P.P. BC 1528 LE JOURNAL DE L’ALPHA - Lire et Écrire · quer les choix de Lire et Ecrireen la...

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LE JOURNAL DE L’ALPHA N°155 Novembre 2006 Périodique bimestriel - Bureau de dépôt Bruxelles X - N° d’agréation: P201024 Expéditeur: Lire et Ecrire Communauté française - Rue Antoine Dansaert 2a - 1000 Bruxelles BELGIQUE - BELGIË P.P. BRUXELLES – BRUSSEL X BC 1528 La lecture? Parlons-en !

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LE JOURNAL DE

L’ALPHA

N°155 Novembre 2006Pé r i od i que b ime s t r i e l - Bu reau d e d épô t B ruxe l l e s X - N° d ’ ag r éa t i on : P201024Expéditeur : Lire et Ecrire Communauté française - Rue Antoine Dansaert 2a - 1000 Bruxelles

BELGIQUE - BELGIË

P.P.

BRUXELLES – BRUSSEL X

BC 1528

La lecture? Parlons-en!

RÉDACTIONLire et Ecrire Communauté française

Rue A. Dansaert, 2a - 1000 Bruxellestél. 02 502 72 01

courriel : [email protected]

SECRÉTAIRE DE RÉDACTIONSylvie-Anne GOFFINET

avec la collaboration de Catherine BASTYNS

COMITÉ DE RÉDACTIONNadia BARAGIOLA

Jean CONSTANTAnne GILIS

Magali JOSEPHFrédérique LEMAÎTRE

Catherine STERCQ Paule VAN ROY

Annick WUESTENBERG

EDITRICE RESPONSABLECatherine STERCQ

rue Antoine Dansaert, 2a 1000 Bruxelles

DESSINSChris DE GREEF

MISE EN PAGEpiezo.be

ABONNEMENTS (6 numéros par an)Belgique : 15 € pour le réseau

d’alphabétisation, 25 € hors réseauEtranger : 30 €

A verser à Lire et Ecrire asblCompte n°001-1626640-26

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Membre de l’Association des Revues scientifiques et

culturelles – ARSC, www.arsc.be

Les objectifs du Journal de l’alpha

> Informer et susciter réflexions et débats sur

des thèmes pédagogiques et politiques liés

à l’alphabétisation et à la formation de base

des adultes peu scolarisés.

> Favoriser les échanges de pratiques pédagogiques

centrées sur le développement personnel et

collectif, la participation à la vie sociale,

économique, culturelle et politique des

personnes en formation.

> Mettre en relation les acteurs du secteur de

l’alphabétisation et de secteurs proches dispersés

géographiquement ou institutionnellement.

> Ouvrir un espace rédactionnel aux intervenants

de ces secteurs.

Une rubrique ‘Droit de réponse’ permet

de réagir au contenu du journal.

La contribution des lecteurs est également

attendue pour partager réflexions, expériences

ou lectures, ou pour communiquer des infos.

PROCHAINS DOSSIERS :

> Alphabétisation et travail

> Familles, école, alphabétisation familiale

Le Journal de l’alpha est publié avec le soutien du Ministère de la Communauté française,

Service de l'Education permanente

Dossier : La lecture ? Parlons-en!

Edito . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Catherine STERCQ – Coprésidente de Lire et Ecrire Communauté française

Lecture et politique. Le débat français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7Catherine STERCQ

Le point sur les méthodes de lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14Catherine STERCQ

Pour former des lecteurs et des auteurs… Les choix de Lire et Ecrire . . . . . . . . . . . . . . 21Catherine STERCQ

Quels choix pour l’apprentissage de la lecture ? De la syllabique à la MNLE… tout un parcours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

Jean CONSTANT – Lire et Ecrire Verviers

36 façons de ne pas savoir lire… et quelques questions sur les remèdes . . . . . . . . . . 34Patrick MICHEL – Collectif Alpha Molenbeek

Comment aider les adultes en difficulté de lecture et d’écriture à devenir des lecteurs efficaces ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Conférence d’Eveline CHARMEUX – professeur honoraire à l’IUFM (Toulouse) et enseignante-chercheuse en pédagogie à l’INRP (Paris)

La lecture, c’est comme le vélo… cela ne s’oublie pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52Catherine STERCQ

RecensionLecture en débat et enjeux des différentes méthodes d’apprentissageLe point de vue des associations militantes développé dans leurs revues . . . . . . . . . . . . 53

France FONTAINE – Centre de documentation du Collectif Alpha

Vie du réseau

A la suite de Paulo Freire : portrait d’une alphabétiseuse brésilienne . . . . . . . . . . . . . . 62Interview de Julia, apprenante au Centre Culturel d’Everepar Francine D’HULST

Journal de l’alpha n°155 Novembre 2006

4 > Journal de l’alpha n°155

Livres-Médias-Outils

1001 balades à la découverte de l’Histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66Bénédicte VERSCHAEREN – Collectif Alpha

Légendes de porcelaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68Sandrine DE BORMAN, Quentin SMOLDERS, en partenariat avec Lire et Ecrire Bruxelles Sud-Est

Les rebelles de l’illettrisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69Lilo GRECO, d’après des idées des membres de l’association L’illettrisme, osons en parler

Voir l’Autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70Ecole sans Racisme

Littéralpha

Le liseur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71Extraits d’un roman de Bernard SCHLINKprésentés par France FONTAINE

Informations 75

Journal de l’alpha n°155 > 5

La lecture ? Parlons-en !

DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, undébat public fait rage sur la lectu-re, les méthodes d’enseignement

de la lecture et les ‘résultats catastro-phiques’ des enfants : les enfants ne saventplus lire, plus écrire et c’est de la faute dela ‘méthode globale’.

Echange de cartes blanches dans le journalLe Soir : « Lire, ce n’est pas comprendre ! »1,« Lire, c’est comprendre ! »2, articles dans lejournal de la Ligue des Familles: « LeLigueur plaide pour un débat »3…

Dans ce débat ancien4, tout et son contrai-re s’écrivent. La ‘méthode globale’, ‘cettegaleuse’, est définie par ses détracteurs demanières variées et des plus approximatives.Le flou règne. La matière est complexe.

Les praticiens et les chercheurs utilisentforces nouveaux mots pour désigner précisé-ment leur approche tout en tentant de sor-tir du débat qui, au café du commerce,oppose ‘global’ et ‘syllabique’. Ils ne veulentpas se faire brûler au bûcher des inquisi-teurs et tentent de se démarquer les uns desautres. Tout cela n’aide pas le grand publicdes parents, enseignants et formateurs,… àcomprendre ni à débattre.

Débat d’ailleurs, qu’en France, le ministre del’Education tenta de clore par l’interdictiond’utiliser la méthode globale et l’obligationd’utiliser la syllabique. Interdiction qui bienau contraire le relança et suscita de très nom-breuses réactions. Par le biais de ces réac-tions, on dispose d’un corpus récent de textesécrits et publiés par tous les mouvements et

Editorial

6 > Journal de l’alpha n°155

toutes les ‘grosses pointures’, chercheurs etpédagogues, de la lecture, qui mettent en évi-dence les oppositions en présence, suscep-tibles d’éclairer le débat.

Le journal de l’alpha était jusqu’ici restésilencieux sur cette question. Une rapiderecension des articles déjà publiés sur la lec-ture montre que tout ce qui a trait à ce vastechamp a été peu directement abordé. Commeil n’est jamais trop tard, nous consacrons cenuméro à poser la question de la lecture etde ses méthodes d’enseignement et à expli-quer les choix de Lire et Ecrire en la matière.Nous donnons également la parole à EvelyneCharmeux qui nous présente ses pistes pouraider les adultes en difficulté de lecture etd’écriture à devenir des lecteurs efficaces.

Nous introduirons ce numéro par une analy-se des réactions françaises aux ‘incidentscritiques’ provoqués par la politique de sonministre de l’Education. Incidents qui illus-trent une opération plus politique que péda-gogique, dangereusement populiste, ame-nant le débat au niveau de nos choix desociété. Incidents qui mettent en évidence,de manière universelle, les enjeux fonda-mentalement politiques de l’accès de tous àl’écrit et à la connaissance, et qui, au-delà,nous interpellent sur le fonctionnementmême de nos démocraties.

Pour ce numéro sur la lecture, le centre dedocumentation du Collectif Alpha a centréson habituelle recension sur les revues desmouvements pédagogiques et a innové enréalisant une webographie que nouspublions sur notre site5.

D’ici quelques mois, dans un prochainnuméro, nous nous centrerons sur les pra-tiques et les outils construits pour les

adultes, et nous présenterons notreapproche de la Méthode Naturelle de Lectureet Ecriture (MNLE) développée par Freinet.Une recension des ouvrages traitant de lalecture paraîtra également dans ce numéro.

Espérant ainsi nous donner les moyens decomprendre, analyser et agir nos pratiques.

Catherine STERCQCoprésidente

1. José MORAIS, Certains disent que ‘lire c’est com-prendre’ ils se trompent, Le Soir, 5 septembre 2002.

2. Des membres de l’ABLF, Bien sûr que si, lire c’estcomprendre… des textes écrits, Le Soir, 9 septembre2002.

3. Thérèse JEUNEJEAN, Apprentissage de la lecture :le Ligueur plaide pour un débat et Logopèdes, ensei-gnants, parents : si l’on se parlait ?, Le Ligueur, 29mai 2002.

4. Cf. Célestin FREINET, La méthode globale, cettegaleuse, Supplément à la revue ‘L'Éducateur’, n° 19,30 juin 1959, pp. 25-31. Consultable sur internet à lapage http://education.blogs.liberation.fr/carnet/files/freinetglobale.pdf.

5. www.lire-et-ecrire. Voir Publications > Journal de l’alpha > Le tout dernier numéro.

Lecture et politiqueLe débat français

L’annonce à la télévision, en décembre 2005, par le ministre français del’Education, Gilles de Robien, de l’interdiction de la ‘méthode globale’ etdu ‘retour’ obligatoire à la méthode syllabique a suscité un tollé du côtédes mouvements pédagogiques mais aussi des syndicats d’enseignants,des associations de parents, de très nombreux chercheurs et de diversespersonnalités, qui ne sont pas nécessairement d’accord entre elles, maisqui ont ouvert le débat et exprimé avec force leurs désaccords et la varié-té de leurs approches. Aujourd’hui, face au développement des comporte-ments autoritaristes et des propos populistes du ministre, elles réagis-sent cependant de manière unitaire…

Si nous en parlons ici, c’est que, en ce quiconcerne l’apprentissage de la lecture, lasituation est assez semblable chez nous :nombreuses idées reçues et pensées sim-plistes sur l’école et l’apprentissage large-ment relayées par les médias, méthode glo-bale responsable de tous les maux, retour desmanuels scolaires sans aucun débat sur leurcontenu,… C’est aussi que ces ‘incidents cri-tiques’ posent de manière intéressante lesquestions – complexes – de l’enseignementde la lecture et de l’illettrisme. Et mettent enévidence leurs liens avec le politique.

Dans l’ensemble des réactions, cinq thèmesémergent :> Il n’y a pas de baisse de niveau, il n’y a

pas d’augmentation de l’illettrisme, bienau contraire. Mais il y a augmentation desexigences sociales en lecture/écriture etde l’inéquité de l’école qui reproduit lesinégalités sociales.

> Le diktat du ministre repose sur un choixidéologique : une pauvre lecture pour lesenfants pauvres.

> Le ministre utilise, comme argument d’autorité, la recherche et des chercheurssans respect des règles scientifiques.

> Ce diktat est un déni des professionnelsen général, de l’enseignant et de sa for-mation en particulier.

> Les problèmes de l’apprentissage de lalecture, apprentissage complexe, nepeuvent se résoudre par le choix obliga-toire d’une méthode.

“Le problème de la lecture n’est pas unique-ment un problème pédagogique. Il est tou-jours facile d’accuser l’école et les ‘méthodesmodernes’ quand on a laissé les quartiers difficiles à la dérive et les enseignants seulsau front et sans aide.” 1

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La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

8 > Journal de l’alpha n°155

La force des ces réactions est à placer dansun contexte particulièrement ‘porteur’ enFrance : crise des banlieues, loi sur lamanière de présenter l’histoire de la décolo-nisation, réforme des zones d’éducationprioritaire, détection des futurs criminels enmaternelle, fin de la scolarité obligatoirejusqu’à 16 ans par l’introduction de ‘l’ap-prentissage junior’… Et dans un contexte de‘chasse aux sorcières’ : rappels à l’ordre,éviction d’enseignants, mesures discipli-naires2, incitation à la délation, pressionset intimidations…, dans un contexte decensure des propos de chercheurs utiliséspour défendre la position officielle3.

Ecole inéquitable et fabrique d’illettrés

“Qu’il soit plus insupportable aujourd’huiqu’hier de ne pas maîtriser suffisammentl’écrit pour se mouvoir dans la vie sociale,

être autonome et accéder à l’emploi, chacunen convient. Mais peut-on parler de baisse deniveau ? Il s’agit plutôt d’une hausse – légi-time – des exigences sur les plans quantita-tifs et qualitatifs.”1

Contrairement aux discours alarmistes, il n’ya pas plus d’analphabètes ou d’illettrésqu’auparavant. Selon une des dernièresétudes en la matière, celle de l’INSEE enFrance (2005), 9% de l’ensemble des adultesscolarisés en France ont de très graves dif-ficultés et sont en situation d’illettrismemais en comparant les tranches d’âges, ons’aperçoit que les jeunes sont moins touchésque leurs aînés : 7% des 18-29 ans, 10% des30-39 ans, 12% des 40-49 ans, 18% des 50-59 ans et 22% des 60-65 ans4. Rappeler ceséléments n’est pas pour autant négliger lesquelque 10% d’élèves très faibles lecteursau sortir de l’enseignement primaire, nioublier les mauvaises performances en lec-

Journal de l’alpha n°155 > 9

ture des jeunes de 15 ans en Communautéfrançaise de Belgique.

Ce qui augmente par contre, c’est l’écartentre les résultats des ‘bons’ et des ‘mauvais’lecteurs, et par conséquent une disqualifica-tion, une marginalisation de plus en plusgrande des personnes – particulièrement desplus jeunes – en situation d’illettrisme.

Et ce qui est alarmant, c’est que notre systè-me scolaire reproduit les inégalités sociales.Ce sont massivement les élèves issus descatégories socioprofessionnelles les plusdéfavorisées qui sont en difficulté face àl’écrit et qui décrochent, non seulement del’école, mais de la société. L’école joue plusque jamais un rôle de sélection plus que deformation. Elle est assignée à un tri social,pour justifier les inégalités renforcées d’unesociété de plus en plus duale.

“Une société à deux vitesses a besoin de ceuxqui savent à peine déchiffrer pour obéir àceux qui savent lire entre les lignes.”5

Un choix idéologique

“Idéologiquement ce retour à l’ordre ancienest compréhensible pour qui considère que depauvres méthodes suffiront bien pour desenfants de pauvres promis à l’apprentissage à14 ans et destinés aux emplois déqualifiés.”1

Les mouvements pédagogiques et d’éduca-tion populaire ont également pris positionpar rapport à l’imposition d’une “méthodecontraire à la visée émancipatrice del’Education”6 et mettent en évidence qu’autravers du choix d’une méthode s’opère sou-vent un choix de modèle pédagogique, choixlié à la manière dont nous concevons tantl’apprentissage que ses buts et finalités.

“Imposer une méthode d’apprentissage estdéjà en soi un déni d’éducation, réduisantl’acte d’enseigner à une simple exécution etla classe à une somme de techniques et derecettes. Mais lorsque cette méthode visel’assujettissement de la jeunesse, noussommes bien dans la propagation d’une idéo-logie politique écrasant tout espoir d’émanci-pation possible par l’éducation.Des méthodes d’apprentissage où l’enfant estchercheur à celle où l’enfant est dressé, lechoix idéologique est limpide : lui refuser dèsle plus jeune âge de penser, lui ôter le désirde questionner, de comprendre, de connaître,lui imposer une obéissance passive en l’enfer-mant d’abord dans des exercices répétitifs etmimétiques… Au-delà de l’apprentissage dela lecture, c’est bien la volonté d’agir sur lescapacités réflexives et complexes de la com-préhension du monde de toute une jeunesse !

Une jeunesse qui déchiffre et une jeunessequi lit… Les jeunes des milieux populaires ensauront toujours bien assez pour déchiffrerles programmes de télévision, la publicité etles messages utiles à la consommation. Destextes simplifiés pour les uns, des textes com-plexes pour les autres, les ‘héritiers’, qui lesauront d’abord rencontrés dans la famille etles activités culturelles privées…La méthode syllabique constitue en outre unsérieux atout économique ! Pas la peine deréduire les effectifs ou de dédoubler lesclasses s’il s’agit de faire répéter en chœuraux enfants des sons et des syllabes. Lesrécalcitrants seront traités au cas par casdans des programmes de réussite éducativeen contractualisant les familles qui devrontaccepter l’échec, la rééducation et l’orienta-tion comme allant de soi. Les solutions pré-conisées ne coûteront rien à l’état puisquedéléguées au privé : orthophonistes, soutiensscolaires, formation à distance, éditions sco-laires et parascolaires...”6

Le ministre a poursuivi ses interventionspédagogiques en déclarant, en février 2006,qu’il fallait “sortir de l’idéologie du pédago-gisme” qui a “déconsidéré les apprentissagesélémentaires”. Aujourd’hui, ce n’est plusuniquement la ‘méthode globale’ qui estattaquée mais bien les pédagogues.

Il s’agit effectivement avec la méthode syl-labique de ne travailler que des apprentis-sages élémentaires.

“Avec une telle finalité, lecture et écriturepeuvent se suffire d’habiletés appliquées envue de la tenue de postes d’exécution, assor-ties de compétences qui peuvent bien êtreallégées de savoirs considérés comme inutileset superflus pour la production et la marchan-disation. En bref apprendre oui, mais nonpoint au-delà des limites où apprendre pour-rait devenir inutile et surtout dangereux.”7

L’ensemble des mesures prises en Francesont vues comme un renoncement histo-rique à l’ambition de la démocratisation dusystème éducatif et de l’accès aux savoirs8.

Journal de l’alpha n°155 > 11

un enseignant mal formé, et quelle que soit laméthode utilisée, aura de mauvais résultats. C’est donc la question fondamentale de la for-mation des enseignants et les conditionsd’existence de notre éducation nationale quisont au cœur de tous les problèmes. Nerejouons pas ‘Les animaux malades de lapeste’ de notre cher La Fontaine et ne faisonspas porter, à une méthode ou à une autre, lerôle du pauvre baudet de la fable. Avant deporter un jugement, il faut aller plus loin etne pas se contenter de la solution facile dubouc émissaire qui semble nous dégager denos responsabilités.”

Un déni de l’éducateur, un diktat politique

Dans sa Lettre ouverte à Monsieur le Ministrede l’Education nationale9, Gaston Mialaretrappelle qu’une méthode n’existe pas ensoi ; elle n’existe qu’à travers un formateurqui la met en œuvre, dans un contextesocial déterminé :

“Au-delà des querelles sur les méthodes… quidatent depuis plus de 100 ans, une réflexionsur ce qu’est une méthode permet d’apporterquelques lumières. Une méthode n’existe pasen soi ; elle n’existe qu’à travers un éducateurqui la met en œuvre et plusieurs facteurs sontà considérer avant de pouvoir porter un juge-ment sur la valeur de telle ou telle méthode.Une méthode est un ensemble de démarchespsychologiques et pédagogiques (quelquefoismême sociologiques) qui amène le sujet àl’apprentissage de la lecture. On a distingué, et depuis très longtemps, lesdémarches synthético-analytiques (en grosles méthodes syllabiques) et les démarchesanalytico-synthétiques (appelées – un peu àtort – les méthodes globales). Mais noussavons que les maîtres (qui ont officiellementla liberté de choix de leur méthodes) adap-tent plus ou moins, et selon leur personnali-té, leur formation antérieure, les publics qu’ilsont devant eux, le milieu social dans lequel ilsenseignent, la méthode choisie. A notre époque, un autre facteur intervient :celui de la langue maternelle des enfants etleur degré de connaissance du français. C’estdire qu’en fin de compte ce sont davantage lesqualités d’adaptation des maîtres à leur publicqui entrent en jeu que les qualités intrinsèquesde telle ou telle méthode. Un bon enseignantobtiendra, avec la méthode qu’il se sera choi-sie ou qu’il aura construite de bons résultats ;

12 > Journal de l’alpha n°155

De nombreux autres acteurs, chercheurs10

et syndicats d’enseignants11 notamment,soulignent aussi combien il est blessantpour les maîtres, les formateurs et les cher-cheurs de voir mises en doute leurs compé-tences professionnelles et dénoncent ledénigrement des enseignants… et lesmesures disciplinaires prises à leur égard.

Une utilisation contestable de la recherche et des chercheurs

Certains chercheurs sont mis en avant,d’autres empêchés de s’exprimer ou voientleurs propos tronqués lorsqu’ils ne sont pasen conformité avec le discours officiel. Cequi les a amenés à prendre leurs distancesen déclarant notamment que la psychologiecognitive ne prescrit pas de méthodesuniques d’enseignement.

Des chercheurs sont amenés à donner desconseils pédagogiques, alors qu’ils recon-naissent leur manque d’expérience en lamatière. Certains soulignent par ailleursque la recherche n’a pas pour objectif dedire LA vérité, que les neurosciences n’ontpas pour objectif de définir des pratiquesd’enseignement.

Une manière simpliste derésoudre un problème complexe: l’apprentissage de la lecture

L’appel Apprentissage de la lecture : assez depolémiques, des réponses sérieuses !12 rassem-blant syndicats et associations, chercheurs etpraticiens rappelle notamment que :> L’apprentissage de la lecture ne relève pas

simplement de la première année primai-re et vouloir ramener la réussite oul’échec de l’élève au seul choix de laméthode de lecture n’est pas sérieux.

> La méthode dite ‘globale’ n’est quasimentpas utilisée et tous les manuels existantsenseignent la correspondance entre leslettres et les sons dès le début.

> La querelle des méthodes ‘globales, syl-labiques ou mixtes’ est dépassée. Il exis-te de nouvelles approches, qui ne sont pasdes méthodes mixtes, et qui travaillenttant la compréhension que le code.

> L’apprentissage de la lecture ne se limitepas au déchiffrage et ne peut reposerexclusivement sur une approche syllabique.

> Conformément aux programmes existants,apprendre à lire, c’est apprendre à mettreen jeu en même temps des activités trèsdifférentes. L’objectif final étant la com-préhension des textes et l’accès au livreet à la culture écrite.

Cet appel fait ensuite un ensemble de pro-positions pour développer les compétencesen lecture :> amélioration de l’apprentissage initial,

notamment par de meilleures conditionsd’enseignement et d’apprentissage, ainsiqu’un renforcement de la formation et del’accompagnement des enseignants ;

> instauration d’un climat de confiancepropice à la réussite des élèves par l’amé-

Journal de l’alpha n°155 > 13

lioration de la communication entre l’éco-le et les familles ;

> soutien à toutes les initiatives qui favori-sent le goût pour le livre et la culture :associations culturelles, médiathèques,presse de qualité pour la jeunesse,…

Pour lutter contre les discours populistes : la lecture, parlons-en !

