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15 Pratique contractuelle. La clause de suspension du service dans les contrats informatiques et télécoms Olivier DORCHIES, juriste d'entreprise CONTEXTE Stipulée par le prestataire dans un but défensif et comminatoire, la clause de suspension du service figure dans de nombreux contrats informatiques et télécoms conclus entre professionnels. Traditionnelle en matière de contrats de services conclus avec les opérateurs de télécommunications, cette clause est dorénavant couramment stipulée dans les contrats de services d'externalisation informatique tels que ceux d'infogérance ou bien ceux de cloud Computing conclus sur le modèle « Saas » (« software as a service » ou logiciel en tant que service) ou « laas » (« infrastructure as a service » ou infrastructure en tant que service). La présence d'une telle clause dans les conditions générales de services d'un contrat informatique peut s'avérer légitime. Suivant la règle de l'exception d'inexécution, elle autorise en effet le prestataire, sous certaines conditions, à refuser unilatéralement d'exécuter son obligation en interrompant le service qu'il délivre aussi longtemps que son client n'exécute pas la sienne. Concrètement, ce mécanisme dit de l'exécution « trait pour trait » ou plus prosaïquement du « donnant donnant » implique que le prestataire puisse, en différentes hypothèses dont notamment en cas d'impayés de son client, suspendre le service informatique qu'il fournit. Outre qu'elle doit être mise en avec précaution et qu'elle peut se heurter à certaines limites, cette pratique contractuelle doit être aujourd'hui adaptée à l'aune des dispositions de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats qui vient notamment codifier l'exception d'inexécution. COMMENTAIRES L'exception d'inexécution au fondement de la suspension du service. - Trouvant ses prémisses dans le mécanisme ancien de l'« exceptio non adimpleti contractus » prévu en droit romain, la suspension découlant de l'exception d'inexé- cution constitue un « moyen de défense permettant au créan- cier d'un contrat synallagmatique- appelé aussi « excipiens » - de ne pas exécuter sa prestation tant que son débiteur n'a pas exécuté la sienne » (R. Cabrillac (ss dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique: LexisNexis, 7 e éd., 2016). Création prétorienne venant déroger à l'adage traditionnel suivant lequel « nul ne peut se faire justice à soi-même », l'exception d'inexécution constitue une voie de justice privée laissée à l'entière discrétion de celui qui l'invoque, sans décision préalable des juges. Dans le silence du Code de 1804 à son sujet, la jurispru- dence posait deux conditions de fond pour sa mise en D'abord, l'existence d'obligations réciproques ou interdépen- dantes, l'une n'ayant pas été exécutée alors qu'elle aurait l'être. Comme rappelé ainsi par un arrêt récent rendu dans le domaine des contrats informatiques « (...) l'interdépendance des obligations permet à l'une des parties de ne pas exécuter son obligation lorsque l'autre n'exécute pas la sienne » (CA Versailles, 12 e ch., 12 avr. 2016, 14/01502). Ensuite, il fallait bien entendu que le débiteur de l'excipiens n'exécute pas son obligation. Les conditions de forme de l'exception d'inexécution étaient, quant à elles, minimales. Sa mise en n'était subordon- née à aucune demande en justice ni même, en principe, à l'existence d'une clause contractuelle la prévoyant ou encore à l'envoi d'une mise en demeure préalable. Restait toutefois que la charge de la preuve pesait toujours sur l'excipiens, la jurisprudence venant au besoin rappeler qu'« il appartient à celui qui invoque l'exception d'inexécution en alléguant que son cocontractant n'a pas rempli son obligation d'établir cette inexécution» (CA Versailles, 12 e ch., 12 avr. 2016, 14/ 01502, préc.). Ajoutons que la suspension découlant de l'exception d'inexécution demeurait une mesure temporaire dans sa mise en qui n'avait donc pas vocation à se prolonger indéfiniment. Si tel était pourtant le cas, il apparte- nait alors à l'excipiens d'en tirer toutes les conséquences en recourant par exemple à l'exécution forcée du contrat ou bien en demandant la résiliation judiciaire de ce dernier. Applications jurisprudentielles dans le domaine des contrats informatiques et télécoms. - L'étude de la jurispru- dence rendue sous l'empire du Code de 1804 permet d'établir la licéité de principe de la clause de suspension du service stipulée au contrat et de sa mise en ultérieure par le prestataire au cours de son exécution. Ont ainsi été validées au contentieux : - la clause stipulée à un contrat de service d'accès à Internet prévoyant d'une part, que le fournisseur d'accès se réservait le droit de suspendre le service en l'absence de règlement, dans un délai de 15 jours, d'une facture échue et d'autre part, que ladite suspension « (...) n'entraînera pas la suspension des paiements et facturations au titre du bon de commande concerné» (CA Rouen, ch. civ. et com., I er mars 2012, 11/03111 : jurisData n° 2012-008870) ; - la suspension du service opérateur mise en par un prestataire au motif que son client ne s'était pas acquitté de créances pour un montant important. En l'espèce, le presta- taire faisait valoir que différentes factures étaient impayées et justifiait avoir adressé à son distributeur deux courriers de mise Tous droits de reproduction réservés PAYS : France PAGE(S) : 49,50,51,52 SURFACE : 281 % PERIODICITE : Mensuel DIFFUSION : (2000) 1 octobre 2016 - N°10

