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POLIS Revue Camerounaise de Science Politique Volume 15 . Numéro 1&2 . Année 2008 •L’analyse des partis politiques •L’Etat régulateur entre Welfare et Workfare State •La délibération dans l’espace public de la chefferie •Circulation et construction de l’espace public Une publication du Groupe de Recherches Administratives, Politiques et Sociales I.S.B.N. 9956-18-000-9 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 15, Numéros 1&2, 2008

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P O L I SRevue Camerounaise de Science Politique

Volume 15 . Numéro 1&2 . Année 2008

•L’analyse des partis politiques•L’Etat régulateur entre Welfare et Workfare State•La délibération dans l’espace public de la chefferie•Circulation et construction de l’espace public

Une publication du Groupe de Recherches Administratives, Politiques et Sociales

I.S.B.N. 9956-18-000-9

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 15, Numéros 1&2, 2008

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PrésentationPOLIS est une revue de science politique qui accueille les articles en français et en anglais portant sur la vie politique aussi bien nationale qu'internationale.Tous les manuscrits et autres correspondances à caractère éditorial doivent être adressés au rédacteur en chef, B.P. 6889 Yaoundé-Cameroun –Fax: (237) 22 22 38 59 E-mail : [email protected] toute demande d'abonnement, d'achat au numéro ainsi que pour les paiements et les réclamations, s'adresser au responsable des publications du G.R.A.P.S., B.P. 7759 Yaoundé - Cameroun.POLIS est une publication du Groupe de Recherches Administratives, Politiques et Sociales. Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits figurant dans cette revue ainsi que des opinions qui sont exprimées, lesquelles ne sont pas nécessairement celles du G.R.A.P.S.

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Sommaire

Présentation 3

Résumés 5

Paul Nuembissi KomLes partis politiques africains entre universalité et particularité 7

Auguste NguelieutouL’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’Etat régulateur 85

André TchoupieL’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun 11

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Joseph Keutcheu L’espace public camerounais à l’épreuve de la construction des réseaux routiers de communication 14

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Résumés

Paul Nuembissi KomLes partis politiques africains entre universalité et particularité

Le recours à la problématique de la scientificité et de la politique comparée permet de rendre compte de l’état de la littérature scientifique sur les partis politiques en général et des partis africains en particulier. En effet, cette perspective permet de comprendre le passage du phénomène social « parti politique » au statut d’objet scientifique banal en Europe, et de voir comment ce « produit importé » fait sens dans une autre aire culturelle, l’Afrique. Il s’agit notamment des défis théoriques auxquels l’étude des partis africains fait face depuis les années 1960.

Auguste NguelieutouL’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’Etat régulateur

La formule de l’« État régulateur » est un phénomène nouveau au Cameroun. Toutefois, ce thème acquiert de plus en plus de légitimité tant au niveau économique avec la création des organismes de régulation qu’au niveau de l’action publique à travers la notion de « bonne gouvernance » et ses exigences en termes de policy networks, d’accountability. L’État régulateur est certes indissociable de la perspective néolibérale faisant du jeu des mécanismes du marché l’élément essentiel du dynamisme économique ; mais il est aussi vecteur de redéfinition de la place et du rôle de l’État dans un sens moins interventionniste, moins redistributif. Sans conclure à un déclin de l’État, l’État westphalien se transforme en un État facilitateur. Ce dernier recourt davantage aux méthodes du new public management dans la construction de l’action publique.

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André TchoupieL’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

Cette étude s’appuie sur les différentes variances du néo-institutionnalisme pour analyser le processus par lequel la délibération dans l’espace public s’érige en une véritable institution dans les chefferies bamiléké de l’Ouest-Cameroun. Elle révèle que loin d’apparaître comme une génération spontanée, la délibération dans l’espace public ici se présente plutôt comme une réalité que les acteurs socio-politiques construisent et reconstruisent en permanence à travers certaines de leurs actions et interactions. Elle s’est progressivement imposée comme un véritable socle sur lequel reposent toutes les décisions politiques.

Joseph Keutcheu L’espace public camerounais à l’épreuve de la construction des réseaux routiers de communication

Dans quelle mesure la construction de réseaux de communication telles que les réseaux routiers participe-t-elle à la formation d’un espace public au Cameroun ? Telle est la préoccupation de cette étude qui entend établir un rapport entre construction du réseau routier et perspective génétique d’un espace public au Cameroun. Le réseau routier est ainsi posé comme analyseur social et politique dans la mise en ordre d’un espace public. Cette étude permettra de montrer que la notion d’ « espace public » émerge à l’intersection des champs de l’aménagement du territoire et des sciences sociales, dévoilant l’inégale distribution spatiale des réseaux de communication et révélant, l’ « archipélisation » de facto de l’Etat au Cameroun.

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LES PARTIS POLITIQUES AFRICAINS ENTRE UNIVERSALITE ET PARTICULARITE

Paul Nuembissi KomATER/FSJP

Université de Ngaoundéré

Introduction

La stasiologie, science des partis (Duverger 1976 : 551), au même titre que la cratologie ou la statologie, est une branche canonique de la science politique. Mieux, « l’étude des partis politiques est presque aussi vielle que la science politique » (Charlot, 1971 : 3). Selon Monthero et Gunther (2003 : 3) plus de 11 500 livres ont été publiés sur les partis politiques. Alors même que les nombreuses études peuvent faire douter de l’utilité d’études supplémentaires sur les partis, un constat s’impose :

il y a un certain retour à une littérature de la névrose dans le champ d’études des partis qui n’est pas sans rappeler les études fonctionnalistes du début du siècle. A un discours en termes de « déclin des partis » (Ware, 1996 : 13), de « fin des partis en Occident » (Offerlé, 2002 : 126), de la « crise de partis » (Monthero et Gunther, 2003), « characterized by its somewhat fatalistic analysis of the organizational, electoral, cultural and institutional symptoms of party decline » (Monthero et Gunther, 2003 : 8), s’oppose un autre discours mettant en avant leur caractère « irremplaçable » (Doherty, 2001) ou encore leur « indispensabilité », (Katz et Mair, 1995 : 25). Cette analyse subjective en termes d’âge d’or et de déclin montre à quel point les partis ont cessé d’être considérés comme des « choses » au sens de Durkheim (1987 : 15), c'est-à-dire des faits sociaux que l’on étudie froidement, pour devenir un objet de toutes les passions.

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il y a un contraste saisissant entre l’abondante littérature consacrée aux partis occidentaux et la relative faiblesse de celle dévolue aux partis politiques d’ailleurs, notamment ceux d’Afrique. L’engouement pour l’étude de ces derniers dans l’Etat colonial et l’Etat post-colonial de la première génération (Apter, 1965 ; Lavroff, 1978 ; Coleman et Rosberg, 1960 ; Sylla, 1977 ; Schachter-Morgenthau, 1998 ; etc.) a fait place à une suspicion à leur égard depuis les années 1990. Les « tares » généralement attribuées à l’État en Afrique leur sont transférées : patrimonialisés (Médard, 1990), faiblement institutionnalisés, autoritaires, sans idéologies (Buijtenhuijs, 1994 ; Vaziri, 1990 ; Konings, 2004) ou encore faiblement idéologisés (Van De Walle, 2004 : 113), etc. Ici, le discours de l’homme de la rue et l’agenda des bailleurs de fonds semblent avoir pris le pas sur l’analyse scientifique. L’intérêt est porté sur la société civile, les ONG, les « modes populaires d’action politique », (Bayart et al, 1992 ; Badie, 1992 : chap. 5).

Ce double constat explique pour une large part la faiblesse et l’absence d’une théorie générale des partis politiques relevée par Blondel (2003 :247-264). D’où l’intérêt d’une revue critique qui prenne en compte l’universalité du phénomène partisan. Les dernières revues de ce genre se sont soit limitées à une aire géographique donnée : l’étude des partis politiques aux Etats Unis (Reiter, 2006), des partis occidentaux en général (Monthero et Gunther, 2003), des partis africains (Carbone, 2006 ; Gazibo, 2006), soit, se sont appesanties sur un aspect précis du phénomène : l’organisation partisane (Rihoux (2001), ou alors à une simple recension des ouvrages majeurs publiés dans le domaine de l’étude des partis (Wolinetz, 2007 ; Van Biezen, 2005 ; Charlot, 1971). Dans la plupart des cas, l’objet « parti politique » est pris comme une donnée naturelle, un fétiche qu’on ne prend plus la peine de définir.

C’est en prenant acte des apports et des limites de ces travaux que nous faisons le choix d’inscrire cette revue sur les partis dans une double problématique, celle large de la scientificité et celle spécifique de la politique comparée. Autrement dit, comment l’objet « parti politique » s’est il constitué et quelles sont les méthodes qui lui sont appliquées lorsqu’on l’étudie ? Car, dans la perspective de Durkheim (1987 : 3), « avant de chercher quelle est la méthode qui convient à l’étude des faits sociaux, il importe de savoir quels sont les faits que l’on appelle

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

ainsi » ; ensuite, dans la problématique de la politique comparée, les paradigmes de l’universalisme et du relativisme culturel seront mobilisés. Cette posture méthodologique nous permettra de voir comment un concept construit ailleurs est reçu et appliqué en Afrique, Dans la mesure où ce qui nous intéresse au final ce sont les partis africains.

Dans cette perspective, après avoir passé en revue le concept de parti et les diverses écoles d’études existantes (I), nous verrons si ce concept et ces théories font sens en Afrique (II).

I - Des partis politiques en général…

Il existe deux méthodes pour déterminer les caractéristiques d’un fait social : sa définition rigoureuse, mais surtout, la revue de la littérature pertinente, car elle permet plus sûrement de mettre en relief les positions théoriques que la recherche retient comme pertinentes.

A - Ce que « parti politique » veut dire : entre polysémie et unicité

Il est difficile de définir un parti parce qu’il s’agit d’un « concept formé en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de scientifique » (Durkheim, 1987). Ce faisant, il est forcement chargé de valeurs et d’idéologies. Sa définition est hantée par le normativisme et le positivisme.

1 - Le parti comme concept polysémique

Le parti en tant que concept polysémique résulte de l’histoire du mot. Il s’agit d’un phénomène social étudié avec tous les préjugés. Il est substrat d’idées contradictoires. Dans cette perspective normative, il rime avec désordre, scission, division. En tant que fait social, les partis politiques ont une histoire donc l’origine se situe en occident. En tant que objet scientifique, il est plus récent et commence dans une certaine mesure avec M. Ostrogorski.

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Paul Nuembissi Kom

a - Un phénomène social ancien Le phénomène social qu’on nomme « parti politique » a une longue histoire dont on peut rendre compte à partir de l’étymologie du mot d’une part et du développement de la chose d’autre part.

Du point de vue étymologique, on constate que « parti », derivé du latin partire, signifie diviser (Sartori, 1976 : 4). Pour Seiler par contre, « parti », « partido » « party » « partito », « partei », « partia » en russe ou en polonais, « part » en Hongrois dérive d’un verbe français aujourd’hui disparu : « partir » qui signifiait faire des parts. Une signification qui implique, de manière très claire, l’action de diviser une totalité quelconque. En effet, le « concept de parti renvoie toujours à la division donc au conflit, ce qui explique l’impopularité initiale des partis et la volonté exprimée par toutes les idéologies totalisantes, tous les populismes, d’en finir avec les partis, ces éternels diviseurs » (Seiler, 2001 : 6). « Parti» sera ainsi utilisé tour à tour pour désigner une troupe militaire d’irréguliers, une faction armée organiquement constituée, une faction politique, avant de revêtir sa signification actuelle (Seiler, 2000 :8 ; Seiler, 1986). Dans la même perspective, Lavau notera que « les partis (l’étymologie du mot l’indique assez) sont des organisations qui « fractionnent », qui sont tournées vers la lutte, qui ne représentent que des minorités actives » (1971 : 185), rejoignant la conception de Bolingbroke, pour qui, « Governing by party…must always end in the government of a faction…Party is a political evil, and factions is the worst of all parties » (cité par Sartori, 1976 :6)1.

Etymologiquement, « le mot ‘parti’ est plus ancien dans le vocabulaire politique que le terme ‘classe’ dans le vocabulaire social puisqu’on a pu le relever aux XVI e et XVII e siècles. Pendant la révolution de 1789, en 1848 et entre 1869-1872, il ne recouvre pas la même réalité qu’aujourd’hui. Vague et péjoratif en 1790 et 1793, il est souvent mis en parallèle avec faction. » (Charlot, 1971 :11-12).

Du point de vue proprement historique, même si l’idéal démocratique fut inventé par l’antiquité grecque, il ne semble pas que la République Athénienne ait connu des phénomènes de type partisan, l’usage du tirage au sort pour la désignation des responsables civils prévenant les luttes de ce type. Par contre, la République romaine connait des luttes partisanes. En effet, selon Jean Blondel, vers « la fin de la République, un système des partis émergea ; des enjeux clairement

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

définis séparèrent conservateurs ou traditionalistes des progressistes. Les Gracques furent peut-être les premiers chefs de partis avec un authentique soutien populaire » (Blondel, cité par Seiler, 1986 : 33-34).

Seiler résume ainsi les formes de conflits ayant donné lieu à la qualification de parti dans l’histoire : « On distingue…trois formes de conflit politique intra étatique où les camps opposés sont désignés au moyen du mot parti. En premier lieu, une forme archaïque qui prolonge mais dépasse en ampleur les « guerres privées ». La mobilisation s’effectue suivant le code féodal et les prétentions des uns et des autres sont argumentées par des considérations juridiques. En deuxième lieu, on retrouve des oppositions, souvent de classes, où la mobilisation repose sur l’adhésion des acteurs - prise de parti – et repose essentiellement sur les prétentions des mobilisateurs antagonistes ; elles sont argumentées au moyen de justifications idéologiques. En troisième lieu enfin on rencontre une forme mixte où les solidarités féodales s’étant affaiblies au bénéfice du Centre étatique ou pré-étatique, les grands vassaux se voient alors contraints, pour satisfaire leurs appétits politiques, de récupérer les courants idéologiques du temps » (1986 : 42).

Les partis modernes sont toutefois « les enfants du suffrage universel et de la démocratie » pour une raison simple : c’est au XIXe siècle que l’entrée des masses populaires dans la vie politique se généralise. La principale conséquence de cette irruption est l’élaboration des modes de scrutin de plus en plus perfectionnés et corrélativement le développement des organisations partisanes de plus en plus proches de leur forme actuelle. C’est dans cette perspective qu’il est de tradition de dater les partis modernes du XIXe siècle. Il y a toutefois une controverse dès lors qu’il s’agit de fixer une date et un lieu précis. Pour les uns, les partis modernes ont vu le jour en Angleterre, avec le Reform Act de 1832 qui impose aux partis britanniques le souci de s’organiser dans des circonscriptions. Les Registrations societies se créent dans ce sens pour inciter les nouveaux citoyens à s’inscrire sur les listes électorales. Dans cette perspective, les ancêtres des partis modernes sont les Whigs et les Tories. Pour d’autres par contre, « c’est à la jeune république américaine que revint l’honneur de créer, avec les Fédéralistes et les Démocrates - républicains, les premiers partis de représentation populaire ou pour reprendre l’expression de Blondel, le premier système représentatif des partis » (Seiler 1986 : 44-47). Dans cette deuxième perspective, on date la

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Paul Nuembissi Kom

naissance des partis en 1800, notamment parce que William Nisbet Chambers (cité par Sartori) relève déjà à cette époque trois traits caractérisant les fonctions des partis américains : existence d’un débat politique entraînant des prises de parti - « eux/nous » - et opposant des politiques et des idéologies ; existence d’une médiation des conflits partisans dans une libre compétition pour le pouvoir et dans le respect de la minorité ; existence d’une chance raisonnable pour les partis qui sont « out » de devenir un jour « in », c'est-à-dire d’accéder au pouvoir.

Dans tous les cas le phénomène social partisan se développera dans le reste du monde sous cette forme. Il convient dès lors, de voir comment ce fait social est devenu un objet scientifique, étant entendu que le passage de l’un à l’autre n’est pas automatique.

b - Un objet scientifique récent Phénomène social ancien, les partis ne sont véritablement devenus

des objets scientifiques que récemment. L’objet social soumis à l’étude ne devient objet scientifique que par une coupure épistémologique, c’est-à-dire la séparation de l’univers de la conscience immédiate de celui de la réflexion scientifique (Grosser, 1972 : 46). En effet, en sciences sociales, il est peu de concepts univoques ayant une signification précise à la fois claire et acceptée par tous. Les partis politiques ont donné lieu à de multiples définitions. Autant à l’origine, il y avait une certaine unanimité pour leur accoler une signification péjorative, autant la recherche a été féconde en définition. En science politique, la définition d’un parti est très souvent fonction de la perspective théorique adoptée.

Ainsi, par exemple, pour Hodgkin, les partis sont « toutes organisations politiques qui se considèrent elles-mêmes comme des partis et qui sont généralement considérées comme tels » (Hodgkin, cité par Gonidec et Tran Van Minh, 1980 : 311). Pour Michels (1979 : 288), « un parti n’est ni une unité sociale ni une unité économique. Sa base est formée par son programme ». Autrement dit, un parti politique se distingue des autres organisations par le projet de société qu’il défend. Duverger (1979 :20) par contre met l’accent sur le fait que « …les partis actuels se définissent beaucoup moins par leur programme ou la classe que par la nature de leur organisation : un parti est une communauté d’une structure particulière » ; Michel Offerlé analyse les partis en termes

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

d’ « entreprise de représentation » (2002 : 10-11) alors que Alan Ware l’appréhende davantage comme une « institution » (1996 : 5) dont l’essence réside dans la coordination des ressources individuelles dans le but commun d’exercer le pouvoir au sein de l’État (1996 : 127)2. Ces multiples définitions au final permettent de faire ressortir les différents aspects du phénomène partisan sans pour autant en donner une signification unitaire opératoire.

2 - Le parti comme signifiant unitaire 

L’abondance des définitions données au concept de parti politique n’est pas en soi un problème. Elle permet de mettre en exergue la fécondité de l’objet de recherche. Ce qui compte au final pour l’analyste pour reprendre Apter (1965 : 182), c’est de distinguer « …the three aspects of political parties - as intervening, dependent, or independent variable », ce qui permet de se mettre à l’abri des confusions. Dès lors, la définition opératoire du parti pour une étude comparative doit être pauvre en se limitant à ce qui en est l’élément fondamental. Dans cet ordre d’idées, la définition de Lapalombara et Weiner et l’invariant partisan identifié par Seiler permettent d’avoir une signification unitaire du concept « parti ».

La définition de Lapalombara et Weiner est sans doute la plus partagée notamment parce qu’elle est synthétique, objective et opératoire. Il faut entendre par parti politique : «1- une organisation durable, c'est-à-dire une organisation dont l’espérance de vie soit supérieure à celle de ses dirigeants en place ; 2- une organisation locale bien établie et apparemment durable, entretenant des rapports réguliers et variés avec l’échelon national ; 3-la volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de l’organisation de prendre et exercer le pouvoir, seuls ou avec d’autres, et non pas- simplement -d’influencer le pouvoir ; 4- le souci, enfin de rechercher un soutien populaire à travers les élections ou de toute autre manière » (Charlot, 1971 : 22).

Cette approche permet de distinguer les partis des cliques, clubs et comités de notables qui sont les ancêtres des partis politiques modernes dans la plupart des pays occidentaux. Cependant, cette définition n’est pas complète dans la mesure où elle ne prend pas en considération l’élément idéologique. C’est pour combler cette lacune que Seiler

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Paul Nuembissi Kom

(1986 :103) propose une synthèse des définitions. En effet selon cet auteur, quelque soit la posture théorique adoptée, il existe un invariant partisan. Ce que toutes ces définitions ont en commun, c’est la mise en exergue de la logique du projet, de l’organisation et de la mobilisation étant entendu que les partis politiques sont des organisations visant à mobiliser des individus autour d’un projet afin de conquérir le pouvoir de gouvernement. Les partis peuvent également être appréhendés comme des médiateurs entre le peuple et le pouvoir, les individus et la scène politique (Bréchon, 1999 : 81), ou mieux encore comme le lien entre la société civile et l’Etat (Katz et Mair, 1994).

La conclusion qui découle de la définition du concept de « parti politique », pour reprendre Charlot (1971), c’est qu’on ne peut pas étudier un parti de tous les points de vue à la fois. D’où l’intérêt d’identifier les diverses écoles en présence.B - Ce que penser les partis politiques veut dire

La science politique en tant que discipline s’est constituée avec l’avènement des partis politiques modernes. Le problème qui en découle est que quand il s’agit d’identifier les écoles d’étude des partis, on se retrouve facilement à faire une recension de toutes les grilles d’analyse de la science politique. A titre d’illustration, Charlot (1971 : 36) identifie ainsi l’approche du développement politique, structurelle, fonctionnelle, systémique, et par l’idéologie ; Lawson (1976), y ajoute l’approche historique et behavioriste, Schwartzenberg (1998 : 417-418), l’approche stratégique et le modèle des coalitions ; enfin Ware (1996 : 8-12) quant à lui, retient trois grandes approches, sociologique, institutionnaliste et compétitive. Dans une revue de l’étude de la littérature consacrée aux partis politiques dans l’American Political Science Review, Reiter fait ce constat : « In the early years, as political scienctists sought to understand the functioning of the state, knowledge of parties seemed essential. Scholars such as Lord Bryce (1893-1895) and Woodrow Wilson (1908) may have been critical of how parties functioned, but none denied the centrality of parties to the performance of democratic government.scholarship reflected that knowledge, as parties and party systems were examined holisticallly, and discussions of current political trends often centered on parties. A century later, scholars focus on particular aspects of parties- in the familiar triad, parties in the electorate,

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

parties in government, or (less common in recent years) parties as organizations » (2006 :613).

Ce constat de Reiter résume assez bien le cours de l’évolution de la réflexion sur les partis. En d’autres termes, holistes, les études portant sur les partis politiques sont devenues de plus en plus individualistes.

S’il est constant que toutes les grilles peuvent permettre d’appréhender les partis, il convient de privilégier des paradigmes synthétiques susceptibles d’en rendre compte dans une perspective comparée. Dans leur revue critique de la littérature sur les partis politiques, Monthero et Gunther (2003) proposent de retenir l’approche structuro-fonctionnaliste, l’approche des choix rationnels et l’approche inductive. Notre analyse se situe dans cette perspective.

1 - L’approche structuro-fonctionnaliste

L’approche structuro-fonctionnaliste est entendue ici dans sa conception large. Elle repose sur le postulat que toute théorie sur les partis politiques, comme pour tout autre phénomène politique, passe par l’identification des attributs communs et des rôles joués par ces derniers dans le système politique. Pour ce faire, on étudie leurs origines, leurs histoires, leurs modes d’organisation et l’impact qu’ils ont sur le système politique. Dans cette perspective très souvent holiste, l’hypothèse est faite de ce que les partis politiques, appréhendés comme des agents, des instruments, assurent l’articulation et l’agrégation des intérêts, la socialisation, le recrutement et la communication politique. Les études regroupées ici se sont efforcées d’identifier ses fonctions et ses rôles tandis que d’autres mesuraient les écarts entre l’idéal et le réel.

C’est ce qui ressort des travaux des pionniers comme Ostrogorski, Michels et Duverger, et des auteurs plus contemporains comme Lipset et Rokkan, Coleman et al, pour s’en tenir aux auteurs les plus emblématiques.

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a - Ostrogorski (1979) : l’étude des forces politiques, entre science et « essayisme »

Moisei Ostrogorski en 1902 formule l’hypothèse qu’il faut passer des études en termes de « forme de Gouvernement » à une analyse des « forces politiques » proprement dites. La rupture est fondamentale dans la mesure où, avant lui de manière récurrente, Montesquieu et Tocqueville dont il s’inspire et se démarque, et plus largement Aristote, Machiavel, Locke entre autres, s’intéressent presque exclusivement aux formes de gouvernement sans prêter une attention spécifique aux forces politiques. Il se propose pour ce faire de recourir à une méthode « scientifique ». De ce fait, sa contribution doit être évaluée sur la base de deux critères.

Sur le plan de la méthode, il dépasse la simple description et invente l’enquête par participation. Il fait œuvre de comparatiste lorsqu’il choisit d’étudier les partis politiques anglais et britanniques. Il inaugure ainsi la stratégie de comparaison des systèmes les plus similaires et la comparaison binaire dans le domaine des partis politiques (Dogan et Pelassy, 1981). De ce point de vue, la critique de Rihoux (2001 : 33) qui soutient que « sa base empirique apparaît en particulier bien étroite : il se limite en effet à deux pays et y étudie uniquement des partis « bourgeois », ne tient pas. Il se trompe d’objet, notamment parce que Ostrogorski explicite clairement son choix théorique justifié par le fait qu’au moment où il écrit, les partis sont assez développés dans ces deux pays. Sur le plan empirique, il établit le lien entre le phénomène électoral et sa démocratisation et le développement des organisations partisanes. Il produit ce faisant les premiers éléments d’une véritable sociologie des organisations (Rosanvallon, 1979 : 15), ou encore ce qui deviendra avec Duverger l’approche institutionnelle du développement partisan (Seiler, 1986 : 18-19). En effet, il soutient que : « L’organisation matérielle des partis me paraissait offrir le poste d’observation, et son développement fournir les points de repère historiques nécessaires pour suivre le développement des tendances et des forces politiques elles-mêmes, ce qui permettrait de remonter du présent au passé, des effets aux causes, et de considérer dans son ensemble le fonctionnement du gouvernement démocratique, non pas dans le cadre inanimé des formes politiques, mais au milieu de la société vivante » (Ostrogorski, 1979 : 29-30).

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

En dépit de toutes ces précautions de méthode, l’analyse d’Ostrogorski se trouve confrontée à plusieurs problèmes. Comme le note très justement Seiler (1986 : 18), « faute d’avoir explicité sa philosophie libérale en un cadre théorique, Ostrogorski réduit (…) cette dernière au rang de prénotion et tombe dans l’idéologie ». Dans la troisième partie de son ouvrage consacrée à la critique de l’influence des organisations partisanes sur la démocratie, il formule des propositions qui relèvent plus de la thérapeutique politique que de la science politique. Pour Ostrogorski, les partis permanents sont contre l’esprit d’association, et par conséquent contre la démocratie, notamment parce qu’ils ont des programmes omnibus. Il propose dans cette perspective, d’ « éliminer de la pratique l’usage des partis rigides, des partis permanents ayant pour fin le pouvoir » pour les remplacer par des groupements ad hoc susceptible de permettre que « des citoyens qui seraient séparés sur une question feraient route ensemble sur une autre » (Ostrogorski, 1979 : 173-174). C’est dans cette perspective qu’il lancera « a bas le parti et vive la ligue ! » (Ostrogorski, 1979 : 226). Mieux, « les partis temporaires et à objet unique fourniront ainsi, par la vertu même de leur constitution et de leur fin, une sorte de vaccin contre la rage de parti et le fanatisme de secte ; ils deviendront des écoles d’esprits tolérants et larges » (Ostrogorski, 1979 : 231).

Essayiste, Ostrogorski croit fortement à l’idée selon laquelle les partis multiples sont facteurs de désordre, de division, de confiscation de pouvoir, etc. D’où cette liste de solutions. Toutefois pour aussi « naïves » quelles soient, ces recommandations ont eu une portée prédictive. Ses propositions trouvent échos aujourd’hui, non seulement dans les Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS), mais aussi dans les partis à objet unique, comme les partis écologistes, féministes, ethniques, etc.

b - Michels (1971): la loi d’airain de l’oligarchie ou « maladie » oligarchique ?

Contrairement à Ostrogorski, l’objet d’étude est moins large et plus précis. Comme le note Seiler (1986) : « le discours de Robert Michels est indubitablement scientifique : par sa théorie, son hypothèse et sa démarche ». Sa démarche se situe en droite ligne de la théorie des élites. Il applique en la rectifiant celle-ci aux partis. Pour lui, les partis sont des appareils indispensables à la démocratie : « La démocratie ne se conçoit

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pas sans organisations (…). Le principe de l’organisation doit être considéré comme la condition absolue de la lutte politique conduite par les masses. Mais le principe, politiquement nécessaire, de l’organisation, s’il permet d’éviter les dispersions des forces propices aux adversaires, recèle d’autres périls. On échappe à Scylla pour échouer contre Charybde. C’est que l’organisation constitue précisément la source d’où les courants conservateurs se déversent sur les plaines de la démocratie et occasionnent des inondations dévastatrices qui rendent cette plaine méconnaissable » (Michels, 1971 : 25-26). 

Il s’inspire de la théorie des élites telle que formulée par Gaetano Mosca et Wilfredo Pareto pour procéder à une analyse sociologique de la social démocratie allemande en s’en démarquant cependant, « La théorie de la circulation des élites formulée par M. Pareto, ne peut être acceptée qu’avec des réserves en ce sens qu’il s’agit bien moins souvent d’une succession pure et simple que d’un mélange incessant, les anciens éléments attirant, absorbant et assimilant sans cesse les nouveaux » (Mosca et Pareto, 1971 : 280). Le parti n’est pas seulement un organisme de conquête de pouvoir, mais une micro société. Il montre que les exigences de la compétition démocratique conduisent à la centralisation des partis pour des besoins d’efficacité décisionnels.

Cependant, si son analyse lui permet de découvrir une loi sociologique, la loi d’airain de l’oligarchie, il traite ce phénomène comme une pathologie, une dérive du fonctionnement normal des partis politiques qu’il convient de soigner. Suivant ses propres termes, « la maladie oligarchique des partis démocratiques » (Mosca et Pareto, 1971: 171) est « incompatible avec les postulats les plus essentiels de démocratie » (Mosca et Pareto, 1971 : 295). Ce faisant, il quitte le champ de la science pour celui des normes.

Son apport à la science des partis reste significatif. En mettant l’accent sur le fonctionnement interne des partis, il apparaît comme le précurseur de la démocratie intra partisane qui constitue un domaine spécifique dans l’étude des partis. Par ailleurs, il peut être considéré comme le premier à mettre en exergue le processus d’institutionnalisation des partis lorsqu’il affirme que : « le parti, en tant que formation extérieure, mécanisme, machine, ne s’identifie pas nécessairement avec l’ensemble des membres inscrits et encore moins avec la classe. Devenu une fin en soi, se donnant des buts et des intérêts

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propres, il se sépare peu à peu de ceux qu’il représente (…). C’est une loi inéluctable que tout organe de la collectivité né de la division sociale du travail, se crée, dès qu’il est consolidé, un intérêt spécial, un intérêt qui existe en soi et pour soi… » (1979 : 289-290). Ce processus sera systématisé plus tard par Huntington (1968 : 12).

En outre, Michels, en dépit des critiques plus ou moins fondées adressées à son œuvre, a fait preuve d’un réalisme et d’une lucidité qui manque à beaucoup de spécialistes des partis politiques aujourd’hui, notamment lorsqu’il affirme clairement que : « Le trésor de la fable peut très bien symboliser la démocratie. La démocratie est, elle aussi, un trésor que personne ne pourra jamais mettre à jour. Mais en poursuivant les recherches et en fouillant infatigablement pour trouver l’introuvable, on n’en accomplira pas moins un travail profitable et fécond pour la démocratie » (1979 : 300).

A ce titre, sa démarche n’est pas très éloignée de celle de Samuel Huntington de « la troisième vague » ou d’un Robert Dahl « De la démocratie ». Autrement dit, selon ce maître, la « maladie oligarchique » même si elle n’est pas curable, n’empêche pas que l’on fasse des efforts pour la guérir. Ce réalisme s’oppose ainsi nettement, de la « naïveté » de Moisei Ostrogorski, qui proposait purement et simplement la suppression des partis politiques. Alors que ces deux auteurs se contentent d’analyser des aspects précis du phénomène partisan, Duverger a adopté en 1951, une approche plus large et propose une théorie globale des partis.

c - Duverger (1976) : la théorie de l’origine des partis modernes et les conséquences politiques des lois électorales

Maurice Duverger est un continuateur d’Ostrogorski et Michels, en ce sens que comme eux, il s’inscrit dans l’étude des institutions partisanes et de leur rôle dans l’Etat. Mais il rompt avec ces derniers quant à l’ampleur de son champ empirique et de son ambition théorique. En effet, il « propose ici un modèle théorique permettant de comprendre en profondeur leur configuration et leur jeu, et de prévoir dans toutes les situations possibles » (Duverger, 1976 : 10). La problématique de son étude est précise : « Pas plus que leur doctrine, la composition sociale de

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ceux-ci ne fera cependant l’objet principal de cette étude, essentiellement orienté vers les institutions partisanes et leur rôle dans l’Etat. Car les partis actuels se définissent beaucoup moins par leur programme ou la classe que par la nature de leur organisation : un parti est une communauté d’une structure particulière » (Duverger, 1979 : 20).

Sur la base de cette problématique, on peut mesurer l’apport de Duverger à trois niveaux, sa contribution à la formulation de la théorie de l’origine des partis, sa typologie des partis3 et sa conceptualisation des rapports entre systèmes de partis et systèmes électoraux communément labellisé « lois de Duverger ».

La théorie de l’origine des partis telle que conçue par Duverger s’appuie sur l’idée que la compréhension des partis politiques passe par la connaissance des circonstances différentes de leur naissance. Dans cette perspective, il considère que « dans l’ensemble, le développement des partis parait lié à celui de la démocratie, c’est à dire à l’extension du suffrage populaire et des prérogatives parlementaires », rejoignant sur ce point Ostrogorski. C’est sur la base de ce postulat qu’il distingue les partis d’origine électorale et parlementaire des partis de création extérieure. Les premiers sont le résultat d’un processus évolutif allant des cellules aux groupes parlementaires en passant par les comités électoraux. Les seconds quant à eux sont issus des syndicats, des sociétés de pensées, des églises, et des associations d’anciens combattants (Duverger, 1979 : 23-39). Tirant les conclusions de « l’influence de la genèse d’un parti sur sa structure définitive », il note ainsi que les partis de création électorale et parlementaire sont généralement plus centralisés notamment parce qu’ils sont créés par le sommet alors que les partis de création extérieure le sont moins parce qu’ils partent de la base. De même, l’influence des députés est plus forte sur les premiers que sur les seconds. C’est sur la basse de ces considérations qu’il établit la célèbre distinction partis de masses et partis de cadres. Cette théorie de l’origine des partis sera complétée par Harmel (1985) qui distinguera les partis nés par scission, fusion etc.

Les lois de Duverger quant à elles sont le produit de la mise en rapport des relations complexes entre système de partis et système électoral. Il part du constat que les systèmes de partis sont le résultat de nombreux facteurs : ceux propres à chaque pays (tradition, histoire, croyances religieuses, compositions ethniques, rivalités nationales, etc.)

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

et ceux généraux et communs à tous les pays (facteurs socio-économiques, idéologiques et techniques). Son choix se porte toutefois sur un facteur technique « essentiel » : le régime électoral : « En définitive, système de partis et système électoral sont deux réalités indissolublement liées, parfois même difficiles à séparer par l’analyse : l’exactitude plus ou moins grande de la représentation politique par exemple, dépend du système électoral et du système de partis, considérés comme éléments d’un même complexe, rarement isolables l’un de l’autre. On peut schématiser l’influence générale du mode de scrutin dans les trois formules suivantes : 1° la représentation proportionnelle tend à un système de partis multiples, rigides, indépendants et stables (sauf le cas des mouvements passionnels) ; 2° le scrutin majoritaire à deux tours tend à un système de partis multiples souples, dépendants et relativement stables (dans tous les cas) ; 3° le scrutin majoritaire à tour unique tend à un système dualiste, avec alternance de grands partis indépendants » (Duverger, 1976 : 291).

Au total, en mettant explicitement l’accent sur « les institutions juridiques (constitutions, lois électorales, etc.) et les forces politiques (partis et groupes de pressions) pour variable fondamentale » (Duverger, 1976 : 15), en insistant sur « les institutions partisanes et leur rôle dans l’Etat » (Duverger, 1976 : 20), Duverger a ouvert la voie à l’analyse institutionnaliste des partis politiques et à sa banalisation dans la science politique. On peut relever la postérité de cette contribution de Duverger, dans le travail de Rae (1967) qui a systématisé les conséquences politiques des lois électorales sur les partis politiques ou encore le travail de Janda (2005) sur les « party law ». Jean-Benoît Pilet (2008) montre « les nouveaux souffles dans l’analyse des systèmes électoraux » dans la science politique.

Toutefois, ce livre soulève de nombreuses critiques. L’ouvrage est taxé d’ethnocentrisme dans la mesure où il est dans une large mesure franco centré (Seiler : 1986 : 22-23). En effet, alors que son ambition est de proposer « un modèle théorique permettant de comprendre en profondeur leur configuration et leur jeu, et de prévoir dans toutes les situations possibles » (Duverger, 1971 : 10), sa connaissance des partis dans les autres pays semble limitée. Ce faisant, il succombe dans une large mesure à la « tentation de l’œillère » (Gazibo, 2002 : 441), dans la

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mesure où pour combler son déficit de connaissance des cas étrangers, il se laisse guider principalement par les cas français qu’il connaît le mieux.

Les critiques les plus sérieuses ont été formulées par Aaron Wildavsky (1968 : 368-375). Ces critiques portent sur les erreurs méthodologiques faites par ce dernier. Duverger est encore prisonnier de certaines illusions et idées reçues : un déterminisme évolutionniste (historicist fallacy) qui l’amène à postuler un sens « naturel » dans l’évolution des partis. L’illusion mystique (mystic fallacy) qui l’amène à postuler un caractère « naturel » des dualismes des oppositions (droite/gauche)4. Un rejet implicite d’une approche multi causale, alors même que son ambition « théorique est de saisir tous les cas possibles ».

d - Coleman, Lipset et Rokkan et les autres : le multifonctionnalisme des partis…

Alors que Ostrogorski, Michels et Duverger se sont attelés à examiner les structures matérielles (organisations) et immatérielles (idéologies) des partis pour en tirer des conséquences quant à leur utilité pour le système politique en général et la démocratie en particulier, les auteurs que nous regroupons sous cette rubrique se sont intéressés à l’identification des différentes fonctions susceptibles d’être remplies par un parti politique. Nous retiendrons ici les contributions originales.

- Coleman et al. (2006 : chap. 5) et Lowi (1971) : fonction d’agrégation, constituante et programmatique des partis

La première fonction spécifique des partis politiques selon Coleman et al. (1960, 2006: 81) est celle d’agrégation des intérêts. En effet, « political parties are important in interest aggregation in democratic and in non democratic systems », « interest aggregation is the activity in which the political demands of individuals and groups are combined into policy programs » (81). Le mérite de cette approche des partis, c’est de rompre avec une approche qui tend à évaluer le rôle des partis politiques en fonction de leur utilité pour la démocratie. Lowi (1971 :102-105) pour sa part identifie les fonctions constituantes et programmatiques des partis. La fonction constituante renvoie à « ce qui est nécessaire à la formation du tout, ce qui compose, ce qui constitue ». Ainsi, selon Lowi, un parti qui remplit des fonctions constituantes ou constitutionnelles aura

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

des rapports réguliers et fondamentaux avec la structure, la composition et le fonctionnement du régime ou du système. Par ailleurs, les partis peuvent également remplir des fonctions programmatiques, c'est-à-dire, énoncer les mesures qu’ils proposent de prendre et la politique qu’ils mettraient en œuvre une fois parvenus au pouvoir.

Dans la perspective de Lowi cependant, les partis bifonctionnels, c'est-à-dire ceux qui remplissent à la fois des fonctions constituantes et programmatiques sont des « partis responsables » tandis que les partis unifonctionnels ne le sont pas. C’est sur cette base qu’il distingue les partis européens, « responsables », des partis américains, unifonctionnels.

- Lipset et Rokkan (1967) : les partis, agents de conflit et instrument d’intégration

En s’inspirant de Parsons, Lipset et Rokkan (1967 : 3) ont quant à eux mis en lumière le fait qu’un parti politique est à la fois un agent de conflit et un instrument de son intégration. A partir de l’expérience occidentale, ils montrent que les partis sont des agents de conflit compte tenu de leurs liaisons initiales avec les clivages, les tensions et les conflits sociaux, et des instruments d’intégration notamment parce qu’ils n’excluent pas les possibilités de compromis et de coalitions. En effet, « The opening up of channels for the expression of manifest or latent conflicts between the established and underprivileged classes may have many systems out of equilibrium in the earlier phase but tended to strengthen the body politic over time. This conflict –integration conflict dialectic is central in current political research in comparative sociology of political parties…They (parties) help to crystallize and make explicit the conflicting interests, the latent strains and contrasts in the existing social structure, and they force subjects and citizens to ally themselves across structural cleavage lines and to set up priorities among their commitments to established or prospective roles in the system. Parties have an expressive function; they develop rhetoric for the translation of contrast in the social and cultural structure into demands and pressures for action or inaction. But they also have instrumental and representative functions: they force the spokesmen for the many contrasting interests and outlooks to strike bargains, to stagger demands, and to aggregate pressures » (Lipset et Rokkan, 1967: 5).

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Alors que les pionniers étaient contre les partis notamment parce qu’ils seraient facteurs de division (Ostrogorski) ou dysfonctionnel par rapport à la démocratie (Michels), Lipset et Rokkan (1967) montrent que les partis institutionnalisent les conflits.

- Lavau (1971) : Les partis anti-système et la fonction tribunicienneComme Lipset et Rokkan, Georges Lavau s’inspire de Merton pour

proposer une analyse rénovée des fonctions des partis politiques. D’abord, il précise la notion de « fonction » qui fait l’objet de confusion chez la plupart des auteurs et formule la théorie des partis anti-système.

La première contribution de Lavau porte sur « le problème des fonctions des partis politiques ». Il relève la confusion qui règne dans l’utilisation du mot « fonction » : soit la distinction n’est pas faite entre fonctions manifestes et fonctions latentes, soit on les amalgame et le mot fonction recouvre des sens différents. « Fonction » est tantôt synonyme de fonction latente, d’activités remplies par les partis, des effets de l’activité des partis sur le système politique ou enfin, fonction est synonyme d’exigences fonctionnelles des systèmes politiques. Ce faisant, il propose une définition synthétique des fonctions : « les fonctions sont des contributions (ou des solutions) que des acteurs apportent, par leurs actes, à des exigences fonctionnelles des systèmes auxquels ces acteurs sont reliés, ces exigences fonctionnelles étant supposées être ce qui est nécessaire à ce système pour survivre, s’adapter, atteindre ses buts, ne pas se dénaturer » (Lavau, 1971 :179).

