POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE...

80
POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE FINANCIÈRE PÈSERONT LONGTEMPS SUR LA CROISSANCE Angel Asensio Juillet 2011 Recherche effectuée dans le cadre d’une convention conclue entre l’Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES) et la CFE-CGC

Transcript of POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE...

Page 1: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES

DE LA CRISE FINANCIÈREPÈSERONT LONGTEMPS

SUR LA CROISSANCE

Angel Asensio

Juillet 2011

Recherche effectuée dans le cadre d’une convention conclue entre l’Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES) et la CFE-CGC

Page 2: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière
Page 3: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

RÉSUMÉ

Trois ans après la crise de la finance internationale, les places boursières ont sensible-ment récupéré, les banques font à nouveau des profits et l'activité économique reprenddes couleurs... La rédaction de cette étude a été ordonnée en juillet 2011, avant la nouvelledégradation du contexte économique et financier international. Mais au-delà de l'optimismequ'affichent les conjoncturistes, de nombreux signes indiquent que les choses sont loind'être rentrées dans l'ordre.

Alors que la pensée dominante ne peut comprendre la crise qu'en l'attribuant à deserreurs de politique économique, au laxisme des autorités de régulation ou à des « distor-sions de concurrence », l'approche postkeynésienne qui inspire la présente étude rejettela dénaturation de la pensée de Keynes à laquelle s'est livré le courant de pensée domi-nant depuis la parution en 1936 de La Théorie Générale. Elle récuse en particulier l'auto-régulation des marchés concurrentiels, et voit dans l'intervention des pouvoirs et institu-tions publics l'un des rouages du bon fonctionnement du système ; de sorte qu'enl'absence de stabilisateurs tels que les lois, l'action des syndicats ou l'intervention despouvoirs publics, le système économique pourrait se révéler violemment instable.

L'instabilité potentielle des marchés provient de l'absence de fondements objectifs à laquantification des risques, c'est-à-dire, de la nature fondamentalement incertaine dufutur. La crise s'explique alors comme une défaillance due à l'imprévisibilité du système ;elle ne requiert pas d'hypothèses plus ou moins réalistes concernant l'incompétence, lamalveillance ou le laxisme des pouvoirs publics (sans pour autant les écarter).

L'étude appréhende sur ces bases les obstacles que les systèmes économiques impactéspar les désordres financiers auront à franchir pour éviter que la reprise ne s'enlise dansles difficultés qui se profilent. Certaines de ces difficultés sont liées aux effets délétères dela perte de confiance des agents économiques, d'autres sont liées à la dégradation desfinances publiques et à l'injection massive de liquidités par les banques centrales. Lesréponses qui commencent à être apportées (restrictions monétaires, budgétaires et fiscales) sont des « solutions » conçues par le courant de pensée dominant pour un systèmeaux propriétés supposées d'autorégulation. Ces réponses aussi auront une incidencenégative, ce qui laisse entrevoir une longue période de croissance faible et fragile, si tantest qu'une nouvelle déflagration puisse être évitée.

3

Page 4: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière
Page 5: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ........................................................................................................................................................................................................................................... 3

TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................................................................................................ 5

INTRODUCTION .................................................................................................................................................................................................................... 7

PREMIÈRE PARTIE – COMPRENDRE LA CRISE – OUTILS CONCEPTUELS ......................................... 11

I. Les insuffisances de l'appareil conceptuel dominant ...................................................................................... 11

A. La thèse de la surabondance de monnaie (Money glut) ............................................................................... 12

B. La thèse de la surabondance d'épargne (Saving glut) .................................................................................... 15

C. Déficiences de marchés ........................................................................................................................................................................ 22

II. L'apport du courant postkeynésien à la compréhension de la crise ........................................... 24

A. Incertitude et possibilité de la crise......................................................................................................................................... 24

B. Le désarroi des marchés concurrentiels............................................................................................................................ 26

C. Fluctuations et crises, les apports de Keynes et Minsky................................................................................. 30

Conclusion ............................................................................................................................................................................................................................ 33

DEUXIÈME PARTIE – LE DIFFICILE RETOUR DE LA CROISSANCE ................................................................. 35

Introduction ........................................................................................................................................................................................................................ 35

III. Les conséquences économiques de la crise financière .......................................................................... 37

A. Une dégradation des conditions de financement ................................................................................................. 37

B. Demande privée : le poids des prévisions à long terme................................................................................. 43

C. Les problèmes à retardement........................................................................................................................................................ 49

IV. Les politiques publiques empêtrées .................................................................................................................................. 56

A. La nature du problème et le point de vue du courant de pensée dominant .......................... 56

B. Les difficultés seront aggravées par les politiques orthodoxes ............................................................. 60

C. Propositions pour débrider la reprise................................................................................................................................... 63

CONCLUSION ........................................................................................................................................................................................................................... 66

ANNEXES ....................................................................................................................................................................................................................................... 68

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES .......................................................................................................................................................... 75

5

Page 6: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière
Page 7: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

INTRODUCTION

TROIS ANS APRÈS LE DÉBUT DE LA CRISE,UN ÉTAT DES LIEUX

La pensée économique dominante prétend, depuis les écrits fondateurs du XVIIIe siècle,que la libre concurrence est à même d’assurer le meilleur fonctionnement envisageabledans une économie de marché. Selon cette approche, les désordres de la finance libérali-sée ne résulteraient pas de la déréglementation des activités financières, comme le sug-gèrent nombre d’observateurs, mais de perturbations extérieures aux marchés et de dis-torsions concurrentielles qui auraient résisté au processus de déréglementation.

Cette position est plus forte qu’il y paraît, en raison du cadre théorique très élaboré surlequel elle repose, et qui lui permet de rattacher toute forme de dysfonctionnement à telleou telle imperfection, ou à telle règlementation du marché. Et c’est bien sûr toujours dansl’élimination des contraintes réglementaires et dans le renforcement des mécanismesconcurrentiels que se trouverait le remède.

Mais malgré sa puissante assise théorique, la pensée dominante apparaît plus irréalisteque jamais, car elle condamne toute forme d’immixtion de la puissance publique à unmoment où il est devenu manifeste que, livrés à eux-mêmes, les marchés financiers sontcapables d’engendrer le chaos, et incapables de s’en sortir seuls. Aussi, nombreux sontceux qui se référaient habituellement à la pensée dominante et ont dû, par la force deschoses, reconnaître la nécessité de l’intervention publique, tant pour stabiliser les mar-chés financiers affolés, que pour éviter un effondrement de l’activité économique.

« Un ensemble d’idées bien précis a conduit à la déréglementation et à d’autres politiques (à la foisdans le privé et dans le public) qui ont contribué à la crise et à sa diffusion rapide. Un autre ensembled’idées, tout à fait différent, a conduit aux politiques fortes pour combattre la crise. Pratiquementaucun pays n’a dit : laissons les marchés se tirer de là tout seuls ; et, sur lesdits marchés, même les"fanatiques du marché" ont couru demander de l’aide à l’État. » (...)« Il y a souvent une interaction complexe entre idées, idéologies et intérêts. Les marchés financiersavaient intérêt à plaider pour la déréglementation ; l’idéologie du libre marché les a bien servis. Mais,si l’on veut que l’économie devienne une science sociale, il faut tester ses postulats. La crise en cours aremis en cause bien des hypothèses largement admises. »

Le rapport Stiglitz (2010), p. 25.

En fait, ces réactions défensives (y compris les mesures budgétaires et fiscales de soutienà la demande agrégée), n’avaient pas pour but de relancer l’économie, mais bien de stop-per la désintégration du système financier et le processus déflationniste. L’objectif n’étaità l’évidence pas d’améliorer les performances d’un système bien portant, mais de sauverle patient dans l’urgence, en attendant de s’attaquer aux causes profondes du problème.Cette précision a son importance, car même si les institutions financières ont rapidementretrouvé une meilleure mine et même si les forces dépressives semblent avoir été stop-pées, il y a peu d’espoir pour que les économies touchées par la crise financière interna-tionale retrouvent avant longtemps leur trajectoire d’avant la crise.

La « crise des subprimes » vient ponctuer une série de crises financières chaque fois plusmenaçantes, car, comme l’a illustré le cas de la crise asiatique de 1997, les mesures pru-dentielles envisagées pendant la débâcle sont chaque fois assouplies, sinon abandonnéesau sortir de la crise, préparant ainsi le terrain pour un débordement ultérieur.

« Il y a un peu plus de dix ans, à l’époque de la crise financière asiatique, on a beaucoup discuté dubesoin de réformer rapidement l’architecture financière mondiale pour prévenir le retour d’une crisemajeure. Qu’a-t-on fait ? Peu de choses – trop peu c’est évident. » (...)« De plus, si l’on ne met pas immédiatement en chantier ces changements de fond, il y a un risqueimportant de voir la dynamique réformatrice s’évanouir avec la reprise. Des intérêts politiquement

7

Page 8: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

puissants sont en jeu : ceux qui bénéficient des mécanismes existants ou de nouvelles dispositionsrécentes vont résister aux réformes fondamentales. Mais si on laisse ces intérêts l’emporter, il y aurasûrement une nouvelle crise. C’est une des leçons à tirer de la crise asiatique de 1997-98. »

Le rapport Stiglitz (2010), p. 45 & 47

Cette fois, la crise a sévèrement frappé le capitalisme mondial en son cœur. Frappé dansses croyances concernant l’efficacité des marchés dérégulés là où la dérégulation avaitété le plus poussée. Frappé dans les premières places financières mondiales. Mis à terreles plus grandes institutions bancaires ; mis à genou les pouvoirs publics, dont la capacitéd’action restera longtemps affaiblie par les mesures monétaires non conventionnelles etpar les mesures budgétaires et fiscales qui ont dû être prises dans l’urgence.

Par la force des choses donc, parce que la frappe menaçait la finance mondiale de désin-tégration et les économies nationales d’une désorganisation aux conséquences désas-treuses et incalculables, les autorités ont un peu partout enfreint les règles de « bonnegouvernance » qu’elles avaient appliquées jusque-là au nom de leur croyance dogma-tique dans les vertus de la concurrence libre et non faussée. Loin de s’attaquer à ce qu’ilrestait de réglementation après plusieurs décennies de libéralisation, les pouvoirs publicsse sont même engagés dans la voie d’un renforcement de la réglementation prudentielle,avec des initiatives comme la loi Dodd-Frank aux États-Unis et les accords de Bâle 3. Lefait est que les prescriptions de la théorie dominante sont tout simplement apparuesinadaptées, voire dangereuses à mettre en œuvre pendant la crise.

Si le remède n’était pas approprié, c’est que le diagnostique n’était pas bon et que lathéorie qui l’a produit doit être reconsidérée. Une théorie réaliste doit pouvoir rendrecompte du caractère inéluctable de l’action publique, au moins dans les circonstances cri-tiques telles que celles déclenchées à la fin de l’été 2008. La théorie générale proposéepar J.-M. Keynes en 1936, permet de penser l’intervention publique comme l’un desrouages du bon fonctionnement du système des marchés. L’autorégulation des marchésconcurrentiels y est sérieusement mise en doute, de sorte qu’en l’absence de stabilisa-teurs institutionnels, tels que les lois et réglementations, l’action continue des syndicatsou l’intervention des pouvoirs publics, le système économique pourrait se révéler violem-ment instable.

Dans ce cadre conceptuel, l’action des institutions publiques n’est pas une donnée exté-rieure au système de marchés, et qui viendrait en perturber le bon fonctionnement. Ellepeut au contraire contribuer au bon fonctionnement du système au côté des agents éco-nomiques. Alors qu’elle est perçue comme une source de distorsion à la concurrence etde dysfonctionnement du système économique dans le cadre de pensée dominant, elleagit en fait comme une protection contre les forces potentiellement déstabilisatrices desmarchés concurrentiels. C’est grâce à l’action de ces institutions que, malgré l’absenced’un « ordre naturel » auquel la pensée dominante reste viscéralement attachée, les systèmes concurrentiels font preuve d’une certaine stabilité. Les injections massives deliquidités, renflouements ou nationalisations de banques et autres mesures non conven-tionnelles de politique monétaire, de même que les mesures de politique budgétaire etfiscale adoptées en réponse à la secousse financière, relèvent manifestement d’une tellelogique.

« (...) les pouvoirs publics ont réagi à la crise en prenant des mesures ambitieuses et énergiques surles plans monétaire et budgétaire et dans le secteur financier. Ces actions concertées ont réussi à arrê-ter, puis à inverser la dégradation de la situation économique. » (Fonds monétaire international, Rap-port annuel 2010, p. 9)« Un rapide assouplissement de la politique monétaire, des interventions massives pour secourir lesystème financier et une politique de soutien budgétaire ont contribué à stabiliser le système finan-cier et à atténuer la contraction de la demande privée. » (Études économiques de l’OCDE : Zoneeuro, Résumé, décembre 2010, p. 1)

Si les pouvoirs publics ont réagi comme ils l’ont fait à la déstabilisation du système finan-cier, c’est qu’ils ont pris conscience, par la force des choses, que le fait ne pas laisserjouer les garde-fous institutionnels au nom d’une croyance dogmatique dans les bienfaitsde la concurrence eut été le plus sûr moyen de précipiter les économies dans une dépres-sion beaucoup plus grave.

8

Page 9: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Aujourd’hui, les places boursières ont sensiblement récupéré, les banques refont des pro-fits, l’activité économique reprend des couleurs... Et pourtant, les choses sont loin d’êtrerentrées dans l’ordre. Selon le rapport annuel 2010 du FMI (p. 9), « (...) les premierssignes de reprise sont apparus au second semestre de 2009, la croissance commençant àmonter en régime au début de 2010. Cependant, la reprise est restée modérée et inégale,les pays avancés enregistrant une croissance relativement faible (...) La reprise se pour-suit, mais des risques considérables subsistent. » La Banque des règlements internatio-naux notait dans son rapport annuel de 2010, « les vulnérabilités qui subsistent dans lesecteur financier et les effets secondaires des soins intensifs encore prodigués se conju-guent pour menacer les économies d’une rechute et miner les efforts de réforme. » C’estsur le front de l’emploi que les inquiétudes se font les plus vives, comme l’indique l’Orga-nisation Internationale du Travail dans le « résumé exécutif » du rapport 2011 sur les Tendances mondiales de l’emploi : « La reprise sur les marchés du travail s’est avéréeinégale, la région des économies développées et de l’Union européenne enregistrant unehausse constante du nombre de sans-emplois. (...) compte tenu de la fragilité du marchédu travail dans de nombreux pays, des niveaux élevés de la dette publique et de la vulné-rabilité persistante du secteur financier et des ménages privés, les risques de rechutel’emportent. » Le rétablissement est loin d’être consolidé, et il est à craindre que les économies américaine et européenne, les plus touchées par les désordres de la financeinternationale, mettront encore de longues années à retrouver une situation normalisée.

La crise financière, que la pensée dominante ne peut comprendre qu’en l’attribuant demanière irréaliste à des erreurs de politique économique ou à des « distorsions deconcurrence » (qui pour certaines ne sont en fait que la trace de l’action régulatrice d’ins-titutions que le capitalisme génère de lui-même afin d’assurer sa propre viabilité), a eneffet placé les économies devant des défis durables. L’approche post-keynésienne qui ins-pire la présente étude révèle les obstacles que les systèmes économiques impactés parles désordres financiers devront franchir. Diverses difficultés sont à prévoir, certainesliées aux effets délétères de la perte de confiance des agents économiques (consomma-teurs, entrepreneurs, banques et institutions financières, pouvoirs publics), d’autres liéesà la dégradation des finances publiques et à l’injection massive de liquidités dans le cir-cuit par les banques centrales. Les réponses qui commencent à être apportées, telles lapoursuite des restrictions budgétaires et fiscales, ou les restrictions monétaires, sont des« solutions » conçues par le courant de pensée dominant pour un système aux propriétéssupposées d’autorégulation que les faits viennent démentir avec force. Ces réponsesauront également une incidence négative sur une croissance économique déjà passable-ment éprouvée. Cela laisse entrevoir une longue période de croissance faible et fragile,donc potentiellement heurtée.

« Des déséquilibres excessifs d’ordre économique, financier et budgétaire se sont accumulés dans cer-tains pays de la zone euro durant la période d’expansion, entravant le bon fonctionnement de l’unionmonétaire, et se sont traduits par des fragilités croissantes. Il en est résulté des crises économiques etbudgétaires particulièrement graves dans certains pays, avec des retombées dans l’ensemble de lazone euro principalement par le biais des marchés de capitaux. (...) L’activité s’est accélérée, mais lareprise sera probablement faible. L’assainissement budgétaire est indispensable, mais il risque depeser sur la croissance dans le court terme. Dès qu’apparaîtront des risques à la hausse pour la stabili-té des prix à moyen terme, il faudra mettre fin aux mesures de relance monétaire. (Études écono-miques de l’OCDE : Zone euro, Résumé, décembre 2010, p. 1) « La crise financière a légué aux autorités, en particulier dans les pays industrialisés, une très lourdetâche. Celles-ci doivent, en effet, inscrire leur action dans une perspective de moyen à long terme,tout en essayant de soutenir une reprise qui demeure fragile et inégale. Les ménages ont tout justecommencé à réduire leur endettement, et continuent donc de modérer leurs dépenses. (...) Tout celacontinue de peser sur la confiance. Les vulnérabilités qui subsistent dans le secteur financier et leseffets secondaires des soins intensifs encore prodigués se conjuguent pour menacer les économiesd’une rechute et miner les efforts de réforme. » (Banque des Règlements internationaux, 80e rapportannuel, Bâle, juin 2010, p. 3)

La présente étude met en évidence les principales carences de l’appareil conceptueldominant face à l’interprétation de la crise et de ses manifestations. Elle appréhende lesconséquences économiques de la crise financière, ainsi que les défis à venir (chômage,dette publique et inflation) dans une perspective post-keynésienne. Elle montre en quoiles réponses prônées par le "mainstream" sont inadaptées et considère les voies alterna-tives pour sortir du problème du déficit et de la dette publique. Elle considère également

9

Page 10: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

les risques d’un dérapage inflationniste et les moyens dont disposerait la politique moné-taire pour y répondre. Elle interroge les travaux post-keynésiens à propos des politiquesmacroéconomiques susceptibles de contourner les écueils et de limiter l’impact négatifsur l’activité et l’emploi. Elle discute également les problèmes spécifiques soulevés parles principes de gouvernance macroéconomique mis en œuvre au sein de la zone euro(BCE, pacte de stabilité...).

La première partie du rapport traite des principaux cadres théoriques disponibles pourinterpréter la crise financière et ses conséquences économiques. Elle offre une argumen-tation détaillée des remises en causes dont le courant de pensée dominant (dans ses différentes variantes) fait l’objet, et des raisons profondes pour lesquelles l’appareilconceptuel qu’il promeut est inadapté. Les atouts des innovations méthodologiques intro-duites en 1936 dans la Théorie Générale de Keynes sont ensuite présentés et utilisés pourlivrer une analyse différente des conséquences économiques de la crise et des enjeux àvenir. La seconde partie est dédiée à l’analyse des conditions du retour à la croissanceéconomique. Elle traite de l’aggravation des difficultés liées à la mise en œuvre de prin-cipes de politique économique inspirés par la lecture trompeuse des évènements quelivre le courant de pensée dominant, avant d’explorer les voies alternatives suggérées parl’approche post-keynésienne.

10

Page 11: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

PREMIÈRE PARTIE

COMPRENDRE LA CRISE – OUTILS CONCEPTUELS

I. LES INSUFFISANCES DE L’APPAREIL CONCEPTUEL DOMINANT

L’interprétation de tout phénomène économique requiert l’adoption d’une grille de lecturedes faits, c’est-à-dire d’une théorie explicative des phénomènes auxquels on s’intéresse.La théorie qui domine de nos jours plonge ses lointaines racines dans les écrits desauteurs classiques des XVIIIe et XIXe siècles, mais les développements qui ont présidé à l’élaboration des « nouvelles macroéconomies » dans le dernier quart du vingtièmesiècle (1), et plus récemment à l’émergence d’un « nouveau consensus », reposent sur lepostulat selon lequel le système économique évolue suivant un processus stationnaire,c’est-à-dire de manière suffisamment régulière pour que les agents puissent en déduiredes « lois de fonctionnement » et faire des prévisions justes aux aléas près.

L’hypothèse d’anticipation rationnelle a été de ce point de vue une innovation capitale (2).Elle constitue, avec le cadre conceptuel hérité de la tradition classique et néoclassique, lesocle commun des « nouvelles macroéconomies ». Les prévisions étant supposées justesen moyenne, les fluctuations économiques sont interprétées, aux aléas près, commel’adaptation continue de l’économie au changement des données structurelles (goûts desconsommateurs, technologie, cadre légal et institutionnel). Les chocs exogènes, les aléas,ne peuvent ainsi produire que des déviations temporaires de l’économie par rapport à satrajectoire « naturelle ».

De telles déviations peuvent justifier une intervention des pouvoirs publics, mais seule-ment si celle-ci est capable de mieux résorber les perturbations temporaires que ne leferait l’ajustement spontané des marchés. C’est sur cette question que divergent les deuxprincipaux courants de la « nouvelle macroéconomie ». La nouvelle économie classique(NEC) postule l’efficacité des marchés et conteste l’utilité des politiques publiques. Cetteapproche est à l’origine de la « théorie des cycles réels », ainsi dénommée pour en souli-gner la neutralité de la monnaie et la filiation (néo)classique dans l’explication des fluc-tuations macroéconomiques. La nouvelle économie keynésienne (NEK) justifie au contrairel’intervention publique en invoquant, d’une part, les lenteurs que peut par exemple induirela rigidité ou « viscosité » des salaires nominaux, même en présence d’anticipationsrationnelles, et, d’autre part, les distorsions que peuvent produire certains comporte-ments économiques dans le domaine financier, mais aussi sur le marché du travail (res-ponsabilité de la réglementation et des syndicats dans le sous-emploi). En général, toutce qui de manière endogène ralenti l’ajustement concurrentiel ou fausse la concurrenceest susceptible de laisser une place aux politiques publiques (politiques de stabilisation àvisée conjoncturelle, ou politiques structurelles visant un fonctionnement concurrentiel),et peut donc être rattaché à la NEK.

Les nouvelles macroéconomies : une filiation keynésienne ?Parce qu’elles étudient l’influence des prévisions sur l’équilibre, les nouvelles macroéconomies s’ins-crivent d’une certaine manière dans le prolongement de l’œuvre de Keynes (3), mais le traitementréducteur de l’incertitude, et les hypothèses de stationnarité et d’anticipations rationnelles qui en

11

(1) Pour une présentation, voir Snowdon & Vane (2005).(2) Les travaux précurseurs concernant les anticipations rationnelles sont attribués à John Muth (1961), et, pource qui concerne les implications macroéconomiques, à Robert Lucas (1972).(3) Ce que n'hésitent pas à revendiquer les auteurs les plus étrangers aux principales idées exprimées dans laThéorie Générale de Keynes, comme Robert Lucas, de l'« école de Chicago », temple de la NEC. Dans le passagesuivant, où il défend le mainstream contre les critiques formulées par le magazine The Economist (18 juillet2009), R. Lucas se réfère à Keynes et Friedman (dont les vues sur la monnaie sont pourtant aux antipodes l'unede l'autre, comme nous le verrons plus loin) et révèle en passant les liens étroits entre les deux grandesbranches du mainstream en impliquant des auteurs issus de la NEK dans l'héritage : "Both Mr Bernanke andMr Mishkin are in the mainstream of what one critic cited in The Economist’s briefing calls a “Dark Age ofmacro economics”. [...] They have drawn on the ideas and research of Keynes from the 1930s, of Friedman andSchwartz in the 1960s, and of many others. I simply see no connection between the reality of the macroecono-mics that these people represent and the caricature provided by the critics whose views dominated The Econo-mist’s briefing." (R. Lucas, In defence of the dismal science, The Economist, 6 Aug. 2009).

Page 12: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

découlent, leur en fait perdre de vue les traits les plus fondamentaux. De sorte que ces théories peuvent être rattachées pour l’essentiel à la tradition (néo)classique, même si pour la NEK, une formed’interventionnisme peut être justifiée. Comme nous le verrons plus loin, le réalisme de ces hypo-thèses est de plus en plus contesté de nos jours, ce qui explique le regain d’intérêt dont bénéficie lapensée keynésienne authentique, aujourd’hui défendue par le courant « postkeynésien ».

Les explications de la crise issues du courant dominant (mainstream) reposent à la basesur l’idée que, les marchés concurrentiels étant en principe efficients et dotés de facultésd’autorégulation, les dysfonctionnements ne peuvent être causés que par des facteursextérieurs au système s’il est concurrentiel (chocs exogènes temporaires ou permanents),ou par des distorsions à la concurrence (imperfections de marché). Dans la première caté-gorie figurent entre autres les erreurs de politique économique que pointe le courant non-interventionniste (NEC). De telles erreurs sont en fait souvent considérées comme un facteuraggravant, dans la mesure où elles constituent une réponse inadaptée des autorités auchoc qu’elles entendaient neutraliser. La seconde catégorie de facteurs concerne essen-tiellement les entraves à la concurrence, car la libre concurrence est supposée être le vec-teur d’une autorégulation efficiente des marchés. Les mécanismes génériques reposentici sur le pouvoir de négociation de certains agents et/ou sur des problèmes d’informationincomplète ou asymétrique (la détention d’informations privatives permet à certainsagents de se soustraire aux effets de la concurrence et d’en tirer un profit supplémentaire,au détriment d’agents moins bien informés).

La concurrence, vecteur de l’efficience des marchés ?

Il s’agit bien là d’une supposition, même si l’on adopte le cadre théorique de référence du courant depensée dominant élaboré par Arrow et Debreu (1954). Depuis les travaux menés par Sonnenschein,Mantel et Debreu dans les années soixante, (4) il est acquis que la théorie de l’équilibre généralconcurrentiel ne peut prétendre offrir un cadre pertinent pour comprendre le monde réel que si lesfonctions de demande nettes (demande moins offre) vérifient certaines conditions (« substituabilitébrute »). C’est en effet sous ces conditions que le système de marchés concurrentiels, tel que se lereprésente la théorie de l’équilibre général, débouche sur une solution (un équilibre stable). Or lestravaux mentionnés ont établi que les fonctions de demande nettes ne vérifient pas nécessairementles conditions en question. Du point de vue de la théorie de l’équilibre général elle-même, il n’estdonc pas garanti, que dans un système gouverné par les forces concurrentielles les marchés s’orien-tent spontanément vers une solution déterminée, ni par conséquent qu’ils soient efficients.

Ces facteurs génériques ont été mobilisés de manière différenciée pour la compréhensionde la crise. Nous présentons ci-dessous les principales grilles de lecture de la crise qui ontété avancées par le courant de pensée dominant. Leur pertinence est discutée en rapportavec les phénomènes observés et avec les diverses remises en causes dont il a fait l’objet.Les raisons fondamentales pour lesquelles l’appareil conceptuel dominant est incapablede fournir une interprétation satisfaisante de la crise sont mises en avant.

A) La thèse de la surabondance de monnaie (Money glut)

Cette lecture de la crise financière met en cause le laxisme monétaire dont aurait faitpreuve Alan Greenspan (président de la Réserve fédérale américaine jusqu’au 31décembre 2006) (5). En prolongeant jusqu’en 2005 la politique accommodante décidée aulendemain du ralentissement de la croissance du début de la décennie et des attentatsterroristes du 11 septembre 2001, celui-ci aurait nourri la bulle immobilière (cf. encadré).Le déclenchement de la crise s’expliquerait dans ce scénario par la réalisation de certainsrisques liés à l’endettement des ménages, lesquels en effet furent mis en difficulté par le

12

(4) Voir Sonnenschein (1973).(5) Par la responsabilité qu'elle impute à la politique économique, ici à une politique monétaire considéréecomme inadaptée, cette interprétation peut être rattachée à la NEC. Cependant, comme nous le verrons dans lesdeux sections suivantes, la mise en cause de la politique de Greenspan est présente aussi dans les écrits d'auteursissus de la NEK, mais sous la forme cette fois d'une accusation de laxisme prudentiel (encouragement pour lesbanques à faire des prêts à haut risque), lié à une confiance aveugle dans les vertus autorégulatrices des marchés.Les deux courants s'opposent en effet vigoureusement sur la question de l'efficience des marchés. La controversene porte pas cependant sur le fait de savoir si les marchés concurrentiels sont efficients (il y a accord sur cettequestion théorique), mais sur le fait de savoir si dans la réalité, les marchés sont concurrentiels (donc efficients),ce que prétendent les tenants de la NEC, en désaccord avec la NEK.

