Poémes - Saint John Perse.docx

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Saint-John Perse - Portes ouvertes sur les sables (Exil, I) Portes ouvertes sur les sables, portes ouvertes sur l’exil, Les clés aux gens du phare, et l’astre roué vif sur la pierre du seuil : Mon hôte, laissez-moi votre maison de verre dans les sables… L’Eté de gypse aiguise ses fers de lance dans mes plaies, J’élis un lieu flagrant et nul comme l’ossuaire des saisons Et, sur toutes grèves de ce monde, l’esprit du dieu fumant déserte sa couche d’amiante. Les spasmes de l’éclair sont pour le ravissement des Princes en Tauride. Saint-John Perse - Allez plus doucement (Extrait de Amers, Etroits sont les vaisseaux) Allez plus doucement, ô cours des choses à leur fin. La mort navigue dans la mort et n’a souci du vif. La nuit salée nous porte dans ses flancs. Et nous, nous desserrons l’étreinte de nos bras pour écouter en nous régner ma ler, sans rives ni récifs. Passion très forte et très docile. Mille paupières favorables… Saint-John de Perse - Tu es là mon amour (Extrait de Amers, Etroits sont les vaisseaux) Tu es là mon amour, et je n’ai lieu qu’en toi. J’élèverai vers toi la source de mon être, et t’ouvrirai ma nuit de femme, plus claire que ta nuit d’homme ; et la grandeur en moi d’aimer t’enseignera peut-être la grâce d’être aimé. Licence alors aux jeux du corps ! Offrande, offrande, et faveur d’être ! La nuit t’ouvre une femme : son corps, ses havres, son rivage ; et sa nuit antérieur ou gît toute mémoire. L’amour en fasse son repaire ! Saint-John Perse - Chanson du présomptif (extrait) J’honore les vivants, j’ai grâce parmi vous. Dites aux femmes qu’elles nourrissent, Qu’elles nourrissent sur la terre ce filet mince de fumée… Et l’homme marche dans les songes et s’achemine vers la mer

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Saint-John Perse - Portes ouvertes sur les sables (Exil, I)Portes ouvertes sur les sables, portes ouvertes sur l’exil,Les clés aux gens du phare, et l’astre roué vif sur la pierre du seuil :Mon hôte, laissez-moi votre maison de verre dans les sables…L’Eté de gypse aiguise ses fers de lance dans mes plaies,J’élis un lieu flagrant et nul comme l’ossuaire des saisonsEt, sur toutes grèves de ce monde, l’esprit du dieu fumant déserte sa couche d’amiante.Les spasmes de l’éclair sont pour le ravissement des Princes en Tauride.  

Saint-John Perse - Allez plus doucement (Extrait de Amers, Etroits sont les vaisseaux)Allez plus doucement, ô cours des choses à leur fin.La mort navigue dans la mort et n’a souci du vif.La nuit salée nous porte dans ses flancs.Et nous, nous desserrons l’étreinte de nos bras pour écouter en nous régner ma ler, sans rives ni récifs.Passion très forte et très docile.Mille paupières favorables…             

Saint-John de Perse - Tu es là mon amour (Extrait de Amers, Etroits sont les vaisseaux)Tu es là mon amour, et je n’ai lieu qu’en toi. J’élèverai vers toi la source de mon être, et t’ouvrirai ma nuit de femme, plus claire que ta nuit d’homme ; et la grandeur en moi d’aimer t’enseignera peut-être la grâce d’être aimé. Licence alors aux jeux du corps ! Offrande, offrande, et faveur d’être ! La nuit t’ouvre une femme : son corps, ses havres, son rivage ; et sa nuit antérieur ou gît toute mémoire. L’amour en fasse son repaire !                 

