PhonePlay (French Edition) -...
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Àtoutescespersonnesquiontcruenmoietquim’ontsoutenuedansceprojet.
EtsurtoutàmaMaman,quim’atoutdonnéetbienplusencore.
–1–
Tandisquelesoleilhivernaldéclinelentement,lesvolutesnuageusesfilentdanslescieuxsombresd’unemanière étonnamment fascinante.Lesyeux rêveurs, j’admire ce spectacledont jeneme lasseraisûrementjamaisàtraverslavitresaledubusquimeramènechezmoi.Levéhiculesillonnelesruespeuempruntéesdemavillepourenrejoindrelesquartiershuppésoùj’habite.Unejournéedeplusvientdes’écouler.Unejournéedeplusoùriendespécialnes’estpassé.Unejournéesiordinaire,sibanale,quej’ai l’impression de l’avoir déjà vécue un millier de fois, avec pour seule réjouissance un brin dechangementquiladistinguedelaprécédente.
Jemesouviensdelapremièrefoisoùj’aifaitcetrajet,unanetdemiplustôt.J’avaistrouvéquelebusfaisaitunbruitinsupportableetquelessiègesétaientlesmoinsconfortablessurlesquelsilm’aitétédonnédem’asseoir.Malgré ça, j’avais trouvé le trajet rapideetdivertissant.Aujourd’hui, jeneprêteplus du tout attention aubruit enrouédumoteur, nimême aux assises défoncées.Mais le trajet nemeparaîtplusdutoutrapideoudivertissant.Lesjourssonttouslesmêmes,audétailprèsqu’ilssontdeplusenpluschiants.
Quandlebusstoppeenfinàmonarrêt, lesultimesrayonsdesoleilnemeprotègentplusassezdu
froiddusoir.Alors jecours jusquechezmoi.Les ruesdemonquartier sont sividesqu’onpourraitytourner un film post-apocalyptique où toute trace d’homme aurait disparu. Je serais l’un des seulssurvivants,livréeàmoi-mêmedanslechaosetl’anarchied’uneTerreraséedetoutecivilisation.Cetteidéemeglacelesangetjenepeuxm’empêcherd’accélérerencoreunpeuplusmacourse.
Soulagée,j’arriveenfindevantleportaildemamaison.Uncoupdepieddanslebattant,etjemeglisse déjà dans notre propriété. Je me précipite jusqu’à la porte d’entrée pour me sentir en totalesécurité. Une fois à l’intérieur, je soupire de contentement. Enfin un peu de chaleur… Je retireprestementmesConverse,lesabandonnedansl’entréeetfileàl’étagepourrejoindreleseulendroitoùjemesenteréellementchezmoi,dansmonpetitniddouillet:machambre.
Jetraverselagrandemezzanine,prendsàgauche,versmapartiedelamaison.Jedépasselasalledebains,lebureauetlegranddressingquemonpèrem’afaitinstallerl’étéderniermaisdontjenemesers pas. Enfin, j’arrive à ma chambre, où j’inspire à pleins poumons, m’imprégnant de l’odeurréconfortantequiflottedanslapièce.Jeposedoucementmonsacàdosprèsdemonbureauetsorsunecigarettedupaquetquisetrouvedanslapochedemaveste.Jerécupèreaussimonbriquet,planquédansundes tiroirs demon espacede travail, etm’installe sur le petit balcondema chambre. J’allumemaclope et tire une taffe. La nicotine se répand dansma gorge sèche, réchauffantmon corps enmanquedepuis le début de la journée.Merde, ce que ça fait du bien… Je recrache la fumée et la regardes’échapper dans l’air froid du soir. Le spectre de particules grisâtres s’élève dans le ciel avant dedisparaîtredoucement.
Jesouris.
Voilà, je me sens moi. Enfin moi, lorsque je suis ici. Assise à même le sol sur mon balcon,
savourantuneclopequi risquedebousillermespauvrespoumons.Oui, je suismoiet jeme fichedesrépercussions.Parcequelorsquejesuisici,jenesuisplusl’élèveparfaiteauxnotesetaucomportementexemplairesquifaitlafiertédesesparents.Jepeuxenfinêtrel’adolescentequejesuisréellement.Cellequirêvedelibertéetd’indépendance.Jepeuxêtrecettefillequiaimeprendrelaviecommeellevient,etquidétestedequoisontfaitscesjoursquiseressemblentbeaucouptrop.Jepeuxenfinêtrecetteadoquin’existepasauxyeuxdesesparents,bientropoccupésparleurstravauxrespectifspourserendrecomptedesonexistence.Siseulementilssedoutaientqueleurpetitefilleparfaiteest,enréalité,uneaccroautabacetauxsoiréesarrosées…
Jesecouelatêteettireunenouvelletaffe.Ilssontsûrementaveuglespourneserendrecomptede
rien.Pournepasréaliserqueleurfillebien-aiméen’estpasheureuseetqu’elledéglinguesasantépourse sentir vivante. J’ai longtemps pensé qu’ils s’en foutaient de moi et que c’était pour ça qu’ils nevoyaient rien.Maisenfaitnon,cen’estpasça.S’ilsnevoient rien,s’ilsnemeconnaissentpas,c’estparcequ’ilsnesontjamaislàetqu’ilsn’ontpasdetempsàmeconsacrer.C’esttristequandonypense.Travailleraupointqu’onneconnaîtpluslespersonnesquipartagentvotretoit,votrevie,votresang.Jesupposequec’estcommeçadansbeaucoupdefamilles.Queletravailestprioritaire,primordial,etqueconjoints et enfants passent après. Nous sommes tous trois comme de simples colocataires. Nouspartageonsunemaison,nouséchangeonsdeuxtroisphraseslorsquenousnouscroisons,maisçanevapasplusloin.Oui,c’estça.Noussommescommedesimplescolocataires.
Etsic’estàçaqueserésumeunefamille,jepréféreraisnepasenavoirdutout.Jemerelèveetvaism’accouderàlabalustrade,admirantl’horizonparsemédenuagescotonneux.
L’immensepropriétéfamiliales’étendàpertedevuesouslalumièreorangéedusoleilcouchantquisereflètedanslelacencontrebas.Derrière,deshectaresdeplainess’étirentàn’enplusfinir.Voilàoùjevis.Danscetteforteressedoréeoùlabeautédupaysagerivalisedegrandeuraveclatailledespièces.Maiscelafaitbienlongtempsquecesescaliersenmarbrebrut,lesplanchersenboisd’ébèneetlesstucs
ausommetdeshautsmursnemesuffisentplus.Çanesertàriendevivredansunendroitsiluxueuxs’ilymanque l’essentiel. J’entendspar làune familleavec laquelleonpeut se fabriquerdes souvenirs.Unemèreetunpèreaimantsetattentionnés.Oui,çanesertàriend’avoirunemaisonpareillesilafamillequiy vit n’est pas à la hauteur. C’est comme pour tout. Un livre peut par exemple avoir la plus bellecouverturequisoit,silecontenuestmerdique,ilrestemerdique.C’estlamêmechoseaveccettemaisonetlafamillequiyvit.Silafamilleestmerdique,lamaisonperdtoutintérêt.