Page 13: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

resserrement de la politique monétaire enclenché en 2004. Cela devait progressivementrendre la charge du remboursement insupportable pour un nombre croissant deménages qui avaient souscrit des prêts hypothécaires à taux variable, jusqu’au coup desemonce de l’été 2007 et à la déflagration de l’automne 2008.

Taux d’intérêt de la Fed et indice boursier

Jusqu’en 2005, les taux de refinancement de la Fed restent relativement modérés, malgré undébut de durcissement en 2004. Comme on peut le voir ci-dessous, la bourse américaine s’emballependant les périodes où la Fed pratique une politique de refinancement à faibles taux. Le processusrésiste un temps à la montée du taux, même après qu’il ait atteint un plafond voisin de 5 %, cequi témoigne de l’optimisme des marchés.

NB. La délimitation intuitive des périodes de « refinancement facile » doit s’interpréter en termesrelatifs.

13

Page 14: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Cette interprétation repose sur l’idée que les risques de défaut de paiement des ménages(et ceux attachés par voie de « titrisation » à leur diffusion dans le système financier inter-national) auraient été minorés par les institutions financières, au premier rang desquellesfigure la Réserve fédérale américaine, et/ou que le faible coût des refinancements offertspar l’institut d’émission aurait poussé les banques à accepter de financer des opérationsexcessivement risquées. Il ne fait aucun doute que le durcissement de la politique moné-taire américaine ait pu fragiliser un grand nombre de ménages endettés au point dedéstabiliser le système financier dans son ensemble, mais en déduire que Greenspan afait preuve de laxisme est à la fois contestable et trompeur. Le point faible de cette lecturede la crise tient au fait qu’elle suggère que Greenspan aurait dû adopter une politiquemonétaire moins accommodante à un moment où il n’y avait pas encore, en dehors desprix des actifs, de tensions inflationnistes significatives (6). L’augmentation du prix desactifs n’est certes pas sans rapport avec la politique monétaire accommodante, mais pourpouvoir dire qu’une bulle est en formation (c'est-à-dire que les prix des actifs s’élèventau-dessus de leur « valeur fondamentale ») encore faut-il être en mesure de déterminer àpartir de quand le prix des actifs devient excessif. à défaut de quoi, dire que la politiquemonétaire est laxiste parce qu’elle fait monter dangereusement les prix des actifs nerepose sur rien de bien fondé (7) et produit une lecture erronée de la crise et des remèdesqu’il convient d’y apporter.

La vraie nature de la « valeur fondamentale »

Si les banques centrales semblent tenir compte de l’évolution des indices boursiers pour décider de lapolitique à mener (8), et s’il est également vraisemblable qu’elles accorderont dorénavant plus d’atten-tion à ce type d’indicateur, il n’en est pas moins vrai que tout cela reste largement du domaine de l’appréciation subjective, plus que de la connaissance objective. C’est bien là que réside le problème. Ilvient du fait que la valorisation d’un actif par le marché dépend de l’évaluation que font les interve-nants de son rendement à venir, lequel est fortement entaché d’incertitude. à vrai dire, contrairementà ce que le modèle des « marchés complets » laisse supposer (cf. encadré plus loin), le rendement àvenir des actifs ne peut être connu à l’avance. Tout au plus peut-il faire l’objet de prévisions basées surdes distributions de probabilité subjectives et plus ou moins arbitraires, qui reflètent davantage lescroyances des agents qu’une connaissance fiable du futur. C’est ainsi qu’Epstein & Wang (1994) ontpu mettre en évidence la multiplicité des prix d’équilibre dans un système de marchés sujets à l’incer-titude, laissant aux « esprits animaux » mis en avant par J.-M. Keynes le soin de sélectionner unesolution (9). Nous reviendrons sur la portée des concepts keynésiens liés à la prise en compte de l’incertitude au chapitre suivant. Ce qu’il convient de noter à ce stade, c’est que l’idée que l’on puissedéterminer une valeur fondamentale sur des bases objectives est simplement dépourvue de fonde-ment du fait de l’incertitude qui caractérise le futur. De sorte que les autorités monétaires, comme lesopérateurs et autres observateurs, peuvent toujours s’émouvoir de l’augmentation des indices boursiers ; faute de pouvoir déterminer une valeur fondamentale sur des bases objectives, elles nepeuvent au mieux orienter leur politique que d’une manière intuitive ou empirique.

En fait, au stade où en étaient arrivées les choses, il semble que, loin d’avoir fait preuved’un quelconque laxisme, le président de la Fed était en fait confronté à un dilemmeassez classique : laisser s’épanouir la croissance au risque d’avoir pour cela à injecter unequantité de monnaie susceptible d’alimenter l’inflation, ou limiter les risques d’inflationen mettant un frein à la croissance économique. Comme cela a été souligné dans la litté-rature (voir par exemple Asensio 2007, 2011a) la philosophie de Greenspan le portait enfait à retarder le plus possible le durcissement de la politique monétaire pour ne pas

14

(6) Dans un article publié par le Wall Street Journal ("the Federal Reserve didn't cause the housing bubble"),Greenspan (2009) affirme que la Fed avait en fait perdu le contrôle des taux d'intérêts à long terme sur les cré-dits hypothécaires, dont le faible niveau aurait causé la bulle. Il en attribue la cause à une surabondanced'épargne provenant d'Asie, dédouanant de la sorte sa politique monétaire. La thèse de la surabondanced'épargne est examinée plus loin (section B).(7) Sur les questions soulevées par la valeur fondamentale, voir l'ouvrage collectif édité par C. Walter et E. Brian,« Critique de la valeur fondamentale », 2007, Springer.(8) D'après une enquête publiée en 2000 par le CCBS (Center for Central Banking Studies) de la Bank of England,la volatilité des prix des actifs était reconnue comme une variable influençant la politique monétaire dans denombreux pays (Mahadeva & Sterne, 2000, p. 80-81).(9) "(…) uncertainty may lead to equilibria that are indeterminate, that is, there may exist a continuum of equili-bria for given fundamentals. That leaves the determination of a particular equilibrium price process to "animalspirits" and sizable volatility may result" (Epstein & Wang, 1994).

Page 15: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

risquer de casser le processus de croissance (10). Mais ce n’était pas là faire preuve d’unquelconque laxisme, car ce choix résultait de la foi fermement ancrée (Greenspan sembleen être revenu depuis l’avènement de la crise (11)) quant à la capacité des marchés àapprécier les risques et à faire une utilisation efficiente des capitaux.

Marchés complets et couverture des risquesLa théorie économique dominante se représente l’économie comme un système complet de marchés,c’est-à-dire un ensemble de marchés permettant aux agents économiques d’effectuer toutes les tran-sactions qu’ils peuvent souhaiter effectuer. Parmi ces transactions figurent bien entendu les achats etventes de biens et services au comptant, mais aussi les opérations financières et d’assurance. Il estdonc supposé que chacun peut prêter ou emprunter le montant désiré, sur la période désirée, maisaussi qu’il est possible de souscrire des contrats d’assurance couvrant tous les risques envisageables.La rationalité des agents les amène par conséquent à se couvrir de manière optimale contre lesrisques auxquels ils sont exposés, De ce point de vue, les pertes sèches des ménages américains, puiscelles essuyées par les institutions financières à travers le monde entier, résulteraient soit de compor-tements irrationnels, soit d’imperfections concurrentielles dans le système des marchés.

Greenspan pensait ainsi qu’il serait temps, si les tensions inflationnistes venaient à seconfirmer, de procéder au fameux « atterrissage en douceur » (soft landing). Un durcisse-ment graduel de la politique monétaire permettrait le moment venu de refroidir lademande, juste assez pour maîtriser l’inflation des prix à la consommation, c’est-à-diresans compromettre la croissance et l’emploi. La montée des taux produirait alors desdégâts, notamment auprès des ménages endettés à un taux variable, mais cela resteraitun problème limité à une échelle individuelle, sans implications macroéconomiques. (12)

L’alternative était-elle plus reluisante, au point que l’on eut été fondé à remettre en ques-tion le choix de Greenspan ? L’alternative eut consisté à durcir les conditions de finance-ment de l’économie, ralentir la croissance économique et élever par conséquent le tauxde chômage. Or, selon les termes du Federal Reserve Act, la mission de la Fed est de pro-mouvoir dans les faits les objectifs d’emploi maximum, de prix stables et de taux d’intérêtà long terme modérés, (13) et non pas de stabiliser le prix des actifs au détriment de cestrois objectifs. Si la question de la prise en compte du prix des actifs a donné lieu à denombreux débats, d’ailleurs bien avant les événements qui ont secoué la finance mondialeen 2008, la cible des banques centrales en matière d’inflation reste en théorie l’indice desprix à la consommation, l’augmentation des prix des actifs étant quant à elle censée refléterleur valorisation par des marchés supposés efficients, donc capables d’apprécier correcte-ment les risques et d’offrir les instruments de couverture appropriés, ou bien par desmarchés imparfaits mais régulés par des autorités chargées d’en neutraliser les biais.

B) La thèse de la surabondance d’épargne (Saving glut)

Selon une approche développée par l’actuel président de la Réserve fédérale américaine(Bernanke 2005), et à laquelle se sont rallié des personnalités telles que Paul Krugman(2009), A. Greenspan (2009) ou le célèbre chroniqueur du Financial Times, Martin Wolf(2007), la surabondance de dollars aurait en fait été induite par une surabondance

15

(10) Asensio (2007, 2011a) souligne le pragmatisme dont Greenspan a fait preuve par rapport à la banque cen-trale européenne sur la période 1999-2006. Sa réaction aux signes d'inflation est par conséquent plus tardiveparce qu'il considère la possibilité que les capacités de production installées augmentent et finissent par neutra-liser d'éventuelles tensions inflationnistes. Une telle attitude est mieux à même de laisser se développer lacroissance sans porter préjudice au contrôle de l'inflation sur l'ensemble du cycle, du moins dans un contextefinancier sain qui ne prête pas le flanc à un raidissement de la politique monétaire en cas de tensions inflation-nistes persistantes.(11) "It was the failure to properly price such risky assets that precipitated the crisis. In recent decades, a vastrisk management and pricing system has evolved, combining the best insights of mathematicians and financeexperts supported by major advances in computer and communications technology. A Nobel Prize was awardedfor the discovery of the pricing model that underpins much of the advance in derivates markets. This modernrisk management paradigm held sway for decades. The whole intellectual edifice, however, collapsed in thesummer of last year because the data inputted into the risk management models generally covered only thepast two decades, a period of euphoria." Alan Greenspan’s testimony before the House of Representatives Committee on Oversight and Government Reform in Washington, October 23, 2008.(12) Quelques semaines avant la fin de son mandat, Alan Greenspan croyait encore à l'atterrissage en douceur :"A lot of people are going to lose their homes," he said. "It's a family tragedy. It's not an economic – or macroe-conomic – tragedy", cité dans "Greenspan Sees A Soft Landing", Jessica Holzer, Forbes, 10.26.2006.(http://www.forbes.com/2006/10/26/greenspan-housing-economy-face-cx_jh1026autofacescan02.html).(13) "The Federal Reserve sets the nation’s monetary policy to promote the objectives of maximum employment,stable prices, and moderate long-term interest rates." (Federal Reserve System, 2005, p. 15).

Page 16: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

d’épargne au niveau international, ce qui tendrait à dédouaner la politique monétaireaméricaine et à renvoyer la responsabilité sur le contexte international (14). La crise seraiten effet le résultat d’un endettement international intenable par lequel les ménages amé-ricains auraient vécu un temps au-dessus de leurs moyens, jusqu’à ce que l’heure descomptes arrive. Cet endettement étant la contrepartie comptable d’une épargne abondanteet bon marché affluant d’Asie (Chine et Japon notamment) et des pays producteurs depétrole, la crise est mise au compte de la facilité avec laquelle les ménages américainspouvaient obtenir des financements à taux attractifs pour acheter des biens immobiliers,grâce au recyclage de l’épargne internationale (15).

L’une des caractéristiques de la période qui précède la crise est en effet le niveau relative-ment bas des taux d’intérêt réels, qui a amené les banques à proposer des crédits immo-biliers à des ménages dont la capacité de remboursement eut été insuffisante à des tauxplus élevés (16).

Cependant, pour préserver le rendement des crédits immobiliers contre les effets négatifsd’une éventuelle hausse des taux d’intérêt, les banques ont proposé des crédits à tauxvariable, indexés sur les taux du marché (17). De sorte qu’il était prévu que les intérêtspayés par les souscripteurs de tels emprunts ne resteraient pas à leur très faible niveauinitial, mais augmenteraient en rapport avec l’évolution des taux des nouveaux prêts lecas échéant. Quant au risque que certains ménages se trouvent en situation de défaut depaiement, cela n’inquiétait pas outre mesure, car les biens immobiliers étaient hypothé-qués et leur valeur augmentait régulièrement sous la pression de la demande de maisonsque les prêts bancaires alimentaient eux-mêmes. De cette manière, plus les opérationsdevenaient risquées, plus la couverture du risque paraissait satisfaisante (cf. infra, Les

16

(14) Cette thèse est à rapprocher de la tendance NEK, dans la mesure où elle réhabilite la politique économique etmet l'accent sur des déséquilibres que les marchés mettraient du temps à résorber spontanément, ce qui justifiepar ailleurs l'argumentaire en faveur de politiques d'accompagnement (cf. infra).(15) Bernanke (2005) explique la concentration aux États-Unis de l'épargne internationale par plusieurs facteurs,comme l'attrait pour les hauts rendements dans la haute technologie américaine, l'attrait pour les placementsen dollars liés à la reconnaissance de la monnaie américaine comme devise de référence et la profondeur etsophistication des marchés financiers américains.(16) Les taux d'intérêt réels peuvent être obtenus, de manière approximative, en retranchant des taux d'intérêtnominaux du graphique, le taux autour duquel gravitait l'inflation depuis une quinzaine d'années (de l'ordre de2,5 % à 3 %), lequel peut raisonnablement être considéré comme le taux d'inflation annuel anticipé pendant lapériode précédant la crise.(17) Aux États-Unis, « On constate ainsi une très forte augmentation de la part des emprunts à taux variables audétriment des emprunts à taux fixe : les premiers passent de 1 à 13 % et les derniers de 41 à 26 %. Le reste estcomposé de prêts hybrides (à taux fixe les premières années, puis à taux variable) et de prêts « ballons » quiprévoient le remboursement d’une partie importante du capital à la dernière période. » (Artus & alii, 2008).

Page 17: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Échos, 8/06/2006, sur l’appréciation de la situation par l’une des fameuses agences denotation). (18)

17

(18) Contrairement à ce qu'avançait Greenspan (2009), la relative résistance des taux longs des crédits hypothé-caires pourrait donc fort bien provenir de l'intéressement des banques à vendre du crédit hypothécaire, et nonpas de la surabondance d'épargne provenant d'Asie. Cette thèse trouve toute sa cohérence dans le cadre de lathéorie de Keynes : alors que les approches mainstream (NEC ou NEK) expliquent les taux d'intérêt à long termepar la confrontation des désirs d'épargne et d'investissement, la théorie de Keynes met en avant les choix spé-culatifs dans la détermination des taux d'intérêt.

Page 18: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Si cette interprétation apporte une explication de la formation des « déséquilibres » desbalances courantes américaine et chinoise (cf. encadré), elle ne fournit pas d’explicationconvaincante des raisons pour lesquelles ces déséquilibres comptables étaient économi-quement insoutenables. De nombreux observateurs, y compris parmi les auteurs issus ducourant de pensée dominant s’étaient, il est vrai, émus de l’accroissement des prix dansl’immobilier américain, ainsi que du « déséquilibre » de la balance courante américaine,mais, comme nous l’avons vu précédemment, cette inquiétude ne pouvait être fondéeque sur une appréciation subjective, pas sur une connaissance objective de la valeur fon-damentale des biens immobiliers, donc de l’endettement qui aurait été soutenable pourles ménages américains et du déficit courant correspondant... De sorte qu’à l’instar de lathèse de la surabondance de monnaie, la thèse de la surabondance d’épargne ne permet-tait pas de diagnostiquer des déséquilibres (économiquement intenables) sur une baseobjective.

Balance commerciale et endettement international :Les États-Unis vivent-ils au-dessus de leurs moyens ?

La balance des paiements recense la valeur monétaire de toutes les opérations économiquesinternationales survenues entre un pays et ses partenaires sur une période donnée. Du fait quetous les flux économiques internationaux (importations et exportations) donnent lieu à un paie-ment monétaire équivalent à leur propre valeur monétaire, qu’il s’agisse de flux d’actifs ou debiens et services marchands, la balance des paiements présente par construction un solde égal àzéro. On peut voir sur la figure ci-dessous qu’il en est ainsi même si les importations totales diffèrent des exportations totales :

Figure n° 1

Lorsque les paiements monétaires reçus dépassent les paiements versés au reste du monde, lepays enregistre une variation de sa position monétaire extérieure (!PME > 0). C’est le cas d’unpays ayant une balance globale excédentaire (BG > 0), c’est-à-dire dont les exportations totalesde biens, services et actifs non monétaires dépassent les importations totales :

BG = !PME

Les exportations et les importations (hors monnaies et devises) pouvant être ventilées pour sim-plifier dans les deux grandes catégories que sont les opérations courantes (dont le solde est labalance courante, BC) et les opérations financières (dont le solde est la balance des capitaux,BK), il vient :

BC + BK = !PME

Comme il existe des mécanismes d’ajustement qui tendent à rétablir l’équilibre de la balanceglobale en cas de déséquilibre (cf. annexe 1), il s’avère que !PME peut difficilement s’écarterdurablement de zéro. Par conséquent, si un pays connaît des entrées nettes de capitaux sur unepériode donnée (BK > 0), c’est que sur la même période il a dû connaître un déficit de la balancecourante (BC < 0), ce qui dans le cas des États-Unis a pris la forme d’un déficit commercial croissant à mesure que les flux nets de capitaux entrants augmentaient (voir cependant laremarque c) en annexe 1).

18

Flux de biens &services et d’actifsnon monétaires

Flux de biens &services et d’actifsnon monétaires

Flux monétairesentrants (paiement des exportations)

Flux monétairessortants (paiement des importations

EXPORTATIONS IMPORTATIONS

Page 19: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Figure n° 2

Dans le cas des États-Unis, la balance commerciale ("goods and services", en trait discontinu)représente, sur l’ensemble de la période, l’essentiel du déficit de la balance courante, ici appro-chée par la balance des biens et services et des revenus financiers ("goods, services, and inc." entrait plein). C’est donc bien le commerce international qui est la contrepartie principale de l’endettement net des États-Unis vis-à-vis du reste du monde.Les entrées récurrentes de capitaux asiatiques et du Moyen-Orient ont permis aux ménagesaméricains d’accéder à du crédit bancaire facile et bon marché, de sorte que les dépenses desménages américains ont pu dépasser ce que pouvait produire l’économie nationale grâce auximportations. Comme l’indique l’identité des emplois et des ressources en biens et services :

Y + M = DI + X ! DI – Y = M – X

Y : PIB, D : Demande intérieure (privée et publique), M : Importations, X : ExportationsD’où il ressort que tout excès de la demande intérieure sur le PIB (DI – Y > 0) est identiquementégal au déficit commercial (M – X). C’est ainsi que l’augmentation de l’endettement internationaldes États-Unis s’est accompagné dans le même temps d’un creusement du déficit de la balancecommerciale et d’une augmentation de la demande intérieure au-dessus de la croissance du PIB(figure 3). D’une certaine manière, les États-Unis ont emprunté à l’étranger pour pouvoir y acheteret ainsi dépenser davantage qu’ils ne pouvaient produire.

19

Page 20: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Figure n° 3

Pour les tenants de la thèse du "saving glut", l’explication de la crise se résume dès lors,comme chaque fois qu’un phénomène de bulle est diagnostiqué par des auteurs issus ducourant de pensée dominant, à une croyance selon laquelle il faut bien que la bulle éclatetôt ou tard (faute de quoi ces auteurs devraient renoncer à l’idée d’un « équilibre naturelou fondamental », et à la théorie dont ils s’inspirent). (19) La croyance en un « équilibrenaturel » étant un acte de foi, il est somme toute logique que la croyance dans l’ajuste-ment vers l’« équilibre naturel » relève aussi d’un acte de foi.

La crise aurait donc de ce point de vue la nature d’un ajustement de déséquilibres inter-nationaux temporaires, causés par un choc exogène (l’apparition d’une surabondanced’épargne), et que les gouvernements et les cercles académiques appelaient de leursvœux depuis le milieu des années 2000. (20) Les scénarios d’ajustement envisagés alorsreposaient principalement, en ce qui concerne les États-Unis, sur une augmentation de lapropension globale à épargner (réduction de la propension à consommer des ménages etdu déficit public) et, en ce qui concerne le côté asiatique, sur une forte appréciation duyuan vis-à-vis du dollar, visant à réorienter la production vers le marché intérieur, lequeldevait être par ailleurs dynamisé par une hausse du taux d’investissement et de la pro-pension globale à consommer. Or, près de trois ans après le début de la crise financière (4 ans si l’on date le début du processus de correction du « déséquilibre » à la premièreétape de la crise des subprimes de l’été 2007), même si, en effet, les ménages américainsont été contraints de réduire leur train de vie et même si les tensions inflationnistes enChine ont en effet amené les autorités à consentir à une appréciation du Yuan, le déficit

20

(19) Comme le montre l'article de Krugman (2009) : "For a while, the inrush of capital created the illusion of wealthin these countries, just as it did for American homeowners: asset prices were rising, currencies were strong, andeverything looked fine. But bubbles always burst sooner or later, and yesterday’s miracle economies have becometoday’s basket cases".(20) Voir notamment Blanchard & alii (2005), FMI (2005), Gourinchas & Rey (2007), Obstfeld & Rogoff (2005),Williamson (2005).

Page 21: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

public et le ratio de dette des États-Unis a fortement augmenté (et ces derniers continuentd’ailleurs à demander à la Chine de ne pas faire obstacle à l’appréciation du Yuan) (21).Loin d’avoir apuré la situation, la crise semble donc avoir déplacé le problème en dégra-dant fortement les finances publiques américaines et celles de la plupart des pays impliquésdans la tourmente. Ce qui contrarie la thèse selon laquelle il s’agirait d’une correctionspontanée de déséquilibres temporaires.

Au final, la thèse de l’abondance d’épargne peut difficilement prétendre offrir une lecturepertinente de la crise, non seulement parce que la crise ne ressemble pas à un mécanismed’ajustement qui orienterait les économies vers une position d’« équilibre naturel » dontelles auraient malencontreusement été détournées, mais aussi et surtout parce qu’elle

21

(21) "That continued rapid pace of foreign reserve accumulation in China; the broadly unchanged level of Chi-na’s real effective exchange rate, especially given rapid productivity growth in the traded goods sector; and the projected widening of current account surpluses, all indicate that the real effective exchange rate of the renmin-bi remains substantially undervalued. It is in China’s interest to allow the nominal exchange rate to appreciatemore rapidly, both against the dollar and against the currencies of its other major trading partners". (U.S.department of Treasury, 2011, p. 3).

Page 22: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

repose, elle aussi, sur l’idée que le prix des actifs s’était trop écarté de leur prétenduevaleur fondamentale, alors qu’il est impossible d’en fournir une évaluation objective et dedéterminer, à partir de là, le moment où l’écart serait devenu insoutenable. La crise dansces approches, comme le choc qui en est à l’origine (qu’il s’agisse d’une erreur de poli-tique économique ou d’un changement structurel impliquant les comportementsd’épargne), est au bout du compte un phénomène exogène : « il faut bien que la bulleéclate un jour ».

C) Déficiences de marchés

Bien que les lectures de la crise financière présentées ci-dessus aient cherché à localiserles causes de la crise au niveau de facteurs extérieurs aux marchés (laxisme des autoritésmonétaires, surabondance d’épargne internationale), l’argumentation déployée ne pouvait évidemment éluder la question centrale de l’évaluation des risques par les opéra-teurs. Pour des auteurs comme Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, le problèmerésulte de l’asymétrie d’information et du manque de transparence dont bénéficient certains opérateurs sur les marchés financiers. (22) L’incapacité du système financier àprendre la mesure des risques pourrait ainsi recevoir une explication dans le cadre mêmedes hypothèses fondamentales de la théorie dominante, sous la forme d’une distorsionde concurrence.

« La seule surprise de la crise économique de 2008, c’est qu’elle ait tant surpris. Pour quelques observa-teurs, c’était un cas d’école tout à fait prévisible, et d’ailleurs prédit. Un marché déréglementé, saturé deliquidité et de taux d’intérêt faibles ; une bulle planétaire de l’immobilier ; une hausse astronomique duprêt à risque ; le mélange était explosif. Ajoutons les deux déficits des États-Unis, le budgétaire et lecommercial, et l’accumulation correspondante de gigantesques réserves de dollars en Chine – uneéconomie mondiale déséquilibrée –, et il était clair que tout avait affreusement déraillé. » (Stiglitz2010, Le triomphe de la cupidité, p. 35).

On reconnaîtra, dans la citation ci-dessus, les phénomènes mis en avant par les tenantsdes thèses de la surabondance de monnaie (surévaluation des actifs) et d’épargne (désé-quilibres internationaux), mais la thèse de Stiglitz est que la crise n’aurait pu survenirsans les trois ingrédients qu’il place de ce fait au cœur de l’explication de sa survenue : « un mauvais système de gouvernance d’entreprise, une mise en œuvre inadéquate deslois sur la concurrence et une compréhension insuffisante du risque (Stiglitz 2010, Letriomphe de la cupidité, p. 52). Sans de tels ingrédients, les dysfonctionnements révéléspar la crise n’auraient pu se produire d’après Stiglitz.

Selon cette approche, l’interaction des ingrédients en question produit des « incitationsperverses ». Actualisant la thèse de Berle et Means (1932) sur la séparation entre lecontrôle des entreprises et la propriété de ces dernières, Stiglitz utilise les outils de lathéorie moderne de l’agence (Jensen & Meckling, 1976) pour mettre en évidence cer-taines distorsions qui peuvent résulter du fait que les managers sont en position de maxi-miser leurs propres gains, aux dépens des intérêts des propriétaires, trop nombreux pourpouvoir infléchir suffisamment les choix des managers. Sous la pression conjuguée desanalystes financiers (en quête de rendements à court terme) et de leur propre intérêt, lesmanagers feraient des choix orientés vers l’augmentation immédiate du cours desactions, sans trop se préoccuper de la viabilité et de la rentabilité à long terme de ceschoix. Un autre problème d’agence est mis en évidence dans la divergence d’intérêt entreles investisseurs institutionnels et les épargnants dont ils placent les avoirs, le ‘‘court-ter-misme’’ des premiers pouvant ici s’opposer aux intérêts des épargnants dans la longuepériode. L’intéressement des managers au rendement immédiat aurait ainsi poussé audéveloppement de la titrisation des prêts bancaires et des produits structurés (combinaisonde titres de différents types en ‘‘packages’’), qui brisent le lien entre le prêteur et l’emprun-teur et n’augmentent en fait le rapport rendement/risque inhérent à toute opération finan-cière qu’en apparence, notamment aux yeux des agents mal informés qui les achètent(même quand ce sont des professionnels, cf. encadré). C’est ainsi qu’auraient pu se propa-ger les produits financiers « innovants », dont les fameux CDO, CDO2, CLO, CBO, ... ainsique les produits d’assurance des risques liés aux opérations financières, comme les CDS.

22

(22) Pour un exposé académique sur ce point, voir Greenwald & Stiglitz (2005).

Page 23: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

L’opacité des produits structurés

La sophistication des modèles financiers d’évaluation des risques et des prix d’actifs a rendu l’évalua-tion objective des risques théoriques inhérents à certains produits mis sur le marché extrêmementcomplexe, sinon impossible (23). Les agences de notations et les autorités financières ont pu de ce faitêtre dans l’incapacité d’apprécier correctement les caractéristiques de certains produits élaborés etdes institutions financières qui les détenaient. Si l’on ajoute à cela le problème du possible conflitd’intérêt entre les agences de notation et les institutions financières qu’elles évaluaient, on comprendque les gardes-fous n’aient pas fonctionné et que de bonnes notes aient pu être attribuées à des produits/institutions en fait très risqués.