En partant de la problématique des interrelations complexes entre les partis et le système politique ensuite, il formule l’hypothèse qu’ « aucun5 parti politique n’est purement fonctionnel (ni »fonctionnaire ») pour le système politique (…). Les partis (l’étymologie du mot l’indique assez) sont des organisations qui « fractionnent », qui sont tournées vers la lutte, qui ne représentent que des minorités actives. A ce titre, ils ne peuvent être purement et simplement des serviteurs impassibles du système politique » (Lavau, 1971 : 185). C’est sur la base de ce constat qu’il identifie les partis « anti-système » ou tribunitien, c'est-à-dire des partis qui s’adonnent « totalement et en permanence » à « la critique du système, de ses valeurs et de ses normes, de ses structures et de ses autorités » Lavau,

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

1971 : 192). Dès lors se pose la question de savoir si on peut appréhender la fonction tribunitienne comme une « contribution » au système politique, dans la mesure où la critique peut aller au delà de ce que le système peut supporter. Lavau apporte une réponse nuancée à cette question. Il considère dans un premier temps que l’accomplissement de cette fonction n’est pas une contribution dans la mesure où elle gène le fonctionnement « harmonieux »du système et est susceptible d’aboutir à des activités et à des comportements « irresponsables » de la part de ces partis. Dans un second temps, il soutient qu’il s’agit d’une contribution dès lors qu’ « elle dévie des virtualités révolutionnaires et qu’elle est, dans certaines situations explosives, un des moyens de vivre avec des clivages.6 » (Lavau, 1971 : 190).

Cette contribution est probablement la dernière significative dans l’approche structuro fonctionnaliste des partis politiques. En dehors de quelques références subjectives, elle a connu une postérité et permet d’appréhender les partis populistes, protestataires et extrémistes. Cette analyse a été récemment renouvelée (même si ces derniers ne font pas référence explicite aux travaux de Lavau). A titre d’illustration Schedler (1996 : 291-312) étudie le développement des « anti-political-establishment-parties » à partir des années 1980 et Copoccia (2002), s’intéresse aux « anti-system parties ». C’est dans cette perspective que l’on peut, dans une certaine mesure situer l’analyse que fait Basedeau et al, (2007) des partis interdits (party ban) en Afrique. 

Au total, ce qui unit tous ces auteurs c’est qu’ils communient tous à la même source, celle des structures et des fonctions. Ici, on s’intéresse aux partis dans la mesure où ils ont un comportement significatif à l’égard des exigences fonctionnelles du système politique, or les partis ne « remplissent pas tous et pas nécessairement les fonctions du système », ou bien les partis seront considérés comme des agents des processus d’interaction qui permettent aux systèmes politiques de persister et de s’adapter aux changements de l’environnement, ou encore ils seront traités comme des reflets ou des agents de cristallisation des cultures ou des subcultures du système. Quelque soit l’angle adopté par ces auteurs, le postulat qu’ils cherchent à expliciter est celui du lien entre partis et démocratie. Les multiples fonctions que les partis sont sensés exercer ont tous partie liée avec la performance

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démocratique du système. Or, comme le relève à juste titre Bréchon, « plutôt que de chercher à dire si les partis sont fonctionnels ou dysfonctionnels pour une bonne démocratie, il est plus intéressant de s’interroger sur les liens entre des partis et des systèmes politiques. Une société a probablement des partis à l’image de ce qu’elle est » (Bréchon, 1999 : 73). Cette mise en garde est prise au sérieux par l’approche des choix rationnels qui ne fait pas de la démocratie son angle d’attaque.

2 - L’approche des choix rationnels

Cette approche majeure en science politique (Green et Shapiro, 1995) part de l’analogie qui est faite entre marché économique et marché politique. De manière plus globale, cette perspective résulte de l’importation dans le champ de la science politique des concepts de la science économique. Ici, les partis politiques, contrairement à la perspective structuro fonctionnaliste, ne sont pas définis par rapport à leurs fonctions ou leur dysfonction, ou encore leur utilité pour le système. Ils sont considérés comme des entreprises politiques qui se battent sur un marché politique, dont l’enjeu est la définition des règles de tous les autres jeux. Dans cette perspective, les acteurs en présence, électeurs, politiciens professionnels et partis politiques, sont tous conscients de leurs intérêts spécifiques. Les partis politiques en tant qu’institution ont des intérêts propres, distincts de ceux des politiciens professionnels et de ceux des électeurs. Max Weber (1959), Anthony Downs (1951) et Joseph Schumpeter ont banalisé l’étude des partis en tant qu’entreprise politique ; ce faisant, ils ont donné naissance à tout un courant spécifique d’étude des partis. Gaxie (1977) et Offerlé (2002) apparaissent dans une certaine mesure comme les représentants français de cette approche.

a - Weber (1959) : le parti comme entreprise politique Dans sa préface à Weber (1959), Aron (1959 : 35) note que « Max

Weber suivait à travers les siècles, le développement d’une catégorie sociale, d’un type d’homme, qu’il appelait politicien professionnel, celui qui tire sa subsistance de la politique, qui vit par en même temps que pour elle ». C’est en ayant à l’esprit cette considération fondamentale

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que l’on peut saisir l’apport de Weber à l’étude des partis politiques qui sont de deux ordres.

Tout d’ abord , il est le premier à proposer une évolution des formes des organisations partisanes : on serait ainsi parti des « partis » des villes médiévales (ceux des Guelfes et des Gibelins) qui se composaient uniquement des clients, à comités interrégionaux et caractérisés par une organisation militaire sévère ; aux cliques aristocratiques ou partis de la noblesse en Grande Bretagne , aux partis de notables, avec l’ascension politique de la bourgeoisie , pour aboutir enfin aux organisations politiques modernes « enfants de la démocratie, du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d’organiser, de l’évolution des partis vers l’unification de plus en plus rigide au sommet et vers la discipline la plus sévère aux divers échelons » (Weber, 1959 : 171). Bref, Weber propose l’évolution qui a conduit avec « l’entrée en jeu de la démocratie plébiscitaire » des « machines » ou « entreprise politique » (Weber, 1959 : 172).

C’est logiquement de cette évolution qu’il propose en second lieu, une définition nouvelle des partis qu’il considère comme des « sociations reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles- de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble » (Weber, cité par Offerlé (2002 : 10). Weber constate en effet que lorsqu’il doit y avoir une élection périodique des détenteurs du pouvoir, « l’entreprise politique est nécessairement une entreprise d’intérêts. Cela signifie qu’un nombre relativement restreint d’hommes intéressés au premier chef par la vie politique et désireux de participer au pouvoir recrutent par libre engagement des partisans, se portent eux-mêmes comme candidat aux élections ou y présentent leurs protégés, recueillent les moyens financiers nécessaires et vont à la chasse des suffrages » (Weber, 1979 : 164-165) 

Ainsi donc, contrairement à Ostrogorski et à Michels, et plus largement aux tenants de l’approche structurofonctionnaliste, Weber part de l’idée que, l’oligarchie n’est pas une pathologie mais une condition « indispensable » au fonctionnement des partis politiques, dans la mesure où il pense que « l’existence des chefs et de partisans qui en tant qu’éléments actifs cherchent à recruter librement des militants et, par

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contre coup, l’existence d’un corps passif constituent des conditions indispensables à la vie de tout parti politique »(Weber, 1979 : 165). Avec lui, les partis apparaissent comme ce qu’ils sont, des organisations qui visent l’exercice du pouvoir, défendent certains intérêts et promettent de gouverner en fonction de conceptions vagues et générales. Downs pousse cette conception un peu plus loin en développant le postulat de la rationalité absolue.

b - Downs (1954) : la rationalité absolue des partis Dans sa « théorie économique de la démocratie », Anthony Downs

formule la façon dont les partis sont censés se comporter et évoluer. En vertu de son postulat central, les citoyens électeurs, les dirigeants politiques et les partis agissent tous trois rationnellement poursuivant des objectifs clairement définis. Dans cette perspective, il considère qu’ « un parti politique c’est une équipe d’hommes qui vise à contrôler l’appareil du pouvoir en s’assurant les postes nécessaires lors d’élections dûment organisées. Par ‘équipe’ nous entendons une coalition dont les membres sont d’accord sur les objectifs au lieu de l’être simplement sur une partie d’entre eux. Chaque membre de l’équipe a donc exactement les mêmes objectifs que tous les autres. Comme nous posons par ailleurs que ces membres sont rationnels, nous pouvons envisager leurs objectifs comme une échelle de priorités cohérente et simple… » (Downs, cité par Charlot, 1971 : 51).

Il découle de cette définition des partis une certaine conception de l’approche compétitive des partis et de leur relation avec l’électorat. Le citoyen électeur agit prioritairement en vue de maximiser son intérêt personnel et son revenu utilitaire (utility income), les dirigeants politiques poursuivent le seul but d’être élus, et l’objectif des partis est la maximisation de leur résultat électoral. Dans cette perspective, il a mis en exergue l’idée que la compétition pour les votes peut être comprise à partir d’un modèle spatial. Chaque parti politique peut être situé sur un spectre idéologique gauche –droite. L’objectif poursuivi par les partis étant d’être élus, ils se déplacent constamment sur cet axe pour coller à la demande des électeurs. Autrement dit, dans la perspective de Downs, les idéologies ne sont pas immuables, elles sont susceptibles d’être

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modifiées en fonction des contextes et des conjonctures. Cette conception a fait école. Ian Budge et David Robertson, pour tester cette théorie ont analysé les programmes électoraux et les manifestes dans les démocraties libérales depuis la Deuxième Guerre mondiale. Ils parviennent à la conclusion que les programmes politiques des partis dans la plupart de ces pays reflètent une seule dimension spatiale droite - gauche. C’est sur ces considérations qu’ils identifient quatre grandes familles politiques sur ce spectre : les familles communistes, socialistes, centristes et conservatrices (sur ce point cf. Ware, 1996 :18). C’est toujours dans le paradigme de la rationalité des partis, des politiciens et des électeurs qu’on peut ranger les analyses que Daniel Gaxie (1977) fait de la rétribution du militantisme dans les partis français.

Le principal mérite de l’approche de Downs c’est d’avoir désencapsulé l’objet parti politique des considérations purement téléologiques et idéologiques. Avec lui les partis cessent d’être de simples agents pour devenir de véritables acteurs. Dans ce sens, il est l’inspirateur de l’approche électoraliste et compétitive des partis. Il dépasse ainsi l’approche en termes d’ « entreprise politique » de Weber, pour mettre en exergue la rationalité propre des partis- Weber met plus l’accent sur celle des entrepreneurs politiques. Mais cette approche a abondamment été critiquée. On peut situer cette critique sur deux plans: le reproche de la rationalité absolue postulée par Downs et sa conception limitée de l’idéologie.

Premièrement, toute l’analyse de Downs se fonde sur le postulat de la rationalité absolue des partis. Or, depuis March, on sait que la rationalité absolue est une illusion, puisqu’elle est nécessairement limitée (March, 1991 : 133-163). La rationalité absolue des partis suppose de considérer ce dernier comme une entité homogène, ce qui est rarement le cas dans la réalité. Comme le souligne Sartori (1976: 326-327): « If parties are defined as ‘vote maximizers’, the objection immediately is that this conceptualization is largely untrue to facts. Likewise, Downs, is often criticized because he assumes parties to be ‘teams’ and indeed coherent and unified teams rather than largely disconnected and multifaceted ‘coalitions’ ». En effet, il existe dans les partis politiques concrets des groupes, factions, tendances, etc. qui développent des stratégies diverses, parfois efficaces pour le positionnement à l’intérieur du parti, mais pas nécessairement efficaces à l’extérieur des partis

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(Kolner et Basedeau (2006) ; Reiter (2006b). Par ailleurs, il est quelque peu naïf de penser que l’objectif d’un parti se limite à la recherche de la maximisation des résultats électoraux. Cette conception ne peut permettre de saisir qu’une catégorie de partis (les partis Catch all et Cartels par exemple). Comme le montre Rihoux (2001 : 46) « dans le cas précis des partis écologistes, il est par exemple tout à fait envisageable que des choix peu efficaces en matière de maximisation du résultat électoral soient posés, et ce afin de conserver une pureté organisationnelle et/ou idéologique ». C’est également le cas pour des partis fondamentalistes, léninistes …

Deuxièmement, la conception de Downs de l’idéologie est assez simpliste. Downs soutient que « parties formulates policies in order to win elections, rather than win elections in order to formulate policies » (Downs, cité par Sartori, 1976: 24). Autrement dit, les partis politiques dans la perspective de Downs, adaptent leurs idéologies en fonction des désirs électoraux. Or comme le note à juste titre Ware (1996: 328), « party ideology is not something that can change as firms change marketing strategies. Parties are not free to move along ideological spectrum at will ». Les partis sont souvent prisonniers des circonstances et des conditions qui les ont vus naître.

c - Offerlé (2002) : les partis comme lien social La contribution de Michel Offerlé à l’étude des partis est à la fois

novatrice et ambiguë. L’innovation réside dans l’ambition de l’auteur d’étudier les partis politiques sociologiquement et historiquement en tirant parti des acquis à la fois de la sociologie classique (Marx, Durkheim, Weber), de la sociologie des organisations, des interactionnismes, des sociologies de l’action collective et de la sociologie des champs de Bourdieu. Il formule l’hypothèse des partis comme relation sociale. Dans cette perspective, un parti doit être analysé comme un espace de concurrence entre des agents et comme une entreprise d’un type particulier (Offerlé (2002 : 4-5). Sur la base de cette hypothèse, il définit un parti « comme un espace de concurrence objectivé entre des agents ainsi disposés qu’ils luttent pour la définition légitime du parti et pour le droit de parler au nom de l’entité et de la marque collective dont ils contribuent par leur compétition à entretenir l’existence ou plutôt la croyance en l’existence » (Offerlé (2002 : 15). Il ressort de cette définition

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qui s’inspire ouvertement de celle de Weber, que si les partis sont des entreprises d’intéressés, tous les agents ne sont pas intéressés au même titre, il y en a qui sont plus intéressés que d’autres ; d’autre part, même si les partis sont des entreprises, ils sont des entreprises d’un genre particulier qui proposent des produits spécifiques.

L’ambiguïté de l’analyse de Offerlé se situe à deux niveaux, celui des concepts utilisés et celui du niveau d’analyse. Sur le premier point, alors qu’il se propose de « désenclaver » l’objet parti politique pour le traiter dans une perspective sociohistorique, son vocabulaire et ses postulats sont essentiellement ceux des choix rationnels : entreprise, biens, marché, capitaux, produits, agents intéressés etc.- c’est la raison pour laquelle nous le rangeons dans l’approche générique des choix rationnels. Bien plus, le choix de faire une amalgame de toutes les sociologies ne semble pas un choix judicieux, plutôt que de désenclaver les partis comme il le prétend, cette approche contribue à rendre confus cet objet pourtant bien délimité par la littérature classique. Sur le second point, on se trouve confronté avec cette approche, à un problème du niveau d’analyse. En effet, lorsqu’il soutient qu’« étudier un parti, c’est étudier les interactions visibles qui se déroulent dans un certain espace de jeu, c’est insister aussi sur le « liant » invisible qui associe des agents dans une coopération concurrentielle. Un parti n’est pas une chose mais doit être analysé comme un champ de force7, c'est-à-dire comme un ensemble de rapports objectifs s’imposant à tous ceux qui entrent dans le champ » (Offerlé 2002 : 14-15), il y a un problème épistémologique qui se pose. Cette proposition est fausse en ce qu’elle est absolu ; un parti peut très bien être analysé comme une chose, au sens que Durkheim donne à cette expression, c’est à dire un fait social. Par ailleurs, il n’y a pas, à priori, de contradiction à analyser un parti à la fois comme une « chose » et comme un « champ de force » (Charlot, 1971, Sartori, 1976). En outre, un champ de force peut être analysé comme une chose. Mieux, la perspective sociologique et historique qui est la sienne aurait du l’amené à prendre au sérieux le processus d’institutionnalisation des partis, c'est-à-dire leur « solidification » et « réification ».

d - Harmel et Janda(1994) : la théorie intégrée des objectifs et changements partisans

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L’étude de Harmel et Janda (1994), essaie d’expliquer pourquoi les partis politiques changent leurs stratégies, leurs caractéristiques organisationnelles et leurs idéologies. Dans cette perspective, ils formulent l’hypothèse que : «… party change does not ‘just happen’. In fact, decisions to change a party’s organization, issue positions or strategy face a wall of resistance common to large organizations. A successful effort to change the party usually involves both a good reason (which, granted, often does involves the need to take account of environmental changes) and the building of a coalition of support…Far from assuming that party changes ‘just ‘happen or ‘must’ happen, we suggest that party change is normally a result of leadership change, a change of dominant faction within the party and/or an external stimulus for change » (Harmel et Janda, 1994: 261-262)

La théorie intégrée s’inspire dans une large mesure des connaissances accumulées sur les objectifs et sur les changements partisans pour formuler trois postulats novateurs. La littérature classique nous apprend que les partis politiques sont des institutions conservatrices. Une fois institutionnalisés, ils sont réfractaires au changement ; de ce fait, pour étudier les changements partisans, il faut prendre en compte aussi bien les facteurs internes qu’externes. En prenant en compte ces propositions dans ce quelles ont de général, Harmel et Janda formulent une théorie qui s’appui sur trois postulats spécifiques majeurs :

(1) même si tous les partis ont tous de multiples objectifs, chaque parti poursuit un seul objectif primaire (primacy goal) qui peut être la maximisation des résultats électoraux, la maximisation des postes exécutifs, la défense des propositions programmatiques et la maximisation de la démocratie intra partisane.

(2) même si les changements partisans peuvent s’opérer sous l’influence de facteurs internes (conflits internes/changement de leadership), « the most dramatic and broadest change will occur only when the party has experience an external ‘chock’ », parce que les partis sont essentiellement conservateurs.

(3) les chocs externes sont des stimuli qui ont une influence directe sur l’objectif primaire poursuivit par le parti. D’autres stimuli externes peuvent affecter le changement partisan, mais de façon moins significative. Autrement dit, un stimulus électoral aura plus d’impact

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sur les partis dont l’objectif primaire est la maximisation des résultats électoraux que ceux qui recherchent la démocratie intra partisane par exemple (Harmel et Janda, 1994 :265).Sur la base de ces postulats, ils énoncent cinq hypothèses primaires

et neuf hypothèses secondaires avant de formuler dix sept propositions pour compléter leur théorie (Harmel et Janda, 1994 : 277-283).

Cette étude de Harmel et Janda (1994) est la plus ambitieuse dans l’étude des partis politiques. Non seulement elle apparaît comme un raffinement des propositions de Downs et de ses suiveurs qui se limitent à considérer la maximisation électorale, mais aussi elle envisage aussi la possibilité qu’un parti peut poursuivre simultanément différents objectifs. En outre, leur mérite c’est d’avoir comblé le vide qui existait dans la littérature sur la théorie des changements partisans et la théorie des objectifs partisans. Comme ils le notent eux-mêmes, « … the theory explains not only the occurrence of party change, but also, the magnitude of party change, and offers at least some potential for producing the type of party change as well » (Harmel et Janda, 1994 :262). Enfin, cette théorie peut permettre de faire une typologie des partis, non plus en s’appuyant sur la structure, l’idéologie, l’histoire, les clivages exprimés, etc. mais à partir des objectifs primaires des partis politiques. Ce qui permet ainsi de distinguer quatre types de parti : « vote-seeking-parties », « office-seeking parties », « policy-seeking parties » et « democracy-seeking parties ». (Cette typologie appliquée à l’Afrique peut permettre de comprendre les comportements à première vue irrationnels de certains partis).

Si l’approche des choix rationnels échappe aux considérations normatives qui soutendent l’approche structurofonctionnaliste, elle tombe dans un autre travers. En effet, la conception instrumentale des partis, leur homogénéisation amène les tenants de cette approche à les traiter comme des acteurs uniques. La principale conséquence qui en découle est l’ignorance relative de la complexité organisationnelle des partis, la négligence des conflits sur les buts et les préférences à l’intérieur des partis. Monthero et Gunther (2003: 15) relèvent que « the dowsian model and many of those who have adopte it maked a grave error when they simplify these dynamics to the point of eliminating politics from political competition »8.

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3 - L’approche inductive

Cette approche est la plus heuristiquement féconde pour étudier les partis car, elle intègre les problématiques disparates du structuro-fonctionnalisme et de l’approche des choix rationnels. C’est elle qui a permis de produire des modèles et des typologies. Elle permet à la fois de comprendre les structures organisationnelles et idéologiques, les stratégies et les comportements des partis politiques. L’idée directrice au cœur de cette approche est qu’à chaque période historique correspond un type de parti dominant. Suivant cette perspective, on serait parti des partis d’élites, de patrons aux partis de masses (Duverger, 1976), en passant par les partis catch all (Kirchheimer, 1966) pour aboutir aux partis cartel (Katz et Mair, 1994). Ce qui caractérise cette démarche, c’est qu’elle s’inspire quasi exclusivement de l’expérience occidentale. C’est à ce titre que la nouvelle typologie proposée par Gunther et Diamond (2003) constitue un apport significatif à l’unification théorique de l’étude des partis, ce d’autant plus qu’ils prennent en compte l’expérience des partis extra occidentaux. De toutes ces typologies, la théorie des clivages sociaux de Lipset et Rokkan (1967) et l’approfondissement de Seiler (1986, 2000, 2001) occupent une place à part.

a - Lipset et Rokkan (1967) : la théorie des clivages sociaux.La théorie des clivages sociaux part d’une analyse du rôle joué par

les partis politiques dans la société et établit ainsi une typologie des partis fondés sur le projet de société ou idéologie. Selon Lipset et Rokkan (1967 :14), quatre clivages sociaux traversent les sociétés politiques occidentales : « Two of these cleavages are direct products of what we might call the National Revolution: the conflict between the central nation-building culture and the increasing resistance of the ethnical, linguistically, or religiously distinct subject population in the provinces and the peripheries (1); the conflict between the centralizing, standardizing, and mobilizing National State and the historically established corporate privileges of Church (2). Two of them are products of the Industrial Revolution: the conflict between the landed interests and the rising class of industrial entrepreneurs (3); the conflict between owners and employers on the one side and tenants, laborers, and workers on the other (4) Much of the history of Europe since the

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beginning of the ninetheeth century can be described in terms of the interaction between these two processes of revolutionary change: the one triggered in France and other originating in Britain»

Suivant cette logique, la Révolution nationale a été à la base du clivage Eglise/Etat, qui a engendré les partis démocrates chrétiens et les partis anticléricaux et laïques d’une part, d’autre part le clivage Centre/Périphérie a donné naissance aux partis centralistes et péripheristes. La Révolution industrielle a donné naissance au clivage possédants/travailleurs, à la base des partis bourgeois et ouvriers, et le clivage primaire/secondaire qui a donné lieu aux partis agrariens et urbains. Dans un ouvrage postérieur, Rokkan en ajoute un cinquième clivage, issu des conflits possédants/travailleurs. La victoire bolchevique en Russie engendre la révolution internationale. Elle divise le camp des non propriétaires et travailleurs en ceux qui se rallient à la révolution soviétique et ceux qui s’y opposent ou du moins refusent d’en accepter les mots d’ordre (Seiler, 2000 : 75-77). Elle donne naissance au clivage socialiste/communiste, et aux partis socialistes et communistes.

Le principal apport de cette typologie tient à ce que Lipset et Rokkan (1967) partent de l’analyse des conflits politiques qui ont présidés par occurrences successives à la différenciation des systèmes partisans. Comme le note justement Hottinguer (1998 : 20) , le message essentiel de son modèle est simple dans son principe « il signifie qu’on ne peut pas expliquer la forte différentiation observable dans la structuration des partis politiques de masse en Europe de l’Ouest sans remonter loin dans l’histoire, sans analyser ses conditions fondatrices fort distinctes selon les pays, sans donc prendre en compte les processus précurseurs d’organisations territoriales, de construction des Etats et de gestion des ressources de pouvoir ».(appliquée à notre champ d’étude, elle implique la prise en compte de la longue durée).

La principale critique formulée contre cette théorie concerne l’hypothèse de la congélation (freezing) des systèmes partisans. En effet, selon Lipset et Rokkan (1967 :50-51), les systèmes de partis en Europe se seraient congelés après la Première Guerre Mondiale et l’instauration généralisée du suffrage universel. L’argument invoqué par la plupart des auteurs consiste à dire que depuis 1920, les systèmes partisans se sont mis en mouvement avec la résurgence par exemple des nationalismes et des conflits sur les valeurs. Cette théorie inspire la plupart des typologies

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depuis 1967 et plus particulièrement celles de Seiler et Klaus von Beyme qui en sont des prolongements et approfondissements.

b – Seiler9 : la remise en cause de la pertinence de la distinction droite/gauche et l’approfondissement de la théorie des clivages

La contribution de Seiler telle qu’elle ressort de ses trois principales publications (1986, 2000, 2001) peut être regroupée en deux axes :

Le premier apport de Seiler à la typologie des partis se situe au niveau de la remise en cause des typologies de sens commun droite/gauche. En effet, Selon Seiler (2000 : chap. 3 et 4, 2001), les classifications fondées sur les critères d’idéologie ou de programme sont extrêmement relatives. Il s’agit plus précisément des typologies qui s’appuient sur l’axe droite-gauche notamment parce que ce concept est ethnocentré et à géométrie variable. L’ethnocentrisme du concept vient de ce qu’il a été initialement inventé en France vers 1792 pour designer une série d’oppositions successives, absolutistes contre libéraux, monarchistes contre républicains, cléricaux contre laïcs, possédants contre travailleurs, etc. (Seiler, 2001 : 10). Ensuite, les mots droite/gauche ont une signification à géométrie variable dans le temps et dans l’espace. Émotive ment chargés, culturellement connotés, ces deux mots sont dénués de toute pertinence scientifique et ne peuvent donc pas fonder une classification sérieuse des partis. Toutes les typologies issues de ce vocabulaire sont ainsi qualifiées de « typologie étiquette », c’est à dire celle qui consiste à croire que les étiquettes des partis qu’on retrouve en abondance et dans le même énoncé dans la plupart des pays désignent la même réalité. Autrement dit, confondant les « mots » et les « choses », cette typologie postule que les vocables comme ‘conservateur’, ‘démocrate-chrétien’, ‘libéral’ ou socialiste’ signifient partout la même chose et que, par conséquent leur portée serait, sinon universelle, du moins valable pour l’aire culturelle occidentale » (Seiler, 2001 : 9). Dans le même sens, Offerlé (2002 : 120) note à juste titre que « derrière un même sigle se cachent dans l’espace et dans le temps des sociations extrêmement différentes ». Cette critique en dépit de sa pertinence semble sombrer dans les travers du substantialisme et de l’essentialisme qui consistent à donner un contenu fixé une fois pour toute à un concept. Les concepts comme les choses changent. En

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

essayant d’échapper à « l’élasticité conceptuel » Seiler frise la glaciation des concepts.

Le second apport de Seiler (2000) réside dans l’élargissement du paradigme de Lipset et Rokkan (1967). Il identifit ainsi huit familles de partis en occident qui procèdent des deux versants opposés de chacun des quatre clivages fondamentaux. Il obtient ainsi :1- les partis patrimoniaux ou « bourgeois » ou de « droite », 2- les partis ouvriers ou de « gauche », issus pour ces deux familles du clivage possédants/travailleurs ; 3- les partis cléricaux ou chrétiens, issus du versant ecclésial du clivage Eglise/Etat ; 4- les partis agrariens et écologistes, issus du versant « rural » ou « nature » du clivage rural/urbain ; 5- les partis de défense territoriale, issus du versant « périphérie » du clivage centre/périphérie ; 6- les partis nationalistes centristes, issus du versant « centre » de ce clivage ; 7- les partis anticléricaux et alternatifs, issus du versant « Etat » du clivage Eglise/Etat ; 8- les partis de défense urbaine(Seiler, 2000 :79).

Le principal mérite de Seiler outre d’avoir fait un effort pour éviter les expressions issues du sens commun, c’est de montrer que plusieurs partis d’un même pays peuvent appartenir à la même famille de parti, et que ces derniers peuvent, à leur tour être subdivisés. Par ailleurs, même si les partis sont des acteurs historiques autonomes, ils ne sont jamais « mariés à vie » avec la famille politique d’origine car, ils peuvent se réaligner dans un clivage plus porteur. En effet, « Le phénomène de survivance, relève Seiler, démontre à souhait le dynamisme et la capacité d’adaptation des organisations face à la logique de l’histoire. Il s’agit des cas où des partis survivent aux causes qui les engendrent et à l’obsolescence de leur projet. Le phénomène de décalage peut aussi se manifester en sens inverse… » (Seiler, 1986 : 116).

Cette analyse de Seiler, est aussi dans une large mesure une version revue et corrigée des « familles spirituelles » de Klaus von Beyme, qui s’intéressant aux démocraties occidentales, identifie en 1985 neuf familles politiques qui se sont succédées dans le temps sur le champ politique (liberal and radical parties, conservative parties, socialist and social democratic parties, christian democratic parties, communist parties, agrarians parties, regional and ethnic parties, right-wing extremist parties and ecology movement) (Ware, 1996 : 21-43).

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c - Duverger (1976) : La distinction partis de cadres / partis de masses La typologie de Duverger (1976 : 119-129) se fonde sur la structure

des partis : « la distinction des partis de cadres et des partis de masses ne repose pas sur leur dimension, sur le nombre de leurs adhérents : il ne s’agit pas d’une différence de taille, mais de structure ». Trois critères sont mis en œuvre pour opérer la distinction, le mode de recrutement et le financement, l’infrastructure social et politique et l’armature des partis.

Suivant le premier critère, les partis de masses sont ceux qui accordent une importance fondamentale au recrutement pour deux raisons : politiquement les matières des partis de masses sont leurs adhérents à qui il faut apporter une « éducation politique » pour en dégager une élite susceptible de prendre en main le gouvernement et l’administration du pays. Financièrement, les partis de masses reposent sur les cotisations des membres qui permet à la fois l’éducation politique et le financement des élections dans la mesure où le « financement est démocratique et non capitaliste ». Les partis de cadres par contre sont ceux où l’adhésion est basée sur les qualités et la situation personnelle de l’individu, et donc réservée à quelques individus triés sur le volet, à savoir les notables influents, techniciens ou financiers. Le financement est donc capitaliste.

Le second critère, l’infrastructure sociale et politique, renvoie au passage du suffrage restreint au suffrage universel, ce que Weber (1959 :171) qualifie de « démocratie plébiscitaire ». Ici, les partis de cadres sont ceux qui se sont développés dans le cadre du suffrage restreint alors que les partis de masses ont connu leur développement avec la démocratisation de l’accès des populations à la scène politique. D’où il ressort que « la distinction des partis de cadres et des partis de masses correspond également, à peu près, à celle de la droite et de la gauche, des « partis « bourgeois » et des partis « prolétariens » (Duverger, 1976 : 126).

Le troisième critère enfin, renvoie à l’armature partisane. Dans cette perspective, les partis de cadres correspondent aux partis de comités, décentralisés et faiblement articulés, tandis que les partis de masses correspondent aux partis basés sur les sections, plus centralisés et faiblement articulés.

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

Les partis de cadres sont le produit du suffrage censitaire, dont l’objectif principal est la distribution des privilèges. Ici, la compétition est limitée à la désignation des pairs ; elle est en outre complètement contrôlée par les partis. Le parti fonctionne sur la base de ressources personnelles, dominé par les élites, le militantisme y est limité. De ce fait, les frontières entre la société, les partis et l’Etat sont floues et la représentation est basée essentiellement sur la confiance. Les partis de masses sont au contraire le résultat de la démocratisation du suffrage universel. Avec l’irruption des masses sur la scène politique, le principal objectif des partis de masse est de procéder à la reforme sociale. Dans cette logique, le militantisme dans ces partis est très développé et c’est de ces adhérents que le parti de masse tire l’essentiel de ses ressources ; par conséquent, il y a un contrôle relatif du parti par la base. Le parti de masse apparaît ainsi comme le représentant de la société face à l’Etat. Cette distinction fondée sur la variable organisationnelle a été remise en cause.

En effet, outre la critique méthodologique de Wildavsky (1968 : 368-375) relevée plus haut, Charlot (1971 : 194), remet en cause le critère organisationnel utilisé pour cette typologie. Cette variable ne lui semble pas stratégiquement la meilleure pour plusieurs raisons : « D’abord ce n’est pas une variable propre aux seuls partis politiques, mais à toutes les grandes organisations. Ensuite et surtout, loin d’exprimer et de pouvoir résumer en quelque sorte les autres aspects de la réalité partisane, la variable organisationnelle a une forte autonomie. Toute organisation a tendance à persévérer dans l’être en dépit des bouleversements extérieurs : la nature d’un parti peut changer sans que son organisation ne soit modifiée ; plus on s’éloigne des origines du parti moins son organisation reflète sa nature » Charlot (1971 : 194). C’est dans une certaine mesure pour combler les limites de la typologie de Duverger que Kirchheimer a élaboré un nouveau type de parti, le parti catch all.

d - Kirchheimer (1971) : L’avènement des partis catch-all Cet auteur fonde sa théorie du « parti attrape-tout » sur une mise en

situation historique de la dichotomie partis de cadres/partis de masses. La période prise en compte comprend l’entre deux guerre et l’après guerre.

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« Au stade suprême du développement, soutient-il, l’expansion économique gomme les disparités et efface les antagonismes de classe. L’abondance sape les bases des oppositions idéologiques d’hier. De conflictuelle, la société devient consensuelle. En outre, l’irruption des masses medias favorise la personnalisation du pouvoir. D’où une dépolitisation et une ‘désidéologisation’ qui ne peuvent pas être sans effet sur les partis politiques » (Schwartzenberg, 1998 : 431). En effet, selon Kirchheimer, l’après guerre marque un tournant décisif dans le mode d’organisation des partis : « Après la seconde guerre mondiale, le vieux parti bourgeois de représentation individuelle est devenu l’exception. S’il s’en trouve toujours quelques spécimens, ils ont cessé d’être un élément déterminant des systèmes de partis. De plus le parti d’intégration de masses, produit d’une époque aux oppositions de classes plus dures et aux structures religieuses plus tranchées, est entrain de se transformer en parti de rassemblement du « peuple ». Abandonnant toute ambition d’encadrement intellectuel et moral des masses, il s’intéresse plus pleinement à la vie électorale, dans l’espoir d’échanger une action en profondeur contre un public plus vaste et des succès électoraux plus tangibles. Cette ambition politique plus limitée et ce souci des contingences électorales sont très éloignés des vastes ambitions d’autrefois ; de telles ambitions, aujourd’hui, sont considérées comme gênantes, car elles éloignent certaines catégories d’une clientèle potentielle à la mesure de la nation.» (Kirchheimer, 1971 : 213).

Dominés par des soucis de contingences électorales, ces « partis de rassemblement » sont tournés davantage vers leurs électeurs que vers leurs adhérents à la différence des partis de masses. Dès lors, le pouvoir y appartient non à des adhérents, mais à des élites, qui ne se font pas dans le parti, mais viennent souvent de l’extérieur. Enfin, pour recueillir le maximum de suffrages dans toutes les catégories socioprofessionnelles, les partis « attrape-tout » intensifient et diversifient ses relations avec les groupes d’intérêts qui sont véritables réservoirs d’électeurs. Alors que les partis de masses assurent une représentation classique et apparaissent comme des représentants de la société face à l’Etat, les partis catch-all apparaissent plus comme des entrepreneurs et comme des courtiers concurrents entre la société et l’Etat.

Le principal mérite de cette typologie c’est qu’il permet de rendre compte des partis de droite que Duverger ne classait que par différence

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

dans la catégorie des partis de cadres. Il permet aussi de mettre sur le même plan des partis de même nature mais d’organisation ou de doctrine opposé comme le Parti travailliste et le Parti conservateur britanniques. Toutefois, comme la typologie de Duverger, la typologie d’Otto Kirchheimer est soutendue par un évolutionnisme et est teinté d’idéologie. Charlot note à cet égard que : « de même que Maurice Duverger trahissait ses préférences idéologiques en décrivant la décadence des partis de cadres et le caractère naturel et inéluctable des partis de masses, Otto Kirchheimer révèle une vision idéale de la démocratie du consensus et du règlement pragmatique des conflits en faisant de son ‘Catch-All Party’ la forme moderne des partis » (Charlot, 1971 : 195-196).

Il proposera dans cette perspective de substituer au parti catch all le « parti d’électeur » (idem : 217-218). Seiler (1986 : 97) propose pour sa part de substituer au concept ‘attrape-tout’, le concept «horizontal». Ainsi, le « parti horizontal » renvoie à « un parti qui couvre une portion de terrain politique qui va de la « droite » incluse, à la « gauche » incluse. Les termes de droite et gauche étant pris dans leur acception socio-économique actuelle. C'est-à-dire que ce type de parti se situe à la fois dans l’opposition droite /gauche et « ailleurs ». Ailleurs, car ces partis parviennent à rassembler hommes de droite, du centre et de gauche autour d’un projet politique qui transcende les notions de droite et de gauche. Dotés d’un projet non réductible à la dimension droite-gauche, les partis horizontaux ne lui restent cependant pas étrangers : elle les traverse portant le débat au cœur du parti » (Seiler 1986 : 97).

e - Katz et Mair (1995) : L’avènement du parti cartel, agent de l’EtatKatz et Mair (1995) partent de l’idée que les différents modèles de

partis peuvent être localisés en prenant comme variable principale la nature des relations entre la société civile, le parti et l’Etat et une certaine conception de la démocratie. Sur cette base, Katz et Mair soutiennent que: « … the developpement of parties in western democracies has been reflective of a dialectical process in which each new party type generates a reaction that stimultes further develpppement, thus leading to yet another new party type, and to another set of reactions, and so on. From this perspective, the mass party is simply one stage in a continuing process. …the factors facilatating this

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dialectic do not derive solely from changes in civil society, but also from changes in the relation between the parties and the state. In particular we argue that there has been a tendency in recent years towards an ever closer symbiosis between parties and the state and that this then sets the stage for the emergence of a new party type, which we identify as «the cartel party» ». (Katz et Mair, 1995 : 6).

Plutôt qu’une définition précise du concept de « parti cartel », ils en proposent les principales caractéristiques : d’abord, le parti se distingue des partis qui sont une émanation de la société civile et des partis catch all qui se situent dans une position intermédiaire entre la société civile et l’appareil étatique. Le parti cartel se situe dans l’Etat agissant à la limite comme un agent entre ce dernier et la société civile ; ensuite, les partis cartels dépendent dans une large mesure des subventions de l’état, sur lesquelles ils décident du fait de leurs positions de législateurs. Comme conséquences logiques, le militantisme y est peu développé et l’organisation y est stratarchique, c'est-à-dire que les relations entre le sommet et la base sont caractérisées par une grande autonomie. « contemporaneously, the relationship between parties and the state also changes, suggesting a new model (…). In this model, parties are less the agents of civil society acting on, and penetrating, the state, and rather more like brokers between civil society and the state, with the party in government(i.e. the political ministry) leading an essentially Janus-like existence. On one hand, parties aggregate and present demands from civil society to the state while on the other they are the agents of that bureaucracy in defending policies to the public » (p.13). « In short, the state, which is invaded by parties, and the rules of which are determined by the parties, becomes a fount of ressources through which these parties not only help to ensure their own survival, but through which they can also enhance their capacity to resist challenges from newly mobilized alternatives. The state in, becomes an institutionalized structure of support, sustaining insiders while excluding outsiders. No longer become simple brokers between civil society and the state, the parties now absorbed by the state. From having first assumed the role of trustees, and then later of delagates, and then later again, in the heyday of catch all party, of entrepreneurs, parties have now become semi-state agencies ». (Katz et Mair, 1995 : 16).

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

Ce model a fait l’objet d’une critique méthodique de la part de Koole (1996) et d’une réponse à cette critique de la part de Katz et Mair (1996). La critique de Koole porte en premier sur le concept de parti cartel. Non seulement le concept n’est pas défini rigoureusement, mais en plus l’application d’une propriété systémique pour caractériser des partis individuels n’est pas pertinente (Koole, 1996 :508). Sur la definition proprement dite « …its not clear which of these « characteristics » are « defining » properties and which are « empirical » properties. For a proper analysis of parties types, this seems to be a useful distinction. If, for example, cartel parties were defined as parties that depend for more than 50% of their income on state subsidies, this would be a clear definition. The other « characteristics » of cartel party (politics as profession, privileged access to state regulated channels of communication, a stratarchical relation between ordinary members and party elites, etc.) could then be regarded as features most cartel parties posses, but which may not be limited to the cartel party type only ».

Par ailleurs, le modèle de cartel rend davantage compte des propriétés d’un système que d’un parti pris individuellement. Si le concept de cartel implique la prise en compte de tous les compétiteurs majeurs dans un marché, comment dès lors appliquer ce concept à seulement quelques uns de ces partis. Mieux encore, « applying the term ‘cartel’ to label a new party type, therefore those not seem to be a happy choice. It also risk mixing scholarly research on parties with neopopulist sentiments that appear to be widespread in present days western countries. The term ‘cartel party’, supposedly characterized by ‘interparty collusion’ has a conspirative connotation that should be avoid as long as evidence is laking that established parties as group consciously and effectively try to impede outsiders from getting in » (p. 517). Pièges de la reprise du langage et du lexique du sens commun qui traduisent souvent une lutte de classement entre acteurs politiques (Seiler, 2001 : 5).