Les positions autoritaristes du ministre fran-çais auront permis, de manière paradoxale :> de mettre en avant et de diffuser les

réflexions de mouvements pédagogiques ;> de susciter la publication d’un document à

destination des parents et du grand public,Apprendre à lire pas si simple13, cosigné pardes syndicats, des associations de parentset d’enseignants, des chercheurs en didac-tique et des mouvements pédagogiques ;

> de développer des actions pour donner àvoir ce qui se fait de bien… sans bruit,sous le titre La lecture, parlons-en !

Nous devons nous mobiliser tous pour contrerles discours de la décadence qui pointent desquestions effectivement préoccupantes maisle font dans la logique du bouc émissaire (icila méthode globale et plus particulièrementl’approche idéovisuelle14), qui n’analysent pasla complexité des situations mais cherchent àpunir des ‘coupables’, qui ne s’interrogent passur la manière dont on pourrait aider lesacteurs à inventer des solutions originales àdes problèmes nouveaux mais se réfugientdans la nostalgie du passé et imposent leretour au ‘bon vieux temps des bonnes vieillesméthodes’. Discours qui font le lit du totalita-risme. Après la méthode providentielle, l’hom-me providentiel…

Catherine STERCQ

1. Jacques BERNARDIN, Lecture, le discours de la métho-de…, Tribune du ‘Café pédagogique’, n°68, 14 décembre2005 : www.cafepedagogique.net/disci/tribune/68.php.

2. A l’égard de personnalités non suspectes d’extrémis-me, telles que Philippe Meirieu ou Roland Goigoux.

3. Apprendre à lire : de la communication scienti-fique à la propagande médiatique (DVD), présentésur le site ‘Café pédagogique’ à la page www.cafepeda-gogique.net/dossiers/contribs/dvdlecture.php, publiéele 2 octobre 2006.

4. Fabrice MURAT, division emploi INSEE, Les compé-tences des adultes à l’écrit, en calcul et en compré-hension orale, INSEE première n°1044, octobre 2005.

5. In ‘Brèves’ du GFEN Actu, octobre 2006.

6. AFL (Association Française pour la Lecture), CEMEA(Centres d’Entraînement aux Méthodes d’EducationActives), GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle),ICEM-Pédagogie Freinet (Institut Coopératif de l’EcoleModerne), Appel à poursuivre et à ne pas tenir comp-te de la circulaire du ministre de l’Education natio-nale préconisant une méthode de lecture contraire àla visée émancipatrice de l’Education, janvier 2006.

7. Odette BASSIS, Construire ou conditionner ?Obscurantisme ou émancipation ? Quand la pédago-gie devient question sociale (éditorial), in Dialogue,n°120, avril 2006, GFEN.

8. Ecole : non au renoncement, Appel à signaturesrédigé par Samuel JOHSUA, Philippe MEIRIEU, Jean-Yves ROCHEX, publié par ‘Libération’ le 6 janvier 2006.

9. Gaston MIALARET, Lettre ouverte à Monsieur leMinistre de l’Education nationale, 8 décembre 2005.

10. Voir par exemple : La lecture est l’affaire des ensei-gnants, Texte écrit à l’initiative de chercheurs commeJacques BERNARDIN, Eveline CHARMEUX, Gérard CHAU-VEAU, Jacques FIJALKOW, Philippe MEIRIEU, etc. Il a étépublié dans le journal ‘Le Monde’ du 10 janvier 2006.

11. Apprentissage de la lecture : le SE-UNSA, LeSGEN-CFDT et le SNUIPP-FSU appellent les ensei-gnants à s’en tenir aux programmes de 2002,Communiqué de presse du 11 janvier 2006.

12. Publié dans ‘Le Monde’ du 4 janvier 2006.

13. Téléchargeable notamment sur le site ‘Cahiers péda-gogiques’ à la page www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3 ?id_article=2529, 2 septembre 2006.

14. Voir l’article suivant: Le point sur les méthodes delecture.

Le point sur les méthodes de lecture

La question de l’apprentissage de la lecture n’est pas d’abord une ques-tion de méthodes. “Chaque fois, en effet, que des chercheurs se sont don-nés la peine de faire une étude suffisamment extensive des différentesméthodes de lecture (…), ils ont dû constater qu’il y avait dans les résul-tats comparés autant de différences entre les enseignants qui prati-quaient soi-disant la même méthode qu’entre les enseignants qui prati-quaient des méthodes différentes…”1

La question centrale n’est pas de trouverLA méthode, mais de se poser la questiondes savoirs et de leur transmission, laquestion de la pratique de l’enseignant etdes apprenants. Ainsi, des mouvementspédagogiques, des praticiens et des cher-cheurs insistent sur la nécessité de passer dela méthode – et de la recherche comparativesur les méthodes – aux pratiques pédago-giques – et à la recherche sur celles-ci.

Cependant, la question des méthodes necessant d’occuper le devant de la scènemédiatique, faisant l’objet de violentespolémiques et suscitant de nombreux ques-tionnements, il nous a semblé indispensablede commencer par faire le point sur les dif-férentes méthodes en présence et de préci-ser les concepts et le vocabulaire utilisés.

Qu’est-ce qu’une méthode ?

Une recherche au dictionnaire nous apprendqu’on entend par ‘méthode’ “l’ensemble desprincipes et des règles propres à faciliterl’apprentissage progressif d’une matière” oula “somme de démarches raisonnées, fon-dées sur un ensemble cohérent d’hypo-

thèses ou de principes linguistiques, psy-chologiques, pédagogiques, et répondantà un objectif déterminé”. C’est par méto-nymie qu’on utilise également le mot‘méthode’ pour désigner un manuel ou dumatériel pédagogique ordonné.

Soulignons qu’une méthode, un manuel, desoutils, ne sont jamais neutres. Ils se basenttoujours sur des ‘principes’ ou des ‘hypo-thèses’, font des choix, parlent du zébu de Zoéou de Fatima qui lave – ou ne lave plus – lasalade, adoptent un point de vue sur ce quesignifie ‘savoir lire’, sur la question de l’acqui-sition des connaissances et compétences,…

Nous traiterons par ailleurs de ces aspects.2

Quelles sont les méthodes de lecture existantes et qu’est-ce qui les différencie ?

Le premier constat lorsqu’on se penche surcette question, c’est qu’il existe, dans la littérature sur la question, une très grandevariété dans les manières de présenter, de classifier et même de nommer les diffé-rentes méthodes…

La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

14 > Journal de l’alpha n°155

Journal de l’alpha n°155 > 15

J’ai choisi de prendre comme base une typologie proposée par Roland Goigoux3.Sur base d’une série de critères, il distingue“six ensembles : syllabique, mixte, phonique,interactive, naturelle et idéovisuelle”. Ces sixméthodes peuvent se regrouper en deuxcatégories principales : celles qui don-nent la primauté au signe et celles quidonnent la primauté au sens.

Les méthodes syllabiques, mixtes et phoniques (appelées aussi ‘phonémiques’)donnent la primauté au signe et centrentl’apprentissage sur le décodage des mots.Elles partent de la lettre (écrit) ou du phonème (oral) pour arriver au mot et éventuellement à la phrase.

Enseignement des correspondancesoral/écrit

Mémorisationorthographique

Signe

Écrit Oral

LettreSyllabeMot

LettresyllabeMotPhrase

PhonèmeGraphèmeMotPhrase

PhonèmeGraphème

Mot

TextePhrase

TextePhraseMotGr-Ph

Sens

TextePhraseMot

AnalyseAnalyseet synthèse

Synthèse AucuneSynthèse Synthèse

Décodage des mots Compréhension de texte Culture écriteInteractions lecture/écriture

Syllabique Mixte Phonique Interactive Naturelle Idéo-visuelle

Nomd'usage

Dominante

ÉtudeDu code

(GP)

Unités

Primeur

Identifierles mots

(2 voies)

Les principales méthodologies pour l'apprentissage initial de la lecture

Sour

ce:

R. G

oipo

ux

Elles procèdent par synthèse pour déchiffrerles mots : elles partent des petites unitéspour les combiner progressivement en unitésplus grandes. On les appelle donc aussi‘méthodes synthétiques’. La méthode ges-tuelle fait partie des méthodes synthétiques.

Les méthodes interactives, la méthodenaturelle et l’approche idéovisuelle don-nent la primauté au sens. Elles mettenten avant la culture de l’écrit, travaillentsur la compréhension de textes et sur lesinteractions lecture/écriture.

C’est dans ce champ qu’on parle de ‘méthodesanalytiques’. Elles vont du tout aux parties :situation de communication ou d’expression,

16 > Journal de l’alpha n°155

textes, phrases, mots, parties de mots, graphèmes/phonèmes. C’est dans ce champaussi qu’on parle de ‘méthodes globales’, ence qu’elles partent d’un tout socialement et culturellement signifiant et qu’elles travaillent la mémorisation visuelle de mots.

Les appellations classiques synthétique/analytique, syllabique/globale,… sont sour-ces de beaucoup de confusions. Leur utili-sation est imprécise et souvent inexacte.De plus, cette manière de distinguer desapproches ne porte que sur certains critèresalors que de nombreux autres critères inter-viennent dans la différentiation desméthodes et qu’il existe une large variétéde pratiques à l’intérieur de chaqueensemble.

Primauté au signe

Les méthodes syllabiques partent deslettres et les associent à une valeur sonore deréférence (la lettre o fait le son [o] sans sesoucier du ou et du on) puis combinentvoyelles et consonnes (b+o=bo) pour formertoutes les syllabes possibles, qui sont mémo-risées puis combinées (combinatoire) pourfaire des mots. C’est le ‘ba, be, bi, bo, bu’.

Ces méthodes ont évolué vers des méthodesmixtes qui reposent sur les mêmes principesmais le travail sur la lettre est précédé parune mise en scène de mots dans une phraseillustrée, prétexte à un travail syllabique.Célèbres par leurs phrases d’anthologies4 cesméthodes ne sont en rien des méthodes glo-bales, contrairement à l’opinion courante.Elles ne se préoccupent pas du sens et netravaillent que la combinatoire.

Ces méthodes, qui procédaient à un amalga-me entre lettres et sons, ont été remplacéesaujourd’hui par les méthodes phoniques,qui font la distinction entre phonèmes etgraphèmes (le phonème [o] peut êtreretranscrit par les graphèmes o, au, eau,…).On identifie auditivement un phonème, puison le localise dans un mot oral pour endécouvrir ensuite la transcription écrite. Ils’agit de “maîtriser les liens entre lettres etsons pour reconstituer l’image phonique dumot et ainsi interroger son dictionnaire men-tal oral. (…). Prenons un exemple : unenfant n’a encore jamais lu le mot ‘oranger’ ;mais il a appris, parce qu’on le lui a ensei-gné, que chacune des lettres ou chacun desgroupes de lettres correspondent respective-ment à un son de la langue, et ce dans unordre et une combinaison particulière. Il vadonc pas à pas construire l’image phoniquedu mot, non pas pour faire le bon bruit

Journal de l’alpha n°155 > 17

correspondant à la combinaison graphique,mais parce que ce bruit reconstitué représen-te pour lui la clé d’accès autonome au sens.En effet, en découvrant sous les huit lettresd’oranger les sons [o.r.â.j.é] dans leur arran-gement syllabique, il va pouvoir interrogerson ‘dictionnaire oral’ afin d’obtenir le sens qui correspond à cette combinaison phonique. (…) Le ‘bruit du mot’ ainsireconstitué lui permet de s’adresser à ce dictionnaire mental (qui est celui qui lui permet de comprendre ce qu’on lui dit).” 5

Il existe de très nombreuses variantes desméthodes phoniques : ordre et rythme d’in-troduction des phonèmes et de leurs gra-phèmes, utilisation ou non de l’alphabetphonétique international, etc. Dans lesapproches les plus strictes, il n’est pas ques-tion d’utiliser le contexte pour identifier unmot : on doit le déchiffrer.

Pour les méthodes synthétiques, centréessur un travail auditif, savoir lire ce n’est pascomprendre, mais maîtriser un principealphabétique de codage de l’oral vers l’écrit.L’accès au sens est le produit du travail dedéchiffrage et d’oralisation. Les efforts sontorientés vers l’identification de mots, éven-tuellement dans des phrases juxtaposées.Selon les pratiques, ce stade du ‘déchiffra-ge’ est séparé plus ou moins nettement dustade de la ‘compréhension’ et de l’acquisi-tion du dictionnaire visuel.

Primauté au sens

Les méthodes naturelles, idéovisuelles etinteractives, qui au contraire privilégientl’entrée par le sens, fondent leur démarchesur l’intérêt porté par les élèves au contenude textes authentiques. Elles postulent également que ce sont les messages écrits

complets et contextualisés qui sont faciles à comprendre, pas les unités linguistiquesabstraites.

Elles ont été influencées par la méthodeglobale, développée plus particulièrement àpartir des recherches d’Ovide Decroly, méde-cin et pédagogue belge du début du 20ème

siècle6. “Préoccupé par l’éducation scolairede manière générale, il plaidait effectivementpour sa ‘globalisation’. (…) Selon Decroly,l’école devait simplement cesser de présenteraux enfants des apprentissages parcellaireset coupés de tout contexte social, pour recou-rir à des situations dont l’intérêt leur appa-raît clairement. (…) Résolument tournéevers les centres d’intérêts des élèves, cetteapproche fait du temps scolaire un tempsimmergé dans la vie de tout les jours.”7 Au-delà de la lecture, pour laquelle il préconi-sait une longue période de reconnaissanceglobale dans des textes signifiants et liés àdes situations de vie avant de passer audéchiffrage et à l’oralisation, Decroly a sur-tout contribué au développement du travailpar ‘centres d’intérêts’.

La méthode naturelle de Célestin Freinets’insère dans un cadre pédagogique pluslarge, la pédagogie Freinet. Dans une classecoopérative, “l’enfant apprend à parler, à lireet à écrire, comme il apprend à marcher, dansdes situations de la vie quotidienne quinécessitent l’énonciation, la production, lacommunication et la diffusion de textes nom-breux et variés (textes libres, récits de vie,correspondance, documentaires, journauxd’apprenants, etc.). Les supports de lectureet d’écriture sont donc conçus et réalisés parles élèves pour des destinataires réels et sou-vent extérieurs à la classe. L’utilisation del’imprimerie, mais aussi de la radio et du

18 > Journal de l’alpha n°155

cinéma, permet de socialiser tous ces écritset de les mettre en réseau.”8

Cette méthode fait du texte l’unité élémen-taire d’étude et accorde à l’écriture uneimportance capitale dès le début de l’ap-prentissage, tout en insistant sur la dimen-sion sociale et affective de la communica-tion écrite. Sa spécificité est de susciter laparole des apprenants pour leur permettrede (re)construire une image de soi et d’exis-ter par la trace qu’ils laissent.

Ce qui pilote la méthode naturelle, c’est l’ex-pression écrite. Il s’agit de mettre l’enfantd’abord en situation de producteur d’écrits.Elle travaille également la découverte d’écritsauthentiques (documents liés aux projets declasse, à la vie quotidienne, documentaires,journaux, littérature) par ce que Freinet appe-lait le ‘tâtonnement expérimental’. Il s’agit dedévelopper des stratégies de recherche desens et d’associer dès le départ une imageorthographique (mère, mer) à une significa-tion. Puis de prendre conscience des analo-gies, des différences, du code graphophoné-tique “qui est un savoir-faire parmi d’autres,nécessaire pour découvrir des mots inconnus etvérifier une hypothèse de sens mais qui n’inter-vient qu’en cas de besoin.”9

Savoir-faire qui se construit, non pas enlisant, mais en écrivant des textes person-nels avec l’assistance de l’enseignant, despairs, des mots et textes connus.

La méthode idéovisuelle ou “pédagogie dela ‘voie directe’ ou de la voie orthographiqueaffirme que l’écrit est un langage pour l’œilet que c’est par les messages écrits dont on est destinataire qu’on arrive au code graphique de l’écrit (qui n’a rien à voir avecla correspondance graphème/phonème).”10

C’est dans ce cadre que l’Association françai-se pour la Lecture (AFL) mène sesrecherches. Elle considère que le déchiffrageest un frein à la lecture et ne travaille passur les correspondances graphophonolo-giques. Elle systématise les entraînements àla mémorisation et à la discriminationvisuelle par la constitution d’un lexiqueorthographique qui s’appuie sur les analo-gies. “Ainsi un découpage syllabique feradécouper ‘démontable’ comme suit : ‘dé-mon-ta-ble’ alors qu’un découpage au niveau desmonèmes fera apparaître ‘dé-mont-able’ avec encore une signification sur chacune de ces unités : ‘dé’ parce qu’il y a ‘dé-faire,dé-coller’ ; ‘mont’ parce qu’il y a ‘monter,montagne, monteur’ ; ‘able’ parce qu’il y a‘collable, réparable…’”10

Elle travaille à partir des procédures‘expertes’, soit celles utilisées par les bonslecteurs. “La démarche pédagogique est unedémarche expérimentale avec formulationd’hypothèses, vérification de ces hypothèses,activités réflexives sur la langue et entraîne-ment.”10 Il s’agit d’utiliser le contexte(situation de communication, indices lin-guistiques – espaces, ordre des mots,marques orthographiques – et paralinguis-tiques – mise en page, taille, police et cou-leurs des caractères, ponctuation,…) pouranticiper et formuler des hypothèses de sens.Elle privilégie le travail sur les documentsauthentiques, dont la littérature de jeunesse.Ces documents qui servent de support à l’ap-prentissage sont aussi diversifiés que pos-sible afin de sensibiliser aux multiples usagessociaux et aux différentes fonctions del’écrit. D’où le nom de ‘lecture fonctionnelle’pour cette approche qui est utilisée aujour-d’hui dans toutes les méthodes centrées surle sens et qui met l’accent sur la nécessité

Journal de l’alpha n°155 > 19

d’avoir un projet de lecteur pour lire.Contrairement à un usage courant. Cetteapproche n’est donc pas du tout centrée surune lecture utilitaire ‘de survie’.

La ‘méthode interactive’ aborde d’emblée lesens et le code mais de manière intégrée. “Ilne suffit donc pas de prévoir d’une part desactivités sur le code (syllabation, déchiffragede mots) et d’autre part des activités centréessur le sens (émissions d’hypothèses sur ce quiest écrit en fonction du contexte), il faut lesintégrer dans les activités de découverte dusens des textes présentés aux enfants.”11

Gérard Chauveau, un des acteurs de cetteapproche, distingue “quatre objets : le systèmed’écriture (le code), l’activité du lecteur (lesprocessus, procédures, habiletés en jeu dans lalecture), l’activité de l’écriveur (les processus,procédures, habiletés en jeu dans la productionécrite), la culture écrite.” 12 Il considère que“les bonnes méthodes de lecture (…) sont

celles qui travaillent de façon méthodique, sys-tématique, les quatre objets du lire-écrire, cellesqui comprennent quatre parties, quatre sortesd’activités d’enseignement/ apprentissage,quatre types de séquences didactiques…Bref,une bonne méthode de lecture est en faitconstituée de quatre méthodes.”

Cette approche intègre nombre d’aspectsdes méthodes précédentes. Lorsqu’on en litla présentation dans certains ouvrages8, oncroirait lire la description de pratiques deterrain de la méthode naturelle Freinet oude la lecture fonctionnelle de l’AFL.

Les chercheurs et praticiens qui défendentces thèses, refusent d’ailleurs le terme de‘méthode’. On est en effet souvent tenté deparler de pédagogie lorsqu’on se situe dansle champ des ‘méthodes’ privilégiant lesens… Et d’introduire d’autres critères dedistinction : utilisation ou non d’un manuel,intégration ou non dans un courant pédago-gique structuré, rôle et place de l’écriture,place de la culture de l’écrit, approchestransmissives ou socioconstructivistes,…

Primauté au positionnementpédagogique du formateur

Ainsi certains estiment que le critère fonda-mental de distinction entre les méthodesest celui de l’utilisation – ou non – d’unmanuel d’apprentissage de la lecture.D’autres mettent en avant le critère du posi-tionnement épistémologique du formateur :transmissif ou socioconstructiviste.

Aux questions ‘d’où viennent les connais-sances ?’ et ‘comment les acquiert-on ?’, il ya en effet plusieurs réponses possibles :l’empreinte (l’enseignant explique, lesenfants écoutent attentivement), l’imitation

(le formateur montre, les apprenants regar-dent et reproduisent), le conditionnement(il faut découper la matière en petites uni-tés simples dans le but de faciliter l’exécu-tion rapide des tâches demandées), le socio-constructivisme (ce sont les apprenants quiconstruisent leurs connaissances à partir desituations problèmes qu’ils rencontrent dansla vie et qu’ils doivent solutionner),…

C’est entre les positionnements épistémo-logiques, entre les manières de concevoirl’apprentissage et de le traduire dans sespratiques pédagogiques que se situe lacontradiction principale. Celle entre les dif-férentes méthodes n’étant que secondaire.

Comme nous le soulignions en introduction,la question n’est donc pas de trouver LAméthode mais bien de faire un choix, unchoix qui est d’abord d’ordre épistémolo-gique, pour ensuite envisager l’apprentissa-ge de la lecture et de l’écriture “sous le signede la complexité, de l’éclectisme réfléchi, del’intégration de pratiques diversifiées”1.

Catherine STERCQ

20 > Journal de l’alpha n°155

1. Serge TERWAGNE, Eloge d’un éclectisme réfléchi, in

Caractères, n°18, mars 2005, ABLF, p 3.

2. Voir Pour former des lecteurs et des auteurs… Leschoix de Lire et Ecrire, pp. 21-31.

3. Réponse de Roland GOIGOUX à la seconde question

de la Conférence de consensus sur l’enseignement de la

lecture à l’école primaire, Paris, 4 et 5 décembre 2003 :

Comment organiser et planifier l’enseignement de la lecture aux différentes étapes de la scolarité primaire ? Comment doser les différentes compo-santes de cet ensemble? Quelle est la pertinence desdiverses méthodes?, Document polycopié, PIREF,

20 pages. Ce document est également accessible

sur Internet : www.bienlire.education.fr/01-actualite/

document/goigoux.pdf.

4. Voici un exemple tiré d’un manuel récent, celui recom-

mandé par le ministre français de l’Education dans sa

croisade pour les méthodes syllabiques : “Le père a pêché

une loche. Far hume puis il jappe ; la loche ne parle pas

! Il la lèche alors Léo le chasse” (Léa et Léo, p.31).

5. Alain BENTOLILA, Quelques vérités sur l’apprentis-sage de la lecture, Le Figaro, Débats et opinion, 14

décembre 2005.

6. Mais aussi de nombreux autres enseignants et cher-

cheurs (Montessori, Wallon,…).

7. Jacques et Eliane FIJALKOW, La Lecture, Ed. Le

Cavalier bleu, Coll. Idées reçues, Paris, 2003, pp. 65-66.

8. Hélène NAVARRO, Elisabeth LE DEUN, Prévenirl’illettrisme: une autre approche pour reconstruirela lecture, Magnard, Paris, 2004, p 19.

9. Danièle DE KEYZER, La méthode naturelle de lectu-re et d’écriture dans la lutte contre l’illettrisme, in Le nouvel éducateur, n°91, septembre 1997, ICEM,

pp.11-18.

10. Gilles MONDÉMÉ, Ne pas se tromper d’ennemis…, in

Les actes de Lecture, n°94, juin 2006, AFL, pp. 37-39.

11. Marie-Claire NYSSEN, Serge TERWAGNE, Anne GODENIR,

L’apprentissage de la lecture en Europe, Presses

Universitaires Mirail-Toulouse, 2001, p.27.

