Pour en finir avec le racisme - Transculturel.eu · 2017-03-31 · le Mag vivre mieux À...

4
LE M AG VIVRE MIEUX À l’occasion de la Semaine de l’éducation contre le racisme & l’anti- sémitisme, du 18 au 26 mars, et d’une exposition au Musée de l’homme, Pèlerin explique ce fléau, & donne des pistes pour le combattre en famille. par Marie -Valentine Chaudon illustrations Marcelino Truong R OKHAYA DIALLO a 38 ans. Elle est née à Paris, y a grandi, y vit et y travaille. « Je suis française, rappelle- t-elle simplement. J’ai passé mon enfance dans un quartier populaire où les différences ne posaient pas de problème. Lorsque j’ai com- mencé mes études, j’ai rencontré de nouvelles personnes qui me demandaient d’où je venais et me félicitaient pour la qualité de mon fran- çais… C’était incompréhensible pour moi et ça le reste ! La semaine dernière encore, dans un dîner, une femme a passé la soirée à me par- ler du Sénégal, qui est le pays de mes parents, pas le mien. Par ma seule couleur de peau et la consonance de mon nom, les gens se disent que je ne suis pas d’ici. L’intention n’est pas méchante mais le résultat est très blessant. » De ce racisme « ordinaire », Rokhaya Diallo, écri- vaine et réalisatrice, a fait un sujet d’étude, mal- heureusement inépuisable. Elle cosigne derniè- rement Moi, raciste ? Jamais !*, un ouvrage qui compile les témoignages de Français, victimes au quotidien des préjugés et des réflexions désagréables qui en découlent. « Il faut faire entendre la parole des personnes meurtries, Pour en finir avec le racisme 46 PELERIN N°7008 | 23 MARS 2017

Transcript of Pour en finir avec le racisme - Transculturel.eu · 2017-03-31 · le Mag vivre mieux À...

Page 1: Pour en finir avec le racisme - Transculturel.eu · 2017-03-31 · le Mag vivre mieux À l’occasion de la Semaine de l’éducation contre le racisme & l’anti- sémitisme, du

le Mag vivre mieux

À l’occasion de la Semaine de l’éducation contre le racisme & l’anti- sémitisme, du 18 au 26 mars, et d’une exposition au Musée de l’homme,

Pèlerin explique ce fléau, & donne des pistes pour le combattre en famille.par marie-valentine Chaudon ‡ illustrations marcelino Truong

R okhaya Diallo a 38 ans. Elle est née à Paris, y a grandi, y vit et y travaille. « Je suis française, rappelle- t-elle simplement. J’ai passé mon enfance

dans un quartier populaire où les différences ne posaient pas de problème. lorsque j’ai com-mencé mes études, j’ai rencontré de nouvelles personnes qui me demandaient d’où je venais et me félicitaient pour la qualité de mon fran-çais… C’était incompréhensible pour moi et ça le reste ! la semaine dernière encore, dans un

dîner, une femme a passé la soirée à me par-ler du Sénégal, qui est le pays de mes parents, pas le mien. Par ma seule couleur de peau et la consonance de mon nom, les gens se disent que je ne suis pas d’ici. l’intention n’est pas méchante mais le résultat est très blessant. » De ce racisme « ordinaire », Rokhaya Diallo, écri-vaine et réalisatrice, a fait un sujet d’étude, mal-heureusement inépuisable. Elle cosigne derniè-rement Moi, raciste ? Jamais !*, un ouvrage qui compile les témoignages de Français, victimes au quotidien des préjugés et des réflexions désagréables qui en découlent. « il faut faire entendre la parole des personnes meurtries,

Pour en finir avec le racisme

46

pelerin n°7008 | 23 mars 2017

Page 2: Pour en finir avec le racisme - Transculturel.eu · 2017-03-31 · le Mag vivre mieux À l’occasion de la Semaine de l’éducation contre le racisme & l’anti- sémitisme, du

m

pour en finir avec le racisme

car l’accumulation de toutes ces remarques est très violente, explique Rokhaya Diallo. Même si ce n’est pas toujours volontaire, le racisme “ordinaire” et le racisme affiché sont les deux pendants d’une même idéologie qui crée une distinction entre le “nous” et les “autres”. »