Le danger de ces produits provient de ce qu’ils dissimulent les risques pour élever le rapportrendement/risque apparent. Par conséquent, ceux qui en tirent de meilleurs rendementsn’assument pas l’intégralité du risque encouru, ni le coût de l’assurance qu’ils devraientpayer, d’où l’incitation perverse. La perversion tient à ce que ce sont les acheteurs malinformés qui supportent des risques non assurés sans le savoir, de sorte que leur éven-tuelle réalisation est intégralement à la charge de ces derniers. Ces externalités sont lecanal par lequel l’imprudence de chacun s’est finalement retournée contre tous ceux quidétenaient des produits douteux (sans le savoir puisque, pour l’essentiel, ils ne lesavaient pas émis) (24). Elles sont identifiées dans la littérature théorique comme un fac-teur justifiant l’intervention publique même si les marchés sont concurrentiels.

« Quand il y a d’importants problèmes d’agence et d’externalités, les marchés ne parviennent généra-lement pas à des résultats efficaces [...]. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut réglementer lesmarchés financiers. Les autorités de réglementation étaient la dernière ligne de défense contre lescomportements à haut risque des banques ou leurs agissements peu scrupuleux, mais après desannées d’efforts de lobbysme ciblé de la part du secteur bancaire, l’État avait démantelé les disposi-tions existantes sans en adopter de nouvelles pour répondre à l’évolution du paysage financier. On anommé à la tête de ces autorités des dirigeants qui ne voyaient pas pourquoi la réglementation étaitnécessaire et, la jugeaient donc superflue. L’abrogation en 1999 du Glass-Steagall Act, qui avait imposé la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires a créé des banques toujours plusgigantesques, trop grandes pour qu’on les laisse faire faillite. La conscience d’être trop grandes pourfaire faillite les a incitées à prendre des risques. » (Stiglitz 2010, Le triomphe de la cupidité, p. 56)

Par rapport aux interprétations précédentes, la thèse de Stiglitz présente l’intérêt demettre en avant des facteurs endogènes (inhérents au fonctionnement des marchés finan-ciers) dans l’explication de la crise. Elle met ainsi en cause les pratiques des opérateursfinanciers et propose des analyses éclairantes des biais que peuvent produire l’asymétried’information et les externalités sur les marchés financiers. Mais dans le scénario quepropose Stiglitz, les biais en question ne débouchent sur une crise que parce qu’il estsupposé que certains opérateurs préfèrent acheter des produits opaques plutôt que setourner vers d’autres produits. Une telle hypothèse est difficile à justifier, même si l’onavance que les agences de notation étaient dans l’incapacité d’évaluer correctement lesrisques de certains produits très sophistiqués, car rien ne les forçait le cas échéant à donner une bonne note au produit en question. Et quand bien même elles l’auraient faitpour des raisons tenant à un éventuel conflit d’intérêt, il faudrait encore supposer que niles acquéreurs eux-mêmes (pourtant souvent des institutions parfaitement armées), ni lesautorités de régulation n’avaient conscience de l’asymétrie d’information et du caractèrepotentiellement vicié de certains produits. En outre, la thèse de Stigltiz se heurte auxmêmes difficultés sur le fond que les thèses de la surabondance de monnaie et d’épargne :elle repose sur l’idée qu’à cause de pratiques douteuses permises par l’asymétrie de l’infor-mation entre les opérateurs et par des autorités complaisantes, le prix des actifs s’étaittrop écarté d’une prétendue valeur fondamentale sans que les agents le sachent. Mais lavérité, sans que cela remette en cause l’idée que certains opérateurs exploitent une asymé-trie d’information à leur avantage, que les agences de notation aient été en situation deconflit d’intérêt et que les autorités aient pu faire preuve de négligence coupable..., c’est

23

(23) Il s'agit ici des risques théoriques attachés à des produits conçus à l'aide de modèles mathématiques plusou moins sophistiqués, et non pas du risque réel que comportent ces produits une fois qu'ils ont été mis sur lesmarchés, lequel n'est pas quantifiable selon des critères objectifs.(24) L'une des mesures des nouvelles réglementations qui se mettent en place vise à obliger les émetteurs àconserver une proportion significative des produits émis.

Page 24: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

qu’il est en fait impossible de fournir une évaluation objective du risque et d’en déduireun critère objectif d’insoutenabilité dont les opérateurs, agences de notation et les autori-tés auraient pu avoir connaissance.

II. L’APPORT DU COURANT POSTKEYNÉSIEN À LA COMPRÉHENSION DE LA CRISE

A) Incertitude et possibilité de la crise

La possibilité de la crise devient évidente si l’on admet l’incertitude fondamentale ; nulbesoin de faire des hypothèses contestables sur la rationalité des acteurs. La principaledifficulté avec laquelle doivent composer les différents acteurs du système financier estl’impossibilité d’une connaissance objective du prix des actifs, c’est-à-dire des revenusfuturs que ces actifs sont susceptibles de produire, et l’impossibilité qui en découle decouvrir complètement les risques. Le calcul probabiliste n’est ici que d’un faible secours,car les probabilités sont dérivées de « lois statistiques » changeantes, qui ne peuventqu’exprimer les propriétés que telle ou telle série de données a eu dans le passé. De là àprétendre que ces « lois » prévaudront à l’avenir il y a un gouffre que le courant de pensée dominant à toujours mésestimé, convaincu de l’existence d’un « ordre naturel »,mais dont Keynes a su tirer les conséquences pour l’élaboration d’une macroéconomieradicalement nouvelle (25). Lorsqu’il publia sa Théorie Générale de l’intérêt, de l’emploiet de la monnaie, Keynes avait publié un traité de probabilités et avait une profondeconnaissance des questions financières, que les fonctions qu’il avait exercées de longuedate auprès du Trésor britannique lui avait permis d’acquérir. Et c’est sur le thème de l’absence d’ancrage objectif pour les prévisions des agents économiques qu’il entendaitse démarquer de la tradition :

"Or, perhaps, we might make our line of division between the theory of stationary equili-brium and the theory of shifting equilibrium-meaning by the latter the theory of a system inwhich changing views about the future are capable of influencing the present situation. [...](Keynes 1936, p. 293)

En l’absence d’un ancrage objectif pour les anticipations, les décisions des agents ne peu-vent qu’être prises en fonction de l’appréciation subjective de ce que pourrait être le futur.Cela implique deux niveaux de délibération préalable : i) quelles éventualités retenir etquelles chances/probabilités de réalisation leur attribuer ? ii) cette évaluation n’étant pasfondée sur une connaissance objective, est-elle fiable et à quelle hauteur ? La prise encompte de ces questionnements constitue l’innovation méthodologique majeure deKeynes. Elle implique entre autre que le fonctionnement du système économique dépenddes « vues concernant l’avenir », c’est-à-dire non seulement des prévisions subjectivesque peuvent faire les agents, mais aussi de la confiance qu’ils placent dans leurs prévi-sions, de leur plus ou moins grand optimisme/pessimisme (26).

L’incertitude réhabilitée

L’incertitude selon le mainstream, un concept dénaturé. L’économie dominante s’est construitedepuis le XVIIIe siècle sur le postulat selon lequel le système économique obéirait à un « ordrenaturel ». Sur un plan théorique, on trouve la trace de cette croyance dans les concepts centrauxde « taux de chômage naturel », « taux d’intérêt naturel », « taux de change d’équilibre fonda-mental »... La traduction de cette croyance en économétrie appliquée se trouve dans la recherchedu « processus générateur des données » (data generating process), qui postule que les sériessuivent des lois statistiques plus ou moins stables. Ainsi, le modèle standard du mainstream (27)est fondé sur l’hypothèse que les agents font des choix maximisant leur espérance d’utilité, c’est-à-dire la satisfaction qu’ils peuvent espérer en retirer à présent et dans le futur, compte tenu desprobabilités qu’exhibent les séries statistiques (sur la base desquelles ils font leurs prévisions).Dans ce cadre conceptuel, l’incertitude est un épiphénomène, un « bruit blanc » autour d’une

24

(25) Les spécialistes qualifient de non-ergodique un système dynamique dont le passé ne contient pas toute l'information permettant de prévoir le devenir du système.(26) "The state of long-term expectations, upon which our decisions are based, does not solely depend, therefore,on the most probable forecast we can make. It also depend on the confidence with which we make this forecast,on how highly we rate the likelihood of our best forecast turning out quite wrong" (Keynes, 1936, p. 148).(27) 'Dynamic stochastic general equilibrium model'. Voir Benassy (2007) pour une version stylisée.

Page 25: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

trajectoire prévisible. Les théoriciens de la décision qualifient ce type de contexte de risk, pourmarquer la différence avec l’incertitude (uncertainty).Réhabilitation empirique de l’incertitude. Mais l’économétrie, qui a longtemps été un instrumentde domination du mainstream, est en train de se retourner contre lui. Il est en effet de plus en plus manifeste que les séries temporelles ne vérifient pas les présupposés sur lesquels estfondée l’économie dominante. C’est ce qu’atteste le développement rapide de la littérature surles coefficients variables, les changements de régime et autres changements structurels, dont lesconséquences méthodologiques sont très lourdes, notamment pour ce qui a trait à la capacitéprédictive des agents (Hendry, 2002, Kurmann, 2005, Hinich, Foster & Wild 2006). C’est ainsi que,selon le lauréat du prix Nobel 2006 : “… if an economy possesses dynamism, so that fresh uncer-tainties incessantly flow from its innovative activities and its structure is ever changing, theconcept of rational-expectations equilibrium does not apply and a model of such an economythat imposes this concept cannot represent at all well the mechanism of such an economy’s fluc-tuation.” (Edmund Phelps 2007)Réhabilitation théorique de l’incertitude. De plus en plus de théoriciens admettent par consé-quent une définition large de l’incertitude, de sorte que l’apprentissage et les anticipations adap-tatives ne sont plus considérés comme irrationnels dans les travaux économiques récents (Sargent, 1999, Farmer, 2002, Evans & Ramey, 2006, Preston, 2006, Hansen, 2007). Les modèlesissus de l’économie expérimentale confirment ainsi le sentiment de E. Phelps : “when the envi-ronment changes continually, including the behavior of other investors, the learning processmay never reach a stationary point” (Sunder, 2007). Il existe également des modèles dynamiquesbasés sur la « théorie de l’équilibre à croyances rationnelles » (Rational Beliefs Equilibrium theory ; voir Kurz 1994, Kurz & Motolese 2001, Wu & Guo, 2003), une théorie des systèmes économiques non stationnaires (donc non ergodiques (28)), où les anticipations des agents chan-gent en fonction de leurs croyances (rationnelles), c’est-à-dire en fonction des probabilités subjec-tives sur la base desquelles ils élaborent leur théorie concernant le fonctionnement du système,lesquelles évoluent elles-mêmes avec le système (voir également Frydman & Goldberg 2008).Cette approche, qui emprunte aux travaux de Savage (1954) concernant le rôle des probabilitéssubjectives dans la décision face à l’incertain, améliore incontestablement la prise en compte del’incertitude, mais elle continue de supposer que les agents se fient à leurs prévisions en dépit dufait qu’elles sont susceptibles de changer dans le futur. Cette hypothèse n’est pas des plus heu-reuses, car comme l’avait signalé Knight en 1921, le degré de confiance est un concept clé desdécisions économiques en situation d’incertitude. Ce point est formellement attesté dans la théoriemoderne de la décision (voir par exemple Chateauneuf, Eichberger & Grant, 2007). D’après lesmodèles proposés par Nishimura & Ozaki (2004, 2007) il est rationnel de chercher à réduire l’incertitude lorsqu’elle devient plus grande, par exemple en acceptant un travail dès à présentafin d’éviter d’avoir à poursuivre la recherche d’un emploi incertain (c’est-à-dire, en préférant unmontant de monnaie certain aujourd’hui, plutôt qu’un montant incertain dans le futur), ou enretardant un projet d’investissement dans le cas d’un entrepreneur. Ces arguments rappellentclairement ceux de Keynes sur la préférence pour la liquidité et l’incitation à investir. Dans lamême veine, Gomes (2007) a établi que “an uncertainty averse agent saves more than a riskaversion agent and this gap increases with the degree of uncertainty aversion”.En réfutant la définition restrictive de l’incertitude opérée par l’économie dominante, Keynes arévolutionné la théorie économique de la décision, lui fournissant de nouveaux concepts tels quela préférence pour la liquidité, l’efficacité marginale du capital, les « esprits animaux », la propen-sion marginale à consommer, les conventions, l’état de la confiance... La conséquence spectacu-laire de ces innovations fut une profonde modification de la compréhension du fonctionnementdes systèmes de marchés concurrentiels : non neutralité de la monnaie (y compris à long terme),rôle moteur de la demande effective, effets potentiellement déstabilisants de la concurrence etimpuissance des forces concurrentielles à éliminer le sous-emploi (29), propriétés dont le pouvoir explicatif sera illustré au chapitre suivant dans le cadre de l’étude des conséquences àvenir de la crise financière.

C’est bien d’un grand optimisme quant à la capacité des prix des actifs à prolonger lestendances antérieures que vient l’euphorie des marchés à la veille du krach. Quant à lasurvenue du krach lui-même, elle relève de l’imprévisibilité du système ; concrètement,de l’impossibilité de connaître à l’avance – au grand dam de ceux qui prétendent avoirprévu la crise – le moment où les opérateurs deviennent pessimistes parce qu’il est deplus en plus douteux que les prix de certains actifs puissent tenir les promesses de rende-

25

(28) La non stationnarité est une condition suffisante pour la non ergodicité, bien qu'elle ne soit pas une condi-tion nécessaire (ce qui implique qu'un système stationnaire peut ne pas être ergodique).(29) Les tentatives de formalisation dérivées du modèle IS/LM ont eu des conséquences désastreuses pour ladiffusion des idées de Keynes du fait des simplifications grossières qu'elles véhiculaient. Ces simplificationsrevenaient à nier toute importance à l'incertitude fondamentale, c'est-à-dire à renier l'innovation essentielle dela Théorie Générale. Parmi les essais fidèles à la pensée de Keynes, signalons les livres de V. Chick (1983) et deT. Palley (1996) (voir également Asensio 2008a, Asensio, Charles, Lang 2010, ainsi que le modèle pédagogiqueproposé par Fontana et Setterfield, 2009).

Page 26: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

ment dont ils tirent leur valorisation actuelle, et que cette perspective impacte les prévisionsconcernant le rendement de produits dérivés/structurés, la viabilité de telle institution...

« Je n’étais sûrement pas le seul à m’attendre à un krach de l’économie américaine auxconséquences planétaires. L’économiste de l’université de New York Nouriel Roubini, le financier Georges Soros, Stephen Roach de Morgan Stanley, l’expert en immobilier del’université Yale Robert Shiller et l’ancien membre de l’équipe du comité des Conseillers économiques/Conseil économique national de Clinton Robert Wescott ont tous émis desavertissements répétés. Tous étaient des économistes keynésiens qui ne croyaient pas lesmarchés capables de s’autocorriger ». (Stigltiz, Le triomphe de la cupidité, 2010, p. 60-61).

Il n’était pas difficile pour les gens sceptiques quant à l’efficience des marchés de s’inquiéter des tendances des marchés immobiliers, des déséquilibres des balances courantes, des profits des banques et des performances de Wall Street... et de conclure,sans qu’il soit cependant possible d’en apporter la preuve, au caractère insoutenable dusystème. Mais il était en revanche impossible de savoir si et quand ces tendances débou-cheraient sur une crise systémique, ou sur une crise localisée, et/ou sur une prise deconscience et un retour à des pratiques plus prudentes... Dans le monde réel, il est tou-jours aisé a posteriori d’expliquer des événements non prévus et d’en déduire qu’ilsétaient prévisibles, voire que certains les avaient prévus, mais la réalité, c’est que l’avenirn’est jamais écrit à l’avance, car il dépend de ce que font les sociétés sur la base de lamanière dont elles se représentent les futures possibles. Dans le monde réel, à la diffé-rence des mondes artificiels qu’affectionnent souvent les modélisateurs du courant domi-nant, ce que les observateurs et prévisionnistes sont fondés à dire sur le futur ne sont quedes prédictions conditionnelles (sous réserve bien sûr qu’ils aient une théorie) : si on nemodifie pas telle ou telle pratique, tel événement/catastrophe peut se produire.

Ce que Stiglitz et les auteurs qu’il cite ont identifié, ce sont des phénomènes dont l’extra-polation pouvait paraître insoutenable, sans qu’il y ait de critère objectif pour l’affirmer.Ils n’ont en fait nullement formulé une théorie cohérente des rouages par lesquels la crisesurviendrait, et moins encore une prévision rationnelle du moment où elle surviendrait.Or, en l’absence de tels éléments, les « avertissements répétés » qu’évoque le prix Nobeld’économie relèvent de l’intuition, d’un sentiment subjectif, donc sans valeur de preuve. Ilest aisé d’élaborer un scénario de crise en enchaînant quelques idées si l’on ne s’attardepas à en vérifier la consistance et la compatibilité avec tel ou tel cadre théorique, maiscela risque fort d’induire une mauvaise compréhension des phénomènes observés, dontla cohérence laisse à désirer, et qui soulève en fait plus de problèmes qu’elle n’en résout.

B) Le désarroi des marchés concurrentiels

Les « nouveaux keynésiens » ont beau mettre en avant que leurs travaux permettent dedouter de la capacité des marchés à s’« autocorriger », cela ne saurait constituer uneexplication de la survenue de la crise, seulement une explication de l’inefficience desmarchés du point de vue de la théorie de l’allocation des ressources. Mettre en doute l’efficience des marchés ne signifie pas que l’on doute de leur capacité à s’autoréguler,c’est-à-dire à toujours s’orienter spontanément vers une position d’équilibre, fut elle sousoptimale. Pour ce qui est en revanche de l’explication de la crise comme résultat d’unprocessus instable, on ne peut que constater la confiance affichée envers un rétablisse-ment à terme du plein emploi, même s’il est admis que des difficultés sont susceptiblesde retarder le processus. (30)

Or ce que la crise est venue violemment rappeler aux tenants de ces « nouvelles macro -économies », c’est non seulement que les marchés peuvent fonctionner d’une manièresous optimale (ce que seuls les « nouveaux classiques » les plus invétérés refusent encored’envisager), mais aussi leur instabilité potentielle. Le problème est cependant qu’au fildu temps, une écrasante majorité d’économistes en sont venus à méconnaître l’œuvreauthentique de Keynes, et se privent ainsi de la possibilité d’offrir une explication cohé-rente de la survenue d’une grave crise dans un contexte de libéralisation et de dérègle-

26

(30) « À l'heure où ce livre va sous presse, les perspectives d'un retour de l'économie à son niveau de produc-tion potentiel, même dans un an ou deux, sont faibles. Si l'on regarde les fondamentaux économiques, et nonles scénarios délibérément rose, on a l'impression que le taux de chômage mettra longtemps à revenir à la nor-male. Le fond touché, le rebond ne ramènera pas l'économie là où elle devrait être : la courbe va probablements'aplanir dans une stagnation à la japonaise avant le rétablissement du plein emploi. » (Stiglitz 2010, Le triomphe de la cupidité, p. 110).

Page 27: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

mentation. Keynes en effet a élaboré une théorie dans laquelle, en raison des effets délétères liés à l’incertitude fondamentale (lesquels irradient le système économique pré-cisément à partir des décisions financières), les mécanismes concurrentiels peuvent nonseulement échouer à instaurer un ordre efficient, mais peuvent aussi engendrer de l’insta-bilité (c’est sur ces bases que H. Minsky, comme nous le verrons plus loin, a pu développerses idées sur l’instabilité financière).

Je souligne concurrentiels parce qu’il est aisé de produire des dysfonctionnements dansun système de marchés en introduisant des imperfections concurrentielles, comme l’ontabondamment illustré les « nouveaux keynésiens ». Mais ce n’est pas de cela dont ils’agit ; les économistes du FMI mis en cause par des auteurs « nouveaux keynésiens »connaissaient parfaitement ces travaux. Ce dont il s’agit, c’est de la remise en question dudogme selon lequel la dérèglementation, i.e. le renforcement de la concurrence, seraittoujours à même de corriger les inefficiences. Les « nouveaux keynésiens » de ce point devue sont aussi démunis que les économistes du FMI et d’autres institutions (OCDE,banques centrales, gouvernements...), qu’ils ont d’ailleurs largement contribué à former.À moins qu’ils reconnaissent l’importance méthodologique de l’incertitude fondamentale,ils risquent fort de n’avoir d’autre choix que retourner à leur cadre de « pensée doctrinaire »et à leurs « présupposés intellectuels », pour reprendre les termes des évaluateurs du FMI(cf. encadré).

Sur l’autocritique de la pensée économique dominante

Dans un récent rapport d’évaluation de l’action du FMI (http://www.ieo-imf.org/eval/complete/pdf/01102011/Crisis_Main_Report_FRENCH.pdf), le « bureau d’évaluation indépendant » (Inde-pendent Evaluation Office) note que la « capacité du FMI à cerner avec précision les risquesémergents a été entravée par l’idée répandue, captive d’un même postulat intellectuel et d’uncertain état d’esprit, qu’une crise majeure dans les grands pays industriels était peu probable, etpar l’inadéquation des méthodes d’analyse ». Les pages 29 à 31 du rapport pointent les faiblesses analytiques du cadre de pensée dominant : « Les faiblesses analytiques sont au cœurde certaines des lacunes les plus patentes de la surveillance, dans le cas particulier des paysavancés. Ces faiblesses sont globalement de deux types : pensée doctrinaire et autres postulatsintellectuels ; méthodes d’analyse/connaissances incomplètes. (...). Plusieurs présupposés intel-lectuels semblent avoir joué un rôle non négligeable. (...) L’opinion dominante au sein des services du FMI – groupe cohésif de macroéconomistes – était que la discipline et l’autorégulationdu marché suffiraient à écarter tout problème majeur des institutions financières. Toujours selonla pensée dominante, les crises étaient peu probables dans les pays avancés dont le degré de« sophistication » des marchés financiers leur permettrait de progresser sans encombre avec unerégulation minimale d’une part importante et croissante du système financier. Les services duFMI étaient fondamentalement en accord avec l’opinion des autorités des États-Unis, du Royaume-Uni et d’autres pays avancés qui estimaient que leurs systèmes financiers étaient foncièrementsains et résistants. Ils adhéraient aussi au postulat selon lequel le système était à même de réaliserune allocation efficiente des ressources et aussi de répartir les risques entre les entités les mieuxpréparées à les assumer. (...) ». Le rapport pointe également des faiblesses quant à la prise en compte des liens entre l’analysemacroéconomique et celle du secteur financier. « Ceci est révélateur de l’absence d’un cadreconceptuel adéquat pour l’analyse de ces liens chez les économistes en général, et de l’opinionrépandue chez les économistes du FMI, selon laquelle les questions financières sont secondaires »,comme l’admet d’ailleurs O. Blanchard dans un document de travail cité dans le rapport(http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2009/wp0980.pdf, p. 3, note de bas de page).La mise en cause du cadre de pensée dominant dans ce rapport de l’IEO n’est pas un cas isolé.Plusieurs célébrités avaient déjà procédé à un examen de conscience. On citera par exemple :"Not having believed that what has happened could happen, the profession had not thoughtcarefully about what should be done if it did happen. Baffled by the profession’s disarray, I decidedI had better read The General Theory. Having done so, I have concluded that, despite its antiquity, itis the best guide we have to the crisis." R. Posner (U. of Chicago): "How I became Keynesian",The new Republic, Sept. 3, 2009, http://www.tnr.com/article/how-i-became-keynesian"Charles Goodhart, (...) once said of the Dynamic Stochastic General Equilibrium approach whichfor a while was the staple of central banks’ internal modelling: “It excludes everything I am inter-ested in”. He was right. It excludes everything relevant to the pursuit of financial stability. TheBank of England in 2007 faced the onset of the credit crunch with too much Robert Lucas,Michael Woodford and Robert Merton in its intellectual cupboard. A drastic but chaotic re-educa-tion took place and is continuing. I believe that the Bank has by now shed the conventional wis-dom of the typical macroeconomics training of the past few decades. In its place is an intellectualpotpourri of factoids, partial theories, empirical regularities without firm theoretical foundations,

27

Page 28: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

hunches, intuitions and half-developed insights. It is not much, but knowing that you knownothing is the beginning of wisdom." W. Buiter (London school of economics, membre fondateurdu Monetary Policy Committee of the Bank of England): "The unfortunate uselessness of moststate of the art academic monetary economics", Financial Times, 3 March 2009.http://blogs.ft.com/maverecon/2009/03/the-unfortunate-uselessness-of-most-state-of-the-art-academic-monetary-economics/"Recent events have pretty decisively refuted the idea that recessions are an optimal response tofluctuations in the rate of technological progress; a more or less Keynesian view is the only plau-sible game in town. Yet standard New Keynesian models left no room for a crisis like the onewe’re having, because those models generally accepted the efficient-market view of the financialsector. (...) until now the impact of dysfunctional finance hasn’t been at the core even of Keyne-sian economics. Clearly, that has to change." P. Krugman: How did economists get it so wrong?The New York Times, Sept. 2, 2009.http://www.nytimes.com/2009/09/06/magazine/06Economic-t.html

La théorie de Keynes est réputée pour le rôle directeur qu’elle reconnaît à la demandeagrégée, en parfaite contradiction avec les théories du courant de pensée dominant. Dansla théorie dominante du fonctionnement des marchés concurrentiels, les déficiences de lademande agrégée sont simplement impensables autrement que comme un phénomènetemporaire, dû à quelque lenteur du processus d’ajustement concurrentiel. La « loi de Say »(l’offre génère sa propre demande) est l’expression de cette propriété de l’équilibre éco-nomique dans la vision dominante. Elle repose à l’échelle macroéconomique sur l’idéeque la demande de biens et services dans l’ensemble de l’économie ne peut être durable-ment inférieure à la production car cela supposerait que la partie de la production qui n’apas été écoulée sur les marchés de consommation courante (c’est-à-dire l’épargne) n’apas pu être écoulée non plus auprès des investisseurs comme bien d’équipement ou pouraccroître les stocks (31). Or une telle situation (excès de l’épargne agrégée sur l’investis-sement total) déclenche selon la théorie une baisse du taux d’intérêt à long terme (32) parlaquelle l’épargne et l’investissement sont maintenus égaux, ce qui implique au bout ducompte que la production non consommée soit intégralement écoulée pour l’investisse-ment. D’où la « loi de Say », dite également « loi des débouchés ».

La remise en cause de ce résultat par Keynes s’explique par le fait qu’en raison de l’incer-titude qui caractérise le monde réel, le taux d’intérêt est amené à remplir une fonction différente de celle mise en avant dans le processus d’ajustement conduisant à la « loi desdébouchés ». Dans la théorie générale, le taux d’intérêt est le prix qui maintient égales laquantité de monnaie disponible et le montant de monnaie que les agents économiquessouhaitent détenir. C’est le prix de la liquidité, non le prix de l’épargne. Quand l’incertitudequant à la valeur future des actifs réels et financiers est jugée importante, la « préférencepour la liquidité » peut élever la demande monnaie et le taux d’intérêt à des niveaux quiempêchent l’investissement d’absorber un montant élevé d’épargne. Dans ce cas, si lesentreprises produisaient à pleine capacité, elles rencontreraient vite un problème d’écou-lement de leurs produits. L’élévation inhabituelle des stocks d’invendus alerterait lesmoins prévoyantes, tandis que le niveau d’activité général serait ajusté à la baisse, autantqu’il le faut pour que le flux d’épargne que les revenus tirés de la production génères’ajuste finalement au montant que l’investissement déprimé peut absorber.

Préférence pour la liquidité et nature conventionnelle du taux d’intérêtAlors que la théorie néoclassique et ses versions modernes abordent la demande de monnaie commele résultat d’un calcul optimal, la théorie de Keynes met en avant l’absence d’ancrage objectif pour lesprévisions et pour la demande de monnaie. Il en résulte que le taux d’intérêt qui équilibre l’offre et lademande de monnaie, loin d’avoir un ancrage prédéterminé ou naturel comme dans la thèse néo-wicksellienne récemment mise en avant dans le courant dominant, dépend en fait de l’état des prévi-sions et de la préférence pour la liquidité. Ce taux a la nature d’une convention, au sens où « sa valeureffective dépend dans une large mesure de sa valeur future telle que l’opinion dominante estime qu’on

28

(31) Pour ne pas alourdir l'exposé, nous ne précisons pas que les dépenses de consommation courante et d'investissement comprennent les achats par l'étranger nets des importations.(32) « Le taux d'intérêt » est une expression synthétique dans le jargon macroéconomique qui représente bienentendu toute la gamme des taux d'intérêt à long terme par lesquels les différents types d'épargne financent lesdifférents types d'investissements. Dans un système ouvert c'est la confrontation de l'épargne et de l'investisse-ment internationaux qu'il convient de considérer, ce qui soulève des questions qu'il n'est pas nécessaire d'aborderici.