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15 Pratique contractuelle. La clausede suspension du service dansles contrats informatiques et télécoms

Olivier DORCHIES,

juriste d'entreprise

CONTEXTE

Stipulée par le prestataire dans un but défensif et comminatoire, la clause de suspension du service figure dans denombreux contrats informatiques et télécoms conclus entre professionnels.Traditionnelle en matière de contrats de services conclus avec les opérateurs de télécommunications, cette clause estdorénavant couramment stipulée dans les contrats de services d'externalisation informatique tels que ceuxd'infogérance ou bien ceux de cloud Computing conclus sur le modèle « Saas » (« software as a service » ou logiciel entant que service) ou « laas » (« infrastructure as a service » ou infrastructure en tant que service).La présence d'une telle clause dans les conditions générales de services d'un contrat informatique peut s'avérerlégitime. Suivant la règle de l'exception d'inexécution, elle autorise en effet le prestataire, sous certaines conditions, àrefuser unilatéralement d'exécuter son obligation en interrompant le service qu'il délivre aussi longtemps que son clientn'exécute pas la sienne. Concrètement, ce mécanisme dit de l'exécution « trait pour trait » ou plus prosaïquement du« donnant donnant » implique que le prestataire puisse, en différentes hypothèses dont notamment en cas d'impayés deson client, suspendre le service informatique qu'il fournit.

Outre qu'elle doit être mise en œuvre avec précaution et qu'elle peut se heurter à certaines limites, cette pratiquecontractuelle doit être aujourd'hui adaptée à l'aune des dispositions de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016portant réforme du droit des contrats qui vient notamment codifier l'exception d'inexécution.

COMMENTAIRES

• L'exception d'inexécution au fondement de la suspensiondu service. - Trouvant ses prémisses dans le mécanismeancien de l'« exceptio non adimpleti contractus » prévu endroit romain, la suspension découlant de l'exception d'inexé-cution constitue un « moyen de défense permettant au créan-cier d'un contrat synallagmatique- appelé aussi « excipiens »- de ne pas exécuter sa prestation tant que son débiteur n'a pasexécuté la sienne » (R. Cabrillac (ss dir.), Dictionnaire duvocabulaire juridique: LexisNexis, 7

eéd., 2016). Création

prétorienne venant déroger à l'adage traditionnel suivantlequel « nul ne peut se faire justice à soi-même », l'exceptiond'inexécution constitue une voie de justice privée laissée àl'entière discrétion de celui qui l'invoque, sans décisionpréalable des juges.

Dans le silence du Code de 1804 à son sujet, la jurispru-dence posait deux conditions de fond pour sa mise en œuvre.

D'abord, l'existence d'obligations réciproques ou interdépen-dantes, l'une n'ayant pas été exécutée alors qu'elle aurait dûl'être. Comme rappelé ainsi par un arrêt récent rendu dans ledomaine des contrats informatiques « (...) l'interdépendancedes obligations permet à l'une des parties de ne pas exécuterson obligation lorsque l'autre n'exécute pas la sienne » (CAVersailles, 12

ech., 12 avr. 2016, n° 14/01502). Ensuite, il

fallait bien entendu que le débiteur de l'excipiens n'exécutepas son obligation.