Jeporteunetroisièmefoislaclopeàmeslèvreslorsquemonportablevibredanslapochedemon
jean.Jel’enextirpedifficilementetdécouvreunmessagedequelqu’und’inconnu.Oudumoins,inconnudemonrépertoire.
Inconnu:Bonsoir,Alyssa.
Voilàcequeditlemessage.Iln’yariendeplus,aucuneinformationsurl’identitédudestinateur.Une simple salutation, suiviedemonprénom.C’est tout. Jenepeuxm’empêcherdem’interroger.Quiest-ce?Jenemesouvienspasavoirdonnémonnuméroàquiquecesoitrécemment,alorsdequis’agit-il?Unepersonnequimeconnaît,ça,c’estcertain.Ilouellem’aappeléeparmonprénom.Jememordslalèvreinférieure,merassoisetréponds.
Alyssa:Salut.Hum…Quic’est?Inconnu:Jepensequ’ons’amuseraitplussijerestaisanonyme…
J’avale difficilement ma salive en lisant le nouveau message que vient de m’envoyer cettemystérieusepersonne,puismeconcentresurmaclope,commepourmerassurer.Merde,maisqu’entend-ellepar«ons’amuserait»?Jerestesurladéfensive.Touteslesmisesengardedemamèreconcernantlescanulars, lesplansdouteuxetautresconneriesmereviennenten tête.Unesueur froidemeparcourtl’échine.Suis-je censée continuer à répondreoudevrais-jeme raviser ? Je ne sais vraiment pas quoipenser.Mais le derniermessage de cette personne a tellement attiséma curiosité que je finis par luirenvoyeruntexto.
Alyssa:Commentça«ons’amuserait»?Inconnu:Ehbien…J’aimeraisquenousjouionsàunjeuensemble.Alyssa:Quelgenredejeu…?Inconnu:Legenrequidoitresterentrenous.
Jetoussote,recrachantunnuagedefuméeenvahissant.Cetinterlocuteurmystèreasibienréussiàmedéstabiliserquej’aifaillim’étoufferavecmaproprecigarette.Parréflexe,jemetapesurlesternum,
commesicelapouvaitm’aideràmesentirmieux.Lorsque je reprendsmesesprits, jevérifie l’heurepourm’assurerquemamèrene risquepasde
débarquerd’uneminuteàl’autre,étantdonnéqu’elledoitexceptionnellementrentrerplustôtàlamaison.C’est-à-direversdix-neufheures, soitdansunedizainedeminutes. Jemedépêchedoncde rédigerunnouveaumessagepourl’inconnuetdeleluienvoyer.
Alyssa:Qu’est-cequetuveuxdirepar«legenrequidoitresterentrenous»?Inconnu: Je trouve la vie bien fade, lassante et sans grand intérêt…Alors jeme suis dit : « Pourquoi ne pas pimenter un peu le
quotidienenjouant?»
Jenepeuxm’empêcherdepenserquemoiaussi je trouvelaviebienfade, lassanteetsansgrandintérêt.Etsavoirquejeparleàunepersonnequimeressemble,mêmesijenelaconnaispas,medonneétrangementconfianceenelle.Mais,malgréça,jenepeuxm’empêcherderestersurmesgardes.
Alyssa:Quit’adonnémonnuméro?Inconnu:Enquoicelaest-ilimportant?Alyssa: Jeveuxseulement savoir lequeldemesamiss’amuseàdonnermonnuméroàn’importequi.Parcequesi toutcelan’est
qu’uncanular,vousêteslesseulsàenrire.
C’est vrai, il y a quatre-vingt-quinze pour cent de chances pour que ça soitHolly,mameilleureamie,quisoitentraindemefaireunefarce.Laconnaissant,çanem’étonneraitpas.
Inconnu:Uncanular?Tupensesréellementquetoutcelan’estqu’uncanular?Alyssa:Ehbien,oui.Pourquoiserais-jecenséepenserl’inverse?Inconnu:Non,Alyssa,jet’assure.Toutçaestloind’êtreuneblague.C’esttrèssérieuxmême.Jetediraiquim’adonnétonnuméro
dèsquej’auraifinidet’expliquerlesrèglesdujeu.Çateva?Alyssa:Vas-y,explique-moi.Inconnu:Avanttout,j’aimeraissavoirsituesjoueuse.Alyssa:Çadépenddesjeux.Inconnu:Etsilejeuquejeteproposaisteplaisait,serais-tud’accordpourjoueravecmoi?
Je ne sais pas ce quime pousse à répondre encore.Maisma curiosité ne fait que s’accroître etl’emportesurmonsemblantdebonsens.C’estlapremièrefoisdepuisdesmoisquequelquechosedetelm’arrive.Quelquechosequisortedel’ordinaireetquisembleintéressant.J’ail’impressionqu’avoirlapossibilitédegoûteràlanouveautéetàl’inconnuéveillemessens.Etjenepeuxm’empêcherdevouloirdavantaged’informationsausujetdecejeuetdecettepersonne.C’estpourquoijerépondsunefoisdeplus.
Alyssa:Pourquoipas,oui.Dis-moienquoiçaconsiste.
Inconnu:Ehbien…Çaserapporteàlapremièrequestionquetum’asposée:«Quiest-ce?»Lebutdujeuestdedécouvrirquijesuis.
Alyssa:Pourquoiaccepterais-jedefaireça?Inconnu:Pourmettreunpeudepimentdanstavie?
Mettredupimentdansmavie?Pourêtrehonnête,c’esttoutcedontj’aibesoinencemoment.
Alyssa:Etadmettonsquej’accepte,qu’est-cequej’ygagne?Inconnu:Onenvientàcequejevoulaistedire.Devinequijesuis,Alyssa,etjeseraiàtoietjeferaidemonmieuxpourréalisertous
tesdésirs.Alyssa:Quiteditquej’aienviequetum’appartiennes?Inconnu:Touteslesfilleslevoudraient.Àmoinsquetunesoislesbienne…Alyssa:Situdisça,j’enconclusquetuesungarçon.Etnon,jenesuispaslesbienne.Inconnu:Bonnenouvelle.Etpourcequiestdetaconclusion,elleestexacte.
Un garçon ? J’essaie de dresser dansma tête la liste des personnes susceptibles deme faire uncanulardanscegenre.Maisjeneparvienspasàtrouverde«suspect»idéal.Aucungarçondansmonentouragenesemblecapabledemefaireuncouppareil.