En outre, l’analyse des partis cartels est prisonnière d’une approche stato-centrée, car en analysant les partis comme devenant de plus en plus ancrés dans l’Etat, comme des agents étatiques (agent of the state), ils font comme si le pouvoir politique était concentré dans le seul appareil étatique, alors qu’il est de plus en plus diffus (Koole, 1996 : 519). Enfin on reproche le déterminisme évolutionniste qui soutend l’analyse de Katz et

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Mair. En postulant qu’à chaque moment de l’histoire correspond un type idéal (de parti de cadre, parti de masse, parti catch all, parti cartel), ils succombent aux charmes d’un déterminisme évolutionniste car au final ils recherchent tout simplement « the one best party ».

Quoi qu’il en soit de toutes ces limites, le model de parti cartel semble particulièrement heuristique pour étudier les systèmes de partis et les partis dominants africains pour plusieurs raisons. D’abord, ici un peu plus qu’ailleurs, l’Etat reste pour l’essentiel un acteur puissant contrôlant l’accès aux ressources variées (l’accès aux médias publics, financements, etc.). En outre, la « collusion » entre un certain nombre de partis est plus apparente. Paradoxalement donc, le modèle de parti cartel conçu à partir de l’expérience occidentale peut s’appliquer sans modifications substantielles au terrain africain. Ensuite, le concept même de cartel, tel que formulé par Liphardt pour rendre compte des sociétés homogènes, est un outil pertinent pour comprendre la vie politique d’un pays comme le Gabon où des formules comme « Gabon d’abord », ou encore « consensus national gabonais » sont en vigueur. Par ailleurs, l’interpénétration Etat/parti y est plus apparente, mieux l’ancrage des partis dans l’Etat est plus visible notamment parce que même les partis d’opposition y sont des partis de gouvernement. Au Cameroun, l’UPC et l’UNDP par exemple s’apparentent à des partis de gouvernement.

f - Gunther et Diamond (2003) : le renouveau des typologiesDans cette contribution majeure, Gunther et Diamond (2003) se

proposent de réévaluer les diverses typologies existantes afin d’en proposer une nouvelle prenant en compte les expériences partisanes dans le monde. Cette typologie s’appuie sur trois critères, la nature de l’organisation formelle, l’idéologie et la stratégie des partis. Sur cette base, ils identifient cinq catégories et quinze espèces de partis.

La première catégorie est formée des partis d’élites (elite-based parties) constituée de deux espèces de partis. Le parti traditionnel local de notables (traditional local notable party) et le parti clientéliste. La seconde catégorie de partis est formée des partis de masse (mass-based parties). Elle-même subdivisée en six espèces de partis. D’abord, sur la base de leur programme, on distingue les partis socialistes, les partis nationalistes et les partis religieux. Ensuite, sur la base de leur rapport

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

positif au pluralisme ou au contraire par rapport à leur volonté hégémonique, les partis socialistes se décomposent en deux sous espèces : le parti de classe masse (class mass) et le parti léniniste ; les partis nationalistes se subdivisent en parti nationaliste pluraliste et en parti ultranationaliste ; et les partis religieux se subdivisent en parti denominationnel et en parti fondamentaliste. La troisième catégorie est constituée des partis ethniques (ethnicity-based parties) qui comprend le parti congressiste, qui est une coalition, alliance ou fédération de partis ethniques d’une part, et le parti ethnique proprement dit d’autre part. La quatrième catégorie est formée par les partis électoralistes (electoralist parties) constitués de trois espèces de partis, le parti catch-all, le parti personnaliste et le parti programmatique. Enfin, la cinquième catégorie formée des partis mouvements (movements parties), comprend deux espèces de partis, le parti libertaire de gauche (left-libertarian) et le parti post industriel d’extrême droite (post-industrial extrem right).

Le principal mérite de cette typologie c’est d’aller au delà de la seule expérience occidentale pour prendre en compte les expériences partisanes des autres régions du monde, notamment l’Afrique et l’Asie. En outre, non seulement cette typologie est synthétique, parce qu’elle prend en compte les principaux critères souvent mobilisés séparément (structures, idéologies, stratégies), mais en plus elle ne postule pas, comme c’est souvent le cas, la prédominance d’une forme partisane sur une autre. Ce faisant, la typologie de Gunther et Diamond (2003) échappe dans une large mesure à l’ethnocentrisme qui sous tend les travaux de tous leurs devanciers (Duverger, Kirsheimer, Katz et Mair, Lipset et Rokkan, etc.).

Les différentes théories de l’étude des partis ne sont pas irréductibles les unes par rapport aux autres. Elles se complètent dans la mesure où elles mettent en œuvre les différents éléments considérés comme pertinents par la recherche. Toutefois, limitée au contexte européen, élaborée parfois à partir de l’histoire d’un ou de deux pays d’une même aire géographique et culturelle, cette théorie générale n’intègre pas toutes les contributions des partis à travers le monde. Dès lors, pour paraphraser Badie (1998 : 137), il faut passer du « parti politique », objet universel abstrait au « parti africain », objet singulier et concret.

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II – …aux partis africains en particulier

Il en est de même de l’objet « parti africain » comme de l’objet « Afrique », « Etat africain » ou « pouvoir africain », son statut épistémologique et théorique est sujet à caution (Tshiyembé Mwayila, 1998 ; Gazibo (2001, 2006b) ; Sindjoun (2002b) ; Kamto (1987) ; Bayart, 1989). Mais un peu plus que ces objets cependant, les partis africains sont un « objet perdu » (Gazibo, 2006a). Il est difficile de définir un parti africain parce qu’il s’agit d’un concept formé en dehors de l’Afrique et pour rendre compte des expériences propres aux pays occidentaux. Ce faisant, il est forcement chargé de valeurs et d’idéologies. Ici, il est question de s’inscrire dans la problématique de la politique comparée plutôt que dans celle plus large de la scientificité comme nous l’avons fait dans la première partie. Autrement dit, c’est en mobilisant les paradigmes de l’universalisme et du relativisme culturel que nous évaluerons l’évolution de l’étude ainsi que la place des partis politiques africains dans la stasiologie.

L’intérêt d’une approche comparative des institutions politiques a été abondamment démontré par Chevallier (1996). En effet, « les institutions offrent un terrain privilégié pour le comparatisme…Du fait de leur généralité et de leur stabilité, les institutions constituent en effet un point d’ancrage solide pour le comparatiste ; elles donnent prise à la comparaison » (Chevallier, 1996 : 27). Dès lors, comment penser sereinement les partis africains ? La réponse à cette question est problématique en ce sens que le concept de parti ainsi que l’appareillage méthodologique et théorique qui sert à l’analyser ont presque tous été forgés par la science politique occidentale. Si on peut parler d’un parti au singulier, relater son histoire, décrire par le menu les rouages de son organisation, on ne peut en outre évoquer les partis que par la médiation d’un concept fruit d’une généralisation, et partant, établit par le recours à la méthode comparative (Seiler, 2001). Ainsi donc, étudier les partis africains devient un lieu de rencontre et d’affrontement des conceptions de la politique comparée. Qu’est ce que les partis africains ont de commun avec les partis occidentaux ? L’enjeu ici est de discuter la pertinence du phénomène partisan en Afrique, de voir dans quelle mesure des grilles théoriques formulées ailleurs peuvent ou non permettre d’en rendre compte dans une aire culturelle différente. En

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

d’autres termes, analyser les partis africains, évite de formuler un comparatisme qui vient du centre vers la périphérie, mais plutôt une comparaison qui se situe entre l’universalisme et le relativisme culturel. L’approche comparative permet ainsi à la fois de déterminer ce qui fait la spécificité de ces institutions et ce qui les rapproche des institutions d’ « ailleurs » (Sindjoun, 2002a; Badie et Hermet, 2001; Surel et Mény, 2004; Seiler, 2001). Ici, on se propose de comparer des faits sociaux relevant des mêmes catégories mais s’insérant dans des contextes différents, de manière à expliquer leur genèse et les différences de configuration et d’agencement qui les distinguent.

Ici comme ailleurs, la recommandation de Durkheim doit être prise au sérieux, avant de discuter des différentes écoles de l’étude des partis africains (II), il convient d’abord de s’entendre sur ce que « parti africain » veut dire (I), car « de la définition initiale de tout objet découle un point de vue. Et de tout point de vue découlent des méthodes et des références conceptuelles » (Offerlé, 2002 : 3).

A - Ce que « parti africain » veut dire

Ici, il n’a y pas de querelle de mots. Mais la prise en compte de l’historicité des partis ainsi que de la signification à lui accoler peuvent être intéressants.

En effet, l’histoire du phénomène partisan révèle que c’est au Libéria que le True Whig Party, premier parti politique africain, fut créé dans les années 1860 (Lavroff, 1978 : 7 ; Carbone, 2006 : 19). Avec la colonisation, les partis politiques seront importés/ exportés dans le reste de l’Afrique un siècle plus tard. C’est ainsi que dans les années 1940, la démocratisation partielle des régimes coloniaux va entraîner le multipartisme dans la plupart des États coloniaux au Sud du Sahara (Coleman, 1960 : 286-313). Comme conséquence, les partis politiques vont se multiplier. Ainsi, entre 1945 et 1968, plus de 148 partis seront établis sur le continent africain (Mozaffar, 2005 : 395-396). Comparant l’origine des partis africains et non africains, Janda, en 1962, faisait ressortir que sur 72 partis répertoriés, 3% sont d’origine parlementaire, 40% d’origine extérieure, c'est-à-dire créés par des chefs religieux, des chefs syndicaux, des intellectuels ou par des chefs ethniques, 53%

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d’autre origine, c'est-à-dire soit par scission, fusion ou autre et 4 % sont d’origine inconnue (Janda cité par Charlot, 1971 : 35). Avec l’accession aux indépendances dans les années 1960, ce pluralisme politique cède progressivement la place aux partis uniques (Schachter-Morgenthau, 1998). L’État post colonial de la deuxième génération aura comme trait caractéristique le retour au pluralisme politique avec la consécration constitutionnelle du multipartisme et l’institutionnalisation progressive des systèmes à parti dominant (Bogaards, 2004). Ainsi, l’Etat africain et ses institutions sont non seulement « jeunes », mais leur histoire a été (et est) largement influencée par l’expérience occidentale, ce qui n’est pas sans effet sur leur étude. Ainsi, l’étude des partis africains comme de l’Etat souffre de ce que Sindjoun (2002a : 11-18) a labellisé de « pesanteur des problématiques institués ».

Dès lors, la réflexion sur la signification du parti africain dans la littérature fait apparaître plusieurs stratégies concurrentes de définition. Pour certains auteurs, comme Thomas Hodgkin, les partis renvoient à « toutes organisations politiques qui se considèrent elles-mêmes comme des partis et qui sont généralement considérées comme tels » (Hodgkin, cité par Gonidec et Tran Van Minh, 1980 : 311) ; alors que d’autres s’efforcent de démontrer que les partis africains sont des institutions au même titre que les lignages et les tribus par exemples (Schachter-Morgenthau, 1998) ; certains se contentent de considérer que cette définition va de soi et ne prennent donc pas la peine d’en proposer une ; c’est le cas de Lavroff (1978) et Charles (1962). Pour sa part, Bayart (1970 : 684-685) se limite à relever que « des difficultés de définition : la distinction entre partis, associations tribales, groupes d’intérêts s’avèrent particulièrement complexe ». Par contre, certains considèrent que les partis africains, produit de l’importation sont de « pales copies » des partis occidentaux (Badie, 1992) ; d’autres, dans une perspective plus radicale, à l’instar de Alistair MacIntyre, se sont sérieusement posés la question de la pertinence du transfert de ce concept aux organisations africaines : « Why do we think of these as parties, rather than as, say, churches? The answer that they have some of the marks of American political parties, and that they call themselves parties does nothing to show that in fact the meaning of ‘party’ is not radically changed when the cultural context is radically changed, or that even if it is not changed the description has not become inappropriate. The intentions, the beliefs, the

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

concepts which informs the practices of African mass parties provide so different a context that there can be no question of transporting the phenomena of the party to this context… » (Cité par Ware, 1996: 127).

Ainsi, deux logiques sont à l’œuvre dans la littérature consacrée à la définition des partis politiques africains ; la logique de l’irréductible spécificité des partis africains et la logique de la banalisation des partis africains. Dans la première perspective, les partis africains sont traités comme l’Etat africain ou la démocratie, c'est-à-dire un concept à l’universalité douteuse. Dans la seconde perspective, les partis politiques africains sont appréhendés comme un objet scientifique banal. Ici, on compare les partis africains aux partis occidentaux pour voir dans quelle mesure ils remplissent les mêmes fonctions et jouent les mêmes rôles que les partis ailleurs. Chacune de ces deux thèses présentent des limites. La dialectique parti à part et parti à part entière semble ainsi être le fil conducteur autour duquel la signification opératoire du parti africain doit être recherchée.

1 - Le « parti africain » comme parti à part

Le parti africain comme à part renvoie au fait qu’un parti politique peut être clairement distingué des partis occidentaux. Ainsi, Dans la perspective de Lavroff (1978 : 12-29), dire que les partis Africains sont des partis à part signifie qu’ils ont été mis sur pied par les africains et recouvrent des membres de plusieurs nationalités, d’où leur caractère interterritorial. Cette nuance permet ainsi de distinguer les partis issus de l’action des africains des simples démembrements locaux des partis métropolitains. L’exemple emblématique est le RDA, créé en 1946, il lui a fallu attendre sa rupture en 1950 avec le Parti Communiste Français, auquel il était apparenté, pour que ce dernier devienne un parti africain et que son audience augmente auprès des africains. Selon Lavroff (1978 : 12-13), « il y a …simultanéité de l’apparition des partis proprement africains et création de partis interterritoriaux ». Un parti africain se caractérise donc par sa nature interterritoriale et l’absence d’apparentement avec les partis métropolitains. Cette conception de « parti proprement africain » est restrictive parce qu’elle ne semble pas prendre en compte les partis ethniques, territoriaux, régionaux mis en exergue par la typologie de Hodgkin.

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Plus profondément, les partis africains sont des partis à part parce qu’ils sont fondamentalement différents des partis occidentaux. Ainsi, selon Badie (1992 : chap. 5), les partis africains sont de pales produits de l’importation et donc de la dépendance. En effet, selon Badie (1992 : 178) le phénomène partisan en Occident se fonde sur trois caractères inexportables, car façonnés par une longue histoire. Dans la même perspective, Hermet et al. (2001 : 233) précisent que les partis politiques des pays en développement s’écartent substantiellement des partis politiques occidentaux tels que la science politique les a saisi et analysé. Agents d’intégration et de conflits dans les sociétés occidentales, ils accomplissent de toutes autres fonctions : faute de concourir à l’expression de clivages et de pouvoir entretenir une réelle allégeance citoyenne, ils servent essentiellement de support à l’émergence et à la pérennisation d’une classe politique sans parvenir à raccorder celle-ci à l’ensemble des gouvernés.

Considérer les partis africains comme des partis à part, est une perspective intéressante notamment parce qu’elle prend au sérieux les contextes. Mais, cette approche de la spécificité souffre dans une large mesure d’une erreur épistémologique résultant d’une importation incontrôlée dans le champ africain des termes de l’équation parti politique égale démocratie. On se trouve confronté avec cette approche à deux problèmes.

Le premier problème est celui de l’encapsulation du concept de parti dans celui de la démocratie. Or les termes de l’équation parti politique égale démocratie doivent être revérifiés en ce qui concerne l’Afrique. Notamment parce que, le contexte d’émergence des partis politiques dans les années quarante est largement dominé par le paradigme de l’indépendance. C'est-à-dire que c’est par et dans le cadre de ce paradigme que la vie politique des sociétés africaines est perçue, aussi bien par les acteurs locaux qu’internationaux. Par ailleurs, dans le cadre de l’Etat post colonial de la première génération, le paradigme fondamental est celui de la construction et de la consolidation des bases de l’Etat ; ici, les partis sont conçus comme des instruments non pas de la démocratie, mais davantage comme des instruments au service de la consolidation de l’unité nationale (que l’on soit d’accord avec cette idéologie ou pas). A moins de considérer l’Indépendance et la Construction de l’Etat comme des synonymes de la Démocratie10, il

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

apparaît clairement que c’est seulement à partir des années 1990 qu’un lien direct peut être établi entre parti et démocratie au sens occidental. S’attacher donc ainsi à définir le parti africain en l’enfermant dans le cadre restreint de la démocratie ne semble pas judicieux.

Le deuxième problème est lié au postulat qui informe l’équation parti politique égale démocratie. Ce qui est mis en exergue ici, c’est la compétition politique. Or la compétition politique n’est synonyme de compétition électorale que dans le cadre restreint des vieilles démocraties. Très souvent, le paradigme de la compétition politique rime avec compétition électorale, donc nécessairement intra-partisane (monolithisme) ou inter-partisan (pluralisme). Dans un cas comme dans l’autre, ce qui est au cœur du processus, c’est l’élection). L’erreur ici c’est de considérer que la compétition politique se limite à la compétition électorale, et par conséquent de faire comme si les partis africains étaient les seuls acteurs pertinents de la compétition politique. La mise en garde de Huntington (1968)11 n’a pas été suffisamment prise au sérieux, car il montre clairement que les pays en voie de modernisation se trouvent confrontés simultanément aux problèmes que les pays modernisés n’ont affronté que séquentiellement et sur de longues périodes. Ainsi donc, si en occident la compétition politique se limite à une seule institution, à savoir les élections, en Afrique par contre, l’institutionnalisation de la compétition politique a consacré deux institutions, à savoir les élections et les coups d’Etat (Cowen et Laakso, 1997 ; McGowan, 2003 ; Postner et Young, 2007). Autrement dit, il est sur le plan épistémologique difficile de comprendre comment on peut parler de partis sans prendre en compte les armées. L’encapsulation de l’analyse des partis dans le paradigme démocratique amène la plupart des auteurs à négliger les relations de complicité et de complémentarité qui existent entre partis politiques et armées, donc entre société civile et société prétorienne dont ils sont les représentants, dans la mesure où les élections aussi bien que les coups d’Etats sont des modalités solidifiées d’accession au pouvoir, pour ne retenir que la dimension conflictuelle de celles-ci. Si en Europe, ou dans les vielles démocraties, les partis détiennent seuls le monopole de la conquête du pouvoir ; Ici, les militaires, les « rebelles » et les partisans au sens de Carl Schmitt y sont en concurrence avec ces derniers pour la conquête du pouvoir. De ce fait,

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la dialectique élections/coups d’État doit être envisagée comme le principe actif de la compétition politique en Afrique12.

De ce qui précède, il apparaît donc que les partis africains sont des partis à part moins parce qu’ils sont différents des partis occidentaux, - sur le plan de leurs structures, fonctions, idéologies, etc., - mais davantage parce qu’ils n’ont pas encore réussi à revendiquer avec succès le monopole de la compétition pour la conquête du pouvoir étatique.

2 - les partis africains comme partis à part entière 

En reprenant Thomas Hodgkin, Schacter-Morgenthau (1998 : XI) soutenait en 1964 qu’« En Afrique, les partis sont devenus, avec le temps, des institutions au même titre que les lignages, les classes d’âges, ou les sociétés secrètes ». Cette position tend à la banalisation de l’institution partisane en dépit de la thèse de l’inexportabilité des partis en Afrique. Comme les autres institutions, produit de l’exportation, les partis politiques africains font sens. D’ailleurs, Huntington (1968: 411) relève que « in many african countries, the nationalist party was the single modern organization to exist before independance ». Les partis africains comme parti à part entière résulte aussi de la consécration constitutionnelle de ces institutions dans la plupart des Etats africains. En Afrique comme ailleurs ils concourent à « l’animation de la vie politique et à l’expression du suffrage ».

Les concepts sont des instruments essentiels de la connaissance, mais ils ne doivent pas être jugés sur leur vérité, mais sur leur utilité théorique (Dogan et Pelassy, 1981 : 27-28). Tout en reconnaissant la spécificité des contextes, il convient de prendre en compte les traits communs, l’invariant partisan qui transcende les aires culturelles. Bien qu’étant lié à l’histoire et à la culture occidentale, le concept de « parti politique » peut être utilisé pour rendre compte de ce qui se passe en Afrique. Dans la perspective de Sindjoun, il convient prendre au sérieux « la vie sociale des concepts » car ce qui importe, c’est leur instrumentalisation paradigmatique (Sindjoun, 2002b : 25).

B - Ce que penser les « partis africains » veut dire : entre universalisme et relativisme culturel

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

La richesse des travaux scientifiques sur les partis politiques après les indépendances (1960-1970) contraste avec leur rareté depuis l’ouverture démocratique. Comme le note Comi M. Toulabor (2004 : 113), « paradoxalement depuis les années 1990 avec la redécouverte démocratique, plus on parle des partis politiques africains, moins ils font l’objet de travaux de recherche ». Gazibo (2006 : 6-8) identifie trois raisons à cet état de fait : d’abord , comme ailleurs, les partis africains ont suscité la méfiance, ensuite, la faiblesse de l’étude des partis avant 1990 s’explique par le contexte, avatars du juridisme des années 1960 d’une part et généralisation des régimes autoritaires de l’autre, enfin, « beaucoup de pays une fois vaincues les résistances au multipartisme, les partis se sont multipliés et ont disparu au grès de fusions et de transhumances à un rythme tel qu’il était bien difficile de les prendre au sérieux ». Ce doute sur le « sérieux » des partis africains est plus sceptique que méthodique13.

Le tour de plus de 60 ans d’études des partis politiques africains montre que la plupart des études tournent autour du paradigme de l’universalisme et du relativisme culturel. D’un coté les théories du développement politique ont étudié les partis africains comme des institutions banales et les théoriciens de la démocratisation se sont en suite intéressés au rôle de ces derniers dans la démocratisation en Afrique, de l’autre coté certains auteurs ont étudié les partis africains comme des institutions à part. 1 - L’explication universaliste des partis africains

Dans cette perspective, ce qui ressort c’est que, comme les partis politiques ailleurs, les partis africains ont été analysés dans une perspective structuro fonctionnaliste, typologique et des choix rationnels.

a - L’approche Structuro fonctionnalisteDans l’expression structuro fonctionnalisme, « structure » renvoie

non seulement à l’organisation interne des partis politiques africains,

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mais aussi à leur idéologie et aux bases économiques et sociales sur lesquelles ils reposent (Lavroff, 1978 : 60) », et « fonction » renvoie en même temps au fonctionnement et aux rôles qu’ils jouent dans le système politique et la société africaine en général. De nombreux théoriciens du « développement politique » (Badie, 1988 ; Schwartzenberg, 1998 : 193-208) ont consacré dans leurs analyses une place importante aux partis africains. En effet, en 1966, Lapalombara et Weiner notaient déjà que « the political party, as an institution, is ubiquitous; that it is present in all forms of the state and in all manner of political systems and governments. Even dictatorial and indeed, totalitarian systems seem unable to do without at least one party » (Lapalombara, 2007: 143). C’est ainsi que dans une perspective fonctionnaliste Almond et Coleman (1960) étudient les partis africains comme des structures d’agrégation des intérêts, Apter (1965) les appréhende comme des instruments de modernisation et Huntington (1968) les considère comme des institutions de stabilisation de l’ordre politique. Cette approche sera renouvelée avec le retour au multipartisme par l’analyse de l’influence de l’institutionnalisation des partis sur le processus démocratique en Afrique. Les travaux représentatifs de ce courant sont notamment ceux de Kuenzi et Lambright (2005), Creevey et al (2005) et Randall et Svasand, (2002).

b - Almond et Coleman (1960) : partis africains, structure d’agrégation des intérêts

Almond et Coleman (1960) sont les principaux tenants de « la théorie fonctionnaliste du développement » (Badie, 1988 : 43-56). En effet, ils ont intégré l’étude du développement politique au sein de la théorie fonctionnaliste. Dans son acception large, celle-ci envisage la société ou le système politique comme un ensemble d’éléments interdépendants. Chacun de ces éléments contribue d’une manière spécifique à l’organisation et au fonctionnement de l’ensemble dont il fait partie. Ils proposent ainsi que « political systems may be compared with one another in terms of the frequency and style of the performance of political functions by political structures » (Almond et Coleman, 1960: 61). L’un des postulats de l’approche fonctionnaliste pose que tous les systèmes politiques ont des propriétés communes et donc, accomplissent les mêmes fonctions, notamment la fonction de socialisation politique et

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

de recrutement politique, la fonction de communication politique, la fonction d’élaboration des lois, la fonction d’exécution des lois, la fonction d’adjudication, la fonction d’articulation des intérêts et la fonction d’agrégation des intérêts. Or, la fonction d’agrégation des intérêts est assurée spécifiquement par le système des partis.

C’est dans cette perspective que se situe la première analyse comparative que Coleman (1960 : 247-368) fait du multipartisme en Afrique Subsaharienne. Cette étude permet de mettre en exergue l’existence des systèmes à parti unique, les systèmes de partis compétitifs et le système de partis des pays encore dépendant, la « comprehensive nationalist parties ». Cependant la caractéristique des systèmes politiques d’Afrique subsaharienne selon Coleman, c’est l’existence des systèmes à parti dominant. Son existence s’explique dans les pays musulman par la relative homogénéité de la population, le fond culturel islamique commun, le soutien des traditionalistes (émirs et chefs) ainsi que de l’Administration coloniale. Dans les autres pays, la prépondérance des systèmes à parti dominant s’explique par le charisme des principaux leaders nationalistes (Coleman, 1960 : 286-296). S’agissant de la fonction d’agrégation des intérêts proprement dits, les leaders des partis politiques sont concurrencés par les chefs traditionnels et l’Administration coloniale. L’agrégation des intérêts s’avère particulièrement problématique ici parce que « in most of Africa interets continue to be identified with race or tribe ». Dans cet ordre d’idées, le rôle des partis consistait à construire un intérêt national transcendant les divers intérêts particuliers. Coleman note que, « …strongly futuristic, their main objective is to create an image of a post colonial Golden Age in which all interests will find complete fruition. Although their programs frequently mention the grievances and aspirations of particularly critical groups (e.g. cocoa farmers, traders, plantation workers, etc.), they nevertheless essay to identify all particularities with the ‘national interest’ » Coleman (1960: 331).

Le principal mérite de Coleman c’est de montrer qu’il existe une différence de degré et non de nature entre les partis africains et les partis occidentaux.

c - Apter (1965) : parti africain, institution de modernisation

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La modernisation rend compte de la politique en Afrique en termes de passage de la tradition à la modernité, la tradition renvoyant au sacré, à l’importance de la religion, des liens de solidarités primaires, alors que la modernité est considérée comme renvoyant à la sécularisation, au progrès, à la solidarité organique. Dans cette perspective, les partis politiques africains sont considérés comme un instrument central de la modernisation. Selon Apter: « In the area of political modernization, no single role is of greater importance than that of party politician. This is because political parties are themselves historically so closely associated with modernization of Western societies and in various forms (reformist, revolutionary, nationalist), have become the instruments of modernization in the developing areas » (Apter, 1965: 179).

En effet, les partis politiques ont un impact significatif sur la modernisation: « the employement of all the mass media during political campaigns, the use of journalists, cartoonists, pooster-makers, and pamphleteers, also helps to identify political action with modernity and to stress the instrumental role of party activity in change and innovation. Similarly, the registration of voterscomplation of list, and appointment of polling officers…all encourage the identification of the mechanics of politics with a modern culture » (Apter, 1965 : 183). Par ailleurs, et sur la base de ces mêmes postulats, il construit la thèse de l’omni fonctionnalisme des partis africains. Il relève que les partis de masse ont développé de nombreuses fonctions touchant à la justice, à l’administration, la police, l’éducation et la sécurité sociale, en plus des fonctions électorales et parlementaires traditionnelles. S’il s’agit d’un parti d’opposition à un régime colonial, cela signifie que le parti constitue un Etat parallèle. S’il s’agit d’un parti au pouvoir, cela peut signifier que s’estompe la distinction entre le parti et l’Etat (Apter 1965 : 182-191).

Partant ensuite de la distinction des caractéristiques des partis politiques, c'est-à-dire des partis comme variable intervenante (intervening), dépendante et indépendante, il considère que les partis africains sont davantage des variables indépendantes dans la mesure où la société et le Gouvernement sont dépendants de l’organisation du parti, des décisions des leaders de partis et dans la mesure où la plateforme du parti s’impose à la société (Apter, 1965 : 181-182).

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d - Huntington (1968) : parti, institution de stabilisation de l’ordre politique

L’analyse que Huntington (1968 : 397-433) fait des partis politiques dans les pays en voie de modernisation s’inscrit en droite ligne de la problématique construite sur l’ordre politique. En effet, selon cet auteur, « Just as economic development depend in some measure, on the relationship between investment and consumption, political order (as a goal not as reality) depends in part on the relationship between the development of political institutions and the mobilization of new social forces into politics » (Huntington, 1968 : vii)

C’est dans cette perspective que les partis sont considérés comme des institutions de stabilisation de l’ordre politique. Il existe une relation causale entre participation politique, institutionnalisation et stabilité politique. Ainsi, les sociétés ayant créé un large spectre d’institutions capables de prendre en charge le passage de la culture de sujétion à la culture de participation politique sont susceptibles d’être stables ; les sociétés où la participation politique excède l’institutionnalisation sont instables tandis que les sociétés où il existe un équilibre entre un haut degré de participation et d’institutionnalisation sont véritablement stables. Ces systèmes politiques sont à la fois politiquement modernes et politiquement développés, parce qu’ils ont des institutions capables d’absorber dans le système les nouvelles forces sociales et le développement de la participation produit par la modernisation. Dès lors, la stabilité future d’une société avec un faible niveau de participation politique dépend dans une large mesure de la nature des institutions politiques avec lesquels elle fait face à la modernisation. Or, les principales institutions politiques pour organiser l’expansion de la participation politique sont les partis politiques et le système de partis. D’où cette loi : « a society which develops reasonably well organized political parties while the level of political participation is still relatively low(….) is likely to have a less destabilizing expansion of political participation than a society where parties are organized later in the process of modernization » (Huntington, 1968 : 398).

Huntington (1968 : 407) postule ainsi une relation causale entre parti institutionnalisé et stabilité, en d’autres termes, les coups d’Etat (ici synonyme d’instabilité) sont plus fréquents dans les sociétés n’ayant pas au moins un parti fortement institutionnalisé. C’est ainsi que chiffres en

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main, il montre que ce qui importe pour la stabilité d’un ordre politique est moins le nombre de partis politiques que leur degré d’institutionnalisation. Ainsi, les coups d’Etat sont plus fréquents dans les Etats sans partis que n’importe où ailleurs (Huntington, 1968 : 407). Bien plus, « in modernizing states, one-party systems tend to be more stable than pluralistic party systems. Modernizing states with multiparty systems are, for instance, much more prone to military intervention than modernizing states with one party, with dominant party, or with two parties » (Huntington, 1968 : 422).

Ce qui caractérise les travaux de ces auteurs de la première génération, c’est de voir comment les partis africains tendent à contribuer à la construction de l’Etat moderne. La seconde génération des auteurs sur les partis africains se résume pour l’essentiel à mesurer l’influence des partis sur le processus de démocratisation. D’où la mobilisation du concept d’institutionnalisation. La littérature sur la transition et la consolidation démocratique postule une relation d’affinité entre le degré d’institutionnalisation des partis et des systèmes de partis et la consolidation démocratique. C’est ce postulat que les auteurs de la seconde génération essayent de vérifier en Afrique depuis le retour au multipartisme.

e - Kuenzi et Lambright (2005) : système de partis et consolidation démocratique

En s’interrogeant sur la relation entre les systèmes de partis et la consolidation démocratique dans trente pays africains, ils parviennent à la conclusion que : « both stability, in terms of the stability of parties roots’ in society, and competition, in terms of the number of parties, have a positive association with democracy in african countries » Kuenzi et Lambright (2005 : 424). En effet, ils montrent comment la stabilité du système de parti, mesurée à partir de l’âge moyen des partis, et la compétitivité du système de partis, mesurée à partir du nombre de partis politiquement pertinents, ils formulent trois hypothèses. La première postule une relation causale positive entre volatilité législative et democracy en Afrique ; la seconde postule une relation positive entre nombre de partis et démocratie, et la troisième postule une affinité entre âge des partis et démocratie en Afrique. En d’autres termes, les pays avec les plus vieux partis tendent à être plus démocratiques que ceux

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

ayant des partis politiques plus jeunes (Kuenzi et Lambright, 2005 : 426-427).

Le principal défaut de cette étude c’est que les auteurs situent leurs analyses à un niveau d’abstraction et à un nombre de cas si élevé que seules des études moins larges peuvent permettre de tester la pertinence et la robustesse de leurs hypothèses. C’est la perspective adoptée par Creevey et al (2005).

Creevey et al (2005) dans la même perspective, montrent le rôle majeur que les partis politiques ont joués dans les transitions démocratiques réussies et divergent à l’échelle du Bénin et du Sénégal. Au Bénin, les partis et les leaders politiques se sont appuyés sur les clivages ethno régionaux pour formuler leur interaction stratégique, mobiliser le soutien électoral et organiser des élections compétitives. Au Sénégal par contre, le parti dominant (Parti Socialiste) au pouvoir depuis les années 1970, a réussi, par un ajustement progressif des institutions politiques à se maintenir au pouvoir, en permettant par ailleurs à une opposition faible et fragmenté de participer à la compétition électorale. Cette stratégie sur le long terme a affaibli le contrôle du parti dominant, car à partir des années 1990, chaque reforme affaiblissait ce dernier en renforçant l’opposition au point où la rotation est devenue possible en 2000 et 2001 avec l’arrivée au pouvoir d’un parti d’opposition et qui est en passe de devenir, à son tour, parti dominant.

Le principal intérêt de ce travail réside dans le fait qu’il met en exergue le fait que quelque soit la trajectoire suivie par les régimes politiques africains, les partis politiques y jouent un rôle central dans le processus de démocratisation. Contrairement au doute souvent plus sceptique que méthodique sur leur sérieux. La contribution de Randall et Svasand (2002) est d’une tout autre nature.

f - Randall et Svasand (2002) : le concept d’institutionnalisation14 et l’institutionnalisation des partis dans le Tiers-monde

L’analyse de Randall et Svasand (2002) part d’un constat. Le rôle des partis dans la démocratisation est aujourd’hui incontestable. C’est ainsi que de nombreux critères sont pris en compte pour mesurer cet impact : le nombre idéal de partis, le degré de polarisation idéologique, les mérites des différents systèmes de parti, mais surtout

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l’institutionnalisation. Or, ce dernier critère fait problème dans la mesure où l’unanimité sur son importance n’emporte pas une clarté sur le contenu du concept et ses implications d’une part, et son application au contexte du tiers monde, d’autre part. Randall et Svasand (2002) passent d’abord en revue les différentes conceptions de l’institutionnalisation dans la littérature pour en relever les faiblesses et les contradictions, avant de proposer une conception originale ; Ensuite, ils opérationnalisent leur modèle aux partis politiques du tiers monde.

Pour Huntington, « institutionalization is the process by which organisations and procedures acquire value and stability ». Suivant cette perspective, la mesure de l’institutionnalisation suppose la prise en compte de quatre critères: Ce processus comprend quatre dimensions: l’adaptabilité, la complexité, l’autonomie et la cohérence. Concentrant son analyse aux seuls partis politiques, Panebianco, estime quant à lui que l’institutionnalisation est le processus par lequel les institutions se solidifient ; c'est-à-dire le processus par lequel les organisations perdent lentement leurs caractères d’outils pour acquérir une valeur propre, intrinsèque, dans et par lui-même, ses objectifs deviennent inséparables et indistincts de cette valeur. De cette façon, sa présentation et sa survie deviennent un « but » pour le plus grand nombre de ses supporters. Pour mesurer l’institutionnalisation dans cette perspective, deux critères sont nécessaires : le degré d’autonomie vis à vis de son environnement et la « systémicité » (systemness) des différents secteurs internes. Pour Janda par contre, l’institutionnalisation est conçue comme l’un des différents aspects des relations du parti avec l’extérieur plutôt que comme une caractéristique interne du parti. Pour lui, un parti institutionnalisé est celui qui est « réifié dans l’esprit du public » autrement dit, il prend en compte la façon dont le parti est perçu par la société (Randall et Svasand, 2002 : 10-11).

Le problème majeur auquel se trouve confronté la littérature sur l’institutionnalisation en général et l’institutionnalisation des partis politiques en particulier, comme le relève Randall et Svasand (2002), c’est celui de l’absence de consensus sur les dimensions précis du phénomène et la nature des relations entre ces divers éléments. En d’autres termes, les éléments qui caractérisent l’institutionnalisation sont-ils des causes ou des pré-requis ? C’est dans cette perspective qu’ils proposent une approche originale de l’institutionnalisation des partis

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politiques s’appuyant sur une distinction préalable entre institutions et organisations. Ainsi, « Organizations are not necessarily institutions, and vice versa. ‘Organization’, to variable extends and over time, are transformed into ‘institutions’…Political parties are organizations, however rudimentary, set up more or less intentionally and with some kind of formal rules and objectives. But the process through which they become institutionalised is not identical with the party’s development in purely organisational terms. Rather we suggest that institutionalization should be understood as the process by which the party becomes established in terms both of integrated patterns of behaviour and of attitudes, or culture. We suggest further that it is helpful to distinguish between internal and externally related aspects of this process. Internal aspect refers to developments within the party itself; external aspects have to do with the party relationship with the society, in which it is embedded, including others institutions. Within each of these aspects there will be a structural and attitudinal componement, yielding a simple, four-cell matrix. Using this framework we suggest a model of the central elements or dimensions of party institutionalization (systemness, value infusion, decisional autonomy and reification) » (Randall et Svasand, 2002: 12-13).

Il résulte de ce nouveau modèle, que l’institutionnalisation, c'est-à-dire le processus par lequel le parti s’établit comme institution comprend quatre variables fondamentales : la « systémicité » (concept qu’ils préfèrent à celui plus rigide d’organisation), la « value infusion », l’autonomie décisionnelle et la réification (Randall et Sysand, 2002 : 14). Dans cette perspective, plus un parti est institutionnalisé plus il est susceptible de s’adapter et de survivre. Ici, l’adaptation est conçue davantage comme une conséquence que comme une caractéristique de l’institutionnalisation. Comme Huntington (1968), Randall et Svasand ne postulent pas l’irréversibilité de l’institutionnalisation. En effet, « although institutionalization in terms of the four variables will increase the party’s prospects for survival, it is certainly no guarantee against regression or de-institutionalization » (2002: 15). Ainsi à titre d’illustration, dans le cadre des transitions démocratiques, la désinstitutionalisation des anciens partis dominants est souvent le corollaire de l’institutionnalisation des nouveaux partis.

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Le second apport de Randall et Svasand (2002) réside dans l’opérationnalisation de ce modèle aux partis du tiers monde. Il s’agit ici du tiers monde homogénéisé à partir de certaines caractéristiques communes : extrême pauvreté, dépendance économique, analphabétisme, identification religieuse et ethnique très forte, etc. Appliqué au tiers monde, ils proposent des indicateurs pour mesurer le degré d’institutionnalisation des partis. Le degré de systémicité doit être mesuré à partir de quatre indicateurs, à savoir l’origine des partis, ses ressources, le type de leadership, le factionnalisme et le clientélisme. La « value infusion » dépend de la relation du parti à son support populaire et à l’impact du clientélisme. L’autonomie décisionnelle doit être mesurée en fonction du sponsoring externe apporté au parti. Autrement dit, l’aide financière venue de pays étrangers doit être prise en compte pour mesurer l’institutionnalisation d’un parti quant à son autonomie décisionnelle. Enfin, la réification dépend de la capacité du parti à imposer et à revendiquer avec succès des symboles et des valeurs qu’il représente.

L’apport de Randall et Svasand (2002) est doute la contribution la plus significative dans l’établissement d’une théorie générale des partis au sens que préconise Sartori (2003), c'est-à-dire une théorie de l’institutionnalisation qui transcende les aires culturelles.b - L’approche inductive ou par les modèles

Comme ailleurs, l’étude des partis africains a donné lieu à de nombreuses typologies. Celles-ci se fondent sur une multitude de critères, géographiques, structurels, idéologiques temporels, modes d’exercice du pouvoir, etc. Deux principales typologies doivent être envisagés : une relative aux partis uniques et une autre relative aux systèmes multipartites. En 1960, Coleman proposait de distinguer la typologie des partis uniques et partis pluralistes.

1 - Hodgkin (1971) : le critère géographique de classification des partisIl utilise un critère géographique pour distinguer les partis africains.

Sur cette base, il identifie cinq types de partis, le parti interterritorial, le parti territorial, le parti régional, le parti ethnique et le parti nain. (Cité par Bayart, 1970 : 685).

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Les partis inter-territoriaux sont ceux qui transcendent les frontières d’un seul Etat. L’exemple emblématique est le R.D.A. Les partis territoriaux sont ceux qui ont pour champ d’action un territoire donné, colonial ou indépendant, et sa population. les partis régionaux ou ethniques, parfois dénommés « tribaux » dont la limite d’influence ne dépasse pas une région donnée ou une communauté spécifique, du fait des liens historiques, culturels, religieux, de parentés, ou d’un mélange de ceux-ci. Les partis-nains, enfin sont ceux réduits aux habitants d’une localité.

2 - Morgenthau (1998): la distinction partis de masse /partis de patronLa typologie de Schafer-Morgenthau s’inspire ouvertement de celle

de Duverger (1976). La distinction se fonde sur les différences au niveau de l’organisation locale, du nombre d’adhérents, de la structure, des finances et de l’organisation hiérarchique (…) la principale distinction entre parti de masse et parti de cadres n’est pas liée à l’origine sociale de ceux qui aspirent à gouverner le pays, ni la taille des organisations locales » (Morgenthau (1998 : 370). Elle s’établit sur la base des réponses données à deux questions : quelles sont les relations entre les dirigeants nationaux et le reste de la population ? Sur quels groupes et avec quelles idées et structures ont-ils construit leur parti ? De ces postulats, elle montre que : « la plupart des partis de masses naquirent après la guerre ou furent issus des conférences anticoloniales » tandis que les partis de cadres regroupaient quant à eux « l’élite urbaine d’avant guerre qui occupait les plus hauts postes auxquels pouvaient prétendre des africains dans le système colonial, et les chefs officiels conscients du fait que la présence des européens leur assurait une situation privilégiée » (Morgenthau, 1998 : 376-377). Par ailleurs, les partis de cadres, à direction collégiale, étaient généralement financés par ces notables sur leurs propres fonds ou par les dons extérieurs. Les autorités françaises les subsidiaient souvent sous forme de facilité de transport, d’hébergement, d’impression de tracts et de journaux, et en leur offrant l’accès aux moyens officiels de communication ». En outre, ils s’intéressaient presque exclusivement à ceux qui ont un droit de vote, présentent des candidats aux élections et mobilisent pour le vote.