12.Gérard CHAUVEAU, Apprendre à lire et à écrire :une acquisition relationnelle, in Caractères, n°21,

mars 2006, ABLF, pp. 4-7.

Journal de l’alpha n°155 > 21

Pour former des lecteurs et des auteurs…

Les choix de Lire et Ecrire

Comme nous l’avons vu dans l’article qui précède, la question de l’apprentissa-

ge de la lecture n’est pas d’abord une question de méthodes. Elle est d’abord

celle d’un positionnement pédagogique. Soit, pour reprendre la définition de la

pédagogie proposée par Le Grain, “un discours systématique et raisonné sur

l’apprentissage comprenant non seulement des méthodes et un dispositif orga-

nisant leur application, mais aussi des intentions politiques reposant sur une

philosophie et une éthique sociale.” 1

De fait, les pratiques des enseignants et des formateurs sont directement influencées– le plus souvent implicitement – par leursvaleurs, par la manière dont ils perçoiventleur rôle et animent les groupes, par leurconception de la manière dont s’acquièrentles connaissances,… Aucun manuel n’estinnocent. Aucune pratique n’est neutre,comme l’illustre cet exemple, cité par Jean-Yves Rochex2. Il s’agit d’une enseignantequi travaille avec ses élèves sur une tâcheclassique : citer des mots avec le son [gn].Un élève cite ‘vigne’. “Très bien, répond l’en-seignante, je l’écris.” Un autre dit ‘vignette’.“Très bien, mais je ne l’écris pas.Cherchez…” Un troisième propose ‘pognon’.“Pognon, oui… mais c’est pas trop joli, pastrop français. Je ne l’écris pas. Il ne me plaîtpas trop.” Le suivant dit ‘mignon’. “Celui-cije l’écris, c’est plus joli’.” On voit dans cetexemple, récurrent dans les recherchesbasées sur des observations de pratiques deformation, qu’il se joue bien autre choseque la tâche phonologique. Se joue aussi

une vision de ce qui est ‘beau’ ou ‘pas beau’,‘bien’ ou ‘mal’, ‘légitime’ ou ‘illégitime’. Setravaille aussi, de manière implicite, unregistre sémantique qui, en donnant de lalégitimité à certains mots et pas à d’autres,relève de la disqualification de l’enfant etde sa famille. De plus, l’introduction impli-cite de la variable ‘niveau de langue’ produitun brouillage sur la tâche explicitementdemandée, ce qui peut la rendre incompré-hensible pour l’élève et le décourager àjamais de chercher à comprendre commenttout cela fonctionne.

Des intentions politiques, une philosophie et une éthique sociale

Si nous n’avons jamais directement abordédans Le journal de l’alpha la question desméthodes de lecture, Lire et Ecrire a parcontre clairement défini ses intentions poli-tiques : “l’alphabétisation comme un outild’émancipation, susceptible de provoquer des

La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

22 > Journal de l’alpha n°155

ruptures dans l’ordre établi et de participer àla modification des rapports sociaux quiinduisent les analphabétismes”, ainsi que saphilosophie et son éthique sociale : “cellesdes pédagogies émancipatrices”.3

Pour Lire et Ecrire, se placer dans le champdes pédagogies émancipatrices, c’est :> “s’interroger sur les relations formateurs/

apprenants, sur son pouvoir de formateur,sur sa volonté de sortir des rapports dedomination maître/élèves ;

> construire et animer des situations d’ap-prentissage rigoureuses et cohérentesbasées sur la co-construction des savoirs,dans la coopération, la confrontation et lasolidarité ;

> développer une pédagogie socioconstructi-viste qui se centre sur le sens des apprentis-sages, reconnaît les savoirs existants commepoint de départ, fait opérer des déplace-

ments, oblige le formateur à se positionnerautrement que dans une ‘classe’ ;

> se confronter à la réalisation de projets etd’actions collectives ;

> travailler tant sur la dimension matérielle (lesoutils, les techniques) que sur les dimensionssociologique, psychanalytique et politique ;

> être sensible aux différences culturelles,aux manifestations de pouvoir, à l’impré-vu, à la négociation et à l’imagination.”3

C’est aussi poser, en même temps, le princi-pe d’éducabilité : “tout le monde peutapprendre et nul ne peut jamais décider, pour une personne donnée, qu’un apprentis-sage est définitivement impossible”. Et leprincipe de liberté : “l’apprentissage ne sedécrète pas…et rien ne permet de l’imposerà quiconque. Tout apprentissage s’effectue,pour chacun, à sa propre initiative et requiertde sa part un engagement personnel.”4

Journal de l’alpha n°155 > 23

En ce qui concerne les méthodes de lecture,Lire et Ecrire se situe dès lors naturellementdans le champ des approches centrées surle sens, soit celles qui mettent en avant laculture de l’écrit, travaillent sur la com-préhension de texte et sur les interac-tions lecture/écriture.

Une manière d’envisager l’apprentissage

En cohérence avec nos choix politiques etpédagogiques, ceux de l’émancipation, nous défendons et cherchons à développerune conception socioconstructiviste de l’apprentissage.

Dans cette perspective, l’apprentissage estun processus dans lequel5 :> les connaissances sont construites et non

pas transmises ;> elles se construisent par l’individu, à par-

tir de ce qu’il est et de ce qu’il a, parintégration personnelle d’éléments nou-veaux, déstabilisateurs, dans le cadre dedémarches expérimentales, de démarchesdocumentaires, de démarches d’auto-socio-construction des savoirs6,… ;

> elles sont temporairement viables et nonpas définies une fois pour toutes ;

> elles sont situées dans des contextes et dessituations et non pas décontextualisées.

Par rapport à l’apprentissage de la lecture,Jacques Fijalkow7 distingue deux visionsopposées dans la manière dont on acquiertles connaissances, une vision empiriste etune vision constructiviste :> Pour l’empirisme, l’accent est mis sur

l’enseignement, la méthode, le maître.Pour le constructivisme, il est mis surl’apprentissage, le sujet, les activitéscognitives de l’apprenant.

> Pour l’empirisme, l’erreur est une faute(un manque de connaissances), elle estdue au hasard. Pour le constructivisme,elle est significative, c’est une méprise,liée à un raisonnement et l’application derègles logiques originales construites(exemple : le plafond s’effritent. On metent parce qu’il y a beaucoup de morceaux).

> Pour l’empirisme, le formateur contrôlede manière normative (bien ou mal,connu ou pas connu). Pour le constructi-visme, le rôle du formateur est de sou-tien, de médiation et d’évaluation (étatde la situation, analyse des difficultés).

> Pour l’empirisme, l’attitude de l’appre-nant est passive, basée sur le condition-nement, l’imitation, la généralisation.Pour le constructivisme, l’attitude de l’ap-prenant est active : il catégorise, établitdes relations, construit des hypothèses,cherche des régularités, réinvente lalangue écrite…

> Pour l’empirisme, la progression dansl’apprentissage va du facile au difficile,du simple au complexe, du concret à l’abs-trait. Pour le constructivisme, elle s’effec-tue à partir des intérêts, connaissances,logiques, de la personne qui apprend.

Une manière de définir la lecture et l’écriture

Nous emprunterons à Jocelyne Giasson8

la conception suivante de la lecture, quipeut au moins en partie être transposée à l’écriture.

> La lecture est un processus de communicationElle implique la volonté de l’auteur et dulecteur de communiquer l’un avec l’autre.Lire n’est jamais un acte gratuit. La lecture

a toujours une fonction. Une fonction utili-taire (lire pour se débrouiller), une fonctionintellectuelle (lire pour s’informer, lire pourcomprendre, pour agir, etc.), une fonctionesthétique centrée sur les émotions et lessentiments, une fonction patrimoniale,…

> La lecture est un processus interactifLa lecture est un processus interactifentre un lecteur, un texte – l’intention deson auteur et son contenu – et uncontexte psychologique, social et maté-riel. Plus le degré de relation entre le lec-teur, le texte et le contexte est grand,meilleure sera la compréhension.

> La lecture est un processus de construction de sensLe lecteur construit le sens à l’aide de sesconnaissances, de ses expériences, de sesémotions. Un même texte est compris dif-féremment selon les expériences anté-rieures du lecteur. La compréhensionnécessite de pouvoir établir des pontsentre le nouveau texte inconnu et sesconnaissances antérieures. La compré-hension ne peut se produire s’il n’y a rienà quoi le lecteur puisse rattacher lesinformations fournies par le texte.

> La lecture est un processus actifLe lecteur n’emmagasine pas passivementles mots les uns après les autres : il trai-te le texte c’est-à-dire qu’il fait constam-ment des hypothèses et essaie de lesvérifier en cours de lecture. Et ce, en trai-tant simultanément de multiples indicesde différents types : indices syntaxiques(ordre des mots dans la phrase, marquesorthographiques, terminaison des verbes,petits mots fréquents,…), indices séman-tiques (sens de la phrase, du contexte,expressions courantes), indices paralin-

24 > Journal de l’alpha n°155

guistiques et graphiques (ponctuation,mise en page, taille, police et couleur descaractères, tracé des lettres,...).L’activité de lecteur est une activité deprédiction, de confirmation et d’intégra-tion des indices syntaxiques, séman-tiques et graphiques.

> La lecture est un processus indivisibleElle n’est pas la mise en œuvre d’unensemble de sous-habiletés qui auraientété enseignées les unes après les autres defaçon hiérarchique. Au contraire, ces habi-lités sont interdépendantes et c’est de leurinteraction que naît la capacité de lire.

> La lecture est un processus de langageLangue orale et langue écrite ont despoints communs mais elles ne se superpo-sent pas. Comme le souligne AndréOuzoulias9, les textes écrits, c’est de lalangue mise en espace, de la langue qui sevoit. Le lecteur a la possibilité d’aller voir la fin du texte avant le début.

Journal de l’alpha n°155 > 25

Il peut revenir en arrière à tout moment. Ilne pourra par contre pas faire appel à l’au-teur pour une explication supplémentaire.Il y a dans l’écrit toute une série demarques (espaces entre les mots, para-graphes, ponctuations,…), une typogra-phie (gras, souligné, italiques,…), quin’existent pas à l’oral et qui ne sont pasune traduction de la variété des intona-tions. L’écrit, c’est de la langue retravaillée,élaborée, formulée,… Ainsi “moi, Vanessamon dessin e’m l’a déchiré” va être transcrit(dans le ‘cahier de râlages’ de la classe) “jeproteste contre Vanessa qui a déchiré mondessin”. L’écrit n’est pas un simple encoda-ge de l’oral, et entrer dans l’écrit, c’estentrer dans un autre rapport au langage,dans un rapport au temps, à la culture, etc.

Apprendre à lire et à écrire, une question de pédagogie

Pour Lire et Ecrire, il s’agit de former de véri-tables lecteurs et auteurs pouvant utiliserl’écrit comme outil de compréhension, deréflexion, d’analyse, de création, et d’action.

De véritables lecteurs, soit des personnescapables de traiter efficacement des textes.

De véritables auteurs, soit des personnescapables de rédiger des textes, capables des’exprimer et de communiquer grâce à l’écrit.

Comme nous l’avons vu, la lecture et l’écrituresont des processus qui mettent en jeu de mul-tiples facteurs. Le lecteur donne du sens à unécrit en se servant à la fois du texte, de sespropres connaissances et du contexte (intérêt,projet de lecture, interactions sociales,…).

Apprendre à lire et à écrire sont donc des apprentissages complexes qui vontnécessiter :

> des connaissances sur le monde, dont desconnaissances sur le ‘monde de l’écrit’ ;

> des connaissances sur la langue orale etécrite ;

> une mobilisation affective et un investis-sement : projet de lecture ou d’écriture,centres d’intérêts, questionnements… ;

> une mobilisation cognitive, une mise enrecherche personnelle, une perception desoi comme acteur de son apprentissage ;

> des relations sociales.

Et qui vont entraîner des ruptures et desréaménagements de la manière de se per-cevoir, de percevoir le monde et d’yprendre sa place.

Toutes ces dimensions devront être prisesen compte par le formateur pour que l’ap-prenant puisse “se faire œuvre de lui-même”(Pestalozzi) et “participer à la modificationdes rapports sociaux qui induisent les anal-phabétismes” (Foucambert).

Une pédagogie institutionnelle et politique

“Etre lecteur, c’est vouloir rencontrer ce quise passe dans la tête d’un autre pour mieuxcomprendre ce qui se passe dans la sienne.Mais cette attitude implique, tout à la fois,la possibilité de s’extraire de l’événementpour tenter d’en prendre une vue du dessus,l’évidence d’un surcroît de pouvoir sur lemonde et sur soi à travers ce détour théo-rique et le sentiment d’appartenance à unecommunauté de préoccupations qui vouspose, au-delà même d’un destinataire,comme un interlocuteur de ce que l’auteurproduit. C’est tout cela qui constitue le sta-tut de lecteur. Et c’est à partir de ce statut,préalable et inconditionnel, que chacunpeut développer les réponses techniques

26 > Journal de l’alpha n°155

En 1983 déjà…… ATD Quart Monde posait les véritables enjeux de l’accès à la lecture et àl’écriture de ceux qui sont habituellement exclus du monde de l’écrit et du typede pédagogie à mettre en place pour que cela change.

Tout donne à penser qu’il faille conduire la lecture et l’écriture simultanément.Ecrire, c’est écrire sa pensée, son vécu et ses projets ; c’est écrire l’histoire de ses succès etde ses échecs pour que d’autres puissent en profiter ; de même, lire, c’est lire l’expériencedes autres et la sienne pour en tirer des leçons.

Lecture et écriture sont donc intimement liées à l’expression de tout soi-même. On ne peutdonc dissocier l’un de l’autre, et il faut conduire les acquisitions dans ces deux domaines enmême temps.

A Bruxelles, c’est lorsque des hommes et des femmes ont vu qu’on les prenait au sérieux, àla Samaritaine, en lisant les résumés des réunions auxquelles ils participaient que la deman-de d’apprendre à lire et à écrire s’est formulée.

Lire et écrire est un savoir dont le manque est terriblement ressenti. Lire et écrire ont dèslors une signification telle pour l’adulte sous-prolétaire qu’on ne peut penser remettre à plustard l’apprentissage de la lecture et de l’écriture comme tels. Avec des enfants, on peut com-mencer par se familiariser avec d’autres techniques d’expression comme la parole ou desmanipulations qui conduisent à l’écriture. Avec des adultes, cela est hors de question.

Il est donc apparu qu’il était impossible de dissocier l’acquisition de l’écrit de l’expressionorale : une certaine maîtrise des aspects formels (parole) tout comme de ses aspects fonc-tionnels (ce qui permet de traduire une pensée : vocabulaire, syntaxe, enchaînement desidées) est indispensable à l’acquisition de l’écrit et doit être conduite simultanément.

On doit en dire autant de certains autres apprentissages : motricité fine, latéralisation, etc.qui ne seraient pas complètement acquis au moment où la demande émerge.

Par ailleurs, les textes et les supports pédagogiques les plus efficaces se sont révélés êtreceux qui avaient été réalisés (écrits ou dits) par les intéressés eux-mêmes, sur leur proprevie ou sur leur propre histoire.

En outre, l’apprentissage doit être en même temps individualisé et collectif. Tous les appren-tis, même ceux qui, en un premier temps, ont voulu démarrer seuls, nous disent combien laparticipation à un groupe d’apprentissage les soutient et les encourage. Découvrir qued’autres ne savent pas lire et écrire, qu’ils progressent avec des lenteurs semblables auxsiennes, qu’ils visent le même objectif, que chacun a ses succès, est un précieux encourage-ment pour celui qui apprend.

Les familles du Quart Monde nous ont enfin appris que la participation à un projet concretet collectif était un puissant stimulant.

(Extrait de Bruno COUDER, Jean LECUIT, Maintenant lire n’est plus un problème pour moi. Du refus de l’illettrisme au métier : le défi du quart-monde, Science et Service Quart Monde, 1983).

Journal de l’alpha n°155 > 27

qui lui permettent de l’exercer. Le statutprécède le savoir. Ce qui caractérise les (…)non-lecteurs c’est qu’ils se trouvent exclus detoutes les raisons de participer à des réseauxde communication écrite (…) L’obstacle neréside pas dans un manque de techniquemais dans l’absence de raison de se doterde ces techniques.”10

C’est souvent le cas des personnes en forma-tion d’alphabétisation, exclues de toutréseau culturel de communication écrite.

Comment dès lors, dans le cadre de l’alpha-bétisation, permettre à chacun d’expérimen-ter des situations nouvelles de pouvoir ? Dedévelopper un statut de lecteur ? A quelréseau nouveau de communication écrite lesapprenants sont-ils intégrés ? Les considè-re-t-on comme destinataires d’écrits dèsl’instant où, débutants, ils franchissent laporte ? Quels document reçoivent-ils de l’as-sociation, du formateur ? Quelles relationsconstruisons-nous ?

Entamer et mener à bien un processus d’ap-prentissage implique une démarche dyna-mique active qui nécessite, comme préa-lable, un certain niveau de participationsociale. Il n’y a pas de lecture et d’écrituresans pratiques sociales nécessitant cessavoirs. Il y a un rapport constant entre ceque l’on s’autorise à faire, à être et la place,le pouvoir que le corps social, que l’école,nous attribue, nous reconnaît.

On construit son savoir lire et écrire à tra-vers une multitude d’échanges interperson-nels sur et autour de l’écrit grâce auxmédiations, aux coopérations, aux soutiensd’un grand nombre de partenaires. “C’est àplusieurs qu’on apprend à lire tout seul”,comme le dit une affiche de l’AFL.

L’apprentissage de l’écrit nécessite unepédagogie interactive et sociale. Lesapports de la pédagogie institutionnelle,de la pédagogie du projet, de la pédago-gie du chef-d’œuvre,… ainsi que d’in-tenses pratiques d’expression orale (dire,parler sur, raconter, échanger, donner sonopinion,…) seront indispensables pour for-mer des lecteurs et des auteurs.

Une pédagogie culturelle

L’éducation à l’écrit est une action culturel-le qui nécessite un statut – nous venonsd’en parler – et un projet de lecteur.

Une action culturelle

“On pourrait la définir comme un voyageorganisé dans la Galaxie Gutenberg. Or, sagalaxie se caractérise non seulement par sonétendue et sa multitude mais aussi par sadualité : dualité entre culture écrite ‘ordinai-re’ (celle de la vie de tous les jours) et cultu-re écrite ‘savante’ (celle de la vie intellectuel-le et cultivée), entre l’effort et le plaisir,entre les écrits courts et les écrits longs,entre les techniques classiques (papiercrayon, imprimé) et les techniques nouvelles(ordinateurs, sms).”11

Cela implique donc de travailler les compé-tences d’orientation dans l’univers dulire/écrire : la connaissance et le fonction-nement des ‘lieux où on lit’ (bibliothèques,librairies, au travail, chez soi,…), des‘objets à lire’ (livres, journaux, courrier,ouvrages de référence,…), des ‘lieux où l’onécrit’ (ateliers d’écriture, au travail, chezsoi,...) et des ‘objets à écrire’ (crayons,ordinateurs, papiers, mais aussi nouvelles,poèmes, récits,…).

28 > Journal de l’alpha n°155

Alphabétiser, ce n’est pas qu’apprendre l’alphabet, c’est former des citoyens à laculture de l’écrit. Pour cela “il faut avoirun rapport amical avec l’écrit, avoir confian-ce dans sa propre capacité à dévoiler le sensd’un texte ainsi qu’à produire des textes quiont du sens, circuler dans le monde de l’écritcomme on circule dans sa propre maison, et, en même temps avoir conscience que l’alphabétisation est un processus qui n’apas de fin.”12

Un projet de lecteur

“On ne peut séparer l’acte de lire et d’écriredu projet personnel qui le motive. Lire n’estjamais un acte gratuit, c’est, dans tout lescas, une prise d’information en vue de la réa-lisation d’un projet.”11

C’est parce que l’on a des questionnements enrapport avec un projet et des hypothèsespréalables que l’on peut se mobiliser pourconstruire du sens. C’est parce que l’on saitpourquoi lire et écrire que l’on peut se mobi-liser pour savoir comment fonctionne l’outil,chercher à découvrir et à maîtriser les règlesde codage de l’écriture. Lire, ce n’est pas seu-lement comprendre un texte, c’est aussi réagirà ce texte, l’analyser et/ou utiliser les infor-mations qui s’y trouvent et dont on a besoin.

On ne devient lettré qu’en devenant un pra-tiquant de la culture écrite, en fréquentantdes livres et toutes sortes d’écrits, en ques-tionnant des textes fort variés, en commu-niquant avec des auteurs très différents, enproduisant des textes écrits.

Ceci implique d’entraîner les apprenants à uncomportement de lecteurs et d’auteurs ensituation réelle, avec des supports et dansdes lieux variés, sur diverses formes d’écrits,avec des intentions ou des projets divers…13

Une pédagogie conceptuelle

“Il ne suffit pas d’être motivé et de savoirparler pour savoir lire. Il faut aussi que l’apprenant considère la langue – orale etécrite – comme un objet d’étude ou deconnaissance. Il s’agit d’aider l’apprenant àconsidérer l’écrit et la lecture comme desobjets de réflexion et de recherche, à prendredu recul par rapport à ses activités sur/avecl’écrit, à se regarder faire, à examiner les pro-cessus cognitifs à l’œuvre chez autrui, etc.”12

Il s’agira donc de développer les compé-tences langagières (codes et spécificitésde la langue écrite) ainsi que des compé-tences de recherche de sens, les compéten-ce sémiotiques (raisonnement, hypothèses,doute, vérification,…) :

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> identification de l’objet à lire, de la situa-tion de communication, de l’intention ;

> exploration visuelle et maîtrise de l’orga-nisation spatiale et graphique : indicesparalinguistiques (mise en page, taille,police et couleurs des caractères, ponctua-tion,…) et linguistiques (espaces, ordredes mots, marques orthographiques) ;

> reconnaissance des mots, lecture pargroupes de mots, identification de l’infor-mation importante de la phrase ;

> utilisation des référents14, des connec-teurs15, des inférences ;

> identification des idées principales, utili-sation de la structure du texte, résumé ;

> prédictions, utilisation d’images men-tales, émotions, intégration de l’informa-tion nouvelle à ses connaissances anté-rieures, raisonnement.

Apprendre à lire et à écrire, c’est mobiliser etdévelopper – à partir de la pratique de l’écritet non pas à partir d’exercices décontextua-

lisés ! – l’ensemble de ses ressources concep-tuelles : attention ; perception, observationet comparaison ; classification, sériation etanalogie ; mémoire ; résolution de problème ;logique et inférence.16

Apprendre à lire et à écrire, ce n’est pas tra-vailler un code, mais travailler l’intégrationde codes : des codes culturels, des codesgraphiques, un code orthographique, uncode alphabétique,…

Apprendre à lire et à écrire, ce n’est pasacquérir une ‘conscience phonologique’17.C’est acquérir plusieurs niveaux de conscien-ce : conscience politique, conscience cultu-relle, conscience cognitive et métacognitive,conscience graphique, conscience orthogra-phique,… C’est apprendre à penser !

Une pédagogie de l’écriture

Même si nous ne l’avons pas abordée demanière spécifique dans cet article, l’écritu-re nous parait être un aspect fondamentaldans l’acquisition de la lecture et de la culture de l’écrit.