Alyssa:Jepeuxteposerunequestion…?Inconnu:Biensûr,Alyssa.Alyssa:Pourquoimoi?Inconnu:Laquestionhabituelle…Ehbien, jechoisisde jolies filles.Des fillesàquiçanemedérangeraitpasd’appartenir sielles
venaientàdécouvrirquijesuis.Desfillesattirantes.Alyssa:Vraiment?C’esttellementréducteurdechoisirunefilleuniquementpoursonphysique…Inconnu:Jenepeuxtecontredire,maisquitteàchoisir,autantprendredesfillesattirantes.Alyssa:Doncilyaplusieursnanas?Inconnu:Ilyaeu.Jenejouequ’avecunefilleàlafois.Alyssa:Combienilyenaeuavantmoi?Inconnu:Dix-huit.Alyssa:Dix-huitfilles?Inconnu:Oui,çapeutteparaîtrebeaucoup,ditcommeça,maisaucuned’ellesn’estparvenueàdécouvrirquijesuis.Etj’espèrebien
que,toi,tuvastrouver.Alyssa:Jenesuispassûrequeçasoitunebonneidée…Inconnu:Pourquoi?Enquoiçat’engage,chérie?Toutçaresteentrenous.Alyssa:Chérie?Sérieusement?Taconfianceentoineseraitpasunpeu…démesurée?Inconnu:Pasàmaconnaissance,non.J’aienviedet’appelercommeça,c’esttout.
Le faitqu’ilm’appelle«chérie»medéstabilise. J’ai l’impressionqu’il essayede tisserun lienentrenousenmedonnantunsurnomassezintime.Pourquoi?Peut-êtrepourmemettreenconfiance…
Inconnu:Revenons-enaujeu,situveuxbien.As-tudesquestions?
Alyssa : J’en ai une, oui. Comment pourrais-je réussir à trouver qui tu es ?Nous sommes deuxmille au lycée, dont lamoitié degarçons!C’estquasimentimpossible!Onseconnaîtaumoins?
Inconnu:Jenejouequ’avecdesfillesquejeneconnaispas.Alyssa:OK,maisalors,qu’est-cequivamepermettredetrouverquitues?Inconnu:Onenarriveaux règles.Tous les soirs,pendant le tempsque je jugeraibon,nousdiscuterons.Tupourrasmeposerdes
questions,etapprendreàmeconnaître.Çan’estpasimpossible,Alyssa.Plusieursfoislesfillesontétéprèsdubut.
–Alyssa!Jesuisrentrée!Jesursauteausondelavoixdemamèreprovenantdurez-de-chaussée,etdélaisseimmédiatement
cetteconversationavecl’inconnu.Jem’empressed’écrasermacigarettesurlesdallesetd’enfouirprofondémentlemégotdanslaterre
d’undespotsdefleursposéssurlereborddubalcon.Jemeprécipitedansmachambreetvaporiseenurgenceduparfumunpeupartoutdanslapièce.Jefourreunchewing-gumdansmabouchepouréradiquerl’odeurdutabac,alorsquemamèremerappelledéjà.
–Alyssa?–J’arrive!Jemastiquemonchewing-gumavecapplicationetjetteuncoupd’œilàmontéléphone.Unnouveau
message.
Inconnu:Alors,Alyssa,acceptes-tudejouer?
Je prends le temps de réfléchir une minute avant de lui envoyer ma réponse. Après tout, ça nem’engageà rien, ce jeu. Jenevoispas cequecelapeutm’apporterdemauvais si cen’estunpeudenouveauté.Etputain,mavieenmanquecruellement.Jefermeuninstantlesyeux,unepartiedemoisaitquejedevraisrefuser.Quimeditquecegarçonestvraimentcequ’ilaffirmeêtre?Quimeditqu’ilnes’agitpasenréalitéd’unperverssexuelquadragénaire?Personne.Personnenepeutmeleconfirmer,etpourtantçanesuffitpasàmedissuader.L’enviedechangementdansmaviel’emportesurlereste…
Alyssa:OK.Jevaisjouer,àunecondition.Inconnu:Laquelle?Alyssa:Promets-moiquece jeunem’engageenrien,etque,si je finispar trouverqui tues, jeneseraipasobligéede poursuivre
notrerelationsijen’enéprouvepasl’envieetquetunemeharcèleraspasdetextospourmefairechangerd’avis.
–Alyssa!s’impatientemamère.–Merde…Jebalancemonportablesurmon litpouraller rejoindremamèreenbas.J’entendsmonportable
vibrerunedernièrefoisavantdepasserlaporte.
–2–
Inconnu:Bonsoir,Alyssa.
Celafaitdixminutesquej’ai reçucemessageetdixminutesquemoncœur tambourinefollementdansmapoitrine.Merde. Jene saispaspourquoi,mais au fonddemoi, jepensaisque tout çan’étaitqu’uneconnerie,uneblagued’ungoûtdouteux.Jepensaismêmequeçapouvaitêtreungroupedegaminsqui déconnaient, mais il faut croire que non. Ne sois pas débile, Alyssa. Comment auraient-ils puconnaîtretonprénom?
J’augmente le volume dansmes écouteurs, laissant exploser dansmes oreillesRunning up That
Hill,unereprisedePlacebo,avantderépondre.
Alyssa:Salut.Inconnu:Commentvas-tu,chérie?Alyssa:Jevaisbien.Ettoi?Inconnu:Onnepeutmieux.Ilestdix-huitheures,c’estlemomentquejepréfèredanslajournée.Alyssa:Pourquoi?Inconnu:Parcequec’estceluioùjecommenceàjouer.J’attendsçatoutelajournée.Enplus,cesoir,jenejouepasavecn’importe
qui.Alyssa:Tudisçaàtouteslesfilles,pasvrai?Inconnu:Enplusd’êtrebelle,tuesintelligente.Jecroisquejevaisadorerjoueravectoi…Alyssa: Jesuissimplement réaliste.Desdragueursdans tongenre, j’enaiconnudes tas.Vousavezvosphrasesdedrague toutes
faitesquevousressortezàlamoindreoccasion.Inconnu:Tutetrompes.Jesuisvraimentdifférentdesautres…Alyssa:Ahouais?Prouve-le-moi.Inconnu:J’auraitoutletempsdeteleprouverpendantquetuessaierasdetrouverquijesuis.Alyssa:Situledis.Maisilenfaudrabeaucouppourmeconvaincre.Inconnu:Çanemefaitpaspeur.J’arriveraiàtepersuaderquejesuisuntypebien,j’aitoutcequ’ilfautpourça.Alyssa:Sit’esdugenrevantard,t’esmalbarré,jeteledisd’emblée.