Lesconditions de forme de l'exception d'inexécution étaient,quant à elles, minimales. Sa mise en œuvre n'était subordon-née à aucune demande en justice ni même, en principe, àl'existence d'une clause contractuelle la prévoyant ou encoreà l'envoi d'une mise en demeure préalable. Restait toutefoisque la charge de la preuve pesait toujours sur l'excipiens, la

jurisprudence venant au besoin rappeler qu'« il appartient àcelui qui invoque l'exception d'inexécution en alléguant queson cocontractant n'a pas rempli son obligation d'établir cetteinexécution» (CA Versailles, 12

ech., 12 avr. 2016, n° 14/

01502, préc.). Ajoutons que la suspension découlant del'exception d'inexécution demeurait une mesure temporairedans sa mise en œuvre qui n'avait donc pas vocation à seprolonger indéfiniment. Si tel était pourtant le cas, il apparte-nait alors à l'excipiens d'en tirer toutes les conséquences enrecourant par exemple à l'exécution forcée du contrat ou bienen demandant la résiliation judiciaire de ce dernier.

• Applications jurisprudentielles dans le domaine descontrats informatiques et télécoms. - L'étude de la jurispru-dence rendue sous l'empire du Code de 1804 permet d'établirla licéité de principe de la clause de suspension du servicestipulée au contrat et de sa mise en œuvre ultérieure par leprestataire au cours de son exécution. Ont ainsi été validées aucontentieux :

- la clause stipulée à un contrat de service d'accès à Internetprévoyant d'une part, que le fournisseur d'accès se réservait ledroit de suspendre le service en l'absence de règlement, dansun délai de 15 jours, d'une facture échue et d'autre part, queladite suspension « (...) n'entraînera pas la suspension despaiements et facturations au titre du bon de commandeconcerné» (CA Rouen, ch. civ. et com., Ier mars 2012,n° 11/03111 : jurisData n° 2012-008870) ;

- la suspension du service opérateur mise en œuvre par unprestataire au motif que son client ne s'était pas acquitté decréances pour un montant important. En l'espèce, le presta-taire faisait valoir que différentes factures étaient impayées etjustifiait avoir adressé à son distributeur deux courriers de mise

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en demeure préalable non suivis d'effet à la suite desquels, ilavait suspendu la possibilité de neuf clients finaux de passerdes appels mais pas d'en recevoir. Suivant son ordonnance, lejuge des référés a condamné le distributeur à opérer règlementde l'intégralité de sa dette tout en estimant dans le mêmetemps que « la suspension des appels sortants de neuf clientsconstitue un trouble illicite qui menace l'intérêt social de lademanderesse » l'enjoignant sous astreinte à les rétablir àcompter du lendemain du virement de la somme sus-évoquéesur les comptes du prestataire (T. com. Paris, ord. réf., 30 nov.2015, Norm'Action Centre-Pays de Loire c/ Nerim). Pourambivalente qu'elle soit dans sa motivation, cette décisionconfirme néanmoins la licéité de principe de la clause desuspension du service mise en œuvre par le prestataire à raisondes impayés de son client. En effet, il ressort du dispositif del'ordonnance, que le juge des référés condamne tout d'abordle client au paiement de sa dette - ce qui est essentiel - pourensuite, dans un deuxième temps, ordonner au prestataire lerétablissement des appels.

Toutefois, la pratique de la suspension du service peut seheurter aux abus ou à la mauvaise foi de celui qui l'a mise enœuvre donnant ainsi à la jurisprudence un aspect plus nuancé.De même, le client peut, en différentes hypothèses, ne pasexécuter sa contre-prestation pour de justes motifs en seprévalant éventuellement lui-même de l'exception d'inexécu-tion. Dans des circonstances de ce type, n'ont pas étévalidées :

- la mise en œuvre d'une clause stipulée à un contratd'abonnement téléphonique prévoyant la suspension de toutou partie des prestations dues par l'opérateur en cas de défautde paiement après envoi préalable d'une lettre de mise endemeure restée sans effet. Dans un contexte caractérisé parl'insatisfaction du client au regard, d'une part, de perturba-tions techniques dont la réalité était établie et, d'autre part, defactures contestées par ce dernier, le recours à la suspensionde l'abonnement téléphonique par l'opérateur, même dans lesconditions de service restreint minimum, n'était pas justifié(CA Douai, 2

ech., V

esect., 8 janv. 2014, n° 12/06993) ;

- la mise en œuvre unilatérale par le prestataire d'unemesure de suspension de l'accès Internet au site qu'il avait misen ligne pour son client motif pris d'un défaut de paiement parce dernier. Une telle suspension ne s'analyse pas comme uneexception d'inexécution mais constitue une « voie de fait » etun « abus de droit » dans la mesure où la créance facturéen'était pas certaine et exigible (CA Nîmes, 2

ech. com., sect. B,

31 janv. 2013, n° 12/01240).