Des mécanismes bien identifiés« Nous et les autres », c’est précisément

le titre donné à l’exposition organisée par le Musée de l’homme à partir du 31 mars. « il n’existe pas un seul mais plusieurs racismes, précise Évelyne heyer, anthropologue et géné-ticienne au Musée de l’homme, cocommissaire de l’exposition. Cependant, ils obéissent à un mécanisme identique. il faut d’abord savoir que l’être humain a naturellement besoin de créer des catégories. Cette différenciation devient racisme quand elle s’accompagne d’une hiérar-chisation de ces catégories – impliquant que certaines sont supérieures à d’autres – et d’une essentialisation, c’est-à-dire que les personnes sont réduites aux attributs qu’on leur prête. En quelque sorte, on met les gens dans des boîtes étanches et ils ne peuvent pas en sortir. » Pour étayer le décryptage de ces mécanismes, l’exposition analyse les grandes vagues racistes de l’histoire : le nazisme, la ségrégation amé-ricaine et le génocide des Tutsis au Rwanda. « Scientifiquement, le racisme n’a aucun fon-dement, rappelle Évelyne heyer. il existe de nombreuses différences d’un être humain à un autre, mais très peu dues à l’origine géogra-phique. la génétique démontre que la notion de race n’existe pas chez l’être humain. » Mal-gré les preuves de son absurdité, apportées par les progrès de la science dans la deuxième moi-tié du XXe siècle, le racisme perdure. Noirs, Roms, juifs, musulmans… De nombreux groupes sont la cible d’attaques. « on s’est débarras-sé de l’idée de race mais malheureusement pas du racisme ! déplore l’historienne Carole Reynaud-Paligot, autre cocommissaire de l’ex-position. En fait, le racisme culturel a remplacé le racisme biologique. »

Une évolution qu’observe également le sociologue alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles (lire ci-contre). « le racisme aujourd’hui est véhi-culé par les extrémismes identitaires quels qu’ils soient, observe-t-il. il n’y a pas un seul mais des racismes, qui touchent en général tout ce qui n’est pas soi. il commence quand on fait une distinction entre “eux” et “nous”. le danger est que cette logique devienne “eux” ou “nous”. » au Camp des Milles, où

À visiterExpo : « Nous et les autres »Cette exposition décrypte les méca-nismes menant au rejet de l’autre. Et pro-

pose un état des lieux du racisme en France, une invitation à s’enga-ger vers un mieux vivre-ensemble.Du 31 mars 2017 au 8 janvier 2018 au Musée de l’homme, 75016 Paris. Rens. : 01 44 05 72 72 ou www.museedelhomme.fr

Le Camp des MillesC’est le seul camp français d’inter-nement du régime de Vichy encore intact. À la fois lieu de mémoire et parcours muséographique, il retrace les mécanismes qui ont mené aux génocides juif, arménien, rwandais et tsigane.40 chemin de la Badesse, 13290 Aix-en-Provence. Rens. : 04 42 39 17 11 ou www.campdesmilles.org À suivreMooc : le racisme et l’antisémitismeSous la houlette du sociologue

pour aller plus loin…

10 000 personnes furent internées entre 1939 et 1942 avant d’être déportées, historiens et chercheurs en sciences humaines se sont, comme au Musée de l’homme, attachés à com-prendre ce rejet de l’autre. « Nous avons décor-tiqué les mécanismes individuels, collectifs et institutionnels qui peuvent conduire au géno-cide, qui est l’expression ultime du racisme, explique alain Chouraqui. on ne peut pas faire comme si on ne savait pas, l’histoire l’a mon-tré : le racisme “ordinaire” n’a rien d’anodin et il peut mener au pire. le contexte actuel, sur fond de crise économique et de repli sur soi, est très inquiétant. Soutenir les extrémismes identitaires, désigner des boucs émissaires, c’est risquer de basculer dans quelque chose de non maîtrisable… Chacun est responsable de son vote et de sa manière d’agir. »

Un appel relayé à la fin de la visite du Camp des Milles, avec un hommage aux actes justes qui ont émaillé les heures sombres de l’humanité. « il n’y a pas de fatalité, souligne

