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    PHILOSOPHIE T CINMADirecteur : ric UFOUR

    Comit ditorial : LaurentJULLIER et JulienSERVOIS

    Pierre MONTEBELLO

    DELEUZEPHILOSOPHIE T CINMA

    ParisLIBRAIRIE PHILOSOPHIQUEJ. VRIN

    6 place de la Sorbonne V02008

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    En application du Code de la Proprit Intellectuelle et notammentde ses articles L 122-4, L 122-5 et L 335-2, toute reprsentationou reproduction intgrale ou partielle faite sans le consentement el'auteur ou e ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Une tellereprsentation ou reproduction constituerait un dlit de contrefaon,puni de deux ans d'emprisonnement t de 150 000 euros d'amende.

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    soient indiqus clairement le nom de 'auteur et la source.

    Librairie Philosophique J VRIN 2008Imprim n France

    ISBN978-2-7116-1998-6

    www.vrin.fr

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    En crivant L image-mouvement et L image-temps,Deleuze traite deux questions essentielles de la philosophieoccidentale: le mouvementet le temps. Mais, c est travers le

    cinma qu il le fait. Art du mouvementet du temps, il est vraique le cinma devait trs tt rencontrer la philosophieautourde ces deuxproblmes Bergson, L volutioncratrice, 1907).Les deux livres de Deleuze sur le cinma prolongent cetterencontre et en restituent l enjeu. Ils donnent simultanmentun ancragephilosophiqueau cinma les thses deBergson)et

    une dimension cinmatographique la rflexion sur lemouvementet le temps,comme s il fallait montrerque ce sontles mmes proccupations qui sont l uvre ici et l, lesmmes questions qui reviennent identiquespar del les genresparce qu elles manentd une rsonanced ensemble qui est ledevenirmme de la pense occidentale.

    Deleuze l a dit, ses tudes sur le cinma ne prtendentpastre une histoiredu cinma, mais un essai sur la questiondumouvement et du temps au cinma, un essai de classifi-cation des images et des signes au cinma. Nous laisseronsici de ct l analyse de ces signes cinmatographiques, trsampledans ces deux livres, nous ne nous intresseronspas nonplus la question de savoir si la narrativit, la langue, le

    langage, le discours sontdes lments constitutifsdu cinma,sujet sur lequel Deleuzea clairement pris parti Notre projetest seulement demettre envidenceles interfrences entrepratiques d images au cinma et pratiques conceptuellesen

    1. Dans. Qu ut ce que le cinJITlfJ? Paris, Vrin, 2008, ~ Dufour traiteamplement des raisons pour lesquelles Deleuze,au chapitre2 de Cinma 2, sedm rque des thses de Christian Metz (Essai sur la significationau cinma,tome I et II, Paris, Klinclcsieck, 1968) sur la narravit, le discours imag, lelangage, la gr nde syntagmatique.

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    10 INTRODUcnON

    philosophie et la zone prcise de ces interfrences, le rapportentre pense, mouvement et temps. Il ne s agira pas pourautant de dire que le cinmafait de la philosophie,ou est-de laphilosophie filme, mais de soutenir que le cinma et laphilosophie,appartenant une mmeculture, ont pourobjet lapuissancedu mouvement dansl univers et dans la conscience,l un travers les images, l autre travers les concepts. erenouvellement de l analyse filmique (le plus souvent emprunt des tudes connues) ne nous semblant pas non plus

    tre l enjeu de ces livres, mais constituant le matriau djform partir duquel l est possiblede dgager des problmescinmatographiques, nous avons prfr nous arrter cesseulsproblmeset leurs interfrencesphilosophiques

    a thorie du cinma n est pas "sur" le cinma, mais sur lesconcepts que le c i n ~ msuscite et qui sont en eux-mmes en

    rapport avec d autres concepts correspondant d autrespratiques ... 2

    1. Dans les tudes utilises par Dclem:e, on peutdistinguer quatre types dedocument : les commentaires et thories des cinastes (Vertov, Eisenstein,Sternberg,Eps\ein, Pasolini,Godard ... ), les analyses filmiquesdes Cahiers ducinma, du Cinmalographe, des Etudes cinmatographiques (Truffaut, Ollier,Amengual, Bouvier, Leutrat, Bonitzer, Narboni, Lardeau, Fieschi, Devillers,Chabrol, Rohmer ... ), les tudes gnrales (Jean Mitty, Histoire du cinma,5 vol., Paris, Universitaires,2002, Esthtique et psychologiedu cinma, Paris,Universitaires, 1990, Andr Bazin, Qu est-ce que le cinma?, Paris, Cerf,2002 ... ), les monographies (Noi l Burch, Marcel l herbier, Paris, Seghers,1973; Truffaut, Hitchcock, Paris, Seghers, 1975 ... . Deleuze se sert le plussouvent d'analys'es filmiques admirablesqu il prolonge par des analysesphilosophiquesou sespropres analyses filmiques.

    2.C2, p.365. Abrviations utilises: Cl pour Cinma 1 l image-mouvement, Paris, Minuit, 1983; C2 pour Cinma 2, L image-temps, Paris,Minuit, 1985.

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    CH PITREPREMIER

    DUCINMADANSL UNIVERS L UNIVERS DUCINMA

    NAISSANCEDUCINMA

    Le mouvementest une desquestionscentralesde laphilosophie occidentalekinsis, phora, gnsis), de l Antiquitjusqu la modemit1 DslesPrsocratiques,laphilosophiese prsentecommeunerflexion surle mouvementdanslanature,lemouvementdansl me, lemouvementdanslavie (ou soncontraire,immobilit).Aristote,quihritedelaconfrontationentreElateset Hraclitens(fluxou substance),vafixer pourlongtempsquatrecatgoriesdemouvement: la translation,lechangementquantitatif,lechangementqualitatif, lagnration2 Dans l histoire trs longuede

    1.Sloteroijkle montre bienpourla modernit: Ontologiquement,la

    modernitestunpur-tre-vers-le-mouvement,IA mobilisation infinie, Paris,Seuil,2000,p.36.2.D autres philosophies,schivastes, taostes,peuventtraiter du pro-

    cessus,maiscen est pas le mouvementdel pistmoccidentale,quioscille

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    12 CHAPITRE PREMIER

    l influence aristotlicienne (presque deux millnaires), lavision du mouvement n a pas vari fondamentalementparcequ elle tait conforme l exprience ordinaire et donnait unebase solide la physique. A la Renaissance encore, lestraitssur le mouvement prolongent ceux des cinmaticiens mdivaux, le mouvement local estpour euxun cas mineurcomparaux mouvements d altration, de croissance, de transformation, degnration ... n fait, l faut attendre cequ on a appelparfois le miracle des n ~ e s1620 pour que la vision du

    monde change brusquement. En un clair, compar au tempslong qui prcde, la rvolution galilo-cartsiennedtruit defond en comble la conception qualitative du mouvement,l architecture de l univers comme cosmos,en un mot le mondearistotlicien. A nouveau, c est une rflexion sur le mouvement quia rendu possiblel aurore de la modernit

    Mais, la nouvelle mtaphysique de la nature (tout estmatire, tout relve du mouvement mcanique) qui s est trsvite impose a suscit en retour une profonde ractionphilosophique. La philosophie ne pouvait abandonnersans contrepartie l immense cosmos et le ciel des ides. Elle a doncabord et explor une rgion ne relevant pas du mouvementmcanique et pouvant accueillir ces idalits, qu elle anomme tour tour, cogito, me, moi pur, conscience, aperception, domaine transcendantal . .. Telle a t l origine dudualisme quicaractrisenotre modernit,entre lois des corps

    entre substance et flux: Bitbol, Dpayser la pense scientifique, dansDpayser la pense dialogues hitrotopiques avec Frtznfois Jullien et son

    usage philosophique del

    chine Paris, Les empcheurs de penser en rond,2003,p.139sq.1. Sur ce sujet: Koyr, a science moderne dirig par R. Taton, Paris,

    P.U.F., 1969,Livrel,chapitrem.

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    DUCINM DANSL UNIVERSL UNlVERSDUCINM 13

    et facultsde la conscience,entremeet mcanisme,entreideset mouvements.Cedualisme fondateura lui-mme tprogressivementbranl parla formidableexpansiondessciences(l volutionnisme,l lectromagntisme,la psychophysique... ) et le renouveaudesconnaissancessurla vie,l histoire de la vie,le psychisme,le cerveau,la mmoire,l atome... C est justementau momento ce dualismecommenait vacillerquele cinmaestentren scne,savoiraumomentd une crise historiquedelapsychologie

    etd uneprofonde crisedelaphilosophie.Crisepsychologiqueparcequ aveclanouvellepsychologie lemondeentraitdanslaconscience1 Crise philosophique,et quirsonnafortement,lugubrement,dans lelivre critparHusserlentre1935et1936 l poque du nazismeet du cinmade propagandeLa crise des sciences europennes et l phnomnologie

    transcendantale , maisdontlesthmes dominants remontent l origine mmedu projethusserlien,parceque,pourlanouvellephilosophie,lemondenepouvaitplustre spardelaconscience,etqueseprsentaitalorscettealternative: soitlemondeestlecorrlatintentionneldelaconscience, soitlaconscienceestunepartierelledumonde.

    Il fallait toutprixsurmontercettedualit del image et dumouvement, dela conscinceetdelachose.A ammepoque,deuxauteurstrs diffrentsallaiententreprendrecettetche,ditDeleuze,BergsonetHusserl.Chacunlanaitson crideguerre:toute conscienceestconsciencede quelquechose(Husserl)ouplusencoretouteconscienceest quelquechose (Bergson).Sans

    l La loi de Weber(1795-1878}tablitun rapport proportionnel entreexcitationetconsciencedel accroissementd une sensation; Fechner(1801-1887)va plus loin encore,i l considrequel sensation variecommel exci-tationetrelvedoncd une analysephysique.

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    14 CHAPITREPREMIER

    doute beaucoup de facteurs extrieurs la philosophieexpliquaient que l ancienne position ft devenue impossible.ctait des facteurs sociaux et scientifiques qui mettaient deplus en plus de mouvement dans la vie consciente et d imagesdans le monde matriel. Commentds lors ne pas tenir comptedu cinma; qui se prparait ~ moment l, et qui allait apportersa proprevidenced une image-mouvement?1

    En tant que produit mcaniqueet industriel, en tant qu artdu mouvementdes images, en tant que spectacle perception)

    qui met l me en mouvement pour le meilleur et le pire), lecinma naissantne pouvait tre sans rapport cette histoiredumouvementet cette crise. Le premier philosophe avoireu lanette conscience que l histoire de la philosophie eJ de lascience n avait t qu une mditation sur le mouvement, etque. le cinma concernait cette tradition, en mme tempsque la crise de cette tradition, fut Bergson. Le trs importantchapitre IV de L volution cratrice consacre l histoire dessystmes prsente une synthse remarquablede l histoire dela penseoccidentale.,mais c est pour la ramener une i l l u s ~ o nqui la corromptds l origine. On n y trouvera aucunloge ducinma puisque le cinma est assimil l ide mme d unfaux mouvement qui traverse l histoire de la philosophie et

    de la science depuis les paradoxes de Znon, et que Bergsondnomme : illusion cinmatographique.Reste que le cinma est pour la p r m i ~fois associ une manire de penserle mouvement qui aura t cel,le de toute la philosophie:le mouvementest reconstitu spatialement,toujours partir devues immobiles, tantt partir des formes stables pour la

    philosophie et la science antiques moments privilgis ou

    1.Cl,p.83-84.

