité. Une révolution industrielle se caractérise par une « grappe d’innovations ». Les innovations arrivent par « vague ». Les innovations sont l’application des inventions à l’économie. L’innovation est donc la mise sur le marché des nouveaux produits ou procédés découverts dans les laboratoires (où s’effectuent la recherche-développement, les inventions). Elles sont mises en œuvre par l’entrepreneur . Celui-ci ose prendre des risques, contrairement au « gestionnaire routinier » de son affaire. Le profit est perçu alors comme étant la récompense de la prise de risque et non un simple résultat comptable positif (recettes- dépenses). En effet, l’entrepreneur qui innove le premier va disposer d’une position de monopole temporaire sur le marché et va pouvoir imposer un prix élevé, source de profit, profit qui pourra être réinvesti dans de nouvelles recherches). « En fait, l’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle, tous éléments créés par l’initiative capitaliste » (J.A.Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, édition 1972 p 116). Schumpeter distingue ainsi 5 types d’innovations : nouveaux produits, nouveaux procédés de production, nouveaux marchés, nouvelles matières premières, nouvelles formes d’organisation (source idem, p 97).

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B) Le processus de destruction créatrice Pour Schumpeter, « le processus de mutation industrielle qui révolutionne continuellement de l’intérieur la structure économique détruit continuellement ses éléments vieillis et crée continuellement des éléments neufs. C’est un processus de destruction créatrice. C’est la donnée fondamentale du capitalisme et toute entreprise doit s’y adapter (source idem p 116). Ainsi les éléments nouveaux rendent obsolètes les éléments anciens. C’est vrai des nouveaux produits (les smartphones et tablettes d’aujourd’hui démodent le téléphone fixe voire les ordinateurs), des nouveaux modes de production (ainsi le flux tendu du toyotisme a remplacé l’organisation scientifique du travail et le fordisme), des nouveaux marchés (la Chine et les pays émergents remplacent la vieille Europe), des nouvelles matières premières (la matière plastique, la fibre de carbone, le titane). Des entreprises disparaissent faute de s’adapter, d’autres apparaissent et se développent (aujourd’hui, les start-up). « Ce processus de mutation industrielle imprime l’élan fondamental qui donne leur ton aux affaires. Pendant que ces nouveautés sont mises en train, la dépense est facile et la prospérité est prédominante, mais en même temps que ces réalisations s’achèvent et que leurs fruits se mettent à affluer, l’on assiste à l’élimination des éléments périmés…Ainsi se succèdent des périodes prolongées de gonflement des prix, des taux d’intérêt, de l’emploi et ainsi de suite, ces phénomènes constituant autant de pièces du mécanisme de rajeunissement récurrent de l’appareil de production » (idem, p 97). Le progrès technique est donc le moteur de l’expansion, notamment par les effets des gains de productivité qu’il engendre sur les prix réels et les salaires réels, mais son essoufflement crée la récession (voir article d’avril 2015 sur ce blog). C) La « respiration de l’histoire » : les enchaînements des Révolutions Industrielles. On peut voir sur le graphique ci-joint l’apparition des grappes d’innovations à certaines périodes de l’histoire, puis leur essoufflement et leur remplacement par de nouvelles innovations. On peut distinguer 5 grandes révolutions industrielles depuis le XVIII ème siècle autour de la machine à vapeur, du chemin de fer, de l’électricité, du pétrole, de l’informatique aujourd’hui.

(Source du schéma : revue Sciences Humaines, n° 25, février 1993 ; source des données : Maurice Niveau, Histoire des faits économiques contemporains, collection Thémis, édition PUF 1979 p 158)