Nous écrivions, dans l’édito du Journal del’alpha consacré aux livres réalisés par lesapprenants, que “dans le processus d’alpha-bétisation, l’écriture est centrale.”19

Le projet d’écriture oblige à se questionneret réfléchir, à s’interroger sur ce qu’on a àdire, sur le pourquoi et le comment de l’écrit.

Le geste graphique permet de s’inscrire detout son corps dans l’apprentissage. Il permetaussi de travailler l’orientation spatiale del’écrit et aide à la discrimination visuelle fine.

L’écrit à produire implique de lire, de se reli-re, de tracer chaque lettre sur le papier dansun ordre précis et d’en analyser ainsi le

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fonctionnement. Il est un outil puissantd’acquisition des compétences langagières(code et spécificité de la langue écrite).

Enfin, le texte permet d’exister et de com-muniquer dans une société de l’écrit.

Apprendre à lire et à écrire…construire sa méthode ?

Pouvoir travailler non pas avec une métho-de mais avec méthode et rigueur vanécessiter pour le formateur de pouvoir ana-lyser les difficultés rencontrées et de pou-voir construire et organiser la ‘somme dedémarches raisonnées’ permettant de formerdes lecteurs et des auteurs. Nous venons dele voir, c’est assurément complexe !

Aussi, au sein de notre positionnement dansle champ des méthodes centrées sur le sens,certains à Lire et Ecrire, dont je suis, ontchoisi d’utiliser plus particulièrement laméthode naturelle de lecture et écriture,comme base de structuration de leur travail.

Catherine STERCQ

1. Dominique GROOTAERS et Francis TILMAN (sous ladir. de), La pédagogie émancipatrice. L’utopie miseà l’épreuve, PIE-Peter Lang, Bruxelles, 2002, p 15.

2. Lors de la conférence qu’il a donnée au colloque ‘Aufront des classes’ organisé par la CGé en l’honneur deNoëlle De Smet, le 15 octobre 2005 à Bruxelles : De lafamille à l’école, et retour.

3. Catherine STERCQ, Sur les chemins de l’émancipa-tion (édito), Le journal de l’alpha, n°145, février-mars2005, p. 3.

4. Philippe MEIRIEU, Pour y voir (un peu) plus clairdans les débats sur la pédagogie, www.meirieu.com/ACTUALITE/blocnotesdu6mai2006.pdf, 19/10/2006.

5. D’après Joseph STORDEUR, Enseigner et/ouapprendre. Pour choisir nos pratiques, Ed. De BoeckUniversité, Coll. Outils pour enseigner, Bruxelles, 2005(2e édition).

6. Le terme ‘auto’ rappelle l’interaction entre les savoirset le sujet apprenant. Le terme ‘socio’ insiste sur lesinteractions sociales, l’individu construit de nouvellesconnaissances et en modifie d’anciennes parce qu’il setrouve en interaction avec son milieu physique et social.

7. Jacques FIJALKOW, Entrer dans l’écrit, Les guidesMagnard, Paris, 1993, pp. 42-47.

8. Jocelyne GIASSON, La lecture. De la théorie à lapratique, De Boeck, Coll. Outils pour enseigner,Bruxelles, 1997.

9. André OUZOUlIAS, Simple comme ‘bonjour’, exposélors d’une réunion débat SNUIPP-ICEM-GFEN-FCPE,Cergy, 9 mars 2004.

10. Jean FOUCAMBERT, Quelles méthodes pour quelslecteurs ? Madani arrivera-t-il à Paris ?, in MigrantsFormation, N° 68, Mars 1987, pp. 83-88.

11. Gérard CHAUVEAU, Eliane ROGOVAS-CHAUVEAU, Les chemins de la lecture, Les guides Magnard, Paris,1994.

12. Emilia FERREIRO, Culture écrite et éducation,RETZ, Paris, 2001, p. 10.

13. Différents dossiers du Journal de l’alpha abordentcet aspect : Lire des livres, Lire la presse, Bibliothèques,Livres d’apprenants,…

14. Mots ou ensemble de mots qui ne prennent sensque quand on connaît ce à quoi ils renvoient (pronomspersonnels, démonstratifs, etc.).

15. Mots charnières ou bien encore mots-outils ou motsde liaison. Leur but est de relier les propositions, lesphrases ou les paragraphes d'un texte. Ils servent àsituer les événements, les personnages et les objetsdans le temps et dans l'espace et jouent un rôle clédans la cohérence et la progression du texte.L'ensemble des connecteurs comprend différentesclasses de mots invariables : adverbes, conjonctions decoordination, conjonctions de subordination et groupesnominaux compléments circonstanciels.

16. Hélène POISSANT, L'alphabétisation : métacogni-tion et intervention, Les Éditions Logiques, Montréal,1994.

17. Habileté à segmenter les mots oraux en phonèmeset à manipuler des phonèmes.

18. Le journal de l’alpha, n°144, décembre 2004-janvier 2005.

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Quels choix pour l’apprentissage de la lecture?De la syllabique à la MNLE… tout un parcours

Je suis instituteur primaire de formation et bien qu’ayant été formé aux diffé-rentes méthodes de lecture lors de mon passage à l’Ecole normale, je n’avaisjamais éprouvé le besoin de remettre en question la méthode avec laquellej’avais moi-même appris à lire : la méthode syllabique. Après coup, si ma pra-tique professionnelle actuelle me permet d’émettre de grandes réserves par rap-port à cette méthode d’apprentissage, à cette époque, je n’étais pas outillé pouren mesurer la réussite ou l’échec puisque j’étais moi-même devenu ‘lecteur’1.

Si ma carrière avait continué dans l’ensei-gnement, il est fort probable que, comme lamajorité des enseignants du primaire, j’au-rais intégré une méthode mixte ou j’auraiscontinué à pratiquer la méthode syllabique.

Pourquoi et surtout pour qui se remettre en question ?

Dès mon arrivée à Lire et Ecrire, j’ai étéconfronté à l’apprentissage de la lectureavec des adultes. J’ai dès lors repris laméthode employée par mon prédécesseur(instituteur de formation lui aussi), laméthode syllabique, en pensant que cela nedevait sans doute pas être trop différent dutravail avec des enfants…

Premières constatations et premiers échecs :la maîtrise des voyelles si importante dans lalecture syllabique est rendue très difficilepar les difficultés d’articulation des damesque j’ai en face de moi (dames d’originemaghrébine pour la plupart mais parlant unfrançais ‘correct’). En équipe, nous mettonsalors en place un travail de remédiation parrapport au diagnostic posé et je reprends

toutes les voyelles systématiquement (audi-tion, gestes logopédiques,…). Après un tra-vail laborieux, les voyelles semblantacquises, nous commençons à aborder lafusion consonne-voyelle… Toute la remédia-tion mise en place tombe à l’eau car, dès quenous associons la voyelle à une consonne,les ‘mauvaises habitudes’ reprennent le des-sus. Nouveau diagnostic et nouveau travailde remédiation en associant les voyelles auxconsonnes,… Nous passons beaucoup detemps à tenter de corriger le problème etprogressivement un discours s’installe chezles apprenantes : nous sommes trop vieilles,nous n’y arriverons pas. Discours que nousréfutons bien entendu mais qui soulève degrandes questions : que mettre en placepour avancer ?

Le découragement est proche quand nousrencontrons Mme Danielle De Keyzer lorsd’une conférence d’une demi-journée autourde la méthode naturelle de lecture et d’écri-ture (MNLE). Dans une autre situation, lemessage qu’elle nous transmet n’auraitpeut-être pas eu d’impact mais ici, parce

La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

32 > Journal de l’alpha n°155

leur prononciation n’est pas parfaite, nous latravaillons plus globalement dans la dyna-mique des phrases. Mais, dès que le rythmese relâche, elles essaient de reprendre ledécodage. Nous devons alors travailler à unautre niveau, celui de la représentation del’acte d’apprendre et notamment par rapportà la lecture. En effet, ma pratique me permetd’affirmer que dans la représentation qu’ontla majorité des individus de l’acte de lectu-re, c’est l’assemblage des lettres qui est lepoint de départ. Cette représentation estrenforcée par la confrontation aux pratiquesscolaires en vigueur à l’école : celles qu’on asoi-même connues ou celles qu’on rencontreà travers ses enfants.

De fil en aiguille, de lectures en discussions,d’échecs en réussites, nous continuons àprogresser et nous obtenons des résultatsenfin significatifs.

Des apprenants francophonesse présentent…

La question est de nouveau à l’ordre du jour.Quelle méthode choisir puisqu’ils n’ont pasde difficultés à l’oral (ou beaucoup moins)et ont un parcours scolaire avorté mais exis-tant ? Dans quelle mesure ce qui est vraipour des personnes d’origine étrangèrepeut-il être vrai pour des francophones ?

L’entrée dans la lecture par le sens nousparaît vite beaucoup plus évidente et nouscontinuons à procéder de la même manière,non plus parce que nous rencontrons deséchecs mais parce que nous nous sommesforgés une conviction. Cette conviction estnéanmoins fragile et susceptible d’êtreremise en question face à des difficultés oude nouvelles convictions.

que nous rencontrons de grandes difficultés,son message nous ouvre une nouvelleporte : celle du sens par rapport à celle ducode, même si nous savons que nousdevrons y revenir par la suite.

Nantis de cette ‘découverte’, nous nous lan-çons avec les apprenantes, à qui nous expli-quons notre démarche, à la découverte d’unautre possible. Dès la première leçon, noussentons qu’il se passe quelque chose. Mêmesi nous ne savons pas encore exactementcomment nous allons procéder, nousconstruisons notre premier texte avec lesapprenantes à partir d’elles et de leur vécu2.

A l’issue de cette leçon, les dames ont lesentiment que pour la première fois de leurvie, elles ont lu. Elles savent qu’elles ne peu-vent pas lire d’autres choses mais ce texte aumoins, elles savent le lire. S’il est vrai que

Journal de l’alpha n°155 > 33

Ce qui nous amène à nousposer d’autres questions…

Au-delà de la réussite ou de l’échec de laméthode, ce sont les fondements même de laméthode que nous sommes amenés à interro-ger. Au-delà de la porte d’entrée, c’est le tra-vail même de l’enseignant qui est remis enquestion et son propre rapport à l’apprentis-sage. Ce changement de méthode ne s’est pasréalisé sans heurt. D’une part, nous avons dû(et nous le devons encore) combattre noshabitudes de transmission des savoirs3 :‘perdre’ sa place d’enseignant au sens hiérar-chique et en construire une autre. D’autrepart, nous devons absolument continuer ànous former et à questionner sans cesse lesfondements des différentes méthodes de lec-ture de façon à rester en cohérence avecnotre philosophie et nos convictions.

Au-delà du rapport de personne à personne,c’est le rapport de la personne au monde quiest interrogé dans le choix de la méthode.

Le débat qui fait rage en France depuis main-tenant bientôt un an n’est pas sans poserquestion. La polémique est grande. On semblene pas parler de la même école ni des mêmesfinalités ! D’un côté le ministre de Robienparle de “…réaffirmer l’autorité des profes-seurs, responsabiliser les parents, lutter contrela violence scolaire (…) rendre aux professeursles moyens d’exercer leur autorité légitime…”4

et un des moyens pour y parvenir est laméthode syllabique… De l’autre, les défen-seurs de l’auto-socio-construction des savoirsparlent de “…l’idéologie selon laquelle l’élèvedoit construire lui-même ses savoirs, de démo-cratisation, de respect, de justice, d’égali-té…”. Dans ce cadre, la méthode dépend denombreux facteurs souvent externes à la per-sonne : les parents et leurs convictions, la

culture de l’école parfois en opposition avecla culture des parents, l’organisation de l’en-seignement, ses méthodes d’évaluation, lanécessité de concilier ses convictions d’ensei-gnant avec un système scolaire organisé,…

Cette question du choix des méthodes sepose-t-elle de la même manière pour notrepublic ?

C’est à travers mon travail avec les adultesdepuis de nombreuses années, de mes ren-contres, de mes lectures, de mes interroga-tions que je peux affirmer que le choix de laméthode implique bien davantage qu’unsimple choix technique. Au travers de mesétudes d’enseignant, ce sont les techniquesqui ont été mises en avant ; au travers de mapratique d’alphabétiseur, ce sont les fonde-ments même de la conception des savoirs etde leur transmission qui ont été interrogés.

Pour moi, in fine, le choix de la méthode delecture par un formateur ne peut se fairequ’en fonction de ses finalités, non pas parrapport à l’apprentissage de la lecture maispar rapport à sa lecture du monde.

Jean CONSTANTLire et Ecrire Verviers

1. Dans ‘Le petit Larousse en couleur’, la définition dumot lire comporte plusieurs acceptions dont :> identifier et assembler des lettres, définition qui fait

la part belle au mécanisme automatique de lecture(ce qui était mon cas) ;

> pénétrer le sens grâce à des signes qu’on interprète,définition qui, elle, met en jeu de manière importan-te le lecteur et sa connaissance du monde.

2. Appelé ‘texte de référence’ dans la terminologie dela MNLE.

3. Bernard CHARLOT, Du rapport au savoir. Élémentspour une théorie, Anthropos, Paris, 1997.

4. Gilles de ROBIEN, Refondons l’école sur l’essentiel,in Le Monde, 10 mars 2006.

36 façons de ne pas savoir lire… et quelques questions sur les remèdes

Contrairement à ce qu’on nous serine à tout bout de champ, la questionde la lecture ne se limite certainement pas à un choix de méthode. Cen’est jamais une méthode qui a permis de rendre quelqu’un lecteur, c’estplutôt une articulation complexe de phénomènes liés d’une part à la per-sonne apprenante et d’autre part à la finesse du dispositif pédagogiquemis en place pour que cette personne apprenne.

Pour moi, le choix de la ‘méthode’ au sens‘méthode globale’, ‘méthode syllabique’…n’intervient que pour une petite part dans leprocessus d’apprentissage et à certainsmoments de celui-ci et ne sera certainementpas monolithique pour la simple raison quetous les apprenants ne sont pas formatés dela même manière. L’important sera plutôt derecourir à tel outil proposé par telle métho-de en fonction des difficultés et du moded’apprentissage de tel apprenant.

Je voudrais donc m’attacher ici à brosser lesdifférentes composantes de ce qu’est l’actede lire pour en faire apparaître les multiplesimplications pédagogiques à garder enmémoire lorsqu’on se lance dans l’apprentis-sage de la lecture, implications qui me sem-blent dépasser de loin le choix de telle outelle méthode. Je ne dirai pas pour autantque le choix de la méthode est anecdotiquemais que son importance est souvent sur-évaluée et peut conduire à oublier d’autreséléments parfois tout aussi déterminants.

En se référant entre autres aux travauxd’Eveline Charmeux1 et à ceux de l’Asso-

ciation belge pour la lecture (ABLF), on peutse rendre compte que toute activité de lec-ture chez un lecteur ordinaire comprend plu-sieurs étapes. Au début, il y a un désir ou unbesoin : besoin de trouver une information,de comprendre, désir de se distraire, de pen-ser, de connaître davantage sur un sujet…

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La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

Journal de l’alpha n°155 > 35

En même temps, il y a une connaissancediversifiée du monde des écrits. Cetteconnaissance va permettre au lecteur dechoisir de satisfaire son besoin ou son désiren recourant à l’écrit en général et à telécrit en particulier. Ce n’est qu’ensuite quele lecteur va saisir le message écrit dans uneactivité de construction de sens reposantsur un mécanisme de va-et-vient entre l’éla-boration d’hypothèses et la vérification decelles-ci en utilisant des éléments scriptu-raux comme indices.

Vu ainsi, cela semble un peu compliquémais a le mérite de situer d’emblée tous lesaspects qu’il faudra travailler si on veutmettre en place une pédagogie de la lectu-re. Cela permet aussi d’envisager la multipli-cité des difficultés possibles que l’on va ren-contrer chez les apprenants. ‘Ne pas savoirlire’ se déclinera ainsi sur des modes trèsdivers qui vont appeler chacun des appré-hensions pédagogiques spécifiques.

L’activité de lecture repose donc d’abord surdes questionnements liés à des désirs ou desbesoins personnels. Dès ici, nous allons ren-contrer des difficultés. Des personnes nousapparaissent avec une soif de connaître destas de choses et expriment facilement desintérêts multiples dans plusieurs domaines ;chez d’autres, au contraire, nous ne percevonspas les questionnements qui les traversent niles intérêts qui les mobilisent. Un certainnombre de personnes en alpha nous apparais-sent même comme étant déprimées, découra-gées, ce qui se traduit justement par l’absen-ce de désir. On a l’impression qu’elles ont lescapacités pour progresser en lecture mais quele problème se situe dans une faible mobilisa-tion pour l’apprentissage, peut-être liée à lavie extérieure de la personne.

Nous en connaissons beaucoup de ces per-sonnes qui nous posent question : sont-ellesdécouragées et désinvesties parce qu’ellesne progressent pas ou ne progressent-ellespas parce que leur vie les déprime ? En voiciun exemple parmi d’autres. Nabila n’a jamaisété à l’école. Elle vient depuis 5 ans auCollectif. Les trois premières années, elleavait bien démarré avec rigueur et méthodedans le groupe bilingue (apprentissage de lalecture en arabe et en français), un groupede petite taille où elle se sentait très à l’aise. Après 3 ans, elle recherche du sensdans la lecture, procède avec logique et sait utiliser certaines correspondances grapho-phonétiques simples pour lire des mots nou-veaux si leurs graphèmes ne sont pas tropcomplexes. Depuis deux ans, elle est dans ungroupe beaucoup plus nombreux, elle sembleperdue et sans énergie. Elle se plaint sou-vent d’être fatiguée et d’avoir des problèmeschez elle. Elle a du mal à se mobiliser face àune tâche. Souvent pour ne pas se sentir en

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situation d’échec, elle bluffe. Les autres luisoufflent et elle stagne dans son apprentissa-ge. Elle a peu d’autonomie, elle s’appuie tou-jours sur les connaissances de ses voisines.

Dans l’évaluation, elle met toujours en avantla dimension affective dans sa relation à l’ap-prentissage : ses premiers critères sont l’im-portance de la gentillesse du formateur etl’absence de dispute dans le groupe. Elleapprécie beaucoup l’atelier bibliothèque où iln’y a que 5 participants et où elle reçoit unaccompagnement individualisé en lecture.

Pour ce type de difficultés, le formateur estd’emblée confronté à des limites, les difficul-tés de vie de la personne échappant en gran-de patrie à son champ d’intervention. Ici lesréponses en terme de méthode sont inopé-rantes. L’action possible du formateur se situe-ra plus au niveau de son attitude d’écoute etdans les possibilités qu’offre un accompagne-ment plus individualisé comme semble lemontrer l’expérience de l’atelier bibliothèque.

Autre élément important dans le comporte-ment du lecteur, c’est la connaissance diver-sifiée du monde des écrits. On l’oublie tropsouvent mais, si des personnes sont analpha-bètes, c’est d’abord parce qu’elles vivent endehors de la communication écrite (mis àpart les écrits contraints tels que les fac-tures, etc.). On sait que les enfants quivivent dans un milieu baignant dans l’écritapprennent à lire quelles que soient lesméthodes. Le rôle primordial des formateursd’alpha est donc de permettre aux personnesde se rendre compte que leurs questions,intérêts, désirs, visions du monde… peuventtrouver des échos dans tel ou tel type d’écrit.Il s’agira donc de faire découvrir la diversitédu monde des écrits par des animations régu-lières explorant journaux, livres, magazines,romans-photos… et débouchant sur des pra-tiques régulières de lecture en dehors ducentre d’alpha. En effet, sans pratique régu-lière de la lecture, il n’y a jamais maîtrise decelle-ci. Je ne vais pas répéter ici tout ce quej’ai déjà eu l’occasion de raconter à ce sujet2

mais ici encore on se situe à un autre niveauque celui de la méthode.

L’importance de la familiarisation avec lemonde des écrits réels réside aussi dans lefait que ces objets contiennent un langagedifférent de l’usage parlé et des modes d’or-ganisation spatiale propres dont la non-maîtrise empêche la compréhension. Je mesouviens de Mirella qui souhaitait lire lesromans-photos de sa fille mais qui n’y com-prenait rien parce qu’elle ne savait pas dansquel ordre elle devait lire les cases. Mimounlui ne comprenait pas le journal parce qu’illisait horizontalement un article en passantd’une colonne à l’autre. Quand j’ai demandéà Azzedine d’imaginer ce que pouvait racon-ter le livre de Bénédicte Guettier Le papa

Journal de l’alpha n°155 > 37

qui avait 10 enfants (un album jeunesse oùle nom de l’auteur est écrit en petit et letitre du livre en très grand juste en-des-sous), il m’a répondu : “C’est l’histoire d’unefemme qui a quitté son mari”. Intrigué, je lui ai demandé : “Pourquoi tu pensescela ?”. Il m’a répondu : “Oui, c’est l’histoirede Bénédicte qui a quitté le papa qui avait10 enfants”. (Guettier avait subi une petitetransformation pour devenir ‘quitter’). Lanon-maîtrise des conventions liées à chaquetype d’écrit est une autre façon de ne passavoir lire.

Le comportement de lecteur repose ensuitesur une activité de construction du sensbasée sur un processus d’élaboration et devérification d’hypothèses. Là, effective-ment, les méthodes ne parlent pas le mêmelangage. Une méthode privilégiant uneapproche globale et partant donc du texteinstalle bien la recherche de sens au centrede l’acte de lecture. Elle permet d’éviter leseffets pervers des méthodes qui ne partentque du code et qui conduisent souvent à descomportements de déchiffreurs ne compre-nant pas grand chose à ce qu’ils lisent.

Mais la recherche de sens est une questionloin d’être simple, car il s’agit d’articuler ceque j’ai dans la tête avec ce qu’il y a dans letexte écrit. Il s’agit d’articuler mes hypo-thèses avec l’utilisation des indices que jevais prélever dans le texte : il faut donc aussiavoir des outils efficaces pour traiter lesindices de l’écrit. Et parmi ces indices, il y abien sûr, entre autres, l’acquisition du systè-me des correspondances grapho-phonétiquesqui cristallise souvent à lui seul l’ensembledes polémiques autour de la lecture. Quandet comment commencer à la construire, lesméthodes divergent sur ce point.

Dans le courant des années 80, un bascule-ment s’est produit en alpha avec l’abandon dela méthode centrée sur l’acquisition du codeet incarnée par trois petits manuels dontl’usage a été proscrit du jour au lendemain.Mais sans doute qu’à l’époque le revirement aété trop brutal : la suprématie nouvelle del’approche globale nous a conduits à bannirtotalement le déchiffrement. Travailler avecdes syllabes par exemple a été considéré àune époque comme un ‘péché grave’ et cela aeu des conséquences à mon avis malheu-reuses pour l’apprentissage chez un certainnombre de personnes qui aujourd’hui, à forced’être ‘dans le sens’, ont tendance à être ‘dansleur sens à eux’. Ils sont dans la formulationd’hypothèses mais la vérification est trèshasardeuse car elle repose sur des indices malsaisis ou mal interprétés.

Il arrive ainsi souvent chez les apprenantsque l’expérience personnelle supplante l’in-formation écrite.

L’an passé, en juin, nous avons procédé àune évaluation qui nous a beaucoup inter-pellés. Il s’agissait d’une évaluation endeux temps. D’abord, il y avait deux exer-cices ‘classiques’, du type fiches Freinetavec une case à cocher parmi trois ouquatre réponses possibles.