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    DU CINMA DANSL UNIVERSL UNIVERSDUCINMA 15

    saillantsde l histoire deschoses, commele terme final,laformeaccomplie,le but,lelieu,etc.),tantt partir d instantsquelconquespourlaphilosophieet lascience moderne(avecGalile,l n y a plusde momentessentiel, pas d instantprivilgi: tudier le corpsqui tombe,c est le considrer n importe quelmomentdesacourse ... )Touslesinstantssevalent)1

    a sciencemoderne,commela science antique, procdeselonle mcanismecinmatographique- Lanouvellephilosophieallait donctreun recommencementou pluttunetranspositiondel ancienne 2

    C st doncautourde la questiondu mouvementquelaphilosophie bergsonienne rencontrele cinma.Nonpaspourfairedu cinmaunechoseneuve,maisla plusvieille desmthodes:demmeque lecinmaanimedesimagesfixesoudesinstantansparlemouvementimpersonneld une camra(photogrammes,24 images/secondes) et engendrel illusiond un mouvementrel,de mmenotreperception, notreconnaissance, notrelangage prennentdesvuesquasi instantanessurla ralit qui passe et prtendent reconstituer ledevenirdeschosespar lemouvementquemetenbranle l intel

    ligence.Mais,pourBergson,ni notreperception,ni notreconnaissance,ni lecinmanetouchentlemouvement rel,ledevenirintrieur des choses.Quandla philosophieet lasciences appuient surle mcanismecinmatographiquedenotreperceptionet denotreintelligence,ellessefontcinmaleur tour,quipasse ctdumouvement rel deschoses,purartifice et illusion. Bergson accuseainsilamthodecinmato-

    1.Bergson,L volution cratrice Paris,P.U.F.,2007,p.330et 331.2.Ibid. p.328et348.

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    16 CHAPITRE PREMIER

    graphique d tre la quintessence de l illusion qui traverse lapense occidentale. Il fait surgir une trange alliance entrevieille philosophie etart nouveau, comme si la philosophieavait toujours t un cinma intrieur et le cinma le drivmoderneet technologiquede la mthodephilosophique.

    LA PERCEPTION NATURELLE

    Pourtant le livre de Deleuze n aurait pas t possible siBergson,en plus d tre le critiquede la traditionet del illusioncinmatographique, n avait t le penseur d un vrai mouve-ment. La critique du faux mouvement du mcanisme et ducinm,a, le surplomb critique sur toute l histoire de la pensedcoulent en effet chez Bergson de la dcouverte du vraimouvement intrieur aux choses, source de leur devenirtemporel, de leur changement, et qu il nomme: dure. ~

    premiers cJ;iapitres de Cinma sont ainsi consacrs distin-guer faux mouvement etvrai mouvementen prenantappui surles thses concWTentes de Bergson dans Mafire et mmoire(le vrai mouvementdans le chapitre1 et L volutioncratrice(le faux mouvement dans le chapitre IV . Deux visages deBergson se font face: celui qui critique le cinma et le faux

    mouvement,celui qui pense le vrai mouvem fntet pennet parcontre coup de retrouver le sens mme du travail cinmato-graphique.La positionde Bergson apparai"talors double. D unct, Bergson s s i m i l ~perception naturelle et illusion cin-matographique. D un autre ct, 10 ans avant L volutioncratrice, dans Matire et mmoire, en 1896, un an tout justeaprs1invention du cinmaqu on fixe gnralement l anne1895, l nous donne aussi une thorie de la perception puredont Deletl7.C pense qu elle pennet de mieux comprendre cequi se passe au cinma. Bergson ferait bouger la philosophie

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    DU cnIBM DANS L UNIVERS L UNIVERSDU CINOO 17

    sur la questiondu mouvementau point d tre en phase avec ceque le cinma apportepar lui-mme. Et, bien qu il critique le

    cinma comme mthode,Bergson serait au plus proche de lapensecinmatographiqueds qu il parle du mouvementet delaperceptiondu mouvement.

    Tout va se nouer autour de cette question vieille commela philosophie: que veut dire percevoir? L entre en scnedu cinma relance cette question puisqu il s agit d un artd images perues par un spectateur. Beaucoup sesont demands si le cinma imitait la perceptionnaturelle et s il nousaidaiten retour dfinirce qu est la perceptionnaturelle?Pourle Bergson de L volution cratrice, pas de doute, le cinmanous aide bien la comprendre, il nous fait voir le faux mouvementqui animecelle-ci. En effet, notre perceptionnaturelleslectionne des images immobiles dansle flux d univers, des

    images sans mouvement. Percevoir, c est actionner uneespce de cinmatographe intrieur, dit L volution cra-trice puisque nous reconstituons le devenir avec des imagesfixes. Bergson assimile perception et cinma : le cinmaproduitun faux mouvement,mais quand nous percevons,nousconstituons aussi un faux mouvement, et, commenteDeleuze,

    son tour : nous faisons

    du cinma sans le savoir

    Dansson histoire, il ne faut pas croire que la connaissance philosophique ait procd autrement, ajoute Bergson. Elle acherch reconstituerle devenir partird ides ternelles,deformes immuables, d images fixes, produisant son tour unfaux mouvement orien ne devient, ni ne change, o le tempsn existe pas. Le cinma naissant dvoilaitpar consquentauxyeux de Bergson la mthode mme del entendementhumain

    1.Cl,p.10.

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    18 CHAPITREPREMIER

    (toujours partir de points de vues fixes ou de clichs instantans pour ensuite recomposerle devenir) et de la perceptionnaturelle.

    Au-del de Bergson, le surgissement du cinma arenouvel le dbat philosophiquesur la perception. Le cinmapermet-il d'apprhender ce que signifie percevoir? La rponsene va pas de soi. Pour les uns, le cinma reproduit les conditions de la perception naturelle, c'est la thse de Bergson, cesera aussi celle de la phnomnologie1 Pour d'autres, il s'en

    loigne, tant plutt langue, langage (ds le dbut, avant leparlant, les cinastes comme Eisenstein ou Vertov, en font unelangue, cette ide est ensuite corrige par les linguistes et lessmiologues comme Christian Metz qui n font plutt unlangage). Deleuze se dissocie de ces deux orientations,naturaliste et linguistique.

    En suivant le Bergson de Matire t mmoire il considreque la perception n'a pas t bien analyse. Notre percepqonne commence pas en effet par la perception naturelle; c'estplutt l'inverse, on ne eomprend pas la perceptionnaturelle etsubjective (avec ses arrts, ses seuils, ses formes) si l'on ne sedonne.pas d'abord une perception objective c ~ e s t d i r euneperception de mouvement. Dans Cinma l Deleuze n'argumente pas en utilisant la fameuse perception pure deBergson, mais en parlant directement d'une perceptionobjective qui se place dans ie mouvementdes choses mmeset dborde notre perception nBsturelle. a perception naturelleest peut-tre statique, mais la perception objective nous metaux prises avec quelque chosequi ne cesse de se dplacer dans

    l Merleau-Ponty, Sens et non-sens Paris, Nagel, 1966. Dans un articleclbre, Le cinma et la nouvelle psychologie Merleau-Ponty tablit enquoi le cinmava d ns le sens du renouveaude la psychologiede la perception.

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    DUCINMADANSL UNIVERS L UNIVERSDUCINMA 19

    ijo:spaceetde changer dansle temps.JusteavantCinma 1,Mille Plateaux consacredeuxpages la perceptiondumouve-mentpour nouslivrer cette tonnante analyse: le mouvementtj est perceptible qu en droit,enfait l est imperceptible : e;fJn11vementest dans un rapport essentiel avec l imperceptible,t t par nature imperceptible Quenousdit ce texte? Sonatgument repose surlesseuilsperceptifs (etaussibien photo-pphiqu s ou cinmatographiques) toujourstroplargesoutroptroitspour les pursrapportsde vitesse et de lenteur,

    commedansla lutte japonaise ou entre l attente longueet( .actionfulgurante,onn a rienvu se passer.Quelquechoses1estpass,maisjenel ai pasvu,jen ai pulevoir.

    Enmmetemps,cette premirethse sedoubled une autrethse,lemouvementest cequinepeuttre que peru,il doittreperu,en unmot l est conditiondelaperception.Nousnepercevon:>pas le mouvementqui est temps(changement),maisseulement celuiquiest espace (translation). Cependant,quoiqueimperceptible,lechangementest la conditiondedroitdelaperception,ilest cequinepeuttre que peru,l crvelaperception spatiale,l emporte au-del d elle-mme, l lve sadimensionsuprieure,letemps.L argument seveutbergso-nien: maperception estsimultanmentperception de faitdetranslations(mouvement dansl espace) etperception dedroitdu changement (mouvement temporel): Le mouvement,c est unetranslation dansl espace. Or, chaque fois qu il y atranslation des parties dans l espace, il y a aussi changementqualitatif dans un tout. Bergsonen donnaitde multiples

    1.Mille Plateaux Paris,Minuit,1980,p. 344.

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    20 CHAPITRBPRBMIER

    exemples dansMatire et mmoire Unanimalsemeut,maiscen est paspourrien,c est pourmanger

    Commentnousfairevoir cequ on nepeutque voir, cequ on doit voir, commentnousfaire~ r c e v o i rlemouvementdedurequipasse entreleschoses?Ceseral aventure ducinma.Etc estuneautre aventurequecelledela perceptionnaturelle.e clivageentrephnomnologieetbergsonisme setient toutentier l, dansla considrationquela perceptionnaturellen a aucun privilge 2 Cequim apparat estcertes

    images,maisje sensbienquecesimagesmanentdumouvementdel univers.C est entout cascerapportentreconscienceetunivers,entreimageetmouvementque lepremier chapitredeMatire et mmoiremetenscne,pressentantdemanireprophtiquel avenir oul essence ducinma :

    a dcouvertedel image-mouvement,au-deldes conditionsde la perception naturelle taitla prodigieuse inventiondupremierchapitredeMatireetmmoire3Le cinmaretrouveraexactement l image-mouvementdupremierchapitrede a t i ~ r eetmmoire4

    LE MOUVEMENTETLALUMIREDANSL UNIVERS

    L illusion cinmatographique consiste reconstituer lemouvement avecdescoupesimmobiles,poses,positions,ouinstants remarquables(naissance,jeunesse,vieillesse... ).Lamodernitnemodifiepascetteillusion,nousl avons dit,bienaucontraire, ellel tend. Ellerapporteeneffet lemouvement

    l.Cl,p.18.2./bid.,p. 853./bid.,p.11.4.lbid.,p.12.

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    DU cINmfADANSL UNIVERSL UNIVERSDU cINmfA 21

    non plus des formes intelligiblesou des positions remarquables, mais des instants quelconques.

    L aspect si rvolutionnaire de Matire et mmoiretient ce qu'est propos, dans son quatrime chapitre, uneautre conception du mouvement que L volution cratricen accorde pas au cinma. Face au mcanisme, Bergsoncomprend le mouvement commetant indivisible, continu,temporel, qualitatif. C'est un absolu, tout mouvement est unabsolu. Il n'y a mouvementque parce que quelque chose dure,

    change, setransforme.Alors que le mcanismene parleque demouvements relatifs dans l espace, la philosophie dcouvrele mouvement absolu comme ce qui s'invente au curdes choses.