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Plus concrètement, durant la deuxième moitié du XXème siècle, et en ce début du XXI ème siècle, on pourrait multiplier les exemples. Ainsi dans le secteur agricole, les petites exploitations ont progressivement disparu au profit de grandes exploitations développant des cultures intensives et l’élevage hors-sol. Puis, aujourd’hui, devant les dérives environnementales de cette agriculture productiviste, l’agro-écologie (le bio) commence à prendre le relais. Dans le secteur du commerce, la grande distribution avait progressivement supplanté le petit commerce mais aujourd’hui le commerce en ligne met à mal le modèle des hypermarchés, obligés à leur tour de réagir en développant les « drive ». Dans l’industrie, les ordinateurs (avec des microprocesseurs de plus en plus puissants) et les objets connectés détrônent à leur tour les produits manufacturés vedettes des Trente Glorieuses. Les téléphones mobiles et les box remplacent les téléphones analogiques fixes. La télévision accessible par Internet ou par satellite ou par le câble remplace la télévision traditionnelle et rend obsolète les antennes sur les toits. Les appareils photos numériques ont remplacé la pellicule, la technique du replay démode les magnétoscopes et même les DVD. Les envois de mails et SMS réduisent l’envoi de lettres et mettent en péril les emplois de facteurs (même si l’e-commerce développe la distribution de colis, mais La Poste n’en a pas l’exclusivité). Nous ne serions qu’au début de l’avènement d’une économie portée par le numérique. Les géants de l’informatique et de l’Internet d’aujourd’hui (souvent cotés au Nasdaq à New-York) n’existaient pas il y a 10 ans. Ainsi, sous l’effet du progrès technique, les activités changent continuellement et les emplois en même temps, ce qui suppose un effort d’adaptation et de formation permanent pour éviter les déclassements. II) Un exemple de vague d’innovations : la révolution industrielle en Angleterre Le mot révolution industrielle doit en fait être pris ici au sens plus large de processus global, tant il intègre révolution agricole, révolution démographique, révolution des matières premières et des techniques de production, révolution des modes de transport, révolution des idées. Et toutes ces révolutions sont liées. A) Révolution agricole et les enclosures Le mouvement débute avec la loi sur les enclosures ou clôture des terres au milieu du XVIIIème siècle (vers 1760). Il s’agit de promouvoir un individualisme agraire (libérer l’initiative individuelle) dans la mesure où ce mouvement met fin aux « open fields » et aux « common fields ». La pratique des champs ouverts (open fields) gênait les propriétaires terriens pour cultiver leurs terres en les obligeant à passer sur les parcelles des voisins pour accéder à leurs propres champs ce qui obligeait à harmoniser les méthodes de culture. La pratique des terres communales (common fields) donnait le droit de « vaine pâture » aux ouvriers agricoles (cottagers). La construction de ces clôtures, coûteuse, contraint de petits paysans (yeomen) à vendre leurs terres ce qui pousse à accroître la surface des exploitations. Yeomen et cottagers sont les premières victimes de ce processus qui envoie une partie de la main d’œuvre vers les villes, c’est le début de l’exode rural. Parallèlement, de nouvelles méthodes de production agricole apparaissent (dans le Norfolk) et se développent : assolement quadriennal avec alternance de cultures fourragères (trèfle, navet, betteraves) et de céréales (blé, orge), suppression de la jachère, irrigation, drainage, fumure des sols (plus de bétail), amendement des terres puis développement des engrais, et mécanisation progressive. Les rendements agricoles s’élèvent ce qui permet d’accroître la productivité agricole. Les surplus sont acheminés dans les villes (nouveaux débouchés) où ils vont permettre de nourrir la population croissante (exode rural et croissance démographique). De l’exemple du modèle anglais, il faut retenir que le développement d’un pays commence toujours par la

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révolution agricole qui permet de libérer de la main d’œuvre pour les autres secteurs d’activité et de la nourrir. B) Révolution démographique Puisque la production agricole s’élève, la population se nourrit mieux, surtout dans les villes. Le taux de mortalité qui était élevé (environ 30 °/°°) jusqu’au milieu du XVIIIème siècle commence à baisser (en rouge sur le graphique). Le taux de natalité reste par contre élevé (environ 35°/°° en bleu sur le graphique) jusqu’au début du XXème siècle. Ainsi l’écart entre le taux de natalité et le taux de mortalité (accroissement naturel, en beige sur le graphique), qui était très faible jusque là, environ 3 °/°° à 5 °/°° par an, se met à croître pour atteindre 15 °/°°, voire plus (graphique). La population s’élève enfin durablement, c’est la révolution démographique, permise par la baisse de la mortalité, elle-même permise par la révolution agricole (et des progrès dans l’hygiène, comme le pavage des rues, l’utilisation de sous-vêtements de coton). La chute du taux de natalité au XXème siècle viendra arrêter cette révolution démographique et mettre fin au « cycle démographique ». Graphique : données démographiques en G-B de 1701 à 1900 ; taux en « pour mille » (°/°°) (6 Périodes : 1701-1750 ; 1751-1780 ; 1781-1800 ; 1801-1830 ; 1840-1850 ; 1890-1900)