Par contre, « les Partis de masse ont joué un rôle révolutionnaire dans la mesure où ils proposèrent de substituer leur organisation aux

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institutions de l’Etat, ou le firent effectivement pendant un certain temps…pendant quelque temps, la population considéra que la légitimité des partis de masse était beaucoup plus grande que celle des institutions juridiques conçu à Paris. Par conséquent, lorsque les partis de masse acceptèrent de fonctionner au moins partiellement, dans le cadre des institutions d’après-guerre, ce furent les partis qui légitimèrent celle-ci et non pas l’inverse » (Morgenthau, 1998 : 375) ; Ces partis pouvaient être qualifiés des partis d’intégration sociale dans la mesure où ils ne s’intéressaient pas seulement à leurs succès électoraux, mais aussi à tous les aspects de la vie de l’individu de la naissance à la mort.

Le principal mérite de cette typologie c’est d’avoir réussi à saisir les clivages sociaux qui traversent la société politique des Etats d’Afrique noire francophone. Ce qu’elle labellise « équation ethnique et sociale » lui permet de mettre en exergue l’opposition entre traditionalistes et modernistes, évolués et non évolués. Plutôt que de s’arrêter à la structure des partis, elle prend en compte un substrat ou un invariant fondamental, les clivages fondamentaux d’alors. De ce point de vue, la critique de Lavroff (1978 : 78-79) et de Schwartzenberg (1998 : 427-428) qui consiste à dire que les conditions sociologiques, économiques et historiques sont trop dissemblables entre l’Afrique et l’Europe pour que le critère structurel de Duverger soit mobilisé ne semble pas fondée. 

3 - Coleman et Rosberg (1966) : Partis révolutionnaires-centralisateurs et partis pragmatiques-révolutionnaires

Coleman et Rosberg (1966) ont établi une typologie binaire des partis africains en s’appuyant sur des critères plus idéologiques que structurels.

D’un coté se trouvent les partis « révolutionnaires-centralisateurs » (Ghana, Mali, Guinée). Ils se caractérisent, d’abord, par une attention constante aux problèmes idéologiques, de manière à modifier profondément la société. Notamment, ils sont animés par une volonté de transformation planifiée de la situation économique de l’Afrique noire et par une politique panafricaine. Ils se caractérisent ensuite par une organisation monolithique et fortement centralisée. Ils s’efforcent d’intégrer les autres organisations et de fondre les structures du parti et celles de l’Etat.

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De l’autre, se trouvent les partis « pragmatiques-pluralistes » (Sénégal, Cote d’Ivoire, Cameroun). Ils sont moins préoccupés par les questions idéologiques et sont moins portés aux transformations radicales. Ils s’accommodent de la persistance dans la société de structures sociales et économiques anciennes. Sur le plan de l’organisation, ils sont peu structurés et peu hiérarchisés. Ils encadrent et mobilisent moins fortement la population. Ils pratiquent un pluralisme contrôlé qui laisse une certaine autonomie aux autres groupes sociaux.

Cette typologie présente plusieurs mérites. Comme le relève Lavroff (1978 : 83), cette classification des partis politiques africains est intéressante car, « elle a le grand mérite de dépasser la simple analyse organique pour faire intervenir l’élément très important qu’est l’idéologie. Elle permet de ne pas limiter l’étude des partis politiques à des groupes homogènes que ceux-ci constituent et de considérer les partis comme un élément de l’ensemble du système politique dans lequel des groupes et des structures de nature variée interagissent ». Cependant, la prise en compte du critère idéologique pose problème, car elle semble démesurée par rapport à la vie réelle de ces partis. En effet, comme le montre à juste titre Sylla (1977 : 243), « les dirigeants des partis uniques africains prônent souvent des idéologies comme pour cacher la réalité de leurs partis, idéologies auxquelles les masses incultes ne comprennent rien et qui voilent les modes réels d’exercice du pouvoir. Le pragmatisme politique a beaucoup plus dirigé les leaders africains que les idéologies …qu’ils utilisent très souvent comme façades à la réalité du pouvoir ».4 - Van de Walle et Smiddy Kimberly (2000) : la distinction ex-partis

uniques/partis historiques/nouveaux partis Ces deux auteurs ont quant à eux procédé à une typologie

sommaire qui s’appuie sur un critère essentiellement temporel, prenant en compte l’empan de vie des partis africains à partir des années 1990. Ils distinguent ainsi les ex-partis uniques, les partis historiques et les nouveaux partis.

Les « ex-partis uniques » sont ceux qui ont fait la transition du régime de parti unique au multipartisme et qui continuent de jouer un rôle actif dans la plupart des régimes multipartites actuels en tant que partis au pouvoir ou partis d’opposition loyale. Les « partis historiques » renvoient aux organisations qui ont existé pendant plusieurs décennies, mais qui étaient en grande partie en sommeil ou même éteintes et qui

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émergent à nouveaux grâce à la transition des années 1990. Par ailleurs, ce sont des partis qui ont participé à la compétition pour le pouvoir pendant les premières années de l’indépendance avant que leurs dirigeants soient cooptés, exilés et/ou mis hors la loi par le parti unique. Les « nouveaux partis » quant à eux renvoient aux organisations qui ont émergé pratiquement « sui generis », pendant ou juste avant la transition pour participer à la compétition pour le pouvoir. Ces nouveaux partis proviennent de la société civile.

Cette typologie présente de nombreuses limites. D’abord sur la terminologie utilisée : les termes « ex partis uniques », « partis historiques » ou « nouveaux partis », sont des expressions mobilisées par les acteurs politiques eux-mêmes soit pour se qualifier, soit pour qualifier leur adversaires et qui traduisent souvent des luttes de positionnement dans le champ politique. Les reprendre dans une typologie savante semble peu judicieux. Ensuite, la pertinence théorique du modèle proposée est discutable. La catégorie « ex partis unique » par exemple, rigoureusement entendu, n’est pas homogène. Tous les partis uniques ne se ressemblent pas, encore moins les ex partis uniques (Sylla, 1977 ; Gonidec et Tran Van Minh, 1980 : 326). La catégorie « partis historiques », est sujette à caution. Objectivement, même les ex partis uniques sont des partis historiques, si on prend en compte la durabilité de ces derniers sur la scène politique africaine. La catégorie « nouveaux partis » semble ignorer le continuum qui caractérise les partis africains depuis les années quarante. Les nouveaux partis d’aujourd’hui ne sont pas que le reflet de nouveaux enjeux, mais ils sont aussi la résurgence des anciens clivages mis sous boisseau par le système de parti unique. Enfin, le critère temporel utilisé ne prend en compte ni l’idéologie ni la structure des partis africains. Ce faisant, cette typologie ne rend pas compte de la complexité des partis africains. Elle colle de trop près aux typologies de sens commun, ce faisant la critique formulée par (Koole, 1996 : 517) à propos de la terminologie utilisée par Katz et Mair (1995) peut être appliquée ici.

Sur les soixante ans d’existence du phénomène partisan en Afrique près de vingt cinq ans se sont limité au phénomène de parti unique, qui a donné lieu à de nombreuses typologies. En effet, « Tous les partis uniques ne sauraient être confondus dans une seule et même catégorie… » (Gonidec et al, 1980 : 326-333).

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5 - Sylla lanciné (1977) : la distinction parti unique composite à direction collégiale/parti unique centralisateur à direction populaire/ parti unique atomiste à direction personnelle

La typologie de Sylla (1977 : 240-250) prend appui sur un critère spécifique, les modes d’exercice du pouvoir à l’intérieur des partis uniques. Sur cette base, il distingue trois types de parti unique : le parti unique composite à direction collégiale, le parti unique centralisateur à direction populaire, et le parti unique atomiste à direction personnelle.

Le parti unique composite à direction collégiale désigne tous les partis uniques constitués par coalition, fusion ou amalgame de deux ou plusieurs partis de forces à peu près égales et dans lesquels le pouvoir reste entre les mains des principaux leaders des différentes factions, clans et tendances personnelles qui ont présidé à la formation du parti unique. C’est le parti dit « unifié ». Ici, on note la primauté de l’Etat sur le parti, comme par exemple l’UPS au Sénégal. Le parti unique centralisateur à direction populaire est celui qui se réclame et applique les principes du « centralisme démocratique ». Le parti est centralisé, mais il procède à la désignation de ses dirigeants par les procédés démocratiques des élections. Le parti de ce type est marqué par une discipline des militants très poussée par opposition au premier type miné par les factions. Ici, il y a une confusion entre Etat et parti, avec primauté du second sur le premier. L’exemple type est le PDG étudié par Charles (1962). Le parti unique atomiste à direction personnelle est celui où les différents organes du parti, les militants et les individus entretiennent des relations personnelles avec le « chef du parti-chef de l’Etat-président de la République » et dépendent directement des décisions prises par lui. Ici, les antagonismes entre les clans, les tendances et les factions, clientèles et groupes ethniques à l’intérieur du parti et la dépendance de tous à l’égard du chef renforcent la structure du parti et le pouvoir personnel de son fondateur. L’exemple type est le PDCI. De parti de masse avant les indépendances, il est devenu parti de patrons après, avant de devenir le parti « d’un seul patron » (Sylla, 1977 ).

Le principal mérite de cette typologie est qu’elle permet de distinguer les types des partis africains après les indépendances. Les autres typologies pêchent souvent par la confusion qu’ils ont entre partis multiples et partis uniques, notamment parce qu’au moment où ils sont

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élaborées, le parti unique n’est pas encore un fait établi. Il propose ainsi un processus de développement du modèle de parti unique africain. Toutefois, l’évolutionnisme qui sous-tend cette typologie en relativise la valeur scientifique. (Sylla, 1977) part du postulat que les partis uniques africains évoluent tous d’un type précis, le parti unique composite à direction collégiale, vers des types subsidiaires, le parti unique centralisateur à direction populaire d’abord, et le parti unique atomiste à direction personnelle enfin, étant son apogée. Faisant ainsi l’hypothèse de la pérennité des partis uniques. Le retour au multipartisme a montré les limites de ces prédictions.

6 - Gonidec et Van thran Minh (1980 : 326-333) : la distinction parti progressiste ou révolutionnaire/parti réformiste ou conservateur

Sur la base de critères essentiellement idéologiques, ils distinguent trois sortes de partis uniques. En premier lieu, les partis communistes dont l’objectif est de passer d’une formation sociale complexe, où le mode de production dominant est capitaliste à une formation sociale dans laquelle le capitalisme cède la place au mode de production socialiste et où apparaissent des institutions différentes de celles qui existent dans les démocraties dites libérales. En second lieu, les partis uniques réformistes quant à eux « cherchent non pas à détruire l’ordre social issu des siècles où de décennies de domination, mais de lui apporter un certain nombre de modifications qui ne mettent pas en cause sa nature. En dernier lieu, les partis uniques conservateurs se caractérisent par le fait d’être voués à la consolidation de l’ordre établi, sans que des changements notables, dans le sens du progrès puisse être portés à leur crédit, « Le parti émet la prétention de s’identifier à l’Etat et à la nation en voie de formation. Par suite, ceux qui n’y adhèrent pas ne sont pas considérés comme des rivaux politiques mais des ennemis » (Gonidec et Van Thran Minh, 1980 : 332).

Les typologies des partis uniques proposées par ces deux auteurs mettent en exergue le fait que tous les partis uniques ne sauraient être confondus dans une seule et même catégorie.

Au total, cette revue des différentes typologies permet de montrer que les partis africains comme les partis politiques ailleurs ont été soumis aux mêmes instruments d’analyse que ces derniers. Ce qui apparaît

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clairement c’est la tentative qui est faite de procéder au rapprochement des partis politiques africains avec ceux d’ailleurs.

C - L’approche des choix rationnels

Autant l’approche structuro-fonctionnaliste prend en compte les effets des facteurs sociologiques, institutionnels et de la compétition politique dans ce qu’ils ont de mécanique, parce qu’ils sont conçus comme des contraintes, autant l’approche des choix rationnels met l’accent sur la façon dont ces facteurs sont manipulés par des acteurs rationnels et égoïstes préoccupés uniquement par leurs intérêts.

1 - Basedau Matthias et al. (2007) : l’approche néo institutionnaliste des partis interdits

Basedeau, Bogaards et al. (2007) partent d’une problématique négligée dans l’étude des partis africains, celle des partis interdits. En effet, « ethnic, religious, and regional parties are illegal in large number of African state... (they) would not be allow to register as a party and compete in election in many African democracies today…While, democratization is normally equated with multi-party parties, in Africa frequently explicit exception are made for parties based on clan, community, ethnicity, faith, gender, language, region, race sect and tribe » (Basedeau et al., 2007 : 617-618).

En partant de cette problématique, ils se proposent de comprendre comment l’interdiction des partis ethniques dans des pays où la politisation de l’ethnicité et les conflits ethniques sont nombreux. Pour ce faire, ces auteurs inscrivent cette problématique dans le paradigme institutionnaliste et plus précisément dans le néo institutionnalisme. Dans cette perspective, ils formulent l’hypothèse que les partis interdits, en tant que variable indépendante, apparaissent dans la plupart des cas, comme une forme d’ingénierie politique, un instrument dans la prévention et la gestion des conflits ethniques. En tant que variable dépendante, le désir légitime des décideurs de prévenir les conflits ethniques doit être tempéré par le fait que les intérêts égoïstes ne doivent pas être négligés, encore moins l’impact de la dépendance de

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sentier et des conjonctures critiques quant à l’institutionnalisation du phénomène. (Basedeau et al., 2007 : 622-623).

Le principal mérite de cette approche est de traiter l’interdiction des partis ethniques des partis en Afrique non comme une pathologie, mais comme un fait social banal. Les problèmes auxquels on se trouve confronté avec cette analyse sont de deux ordres : premièrement, il y a une surestimation de la force contraignante du droit positif. Certes, la norme légale exerce une contrainte sur la façon dont les acteurs perçoivent les partis politiques. Cependant, l’intérêt manifeste défendu par un parti peut en cacher un autre. En Afrique, la plupart des partis sont ethniques (au sens large). Ici, les clivages sont avant tout de nature ethno-régionale et religieuse. D’où la pertinence de la typologie proposée par Diamond et Gunther (2003) qui prennent en compte ces substrats sociaux, car, même s’il n’y a pas une ratification juridique de ces clivages, pour des raisons objectives et subjectives, elles n’en sont pas moins déterminantes dans la vie partisane en Afrique. Deuxièmement, le finalisme soutenant l’ensemble de cette recherche en relativise la valeur scientifique. Comme le relèvent les auteurs eux-mêmes, « the project intended to collect reliable and scientific evidence about the effects of the institution of party ban that might assist law-makers and political engineers in their attempts to influence institutional change ». « Derrière les plus belles proclamations idéologiques on retrouve toujours la défense d’intérêts d’une catégorie sociale : classes, fractions de classes ou alliance de classes, communauté religieuse ou ethnique, voire société locale. Inversement, tout conflit inspiré par les conditions les plus matérielles se traduit toujours en termes culturels. Porté par un mouvement, le projet politique d’un parti sert à intégrer la défense des intérêts d’une catégorie sociale dans une conception globale d’un intérêt général » (Seiler, 1986 : 107).

2 - Mozaffar, Scarritt et Galaich (2003) : l’analyse stratégique des clivages ethnopolitiques et des institutions électorales

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L’approche la plus originale dans cette problématique en termes de système est celle de Mozaffar et al. (2003). En partant de deux variables classiques dans l’étude des partis et systèmes de partis, Mozaffar et al. (2003) montrent comment les institutions électorales et les clivages ethnopolitiques structurent de manière stratégique les comportements et les attentes des acteurs politiques, électeurs et candidats. Le principal mérite de cette analyse réside dans l’introduction de l’analyse stratégique là où en général l’analyse culturaliste est privilégiée. Notamment parce qu’ils considèrent que les institutions électorales, mais surtout les clivages ethnopolitiques sont un palliatif au déficit d’informations dans les sociétés politiques africaines. D’où la conclusion, à première vue paradoxale, que la multiplicité des groupes ethniques est à la base des systèmes de parti dominant en Afrique15. Cependant, cette étude souffre de deux limites. En premier lieu, comme le note justement Brambor, Clarck et Golder (2007), la conclusion au caractère exceptionnel des systèmes de partis africains, parce qu’ils ne répondraient pas de la même façon qu’ailleurs aux facteurs institutionnels et sociologiques, résulte d’une interprétation erronée de leur modèle.16 En second lieu, outre la complexité du modèle qu’ils utilisent et qui par ailleurs ne s’appui sur aucun travail empirique, la question en fond reste celle du lien postulé entre partis et démocratie.

3 - Patterson et Fadiga-Stewart (2005) : les limites de l’analyse stratégique des institutions électorales

Matthijs Bogaards (2004), a montré que les partis dominants dominent l’Afrique subsaharienne, sans toutefois proposer une explication de ce phénomène. C’est dans cette perspective que Patterson et Fadiga-Stewart (2005) tentent d’expliquer comment des règles électorales différentes peuvent produire relativement le même résultat, à savoir l’hégémonie d’un parti sur les autres, quelque soit la nature démocratique ou semi autoritaire du système politique concerné, ou mieux encore, si la source de la dominance en Afrique est partout la même. Ces questions partent d’un constat pertinent: « …the nations of Africa employ a distinct variety of electoral rules in their respective legislative elections. This variety includes nations like Botswana, Malawi, and Cameroon, which employ different type of plurality rules, the first two being single – member district plurality systems and Cameroon

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employing multi-member district plurality rule. It also includes countries which employ majority formulas (Mali), a variety of proportional representation formulas (Burkina Faso and Namibia), and countries which conduct elections under some mixed-member formulas (Senegal and Lesotho in 2002).What is interesting about the variety of electoral rules employed in Africa is not only that they do not quite operate in the expected Duvergian fashion with respect to effective number of electoral and parliamentary parties they produce but also that, with respect to aggregate outcomes, they tend to produce similar party-system pattern across the various nations of the continent » (Patterson et Fadiga-Stewart, 2005 : 2-3)

Pour répondre à ces questions, ils proposent de prendre en compte à la fois des données holistes et individualistes, c'est-à-dire communes et propres à chacun des pays. Suivant cette approche, deux variables doivent être retenues, les institutions électorales du pays concerné, mais aussi et surtout les groupes politiquement pertinents. Autrement dit, il convient d’examiner  « …each country’s electoral institutions to assess how they related to the politically relevant groups in that country that are used by dominant parties to maintain their electoral status » (Patterson et Fadiga-Stewart, 2005 : 10). En effet, ces deux éléments permettent de comprendre que ce qui importe c’est n’est pas seulement la fragmentation des différents groupes, mais aussi la façon dont ces derniers sont concentrés ou non dans un pays. Car la stratégie des partis dominants est conditionnée par ces paramètres.

L’analyse de Patterson et Fadiga-Stewart (2005) présente plusieurs mérites. En premier lieu, il relativise l’effet mécanique des lois électorales que postulait Duverger (1976 : 291). En Afrique, ce critère à lui tout seul ne permet absolument pas de comprendre la dominance des partis dominants, qui constitue un phénomène politique majeur de la vie politique des sociétés africaines17. En second lieu, ils montrent que les partis dominants en Afrique développent et s’appuient sur des stratégies différentes pour réaliser leur hégémonie électorale. Ce faisant, ils rompent avec une certaine homogénéisation des partis dominants africains ; tous les partis dominants ne se ressemblent pas et existent aussi bien dans des systèmes démocratiques (Afrique du Sud) que dans des systèmes semi autoritaires.

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

Cependant, cette analyse connaît quelques limites. Elle s’appuie uniquement sur les données de L’Afro Barometer, comme source principale. Par ailleurs, la systématisation des ressemblances et des différences des partis dominants, à l’échelle du continent, à partir de deux variables seulement pose problème, dans la mesure où il conviendrait d’aller au delà des institutions électorales et des groupes politiquement importants, pour prendre en compte les facteurs historiques, économiques par exemple. Cette perspective plus riche est celle suivie par Ishiyama et Quinn (2006) pour expliquer les trajectoires électorales diverses des ex partis uniques en Afrique.

4 - Ishiyama et Quinn (2006) : l’approche compétitive du succès électoral des ex partis uniques

Ishiyama et Quinn (2006) se posent la question des facteurs explicatifs de la variabilité du succès électoral des ex-partis uniques en Afrique. En d’autres termes, pourquoi certains anciens partis connaissent un succès électoral éclatant et d’autres pas. En partant de l’expérience de 22 pays africains, ils parviennent à la conclusion que l’héritage de l’ancien régime, le temps mis par ces derniers au pouvoir et le degré de fractionalisation ethnolinguistique, sont les facteurs déterminants. Deux principales hypothèses sont formulées pour expliquer le succès proprement dit. La première a trait aux facteurs internes. Ici, le succès des partis dominants résulterait de l’adaptation organisationnelle de ces derniers à l’environnement compétitif des années 1990. La seconde renvoie aux facteurs externes, en d’autres termes, le succès des partis dominants en Afrique s’explique par les caractéristiques de l’environnement.

Le principal mérite de cette analyse outre son caractère pionnier, c’est d’avoir transféré dans le champ africain le résultat des recherches menées sur les anciens partis dominants de l’Europe de l’Est post communiste. Ce faisant, Ishiyama et Quinn (2006) rattachent l’étude des partis africains à celle de l’Europe. Si cette contribution permet un gain de connaissance théorique sur les partis dominants, il reste toutefois que les connaissances empiriques lui font largement défaut.

Ce qui uni les explications universalistes des partis africains, c’est de considérer dans une perspective évolutionniste que, même s’ils ne sont

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pas tous comme des partis d’ailleurs, ils finiront par l’être, le modèle de parti occidental étant pris comme l’horizon indépassable. D’où la mobilisation des mêmes paradigmes pour les étudier. A cette approche s’oppose une analyse relativiste des partis africains.

C - L’explication relativiste des partis africains

De manière paradoxale, étudier les partis africains dans le cadre de l’Etat colonial et dans le cadre de l’Etat post colonial de la deuxième génération est celui qui pose le plus problème. Si avant la tendance était aux recherches des similitudes partis africains/partis occidentaux, l’avènement de l’Etat post colonial de la deuxième génération marqué par un retour au pluralisme a donné lieu à des études en termes de déviance des partis africains par rapport aux partis occidentaux.

1 - Schachter-Morgenthau (1998) ou la sociogenèse des partis nationalistes en Afrique francophone

Schachter-Morgenthau (1998) formule la problématique de la genèse des partis africains de la première génération, c'est-à-dire de la période nationaliste, celle des « pères fondateurs ». La thèse qu’elle défend est claire : « La phase des partis nationalistes, dans l’histoire politique africaine, révèle l’importance des racines démocratiques indigènes. L’existence des partis, dans l’ère nationaliste, apporte la preuve empirique que le dégagement du consensus national est possible. Les événements ultérieurs ne peuvent effacer les faits, ni la promesse induite d’un nouvel essor des traditions démocratiques engendrés par l’Afrique elle-même. Il y a des précédents africains d’institutions basées sur la loi, l’exercice des droits à participer et à exprimer son désaccord, à s’organiser et à concourir pour le pouvoir, à voter pour changer l’équipe au pouvoir » (Schachter-Morgenthau, 1998 : XXV).

Dans cette contribution majeure, elle met en exergue les conditions spécifiques dans lesquelles les partis africains naissent. Prenant au sérieux la temporalité particulière des sociétés africaines d’expression française, elle dégage l’historicité propre des partis africains. En effet, dans cette perspective, le développement des partis politiques dans tous

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

les Etats d’Afrique de l’Ouest Francophone (AOF) s’est effectué autour de deux enjeux : la lutte anticoloniale et la modernisation. La lutte anticoloniale peut se résumer dans ce slogan « Devenez maître chez vous ! ». Cette lutte qui oppose Européens et Africains dissimule un conflit entre africains eux-mêmes. D’un coté les « modernisateurs » qui adhérent au principe de l’égalité sociale, et de l’autre, les « traditionalistes » qui croient aux distinctions sociales fondées sur l’hérédité. C’est elle qui donnera naissance à la distinction partis de masses/partis de cadres. En effet, le combat « nationaliste » obligea tous les africains à prendre position sur la problématique de l’« allégeance ». C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre que « la plupart des partis de masses naquirent après la guerre ou furent issus des conférences anticoloniales », tandis que les partis de cadres regroupaient quant à eux « l’élite urbaine d’avant guerre qui occupait les plus hauts postes auxquels pouvaient prétendre des africains dans le système colonial, et les chefs officiels conscients du fait que la présence des européens leur assurait une situation privilégiée » (Schachter-Morgenthau, 1998 : pp. 376-377). Ce faisant, Shacher-Morgenthau met en exergue la place centrale que les partis politiques occupent dans la vie politique des sociétés africaines bien avant l’avènement des Etats autonomes et indépendants. C’est dans cette perspective qu’elle relève que : « Les partis étaient parmi les plus anciennes institutions politiques existant sur le plan national ; entièrement africanisés bien avant les gouvernements et les services administratifs, dont certains ne le sont pas encore totalement, les partis se développèrent en fonction des particularismes africains, car ils étaient devenus, par la force des choses, les représentants des principales forces de l’ensemble de la société. Les institutions gouvernementales, en revanche furent établies sur le modèle métropolitain car, c’était l’une des conditions au retrait de la France » (Schachter-Morgenthau, 1998 : 364).

L’un des mérites de cette analyse c’est de montrer l’implantation réussie des partis politiques en Afrique. Elle montre par ailleurs qu’on ne peut pas expliquer la structuration des partis politiques africains sans remonter loin dans l’histoire, sans analyser ses conditions fondatrices et sans prendre en compte les processus précurseurs d’organisation territoriale, de décolonisation, de construction des Etats et de gestion des ressources de pouvoir. Dans une large mesure, elle montre que ce sont

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les partis politiques de la première génération qui ont conféré leur légitimité à l’institution étatique elle-même. Cette position est à l’exacte opposée de celle défendue par Bertrand Badie

2 - Badie (1992 : 177-220) ou la thèse du décrochage par rapport au modèle

Selon Badie, les partis africains, produit de l’importation, s’écartent substantiellement du modèle de parti occidental. Cela pour deux raisons principales. D’abord en tant que produit de l’importation, ils sont une pale copie et sont dépendants. Ensuite parce qu’ils sont dysfonctionnels au regard des partis occidentaux.

Sur le premier point en effet, les « symboles, structures, programmes et idéologies de ces partis ont été appris et véhiculés par les premiers députés africains siégeant au Palais Bourbon, (…) et s’imposent comme des décalques des partis de gauches français…la rupture se faisait ainsi dans l’imitation » (Badie, 1992 :179). Par ailleurs, « cette logique où se combinent rupture et imitation est porteuse de dysfonctions » (Badie, 1992 : 182). En effet, dans la perspective de Badie, une fois arrivés au pouvoir, ces partis tentent de pérenniser une identité essentiellement liée à la lutte contre l’étranger tout en tenant un discours et des pratiques très largement inspirés de l’extérieur. Ce qui renforce la distanciation entre les partis politiques et la population. La principale conséquence qui en découle toujours selon cet auteur, c’est l’effondrement des ressources partisanes de mobilisation, les rendant de plus en plus tributaires des soutiens extérieurs. « Ce n’est pas, relève-t-il, le moindre paradoxe de ces partis de rupture que d’être devenus ainsi, par leur incapacité croissante à renouveler et à adopter leurs fonctions, une cause indirecte mais particulièrement riche, de l’approfondissement des relations de dépendance » (Badie, 1992 : 183-184).

Sur le deuxième point, les partis africains sont dysfonctionnels par rapport aux partis occidentaux. Cette thèse s’appuie sur l’analyse de deux fonctions : la fonction de communication politique et le rôle institutionnel des partis africains. La fonction de communication politique, celle qui permet la liaison entre gouvernants et gouvernés est faible, notamment parce que contrairement aux relations horizontales des sociétés politiques occidentales, c’est l’usage des réseaux sociaux

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

verticaux, traditionnels, qui est privilégié ici. En plus, la centralisation des partis africains pose problème en ce qu’elle affecte le patronage politique. La conséquence de la faible réalisation politique est que les partis africains deviennent des « éléments de communication diplomatique et internationale » (p. 185). Quant au rôle institutionnel des partis africains, il est inversé : « les fonctions du parti unique s’appauvrissent avec la durée, la part de spécificité s’étiolant peu à peu par rapport à l’Etat », « …l’importation du modèle pluraliste a ainsi conduit à générer des accomplissements fonctionnels en total contradiction avec les caractéristiques originelles du produit importé, consolidant l’autoritarisme au lieu de le défaire, faisant du parti non un instrument de dispersion du pouvoir, mais au contraire d’aggravation de sa concentration » (Badie, 1992 : 185-188).

Le principal mérite de Badie, c’est de relativiser l’explication universaliste en ce qu’elle a d’évolutionniste. En outre, il montre que les partis africains ont généré des fonctions spécifiques, autres que celles des partis ailleurs. Toutefois, cette analyse souffre de l’absolutisation de l’écart entre le modèle de parti occidental, représentation simplifiée de la réalité et les partis africains, objets singuliers et concrets. En effet, le lien de plus en plus faible entre les organisations partisanes et la population n’est pas une spécificité africaine. Comme le montre Katz et Mair (1996 : 18) en partant de l’expérience occidentale, de représentants, les partis sont devenus tour à tour des représentants de la société face à l’Etat, de courtiers concurrents entre la société civile et l’Etat, pour devenir de nos jours des agents de l’Etat. La collusion entre les partis africains et l’Etat, et corrélativement la distance entre les partis et la population, est une tendance lourde qu’on observe même en occident. Par ailleurs, l’analyse de Badie doit être relativisée en ce qu’elle fuit un extrême pour un autre. En remettant en cause le caractère évolutionniste des explications développementalistes, qui estiment que les partis africains vont tous vers le modèle occidental, Badie tombe dans un autre extrême, celui qui consiste à soutenir que ceux-ci iront en s’éloignant du modèle occidental. D’où la pertinence de la problématique du juste milieu de Sindjoun (2002b). En effet, pour une étude sereine, il convient de prendre au sérieux l’évolution et les changements qui affectent les institutions (Lewis et Steinmo, 2007 : 18 ; March, 1991 : 87-109 ; Axelrod, 1986), sans toutefois préjuger du sens de cette évolution ou de ce changement.

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L’analyse de Nicolas Van De Walle (2004 : 105-128) s’inscrit dans la même perspective. En s’inscrivant dans l’analyse des systèmes de partis plutôt que des partis per se, il parvient à la conclusion que la nature « non libérale » des démocraties dans la région, la centralisation du pouvoir autour de la présidence et la nature clientéliste des systèmes politiques africains sont les facteurs déterminants la nature des systèmes de partis et, par ricochet celui des partis africains. Le mérite de son approche c’est de montrer que la nature du régime et du système politique influence la configuration des partis au même titre que le clientélisme. Le problème de son analyse c’est l’absolutisation de l’approche culturaliste qui insiste uniquement sur les spécificités qui seraient propres aux partis africains d’une part, et la forte propension à évaluer les systèmes de partis africains à l’aune des critères « démocratiques » qu’à les prendre pour ce qu’ils sont, des institutions ordinaires, d’autre part. L’approche qui sera la notre est celle préconisée par Michael Walzer, à savoir un « universalisme de contiguïté ». Autrement dit, plutôt que de rechercher la spécificité ou l’universalité des partis dominants africains à tout prix, nous montreront qu’une analyse heuristiquement payante est celle qui considère les partis africains comme une « chose » dont on peut déterminer à la fois la spécificité et la banalité.

3 - La thèse de l’absence ou de la faiblesse de l’idéologieSur la question centrale de l’idéologie, l’unanimité semble faite sur

l’absence de projets de société et d’idéologie (Buijtenhuijs, 1994 ; Vaziri, 1990 ; Konings, 2004 : 5). En partant des textes officiels, des manifestes et des programmes électoraux, ces auteurs concluent très souvent que les partis africains n’auraient pas d’idéologie. Cette hypothèse souffre de deux limites. Premièrement elle n’a de sens que par rapport à un « ailleurs » idéalisé. Autrement dit, la plupart des auteurs qui réfléchissent sur les partis africains, de manière consciente ou non, considèrent que les partis occidentaux ont tous des projets de sociétés. Or, à l’observation, tous les partis politiques ne disposent pas d’un Adam Smith ou d’un Karl Marx pour nourrir leurs programmes. Les « machines » américaines que Jean Blondel (2003 : 255) qualifie de parti « décor » et Forza Italia de Berlusconi en sont des exemples illustratifs. Deuxièmement, il ne suffit pas de faire l’exégèse des programmes

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

électoraux et textes officiels pour trouver l’idéologie d’un parti politique. Certes, il est généralement admis que cette dimension n’est que la face publique d’un parti, ce que le parti dit qu’il fera. Ce faisant, ils confondent doctrine et idéologie alors même que la doctrine n’est qu’une partie de l’idéologie. Comme le note justement Alan Ware (1996: 21): « A party’s doctrines are not the same as its programmes or manifestos, though usually these latter will be fair guide to what its doctrine are. Furthermore, doctrines are not the only components of party ideology; its ideology embraces its ethos as well as its doctrines. Examining a party’s doctrines and ethos enables us to explain what it will try to do when in government or when it is in a position to influence government policy; examining that party’s programmes alone may well give us a limited understanding of how it will behave ».

Au surplus, comme le relève à juste titre Seiler, « derrière les plus belles proclamations idéologiques on retrouve toujours la défense d’intérêts d’une catégorie sociale (...) Inversement tout conflit inspiré par les conditions les plus matérielles se traduit toujours en termes culturels. Porté par un mouvement, le projet politique d’un parti sert à intégrer la défense des intérêts d’une catégorie sociale dans une conception globale d’un intérêt général » (Seiler, 1986 :107).

Conclusion

Il ressort de l’analyse qui précède que l’étude des partis politiques africains est quantitativement faible par rapport aux partis politiques d’ailleurs - et par rapport à d’autres objets comme l’Etat africain et la Démocratisation en Afrique – et se trouve confronté sur le plan qualitatif à de nombreux problèmes théoriques dont trois apparaissent déterminantes :

l’équation parti politique égale démocratie. Dans le cadre de cette problématique pauvre, les partis ne sont jamais étudiés per se. Ici, il est très souvent question de répondre à la question devenue routinière de savoir si, les partis uniques d’hier et les partis dominants d’aujourd’hui sont des facteurs ou des pesanteurs aux processus de démocratisation. Cette posture dans la littérature dominante est la conséquence d’un autre travers, celle de l’analyse top down.

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l’analyse top down est un raisonnement qui consiste à évaluer le fonctionnement d’une organisation, ses éventuels transformations, mais surtout ses dysfonctionnements, ses blocages, en tenant compte de la finalité et de l’objectif qu’elle est censée viser (Abélès, 1995 : 74 ; DiMaggio et Powell, 1997 : 128). Or cette vision des choses correspond très souvent à l’image des institutions telle qu’elle est proposée par ses propres élites, une image statique. Dans cette perspective, les critiques formulées a l’encontre des pères fondateurs de l’analyse des partis (Seiler, 1986 : chap. 1) peuvent être valablement reconduites ici : posture idéologique - croyance dogmatique en la légitimité de la démocratie (Almond, 1997), fétichisme des résultats électoraux à l’exclusion de données sur l’organisation et le fonctionnement concret des partis. L’analyse top down des partis africains trouve un champ fertile dans le choix, non moins critiquable, d’un niveau d’analyse systémique tendant à l’homogénéisation des partis africains.

Le niveau d’analyse. En effet, la prédilection pour les comparaisons larges intégrant un très grand pays présente de nombreux écueils. Le principal risque ici c’est de procéder à une généralisation abusive des résultats des études menées à l’échelle du continent au niveau des pays particuliers. Autrement dit, il existe un risque à postuler que les résultats vrais pour les partis politiques africains en général, le sont aussi pour chaque parti pris individuellement. Les controverses Mozaffar et al. (2003) et Brambor et al. (2007) d’une part et Mozaffar et Scarritt (2005) et Bogaards (2008) d’autre part, illustrent de façon significative les limites de cette approche. Il s’agit de ce que Gazibo (2002 : 441) a labellisé de « tentation de l’œillère ». En effet, le chercheur qui s’engage dans une comparaison transnationale large est souvent tenté de combler le déficit de familiarité ou de données sur un des cas en se laissant guider par le cas ou par les données les mieux maîtrisées. Or, il semble qu’il existe d’importantes différences entre les pays africains. D’où l’intérêt de procéder à une analyse de la formation, du développement, de l’organisation et du fonctionnement des partis spécifiques. Car en effet, « …il n’existe en fait aucune analyse approfondie des partis spécifiques comme s’ils étaient si

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Les partis politiques africains entre universalité et particularité

mal organisés qu’ils ne sauraient faire l’objet d’une étude » (Carbone, 2006 : 22). Pourtant, cette étape apparaît comme un préalable nécessaire à toute analyse sérieuse, visant à rechercher les affinités et les différences qu’il y aurait entre les partis africains et entre les partis africains et les partis d’ailleurs.

Notes1. Pour une présentation détaillée de l’historicité des partis politiques, cf. Sartori (1976 : chap.1) ; Seiler (1986 :

chap. 2)

2. Pour une présentation exhaustive des définitions, cf. Charlot (1971 : 46-54)

3. Cet apport sera abordé dans le cadre de l’approche inductive.

4. Même Ostrogorski (1979 : 171-172) rejette la pertinence de ce dualisme : « la théorie du dualisme naturel de l’esprit humain…selon laquelle l’espèce humaine se partage naturellement suivant deux tendances, la tendance à maintenir les choses telles qu’elles sont, et la tendance à les changer, d’où il suivrait qu’il doit y avoir et qu’il y aura toujours deux partis permanents. Sans doute, chaque problème est susceptible d’être envisagé dans deux sens opposés, les uns soutenant le pour les autres le contre. Mais est-il naturel que les mêmes personnes prennent toujours, en toutes choses, les unes la négative, les autres l’affirmative ? ».

5. Souligné par l’auteur.

6. Souligné par l’auteur

7. Souligné par nous.

8. Pour une critique globale de l’approche des choix rationnels cf. Green et Shapiro (1995 : 96-130).

9. Seiler (1986, 2000, 2001) 

10. Ici, les termes indépendance et démocratie sont utilisés sous réserves des connotations, notamment leurs caractères réels ou fictifs. Ils sont utilisés parce que même si on admet qu’il s’agit de pure fiction, ils peuvent produire des effets de réalité, et de ce fait devenir une contrainte et/ou une ressource pour les acteurs aussi bien locaux qu’internationaux.

11. Huntington « the distinctive problem of the later modernizing countries is that they confront simultaneously the problems which the early modernizers faced sequentially over fairly long historical periods » (Huntington, 1968 : 399).

12. La situation actuelle en Mauritanie renforce la validité de cette hypothèse. En effet, si en Occident, la compétition politique a évolué séquentiellement, d’une compétition politique brutale à une compétition politique parlementaire, en Afrique par contre, les deux formes de compétition politique évoluent simultanément. En nous inscrivant dans la perspective de Durkheim (1987), élections et coup d’Etat sont les deux formes normales de conquête du pouvoir politique en Afrique. Etudier le paradigme de la compétition politique en Afrique, en prenant pour variables fondamentales à la fois les élections et les coups d’Etat, peut permettre de sortir de l’hégémonie du paradigme démocratique, et permettre de combler le gap qui existe entre la littérature consacrée à la démocratisation et celle consacrée à la violence en Afrique. Non pas dans le sens d’un passage progressif de l’un vers l’autre, mais plutôt dans le sens de la mise en exergue de la simultanéité des deux.

13. Il suffit de relever la place centrale que les partis politiques occupent dans les différents événements politiques en Afrique pour cette année 2008 : l’ANC a réussi à renvoyer le Président Sud Africain ; au Zimbabwe, ce sont les partis politiques qui sont les principaux vecteurs de la crise actuelle. Autrement dit, les partis africains jouent un rôle fondamental dans les processus politiques en cours.

14. Pour une discussion d’ordre général du concept d’institutionnalisation, cf. Chevallier (1996 : 17-26),

15. Erdman et Basedau (2007) et Erdmann (2007) s’intéressent à la même problématique de la dominance au niveau des systèmes de parti africain.

16. Brambor et al. (2007) en partant des mêmes données que Mozaffar et al (2003) sont parvenus à des résultats contraires.

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17. En Afrique en général, et au Cameroun en particulier, un débat existe sur la question de la loi électorale. Le succès du RDPC, par exemple, serait la conséquence d’un système électoral sur mesure. Or, l’expérience des autres pays telle que mise en exergue par ces deux auteurs montre que ce qui importe le plus c’est moins le système électoral lui-même que la façon dont il est instrumentalisé et conjugué à d’autres facteurs très nombreux. Autrement dit, même en modifiant la loi électorale dans le sens voulu par l’opposition, le RDPC pourrait conserver son hégémonie.

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L’EVOLUTION DE L’ACTION PUBLIQUE AU CAMEROUN : 

l’émergence de l’Etat régulateur1

Auguste NguelieutouUniversité de Douala

Introduction

La redécouverte de l’institutionnalisation et des institutions constitue le point de départ d’une relecture du politique ; elle conduit inévitablement à une nouvelle interrogation sur le rôle du politique dans les institutions et rend plus urgent un approfondissement de la nature et de la spécificité éventuelle de la régulation politique (Commaille & Jobert , 1998 : 11-32).