    Ainsi pens, le mouvement change de statut en mmetemps que la perception. Il a des choses qui ne cessent dechanger, le monde ne cesse de changer, si bien que notreperception naturelle ne marque pas un point de dpart,elle a plutt besoin d'tre dduite. Pourquoi peroit-on desimages fixes, des vues instantanes? Il faudrait dduire(Bergson) cette perception naturelle ou cinmatogra-phique (Deleuze)1 Il faudrait dire commentelle se produit,alors que tout est changement. Et, c'est bien ce que fera lepremier chapitre de Matire et mmoire. A propos de cechapitre, Deleuzenous livre l'une des plus belles et profondeslectures de Bergson.Elle concernele cinma, mais avant cela,elle tmoigne d'une position philosophiquefondamentale: laconsciencene surgitquedans un rapport univers.

    Que signifiepercevoir, demandions-nous? Bergson ouvre

    le premierchapitre de Matire et mmoire en disant que nous

    l.lbid. p. 85.

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    22 CH PITRE PREMIER

    percevons des images qui agissent et ragissent, quiexprimentles modificationsde l univers, de telle manirequema perception s ouvre d abord au monde, qu elle a pourcondition le mouvement du monde. Pour Deleuze, c est lepoint dcisif: image veut dire mouvement de l matire,coulement-matire. Il forge alors le concept d imagemouvement. On cherchera en vain le concept chez Bergson,l ne s y trouve pas. Ou alors l faut prciser de quel mouve

    ment on parle: sil on parle du mcanisme,comme au dbutde

    Matire et mmoire, les images voquent les parties lmentaires de la matire en interaction (atomisme et mcanisme).L imagination scientifique,mcanistique, atomistique,fige lamatire dans des schmes. Mais si l on parle de changementpur, de mouvement pur, alors ces images grossires de lascience n ont plus leur place: un mouvement absolu, dit toutsimplement Bergson, ne peut s imaginer, se mettre enimages .

    Or, en nous situant sur un plan d images-mouvement,de quoi Deleuzeparl-t-il exactement? Pas du mcanisme, nides jmages statiques de la science, mais d images qui sontl indice d un .changement absolu dans l univers, et qu ilnomme coupe mobile de ladure.Pour Deleuze, l imagemouvement indique toujours la fois une interaction entreles parties d un systme et un changement d ns le Tout.Il ne cesse de rpter que le mouvement a deux faces la fois translation dans l espace et changement dans letout. L image-mouvement a donc aussi deux faces, elle estncessairementespace, mais encore temps, loc d espace

    temps, puisqu elle exprime les devenirs et les changements

    1 . B e r g s o n M a t i ~ r e e t m m o i r e P a r i s P . U . F .1968,p.211,224-225.

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    DUCINMA DANSL UNIVERS L UNIVERSDUCINaMA 23

    de l univers.C est bienun universtemporel quel imagedemaperception objectivecoupe selonDeleuze;celle-ciconservencessairementquelquechosede la mobilitdel univers, etcelasuffit distinguercettepositiondecelledeBergsonpourqui1imageestfigementdutemps, sanstre enelle-mme tempsetchangement

    Seloncetteanalyse,si notreperception naturellefixelemouvementdes chosesdans l espace, il faut bien remarquerquel image cinmatographiquefaitjustementtoutl inverse,

    elleextraitde la mobilit du mouvementdeschosesdansl espace:e proprede l image cinmatographique,c est d extraire des

    vhiculesoudesmobileslemouvementquienestlasubstanceoud extrairedes mouvementslamobilitquienestl essence 2

    Pourquoi,cependant, Deleuzeconserve-t-il letermeimage-mouvement,troppsychologique,tropstatique, pourdcrire cemouvementabsoludansl univers, contrairementBergson?a premire rponseestvidente: l en a besoinpourtablirunpontentrel univers comme mouvementet lecinma comme artdesimages. Mais,troisautresraisonsphilosophiquespeuventtre voques.Premireraison,l image-

    mouvementest l image qui paratt ma conscience touten tant mouvement dans le monde. Ce conceptp ~ r m tdesurmonterlacrisedelapsychologiequisparait intrieuret extrieur,moi et mondeet produisaitun sujetcliv.Pour Deleuze quandnouspercevonsdesimages, nouspercevonsaussil en soi de l image, le mouvementqui lie lesimages.L en soi de l image estencore de l image, c est la

    l.Cl,p.87.2./bid.,p.37.

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    24 CH PITRE PREMIER

    matire/mouvement, l identit absolue de l image et dumouvement.Un Mouvement absolu emportel Univers, uneperptuellecration (dure).

    a deuxime raison est trs profonde. Deleuze y voitl occasion de tracer un plan d immanence fait d imagesen soi (cette fois-ci le terme est bien chez Bergson quil utilise dans le premierchapitre de Matire et mmoire et quine l utilisera plus jamais), indpendantesdu sujet. La notiond images en soi a-t-elle cependant un sens? N est-il pas

    absurde de supposer des imges en soi comme le faitBergson: Commentparler d images en soi, qui ne sont pourpersonne et ne s adressent personne? Comment parler d unapparai tre puisqu il n y a mme pas d il, demandeDeleuze ?

    C est sans doutele point le plus difficilede l interprtationde Bergson. Parti de la perception naturelle et de l illusioncinmatographique,des images que nous percevons, voil queBergson parle d images en soi. Que veut-il dire? Etpourquoiest-ce si important pour Deleuze?L insistance sur lanotion d images en soi a pour fonction de rendrepossibleune rupture radicale avec la tradition spiritualiste (tel estl usage paradoxal que Deleuze fait de Bergson). e privilgede la perception naturelleest encote contest, car celle-ci nerend pas l u n i ~ e r svisible, l univers est visible en lui-mme,lumire en soi, image en soi, apparatre en soi. La lumire nevient pas de l esprit ou de la conscience. a phnomnologiehrite de cette tradition. En s'appuyant sur la perceptionnaturelle; elle donne trop la conscience, la lumire de la

    conscience: elle fait de l intentionnalit un rayon qu on

    1.Cl,p.88.

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    DU clt MA DANS L UNIVERSL UNIVERSDU clt MA 25

    braque sur les choses. La lecture que Deleuze fait de Bergsonarracheau contrairecelui-ci latraditionspiritualiste:retourl univers,au plan d immanencedes imagesen soi :

    Ce sont les choses qui sontlumineuses par elles-mmes,sansrien qui les claire;toute conscienceest quelque chose elle seconfond avecla chose,c est--direavec l imagede lumire1

    L image en soi se dduit doublement de ma propreperceptioncomme tant le Mouvementqu ellene fait pas, et

    commetantaussi la Visibilitqu ellene crepas.La troisime raisonnous rapprochedu cinma. Derrire laperception naturelle photographique de la perception(comme si la perception crait les photos), l faut rendrecompte de la perceptibilit totale des images. Or, l n y auraitpas de photosdans la perception naturelle, s iln y avait djune photographie ( .. )prise,et tiredans l intrieurdeschoses, dj une photographie ( .. )translucide du toutcrit Bergson2 Lorsque nous percevons, nous nous situonsdans cette perception totale immanente auxchoses objectivediffuse et cette perception a prcisment pour quivalentlemontage au cinma (comme Ide du tout, vision totale desimages). Voil ce que le modlephotographiquede la percep

    tion nepeutnous aidercomprendre:avant devoirdes imagesfixes etcadres,nous avonsla perceptiontotale des images.Une transpositionde cette fonction de la perceptionvers le

    cinmaestdonc possible.

    Si le cinman anullementpour modle laperception naturellesubjective, c est parce que la mobilit de ses centres et la

    l lbid. p. 89-90.2. Bergson,Matire etmmoire p. 36.

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    26 CHAPITRE PREMIER

    variabilit de ses cadrages l amnent toujours restaurer devastes zones acentres et dcadres: l tend alors rejoindre lepremier rgime de l image-mouvement, l universellevaria

    tion, la perceptiontotale objectiveet diffuse1

    On voit mieux quoi correspond lacration du conceptd image-mouvement qui ne se trouve pas chez Bergson.Deleuze en a besoin afin de construire l univers commecinmaet le cinmacomme univers:

    L Univers matriel, le plan d immanence est l agencementmachiniquedes images-mouvement.Il a une extraordinaireavance deBergson: c est l univers comme cinma en soi pnmtacinma et qui implique sur le cinma une tout autre vueque celle que Bergson proposait' 2

    Cette lecture russit faire de Bergson l inventeurparadoxal d un Univers comme cinma en soi (lui qui necesse de critiquer l illusion cinmatographique), avec sonenchanementmacltjnique d images, son Mouvement absoluet sa Lumireen soi. Notre perceptionen ressortmodifie :elleest de droit totale, objectiveet diffuse,participationau cinmaen soi. Et de mme, notre cinma, en tant qu art humain, nefait qu obir aux lois de ce cinma. Dans l naissance e

    la tragdie Nietzsche appuyait la tragdie en tant qu arthumai sur un proto-art divin et cosmique (la lutte fraternelled Apollon et de, Dionysos), Deleuze son tour double lecinma humain d un Mtacinma cosmique. A l inverse,aller au cinma ce sera toujours entrer dans un univers,entamerun devenir-univers.

    1. e r g s o o M o t i ~ r e e tmmoire p. 94.2.lbid. p.88.

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    CllAPITREII

    CINMAET UNIVERSCADRE: PLAN,MONTAGE,CINM DU SUBLIME

    Lecinmaestunemaniredefaireununivers.Sibien quelesoprationsducinma nesontpasd aborddesfragments

    d undiscourssignifiantmaislesmomentsd une philosophiedelanature.l a commeuneobsessionduschmatriadiquedansles deuxlivres .deDeleuresur le cinma, quin estpassansrappelerunedialectiquede la nature.TroisthsesdeBergsonsur le mouvement:coupes immobiles; coupesmobiles de la dure, dure pure ou changement. Puis,ladialectique passedanslescoordonnesdel univers: espace,espace/temps, temps; s insinue dans les typesd images:images fixes, images-mouvements, images indirectes dutemps; danslesfonctionsde la perception:perception subjective, perception objective, imperceptible mouvementontologique); danslesstratesdevisibilit:vues, visible, invisiblelumire ontologique); dansles appareillages (mcaniques

    et mentaux):photographie, cinma, Ide du cinma; danslesoprationsducinma:cadre, plan, montage. Viendrontensuited autres distinctionstoujours trois termes(Espces

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    28 CHAPlTREil

    d images, typesde signes... ). Cependant,cette dialectiquen est pas d opposition, mais deconjonction (au pPintquechaquemomentpeutdjcontenirlesautres,le cadredjprfigurerle montage... les troismomentsfonctionnenttoujours ensemble,dans l univers, dans la perceptiond univers, et dansla perception cinmatographique.). Et,cen est pas proprementparler unephilosophiede la naturepuisque le troisimemomentest celuidutempset del esprit:cinquimedimension,mentale,spirituelle,temporelle.Le

    cinmaest un devenir-universqui inclutl esprit, c estpourquoil n est passeulementmcaniqueouorganique.Ilesttoutefoisimpratif depenser lesoprationsducinmacommeles coordonnes spatio-temporellesde ce devenir-univers:espace (cadre),mouvement(plan),temps(montage).Lecinaste agiten quelquesortecommeun dmiurgeou unsorcier,l mlangeespace,mouvementet tempspourfairenatreunmonde.