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La population de la Grande–Bretagne (Angleterre, Pays de Galles, Ecosse ici) passe de 7.4 millions d’habitants en 1751 à 14 millions en 1821 et 30 millions en 1881. (source des données : Maurice Niveau, Histoire des faits économiques contemporains, Thémis PUF, 1979 p 23 et 39) C) Révolution dans les matières premières Le coton importé remplace la laine dans le textile. Dans le travail du fer, le charbon remplace le bois jusque là utilisé comme combustible, le minerai de fer va donc être davantage exploité. L’utilisation du charbon (Darby, 1710) va permettre l’essor de la production de fonte et plus tard de la sidérurgie par la filière fonte. Le fer puis l’acier pourront ensuite être produits en grande quantité. Ceci ouvre la voie à la révolution industrielle et plus tard la révolution dans les transports.

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D) Révolution industrielle La révolution industrielle en Angleterre a commencé dans le secteur du textile. Le système traditionnel de la production artisanale à domicile (tisserands à domicile ou domestic system) est progressivement remplacé par le système des manufactures (manufactory system). Il s’agit de concentrer en un même lieu le capital technique (machines) et le travail (main d’œuvre). L’invention de la machine à vapeur par James Watt en 1782 donne lieu à des applications dans le domaine du textile : les machines à filer le coton telles que la Spinning- Jenny de Hargreaves, la Water- Frame d’Arkwright, le mule de Crompton pour la production en quantité de fil résistant ; les métiers mécaniques (Cartwright) pour le tissage. Désormais, les « filles tissent à la vapeur », elles ne travaillent plus à la ferme, à domicile sur des métiers à tisser manuels. C’est le début de la division du travail, décrite par Adam Smith en 1790 (Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, GF- Flammarion 1991, tome 1 p 72), de la mécanisation, de la production de masse en usine, pour le marché (article du 28 janvier 2014 sur ce blog). Parallèlement, la machine à vapeur inventée par James Watt (1782), perfectionnée par Mathew Boulton puis par Richard Trevitick de Camborne (Cornwall) trouve de multiples applications dans l’extraction des métaux (pompes pour l’assèchement des mines, fabriquées à Hayle, Cornwall, voir III), la transformation des métaux (fer, cuivre) et la métallurgie, les transports (chemin de fer). Des ponts en fer sont construits pour franchir les vallées. Ainsi le fameux « Iron Bridge » sur la rivière Severn, près de Bristol, premier pont en fer fabriqué au monde.

Ce modèle anglais de développement à partir de l’industrie textile se retrouve encore au XXème siècle, notamment depuis 1970, avec les NPIA ou nouveaux pays industrialisés d’Asie, en particulier le modèle de « remontée de filière » de la Corée du sud (passage de la production de produits textiles « bas de gamme » à des produits textiles « haut de gamme »). E) Révolution dans les transports Grâce au chemin de fer, il est désormais possible de transporter les marchandises et les personnes. Ainsi, le surplus de production agricole, les minerais mais aussi les produits manufacturés sont acheminés vers les villes et les ports. De nouveaux débouchés apparaissent et de nouveaux marchés. F) Révolution dans les idées : le triomphe du libéralisme Les idées libérales (Adam Smith, David Ricardo) émergent et se propagent avec l’école classique anglaise (article du 27 avril 2013 sur ce blog). Adam Smith se penche sur la source de la richesse des nations dès 1790 : les gains de productivité obtenus grâce à la division du travail et dans une moindre mesure, les échanges internationaux (théorie des avantages absolus). David Ricardo (1802) pousse encore plus loin les avantages retirés de l’échange

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international (théorie des avantages comparatifs). Adam Smith fait l’éloge du libéralisme avec la métaphore de la « main invisible » qui conduit à l’intérêt général sans même s’en apercevoir. La recherche de la réussite individuelle est donc un aiguillon essentiel (cf. le mouvement des enclosures, décrit plus haut, et le développement des entreprises privées, la « libre entreprise »). Cette recherche est censée conduire au meilleur état social possible selon Adam Smith : «l’individu ne pense qu’à son propre gain…et en cela il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler » (Adam Smith, « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », 1776, édition GF-Flammarion, octobre 1991, tome 2 p 43). On dit que la somme des intérêts individuels conduit à l’intérêt général, sans que les individus ne s’en préoccupent eux-mêmes. Synthèse : tout est lié