Inconnu:Jenesuispasvantard,Alyssa.Toutcommetoi,jesuisréaliste.Jesuisplusmaturequelesgarçonsdemonâge,plusattentifetplussage.Jenedispasçapourmevanter,cen’estquelavérité.
Alyssa:Jen’ensaisrien,jeneteconnaispas,jeterappelle.Inconnu:Pose-moidesquestions,danscecas.Çatepermettrad’ensavoirplusàmonsujet.Alyssa:Ehbien…Jet’avouequejen’aipasvraimentréfléchiàcequejepourraistedemander.Laseulechosequejesais,c’estque
j’aimeraisbiensavoircommenttuvoudraisquejeterenommedansmescontacts.Parceque«Inconnu»,c’estpassupercommepseudo.Inconnu:Ouais,«Inconnu»onadéjàtrouvéplusaffectueuxcommesurnom…Jepeuxteproposer«Bae»ou«Babe».Alyssa:Tupensesvraimentquejevaist’appelercommeça?Ilnefautpastroprêver,Babe.Inconnu:Tumedemandes,jetedonnedespossibilités.Alyssa:Es-tuentraindeflirteravecmoi?Inconnu:C’estpossible,eneffet.Alyssa:Jenesuispasunefillefacile,tusais?Aucungarçonn’ajamaisréussiàm’avoir.Inconnu:Ilss’ysontmalpris,c’estpourça.Alyssa:Aurais-tulaprétentiondedirequetoi,tuseraiscapabledemefairesuccomberàtoncharme?Inconnu:Non,jenel’aipas.Maisjeferaidemonmieuxpouryarriver.Alyssa:C’estvraiquetuasl’airplusmaturequelesautresgarçons,maiscommejeneconnaispastonâge,çaneveutriendire.Tu
parlesbien.Déjà…Tun’écrispastesmessagesenabrégé–Dieu,merci–ettuneparlespascommeuneracaille.Inconnu:Une«racaille»,tudis?Qu’est-cequetuentendsparlà?Alyssa : Je sais pas…Ce que je veux dire, c’est que tu n’es pas comme ce genre de gars qui, quand ils te parlent, te donnent
l’impressiond’êtreagressé.Cesgars…Onvadirequecen’estpasmonstyle.Inconnu:Sont-ilsréellementlestyledequelqu’un?Alyssa:J’endoutefort…Enfinbon,uneautrepropositiondepseudonyme?Inconnu:Tupeuxmedonnerunnomplusmystérieux,comme…«Lui».Alyssa:Lui?Ouais,j’aimebien.Jevaismettreçaenattendantdetrouvermieux.Tuasquelâge?Lui:18ans.D’autresquestions,chérie?Alyssa:Oui.Hier,tum’aspromisdemedirequit’adonnémonnuméro.Jeveuxtoujourslesavoir.Lui:C’estunequestionprioritaireàtesyeux?Tusais,tuestrèsdifférentedesautresfillesavecquij’aipujouer…Touteslesautres
nanasmedemandaienttoutdesuitecommentj’étaisphysiquement.Parexemple,ellesvoulaientsavoirdequellecouleurétaientmescheveux,mesyeux…Sij’étaisplutôtgrandoupetit.Muscléounon.Maistoi…
Alyssa:Jenevoispasl’intérêtdeteposerdesquestionscommecelles-là.Jesaistrèsbienquetun’yrépondraspas.Lui:Tuastoutjuste,chérie.Çaneseraitpasdrôlesijedisaisd’embléecommentjesuis.Lejeun’auraitpluslieud’être.Alyssa:C’estbiencequejemedisais.Alorspourlemoment,jevaismecontenterdetedemanderquit’adonnémonnuméro.Lui:C’estunamiàmoiquimel’adonné.Unvraidétective,lemec.Iltrouvetoutcequ’onluidemandeàunevitessephénoménale.
Lesnumérosdesgens,entreautres.Alyssa:Tuluiasdemandéautrechoseàmonsujet?Lui:Rienàparttonprénom.Jepréfèreapprendredemescoéquipièresdejeuparmoi-même.C’estplus…divertissant.
Je frissonne en lisant son dernier message. « Divertissant ». Tout semble tourner autour dudivertissementpourlui.Savieentièrepourraittournerautourdeça.Non.Cen’estmêmepasça.Ilnevitpaspoursedivertir, ilsedivertitpourvivre.Çasesentdanssesmessages.Ila l’aird’yattribueruneimportancecomplètementfolle,totalementdémesurée.
Jeremarquesoudainquemamusiques’estarrêtée.Jeremetsmavieilleplaylistenroute,commejel’ai fait desmilliers de fois.Ces chansons, je les écoute depuis toujours. Je serais incapable de direquand je les ai entendues pour la première fois pour la simple et bonne raison que j’ai l’impressionqu’ellesonttoujoursfaitpartiedemavie.Maismalgrémonattachementpourchacunedeceschansons,unpeuderenouveauferaitdubien…
Alyssa:Tuécoutesquoicommemusique?Jeviensdemerendrecomptequemaplaylistauraitbesoind’unbonrafraîchissement…Lui:TupeuxécouterTheWeeknd,situveux.Jel’adore.Alyssa:TheWeeknd,tudis?Unechansonenparticulier?Lui:WickedGames.
WickedGames:Jeuxmalsains.Jenepeuxm’empêcherdepenserquenotrejeuaussiestmalsain.Dumoins,ilpourraitledevenir.Difficiledecroirequ’ilm’aconseillécetitreparhasard.
Lui:Tuaimesécouterdelamusique,Alyssa?Alyssa:Biensûrqueoui.Quin’aimepasça?Lui: Jeveuxdire :est-ceque lamusique te faitvibrer?Est-cequ’elle teprocurede la joie?Est-ceque tu frissonnes lorsque tu
entendsteschansonspréférées?Alyssa:Jenemesuisjamaisvraimentposélaquestion,enfait.Lui:S’ilyabienunechosequejepeuxaffirmer,c’estcelle-là:lamusiquedécuplelessensations.Çastimulelessens,unpeucomme
une drogue, Alyssa. Enmoins fort évidemment, mais c’est le même effet au final. Et tu sais ce que j’aimerais faire à l’instant même ?J’aimeraisavoirlachancedeposermeslèvressurlestiennesenécoutantWickedGames,chérie.
Jesensmoncœurfaireuneembardéelorsquejelissonmessage.Jesuissoudainementassaillieparuneboufféedechaleur. Ilaimeraitm’embrasser?Commentpeut-il souhaiterunechosepareillealorsquenousnenousconnaissonspas?