    L OPRATIONDE CADRAGE

    Ainsi,l opration de cadragenousrenvoied abord l espace. Faireun universen effet,c est d abord se donner

    un espace,disr>ser despartiesdansun espace.Telleestl

    fonctiondu cadra_ge.On a pu penserle cadragecqmmelmentdistinctif mipimalducinma, cinme lamanireduphonmeen ling_uistique,maisce rapportne semblepaspertinent Deleuzequi enreste~ xlmentsd une philo-sophie de la nature Le cadrecinmatographique,c estd abord del espace, unsystmeclosquiagence les partiesdel image selondeslois purement physiques Parlecadrage,lecinmanefaitd ailleurs pasautrechosequecequ a toujoursfaitlapeinture,l dlimite,l enfermedansunespaceclosdes

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    CINMAET UNIVERS 29

    partiesdiffrentes,i l pose surcepointles mmesproblmesque la peinture,relatifs la dispositionde partiesdansl espace: espacerarfiou satur(dserts,vides,foules,cransblancs ou noirscommelorsqueleverre delait envahitl cran dansSoupons [Hitchcock]), espace gomtriqueouphysique,espaceoptique.

    La peinturea dvelopptrs profondmenttouteslesconsquencesd un traitementgomtrique, physique,optiquede1'espace. e cadreagitcommeun moulequidonne

    soncontenuunecertaineformeconstateCharpentes,dansl gomtrie secrte..despeintres . e cadrepicturalnecredoncpasseulementunelimiteextrieure,i l structurel espaceintrieurdelignes gomtriquesquisontcommela pousseducadre l intrieur (frises,polyptyques,tondo,rectangles,carrs... ne moulentpasde la mmemanirel intrieur).DanssonDe pictura Albertiinsistetoutparticulirementsurl'oprationdecadrage:

    J inscris sur la surface peindreunquadrilatre anglesdroitsaussi grandqu il meplait,quiestpourmoien vritcommeunefentreouverte partirdelaquelle'histoireconsidrepourratrereprsente2

    1 Deleuzeparlede la photocommemoule,. quiorganise lesforcesinternesdelachose,., maiscelavautaussibienpourlecadrage,Cl, p.39.

    2.Alberti, a peinture Paris, Seuil,2004,trad.et d. parB.PrvostetTh.Golsennel, 19.Leplusimportanttoutefois chezAlbertin est paslagom-trieidaleousecrte, l Historia c est cettereprsentation quisediviseensurfacesgomtriques: a pcintuie,commentent Bertrand PrvostetThomasGolsenne,n est pasautrechoseconcrtementet essenellementqu une surface

    divisibleen surfacespluspetites.Toute sciencede l art seradoncle corollaired'unescience de la nature. Il fautdonc6viterdevoirdanscesproposunegomtriefonnelleindpendanted une narrationet d une reprsentationPicturales.

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    30 CHAPITREIl

    Parcequ elle dlimiteun cadreet un espaceintrieur, toutela reprsentation picturale historia) relve de la gomtrie:proportions,consonances musicales,nombred or, inscriptionde figures. Le Baroqueet le manirismene changentrien cettat de fait, ils ne font que changerde gomtrie, ils invententune gomtrie du mouvement, des corps en mouvement, oc est la matirequi cre l espace 1 La forme serpentine, l oblique, la diagonale, l ellipse deviennent alors les linamentsd une nouvellestructurationdel espace (Tintoret,Rubens).

    On le voit bien, l opration de cadrage consiste pourDeleuze engendrer physiquement un espace. Mais, aucinma, la diffrence de la peinture, comme les images sonten mouvement,ce qui n .estpas prsentdans le cadren est paspour autant absent. Le hors.-champsdsignece qui n est pascadr (ce qu on entend pas et ne voit pas), et qui pourtantinsiste ou subsiste dans le prsent; l image qu on voit aun lienavec un ensemble plusgrand, la limiteavec le tout luimme, non visible. Le hors-champ marquedonc le fait qu iln y a pas l ~absolue du visible au cinma. Le cadre atoujours un dehors, ce sont les images passes, l espace extrieur, en mme temps que le changement qui s opre dans letemps. Telle est la double fonction du hors-champ: faire

    1 Deleuze utilise souvent ces deux ouvrages de H. Wlfflin Principesfondamentawc de l histoire de l art, Brionne, Grard Montfort, 1989 etRenaissance et Baroque Brionne, Gmlrd Montfort, 1997, pour distinguerRenaissanceet Baroque : passagedu tactile au visuel, du gomtriqueau physique,du statiqueau mouvement,du plan la profondeur,du clair l obscur, ducercle l ellipse, de la parallle la diagonale, de la lignequi enclt la ligne

    serpentine, de la forme ferme la forme ouverte ... Le Trait (Trattatodell arte della pittura) de Gio Paolo Lamazzo crit en 1584, rsume cechangementen une phrase C est dans lemouvement querside 1 esprit et laviedel art,Livre V,cbapitreJ.

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    CINMAETUNIVERS 31

    communiquerl espace ducadreavecunespaceplusgrand,fairecommuniquercetespaceavecle temps.Demmequel image-mouvement renvoie l espace etautemps,demmelehors champa undoubleaspect : aspectrelatif quandc estun fil quireliedesespaces il tendl espace, il ajoutedel espace l espace), aspectabsoluquanddansune imagepresqueferme,il introduitdu trans-spatialet duspirituelil insredll temps dansl espace, ainsi Dreyerqui ferme

    l imagepourfaireadvenirl esprit, lorsdesdcisionsspiri

    tuellesdeJeanneet Gertrud;ouHitchcockquicltl imagepourfairesurgiruneimagementale quiprendpourobjetlesrelationsentrechoses,etd o.dcoulelesuspenspuisqu onnecessed interprter et devoirdenouvellesrelationsentrechoses,etnonpasseulementce qui estfait ouqui l a fait).

    LEPLAN

    A la gomtriede l espace, le planajoutesa propregomtrie,sa propreperspective spatiale et temporelle asecondeoprationdu cinma,est de crerdes plans,desimages-mouvement,des images quis enchanent dans unmouvement,et travers lequelleschosesserpartissentautre

    ment:Le plan,c est l image-mouvement1

    Chaquefilmesteneffetunensemblelimit deplans. Et,l on pourraitdirequechaqueplancontientunemultiplicitdeplans,associsdiffremment,parle mouvementde la camra(travelling),pardesraccords... Nous avons vuqueDeleuzedistinguaitmouvementspatial etmouvement temporel.Le planestunmouvementdansl espace quimodifielesrapportsdespartiesentreselles(unpersonnagesortdutrain,unefoulesurgitsur la

    l Cl .p.36.

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    32 CHAPITREIl

    place ... ), il est une perspective spatiale. Mais, ce mouvementspatial n aurait aucun sens s il ne se doublait aussi de quelquechose qui change dans le tout, c est--dire d une pt;rspectivetemporelle qui concerne le tout du film. Que serait unplan qui n apporterait aucune variation qualitative, qui neferait rien changer dans ce qu on peroit? Le plan adonc lui aussi deux aspects, rapport entre les parties etaffection du tout 1 Il divise la dure en mouvements detranslationet runit ces mouvementshtrognesen unedure

    unique. Deleuzeinvente le tenne de Dividuelpour qualifierce double statut de l image-mouvementcinmatographique,tendance dcomposer ladure en translations et tendance recomposer les translations en dure. En tant que tel, le plandoit tre conu comme l iritenndiaire entre le montagetemporel et le cadre spatialisant. Il met en mouvement lesparties du cadre, tout en faisant changer le tout. Il n est pasmouvementdans l espace sans tre ainsi changement pouruneconscience, au point que Deleuzedit que le plan agit commeune conscience. Non pas o ~ eune conscience humaine,mais comme uneconscienceau-deldel humain,consciencecamra, tantt humaine, tantt inhumaine, tantt surhumaine2. Dans Les Oiseauxd Hitchcock, par exemple,montre Deleuze,les plans ne cessent de changer la perceptionde la Nature, nature humanise(eau, lointain,maisons), natureoisellise quand les oiseaux attaquent et menacentl homme, nature inhumaine quand oiseauxet hommes entretiennent un rapport indcis. Le plan est bien un bloc d espace/

    l.lbid p.33.2. lbid. p. 34.

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    CINM ET UNIVERS 33

    temps, avec son mouvement qui renvoie simultanment autempset l espace, la nature et la conscience.

    LE MONTAGE ET LECINM DU SUBLIME

    Avec le montage,nous atteignons la dernire dimensiondecet univers: le temps. Nous avons dcompos cet univers/cinmaconstruitpar Deleuze, mais nous ne pouvonsen ralitsparer les trois premires dimensions de l espae gomtrique, ainsi que la quatrimedimensionqui est le mouvement/temps physique, d une cinquime dimension (la dure,l esprit, la conscience: rappelons que tout le problme des artsde lpoque pionnire du cinma est de faire apparai tre cettecinquime dimension sur laquelle on ne cesse de dbattre cette poque). On sait que le JilOntage consiste pour le ralisateur, choisir les plans, les raccords, slectionner, couper,

    coller. Du dbut la fin, l agence les images-mouvementdetelle manire que quelque chose se passe, change, se transfonne qualitativement.L ultime dimension est donc le tempscomme changement, et cette dure correspond la maniredont l'univers progresse. Ainsi, le film est compos d'imagesque l on voit, mais l est aussi doubl d une ide du tout que

    l on ne voit pas et qui conditionne le chaiigementqui s opredans les images. C est pourquoi, tout en tant condition duperceptible,le mntage est l'imperceptible.Le spectateur voitla successiondes plans mais pas l ide du tout, les images maispas le montage, le mouvement mais pas le temps. Deleuzeparlera de lui comme constituant une image indire te dutemps.

    Le montage,tant la fois rapport aux images-mouvementet au temps, Deleuze pouvait lui faire rencontrer de nombreuses rflexionsphilosophiques :

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    34 CHAPITREII

    Depuis la plus ancienne philosophie, l y beaucoupde maniresdont le temps peut-tre conu en/onction du mouvement parrapport au mouvement suivant des compositions diverses; il

    est probable qu on retrouvera cette diversit dans lesdiffrentescolesde montage1

    Et effectivement,nous allons voir commentces diffrentescoJes de montage retrouvent pourleur compte les rflexionsqui ont domin la philosophie. Ainsi, montre Deleuze, letemps peut tre donn par l alternance du mouvement,par des

    parties diffrenciesqui se succdent, en rapport binaire,alorsle fiJm cre un univers-temps qui progresse organiquement.C est Griffith qui retrouvera cette image indirecte du tempscommedveloppement organique partirde contrairesavec lemontage parallle et altern. Ou alors, le temps rsulte d unmouvement dialectique, l y une dialectique de la nature

    comme chez Hegel et Marx,mouvement l Un qui se ddouble et reforme une nouvelle unit, par contradiction etopposition. Avec le moptage d opposition d Eisenstein, l uni-vers progressedialectiquement. Tandisque le cinma franaisprfre la compositionmcanique cartsienneet pense que letemps est en rapport avec l quaritit de mouvement absofodans le monde, avecla simultanit lumineusequi dpassetoute perception possible. Etque p ur le cinma expressionniste allemand le temps rsulte d un doubfe passage, lavie non organique (opacit) et la vie non psychologique(lumire), comme si la Thorie des couleurs de Goethe avaitenfin trouv sa postrit, et que le cinma nous faisait percevoir l imperceptible lumiredes choses, opaqueet spirituelle

    la fois.

    l./bid.,p.47.