Ensuite, il y avait une partie individuelle oùla personne expliquait comment elle avaitprocédé et pourquoi elle avait coché telle outelle case. Et là, nous avons souvent été sur-pris : parfois les cases cochées étaient cor-rectes mais pour de mauvaises raisons etparfois les cases n’étaient pas correctes maispour des raisons qui n’avaient rien à voiravec une difficulté de décodage de l’écritmais plutôt avec une difficulté à se limiter àune utilisation de l’information écrite.

38 > Journal de l’alpha n°155

Par exemple, sur une fiche avec un dessinde tortue qui fait du ski, certains avaientcoché La tortue nage en disant : “une tor-tue, ça ne met jamais des skis mais ça vadans l’eau”.

De même pour le dessin de la poule qui portedes bottes, Sidi n’avait coché aucune destrois phrases proposées en disant : “aucunanimal ne porte des bottes, c’est impossible,alors j’ai tout barré”.

La tortue fait du vélo.

La tortue nage.

La tortue fait du ski.

La poule a mis des bottes.

une poule

un canard

un lapin

Le lapin a mis des bottes.

Le canard a mis des bottes.

La poule fait du ski.

Journal de l’alpha n°155 > 39

Babacar lui avait coché “Le canard porte desbottes” en donnant l’explication suivante :“une poule qui porte des bottes, c’est paspossible, elle ne va pas dans l’eau. Le canard,lui il a des pattes soudées, comme ça (il memontre des pattes palmées avec ses doigts),alors c’est un peu comme des bottes pouraller dans l’eau, c’est pour ça que j’ai mis unecroix à la phrase du canard”.

Ce qui nous a frappés, c’est que pour beau-coup de personnes le sens est construit parrapport à l’expérience personnelle du réel etque cette expérience supplante l’informa-tion écrite ou figurée au point parfois del’oblitérer complètement.

Autre exemple, pour un exercice sur lesheures d’ouverture d’une maison communa-le, beaucoup de personnes avaient cochédes réponses non en fonction des informa-tions données sur la feuille mais en fonctiondes horaires de la maison communale deleur commune.

Ainsi, une personne avait coché Ouvert lesamedi matin en expliquant : “chez moi àLaeken, on organise des mariages le samedimatin, alors c’est ouvert”. Une autre, aucontraire, expliquait : “je n’ai pas mis decroix pour samedi parce que je sais que lamaison communale de Molenbeek est ferméele samedi”.

Là, nous nous sommes au moins renduscompte de l’importance d’un dialogue péda-gogique individualisé pour éviter d’être àcôté de la plaque dans l’interprétation desdifficultés d’une personne face à l’écrit…

Nous avons aussi vécu là une illustration dufait que la difficulté principale de l’apprentilecteur au niveau de la saisie du messageécrit ne réside ni dans la maîtrise du code nidans l’attitude de recherche de sens mais sesitue dans l’articulation entre le sens et lesigne, entre ‘le soi’ et le texte.

Une expérience que je mène depuis deuxans à ce propos avec un groupe de per-sonnes en difficulté de lecture m’a apportébeaucoup d’enseignements à ce sujet etm’a permis de développer de nouveauxoutils que j’espère avoir l’occasion de pro-poser à la réflexion des lecteurs dans unprochain numéro…

Patrick MICHELCollectif Alpha Molenbeek

1. Voir par exemple : Eveline CHARMEUX, Savoir lire aucollège, Editions CEDIC-NATHAN, Paris, 1985.

2. Voir par exemple : Patrick MICHEL, “1001 escalessur la mer des histoires”. Quatre étapes vers uneutopie, in Le Journal de l’alpha, n°140, avril-mai2004, pp. 6-8.

On peut aller à la maison communale:

Le mercredi à 13h

Le vendredi à 10h

Le lundi à 16h30

Le samedi à 9h

Les bureaux de la maison communale

sont ouverts

du lundi au vendredi

de 9h à 12h et de 14h à 17h

40 > Journal de l’alpha n°155

Comment aider les adultes en difficulté

de lecture et d’écriture à devenir

des lecteurs efficaces?

Spécialiste de l’enseignement du français, l’art d’Eveline Charmeux1

consiste à combiner recherche et pratique d’enseignante. Ses convictionset son travail vont à contre-courant de la tendance, renforcée aujourd’huien France et imposée par le ministre de l’Education nationale, qui est dedire que pour apprendre à lire, il faut au préalable apprendre à déchif-frer et que c’est de cette compétence que découlera tout naturellementle savoir lire. Pour Eveline Charmeux, on n’amènera jamais ainsi des nonlecteurs à devenir lecteurs. Le 17 octobre 2005, elle a, pendant 1h30, étayé cette conviction lorsd’une conférence qu’elle donnait à Charleroi à l’invitation de Lire et Ecrire.

Comment aider les adultes en difficulté delecture et d’écriture à devenir des lecteursefficaces ? Pour répondre à cette question,il faut déjà avoir répondu à deux questionspréalables.

Premièrement, qu’est-ce qu’un lecteur effi-cace ? Et donc sous-entendu : qu’est-ce quelire ? qu’est-ce que savoir lire ?

Et deuxièmement, comment s’y prendreavec des adultes qui ont connu l’échec ?

Cette seconde question, très importanteest celle par laquelle je vais commencer.

La spécificité du travail avec des adultes

Comment travailler avec des adultes qui ontun passé d’échec, ou du moins un passé quel’école a qualifié de tel ?

Précision : je n’aime pas parler d’échec carle terme est très discutable. On peut parlerde problèmes, de difficultés rencontrées, etle plus souvent, c’est l’école, par sa maniè-re de réagir, qui transforme ces difficultésen échec. Une situation qui n’était peut-être que conjoncturelle et provisoire, estdevenue un échec effectif avec tout ce quecela entraîne de négatif.

Un adulte qui a derrière lui un ‘passéd’échec’ est un écorché vif. Et si on le consi-dère comme un élève qui ne sait rien, si onl’oblige à repartir à zéro, si on lui proposedes activités pour enfants de 6 ans, toutcela va être pour lui source de nouvelleshumiliations et blessures.

Tout jugement, même positif, peut être bles-sant. On ne pense pas toujours à quel pointle fait de dire “c’est bien !” à un adulte qui

La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

Journal de l’alpha n°155 > 41

vient de faire quelque chose en lecture ouen écriture, peut être blessant.

On ne le répètera jamais assez : nous, ensei-gnants ou formateurs, ne sommes pas làpour juger. Notre tâche, c’est d’obtenir desprogrès des apprenants et de les évaluer,pas de les juger.

Il faut aussi être conscient que personnen’est complètement ignorant, y compris enlecture. Des gens qui ne savent rien en lec-ture, cela n’existe pas. Le terme ‘analphabè-te’ me déplaît profondément car on établitune corrélation entre la connaissance del’alphabet et la lecture. Cela n’a rien à voir.Si l’on observe des difficultés de lecture, ilfaut apprendre à les interpréter, voir en quoice sont des difficultés et travailler àrésoudre ces problèmes. Mais ne jamais par-tir de zéro : tout le monde sait toujoursquelque chose, quel que soit son âge. Tellefemme maghrébine qui n’a jamais été àl’école va savoir trouver la bouteille d’Evian

dont elle a besoin par une activité de repé-rage d’indices qui est en soi une activité delecture, même si les indices utilisés ne sontpas les nôtres. Elle ne lit pas le mot Eviansur l’étiquette mais elle utilise la forme dela bouteille, la couleur de l’étiquette, etc. Lefait d’interpréter des indices qui sont desindices de forme, de couleur, de localisationdans l’espace, c’est déjà mettre en jeu descompétences de lecture.

Un rappel sur ce que c’est qu’apprendre

On s’obstine à penser qu’apprendre ce seraitremplir des tiroirs vides ou combler desmanques. C’est là une représentation tout àfait fausse de l’apprentissage.

Apprendre, en réalité, c’est transformer ceque l’on sait. On n’apprend que sur dudonné, sur des acquis. Et l’on peut mesurerici l’erreur que la tradition nous fait com-mettre quand on passe son temps à repérerce que les enfants ou les adultes ne saventpas. Ce ne sont pas les difficultés qui comp-tent, ce sont les savoirs. Quand on veutobserver quelqu’un, c’est ce qu’il sait qu’ilfaut repérer, c’est-à-dire sa manière de fonc-tionner, sa manière de réagir : quelles sontses stratégies, quels sont ses moyens d’ac-tion, que remarque-t-il dans son environne-ment, quels sont les détails qui l’accro-chent, etc. ? C’est à partir de ces savoirs, cequ’on appelle les savoirs ‘déjà là’, qu’on vapouvoir travailler. Je veux dire que le forma-teur va mesurer la distance entre ce quel’apprenant sait et ce qu’il devrait savoir. Ilva mettre en place des situations qui vontaider l’apprenant à transformer de l’inté-rieur son savoir, à l’enrichir. Il est moinsquestion d’ajouter que de provoquer une

42 > Journal de l’alpha n°155

transformation des savoirs antérieurs. Etc’est pour cette raison qu’apprendre esttoujours douloureux : c’est difficile, et çafait mal. Pourquoi ? Parce que pour trans-former, il faut démolir. Et donc apprendre,c’est commencer par remettre en questionses croyances ou ses certitudes, et puis lestransformer dans une autre direction. Etc’est loin d’être facile.

Apprendre, c’est une réalité qui a trois dimensions

La première est la dimension affective. Lacondition n°1 pour qu’un apprentissagefonctionne bien, c’est de prendre en comp-te cette dimension. On ne peut apprendre,quel que soit l’âge, que si on se sent biendans ce qu’on est en train d’apprendre,c’est-à-dire si affectivement on s’y sent chezsoi, si l’environnement est lieu de sérénité,débarrassé de tout stress, menace, risque depunition.

La deuxième dimension, c’est la dimensioncognitive. Il faut que les enfants, les adultes

comprennent ce qu’ils font, pourquoi ils sontlà, qu’ils comprennent ce qu’ils sont en traind’apprendre. Et cela exige du temps.

La troisième dimension importante, c’est ladimension opératoire, c’est-à-dire que l’on nepeut apprendre que si l’on se sert de ce qu’onapprend. C’est pour cette raison qu’il estindispensable de pratiquer ce qu’on appelle lapédagogie du projet, c’est-à-dire de permettreaux enfants ou aux adultes de vivre en vraiegrandeur ce qu’ils sont en train d’apprendre,de se servir de ce qu’ils ont appris dans dessituations sociales telles qu’on les vit à l’exté-rieur de l’école, du lieu de formation.

Des confusions à lever

Tant dans le travail avec les adultes quedans celui avec les enfants, il y a souventune confusion monumentale entre ‘simple’et ‘facile’. Pour enseigner quelque chose àquelqu’un, il faut partir de ce qui lui est‘facile’ pour le conduire vers ce qui lui est‘difficile’. Aucune contestation possible :c’est évident. L’ennui est qu’on assimile

Complexe familier

aux enfantsCOMPARAISON

ANALYSE

Appropriation et construction de connaissances

DifficileFacile

ComplexeSimple

Découverte d’un complexe non familier

Construction du simple (éléments

et notions)

Docu

men

t E.

Cha

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Journal de l’alpha n°155 > 43

cette démarche du facile vers le difficile à ladémarche du simple vers le complexe, c’est-à-dire qu’on pose comme principe que cequi est facile doit être simple parce que cequi est difficile est forcément complexe.

Pourquoi fait-on cette confusion ? Parce quedans le langage courant, on a pris l’habitu-de d’utiliser simple et facile comme syno-nymes. En réalité, la différence est grande,à commencer par le fait que si le simple estbien une notion objective, ce n’est pas lecas du ‘facile’. Ce qui est facile pour l’un nel’est pas nécessairement pour l’autre !

En fait, le facile, c’est ce à quoi on est habi-tué. Ce ne peut donc être le simple carcelui-ci n’appartient pas à l’expérience. Lesimple est abstrait, il est le résultat d’uneanalyse. Quand vous mettez en place unapprentissage ou un réapprentissage, envous disant que vous allez partir des élé-ments simples, des lettres que l’on vaassembler pour former des sons…, vous par-tez de la chose la plus difficile au monde carles lettres n’appartiennent pas à la réalité.Ce qui est facile, c’est le complexe familieraux élèves, aux adultes qui sont en traind’apprendre. Le travail de l’enseignant ou duformateur va être de conduire les appre-nants de ce complexe qui leur est familiervers deux sortes de difficultés.

La première, c’est la construction du simple.Ce sont les élèves qui vont construire lesimple, ce n’est pas à l’enseignant de le leurdonner. Ce sont eux qui vont découvrir quele complexe qu’ils connaissent est constituéd’éléments simples que l’on peut repérer paranalyse. Apprendre, c’est analyser, c’est-à-dire partir du concret pour aller vers l’abs-trait. L’analyse est la première des deux opé-rations fondamentales de l’apprentissage.

L’autre difficulté vers laquelle on a à condui-re les élèves, c’est la découverte du com-plexe non familier. S’il est vrai qu’on doitpartir de ce que les élèves connaissent, il esttout aussi vrai que nous avons à les enrichirde ce qui ne leur est pas familier. Apprendre,c’est sortir de soi-même, c’est sortir de seshabitudes, c’est sortir de ses savoirs. Pouraccéder à ce complexe non familier, ladeuxième activité de l’apprentissage est lacomparaison. C’est elle qui va permettre auxélèves de découvrir que dans ce qu’ilsconnaissent et dans ce qu’ils connaissentmoins bien, il y a les mêmes élémentssimples, les mêmes lettres par exemple.

Apprendre, c’est analyser et comparer. Cesdeux activités sont absolument indisso-ciables. Je ne peux pas analyser si je necompare pas et je ne peux pas comparer sije n’analyse pas. Ce travail d’analyse et decomparaison va permettre ce qu’on appellel’appropriation et la construction desconnaissances : le complexe non familier vavenir enrichir le complexe familier. On esten face d’une spirale sans fin… Toute la vieon fonctionne comme cela et on s’enrichitde cette manière-là. C’est valable pour toutenseignement, pour toutes les disciplines.

Venons-en maintenant à la première ques-tion : qu’est-ce que lire, qu’est-ce qu’unelecture efficace et quelles compétencesfaut-il développer pour que nos appre-nants deviennent des lecteurs efficaces ?

Lire, c’est subversif

Commençons par bousculer un certainnombre d’idées reçues. Lire est un savoirsubversif dont on a toujours cherché à limi-ter la diffusion, car c’est un des savoirs lesplus libérateurs qui soient.

44 > Journal de l’alpha n°155

Dès l’instant où l’on met en place quelquechose qui va libérer les gens, c’est subversif.Et si c’est subversif, la société ne tient pas àce que cela se répande. Les preuves abon-dent. Toutes les religions du monde ontinterdit la lecture pendant très longtemps.Les esclaves étaient interdits de lecture, unesclave qui était pris à savoir lire était mis àmort et son maître qui lui avait appris la lec-ture, était mis à mort également. En France,il n’y a pas si longtemps, fin du 19ème siècle,le fait de savoir lire était considéré commeun motif de renvoi pour un domestique.Récemment, l’année où il y a eu les émeutesdu mouvement Chiapas, je me trouvais auMexique, en pleine campagne électorale pourles élections présidentielles. Le slogan duprincipal parti qui avait le pouvoir et souhai-tait le conserver était : “Vous avez vouluapprendre à lire aux indiens, eh bien, voilà cequi vous arrive”. Des indiens qui savent lire,quel danger ! S’ils deviennent capables devoir à quel point ils sont exploités et à quelpoint ils vivent dans un monde injuste…

Et même en France, voyez : dans une démocra-tie comme la nôtre, nul n’est censé ignorer laloi. Malheureusement, on voit mal comment onpourrait faire pour ne pas l’ignorer. La loi estintrouvable et quand par hasard on l’a trouvée,elle est inutilisable, incompréhensible. J’aicoutume de dire qu’un pays qui apprend à lirela loi uniquement à ceux qui vont en faire leurmétier n’est pas tout à fait une démocratiepuisque les citoyens de ce pays sont dépen-dants de ceux qui savent lire la loi.

Allons plus loin : on peut dire que noussommes manipulés dans la société qui est lanôtre par les lectures que nous ne faisonspas. Et beaucoup d’entre elles sont conçuespour cela !

Comment s’y prendre pour amener les adultes non lecteurs à la lecture ?

Avec précautions.

Il faut passer d’abord par la prise en comp-te de ce qu’ils aiment, de ce qu’ils connais-sent, de ce qu’ils font. Il faut apporter devrais objets à lire, des objets qu’ils connais-sent, qui font partie de leur environne-ment : le journal, le programme télé, desprospectus qui viennent des magasins duvoisinage, des affiches,... et voir ce qui lesintéresse. Il faut discuter avec eux. Cela nese fera pas aisément parce que des gens quiont été en échec ne vont pas parler tout desuite, et surtout, il faut savoir qu’ils vontcommencer par dire les choses qu’ils imagi-nent que vous attendez. C’est le gros problè-me des adultes en réapprentissage.

Un autre obstacle auquel on se heurte etdont il faut parler, est que beaucoupd’adultes qui viennent pour réapprendre oupour apprendre à lire, ont une représenta-tion de ce qu’est apprendre à lire : ils pen-sent qu’il faut commencer par apprendre leslettres. Si ce n’est pas ce que vous faites, ilsont l’impression que vous ne leur apprenezpas à lire.

Il faut donc absolument prendre du tempspour parler avec eux de cette représenta-tion. Dans notre métier, il faut savoir perdredu temps pour en gagner après. Mais jereconnais que ce n’est pas du tout facile etque ce n’est pas gagné d’avance. Jeconseille toujours de travailler plutôt avecdes groupes d’adultes qu’avec un adulteseul. On a plus de facilité, il y a deséchanges, des réactions différentes d’unadulte à l’autre..

Journal de l’alpha n°155 > 45

Qu’est-ce qu’une lecture efficace ?

Voici un texte.

preuve de savoir lire. Quelqu’un qui estcapable de lire à haute voix révèle des qua-lités phonatoires, d’articulation, etc. maisqui n’ont rien à voir avec ce qu’on appelle‘lire’. Lire, c’est comprendre. Apprendre àlire, c’est apprendre à comprendre. Lire, c’estmettre en relation ce qu’on voit, ce qu’onsait et ce qu’on cherche – si on cherchequelque chose, car on ne cherche pas tou-jours – mais c’est toujours ce qu’on voit etce qu’on sait.

Ca veut dire aussi qu’on ne sait jamais com-plètement lire. La seule chose qu’on peutdire c’est qu’on peut augmenter le pouvoirde lire, mais personne n’a vraiment le droitde dire : je sais lire. Preuve en est qu’il y ades textes auxquels on ne comprend rien.

L’idée qu’il y aurait un savoir lire antérieur àla lecture est une idée tout à fait fausse.C’est comme si l’on disait qu’il fautapprendre à faire les mouvements de la

Code Général des Impôts

Article 8: Sous réserve des dispositionsde l’article 6, les associés des sociétésen nom collectif et les commanditésdes sociétés en commandite simplesont, lorsque ces sociétés n’ont pasopté pour le régime fiscal des sociétésde capitaux, personnellement soumis àl’impôt sur le revenu pour la part debénéfices sociaux correspondant à leursdroits dans la société. En cas de démembrement de la proprié-té de tout ou partie des parts sociales,l’usufruitier est soumis à l’impôt sur lerevenu pour la quote-part correspondantaux droits dans les bénéfices que luiconfère sa qualité d’usufruitier. Le nu-propriétaire n’est pas soumis à l’impôtsur le revenu à raison du résultat impo-sé au nom de l’usufruitier.

Que constatons-nous ? D’abord, que noussommes tous très bien capables de lire cetexte à haute voix.

Ensuite, que nous sommes parfaitementincapables de l’utiliser pour résoudre unproblème personnel : savoir si je fais partiede ceux qui sont soumis à l’impôt. Je suisincapable de me situer dans cet univers,sauf si j’ai fait du droit, si j’ai appris à lirece genre d’écrit. Ceci veut dire deux choses.

Ca veut dire premièrement que lire et lire àhaute voix sont deux choses différentes : lalecture à haute voix n’a jamais été une

46 > Journal de l’alpha n°155

brasse avant d’aller dans l’eau. Or nager,c’est avoir résolu les problèmes d’équilibre,de propulsion et de respiration que pose lefait d’être dans l’eau. A partir du moment oùon définit la nage de cette manière, on nepeut plus apprendre les mouvements de labrasse hors de l’eau et on comprend trèsbien que ce qui compte en premier, c’estl’eau. Je vais apprendre à nager en commen-çant par apprendre à apprivoiser l’eau :mettre ma tête dans l’eau, découvrir com-ment respirer, etc. Tant qu’on n’a pas résolules problèmes d’eau, ce n’est pas la peined’apprendre les mouvements.

Avec la lecture, c’est pareil. Il faut lire pourapprendre à lire. Et, comme pour l’eau, ilfaut avoir de la lecture au-dessus de la tête,c’est-à-dire qu’il faut que les gens baignentdans l’écrit. Les gens qui veulent réap-prendre à lire, il faut commencer par lesplonger dans l’écrit. Complètement.

Voici des exemples où il y a dans chacunedes phrases deux ou trois fois le même grou-pe de lettres qui ne se prononcent pas de lamême manière :

L’as, c’est toi qui l’as.Ce village est à l’est du pays.Il convient ; ils convient.Retient ; patient ; balbutient.

Ces exemples montrent qu’on ne déchiffrepas pour comprendre mais que c’est lecontraire : il faut avoir compris pour pouvoirdéchiffrer. On ne peut pas prononcer tantqu’on n’a pas compris. C’est la compréhen-sion qui permet de choisir comment on vaprononcer. Quand on commence à enseignerd’abord la prononciation par l’assemblagedes lettres, on met les élèves dans la plusgrande difficulté. Un enfant qui rencontre lemot patient, ne peut déchiffrer ce mot s’il nele connaît pas déjà. Et il existe des milliersd’exemples de ce genre dans la langue fran-çaise. Il n’est donc pas question de placer ledéchiffrage avant la compréhension. C’est lacompréhension qui doit primer. Et le déchif-frage, plutôt la combinatoire, vient après.

Une autre réalité de la lecture

Si l’on observe ces deux phrases : Pierre litle livre et Pierre livre le lit, on remarquequ’elles contiennent exactement les mêmesmots mais qu’ils ne sont pas dans le mêmeordre. Dans le monde des objets, si on chan-ge l’ordre des objets, on ne change rien, onne change pas la nature des objets. Or dansl’écrit, quand les mots ne sont pas dans lemême ordre, ils n’ont pas le même sens. Ilsne racontent pas la même histoire et ilsn’ont pas la même nature grammaticale. Cequi veut dire au passage que la nature gram-maticale n’est pas une nature.

Journal de l’alpha n°155 > 47

Le fait d’identifier les mots ne m’apporte riensur ce que signifie le texte. Si je trouve lemot livre, cela ne me dit pas du tout qu’onparle de lecture, ce peut être une histoire delivraison, de pesée, ou de monnaie anglaise.Je ne peux savoir de quoi il s’agit que par lecontexte. Même la nature grammaticale desmots dépend du contexte. Les mots jouent lerôle de verbes ou de noms en fonction de leurenvironnement dans la phrase et la placequ’ils occupent dans cet environnement.

Voici un slogan que j’ai vu en France : Roulerélectrique. Electrique, qu’est-ce que c’est ?Eh bien électrique, ici, c’est un adverbe caril fonctionne comme un adverbe. Il seradans la même colonne de substitution quetrop, vite, proprement, etc. C’est en tra-vaillant sur l’axe des substitutions – encherchant par quelle substitution on peutremplacer le mot – que les apprenants vontdécouvrir à quelle catégorie il appartient.