Saint-John Perse - Chanson du présomptif (extrait)J’honore les vivants, j’ai grâce parmi vous.Dites aux femmes qu’elles nourrissent,Qu’elles nourrissent sur la terre ce filet mince de fumée…Et l’homme marche dans les songes et s’achemine vers la merEt la fumée s’élève au bout des promontoires.        J’honore les vivants, j’ai hâte parmi vous.Chiens, ho ! mes chiens, nous vous sifflons…Et la maison chargée d’honneurs et l’années jaune entre les feuillesSont peu de chose au cœur de l’homme s’il y songe :Tous les chemins du monde nous mangent dans la main !                             

Saint-John Perse - Neiges IV (Extrait)    … Et ce fut au matin sous le plus pur vocable, un beau pays sans haine ni lésine, un lieu de grâce et de merci pour la montée des sûrs présages de l’esprit ; et comme un grand Ave de grâce sur nos pas, la grande roseraie blanche de toutes neiges à la ronde… Fraîcheur d’ombelles, de corymbes, fraîcheur d’arille sous la fève, ha ! tant d’azyme encore aux lèvres de l’errant !…

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quelle flore nouvelle, en lieu plus libre, nous absout de la fleur et du fruit ? quelle navette d’os aux mains des femmes de grand âge, quelle amande d’ivoire aux mains des femmes de jeune âge                nous tissera linge plus frais pour la brûlure des vivants ?… Epouse du monde notre patience, épouse du monde notre attente !… Ah ! tout l’hièble du songe à même notre visage ! Et nous ravisse encore , ô monde ! ta fraîche haleine de mensonge !… Là où les fleuves encore sont guéables, là où les neiges encore sont guéables, nous passerons ce soir une âme non guéable… Et au-delà sont les grands lés du songe, et tout ce bien fongible où l’être engage sa fortune…                

Saint-John Perse - Eloges XVI… Ceux qui sont vieux dans le pays le plus tôt sont levés

à pousser le volet et regarder le ciel, la mer qui change de couleuret les îles disant : la journée sera belle si l’on en juge par cette aube.        

Aussitôt c’est le jour ! et la tôle des toits s’allume dans la transe, et la rade est livrée au malaise, et le ciel à la verve, et le Conteur s’élance dans la veille !

La mer, entre les îles, est rose de luxure ; son plaisir est matière à débattre, on l’a eu pour un lot de bracelets de cuivre !     

Des enfants courent aux rivages ! des chevaux courent aux rivages ! … un million d’enfants portant leurs cils comme des ombelles… et le nageur a une jambe en eau tiède lais l’autre pèse dans un courant frais ; et les gomphrènes, les ramies,l’acalyphe à fleurs vertes et ces piléas cespiteuses qui sont la barbe des vieux murss’affolent sur les toits, au rebord des gouttières,        car un vent, le plus frais de l’année, se lève, aux bassins d’îles qui bleuissent,et déferlant jusqu’à ces cayes plates, nos maisons, coule au sein du vieillardpar le havre de toile jusqu’au lieu plein de crin entre les deux mamelles.            Et la journée est entamée, le moden’est si vieux que soudain il n’ait ri…       C’est alors que l’odeur du café remonte l’escalier.          

Saint-John Perse - Neiges III (Extrait)Ce n’était pas assez que tant de mers, ce n’était pas assez que tant de terres eussent dispersé la course de nos ans.…………………………………………………………………………………………………..        … Et tout ce temps de mon silence en terre lointaine, aux roses pâles des ronciers j’ai vu pâlir l’usure de vos yeux. Et vous seule aviez grâce de ce mutisme au cœur de l’homme comme une pierre noire… Car nos années sont terres de mouvance dont nul ne tien fief, mais comme un grand Ave de grâce sur nos pas nous suit au loin le chant de pur lignage ; et il y a un si long temps que veuille en nous cette offre de douceur…                                          

Saint-John Perse - Extrait de AmersEt mon sein gauche est dans ta main, le sceau d’empire est dérobé !… Ferme ta paume, le bonheur d’être… La main qui règne sur ma hanche régit au loin la face d’un empire, et la bonté d’aimer s’étend à toutes ses provinces.La paix des eaux soit avec nous ! et l’ouverture au loin, entre neiges et sables, d’un grand royaume littoral qui baigne aux vagues ses bêtes blanches.

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