Lui:Alyssa,t’estoujourslà?Alyssa:J’aibesoind’uneclope.Lui:Mesmotst’ontdéstabilisée,ondirait.Cen’étaitpasmonbut.Désolé.Lui:Tufumes?Alyssa:Ouais,c’estunsecretpourpersonne.Enfin,si.Mesparentsnesontpasaucourant,etjecroisqueçavautmieuxpourma
santéphysiqueetmentale.Lui:Lesmienss’enfoutentdecequejefais.Quejeboive,fumeouquejemedrogue,ilss’enfoutent.Jepourraismerameneravec
unjointàtable,ilsneleremarqueraientsansdoutepas.Alyssa:Tuasdelachance.Jedoistoujoursfaireattentionànepaslaissertraînerquelquechosequipourraitmetrahir.Etleweek-
end,c’estunvraicalvaire…Lui:Jenesuispassûrqu’onpuissedirequej’aidelachance.Tudevraist’estimerheureused’avoirdesparentsquisesoucientdeta
santé,Alyssa.Alyssa:Tunevaspastemettreàmefairelamorale.J’aidéjàassezàlamaison.Tuasuntruccontrelefaitquejefume?Lui:Non.D’ailleursjesuisentraind’imaginerquelgoûtauraittaboucheaprèsquetuasfumé.Jesuissûrquej’adorerais…Alyssa:Waouh.T’esplutôtdirectcommegars.C’estassez…déstabilisant.Lui:Jesais,chérie.Alyssa:Tunousappellestoutes«chérie»?Lui:Non.Jevoustrouveàchacuneunpetitnom.Monchat,mapuce…Destrucscommeça.Pourtoij’ailongtempshésitéentre«
chérie»et«bébé».Alyssa:C’estassezclassique,jetrouve.C’estdécevantdetapart…Jetepensaispluscréatifvulejeuquetuasinventé.Cecidit
j’auraispréféréquemonpetitnomsoit«bébé».
Jesourisenrédigeantcemessage.Enfait,jen’auraispaspréféré«bébé».Çam’estcomplètementégal.J’aijusteenviedejoueraveclui.Iln’yapasderaisonqu’ilsoitleseulàs’amuser,alorsautanttirerprofitdelasituation.Ilmetunmomentàrépondreetjel’imaginehésitantdevantsontéléphone.J’aidûleprendreaudépourvuet,pouruneraisonquej’ignore,j’adoreça…
Montéléphonevibreenfin.
Lui:Vraiment?Jepeuxchangersituveux.Bébét’iraitbienaussi.Alyssa:Non,tonpremierchoixétait«chérie».Garde-le.Lui:Tucomptesmedonnerunpetitnomàmoiaussi?Alyssa:T’aimeraisquej’entrouveun?Lui:Jecroisquej’adorerais…Alyssa:Çam’auraitétonné,tiens!Maisjenesaispassituméritesquejemedonnecettepeine.Jeverraiçaplustard,quandjeserai
d’humeurplus…charitable.
Je ne peuxm’empêcher de sourire. Je crois que je commence à apprécier ce jeu plus que je nel’auraiscru.JemesensattiréedansceWickedGameparuneforceirrépressible.J’ail’impressiond’êtreaspiréeàl’intérieur,commedansunetornadedestructricebienpluspuissantequ’ellenedevraitl’êtreàce stade.Oui, je crois que je commence à aimer ces discussions avec lui.Même s’il est très rentre-dedansetqu’iln’apasfroidauxyeux,cegarçonestintéressant,c’estincontestable.C’estvraiquec’estamusant,toutça.Jediraismêmedivertissant.
Lui:Chérie,jedoistelaisser.Jesorsavecdespotescesoir.Onseparledemain?Alyssa:J’attendraitontexto.Lui:Parfait.ÉcouteWickedGames,d’icilà,s’ilteplaît.J’aimeraissavoirsituaimescettechanson.Parcequesic’estlecas,jela
mettrailorsquejet’embrasserai.Enfin,situtrouvesquijesuis,biensûr…Alyssa:Jeleferaiquandj’auraidutemps,net’enfaispas.Lui:D’accord.Passeunebonnesoirée,chérie.Alyssa:Toiaussi,Babe.
–3–
Lui:Salut,chérie.Alyssa:Salut.Lui:Commentvas-tu?Alyssa:J’aiconnumieux.Lui:Qu’est-cequ’ilsepasse?Alyssa:Rien.Jesuisjusteenoverdosedecours.Lui:Jelesuisaussi,siçapeutterassurer.J’aijamaiseuautantdetravaildemavie.Alyssa:T’esenquellesection?Lui:TerminaleS.Alyssa:T’esenterminale?Lui:Çat’étonne?Pourtant,jet’aiditquej’aidix-huitans.Alyssa:C’estvrai,maisilfautcroirequejen’aipaspercuté…Pourquoituparlesàunepremièresituesenterminale?Lesfillesde
tonannéenesontpasàtongoût?Lui:Jetel’aidéjàdit,Alyssa,mescritèrespourchoisirmescoéquipièresdejeunereposentpassurl’âge.Jeprendsavanttouten
comptelabeauté.Alyssa:Cequec’estsuperficiel…Lui:Superficiel?Jet’aidéjàexpliquéque,quitteàchoisir,jepréfèrepiocherparmilepremierchoix.Alyssa:Tudisça,maispeut-êtrequetoi-mêmetunefaispaspartiedupremierchoix.Lui:Peut-être,oui.Ça,tunelesaurasquesitutrouvesquijesuis…Alyssa:Quiteditquej’auraiencoreenviedejoueravectoisitunefaispaspartiedupremierchoix?Lui:Commentça?Alyssa:Tutraînesavecquelgenredepersonnesaulycée?Lui:T’esentraind’essayerdedevinercommentjesuisphysiquement,oubien?Alyssa:C’estexactementcequejesuisentraindefaire.Lui:Lesgensavecquiontraînenedéterminentpastoujourscommentonestetàquoionressemble,tulesais?Alyssa:C’estvrai,maislaplupartdutempsc’estquandmêmelecas.Çanepeutquem’aideràmefaireuneidéedequelgenrede
garstues.Lui:Jetetrouvebizarresurcecoup-là.Alyssa:Venantd’ungarsquimèneunjeuperversavecdesfillesqu’ilneconnaîtpas,jeleprendsbien.Lui:Unjeupervers?Alyssa:Ouais.C’estexactementcequec’est:unjeupervers.Lui:Alorspourquoijoues-tusitutrouvesçamalsain?Alyssa:Parcequejet’aimebien.Mêmesituasl’aird’unpsychopatheenmanque.Lui:Unpsychopathe?Tuastoujoursunefaçondedireleschoses…J’adore.