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    CINM ET UNIVERS 35

    Les rapports du cinma avec la philosophie sont.patents.Le montage de Griffith ressembleun montagearistotlicien,ses thses sur le mouvement semblent tre aristotliciennes,mme si Deleuze n'voquepas Aristote ici: tout mouvementrsulte de contraires (bon/mauvais, noir/blanc, Nord/Sud, villes/campagnes...). s'il y a une unit organique, ellese divise dans des contraires. N'est-cepas ce que Deleuzeappelle, en se servant d'Eisenstein,montage organique?La nation amricaineest engendreparle duel des contraires,par le conflit entre la vieille Amrique et la nouvelleAmrique, le NordetSud, l'industrie et l'agriculture,les villeset les campagnes, les Noirs et les Blancs. De mme que lemouvement aristotlicien se produit entre les contraires, demme la naissancede la nationamricaine,filme par Griffith,est traverse par la guerre civile, elle est hante par lescontraires, par la guerre de Scession. Etant une unit organique de contraires, elle est toujours menacepar le retourl'inorganique. La premire image indirecte du temps estobtenueparcettevision du mouvemententre contraires1

    Quand Deleuze dit de Griffith que lesparties agissentet ragissent les unes sur les autres, la fois pour montrercomment elles entrent en conflit etmenacent l unit del'ensembleorganique,etcomment elles surmontentle conflitou restaurent l'unit, l dfinit son mouvement filmique enfonction de ces critres : contraires qui s'opposent,unit

    1 Aristote, Physique, IV, l ; C'esten percevant le mouvement quenous percevons le temps,., et le mouvemeut passe toujours entre contraires

    ou contradictohcs. Comme le dit Deleuze sans son article sur Whi man,lAmrique estelle-mme fait.e d'tatsfdrs et de peuples immigrants(tninorits): partout collection de fragments, hante par la menace de laScession,c'est--dire la guerre,.Critique f t Clinique.Paris, Minuit p.76).

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    36 CHAPITREIl

    organique qui fdre les contraires, intermdiairesqui sont lecouplage des contraires1 Le montage de Griffith est la foismontage parallle qui montre les parties diffrentes etopposes, et montage convergent, avec alternance de plusen plus rapide, quand les duels et rivalits produisent malgrtout des actions qui uvrent instaurer l unit. Comme dansl uvre politique d Aristote, on voit bien cependant quel unit organique (constitution, nation ici) n abolitjamais lesdiffrences. Elle les maintient plutt, ajoute Griffith, mme

    au-del de la cit et de la famille, dans des ensembles toujoursplus grands qui brassent ces diffrences : socits, civilisations, millnaires. On comprend que le statut des noirs ou lalibrationdes esclaves ne soit pas l objet des films de Griffith,son objet est l unit organique qui permet la coexistence desdiffrences. De ce point de vue, l pense la guerre civile (l instar du meurtre de Remus par Romulus) commele rituelncessairement Pralable la naissance de la nation amricaine Le cinma organique de Griffith est le modleabsolu du cinma amricain qui ne cessera de filmer, danstous les genres, la naissance de la nation amricaine,avec sonidal de fusion de minorits ( partir d une division structurale et complmentaire des parties), son idal d une finalitde l histoire universelle (Bien). C est avec ce modle quel Amriquefera triompher le cinmadel image-action.

    Le plussoqvent, les livresde Deleuzeprocdenten prenant revers une reprsentation organique initiale qui bloquela pense sur un monde vu par l homme, organis pourl homme: la reprsentation organique d Aristote dans

    l.Cl,p.48.2.J.-L. Bourget,Lecinlmaamricain,Paris,P.U.F., 1983, p. 33-34.

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    CINMA ETUNIVERS 7

    I>iffrence et rptition, la reprsentationorganique dansle Bacon, les strates organiques de la nature dans MillePlateaux, le corps organique et organis dans l Anti-Oedipe

    Il en va de mme avec le cinma organique de Griffith. Oncomprend pourquoi Deleuze suit Eisenstein, qui tout enreconnaissant Griffith lemrited avoir inventl essentiel ducinma, lui adresse dj ces reproches: s tre arrt au sujetpsychologique, au mlodrame, une loi de dveloppementorganique sans oppositions. Deleuze se sert de cette analyse

    parce qu il a encore besoin au cinma d une reprsen-tation organique qui soit l exact contrepoint du cinmaqui s exhausse vers une pense du tout, et se dtache duparticulier. Si Eisensteinest trs diffrentpour lui, c est en tantqu il pense les rapports Homme/Nature:il inventeun cinmaqui a pour objet la Nature et pour sujet les masses Uncinma du sublime est un cinma qui force penser le tout etnon pas l hommeseulement.

    Deleuze dcle l uvre chez Eisenstein une autre thsephilosophique sur le temps, et une autre conception dumouvement: la dialectiquehglienneet marxiste.Le premierreproche adress par Eisenstein Griffith est bien en effetd avoir manqu la nature dialectiquede l organisme. Dans

    a non indiffrente Nature, Eisenstein montre que les partiesd un organisme ont ncessairementun rapport dialectique:par exemple, les richeset les pauvresn existent pas en soi maissont les m9ments ~ l e c t i q u e sd une mme cause, l exploi-tation sociale. L exploitation sociale produit ces diffrences

    lTous ces usages du concept de reprsentation organique s appuientsur deux influences : Worringer, Abstraction et Einflhung,Paris, Klincksieck,

    2003, etH. Maldiney,Regard Parole Espace, Paris,L ged Homme, 1994.2. C2, p. 21 l

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    38 CHAPITRER

    en elle, ces oppositions en elle, et le mouvement va alors del unit la dualit puis de la dualit l unit, et ainsi de suite,dans unespirale infmiequi s intriorise : L opposition est auservice de l unit dialectique dont elle marque la progression,dit Deleuze 1 D o le montaged opposition qui fait surgirune autre temporalit pour les choses et les hommes. Cetteautre conception du mouvement et du temps ne concernepas seulement la ralit sociale.Tout est concern par elle,les sciences naturelles et les mathmatiques, la Nature et

    l homme.Chez Eisenstein, la loi dialectique de progression du toutest donc organiquepuisqu elle scrte des opposs, mais aussipathtiqueet dramatique (rapport de homme etdu monde,de l hommeet de la nature)2 Deleuzedistingue trois aspectsdans la dialectique:organique, pathtique, dramatique. L or-ganique est seulement le premier moment, la loi quantitativede croissance partirde l unit qui se ddouble.Le pathtiqueest le second moment, Je moment de la loi qualitative dedveloppement. Le pathtique, c est ce qui oblige le spectateur bondirde son fauteuil, crit Eisenstein. Ce bondissement est un saut dialectique,un passagequalitatif: passage dela nature la conscience, du quantitatif au qualitatif, passagedes contraires les uns dans-les autres, de l eau dans la terre ...Et de mme dansl analyse de Deleuze,nous sautonsd un coupde la reprsentationorganique d Aristote Q Organon) laScience e la logique de Hegel, la question si dbattueensuite pr Engels du saut qualitatif, du surgissement soudaindans le cycledialectiquede la nature d une qualitnouvelle:

    l.Cl,p.52.2.C2,p.210.

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    CINMAETUNIVERS 39

    Leschangementsdel treengnral,critHegel,nesontpasseulementlepasserd unquantumdansunautrequantummaislepassageduquantitatifdans lequalitatif1

    ar le pathtiquemarquechezEisensteinlepassagedelanature laconscience laidedegros plans(mredubbdansle Potemkine nurse... ) qui fontchanger image dedimenkion,etmmela subjectivitpuisqu elledevientparlconsciencervolutionnaire.C estseulementencesensqu onpeutdireducinmad Eisenstein qu il donneladialettiqueunsensproprementrvolutionnaire Le montageparallledeGriffithlaisseplace unmontagedialectique d oppositions,Ie montage convergent un montagedialectiqued attractions, descondensations soudaines,bond pathtique,sautqualitatif,nouvelledimension del image3 Ledramatique,enfin,est le troisimemoment,la pense

    action qui runit laNatureet l homme, les lve unepuissancesuprme, savoirun monismedialectiquequEisensteinreprocheGriffithdenepasavoiratteint.

    DeGriffith Eisenstein,lemouvementneprogresseplusde la mmemanire: il variaitchezGriffithen raisondePartiesquiexistaientlesunespourlesautres etse fondaientdansune unitorganiquepouvants largirplus ou moins,ilVariechezEisensteinparlacausalit rciproquedespartiesqui s engendrent les unesles autresdansun mouvementdialectiquemoniste. Alors,ce n est plusla mmeimagedutemps: chezEisenstein,les chosesplongent vritablement

    1 Hegel,Scienctde l logique J.-P.LabarrietG.Jarczyk(d.),Livrel,

    sectionIl l , Lamesure,Paris,Aubier Montaigne,1976,p.341.2.CI,p.56.3.Cl,p.247.4.C2,p.212.

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    40 CHAPITREIl

    dans le temps, crit Deleuze, et mme deviennent im-menses parce qu elles occupent tout le temps ce qui veutdire le temps du tout bien au-del des parties : les 10 joursd Octobre,les 48 heures du Potemkinequi changent le monde.Une autreprogressiond univers.

    Entre l cole de montage russe et l cole de montageamricaine, on voit bien qu il ne s agit plus du mme univers,du mme temps, dela mme philosophie. Toutle cinmarussesemble opter pour un cinma qui dialectise les choses, tel

    point que les diffrences de montage entre ralisateurs neparaissent plus tre plus que des diffrences de choix pourraliser la meilleure dialectique (Poudovkine, Dovjenko,Vertov). e cinma de Vertov, auquel Deleuze accorde unegrande importance, le montre trs bien. Dans ses documentaires et ses actualits sovitiques, Vertov filme toutes leschoses, hommes, nature, enfants, objets techniques, commetantdes systmes matrielsen perptuelle inte.raction 1 Engnral, le cinma use de multiples procdspour nous fairepercevoirla variationdu mouvement: surimpressiop, ralentis,acclrs, immobilisation... Or, l y a chez Vertov une thoriedes intervalles du mouvement qui consiste d abord, par lemontage, mettreen relationdes images lointaines (par surimpression), incommensurablesdu point de vue de notreperception humaine,de manire extraire un maximumd interactionet de mobilit dans les choses : La surimpression exprimeraalors l interaction de points matrielsdistants Ce n est plusune perceptionhumaine puisque dans ce montage l intervalledu mouvement est dans les points distants de la matire,

    l.Cl,p.59.2.lbid. p. 121.