La grammaire n’a jamais été un ensemble derègles à apprendre. La grammaire répond àla question : comment ça marche ? Etudierla grammaire d’une langue est une scienced’observation.

Et puis, il y a des dangers insoupçonnésdans la manière d’enseigner la lecture ou lagrammaire. Comme, par exemple, de dire auxélèves qu’il est normal que a se prononce[a] puisque c’est la lettre a. La lettre a, enfait, n’a jamais eu de prononciation. Leslettres ne sont que des petits dessins etchaque langue les utilise en les associantaux sons de l’oral, de manière complètementarbitraire. Les anglais, par exemple, ne seservent pas du même petit dessin pour leson [a]. Si je dis aux élèves que les lettresont une prononciation normale qui se trou-ve être celle du français, je pose en réalité,

sans le savoir et sans le vouloir, les bases dece qui ressemble fort à la xénophobie, à l’in-tolérance, à toutes ces horreurs qui remon-tent en ce moment à la surface et qui sonttellement inquiétantes. Pourquoi ? Parceque je présente notre fonctionnementcomme la norme, si bien que ceux qui fontautrement, je dois les considérer commenon normaux. C’est cela le racisme !

Quelles opérations mentalesfait-on quand on lit ?

Voici une photo.

Vous en comprenez d’emblée le messageparce que vous reconnaissez le contextesituationnel. Comme vous savez que dans lesstations-services, il y a souvent des servicescomme celui qui permet de dépoussiérer savoiture en louant un aspirateur, vous en avezdéduit que aspirateur 5 francs, c’est le prixdu droit de se servir de l’aspirateur pendant10 minutes et pas le prix de l’aspirateur.

Ceci montre que lire, c’est toujours raisonner,même pour les lectures les plus simples enapparence, les plus quotidiennes. On ne peutcomprendre qu’à partir d’un raisonnement.

Savoir lire, c’est ainsi savoir lire ce qui n’estpas écrit. Il n’y a donc pas de mécanisme delecture. Aucun mécanisme ne peut permettrede lire tout ce qu’on veut. Nombreux sontceux qui sont allés à l’école et qui ne saventpas lire parce qu’ils ont acquis un mécanis-me, c’est-à-dire un système qui fonctionnetout seul. Or, on s’aperçoit qu’en lecture,jamais on ne peut être sûr que tel groupe delettres correspond à telle prononciation. Direque p suivi de a correspond à ce qu’on entendà l’oral sous la forme [pa], cela n’a rien decertain : il faut être sûr qu’il n’y a pas un nderrière. Et même si l’on précise que p-a-ncorrespond à [pã], il faut s’assurer qu’il n’y apas, derrière le n, les lettres i-e-r.

Donc pour savoir si je dois dire [pa e](panier) ou si je dois dire [pãtε] (pantin),il faut que j’aie lu le mot en entier et que je l’aie compris. On peut faire lamême chose avec n’importe quelle autresyllabe : m-o. M-o cela fait [m ]… sauf s’ily a un i derrière, alors là cela fait [mwa],sauf s’il y a un n derrière le i, alors là celafait [mwε], et s’il y a un e derrière le n,cela fait [mwan]. Autrement dit, poursavoir quel sort je vais accorder à chacunedes lettres, je dois avoir identifié le moten entier, l’avoir compris. La compréhen-sion est toujours première.

Les conséquences de ceci pour l’orthographe

En français, l’orthographe transcrit non laprononciation mais le sens. Les lettres lesplus importantes sont celles qui ne se pro-noncent pas. Si je lis le mot poids, la lettreimportante, c’est le d parce que selon que led est là ou pas, je vais comprendre l’une oul’autre sorte de [pwa].

48 > Journal de l’alpha n°155

En outre, en français, contrairement à laplupart des langues, les informations lesplus importantes se trouvent en fin deséquence. Or, le mouvement spontané duregard consiste à interpréter le début desmots sans aller jusqu’au bout. Il est doncnécessaire d’apprendre à déplacer le regardvers la fin des séquences.

Syllabes et ordre des lettres

Autre remarque encore. Contrairement à cequi a été dit depuis toujours, le françaisn’est pas une langue syllabique. La syllabeécrite n’existe pas et la syllabe orale est arti-culatoire mais n’a pas de valeur linguistique.

Il s’ensuit qu’on a tout intérêt à supprimerl’étape syllabique : on y gagne en temps etsurtout en clarté pour les apprenants. Ceux-ci découvrent ainsi que les textes sont com-posés de phrases qui sont ponctuées par despoints et des majuscules, que les phrasessont composées de mots et que les motssont composés de lettres rassemblées dansun certain ordre. L’avantage de ne pas pas-ser par la syllabe, c’est qu’on regarde leslettres qui ne se prononcent pas. Qu’est-ceque vous faites de l’a-i-e-n-t du verbe dansla syllabe ? La syllabe est la même que cesoit je chantais ou ils chantaient. Si je tra-vaille sur la syllabe, je travaille sur ce qu’onentend et ce qu’on entend n’est pas ce quiest important. C’est ce qu’on voit qui estimportant.

Pour mettre en évidence l’importance del’ordre des lettres, on peut travailler sur desanagrammes, c’est-à-dire des mots quicontiennent les mêmes lettres mais dans unordre différent, et qui ont des significationsdifférentes. Un tout petit ne voit pas la dif-férence entre lion et loin. Pour lui, puisque

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~

c

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ce sont les mêmes lettres, ce sont lesmêmes mots. C’est vrai aussi pour des motsqui se ressemblent. Je vais vous raconterune anecdote qui a été vécue à l’écolematernelle. Lors d’une activité, on fait tra-vailler les enfants avec des sacs de farine.On demande aux enfants d’essayer de serappeler ce qu’il y avait dans ces sacs ; onretrouve des petites traces de farine, etc. Ondit aux enfants : “regardez, il y a des chosesécrites ; à votre avis, c’est quoi qui estécrit ?” Ils disent : “ça doit être écrit fari-ne”. “Oui, il y a sûrement écrit farine maisoù ?” Heureusement, il y avait un paquetqui n’avait qu’un seul mot. Alors il y a ungamin astucieux qui dit : “sur celui-là, il n’ya qu’un seul mot, ça doit sûrement être fari-ne”. La maîtresse écrit alors farine autableau, met les enfants en groupes et leurdonne comme consigne de souligner le motfarine là où il se trouve sur les paquets.

Qu’a-t-on constaté ensuite ? Que sur à peuprès tous les paquets, le mot francine a étéentouré. Devant un erreur de ce type, on nedit pas aux élèves qu’ils se trompent, on vachercher à leur proposer une situation qui valeur permettre de le découvrir eux-mêmes.La maîtresse écrit les deux mots farine etfrancine au tableau l’un en-dessous del’autre, exactement comme sur les paquets etdit aux enfants : “est-ce que c’est le mêmemot ?” “Oui, c’est le même mot”. “Regardezbien, comparez bien…” Un enfant se lève :“bien sûr que c’est pareil, ça commence pareilet ça finit pareil”. Persuadée que cela vaarranger les choses, la maîtresse donne uneconsigne complémentaire : “regardez bien lestrois premières lettres des deux mots”. Ungamin dit : “ben oui, regarde f-a-r, f-r-a, tuvois bien que c’est pareil”.

Que des gamins disent cela est parfaite-ment normal. Rien à voir avec la dyslexie.Pour eux, l’ordre des lettres n’a aucuneimportance.

D’autre part, aucun n’avait vu les autresdifférences : le c dans francine, absent defarine ou le fait que la lettre n apparaîtdeux fois dans francine et une seule foisdans farine.

On peut très bien rencontrer des adolescentsou des adultes qui en sont encore là, despersonnes qui ne voient pas les différences.

Le caractère orienté des signes de l’écrit

Autre exemple encore : les enfants ou lesadultes qui confondent les lettres comme bet d, p et q, n’ont en rien un problème delatéralisation. C’est une notion qui n’a pasété enseignée, qui n’a pas été installée dansleur tête.

Une des particularités des signes gra-phiques de la langue est qu’ils sont orien-tés. Or, dans le monde des objets qui estcelui des enfants ou des gens qui n’ontjamais été à l’école, l’orientation ne joueaucun rôle dans la nature des objets. Unetasse, c’est la même tasse, que l’anse soit àdroite ou à gauche.

Si cela n’a pas été enseigné très tôt, la plu-part des enfants qui vivent dans un milieu oùl’écrit est absent n’attacheront jamais à cesdifférences l’importance capitale qu’elles ont.

La notion de différences n’est pas du toutinnée. Et le fait de ne pas voir de diffé-rences, cela s’appelle l’amalgame qui est à labase du racisme. Un blanc dit toujours queles gens de couleur noire se ressemblent

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tous, les noirs disent, eux, que les blancs seressemblent tous. C’est seulement à partirdu moment où on commence à connaîtrequ’on s’aperçoit que les gens sont tous dif-férents, quelle que soit leur couleur de peau.

Apprendre, c’est en fait apprendre à voir lesdifférences, là où on n’en voyait pas aupara-vant. Dans n’importe quel domaine (le foot-ball, le ski…), si on ne voit pas les diffé-rences, on s’ennuie. Cela ne devient agréablequ’à partir du moment où on est capable deles voir. Quand on apprend à les repérer, çadevient passionnant et ça fait grandir.

La dimension culturelle

Ce qui me semble aussi très important, c’estde ne pas oublier la dimension culturelle,

c’est-à-dire ne pas avoir peur d’apporter auxapprenants des objets culturels de hautniveau : de la poésie, des chansons (quisont des textes poétiques), de la littératu-re,... mais aussi de la peinture, de la sculp-ture, etc. et de les aider à prendre conscien-ce, à réfléchir, à discuter. Ce qu’on appellela culture, c’est le fait de prendre ses dis-tances par rapport à ce qu’on regarde et d’yréfléchir, de l’analyser et de comparer à cequ’on sait ou à ce que d’autres savent.Même les messages les plus simples, lesécrits les plus simples, même ce que lesapprenants apportent et qui vous semble nepas avoir grande valeur, il faut le lire aveceux et en parler, non pas pour juger maispour leur faire prendre conscience que toutelecture est culturelle, toujours.

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Et puis, ne pas faire de hiérarchie entre lesécrits. Travailler sur la bande dessinée parexemple est un excellent moyen de donnerde bonnes habitudes de lecture. Souvent lesgens ont des difficultés avec l’écrit parcequ’ils ont une lecture linéaire. Or un lecteurefficace est quelqu’un qui ne commence pasen haut à gauche pour finir en bas à droite.La vraie lecture n’est pas linéaire. Elle estplutôt de type ‘spiralaire’. Quand on medonne un texte, avant de le lire, je commen-ce par l’explorer et je formule des hypo-thèses. Après, quand je m’aperçois que c’estintéressant, je le lis linéairement. Mais je nepeux lire linéairement que si j’ai d’abord for-mulé des hypothèses.

Il faut absolument acquérir cette attitude-là, pour être un lecteur efficace.

Une des raisons pour lesquelles les gens nelisent pas, c’est qu’ils ne formulent pasd’hypothèses. Or la lecture détaillée, c’estune vérification des hypothèses formulées àpartir de tout ce qu’on savait déjà avant delire le texte.

Les enfants n’ont pas cette culture pourformuler des hypothèses préalables. Poureux, ce n’est pas évident du tout de savoirque ce qui est écrit a été écrit par quel-

qu’un pour dire quelque chose à quelqu’und’autre. Emilia Ferreiro a, à ce propos, unejolie formule : “il y a des enfants quivoient des affiches pousser sur les murscomme les feuilles pousser sur les arbres etqui sont à des kilomètres de comprendre ladifférence de nature profonde entre lesfeuilles des arbres et les affiches sur lesmurs”. C’est cette différence – que lesgens qui n’ont jamais été à l’école neconnaissent pas non plus – qui doit êtredécouverte très tôt. L’objectif est qu’ilsdécouvrent que l’écrit est un langage,comme l’oral, mais un langage différentde l’oral. Et que si c’est un langage, il per-met la communication entre celui qui aécrit et celui qui lit. C’est en lisant dansde vrais textes qui sont des objetssociaux, des situations vraies de commu-nication, qu’on apprend à lire.

Propos retranscrits par Sylvie-Anne GOFFINET

1. Eveline Charmeux est professeur honoraire à l’IUFM(Institut universitaire de formation des maîtres) àToulouse, enseignante-chercheuse en pédagogie à l’INRP(Institut national de recherche pédagogique) à Paris.

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La lecture, c’est comme le vélo… cela ne s’oublie pas

Lors de la conférence de presse tenue à l’occasion de la Journée interna-tionale de l’alphabétisation, le 8 septembre 2006, Madame la ministreArena a repris la comparaison entre la lecture et le vélo et affirmé que“la lecture ce n’est pas comme le vélo, cela s’oublie”.

Imaginez-vous ne pas lire pendant 10 ans,aurez-vous oublié ? Vous lirez peut êtremoins vite, vous aurez mal aux yeux, mal aucrâne, mais vous lirez.

D’ailleurs, pouvez-vous vous imaginer nelisant plus rien ? Même enfermé, sans rien àlire, sans rien pour écrire, vous pourrez tou-jours sous-titrer vos images mentales ou vousréciter des textes et vous les lire dans la tête.

Et même si vous ne le faites pas, vous aurezsans nul doute à vous réentraîner à lire, lesdébuts seront sans doute difficile, mais vousn’aurez pas à réapprendre à lire.

Il n’y a pas d’analphabétisme de retour, il n’ya que des personnes qui n’ont pas appris àlire à l’école.

Qui en sont sorties, sans doute avec desbribes, mais sans un savoir lire réellementconstruit, sans un savoir lire qui permet detoujours pouvoir lire et de toujours pour-suivre le développement de ses compé-tences de lecteur.

Cette notion d’analphabétisme de retour,sert à dédouaner l’école de sa responsabili-té en la matière et à la rejeter sur l’individuqui ne lirait plus.

Tiens, on pourrait donc être amené à ne plusrien lire dans notre société ?

A certains moments de votre vie, vousn’avez peut-être ‘plus lu’. Sans doute : nilivres, ni journaux, ni magazines,… maisn’avez-vous vraiment rien lu ?

Affirmer que l’on oublie parce qu’on ne litplus, c’est aussi affirmer que pour certains,au sortir de douze années de scolarité,l’écrit n’a pas de sens, pas de signification,ne fait pas partie de l’environnement, n’estpas fonctionnel dans ses rapports à l’autre.

C’est reconnaître la marginalité et l’exclu-sion, la responsabilité d’une société danslaquelle certains vivent sans ouverturevers un ailleurs possible et dès lors sansbesoin de lire.

Et s’il n’y a pas d’analphabétisme de retour,il y a bien – dans un contexte où le groupeminoritaire, exclu, ghettoïsé, ne peut seprojeter dans la construction d’un avenircommun – “un analphabétisme de résistanceet un analphabétisme d’oppression, réac-tions d’un groupe minoritaire face à l’offensi-ve linguistique et culturelle – parfois l’agres-sion – du groupe dominant”1.

Catherine STERQ1. Serge WAGNER, Pierre GRENIER, Analphabétisme deminorité et alphabétisation d’affirmation nationale àpropos de l’Ontario français. Synthèse théorique et histo-rique, Ministère de l’Education, Toronto, 1991, pp. 45-46.

La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

En France, mais aussi en Belgique, les mouvements pédagogiquespublient leurs positions dans leurs revues et y présentent les méthodes etpratiques qu’elles défendent. La décision du ministre français del’Education fut pour eux une nouvelle occasion de participer au débat etde réaffirmer clairement les enjeux fondamentaux de l’accès pour tous aumonde de l’écrit : enjeu pédagogique, enjeu social et enjeu politique.

Nous avons sélectionné, pour la France, lesdossiers des Actes de lecture de l’AFL(Association française pour la Lecture), desCahiers pédagogiques du CRAP (Cercle deRecherche et d’Action pédagogiques), duNouvel éducateur de l’ICEM (Institut coopéra-tif de l’Ecole moderne - Pédagogie Freinet),de Dialogue du GFEN (Groupe françaisd’Education nouvelle) et, pour la Belgique,de Caractères de l’ABLF (Association belgepour la Lecture - Section francophone).

En France

La revue de l’AFL : Les Actes de lecture

Lecture [dossier], n°94, juin 2006, pp. 27-66

Dans ce dossier, l’AFL publie cinq textes quisont, soit des réactions à la décision offi-cielle du ministre de l’Education, soit desprécisions sur ce que l’AFL entend parapproche idéovisuelle et apprentissage del’écrit. La réédition d’un article de Jose Luis

Lopez Rubio sur l’enseignement de la lectu-re en Espagne fait office de réponse auministre...

A lire dans ce numéro des Actes de lecture :

BERCHADSKY Jacques, Est-ce bien sérieux ?

Ce texte apporte la confirmation que lalecture comme le travail social sont desquestions éminemment politiques.L’auteur y développe les paradoxes desméthodes et leur incapacité à éclairer par

La lecture? Parlons-en!D O S S I E R

Lecture en débat et enjeux des différentes méthodes d’apprentissageLe point de vue des associations militantes développé dans leurs revues

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elle-mêmes le débat qu’elles engagent,s’arrête sur la profonde crise que traversele système scolaire comme la société dansson ensemble pour tenter d’éclaircir lesproblèmes de l’apprentissage de la lectu-re dans et hors de l’école.

BAJARD Elie, Vous avez dit devinette ?

Le terme ‘devinette’ est utilisé ici en réfé-rence à la circulaire du ministre Gilles deRobien qui accuse les méthodes globalesde conduire l’enfant à deviner et donc à nepas lire à proprement parler. Pour lui, l’ap-prentissage de la lecture doit passer par ledécodage et l’identification des mots qui“n’a rien à voir avec une devinette”. ElieBajard démontre, dans son article, que la‘devinette’ n’est pas le fait que l’on croit…

MONDEME Gilles, Ne pas se tromper d’ennemis

L’auteur resitue le débat sur la lecturecomme suit : “Faut-il se satisfaire d’unealphabétisation pour les enfants desclasses dominées qui arriveront à sedébrouiller avec un peu d’écrit dans unusage très pragmatique ou tout faire pourqu’ils puissent accéder à l’écrit (lecturisa-tion) comme un outil de pensée permet-tant de comprendre le monde ?”Il rappelle que les véritables enjeux nesont pas les querelles de méthodes entrechercheurs mais bien la résistance à uneattaque idéologique contre l’école dontles discours ministériels se font lesporte-parole.

FRACKOWIAK Pierre, La planète des alphas, piège à bêtas ?

L’auteur dénonce l’opération purementcommerciale et l’escroquerie intellectuel-le... auxquelles France 2 s’est prêtée pour

défendre le retour aux ‘bonnes vieillesméthodes’. Face à cette prise de position,il rappelle que “le retour au b-a ba à l’éco-le figure au programme du Front national”.

FOUCAMBERT Jean, Même quand il peut se dire, l’écrit est une langue qui ne se parle pas

Suite à l’offensive du ministre del’Education contre la méthode globale etpour le retour à une méthode syllabique,Jean Foucambert tente de dégagerquelques caractéristiques de l’événement.Il analyse le contexte politique de ladécision ministérielle, les conditions quiont permis le retour à la méthode sylla-bique pour démonter ce qui n’est pour luiqu’un postulat devenu dogme : ‘l’écrit estd’abord un système de notation de l’oral’.Il s’interroge ensuite sur l’apport à lapédagogie de disciplines qui lui sontextérieures, met en évidence la faiblessede la plupart des recherches pédago-giques pour, in fine, s’étonner de ce queles résultats de l’étude menée par l’AFL àl’INRP concernant l’enseignement duprincipe alphabétique comme base del’apprentissage de la lecture1 ne soientjamais cités par la communauté universi-taire et que les résultats en soient déna-turés, voire tronqués.

La revue du CRAP : Les Cahiers pédagogiques

La lecture en questions [dossier complé-mentaire], n°442, avril 2006, pp. 50-60

Imaginé bien avant que le ministre n’enfasse une question d’actualité sensible, cedossier complémentaire des Cahiers pédago-giques s’arrête sur la question de la lecturepour contribuer à la réflexion de tous, loind’un esprit polémique mais sans chercher ànier les oppositions.

Nous attirons votre attention sur les articlessuivants :

BENTOLILA Alain, Apprendre à lire et apprendre à enseignerla lecture : une démarche intégrale

Réflexion sur l’apprentissage de la lectu-re : Alain Bentolila fait le point sur laguerre des méthodes et développe sespropositions pour la ‘méthode intégrale’.

GOIGOUX Roland, ErratumL’auteur tente ici de rectifier quelques-unes des idées reçues véhiculées sur lesméthodes d’enseignement de la lecture. Ilanalyse sept erreurs bien répandues ausujet de la lecture... et répond par lamême occasion au ministre.

ASTOLFI Jean-Pierre, La menace fantôme

L’épisode ministériel de janvier 2006 surla méthode globale de lecture est le der-nier avatar d’une guerre qui resurgit pério-diquement comme une pulsion irrépres-sible et dont il convient de rechercher lasignification sociale. L’auteur intervientsur les idées fausses en pédagogie et leurétonnante persistance.

BESNAINOU Alex, Avec des non-lecteurs en Segpa

Comment prendre en charge les non-lecteurs en Segpa (Section d’enseigne-ment général et professionnel adapté) ?Comment réussir après des annéesd’échec ? En retrouvant, par des projets etpar l’action de toute une équipe, le senset le besoin de la lecture chez des enfantsnon-lecteurs pour qui, bien au-delà desquestions de méthodes, l’apprentissage dela lecture est noué à l’image de soi.

Apprendre à lire, quoi de neuf ? [dossier], n°422, mars 2004, pp. 10-59

L’échec en lecture ne recule pas malgré beau-coup de recherches et de pratiques inno-vantes, beaucoup de décisions officielles. La qualité du débat dans le grand public ne

progresse pas non plus : c’est la faute auxparents, aux milieux sociaux, aux enseignants,à la méthode globale... Ce dossier montre lacomplexité de la question : apprendre à liremet en jeu des composantes diverses et liées(culturelles, linguistiques, stratégiques, affec-tives, etc.). On y trouvera de nombreuses pro-positions pratiques qui montrent bien que l’onapprend à lire en lisant et aussi en débattant,écrivant, agissant, et qu’on le fait parce quedes adultes divers vous y aident, vous lisentdes livres, vous en font lire, organisent vosapprentissages, rendent plus clair ce que vousfaites en lisant. Ce dossier suscite aussi ledébat : évaluer pour quoi faire ?, faut-il par-ler de ‘prévention de l’illettrisme’ ?, quelsrisques y a-t-il à médicaliser les difficultésd’apprentissage ?

Dans ce dossier, nous attirons votre atten-tion sur les articles suivants :

BONIFACE Claire, Prévention de l’illettrisme : un site ministériel, pourquoi, pour qui ?

Pour une fois, l’Education nationale sortde son quant-à-soi : www.bienlire.educa-tion.fr s’adresse aux enseignants et à leursformateurs, mais aussi à tous les parte-naires du combat difficile de l’accès àl’écrit pour tous : les animateurs, lesbibliothécaires, les élus, voire les parents.