Alyssa:C’estjustel’impressionquej’ai.Lui:Peut-êtreque tuas raison,Alyssa.Peut-êtreque jenesuispas lapersonneque jeprétendsêtre.Après tout,qu’est-cequi te
prouvequejenesuispasunpsychopatheenmanque,commetudis?Riennipersonne.Mais,Alyssa,réfléchisuneseconde.Quidenousdeuxestlapersonnelamoinsnetted’esprit?Toioumoi?Lapersonnequiproposelejeuoucellequiaccepted’yjouer?
Pourlecoup,ilmarqueunpoint.Jenedoispasêtrebiendansmatêtenonplus.C’estvrai,aufinal,jenevauxpasmieuxquelui.Lefaitquej’acceptedem’embringuerdanscettehistoireestaussiétrangequelejeuenlui-même.Maisj’aimetellementlafraîcheurquecemystérieuxgarçonapportedansmavieque je ne peuxme résoudre à quitter la partie, aussimalsaine puisse-t-elle être. Je ne peux sortir del’engrenagedesenvoûtantsmessagesdanslequeljesuisprise.
Jecontournesaquestionetreviensaucœurdujeu.
Alyssa:Alors,tutraînesavecquelgenredepersonnes?Lui:Legenrequetoutlemondeaimeaulycée,chérie.Alyssa:Jeveuxunepreuve.
Jesourisenluienvoyantcemessage.Enréalité,jenesaisabsolumentpascequ’ilpeutmerépondrepourmeconfirmerqu’ilfaitbienpartiedu«premierchoix».Maiscen’estpasmonproblème,etjeveuxluiprouverque,moiaussi,jepeuxmemontrerexigeante.
Impatiente, je reste les yeux braqués sur mon écran à attendre sa réponse. Mais cette dernièren’arrive pas aussi rapidement que prévu. Cela prend du temps, beaucoup trop de temps à mon goût.Pourtant, ce n’est pas dans les habitudes de ce gars. Il répond toujours très rapidement, presqueimmédiatement.Jenecomprendspaspourquoic’estdifférenttoutàcoup.Peut-êtrefait-ilautrechose?Peut-êtrea-t-ildûs’absenterpourjenesaisquelleraison?Non,jesuispresquecertainequecen’estpaslecas.Jenesaispaspourquoimaisj’ail’impressionques’ilnerépondpas,c’estparcequ’ilréfléchit.Peut-êtrehésite-t-ilàmedonneruneréponse?Oupeut-êtrenesait-ilpasquoimedire?Jen’ensaisrien,maiscetteattenteprolongéequ’ilm’imposemepousseàmetorturerl’esprit.
Aumomentoùjemedisqu’ilnerépondrapluspourcesoir,jesensmonportablevibrerdoucemententremesmains.
Lui:Jefaispartiedel’équipedenatationdulycée.
Jerecrachelafuméedemacigaretteunsourireauxlèvres.Unnageur.Iln’yariendeplussexyquelessportifs.S’ilappartientréellementà l’équipedenatationdulycéealorsoui, jepensequel’onpeutdirequ’ilfaitpartiedupremierchoix.
Alyssa:As-tulesmusclesquivontavectonmaillot?Lui:Tun’aspasidée…Lui:Jenesaispassituterendscomptequ’entedisantquejefaispartiedel’équipedenatationdulycée,jet’aideénormément.Alyssa:C’estvrai.Lui:Jecroisquej’aidroitàunerécompense.Alyssa:Qu’est-cequiteferaitplaisir,Babe?Lui:Jepensequej’aimeraisbeaucoupquetuviennesmevoirnagerunefois.Alyssa:Çapourraitsefaire…Letruc,c’estquejenesaispasquijeseraicenséeregarder.Lui:Peut-êtrequesi,àl’instinct.Onneparlepasd’intuitionféminine?Alyssa:Si.Lui:C’estbiencequejemedisais.Alyssa:Sijeparviensàdécouvrirtonidentité–etquetum’appartiensenconséquence–,jeporteraitavesteaveclelogoduclubde
natationpourquetoutlemondesacheàquitues.Lui:Hmm…J’aimelefaitquetusoispossessive.
JecommencedeplusenplusàprendregoûtàceWickedGame.Cegarçon,quiquecelapuisseêtre,estonnepeutplusdivertissant.
Alyssa:Aufait,j’aiécoutétachanson.Lui:Ahoui?Qu’enas-tupensé?Alyssa:Jel’aimebeaucoup.Elleest…trèshot,quandmême.Lui:Tuasvuça!Cettechansonesttoutàmonimage…Alyssa:Jenesuispasenpositiond’approuver.J’ignoreàquoituressembles.Lui:Patience,àtoidetemontrermaligne.Etjenedoutepasunesecondedetescapacités,Alyssa.Jesaisquetupeuxtrouverquije
suis.Alyssa:Biensûrquejetrouverai.Jetrouvetoujours.Lui:Jen’endoutepasuneseconde,mabelle.As-tuparlédenousàtesamis?Alyssa:Non.Moiaussijeveuxqueçaresteentrenous.Jesuisdugenrepossessive,commetul’assibienfaitremarquer.Lui:Çam’arrangebeaucoupquetupensescommeçaetquetunecomptespasparlerdenotrejeu.Tusais,jeposesystématiquement
cettequestionauxfillesavecquijejoue.Toutescellesquirépondentoui,jelesvire.
J’aiunpincementaucœurlorsquejelissonmessage.Jen’aijamaisrencontréungarçoncommelui.Non, jamais. Il est si intelligent, si froid, si radical…Et enmême temps si séduisant.Çame retournecomplètement.S’ilyaquelquesjoursencoreonm’avaitditqu’ungarçoncommecelui-cimesortiraitdel’insupportableroutinequimecollaitàlapeau,jenel’auraispascru.Cegarçonreprésentetoutcequejepeux désirer. Lemystère, la tentation, le frisson de l’interdit. Toute la sensualité et l’intelligence quej’auraispuchercherchezquelqu’un.Pourtantsesderniersmotsmeglacentlesang.
Alyssa:Pourquoitulesasvirées?Lui:Lorsquejejoue,j’aimequemesrèglessoientappliquéesetrespectées.Doncsimacoéquipièren’estpasapteàlessuivre,elle
dégage.C’estaussisimplequeça.Alyssa:Tu…Tuneleurlaissespasdesecondechance?Lui:Jen’aipasqueçaàfaire,Alyssa.Jepréfèrejoueravecdesfillesquisaventsemontrerunminimumintelligentes…Desfillesqui
leméritent.Desfillescommetoi.Tucomprends?Alyssa:Oui.
Lui:Bien,parlonsdechosessérieuses,maintenant.Quelesttongenredegars?