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    CINMAT UNIV RS 41

    dansune interactionuniverselledes grains de matire,obtenueparassociation,unionetnonplusparaffrontementou oppositioncommechezEisenstein.Plusencore,dansL Homme a camra (hymneaumouvement sous toutessesformes),lemontagedescenddel image auphotogrammepournousfairepercevoir lagensede la perception,l lmentgntiquede touteperceptionpossible, le pointquichangeet faitchangerla perception,diffrentiellede la perceptionmme(les photogrammesdansla salledemontage,lephoto

    gramme duchevalaugalop... ) Le ralenti,l acclr, voirel immobilisationdel image, ontpour fonctiondefairesurgirlepointd inflexion oud inversion dumouvement dansl image,lemomentocelui-ciralentit,s arrte, reprend,s acclre.En ramenantl image sesphotogrammes,enimmobilisantlemouvementpourle fairerejaillir,Vertovinventeunnouvelintervalledanslamatire,nonplusquantitatifmaisqualitatif,purediffrentielledumouvement physique,variation,vibration,mobilit.AvecL Homme la camra, l estceluiquiiraleplusloindanslesensd une dialectiquedelamatire,etc estencesensqu il intresse particulirementDeleuze:dpassementSimultande l hommepathtique etdela nature organique.L intervalle du mouvement, commeperception,estdans la matire elle-mme, l nes agit plusd une perceptionpathtique humaine,mais du rapportentre matirenonhumaineet camrasurhumaine:Cin-il, dit Vertov,ildansla matire, perceptiontellequ elle estdans lamatire,commente Deleuze, vraiedialectiquecommunistepuisqu ils agit del identit d une communaut de la matire

    l Ibid p 120

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    42 CHAPITREII

    et d un communisme de l homme Et vrai bergsonismematrialiste puisque Vertov est au plus prs de l'universbergsoniencommeMtacinma:

    Ce que Vertov matrialiste ralise par le cinma, c'est leprogramme matrialiste du premier chapitre de Matire etmmoire l'en soi de l'image. Le cin-il, J'il non-humain( .. ) l'il de la matire, I'il dans la matire ( .. ) (qui) neconmu td'autre tout quel univer'Smatrielet son extension2

    L'cole de montage franaise de \'avant-guerre,cartsiennepour Deleuze, s'intresse de prs cette questiondu mouvement. Commentextraire d'une compositionmcanique le maximum de movement, telle serait la question queferaient surgir des scnes comme la fte foraine d'Epstein(Cur fidle), le bal de L'Herbier (El Dorado), les farandolesde Grmillon, o encore les images d'eau, les fleuves, 'ocan,non pas comme puissances naturelles menaantes ou favorables l'homme mais comme m ~ q u edes .fluides quiemporte secrtement les choses? En plaant le mouvementmcanique au premierplan, la conceptiondu montage change nouveau: l en va comme s'il fallait dgager d'un espaceferm un maximum de mouvement, crer une compositipn

    machinique (danse, fte, bal) dont les acteurs seraient lespices. Commechez Descartes, l a dans le cinma franai'sune fascination pour l'automate, ce mouvement mcaniquequi rend homogne les vivants et les choses, les animset les inanims. Danses, ftes foraines, bals... sont filmscomme des compositions mcaniques d'images-mouvement.Il semble mme que dans le cinma franais toutes les choses

    l.Cl p.60.2./bid.,p.118.

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    CINM ET UNIVERS 43

    relvent de ces rapports mcaniques et machiniques. Cemodle est visible dans La Rgle du jeu de Renoir, culminechez Ren Clair dans des filins o les personnages sont lesrouages d un ensemble mcanis, rduits une vie abstraite,dans un espace homogne, lumineux et gris, sans profon-deur Le Million, Chapeau de paille d Italie). Plus encore,dans le cinma franais l union de l homme et de la machineest pense selon le modle cartsien (l union de l me et ducorps), non plus dans une union dialectique qui surmonte les

    opposs, mais dans un rapport entre quantit de mouvementdans le corps et direction de mouvement dans l me, qui neconcerne pas seulement l homme, mais le cosmos, matire etme du monde. De mme, la Passion Passions de l me deDescartes), ou la tragdie dcoulentde ce rapport, aussi bienchez Gance La. Roue)que dans La Bte humaine de Renoir.

    Cela explique,selon Deleuze, la naissanced un art abstraitdu mouvement propre au cinma franais, le cintisme. Leterme photognie qui revient si souvent cette poquepeut cependant prter confusion, de mme que l usage dumot photogramme chez Vertov. Car, le modle de Laphotognie mcanique de Grmillon, des photogniesd Epstein, des photogrammes de Vertov n est pas la photo,mais l image majore par le mouvement, la diffrentielle demouvement dans l image. Qu est-ce qu une quantit demouvement en effet? Quel est son maximum? Comment ledterminer?La quantitd un mouvement dpenddel unit degrandeur choisie, elle est donc relative. Or, le cinma franaisne cesse lui aussi de se poser la question du choix du meilleur

    intervalle pourextraire de l image le maximum de quantit demouvement. Comment dterminer au cinma l intervalle oul unit de mesure du mouvement long, rapide, acclr ... )?On voit bien que cette unit de mesure est en rapport de

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    46 CHAPITREII

    a Pense, l me, en vertu d une exigence qui lui est propre,doit comprendreen un tout l ensemble des mouvementsdans laNatureou l Univers 1

    Le mouvementabsolu est

    l incommensurableou le dmesur, le gigantesque,l immensevoteclesteou la mer sans bornes

    C est le temps, non comme succession, mais commesimultanit, le temps comme tout. Tel est le vrai dualisme

    du cinma franais, qui est toujours un dualisme matire/esprit comme chez Descartes, Nature/Pense, mouvementmcanique/mouvementabsolu, relatif absolu.

    Il faut bien dire aussi quec est la dualit du cinma qui estdcrite ici, la double ralit du cinma, comme imagesmouvementdans la matire et comme temps qui change dans

    l esprit. Mais, puisquedans le cinmafranaiscette dualit est

    traite comme un dualisme rapport entre esprit et corps,Nature et Esprit, elle prend aussitt l aspect d une imagesubjective, d une perception subjective, complmentairedumouvement des corps, et porte aux limites de l univers,spiritualisme3 D un ct, le cinma franais dcouvre uneperception molculaire,-moins qu humaine, qui dissout lasubjectivit dans l onde universelle, dans l univers liquide(Renoiret les fleuves, Epstein, Grmillon et les filins sur laBretagne ... ). Cette perception molculaireou liquide abolitles points d ancrage solides, terrestres, pourse fondre dansle flux. D un autre ct, ce cinma porte la subjectivit la simultanit du temps, l lve un mouvement plus

    l.Cl p.69.2. Ibid. p. 69.3. Ibid. p. 111.

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    CIIMAETUNIVERS 47

    quhumainquin est plussuccessifmaisabsolu,purspiritua-lisme. Chez Gance,parexemple(Napolon, La Roue), lemou-ve1J1entrelatif,le rythme pur, sontl objet d un mon-tageverticalsuccessif, c est--dire d un montage acclr,tandis que lemouvementabsoluestproduitparle montagehorizontalsimultanaveccetteinvention bouleversante,commeditMitry,letriplecranetdonclapolyvision,etaussilessurimpressionsGusqu seize)1 Mais,parcequelespecta-teurnepeutpasvoirtotalementce quiestsuperpos,qu il ne

    peutavoirlapolyvisiondetroisscnesauxtempsdiffrents,sonimagination impuissantelaisseplace lalumirecommetoutdesimages, la simultanitcommetoutdu temps,etdonc unequantitdemouvementabsoluquiemportel universetl histoire, espritdumonde(momentoleNapolon deGancerejointceluideHegel,sansqueDeleuzel voque icicependant,puisqu il maintientl analyse dansl horizon dudualismecartsien).Il y a commeunesimultanit lumi-neuse, ditDeleuze,unelumire en extension, du tout quichange et qui est esprit

    C est en ce sensquel on peutdire quelecinmafranaisestuncinmadusublime lafoiscartsien etkantien:

    Le

    toutest devenule Simultan,ledmesur,l immense quirduitl imagination et laconfronte saproprelimite,faisantnatredans l esprit la pure pense d une quantit de mouve-mentabsolu qui exprime toute son histoire ou son changement,son univers3

    l.Jean Mitry,Histoire du cinlma muet (1923-1930), tome 3,Paris,ditionsUniversitaires, 1973, p.353.2.Cl,p. 71.3.lbid., p.72

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    48 CHAPITREII

    Tel est l'univers dualiste du cinma franais, telle est saconception dualiste de l'univers, mathmatique/spirituell ,extensive/psychique, quantitative/potique

    Avec l'expressionnisme allemand, l'univers change nouveau d'allure, c'est un univers qui oscille entre luminositet opacit, parcourupar un mouvement intensif et non plus lemouvement mcaniqueextensif (simultanit lumineuse)del' cole franaise. Il n'y a plus de dualismemais une opposi-tion/relation absolue entre l'opaque et la lumire, 1 esprit et les

    tnbres. Car, certes, l'opaque s'oppose la lumire, maisl'opaque est aussi cequi rend visible la lumire :

    La lumire ne serait rien du moins rien de manifeste sansl'opaque auquelelles' opposeet qui la rend visible2.

    Ce thme revient sans cesse sous la plume de Deleuze:derrire la lumire Visible, il y a la lumire non rvle, lalumire invisible, ontologique, dont nous parlions. dans lechapitre prcdent. Voil ce qu'il lit chez Bergson, (dans lepremierchapitre de Matire et mmoire Bergson parled'unelumire qui, se pr,opageant toujours, n'et jamais trvle si elle n'avait r u ~ se rflchir), ce qu'il retrouvechez Goethe et mme chez Spinoza3 La lumire visible (ou

    couleur) est la lumire rflchie surl'cran noir du corps

    l.Cl p. 73.2.Jbid. p. 73.3. Ibid. p. 90 et 73. On trouvera ce Spinoza lu travers la Thorie des

    couleurs de Goethe dans Critique et clinique Spinoza et les trois thiques'

    Paris, Minuit, 1993. Ainsi, Dieu est le lumineux substantiel, la lumireirrvle, tandis que affects, concepts, percepts,sont les degrs de clair obscurd'une lumire qui ne se rvle dans la Naturenature que sur fond d'opacit desmodes (ombres, transparence, couleurs ... ).

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    CINM ETUNIVERS 49

    (Bergson) ou sur l opacit (Goethe), une lumire qui sediffracte en couleurs diffrentes. Il y a donc derrire la lumirevisible, qui rayonne, une autre lumire, plusintense, pluscompacte, indcomposable,invisible notre il. La rfrence Goethe est ici manifeste. En crivant sa Thorie descouleurs Goethe avait la conviction de prendre reversNewton et de rpondre mieux que lui cette question simple:pourquoi les corps sont-ils colors? Dans une clbre exprience, Newton a dcompos la lumire travers un prisme en

    spt rayons decouleurs diffrents.Puis, il a forg l hypothseque la couleur des corps provient de leur capacit rflchis-sante (un corps qui rflchit toutes les couleurs simples estblanc ... ). Goethe, trs curieux de cette trouvaille, fait venirune srie de prismes, mais n ayant pas de chambre obscurepour les utiliser, il se rsout regarder travers un de cesprismes le mur blanc de sa chambre. La paroi du mur resteblanche O'explication est newtonienne cependant Dans leprisme, le mur blanc et la lumire grise du jour sont commeune superposition de spectres partielsqui reproduit le blanc).En revanche, lorsqu il regarde les barreaux de la fentre travers le prisme, le spectre color apparat sur ceux-ci. Decette exprience,Goethe tire la certitude que l optique newtonienne est fausse. Il en dduit que la lumire est indcomposable, qu il n y a de couleurvisible que parceque cette lumireinvisible serflchit sur fond d opacit. La condition de toute:isibilit est la polaritde la lumire etdes tnbres.