Page 29: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

la prévoit ». Supposons en effet que le taux d’intérêt actuel soit inférieur à celui que l’opinion domi-nante considère comme normal, et qu’elle prévoie par conséquent une hausse. En cherchant à sedébarrasser d’une partie de leurs actifs (dont la valeur serait censée baisser en rapport avec la haussedu taux), les individus partageant cette opinion élèveraient la demande de monnaie, et provoque-raient effectivement la hausse du taux d’intérêt prévue (les prévisions ont ici un caractère auto-réalisateur).

Puisque le libre ajustement du taux d’intérêt ne saurait garantir les débouchés, les entre-prises ne peuvent en général fonctionner à pleine capacité, voire investir pour augmenterla capacité que lorsque le comportement des stocks laisse prévoir une augmentation desdébouchés. C’est ce qui advient lorsque la propension à consommer ou l’incitation àinvestir dans l’économie sont élevées. Mais de manière générale, le niveau de l’activitésera étroitement lié à tout ce qui peut influencer la part du revenu national que lesménages et les administrations désirent dépenser, et le montant que les entreprises(publiques et privées) désirent investir. Compte tenu de la relative inertie qui caractérisela propension à consommer des ménages, sans exclure pour autant la possibilité qu’ellevarie dans le temps, les éléments les plus susceptibles d’infléchir le cours de l’activitééconomique sont les dépenses publiques, qui relèvent de la politique budgétaire et fiscale,et l’investissement privé, dont le niveau dépend des anticipations de rendement du capitalproductif à long terme et bien sûr du taux d’intérêt.

La prise en compte de l’incertitude amène là encore Keynes à introduire une innovationimportante pour la compréhension du comportement de l’investissement privé à l’échellemacroéconomique, et par conséquent pour la compréhension des fluctuations écono-miques et des crises. La théorie classique de l’investissement stipule que les entreprisesen élèvent le montant au niveau pour lequel, compte tenu de la décroissance en rende-ments marginaux des facteurs de production, le rendement marginal du capital est portéà égalité du coût marginal, approché par le taux d’intérêt. En l’absence d’incertitude fon-damentale, il en résulte que pour un taux d’intérêt donné, il existe un montant optimalpour l’investissement, mais dans la théorie de Keynes le montant de l’investissementpourra être plus ou moins élevé selon que les anticipations de rendement du capital,dépourvues d’ancrage objectif, sont plus ou moins optimistes.

Les fluctuations de la demande agrégée, de la production et de l’emploi sont ainsi étroite-ment liées aux anticipations à long terme concernant le rendement du capital productif,variable hautement psychologique qui soumet l’ensemble du système économique à soncaractère potentiellement changeant. À des poussées d’optimisme comme à des crises dela confiance, ou à des phases de croissance plus ou moins dynamique selon le comporte-ment des différentes composantes de la demande agrégée. Alors que, dans les approchesorthodoxes, la production potentielle, l’offre, imprime son rythme à l’activité écono-mique, la théorie keynésienne livre un cadre théorique dans lequel, faute de pouvoircompter les yeux fermés sur des débouchés, les entreprises adaptent en fait leurs plansde production et d’embauche aux signaux que leur renvoient continûment les marchés,sous l’influence conjuguée des anticipations changeantes du rendement du capital, dutaux d’intérêt, et de la propension globale à dépenser des ménages et des administra-tions. Ces plans ne peuvent aboutir au plein emploi que dans les circonstances favo-rables, qui voient se hisser la demande agrégée à un niveau suffisant. De sorte que lesous-emploi est une caractéristique récurrente du système économique, quelle que soitd’ailleurs la vigueur des mécanismes concurrentiels.

Comme en témoigne le chapitre 19 de la Théorie Générale, il s’avère que la flexibilité desprix et des salaires ne saurait garantir le plein emploi de manière générale, et pourraitmême déclencher un processus de déflation cumulative, en déprimant la demande agrégéeencore davantage, si quelque force contraire ne venait en permanence stabiliser l’économie.Une certaine rigidité des salaires est donc nécessaire pour qu’un équilibre existe, maiscontrairement à une idée d’abord véhiculée par la théorie des équilibres avec rationne-ment (« théorie du déséquilibre »), puis par le courant des « nouveaux keynésiens », unetelle rigidité n’est nullement la cause du sous-emploi dans la théorie de Keynes. C’est aucontraire la réponse endogène de forces institutionnelles (lois, réglementations, pressionsyndicale, résistance sociale...) aux tendances dépressives que les marchés débridéspourraient autrement nourrir.

« Si les salaires monétaires devaient chuter sans limite chaque fois qu’il y aurait une tendanceau sous-emploi, […] il n’y aurait pas de position stable en dessous du plein emploi jusqu’à ceque le taux d’intérêt ne puisse diminuer davantage ou que les salaires soient nuls. En fait, il

29

Page 30: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

faut que quelque facteur ait une valeur en monnaie, sinon fixée, au moins visqueuse, pourdonner un tant soit peu de stabilité aux valeurs dans un système monétaire » (Keynes, 1936)

Le rôle stabilisateur des réponses institutionnelles apportées aux errements du systèmedes marchés n’est pas cantonné au seul marché du travail. Le prompt soutien apporté parles politiques budgétaires et fiscales, dans les pays touchés par la dépression en 2008 eten 2009, s’inscrit parfaitement dans cette logique de soutien à des marchés dépressifs.Contrairement au langage courant, qui emprunte naturellement à la pensée économiquedominante, il ne s’agissait en aucune manière de plans de relance pour des économiesanémiées, mais bien de plans de sauvegarde pour des économies en grave dépression.Cela dit, même en temps normal, le soutien qu’apporte la dépense publique à l’économierevêt à l’évidence une telle importance pour le bon fonctionnement des affaires, quemême les plus fervents défenseurs de la « nouvelle macroéconomie classique », les spé-cialistes du dénigrement systématique de l’action publique, ne parviennent à la remettretotalement en cause que dans leurs propos. Un autre puissant exemple du secours qu’apportent les institutions publiques aux marchés est fourni par le concours pratique-ment sans limite offert par les banques centrales et les gouvernements au secteur financierdepuis l’été 2008. Les injections massives de liquidités, renflouements ou nationalisationsde banques relèvent à l’évidence de cette logique. Et là encore, le soutien ne se limite pasaux temps de crise ; c’est le but clairement affiché des autorités de régulation et de laréglementation financière que d’apporter leur concours à la stabilisation des marchésfinanciers, qui sont ceux qui manifestent le plus visiblement, et d’ailleurs de manièrerécurrente, leur incapacité à se réguler d’eux-mêmes.

Stabilisateurs institutionnels endogènes

Dans la théorie de Keynes, les réponses institutionnelles mises en œuvre, selon le contexte, surle marché du travail, des biens et services et sur les marchés monétaire et financier, ne sont pasdes variables extérieures au système des marchés ; elles font partie intégrante du processusd’ajustement de l’économie vers une solution viable. Elles prennent part, de manière endogène,à l’ajustement continu du système à l’équilibre changeant théorisé par Keynes. C’est grâce à cesréponses que, bien qu’il n’existe pas d’« ordre naturel », les systèmes concurrentiels font la plu-part du temps preuve d’une certaine stabilité. C’est notamment grâce aux forces qu’opposent lecadre réglementaire et les syndicats à la baisse des salaires que les dépressions ne dégénèrentpas en processus de déflation cumulative. Assimilées à des causes structurelles de dysfonction-nements et/ou d’inefficience par le courant de pensée dominant, ces mêmes forces sont en faitde véritables garde-fous, préservant les systèmes économiques des errances potentielles desmarchés concurrentiels. Elles contribuent en tant que telles aux performances économiques, demanière différenciée entre les différents pays du fait des spécificités de leur cadre institutionnel.

Le rôle stabilisant des institutions dans la littérature postkeynésienne a surtout été souligné enrapport avec la dynamique de longue période, notamment dans le domaine de la régulation desmarchés financiers (Minsky 1986, Davidson 2004). Mais comme l’ont suggéré Cornwall & Corn-wall (2001), les institutions jouent aussi un rôle crucial dans la détermination de la demandeeffective à tout instant, c’est-à-dire sur l’équilibre de court terme, avant même que la dynamiquede l’équilibre puisse être prise en considération (Asensio 2011b).

C) Fluctuations et crises, les apports de Keynes et Minsky

Le chapitre 22 de la Théorie Générale contient en substance les idées de Keynes concer-nant l’explication du comportement cyclique de l’économie et notamment des retourne-ments brutaux de conjoncture. La théorie de Keynes explique les retournements à caractèrescycliques par le ralentissement de l’investissement privé qui suit habituellement unepériode de boom. Deux types de facteurs peuvent contribuer au grippage de l’investisse-ment : l’augmentation des taux d’intérêt et/ou la diminution de la rentabilité attendue desinvestissements (l’efficacité marginale du capital). Mais le facteur le plus plausible est leretournement de l’incitation à investir, même s’il n’est pas exclu qu’un retournementpuisse être provoqué par une remontée des taux d’intérêt.

"The trade cycle is best regarded, I think, as being occasioned by a cyclical change in themarginal efficiency of capital, though complicated and often aggravated by associatedchanges in the other significant short-period variables of the economic system." (Keynes,1936, p. 313)

30

Page 31: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

La période qui précède la crise est en effet caractérisée par un certain optimisme dans labonne tenue des affaires et par des prévisions stimulantes. La préférence pour la liquiditéest donc modérée, de sorte que le système bancaire peut délivrer la quantité de monnaierequise pour le financement des transactions à un taux d’intérêt relativement bas. C’estplutôt après le retournement des prévisions et la chute des prix des actifs qui en résulteque la préférence pour la liquidité risque d’augmenter, entraînant les taux d’intérêt à longterme à la hausse et aggravant ainsi l’ampleur de la récession. Cet effet d’amplificationparticipe à l’explication de la brutalité relative des retournements à la baisse, en compa-raison des phases de reprise. La relative lenteur de la reprise vient aussi de la difficultéqu’il y a à restaurer la confiance, condition nécessaire au redressement de l’efficacitémarginale du capital, tandis que celle-ci peut au contraire s’effondrer brusquementlorsque les prévisions deviennent défavorables et que les prix des actifs s’en ressententsur les marchés.

Le cycle économique dans la Théorie Générale

« Les phases de sous-emploi keynésien ne peuvent se prolonger indéfiniment. Le vieillissementdu stock de capital conduit en effet à terme au redressement de la courbe d’efficacité marginale,au dynamisme de l’investissement, et à la reprise économique. L’utilisation des stocks permetdans un premier temps aux entreprises de gérer la phase de transition, en attendant que soientinstallés les nouveaux équipements. Une nouvelle phase d’accumulation des capitaux s’enclenche par la suite, durant laquelle l’accroissement du revenu et de l’épargne ne rencontreaucune résistance du côté des débouchés. Lorsque la vague d’investissement arrive ensuite àson terme, c’est-à-dire lorsque l’efficacité marginale du capital (qui décroît avec le montant del’investissement) n’assure plus une incitation à investir suffisante, le retournement des prévi-sions produit un affaissement des débouchés. L’accumulation des stocks d’invendus peut alorsprécipiter le blocage des investissements et provoquer un effondrement rapide de l’activité. Lesphases de récession paraissent ainsi devoir être plus brutales que les phases d’expansion ».(Asensio 2008b, p. 135)

C’est donc la baisse de l’efficacité marginale du capital qui provoque en général le retour-nement à la baisse. Ce phénomène n’est cependant pas un événement exogène, il estl’aboutissement normal du train des affaires. Il s’explique par la dégradation endogène del’état de la confiance qui suit le constat selon lequel l’optimisme qui avait porté la phasede boom, était en fait inapproprié. Lorsque sur une large échelle le rendement des capi-taux investis tend à contrarier les anticipations passées, la profitabilité enregistre unedégradation qui se répercute sur les valeurs boursières.

"The later stages of the boom are characterised by optimistic expectations as to the futureyield of capital-goods sufficiently strong to offset their growing abundance and their risingcosts of production and, probably, a rise in the rate of interest also. It is of the nature of orga-nised investment markets, under the influence of purchasers largely ignorant of what theyare buying and of speculators who are more concerned with forecasting the next shift ofmarket sentiment than with a reasonable estimate of the future yield of capital-assets, that,when disillusion falls upon an over-optimistic and over-bought market, it should fall withsudden and even catastrophic force." (Keynes 1936, p. 315-316)

L’ampleur de la crise dépend alors de plusieurs facteurs : ampleur de la dégradation desrésultats des entreprises, impact sur leur capacité à rembourser les emprunts et à distribuerdes dividendes, impact sur les bilans des établissements financiers, sur les prix des actifs...La dégradation de l’état de la confiance a également, indépendamment de l’effet de labaisse du revenu sur la consommation, un impact sur celle-ci à travers la baisse des prixdes actifs. Cet effet peut être tout à fait important dans la fraction de la population dont laconsommation est davantage liée à la tenue des indices boursiers qu’au niveau du revenucourant.

"With a 'stock-minded' public as in the United States today, a rising stock-market may be analmost essential condition of a satisfactory propensity to consume; and this circumstance,generally overlooked until lately, obviously serves to aggravate still further the depressingeffect of a decline in the marginal efficiency of capital." (Keynes 1936, p. 319)

Selon la Théorie Générale de Keynes, les conséquences économiques et financières d’unretournement peuvent être assez sévères pour que, même en abaissant les taux d’intérêtde son refinancement au plus bas, les autorités soient dans l’incapacité d’obtenir unredressement de l’investissement privé. Dans les situations de cette nature, l’efficacitémarginale du capital diminue davantage que les taux à long terme ne peuvent le faire,

31

Page 32: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

quant bien même les taux courts seraient au plus bas sous l’effet des interventions de labanque centrale.

"If a reduction in the rate of interest was capable of proving an effective remedy by itself; itmight be possible to achieve a recovery without the elapse of any considerable interval oftime and by means more or less directly under the control of the monetary authority. But, infact, this is not usually the case; and it is not so easy to revive the marginal efficiency of capital,determined, as it is, by the uncontrollable and disobedient psychology of the business world.It is the return of confidence, to speak in ordinary language, which is so insusceptible tocontrol in an economy of individualistic capitalism. This is the aspect of the slump whichbankers and business men have been right in emphasising, and which the economists whohave put their faith in a 'purely monetary' remedy have underestimated." (Keynes 1936, p. 316-317)

Hyman Minsky, dont on redécouvre les travaux à l’occasion de la crise, s’est renducélèbre dans le courant de pensée postkeynésien pour ses travaux sur l’instabilité finan-cière et l’explication des crises. Dans l’introduction de l’un de ses articles les plus cités,The Financial Instability Hypothesis: an Interpretation of Keynes and an Alternative to"Standard" Theory (Minsky 1977) (33), il met en avant une interprétation inspirée de lamise au point publiée par Keynes dans Quarterly Journal of Economics (1937), quant à lavraie nature de sa Théorie Générale par rapport à la lecture erronée faite par l’économistenéoclassique J. Viner, de l’université de Chicago (Viner, 1936). L’analyse que déploieMinsky se veut ainsi dans le droit fil de ce que Keynes considère comme l’essence de saThéorie Générale : l’incertitude fondamentale et la profonde remise en question du rôlede la finance et de la monnaie dans l’analyse macroéconomique. Minky a en effet consi-dérablement approfondi l’analyse postkeynésienne des effets de l’incertitude sur la finance,et le rôle central de la finance pour la compréhension des crises économiques. Il en a tiréune théorie de la crise financière qui se présente comme une menace inhérente au systèmecapitaliste, car inscrite dans les comportements des acteurs, spécialement dans la capacitédes banques à améliorer leur profitabilité par toutes sortes d’innovations financières,mais aussi dans le fait que les pouvoirs publics ont les moyens de valider des niveauxd’endettement (et les profits que les agents endettés peuvent tirer des financements ainsiobtenus), lesquels autrement seraient sanctionnés par les marchés. Le concours apportépar les institutions publiques contribue ainsi à la fois à complexification et à la fragilisationdu système financier, et aux tensions inflationnistes. L’une des principales causes de la crisefinancière tient au relèvement des taux d’intérêt lorsque les tensions inflationnistes ne sontplus tolérées. En affaiblissant l’activité et en réduisant les flux de revenus, la hausse destaux ne rend plus possible la validation des dettes, et provoque la crise financière.

An increasing complexity of the financial structure, in connection with a greater involvement ofgovernments as refinancing agents for financial institutions as well as ordinary business firms (bothof which are marked characteristics of the modern world), may make the system behave differentlythan in earlier eras. In particular, the much greater participation of national governments in assuringthat finance does not degenerate as in the 1929-1933 period means that the down side vulnerabilityof aggregate profit flows has been much diminished. However, the same interventions may wellinduce a greater degree of upside (i.e. inflationary) bias to the economy. (Minsky 1992, p. 5)

In particular, over a protracted period of good times, capitalist economies tend to move from afinancial structure dominated by hedge finance units to a structure in which there is large weight tounits engaged in speculative and Ponzi finance. Furthermore, if an economy with a sizeable body ofspeculative financial units is in an inflationary state, and the authorities attempt to exorcise inflationby monetary constraint, then speculative units will become Ponzi units and the net worth of pre-viously Ponzi units will quickly evaporate. Consequently, units with cash flow shortfalls will be for-ced to try to make position by selling out position. This is likely to lead to a collapse of asset values.

The financial instability hypothesis is a model of a capitalist economy which does not rely upon exo-genous shocks to generate business cycles of varying severity. The hypothesis holds that businesscycles of history are compounded out of (i) the internal dynamics of capitalist economies, and (ii)the system of interventions and regulations that are designed to keep the economy operating withinreasonable bounds. (Minsky 1992, p. 8. La définition des thermes « hegde finance », « speculativefinance » et « Ponzi finance » figure dans l’annexe n° 2).

32

(33) Voir également Minky 1992.

Page 33: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Le passage suivant, extrait du rapport annuel de la Banque des règlements internatio-naux, témoigne de manière éclatante de l’actualité et de la pertinence des idées de Minsky,désormais cité comme référence par les meilleurs spécialistes des questions financières,y compris parmi les responsables des plus grandes banques centrales.

« La réforme de la réglementation financière a enregistré des progrès impressionnants. (...)Néanmoins, la tâche est loin d’être achevée (...) Qui plus est, l’objectif visé reste mouvant :les opérateurs renouent avec le goût du risque et adaptent leur modèle opérationnel au nouvelenvironnement. Le dispositif prudentiel doit pouvoir s’adapter de manière à suivre et gérerles risques pour la stabilité financière, quel que soit son champ d’action. La crise financière amis en lumière des carences dans les données et les cadres analytiques utilisés pour évaluerle risque systémique, ce qui a entravé les efforts déployés par les autorités en vue d’identifierles vulnérabilités et d’y remédier. Pour s’acquitter de leur tâche, elles doivent disposer d’untableau plus complet et plus précis du système financier, considéré sous des angles diffé-rents.(...) Certes, ces données et cadres analytiques améliorés n’empêcheront pas les futurescrises ; l’expérience laisse penser, toutefois, que les améliorations qui seront apportées permettront aux autorités et aux marchés de repérer des vulnérabilités jusqu’alors passéesinaperçues et de détecter beaucoup plus vite celles qui pourraient se faire jour. » (BRI, 81e

rapport annuel, juin 2011, vue d’ensemble des chapitres économiques)

« Et s’il me fallait citer aujourd’hui deux économistes qui donnent aussi des clés pour comprendre lacrise, je citerais Minsky pour ses analyses sur l’instabilité financière et Knight pour ses analyses surl’‘‘incertitude’’ opposée au ‘‘risque’’ ». (J.-C. Trichet, Président de la Banque centrale européenne, LeMonde, 17 novembre 2009)"Reintroducing the financial intermediation sector as a source of shocks, rather than merely acting asan amplifying mechanism as the broad credit channel does, would represent something of a return toolder models of the business cycle, in which credit creation and destruction played a central role.There has, in particular, been renewed interest in the work of Hyman Minsky as a result of recentevents (...)". (Charles Bean, Deputy Governor for Monetary Policy and Member of the MonetaryPolicy Committee, Bank of England, "The Great Moderation, the Great Panic and the Great Contrac-tion", Text of the Schumpeter Lecture at the Annual Congress of the European Economic Associa-tion, Barcelona, 25 August 2009)."My talk today is titled “A Minsky Meltdown: Lessons for Central Bankers.” I won’t well on the ironyof that. Suffice it to say that, with the financial world in turmoil, Minsky’s work has become requiredreading. It is getting the recognition it richly deserves. The dramatic events of the past year and a halfare a classic case of the kind of systemic breakdown that he – and relatively few others – envisioned".(Yellen, J.-L., President and Chief excecutive officer of the Federal Reserve Bord of San Francisco,"Minsky Meltdown: Lessons for Central Bankers" FRBSF Economic Letter n° 2009-15, May, 1, 2009).

CONCLUSION

Il est donc peu convaincant d’attaquer le laxisme de la politique monétaire de Greenspan.Si la critique porte sur la politique de refinancement facile de la Fed, c’est trop demanderà Greenspan que de maîtriser la prise de risque par les banques sans compromettre lareprise avec les seuls taux d’intérêt à court terme. La manipulation des taux ne peut pastout faire.

Certains ont avancé que la politique de Greenspan peut aussi être mise en cause pourn’avoir pas été assez vigilante sur les pratiques des institutions financières, particulière-ment sur la prise de risque (Stiglitz, Le Triomphe de la cupidité, p. 46-47). Mais il apparaîtau regard des arguments mis en avant dans cette section que la véritable erreur deGreenspan n’est pas sa politique monétaire, ni le laxisme prudentiel dont l’accusent desauteurs comme Stiglitz (34), mais, comme il l’a reconnu lui-même en voyant les dégâtsauxquels elle a pu conduire, sa foi aveugle dans les marchés.

En tant que « nouveau keynésien », Stiglitz voit dans la réglementation le remède à tousles maux, car les crises financières sont principalement mises sur le compte des dysfonc-

33

(34) « Si le secteur financier est le grand coupable, les autorités de contrôle n'ont pas fait le travail qui leurincombait : garantir que les banques ne s'écartent pas du droit chemin, comme à leur habitude » (Stiglitz, LeTriomphe de la cupidité, p. 51).

Page 34: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

tionnements que produisent les marchés concurrentiels en présence d’asymétries d’infor-mation : « Certains observateurs issus des composantes les moins réglementées desmarchés financiers (comme les fonds spéculatifs), constatant que les pires difficultés sur-venaient dans leur composante très réglementée (les banques), ont conclu hâtivementque le problème était la réglementation. Mais le point crucial leur échappe : si lesbanques sont réglementées, c’est parce que leur défaillance peut faire un mal considé-rable au reste de l’économie. Et il n’est pas aussi nécessaire de réglementer les fondsspéculatifs, du moins les petits, parce qu’ils ne peuvent pas faire autant de dégâts. » (35)

Mais le fait que si la réglementation peut et doit inciter à davantage de précaution dansles pratiques financières, cela ne saurait remédier au problème crucial qu’est l’incertitude,ni éradiquer les dysfonctionnements qu’elle rend toujours possibles, sinon probables,comme le suggèrent les travaux de Minsky. Les crises financières sont le résultat imprévi-sible de pratiques mises en œuvre avec plus ou moins d’avidité, dans un cadre réglemen-taire plus ou moins contraignant, où acteurs et superviseurs sont soumis à la mêmeimpossibilité de mesurer les risques. Faire le procès de telle ou telle institution, c’est dece fait chercher une explication quelque peu simpliste, parce que la survenue d’une criseest un phénomène complexe qui résulte de l’impossibilité pratique pour les acteurs dequantifier les tensions qui s’accumulent dans le système.

C’est la raison pour laquelle la confiance aveugle dans l’autorégulation des marchés, quia d’abord conduit à la déréglementation des transactions financières et à l’éliminationprogressive des principaux garde-fous, peut à juste titre être mise en cause (36). C’est surces bases qu’ont pu se développer des pratiques financières « innovantes », permettantaux institutions de produire l’illusion de pratiques aux risques contrôlés. En tant que telle,la crise des subprimes est aussi une crise de la pensée économique dominante : ni les « nouveaux classiques », ni les « nouveaux keynésiens » ne sont en mesure d’offrir unelecture satisfaisante de la crise ; et si la déréglementation mise en avant par les premiersa pu contribuer à aggraver l’ampleur des crises financières, la réglementation défenduepar les seconds n’est sans doute pas une panacée.

34

(35) Ibid. p. 51-52.(36) G. Hodgson, G., 2009, The great crash of 2008 and the reform of economics, Cambridge Journal of Economics,33, 1205-1221.

Page 35: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

DEUXIÈME PARTIE

LE DIFFICILE RETOUR DE LA CROISSANCE

INTRODUCTION

L'impossibilité de penser la crise autrement que comme la perturbation de nature exogèned'un système fondamentalement autorégulé, sinon efficient, conduit le courant de penséedominant à formuler des scenarios de sortie de crise relativement optimistes. Pour ceuxqui croient en l'efficience des marchés dans le monde réel, il suffirait de laisser les mar-chés purger les effets provoqués par l'erreur de politique monétaire commise par Greens-pan. Les propos du prix Nobel 1997, Myron Sholes sont de ce point de vue parfaitementexplicites : « La complexité et l'interdépendance des relations entre acteurs de la financerendent impossible la mise en place, par un ou des régulateurs, d'un système de contrôleà l'échelle planétaire. Pas la peine de réglementer davantage. En plus, ce serait très coû-teux. L'innovation financière produit d'elle-même les réponses aux crises (37) ». Pour les« nouveaux keynésiens », les choses sont moins simples, du fait des rigidités diverses quisont susceptibles de retarder l'ajustement des déséquilibres (salaires, taux de change...)et des réformes requises pour contrer les "incitations perverses" qui caractérisent le systèmefinancier. Mais si les « nouveaux keynésiens » insistent sur le fait que les marchés peu-vent peiner à rétablir les conditions de la croissance économique, s'ils avertissent que denouveaux épisodes de crise financière restent possibles en l'absence d'un assainissementrapide des pratiques, le retour à terme au plein emploi ne saurait être mis en doute (38).

La crise est derrière nous ?

« Les forces agissant sur les économies des pays de l’OCDE demeurent favorables. L’activité économique mondiale devient plus autonome, la reprise étant tirée de plus en plus par unedemande finale privée plus soutenue. (...) Les enquêtes de conjoncture révèlent que la confianceet les carnets de commandes des entreprises manufacturières et de services restent générale-ment solides dans la plupart des économies, abstraction faite du Japon et de plusieurs autreséconomies d’Asie, et laissent entrevoir une poursuite de la progression des recrutements et del’investissement, en dépit de leur tendance récente à surestimer la croissance de la productionréelle. Compte tenu de la poursuite de l’amélioration des conditions financières, d’une croissancetoujours soutenue dans les économies émergentes et en développement et de l’orientation expan-sionniste de la politique monétaire, les forces agissant sur les économies des pays de l’OCDE sontglobalement favorables, encore que la reprise risque d’être toujours bridée par les ajustementsen cours sur les marchés immobiliers, par le chômage encore élevé et par le retrait progressifdes mesures de soutien mises en œuvre dans le contexte de la crise ».(Perspectives économiques de l'OCDE 2011, n° 89, version préliminaire, p. 18)

35

(37) Propos recueillis en mars 2008 par le magazine L'Expansion.http ://lexpansion.lexpress.fr/economie/les-prix-nobel-d-economie-face-a-la-crise_203414.html?p=11#(38) Voir par exemple les propos de Stiglitz lui-même dans la note de bas de page en début de section B du cha-pitre II supra.

Page 36: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

« Dans de nombreuses économies avancées, la dette pèse encore lourdement sur les ménagescomme sur les établissements financiers et non financiers, et l'assainissement des financespubliques est à peine amorcé. Les déséquilibres financiers mondiaux resurgissent. Les politiquesmonétaires très accommodantes vont rapidement devenir une menace pour la stabilité des prix.Les réformes financières demeurent inachevées et incomplètes. Enfin, l'appareil statistique quidevrait servir de système d'alerte précoce des tensions financières est encore limité. Telles sontles questions traitées dans notre 81e Rapport annuel ».(Banque des règlements internationaux, rapport annuel, juin 2011).