L’État devient de plus en plus le siège de profondes mutations, lesquelles engendrent d’importantes réorientations des pratiques de gouvernementalité2. Certains auteurs en tirent l’idée d’un évidement de l’État (Offe, 1979 : 47), de sa fragmentation, de sa dilution et de son retrait ; ces remises en cause multiples de l’État sont de plus en plus reliées aux transformations des politiques publiques en général et à leur tournant néolibéral en particulier (Jobert, 1994). La perspective de Jobert s’applique à l’Etat en France qui est le prototype de l’Etat fort et pose la problématique du transfert de modèle dans un contexte camerounais caractérisé par l’existence d’un Etat faible. L’Etat en France est l’aboutissement d’un lent mouvement d’extension des structures et des prérogatives de l’ordre politique amorcées avec le basculement de la féodalité vers la modernité. L’Etat au Cameroun en revanche, relève d’un legs colonial. Malgré ces trajectoires nationales particulières, l’approche en termes de régulation fait sens au Cameroun du moment où il faut

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comprendre l’Etat au Cameroun non par rapport aux dynamiques exogènes, mais par rapport à la société dans laquelle il s’insère. Sur cette base, l’Etat au Cameroun est un Etat qui revendique avec succès le monopole de la coercition légitime, qui contrôle et domine la société.

L’État régulateur se construit sur les ruines de l’État producteur au Cameroun. En effet, les limites des formes traditionnelles d’action étatique deviennent évidentes dès la fin des années 1980 ; celles-ci ont conduit à ancrer la croyance selon laquelle le véritable rôle de l’État dans l’économie n’est pas celui d’un acteur mais qu’il lui appartient de fixer les règles du jeu et d’en assurer le respect. Dans le même temps, la tendance internationale en faveur de la dérégulation et d’un recours grandissant aux mécanismes du marché pour réaliser les objectifs du secteur public est très claire. L’enjeu étant ici celui du renouvellement de la conception du rôle de l’État : l’État est appelé à revoir en profondeur ses modes d’administration et d’organisation. Désormais, il s’agit de faire valoir le principe du moins d’État, mais mieux d’État, le principe de l’État régulateur.

Giandomenico Majone, voit dans le déclin de la propriété publique comme mode traditionnel de gouvernance, un changement de paradigme de l’État positif ou interventionniste vers l’État régulateur (Majone, 1997 : 139-167). Sous la pression des développements technologiques, idéologiques et économiques, les modes traditionnels d’intervention et de contrôle gouvernementaux ont été démantelés et ce, en faveur de nouvelles formes d’intervention publique. Il y a une évolution du rôle de l’État : de producteur de biens et de services, l’État devient régulateur et sa fonction principale est d’assurer que les acteurs économiques jouent bien le jeu selon les règles établies.

Il semble dès lors opportun de savoir comment le passage de la propriété publique à la régulation publique a eu lieu. Autrement dit, comment s’opère la transition vers l’État régulateur au Cameroun ? Quelles en sont les conséquences ? Notre argument est que le néolibéralisme promu au nom du retrait de l’État signifie moins la mort de celui-ci, qu’un nouveau style d’action publique (Jobert, 1994). Moins qu’un déclin du rôle de Léviathan, il est question d’une transformation de ses modes d’action, de ses stratégies. L’État régulateur au Cameroun rompt avec l’interventionnisme et le dirigisme tous azimuts qui ont été la marque de l’État-providence des années antérieures.

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L’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’Etat régulateur

L’étude sur l’Etat régulateur prend en compte les actions des acteurs, leurs interactions et le sens qu’ils leur donnent, mais aussi les institutions, les normes, les procédures qui gouvernent l’ensemble de ces interactions, ainsi que les représentations collectives. Nous sommes en présence de ce que Peter Hall a appelé les « 3 I » qui prend en compte les intérêts, les institutions et les idées. C’est dire que la perspective méthodologique envisagée est d’inspiration néo-institutionnaliste dans ses trois variables que sont le néo-institutionnalisme sociologique, le néo-institutionnalisme historique et le néo-institutionnalisme des choix rationnels. Le présent article a pour objet de contribuer à la compréhension de la transformation de l’État au Cameroun, en interrogeant le rôle de multiples acteurs, étatiques et non étatiques, qui peuplent aujourd’hui l’ensemble des secteurs d’action publique sur le double plan économique et politique.

I - La redéfinition du profil de l’État : État comme arbitre du jeu économique

Régulation ou re-régulation des services et infrastructures publiques dans le nouveau contexte de libéralisation au Cameroun ? Quoi qu’il en soit, la régulation acquiert de plus en plus de densité dans la définition des politiques publiques au Cameroun : les secteurs de l’énergie avec la Société nationale d’électricité (SONEL), de l’eau avec la Société nationale des eaux du Cameroun (SNEC), des transports aériens avec la Cameroon Airlines (CAMAIR) ou ferroviaire avec la Régie des chemins de fer du Cameroun (REGIFERCAM), des télécommunications avec la Cameroun Télécommunications (CAMTEL), des complexes agro-industriels (HEVECAM, CDC, SODECOTON3), sont autant d’exemples de secteurs ou de réseaux industriels qui, au Cameroun, étaient traditionnellement propriété ou monopole exclusifs de l’État et qui, en respect des conditionnalités du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) sont admis à la procédure de privatisation. L’État autrefois producteur de biens et de services, devient régulateur neutre des processus de marché : qu’est-ce qu’un État régulateur ? Quels sont ses modes opératoires ? Comment l’État camerounais régule-t-il le secteur économique ?

A - Cadrage sémantique de l’expression « État régulateur »

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Le débat sur l’État et sa transformation constitue une des interrogations principales de la sociologie de l’action publique, voire de la sociologie de l’État. Si les discours annonçant la fin de l’État ont une certaine histoire (Marx et la thèse du dépérissement de l’État par exemple), ils ont aujourd’hui acquis une nouvelle vigueur. Qu’ils traitent de la fragmentation interne et de la différenciation de l’État ou bien des effets de la globalisation, maints auteurs prennent au sérieux l’hypothèse du déclin de l’État. Les titres d’ouvrages et d’articles sont éloquents : The Dismantling State, The Virtual State, The Retreating State (Strange, 1996), The Hollowing out of the State, the Desétatisation Process (Jessob, 1994), L’État en miettes (Dupuy & Thoenig, 1985). En revanche, les formules que l’on trouve plutôt dans la littérature française comme « l’État stratège », « l’État animateur » ou « État régulateur », visent à suggérer de nouvelles formes d’action de l’État.

D’emblée, il convient de noter que la formule même de l’« État régulateur » comporte de telles équivoques qu’on ne saurait y recourir sans qu’ait été au préalable opéré un indispensable travail de clarification. En termes généraux, la régulation renvoie à la relation entre l’Etat et le marché. Même si cette question est centrale en science politique, les études sur la régulation sont difficiles à catégoriser. Cette difficulté est liée à la grande diversité des usages du terme régulation dans la littérature et aux imprécisions de traduction entre l’anglais et le français. L’Ecole française de la régulation a peu en commun avec les approches anglo-saxonnes de la régulation, qui sont parfois regroupées sous le terme « réglementation » pour les distinguer.

Conçue ainsi, l’étude de la régulation renvoie à une sociologie de l’État qui cherche à caractériser le rôle, les transformations de l’État et les régimes de gouvernance politique. Elle correspond à une réduction de l’intervention du gouvernement dans la fourniture des services publics et à une démultiplication du nombre d’acteurs. Dans cette optique minimaliste, qui est celle des programmes d’ajustement structurel mis en place dès les années quatre-vingt-dix, l’intérêt est recentré sur les seules institutions effectuant les fonctions régaliennes de l’État – garantie de la propriété, de la monnaie et des transactions (Quantin, 2005 : 18).

Tout compte fait, les acceptions du terme de « régulation » sont innombrables4. Le seul point commun entre toutes étant que cette notion

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suppose la restriction du choix (privé) par l’imposition de règles (publiques). Une analyse approfondie relève un clivage entre une acception européenne plus large et une approche américaine plus stricte de la régulation.

Pour de nombreux experts européens, la régulation, en termes de fabrication de règles, ressortit à un éventail très large d’activités gouvernementales, voire même à l’entière élaboration de la gouvernance. En Europe, il y a une tendance à identifier la régulation avec l’ensemble du domaine de la législation, le pilotage macroéconomique et le contrôle social (Majone, 1994 : 233-271). Une acception aussi vaste conduit à assimiler l’étude de la régulation à l’ensemble du droit, de la science politique et de la sociologie et constitue un obstacle à la construction d’une théorie de la régulation comme un mode particulier d’opération des politiques publiques.

Selon Robert Boyert, par exemple, la régulation correspond à l’ensemble des règles gouvernant les modes de production capitaliste. Sur des bases théoriques différentes, Dyson propose une définition aussi large du terme lorsqu’il parle du quadruple caractère de la régulation : la régulation comme phénomène culturel (c’est-à-dire les conceptions du rôle de l’État dans l’économie et dans la société), comme un mécanisme formel, inhérent à l’institution (« régulateur expert »), comme un processus politique et de coalition et, enfin, comme un processus d’apprentissage. Hancher et Moran utilisent le concept d’« espace régulateur » dont les contours sont fondamentalement définis par les interactions entre les grandes organisations publiques et privées dans les économies capitalistes avancées.

Dans le contexte américain, la régulation a acquis une signification plus spécifique, et y est mieux développée. La régulation au sens américain, s’applique au contrôle public exercé sur les activités économiques du secteur privé au nom de l’intérêt public. La régulation comme forme distincte de contrôle gouvernemental, suppose en principe un organisme gouvernemental ayant charge d’édicter des règles contraignantes sur un certain nombre de décisions économiques (privées) au moyen de procédures administratives quasi juridiques (Noll, 1985 : 9-63). La régulation renvoie à « un contrôle attentif et soutenu exercé par une instance publique sur des activités généralement considérées comme désirables par la société (Selznick, 1985 : 363-367) ». Cette

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définition a l’avantage de rendre explicite l’un des traits déterminants du style américain de réglementation : le contrôle attentif et soutenu de l’autorité publique. Cette caractéristique implique que la réglementation ne consiste pas seulement à promulguer une loi mais exige un savoir détaillé sur l’activité réglementée et une implication intime de l’autorité publique dans son fonctionnement. Aussi bien l’adoption de la réglementation comme mode d’action publique implique tôt ou tard, la création d’instances et de commissions spécialisées capables de s’informer, de fixer et de mettre en service des règles. Si en Europe cette régulation à l’américaine a fait figure de modèle notamment à travers la création des « regulatory offices » en Grande-Bretagne et des « autorités administratives indépendantes » en France, il faut souligner que ce type de régulation, si ce n’est la régulation elle-même est un phénomène nouveau au Cameroun. Sans doute, l’expérience américaine de la régulation a aussi fourni un bon point de départ pour une réflexion sur les facteurs institutionnels qui conditionnent le processus de régulation au Cameroun.

En somme, l’État régulateur renvoie en effet à deux évolutions interdépendantes des politiques publiques. La première est le passage progressif du faire au faire-faire : l’État régulateur est un État qui agit plus indirectement que directement, qui est plus en interaction qu’en action, qui délègue plus qu’il n’intervient directement, qui pilote et qui oriente plus qu’il ne met en œuvre. La seconde évolution, qui découle de la première, est le renforcement des capacités de contrôle étatique à travers le développement de l’audit, de l’évaluation, du benchmarking, du contrôle de qualité, en particulier dans le cadre des agences (Hassenteufel, 2007 : 311-329).

En effet, la transition vers une économie de marché s’est traduite au Cameroun - pays très étatiste à l’instar de la France – par la libéralisation des échanges commerciaux et du processus de fixation des prix, la suppression des restrictions quantitatives à l’importation, la recherche de l’efficience économique à travers le programme d’ajustement structurel. Le point de rupture, le repère du désengagement étatique ont été marqués par la création des organismes de régulation dans certains secteurs de l’économie nationale. Il ne s’agit pas d’une rupture au sens de la révolution tant la dépendance au sentier (path dependance) demeure prégnante : les anciennes institutions structurent toujours les

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règles du jeu politique, les modes de pensée et d’action des citoyens. Certes, Il y a une continuité institutionnelle, mais qui accorde plus d’importance au changement intra-institutionnel (layering). Les nouvelles institutions créées (les agences de régulation notamment) sont considérées comme ajoutant leur marque à l’architecture institutionnelle déjà existante. Cela signifie qu’il y a innovation, mais que celle-ci est affectée par les formes existantes sur lesquelles elle se superpose (Thelen, 2003 : 226).

B - La mise en place des organismes de régulation : un nouveau mode d’action étatique

Au lendemain de leurs indépendances, la plupart des États africains ont connu un accroissement considérable de leur poids dans la société, compte tenu notamment du développement de l’État-providence (Le Galès, 1999). Le but recherché étant celui d’étendre l’emprise de l’État sur l’espace national et aussi d’instaurer l’État-providence moderne. Les décennies d’après apparaissent comme une espèce d’âge d’or de « l’État keynésien modernisateur » où, dans un contexte de croissance économique, l’intervention de l’État s’accroît et se différencie dans des secteurs de plus en plus divers et compliqués - éducation, santé, sécurité du travail, protection du consommateur - (Rose & Davies, 1994). L’État est conçu comme un État propulsif (Morand, 1991) prenant en charge le développement économique et social. Au Cameroun comme ailleurs, le grand dessein politique est le « développement » : ici la domination politique rime avec pouvoir économique, du moins l’élite politique doit assurer l’exploitation économique ou, tout au moins l’intégration de la main-d’œuvre aux mécanismes d’exploitation. Le discours politique est avant tout un discours de mise au travail. L’État est présent dans tous les secteurs ; il assure la prise en charge des secteurs économiques stratégiques (hydrocarbures, énergie, transports…) par les investissements directs. Dans le secteur agricole, l’État postcolonial promeut le financement du processus d’accumulation du capital par la paysannerie, soit 80 % de la population. Les cultures d’exportation (café,

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cacao, coton…) constituent un élément central du dispositif, l’État s’en étant arrogé la maîtrise des circuits commerciaux souvent à travers des offices de commercialisation et la détermination du niveau des prix (Bayart, 1984 : 244).

Au Cameroun, l’État des années soixante, voire soixante-dix apparaît rétrospectivement pendant cette période comme légitime, innovateur, contrôlant le marché dans un contexte d’optimisme et de foi dans le progrès. Cette extension du rôle de l’État était assez largement acceptée ne serait-ce que parce qu’elle a coïncidé avec une amélioration importante des conditions des populations et une période de paix. Désormais, l’heure est à la construction de la thèse de la défaillance de l’État, défaillance attribuée à la structure du système politico-bureaucratique (Gronnegard Chritensen, 1998 : 45-76) et, conséquemment, à la montée en puissance de l’État régulateur, synonyme de rupture d’avec l’État providence. La conception volontariste d’un État investi de la mission et doté de la capacité d’ordonner le développement économique n’a pas résisté au nouveau contexte résultant de la mondialisation (Chevallier, 2004 : 481). Toutefois, l’État reste présent dans l’économie mais de manière différente ; il ne se pose plus en acteur mais en arbitre du jeu économique, en se bornant à poser des règles aux opérateurs et en s’efforçant d’harmoniser leurs actions. La fonction de régulation du jeu économique impartie à l’État aurait donc entraîné une modification de l’architecture étatique traduite par la mise en place d’organismes régulateurs.

La fin du monopole étatique dans la régulation économique et sociale se traduit par la mise en place de nouvelles règles et agences de régulation à la fin des années 1990 : il s’agit de la Commission nationale de la Concurrence et des organismes régulateurs sectoriels. Ce sont l’agence de régulation des télécommunications (ART), dans le domaine des télécommunications, de l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (ARSEL) dans le domaine de l’énergie, l’Agence de régulation des marchés publics (ARMT) dans le domaine des travaux publics, la création d’une autorité de la concurrence dénommée Commission nationale de la Concurrence.

En effet, si la crise financière limite les actions publiques qui engendreraient un surcroît de prélèvements obligatoires, elle n’interdit pas à l’autorité politique de fixer des normes aux acteurs marchands et non marchands (Jobert, 1996 : 315-328). Le trait distinctif de ces

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nouvelles réglementations tient à ce qu’elles visent moins à réprimer des fautes qu’à fournir un cadre d’action à des activités socialement désirables. Elles débouchent sur des formes d’instances plus ou moins autonomes. Ces instances et commissions régulatrices sont calquées sur le modèle des « autorités administratives indépendantes » françaises, des « regulatory offices » britanniques ou des agences spécialisées des communautés. Les objectifs tels que stipulés par les textes sont plutôt vagues et standardisés se résumant pour l’essentiel en un mélange d’objectifs pro-concurrentiels et de corrections du marché (promouvoir la libre concurrence et/ou la participation de l’initiative privée).

Ces nouvelles agences sont-elles pour autant le signe du retrait de l’État au profit des experts ? En s’intéressant au potentiel opératoire de ces organes régulateurs, force est de constater que ceux-ci soulèvent des questions qui sont de nature à alimenter le doute tant sur leur indépendance ou statut que sur l’étendue de leurs pouvoirs.

La question de l’indépendance d’abord. Toutes les instances régulatrices sont sous tutelles ministérielles. La commission nationale de la concurrence (CNC) relève du ministère du commerce, l’ARSEL est placée sous la tutelle du ministère de l’eau et de l’énergie, l’ART relève du ministère des postes et télécommunications. Bien plus si l’indépendance des agences de régulation est reconnue sur le principe, son application pose problème. De fait, il est difficile d’imaginer l’une de ces instances indépendantes des pouvoirs publics. La permanence des liens de dépendance vis-à-vis de l’autorité politique est davantage perceptible dans le secteur de la concurrence. Depuis la promulgation de la loi portant création d’une commission nationale de la concurrence le 14 juillet 1998 (Loi n° 98/013 du 147 juillet 1998), ce n’est qu’en mai 2005 qu’interviendra son texte d’organisation et de fonctionnement (Décret n° 2005/1363/PM). Cette autorité jusqu’à nos jours n’est pas encore opérationnelle et fonctionne par délégation. Ses compétences sont assumées par le ministère du commerce qui assure en plus la tutelle. Une telle situation rend impossible la neutralité d’une autorité textuellement existante, mais de fait gérée par procuration. Ces interférences des pouvoirs publics nous inclinent à conclure à une laborieuse immersion dans un paysage politico-économique ouvert à la concurrence.

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Les ressources financières des agences sectorielles proviennent essentiellement des redevances perçues sur le chiffre d’affaires des opérateurs exerçant dans leurs secteurs de compétence5. Elles en sont donc largement dépendantes et s’opposent souvent à des actions pouvant gêner les activités de ces opérateurs, même si ces actions sont menées par l’autorité nationale de la concurrence dans le cadre de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Dans de telles conditions, il est difficile pour ces régulateurs d’assumer leur mission en toute neutralité.

La deuxième préoccupation porte sur l’étendue des pouvoirs des agents régulateurs dans une situation de non-concurrence ou de monopole.

Dans le cadre du processus de privatisation engagé par l’État camerounais sur recommandation de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, il s’est davantage agi d’un transfert de monopole étatique au secteur privé que d’une véritable ouverture de secteurs d’activité à la concurrence, soutiennent certains économistes. Un nombre non négligeable de secteurs d’économie demeurent non concernés par la concurrence : ce sont des secteurs de chemin de fer, de l’eau, de la cimenterie où il n’existe pas d’agents régulateurs. En dehors du secteur des télécommunications où plusieurs opérateurs économiques se partagent le marché (les sociétés de téléphonie mobile SCM, MTN et Camtel Mobile), les autres secteurs héritent d’un monopole. Il en est ainsi du secteur de l’énergie où la société nationale d’électricité du Cameroun devenue Aes-Sonel, bénéficie du droit d’ajuster de manière unilatérale ses tarifs de 10 % tous les trimestres en contrepartie des investissements6.

Ces contradictions permettent de comprendre le jeu de rôle et les enjeux qui travaillent la structuration et l’organisation des tâches de régulation, et amènent à s’interroger sur la capacité réelle de l’ARSEL à remplir pleinement ses missions. Bien plus, le contrat de cession conclut entre l’Aes-Sonel et l’État Camerounais prévoit dès juillet 2001 date de signature dudit contrat une série d’augmentations du coût d’électricité sur une période de cinq ans en même temps qu’il maintient ce secteur sous monopole jusqu’en 2006. Toutes clauses qui obèrent considérablement le potentiel d’affirmation de l’ARSEL en tant qu’organe régulateur. Dès lors, le régulateur est réduit à un rôle d’observateur

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L’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’Etat régulateur

passif, incapable d’infléchir le cours des événements déjà programmés par un opérateur soucieux de rentabiliser les investissements qu’il doit réaliser dans le cadre du contrat qui le lie à l’État.

Une autre lacune de ces autorités tient aux difficultés éprouvées par ces dernières dont on attend manifestement plus qu’elles ne peuvent apporter en raison de la faiblesse générale de leurs moyens (Du Bois de Gaudusson, 2003 : 66-76). Le déficit est particulièrement sensible pour certaines d’entre elles au regard de l’importance parfois démesurée de leurs attributions. C’est le cas de l’ARSEL qui doit assurer « la régulation et le contrôle du secteur de l’électricité » sans moyens conséquents pour un régulateur ou un arbitre qui est appelé à jouer un rôle d’impartialité, de neutralité et d’équité.

Si le lien entre État régulateur et diffusion de la logique du marché est net, il n’en reste pas moins que ces nouvelles agences peuvent aussi permettre la défense du consommateur face aux entreprises, celle du citoyen face aux institutions publiques et privées et être porteuses de normes opposées au marché ; ceci pourrait bien expliquer la création à l’initiative de l’ARSEL du comité consultatif de consommateurs d’électricité dont l’objet est d’assurer la participation des consommateurs au suivi de la marche du secteur de l’électricité. (Ce dernier joue un rôle de figurant d’après ses membres car est confiné au statut d’accompagnateur des décisions déjà prises par l’ARSEL).

La recomposition de l’État se manifeste par une externalisation de certaines fonctions précédemment assurées par l’appareil de l’État peut-on le constater. Reste que ce mouvement d’externalisation est très différencié selon les secteurs et demeure marqué par un certain nombre d’infirmités. Au-delà de son caractère embryonnaire, Il convient de se demander si la dynamique à l’œuvre conduira à terme à la généralisation de l’externalisation des fonctions de régulation dans tous les secteurs de l’activité économique (eau, transports…), ou si des différences marquées entre secteurs d’action publique ont vocation à être pérennes.

Sous un autre angle, il faut garder à l’esprit que les agences de régulation peuvent également être analysées comme un instrument de l’État pour parvenir à ses fins par d’autres moyens ou pour remplir certaines de ses missions dans un contexte où sa légitimité à intervenir directement est remise en cause. Le subtil dosage « d’indépendance » et de contrôle des agences apparaît alors comme un élément clé d’une

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stratégie d’État qui viserait à préserver (ou à restaurer) sa capacité d’action en externalisant partiellement la fonction de régulation pour la (re)légitimer. La position dominante de l’acteur étatique ne saurait faire perdre de vue le fait que l’analyse de l’État régulateur amène à s’interroger sur les frontières de l’État et sur son interpénétration avec d’autres types d’acteurs ou d’instances (Jessop, 1990 : 173).L’approche en termes de régulation constitue une novation en regard du schéma camerounais traditionnel d’administration qui fait aboutir au ministère et soumet au contrôle gouvernemental l’ensemble des administrations de l’État, non sans conduire à une pratique de détermination régalienne de l’intérêt général.

L’intérêt que présente ces institutions au regard des principes traditionnels d’organisation étatique ne saurait être sous-estimé malgré leur faiblesse structurelle et opératoire. D’abord, elles donnent à voir un « État pluriel », fait d’une mosaïque d’entités très diverses, formé d’un ensemble d’éléments hétérogènes : structures « hors machine », elles constituent des « îlots » à part dans l’État et elles sont portées à renforcer leur autonomie, en jouant de la compétence et de l’autorité de leurs membres (Chevallier, 2004 : 473-482). Ensuite l’émancipation par rapport aux contraintes bureaucratiques est assortie d’un processus corrélatif d’intégration au milieu : chacune de ces agences est amenée plus ou moins à intérioriser la rationalité du secteur qu’elle est chargée d’encadrer et de réguler. Enfin, à travers elles, c’est d’une remise en cause de la conception westphalienne de l’État qu’il s’agit. Ce processus est au cœur de la transformation de l’État qui est de moins en moins en mesure d’agir de façon autonome du fait de la multiplication des acteurs et des niveaux de l’action publique. L’État agit de plus en plus en interaction dans le cadre d’un processus de construction collective de l’action publique et non de production étatique des politiques publiques (Hassenteufel, 2007 : 313).

Ce qui est en jeu dans cette nouvelle forme d’action étatique ou bien cette recomposition étatique, c’est évidemment la place même de l’État dans la société et l’économie ainsi que la délimitation de la sphère publique et du rôle de l’État. La nouvelle dynamique à l’œuvre se traduit par la redéfinition du rôle de l’État dans un sens moins interventionniste : on assiste de plus en plus à un desserrement de l’État (Le Galès, 1999 : 627-652).

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L’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’Etat régulateur

À l’inverse, on peut se demander si la figure de l’État régulateur ne va pas au-delà du domaine économique, en résumant et en condensant les nouvelles fonctions imparties à l’État dans la société.

II - L’État régulateur comme renouveau de l’action publique : les enjeux de la « bonne » gouvernance

La notion de régulation prend très au sérieux celle de la gouvernance. Les deux termes sont aujourd’hui indissociables, particulièrement dans le domaine du développement, où ils structurent les conceptions du cadre politique des sociétés et inspirent des projets de réforme de l’État. Le vocabulaire spécialisé et très évolutif de la gouvernance sous toutes ses formes s’est profondément diffusé au point de devenir un leitmotiv dans tout document officiel (Darbon, 2003 :135-152) ou discours politique au Cameroun. Partenariat, réseaux, acteurs sociaux deviennent des concepts qui se substituent à la vieille idée de prise de décision souveraine top-dow au nom de la puissance publique (Arnaud, 1998 : 147-175). Par-delà les équivoques que recèle le vocable, et qu’il convient d’exposer au préalable, il n’en est pas moins susceptible d’éclairer certaines des mutations que connaît actuellement l’État au Cameroun.

A - Considérations générales sur la gouvernance : sociogenèse d’un concept

La gouvernance n’est pas une idée neuve. On en trouve des traces dans le latin médiéval : gubernantia renverrait aux idées de conduite, de pilotage, de direction. Cette notion renvoie au processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifs définis et discutés collectivement. L’intérêt actuel pour ces questions de gouvernance répond à la transformation du rôle de l’Etat et des modes de régulation politique qui s’y attachent.

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La « gouvernance » est devenue depuis les années 1990 le mot fétiche, censé condenser et résumer à lui seul l’ensemble des transformations qui affectent l’exercice du pouvoir dans les sociétés contemporaines : promue à tous les niveaux et dans les organisations sociales de toute nature, la gouvernance affecte l’État, en remettant en cause ses modes d’emprise sociale et, au-delà, les assises de son institution, en le restructurant ; la substitution aux techniques classiques de « gouvernement » des méthodes nouvelles de « gouvernance » serait indissociable d’un ébranlement profond d’un modèle étatique, emblématique de la modernité.

Les questions de gouvernance s’inscrivent dans une analyse des restructurations de l’Etat et de l’action publique (mais aussi, plus généralement de la régulation économique, sociale et politique). Si la présence du terme gouvernance est aujourd’hui particulièrement nette, la quête du sens exact de ce concept reste difficile7 tellement il est chargé d’équivoques et entouré d’une « gangue idéologique », qu’il donne lieu à des usages hétéroclites8. Tout se passe comme si la gouvernance avait été victime de son succès, en devenant un de ces concepts omnibus, qui en est venu à recouvrir des significations extrêmement diverses. Parfois, le terme tend à être utilisé comme une simple facilité de langage : parler de « gouvernance » plutôt que de « gouvernement » ou de « politique » permet d’activer les connotations positives qui s’attachent au vocable ; l’action engagée est symboliquement placée sous le signe de la modernité et de l’efficacité.

On retrouve ici le problème classique de l’imbrication du monde des paradigmes scientifiques et de l’univers des représentations idéologiques : l’idéologisation des paradigmes scientifiques, construits par les chercheurs dans le cadre de leur activité professionnelle, c’est le moment où ces paradigmes tombent dans le domaine public, en servant de point d’appui au discours politique, qui acquiert par ce biais une aura de scientificité. Ce concept se présente ainsi comme un de ces « concepts migrants », vis-à-vis desquels les chercheurs sont conduits à prendre leurs distances, parce qu’ils font l’objet d’une utilisation non critique et servent à conforter les certitudes sociales.

Cette distanciation apparaît en l’espèce d’autant plus opportune que le concept de gouvernance a émergé au cours des années 1990 comme paradigme scientifique et comme référentiel politique : il a été d’emblée

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chargé d’une dimension normative et prescriptive, en servant d’argument d’autorité et, de moteur de changement.

Le concept de gouvernance a progressivement gagné la plupart des sciences sociales dans les années 1990. En sciences économiques, il permettra dans la perspective institutionnaliste ouverte par l’Ecole de Chicago, de formaliser les mécanismes assurant la coordination des activités économiques, notamment au sein de l’entreprise, autrement que par l’échange ou la hiérarchie. En théorie des relations internationales, il servira, à partir de l’ouvrage pionnier coordonné par J.-N. Roseneau et E.-O. Czempiel, à rendre compte des nouvelles formes d’organisation d’une société internationale de plus en plus fragmentée et hétérogène. En science politique, il visera à théoriser le mouvement de repli d’un État devenu « creux » – Hollow State – (Peters, 1993) et confronté à la montée en puissance d’autres acteurs, publics et privés, internes et externes, qui entendent peser sur les choix collectifs et avec lesquels il est devenu nécessaire de composer. La gouvernance constitue aussi un puissant moteur de réforme qui alimente la croyance en la nécessité de la promotion, à tous les niveaux et dans les domaines de la vie sociale, de nouvelles méthodes de décision et d’action. Trois formules témoignent de l’emprise de cette nouvelle logique : la Corporate Governance (la gouvernance d’entreprise), qui vise à construire un nouveau management, reposant sur l’interaction entre les différents pouvoirs existant au sein de l’entreprise, et en tout premier lieu celui détenu par les actionnaires et les dirigeants ; la Good Governance (la bonne gouvernance), prônée par les organisations financières internationales comme moyen de réforme des institutions des pays en développement, la « gestion saine du développement » exigeant, selon la Banque mondiale, « l’instauration de normes et d’institutions assurant un cadre prévisible et transparent pour la conduite des affaires publiques et obligeant les tenants du pouvoir à rendre des comptes »9.Le rôle des institutions financières internationales sera déterminant dans la définition de ce que doit être la « bonne gouvernance ». Du reste, l’explosion de l’engouement actuel pour ce mot-valise (Gaudin, 2002 : 9) est le fait des grandes agences internationales de l’aide au développement, de la Banque mondiale en particulier. Son registre d’énonciation varie d’un organisme à l’autre. Ainsi, ont pu voir le jour des

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formulations tantôt savantes tantôt impératives pour traduire la « bonne gouvernance ».

Au détour des rapports de ces agences et bailleurs de fonds, ce concept figure sous des formulations variées considérées soit comme une injonction faite aux pays en voie de développement à se plier à de sévères plans d’ajustement structurel allant de pair avec la privatisation de certaines fonctions régaliennes et une promotion du rôle de la « société civile », soit de manière subtile comme une recommandation. Il ressort du document issu du sommet du G 8 de juin 200210, où se manifeste le propos des pays riches de concentrer leur appui « sur les pays qui se montreront attachés politiquement et financièrement à la bonne gouvernance et à la primauté du droit, qui investiront dans leur capital et qui poursuivront des politiques propres à stimuler la croissance économique et à réduire la pauvreté »11. De plus en plus, la prescription peut même se transmettre sur le ton paternel de l’heureuse révélation de nouvelles « stratégies de réduction de la pauvreté ». Formulations plus savantes ou plus impératives, ces variations de style ne changent pourtant rien sur le fond. Le concept de « bonne gouvernance » en matière de développement demeure le plus incertain de tous, caractérisé par ses éléments périphériques plutôt que par un quelconque noyau dur12. La popularité de la notion de gouvernance dans le registre discursif des élites dirigeantes africaines, montre bien le potentiel qu’elle recèle en termes d’instrumentalisation, y compris de l’utilisation idéologique qui en est faite dans la perspective néolibérale pour discréditer l’Etat, et fabriquer les recettes d’une « bonne gouvernance ».

B - Les usages de la bonne gouvernance : des divergences de rationalité à la construction d’un consensus

Une bonne partie de la littérature existante montre le rôle croissant des acteurs supranationaux (Banque mondiale, FMI, clubs créanciers) et infranationaux dans la production et l’implémentation des politiques publiques. Leur poids est tel qu’il devient désormais très difficile d’élaborer l’action publique sans faire référence aux mesures et aux recommandations faites par les acteurs transnationaux notamment (Smith, 2008 : 197-214).

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Ce processus se caractérise par l’effacement des frontières nationales dans la construction de l’action collective. Cet effacement résulte d’un double mouvement, en partie interdépendant, de supranationalisation (régionalisation, mondialisation) et d’infranationalisation des politiques publiques, traduit ainsi un « desserrement du verrou de l’État » et une remise en question de la conception westphalienne de ce dernier.

Dans le discours des bailleurs de fonds internationaux du Cameroun, l’impératif de la « bonne gouvernance » est envisagé dans une perspective fonctionnaliste (Enguéléguélé, 2005 : 133-153). Prenant acte de la faillite ou de la crise de l’État centralisé postcolonial, ces entrepreneurs de cause considèrent désormais la gouvernance comme l’unique mode pertinent de régulation politique. Elle est conçue comme le gage du développement en ce sens qu’elle permet la participation des acteurs non gouvernementaux au processus de prise de décisions (Peters, 2000 : 197). La promotion des initiatives issues du monde associatif, couramment nommé « société civile », se coule dans ce modèle ; il en va de même pour la décentralisation. L’ensemble de ces dispositifs donne tout son sens à la problématique de la gouvernance, qui s’accorde avec la vision d’une symbiose de multiples pôles de décision et de contrôle, non seulement étatiques, mais aussi décentralisés (collectivités locales, ONG) et supra étatiques (intégration régionale, agences de coopération et aide internationale).

D’après les acteurs internationaux, le référentiel de « gouvernance13 » implique un mode de gouvernement dans lequel la mise en cohérence de l’action publique (construction des problèmes publics, des solutions envisageables et des formes de leur mise en œuvre) passe par la mise en place de formes de coordination multiniveaux et multi acteurs dont le résultat, toujours incertain, dépend de la capacité des acteurs publics et privés à définir un espace de sens commun.

D’où l’importance non seulement de la dilution des frontières entre public et privé, mais surtout celle des mouvements sociaux, des acteurs associatifs, souvent en articulation avec les partis politiques et des syndicats, dans la production des principaux compromis sociaux à l’origine des politiques (Tarrow, 1989), ainsi que le rôle de l’opinion dans la construction collective de l’action publique.

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Si ce terme a rapidement été réduit dans le débat public camerounais à la problématique de l’adhésion des gouvernants au principe de responsabilité (accountability) dans une perspective normativiste, il recouvre surtout pour les partenaires financiers du pays la question de la définition de nouveaux paradigmes d’action publique dans des contextes internes et internationaux en profondes mutations. Il y aurait ainsi gouvernance dès lors que les « coalitions formées de représentants des différents secteurs de la société (secteur privé, public et société civile) sont engagées à la réalisation d’actions concrètes dans le cadre de partenariat »14. L’action publique serait ici guidée par une approche pragmatique et expérimentale allant du « bas vers le haut » (bottom/up model focus) plutôt que tournée vers l’application de décisions prises par les instances hiérarchiques traditionnellement compétentes selon une logique du « haut vers le bas » (top/down model focus) qui a longtemps caractérisé les prétentions de l’État wébérien en matière de politiques de développement et qui est l’une des principales raisons de son échec.

Le récit de la bonne gouvernance constitue une remise en cause des règles et des manières de faire constitutives et héritées de l’ordre wébérien. La diffusion de ce nouveau vocabulaire et le recours systématique aux instruments directement repris du New public Management constituent désormais une donnée factuelle incontournable (Bezes, 2008 : 215-253). Dans le processus d’élaboration des réformes, les hauts fonctionnaires des finances, de la fonction publique, les membres des cabinets ministériels puisent largement dans le stock des recettes de la gouvernance. Profil d’emploi, poste de travail sont désormais les nouveaux enjeux de la réforme administrative ; les propriétés les plus constitutives de l’administration ont été exposées à des projets de réforme radicale.

Pour les autorités nationales l’impératif de gouvernance fonctionne comme une ressource mais aussi comme une contrainte. Ces autorités en font usage pour justifier et renforcer des stratégies de repositionnement dans l’espace public en tant qu’acteur central dans sa mise en œuvre.

La mise en œuvre de la gouvernance correspond à un processus d’appropriation du programme par les acteurs nationaux (locaux) et se traduit, en définitive, par l’apprentissage de nouvelles normes et de

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nouveaux répertoires d’action par ces différents acteurs au travers des mécanismes de socialisation tels séminaires, colloques…

L’appropriation par les acteurs nationaux de la nouvelle grammaire de l’action publique que constitue la gouvernance va donner lieu à une activité d’adaptation institutionnelle qui met en évidence l’impact des formes et des principes de la gouvernance sur les structures administratives nationales. L’importante activité de production normative à laquelle les pouvoirs publics se sont livrés dans le cadre de la mise en œuvre du processus de décentralisation, l’un des enjeux majeurs de la gouvernance, est éloquente.

Sur le plan législatif, il s’agit des lois n° 2004/017 d’orientation de la décentralisation, n° 2004/fixant les règles applicables aux communes, n° 2004/019 fixant les règles applicables aux régions toutes du 22 juillet 2004, des lois n° 2006/004 et 2006/005 fixant respectivement les modes d’élection des conseillers régionaux et des sénateurs. Ce sont également des instruments juridiques tels la circulaire n° 001/CAB/PM du 11 janvier 2008 du Premier ministre relative à la prise en compte de la décentralisation dans les stratégies sectorielles, les décrets n° 2008/013 et 2008/014 du 14 janvier 2008 du Président de la République portant organisation et fonctionnement du Conseil national de la décentralisation (CND) et du Comité interministériel des services locaux (CISL) respectivement15. Ces deux dernières structures notamment le CND et le CISL, sont chargées du suivi et de l’évaluation de la mise en œuvre de la décentralisation pour le CND ; de l’élaboration du programme des transferts de compétences et des ressources, de l’évaluation des moyens humains et matériels nécessaires à l’exercice des compétences transférées, de l’évaluation du coût des charges transférées et de la formulation des propositions des modalités de financement desdits transferts par l’État, en ce qui concerne le CISL.

La réception institutionnelle de ce nouveau récit se traduit ensuite par la mise en place d’un organe en charge de la gouvernance notamment le Programme national de gouvernance (PNG) rattaché à la primature avec pour mission la refondation de la stratégie de développement économique et social du Cameroun. Cet acte est significatif d’un volontarisme politique. C’est tout à la fois un geste symbolique d’affirmation au plus haut niveau du nouveau paradigme, et une décision qui produit des effets considérables dans la fabrique et la

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mise en œuvre de l’action publique, mais aussi sur le comportement des acteurs économiques et sociaux. Elle se traduit aussi par la création au sein de chaque département ministériel d’un comité de suivi et de mise en œuvre des réformes contenues dans le programme national de gouvernance ou par l’organisation fréquente des séminaires et ateliers d’imprégnation de ce nouvel outil de modernisation tant au niveau sectoriel qu’au niveau interministériel. Pour les pouvoirs publics, Il s’agit de doter l’État des moyens lui permettant de faire face aux défis de la mondialisation16 en adoptant comme nouveau récit de l’action publique des référentiels tels : compétitivité, rentabilité, accountability, décentralisation, partenariat secteur public/secteur privé/société civile, État de droit, gestion participative…

L’appropriation passe aussi par la mise en place des structures parallèles aux services administratifs traditionnels. C’est ainsi que la gouvernance économique, précisément dans sa composante partenariat secteur public/secteur privé s’est traduite par la création des cadres et instruments de concertation tels le Comité interministériel élargi au secteur privé (CIESP), le Conseil du partenariat industriel (CPI), le Conseil de régulation et de compétitivité. Situées en dehors des administrations publiques, ces structures de caractère hybride constituent l’un des éléments de mise en œuvre nationale de la gouvernance comme modèle d’administration.L’appropriation se traduit par un travail important sur le sens de la politique de mise en œuvre des réformes induites par la gouvernance. À coup de réunions, séminaires, ateliers d’imprégnation mettant en présence acteurs supranationaux nationaux, locaux, on a pu voir se constituer une sorte de référentiel d’action collective (Muller, 1996 : 299-314) compatible avec les exigences de la bonne gouvernance tout en exprimant le vécu et les préoccupations des acteurs intéressés : une véritable approche par les policy networks (Le Galès & Thatcher, 1995). Cette approche, qui témoigne de la convergence des paradigmes étatistes et pluralistes, s’est développée à partir de la notion de « réseau de politiques publiques » (policy network). Elle permet de mieux prendre en compte la multiplication et la diversification des acteurs participant à la politique régulationniste, à la sectorisation et à la décentralisation de l’État, à l’affaiblissement des frontières entre le public et le privé, à l’importance croissante des acteurs transnationaux (Kenis et Schneider,

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1991). À titre d’illustration nous pouvons mentionner au niveau de la gouvernance locale, les séminaires et colloques à l’effet de renforcer les capacités managériales et de leadership des acteurs de la décentralisation (novembre 2007 ; mars 2008 ; avril 2008). Acteurs présents : bailleurs de fonds, administration publique concernée, maires, représentants de la société civile, experts. Par ce procédé, les acteurs nationaux et locaux se socialisent au nouveau récit. En s’appropriant et en revendiquant à leur manière les implications du nouveau récit – lutte contre la corruption, transparence, lutte contre la pauvreté, ces acteurs réinvestissent les registres de la gouvernance et de la modernisation. Une lecture du nouveau statut de la fonction publique camerounaise réformée conforte cette affirmation. L’option de postes de travail y est privilégiée avec pour corollaire la mise sur pied d’un système d’évaluation des personnels aux résultats ; l’enjeu ici étant celui de la recherche de l’efficacité et du rendement. L’administration y est repensée sous le signe des mécanismes néo managériaux avec des objectifs précis. L’élaboration de ce référentiel réformateur est révélatrice d’un processus de conversion idéologique de l’administration camerounaise au nouveau récit. L’enjeu étant ici celui de la capacité des acteurs nationaux et locaux à produire de nouveaux récits sur la gouvernance dans une dimension identitaire. En ce sens, la gouvernance en tant que nouveau référentiel, constitue bien une contrainte pour les pouvoirs publics, parce qu’il transforme leur perception du monde vécu et disqualifie les anciennes visions du monde.