    En raction l optique newtonienne, toute la philosophieidaliste allemande suit Goethe. Sa Thorie des couleurs

    sera ainsi clbre par Hegel et Schopenhauer dont on saitl influence qu ils auront sur les arts. Hegel commente:l obscur est la force hostile la clart, la lumires oppose immdiatement l obscurit abstraite, l couleur

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    CINM ET UNIVERS 51

    choses 1 Et doncunepuissantevie inorganiquequis chappede l organique et se rpanddansla matireautantquedansl l Jlffialit,faitsurgir des somnambules,deszombiesoudesgolems, autrechoseen toutcasquedespantinset desauto-mates.De l autre ct,la lumirede l esprit ne se ressaisitqu en s opposant laNature,entantquepuissancedmoniqueet sublimequi brule la Nature (bcherde Faust, ttephosphorescentedu dmon aux yeuxtristeset vides duGolem de Wegener,Mphisto,Mabuse... ). Alorsse dvoile

    une vienonpsychologique quin appartient pasplus lanaturequ notreindividualit organique, quiestlapartdivineehnous,le rapport spirituel onoussommesseulsavecDieucommelumire Voicilalumirespirituelle quineservlepas, si ce n est dans le combatavecles tnbres, elletaitl imperceptible de l univers bergsonien,elleestla lumiredel esprit dumondeducinmafranais,la lumirespirituelle del expressionnisme allemand,la lumireinvisiblequin a plusrien voir avec la lumire physique,ni avec la lumirereligieuse de la Rvlation,quipeutdoncprendredeux sensdiffrents: la lumireen extensionde l esprit, la lumiresuprasensiblede Dieu. Atteindrecette lumirespirituellepassepresque toujourspar un sacrificechezMurnau(EllendansNosferatu, lebcher deMargueritedansFaust, demmeonpeut direqu Indresesacrifie samaniredansAurore ... ).C est pourquoi Deleuze estime,commeBouvieret Leutrat,quedansl expressionnisme, ladiffrenceduromantismede

    1.Deleuze reprend nouveau le thmedeWorringersurlavieinorganique(L art Gothique , thmequ il necessed invoquer danssesanalysessurl art.

    2.Cl,p.80.

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    52 CHAPITREII

    Goethe il n y a pas de rconciliation dela Natureet del Esprit,maisune opposition ncessaire L expressionnisme

    tient l cart le chaos de l homme et de la nature. Ou pluttl

    nous dit qu il n y a et qu il n y aura que chaos si nous nerejoignonspas cet univers spiritueldont il lui arrive souventdedouter lui-mme2

    Nous avions parl du cinma comme un devenir-universchez Deleuze. Le cinma ne pouvait alors que rencontrerles grandes visions philosophiques de l univers, organiquedialectique mcanique/psychique, inorganique/spirituel. Cen est pas pour autant de la philpsophie encore moins de laphilosophie filme ce sont de grandes visions de cinasteavec leurs pratiques c o n c r t e ~ dit Deleuze. Mais commentpartant du mouvementet de l image, le cinma n aurait-il pasdonn un corps de mouvement et d images des problmesque la philosophie avait penssen conceptS commentaurait-ilpu s abstraire du mouvement mme de la pense occidentaleau point de ne pas entrer au moins en rsonance avec sesmultiples maniresde voir le monde?

    1. Nosferatu Paris LesCahiersdu cinma/Gallimard 1981.2.Cl,p.80et81.

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    CHAPITREIII

    LES TYPESD IMAGESETLEURSINTERFRENCES PHILOSOPIDQUES

    IDALlSME,NATIJRALISME, RALISMEAUCINMA

    e cinmaclassique et moderneaurasu fairenatre desperceptions impersonnelles, asubjectives, inorganiques,cesontdesperceptionsd univers, desperceptionsd avant leshommes ou d aprs l homme, peu importe),d avantl aube denous-mmes Czannequecite Deleuze),quine

    sontpasseulementlefruitd un cinmaexprimental, maisladescription inlassale d un mondeenl absence d homme, vieinquitante de la matireoupassagedansuneviesuprasen-sible (l expressionnisme allemand),espacesrarfis ouvids,dconnectsou dshabits d Antonioniou des Straub,villes-dsertes deFassbinder et Schmid,espace quelconquedbarrassde ses coordonnes humaines ... 1 e but ducinman est videmmentpas de mimerl univers vu par

    l.Cl,p.122et171.

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    54 CHAPITREID

    l homme, d en donner une reprsentation humaine, mais defaire surgir ces perceptions larges, immenses,cosnques,ou l inverse molculaires, vgtales, fournllantes, cellulaires,comme une vie toujours au-del ou en de de l homme, parlaquelle s largit infiniment la perception humaine. Deleuzenomme sublime toute conceptiondu cinma classique quinous dporte vers un monde non humain, vers un mondesurhumain, sublime matriel de Vertov, sublimemathmatique de Gance, sublime dynanque de Murnau

    ou Lang, sublime dialectique de Eisenstein ...1

    Ce sera saconception de l action de l image cinmatographiquesur lapense: Produire un choc sur la pense, nous forcer penser la pense et le tout, crer en nous un automatespirituel entranpar le mouvementdes images.

    L image cinmatographique doit avoirun effet de choc sur la

    pense et forcer la pense se penser elle-mme comme penser le tout. cest la dfinitionmme du sublime2

    En cela, le cinmane se distinguepas du sens gnral qu ilattribue l art ou la philosophie et qui se rsume en cetteformule bergsonienne: La philosophiedevrait treun effortpour dpasserlaconditionhumaine

    Le cinma classique a t sublime en faisant surgir ennous l ide d un tout non hull)ain matriel, dialectique,mathmatique, dynanque, spirituel ... ). Mais, son universest aussi p u p l ~d images qui expriment le rapport d uncorps quelconque au tout. Il ne donne pas seulement uneperception objective du monde, mais des perceptions

    l.C2,p.58.2. lbid., p206.3. Bergson, a pense et le 111Quvant Paris, P.U.F., 2003, p. 51 et218.

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    LESTYPESD IMAGES

    subjectives, affectives, pulsionnelles,comportementalesdbntle noyauestla perceptionsensori-motrice: recevoirdumouvement(surface sensorielle)et transmettredu mouvement(actionmotrice).Etsilecinmaa encore tantderapports la philosophiec est parcequecerapportdusujetaumondeftsurgirdesproblmes quinesontpassansrapportaveclaphilosophie.On remarqueraquetoutesles grandesdistinctions que Deleuzeva tracerentre lesimagescinmatographiquescorrespondent degrands genresphilosophiques.

    Lorsque inma passedela perception objectiveet u l i m e laperceptionsubjectivesensori-motrice(lerapportd affectionetd action d un corps plongdansl univers), l multiplieaussi lesinterfrencesentrelesnouveaux typesd images ettypes dephilosophie: idalisme del image-affection, natura-lisme del mage-pulsion,ralisme del image-action.

    Pourquoicesinterfrences?Sicen est quephilosophieetcinmarencontrentlesmmesgrandsproblmes,quedoncleurs idesse mlent,que le cinmane se contentepasd inventer desimages,qu il penseparimagesdesquestionsquelaphilosophie,confronteauxmmesenjeuxpenseparconcepts.Reste manifesterlesinterfrencesentrelesdeuxpratiques.Enquelsenspeut-ondireparexemplequel imageaffectiondevaitncessairementconduire unidalisme aucinma?Quelproblmeesticiposaucinma?

    Soitl univers, soitl action de forces,d nergies suruncorpsplacdansun espacecinmatographiquequelconque.Demultiples questionssurgissent.Parquoilescorps sont-ilsaffects? Qu est-ce qu un affect? Qu est-ce qu un visage?

    Etuneexpressiondevisage?Ila bienfallu quele cinma traitede ces questionspuisqu il plaait des personnagesdansun milieu,et l l a faiten particulier avecle grosplan,en

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    56 CHAPITREm

    concentrant l image sur le visage, en donnant une dimensionaffective au film. Les clbres gi:os ] lSIDS de Griffith et deEisensteinmontrent dj que le cinma retrouve spontanment les grandes conceptionsdes paksionsen peintureet enphilosophie(Descartes,Le Brun).L affect est soit admiration,soit dsir, soit lvation du visage vers la rflex.ion, soitdcomposition du visage dans des impulsions et des micromouvements. La renontre avec l ~ j e tpeut provoquer lasurprise, l tdnnement intellectuel, mais aussi le dsir, la

    conv6itise,la haine ... Deleuzeparle de, visage rflex.ifouvisage intensif selon que le visage s enveloppe dans uneunit tflchissante comme chez Griffith avec les grosplans de visages fminins amoureux. (une ide exhausse levisage), ou qu il se dissout dans une srie intensive,passionnelle, ressentiment, haine, terreur, comme chezEisenstein.Mais, i l n y a pas de rgles de contenu, puisque lamchancetpeut tre rflchissanteet l amour intensif. Ce quiimporte, c est plutt la fonction du visage en lui-mme: i lrvfo une Puissance pure (active ou passive), qui le faitchanger intenment ou .une Qualit pure (innocent; dur,tendre ... ) qui le fait se concentrer totalement. Il exprimedoncquelquechosequi se passe,qui est en train de se passer.