Ce qui est frappant à la lecture des rapports de conjoncture de l'OCDE et des autresgrandes institutions internationales, c'est la pondération changeante des arguments opti-mistes et pessimistes. La présence des deux types d'arguments ne fait que souligner àquel point la trajectoire de sortie de crise reste imprévisible, mais le ton à dominante pes-simiste des premiers rapports qui ont suivi la crise, allant jusqu'à l'autocritique, prend

36

Sources : Bulletin de la Banque de France n° 184, 2e trim. 2011, p. S4

Page 37: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

une dominance optimiste et renoue avec les anciens réflexes intellectuels empruntés à lapensée dominante dès lors qu'ont été observés les signes avant-coureurs d'une reprise.

L'analyse postkeynésienne ne remet évidemment pas en cause les propositions en faveurd'une réglementation financière renforcée, mais elle relativise ce que l'on est fondé à enattendre. Une plus grande prudence sera sans doute nécessaire dans le secteur financier,à tous les niveaux, mais cela ne permettra pas un retour spontané de la croissance et duplein emploi. Selon l'approche postkeynésienne, la trajectoire de croissance de l'aprèscrise sera déterminée par le dynamisme de la demande agrégée, laquelle sera soumise àdiverses forces dépressives dans le sillage de la crise financière, et par le jeu stabilisateurdes institutions et de la politique économique (chapitre III). La difficulté dès lors tient aufait que même si certains experts et conseillers des décideurs politiques reconnaissent lestravers du cadre de pensée dominant, ils ne maîtrisent pas d'autre référentiel théoriqueque celui qui, au fil du temps, a fini par évincer presque complètement tout concurrentdes enseignements académiques. Ce sont ces mêmes experts qui donc ont la charge desortir les économies du marasme, et la direction qu'ils prennent, risque fort de débouchersur une longue période de croissance faible et fragile, si tant est que par bonheur unenouvelle crise puisse être évitée (Chapitre IV).

III. LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE FINANCIÈRE

A) Une dégradation des conditions de financement

Comme nous l'avons vu au chapitre précédent, c'est la demande agrégée qui dans laThéorie Générale de Keynes détermine en permanence le niveau de l'activité écono-mique. C'est donc le dynamisme de la demande agrégée qui déterminera la trajectoire desortie de crise. L'analyse prospective doit par conséquent considérer les divers facteurssusceptibles d'influencer les principales composantes de la demande. Le secteur financierayant été au cœur de la crise, nous partirons de ce secteur. Nous discuterons notammentson incidence sur l'état de la préférence pour la liquidité et sur les taux d'intérêt à longterme, dont dépendent à la fois la consommation de biens durables, souvent achetés àcrédit (électroménager, automobile, logement...) et l'investissement productif privé.L'évolution du contexte financier sera aussi étudiée quant à ses effets sur l'état de laconfiance et l'inclination à la dépense des agents privés, qui sont un autre déterminantpotentiellement puissant de la demande agrégée. La discussion tiendra compte égale-ment des éléments de la demande internationale, qui agissent d'une manière spécifiquedans les économies de la zone euro. Le rôle des dépenses publiques, et plus générale-ment des politiques macroéconomiques, sera examiné ultérieurement.

Même si le système financier paraît se remettre relativement vite en comparaison avec lalente reprise économique (39), il est sorti de la tourmente affaibli par la dépréciation dustock de créances douteuses, qui a contribué à la dégradation des bilans des institutionsfinancières privées. Les créances douteuses dont regorge le système financier internationalvont continuer de lester le système financier tant qu’elles ne seront pas recouvrées oureconnues non recouvrables et passées par pertes (40). Le FMI notait récemment que « (...) certaines banques n’ont pas suffisamment purgé les risques de leur bilan, d’oùd’énormes incertitudes quant à la qualité des avoirs, vu la présence d’actifs hérités de lacrise et les engagements considérables dans l’immobilier (41) ». De même pour l'OCDE, « ... le redressement des bilans du secteur financier est loin d’être achevé et un risque de

37

(39) « D’après les indices des conditions financières établis par l’OCDE, celles-ci sont restées à peu près stablesdepuis les premiers mois de l’année, à des niveaux proches de la normale dans les grandes régions de l’OCDE (...). »(Perspectives économiques de l'OCDE, n° 88, 2010, p. 18). Le journal Les Échos (5-6 novembre) titrait en fin d'année 2010 : « Wall Street a effacé deux ans de crise boursière ».(40) « Les conditions fortement accommodantes de la politique monétaire et des liquidités cachent des vulnéra-bilités et il reste à relever des défis de longue date. » (FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde,actualité des marchés, juin 2011, p. 4). D’après les estimations du FMI (Global Financial Stability Report, April2009), les dépréciations d'actifs, du début de la crise jusqu'en 2010, pourraient avoir été de l'ordre de 4 000 milliards de dollars, montant qui pour les deux tiers aurait été concentré dans les banques. Dans le rapport d'octobre 2010, on pouvait lire que « près de 4 000 milliards de dollars EU de dette bancaire devront être refinancés sur les 24 mois à venir. » (FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, résumé analytique,octobre 2010). (41) FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, actualité des marchés, juin 2011.

Page 38: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

dégradation extrême subsiste ». (Perspectives économiques n° 89, p. 15). Le bilan desbanques et institutions financières non bancaires a en effet été maintenu sous perfusiongrâce aux interventions massives des pouvoirs publics, des banques centrales et grâce àla mise en place de « structures de défaisance » chargées de « recycler » les créances dou-teuses, mais la fin annoncée des politiques non conventionnelles verra les autorités jouerun rôle moins actif dans ce recyclage, laissant le secteur privé aux prises avec le problèmede la dépréciation des créances et de son impact sur les bilans.

« Dans les pays avancés l’accompagnement macroéconomique et l’apport de liquidité doiventcéder le pas à des politiques plus structurelles – autrement dit, il s’agit de miser moins sur la « prévention » (leaning) et plus sur le « traitement » (cleaning) du système financier. » (...)

« Globalement, en dépit du transfert de risques du secteur privé au secteur public durant lacrise, la confiance dans le système bancaire de plusieurs pays avancés n’a pas encore étérétablie et des interactions négatives continuent de s’exercer avec les risques souverains dela zone euro. (...) pour rétablir la confiance des marchés et atténuer le recours excessif aufinancement de la banque centrale il faudra considérablement renforcer les bilans bancairesdans la zone euro. Cela exigera un relèvement des niveaux de fonds propres, pour prévenirles effets pervers d’une inversion du levier financier, et certaines banques, pour l’essentieldes établissements plus petits, devront être restructurées, voire soumises à une procédurede résolution. » (FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, Résumé analytique,avril 2011)

À ces difficultés s'ajouteront d'autres facteurs susceptibles de peser durablement sur lapolitique de financement des banques et autres établissements financiers lorsque la findu soutien non conventionnel apporté par les autorités monétaires fera pleinement ressen-tir ses effets. Notamment, la mémoire de la débâcle, entretenue et renforcée par uneréglementation plus contraignante – même si elle peine de toute évidence à être mise enplace (42) – devrait maintenir une incitation à la prudence et donc peser durablement surla prise de risque, pourtant consubstantielle aux opérations de financement à long termede l’économie. Les banques et autres institutions financières seront donc peu enclines àfinancer les projets aussi facilement qu’avant la crise. On ne saurait trop se féliciter del'adoption de pratiques plus prudentes bien entendu, mais il n'en est pas moins vrai que, faute de pouvoir apprécier la rentabilité des projets d'investissement et la solvabilitéfuture des ménages emprunteurs, il est possible que des projets potentiellement viablessoient évincés du fait d'une sélectivité renforcée des demandes de financement, ce quirendra plus difficile la reprise économique.

Le crédit au secteur privé

Prudence et sélectivité accrues ?

Selon l'OCDE, « la stabilité globale des indices des conditions financières au cours de la périoderécente masque des évolutions disparates de leurs diverses composantes – taux d’intérêt réels,écarts de taux obligataires, conditions de crédit, taux de change réels et patrimoine desménages. Aux États-Unis, des taux d’intérêt plus bas, notamment dans le compartiment à longterme, et des conditions de crédit plus souples ont compensé la faiblesse persistante du patri-moine des ménages. Dans la zone euro, les conditions de crédit ont été légèrement durcies etl’effet compensateur précédemment exercé par la baisse du taux de change s’est estompé avecl’appréciation observée au cours de la période récente. » (OCDE, 2010, Perspectives écono-miques n° 88, p. 18)En Europe, où le soutien au secteur financier a été moindre par rapport aux États-Unis (la Réservefédérale américaine n'avait pas encore mis fin à l'assouplissement quantitatif QE2 que la Banquecentrale européenne remontait déjà ses taux – qu'elle avait d'ailleurs commencé à baisser aprèsla Fed), le taux de croissance annuel des crédits aux ménages et aux sociétés non financièresreste en retrait par rapport au niveau d'avant crise, et ce, malgré la baisse prolongée du coût ducrédit. Ce phénomène semble exprimer à la fois une moindre demande de crédits de la part desconsommateurs et des entreprises non financières, et du côté de l'offre, du moins en Europe,une plus grande prudence des banques et une sélectivité accrue (cf. ci-dessous).

38

(42) Le New York Times du 6 juin 2011 (Financial Overhaul Is Mired in Detail and Dissent) rapportait que 24 nou-veaux règlements sur les 385 prévus par le Dodd-Frank Act avaient été validés à ce jour, au lieu des 41 prévus.

Page 39: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Sources : Banque de France et Banque centrale européenne. (Bulletin de la Banque de France –cahier statistique, mai 2011, p S 13).

Sources : Banque de France et Banque centrale européenne.(Bulletin de la Banque de France – cahier statistique, mai 2011, p S 27).Aux États-Unis, la politique accommodante de la Fed semble en revanche avoir permis un retourà la situation d'avant crise (pour le meilleur et pour le pire). Les indicateurs ci-dessous laissentsupposer que le durcissement des conditions de prêt au secteur privé observé sur la période2008-2010 a pratiquement disparu en 2011, tandis que la demande de prêts par les entreprises etpar les ménages semble avoir retrouvé une vigueur comparable à ce qu'elle était avant la crise(voire plus grande pour les ménages). Mais il n'est pas acquis que cette situation puisse se prolonger après l'arrêt du "quantitative easing 2" arrivé à terme en juin 2011.

39

Page 40: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Sources : European central bank, Financial stability review, June 2011, pp. 24-25.

En effet, en raison du soutien massif apporté par les autorités et de l'ampleur de ladépression, les taux d'intérêt à long terme n'ont pas connu de fortes tensions hormis lecas des dettes souveraines des pays à fort endettement, mais l'augmentation du senti-ment d'incertitude et les craintes concernant le rendement à long terme des actifs finan-ciers ont clairement réorienté les épargnants vers des placements à faible risque (cf. encadré), de sorte que les prix relatifs de la monnaie par rapport aux actifs risqués(les taux d’intérêt à long terme dans la théorie de Keynes) subiront la poussée conjuguéedu besoin de financement associé à la reprise et de la préférence accrue pour la liquidité (43).De plus, les prêteurs devraient exiger des primes de risque plus élevées qu'auparavant tantque la stabilité et la viabilité du système financier n'aura pas retrouvé la confiance des opé-rateurs.

Tensions sur les taux d'intérêt réels à long terme

Les taux d'intérêt des prêts bancaires ont amorcé une forte décrue après le début de la crise, endépit de l'absence d'anticipations inflationnistes. Ce phénomène ne peut s'expliquer simplementpar le caractère accommodant de la politique monétaire, car celle-ci n'influence que le coût desrefinancements, et non pas le prix auquel les banques facturent les crédits à leur clientèle. Dansun contexte de forte demande de crédit, les banques n'auraient pas suivi la baisse des taux direc-teurs, mais auraient logiquement profité de l'aubaine pour augmenter leur taux de marge. À l'inverse, dans le contexte de la crise, les incantations visant à inciter les banques à prêterd'avantage au secteur privé n'y ont rien fait, malgré la forte baisse de coûts de refinancement,parce que la demande solvable n'augmentait pas comme l'auraient voulu les autorités. C'estdonc du côté de la demande de financement qu'il convient de se tourner pour comprendre labaisse des taux longs. C'est vrai d'ailleurs pour les prêts bancaires, mais aussi pour les emprunts

40

(43) Les tensions inflationnistes, si elles se confirmaient, pourraient aussi prendre part à la hausse des taux d'intérêt nominaux à long terme, par le phénomène de l'indexation des taux nominaux sur l'inflation anticipée.Mais, contrairement aux deux autres facteurs mentionnés, cela n'aurait pas d'influence sur les taux d'intérêtréels à long terme (taux corrigé de l'inflation anticipée), si ce n'est, éventuellement, de manière transitoire (letemps pour les anticipations d'intégrer le mécanisme inflationniste). Selon l'approche post-keynésienne, enrevanche, la hausse des taux nominaux risquerait fort d'accentuer la hausse des taux réels dans la mesure oùelle proviendrait de mesures monétaires restrictives visant à stabiliser les prix.

Page 41: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

obligataires, dont les taux peuvent en principe difficilement s'écarter des taux bancaires en raisondes arbitrages de marché. La baisse des taux longs depuis 2008 est ainsi le résultat conjugué dela baisse des coûts de refinancement et de la diminution de la demande liée à la dépression éco-nomique.

Taux de croissance annuel des prêts (stock) aux sociétés non financières – Zone euro

Taux d'intérêt annualisés des prêts aux sociétés non financières – Zone euro

Rouge : jusqu'à un million d'euros, plus de cinq ansBleu : plus d'un million d'euros, plus de cinq ansVert : plus de cinq ans tous types de prêtsSource : European Central Bank

41

Page 42: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Mais les graphiques ci-dessous attestent que les conditions sont réunies pour qu'une préférenceaccrue pour la liquidité/sécurité, conjuguée à la reprise économique et aggravée par la dégradationdes finances publiques, pousse les taux d'intérêt à long terme à la hausse, à l'exception des tauxsur les dettes souveraines "saines", qui enregistrent au contraire les effets de la relative « sécurité » qu'apportent les titres de la dette souveraine à leurs détenteurs.

La dégradation des anticipations...

Source : Bulletin de la Banque de France n° 184, 2e trim. 2011, p. 52.

Source : Bulletin de la Banque de France n° 183, 1er trimestre 2011, p. 83.

42

Page 43: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

B) Demande privée : le poids des prévisions à long terme

Dans le contexte de l'après crise financière, une hausse des taux d'intérêt à long termeest porteuse de divers effets susceptibles de fragiliser la reprise économique. En ce quiconcerne la demande des ménages, on peut distinguer un impact direct sur l'achat debiens d'équipements ménagers et de logements, et un impact indirect transitant par unpossible effet de richesse négatif (incidence de la baisse de la valeur du patrimoine sur laconsommation courante) et par l'augmentation de la propension à épargner (diminutionde la propension à consommer) qui paraît répondre à la dégradation de la situation finan-cière et des perspectives à long terme. La fragilisation financière des ménages semble eneffet les inciter à augmenter le taux d'épargne pour tenir compte de la dégradation deleurs prévisions quant à l'évolution à venir de leur revenu/patrimoine, et des difficultéscroissantes qu'ils pourraient par conséquent rencontrer.

43

Source : ECB Financial stability review, June2011, p. 55

Source : Bulletin de la BDF, n° 184, 2e trim. 2011, p. 65.

... réoriente l'épargne vers la liquidité et les placements les moins risqués.

Page 44: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Endettement et taux d'épargne des ménages – Zone euro

Un redressement substantiel de la propension à épargner est paré de vertus dans le cadrethéorique dominant, du moins à long terme. Il est susceptible en effet de détendre lesconditions de financement de l'investissement productif et d'accélérer la croissance économique. Ce mécanisme suppose cependant que le taux d'intérêt soit la variable parlaquelle s'ajuste l'offre et la demande de financement, ce qui, comme nous l'avons vu auchapitre précédent, fait abstraction du rôle spécifique que joue le taux d'intérêt en présenced'incertitude. Dans l'approche postkeynésienne, une augmentation de la propension àépargner (s devient s' > s) diminue avant tout la demande effective, la production et l'emploi en rapport avec la diminution des dépenses de consommation des ménages (Y = C + I devient Y' = C' + I, C' < C). Cette diminution est telle que le flux d'épargne géné-ré par le revenu courant (s' x Y) soit égal à l'investissement. L'ajustement de S à I passeici par la baisse du revenu national et non pas par la baisse du taux d'intérêt. Or l'ajuste-ment n'induit nullement une hausse de l'investissement (44), de sorte que même en sup-posant l'incitation à investir inchangée, il vient s'Y' = I, donc Y' < Y.

Il est intéressant de noter que l'OCDE semble, sur ce point, se rallier à l'analyse keyné-sienne dans ses perspectives économiques : « Un risque de dégradation particulier tient àce que de nouvelles baisses des prix des logements aux États-Unis et au Royaume-Uniauraient des effets négatifs sur les bilans des ménages, entraînant ainsi un ralentissementde la consommation et une augmentation des taux d’épargne (45). » Cela s'explique enfait par l'horizon temporel retenu et par les effets de ce « choc exogène » sur le taux d'intérêt. À long terme et à taux d'intérêt inchangé, l'augmentation du taux d'épargneserait un facteur de croissance plus vive selon l'approche théorique habituelle de l'OCDE.Mais si les taux d'intérêt devaient s'en trouver durablement plus élevés la croissancepourrait s'en trouver durablement amoindrie, de sorte que, malgré la hausse de la propension à épargner, l'épargne serait moindre du fait d'un revenu moindre.

44

(44) Il aurait plutôt tendance à le déprimer : si la baisse de la consommation courante est interprétée comme lerésultat d'une diminution durable de la propension à consommer, les perspectives de débouchés sont durable-ment affectées, ce qui est susceptible de diminuer le rendement anticipé du capital à long terme et, par consé-quent, l'incitation à investir.(45) Perspectives économiques de l'OCDE, n° 88, 2010, p. 13.

Source : ECB, Financial stability review,June 2011, p. 54

Source : Ibid. p. 25

Page 45: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Les perspectives sont-elles meilleures en ce qui concerne la demande des entreprises ?L'orientation des taux d'intérêt à long terme n'est certes pas favorable, mais l'investisse-ment ne dépend pas du seul taux d'intérêt dans l'approche postkeynésienne. L'optimismeou le pessimisme des anticipations de rendement joue de ce point de vue un rôle toutaussi important. Or ces anticipations dépendent du dynamisme attendu de la dépensedes consommateurs, dont il ressort, au regard des développements précédents, qu'il seravraisemblablement inférieur à celui qui prévalait avant la crise, et du dynamisme desdépenses publiques, dont il serait déraisonnable d'attendre beaucoup dans le contexteactuel (nous reviendrons sur ce point au chapitre suivant). Ces vues tranchent avec l'opti-misme qu'affichent les plus récentes études conjoncturelles (cf. encadré).

Les pronostics optimistes sur l'investissement des entreprises

« En revanche, les entreprises pourraient investir davantage que prévu compte tenu du niveauélevé de leurs bénéfices et les marchés d’actions pourraient se redresser plus vigoureusement,étant donné que les cours des actions s’écartent des normes historiques dans des proportionsatteignant plusieurs fois les bénéfices dans certains pays. » (46)

Indicateur synthétique du climat des affaires

Source : Insee

L'optimisme des études conjoncturelles provient de l'attention exclusive portée aux prévi-sions de courte période. Les indicateurs du climat des affaires sont en effet dérivés desréponses apportées à des questionnaires concernant les intentions/prévisions à l'horizonde quelques mois (un an tout au plus, pour l'enquête de l'Insee sur l'investissement). Orces prévisions sont largement influencées par des variables comme le taux d'utilisationdes capacités, les carnets de commandes, etc. Par conséquent, elles découlent de l'état del'économie plus qu'elles ne l'influencent. Toute phase décroissante du cycle des affairesvoit s'accroître les stocks dans un premier temps, ce qui fait naître à juste titre des prévi-sions pessimistes sur l'investissement, les taux d'utilisation... Puis les prévisions seredressent quasi mécaniquement dès que les stocks deviennent faibles et que les entre-prises considèrent qu'elles pourraient n'être plus en mesure de satisfaire la demande(même si celle-ci restait encore déprimée). Il est donc tout à fait possible que le « climat

45

(46) Perspectives économiques de l'OCDE, n° 88, 2010, p. 13.

Page 46: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

des affaires », mesuré de la sorte, s'améliore sensiblement alors même que la demandeagrégée, la production et l'emploi n'exhibent que de piètres performances. C'est ce quicaractérise les dernières enquêtes conjoncturelles. Mais, ce qui déterminera l'ampleur dela phase de reprise (entraînant par là même les futures anticipations de courte période),ce sont les prévisions à long terme, à travers leurs effets sur l'importance de la vagued'investissement, et éventuellement sur le comportement des consommateurs.

Au plus fort du ralentissement économique, les entreprises ont vu s'accroître les stocks etont stoppé l'investissement en conséquence. Mais elles ont ensuite beaucoup diminué lesdéclassements d'équipement afin de ne pas encourir une pénurie de capital, cependantque les stocks revenaient à des niveaux normaux.

Stocks et déclassements d'équipements dans l'industrie

Série 001586014 : Enquête Mensuelle Industrie : Industrie manufacturière, industries extractives et autresNiveau des stocks de produits finis (solde d'opinion) (brut)

Sources : Insee

Bien que faible, la reprise finit par redresser le taux d'utilisation des capacités ; mais elletrouve un appareil productif vieilli et des stocks faibles, ce qui constitue un ensemble debonnes raisons pour une nouvelle vague d'investissements. On peut certes s'en réjouir,

46

Série 001583873 : Évolution des déclassements d'équipements par rap. à l'an. préc. (solde d'op. en % des rep.) –Industrie manufacturière, industries extractives et autres – Réalisation constatée en avril de l'année suivante.

Page 47: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

mais il ne faudrait pas venir si près de l'arbre qu'il nous cache la forêt : si les prévisionssont parfaitement fondées à anticiper un sursaut de l'investissement, son importance etdonc son impact sur la reprise économique dépendront des taux d'intérêt et des anticipa-tions de rendement à long terme, lesquelles peuvent être plus ou moins optimistes engénéral, mais auront tout lieu, pour les raisons indiquées plus haut, de ne pas privilégierdes hypothèses aussi optimistes que celle d'avant la crise.

Indicateurs et prévisions à long terme

Bien qu'ils puissent difficilement tenir lieu de prévisions des entreprises, puisqu'ils proviennentd'enquêtes menées auprès des ménages, les indicateurs présentés dans l'encadré « Tensions surles taux d'intérêt à long terme » sont plus éclairants sur les tendances à venir que ceux issus desenquêtes de conjoncture de l'Insee, de la Banque de France (excepté les travaux de Arrondel,Savignac et Tracol mentionnés plus haut), ou des institutions internationales comme l'OCDE oula banque centrale européenne, car ils expriment les vues à l'horizon de cinq ans, de même quel'indice de confiance élaboré par l'université du Michigan.*

Définition : Il existe plusieurs indicateurs de la mesure du moral des ménages, parmi ces derniers, l'un est assez célèbre, il est, comme son nom l'indique, calculé et publié chaque moispar l'Université du Michigan. Pour le calculer, environ 500 personnes sont interrogées sur leurvision de l'avenir économique à court et moyen terme (1 an et 5 ans) ainsi que sur leurs financespersonnelles. L'influence de cet indicateur américain est assez forte sur les marchés car il est unvrai indicateur avancé de la consommation future des individus.Source : abcbourse-Université du Michigan* Sur la construction des indicateurs conjoncturels, on pourra consulter les notices méthodologiques des institutions citées (disponibles en ligne) :Pour l'enquête Insee sur l'investissement dans l'industrie : http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind15/method_idconj_15.pdf, Pour les enquêtes Insee mensuelles et trimestrielles de conjoncture dans l'industrie : http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind11/method_idconj_11.pdf et http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind12/method_idconj_12.pdf,Pour l'indice Insee de confiance des consommateurs : http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind20/method_idconj_20.pdf ).Pour les enquêtes de la banque centrale européenne : http ://ec.europa.eu/economy_finance/db_indicators/surveys/documents/userguide_en.pdf.Pour les enquêtes de l'OCDE : http ://www.oecd.org/dataoecd/16/14/2389378.pdf et http ://www.oecd.org/dataoecd/7/47/2724851.pdf.

47

Page 48: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

En ce qui concerne les débouchés externes, il convient de ne pas céder aux analyses àcourte vue selon lesquelles une bonne maîtrise des coûts suffirait à améliorer les perfor-mances macroéconomiques grâce aux gains obtenus sur les marchés internationaux. Ceraisonnement ne manque pas de fondements à l'échelle microéconomique, mais lesimplications macroéconomiques qu'en déduisent les conjoncturistes sont excessivementoptimistes, car les efforts des firmes pour s'imposer face à leurs concurrentes ne génè-rent pas en soi une demande agrégée supplémentaire capable de dynamiser l'économiedans son ensemble. Ils permettent tout au mieux à certaines de prendre des marchés àd'autres, éventuellement à des concurrents étrangers.

Quand bien même les firmes d'un pays contiendraient les salaires davantage que celles despays partenaires, comme il semble que ce soit le cas des firmes allemandes en Europe, celane ferait que changer la nature du problème sans apporter de réponse au fond. Les économies européennes sont en effet dans les relations d'interdépendances qui rendentproblématique pour un pays membre le fait de gagner des parts de marchés au détrimentde ses partenaires (Van Treeck & alii 2010). L'Allemagne a jusqu'à présent mieux tiré sonépingle du jeu que la plupart de ses partenaires de la zone euro, mais c'est dans uncontexte dépressif qui risque fort de générer plus de forces dépressives encore, y comprispour l'Allemagne elle-même ; de même que lorsque le « modèle allemand », vanté dansla seconde moitié des années quatre-vingt pour ses vertus anti-inflationnistes, avait étéadopté par la quasi totalité des membres du SME, obsédés par les avantages illusoires dela désinflation compétitive. Qui en Europe aurait intérêt à ce que se généralisent des poli-tiques de maîtrise des coûts unitaires basées sur une augmentation de la productivité, siles gains de productivités des partenaires devaient se neutraliser les uns les autres, etqu'au bout du compte, seule devait augmenter la capacité productive de l'ensemble, sansentraîner la demande globale ? Qui aurait intérêt, dans le même ordre d'idée, à ce que segénéralisent des politiques d'austérité salariale visant à stimuler la compétitivité interna-tionale, si les efforts nationaux devaient se neutraliser mutuellement, ne laissant au boutdu compte qu'une demande globale anémiée ? Ce sont ces mêmes politiques qui, souscouvert de « désinflation compétitive », ont accompagné le marasme de l'union euro-péenne avant la crise du SME au début des années quatre-vingt dix. (47)

Taux de chômage (données mensuelles), Zone euro, %

Seasonally adjusted, not working day adjusted – Standardised unemployment Sources : ECB, Eurostat

48

(47) Voir Asensio 2002.

Page 49: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

La poussée du chômage aura-t-elle sur les salaires réels l’influence autorégulatrice miseen avant par les économistes orthodoxes ? Comme nous l’avons vu, une baisse dessalaires nominaux serait plutôt de nature à déprimer davantage les perspectives dedébouchés (48). D'une part en affaiblissant davantage la propension à consommer globalede l'économie, dans la mesure où les ménages salariés ont une propension à consommersupérieure à celle des actionnaires, de sorte que la baisse de la demande des premiersserait sans doute plus importante que l'augmentation éventuelle de la demande desseconds. D'autre part, en incitant les entreprises à retarder les investissements pour pouvoir bénéficier de la baisse prévisible du coût des biens d'équipement. La stabilisationde l’économie dans un tel cas de figure dépend de la capacité des institutions du marchéde travail (syndicats, direction des entreprises, pouvoirs publics) à empêcher la baissedes salaires. Dans ses perspectives économiques 2011, l'OCDE reconnaît l'argument,même si de manière assez contradictoire, l'analyse s'écarte ensuite sensiblement de l'argumentation de Keynes, puisque le regain d'activité est alors présenté comme laconséquence de l'effet des gains de productivité sur le coût unitaire du travail, argumentde l'« économie de l'offre », et non pas comme la conséquence du redressement de lademande agrégée (49).