Michel Wieviorka, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme lance un cours complet sur ces thèmes à suivre sur Internet.Inscription gratuite jusqu’au 22 avril sur la plate-forme Internet www.fun-mooc.fr

À voirGrand festival

Des humoristes du Jamel Comedy Club à la danseuse Raphaëlle Delaunay, en passant par les musiciens de The Hop, les artistes se sont

donné rendez-vous pour la Semaine de l’éducation contre le racisme.Jusqu’au 26 mars au Musée natio-nal de l’histoire de l’immigration, 75012 Paris. Rens. : 01 53 59 58 60 ou www.histoire-immigration.fr

La ligne de couleur, de Laurence Petit-JouvetCe documentaire suit une dizaine de Français « de couleur » perçus comme étrangers dans leur pays. En DVD, La Huit Production, 15 €. À voir aussi dans l’exposition du Musée de l’homme.

47

pelerin n°7008 | 23 mars 2017

Page 3: Pour en finir avec le racisme - Transculturel.eu · 2017-03-31 · le Mag vivre mieux À l’occasion de la Semaine de l’éducation contre le racisme & l’anti- sémitisme, du

le Mag vivre mieux

malain Chouraqui. Des citoyens ont toujours résisté, ce sont des exemples ! » la fondation, qui reçoit chaque année 80 000 personnes – dont 40 000 scolaires –, a fait de la pédagogie son cheval de bataille. Elle participe jusqu’au 26 mars à la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme, intitu-lée cette année « Tous unis contre la haine ». De nombreux établissements scolaires orga-nisent, partout en France, des événements autour de cette thématique. À Paris, le Musée de l’histoire de l’immigration a choisi, pour la deuxième année, de marquer cette intiative pédagogique par un grand festival. « Dans un contexte général de crispations, la culture reste l’outil le plus légitime pour traiter de ce sujet, assure hélène orain, déléguée générale du musée. Des artistes divers – humoristes, musi-ciens, danseurs, artistes de rue – sont mobilisés. Nous avons élaboré un programme très diver-sifié de façon à attirer des publics de tous âges et horizons. Nous ne voulons pas leur dire quoi penser mais leur donner des clés. »

Dénoncer les discriminationsUne démarche citoyenne qui rejoint

celle engagée dans les écoles, du primaire au secondaire, par SoS Racisme. l’association qui dénonce régulièrement les discrimina-tions, se tourne désormais vers la préven-tion des racismes et de leurs conséquences sur la cohésion sociale. « Notre conviction est qu’il ne faut tomber ni dans la fatalité ni dans la violence, explique hadrien lenoir, responsable du pôle éducation de SoS

Racisme. Si les jeunes sont eux-mêmes confrontés au racisme et à la discrimination, nous leur montrons qu’il existe des lois, qu’ils ont des droits : il est important qu’ils se vivent comme acteurs et non pas comme victimes. »

Pourtant il y a de nombreux dérapages et des déferlements de haine : à la télévision, un policier estimant que « bamboula » était un terme « à peu près convenable »; une ministre de la République plusieurs fois comparée à un singe… Et même si ce chiffre a sensiblement baissé depuis 2015, 1 125 actes et menaces racistes ont été recensés en 2016. la question mérite alors d’être posée : la France est-elle un pays raciste ? « Non ! assure hadrien lenoir. il y a des racistes en France, mais la France n’est pas un pays raciste sinon il n’y aurait plus rien à faire… »

au Musée de l’homme, Évelyne heyer aussi est confiante. « la France n’est pas pro-fondément raciste, estime-t-elle. 93 % des enfants d’immigrés se sentent français et 65 % ont déjà formé un couple avec une per-sonne de la population majoritaire. la société n’est pas verrouillée et elle est prête à changer. Mais il y a trop de discriminations dans des aspects essentiels de la vie, comme l’accès au logement et à l’emploi. Pour lutter effi-cacement contre le racisme, il faut se battre contre la ségrégation et nous avons besoin de politiques plus fortes sur ce plan. » Pour que résonne jusqu’au bout la si belle devise de la France : liberté, Égalité, Fraternité. b* Avec Virginie Sassoon, Éd. Flammarion, 220 p. ; 14,90 €.