    G est en ce sensque le cinma qui ira le plus loin dansl image-affection>pent tre qualifi d idaliste n rejoint laphilosophie dans un idalisme de l expression. La manire detraiter du visage au cinma indique nettement cette tendance.Bien des cinastes ont montr en effet .que le visage, en tantque gros plan, abolit l espace matriel, il prsente cette

    singularit remarquable, qui est de faire changer l image de

    1 Descartes,Les Passions de l me, 53,

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    LES TYPES D'IMAGES 57

    dimension (de l espace au mental). Le visage au cinma n estpas une question d chelle ou de dcoupage (grossissement,objet partiel...) mais d expression. Bazals, dont se sert iciDleuze, le dit trs bien :dans le gros plan,

    l expression d' m visage et la significationde cette expressionn ont aucun rapport ou liaison avec l espace. Face un visageisol, nous ne percevons plus l espace. Notre sensation del espace est abolie. Une dimension d un autre ordre s ouvre nous 1

    , Il s agit d une abstraction d e ~ toutes coordonnesspatiotemporelles ajoute Deleuze, de fajre surgir l affect pur entailt qu exprim, en tant qu Entit abstraite. La questionn est plus de savoir qui a peu:. mais qu'es,t-ceqve la peur?, quiaime mais qu est-ce que l amour?, quel couteau mais qu estce que le tranchant ... C est cela qu un certain cinma aurale mieux montr, retrouvant alors de grandes philosophies.Ainsi quandEpsteindit qu un visageen train de fuir expriipe lalchet en personne, quand Eisenstein prtend peindred i r e c t e m ~ n tun affect dans le patht\que , quand Bergmandsindividualise et dsocialise le visage, ils atteignent enimages ce que la philosophie a essay de penser : des ffects

    purs impersonnels qui ne renvoientl u ~

    un moi (mais unezone pr-personelle, vitale, organique, qui dfinit le caractreet le temprament selonMaine de Biran, affects purs illocalisables et asmiologiques, contrairement aux sensationstoujours lies au moi, ncessairementlocaliseS'et lies dessignes),des Exprimspurs qui ne sont pas des corpsphysiques(mais des attributs logiques, des incorporels qui se disent

    1. B. Balzs, Le ci11ma nature et volution d un art noU11eau, Payot, 1948,p.57.

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    58 CH PITRE i l

    l infinitif - couper, trancher-, vnements idaux dont lesstociens font la thorie.et qu ils sparent de l action et despassions des corps), des Possiblespursqui ne renvoient aucuneactualisationou incarnation(Peirceconsidrele rouge,le tranchant, le tendre comme des Possibles, des potentialitsnon actualises) Le cinma filme des affects impersonnels(non pas moi qui suis tri te mais la tristesse), des v,i.ementsidaux (non pas les corps mais ce qui leurs arrive ou.l vnement comme sens, exprim, attribut logique), des possibles

    (non pas les choses rouges mais le rougenon actuel). On diraitque le mondese double d une zone idale,virtuelle, possible,que les choses et les personnes peuvent actualiser mais quisubsisteen dehors decette actualisation: tel est l idalisme onous conduit la philosophieet le cinmadel image-affection.

    Ces exprims pur8, ces vnements idaux, ces possiblespeuvent ds lors se connecter d autres objets virtuels indpendammeqtdes individuset des choses. Le meilleurexempleen est le film affectif par excellence PassiondeJeanned Arc de Dreyer. On voit bien que ce n est pas la passion deJeannequi est donne voir travers le visagede Jeanne maisla Passion, l extatique en tant que tel, qui peut se connecteravec d autres Passions,celle du Christpar exemple. Ce qui esteXprim ne se confond nullementavec le procs historiquede

    1. Maine de Biran expose sa thorie des affects dans le Mmoiresur ladcompositiondel pense,Paris, Vrin, 1988, de manire plus systmatiqueetplus diversifiedans son Essaisurlesfondementsde l psycholcgieetsursesrapportsavecla sciencede lanature,2 partie, Paris, Vrin, 2002, et dans leDiscours la socitmdil:ale deBergerac,Paris, Vrin, 1984. Pour lesstociens,Deleuze se sert du livre de Brhier, a thoriedesincorporelsdansl ancienstorcisme,Paris, Vrin, 1980 (voir le commentairede ce livre dans lespremierschapitresde Logiquedusens).Enfin, le livre de PeirceauquelDeleuzerenvoieest critssur lesigne,Paris,Seuil, 1978.

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    Jeanne d Arc. Et, Bresson va plus loin encore, parce qu il sepasse du visage (plans moyens) et filme le Procs e Jeanned \rc comme station,chemin decroix, cheminement dansdesespaces clos (chambrede Jeanne, salledu tribunal,chambreducondamn mort ... ) exprimant d autant mieux le mmeaffect, mais dconnect du visage, dans le dpouillementabsolu des lieux et du jeu des acteurs (ni tragique, ni drama-tique, ni pathtique). Dans Pickpocket l espace.perd aussises coordonnes, mais d une autre faon, il se transforme au

    rythme des affects du voleur (gare de Lyon, Longchamp).L affect est dissocidu visage enmme temps quel espaceestdpotentialis,l affect est rendu impersonnel(voix blanche etinaffectivede l acteur, visage peu expressif), en mme tempsque l espace est fragment (au rythme de la pulsion devol). Rendre l affect indpendant des tats de choses et despersonnes, tracerun monde de virtualits pures, chercher desconjonctions virtuelles, voil ce que Deleuze peroitdans le cinma de l image-affection qui va dans le sens d unidalisme.

    Jusqu o a pu aller le cinma dans cette voie? Trs loin.Deleuz voit se tisser entre la philosophie et le cinmaunensemblede relationstrs prcieuses, ds lors quel affect estdconnect d une incarnation ou d un tat de choses. emonde se doublant du virtuel rend possible une alternative:choisir le rel ou choisir le virtuel. Dans tout le cinma del abstraction lyrique, cette alternative estl enjeu vritable,et elle n est pas moins bien traite qu en philosophie. Lathmatiquedu choix passionnel(Sternberg),thique (Dreyer),

    religieux(Bresson)n est pas sansvoquerla questiondu choix

    l.Cl,p.163.

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    en philosophiede Pascal Kierkegaard,de Renouvier Sartre.Deleuzeconsacre ce rapprochementdes pages parmi lesplusdenses de son premier volume sur le cinma. Comme il le dit,le.Possible a ouvert l esprit comme dimension de l espace,il a libr un espace pour l esprit, pour l expression de l espritpour les dcisions de l esprit . Qu il s agisse d amour sen-sible ou suprasensible, de passi:on sensuelle ou de foi reli-gieuse, le vrai choix lve l affect sa pure puissance oupotentialit Que veut en effet dire choisir si ce n est se

    librerde l espace physique et ouvrir un espace mtaphysiquepour l:esprit? On ne choisit jamais en vertu de conditions, entant dtermin dans son existence (ncessit psychologique,morale, physique ... ). Rien ne dtermine le choix. Si bien quele choix vritable est de choisir le choix, de choisir de choisirsans se laisser entraner se dire : Je n avais pas le choix.

    Depuis le pari de Pascal, la philosophien aura cess d trehante par la question du choix libre, absolu, pur acte del esprit qui se donne par l son existence,qui ne peut se donnerson existence que par l. Ainsi, dans le pari de Pascal, ce n estpas l existence de"Die& qui est en jeu rllais mon existence,l existence que j accepte d avoir, spirituelle ou non, libre ounort: choisir de choisir, c est cela le vrai choix, c est celaexister. C est une foi en l esprit qui va u ~ d e l de la religion.Kierkegaardet Sartre, sous d autres formes, ne disent pas autrechose que Pascal. Or, n est-ce pas aussi ce que le cinma del abstraction lyrique montre trs bien? e choix de Jeanne(Dreyer), le choix.ducurde campagne (Bresson),le choix deshrones de Sternberg (Blonde Vnus, Shanghai Express) est

    1.Cl.p.165.2. lbid. p. 164.

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    tlnevraiealternativequiengagel esprit etchangeabsolumentl existence . . . Dans ceschoix quisontune puredcisionst>irituelle, lepersonnagesesacrifie,maistout luiestredonndansuneautredimension,inactuelle(amourpur,viepure,croyancepure... ).Lecinmaa sumanifester cettedimensionsacrificielle,cesacrificedesoiprt trerecommencindfiniment,quinevautqu treaffinnternellementensignedecetteautredimension(chezDreyerJeanne d'Arc, Dies irae,Ordet, Gertrud, chezBresson,Journal d un cur de campa-gne .. . 1. Surtousces sujets,Deleuzetissedesliensquiluisemblentcapitaux entrecinmaetphilosophie

    Avecl'image-pulsion,nous noussituonsdansun autrehorizondepense:le naturalisme.Le chapitre surl image-

    1 Le thme mystiquede Ordet n est pas la foi (puisquetous lesjersonnagessontpntrsd une profondefoi,chrtienset luthriens,hormisl poux d Inger), maisla foien la foi, la croyanceen la croyance,enChristvivant (Johannes),quipasseparle sacrificede l enfant, lamortd Inger etsarsurrection(ousonsommeiletsonrveilcataleptique,onnepeutsavoir).Demll e,lethmede Gertrud n est pasl amour mais lechoixdel amour, lechoixdechoisirlamour, ladiffrencedupredeGertrudqui prtendqu on nepeutchoisirparcequ on estprdestin,etdel amant deGertrud,Erland,quiditnepastre libre.

    2.Cl p.164: Deleuze dveloppeexpressmentcerapport: Pourquoicesthmesont-ilstantd importance, philosophiqueetcinmatographique?. Enphilosophie,l apparition du thme delacroyanceetduchoixdplace celuidusavoiretdelavrit.Ils agit d un moralismeextrmeditDeleuze(sauf chezNietzsche),quis oppose lamorale,et quin est sansinspirationreligieuse:,ainsile thmedu sacrificed Abraham dansCrainte et tremblement (SiirenKierkegaard,dansuvres compltes V, Paris,ditionsdeL Orantc, 1972),Abrahamchoisitdechoisir,l choisit lavieenDieuquiluiredonnesonfilspourl ternit, sansperdreDieu.VoiraussiSartreetla libertqui sedcouvrechezlui commeresponsabilitabsoluedevantle choix( ,'tre et le nant, Paris,Gallimard,1943)et Renouvierqui saisitla libertdansson rapport lacroyance(Essais de Critique gnrale, Paris,ArmandColin,1912).

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    pulsion est le plus trange de Cinma 1 Nous voici plongsdans des mondes originaires et dans des pulsions et non plusdans des espaces quelconques identifis la puissance del esprit et traverss par des affects. Un autre problme seprsente ici: un corps plac dans l univers n agit pas toujours,ne ptit pas toujours, quelque chose se manifeste en lui quidvoile un fond originaire. Deleuze a dj trait de ce thmechez Zola,il le fait passer au cinma :

    Le naturalisme,en littrature,c est essentiellementZola: c estlui qui a l ide de doubler des milieux rels avec des mondesoriginaires1

    Il ne faut pas croire que ces mondes originaires soientpsychologiques ou psychanalytiques, qu ils relvent d uninconscient mme si la langage utilis ici est celui de lapsychanalyse: pulsion, objet partiel, instinct de mort), aucontraire ils sont rels, et mme plus que rels, surrels. Ilsdsignent ces instincts qui naissent dans des milieux donnsettransparaissent dans les sentiments et les caractres. ChezZola, tout passe par une flure hrditaire, une hrditmorbide qui faonne les instincts et les tempraments despersonnages, conditionneleurs comportementsdaps tel ou tel

    milieu donn. C est bien pourquoi le naturalismene saurait serduire l exploration des vestiges inconscients d une naturehumaine,ou une tude h y s i o l o g i q udu temprament.

    L instinct ne dsigne pas une entit psychologique.C est unenotion beaucoup plus richeet concrte,une notion deroman 2

    l .Cl p.174-175. Logique du sens Paris, Minuit, 1969, Zola et laflure, p. 373.

    2. l.Dgiquedusens Zolaetlaflure ,p. 374.

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    Le naturalisme n'arien voir avec un psychologisme, cen est pas un ralisme non plus, mais un surralisme qui met jour le fond noir, morcel, violent, obsdant du mondepulsionnelqui gronde au fond de chaque milieu de vie.

    c Cela concernele cinma parce que celui-ci at confrontu thme fondamental de la pulsion plusieurs reprisesetselon des modalits proches de cellesde la littrature etde laphilosophie. Ainsi, on ne peut pas dire que StroheimetBunuelsoht les meilleurs reprsentantsd'un naturalisme au cinma

    parce qu'ilssont ralistes(au sens cinmatographiquequenous allons dfinir)ou surral