Toutefois, on peut observer des mécanismes de path dependence ou dépendance au sentier (North, 1990) à travers lesquels les visions jusqu’ici dominantes tendront à imposer leur capacité à rendre compte du monde et donc à freiner l’émergence de nouveaux récits issus de la mécanique de la réforme. À cet effet les autorités camerounaises n’ont eu cesse d’invoquer l’argument de la préservation de l’unité nationale et de l’équilibre social pour justifier les lenteurs intervenues dans la mise en œuvre des structures de décentralisation qui attendent de voir le jour malgré la production d’un impressionnant arsenal juridique et la multiplication des actions symboliques (Edelman, 1971 : 66) telles que séminaires, colloques…

Le registre de spécificités contextuelles est mobilisé pour justifier cette lourdeur procédurale ; d’aucuns ne s’empêchent pas de considérer

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la décentralisation comme un vecteur pouvant favoriser l’émergence des forces centrifuges dans un État en construction. Le discours tenu sur la menace d’explosion que ferait peser la décentralisation sur l’unité nationale dissimule mal la vision jacobine et la préférence pour la déconcentration qui sont les marques déposées des pouvoirs publics au Cameroun en matière d’organisation territoriale du pays depuis son indépendance (Sindjoun, 2002 : 156-183.). Ces dernières participent d’un souci constant de maintien voire de renforcement de l’emprise sur les discours et du contrôle exercé sur les populations au nom des impératifs de l’intégration nationale et du développement local équilibré, ce que confirme l’extrême prudence observée par le gouvernement dans le processus de décentralisation engagé avec la loi 2004/017 du 22 juillet 2004. En attendant d’être effective, la décentralisation existe plus au niveau des effets de discours et de la manipulation des idées (Muller, 2005 : 155-187). Le paradigme centralisateur continue à spécifier la construction de la démocratie locale au Cameroun.

L’implémentation de cette nouvelle recette est sous-tendue par des considérations stratégiques d’adaptation et de réinterprétation. En effet, les multiples formes de gouvernance ne peuvent être appliquées sans aménagements, échéanciers, arbitrages et compromis qui donnent aux pouvoirs publics le rôle d’acteur central dans leur mise en œuvre. Concernant la démocratie de proximité – processus de décentralisation/régionalisation qui valorise les territoires locaux et les initiatives de proximité -, les autorités camerounaises ont une vision sélective ; d’après elles, la mise en place de cette dernière ne doit pas se traduire par « un simple placage des techniques européennes et occidentales », mais, « être réfléchie et adaptée à la situation particulière de (notre) pays ». L’impératif participatif que recouvre la démocratie de proximité doit sans doute entraîner une association étroite des populations locales à la gestion des affaires qui relèvent de leur quotidien ainsi qu’un « dialogue constant entre le pouvoir et la base qui suscitera la participation du plus grand nombre à la gestion des affaires publiques locales »17. Pour les pouvoirs publics, l’approche en termes de cogestion doit s’opérer notamment lors « des élections reconnues constitutionnellement comme mode de désignation des responsables et d’expression des citoyens, tant au niveau communal qu’au niveau régional ». Bien plus, les réformes induites par ce récit officiel et

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« mythique » de bonne gouvernance, sont bien souvent des réformes à dimension politique utilisées par les pouvoirs publics pour modifier la balance de pouvoirs et affirmer un nouveau rôle (Saint-Martin, 2000). Dans cette perspective, les réformes s’inscrivent dans un schéma marqué par une évolution graduelle, par un mécanisme de petits pas que constitue le principe central de l’approche incrémentaliste. Elles sont fortement orientées par les politiques, les valeurs et les comportements de centralisation en vigueur.

Conclusion

L’État régulateur témoigne bien d’une véritable refondation de l’État westphalien. Cette mise à nu de l’État (Hassenteufel, 2007 : 311-329) à partir de l’analyse de l’action publique correspond au passage d’un Welfare State keynésien, dans le cadre duquel les politiques publiques sont caractérisées par l’augmentation du niveau de bien-être, à un Workfare State schumpétérien, orienté vers le renforcement de la compétitivité et l’adaptation flexible au marché (Jessob, 1994). Dans une série de domaines, les instruments contractuels et consensuels tendent à se substituer aux techniques unilatérales classiques, manifestant le basculement vers une « gouvernementalité coopérative » (Serverin & Berthoud, 2000). Ce nouveau style d’action publique permet d’obtenir la contribution active des partenaires privés à l’action publique, et de créer un cadre stable de coopération entre acteurs porteurs de rationalités divergentes. Cette construction collective de l’action publique a pour conséquence d’éroder les frontières entre publics et privé, comme l’exprime la notion de gouvernance qui, en plaçant sur le même plan ces deux catégories d’acteurs, vise à rendre compte des différentes modalités d’interactions entre publics et privés pour résoudre des problèmes collectifs (Koimann, 2003). Le recours croissant aux acteurs supra et infra-étatiques dans la construction collective de l’action publique s’inscrit dans une dynamique plus large de privatisation qui correspond non seulement à une dé-différenciation de l’État par les

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politiques publiques, mais aussi à sa désinstitutionnalisation. Toutefois, l’État garde sa centralité dans cette transformation liée aux exigences du marché. Loin d’assister à un retrait ou une disparition de l’État, on assiste à une sa recomposition. La notion d’État régulateur, permet ainsi d’articuler la dé-différenciation de l’État en termes de perte de capacité d’action autonome, et sa re-différenciation en termes de capacité de pilotage et de contrôle accru des politiques publiques.

Notes1. Cette étude a bénéficié de mes échanges avec MM : Luc Sindjoun, Dominique Darbon et Andy Smith, qu’ils

en soient remerciés.

2. « Par gouvernementalité, j’entends l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique, bien que complexe, de pouvoir, qui a pour cible la population, pour forme majeure le savoir… », cf. Michel Foucault, Dits et écrits, vol. III, Paris, Gallimard, p. 655.

3. HEVECAM= Hévéas du Cameroun ; CDC= Cameroon Development Corporation ; SODECOTON= Société de Développement du Coton

4. Pour un aperçu sur ce concept, cf. Barry M. Mintnick, 1980, The Political Economy of Regulation. Creating, Designing and Removing Regulatory Reforms, New York Columbia University Press.

5. C’est le cas de l’agence de régulation du secteur de l’électricité dont les activités sont financées par les moyens mis à sa disposition par l’entreprise régulée à savoir Aes-Sonel. Voir <http://www.camerounlink.net> (consulté le 30 avril 2008).

6. L’application de ces mesures entraînera des actions de protestation des autres entreprises et de l’ensemble des consommateurs.

7. Pour Jean-Pierre Gaudin, « le mot lui-même fait problème. Il résonne de manière douce et presque caressante, mais n’évoque souvent rien de précis », Pourquoi la gouvernance ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 10

8. Sur le concept de gouvernance, cf. D. Osborne & T. Gaebler, Reinventing Government, Mass., Addison-Wesly, Readings, 1992 ; J. N. Rosenau & Ernst-Otto Czempiel (eds), Governance without Govrnment : Order and Change in World Politics, Cambridge, New-York, Cambridge University press, 1992 ; A. Kizancigil, « La gouvernance, itinéraires d’un concept », in J. Santiso (ed.), À la recherche de la démocratie : Mélanges offerts à Guy Hermet, Paris, Karthala, 2002, p. 22.

9. Rapport «Governance and Development», 1992.

10. Voir le document intitulé Plan d’action pour l’Afrique du G 8.

11. Le Monde, 29 juin 2002, p. 4.

12. The Economist, «Good governance », du 15 juin 2002, p. 81-82.

13. Dont la polysémie a par exemple été soulignée par R. A. W. Rhodes, « The New governance : governing without government », Political Studies, 44 (4), 1997, pp. 652-667.

14. Voir sur ce point les rapports de la Banque mondiale sur les politiques de développement, Banque mondiale, 1994 : 113, et 1997.

15. Allocution du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation lors du lancement officiel de la deuxième phase du Programme d’appui à la décentralisation et au développement local (PADDL II), le 9 avril 2008 à Yaoundé.

16. Voir le document du Programme national de gouvernance 2006-2010.

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L’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’Etat régulateur

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L’INSTITUTIONNALISATION DES DELIBERATIONS DANS L’ESPACE PUBLIC DES CHEFFERIES

BAMILEKE DE L’OUEST-CAMEROUN

André TchoupieUniversité de Dschang

Introduction

Envisager l’étude des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’Ouest-Cameroun peut, à première vue, paraître absurde et dénué de pertinence scientifique. Car par définition, un espace public est surtout un lieu de controverse où se discutent les problèmes publics. C’est avant tout « un espace symbolique où s’opposent et se répondent les discours, la plupart contradictoires, tenus par les différents acteurs politiques, sociaux, religieux, culturels, intellectuels, composant une société » (Wolton, 1997 : 379). Or par la chaîne de leur ascendance généalogique et surtout par l’auréole de sacralité qui les entoure, les chefs traditionnels ici apparaissent comme l’épicentre de la vie sociale et politique et donnent l’impression d’exercer une autorité sans partage (Kamto, 1987:110), c’est-à-dire de développer une stratégie de distanciation en commandant de manière autoritaire, en fuyant les débats et en imposant leurs décisions à la société, cette impression étant d’autant plus forte qu’elle a pendant longtemps servi de ferment à l’expansion de la thèse suivant laquelle la société traditionnelle africaine en général et la société coutumière bamiléké en particulier constitue une société unanimiste (Vieyra, 1965 : 201).

Cependant, le fait que ces chefferies donnent l’image des monocraties autocratiques et unanimistes masque mal les véritables mécanismes de leur fonctionnement. Car ce qui dans les traditions socio-culturelles et politiques ici apparaît souvent à l’observateur mal informé

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comme l’acceptation absolue et inconditionnelle de l’autorité des chefs et comme une congruence parfaite entre les membres de la société n’est jamais absolu ni totalement harmonieux (Kamto citant Beseat, 1987 : 110).

Certes, de par le caractère sacré et mystique de leurs pouvoirs les fô1 bamiléké sont vénérés et adulés presque comme des Dieux et se trouvent dotés des attributs tentaculaires en cumulant tous les pouvoirs temporels et religieux. Mais ceci ne saurait amener à assimiler les communautés dont ils assurent la direction à des monarchies absolues ou à des sociétés unanimistes, dans la mesure où les populations ici sont loin d’apparaître comme des sujets constamment dociles et appelés à se soumettre aveuglement aux oukases d’une autorité mystérieuse, lointaine et omnipotente. Car non seulement leurs rois ne peuvent sereinement exercer leurs pouvoirs qu’en tenant compte de leurs points de vue ou de ceux de certains segments du corps social, mais également toutes les décisions engageant la vie de la communauté ne reçoivent jamais une adhésion inconditionnelle de tous, ce qui engendre une recherche permanente du consensus, surtout à travers une systématisation des débats qui comporte aussi bien une dimension horizontale (c’est-à-dire au sein des différentes confréries que comportent les instances dirigeantes) qu’une dimension verticale (c’est-à-dire entre gouvernants et gouvernés).

Ceci invite à passer d’une science de la carte postale se limitant aux évidences aveuglantes à une science réflexive se fiant au raisonnement qui démasque le caché, l’invisible, les causes structurales inaccessibles au sens commun (Sindjoun, 1994 : 14). Il paraît dans cette perspective plus judicieux de troquer les concepts de « monarchie autocratique » et de « société unanimiste » contre celui de « société consensuelle » ou de société « à forte propension au consensus », qui semble plus pertinent et respectueux de la réalité (Kamto, 1987 : 147), tant il est vrai que le dialogue et la concertation constituent ici les principaux piliers sur lesquels repose toute action politique. A travers des consultations périodiques sous forme de discussions à petite ou à grande échelle, l’assentiment et l’adhésion de la plus grande fraction de la population sont en effet constamment recherchés. La délibération dans l’espace public s’érigeant dans ces conditions en une véritable exigence fonctionnelle du système politique, chaque détenteur du pouvoir

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L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

coutumier ou chaque personne concourant à son exercice se trouve dans l’obligation de s’y référer ou de s’y soumettre.

Toutes ces réalités conduisent à l’articulation de la problématique de cette étude autour des principales questions suivantes : Peut-on valablement envisager la délibération dans l’espace public comme une institution dans le cadre des sociétés que d’aucuns ont qualifié d’unanimistes et au sein desquelles les chefs semblent exercer un pouvoir solitaire et sans bornes ? Comment se consolide, à travers les âges, une tradition de délibération dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké? Comment se réalise la connexion entre la tradition et la modernité au niveau de la délibération sur l’espace public dans les sociétés coutumières ?

De la réponse à ce questionnement se dégage l’idée centrale suivant laquelle loin de relever de l’univers de la contingence, la délibération dans l’espace public se trouve profondément enracinée dans la culture des chefferies bamiléké et semble même faire partie des traits essentiels de cette culture. Car non seulement elle apparaît comme un véritable socle sur lequel repose toutes les décisions politiques, mais également elle connaît au fil du temps de perpétuelles métamorphoses marquées par une harmonieuse combinaison des acquis de la tradition et des exigences de la modernité, ceci lui permettant de faire face aux diverses forces environnementales qui tendent à amollir sa vigueur. D’où le compromis entre le « jamais vu » et le « toujours ainsi », compromis fondateur d’une hypothèse de la continuité dynamique (les délibérations dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké tout en étant constantes varient en fonction des conjonctures) ou de la discontinuité relative (les variations conjoncturelles des délibérations dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké ne marquent pas une césure radicale)2.

Il importe donc d’accorder une attention particulière aux trajectoires sociales et historiques par lesquelles la délibération dans l’espace public s’impose comme une véritable institution dans les chefferies bamiléké. Cette entreprise se trouve cependant confrontée à un sérieux problème de clarification conceptuelle car la notion d’« institution » apparaît à bien des égards comme l’un des concepts les plus galvaudés qui soit. Largement utilisée par la plupart des sciences sociales, elle semble en effet avoir perdu en compréhension ce qu’elle a gagné en extension,

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André Tchoupie

comme le relève J. Chevallier (1996 : 13). Devenue fuyante et insaisissable selon les termes de cet auteur, polysémique, équivoque et problématique pour R. Lourau (1970 : 143), sa signification renvoie à des réalités très hétérogènes.

C’est ainsi que pendant que A. Giddens (1987 : 66) par exemple la conçoit comme des « pratiques qui ont la plus grande expansion spatio-temporelle dans [les] totalités sociétales », J. Rojot (2003 : 407-430) l’appréhende essentiellement comme des faits qui s’imposent et doivent perpétuellement être pris en compte par les acteurs socio-politiques. J. Chevallier (1996 : 17) quant à lui la perçoit surtout comme « l’ensemble des faits sociaux qui, s’inscrivant dans la durée, ont l’apparence d’une réalité « objective », « naturelle », et sont vécus comme tels par les individus ».

Mais en dépit de leurs divergences, toutes ces approches semblent reposer sur deux éléments-clés qui leur servent de dénominateur commun, à savoir, le profond enracinement dans le corps social et la permanence dans le temps. Elles sont toutes sous-tendues par le fait que dotées d’une consistance propre, c’est-à-dire détachées des volontés qui les ont fait naître et installées dans la durée, les institutions exercent constamment une emprise sur les membres de la société en modelant fréquemment leurs pensées et leurs comportements (Chevallier, 1996 : 17). C’est pour cette raison que même si les procédures de prise de décision occuperont une place importante dans cette étude, l’accent sera surtout mis sur le processus par lequel la délibération dans l’espace public acquiert une dimension institutionnelle.

Cette posture permet en effet de disposer de solides balises d’analyse pour inscrire l’examen des délibérations dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké dans l’itinéraire d’une dynamique d’institutionnalisation, le concept d’institutionnalisation renvoyant au cheminement par lequel des processus sociaux en viennent à prendre le statut de règle dans la pensée et dans l’action sociale (Rojot, 2003 : 407).

Il convient cependant de mettre l’accent, non pas sur le « vieil institutionnalisme » (Chevallier, 1996 : 17) ou sur « l’archéo-institutionnalisme » (Quantin, 2005 : 13), mais plutôt sur le néo-institutionnalisme. Développé en réaction contre les perspectives behavioristes qui furent influentes dans les années soixante et soixante-dix, ce cadre théorique est loin de constituer un courant de pensée unifié,

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L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

dans la mesure où il a donné lieu à plusieurs modes de déclinaison qui ont conduit certains auteurs à parler de trois néo-institutionnalismes à savoir, le néo- institutionnalisme historique, le néo-institutionnalisme sociologique et le néo- institutionnalisme du choix rationnel (Hall et Taylor, 1997). La combinaison de ces trois tendances permet de disposer d’une grille d’analyse permettant d’associer interprétation structurelle et stratégies d’acteurs, définition contextuelle des politiques et des choix des agents et cadres de prédéfinition de leurs comportements. Elle autorise l’inscription de l’analyse ici dans la logique de la « convergence structurelle », en mettant en valeur l’articulation du temps long des structures et du temps court des conjonctures (Quantin, 2005 : 11- 20).

C’est pour cette raison que même si c’est le néo- institutionnalisme historique qui servira de principal socle théorique à cette étude en ce sens qu’il permettra d’observer les trajectoires par lesquelles l’instinct délibératif se fossilise dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké, chacune des deux autres tendances sera également sollicitée. Le néo-institutionnalisme sociologique sera par exemple opératoire dans l’observation de l’apport de la variable culturelle dans la sédimentation des pratiques délibératives dans l’espace public de ces sociétés et surtout dans l’examen des mécanismes par lesquels ces pratiques s’adaptent aux exigences de la modernité. Quant au néo- institutionnalisme du choix rationnel, il sera surtout mobilisé dans le cadre de l’analyse des aspects de la délibération dans l’espace public qui s’inscrivent dans le sillage des comportements instrumentaux mettant à nu l’instinct calculateur des acteurs. Il s’agira, à travers le recours à cette grille de lecture, de voir en quoi la systématisation des délibérations dans l’espace public au sein des sociétés coutumières de l’Ouest-Cameroun peut être considérée comme un moyen d’assurer l’efficacité de l’action socio-politique.

La mobilisation de toutes ces variances du néo-institutionnalisme permet en définitive de constater que la délibération dans l’espace public ici est une entité qui s’est d’abord progressivement enracinée dans le champ socio-politique local, et a par la suite connu de profondes transformations lui permettant de s’adapter aux perpétuelles mutations de son environnement socio-culturel et politico-économique.

I - Les dynamiques d’enracinement de la délibération dans l’espace public des chefferies bamiléké

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André Tchoupie

Si la délibération dans l’espace public constitue l’une des principales valeurs qui influencent et orientent fréquemment les comportements des populations des chefferies bamiléké, l’acquisition de ce statut n’a pas été naturelle et automatique. Au contraire, elle a suivi un cheminement historique et social marqué par une progressive sédimentation des pratiques qui se sont finalement hissées au rang des composantes essentielles de la culture locale et se sont imposées comme repères pour une importante partie du corps social à travers plusieurs générations. L’on a assisté dans le sillage de cette dynamique à un double mouvement de cristallisation de la pratique délibérative dans la vie socio-politique et de renforcement de son ancrage social par le recours aux forces surnaturelles.

A - La routinisation de la pratique délibérative dans la vie socio-politique

Envisager la routinisation de la pratique délibérative dans la vie socio-politique des chefferies bamiléké de l’Ouest-Cameroun c’est mettre l’accent sur les manières de faire et d’agir ayant débouché sur la cristallisation de la délibération sur l’espace public comme un élément structurant par excellence de ces sociétés, caractérisé par sa permanence et par l’emprise qu’elle exerce sur les acteurs. Ceci exige qu’une attention particulière soit accordée aux habitudes et aux accoutumances qui, à force de se reproduire, ont fini par s’ériger en norme de comportement, même si cette norme a connu au fil du temps un certain nombre de transformations lui permettant de s’adapter aux mutations de son environnement. A cet égard, force est de constater d’une part que la palabre a historiquement été érigée en mode privilégié de prise de décision dans l’espace public global de chaque chefferie, et d’autre part que les pratiques délibératives ont constamment ponctué les activités qui ont lieu dans les différents espaces publics particuliers des sociétés traditionnelles.

1 - La systématisation historique de la palabre comme technique de prise de décision dans l’espace public global de la chefferie

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L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

L’espace public global entendu comme espace qui, au contraire des espaces publics sectoriels ou des espaces publics particuliers est ouvert à tous (Habermas, 1997 : 13-14), a pendant longtemps figuré parmi les cadres privilégiés des délibérations dans les chefferies bamiléké. Apparaissant comme une agora, il était le lieu d’exercice d’une véritable « démocratie délibérative »3. La démocratie dans les sociétés traditionnelles africaines et plus particulièrement dans les chefferies bamiléké se caractérisait surtout par le fait qu’elle faisait des décisions politiques le résultat d’un débat ouvert à tous les membres d’une communauté.

La palabre quotidienne favorisait dans cette perspective un large débat et donnait à chaque membre de la société l’occasion d’exprimer son point de vue, ce qui permettait d’arriver à une décision qui liait en principe tout le monde. La principale procédure ici consistait, pour les rois, à faire rassembler les populations devant la cour royale ou sur la place du marché lors des débats portant sur les questions jugées importantes pour la vie de la communauté4. Ceci permettait aux habitants de chaque village de participer à la marche de la cité à travers la prise de parole publique.

Le recours à cette technologie politique s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie par laquelle les autorités coutumières visaient non seulement à obtenir la confiance et l’adhésion massive des populations, mais également à galvaniser le peuple et à susciter son enthousiasme, surtout lorsque les mesures envisagées visaient des expéditions guerrières contre les groupements voisins qui étaient très fréquentes ici pendant la période précoloniale et qui éprouvaient considérablement le corps social5. Il constituait également un système de gestion sociale et politique des conflits qui venaient de temps en temps mettre à mal la cohésion sociale, dans la mesure où il permettait la mise en place d’un espace de débat et de discussion, d’arbitrage et de réconciliation, d’avis et de conseils, de décisions et d’accords après délibérations contradictoires (Kiflé Sélassié Béséat, 1980 : 76). Son institutionnalisation marquait d’une part la reconnaissance du conflit et de la pluralité comme traits structurants de la société, et d’autre part la consécration de la résolution des conflits par la voie de la délibération collective comme principal mécanisme de régulation sociale (Sindjoun, 2007 : 470).

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André Tchoupie

Créditées d’un fort coefficient de neutralité et d’objectivité, les décisions prises dans ces conditions étaient généralement appliquées sans recours à la contrainte ou à la coercition, car même ceux qui ne les partageaient pas se sentaient obligés de les respecter (Ahanhanzo Glélé, 1974 : 178). L’idée de base ici était que « l’autorité est éclairée et sage et on doit s’y soumettre librement et de façon responsable » (Kiflé Sélassié Béséat, 1980 : 77). Le caractère public des procédures permettait en effet aux populations d’apprécier directement les qualités de justice du chef et de s’assurer de la conformité des décisions prises à la coutume ancestrale.

Cette réalité s’apparentait à une véritable « démocratie idéalisée » qui renvoie à un système politique où le peuple peut s’exprimer directement sur tous les sujets, de l’économique au judiciaire en passant par la définition des droits et des valeurs socio-politiques (Mény et Surel, 2000 : 28-29). Elle favorisait l’élaboration d’un consensus qui était loin d’être un consensus dolosif, encore moins un consensus aux couleurs d’unanimisme ; c’était plutôt celui qui permettait de marquer l’équilibre entre la majorité et la minorité et ratifiait simultanément la présence du conflit et la médiation des points de vue opposés, même si la palabre se terminait généralement par un accord, par une réconciliation entre les protagonistes (Sindjoun, 2007 : 475-476).

L’expression « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » que de nombreux entrepreneurs politiques ne mettent en relief dans la définition de la démocratie que pour mieux l’ignorer dans la pratique revêt donc ici une dimension tout à fait particulière, dans la mesure où le dêmos apparaît à bien des égards comme l’alpha et l’oméga de l’activité politique.

Cette modalité de gouvernement direct se trouvait cependant tempérée par le fait que c’est le chef qui constituait le verbe de la communauté, le grand maître de la communication, des significations et de l’information. Ceci lui permettait à la fois de prendre connaissance des problèmes nouveaux et de dégager les grandes tendances de l’opinion. Il s’agissait donc d’une pratique du pouvoir d’où transparaissaient les éléments d’une démocratie d’essence populaire dont le ressort fondamental était l’échange dialectique entre la base et le sommet (Kamto, 1987 : 115).

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L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

L’on se trouvait ici très proche de la cité grecque antique où l’essentiel de la vie politique se déroulait sur l’agora (c’est-à-dire sur la place du marché) et où les citoyens partageaient un engagement commun vis-à-vis de la résolution des problèmes et des choix collectifs à travers un raisonnement public, ce qui contribuait largement à la légitimation des institutions en place, étant donné qu’elles établissaient un cadre favorable à une délibération publique et libre (Habermas citant Manin, 1997 : XXV-15).

Cette technologie de gestion de la société se trouvait cependant très coûteuse en temps, dans la mesure où elle laissait à chaque individu membre de l’assistance d’aller jusqu’au bout dans le processus de l’expression de ses sentiments (Kamto, 1987 : 115). La prise d’une décision consensuelle était dans ces conditions appelée à engloutir de nombreuses semaines, voire des mois6, suivant les modalités contemporaines de découpage du temps. C’est ce qui explique pourquoi elle n’a pas pu résister à l’érosion du temps. Car la taille de la population devenant de plus en plus grande et les problèmes socio-politiques à résoudre devenant de plus en plus complexes et nécessitant des compétences de plus en plus spécialisées, il devient au fil du temps progressivement fastidieux et impossible d’associer directement l’ensemble du corps social au processus de la prise de décision.

Les symboles et les pratiques rituelles qui tendaient à faire des délibérations sur la place publique une dimension importante de la culture bamiléké ne sont certes plus très fréquents. Mais il n’est pas rare de nos jours que les populations de telle ou telle chefferie soient invitées à prendre part à des cérémonies s’apparentant à de véritables délibérations sur la place des fêtes du village, même si tout le monde ne parvient manifestement pas à prendre la parole. Qu’à cela ne tienne, l’on assiste à l’entretien d’une constante pratique délibérative dans des espaces publics particuliers.

2 - L’entretien d’une tradition de délibération dans les espaces publics particuliers

Contrairement à l’espace public global qui est en principe ouvert à tous, les espaces publics particuliers sont des cadres de discussions et de

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débats qui n’admettent en leur sein que des personnes remplissant un certain nombre de conditions. Il s’agit plus précisément des réunions et des rencontres qui n’accueillent que des membres d’un groupe et des personnes invitées à prendre part à ses activités. Ce sont en dernière analyse des cercles dont les membres se regroupent sur la base des affinités spécifiques.

En dépit des différences qui existent dans la nature et dans l’étendue de leurs membres, ces cercles incarnent une aspiration à la discussion permanente entre des personnes privées sur l’espace public. Ce sont des milieux dans lesquels on se tourne généralement, au cours des débats, de l’intérieur vers l’extérieur (Habermas, 1997 : 47-48). Les questions au centre des échanges en leur sein ont le plus souvent une portée générale, en raison de leur importance dans la vie de la chefferie à laquelle appartient le cercle.

Les chefferies bamiléké contiennent une extrême variété de pareils cercles7, qui constituent autant d’arènes particulières de délibération. Il s’agit notamment des associations des habitants de chaque quartier, des groupes de danse traditionnelle, et surtout des sociétés sécrètes dénommées « nkem ». Comme le relève Bernard Maillard (1985 : 44-45), la chefferie Bandjoun par exemple en compte jusqu’à dix-neuf et chaque sociétaire, selon son appartenance à une ou à plusieurs confréries, se retrouve au moins une fois tous les huit jours au sein du palais royal pour débattre et prendre des décisions relatives aussi bien au fonctionnement de la société sécrète qu’à la marche du village.

Tableau 1 : Calendrier hebdomadaire des délibérations dans l’espace public particulier des différentes sociétés secrètes de la chefferie de Bandjoun (pays bamiléké) Jours de la semaine Sociétés sécrètes

Dze dze Zie Kam kwo Pferibu

Ntamdze

Kom pu cye ou Kom msu Me sop Nye lang Me gwe nye Tye gop

Sesu Muemjung ngkwo ntsa ou Kem sesu ou

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encore Muemjung sesu Mekè sesu

Gosue Zie Kuen tang Tsu nye lang

Dzemto Pan gwop Be jie Mekè dzemto

Ntamgo Muemkam Mekè ntamgo

Tyepfo Kem jie Muela

Syenku Kwo si sie Kom kwo si Tye gop (pour la seconde fois)

Source : B. Maillard, (1985 : 45). Les membres du « Nkamvu » (groupe des neuf notables) et du

« kungang » quant à eux peuvent se réunir très rapidement à tout moment, à la demande du chef, étant donné qu’ils jouent un rôle central dans la vie socio-politique de la chefferie. L’exploration de la « prise de décision » ou de la « résolution des problèmes »8 en leur sein révèle qu’elle a pendant longtemps été dominée par une constante recherche du consensus, et ce malgré la variété des sujets à traiter. Lors de leurs réunions qui étaient généralement placées sous la présidence du chef supérieur en effet, ce dernier dévoilait le sujet à débattre et tous ceux qui le souhaitaient pouvaient à tour de rôle intervenir.

Cependant, si les questions de moindre importance étaient dans la plupart des cas réglées sans difficulté particulière, les problèmes complexes étaient âprement débattus. De manière générale, le chef assistait aux débats en silence, son rôle consistant surtout à évaluer tous les points de vue, à peser les avis pour essayer d’en dégager l’opinion majoritaire ou le consensus. Certes, il arrivait de temps en temps qu’un roi cherche à faire prévaloir sa propre perception de la réalité. Mais si la majorité des participants était contre son opinion, il était tenu de s’incliner et de se soumettre à leur verdict, sous peine de s’attirer les foudres de ceux des puissants magiciens qui gardent son totem en brousse et qui peuvent en cas de désaccord avec lui sur un point crucial de la vie sociale ne plus assurer la garde de ce totem, ce qui l’expose aux dangers de tous ordres9.

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D’où la nécessité pour lui, soit de laisser libre cours aux débats qui pouvaient durer plusieurs jours au cas où une majorité forte ne se dégageait pas rapidement (Ayittey, 1990 : 43), soit d’essayer d’harmoniser les diverses positions en présence en recourant à la technique de la médiation qui permettait de rapprocher les points de vue opposés ou alors à celle du lobbying qui consistait, par le jeu des concessions, à s’assurer de la confiance et de l’adhésion de la majorité des parties prenantes au débat (Nguekeu Dongmo, 1996 : 110).

Le consensus qui se dégageait généralement lors des délibérations s’expliquait essentiellement par le fait qu’au cours des discussions, certains de ceux qui étaient hostiles à la décision envisagée se ralliaient à l’opinion dominante, tandis que d’autres se contentaient de garder le silence ou de s’abstenir, ce qui impliquait l’existence d’une majorité et d’une minorité d’opposition10. L’essentiel au cours des débats était en effet la sauvegarde de l’intérêt communautaire à travers la réduction, par des concessions, des réticences égoïstes de ceux qui s’estimaient lésés par la décision consensuelle (Nguekeu Dongmo, 1996 : 110).

Mais ce mode de prise de décision dans les espaces publics particuliers au sein des chefferies bamiléké a beaucoup évolué dans le temps. Car non seulement les dissensions entre les membres des sociétés secrètes lors des délibérations se sont avérées de plus en plus profondes, mais également les débats sont de plus en plus enflammés et les positions de certains sont le plus souvent extrémistes et inconciliables. C’est ainsi par exemple qu’après le décès de M. Joseph Ngnié Kamga, chef supérieur des Bandjoun survenu le 6 décembre 2003, les divergences de points de vue entre les « nkamvu » (neuf notables) lors de la délibération en vue de la désignation de son successeur étaient si marquées que la double cérémonie des obsèques du défunt chef et « d’arrestation » publique du nouveau roi initialement prévue le 20 décembre 2003 n’a pas pu avoir lieu, et ce en dépit de la présence sur la place des fêtes du village de nombreuses personnalités camerounaises venues vivre l’événement en direct (Tchoupie, 2006).

La principale explication de ce phénomène qui tend à devenir récurent dans de nombreuses sociétés traditionnelles du Cameroun de l’Ouest réside dans le fait que la plupart des individus qui succèdent aujourd’hui aux défunts notables ont grandi dans les grands centres urbains et même parfois hors du pays. Ils sont certes pétris de

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connaissances occidentales, mais ils ignorent le plus souvent tout de la culture traditionnelle, ce qui creuse un fossé considérable entre eux et ceux qui maîtrisent encore les normes et les pratiques bamiléké.

L’on assiste ainsi de plus en plus à un particulier durcissement des débats pendant les délibérations, et le principe du consensus lors de la prise de décision cède progressivement la place à celui de la majorité, et plus précisément à celui de la majorité relative.

Mais loin d’être un signe de l’entrée en disgrâce de la délibération, ces mutations apparaissent plutôt comme un vecteur de sa consolidation, étant donné qu’elles permettent d’adapter le processus décisionnel à la complexité toujours croissante des problèmes à résoudre et à l’hétérogénéité des trajectoires sociales des acteurs qui composent de nos jours les structures politiques traditionnelles. D’ailleurs, l’ancrage social de la délibération dans l’espace public ici se trouve solidifié par un fréquent recours aux forces surnaturelles.

B - La solidification de l’ancrage social de la délibération dans l’espace public par le recours aux forces surnaturelles

La délibération sur l’espace public constituant l’une des principales dimensions de la culture bamiléké, son enracinement dans les mœurs socio-politiques de la région est le plus souvent assuré par le recours aux pratiques magico-religiesuses. C’est ainsi par exemple que lorsqu’une chefferie fait face à des calamités telles que la famine, la sécheresse, et l’épidémie, les délibérations par lesquelles les sociétés sécrètes compétentes et plus particulièrement le groupe des neuf notables et les « nkungang » tentent de les juguler prennent généralement les allures de pratiques mystiques, appuyées par l’invocation des dieux et des ancêtres.

De même, lorsque les responsables de la justice n’arrivent pas à éclairer une situation judiciaire confuse et ne peuvent se prononcer sur les responsabilités des parties en cause, il est généralement organisé une cérémonie publique au cours de laquelle en plus des débats contradictoires entre les principaux protagonistes, les forces surnaturelles sont convoquées dans la recherche de la vérité. Les autorités traditionnelles recourent habituellement à cet effet à une diversité de rites, parmi lesquelles les plus pratiquées sont le jugement par l’intermédiation de la tortue dans un lieu sacré de la chefferie et le

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« gwo » (ou l’ordalie) (Maillard, 1985 : 75). Les différentes parties en cause, accompagnées de leurs parents et amis se retrouvent au cours d’une journée fixée à l’avance au pied d’un arbre sacré. Invités à se justifier, l’accusé et l’accusateur se présentent devant le « cwèp » (lieu sacré), soit avec une calebasse neuve remplie d’eau fraîche, soit avec une feuille de taro. Chacun clame haut la véracité de ses propos et prend les dieux et les ancêtres à témoin. Et pour conclure brillamment son argumentation, il jette violemment à terre la calebasse ou la feuille de taro. Une fois l’ordalie accomplie le jugement définitif revient à dieu et aux ancêtres, de sorte que le premier à mourir sera considéré comme le coupable parce qu’il aura témoigné faussement devant les forces surnaturelles. Tromper la divinité c’est en effet appeler sur soi le châtiment suprême qui est la mort, celle-ci survenant généralement dans un délai de sept jours ou de sept semaines (Maillard, 1985 : 188-189). Le recours à ce rite marque donc la reconnaissance des dieux et des ancêtres comme juges suprêmes.

Le renforcement de la délibération sur l’espace public par le recours aux pratiques magico-religieuses s’explique grosso modo par le fait que l’univers bamiléké, tout comme d’ailleurs celui de nombreuses autres sociétés traditionnelles africaines, apparaît surtout comme un univers des forces en mouvement commandées par la parole. Si les européens par exemple perçoivent en effet l’univers comme une entité pouvant se donner à l’Homme comme un objet de connaissance rationnel et scientifique, tel n’est nullement le cas en ce qui concerne de nombreux bamiléké et plusieurs autres peuples d’Afrique noire, pour qui il existe une étroite connexion entre l’univers humain et le monde métaphysique, de tel enseigne que « la vitalité humaine correspond à la vitalité de la nature » (Ayittey, 1990 : 53). Le cosmos apparaît dans cette perspective comme un univers où tout est lié - la vie, les dieux, les Hommes, la société- et dont les éléments sont mus par une même force : la force vitale qui unit les membres de la société humaine aux dieux, mais aussi aux morts. C’est pour cela que l’on admet ici que les morts sont présents parmi les vivants, qu’un monde invisible double le monde visible (Kamto, 1987 : 71), et surtout que l’univers humain ne constitue qu’un prolongement du monde surnaturel.

Il devient dans ces conditions indispensable d’entretenir une constante harmonie entre la société humaine et les composantes de

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l’univers métaphysique, étant donné que les morts et les forces cosmiques continuent de participer à la régulation du monde, et que « la responsabilité du roi ne se limiterait pas pour les « sujets » au monde des humains, mais s’étendrait au monde de la nature » (Perrot, 2003 : 20). L’exercice du pouvoir s’insérant ainsi dans un environnement culturel où chaque être (vivant ou mort) et chaque chose, même la plus humble joue un rôle et où le hasard n’a point de place (Kamto, 1987 : 71), il devient impossible de ne pas associer les forces transcendantales au processus de la délibération sur l’espace public, surtout lorsque les points à l’ordre du jour portent sur des questions aussi délicates que la recherche de l’auteur d’un acte répréhensible et l’établissement de la justice.

L’implication des forces occultes, des divinités et/ou des ancêtres dans le processus de la délibération sur l’espace public ici apparaît comme un choix stratégique tendant à la maintenir comme l’un des principaux éléments du paysage institutionnel des sociétés traditionnelles bamiléké, dans la mesure où elle constitue un important gage de l’objectivité et de la légitimé de la décision finale. Parce qu’elle se présente comme une véritable symbiose entre le monde des vivants et l’univers cosmique, cette décision est entourée d’une auréole de sacralité et de transcendance, ce qui rend particulièrement difficile le refus de son respect. Car l’Homme bamiléké à l’instar de nombreux autres individus dans la société traditionnelle africaine n’étant qu’un élément de l’ensemble ou une pièce du tout (Kamto, 1987 : 155), l’acte de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir ne sera accepté sans réticence que si sa conception associe harmonieusement des éléments provenant à la fois du monde physique et de l’univers métaphysique.

La délibération sur l’espace public devient dans ces conditions une manifestation de la culture des sociétés traditionnelles bamiléké de l’Ouest-Cameroun. Elle se trouve profondément enracinée dans la tradition et est inscrite dans la durée. Elle ne saurait par conséquent être balayée par la poussée de la modernité. Elle connaît plutôt de perpétuelles transformations lui permettant de faire face à l’instabilité de son environnement.

II - Transformation de l’environnement des chefferies bamiléké, reconfiguration des acteurs sur l’arène socio-politique et réadaptation de la délibération sur l’espace public

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L’environnement socio-culturel et politico-économique des chefferies bamiléké connaît de profondes mutations, marquées entre autres non seulement par l’émergence des Etats modernes qui viennent se greffer au-dessus des sociétés traditionnelles, mais également par l’avènement de l’école qui véhicule la civilisation occidentale et par le développement des villes qui engendre l’émigration d’une importante franche de la population. La tendance est grande dans cette perspective de penser que la délibération dans l’espace public en tant que l’un des principaux traits caractéristiques de la culture bamiléké sera anéantie par les forces modernisantes, cette tendance étant d’autant plus forte que certains auteurs appréhendent la tradition et la modernité de manière essentiellement dichotomique et soutiennent que la seconde entité ne peut se réaliser que si la première est complètement détruite et jetée dans la poubelle de l’histoire (Lloyd et Hoeber, 1967 : 3). Mais l’on assiste dans la pratique plutôt à la réadaptation de la délibération dans l’espace public aux transformations de l’environnement des sociétés coutumières, qui se manifeste aussi bien par l’acceptation de l’interférence des autorités étatiques dans certaines pratiques délibératives en leur sein que par la délocalisation des sites des débats.

A - L’acceptation de l’implication des autorités étatiques dans les délibérations comme stratégie de préservation de la pratique délibérative

Si les chefferies traditionnelles bamiléké tout comme d’ailleurs les autres sociétés coutumières africaines se sont pendant longtemps présentées comme des entités ne disposant d’aucune autorité administrative et politique centrale au dessus d’elles (Mbonda, 2006 : 52) et apparaissant de ce fait comme de véritables « sociétés à Etat » (Lombard, 1967 : 49-54), la situation est loin d’être encore la même depuis le début de l’ère coloniale. Car l’on a assisté à leur insertion dans les rouages de l’administration coloniale allemande et française, puis de l’Etat Camerounais, avec pour principal corollaire la création au dessus des « fô » d’un autre échelon d’allégeance. Les rois qui étaient situés au sommet de la hiérarchie sociale et politique deviennent ainsi de simples échelons inférieurs appelés à obéir aux ordres des instances supérieures

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(Fogui, 1990 : 173). C’est dans cette perspective que, soucieux de ne pas laisser se développer à la périphérie des structures politiques échappant à son contrôle, le pouvoir central camerounais est amené à exercer un droit de regard sur le fonctionnement des différentes entités infra étatiques qui existent sur le territoire national. A cet effet, il est le plus souvent appelé à s’impliquer dans les activités des chefferies traditionnelles, et particulièrement dans la plupart des délibérations qui ponctuent de temps en temps leurs espaces publics.