““““

La CULTURE EsT L’oUTiL LE pLUs LÉGiTiME poUR VENiR à boUTdU RaCisME.

pelerin n°7008 | 23 mars 2017

48

Page 4: Pour en finir avec le racisme - Transculturel.eu · 2017-03-31 · le Mag vivre mieux À l’occasion de la Semaine de l’éducation contre le racisme & l’anti- sémitisme, du

pour en finir avec le racisme

les conseils de marie rose moroS’il est difficile, le sujet du racisme ne doit pas être tabou. Osons en parler en famille, en suivant les recommandations de la pédopsychiatre Marie Rose Moro.

1Ne pas transmettre ses préjugés

aux plus jeunesDès leur plus jeune âge, à partir du moment où ils sont socialisés à la crèche ou à l’école, les enfants perçoivent les différences. ils les observent mais naturellement, ils ne font pas de hiérarchie. En tant qu’éducateurs, les adultes ont une grande responsabilité : ils doivent veiller à ne pas transmettre leurs préjugés aux enfants. lors des échanges avec les petits, il ne faut pas hésiter à parler des différences mais sans induire de hiérarchie. les adultes doivent vraiment être attentifs aux termes qu’ils emploient. au-delà, il est important d’éduquer les petits à la diversité, avec des mots simples. on peut leur expliquer qu’il existe plusieurs groupes humains, avec des différences qui se voient à l’extérieur mais qu’à l’intérieur, nous sommes tous les mêmes. Évidemment, cette démarche ne peut se faire que si l’adulte est au clair avec ses convictions. Cela demande quelques efforts et des remises en questions, mais c’est indispensable. VI

nCE

nT

CapM

an/R

IVa

pRES

S

2 Laisser la parole aux enfants

avec leur spontanéité et une vision du monde dénuée de préjugés, les enfants ont beaucoup à nous apprendre. Écoutons-les ! Je voudrais raconter une histoire qu’une grand-mère m’a autorisée à utiliser. Cette dame avait tendance à hiérarchiser les groupes humains et même à parler de races. Un jour, sa petite fille, d’une dizaine d’années, lui pose une question sur les personnes à la peau noire et a cette réflexion : « Cela doit leur faire de la peine de voir qu’être noir est consi- déré comme moins bien que blanc. » la grand-mère est restée interloquée et m’a dit : « Je suis profondément croyante, je ne me sentais pas activement raciste mais je faisais quand même des différences. Je ne me rendais pas compte que je véhiculais des préjugés. Par sa réaction, ma petite-fille m’a ouvert les yeux. » Cette grand-mère a eu le cou-rage d’écouter sa petite-fille et de se remettre profondément en cause, ce qui est loin d’être facile. Comme elle, j’invite les adultes à ne pas s’enfermer dans de fausses évidences et à se laisser bousculer.

3Avoir des discussions franches avec les ados

avec les adolescents, pas besoin d’utiliser des métaphores comme avec les petits. au contraire, il vaut mieux avoir des discussions franches avec eux sans créer de tabou ni éluder les graves questions qu’ils peuvent soulever, comme la notion de race ou la hiérarchisation entre les groupes. À cet âge, les jeunes cherchent à construire leur opinion. Certains peuvent développer des idées racistes ou sexistes, avec des représentations à l’emporte-pièce, sur les différences garçons-filles par exemple. ils sont aussi beaucoup influencés par les réseaux sociaux, où circulent de nombreux messages, parfois haineux. ils sont très exposés à toutes sortes d’opinions. il ne faut pas leur imposer une vision des choses mais leur apporter des éléments de débat, des arguments, des faits historiques, etc. Des films ou des livres peuvent permettre d’amorcer la discussion. l’important dans tous les cas est de prendre les jeunes pour les interlocuteurs valables qu’ils sont : il ne faut pas essayer de leur donner une leçon mais des clés ! Enfin, faisons-leur confiance. ils font leur propre expérience et sont dans leur vie plus ouverts que ne l’étaient leurs parents à leur âge.

pelerin n°7008 | 23 mars 2017

49