J’inspireprofondément.Jesaisquejedoisrépondrecequ’ilattend.J’aibeauignorerauplushautpoint à quoi il peut ressembler, je dois donner la description d’un gars qui lui ressemble. Sinon… Ilrisquedemevirercommeill’afaitaveclesautresfilles.Quepourrais-jeluirépondre?Iladitqu’ilétaitmusclé.J’aimelesgarsmusclés.Alors…
Alyssa:J’aimelesgarçonsquiontdesabdominauxbiendessinésetla«Vline».Lui:Qu’aimes-tud’autre,chérie?
Jemordsma lèvre inférieure.Réfléchis,Alyssa.Lamajorité des garçonsont les cheveux foncés.Peut-êtrequeluiaussi?
Alyssa:J’aiunepréférencepourlesbruns.Lui:Lesbruns?D’accord.Quoid’autre?Alyssa:J’aimelessportifs.Lui:C’esttoutàmonhonneur.Alyssa:J’aimequandungarçonestplusgrandquemoi.D’aumoinsunedizainedecentimètres,j’ail’impressiond’êtreensécurité.
J’aimeaussilesgarçonsdotésd’unregardprofond.Lui:Qu’entends-tuparlà?Alyssa:Jeveuxdire…Unregarddanslequelilestfaciledeseperdre.Unregardténébreuxetmystérieux.Unregard…qu’onne
risquepasd’oublier.Lui:Jecroisquej’aiça.Alyssa: C’est ce que je préfère chez un garçon : son regard. Je ne sais pas…On peut y apprendre beaucoup de choses.On y
décryptetoutuntasdesentiments.Celuiquiaditquelesyeuxsontlerefletdel’âmeatoutcompris.
Jesourisenappuyantsurlebouton«envoyer».Mesdoigtssedéplaçaienttellementvitesurmontéléphonelorsquej’écrivaiscemessage.J’avaisl’impressionquejedevaistoutécrirerapidement,pourne pas oublier unemiette demes pensées. Parce que tout ce que je viens de lui révéler, je le pensevraiment.
Lui:Qu’est-cequejepourraisliredanstonregard,moi?Alyssa:Àtoidemeledire.Lui:Tonintelligence, toncôtérebelle,affirmé,secretet introverti.Maiscenesontquedes idées, jenesaispasceque jepourrais
découvrirdanstonregardsitumeregardaisdanslesyeux.Alyssa:Àmonavis,tuverraispleind’autreschoses.Lui:Commequoi?Alyssa:LavéritableAlyssa.Cellequepersonneneconnaît.Lui:Jeveuxensavoirplus.Alyssa:Tuledécouvrirasplustard.Moiaussi,jeveuxjoueravectoi.
LaAlyssadontjeparle,c’estlafilleenproieàuneperpétuellesolitude.C’estlafillequiavusavies’enliseraufildes jourssanspouvoiryremédier.C’est l’adolescentequin’estpasaussi froideetimpassiblequ’ellelelaissepenseràsonentourage.Ouais,c’estdecetaspect-làdontjeparle.J’aimesfaiblesses,mais personne ne les soupçonne. Et c’est, je pense, ce quim’a conduite à être qui je suisaujourd’hui.Lafillequi,ensurface,paraîtdénuéedesentiments.Lafillecassante,quisefoutdetoutetquiest insouciante.Ouais, jeparledecetaspect-làdemapersonnalité.Et jecroisquej’aimeraisbienqu’un jourquelqu’undécouvred’unseul regardcequ’ilyadecachédans les tréfondsdemonesprit.J’aimeraiscompterassezpourquecettepersonnecomprennequejenesuispascellequejeprétendsêtre.
Je fixequelques instantsmon téléphone,mais aucun texton’arrive.Est-ceunenouvellemaniede
prendredutempspourrépondre?Ouai-jeditquelquechosequiluiadéplu?Jesensfinalementunevibrationaucreuxdemapaume.
Lui:Situsavaisàquelpointj’attendaisdetombersurunecoéquipièredejeucommetoi,Alyssa…
–4–
Surlecheminduretourchezmoi,jesensmontéléphonevibrerdanslapochedemaveste.Celafaitmaintenantune semaineque le jeuacommencé,et je suis toujoursaussiheureuse lorsque je reçoisunmessagedemonInconnu.C’estunpeucepourquoij’ailecouragedemeleverlematin.C’estpeut-êtrebête,ditcommeça,maisc’estlavérité.Cegarsapporteunetelleboufféed’airfraisdansmaviequej’ail’impressiondepouvoir respirer ànouveau.C’estpour cette raisonque je souris lorsque je sorsmonportabledemapochepourdécouvrir,commeattendu,unmessagedemonInconnu.Toutenmarchantlelongdutrottoirpleindelycéens,jeliscequ’ilm’aenvoyé.
Lui:«Dis-moiquetum’aimes.»
Jehausseunsourcil,intriguée.«Dis-moiquetum’aimes?»Qu’est-cequ’illuipasseparlatête,àcelui-là?J’ôtemesgants,lesfourredansmespochesetdéverrouillemontéléphonepourluirépondre.
Alyssa:Hum…Salut.Lui:«Seulementpourcesoir.»Alyssa:D’accord,jevois…Lui:«Mêmesitunem’aimespas.»Alyssa:LesparolesdeWickedGames,n’est-cepas?Lui:Exact,chérie.Alyssa:J’aicrupendantunesecondequetuparlaissérieusement.Lui:Ahoui?Tupensaisquejetedemandaisvraimentdemedire«Jet’aime»?Ehnon.Maistupeuxquandmêmemelediresitu
enasenvie,hein.Çanemedérangeabsolumentpas…Alyssa:Parcequetupensesquejet’aime?Lui:Jelepense,oui,dumoinstum’appréciesbeaucoup.Alyssa:Cen’estpaslecas.Désolée,Babe.Lui:Alyssa,tusaisquecequetumedismebriselecœur?Alyssa:Jesuisdésolée.Jenedispas«jet’aime»àn’importequi.Lui:Parcequejesuisn’importequi,selontoi?
Alyssa:Dois-jeterappelerquejeneteconnaispas?Lui:Pourqueçachange,ilfaudraitpeut-êtrequeMadamesedécideàmeposerdesquestions.Alyssa:…Cen’estpassisimplequeça…Lui:Jenevoispasenquoi.Tun’asqu’à…Jenesaispasmoi,medemanderquandest-cequejesuisné,macouleurfavoriteoudes
chosescommeça…Alyssa:Ouais,jepourrais.Maisçanem’aideraitenaucuncasàdécouvrirquitues.Lui:Etalors?Jepensaisquetuvoulaisapprendreàmeconnaître?Onvientdecommencerlejeu,Alyssa.Onpeutjusteapprendre
deschosesl’undel’autresanstoutletempspenseràsafinalité.Alyssa:Jesais.Maisjepréféreraisqueçam’aideàtrouverquitues.Lui:Parcequetuessûredevouloirsavoirquijesuis,Aly?