GOMBERT Jean-Emile, La place des apprentissages implicites

Les recherches récentes nous apprennentque le traitement des analogies entre motsjoue un rôle en début d’apprentissage.L’auteur tire la conclusion de la nécessitéd’une part d’enseigner, pour que l’élève éla-bore les connaissances conscientes néces-saires à l’application volontaire de procé-dures et stratégies de lecture, et d’autre part

d’assurer les conditions et l’envie de la fré-quente manipulation de l’écrit en lecture eten écriture, pour que les apprentissagespuissent installer des automatismes. Sansenseignement, l’élève restera non-lecteur ;sans pratique, il n’installera pas les automa-tismes et demeurera un décrypteur de l’écrit,au pire il oubliera les procédures apprises etrejoindra la population des illettrés.

La revue de l’ICEM : Le nouvel éducateur

Et pourtant ils lisent ! [dossier], n°178-179, avril-mai 2006, pp. 3-68

Ce numéro spécial fait écho à la circulairedu ministre Gilles de Robien et réaffirme parlà-même l’engagement de l’ICEM pour unepédagogie émancipatrice.

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Il fait le point sur les différentes méthodesde lecture (syllabique, globale, mixtes,naturelle) et sur les enjeux politiques etidéologiques dont elles sont l’emblème.Différents acteurs pédagogiques, militantdans des mouvements éducatifs pour unemême pédagogie émancipatrice (AFL,GFEN), livrent leurs points de vue.

Dans ce numéro du Nouvel éducateur, nousavons lu pour vous :

FREINET Célestin, Pour une méthode naturelle de lecture-écriture

Pour nous remettre en mémoire la pédago-gie de la lecture préconisée par CélestinFreinet : divers extraits de ses Oeuvrespédagogiques (tome 2), éditions du Seuil,1994.

CHABRUN Catherine, FOURNIER Jean-Yves, De la syllabique… à la syllabique

Cet article nous livre un regard sur l’his-toire des méthodes de lecture en France :syllabique, globale, méthodes mixtes,méthode naturelle de Freinet.

HANNEBIQUE Sylvain, LE MENAHEZE François, THOREL Marcel, THOREL Danielle, Redéfinissons méthode naturelle ettâtonnement expérimental

Apprendre à lire s’inscrit dans la com-plexité, contrairement à ce que préconisele ministre de l’Education nationale enimposant la méthode syllabique. L’articlerappelle les axes principaux de la pédago-gie Freinet en ce qui concerne la métho-de naturelle de lecture et le tâtonnementexpérimental.

DE KEYZER Danielle, La méthode naturelle avec des adultes non lecteurs

Après 25 ans de travail en MNLE dans lesclasses de CP ou de CE1, Danielle DeKeyzer s’est engagée dans la lutte contrel’illettrisme. Pour elle, la philosophie dela Pédagogie Freinet lui semble s’imposer,mais elle doit l’expérimenter, ce qu’ellefait depuis 14 ans un peu partout enFrance et en Belgique. Elle nous livre iciun résumé de sa pratique avec un publicadulte analphabète.

OUZOULIAS André, Les six simplifications des tenants de la ‘méthode syllabique pure’

André Ouzoulias est l’un des initiateurs del’appel Sauvons la lecture2. Il rappelle ici lacomplexité de l’apprentissage de la lecture.“La crise de l’école ne saurait se résoudre enforce par la méthode syllabique”.

GOIGOUX Roland, Les méthodes intégratives : une alternative à la syllabique

Le 2 septembre 2005, Roland Goigoux,avec l’article La guerre des méthodes estfinie paru dans la rubrique Rebonds duquotidien Libération, expliquait que lesméthodes globale, syllabique et mixtesn’étaient pour ainsi dire plus pratiquées.Il proposait de qualifier les méthodes uti-lisées d’intégratives. Le texte présenté iciest issu de cet article.

BERNARDIN Jacques, Lecture : le discours de la méthode...

“Persévérer dans cette méthode alors qu’onen connaît la nocivité est criminel, c’est undanger pour les enfants.” “Il faut revenir àla syllabique.” Jacques Bernardindémontre ici que ce discours est plus ducôté de l’anathème injonctif que duconseil avisé, scientifiquement étayé.

FOUCAMBERT Jean, Vive la complexité !

Sous le couvert d’égalité pour tous, leretour à la syllabique renforce une écoleélitiste qui alphabétisera peut-être tousles jeunes mais en laissera une grandepartie sur le bord de la route. Pour JeanFoucambert, réduire la lecture au déchif-frage préconisé par le ministre del’Education nationale est une attaquecontre la démocratisation des outils deformation intellectuelle.

FOURNIER Jean-Yves, B-A BA, le retour... une explication psychologique

Devant cette offensive des tenants de laméthode syllabique qui rencontre auprèsdu public un écho très favorable, Jean-Yves Fournier analyse ici la question quel’on pourrait se poser : pourquoi tant degens, tant de parents notamment, et...quelques enseignants sont-ils tellementattachés à la méthode en question ?Comme une véritable nostalgie...

MULAT Michel, Lecture est plurielComment peut-on parler de méthode delecture alors que ‘la lecture’ n’existe pas.Pour Michel Mulat, l’étude de la lecturedevrait être plus que tout autre réelle-ment pluridisciplinaire.

La méthode naturelle de lecture-écriture dans la lutte contre l’illettrisme [dossier], n°91, septembre 1997, pp. 11-21

A lire les articles de :

DE KEYZER Danielle, La Méthode naturelle de lecture-écrituredans la lutte contre l’illettrisme

Dans le cadre du chantier Outils d’appren-tissage de l’ICEM, un module de travail aréalisé des outils de lecture pour adoles-cents en difficulté et adultes en situationd’illettrisme. Ce module s’est constituéautour de Danielle De Keyzer et les outilssont présentés dans l’article suivant.

DE KEYZER Danielle, Outils, mode d’emploi : les fichiers LIRE,in Le nouvel éducateur, n°92, octobre 1997, pp. 17-24

L’objectif est de favoriser l’individualisa-tion des apprentissages tout en favori-

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sant la gestion du groupe d’apprenantspar le formateur. Il s’agit de mettre l’ap-prenant en position de véritable lecture :chercher un sens à ce qui est écrit. Etpour cela, développer des démarchesd’observation, de mémorisation, de com-paraison, de déduction.

VALIN Anne, La maîtrise remarquable de l’écrit comme condition d’accès à la citoyenneté

Survivre dans notre société sans l’écritest sans doute possible, mais peut-onalors exister socialement, et de manièrecitoyenne ?

La revue du GFEN : Dialogue

La lecture dans tous les sens [suite d’articles], n°115-116, février 2005, 92 p.

Un numéro complet qui rassemble desarticles dont l’objectif est de fournir unéclairage sur la conception de la lecture duGFEN et de livrer des témoignages de pra-tiques visant l’entrée de tous les enfantsdans la culture écrite.

En Belgique

La revue de l’ABLF : Caractères

Actes du Colloque de Namur I, IIet III [suite d’articles], n°21, n°22 et n°23, mars, juin et septembre 2006, 48 p., 40 p. et 48 p.

Les 3 et 4 novembre 2005, l’ABLF organisaitun colloque ayant pour thème : apprendreensemble à (mieux) lire et écrire. Comme letitre l’indique, les interventions se réfé-raient à la conception socioconstructivistede l’apprentissage : “ce n’est pas parce quela lecture et l’écriture apparaissent le plussouvent comme des expériences solitairesqu’il faut croire que l’on s’apprend tout seulà lire et à écrire ; c’est au sein d’interactionsavec leurs pairs et des lecteurs-scripteursexpérimentés que les apprenants élaborent etdéveloppent leurs compétences en littératie”.

Le n°21 reprend les communications consa-crées à l’entrée dans l’écrit. Les intervenantsmontrent toutes les facettes de l’accès àl’écrit qui sont tellement plus riches et pluscomplexes que l’apprentissage du code. Ainsi

les aspects relationnels prennent une placeimportante dans l’apprentissage : il s’agitnotamment de mettre en place des pratiquespédagogiques basées sur les échanges entrel’adulte qui sait lire/écrire et l’enfant quiapprend à lire/à écrire. Ces activités lui per-mettent d’entrer dans la culture écrite sousune forme relationnelle avant qu’il ait acquissuffisamment d’autonomie pour se débrouillerseul avec l’écrit. Les propos des intervenantssont étayés par différentes recherches.

Le n°22 est, quant à lui, consacré à l’ap-prentissage continué de la lecture à l’écoleprimaire. Les interventions sont centrées surdes objectifs et dispositifs complémentaires.Il y a d’une part l’objectif de faire acquériraux enfants une fluidité de lecture suffisan-te afin que l’appréhension des signes gra-phiques ne constitue pas un obstacle à lacompréhension. Nous retrouvons d’autre partl’intérêt de mettre en place des dispositifspédagogiques coopératifs. Et enfin, sontdéveloppés la nécessité de construire desoutils permettant aux enfants d’interpréterles textes ainsi que l’impératif d’apprendreaux enfants à maîtriser ces outils.

Le n°23 porte sur l’écriture au primaire.

L’ABLF prévoit encore deux autres numéros deCaractères pour la suite de la publication desActes du Colloque : dans le n°25, paraîtranotamment un article de Véronique LECLERCQintitulé Les interventions socioculturelles enformation d’adultes : une voie prometteusepour une meilleure maîtrise de l’écrit ?

Questions de méthodes. Eloge d’un éclectisme réfléchi [suited’articles], n°18, mars 2005, 52 p.

Ce numéro très riche et passionnant rassembledivers articles qui contrecarrent la croyance

qu’il existe quelque chose comme une ‘bonneméthode’ d’apprentissage de la lecture. Desétudes réalisées par des chercheurs sur les dif-férentes méthodes de lecture (cf. Bond etDykstra, 1967/1997) ont montré qu’il y avaitdans les résultats comparés autant de diffé-rences entre les enseignants qui pratiquent la‘même méthode’ qu’entre les enseignants quipratiquent des méthodes différentes... C’estpourquoi les chercheurs ont renoncé auxétudes comparatives sur les méthodes pours’intéresser plutôt à des recherches sur les pra-tiques des enseignants, de manière à identifiercelles qui sont les plus efficaces.

De ces recherches s’est dégagé un faisceaude pratiques qui favorisent la réussite desélèves dans leur apprentissage de la lecturedont la liste établie par Gambrell et al.(1999) nous est proposée ici en 10 points.

Les articles qui suivent viennent illustrer lepropos suivant : “les enseignants ne peuventcertainement plus se satisfaire ni d’une seule‘méthode traditionnelle’, qu’elle soit synthé-tique ou analytique, ni de simples manuels.L’apprentissage du lire-écrire doit désormaisse placer sous le signe de la complexité, del’éclectisme réfléchi, de l’intégration de pra-tiques diversifiées”.3

DUFFY Gerald, HOFFMAN James, TERWAGNE Serge, A la poursuite d’une illusion : la recherche chimériqued’une méthode idéale

Cet article comporte une analyse appro-fondie, illustrée d’exemples précis, desdangers encourus lorsqu’on se met à légi-férer sur les méthodes et manuels ‘label-lisables’. “Les enseignants efficaces sontdes éclectiques réfléchis, qui modifient lesprogrammes afin de rencontrer les besoinsdes élèves.”

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LAFONTAINE Annette, NYSSEN Marie-Claire,Comment les enseignants de premièreannée primaire abordent-ils l’apprentissa-ge de la lecture ? Premiers résultats d’uneenquête menée en Communauté française

Les auteurs de cette étude se sont donnépour objectif de décrire les pratiques enmatière d’apprentissage de la lecture audébut de l’enseignement primaire enCommunauté française. L’enquête apportedes informations précieuses sur lesméthodes d’apprentissage utilisées par lesenseignants de 1ère primaire et apporte unéclairage objectif quant au débat sur lechoix des méthodes d’apprentissage de lalecture (code/sens). Les premièresconclusions révèlent que les enseignantssemblent faire preuve d’un certain éclec-tisme tant dans les méthodes, les activi-tés mises en place que dans le matérieldidactique qu’ils utilisent.L’examen des données recueillies amèneles auteurs à proposer des pistes deréflexion et/ou d’action dont nous suggé-rons vivement la lecture à ceux qui sou-haitent nourrir leur réflexion et se ques-tionnent sur leurs pratiques.

PASA Laurence, RAGANO Serge, L’entrée dans la culture écrite. Apports de la recherche-action

Cet article présente la démarche ECLEC(ECriture LECture), une recherche-actioninitiée en 1998 à la demande d’un inspec-teur de l’Education nationale en France,sur l’entrée dans le langage écrit que leschercheurs rattachent au courant pédago-gique et didactique du ‘langage entier’4

et où le recours aux correspondanceslettres-sons se fait de manière progressi-ve. Les résultats présentés sur base d’uneévaluation externe, montrent clairement

que l’approche a “un effet positif pour lesélèves scolarisés dans ce contexte et plusparticulièrement sur les élèves de ZEP”.

TERWAGNE Serge, Abécédaires : le retour ?

Cet article critique s’intéresse au phéno-mène de La Planète des Alphas, un maté-riel pédagogique qui se veut l’antithèsemême de la complexité. C’est à ce titre eneffet, qu’il recueille un certain succès, carà l’analyse, on voit qu’on a surtout affaireà un bon vieil abécédaire du 19ème siècle,remis au goût du jour, façon science-fiction et conscience phonémique.

Recension réalisée par France FONTAINECentre de documentation

Collectif Alpha

1. Pour le compte-rendu de cette recherche, voir : CHENOUF Yvanne, FOUCAMBERT Jean, Principe alpha-bétique et lecture, in Les actes de lecture, n°86, juin2004, pp.20-34. Cet article est téléchargeable sur lesite de l’AFL à la page http://www.lecture.org/produc-tions/revue/AL/AL86/page20.PDF.

2. Pétition initiée par plusieurs personnalités et publiéedans le Monde du 11 janvier 2006 pour réagir à la déci-sion du ministre d’interdire la méthode globale et d’im-poser la méthode syllabique.

3. Serge TERWAGNE dans l’édito de ce numéro deCaractères.

4. La démarche didactique proposée avec ECLEC visel'entrée dans la culture écrite en définissant l'apprentis-sage de la lecture-écriture comme une pratique socialeoù la langue est présente d'emblée dans toute sa com-plexité (langage entier).

Les revues présentées peuvent être consultées au Centre de documentation

Rue de Rome 12 - 1060 Bruxelles Tél : 02 533 09 25

Courriel : [email protected] en ligne :

www.centredoc-alpha.be

A la suite de Paulo Freire : portrait d’une alphabétiseusebrésilienne

Entrée en contact avec le Centre cultureld’Evere qui organise des cours de françaislangue étrangère et des cours d’alphabétisa-tion, Francine D’Hulst a photographié desfemmes ayant accepté de la rencontrer dansleur espace de vie privé.

A partir de leur portrait photographique, leurparole a émergé pour raconter leur vie, leurpays, leur condition de femme,… Francine lesa enregistrées et a retranscrit ces entretiens.Portraits et textes ont été exposés au Centreculturel d’Evere en mars et juin derniers.

Parmi les femmes rencontrées, Julia a parléde son travail d’alphabétisation au Brésildans la ligne pédagogique de Paulo Freire.

“Je suis Brésilienne.

Je suis arrivée à Bruxelles le 10 août 2004.

Je viens d’une famille très pauvre. Mon pèreétait menuisier, ma mère femme au foyer.Nous habitions les quartiers très populaires.A cause de cela, j’ai commencé à participerà des mouvements de jeunesse, à des asso-ciations dans le quartier. A partir de 1964,nous avons eu beaucoup de mouvementsdans le pays contre la dictature, pour laliberté et la démocratie.

J’ai une longue formation et expériencepédagogiques. J’ai d’abord fait une annéede stage comme institutrice dans l’école pri-maire où j’avais été moi-même élève. A 17ans, j’avais déjà mon premier groupe d’al-phabétisation de jeunes et d’adultes de 14 à65 ans en cours du soir. C’était dans le quar-tier très pauvre de Victoria, là où je suisnée, un petit Etat près de Rio.

A 18 ans, j’ai fait une licence en pédagogieà l’université pour former et superviser lesprofesseurs. Pendant la dictature, les super-viseurs faisaient le contrôle répressif. Nousavons voulu changer le rôle de superviseurpour contribuer à l’organisation du travailavec le professeur.

En 1987, je suis allée vivre à Porto Alegre etj’ai fait une maîtrise en éducation.

Parler de la pédagogie de Paulo Freire m’aapporté beaucoup dans ma pratique d’ensei-gnante. A l’université, ses livres ne faisaientpas partie de la bibliographie des cours depédagogie. Alors nous l’avons étudié de

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VIE DU RÉSEAU

Julia

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façon marginale car nous étions militants.Les généraux, les militaires l’interdisaientcar il était très important pour le travaild’éducation populaire, pour contribuer àl’organisation du peuple pour changer leschoses dans le pays.

Paulo Freire a travaillé avec des paysans desrégions très pauvres du Brésil. A la fin desannées 50, il commence à développer saméthode d’alphabétisation des personnesadultes à partir des mots de leur situationde vie. Par exemple des mots que les gensutilisent pour parler de leur métier. Enmême temps, il faisait un travail deconscientisation, de réflexion avec les genssur leur réalité de vie. Cela les amenait àchercher des alternatives pour améliorer

leur existence. On ne peut pas rester dansdes situations d’exploitation, il faut changerle monde. Il faut non seulement dénoncerles choses, mais surtout annoncer le chan-gement. Pour lui, l’éducation n’est jamaisneutre. C’est un acte politique pour changerle monde et non le conserver. Il proposaitune éducation transformatrice.

J’ai appris des choses théoriques mais aussitrès pratiques car nous avons essayé d’alpha-bétiser à partir des connaissances de PauloFreire. Durant deux ans, les professeurs et lesapprenants ont lutté avec les moyens et lesconnaissances que permet l’école pour pou-voir garder leur lieu d’enseignement, que lamunicipalité n’avait pas tout à fait payé etque l’héritier voulait récupérer.

Démarche photographique : le portrait intérieur

Je cherche à privilégier la rencontre lors de l’acte photographique et notamment par la posequi se fait lorsqu’il y a, entre l’autre et moi, une relation de sympathie, d’ouverture réci-proque. Je pourrais dire qu’à ce moment-là, nous travaillons ensemble au portrait. A la foisle portrait de quelqu’un et aussi le portrait de notre rencontre.

Pour que cette rencontre ait lieu, je pense que la personne doit se sentir à l’aise dans sonmilieu. C’est pourquoi, souvent, je cherche à rencontrer les gens dans leur intérieur. Et pourmoi, c’est à chaque fois une découverte de l’espace, des objets qui entourent la personne etqui me racontent son histoire personnelle, sa vie intérieure.

Durant la pose (qui est un instant d’arrêt de la vie quotidienne), la personne prend conscien-ce d’elle-même ainsi que de l’acte photographique.

Mon approche tend à montrer l’unique (chacun a son histoire personnelle), le singulier (inté-rieur à chaque fois différent même s’il s’agit d’un même milieu social) et, en même temps,le semblable pour tous : la conscience de soi par rapport à la fugacité de la vie, par rapportà la photographie qui intensifie le présent (qui n’est déjà plus) et rendra durable cet instant.

F. D’H.

RÉSEAU

D’abord on a demandé aux apprenants pour-quoi c’était important de rester dans un lieupour pouvoir continuer à étudier et pour-quoi c’était important d’apprendre à lire, àécrire et à calculer. Quelles étaient leurshistoires d’alphabétisation.

Nous avons travaillé les connaissances sco-laires pour qu’elles deviennent un outil actifpour le changement de la réalité. Chaqueprofesseur dans sa discipline particulière atravaillé la même problématique. Parexemple, le prof de maths a demandé aux

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Budgets participatifs

En 1989, le Parti du Travail brésilien remportait les élections à la mairie de PortoAlegre. Pendant 15 ans, de 1989 à 2004, les citoyens, les élus et les fonctionnaires dePorto Alegre ont tenté de mettre en place un système de prise de décision ouvert, par-ticipatif qui révolutionna la manière de gérer la cité en associant directement les habi-tants à certaines décisions municipales via des forums de ‘budgets participatifs’.

Les citoyens étaient invités à discuter du budget communal. A titre individuel ou enassociation, ils étaient appelés à identifier les principaux problèmes qu’ils rencon-traient dans leur district, à établir la hiérarchie des urgences, à formuler des proposi-tions et à examiner leur compatibilité avec les ressources disponibles de la Ville.

Les participants aux forums votaient sur toutes les propositions formulées. Pourchaque domaine de la vie communale, ils étaient appelés à retenir trois projets quileur paraissaient prioritaires. Les projets étaient alors classés par rapport au nombrede votes obtenus et soumis à la discussion du Conseil municipal.

L’ancrage populaire du budget participatif donnait aux citoyens la possibilité d’avoirune influence sur le gouvernement, ce qui constituait une véritable innovation dansla pratique démocratique.

En 2004, le Parti du Travail n’a pas obtenu la majorité absolue aux élections et la droi-te a formé une coalition hétéroclite pour prendre le pouvoir. Rebaptisé ‘gouvernancelocale solidaire’, le projet participatif du nouveau gouvernement a vidé l’ancien de sasubstance. Les organisations populaires qui étaient au centre du processus sont deve-nues des acteurs parmi d’autres (aux côtés des entreprises privées, des universités, deséglises, des agences de l’Etat et du gouvernement fédéral…). Selon CIDADE – une ONGlocale qui s’intéresse aux enjeux urbains, notamment à la participation citoyenne auniveau municipal, qui travaille à faciliter l’accès des citoyens à l’information et sou-tient divers mouvements populaires – “c’est un rejet du principe de souveraineté popu-laire qui avait caractérisé le budget participatif à Porto Alegre”.

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apprenants quelle serait la superficie idéaleet l’espace adapté pour une école, le profd’histoire a travaillé sur l’histoire du Brésil(l’Etat et la ville dans l’Etat, l’histoire del’éducation des jeunes et des adultes à par-tir de la vie de chacun des apprenants).

Après, on a organisé ensemble des manifes-tations et des séances avec le préfet. Nosapprenants sont allés à la télé pour parler deleur problématique. Nous sommes allés à desréunions pour réfléchir et décider du budgetde la ville parce qu’à cette époque-là, nousavions la possibilité de participer aux prisesde décisions sur le budget (voir encadré surles budgets participatifs). Nous avions ungouvernement de gauche. Nos apprenants etles professeurs ont participé à ce long pro-cessus pour réussir à garder leur école aprèsdeux ans de lutte. Cette école accueille 1200jeunes et adultes de 15 à 80 ans.

Il faut savoir qu’en 2005, au Brésil, il y aencore 35 millions de personnes analpha-bètes, c’est-à-dire 20% de la population. Il ya des gens qui sont allés à l’école quand ilsétaient petits, mais qui n’ont pas pu conti-nuer parce qu’ils devaient aller travailler

pendant la journée et qu’il n’y avait pas decours du soir ou bien, il n’y avait simplementpas d’école dans l’endroit où ils habitaient.Même au début des années 2000, dans undes Etats les plus développés du pays, à RioGrand du Sud, nous avons plus de 300.000jeunes de 14 à 17 ans sur 10 millions d’ha-bitants qui ne trouvent pas de place pourétudier car il y a un manque d’écoles. Parmieux, beaucoup traînent dans la rue car, sansformation suffisante, ils ne trouvent pas detravail. C’est la réalité du Brésil. Il faudraitque l’Etat prenne l’éducation et aussi lasanté comme priorités.”