« Un autre facteur qui pourrait influer sur le rythme du recul du chômage est l’évolution descoûts de main-d’œuvre. Dans la plupart des pays, les salaires ont fortement décéléré, l’ajus-tement se produisant au cours d’un ou deux trimestres après le début de la récession. Onpeut faire valoir que la réaction modérée des salaires à la gravité de la contraction de la production a aidé à limiter le risque de déflation au creux de la récession, car autrement celaaurait rendu plus difficile encore la tâche des politiques de demande. Néanmoins, le ralentis-sement des salaires, à la fin de 2009 et au début de 2010, conjugué à un rebond de la produc-tivité, a été suffisant pour entraîner une décélération des coûts unitaires de main-d’œuvre (etmême une baisse, dans plusieurs pays) qui a aidé à endiguer les pertes d’emploi (...). Enoutre, des mesures ont été prises, dans plusieurs pays, pour réduire la composante non sala-riale des coûts de main-d’œuvre, en particulier grâce à des réductions ciblées des chargessociales. On ne saurait dire encore si l’ajustement global des coûts de main-d’œuvre qui en arésulté a été ou non suffisant pour permettre une croissance soutenue de l’emploi à courtterme. » (Perspectives économiques de l'OCDE 2011, n° 89, p. 286).

À moins que l’action des pouvoirs publics ne parvienne à soutenir des vues suffisammentoptimistes quant aux risques associés aux actifs financiers, quant à la rentabilité desinvestissements et quant aux débouchés futurs, c'est-à-dire, à rétablir l’« état de laconfiance », l'après crise devrait donc être caractérisé par une dégradation des perspec-tives à long terme, susceptible dès à présent de durcir les conditions de financement del'économie, de peser sur la consommation et l'investissement privés, et de ralentir parconséquent l'accumulation du capital et la croissance par rapport à la période ayant pré-cédé la crise.

C) Les problèmes à retardement

Contrairement à ce qui s'était produit lors de la précédente grande crise de 1929, les premières réactions des pouvoirs publics ont cette fois permis d'éviter les phénomènesde panique bancaire et de limiter les dégâts dans le secteur financier. Mais ces réactionsn'ont fait que transformer le problème afin qu'il soit supportable pour les acteurs privés,en collectivisant les pertes et en accablant ce faisant le secteur public.

Inflation des prix d'actifs : retour à la case départ

Les injections de liquidités liées au sauvetage du système financier sont la contrepartied'une monétisation à grande échelle de dettes privées dont les marchés en étaient arrivésà constater le caractère irrécouvrable ou la très forte dévalorisation. La confiance en unprompt retour de la croissance a pu laisser un temps les plus optimistes espérer que lesdébiteurs seraient rapidement en mesure d'acquitter leurs dettes, et que les banques centrales pourraient alors retirer l'excès de liquidités, mais la décision concernant l'injec-

49

(48) Les salaires réels pourraient alors augmenter sous l'effet de la baisse des prix des biens, dans une sorte dedéflation cumulative, de sorte que la faiblesse de l'activité ne serait pas la conséquence d'un salaire réel tropélevé, mais sa cause, comme l'avait remarqué Keynes (1936, p. 294).(49) Les gains de productivité du point de vue postkeynésien sont consécutifs à la reprise. Il est bien connu quel'emploi ne reprend pas immédiatement lors d'un regain d'activité, mais seulement après un délai, pendantlequel la productivité augmente mécaniquement.

Page 50: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

tion de 600 milliards de dollars supplémentaires, annoncée par la FED au début du moisde novembre 2010, montre que plus de trois ans après le début des premiers troubles,l'heure était toujours à la monétisation. Quant à l'arrêt de l'assouplissement quantitatif enEurope et plus récemment aux États-Unis, il ne saurait masquer le fait que les politiquesmonétaires restent très accommodantes en termes de coûts des refinancements offertsaux banques.

BRI, 81e rapport annuel, juin 2011, p. 57.

Faute de pouvoir financer de nouvelles activités productives, le surplus de liquidités asurtout servi à alimenter la demande et à regonfler les prix sur les marchés d'actifs (50) etde valeurs refuges, comme l'or ou certaines matières premières (cf. encadré) (51). C'estdonc grâce à la ré-inflation des actifs que la tourmente financière a pu temporairementêtre maîtrisée. Il fallait certes agir dans l'urgence pour stopper la panique ; guérir le mal parle mal. Mais les mesures de régulation des activités financières, si tant est qu'elles par-viennent à terme à juguler les pratiques douteuses, tardent à entrer en vigueur, de sorteque les indices de prix des actifs ont plus ou moins retrouvé les niveaux comparables àceux qui prévalaient avant la crise.

50

(50) Non seulement de manière indirecte, c'est-à-dire en fournissant au système financier la liquidité requise à lacontinuation de ses activités, mais aussi d'une manière directe dans certains cas : « Les mesures prises par laBCE ont conduit à une progression de son bilan de plus de 45 % entre septembre 2008 et janvier 2009. Pour lemoment ces mesures ont principalement cherché à accroître la liquidité du marché interbancaire alors que lesautres banques centrales ont aussi visé à influer le prix de certains actifs financiers (publics ou privés) à traversleurs achats (Fed, Banque d'Angleterre et Banque du Japon). » (DGTPE, Lettre Trésor-Eco, n° 56, Avril 2009, p. 1).(51) Le rétablissement des marchés financiers en 2009 est documenté par exemple dans le rapport sur la stabilitéfinancière dans le monde du FMI (IMF, Global Financial Stability Report, Market Uptdate, January 2010).

Page 51: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Le prix des actifs et des matières premières

Sources : Natixis, Flash marchés – recherche économique n° 369, 18 mai 2011, p. 2.(L'indice CRB est un indice de référence des prix des matières premières)"There is no doubt that investment in financial derivatives markets for agricultural commoditiesincreased strongly in the mid-2000s, but there is disagreement about the role of financial specu-lation as a driver of agricultural commodity price increases and volatility. While analysts argueabout whether financial speculation has been a major factor, most agree that increased participa-tion by non-commercial actors such as index funds, swap dealers and money managers in finan-cial markets probably acted to amplify short term price swings and could have contributed to theformation of price bubbles in some situations. Against this background the extent to which finan-cial speculation might be a determinant of agricultural price volatility in the future is also subjectto disagreement. It is clear however that well functioning derivatives markets for agriculturalcommodities, could play a significant role in reducing or smoothing price fluctuations – indeed,this is one of the primary functions of commodity futures markets." ("Price Volatility in Food andAgricultural Markets : Policy Responses", Policy report to G20 coordinated by the FAO and theOECD, June 2011, p. 12).

51

Page 52: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Le secteur de l'immobilier en France

Bulletin de la Banque de France, n° 183, p. 5. Bulletin de la Banque de France, n° 183, p. 5.

Bulletin de la Banque de France, n° 183, p. 4.

Indice de prix des logements anciens – 2005-2011

Source : BDM, INSEE

52

Page 53: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Ces évolutions sont porteuses de menaces bien plus grandes que celles qui ont précédéla crise des "subprimes", car un nouveau krach interviendrait dans un contexte écono-mique dégradé où la capacité d'intervention des pouvoirs publics serait très affaiblie.Mais quand bien même un tel scénario resterait virtuel, les problèmes seraient encoreloin d'être résolus, car la dépression économique et la monétisation massive de dettespartiellement irrécouvrables provoquées par la crise financière laissent dans leur sillagedes difficultés avec lesquelles il va falloir longtemps composer.

Collectivisation des pertes (I) – le problème de la dette publique

La crise financière a en effet provoqué une très forte dégradation des finances publiques.D'une part en raison du sauvetage des banques (52), et d'autre part à cause de l'augmen-tation induite des aides aux entreprises et aux ménages, et du manque à gagner dû à ladépression (53).

En ce qui concerne le coût direct, nombre de banques se sont plus ou moins acquittéesdes aides publiques. D'aucuns ont même prétendu que les finances publiques y gagne-raient au final, grâce à la revente des actifs et aux intérêts à percevoir. C'était sans doutealler un peu vite en besogne si l'on veut bien considérer le problème des aides non récu-pérables, de la dévalorisation des créances douteuses détenues par l'État sur le secteurprivé (54) et l'ampleur des dégâts collatéraux causés aux économies, à commencer parles dettes publiques.

D'après l'étude mentionnée, le FMI estimait la dégradation des comptes publics (i.e. l'aggravation du déficit, en % du PIB) à 3,5 % en 2009 et 3,8 % en 2010 pour la France (130à 135 milliards d'euros sur les deux années), 4,2 et 5,7 pour l'Allemagne, 7,2 et 8,3 pour leRoyaume-Uni et 10,7 et 7,8 % pour les États-Unis. À grands coups de recapitalisations,nationalisations et renflouements divers, les finances publiques et les bilans des banquescentrales ont endossé les maux des banques privées. De sorte que malgré des bilansencore lestés par d’importants montants de créances douteuses, nombre de banques privées impliquées dans la tourmente de 2008 avaient renoué avec les profits un anaprès. Certaines affichant même des performances n'ayant rien à envier à la situationd'avant-crise, et dont le contraste avec le marasme économique ambiant ne fait que souli-gner le caractère artificiel. Ces profits ne renfloueront pourtant que faiblement lescomptes publics, la taxe imposée aux banques n'étant censée générer en France qu'environ500 millions d'euros en 2011 et 2012, et 800 millions en 2013. En Allemagne l'ordre degrandeur est de 1,5 milliard à l'horizon 2013, 2 milliards au Royaume-Uni. Ces chiffressont sans commune mesure avec les dégâts causés aux finances publiques. Aux États-Unis, le projet de taxation des banques a été abandonné. À défaut de taxer plus substan-tiellement les profits des banques, les gouvernements des pays touchés par le séismefinancier en sont venus à mettre en œuvre des plans de rigueur, d'ores et déjà programméssur plusieurs années, qui accroîtront les prélèvements fiscaux et sociaux, tout en réduisant la protection sociale et les services publics. Ils organisent de ce fait une véri-table collectivisation des pertes privées, en reportant sur l'ensemble de la population lesdégâts causés par le secteur financier.

Il est vrai que la reprise économique est susceptible d'atténuer le problème des financespubliques, du fait des rentrées fiscales notamment, et de la diminution de certainesdépenses liées à dépression. Cependant, même dans l'hypothèse très optimiste d'un rapideretour à la trajectoire de croissance d'avant la crise et d'une réduction rapide des déficitspublics, le niveau de la dette publique resterait vraisemblablement longtemps supérieur àce qu'il était avant la crise, car les déficits passés continueront de peser sur la dette aussilongtemps que des excédents en nombre suffisant n'auront pas compensé leurs effets.

53

(52) D'après la note du FMI ("Update on Fiscal Stimulus and Financial Sector Measures", avril 2009), le Royaume-Uni avait consacré l'équivalent d'un cinquième du produit intérieur brut au sauvetage des banques, le Canada,près de 9 %, et les États-Unis, plus de 6 %. Les données sont moins spectaculaires pour les autres grandes puis-sances européennes mais représentent des sommes tout à fait considérables (1,5 %, soit près de 30 milliardsd'euros, pour la France). Voir l'annexe 3 pour des informations plus complètes.(53) Pour une approche quantitative des réponses monétaires et budgétaires apportées à la crise, voir le rapportde la banque des règlements internationaux (Bank for International Settlements, 2009, pp. 91-115). (54) Le taux de récupération à l'horizon de cinq ans des aides financières directes, estimé par le FMI pour lespays cités plus haut, se situe approximativement entre 50 et 60 %, sauf pour le Royaume-Uni (80 %) ; cf. "TheState of Public Finances : Outlook and Medium-Term Policies after the 2008 Crisis", March 2009.

Page 54: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Le problème est d'autant plus préjudiciable que certaines sommes ont été dépensées àl'acquisition de créances douteuses qui ne rapporteront probablement pas ce qu'elles ontcoûté et qui par ailleurs n'ont pas servi à améliorer les services publiques ou accroître leséquipements collectifs. Ces dépenses ne font par conséquent qu'accroître le déficit publicsans livrer les contreparties positives habituelles (55), ce qui rend le processus plus perni-cieux encore.

"Yet, despite the strong and swift response to the crisis, many economies now face the realprospect of a protracted period of sub-par growth. This exacerbates a growing problem ofhigh budget deficits and unsustainable levels of government debt, (...). Unsurprisingly, manygovernments, particularly in the developed regions of the world, are confronting increasedpressures in financial markets to quickly enact sweeping fiscal austerity measures." (Interna-tional Labour Office/International Labour Organization, Global Employment Trends 2011,Geneva, 2011, p. 2).

Collectivisation des pertes (II) : injections monétaires et viabilisation des créances douteuses

Comme le montre l'explosion des bilans des grandes banques centrales, celles-ci ont également acquis des créances douteuses comme collatéraux des liquidités injectéesmassivement dans le système bancaire (56). Certains auteurs soutiennent qu'il n'y a paslieu de se soucier des « actifs toxiques » acceptés par les banques centrales. Pour PaulDavidson par exemple, l'un des représentants les plus en vue du courant postkeynésien :"These assets are called ‘toxic’ not because they are worthless in the sense that they maynever generate a future cash inflow, they are ‘toxic’ because the market doesn’t knowhow to evaluate them. [...] we are going to make a profit because over the long runenough people are going to continue to pay their mortgages or whatever backs theseexotic financial assets so we will make a profit on it, which says that these things have avalue, but we don’t know what that value is." (Davidson, 2009). Cependant, comme l'indique Horn (2008, p. 6) : "[...] it is not guaranteed that the ECB can sell them with profits.The ECB takes this into account to some extent by applying a uniform haircut add-on between 5 and 10 % and other down payments."

Quoi qu'il en soit, ces pertes potentielles ne sont que l'arbre qui cache la forêt, car mêmesi les banques centrales parvenaient à retirer les liquidités injectées pour le sauvetage desbanques, ce qui paraît très optimiste dans la mesure où il serait risqué dans le contexteactuel de remettre de grandes quantités de créances douteuses dans le circuit financier, iln'en reste pas moins vrai que le système bancaire américain avait créé de grandes quan-tités de monnaie pour le financement de logements privés et d'investissements dans laconstruction en échange de promesses de remboursement qui ne seront finalement pashonorées, ou seulement partiellement. Bien avant que la crise n'éclate, des masses de « mauvaise monnaie » avaient ainsi déjà inondé les marchés et alimenté l'inflation desprix d'actifs et des matières premières dans le monde entier.

Quand les marchés d'actifs se sont effondrés, entraînant avec eux la valeur marchandedes titres, l'explosion de la préférence pour la liquidité dans le secteur bancaire a quasi-ment absorbé toute la liquidité émise par les banques centrales (cf. supra l'augmentationdes réserves des banques dans les bilans des banques centrales), mais la lenteur desavancées en matière de régulation prudentielle n'a pas suffisamment entamé l'attractivitédes marchés d'actifs pour empêcher que la masse des liquidités ne gonfle à nouveau lesprix des actifs. En l'absence de règles plus contraignantes, et susceptibles par conséquentde tempérer les marchés en rendant les actifs moins attractifs, le processus pourrait sepoursuivre et s'amplifier jusqu'à ce qu'un nouvel effondrement vienne le stopper. Mais àmesure que les nouvelles règles prudentielles détourneront les capitaux des marchés

54

(55) Pour une approche quantitative voir International Monetary Fund, 2009c, Staff Position Note SPN/13/09.D'après la base de données de Laeven and Valencia (2008, p. 24) sur les crises bancaires systémiques : "Fiscalcosts, net of recoveries, associated with crisis management can be substantial, averaging about 13.3 percent ofGDP on average, and can be as high as 55.1 percent of GDP. Recoveries of fiscal outlays vary widely as well,with the average recovery rate reaching 18.2 percent of gross fiscal costs. While countries that used asset mana-gement companies seem to achieve slightly higher recovery rates, the correlation is very small, at about 10 per-cent. Finally, output losses (measured as deviations from trend GDP) of systemic banking crises can be large,averaging about 20 percent of GDP on average during the first four years of the crisis, and ranging from a low of0 percent to a high of 98 percent of GDP."(56) Voir sur ce point le rapport de la Banque des règlements internationaux (Bank for International Settlements2009, pp. 91-110).

Page 55: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

boursiers, il est vraisemblable que ceux-ci se réorienteront en partie vers les marchés debiens durables, de matières premières et de l'or, amplifiant ainsi les hausses de prix quise profilent sur ces marchés.

Inflation et sous-emploi keynésien

Selon Keynes, dans un contexte de sous-emploi, les prix des biens augmentent de concert avecle niveau de l'activité et de l'emploi lorsque s'accroît la demande agrégée (GT, Ch. 21, section III,p. 295 & s.). Mais il s'agit là d'un phénomène lié à la décroissance des rendements des facteurs,différent de l'inflation véritable : "When a further increase in the quantity of effective demandproduces no further increase in output and entirely spends itself on an increase in the cost-unitfully proportionate to the increase in effective demand, we have reached a condition which mightbe appropriately designated as one of true inflation" (GT, p. 303). On notera que dans cette défi-nition, le sous-emploi est une condition suffisante pour qu'une augmentation de la demande produise de l'inflation véritable, mais pas une condition nécessaire. Comme l'a remarqué VictoriaChick, "there is nothing in [The General Theory] which actually impedes understanding of theconjunction of unemployment and inflation" (Chick 1983, p. 280). Lorsqu'en temps normal lamonnaie de crédit finance des investissements productifs, la rentabilisation de ces derniers permet le remboursement des sommes initialement empruntées, de sorte que la monnaie estretirée du circuit de financement une fois que les produits ont été créés et écoulés sur les mar-chés. L'inflation par conséquent ne peut se développer, que l'économie soit au plein emploi ounon, car le pouvoir d'achat monétaire est retiré du marché quand les produits ont été échangés.Il est clair que l'inflation véritable se développerait dans une économie en plein emploi si lamasse monétaire venait accroître le pouvoir d'achat en circulation sans que les richesses pro-duites soient plus abondantes, par exemple sous l'effet d'une monétisation d'un déficit publiccausé par des dépenses non productives. Mais l'inflation véritable peut aussi bien se développeren dessous du plein emploi si les projets financés ne permettent pas le remboursement intégraldes dettes, comme dans le contexte de la crise financière (57). C'est ainsi que, malgré un taux dechômage de 12 %, Keynes (1937) exprima son inquiétude quant aux possibles pressions infla-tionnistes qui pouvaient résulter de la proposition du gouvernement britannique de financer leréarmement en partie par l'emprunt. De telles tensions résulteraient dans le contexte actuel desdélais nécessaires pour accroître les capacités productives, et non pas du détournement descapacités de production en direction du réarmement. À mesure que la situation économique etfinancière se normalisera, et que le retour de la confiance dégonflera la préférence pour la liqui-dité, d'importants montants de monnaie auront tendance à affluer sur les marchés d'actifs, debiens durables et de matières premières. Si le durcissement de la réglementation financière faitréellement sentir ses effets, il se pourrait que les producteurs de biens durables et de matièrespremières ne soient pas en mesure de répondre à la demande dans des délais suffisammentcourts pour éviter l'inflation dans ces secteurs, et de là, sa propagation dans l'économie. Selon le FMI, les capacités de production ont en effet souffert durant la dépression (International Mone-tary Fund, World Economic Outlook 2009, p. 31-33) de sorte que malgré le fait que les entreprisesaient retardé les déclassements d'équipements, les taux d'utilisation des capacités sont à présentrelativement élevés (cf. Section B supra).

« La récession a entraîné une diminution permanente du potentiel de production. Pour l’ensemblede l’OCDE, on estime qu’il sera à peu près 2 ! pour cent inférieur en 2012 à ce qu’indiquaient lesprojections faites avant la crise. Cela représente la perte de plus d’une année de croissance pourcette région. Les causes en sont la baisse du stock de capital, les entreprises ayant réagi à la find’une période de financement à bon marché, et la hausse du chômage de longue durée qui résulted’effets d’hystérésis entraînant une aggravation du sous-emploi structurel. »

(Perspectives économiques de l'OCDE, n° 89, version préliminaire, p. 248).

« Les risques d'inflation ont globalement augmenté, sous l'effet conjugué d'une diminution descapacités inutilisées et d'un renchérissement des denrées alimentaires, de l'énergie et des autresproduits de base ».

(Banque des règlements internationaux, Rapport annuel, juin 2011, p. XII).

L'ampleur des éventuelles pressions inflationnistes (ou l'ampleur des mesures qui serontadoptées pour les contrer) dépendra de la capacité des autorités à retirer à temps d'importantes quantités de monnaie. La difficulté n'est cependant pas d'ordre technique ;elle réside dans le fait que le système financier reste fragilisé, et qu'il serait par consé-quent risqué d'y réintroduire d'importantes quantités d'actifs toxiques en échange desliquidités retirées.

55

(57) De telles tensions apparaîtraient le cas échéant dans une situation de sous-emploi massif, ce qui différencieradicalement l'argument par rapport à la thèse monétariste. Voir Asensio (2009) pour une analyse détaillée.

Page 56: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

IV. LES POLITIQUES PUBLIQUES EMPÊTRÉES

A) La nature du problème et le point de vue du courant de pensée dominant

Au-delà de la dépression économique qu'elle a déclenchée, la crise financière laisse derrière elle un chapelet de difficultés qui assombrissent l'horizon et les perspectives decroissance : fragilisation du système financier et durcissement à venir des conditions definancement, dégradation de l'état de la confiance et des prévisions à long terme, dégra-dation des finances publiques et monétisation à grande échelle de dettes privées. Lespolitiques macroéconomiques abordent la phase de reprise affaiblies, alors mêmequ'elles sont confrontées à des situations particulièrement difficiles (58). D'une part lesgouvernements craignent la sanction des marchés s'ils ne mettent pas en œuvre des pro-grammes d'ajustement des finances publiques aux conséquences négatives pour la crois-sance économique. D'autre part, avec des taux directeurs encore proches de zéro, lespolitiques monétaires n'ont guère de marges de manœuvre (59), et devront par ailleursfaire face à deux dilemmes imbriqués : 1) Retirer les liquidités en fragilisant davantage lesecteur financier ou non (quitte à laisser se développer des tensions inflationnistes sur lesmarchés d'actifs et/ou de biens durables et matières premières). 2) Si les liquidités nesont pas massivement retirées afin de préserver le système financier, laisser filer l'infla-tion ou relever les taux d'intérêt (en dégradant davantage l'emploi, la croissance, lesfinances publiques...).

« (...) La persistance de taux d'intérêt très bas dans les grandes économies avancées retarde l'ajuste-ment indispensable des bilans des ménages et des établissements financiers. Elle accroît aussi lerisque de voir resurgir les distorsions apparues avant la crise. Si nous voulons bâtir un avenir stable, ilne faut pas qu'en prenant des mesures pour amortir l'impact de la dernière crise, nous semions lesgraines de la suivante. » Banque des règlements internationaux, rapport annuel, 2011, p. xii).« Aujourd’hui, avec l’explosion des prix des denrées alimentaires, de l’énergie et des autres produits debase, l’inflation est partout source de préoccupations. Au niveau mondial, l’orientation actuelle despolitiques monétaires paraît, de ce fait, incompatible avec la stabilité des prix ». (Banque des règle-ments internationaux, rapport annuel, 2011, p. 2).« Plus généralement, le rythme de l’assainissement et le choix des instruments d’action devrontprendre en compte la nécessité d’instaurer sans retard une dynamique viable de la dette publique, lavigueur de la reprise, l’adoption de réformes structurelles favorables à la croissance et la possibilitéd’utiliser la politique monétaire pour compenser les effets négatifs du resserrement budgétaire. »(Perspectives économiques de l'OCDE, 2011, n° 89, pp. 16-17).

Compte tenu des dilemmes auxquels sont exposés les pouvoirs publics, les conséquencesdes politiques macroéconomiques dépendront des arbitrages qui seront effectués. Nousexaminons ici les arbitrages tels qu'ils sont appréhendés par le courant de pensée domi-nant (le point de vue postkeynésien sera introduit plus loin).

En ce qui concerne la politique monétaire, les autorités peuvent par exemple décider delaisser filer l'inflation pendant quelques temps, c'est-à-dire jusqu'à ce que la valeur réelledes dettes douteuses et de la monnaie injectée en contrepartie soit réduite à hauteur desmontants irrécouvrables. Cette solution préserve l'activité économique et l'emploi, au

56

(58) Les trois sections de ce chapitre s'inspirent et développent diverses idées tirées des articles de Asensio &Lang (2010) et Asensio (2011c).(59) Un autre moyen est parfois suggéré pour soutenir l'activité lorsque les taux d'intérêt directeurs sontproches de zéro ; il consiste à tenter d'obtenir une baisse des taux d'intérêt réels par voie d'inflation. Ce type depolitique ne peut fonctionner que si les taux nominaux à long terme n'intègrent pas l'inflation par anticipation,ce qui en temps normal ne peut se concevoir que de manière très transitoire. Il peut être opportun en revanche,dans une phase de forte dépression, de chercher à contrebalancer la hausse des taux réels qu'implique la baissedes prix (et de l'activité), par des mesures qui seraient inflationnistes en temps normaux. C'est semble-t-il cequ'ont obtenu les grandes banques centrales, comme le suggérerait l'OCDE à la fin 2010 : « (...) suivant la duréeet l’ampleur du tassement de l’activité économique, des actions plus énergiques pourraient être nécessairespour faire baisser les taux d’intérêt réels dans les compartiments à plus long terme par de nouvelles mesuresd’assouplissement quantitatif et par des campagnes de communication. » (Perspectives économiques de l'OCDE, novembre 2010, p. 15). Il s'agit là cependant de mesures visant à éviter une déflation cumulative (baissedes prix et de l'activité ! hausse des taux réels ! baisse des prix et de l'activité...), qui ne sont pas appropriées,pour la raison rappelée plus haut, dans un contexte de la reprise de la croissance.

Page 57: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

détriment des créditeurs, dont la valeur réelle des créances se déprécierait en proportionde la hausse des prix. Si en revanche les autorités décidaient de ne pas laisser filer l'infla-tion, serait-ce temporairement, les conséquences alors pèseraient sur l'activité économiqueet sur l'emploi, ainsi que sur les emprunteurs, qui subiraient la hausse des taux d'intérêtrequise pour réprimer l'inflation.

En ce qui concerne les déficits publics, les gouvernements peuvent par exemple déciderd'augmenter la pression fiscale de manière à compenser le coût du soutien apporté ausecteur financier (ainsi que le coût des moindres rentrées fiscales dues à la récession quele secteur financier a provoqué). Comme les achats de dettes douteuses ne contribuentnullement au soutien à la demande privée, alors que la pression fiscale est clairement denature à la déprimer, cette solution pèserait sur l'emploi et sur le contribuable. Si enrevanche la pression fiscale était relevée de manière à ne combler que partiellement leseffets de la crise sur le déficit public, l'emploi serait moins sévèrement atteint, mais l'inflation serait moins réprimée.

Les autorités budgétaires et fiscales et les autorités monétaires devraient donc avoir àcomposer avec le fameux dilemme inflation/chômage, avec des effets distributifs cepen-dant différenciés selon l'arbitrage décidé. On notera qu'en soi les mesures budgétaires etmonétaires requises par la collectivisation des pertes privées ne sauraient soutenir l'acti-vité économique, mais devraient au contraire avoir des effets dépressifs, car même dansle cas le plus favorable à l'activité, celui où les autorités consentiraient à laisser filer l'inflation et le déficit public, cela ne ferait qu'éviter des mesures aux effets dépressifs,comme la hausse de la pression fiscale et des taux d'intérêts, ce qui en soi ne saurait sou-tenir la demande agrégée. De sorte que le processus de collectivisation des pertes n'estde nature à générer que des forces dépressives et/ou inflationnistes, selon les optionsretenues par les pouvoirs publics.

Les caractéristiques de la trajectoire de la reprise économique dépendront donc de lamanière dont les autorités répondront au contexte. Ces choix sont loin d'être figés, maisles évolutions récentes indiquent les tendances actuelles : d'une part l'arrêt des mesuresnon conventionnelles de politique monétaire, voire la tentation dans certains cas de commencer à remonter les taux d'intérêts à court terme ; d'autre part la mise en œuvrede programmes de redressement des finances publiques visant à réduire à terme lesratios d'endettement, ce qui dans certains cas implique des politiques budgétaires et fiscales restrictives (sous la forme d'excédents budgétaires primaires) à plus ou moinsbrève échéance (cf. encadré).