Il s'agit également de prendre en considération la suspensiondu service mise en œuvre dans le cas particulier du droit desprocédures collectives. Dans ce contexte ont par exemple étéjugées fautives :

- la suspension unilatérale d'un abonnement au servicetéléphonique au seul motif que le client faisait l'objet d'uneprocédure de liquidation judiciaire et alors même qu'unecession était valablement intervenue au profit d'un repreneur,ce que ne pouvait ignorer le prestataire (CA Pau, 2

ech.,

Ve

sect., 30 juin 2014, n° 13/00640: jurisData n° 2014-018419). Dans cette affaire, la cour a condamné le prestataireà réparer l'entier préjudice subi par le repreneur qui résultaitdirectement de la suspension du service (remboursement dessalaires, préjudice commercial et d'image) ;

- la suspension unilatérale de liens Internet de la part d'unprestataire à la suite du prononcé de la liquidation judiciairede son client. En l'espèce, dans le cadre de la procédure deliquidation, le mandataire avait résilié l'ensemble des liensréseau à l'exception de la fourniture de certains sites ceci, afinde permettre à la cellule liquidative de pouvoir exercer sonactivité. Les factures mensuelles correspondant à ces presta-tions étaient régulièrement payées mais le prestataire récla-mait le paiement de la totalité des loyers à échoir à titred'indemnité de résiliation anticipée conformément aux condi-tions contractuelles. Le mandataire soutenait notamment en

défense que les factures mensuelles de prestations étantrégulièrement honorées, aucun manquement ne pouvait êtreinvoqué pour justifier de la suspension des liens utilisés par lacellule liquidative. Il faisait également valoir sur le fondementdes dispositions des articles L. 622-17 et L. 641 -13 du Code decommerce que si les créances nées régulièrement après lejugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de laprocédure, en contrepartie d'une prestation fournie, sontpayées à leur échéance, il n'en va pas de même desindemnités et pénalités qui sont exclues en cas de résiliationd'un contrat régulièrement suivi. Retenant cette argumenta-tion, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon aestimé que c'est en violation de ces dispositions propres auxprocédures collectives que le prestataire a unilatéralementsuspendu ses services en exigeant pour le rétablissement lepaiement intégral de sa créance. Partant, il est jugé que lasuspension constitue un trouble manifestement illicite qu'ilconvient de faire cesser (T. com. Lyon, ord. réf., 5 avr. 2012,n ° 2012R00353-1209600034/1 ).

• La codification de l'exception d'inexécution. - L'ordon-nance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme dudroit des contrats, du régime général et de la preuve desobligations consacre au sein de la section relative à l'inexécu-tion du contrat une sous-section spécialement dédiée àl'exception d'inexécution. Ce faisant, la règle perd soncaractère purement prétorien pour reposer désormais sur unfondement textuel. A cet égard, les articles 1219 et 1220 duCode civil issus de l'ordonnance énoncent respectivement :« Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alorsmême que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas lasienne et si cette inexécution est suffisamment grave » ; « Unepartie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lorsqu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas àl'échéance et que les conséquences de cette inexécution sontsuffisamment graves pour elle. Cette suspension doit êtrenotifiée dans les meilleurs délais ».

Sans trop d'effort d'exégèse, il se déduit de ces dispositionsque l'exception d'inexécution présente dorénavant un doublevisage :

- d'une part, selon les termes de l'article 1219, une excep-tion d'inexécution palliative susceptible d'être mise en œuvre

alors même que l'obligation est exigible. Par lui-même, cemécanisme n'est pas nouveau et reprend en substance, lesacquis posés précédemment par la jurisprudence. Si la notionde réciprocité ou d'interdépendance entre les obligations n'estpas requise expressément par le texte, celle d'une gravitésuffisante de l'inexécution est en revanche érigée au rang decondition. A propos de cette dernière, le Rapport au présidentde la République (jO 11 févr. 2016) apporte d'utiles préci-sions en énonçant que : « cette exception ne peut êtresoulevée par le créancier que si l'inexécution présente uncaractère suffisamment grave, et ne peut donc être opposéecomme moyen de pression sur le débiteur que de façonproportionnée. L'usage de mauvaise foi de l'exceptiond'inexécution par un créancier face à une inexécution insigni-fiante constituera dès lors un abus (...) » ;

- d'autre part, selon les termes de l'article 1220, uneexception d'inexécution préventive susceptible d'être mise enœuvre avant tout commencement d'exécution du contrat. Cemécanisme est particulièrement novateur et ouvre au créan-cier la possibilité d'anticiper l'inexécution dont il est manifestequ'elle aura lieu. Ceci explique d'ailleurs qu'il soit davantageencadré puisqu'outre l'exigence de gravité suffisante del'inexécution, la décision de suspension de la prestation doitêtre notifiée « dans les meilleurs délais » à l'autre partie.