Etant donné que toute résistante à l’ «étatisation » des sociétés locales fut violement réprimée par la puissance colonisatrice comme ce fut tour à tour le cas avec l’insurrection des Bakweri en 1891 qui déboucha en 1894 sur l’expropriation des « indigènes » de leurs terres et avec l’insoumission de la région Bangwa entre 1889 et 1909 qui entraîna la désarticulation du pouvoir traditionnel à travers la déposition du chef Asunganyi et la division de son « pays » en deux entités distinctes (Fota I et Djuti) (Sindjoun, 2002 : 257-258), l’instinct calculateur des acteurs socio-politiques de la plupart des chefferies bamiléké les poussera à adopter l’acceptation de l’immixtion des autorités étatiques dans la délibération dans leurs espaces publiques comme principale stratégie de sa préservation. Cette acceptation se manifeste par exemple au niveau de la désignation des nouveaux chefs traditionnels. C’est le préfet du département de la Menoua qui a ainsi organisé le 12 septembre 2005 les discussions qui ont débouché sur le choix de M. Djoumessi III Wamba Mathias comme chef du groupement Foréké-Dschang en remplacement de M. Nkenglifack Marius destitué par le premier ministre11. Suivant la même logique, non seulement le préfet du Khoung-Khi a organisé à Bandjoun les assises en vue de la désignation du successeur de M. Joseph Ngnie Kamga décédé le 6 décembre 2003, mais également il a joué un rôle prépondérant dans le rapprochement des positions diamétralement opposées des neuf notables. Pendant que certains de ces notables étaient en effet favorables au strict respect du testament par lequel le défunt chef désignait le jeune Joseph Ngnié Kamga âgé de 17 ans et étudiant en Belgique comme son successeur, d’autres l’avaient énergiquement combattu, au motif que c’est en violation des règles coutumières que M. Joseph Ngnie Kamga avait accédé au trône en 198412, l’extrémisme des positions étant allé jusqu’à déboucher sur le

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décalage de la date du choix du nouveau chef du 20 décembre 2003 au 24 janvier 2004.

L’acceptation de l’immixtion des autorités étatiques dans les délibérations sur l’espace public au sein des chefferies bamiléké s’observe également au niveau de la recherche des solutions aux divers conflits qui traversent de temps en temps ces chefferies. L’une des principales missions de l’Etat étant le maintien de la stabilité sociale, les dirigeants camerounais sont appelés à s’impliquer dans le processus de gestion des litiges susceptibles de mettre en péril la cohésion de ces sociétés. Cette implication tend à éviter que la persistance ou l’aggravation de ces antagonismes ne débouche sur la remise en cause du système de domination politique existant. Il s’agit donc, pour les responsables étatiques, de contenir les tensions au niveau des chefferies dans les limites supportables pour assurer le maintien de l’ordre socio-politique ambiant.

Des rencontres au cours desquelles les responsables étatiques se joignent aux autorités traditionnelles pour essayer de trouver des solutions aux conflits qui émergent le plus souvent dans les chefferies bamiléké sont dans cette perspective fréquemment organisées, étant donné que ces conflits engagent des enjeux importants par rapport à l’équilibre socio-politique et à la paix locale.

La participation du préfet de la Mifi et du sous-préfet de l’arrondissement de Bangou aux diverses délibérations qui ont eu lieu sur la place du marché de la chefferie Bandenkop lors de la crise engendrée dans cette communauté par le refus du chef légal (M. Wouagné Michel) de rétrocéder le trône au chef légitime (M. Fézeu Ngandjong Marcel) après son retour de l’exil en décembre 1983 est particulièrement significative à cet égard. Car elle a permis de contenir les pulsions belliqueuses des camps rivaux jusqu’aux consultations qui ont permis aux neuf notables de porter à nouveau M. Fézeu Ngandjong Marcel à la tête du village le 13 août 198813.

Les autorités administratives contribuent donc, à travers leur implication dans la gestion des conflits dans les sociétés traditionnelles, à rendre les délibérations portant sur ces conflits efficaces, étant donné que non seulement elles amènent le plus souvent les protagonistes à faire des concessions importantes, mais également elles disposent des

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moyens nécessaires pour faire respecter les diverses résolutions adoptées. La gestion des tensions entre plusieurs chefferies constitue également un site privilégié d’observation de la participation des responsables administratifs aux délibérations publiques portant sur la recherche de solutions aux conflits qui traversent épisodiquement les sociétés coutumières bamiléké. En effet, face au problème foncier engendré par l’extension du périmètre urbain de Mbouda par exemple, des réunions regroupant à la fois tous les cinq chefs traditionnels de la ville accompagnés de leurs notables et des responsables étatiques de la localité se sont fréquemment tenues (Kayo Sikombe, 2005 : 169). Le chef traditionnel le plus à l’aise au cours de ces assises est un professeur des lycées qui entretient des relations privilégiées avec les agents publics et dont les assujettis exercent de hautes fonctions politiques et administratives au niveau national. Ce réseau relationnel lui assure une marge de manœuvre considérable par rapport à ses pairs et lui permet de maîtriser dans une large mesure le processus décisionnel. Le même phénomène s’observe à Bafoussam où de puissants réseaux constitués par les élites intérieures et extérieures soutiennent généralement le chef pendant les négociations avec les autres parties prenantes au jeu autour des questions foncières dans la ville (Kayo Sikombe, 2005 : 170-171).

Dans un univers soumis plus qu’hier à une approche concertée des problèmes publics, les autorités traditionnelles se trouvent ainsi obligées de s’entourer de solides réseaux pour accroître l’efficacité de leurs actions. Les individus et les groupes qui composent ces réseaux ont en effet la capacité de solliciter et d’obtenir non seulement le soutien des instances supérieures de l’Etat, mais également l’expertise nécessaire pour peser sur la conduite des négociations.

Pour parler comme Olivier Nay (2002 : 63), on peut dire que les réunions de gestion des urgences dans les chefferies bamiléké apparaissent comme des lieux où des équipes en concurrence entrent directement en contact et s’engagent dans des jeux de rivalité, d’arbitrage et d’arrangement pour tenter d’orienter les décisions publiques adoptées lors des délibérations sur l’espace public. Leur fonctionnement est donc révélateur des stratégies que les autorités traditionnelles mettent en œuvre pour essayer de faire face aux

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perpétuelles mutations de l’environnement socio-politique dans lequel elles évoluent.

Toutefois, si ces réunions sont d’abord des espaces de conflictualité, elles sont aussi et surtout des cadres de communication où s’échangent des informations, des points de vue, des analyses et des problématiques qui, loin d’être seulement des armes pour s’affronter dans les luttes politiques, sont également des outils de réflexion, des cadres cognitifs, des schèmes d’évaluation qui vont permettre une harmonisation progressive des représentations du problème en cours de résolution (Eymeri, 2002 : 164). C’est ce qui explique qu’elles débouchent le plus souvent sur un compromis, même si ce compromis est généralement fragile et précaire.

La gestion du conflit frontalier entre les chefferies Fongo-Tongo (en pays bamiléké) et M’mockmbin (dans l’arrondissement d’Alou, province du Sud-Ouest) est très significative à cet égard. Les différentes réunions qui suivent dans la plupart des cas le déclenchement des affrontements physiques entre les deux communautés mettent en scène non seulement des autorités traditionnelles telles que les chefs des deux groupements, certains notables et les chefs de quartier des zones disputées, mais également les sous-préfets de Dschang et d’Alou et/ou leurs adjoints, des agents des services des domaines, des représentants des cadastres et des forces de maintien de l’ordre14. Et en dépit du remarquable cloisonnement des intérêts en présence du fait de l’extrême diversité des milieux et des services de filiation de leurs membres, ces réunions procèdent généralement à une tentative de rapprochement des positions des différents protagonistes qui débouche sur un certain « refoulement des pulsions » (Elias, 1991 : 241), ce qui permet de maintenir un précaire « équilibre de tensions » sur le terrain.

Quoique la participation des responsables étatiques à certaines assises des chefferies bamiléké engendre une réelle complexification de leurs processus délibératifs, elle semble donc apporter aux diverses parties prenantes au jeu socio-politique local un minimum de satisfaction. Car en même temps qu’elle permet à l’Etat de préserver ses « chances de puissance » (Elias, 1991 : 20), elle contribue au maintien de la stabilité et de l’harmonie dans le milieu traditionnel en concourant à la mise en concordance des positions parfois diamétralement opposées et extrémistes. Loin d’être une source de l’entropie, elle apparaît ainsi plutôt

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comme un facteur de la pérennisation de la délibération dans l’espace public au sein des sociétés traditionnelles. Elle contribue remarquablement à son auto renforcement et surtout à son maintien comme l’une des principales marques de la culture locale. Cette réalité se trouve renforcée par la délocalisation des sites de la délibération sur l’espace public du fait de l’émigration massive du peuple bamiléké.

B - La délocalisation des sites de la délibération comme réponse à l’émigration massive du peuple bamiléké

L’exigence d’appropriation de ce que J. C. Warnier (1993 : 192) qualifie à la suite de J. F. Bayart de « ressources de l’extraversion » ayant amené de nombreux ressortissants de l’Ouest-Cameroun à quitter la région pour s’éparpiller dans le pays et même à travers le monde tout en maintenant de solides attaches avec leurs terroirs d’origine (Tchoupie, 2005 : 102-106 ; Abé, 2005 : 51), l’on assiste ici à une véritable crise du « territorialisme méthodologique »15, et il devient de plus en plus absurde de considérer la fixation dans l’espace comme l’unique critère de définition du cadre des délibérations dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké. La diaspora de ces chefferies, en revendiquant son attachement affectif à sa localité d’origine, impulse une dynamique politique qui serait rebelle à tout confinement territorial des lieux de discussion. Les pratiques délibératives dans ces sociétés se sont en effet étendues non seulement dans les différentes localités d’accueil de leurs émigrants, mais également dans les moyens de communication de masse.

1 - La transformation par les émigrants de leurs localités d’accueil en nouveaux sites de délibération sur l’espace public

Si de nombreux bamiléké ont été pour une raison ou pour une autre amenés à quitter leurs chefferies respectives d’origine pour s’installer dans d’autres contrées du Cameroun et même du monde, ils n’ont pour autant pas abandonné les principales pratiques qui constituent les traits essentiels de leur culture, cette réalité s’expliquant dans une large mesure par le concept de « dépendance au sentier » (path dependence)

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André Tchoupie

qui renvoie au fait que les choix opérés dans le passé continuent d’exercer une remarquable influence sur le comportement ultérieur des acteurs. Les différents villages que comporte le pays bamiléké ayant en effet été toujours structurés par une pléthore d’associations qui épousent tantôt les contours des sociétés sécrètes à connotation magico-religieuse, tantôt ceux des groupes de danse traditionnelle, tantôt ceux des réunions des habitants de tel ou tel quartier, leurs ressortissants vont transposer dans leurs diverses localités d’accueil cette pratique associative.

Hors du terroir en effet, les ressortissants de chaque village se regroupent en associations dont le nombre et la taille dépendent dans une large mesure du chiffre de ces ressortissants dans leurs localités d’accueil. C’est ainsi que pendant que certaines agglomérations ne comportent qu’une association regroupant l’ensemble des bamiléké vivant en leur sein, d’autres, à l’instar de Yaoundé et Douala, abritent des « réunions de famille », de quartiers, de classe d’âge, des élites, des épouses des originaires d’un groupement, des associations de danse traditionnelle, etc. (Tchoupie, 2005 : 104).

Ces diverses associations, qui tiennent hebdomadairement ou mensuellement leurs assises soit dans un foyer spécialement construit à cet effet, soit dans la résidence de l’un des membres, apparaissent comme des cadres de rencontres et de débats sur des questions inhérentes aussi bien à la survie de leurs membres dans leurs localités d’accueil qu’au groupement d’origine de ces membres.

Les diverses associations des ressortissants de chaque chefferie traditionnelle de l’Ouest-Cameroun se trouvent par ailleurs coiffées par un cadre global de délibération communément appelé « comité villageois de développement »16, même si la dénomination concrète de cet organe change parfois d’une communauté à l’autre. Apparaissant dans la pratique comme une véritable superstructure, ce comité se rencontre dans presque toutes les chefferies bamiléké. Il est spécialement chargé de coordonner et de réaliser toutes les opérations jugées nécessaires pour le progrès économique, social et culturel du groupement. Il prolonge la réflexion entamée au niveau des instances inférieures sur les problèmes spécifiques de la chefferie et dégage les stratégies et les moyens de les juguler.

L’analyse de son organigramme révèle qu’il est partout composé d’un organe central dont les membres sont élus et dont le chef supérieur du village est d’office membre d’honneur, et des organes périphériques

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L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

constitués des divers démembrements du comité et des différentes réunions des ressortissants de la chefferie disséminées dans le pays et même à l’extérieur du territoire national17. La périodicité de ses assises varie d’une communauté à l’autre ; mais dans la plupart des cas, les sessions ordinaires sont annuelles ou bi-annuelles, et des réunions extraordinaires peuvent en cas de nécessité être convoquées.

L’épaisseur des débats lors de ses délibérations peut être appréciée à partir de la diversité des problèmes qui y sont traités et du volume d’argent qu’il mobilise pour ses diverses interventions. Ses réalisations couvrent en effet des domaines aussi variés que l’éducation, la santé, les infrastructures routières, l’électrification rurale, l’aménagement des points d’eau potable, la dotation de la chefferie en nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’emploi des jeunes, la modernisation des institutions traditionnelles, etc., comme le montre en partie la liste des travaux effectués dans le groupement Bangang (dans le département des Bamboutos) entre 1988 et 1993 par son comité de développement.

Tableau 2: Liste des réalisations effectuées après délibérations dans l’espace public par le comité de développement de Bangang entre 1988 et 1993

Réalisations Coût au 15/8/1993

Pourcentage des dépenses

Construction du collège d’enseignement secondaire

8 455 225 43,2%

Construction du complexe tribune de la chefferie

6 047 430 31%

Equipement du dispensaire public 2 073 328 11% Organisation des semaines de

développement

1 140 300 5,82% Déplacements et transport 696 035 3,55% Impression des cartes de

membres 413 000 2,11%

Interventions diverses 339 800 1,73% Réception 106 000 0,54% Autres dépenses 206 265 1,05%Total 19 564 830 100%

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André Tchoupie

Source : M. Kuété, « La ville paie ses dettes envers la campagne des hautes terres de l’Ouest-Cameroun : transformation des paysages », in F. Bart, S. Morin, et J. N. Salomon (dirs), Les montagnes tropicales : identités, mutations et développement, Pessac, 2001, p.379.

Les diverses réunions au cours desquelles l’on délibère sur ces réalisations sont loin d’être de simples rencontres entres acteurs poursuivant des buts identiques. Ce sont surtout des cadres de négociation et de cloisonnement des idées et des rôles dont on conçoit mal qu’ils ne génèrent des attentes particulières. Les divers enjeux qui se tissent ici font de la prise de décision un processus complexe dans lequel les acteurs modernes jouent un rôle très important, tandis que le poids des acteurs traditionnels devient de plus en plus négligeable (Kayo Sikombé, 1989 : 34). Le caractère démocratique des échanges qui précèdent l’adoption des axes prioritaires d’intervention ici est certes contrasté à cause du fait qu’autant au moins une majorité simple est généralement requise pour le vote d’un projet, autant ceux dont la contribution à la réalisation dudit projet s’avère déterminante influencent le plus souvent directement ou indirectement le sens et le contenu de la décision finale. Mais ceci ne saurait obscurcir la thèse selon laquelle la démocratie participative dans les comités villageois de développement offre une solution politique alternative, à mi-chemin entre les formes institutionnelles de la démocratie représentative et l’espace public informel et discontinu de débats (Enguéléguélé, 2005 : 148).

Le fonctionnement de ces comités, tout comme celui de la plupart des autres structures de débats et de prise de décisions dans les chefferies bamiléké contribue ainsi à consolider le processus d’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public en leur sein, étant donné que non seulement il tend à rendre obsolète la gestion monopolistique ou non concertée du pouvoir, mais également il inscrit le modèle collégial de prise de décision dans le triple processus de l’extériorisation par laquelle ce phénomène se détache des acteurs qui l’ont fait naître, de l’objectivation par laquelle il acquiert l’apparence d’une réalité objective et de l’intériorisation qui le fait passer dans le domaine des dispositions durables de l’ensemble des agents socio-politiques (Berger et Luckmann, 1986 : 77-175 ; Quantin, 2004 : 26), toutes choses qui caractérisent l’émergence et l’enracinement d’une

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institution. L’ancrage de la délibération dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké s’est d’ailleurs renforcé ces dernières années par l’apport des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

2 - L’érection des nouvelles technologies de l’information et de la communication en instruments privilégiés de la délibération dans l’espace public

La dispersion des ressortissants du « pays bamiléké » dans les diverses régions du Cameroun et même du monde a engendré la production d’un espace de la localité qui semble rebelle à tout confinement territorial. En quittant massivement leurs chefferies d’origine tout en gardant de solides attaches avec elles, les émigrants bamiléké ont transformé l’espace de la contrée en un véritable « espace réticulaire » au sens de B. Antheaume, D. Delaynay et M. Portais (1987 : 3), c’est-à-dire en un cadre spatial où prédominent des réseaux fortement déstructurants pour l’organisation traditionnelle de l’espace et où se multiplient des liens d’interdépendance entre les territoires. Au principe de territorialité se substitut ainsi un autre mode d’articulation des individus et des groupes dans la localité, marqué par la disparition des contraintes d’ordre spatial.

Etant donné que l’ordre des réseaux qui émerge à la suite de cette dynamique transperce et cisaille celui du territoire, l’affaiblit et lui fait perdre cette cohésion et cette exceptionnalité qui fondait sa nature essentiellement politique (Badie, 1997 : 135), les techniques traditionnelles de délibération dans l’espace public, tout en demeurant opérantes, perdent beaucoup de leur efficacité dans la mesure où les contraintes de tous ordres ne permettent le plus souvent pas à l’ensemble des membres d’une communauté de se regrouper à un endroit précis pour débattre des questions concernant soit leur chefferie d’origine, soit leurs problèmes existentiels. La mobilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication s’est dans ces conditions imposée comme une exigence fonctionnelle du système politique traditionnel.

Certes, ces nouvelles technologies tendraient à accentuer l’inégalité d’accès des individus au débat public du fait des barrières économiques

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et intellectuelles qui excluent le plus souvent de nombreuses personnes de leur utilisation (Rieffel, 2001:33-34). Mais l’on assiste à une progressive technicisation de la délibération sur l’espace public dans les chefferies bamiléké qui débouche sur un élargissement croissant du cercle de ceux qui procèdent de temps en temps à l’utilisation des « machines à communiquer » dans les échanges socio-politiques.

De nombreuses sociétés traditionnelles des hautes terres de l’Ouest-Cameroun ainsi qu’un certain nombre de leurs ressortissants se sont dans cette perspective d’abord dotés de postes de téléphone fixe. Même si l’impact de cette technique de communication sur la pratique délibérative s’est trouvé limité du fait du coût particulièrement élevé de son acquisition et de l’impossibilité de son utilisation hors de la maison ou hors du bureau, ces obstacles ont été surmontés grâce à l’expansion actuelle de la téléphonie mobile. Une forte majorité de personnes intervenant ou susceptible d’intervenir dans le processus de délibération dans l’espace public ici dispose en effet de nos jours de téléphones portables, leurs prix devenant de plus en plus bas et leur utilisation s’étant affranchie des contraintes de lieu, de niveau intellectuel et de langue.

La mobilisation de l’outil téléphonique dans la délibération dans l’espace public ici se renforce de plus en plus par le recours à l’Internet. En plus des villages comme Bandenkop par exemple qui disposent d’une salle Internet en leur sein, les chefferies telles que Bafoussam, Baleng, Bamougoum, Bangangté, Foréké-Dschang et Bafang se trouvent en effet de nos jours fortement urbanisées et voient se proliférer sur leurs territoires des « cybers cafés ». Ceci permet à leurs ressortissants disséminés aussi bien dans le champ socio-politique local que hors de la région de discuter et de débattre des problèmes de leurs chefferies sans nécessairement avoir à se déplacer vers les lieux où sont localisées lesdites chefferies. L’Internet se présentant surtout comme un « média multimodal » selon l’expression de Peter Dahlgren (2000 : 157-186), c’est-à-dire comme un média offrant la possibilité de communiquer d’un seul vers beaucoup d’autres (one to many), ou d’une pluralité d’utilisateurs vers une pluralité d’usagers (many to many), il se joint à la téléphonie mobile pour contribuer à la résolution de l’épineux problème de l’éparpillement des différentes parties prenantes au processus décisionnel au sein des chefferies bamiléké dans le pays et dans le monde. Chaque

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acteur qui, pour une raison ou pour une autre se trouve éloigné du lieu de la prise d’une décision se trouve en effet désormais à même de présenter son point de vue et de mobiliser les différents arguments dont il dispose pour l’imposer ou pour essayer de l’imposer aux autres. Ceci cadre parfaitement avec l’idée selon laquelle les nouvelles technologies de la communication en général et le couple téléphonie-Internet en particulier sont venues modifier profondément les règles de fonctionnement des sociétés et des territoires dans le monde contemporain (Chéneau-Loquay citant Gene, 2001 : 36).

Cette modification se trouve d’ailleurs accentuée par l’action des moyens de communication de masse tels que la presse écrite, la radio et la télévision. Contrairement au téléphone et à Internet qui permettent aux acteurs du jeu socio-politique de sélectionner ceux qui peuvent s’exposer à leur message, ces médias ont été surtout conçus pour s’adresser à un large public. C’est pour cela que certains intervenants dans le processus de délibération dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké n’hésitent de temps en temps pas à les utiliser comme cadres privilégiés d’expression des opinions et de confrontation des idées. L’observation de la pratique des acteurs ici révèle en effet que les résidants de la province de l’Ouest recourent à cet effet surtout aux médias locaux tels que « Ouest Echos » et « Flash Infos » au niveau de la presse écrite, et aux chaînes radios telles que « Radio Batcham » et la station provinciale de radio Cameroun de l’Ouest à Bafoussam, « Radio Yemba » à Dschang et « Radio Medumba » à Bangangté. Ceux de la diaspora quant à eux sollicitent principalement les services des médias à grande audience. Il s’agit entre autres du poste national de la Cameroon Radio Television (CRTV), des journaux tels que Le Messager, Cameroon Tribune, La Nouvelle Expression et Mutations, et des chaînes de télévision telles que la CRTV Télé, Equinoxe TV, Canal2 International et STV, la plupart de ces différents médias étant sur satellite.

Quoique leur contribution à la prise de décision dans les chefferies bamiléké soit limitée par un certain nombre de pesanteurs parmi lesquelles figurent en bonne place la non gratuité des espaces médiatiques, l’exigence du respect de la ligne éditoriale de chaque organe d’information et l’impossibilité pour de nombreux individus d’acheter régulièrement les journaux ou de s’exposer continuellement aux médias audio-visuels, ces moyens de communication de masse

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s’associent au téléphone et à Internet pour faire apparaître la délibération dans l’espace public ici comme un processus complexe impliquant des acteurs qui ne se trouvent nécessairement pas dans un même cadre spatial, mais qui rivalisent pour imprimer à la décision en cours d’élaboration des marques particulières. La diversité des formes d’intervention mises à la disposition des acteurs par ces outils les érige en véritables forums de débats et surtout en instruments privilégiés de la perpétuation de la délibération sur l’espace public dans la culture bamiléké.

Conclusion

L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public au sein des chefferies bamiléké de l’Ouest-Cameroun s’inscrit dans une trajectoire historique. Elle est largement marquée par l’empreinte des origines et apparaît comme « une manifestation de la culture en action ». Elle est constamment traversée par des dynamiques de métissage et de réinvention. Car face aux diverses mutations induites dans les sociétés traditionnelles par l’avènement des Etats modernes et par « l’occidentalisation du monde », les délibérations dans l’espace public qui s’y déroulent connaîtront de profondes transformations allant globalement non pas dans le sens de la régression, mais plutôt dans celui de leur adaptation aux exigences d’un environnement particulièrement instable. Les pratiques délibératives se présentent en effet comme une importante dimension de la culture du peuple bamiléké. Elles fournissent un système de significations que ce peuple utilise pour régler sa vie quotidienne et servent de base à l’identité sociale qui conditionne dans une large mesure la manière dont il se classe et perçoit son appartenance (Quantin 2004 : 22).

Notes1. Précisons que le terme « fo » en langue bamiléké signifie chef traditionnel.

2. Nous paraphrasons ici L Sindjoun, La politique d’affection en Afrique noire : société de parenté, société d’Etat et libéralisation politique au Cameroun, Boston University, 1998, p.3.

3. Sur le concept de « démocratie délibérative », voir J. Cohen, cité par J Habermas, L’espace public, Paris, Payot, 1997, p.XXV.

4. Source : entretien avec des autorités traditionnelles bamiléké

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L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

5. Ibid.

6. Source : entretien avec des autorités traditionnelles bamiléké.

7. Pour une tentative de classification des diverses associations qui structurent les chefferies bamiléké de l’Ouest-Cameroun, voir entre autres : E. K. Kwayeb, Les institutions publiques du pays bamiléké (Cameroun) : évolution et régime actuel, Paris, LGDJ, 1960 ; B. Maillard, Pouvoir et religion : les structures socio-religieuses de la chefferie de Bandjoun (Cameroun), Bern, Peter Lang, 1985, 277 p.

8. Cf. N. H Chau, cité par J. Rojot, Théories des organisations, Paris, ESKA, 2003, p.153.

9. Source : Entretien avec des notables traditionnels bamiléké.

10. Cf. P. F Gonidec, cité par M. Kamto, Pouvoir et droit en Afrique : essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d’Afrique noire francophone, LGDJ, Paris, 1987, p.146

11. Cf. Cercle d’Action Foréké-Dschang Infos N°27, décembre 2006-janvier 2007, p.3.

12. Voir entre autres sur ce point : L’Equatorial N°030 du 24 décembre 2003, pp.3-5 ; Flash Infos N°081, janvier 2004 : p.8

13. Sources : données recueillies sur le terrain.

14. Source : Archives du service départemental des domaines de la Menoua.

15. Cf. J. A Scholte, cité par L. Sindjoun, Sociologie des relations internationales africaines, Paris, Karthala, 2002, p.7.

16. Cette structure ne doit pas être confondue avec les comités de développement créés par les autorités étatiques à travers le décret présidentiel du 24 mars 1977.

17. Source : Enquête que nous avons menée au niveau des membres de certains comités de développement du pays bamiléké.

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L’institutionnalisation des délibérations dans l’espace public des chefferies bamiléké de l’ouest-Cameroun

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L’ESPACE PUBLIC CAMEROUNAIS A L’EPREUVE DE LA CONSTRUCTION DES RESEAUX ROUTIERS

DE COMMUNICATION1

Jospeh KeutcheuUniversité de Yaoundé II

Introduction

L’élaboration par Jürgen Habermas du concept d’Öffentlichkeit ou espace public à la fin des années 50 et au début des années 60 a constitué une avancée théorique considérable dont on n’a pas fini de tirer les enseignements. Pour autant, on ne peut nier d’une part que ce concept a été en quelque sorte victime de son succès et, d’autre part, qu’il n’est pas exempt de défauts. Il est frappant, en effet, de constater que la formule « espace public » est souvent utilisée à mauvais escient ou, en tout cas, qu’elle est employée dans une acception tellement large qu’elle n’a plus qu’un très lointain rapport avec la théorie d’Habermas1. Il est donc logique de dire au préalable ce que l’espace public veut dire avant de dire l’espace public dans son rapport au réseau routier. Pour Habermas, l’espace public est ce lieu de discussions formelles et informelles situé, selon une topographie mouvante et incertaine, quelque part entre la société civile et l’Etat. Il constitue une sorte de « caisse de résonance » susceptible de « répercuter les problèmes qui, ne trouvant de solution nulle part ailleurs, doivent être traités par le système politique » (Habermas, 1997 : 386.) Nous le considérons simplement comme le lieu d’identification et de thématisation des pans problématiques du monde vécu, comme un réseau permettant de communiquer des contenus et des prises de position, et donc des opinions sur les questions de société. C’est un espace symbolique où

1 Le présent article est tiré d’une réflexion en cours en vue de la rédaction d’une thèse de science politique intitulée « Voies de communication et construction de l’Etat au Cameroun », thèse dont la rédaction se fait à l’Université de Yaoundé II sous la direction du professeur Luc Sindjoun. La thèse en question bénéficie du financement du Programme de petites subventions du CODESRIA pour la rédaction des mémoires et thèses.

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s'opposent et se répondent les discours, la plupart contradictoires, tenus par les différents acteurs politiques, sociaux, religieux, culturels, intellectuels, composant une société. Aussi la modeste ambition de la présente réflexion est d’établir un rapport entre construction du réseau routier et perspective génétique d’un espace public au Cameroun. Le projet tient évidemment compte de ce que le réseau routier est un élément parmi tant d’autres que l’on peut prendre en compte dans une telle perspective. On fait notamment allusion ici à la turgescence du discours sur les réseaux numériques portés au rang de deus ex machina de l’intégration sociale (Rheingold 1993 ; Coisne et Soussin, 1998 ; Castells, 2001 ; Granjon, 2001).

Aborder les infrastructures de transports et de circulation notamment le réseau routier comme objet d’étude en sciences sociales en général et en science politique en particulier peut sembler curieux compte tenu du statut scientifique dudit objet. En effet, Dans la cité des chercheurs, les réseaux techniques [notamment routiers] restent encore rejetés dans les bas-fonds de la connaissance, véritable impensés urbanistiques. [Ils] ne semblent mériter qu'un regard condescendant, […] la chose technique motive peu les sciences sociales (Offner, 2000 : 137).

Bien peu de choses ont été écrites sur les réseaux routiers, notamment sur leurs incidences sociopolitiques, culturelles et surtout territoriales. On rappellera dès lors que ce relatif vide scientifique semble concerner bien d'autres réseaux en Afrique qui apparaissent comme les parents pauvres d’une science politique jalouse de son pré carré : processus électoral, ethnicité, élites politiques, institutions politiques. La modeste ambition du présent article est, entre autres, de s’intéresser à ces objets délaissés que sont les routes dans leur configuration en réseau2, d'investir des terrains de recherche encore insuffisamment explorés. Il s’agit en fait d’intégrer dans la production réflexive les choses les moins pensées (Bourdieu 2002, Peretti-Watel 2002) car les plus communément admises. L'intérêt d'une pensée en terme de réseau et non en terme de segments, de tronçons, tient à la prise en compte du rôle social et territorial des routes, c'est-à-dire au fait qu'ils relient différents lieux, différents territoires, différents individus. Le réseau routier est ainsi posé comme analyseur social et politique dans la mise en ordre de l’espace public. La question initiale de cette réflexion est donc la suivante : dans quelle mesure la construction de réseaux de communication telles que les

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L’espace public camerounais à l’épreuve de la construction des réseaux routiers de communication

réseaux routiers participe-t-elle à la formation d’un espace public camerounais ?

Interroger le rapport entre voies de circulation et formation de l’espace public nous met en demeure de mettre en exergue le public dans l’espace public. Comprendre le public dans l’espace public, c’est interroger sa relation avec l’espace, ses modes d’usage et de consommation, voire ses types d’appropriation : c’est interroger la consommation « mécanique » de l’espace d’une part (usage simple) et l’usage « humain » qui remonte à des enjeux politiques, sociaux, spatiaux, psychologiques, symboliques, historiques et culturels de l’autre part (relation complexe) (Tisseron, 1999 : 61). Comprendre le public dans l’espace public, c’est interroger sa relation et son rôle dans la constitution et dans la conception même de l’espace qu’il s’approprie : c’est interroger sa participation comme acteur principal qui a une grande connaissance de son espace. Dans la présente réflexion, la pratique du réseau routier constitue la clé principale de compréhension du public dans l’espace public ; étant entendu que l’espace public renvoie, dans une perspective habermasienne, à un espace de débat politique, qui concourt à la formation de l’opinion et de la volonté des citoyens et permet l’élaboration d’une critique des pouvoirs et des institutions en place ainsi que l’expression de nouveaux besoins, transmis depuis la périphérie du système politique jusqu’à son centre. On note donc un lien intrinsèque entre construction du réseau routier camerounais et construction de réseaux sociaux, de construction d’une société en réseau.

Nous voulons de ce fait indiquer que l’analyse de la formation d’un espace public au Cameroun et même les discussions relatives à la viabilité d’un tel espace ne peuvent faire l’économie d’un arrêt sur l’implantation de ces infrastructures phares et donc, sur la mise en relation des camerounais, sur l’activation subséquente d’un processus interactif complexe (I). On replace ainsi la notion « d'espace public » là où elle émerge, c'est-à-dire à l'intersection des champs de l'aménagement du territoire et des sciences sociales (Betin, 2001 : 47-54)3. Ce faisant, à travers l’inégale distribution spatiale des réseaux de communication et la révélation d’une société en archipel, on met en exergue la configuration baroque de l’espace public camerounais (II).

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Joseph Keutcheu

I – Le projet de formation d’un espace public camerounais peut-il faire l’économie de la construction des voies de circulation ?

Espace physiquement inscrit dans le sol, un espace immatériel où circulent les idées, l’espace public camerounais est le produit des réseaux de l’intersubjectivité. Les réseaux de communication, notamment les réseaux routiers lient inter-subjectivement les Camerounais au sens où ceux-ci habilitent l’individu à vaincre son isolement et à devenir un acteur proprement social. La formation d’un espace public camerounais est dans une grande mesure redevable au génie du territoire qui se manifeste à partir de l’implantation d’infrastructures de communication telles que les routes sur un espace géographique, propriété de l’Etat (2). Ce sont en effet les infrastructures qui donnent sens à l’espace, qui forment les territoires et qui permettent d’en mobiliser les ressources. Elles sont à la fois la trace et le moyen de toutes les grandes réalisations politiques. Dès lors, l’enclavement, perçu comme un mal, qu’il s’agisse du processus de fermeture causé par un obstacle originel ou plutôt par une accumulation d’obstacles spatialement concentrés, est envisagé comme obstacle à la projection de l’ordre politique et à la construction d’un espace public (1).

Figure 1 : Le Cameroun éclaté ou l’appel à commutation spatiale

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L’espace public camerounais à l’épreuve de la construction des réseaux routiers de communication

1 - L’enclavement : subversion du principe de publicité et rédhibitoire à l’éclosion d’un espace public camerounais

L’espace public est abordé ici dans la perspective habermasienne, sans préjudice des différentes critiques afférents à cette perspective4, comme le lieu où s’élabore la critique des pouvoirs, des institutions, des injustices, où se formulent des revendications identitaires, sociales, politiques ou culturelles, où se forment par des voies à la fois formelles et informelles un pouvoir communicationnel susceptible d’influencer les pouvoirs judiciaire et administratif. Le processus de création dudit espace public au Cameroun est concomitant à celui de la formation de l’Etat. En

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effet, dans la pratique, il existe un rapport fort entre le processus de territorialisation, c’est-à-dire, l’établissement progressif d’un ordre politique sur le territoire camerounais et l’élaboration, l’opérationnalisation du principe de publicité qui est au centre de la dynamique de l’Etat. Dans cette optique, la territorialisation désigne le fait de : Construire et reconstruire sans cesse ce qui environne l’acteur social, matériellement et dans ses représentations : pour l’institution, c’est son aire de pouvoir ou d’influence ; pour l’individu, c’est une subite « alchimie» entre du personnel et du collectif (Di Méo, 1996). La construction du monolithe politique Cameroun résulte de la systématisation progressive de ses grands ensembles sociogéographiques (voir figure 1). Sans faire dans la « politologie de la carte postale5 », il convient de noter que le contrôle de l’espace et sa structuration par le pouvoir central est fortement dépendant de la « domestication » des aspérités physiques de l’espace. Penser la construction de l’Etat par un détour spatial passe en effet par la prise en compte de ces considérations topographiques. Il s’agit notamment pour le pouvoir central de neutraliser les freins à la circulation que constitue le relief accidenté de l’ouest et, ainsi, de capter la périphérie occidentale de l’Etat jusqu’aux confins de la frontière nigériane. L’impératif est de prendre pied au pays anglophone et de réussir une fois pour toute l’intégration des territoires anglophone et francophone. Autrement dit, il faut traduire géographiquement et concrètement la Réunification réalisée en octobre 1961. C’est dans cette perspective qu’il faut ranger la construction de l’axe routier Yaoundé-Bafoussam-Bamenda, un axe pleinement inscrit dans le schéma fonctionnel de l’intégration du territoire camerounais (voir figure n° 2).

Dans un tel contexte de territorialisation, les voies de communication tels que les routes se révèlent comme les instruments d’une cybernétique spatialisée au sein de l’Etat, mais aussi des instruments de mise en contact de l’individu avec son environnement immédiat et étendu. Elles participent à l’opérationnalisation du principe de publicité, donc au processus de construction de sens, le sens de l’Etat sur un espace territorialisé et labellisé Cameroun. Elles participent au processus d’imposition de d’ « esprits d’Etat » sur ledit espace (Bourdieu, 1993 : 49-62). De fait, la construction des routes participe de la mise en place de structures d’encadrement politique des populations

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camerounaises et, ce faisant, « produit du territoire » selon l’expression d’Alliès (1980). C’est notamment à travers la route que le sens de l’Etat, maître d’ouvrage, se construit dans des localités telles que Mokolo, Mora et Kousseri à l’Extrême-nord, Tibati, Tignère, Meiganga et Toubouro dans l’Adamaoua, Belabo, Garoua-Boulaï et Batouri à l’Est, Nkambé, Kumbo et Wum dans le Nord-ouest (voir carte).

Fondement de la théorie habermasienne de l’espace public, le principe de publicité constitue à nos yeux un concept qui porte loin et qui, mutatis mutandis, reste une référence pour analyser les rapports entre l’Etat camerounais et la société. Le principe de publicité constitue un des éléments essentiels de l’Etat, en même qu’un des principes fondamentaux du droit. Au Cameroun, les conséquences pratiques qui en attestent sont extrêmement nombreuses. D’une façon générale, la validité des lois, règlements, actes administratifs, jugements, délibérations des collectivités territoriales, etc., est subordonnée à leur publication et/ou à leur notification aux intéressés à peine de nullité. Dans un contexte où l’écoute de la radio et de la télévision se développe essentiellement dans le milieu urbain et continue à être rare en zone rurale, la route est le vecteur premier de cette publication, c’est le support des supports. A titre d’illustration, cela signifie concrètement que tout mariage entraîne la publication des bans, que les lois et décrets doivent impérativement être publiés au Journal Officiel, que les délibérations d’un conseil municipal doivent obligatoirement être affichées à l’extérieur de la mairie, que les jugements ne sont exécutoires qu’après avoir été rendus publics et notifiés aux condamnés par lettre recommandée, etc. Sauf exception prévue par la loi, tout ce qui concerne l’Etat, le gouvernement, le Parlement, les organes délibérants des collectivités territoriales, est nécessairement public, non seulement pour ce qui est des décisions, mais aussi pour ce qui est des délibérations: ainsi, toutes les assemblées élues, du conseil municipal à l’Assemblée nationale, se réunissent en séance publique, les procès sont publics, et il faut des circonstances très particulières, exceptionnelles, pour qu’intervienne le huis clos. Ainsi, dans le principe et dans la pratique, cet espace public favorise la co-présence des différentes communautés sur le sol camerounais. Envisagé ainsi, l’espace public est antinomique de l’enclavement, cet épouvantail de l’aménagement du territoire de l’Etat.

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L’enclavement se pose en s’opposant à la mouvance de la circulation et de l’ouverture à l’autre (Debrie et Steck, 2001 : 27). C’est une situation qui prend le contre-pied de l’opérationnalisation du principe de publicité et donc de l’émergence d’un espace public camerounais. La notion renvoie ainsi à une situation de fermeture spatiale. L’enclavement s’inscrit dans le champ lexical de l’emprisonnement, du blocage. Dès lors considérer les localités de Ngoila et de Gari-gombo dans la province de l’Est, d’Akwaya dans la province du Sud-Ouest comme des zones enclavées revient à considérer qu’elles sont en situation, d’isolement, de blocage, d’enfermement par rapport au « centre » politique yaoundéen et aux autres localités. C’est le fait de l’isolement géographique et métrique qui constitue ces localités en « enclaves ». En effet, ces zones sont étymologiquement des enclaves car elles sont partiellement fermées ou isolées dans un système de relations. Cet enclavement constitue de ce fait, un rédhibitoire à l’intégration de ces localités à l’espace public camerounais. Cette situation empêche en effet ou limite l’Etat dans son ambition de rendre publics, de faire connaître au public de ces localités, ses actes, ses décisions, ses projets, ses délibérations, etc., soit directement, soit par l’intermédiaire de la presse, de façon à ce que les citoyens, dûment informés, puissent organiser un débat public dans lequel ils puissent faire publiquement usage de leur Raison, afin que puisse se constituer une opinion publique éclairée, la Loi et l’action de l’Etat étant censés refléter ladite opinion publique.