(schéma jseco22) Les enchaînements sont nets. Ainsi, l’agriculture fournit à l’industrie des bras, de la nourriture pour la main d’œuvre des villes et des commandes. De même l’industrie fournira à l’agriculture des machines agricoles, de l’outillage, des engrais. Le chemin de fer de son côté fournit à l’industrie des commandes et des moyens pour écouler la production. Cependant, si l’économie se développe, il ne faut pas oublier non plus que ces formidables changements ont créé aussi d’autres bouleversements, sociaux ceux-là : exode rural, essor du salariat, difficile condition ouvrière (y compris travail des enfants), d’où en réaction apparition du syndicalisme, des conflits sociaux (antagonisme des classes sociales, classe ouvrière et bourgeoisie), et début du droit du travail. Mais dans le même temps, le progrès technique a aussi permis de baisser la durée du travail, de créer les congés payés, d’accroître

Révolution agricole Révolution

démographique

Révolution dans les idées (libérales)

Nouvelles matières premières (charbon)

Révolution industrielle

Révolution dans les modes de transport (chemin de fer) Nouveaux

marchés (internes et externes)

Urbanisation

Innovations technologiques Croissance

économique

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les salaires réels donc le pouvoir d’achat, de baisser les prix réels des biens et d’améliorer le niveau de vie de la population et les conditions du travail (articles du 28 avril 2015 et du 24 septembre 2013 sur ce blog). III) Un exemple concret: la ville de Hayle en Cornouailles anglaise, au cœur des 2 premières Révolutions Industrielles. Hayle : La ville qui « changea le monde » ? (The town that changed the world)

(photo jseco22) La ville de Hayle (10 000 habitants, baie de Saint-Ives, Cornwall, extrémité sud-ouest de l’Angleterre, jumelée avec Pordic, 22) a beaucoup contribué aux 2 premières révolutions industrielles que le monde a connues et qui ont eu lieu en Angleterre. Elles ont été considérées comme un modèle de développement (agricole, démographique, industriel). Le sous-sol de la Cornouailles était riche de petites mines de cuivre, étain, zinc, plomb, argent tout autour de Hayle (Saint-Just, Zennor, Camborne, Redruth, Saint-Agnès...)

(ancienne mine d’étain, près de Saint-Agnès) Les atouts de Hayle

• Proximité des mines • Et du charbon du sud du Pays de Galles • Estuaire et port • Sans oublier, des inventeurs et des entrepreneurs innovateurs (ci-dessous)

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• Et plus tard, le chemin de fer après 1840 Il y avait 2 quartiers industriels « rivaux » dans la ville, fin 18ème autour des 2 grandes entreprises : Harvey Foundry à l’Ouest, et Cornish Copper Co à l’Est de la ville. A) HARVEY FOUNDRY (1779-1916) Entreprise fondée par John Harvey en 1779, corderie puis fonderie (photo ci-dessous) et construction navale. Fabrique d’engins à vapeur (pompes à vapeur) pour équiper les mines (exemple : mines de Levant en 1835, ci-dessous)

(photo jseco22) En 1840 : 1000 salariés, renommée internationale, machines vendues en Europe, en Amérique du sud…bureaux à Londres, catalogues. Construction navale : 79 navires construits à Hayle par Harvey de 1795 à 1893. Sur le logo de la ville de Hayle (ci-dessous), on peut voir le bateau à vapeur « SS Cornubia » construit à Hayle en 1858 par Harvey & Co (ligne Hayle-Bristol), ce qui témoigne de ce riche passé industriel.

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B) Richard TREVITHICK (1771-1833) né à Camborne près de Hayle est un ingénieur et inventeur foisonnant du début du XIXe siècle (mais qui eu peu de réussite comme innovateur, au sens de Schumpeter). Marié en 1797 avec Jane HARVEY, fille de John Harvey (fonderie Harvey à Hayle) En 1800, il construit une machine à vapeur à haute pression, plus puissante et économique que celle de James Watt (1782). Très tôt, il avait compris que la machine à vapeur aurait de multiples applications

• Transport (automobile, chemin de fer, navires) • Industrie (mines, sidérurgie, métallurgie, textile : métiers à tisser mécaniques…) • => Elle a révolutionné les méthodes de production en permettant la création de

grandes usines. Avec le charbon, elle est à l’origine de la 1ère révolution industrielle (1789- 1848) Richard Trevithick invente successivement : 1801 : la Puffing Devil (le démon pouffant) à Camborne (la 1ère automobile à vapeur) 3 exemplaires circuleront sur une route en 1801