Qu'elle soit palliative ou préventive, l'exception d'inexécu-tion demeure suite à la réforme du droit des obligations unmécanisme temporaire aboutissant, à défaut d'exécutionsatisfaisante, à la résiliation ou la résolution du contrat conclu.

Ajoutons que l'article 1217 du Code civil issu de l'ordon-nance du 10 février 2016 prévoit un important arsenal de

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sanctions auquel la partie envers laquelle l'engagement n'apas été exécuté ou l'a été imparfaitement peut décider d'avoirrecours. Parmi celles-ci, il sera tout particulièrement relevéque le créancier victime de l'inexécution peut « refuserd'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ».

Ainsi, l'ordonnance portant réforme du droit des contrats doteles parties d'une plus grande liberté d'action pour prévenirvoire résoudre leur litige sans nécessairement passer par lavoie judiciaire.

RECOMMANDATIONS

• L'esprit de la clause de suspension du service. - La clausedoit tendre, pour le prestataire, vers un double objectif. Toutd'abord, constituer un moyen de pression de nature à inciter leclient à exécuter ses propres engagements. Ensuite, pour le casoù ce moyen de pression se révélerait inopérant, constituer unmoyen de défense permettant de riposter à toute inexécution ourisque d'inexécution adverse.

Ceci exposé, il s'agit de garder à l'esprit que la mise en œuvre

de la suspension du service prévue au contrat s'opère toujoursaux risques et périls du prestataire en l'absence de tout recoursau juge a priori. La prudence est donc de mise ; ceci d'autant quetoute interruption du service peut s'avérer extrêmement préjudi-ciable à l'activité du client. Dans ces conditions, bien que leprincipe de suspension du service ait été prévu contractuelle-ment, sa mise en œuvre doit s'avérer justifiée et proportionnéeau regard de l'inexécution ou du risque d'inexécution adverse.On ne pourra donc que trop recommander un examen préalableet particulier des circonstances, sans systématisme excessif.

• La lettre de la clause de suspension du service. - Pour ce quirelève de la rédaction proprement dite, dans l'attente d'unpremier éclairage jurisprudentiel relatif à l'exception d'inexécu-tion préventive et la manière dont elle doit être appréhendée enpratique, nous nous cantonnerons au seul cas de la suspensiondu service intervenant dans le contexte d'une exception d'inexé-cution palliative.

À côté de la stricte suspension du service qui consistegénéralement en une interruption complète du service, il peutêtre judicieux d'envisager l'éventualité d'une limitation d'accèsau service lorsqu'elle est techniquement possible. Moins abso-lue dans ses effets, la limitation d'accès au service peutapparaître moins risquée dans ses conséquences et se révélertout aussi efficace en pratique.

Il s'agira ensuite de définir les différents cas de recours à lasuspension ou à la limitation d'accès au service. À cet égard,

outre le cas traditionnel du défaut de paiement par le clientd'une ou plusieurs factures arrivées à échéance, le recours à lasuspension ou à la limitation d'accès au service peut notammentêtre prévu pour des raisons techniques ou de sécurité informa-tique ainsi qu'en cas de demande d'une autorité judiciaire ouadministrative.

Au sein de ces cas de recours, celui du défaut de paiement estparticulièrement important et mérite qu'on s'y attarde. Dans lamesure où il constitue une inexécution majeure du client, il noussemble pouvoir être utilement préqualifié comme étant « suffi-samment grave » pour le prestataire au sens de l'article 1219 duCode civil issu de l'ordonnance. Si le principe de la suspensionimmédiate et sans préavis du service en cas d'impayés seretrouve fréquemment dans certaines conditions générales deservices, nous lui préférons par précaution la formalité tenant àl'envoi d'une mise en demeure préalable restée infructueuse.