Les recommandations de politique économique de l'OCDE du FMI et de la Banque des règlements internationaux

OCDE« Dans les pays où le choix se présente, l’ampleur et la rapidité de l’assainissement des financespubliques dépendront en partie de la capacité de la politique monétaire à compenser les effetsdéfavorables à court terme du resserrement budgétaire sur la demande par un relèvement moinsimportant ou plus tardif des taux directeurs. » (...) « Il va falloir engager activement un assainis-sement budgétaire à partir de 2011 pour rétablir la viabilité des finances publiques dans presquetous les pays de l’OCDE. Le rythme de retrait des mesures de relance budgétaire dépendra del’état des finances publiques, de la facilité avec laquelle la dette publique pourra être financée, dela vigueur de la reprise et des engagements qui auront déjà été pris en termes d’assainissement.Il faudra laisser jouer les stabilisateurs automatiques autour de la trajectoire d’assainissementprévue afin de compenser toute faiblesse temporaire de l’activité, sauf dans les cas où l’actiondes pouvoirs publics risque sérieusement de se décrédibiliser. » (...) « Pour la plupart des autoritésmonétaires, la difficulté sera de mettre un terme aux mesures de relance exceptionnelles entenant compte de l’évolution de la situation macroéconomique et sans accentuer les fragilités desmarchés financiers. » (Perspectives économiques de l'OCDE, Évaluation générale de la situationmacroéconomique, version préliminaire, novembre 2010, pp. 14-16).BRI« La persistance de taux d'intérêt très bas dans les grandes économies avancées retarde l'ajuste-ment indispensable des bilans des ménages et des établissements financiers. Elle accroît aussi lerisque de voir resurgir les distorsions apparues avant la crise. Si nous voulons bâtir un avenirstable, il ne faut pas qu'en prenant des mesures pour amortir l'impact de la dernière crise, noussemions les graines de la suivante. » (...) « Le danger inflationniste qui, après les grandes écono-mies émergentes, menace aujourd'hui les économies avancées, renforce les arguments en

57

Page 58: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

faveur d'un relèvement généralisé des taux directeurs. » (...) « Les mesures non conventionnellestouchent à leur fin, et les banques centrales doivent faire face aux risques nés du gonflement etde la complexité de leur bilan. Leur crédibilité durement acquise dans la lutte contre l'inflationpourrait être entamée si ces risques n'étaient pas maîtrisés, comme elle pourrait l'être en cas deresserrement monétaire tardif par les canaux conventionnels. » (Banque des règlements interna-tionaux, Rapport annuel, juin 2011, p. XII).« L’endettement public continue en revanche d’augmenter. Il était légitime de laisser se creuserd’importants déficits budgétaires durant la crise et immédiatement après, car cette politique budgétaire expansionniste permettait alors d’éviter le pire. Maintenant que la reprise est enga-gée, toutefois, cette stratégie est de plus en plus dangereuse. Le sentiment du marché peut trèsvite changer, et forcer les pouvoirs publics à prendre des mesures encore plus draconiennes quecelles qui auraient été nécessaires à un stade antérieur. L’assainissement des finances publiquesne se fera pas en un jour, mais il doit commencer dès maintenant. » (Banque des règlementsinternationaux, Rapport annuel, juin 2011, p. 35).FMI"The time purchased with the extraordinary support measures of the past few years is runningout. Low policy interest rates that are close to the zero bound are likely to have a diminishingeffect over time. Fiscal stimulus and further government support of the financial sector are alsobecoming increasingly unpalatable politically. It is clear that monetary and fiscal policy supportcan be helpful in the short term, but that such support is no substitute for structural solutions tolongstanding problems." (IMF, Global financial stability report, Market Update January 2011, p. 5).« Pour consolider la reprise dans les pays avancés, il faudra maintenir une politique monétaireaccommodante aussi longtemps que la pression des salaires reste modérée, que les anticipa-tions inflationnistes sont bien ancrées et que le crédit bancaire est anémique. Par ailleurs, il fautplacer les finances publiques sur une trajectoire viable à moyen terme à l’aide de programmesde rééquilibrage budgétaire et de réformes des droits à prestations, en s’appuyant sur des règleset des institutions plus solides. Ce besoin est particulièrement urgent aux États-Unis, afin d’éviterde déstabiliser les marchés obligataires à l’échelle mondiale. En fait, les États-Unis ont mainte-nant de nouveau l’intention de mener une politique budgétaire expansionniste en 2011, plutôtque de rééquilibrer leur budget. Ils devraient s’efforcer de réduire le déficit prévu pour l’exercice2011. » (Perspectives de l'économie mondiale, FMI, avril 2011).

Source : International monetary fund (Shifting gears - Tackling challenges on the road to fiscaladjustment, Fiscal monitor, April 11, p. 18).

58

Page 59: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

(Shifting gears – Tackling challenges on the road to fiscal adjustment, IMF, Fiscal Monitor, April11, p. 22)

À titre d'illustration, selon les simulations du FMI (tableau ci-dessus), pour atteindre unratio de dette publique de 60 % au plus tard en 2030, les ajustements budgétaires en % duPIB qui devraient être réalisés entre 2020 et 2030 sont tels que la France devrait passerd'un déficit primaire (ajusté du cycle) de – 3,2 % en 2010 à un excédent de 3 %. La Grèced'un déficit de 3,1 % à un excédent de 7,4 %. Les États-Unis d'un déficit de 6,2 à un excé-dent de 11,3 %... De telles orientations indiquent clairement que le soutien qu'ont apportéles politiques monétaires et budgétaires à la demande globale est en passe de nettements'amoindrir plus ou moins rapidement selon l'importance des pressions inflationnistes et,pour ce qui concerne la politique budgétaire (60), de la pression des marchés, avant decéder la place à des politiques franchement restrictives.

59

(60) Les deux problèmes sont liés en partie, car l'inflation nourrit les revenus monétaires, qui alimentent eux-mêmes les rentrées fiscales. En outre, certains gouvernements sont concernés directement ou indirectementpar la valeur de marché des actifs douteux qu'ils ont garantis ou acquis. L'inflation sur les marchés d'actifs estpar ce biais également un facteur susceptible d'influencer l'état des finances publiques et le regard qu'y portentles détenteurs de titres de la dette publique sur les marchés.

Page 60: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

En ce qui concerne l'union européenne, on peut même s'attendre à une orthodoxie renforcée en matière de politique macroéconomique, compte tenu du « paquet gouver-nance » en préparation. Celui-ci viendra renforcer la rigueur du pacte de stabilité et decroissance en matière de respect des critères de déficit et de dette publique. Les négocia-tions ne sont pas terminées, mais la philosophie du paquet transparaît dans le compterendu du conseil des affaires économiques et financières du 15 mars 2011 (actualisé enjuillet) :

Accorder une plus grande attention à la réduction des dettes souveraines« Les critères définis dans le Pacte de stabilité et de croissance comprennent principalement ceuxrelatifs au respect du déficit budgétaire, mis en avant alors que les règles relatives aux dettespubliques n’étaient pas respectées, ce qui a mis en doute la crédibilité du système. Par conséquent, lespropositions du paquet des six textes législatifs accordent une importance particulière à la réductiondes dettes.En ce qui concerne les finances publiques, la nouvelle réglementation fait de la prévention une ques-tion prioritaire, en incitant les États membres à consentir des efforts pour obtenir un équilibre àmoyen terme. Tout écart par rapport à l’équilibre entraînerait ainsi des sanctions avant même que ledéficit n’atteigne le seuil maximal de 3 % du produit intérieur brut (PIB).En ce qui concerne l’ampleur des dettes publiques, la Commission et le Conseil ne prenaient aupara-vant aucune mesure si le déficit d’un État membre dépassait de manière durable 60 % de son PIB.Selon les nouvelles propositions, les déficits devront être réduits de manière plus drastique, notam-ment au moyen de l’introduction – d’autres facteurs pertinents étant également pris en compte – dela règle dite du «!vingtième!». Cette règle implique que si la dette d’un État dépasse le seuil des 60 %,il lui sera demandé de procéder à une réduction annuelle correspondant au vingtième de la partie desa dette dépassant ce seuil de 60 %. Si un pays a donc, par exemple, une dette de 80 %, il lui serademandé de réduire sa dette de 1 point par an. » (Conseil des affaires économiques et financières : http ://www.eu2011.hu/fr/news/conseil-accord-sur-le-paquet-de-gouvernance-economique)

B) Les difficultés seront aggravées par les politiques orthodoxes

Du point de vue postkeynésien, si les premières réactions des autorités ont clairement étémieux adaptées lors de la crise de 2008 qu'en 1929, le deuxième round est bien mal engagé.Le principal danger est de mettre à mal la croissance de la demande privée, alors mêmequ'au-delà d'une reprise à caractère technique, elle sera, comme nous l'avons vu au chapitre précédent, peu encline à retrouver d'elle-même les conditions d'avant la crise. Ilest à craindre d'ailleurs que les prévisions à moyen terme des entreprises et des ménagesintègrent dès à présent le durcissement à venir des politiques macroéconomiques, affai-blissant plus encore l'incitation à investir et la propension à la dépense.

Source : IMF, Regional economic outlook, Europe, May 2011, p. 1.

60

Page 61: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Le but des politiques recommandées par le courant de pensée dominant, tel qu'il s'exprimedans les rapports ministériels ou d'institutions comme l'OCDE ou le FMI, est de réduire leratio dette publique/PIB de manière substantielle, afin que les marchés continuent de prêter à l'État sans exiger une prime de risque pénalisante. Ces principes peuvent êtrejustifiés dans une économie de plein emploi en bonne santé. Ils permettent le cas échéantde mettre un terme à la séquence perverse : déficit public – accroissement de la dette –accroissement de la prime de risque – élévation du déficit public... Mais ils peuvent êtrecontreproductifs dans une économie convalescente. Il est notamment particulièrementcontre-indiqué de s'obstiner à réduire le déficit (a fortiori de cibler un excédent) avant quela demande privée ait retrouvé son propre dynamisme, car la reprise est d'autant plus difficile que les autorités s'empressent d'éliminer le déficit public plus rapidement, enconséquence de quoi les rentrées fiscales sont amoindries, entraînant un ralentissementdes dépenses, donc une croissance et des rentrées fiscales encore plus faibles... Le résultat,si la faiblesse des profits des entreprises qu'induit un tel contexte ne produit pas une nou-velle crise selon le mécanisme mis en évidence par Minsky (61), peut prendre des alluresde cercle vicieux engluant l'économie dans une croissance molle, sans que le ratio dedette soit assuré de pouvoir diminuer au bout du compte (62).

Scénarios d'après crise (1)Le cercle vicieux de la croissance molle

Croissance molleDette publique (Faible soutien publique)

croissanteFaibles rentrées fiscales

déficit persistant

Faute d'un dynamisme suffisant de la demande privée et d'un soutien substantiel par lesdépenses publiques, la lenteur de la reprise et les déficits budgétaires persistants s'entretiennentmutuellement.

C'est ainsi que malgré les plans de rigueurs adoptés par la Grèce, la notation de sa detten'a cessé de se dégrader, témoignant de l'incapacité des restrictions budgétaires àrésoudre le problème.

Les Échos, 15/7 : 2011

61

(61) « Si nous avions vécu dans un monde de "laissez faire" dans lequel l'État ne joue qu'un faible rôle, les pro-blèmes financiers de 1974, 1979-80, 1982-83 auraient fort bien pu nous conduire à un effondrement cumulatif etinteractif comme celui qui s'est déroulé entre 1929 et 1933 ». Minsky, 1985, p. 326. Ce qui intéressait Minskydans cet article était le processus pouvant conduire à éviter « un "effondrement" de la structure financière mon-diale » comme celui survenu en 1933, quatre ans après les événements de 1929.(62) Au niveau d'un pays, la demande externe peut éventuellement compenser la dépression de la demandeinterne si le contexte international est favorable. Mais une telle issue est fort peu probable lorsque les politiquesrestrictives se généralisent à une échelle internationale.

Page 62: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Dans le cas d'une économie affaiblie et à dette publique élevée, un programme de réductiondu déficit budgétaire peut même inquiéter les marchés davantage au lieu de les rassurer siles investisseurs anticipent une moindre expansion des débouchés, donc une moindrerentabilité des investissements, une croissance plus faible, et au final une aggravationdes déficits publics malgré les efforts déployés pour l'éviter. La pression des marchés surune économie fortement endettée peut alors déboucher sur une politique budgétaire etfiscale plus agressive, capable de faire basculer l'économie de la croissance molle à ladépression, comme l'ont montré les cas de la Grèce et de l'Irlande (cf. encadré).

Scénarios d'après crise (2)Stabilisation agressive du ratio de dette

Dépression écon.Ratio de dette publique (Politique budgétaire

stabilisé agressive)Faibles rentrées fiscales

déficit éliminé

Indice d'évolution du PIB en volume

Source : Calculs à partir des Perspectives économiques de l'OCDE, n° 89

Ce type de scénario menace sérieusement l'Italie, le Portugal et l'Espagne, et l'adoptionde politiques budgétaires agressives à une large échelle, au moment où la Banque centraleeuropéenne commence à remonter ses taux d'intérêt, dégrade plus encore les perspectivesde croissance en Europe. Mais au rythme où vont les choses, lequel peut cependant encore connaître des inflexions majeures tant l'économie et la finance mondiale restentvulnérables, c'est à l'horizon de quelques années que les dangers pourraient être les plusélevés. Comme l'indiquent les simulations du FMI présentées plus haut, la stabilisationdes ratios de dette publique suppose qu'à un moment ou à un autre les budgets pri-maires exhibent des excédents, dans certains cas très conséquents. Suivant ce scénario,la contribution du secteur public à l'activité deviendrait alors négative, après une périodede contributions positives mais décroissantes.

62

Page 63: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

« Les mesures vigoureuses prises par les pouvoirs publics ont réussi à circonscrire, jusqu’à présent, lesproblèmes afférents à la dette souveraine et au secteur financier dans la périphérie de la zone euro,mais la contagion aux pays du noyau dur de la zone euro, puis aux pays émergents d’Europe, demeureun risque réel. Il s’avère difficile de briser le cycle des interactions négatives entre les inquiétudesconcernant la stabilité des finances publiques et celle des bilans des banques. De plus, les craintessuscitées par l’état des finances publiques et les bilans du secteur financier dépassent la périphérie dela zone euro. » (FMI, Perspectives économiques régionales – Europe, mai 2011, p. 2).

Il serait donc plus sage, d'un point de vue postkeynésien, de remettre les programmesd'ajustement budgétaires à plus tard. Les problèmes de dette publique que nombred'économies ont aujourd'hui à affronter résultent de la grave dépression provoquée parla crise financière. Ces problèmes s'estomperont d'eux-mêmes quand les économiesauront récupéré. Si des mesures restrictives sont alors toujours nécessaires, elles serontalors moins importantes, plus supportables et donc plus facile à mettre en œuvre. C'estune fois que la demande privée a retrouvé son propre dynamisme que la rigueur budgé-taire a les meilleures chances de réduire la dette publique, c'est-à-dire quand, au-delà desreprises automatiques induites par l'épuisement des stocks et l'augmentation des tensions sur les capacités de production, les prévisions à long terme encouragent à ladépense et à l'investissement ; d'autant plus que les rentrées fiscales sont dans ce casspontanément entraînées à la hausse. Dans la période actuelle, où les besoins d'aidespubliques sont fortement accrus, les restrictions budgétaires risquent au contraire dedégrader le climat social et l'état de la confiance dans le système économique et financier.

C) Propositions pour débrider la reprise

Au début de la reprise économique, les capacités de production inutilisées ont permis auxentreprises de répondre à l'expansion des débouchés, jusqu'à ce que l'économie aitrejoint le niveau d'avant la crise, ou un niveau sensiblement inférieur compte tenu de ladégradation du potentiel productif. Le soutien des politiques publiques s'est avéré décisifà ce stade, car les incitations à la dépense et à l'investissement dans le secteur privéétaient au plus bas. Mais, contrairement à l'optimisme affiché par les institutions commele FMI ou l'OCDE, la demande privée n'a été réamorcée que de manière mécanique, desorte que le désengagement programmé du secteur public sur une longue période est toutà fait problématique. Il serait préférable que les pouvoirs publics cherchent à restaurer laconfiance des investisseurs privés en maintenant des programmes pluriannuels d'investis-sement publics (63), dont les retombées en termes de croissance future du revenu nationalet des recettes fiscales garantissent la soutenabilité à long terme, y compris aux yeux desmarchés.

Le problème de la soutenabilité d'une telle politique à court terme reste bien entenduposé, mais il peut être géré si l'on s'en donne les moyens. La liberté de circulation descapitaux a montré à quels dangers elle pouvait exposer l'économie mondiale, et ellepourrait encore faire plus de dégâts. Si les autorités veulent prendre au sérieux les avertissements livrés par les approches théoriques qui non seulement mettent en doutel'efficience des marchés concurrentiels, mais apportent en outre une lecture cohérentedes crises, elles devront accepter quelques concessions aux dogmes qui ont fini par égarer le courant de pensée économique dominant, et permis l'avènement de la plusgrave crise économique depuis 1929. Et les signaux d'alerte ne cessent d'affluer de la partdes voies les plus autorisées sur les risques d'une nouvelle déflagration liée à la questiondes dettes souveraines et à l'exposition des banques (64).

Il faudra peut-être attendre une rechute, qui comme nous l'avons vu promet d'être bienplus grave, pour que des solutions radicales soient apportées ; mais les pouvoirs publicsseraient bien inspirés de reconsidérer dès à présent l'utilité d'un contrôle des mouvements

63

(63) Un gouvernement peut rapidement épuiser ses marges de manœuvres s’il s’échine à soutenir continuelle-ment la demande effective sans parvenir à ré-enclencher l’incitation à investir et à la dépense dans le secteurprivé.(64) On ne compte plus les réunions de crise au sein de l'Union européenne sur la dette de la Grèce. Le FMI tientégalement des propos alarmants dans son rapport annuel 2011. Les propos tenus en juillet 2011 par le présidentde la Réserve fédérale, Ben Bernanke, sur les conséquences catastrophiques qu'aurait un défaut de paiementmême mineur de la part des États-Unis, sont également révélateurs de l'état de la finance mondiale. Il suffitd'ailleurs de parcourir les rapports officiels du FMI, de la Banque des règlements internationaux, de l'OCDE, oudes grandes banques centrales pour se convaincre de la persistance des menaces qui planent sur le systèmefinancier.

Page 64: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

de capitaux dans le contexte d'extension des crises de la dette souveraine en Europe. Untel contrôle permettrait à l'Union de couper leurs effets aux agences de notation quandelle envisagerait de garantir les dettes souveraines de ses États-membres. La Grèce, l'Irlande ont déjà payé un prix élevé. L'Union aurait les moyens, si elle parvenait à trouverl'adhésion sur un plan politique, d'empêcher que les marchés et les agences de notationsimposent leur solution aux problèmes de la dette souveraine. Si la solution des marchésétait porteuse de plus de croissance, on aurait bien tort de s'y opposer, mais le fait est qu'elle n'est porteuse que de forces dépressives qui de ce fait menacent la stabilité dusystème financier international et les conditions de la reprise.

C'est au prix de mesure radicales, comme une garantie européenne des prêts accordésaux États dont les finances publiques ont été mises en péril par la crise financière, et/ouun retour au contrôle des mouvements de capitaux, que les pays membres de l'Unionpourront consolider le retour de la confiance dans le secteur privé. Plusieurs facteurs sontd'ailleurs de nature à rendre les politiques budgétaires expansionnistes plus efficacesdans un système économique fortement éprouvé. Les politiques de relance apportenttout d'abord un soutien à la demande agrégée, à la fois directement par la dépensepublique, mais aussi en redressant la profitabilité anticipée des investissements produc-tifs et l’état de la confiance qui conditionnent les dépenses dans le secteur privé. Comptetenu de l'ampleur de la crise actuelle et des divers facteurs qui continuent de miner laconfiance dans les économies nationales, il est vraisemblable que l'effet stimulant seraittrès supérieur à ce qu'on peut attendre du concours des politiques budgétaires en tempsnormaux (65).

Revue de l'OFCE, n° 115, Octobre 2010, p. 164.

Deuxièmement, la part des créances irrécouvrables peut être considérablement réduitedans un contexte de reprise économique, d'autant plus si celle-ci bénéficie des effets favo-rables mentionnés ci-avant, ce qui revient en l'occurrence à attaquer le mal à la source.C'est en effet le problème du recyclage des créances douteuses par les pouvoirs publicsqui, comme nous l'avons vu expose les autorités à des problèmes aigus de dette publique,d'inflation (pas seulement des prix des actifs) et de sous-emploi. Troisièmement, la repriseéconomique induite par une relance génère des rentrées fiscales susceptibles d’aider legouvernement à socialiser les pertes sans avoir à augmenter le taux de pression fiscale.

64

(65) Dans des systèmes ouverts, les politiques expansionnistes produisent une partie de leurs effets à l’exté-rieur. Les relances isolées sont par conséquent pénalisées par rapport aux initiatives collectives qui pourraientêtre menées à l'échelle de l'union européenne.

Page 65: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Dans un contexte de croissance économique affaiblie, un déficit budgétaire temporairepourrait donc, au bout du compte, induire une croissance supérieure, une baisse du déficit et une inflation moindre (66).

Scénarios d'après crise (3)Redresser les comptes publics par la croissance

Croissance rapideStabilisation du ratio (Soutien publique)

de dette publiqueAmélioration des comptes publics

Une fois le dynamisme de la demande privée retrouvé, les problèmes soulevés par la collectivisation des pertes privées sont moins lourds à gérer. Il est en effet plus opportund'absorber les masses de liquidités injectées en contrepartie des dettes douteuses dansun contexte où les créances irrécouvrables sont sensiblement inférieures, grâce à la croissance, à ce qu'elles auraient été dans une trajectoire moins dynamique. Mais pouréchapper totalement aux forces dépressives et/ou inflationnistes, il faut que la croissanceéconomique puisse absorber les liquidités libérées par les effets de la réglementationprudentielle (les marchés d'actifs perdant de leur attractivité) et par la diminution de lapréférence pour la liquidité qui normalement accompagne le retour de la confiance, dumoins pour la part que les autorités monétaires auront renoncé à retirer pour préserver lesystème financier. Comme il est possible que l'investissement et la croissance ne soientpas assez vifs pour neutraliser les tensions inflationnistes susceptibles de se produire, ilpourrait être opportun de confier à un organisme public ad hoc la mission d'emprunterdes capitaux au secteur privé (capitaux en principe relativement abondants et donc bonmarché dans ce scénario), afin de financer les investissements publics, en étalant lesdépenses dans le temps afin que les capacités de production ne soient pas saturées (67).

Le redressement des prévisions à long terme et l'amélioration des finances publiquessont d’autant plus souhaitables qu’ils sont susceptibles d’atténuer la préférence pour laliquidité et d’apaiser par conséquent les tensions sur les taux d’intérêt à long terme (doncl'incitation à investir dans le secteur privé, mais aussi la charge de la dette publique) plussûrement que ne pourrait le faire la banque centrale en période de crise financière. Lapolitique monétaire sera en effet désavantagée sur le terrain de la relance économiquetant que l’« état de la confiance » restera affaibli, car il est bien plus difficile d’obtenir unebaisse des taux d’intérêt à long terme en baissant les taux de refinancement dans uncontexte de marchés baissiers. Dans l’approche postkeynesienne, une baisse des tauxlongs requiert en effet une diminution de l’aversion pour le risque et de la préférencepour la liquidité de telle sorte que soient modifiées les vues conventionnelles concernantle futur ; c’est une question de confiance, pas seulement une affaire de coût des refinan-cements.

Une politique monétaire accommodante reste cependant hautement souhaitable, d'unepart afin de limiter autant que faire se peut les tensions sur les taux d'intérêt à long termeet donner toutes les chances à une reprise en profondeur de l'investissement et de laconsommation privés, et d'autre part afin de faire savoir aux marchés que l'Union a large-ment les moyens de refinancer temporairement les gouvernements mis en difficulté parle seul fait de l'ampleur très exceptionnelle de la crise. En rassurant les marchés sur lasolvabilité des États-membres, un franc refinancement des pays les plus en difficultéspourrait même suffire à faire retomber les primes de risques sur les dettes souverainesdes autres pays membres, et a réduire de ce fait et la charge de la dette et les risquesd'une nouvelle crise de la dette en Europe.

65

(66) Dans la mesure où il s'agit pour les pouvoirs publics de renforcer les incitations à la dépense privée demanière temporaire, le déficit public est seulement temporaire alors que les revenus d'activité et recettes fiscales qui seront générés auront un caractère permanent une fois la croissance consolidée.(67) Cela revient à transférer temporairement du pouvoir d'achat du secteur privé vers le secteur public, à lamanière des propositions de Keynes (1940) en faveur du "paiement différé", par lequel il cherchait à éviter lespressions inflationnistes que provoquerait la saturation des capacités de production due à l'effort de guerre.

Page 66: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Une politique monétaire accommodante ne devrait pas laisser craindre des effets infla-tionnistes à ce stade, tant que la monnaie de crédit sert au financement d’investissementséconomiques sains et non pas à des opérations hasardeuses (68). Le risque serait plutôtde faire payer le poids des erreurs passées à des projets économiquement rentables enfreinant indûment le crédit.

Distribution du revenu et croissance

Dans de nombreux pays, l’idée progresse selon laquelle une redistribution du revenu nationalmoins défavorable aux salariés serait à la fois équitable et susceptible d’élever la propensionmoyenne à consommer, l’activité et l’emploi. Il s'agit là d'une thèse fréquemment mise en avantau sein du courant postkeynésien, en laquelle Keynes voyait un complément utile aux politiquesorientées vers l'investissement productif (Keynes 1936, pp. 324-326). Il convient à cet égard de nepas perdre de vue les effets négatifs qu’une redistribution autoritaire pourrait avoir sur la renta-bilité anticipée du capital et donc de la demande de biens d’investissement. La difficulté n’estdonc pas tant d’élever la part des salaires dans la valeur ajoutée que d’obtenir ce résultat sansaffaiblir davantage la croissance et, au bout du compte, le pouvoir d’achat des salariés et despersonnes sans emploi. C’est pourquoi une solution négociée permettant aux entreprises des’adapter à la nouvelle donne pourrait être préférable à des décisions centralisées. De plus, siune augmentation du coût du travail peut être plus ou moins amortie dans une phase de crois-sance soutenue par des gains de productivité substantiels, elle risque fort d’être répercutée sur leprix des biens et services et d’alimenter les tensions inflationnistes dans le contexte de croissancefaible qui se profile. Cela plaide en faveur d’une politique graduelle : d’une part, la perspective dehausses futures du coût du travail est de nature à faire anticiper ou accélérer les dépenses d’investissement dans les entreprises ; d’autre part, dans la mesure où le gradualisme permetd’éviter les tensions inflationnistes, il éloigne la perspective d’une politique monétaire restrictive.

CONCLUSION

Les deux tendances issues du courant de pensée dominant (« nouvelle économie classique »,« nouvelle économie keynésienne ») s'opposent sur bien des points, que leurs tenants ontsouvent à cœur de mettre en avant. Ils ont cependant en commun une représentation théo-rique de l'économe dans laquelle la crise, non pas comme une inefficience due à telleimperfection des marchés, mais au sens fort de perte de capacité du système à fonctionnerpar lui-même, ne peut se concevoir que comme un accident temporaire. Dans ce cadre, lesmarchés n'ont fondamentalement pas besoin de l'intervention des pouvoirs publics pourfonctionner de manière stable, même s'il y a place pour une réglementation visant juste-ment à corriger les inefficiences. Les approches issues du courant de pensée dominant ontde ce fait une lecture défaillante des causes de la crise, et font une analyse erronée del'après crise et des politiques économiques à mettre en œuvre.

L'analyse post-keynésienne appréhende le système économique comme intrinsèquementsujet à des forces déstabilisantes. Il est alors possible de penser la nécessaire interventionde l’État dans un cadre cohérent, où la crise n'est pas expliquée par des erreurs gros-sières ou des a priori idéologiques imputés aux gouvernants (ce qui ne signifie pas qu'ilsn'en aient pas), mais par une dérive à caractère systémique dont les acteurs ne peuventprévoir l'issue, et à laquelle les institutions et les pouvoirs publics peuvent apporter uneréponse stabilisante, à défaut de pouvoir l'éviter. Alors que, du point de vue orthodoxe,les interventions des acteurs qui sont extérieurs au marché stricto sensu (réglementation,syndicats, autorités monétaires...) paraissent introduire des distorsions dans le processusconcurrentiel, elles ont en fait pour fonction de protéger le système contre les errementsauxquels les forces de la concurrence pourraient le soumettre. C’est pourquoi, malgrél’absence de l'« ordre naturel » implicite à la pensée dominante, les systèmes concurren-tiels présentent en fait une certaine stabilité. Supprimer les garde-fous institutionnels aunom d’une croyance dogmatique dans les bienfaits de la concurrence, comme le suggère

66

(68) On notera que dans un tel contexte, il est possible qu'une baisse du taux d'intérêt associée à un endette-ment public supplémentaire réduise les pressions inflationnistes, dans la mesure où les tensions inflationnistesproviennent d'une insuffisance des capacités de production que des taux d'intérêt plus modérés et desdépenses en investissements publics contribuent à atténuer.