Propos retranscrits par Francine D’HULST

Si vous souhaitez travailler avec Francine D’Hulst ou voir le travail qu’elle a réalisé à Evere,voici ses coordonnées :Francine D’HULST, Ch. de Boondael 393, 1050 Bruxelles, GSM : 0497 73 07 14

OUT IL

1001 balades à la découvertede l’Histoire

“Le musée, c’est comme le Larousse, çaexplique beaucoup de choses.”

Frappée par les propos d’anciens apprenantsqui mettent en avant les connaissancesacquises en histoire et géographie à traversdes visites de musées, d’expositions, de pro-menades dans la ville, Bénédicte Verschaerena décidé d’intégrer une dimension géo-historique dans ses cours d’alpha. Dans1001 balades à la découverte de l’Histoire,elle rend compte des démarches qu’elle amises en place.

Bénédicte utilise l’histoire comme outilpour amener les apprenants à redécouvrirleur environnement quotidien, le question-ner, le comprendre… L’histoire en effetdonne de l’épaisseur à notre compréhensiondu monde. Elle permet de mieux comprendrequi nous sommes aujourd’hui, de nous situerdans le monde et de mieux comprendre lesautres car elle forge nos identités cultu-relles. Les démarches historiques sont desmoments de construction de la pensée, pro-cessus qui permet d’objectiver son rapport àl’existence, de passer d’une conscience indi-viduelle à une conscience collective et decomprendre celle des autres. Réfléchir aupassé, c’est donc prendre de la distance parrapport au présent.

Aller au musée ou se promener dans la ville,c’est aller à la rencontre des objets, desimages qui racontent, qui parlent. Par cetterencontre, chacun, confronté à ce qu’il voit,

peut réfléchir sur lui-même, analyser. Visiterun musée ou déambuler dans la ville, c’estaussi une épreuve de corps à corps, ce n’estpas du blabla, l’image est devant nous, elleest réelle.

Si la visite constitue le moment-clé de ladémarche, ce n’est cependant pas la visiteen elle-même qui constitue l’essentiel dutravail avec les apprenants, mais le travailqui est fait en amont et en aval de celle-ci.La visite devient un support pour amorcer etpoursuivre la réflexion.

L’activité introductive à la visite permetd’éclaircir les représentations, de se mettre en

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LIVRES-MEDIAS-OUTILS

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appétit, de se questionner, de préparer la ren-contre avec le guide, s’il y en a un de prévu.

L’activité après la visite permet de revoir cequi s’est passé, de reformuler ce qui s’estdit, de prendre du recul, de questionner lessavoirs nouvellement acquis… Cette activi-té peut être prolongée par des démarches delecture-écriture axées sur les nouvellesconnaissances, par des démarches artis-tiques, littéraires ou autres.

Dans les activités proposées dans l’ouvrage,l’apprenant est au centre de l’apprentissage.Ces activités se réfèrent toutes à la pédago-gie constructiviste selon laquelle le savoir ne se transmet pas, il se construit à travers l’activité de l’apprenant. Il s’élabore dans laconfrontation entre ce que la personneconnaît déjà et des éléments nouveaux qui luisont proposés à travers des activités derecherche et d’analyse. Cette construction dusavoir se fait en interaction avec les autresmembres du groupe, ce qui donne une dimen-sion collective à l’apprentissage, dimensionque rend le terme d’auto-socio-constructiondes savoirs.

Les activités proposées sont destinées àdes personnes de tous niveaux à l’écrit,pour autant que la compréhension de basedu français oral soit acquise. Elles doiventcependant être adaptées en fonction dechaque groupe d’apprenants. Elles peuventaussi servir de base pour créer d’autresdémarches.

L’ouvrage est divisé en six parties :> L’Histoire, nous en faisons tous partie

(démarche introductive)> Un sculpteur nous dévoile le monde

ouvrier> Visitez un musée avec un guide !

> Voir Bruxelles ou le plaisir de mieux com-prendre sa ville

> Découvrir son quartier> L’Histoire, nous en faisons tous partie

(travail de synthèse).

Les différentes parties comportent de une àquatre démarches et chaque démarche estdécoupée en trois séquences : avant, pen-dant et après la visite.

“Le musée, c’est la réalité.”

“Maintenant je vois différemment le parc deBruxelles, je fais attention à beaucoup dechoses qu’avant je n’avais jamais vues. (…)Je vois différemment des lieux connus”.

1001 balades à la découverte de l’Histoire, Bénédicte VERSCHAEREN,Ed. Collectif Alpha, 2005, 160 pp.Disponible au Centre de documentation du Collectif Alpha,– tél : 02 533 09 25 – courriel : [email protected] prix de 15 €.

Autre outil pédagogique sur le thème de l’histoire et de la ville :

Bruxelles, connaître sa ville, Lire et Ecrire Bruxelles en collaborationavec le Carhop et La Fonderie, 1988.

En prêt au centre de documentation du Collectif Alpha.

D’autres références pédagogiques sont également citées dans

la bibliographie de 1001 baladesà la découverte de l’Histoire.

CARNET

Légendes de porcelaines

Coquillage : porcelaine – cauris – sédéré –grain de café – hotouku – chung thung –caramujo – cowry – amasimbi – alazoun –coloni – kawka – mounjr – sadaf – tchédé –lambi – ikirezi – isimbi - loudaha –…

Carnet de l’exposition-déambulation dumême nom, Légendes de porcelaines ras-semble des récits de voyages qui, rassem-blés, constituent une foisonnante richessede sens et d’échanges humains allant dupire, l’esclavage et la duperie, au meilleur, laprotection, la création… Ils nous font tan-guer de la divination à l’histoire, du mondesacré à celui de l’art, du domaine de lascience malacologique à celui de la parure,de la numismatique au jeu d’argent. Ce carnet tente de maintenir le cap desmeilleurs échanges Est-Ouest, Sud-Nordautour de la porcelaine avec l’écho d’échangesentre personnes de tous les horizons, à égali-té devant ce simple et fascinant coquillage.

Carnet né de huit ateliers d’écriture ani-més par les Ateliers de l’Insu avec les forma-teurs et les apprenants de Lire et EcrireBruxelles Sud-Est, tous niveaux confondus.Des ateliers d’écriture collective autour desporcelaines, à partir de la manière de lesnommer dans la langue d’origine de chacun,et des sensations et souvenirs qu’évoquaitle coquillage.

Carnet né de la rencontre de quelquesapprenants suivant des cours à Lire et Ecrirerue du Viaduc à Ixelles, avec QuentinSmolders photographe habitant la même rueet Sandrine de Borman, cueilleuse de porce-laine et heureuse assembleuse de ce recueil.Pendant que les apprenants racontaient leurlien avec la porcelaine, Sandrine notait ceque lui confiaient les personnes tandis queQuentin photographiait leurs mains, leurportrait. Chaque apprenant qui a voulu direou montrer quelque chose autour de la por-celaine a reçu une place dans le carnet.

Carnet qui s’est enrichi des réalisationsde l’atelier de décoration d’objets à partirde coquillages auquel ont pris part certainsapprenants. En partenariat avec le Serviceéducatif du Musée des Sciences naturelles,une visite du Musée sur le thème ducoquillage s’y est également déroulée afinde clore l’ensemble de la démarche.

D’autres artistes, enfin, ont apporté leurtémoignage. Et cela donne ce carnet toutentier au coquillage voué, ce carnet quinous conduit en Afrique, au Moyen-Orient,en Asie, en Europe aussi… sur une coquillede porcelaine, vers des paysages inattendus.

Légendes de porcelaines, Témoignages de personnes d’horizonsvariés autour d’un coquillage,Photographies : Quentin SMOLDERS, Recueil des textes et mise en carnet :Sandrine DE BORMAN, en partenariat et avec le soutien de l’asbl Lire et EcrireBruxelles Sud-Est, 2006Disponible à Lire et Ecrire Bruxelles Sud-Est– tél : 02 646 20 96 – courriel : [email protected] au prix symbolique de 1 €.

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BD

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les apprenants ont voulu sensibiliser le jeunepublic et donner un outil aux enseignants enracontant leurs histoires et leur vécu sousforme de planches dessinées.

La dernière des huit histoires rassemblées setermine par une discussion à l’étage de lamaison qui abrite Lire et Ecrire Verviers :— Salut Gérard.— Bonjour Alain, voici Patricia. C’est la pre-mière fois qu’elle vient.— Salut Patricia, je t’en prie, assieds-toi. Tuveux un café ?— A propos Pascale, quel est l’ordre du jour ?— On devait parler de notre projet de bandedessinée.— Ah oui, mais où est le dessinateur ? Ilest encore en retard ?

Ouf ! Il arrive en courant…

Les rebelles de l’illettrisme, Scénarios et dessins de Lilo GRECO, D’après des idées originales des membres de l’association “L’illettrisme, osons en parler”, Ed. Lire et Ecrire Communauté française, 2006, 22 p.

Disponible gratuitement :> à Lire et Ecrire Verviers

(tél : 087 35 05 85) ou par courriel :[email protected]

> au Centre de documentation du Collectif Alpha (tél : 02 533 09 25) ou par courriel : [email protected]

> au centre de documentation de Lire etEcrire Liège (tél : 04 226 91 86).

Les rebelles de l’illettrisme

On a fait une bande dessinée pour…qu’on ne se moque plus des personnes en difficulté avec la lecture et l’écrituremontrer que l’illettrisme existemontrer qu’ensemble on est capables de réussir. On a voulu raconter nos histoires, notre vécu…

Notre message, c’est…vous les adultes, les enseignants, les pédagogues,… soyez tolérants,vous les enfants, les jeunes adolescents,…soyez tolérants, allez jusqu’au bout de votre scolarité, ne décrochez pas.Nous espérons que cet album vous ouvrira les yeux.

C’est ainsi que les apprenants rassemblés ausein de l’association Osons en parler présen-tent la BD qu’ils ont réalisée avec un dessi-nateur de la région verviétoise, Lilo Greco.

A travers 8 histoires, des adultes de 20 à 64ans racontent leur parcours, leur vécu. Ilstémoignent dans le but d’ouvrir les yeux etde changer les regards.

Après avoir écrit L’illettrisme, il faut le vivre…(voir Le journal de l’alpha, n°150, p. 57) quivise plus particulièrement un public adulte,

L’histoire et les projets de Osons en parler ont été présentés

dans le Journal de l’alpha, n°142, septembre 2004, pp. 20-23

et n°153, juin-juillet 2006, pp. 27-31.

OUT IL70 > Journal de l’alpha n°155

Voir l’Autre

La farde photos Voir l’Autre est un outilpédagogique réalisé par l’asbl Ecole SansRacisme. Son objectif est d’éradiquer lesstéréotypes et les préjugés des jeunes…mais les moins jeunes sont tout autantconcernés.

Cet outil permet :> de mettre en évidence les stéréotypes à

partir desquels nous réagissons face àd’autres personnes, en particulier quandelles sont issues de l’immigration ;

> de donner les informations nécessairespour limiter ce fonctionnement, basé, engrande partie, sur l’ignorance et/ou laméconnaissance de la réalité de groupesinstallés depuis plus ou moins longtempsen Belgique.

Souple et ludique, il offre des pistes d’ani-mations variées. Il nous propose, parexemple, d’imaginer le curriculum vitaed’une personne anonyme sur base de troisphotos : un portrait, une photo dans sonmilieu de vie ou de travail et une photo quien dit plus sur ses centres d’intérêt.

Concrètement, dans la boîte, on trouvesoixante photos, soit trois photos de vingtpersonnes de différentes nationalités ouorigines. Vingt fiches biographiques accom-pagnent les photos. Une fiche pour chacunedes personnes nous renseigne sur son origi-ne, sa profession, ses intérêts…

Un manuel d’accompagnement décrit expli-citement plusieurs méthodologies.

Les formateurs y trouveront également uneinformation de base sur les stéréotypes et lespréjugés racistes. Ecole Sans Racisme tente derépondre à un certain nombre de questions

cruciales telles que : qu’est-ce qu’un préjugéraciste ? comment se forme-t-il ? les préjugésracistes ont-ils une fonction ? quelles en sontles conséquences ? et surtout : comment trai-ter les préjugés racistes en classe ?

Le travail avec les photos permet d’aborderun certain nombre de thématiques. Dans laboîte, une série de fiches complémentaireséclairent certaines situations abordées.Autant d’amorces qui invitent à unerecherche plus approfondie…

Voir l’autre. Farde photos didactiques pour éradiquer les préjugés, Ecole Sans Racisme, 2006Disponible à Ecole sans racisme asbl,– tél : 02 511 16 36– courriel : [email protected]– site : www.ecolesansracisme.beau prix de 50 €.En prêt également au centre de documenta-tion du Collectif Alpha (tél : 02 533 09 25).

Ecole Sans Racisme propose également de venir animer des classes ou

des groupes d’adultes. Prix : 80 € pour une animation de 2h

(100 € pour l’animation + la farde photos).

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L’auteur, dans une mécanique redoutable,nous entraîne dans une histoire forte et sin-gulière qui nous (re)plonge dans la GrandeHistoire.

Pour parvenir à ses fins, il nous offre autantde clés de lecture qu’il y a de portes d’entréeau roman :> le roman d’amour : au travers du récit des

amours troubles entre un jeune garçon dequinze ans et une femme énigmatique, devingt ans son aînée. En quoi leurs desti-nées sont-elles liées pour le meilleur et/oupour le pire ?

> l’histoire contemporaine : la question dunazisme et du génocide juif dans l’Alle-magne d’Hitler avec son corollaire, la culpabilité collective et sa transmission auxgénérations de l’Allemagne d’après-guerre.

> le récit biographique : la littérature occu-pe une place très particulière tout au longde cette relation et l’on verra comment elleva conditionner la vie des deux protago-nistes et bouleverser à tout jamais leurrapport à la lecture et à l’écriture.

En filigrane, transparaît la question de lahonte vécue comme lien social, comment ellepeut conduire un individu à choisir la rési-gnation plutôt que la révolte et l’entraîner dela confusion jusqu’à la désintégration.

A quinze ans, Michaël croise le chemind’une jeune femme, Hanna, qui lui portesecours. Il devient son amant. Rien neprédestinait ces deux êtres à se rencon-trer. Il est lycéen, issu d’une famillebourgeoise et évolue dans un milieu

Le LiseurLe Liseur est un roman existentieldont on ne sort pas indemne parcequ’il nous interroge sans complai-sance sur la condition humaine etqu’il nous confronte à l’une despériodes les plus sombres de notrehistoire. Il nous rappelle aussicombien l’accès à la lecture et àl’écriture constitue un enjeu social,politique et culturel.

Bernard SCHLINK, Le Liseur, éd. Gallimard,

Paris, 1996, 202 pages

Traduit de l’allemand par Bernard LORTHOLARY

Paru en format de poche dans

la collection Folio (n°3158)

LITTÉRALPHA

L ITTÉRA72 > Journal de l’alpha n°155

intellectuel. On sait peu de choses d’el-le, mis à part qu’elle a 36 ans, vit seuleet est poinçonneuse de tramway. Hannava initier l’adolescent aux gestes del’amour et pendant six mois, il la rejointen secret chez elle tous les jours. Ce‘huis clos’ sera marqué par un rituelqu’elle instaure rapidement : le jeunegarçon lui fait la lecture à haute voix et,ensemble, ils vont entreprendre un voya-ge à travers les grands classiques del’histoire de la littérature. Chaque séan-ce de lecture se clôture par une doucheet puis l’amour.

«Mais au bout de quelques temps, uneheure et demie ne nous suffit plus et je memis à inventer des prétextes pour ne pasrentrer dîner à la maison.

C’est que je lui faisais la lecture. Le lende-main de notre conversation, Hanna avaitvoulu savoir ce que j’apprenais au lycée. Jelui parlai des poèmes homériques, des dis-cours de Cicéron, et de l’histoired’Hemingway sur le vieil homme et son com-bat avec le poisson et avec la mer. Elle vou-lut entendre à quoi ressemblaient le grec etle latin, je lus à haute voix des passages del’Odyssée et des Catilinaires.

(…) quand j’arrivai le lendemain et voulusl’embrasser, elle se déroba. “Tu me faisd’abord la lecture.”

Elle parlait sérieusement. Je dus lui lireEmilia Galotti pendant une demi-heure avantqu’elle m’emmène sous la douche et dansson lit. (…)

C’était une auditrice attentive. Son rire, sessoupirs de dédain et ses exclamations indi-gnées ou enthousiastes ne laissaient aucundoute : elle suivait l’action avec passion, et

considérait les deux héroïnes comme depetites dindes.

L’impatience qu’elle mettait parfois à medemander de continuer tenait à ce qu’elleespérait que ces personnages allaient enfin,nécessairement, arrêter leurs bêtises. “Non,mais c’est pas possible !” Quelquefois, j’avaismoi-même très envie de poursuivre la lecture.Quand les jours allongèrent, je lus plus long-temps, pour être au lit avec elle au momentdu crépuscule. Lorsqu’elle s’était endormie surmoi, que la scie dans la cour s’était tue, quele merle chantait et que, dans la cuisine, il nerestait plus de la couleur des objets que destons de gris plus ou moins clairs ou sombres,j’étais parfaitement heureux.»La personnalité instable d’Hanna et letrès jeune âge de son amant rendent la relation complexe : c’est sans doute ce qui retient le jeune homme dans ses filets et ce qui, plus tard, l’éloignerad’elle, malgré lui.

«Cet été-là fut la descente en vol planéde notre amour. Ou plutôt de mon amourpour Hanna ; de son amour pour moi, je nesais rien.

Bernard SCHLINK

LPHAJournal de l’alpha n°155 > 73

Nous avons maintenu notre rituel : lecture àhaute voix, se doucher, faire l’amour, resterétendus ensemble. Je lui ai lu Guerre et Paix,avec tous les développements de Tolstoï surl’histoire, les grands hommes, la Russie,l’amour et le mariage, cela a bien dû prendrequarante à cinquante heures. De nouveau,Hanna a suivi le déroulement du livre avecun intérêt passionné. Mais ce fut autrementque d’habitude ; elle gardait pour elle sesjugements, ne faisait pas de Natacha, Andréet Pierre des éléments de son univers,comme elle l’avait fait de Louise et d’Emilia: elle entrait dans leur univers comme onentame avec étonnement un long voyage oula visite d’un château où l’on est admis, oùl’on a le droit de séjourner, avec lequel on sefamiliarise, mais sans toutefois surmontercomplètement sa timidité. Ce que je lui avaislu jusque-là, je le connaissais déjà. Guerre etPaix, je le découvrais moi aussi. Nous fîmesensemble ce voyage lointain.»Hanna se montre tour à tour autoritairepuis vulnérable, tendre et sensuelle,puis submergée par des accès de colèreviolente, tantôt maternante puis bruta-le, tantôt cynique puis tourmentée,voire désespérée.

«Je m’étais réveillé tôt, m’étais habillésans faire de bruit et avais quitté lachambre en silence. Je voulais monter lepetit déjeuner, et aussi voir si je trouvaisun fleuriste déjà ouvert, pour rapporterune rose à Hanna. Je lui avais laissé unmot sur la table de nuit : “Bonjour ! Je vaischercher le déjeuner, je reviens tout desuite…” Quelque chose comme ça. Quandje revins, elle était debout dans lachambre, à moitié habillée, tremblant derage et blême.

“Comment peux-tu partir comme ça !”

Je posai le plateau du petit déjeuner et larose, et je voulus la prendre dans mes bras.“Hanna…

- Ne me touche pas.” Elle tenait à la main lamince ceinture de cuir qu’elle mettait sur sarobe, elle recula et m’en fouetta le visage.Cela m’ouvrit la lèvre, et je sentis le goût dusang. Cela ne faisait pas mal. J’étais terri-blement effrayé. Son bras repartit pour frap-per encore.

Mais elle n’en fit rien. Elle laissa retomber sonbras, lâcha la ceinture et se mit à pleurer. (…)

Elle fit deux pas vers moi, se jeta contre mapoitrine, me martela de ses poings, se cram-ponna à moi. Alors je pus la tenir. Sesépaules tressautaient, elle cognait son frontcontre ma poitrine. Puis elle poussa un grandsoupir et se pelotonna dans mes bras. (…)

“Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi tu étaissi furieuse ?” Nous étions couchés dans les brasl’un de l’autre, si comblés et si heureux que je crusque tout allait s’expliquer.

“Ce qui s’est passé, ce qui s’est passé ! Tu asde ces questions idiotes ! Tu ne peux past’en aller comme ça.

- Mais je t’avais laissé un mot…

- Un mot ?”

Je m’assis sur le lit. Le papier n’était plussur la table de nuit.»Un jour, Hanna prend la fuite sans explica-tion et disparaît sans laisser de trace. Lejeune homme la cherche en vain et enta-me sa vie adulte, marqué à tout jamais.

Des années plus tard, Michaël poursuitdes études de droit à l’université. Dans le

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cadre d’un séminaire sur le passé nazi, ilassiste à un procès en cour d’assises.Parmi les cinq gardiennes des camps de lamort, il reconnaît Hanna sur le banc desaccusées !

Lors des interrogatoires, les co-accuséessoutenues par leurs avocats se liguentcontre elle et lui font porter l’entière res-ponsabilité d’un épisode dramatique oùdes détenues ont été brûlées vives, pri-sonnières d’une église en feu !

Une rescapée livre un témoignage parti-culièrement accablant sur le comporte-ment singulier d’Hanna dans les camps :

«Oui, elle avait ses protégées, toujours unedes plus jeunes, faibles et fragiles ; elle lesprenait sous sa protection ; veillait à cequ’elles ne soient pas forcées de travailler, àce qu’elles soient mieux logées, mieux trai-tées, mieux nourries, et le soir elle lesemmenait avec elle. Et les filles n’avaientpas le droit de dire ce qu’elles faisaient avecelle, et nous pensions que… Aussi parcequ’elles partaient toutes pour Auschwitz,comme si elle s’en débarrassait quand ellesne lui plaisaient plus. Mais ce n’était pas ça,et un jour l’une d’elles a tout de mêmeparlé, et nous avons appris que ces filles luifaisaient la lecture, soir après soir.»Michaël suit le procès avec assiduité.Alors qu’il s’efforce de comprendre l’am-biguïté du comportement d’Hanna dansles camps et le mutisme dans lequel ellese réfugie au cours du procès, il a soudainla révélation du secret qu’Hanna tente àtout prix de préserver !

«A force de réfléchir à Hanna en tournanten rond semaine après semaine, une idées’était détachée, avait suivi son chemin bien

à elle et avait fini par arriver à son résultat.Lorsqu’elle y fut parvenue, elle y fut parve-nue – ç’aurait pu être partout, ou en toutcas, n’importe où pourvu que la familiaritédu cadre et des circonstances permette depercevoir et d’admettre une surprise qui nevous assaille pas de l’extérieur, mais quiéclôt à l’intérieur de vous. C’est ce qui sepassa sur un chemin qui monte en penteraide, traverse la route, passe près d’une fon-taine, puis mène d’abord sous une hautefutaie obscure de vieux arbres et ensuitedans des taillis clairs.»Il se débat alors avec sa conscience etdoit faire face à un terrible dilemme.Michaël ne divulgue pas le secret d’Hannatout en mesurant avec gravité la portéede son choix…

Qu’adviendra-t-il de cette relation scelléepar un si lourd secret ?

Pour Michaël, ce sera sans doute de l’écri-ture que naîtra l’apaisement.

Quant à Hanna, peut-on se pardonnerl’impardonnable ?

Présenté par France FONTAINE

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