Naturellement, dans tous les cas de recours, la suspension duservice doit, pendant toute sa durée, relever le prestataire desniveaux de services convenus (« Service level agreements » ouaccords sur les niveaux de services) et ne pas être comptabiliséeau titre des taux de disponibilité.

La question de l'obligation à paiement du client pendant lapériode de suspension ou limitation mérite également d'êtreconsidérée, la jurisprudence ayant déjà admis le principe suivantlequel la suspension du service n'entraîne pas nécessairement lasuspension des paiements et facturations (CA Rouen, ch. civ. etcom., 1er mars 2012, n° 11/03111, préc.).

Enfin, dans la mesure où la suspension ou limitation d'accès auservice constituent théoriquement des mesures temporaires, ils'agit de prévoir les conditions relatives au rétablissement duservice. Au cas où la suspension ou limitation d'accès au serviceexcéderaient une certaine durée et où l'inexécution adversepersisterait, il y a également lieu de doter le prestataire d'unefaculté de résiliation du contrat de plein droit.

EXEMPLE DE CLAUSE

Avertissement : compte tenu des remarques ci-dessus, cetteclause est fournie à titre d'exemple et non de modèle.

Le Prestataire se réserve le droit de suspendre ou limiterl'accès au service :

A) En cas de défaut de paiement par le Client d'une ouplusieurs factures arrivées à échéance.

Cette inexécution du Client et ses conséquences présententun caractère suffisamment grave pour le Prestataire.

Le Prestataire notifie au Client par voie recommandée avecavis de réception, une lettre de mise en demeure préalable à lasuspension ou à la limitation d'accès au service.

Passé un délai d'un mois suivant la réception par le Clientd'une mise en demeure restée infructueuse, le Prestataire peutprocéder de plein droit, sous quinzaine, à la suspension ou à lalimitation d'accès au service.

AJOUTER éventuellementB) En cas d'interventions techniques ou d'opérations de

maintenance ;C) En cas de risque pour la sécurité du service ou d'utilisation

frauduleuse de celui-ci afin de protéger les intérêts du Client ;D) En cas de demande d'une autorité judiciaire ou adminis-

Pour les cas mentionnés aux points B), C) et D) le Prestatairepeut procéder de plein droit et sans préavis à la suspension ouà la limitation d'accès au service après avoir avisé préalable-ment le Client par tout moyen.

POURSUIVRE ensuite

La mise en œuvre de la suspension ou limitation d'accès auservice relève le Prestataire de son obligation de fournir leservice souscrit pour toute la durée de cette suspension oulimitation et ne donne droit à aucune indemnité au bénéficedu Client.

La responsabilité du Prestataire ne saurait être engagée àraison des éventuelles conséquences dommageables de lasuspension ou limitation d'accès au service sur les activités duClient.

CHOISIR suivant le cas

• Dispense d'obligation à paiement du Client pendant lapériode de suspension ou limitation d'accès au service

Pendant la période de suspension ou limitation d'accès auservice, le Client est dispensé de son obligation à paiement etle service ne lui est plus facturé.

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• Absence de dispense d'obligation à paiement du Clientpendant la période de suspension ou limitation d'accès auservice

Pendant la période de suspension ou limitation d'accès auservice, le Client reste tenu à son obligation à paiement et leservice lui est facturé.

POURSUIVRE ensuiteLe rétablissement du service après suspension ou limitation

d'accès intervient dans un délai maximal de quarante-huitheures après que l'événement l'ayant justifié ait pris fin.

Pour les cas mentionnés aux points A) et D) des fraisforfaitaires de rétablissement du service seront facturés auClient par le Prestataire.

Pour les cas mentionnés aux points B) et C) aucun fraisforfaitaire de rétablissement du service ne sera facturé auClient par le Prestataire.

AJOUTER éventuellementPour les cas mentionnés aux points A) et D), en cas de

suspension ou de limitation d'accès au service pour une duréesupérieure à trois mois, le Prestataire peut résilier le contrat deplein droit. Dans cette éventualité, le Prestataire notifie auClient la résiliation du contrat par voie recommandée avecavis de réception.

Mots-C/< Contrat informatique et télécoms- Clausedesuspensionde service

Pourallerplus loinTEXTES

- C. civ., art. 1219 et 1220, issus de Ord. n° 2016-131,10 févr.2016, portant réforme du droit des contrats, du régime généralet de la preuve des obligations ;

- Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnancen° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit descontrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO11 févr. 201 6.

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