Page 67: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

le courant de pensée dominant (à l'exception notable de la réglementation financièrepour les « nouveaux keynésiens ») serait le plus sûr moyen de précipiter les économiesdans le chaos.

À moins que l’action des pouvoirs publics ne parvienne à soutenir des vues suffisammentoptimistes quant aux risques associés aux actifs financiers, quant à la rentabilité des inves-tissements et quant aux débouchés futurs, c'est-à-dire, à rétablir l’« état de la confiance »dans la terminologie de Keynes, l'après crise devrait être caractérisé par une dégradationdes perspectives à long terme, susceptible dès à présent de durcir les conditions de finance-ment de l'économie, de peser sur la consommation et l'investissement privés, et de ralentirpar conséquent l'accumulation du capital et la croissance par rapport à la période qui aprécédé la crise. Contrairement à ce qui s'était produit lors de la grande crise de 1929, lespremières réactions des pouvoirs publics ont cette fois-ci permis de limiter considérable-ment les dégâts dans le secteur financier. Mais ces réactions n'ont fait que transformer le pro-blème, afin qu'il soit supportable pour les acteurs privés, en collectivisant les pertes et enaccablant ce faisant le secteur public.

Il en résulte une situation passablement problématique pour les pouvoirs publics, dumoins tant qu'ils abordent la question sous l'angle habituel. D'une part les masses deliquidités injectées en échange de créances douteuses dans le système bancaire pour lepréserver alimentent indûment la spéculation sur les marchés d'actifs, mais aussi de plusen plus sur des marchés de biens durables et de matières premières. Or le retrait de cesliquidités s'avère délicat, car il fragiliserait le système financier davantage, et menaceraitde déboucher sur une nouvelle crise dans un contexte où la capacité des pouvoirs publicsserait considérablement amoindrie... De sorte qu'à mesure que les nouvelles règles prudentielles entrent en action, la réorientation d'une partie des capitaux vers les mar-chés de biens durables et de matières premières fait planer le spectre d'un dérapageinflationniste généralisé. D'autre part, la dégradation très forte des finances publiquesoriente les gouvernements vers des politiques budgétaires qui, loin de soutenir un pro-cessus de reprise encore fragile, assombri plus encore les perspectives à moyen-longterme, et pèsera par conséquent à court terme sur les décisions d'investissement et dedépenses du secteur privé. En Europe, la dégradation des perspectives de croissance àmoyen et long terme de la demande interne a déjà commencé à relancer le plaidoyer enfaveur des politiques visant à élargir à l'extérieur les débouchés pour la production natio-nale. Mais comme l'a montré l'histoire européenne, la désinflation compétitive ne permetpas mieux que les dévaluations compétitives de générer de la croissance lorsque tous lespartenaires s'y lancent en même temps ; quelques-uns éventuellement tirent mieux leurépingle du jeu, mais cela survient dans un contexte global déprimé. C'est aussi ce quesuggère la recherche à l'échelle internationale d'un accord concernant les déséquilibresdes balances courantes et la valeur des monnaies, dans le but d'éviter le cercle vicieuxdes dévaluations compétitives.

L'approche postkeynésienne ouvre d'autres perspectives, du moins en théorie, car seschances d'être exploitées peuvent paraître infimes, tant la domination des « nouvellesmacroéconomies » est ancrée dans la gouvernance des économies avancées. Cela supposeen premier lieu que le mal soit attaqué à la racine : il s'agit de résorber la masse descréances douteuses qui a inondé le système financier international, causé l'expansion desliquidités, l'inflation des prix des actifs, creusé les déficits publics, et dont la permanenceempêche le retour de la confiance et de prévisions à long terme favorables aux investis-sements des entreprises et à la consommation des ménages. Les recommandations ducourant postkeynésien reposent à cet égard sur des mesures radicales, mais moins douloureuses pour les populations que les programmes d'ajustements mis en œuvre unpeu partout, et avec une certaine brutalité en Grèce, en Irlande, au Royaume-Uni, au Portugal, en Espagne, en Italie... Il s'agit, tout en maintenant des conditions de finance-ment favorable, de donner les moyens aux gouvernements de continuer à soutenir lademande privée lorsque la reconstitution en cours des stocks et des capacités de produc-tion arrivera à son terme, ou tout au moins, des moyens de ne pas freiner la demandeagrégée tant qu'elle n'a pas retrouvé son propre dynamisme.

Le risque de voir les marchés sanctionner les audaces des gouvernements qui planifie-raient de nouvelles dépenses d'investissement à moyen terme serait parfaitementgérable si l'Europe décidait, par l'intermédiaire d'un fonds spécial (à l'image de ce qui a été mis en place à l'occasion de la crise Grecque), ou par des financements directs qu'octroierait la Banque centrale européenne, et si nécessaire par l'instauration d'uncontrôle des mouvements internationaux de capitaux, de garantir les dettes souveraines

67

Page 68: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

de ses pays membres. Un tel scénario renforcerait les bilans des entreprises et desbanques, et générerait d'importantes rentrées fiscales tout en réduisant les dépensesliées au soutien apporté par l'État pendant la dépression. Il pourrait au demeurant s'avérer anti-inflationniste, dans la mesure où la croissance permettrait simultanément deréduire le montant des créances douteuses et d'absorber une partie des liquidités injectées en contrepartie. L'inflation menace en fait quand les projets financés ne sont passuffisamment rentables pour rembourser les prêts, ce qui risque bien plus d'arriver dansun scénario de croissance molle, voire chaotique, que dans un scénario de croissanceforte sans tensions sur les capacités.

ANNEXES

Annexe n° 1 – L'ajustement de la balance globale

L'ajustement en régime de change flottant

Lorsqu'un pays exporte globalement plus qu'il n'importe, sa monnaie devient rare sur le marché des changes. En effet, les dépôts en devises effectués auprès des banquescommerciales sont plus importants que la demande de devises formulée par les importa-teurs. Lorsque le système bancaire répercute le besoin net de devises sur le marché deschanges, il fait apparaître une demande excédentaire de monnaie nationale (69). L'appré-ciation qui en résulte (baisse de e) a vocation à rétablir l'équité de l'échange, en permet-tant au pays excédentaire d'acquérir une plus grande quantité de biens, de services et/oud'actifs financiers avec une même quantité de monnaie.

D'une part, elle diminue le change réel (appréciation réelle), ce qui réduit l’excédent à travers les transactions commerciales (bc). Cet effet est limité par la baisse des importa-tions induite par la baisse de la demande agrégée. D'autre part, le caractère dépressif del'ajustement (y et p diminuent) réduit la demande de liquidités (md), de sorte qu’une baisse éventuelle du taux d'intérêt (r) est susceptible de rendre les actifs financiers du paysmoins attractifs, et d'orienter les capitaux vers l'acquisition de titres étrangers (en pointilléssur le schéma ci-dessous). De plus, quand le choc à l'origine du déséquilibre externe estsupposé transitoire, les marchés prévoient le retour du change à sa valeur initiale, ce quiprovoque des sorties de capitaux. Le processus d'ajustement déclenché par l'appréciationimplique donc à la fois la balance courante (bc) et la balance des capitaux (bk). Il se pour-suit nécessairement jusqu'au rétablissement de l'équilibre externe, de manière à ce quela pression sur le change disparaisse.

L’ajustement en change flexible

Remarque : l’appréciation monétaire diminue le prix des produits importés, ce qui peutinduire une détente salariale et accentuer la baisse des prix domestiques (« désinflationimportée »).

68

(69) Pour la simplicité du raisonnement, on pourra supposer que les exportations sont facturées en monnaienationale et que les importations sont payées en devises étrangères. Mais la monnaie de facturation n'a pasd'incidence sur le résultat du processus d'ajustement.

Choc Excédent global "e "y,"p

"bc "md

"r"bke prévue"

Page 69: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

L'ajustement en régime de change géré

En régime de change fixe, le taux d'échange entre les monnaies est garanti par les autoritésmonétaires, qui achètent ou vendent leur monnaie contre des devises afin d'en stabiliser lecours. Ces opérations conduisent à une diminution de la masse monétaire dans le cas d’unrachat net de monnaie nationale par la banque centrale (destruction de monnaie), ou à uneaugmentation dans le cas d’une vente nette (création monétaire).

La viabilité d’un tel régime nécessite la détention (par les banques centrales qui ont lacharge de stabiliser le change) (70) d'un stock de devises (les réserves de change) propor-tionné à l'importance des déficits envisageables pour la balance globale. Concrètement,si les paiements extérieurs sont globalement déficitaires, le système bancaire fait face àune demande nette de devises. Les banques de second rang qui en ont besoin pour lesmettre à disposition de leurs clients achètent alors des devises sur le marché des changesou auprès de l'institut d'émission (du moins tant que le stock des réserves détenu par labanque centrale l'autorise, à défaut de quoi un changement de parité – dévaluation –s'impose). Dans tous les cas, les réserves de change de la banque centrale diminuent.

Alors qu'en régime de changes flexibles c’est la variation du cours de la monnaie quirétablit l'équilibre extérieur, en régime de change fixe c’est la variation des réserves dechange qui déclenche des mécanismes correcteurs. Le processus d'ajustement externerepose cette fois sur les variations de la liquidité. La monnaie de base (dite à haute puis-sance) est en effet émise par la banque centrale en contrepartie des créances détenuesauprès du système bancaire et du Trésor (base monétaire interne), et des créances surl'extérieur (base monétaire externe). Les réserves de change sont la contrepartie de la monnaie émise au titre des créances sur l'extérieur. Toute variation de ces créancesmodifie proportionnellement la base monétaire et la liquidité de l'économie.

Dans le cas d'un déficit global, la diminution de la base monétaire provoquera une haussedu taux d'intérêt, qui rétablira l'équilibre de la balance globale en attirant d'une part lescapitaux étrangers, et en déprimant d'autre part la demande interne et les prix (ce quifreine les importations et stimule les exportations).

L’ajustement en change fixe

Remarques

a) Une contraction de la base monétaire interne peut contribuer au processus d’ajuste-ment et limiter la contraction des réserves de change.

b) Des opérations de stérilisation peuvent être décidées, lorsque les variations desréserves de change entrent en conflit avec d'autres objectifs de la politique monétaire. Sila stabilisation du change requiert par exemple une diminution des réserves de change,ses effets sur la base monétaire pourront être plus ou moins neutralisés par une augmen-

69

(70) Dans un système asymétrique, le taux de change entre deux monnaies est stabilisé par les interventions del'une des deux banques centrales, qui « ancre » sa monnaie sur une monnaie de référence. Nous supposons icique ce sont les autorités monétaires du pays considéré qui ont la responsabilité de stabiliser le change. Dans unsystème symétrique, les deux autorités monétaires sont censées intervenir de concert sur le marché deschanges.

Choc Déficit global "res

"yd,"p

#bk

#r

#bc

Page 70: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

tation des autres contreparties de la base monétaire (créances sur le Trésor et/ou sur lesystème bancaire). La stérilisation inhibe cependant l'ajustement externe, ce qui en faitune opération nécessairement transitoire, car les réserves de change ne peuvent varier àl'infini.

c) Un pays émettant une monnaie de réserve internationale, comme les États-Unis, peutavoir un déficit de la balance globale récurrent si une demande internationale additionnellepour sa monnaie s’exprime de période en période. En effet, la dépréciation et la correctiondu déficit global n’interviennent que pour autant que celui-ci excède la demande étrangèreadditionnelle de la monnaie de réserve.

70

Page 71: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Annexe n° 2 – "Hedge", "speculative" et "Ponzi finance"

Hedge financing units are those which can fulfill all of their contractual payment obliga-tions by their cash flows: the greater the weight of equity financing in the liability structu-re, the greater the likelihood that the unit is a hedge financing unit. Speculative financeunits are units that can meet their payment commitments on "income account" on theirliabilities, even as they cannot repay the principle out of income cash flows. Such unitsneed to "roll over" their liabilities: (e.g. issue new debt to meet commitments on maturingdebt). Governments with floating debts, and banks are typically hedge units.

For Ponzi units, the cash flows from operations are not sufficient to fulfill either the repay-ment of principle or the interest due on outstanding debts by their cash flows from opera-tions. Such units can sell assets or borrow. Borrowing to pay interest or selling assets topay interest (and even dividends) on common stock lowers the equity of a unit, even as itincreases liabilities and the prior commitment of future incomes. A unit Ponzi financeslowers the margin of safety that it offers the holders of its debts.

It can be shown that if hedge financing dominates, then the economy may well be anequilibrium seeking and containing system. In contrast, the greater the weight of specula-tive and Ponzi finance, the greater the likelihood that the economy is a deviation ampli-fying system.

(Minsky, 1992, p. 7)

71

Page 72: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Annexe n° 3 – Coût de l'aide apportée au secteur financier

Source : IMF, Update on Fiscal Stimulus and Financial Sector Measures, April 2009, p. 6

72

Page 73: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Shifting gears – Tackling challenges on the road to fiscal adjustment, IMF, Fiscal MonitorApril 11, p. 8)

73

Page 74: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière
Page 75: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Arrow K. & Debreu G., 1954, Existence of an Equilibrium for a Competitive Economy,Econometrica.

Artus P., Betbèze J.-P., de Boissieu C., Capelle-Blancard G., 2008, La crise des subprimes,Rapport n° 78, Conseil d'analyse économique. http://www.cae.gouv.fr/IMG/pdf/078.pdf

Asensio A. 2002, L'Euro et l'efficacité des policy mix, Économies et Sociétés, Série "Monnaie", ME n° 4, 2/2002, p. 349-367.

Asensio A. 2007, « Politique monétaire, croissance et emploi : forces et faiblesses compa-rées de la FED et de la BCE », Rapport CGT-FO / IRES, février 2007.

Asensio A. 2008a, The growing evidence of Keynes’s methodology advantage and itsconsequences within the four macro-markets framework, June 2008, paper for the 11thSCEME Seminar in Economic Methodology, University of Stirling (with the Post Keyne-sian Economics Study Group and the Scottish Institute for Research in Economics):‘Methodology After Keynes’, 20th September, 2008.http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00189221/fr/

Asensio A. 2008b, “Le fonctionnement des économies de marché. Micro et macroéconomiede l’équilibre général”, De Boeck Université, 2008.

Asensio A., 2009, – "Bad money and distributive conflict: is stagflation coming back afterthe great depression?", presented at the 4th bi-annual conference of the CEMF (U. of Bur-gundy)/IEPI (Laurentian U.), in collaboration with ADEK, on "The financial and monetarycrisis: rethinking economic policies and redefining the architecture and governance ofinternational finance", 10-12 December, 2009.

Asensio A., 2011a, "Inflation Targeting Drawbacks in the Absence of a 'Natural' Anchor: AKeynesian Appraisal of the FED and ECB Policies Over the Period 1999-2006", in Gnos C.,L.P. Rochon (eds), Credit, Money and Macroeconomic Policy: A Post-Keynesian Approach,Edward Elgar, 2011.

Asensio A., 2011b, "On Keynes's seminal innovation and related essential features – Revi-siting the notion of equilibrium in The General Theory", Forthcoming in Cate, T. (Ed.),Keynes’ General Theory: Seventy-five years Later, Edward Elgar.

Asensio A., 2011c, "Macroeconomic trouble and policy challenges in the wake of the economic crisis", Brazilian Journal of Political Economy, 31(2).

Asensio A., Charles S., Lang D., 2010, “Post-Keynesian modelling: where are we, andwhere are we going to?”, à paraître dans Journal of Post-Keynesian economics.

Asensio A., Lang D., 2010, "The financial crisis, its consequences and how to get out of it.A Keynesian perspective, International Journal of Political Economy, 39(2).

Bank for International Settlements, 2009, 79th Annual Report.

Banque des règlements internationaux, 2010, Rapport annuel.

Banque des règlements internationaux, 2011, Rapport annuel.

Banque de France, 2011a, Bulletin de la Banque de France n° 183, 1er trim. 2011.

Banque de France, 2011b, Bulletin de la Banque de France n° 184, 2e trim. 2011.

Banque de France, 2011c, Bulletin de la Banque de France – cahier statistique, mai 2011.

Banque de France, 2011d, Déséquilibres mondiaux et stabilité financière, Revue de la stabilité financière, 15, février.

Bean C., 2009, The Great Moderation, the Great Panic and the Great Contraction, Text ofthe Schumpeter Lecture at the Annual Congress of the European Economic Association,Barcelona, 25 August.

75

Page 76: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Benassy J.P., 2007, IS-LM and the multiplier: a dynamic general equilibrium model, Economic Letters, 96, 189-195.

Bernanke B., 2005, "The Global Saving Glut and the U.S. Current Account Deficit",remarks by Governor Ben S. Bernanke at the Homer Jones Lecture, St. Louis, Missouri(Updates speech given on March 10, 2005, at the Sandridge Lecture, Virginia Associationof Economists, Richmond, Virginia, April 14, 2005.http://www.federalreserve.gov/boarddocs/speeches/2005/200503102/

Berle A. et Means G., (1932), The modern corporation and private property, Brace andWorld, New York Harcourt.

Blanchard O. Giavazzi F., Sa, F., 2005: “The US current account and the dollar”, BrookingsPapers on Economic Activity, n° 1.

Chateauneuf A., Eichberger J. & Grant S. 2007, Choice under uncertainty with the bestand worst in mind: Neo-additive capacities, Journal of Economic Theory 137, 538–567.

Chick V., 1983, Macroeconomics after Keynes, MIT Press Cambridge, Massachusetts.

Cornwall J., Cornwall, W. 2001, Capitalist Development in the Twentieth Century: An Evolutionary Keynesian Analysis, Cambridge; Cambridge University Press.

Davidson P. 2004, Setting the record straight on “A history of Post Keynesian economics”,Journal of Post Keynesian Economics 26(2), 245-272.

Davidson P., 2009, Interview with Paul Davidson, Regarding the Crisis, Mosler EconomicPolicy Center.

European Central Bank, 2011, Financial stability review, June.

Epstein L.-G., and Wang T. 1994, Intertemporal asset pricing under Knigthian uncertainty,Econometrica, Vol. 62(3), 283-322.

Evans W.G., Ramey G. 2006. Adaptive expectations, underparameterization and the Lucascritique, Journal of monetary economics, vol. 53, 249-264.

FAO, OECD (coord.), 2011, Price Volatility in Food and Agricultural Markets: Policy Responses", Policy report to G20, June.

Farmer, R.E.A. 2002, Why Does Data Reject the Lucas Critique?, The Annals of Economicsand Statistics, vol. 67-68, 111-129.

Federal Reserve System, 2005, The Federal Reserve System, Purposes and functions,Board of Governors of the Federal Reserve System Washington, D.C.

Fonds monétaire international, 2005, Perspectives de l'économie mondiale, Septembre.

Fonds monétaire international, 2010a, Rapport sur la stabilité financière dans le monde,Actualité des marchés, janvier.

Fonds monétaire international, 2010b, Rapport annuel.

Fonds monétaire international, 2010c, Rapport sur la stabilité financière dans le monde,Résumé analytique, octobre.

Fonds monétaire international, 2011a, Rapport sur la stabilité financière dans le monde,avril.

Fonds monétaire international, 2011b, Rapport sur la stabilité financière dans le monde,Actualité des marchés, juin.

Fonds monétaire international, 2011c, Perspectives de l'économie mondiale, Avril.

Fonds monétaire international, 2011d, Rapport annuel.

Fontana, G., Setterfield, M. 2009: A simple (an teachable) macroeconomic model withendogenous money, in Macroeconomic theory and macroeconomic pedagogy, edited byFontana, G. and Setterfield, M., Palgrave Macmillan.

76

Page 77: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Galbraith J.K., 2006, Endogenous doctrine, or, why is monetary policy in America somuch better than in Europe?, Journal of Post Keynesian Economics 28(3) 423-32.

Gomes, F.A.R. 2008, The effect of future income uncertainty in savings decision, EconomicLetters, 98, 269–274.

Gourinchas P.O., Rey H., 2007, "International financial adjustment", Journal of politicaleconomy, 115(4), 665-703.

Greenspan A., 2008, ."Alan Greenspan’s testimony before the House of RepresentativesCommittee on Oversight and Government Reform in Washington, October 23.

Greenspan A. (2009), "The fed didn't cause the housing bubble", Wall Street Journal,11 mars.

Greenwald B., Stiglitz J.E., 2005, Économie monétaire, un nouveau paradigme, Économica.

Hendry D.F. 2002. Forecast Failure, Expectations Formation and the Lucas Critique, TheAnnals of Economics and Statistics, vol. 67-68, 21-40

Hinich M.J., Foster J., Wild P. 2006. Structural change in macroeconomic time series: Acomplex systems perspective, Journal of Macroeconomics, vol. 28, 136-150.

Hodgson G., 2009, The great crash of 2008 and the reform of economics, Cambridge Jour-nal of Economics, 33, 1205-1221.

Horn G. A., 2008, The rational for or against expanding central bank eligible collateral intimes of distress, Briefing Paper, IMK, Düsseldorf, November.

International Labour Office/International Labour Organization, Global Employment Trends2011, Geneva, 2011, p 2.

International Monetary Fund, 2009a, World Economic Outlook.

International Monetary Fund, 2009b, Update on Fiscal Stimulus and Financial Sector Measures, April.

International Monetary Fund, 2009c, Fiscal Implications of the Global Economic andFinancial Crisis, Staff position note, SPN/09/13, June.

International Monetary Fund, 2011a, Global Financial Stability Report, April.

International Monetary Fund, 2011b, Global Financial Stability Report, Market Update,January.

International monetary fund, 2011c, Shifting gears – Tackling challenges on the road tofiscal adjustment, Fiscal monitor, April.

IMF, Regional economic outlook, 2011d, Europe, May 2011.

Jensen M., Meckling W., 1976 « Theory of the firm: managerial behavior, agency cost, andownership structure » Journal of Financial Economic, 1976, pp. 305-360.

Keynes J.M. 1936, The general theory of employment, interest and money, London, Mac-millan.

Keynes J.M., 1937, The General Theory of employment, Quarterly Journal of Economics,February.

Keynes J.M. 1940, How to pay for the war, in The collected writings of John MaynardKeynes, vol. 9, Macmillan Press, 1972.

Knight F.H. 1921, Risk, Uncertainty and Profit (New York: Harper).

Krugman P., 2009 (March 1), "Revenge of the glut", The New York Time.http://www.nytimes.com/2009/03/02/opinion/02krugman.html

Kurmann, A. 2005, Quantifying the uncertainty about the fit of a new Keynesian pricingmodel, Journal of Monetary Economics, 52, 1119-1134.

77

Page 78: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Kurz M. 1994. On the structure and diversity of rational beliefs, Economic Theory, vol. 4,877-900.

Kurz M., Motolese M. 2001. Endogenous uncertainty and market volatility, EconomicTheory, vol. 17, 497-544.

Lucas R.E., 1972, «Expectations and the neutrality of money», Journal of Economic Theory,4, 103-124.

Lucas R., 2009, In defence of the dismal science, The Economist, 6 August.

Mahadeva L., Sterne G. (eds) (2000): Monetary Frameworks in a Global Context, Routledge.

Minsky H.P., 1977, The Financial Instability Hypothesis, Nebraska Journal of Economicsand Business, 16(1), 5-16, repris dans Inflation, Recession and Economic Policy, pp. 59-70Brighton, Weatsheaf, 1982, et dans Can "it" Happen Again? Essays on Instability andFinance, Armonk, New York, M.E. Sharpe, 1982.

Minsky H. P., 1985 : « La structure financière, endettement et crédit », in Barrère A. Keynesaujourd'hui – Théorie et politique, Économica.

Minsky H.P. 1986, Stabilizing an unstable economy, Yale University Press.

Minsky H.P., 1992, The Financial Instability Hypothesis, working paper, The Jerome LevyEconomics Institute of Bard College, n° 74.

Muth J.F., 1961, «Rational expectations and theory of price movements», Econometrica,29, 315-335.

Nishimura K. G., Ozaki H. 2004. Search and Knigthian Uncertainty, Journal of EconomicTheory, vol. 119, 299-333.

Nishimura K. G. and Ozaki H. 2007, Irreversible investment and Knightian uncertainty,Journal of Economic Theory, 136, 668–694.

Obstfeld M., Rogoff K. 2005: “Global current account imbalances and exchange rateadjustments”, Brookings Papers on Economic Activity, n° 1.

OCDE, 2010a, Études économiques de l’OCDE : Zone euro, Résumé, décembre 2010.

OCDE, 2010b, Perspectives économiques de l'OCDE – Évaluation générale de la situationmacroéconomique, Version préliminaire, novembre.

OCDE, 2010c, Perspectives économiques de l'OCDE, n° 88.

OCDE, 2011, Perspectives économiques de l'OCDE, n° 89.

OFCE, 2010, Revue de l'OFCE, n° 115, Octobre.

Palley T. 1996, Post Keynesian Economics: Debt, Distribution, and the Macro Economy,Palgrave Macmillan.

Phelps, E.S. 2007, Macroeconomics for a modern economy, American Economic Review,97(3), 543-561.

Preston B., 2006, Adaptive learning, forecast-based instrument rules and monetary policy,Journal of Monetary Economics, 53, 507-535.

Sargent T.J., 1999, The Conquest of American Inflation, Princeton University Press, Prin-ceton.

Savage L. J., 1954, The foundations of statistics, New York, Wiley.

Stiglitz J.E., 2010, Le triomphe de la cupidité, Les liens qui libèrent.

Stiglitz J.E., 2010, Le rapport Stiglitz – Pour une vraie réforme du système monétaire etfinancier international, Les liens qui libèrent.

Snowdon B., Vane H.R, 2005, Modern Macroeconomics: Its Origins, Development AndCurrent State, Edward Elgar.

78

Page 79: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

Sonnenschein H., 1973, «Do Walras' identity and continuity characterize the class of community excess demand functions?», Journal of Economic Theory, 6, 345-354.

Van Treeck T., Tober S., Truger A. & Brecht M. (2010), Squaring the circle in Euroland?Some remarks on the Stability and Convergence Programmes 2010-2013, IMK WorkingPaper, IMK at the Hans Boeckler Foundation, Macroeconomic Policy Institute, No 3-2010.

Trichet J.-C., 2009, Monnaies, bonus, déficits, G20... M. Trichet tire les leçons de la crise,Le Monde, 17 novembre.

U.S. department of Treasury (Office of International Affairs), 2011 (May 27), "Report toCongress on International Economic and Exchange Rate Policies".

Viner J., 1936 Mr. Keynes and the causes of unemployment, Quarterly Journal of Economics,November.

Walter C., Brian E., 2007, "Critique de la valeur fondamentale", Springer.

Williamson J., 2005, "The potential of international policy coordination", paper for "Impli-cations for the IMF's role in surveillance and policy coordination", Roundtable on Interna-tional Economic Cooperation for a balanced world economy, Chongqing, China, March12-13, 2005. Disponible sur le site du Peterson Institute for International Economics(anciennement Institute for International Economics),http://www.piie.com/publications/papers/paper.cfm?ResearchID=30

Wolf M., 2007 (June 12), Villains and victims of global capital flows, The Financial Times.http://www.ft.com/intl/cms/s/0/f7d97f0c-1901-11dc-a961-000b5df10621.html#axzz1NZeZmAjg

Wu H.M. & W.C. Guo, 2003, Speculative trading with rational beliefs and endogenousuncertainty, Economic Theory, 21, 263-292.

Yellen J.L., 2009, "Minsky Meltdown: Lessons for Central Bankers, Federal Reserve Bordof San Francisco Economic Letter n° 2009-15, May, 1.

79

Page 80: POURQUOI LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE ...archive.cfecgc.org/e_upload/pdf/irespourquoilacrisejuillet2011.pdf · III. Les conséquences économiques de la crise financière

COMPÉDIT BEAUREGARD S.A. – 61600 LA FERTÉ-MACÉ – TÉL. : 02 33 37 08 33Dépôt légal : 1er trimestre 2012 – N° d’Imprimeur : 49145