Le concept d’enclavement est alors en rapport avec l’écart entre les projets de mobilités et les possibilités réelles d’ouverture (Debrie, 2005 : 4). Le plus souvent, cette approche est réticulo-centrique c’est-à-dire basée sur l’idée de réseaux, notamment de réseaux de communication ; l’absence d’infrastructures de transport est alors perçue comme isolement, marginalisation, enclavement. Dès lors, considérer les localités de Ngoila et de Garigombo dans la province de l’Est, d’Akwaya dans la province du Sud-Ouest comme des zones enclavées revient à considérer qu’elles sont en situation, d’isolement par rapport au « centre » politique yaoundéen du fait de leur inaccessibilité, du fait de l’absence de réseaux fiables de communication permettant de les relier au lieu-centre ou aux centres-relais. Ce sont donc des localités en situation de marginalisation, étant entendu que la marginalisation dans ce contexte est envisagée comme une contrainte négative, comme un rédhibitoire aux actions

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d’intégration politique et de production d’un espace public camerounais (Pallier, 1982 : 1190).Mention doit cependant être faite de ce qu’il n’existe pas d’enclave, ni d’isolat absolu. A l’échelle du Cameroun, il n’existe pas de lieux totalement isolés des autres ; la quête irrésistible d’interactions dans les espaces contemporains est telle que les obstacles ne parviennent pas à créer de l’étanchéité entre ces lieux et les autres. Les fermetures sont le plus souvent partielles et relatives. C’est dans cette optique que Jean Debrie n’hésite pas à dire que « la problématique de l’enclavement-désenclavement renvoie bien à la position des lieux sur le gradient qui va de la fermeture à l’ouverture » (Debrie, 2005 : 1). L’enclavement des localités de Ngoila et de Garigombo dans la province de l’Est, d’Akwaya dans la province du Sud-Ouest n’est pas intégral car il y existe des flux en direction de centre relais. Il se trouve simplement que sur le gradient qui va de la fermeture à l’ouverture, ces localités connaissent des situations proches de la fermeture. Il y a également lieu de dire que l’enclavement peut être contingent et conjoncturel. A titre d’illustration, à l’occasion de l’effondrement le 2 juillet 2004 du pont sur le Mungo, les localités telles que Tiko, Limbé, Buea, jusque-là ouvertes au reste du pays, se sont momentanément retrouvées en situation d’enclavement relatif car elles ne pouvaient plus être facilement en contact avec une grande du pays, y compris avec le centre yaoundéen. Dans le même ordre d’idées, la figure de l’enclavement relatif et contingent est prédicable aux zones qui se trouvent en situation de fermeture par rapport à certains centres relais ou au centre yaoundéen du fait du coût élevé du transport. En empruntant le langage économique, on peut dire que la hausse des tarifs de transport a un effet immédiat sur l’utilité marginale à voyager ou à se déplacer d’une grande partie de la population camerounaise dont les revenus sont modestes. Si ces coûts sont prohibitifs, le transfert d’une zone A à une zone B ne peut se faire. L’intégration de telles localités à l’espace public camerounais s’en trouve donc affectée. La présence ou l’absence de voies de circulation est ainsi au cœur du procès d’une sphère publique camerounaise.

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Joseph Keutcheu

Figure n° 2 : Schéma fonctionnel de l’intégration du territoire camerounais

2 - Voies de circulation : sociogenèse et procès de la sphère publique camerounaise

Nous abordons les réseaux de communication comme des instruments des projets de continuité, de mise en relation et d’ouverture. On peut dire avec Nicolas Currien que ce sont des outils

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« d’intermédiation et d’interconnexion » (Currien, 1992). Dans cette optique, la formation de l'espace public camerounais, est fortement justiciable de la mise en place de réseaux de communication et du processus occurrent de création d’une opinion publique nationale (Blondiaux, 1998). Elle est tributaire de la production de flux d’informations et des interconnexions entre les composantes sociopolitiques du Cameroun (Degenne et Forsé, 2004 : 35-56 ; Chevallier, 1985 : 79-81). Dans cette perspective, les routes au Cameroun permettent une configuration sociétale du pays. En effet, toute action communicative a pour but l’intersubjectivité. Les infrastructures routières plongent les individus dans les réseaux et permettent la force de l’intersubjectivité socialisée. Il est question, à partir de cette posture, de déconstruire les fausses évidences de la pratique quotidienne des routes qui, très souvent dans le langage commun, sont confinées au simple statut d’instruments de transport des biens économiques. D’ailleurs, tout le débat à propos de la construction des routes au Cameroun et toute la glose sur l’enclavement de la région X et du désenclavement de région Y sont fortement structurés par cet impensé économique. Sortir de l’usage routinier des routes dans le champ discursif revient à prendre au sérieux les interconnexions et interdépendances induites par ces infrastructures comme productrices d’un espace public.

Il y a lieu de noter que l’espace public qui naît ainsi à travers le réseau routier est co-produit dans le cadre de la formation de l’Etat camerounais (voir figure). Il est le produit du processus de territorialisation et d’intégration mené par l’Etat en même temps qu’il procède de la dynamique des usagers du réseau routier qui disposent à l’égard de cet objet technique d’une autonomie créatrice qui leur permet de développer des tactiques d’appropriation ou éventuellement de résistance capables d’agir sur la forme de l’intégration envisagée. (Lambert, 2004 : 113). On peut donc penser qu’en tant qu’espace de rencontre, espace d’expression sociopolitique, « l’espace public, c’est sans doute l’espace qui se dessine, qui se conçoit et qui se programme, mais c’est aussi l’espace qui ne qui ne se décrète pas, et qui se co-produit dans le vécu et dans les perceptions de ses usagers » (Levasseur, 1991 : 19).

Les voies de circulation modernes comme instruments de monopolisation de l’espace politique au Cameroun, mais aussi comme

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levier de production de l’espace public camerounais, s’inscrivent originellement dans un champ chronologique précis, les périodes successives de domination allemande, française et britannique, puis la période postcoloniale. Dans cette perspective, nous estimons que pour intelliger l’espace public en formation, il faut être en mesure de retracer le processus de construction des « complexes institutionnels » relevés par Antony Giddens (1990), processus qui, au Cameroun, est inséparablement lié à la mise en place des infrastructures de communication. En effet, selon Giddens, l’agrégation progressive des « complexes institutionnels » est au cœur de la naissance de l’Etat. Il s’agit notamment du rapprochement surveillé des populations dispersées sur un espace en territorialisation, rapprochement qui est constitutif d’un marché politique et économique national ; de l’appropriation des fonctions contraignantes et représentatives qui lui confère une assise territoriale et de l’accumulation du pouvoir administratif qui améliore les modes de gouvernance. Evidemment cette agrégation a fortement partie liée avec la tutelle progressive sur la distance. On comprend donc que la construction des voies de communication soit au principe de la production d’une infrastructure territoriale nationale et…d’un Etat au Cameroun. Elle est dans le même temps au principe de l’émergence d’un espace public camerounais car, à travers les flux d’informations et de personnes qu’elle facilite, elle participe à constitution d’une opinion publique camerounaise.

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L’espace public camerounais à l’épreuve de la construction des réseaux routiers de communication

Figure 3 : Les nodalités politiques ou points de projection de l’Etat

Dans la perspective de la co-production ci-dessus évoquée, il y a lieu de relever qu’en même temps que le réseau routier qui se met progressivement en place au Cameroun pendant la période coloniale

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favorise la territorialisation des dominations allemande, française et anglaise, il participe à la territorialisation du sentiment anti-colonial. On est ainsi en plein dans « le malentendu colonial » (Keutcheu, 2006 : 27-38). L’imperium des puissances allemande, française et anglaise au Cameroun repose grandement sur le recours à la construction des infrastructures de contrôle politique telles que les voies de communication. Ce contrôle politique des hommes se fait évidemment par la médiation du sol ; le territoire devient un instrument de l’action politique (Badie, 1995 : 12). Ici, l’enjeu est précisément l’occupant du territoire : la population. Il est question de la mettre au service de l’exploitation de la rente coloniale. Paradoxalement, cette technologie de contrôle des populations et du territoire camerounais sert également à diffuser la subversion de l’autorité coloniale. A titre d’illustration, c’est à travers le processus de territorialisation (par la construction des voies de communication) qu’ils initient que les Allemands parviennent à fédérer contre eux les mécontentements des populations.

Dès lors, on peut difficilement confiner le sentiment anti-colonial dans une partie du pays ; le maillage colonial du territoire par les voies de communication telles que les routes suppose évidemment la dissémination des méthodes d’administration récriminées et donc, la dissémination du sentiment anti-colonial. A titre d’illustration, la carte du maillage routier du Cameroun allemand correspond pratiquement à celle de la répartition de la subversion de l’ordre politique germanique au Cameroun : révolte de Lock Priso de Hickory Town (Bonabéri) et de Elamé de Joss (Douala) en 1884 ; des Bakweri en 1894, de Lionn de Ngila en 1895, des Ewondo conduits par Omgba Bisogo de 1895 à 1896, des Bene conduits par Amougou Baana de 1897 à 1898, des Boulou sous la conduite de Oba’a Mbeti (1899-1900), des Bafut et des Bandeng en 1901, du Lamido Soulé de Rey Bouba en 1901, du Lamido Oumarou de Banyo en 1902, de l’émir de Yola en 1902, des chefs Bangwa à l’ouest du pays en 1903, etc. (Owona, 1996 : 90-91 ; Ebune, 1992 : 24). En charriant l’identité nationale camerounaise, le réseau routier colonial participe en fait à l’émergence d’un espace public camerounais, un espace social très informel qui ne requiert, de la part de ceux qui y participent, que la maîtrise d’une langue naturelle et la capacité élémentaire de pouvoir prendre part aux pratiques quotidiennes de la communication. On voit clairement à l’œuvre le « génie du lieu », c’est-à-dire, « […] ce qui fait

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que tant bien que mal, sur un territoire donné, les uns s’ajustent aux autres, et les uns et les autres à l’environnement naturel [et politique]» (Maffesoli, 1988 : 35).

Quid de la période postcoloniale ? Elle correspond simplement à un moment de recyclage de l’espace public camerounais né pendant la période coloniale. Ici aussi, le réseau routier mis en place s’inscrit dans les logiques spatiales de la construction de l’Etat. Dans l’étude du rapport entre route et formation d’un espace public, trois fonctions du réseau routier camerounais sont repérées : une fonction d’usage, une fonction de message, une fonction d’ordre. En ce qui concerne l’usage, on envisage le réseau routier comme permissif de la circulation. La route, tout en érodant la distance entre les lieux et les groupes humains, favorise la mobilité des personnes, mais aussi et surtout la diffusion de l’information à travers le territoire de l’Etat. A côté de cette simple facilitation de la circulation des hommes et des messages, se joue une véritable opération politique menée par l’Etat postcolonial: le déploiement du processus d’établissement de l’imperium sur le territoire. Autrement dit, la construction des voies de communication permet la diffusion d’un ordre politique dans un espace approprié par l’Etat. Ces trois fonctions opèrent autant sur le registre de l’apparent que celui du caché. Point n’est besoin ici de désolidariser usage, message, ordre ; l’apparent d’une fonction fait diversion pour entretenir le caché d’une autre fonction. Tout compte fait, le réseau routier est au cœur des situations d’interactions qui font la trame du lien social.

Ainsi, on ne devrait pas considérer comme quantité négligeable la dimension performative des routes dans l’affiliation de ces populations. Le réseau routier participe à l’homogénéisation de l’hétérogénéité engagée par l’Etat postcolonial. Les routes apportent de la « valeur ajoutée » à la vision d’une identité nationale, elles renforcent le discours politique y relatif. A titre d’illustration, l’axe routier Yaoundé-Bafoussam-Bamenda, permet le contact et même le rapprochement physique puis symbolique des ethnies traversées : Ewondo, Eton, Manguissa, Yambassa, Bamiléké, etc. Il en va de même de l’axe Douala-Yaoundé qui permet d’articuler Ewondo, Bassa, Bakoko, Duala, etc. En ce sens, la route est à l’origine de la naissance d’un « territoire circulatoire », c’est-à-dire un territoire qui permet un marché multidimensionnel entre les ethnies y présentes (Tarrius, 1995 : 32). Théorisant la nation building,

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Deutsch (1966) relève l’importance des communications de masse qui intensifient les interactions entre ressortissants d’un territoire et permettent à la population de s’homogénéiser. En effet, les voies de communication en général et les routes en particulier, si l’on s’en tient au modèle de l’appareil circulatoire, permettent une socialisation commune de ces populations. Autrement dit, elles participent à l’acquisition d’une culture étatique commune. En l’occurrence, il s’agit d’une culture qui se caractérise par un tropisme unificateur que véhicule d’ailleurs abondamment le discours politique. Ainsi, comme pendant la période coloniale, la construction des réseaux routiers va de paire avec l’ambition de subordination des volontés. La mise en place d’infrastructures de communication constitue une autre modalité de la diffusion capillaire de l’autorité étatique sur le territoire.

II – Le rapport voies de circulation/ formation de l’espace public camerounais à l’épreuve de la pratique quotidienne

L'espace camerounais qu'étudient les géographes et les politistes a cessé d'être naturel. Il est structuré par des réseaux de communication, notamment le réseau routier. La mise en place de ceux-ci coûte cher, si bien qu'une opposition se dessine entre les zones équipées (on pourrait dire « branchées ») et celles qui ne le sont pas, ce qui ne va pas sans affecter la configuration de l’espace public camerounais (1).

1. Du territoire « archipel » ou l’espace public en pointillés

Le concept de réseau social est sous-jacent à l'étude des modes de sociabilité introduits par la construction des réseaux routiers au Cameroun. Il peut être défini comme une configuration de relations sociales (Coenen-Huther, 1993 : 33). La notion de réseau au sens de configuration de relations sociales est au cœur de la formation de l’espace public camerounais. Norbert Elias apparaît sans aucun doute comme le pionnier de la conceptualisation de la société comme réseau. Dans l’un de ses ouvrages de référence, il propose l’idée que la société est un conglomérat d’ensembles d’individus en interaction qui forment des configurations de relations sur une base de l’interdépendance

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réciproque (Elias, 1991 : 156). Or, précisément, les voies de communication sont à la base de la nouaison de la société en réseau au Cameroun. Toutefois, l’observation de la carte routière dressée par le Ministère des travaux publics (MINTP) de ce pays laisse apparaître une inégale répartition de ces voies de circulation et même de leur qualité, ce qui introduirait de fait des continuités et des discontinuités dans la chaîne d’interactions sociales et donc dans l’espace public.

Dans certaines régions du pays, ces réseaux de communication ne remplissent que très imparfaitement leur fonction de liaison. C’est peu de dire que les usagers souffrent des conditions de circulation éprouvantes dans les provinces de l’Est, de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-nord. Il s’agit évidemment d’une énumération non exhaustive qui ne rend pas justice aux habitants d’autres localités qui ne souffrent pas moins de l’inexistence ou de l’état désastreux des routes. Selon le Plan directeur routier du Cameroun (MINTP, 2006), « les routes sont en général dans un état mauvais ou médiocre ; sur le secteur prioritaire, seulement 12 % de routes bitumées et 5 % de routes en terre sont en bon état », les autres réseaux (non prioritaire et rural) étant presque entièrement en mauvais état. Le tableau de la composition du réseau routier camerounais le montre d’ailleurs à suffisance. On pourrait arguer a contrario que les réseaux de télécommunication, notamment à travers le prosélytisme téléphonique ambiant, ignorent les contraintes de la circulation au sol et pourraient pallier à ces insuffisances du réseau routier ; toujours est-il que ces infrastructures de télécommunication ne peuvent se substituer aux nécessaires échanges terrestres.

Composition du réseau routier camerounais (en km)

Classe Bitumé Terre TotalNationales 3 344 3 853 7 197Provinciales 835 5 109 5 943Départementales 652 7 506 8 158Rurales (non classées) 28 300 28 300Total 4 830 44 678 49 598Source : MINTP, Plan directeur routier, 2006.

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Il ressort de ce tableau, le constat de la qualité désastreuse du réseau routier camerounais, qualité qui déteint forcément sur les flux des hommes et des idées sur le territoire et donc sur la mobilisation politique (Apter, 1965 : 1-41 ; Nettl, 1967 : 125-128 ; Etzioni, 1968 : 419)6 et la formation d’un espace public (Deutsch, 1966 : 126-128). En tout cas, il n’y a que quelques localités du pays qui bénéficient de routes en bon état. Si on introduit la difficulté à circuler sur les routes non bitumées en saison de pluies, on comprend que le transport routier souffre de l’état des routes et du surplus de la demande par rapport à l’offre. Ainsi sur un total de 49 598 kilomètres de routes, seulement 4 830 kilomètres sont bitumés. La densité routière totale (linéaire de routes sur superficie du pays) est seulement de l’ordre de 4 km/100 km2. Cela est d’autant plus marquant qu’en dépit de la mise sur pied du Programme sectoriel des transports (PST) au Cameroun, le financement pérenne et adéquat de l’entretien routier est loin de donner satisfaction (MINTP, 2006).

La catégorie de l’« archipel » nous semble donc pertinente pour l’analyse de la formation de l’espace public camerounais avec toutes les conséquences que l’on peut en tirer en termes de participation politique et de démocratie. La notion d'archipel évoque des phénomènes qui s'inscrivent dans quelques espaces restreints. Par exemple, dans l'étude de l'économie mondialisée actuelle, des géographes tels Pierre Veltz parlent d'une « économie d'archipel » : l'économie mondiale est contrôlée à partir d'un nombre restreint de métropoles bien reliées entre elles par des moyens de communication performants, des voies maritimes aux télécommunications. Ces métropoles apparaissent comme des îles isolées sur une mer. Il en va de même dans le contexte du Cameroun où on note en effet l’existence d’une juxtaposition d’ « îles de communication », c’est-à-dire de régions relativement dotées en voies de communication, par conséquent, des régions marquées par d’importants flux de personnes, d’idées et de biens ; à côté d’autres régions relativement peu dotées en infrastructures de même types, et qui se retrouvent pratiquement coupées du reste du pays. Il en découlerait une configuration baroque de l’espace public camerounais du fait de cette « archipélisation » de facto de l’Etat. La carte routière du Cameroun laisse apparaître que la cohésion du système géopolitique camerounais, fondée sur un réseau de circulation en grande partie routier, est très fragile. On y voit en exergue les parties septentrionale et méridionale,

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deux monolithes structurels à l’intérieur desquels les disparités ne laissent pas d’intriguer.

La superficie de près de 475 000 kilomètres carrée est insuffisamment et inégalement couverte. Le constat de la multiplication récente de routes nationales structurantes dans la partie méridionale du pays ne parvient pas à effacer l’idée de l’inégalité dans ladite partie. La densité routière par province est l’une des entrées permettant de relever cet état des choses. Le tableau ci-dessous donne les différentes densités au kilomètre carré par province dans la partie méridionale du Cameroun.

Densité routière au Km2 au Cameroun méridional

Provinces Superficie (en km2)

Total routesLinéaire Densité (km/100 km2

Centre 69 000 11 036 15,99Est 110 000 4 974 4,52Littoral 20 000 2 979 14,90Nord-ouest 16 000 4 504 28,15Ouest 13 000 4 391 33,78Sud 47 000 4 501 9, 58Sud-ouest 25 000 2 991 11,96Cameroun 464 000 49 802 10, 73Source : D’après les données de la Direction des routes au MINTP.

De ce tableau, il ressort le constat de ce que les provinces de l’Est et du Sud ont des densités routières au-dessous de la moyenne nationale. Cela s’explique en grande partie par la présence dans ces provinces d’un important massif forestier protégé, la réserve du Dja, mais aussi par la faible densité de la population et l’insuffisance des investissements dans ce secteur des travaux publics.

Trois « îles de communication » existent de fait dans la partie méridionale du Cameroun et constituent en quelque sorte les « anneaux utiles » de l’espace public camerounais (voir figure 3) :

La première, à configuration étoilée, a pour centre Bafoussam. Véritable bouillon de culture démographique et par conséquent point de départ de vagues migratoires incessantes, ce centre étend ses ramifications, direction nord-est vers Foumbot et

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Foumban, direction nord-ouest vers Bamenda, direction sud-ouest vers Bafang, Nkongsamba et Douala, direction sud-est vers Bangangté et Yaoundé. La mobilisation politique relativement forte ici peut être envisagée comme un processus induit, entre autres, de la multiplication des voies de circulation et de la mise en réseau des populations.

La deuxième île a pour point focal la ville de Douala qui est l’un des points de départ de l’arbre généalogique de l’urbanisation du Cameroun et la porte d’entrée et de sortie non seulement du pays, mais aussi de l’Afrique centrale. La ville concentre aussi les principales activités économiques du pays et forme avec ses alentours notamment Edéa, Mbanga, Penja, Tiko une véritable conurbation en gestation. Autant de caractéristiques qui en font un important centre-relais de la mobilisation politique au Cameroun et l’un des creusets de l’espace public camerounais. Les principales routes sont orientées ouest, vers Buéa et les grandes plantations des alentours ; nord, vers Nkongsamba et Bafoussam ; est, vers Edéa et Yaoundé.

La troisième île de communication, un des principaux pôles de la formation de l’espace public camerounais est la ville de Yaoundé et son environnement immédiat. C’est le centre d’impulsion politique du pays, le siège des principales institutions de l’Etat et le point de départ du contrôle social et de la totalisation de l’espace géographique camerounais par l’Etat (Sindjoun, 2002 : 35-38 ; Badie, 1980 : 81-99).

Cette partie méridionale du Cameroun est fortement marquée par le tropisme occidental de ses voies de circulation et de ses activités. L’impression laissée à un observateur attentif de cette configuration est que le tropisme est si fort qu’il semble avoir dépourvu les ailes est et sud-est de tout dynamisme ; les voies de communication y existent de manière résiduelle et la mobilisation politique y est faible, de même que l’espace public. Ces parties apparaissent donc de fait comme les « anneaux inutiles » de l’espace public camerounais.

La partie septentrionale du pays, quant à elle, est structurée par l’axe méridien Ngaoundéré-Garoua-Maroua-Kousseri. Ici, si l’on prend en compte la mobilisation politique et la formation d’un espace public à travers les voies de communication, deux goulots d’étranglement

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peuvent être relevés. Le premier obstacle à surmonter est celui de la distance auquel sont liées les conditions géomorphologiques difficiles ; le massif de l’Adamaoua constituant une frontière naturelle et difficilement surmontable entre les parties septentrionale et méridionale du pays7. Elle est susceptible de mettre en échec la relation entre pouvoir politique et espace, relation à l’origine du processus de territorialisation, c’est-à-dire du double mouvement d’appropriation matériel et idéel permanente dudit espace par l’Etat. On comprend dès lors l’acharnement des politiques publiques dans la lutte contre la distance et dans la promotion de la proximité. Pour l’Etat, le problème de l’espace peut être vu comme la gestion des contradictions engendrées par la distance, qui empêche l’interaction entre le centre et sa périphérie. Les politiques d’aménagement du territoire, notamment la construction des voies de communication apparaissent alors comme des moyens de gestion de ces contradictions.

La distance entre le centre politique camerounais et la partie septentrionale du pays n’a pu être encore domestiquée de manière optimale. On est encore loin de la proximité recherchée, proximité qui est au cœur de la construction d’un « faire ensemble », d’un « dire ensemble » donc, au cœur de la formation d’un espace public camerounais. La construction et la polarisation des singularités entre « nordistes » et « sudistes » au Cameroun ont ainsi fortement partie liée à la distance géographique entre les localités d’origine des deux groupes qui ne sont pas facilement en interaction. La plupart de nos interlocuteurs lors de nos séjours de recherche dans la province de l’Extrême-nord manipulait de manière récurrente le « vous là-bas à Yaoundé » ou « les gens du sud », expressions marquant une distanciation nette entre eux et les acteurs politiques réels ou supposés du « centre ». En effet, on peut relever la minimisation du temps de trajet, de sa longueur, de son coût, etc. comme des indicateurs de la proximité entre deux lieux, entre deux acteurs ou groupes d’acteurs qui entreprennent de se connecter. Une distance se mesure, pour une organisation comme pour les individus, en minutes ou en heures mises pour entrer en contact avec le partenaire. De ce point de vue, elle s'apparente dans une large mesure à la distance coût de transport (Rallet, 2002).

La distance rend difficile la mobilité entre le nord et le sud et donc la mise en relation permanente et massive entre les populations des deux

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entités. Dupuy et Torre considèrent que « la proximité géographique peut constituer, par l'établissement de relations répétées d'une culture commune et de liens de coopération, voire de confiance, un facteur de cohésion (…) favorable à l'établissement et à la pérennisation de relations de coopération » (2000 : 77). Dès lors, l'effet de la distance agit sur l'ajustement de l'offre et de la demande de mobilité en fonction du coût de déplacement. La distance n'agit que si elle est proportionnelle au coût de mise en relation. Les acteurs obéissent en effet au principe du moindre effort. De toute évidence, la rationalité économique est accolée à la question du rapport entre distance et mobilité.

Le deuxième goulot d’étranglement est la quasi inexistence de bras de pénétration ou de communication secondaires ; l’axe méridien Ngaoundéré-Garoua-Maroua-Kousseri est très peu articulé à des voies horizontales véritablement viables si l’on exclut Garoua-Yagoua, et le récent Ngaoundéré-Toubouro. Cela participe à la constitution de vastes pans du territoire camerounais en isolats dont le tropisme est davantage extérieur. Cela accrédite l’idée selon laquelle le territoire camerounais, loin de former un tout cohérent, est un amalgame de micro-territoires qui, dans la pratique, semblent s’autonomiser. On note de ce fait un écartèlement de la partie septentrionale du Cameroun en deux mouvances tournées vers l’extérieur :

La première mouvance est orientale et tournée prioritairement vers le Tchad. Il est constant que de Toubouro dans l’Adamaoua jusqu’à Goulfey dans l’Extrême-nord, un large pan du Cameroun subit, faute de mieux, l’attraction du Tchad.

La deuxième mouvance, occidentale, est davantage tournée vers le Nigéria. De Mogodé et même au-delà dans l’Extrême-nord jusqu’à Ribao dans l’Adamaoua, un chapelet de localités camerounaises vit plus au rythme de la conjoncture socio-économique du Nigeria.

Ainsi se présente la formation de l’espace public camerounais au moment où s’affirme le besoin d’un nouveau cadre de réflexion pour l’avenir. Il s’agit d’une réflexion qui prend nécessairement en compte la question de la gouvernance territoriale.

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2. L’articulation du réseau routier à la gouvernance territoriale : les douze travaux d’Hercule

Le problème de l’implantation des réseaux de communication soulève de nombreuses questions de gouvernance8. La gouvernance convoquée ici met l’accent sur la crise de la gouvernabilité du territoire camerounais du fait de son écartèlement structurel, du fait de son « archipelisation » à l’aune des voies de communication. Il s’agit d’un concept qui rend compte des transformations des formes de l’action publique. Le premier des problèmes est celui de la participation politique. En effet, la communication pèse sur l’espace public. Il est difficile dans ce cas d’envisager la mobilisation politique des habitants des zones enclavées et leur participation à l’espace public, il est difficile de voir de tels individus inscrits dans la série de normes sociales qui président le fonctionnement d’un tel espace. Ainsi pendant que les populations des « îles de communication » s’ouvrent de plus en plus et jouissent de plus en plus d’une participation politique multiforme (vote, marches de protestation, grèves, etc.), celle des zones enclavées en sont privées ou du moins n’en bénéficient que de manière épisodique et non optimale (lors des élections par exemple). On peut faire une analogie entre la restriction, telle que décrite par Habermas, de l’espace public européen du 18e siècle à l’élite capable de s’acquitter du cens et le contexte camerounais actuel. L’accessibilité ici est devenue une espèce de cens moderne qui permet aux habitants de certaines régions d’avoir plus voix au chapitre que d’autres. Il est d’ailleurs symptomatique que les agitations politiques de la fin des années 1990 ayant entraîné la mise en crise de la culture autoritaire au Cameroun9 et la crise sociale de février 200810aient affecté au premier chef les villes situées dans les « îles de communication », ces zones où la participation politique semblent plus forte du fait surtout de l’interconnexion des habitants et de leur habilitation conséquente à entrer en contact avec les questions d’intérêt national. Ces zones de forte participation politique se sont donc, à l’occasion, muées en espaces protestataires (Lafargue, 1996 : 169) à côté d’autres zones qui ont été considérées comme favorables au régime en place. Manifestement, l’ « archipélisation » de l’espace public camerounais pose un problème de citoyenneté. Il peut en effet y avoir

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exclusion de l’exercice des droits civiques et politiques du simple fait de l’exclusion des réseaux de communication courants.

Il ne peut y avoir participation si on ne se sent partie prenante d’un groupe, sans sentiment d’appartenance, sans disposer de moyens de se faire entendre – moyens institutionnels certes, mais aussi des ressources personnelles. La dépendance matérielle, le défaut de savoir, le sentiment d’incompétence, une situation d’exclusion produisent l’apathie. Une situation d’exclusion telle que la vivent les populations de zones enclavées peut aussi nourrir des réactions de rejet et/ou de repliement sur des identités particulières et différentialistes. La montée de ce qu’il est convenu d’appeler l’exclusion se trouve au cœur de la crise de la participation politique au Cameroun, sans en être bien sûr toute l’explication. On se trouve ainsi en plein dans le casse-tête du rapport entre participation politique et démocratie (Mayer et Perrineau, 1992 : 15-18 ; Perrineau, 1994 : 40-50). L’idéal démocratique repose en effet sur la conception que le pouvoir politique procède du peuple souverain. Il ne peut donc y avoir de démocratie sans implication du citoyen, c'est à dire sans citoyen actif. C’est pourquoi la citoyenneté politique postule non seulement la jouissance de droits civiques attachés à la nationalité (le droit de vote, l’éligibilité, les libertés publiques, l’accès aux fonctions de responsabilité) mais aussi le devoir de s’impliquer dans la vie politique, d’y participer au moyen, entre autres, d’une inscription dans les réseaux de communication (Brechon, 2003 : 64-68). La question se pose donc comme un défis à des pouvoirs publics camerounais engagées dans le processus de démocratisation de la société : au lieu d’activer principalement les leviers institutionnels de la démocratie, n’y a-t-il pas lieu de prendre aussi sérieusement en compte la question de la gouvernance territoriale à travers notamment la question des voies de communication ?

C’est la participation véritable du citoyen à la chose publique qui est questionnée dans l’analyse du rapport entre réseaux routiers et formation de l’espace public camerounais ; c’est aussi la question de la gouvernance territoriale qui est soulevée. De fait, la question soulevée permettrait de faire un saut qualitatif de l’idéal de la participation politique au Cameroun à l’épreuve des faits. La mise en place des infrastructures de circulation telles que les routes ouvre véritablement le territoire camerounais aux flux de communication de tous genres, du centre vers la périphérie et

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inversement. La construction des voies de communication, en inscrivant les Camerounais dans des réseaux de communication concourait à la fabrication du « citoyen ordinaire » participant au développement territorial et aux choix politiques qui engagent la nation. La mise en place d’une démocratie participative est en forte prise avec la question de la construction des voies de communication. La gouvernance est ainsi systématiquement utilisée comme un terme permettant d’identifier de nouvelles pratiques collectives, de nouvelles formes d’actions publiques qui ne reposeraient plus seulement sur la domination et la violence légitime, chères à Max Weber, mais sur la négociation, le partenariat : la gouvernance par opposition au gouvernement, on n’impose plus, on négocie. Dans ces approches, la gouvernance sert à désigner l’ensemble des pratiques collectives par le biais desquelles l’ordre social et politique est produit et qui prennent place en dehors des institutions classiques.

Le deuxième défi de gouvernance qui découle de l’ « archipélisation » de l’espace public camerounais est celui de l’équité territoriale. En d’autres termes, la question du lien entre réseaux routiers et territoire, entre réseaux routiers et espace public se pose sous l’angle de l’équité. Certes, l’équité est d’abord une notion d’éthique qui a marqué l’effort réflexif des philosophes (Emmanuel Kant dans La métaphysique des mœurs, 1797 ; Jean-Jacques Rousseau dans Le contrat social, 1835 ; John Rawls dans Theory of Justice, 1971). Mais elle traduit l’aspiration à une relative égalité de traitement entre les citoyens, entre les habitants d’une même région, aspiration dont se saisissent les politiques publiques (Derycke et Offner, 1997 : 5-7). Loin de notre propos l’ambition d’embrayer sur les considérations d’ordre éthique ; il est question plutôt de l’examen des politiques publiques de l’éthique en matière de voies de communication. Concrètement, l’équité territoriale ici sous-entend la notion de « service universel » que se doivent de remplir les autorités publiques dans la dotation du pays en voies de communication. La carte routière du Cameroun révèle cependant une distribution inégale des voies de communication qui induit une hiérarchisation de fait d’espaces dans un même territoire. Les localités des « îles de communication » bénéficient davantage des externalités positives du réseau routier que celles des zones enclavées (coût des transports, localisation des entreprises, emplois, …). Il en découle inexorablement une dynamique démographique différenciée du fait de l’attraction des premières sur les

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habitants des secondes, ce qui ne rend pas justice à l’équité dans la distribution spatiale de la croissance économique.

En fait, les espaces les plus dynamiques sont logiquement situés à proximité des pôles de communication ou des grands axes de communication. Douala et Yaoundé et leur périphérie immédiate qui ont connu une évolution significative de leur population totale semblent avoir bénéficié de l'apport d'habitants issus des bassins démographiques périphériques. Il s’agit d’un constat qui remet au goût du jour l’aménagement du territoire, notamment du territoire de ces deux métropoles. Les problèmes actuels d’occupation anarchique de l’espace, les solutions imaginées qui passent par le déguerpissement forcé des occupants des zones inconstructibles, les débats occurrents, participent dans une certaine mesure à la décrédibilisation des actions de l’Etat en matière d’aménagement du territoire. Une des solutions structurelles sur laquelle les pouvoirs publics insistent, mais pas encore suffisamment, est celle de l’équité territoriale, la dotation équitable du territoire camerounais en infrastructures.

La question du rapport entre réseau routier et formation d’un espace public camerounais peut aussi être abordée à partir de la lucarne de l’économie politique. C’est à ce niveau que se situe le troisième défi posé par l’ « archipélisation » de l’espace public au Cameroun. Le faible niveau général des infrastructures routières et leur inégale distribution spatiale sont des entraves à une intégration géoéconomique nationale dynamique sur laquelle les pouvoirs publics comptent dans l’optique de la construction nationale (Guilaumont, 1985 : 344 ; Grellet, 1986 : 127). La lecture du paysage économique camerounais donne à constater une trop grande concentration des activités (banques, industries, assurances, services commerciaux,…) à Douala et Yaoundé. Les raisons de la rentabilité économique expliquent en partie un tel déséquilibre spatial dans la répartition des activités. Mais cela n’explique pas tout. L’inégale distribution des voies de communication est l’une des causes de ces distorsions. Or, à côté des équipements traditionnels de développement, le potentiel des routes pourrait contribuer à une meilleure intégration des territoires et des activités économiques.

Conclusion

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Au terme de cette réflexion sur le rapport entre construction du réseau routier et formation de l’espace public camerounais, force est de retenir que la communication de masse surdétermine l’espace public camerounais. Dans un contexte d’appropriation progressive mais encore insuffisante des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la route conserve toute sa pertinence dans l’émergence d’une sphère publique au Cameroun. Rendant visible le politique et la société, participant à la diffusion des informations, les réseaux de communication qui naissent du réseau routier participent incontestablement de l’espace public. Elle participe à la vulgarisation de la norme étatique et la publicisation des décisions alimentent les consciences individuelles.

Il s’agit cependant d’un statut qui est fortement érodé par une situation de fait : le développement inégal du réseau de voies de communication sur le territoire camerounais entraîne une « insularisation » dudit territoire avec des zones fortement intégrées qui coexistent avec de véritables isolats. Il en découle un Cameroun configuré en « Etat archipel ». Il s’agit sans doute d’une situation qui n’est pas singulière au Cameroun ; Pourtier, Bruneau et Simon avaient déjà évoqué un cas quasi similaire au Zaïre (Pourtier, 1991 ; Bruneau et Simon, 1991). La notion d’espace public camerounais en archipel nous invite fondamentalement à réfléchir sur les rapports entre routes, communication et démocratie. En effet, au fond, l’espace public repose sur l’idée d’universalité, une norme qui le voudrait accessible à tout citoyen. Ceci place au premier plan la configuration du réseau routier camerounais. Si le réseau routier constitue le trait majeur de l’espace public camerounais, il s’en suit normativement qu’il devrait rester techniquement et économiquement à la portée des membres de la société. L’exclusion d’un segment quelconque de la population du fait de l’enclavement entre en contradiction avec la prétention de la démocratie camerounaise à l’universalisme. L’idée de l’espace public camerounais que nous avons développé se fonde sur la recherche de quelque chose de commun, de partagé, auquel tous les citoyens ont droit. La mise en place d’un espace public camerounais est sans doute en marche. Reste à se prémunir de la subversion du principe de publicité que le phénomène d’enclavement participe à entretenir.

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Toutefois, on doit dire au terme de ce papier que l’espace public ne consiste pas simplement en la mise en place de réseaux de communication à travers les routes, puisqu’il implique l’engagement des citoyens dans les affaires publiques, ainsi que dans leurs actions réciproques. La communication entre citoyens est un élément décisif de l’espace public, mais une telle communication dépend des conditions nécessaires, sociales et structurelles. Les réseaux de communication sont nécessaires comme catalyseurs et ressources, mais la qualité de l’espace public dépend de la participation des citoyens.

Au total, au moment où ont lieu des tentatives pour construire l’espace public dans les Etats africains, nous devons garder à l’esprit que cela ne constitue pas pour autant une garantie de la démocratie ; c’est certainement nécessaire, mais pas suffisant. Si la notion d’espace public souligne les dimensions communicatives et interactives des démocraties, l’attention en Afrique doit également être dirigée vers les aspects traditionnels des structures politiques, les processus décisionnels, l’engagement civique et les aspects pratiques du pouvoir.

Notes1. On peut évoquer ici la confusion pure et simple avec l’espace public considéré d’un point de vue physique,

architectural, urbanistique. On trouve régulièrement, y compris sous la plume de chercheurs ou d’universitaires non-spécialistes de ce domaine, l’expression « espace public » pour caractériser toutes les médiations sociales mettant en contact, d’une façon ou d’une autre, les institutions et les individus: cela va de « l’espace public du musée » à « l’espace public scolaire » en passant par « l’espace public culturel ».

2. Le petit Robert définit ainsi les deux sens du mot réseau qui nous intéressent ici : (1) « Ensemble des lignes, des voies de communication, des conducteurs électriques, des canalisations, etc., qui desservent une même unité géographique, dépendent de la même compagnie. » On parle ainsi de réseau d'assainissement, de distribution des eaux, réseau de chemins de fer, ferroviaire, réseau urbain, réseau routier. Le réseau routier renvoie à l’« ensemble des routes d'un pays, d'une région ». (2) On emploie le mot réseau dans un sens assez voisin pour désigner « la répartition des éléments d'une organisation en différents points ». Le premier des sens qui nous intéressent ici met l'accent sur l'existence de lignes; le second parle de points et de l'organisation qui les unit. C'est parce qu'il existe des lignes qui les desservent, ou qu'ils sont liés par une même institution, que l'on peut considérer que des points se structurent en réseaux.

3. En notre sens, on peut sommairement distinguer deux types principaux de production des espaces publics :- l’espace public comme « espace construit », comme produit de l’architecture,- l’espace public comme « espace approprié », comme produit de l’appropriation sociale.Manifestement, notre propos se situe dans le cadre du second type, un espace social et politique.

4. Les thèses d’Habermas sur l’espace public ont été beaucoup critiquées, et on peut en effet les considérer comme un peu caricaturales: elles surestiment manifestement l’usage de la Raison et elles renvoient de façon un peu simpliste à une espèce d’âge d’or où le principe de publicité aurait fonctionné d’une manière idéale. En outre, elles ne sont pas franchement démocratiques puis qu’elles limitent le principe de publicité à une élite intellectuelle et sociale.

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5. Sindjoun (2002 : 7) nomme ainsi les études de la politique camerounaise qui ploient sous l’emprise des pré-constructions, du savoir commun. Pour une intelligence du champ politique camerounais, cet auteur prône la construction de la réalité à observer ; il préconise de ne point se limiter aux évidences aveuglantes.

6. Par mobilisation politique, nous entendons ici l’incorporation progressive de groupes périphériques à une communauté dite nationale sous l’impulsion d’un centre dynamique, doté de dirigeants actifs. Il y a cependant lieu de relever que la mobilisation politique ici est loin d’être envisagée selon une logique unilatérale, une logique qui absolutise l’action du centre, mais selon une logique bijective. La mobilisation consiste tout autant en l’imposition par le centre de nouvelles valeurs et nouveaux modes de conduite à la périphérie, qu’en l’investissement du centre par la périphérie mieux, un processus orienté de la périphérie vers le centre.

7. Des moyens de contournement ont été mis sur pied, notamment les axes Foumban – Banyo – Tibati –Ngaoundéré et Bertoua – Garoua-Boulaï – Meiganga – Ngaoundéré sans pour autant que la distance métrique ait été réduite. Bien plus, celle-ci est allongée par le contournement.

8. Le concept de gouvernance est plus large que celui de gouvernement. Ils sont tous les deux relatifs à la décision publique mais, là où le gouvernement renvoie à un processus hiérarchique d’action publique, la gouvernance appelle la régulation qui révèle l’implication d’un nombre accru d’acteurs divers dans la réalisation d’objectifs collectifs.

9. Cette mise en crise de l’autoritarisme s’était alors traduite de manière emblématique par l’irruption dela foule mécontente et subversive dans le champ politique.

10. Du 25 au 27 février 2008, des émeutes d’une rare violence ont secoué les provinces du Centre (Yaoundé uniquement), du Littoral, de l’Ouest, du Nord-ouest et du Sud-ouest. Des milliers personnes en majorité jeunes sont descendus dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol face à une inflation rampante qui sape un pouvoir d’achat déjà ténu, à un chômage endémique qui perdure et à un avenir quasi incertain. Le Cameroun a alors vécu des scènes de pillages d’une ampleur jamais égalée jusque-là. Certains édifices publics et de nombreux commerces ont été attaqués par les manifestants. A ces manifestations, le pouvoir a répondu par des actions d’une violence inouïe. La police, la gendarmerie et l’armée ont été mises à contribution pour venir à bout de ce que certains n’ont pas hésité à appeler insurrection. Bilan, 40 morts selon le Gouvernement et plus de 100 morts selon les partis d’opposition.

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