• À Camborne • À Londres • À Coalbrookdale, sur la rivière Severn (berceau de la 1ère Révolution Industrielle, où

se trouve Iron Bridge)

(photo jseco22) 1803 : il construit une locomotive à vapeur 21 février 1804 : la Pen y Darren, 1ère locomotive à vapeur (ci-dessous), transporte 10 tonnes de minerai de fer (à Merthyr Tydfil, au sud du Pays de Galles)

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1806 : il construit un dragueur à vapeur sur la Tamise, 1808 : il construit la 1ère locomotive transportant des voyageurs, la locomotive « M'attrape qui peut ! » à Londres (ticket vendu 5 shillings pour un tour de circuit à 20 km/h, voir ci-dessous) ;

1809-15 : il dépose plusieurs brevets

• Pour la propulsion des navires • Pour le machinisme agricole… • Pour des moteurs • Pour une foreuse • etc… (chaudières, condenseurs en 1831)

Il eut en revanche peu de succès pour faire émerger de ses prototypes des solutions opérationnelles viables (innovations) et mourut dans la pauvreté (en 1833 à Dartford, Kent) après son retour d’Amérique du Sud où il avait travaillé (mines du Pérou). Son fils Francis a mis au point en 1847 une locomotive puissante avec des roues de grande taille la « Cornwall ». Le chemin de fer fut le moteur de la 2ème Révolution Industrielle (1848-1896)

• 1830 : 1ère ligne de chemin de fer Manchester-Liverpool • 1843 : 3 120 Kms de voies ferrées construites • 1850 : 10 590 • 1870 : 24 500 • 1890 : 33 000 • 1910 : 38 000

Mais phénomène cyclique avec • Des périodes d’expansion (prospérité, spéculation boursière sur le cours des actions

des sociétés de chemin de fer ; ex : la « Railway mania » (maximum des cours en 1846)

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• Des périodes de récession (effondrement des investissements, de la production, crise

boursière) ex : 1845-48 C) La Cornish Copper Co. Entreprise installée à Hayle en 1757 Elle produit des équipements pour les mines ex : Robinson’s engine à la mine de South Crofty (près de Camborne) Elle se développe dans le nouveau quartier « Copperhouse » à Hayle C’est cette compagnie qui a coulé les chaînes pour fabriquer les ponts de I.K.Brunel (voir ci-dessous). Plus tard, suite à des difficultés financières, elle décline et sera rachetée en 1875 par Harvey and Co. D) Isambard Kingdom BRUNEL (Né en 1806 à Portsmouth, décédé en 1859 à Torkay) Ingénieur (père d’origine normande)

• Nombreux et célèbres ponts suspendus à chaînes de fer forgé dont ceux d’ Hungerford à Londres, de Clifton à Bristol et surtout le Royal Albert bridge à Plymouth.

• Les grosses chaînes de fer forgé étaient coulées à Hayle à la Cornish Copper Company (ci-dessous photo de JK Brunel devant les chaînes)

• Nombreux viaducs

Construction du Royal Albert bridge sur la Tamar près de Plymouth en 1859, pont métallique qui relie la Cornouailles au sud de l’Angleterre (photo ci-dessous, le nom de l’ingénieur Brunel est gravé sur le pont),

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Clifton bridge à Bristol (1864) (chaînes coulées à Hayle) Le viaduc de St Austell (pour la Cornwall Railway) Le viaduc de Hayle (1852) construit par I.K. Brunel pour la West Cornwall railway Autres réalisations de IK Brunel

• Tunnel sous la Tamise en 1830 avec son père, ingénieur français (il invente le tunnelier)

• Lignes de chemin de fer (Great Western Railway, Cornwall Railway…) • 3 navires transatlantiques (dont le Great Britain, 1er navire en fer en 1843) • 1 hôpital préfabriqué à Istanbul (guerre de Crimée)

Il y eu bien d’autres entreprises industrielles à Hayle au 19 ème siècle et première moitié du 20 ème siècle. Ces exemples permettent à la ville d’afficher fièrement sur un grand panneau le long du bassin du port : « Hayle, la ville qui a changé le monde » (Hayle, the town that changed the world). Source : Churks, Clidgy & Doodle-Dashers Hayle Tales and Trails compiled and edited by Lucy FREARS, édition 2011. Jseco22, le 30 mai 2015 Ancien professeur de sciences économiques et sociales