Aly?Depuisquandm’appelle-t-ilcommeça?Jelisrapidementsonmessageavantdetraverserlarue.Personneneprendlemêmecheminquemoi.Lesautresregagnentàpiedlequartierpopulairedelaville,alorsquejevaisprendremonbuspourretrouverlagrandepropriétédemesparentsàl’écartdetout.Jeregardel’heure,déjàdix-septheuresquarante-cinq.Merde,pilel’horairedemonbus!Jecoursjusqu’àl’arrêt,espérantnepasl’avoirloupé.Lesuivantestdansunedemi-heureetjen’aivraimentpasenviedel’attendredanslefroid.Mesfouléessontrapidesetlessemellesdemeschaussuresrésonnentcontre le bitume du trottoir. Le contenu de mon sac à dos bouge dans tous les sens, dans un bruitassourdissant.Jesensmonportablevibreraufonddemapochemaisjen’aiclairementpasletempspourça.Jetourneàgauche:àl’arrêtdebus,lestêtesconnuesquejeretrouvechaquesoirnesontpaslà.Oudevrais-jedirenesontplus là.Merde! Jem’arrêtedecouriret j’essayede reprendremarespiration.Quelle gourde ! Je n’aurais jamais dû passer à mon casier avant de quitter le lycée. D’habitude, jem’arrangepoursortirrapidementetéviterlacohuedeslycéens,maisj’avaisoubliéleromanquejedoislirepour le coursde français :LeRougeet leNoir deStendhal. J’ai donc étéobligéed’ypasser. Jesoupireet réajuste lescheveuxquisesontéchappésdema tressependantmacourse.Je récupèremonportableetlismonmessageenattente.
Lui:Çanetedérangepasquejet’appelleAly?Jetrouveçamignon.
J’esquisse un sourire. Puisque j’ai du temps à présent, je m’assieds par terre et m’adosse aupanneaud’affichagedeshoraires. Jesorsunecigaretteainsiquemonbriquet. Jecoince laclopeentremeslèvresetl’allumeavantderépondreaumessagedemonInconnu.
Alyssa:Oui,tupeux.Jetrouveçamignonaussi.Lui:Ahenfin!J’aicruquetunerépondraisplus,chérie.Alyssa: J’ai couru pour essayer de chopermon bus,maismes jambes n’ont pas été assez rapides. Résultat, je vais rester trente
minutesdanslefroidenattendantleprochain.Lui:Sérieux?Merde…J’auraisbienproposédevenirtecherchermais…jenepeuxpas.Alyssa:Ouais,àcausedenotrejeu.Çaseraitcondetegrillerjustepourveniràmarescousse.T’inquiète,c’estpasgrave.Çame
feradubiendeprendrel’air,detoutefaçon.Lui:Sûrement,oui.
Alyssa:Est-cequetuveuxbiencontinueràmeparler,histoirequejenem’embêtepastrop?Lui:Biensûr,Aly.C’esttoujoursunplaisirdediscuteravectoi.Alyssa:Alors…Raconte-moitajournée.Lui:Riendepassionnant,tusais,laroutine.Lescours,lescoursetencorelescours.Alyssa:Tunesorsjamais?Lui:Si,maisçadevientdemoinsenmoinsrégulier,parmanquedetemps.Alyssa:Jefaispartiedecespersonnesquipensentqu’onatoujoursdutempspoursortir.Lui:Moiaussijesuisdugenreàpenserça,maisaveclescours,lebacàlafindel’année…Jen’aipastropletemps.Tun’aspas
encorecommencéàréviserpourtonbacdefrançais?Alyssa:Non.Lui:Pourquoi?Alyssa:Parcequej’aipasbesoinderéviser.Jesuisplutôtcaléedanslesmatièreslittéraires.Lui:Leslangues,c’esttondomainedeprédilection?Alyssa:Onpeutdireça.Lui:Tantmieux.Onditquec’estpratiquepourembrasser…Alyssa:T’esvraimentcon.C’estvraimentuneremarquedebeaufça.Alors…jevaisfairesemblantdenepasavoirlutablaguede
merde–sionpeutappelerçauneblague–etjeneferaiaucuneremarquedésobligeantedessus.Doncparlonsd’autrechose.Àtoi,c’estquoitondomainedeprédilection?
J’écraselemégotdemacigarettequis’estconsuméeavantmêmequejesongeàtirerdessus.Jesorsuneautreclope,ladernièredemonpaquet,etm’évertueàl’allumer,cequis’avèretrèscompliquéavecleventglacéquimesouffledessus.
Lui:Lesmaths,chérie.Alyssa:T’esunmatheux?Lui:Ouais.Alyssa:C’estbon,jecroisquejevaisparveniràdécouvrirquitues!Dessportifsmatheux,çanecourtpaslesrues.Lui:C’esttrèsstéréotypécequetuesentraindedire.Alyssa:Trèsstéréotypé,certes,maisincroyablementvrai,Babe.Alyssa:J’aifroid.J’aidumalàrédigerlestextos.Leboutdemesdoigtsestgelé.Lui:Vraiment?Fumeunecigarette,çavateréchauffer.Alyssa:C’estdéjàcequejefais,monsieurlematheux.Lui:Marcheunpeu,tuaurasmoinsfroid.Alyssa:Pasmoyen,j’ailaflemmedemelever.Lui:Situaslaflemmedetelever,commenttuvasfairepourprendrelebus?Alyssa:OK,c’estbonjemelève.
Jerecrachelafuméedemacigaretteetjeregardelenuagefins’éleverdansl’airfroid.Jepousseensuite surmesmains etme relève difficilement. Je suis tout ankylosée, c’est à peine si je sensmesjambes.Foutumois de février ! J’ai des fourmis qui grouillent dans toute la partie inférieure demoncorps,etmonnezcommenceàcouler.
Alyssa:Jemesuislevée.Lui:Marcheunpeu.Alyssa:Jevaisavoirl’airdébile.
Lui:Ilyadumondeautourdetoi?
Jesuisétonnammentseule.Personneneveutprendrelebusdedix-huitheuresquinze,ouquoi?Etiln’yapasnonplusdevoituresàl’horizon.
Alyssa:Non.Lui:Alorstut’enfous!Marcheunpeu,Aly.Çavatefairedubien.Alyssa:Bon,aupointoùj’ensuis…Lui:Situtesensvraimentmal,dis-le-moi,jet’enverraiuntaxi.Alyssa:Merci.Lui:Jet’enprie,chérie.
Mevoilàmarchantautourdel’arrêtdebus,telleunepauvrefillen’ayantriend’autreàfaire.C’estun peu le cas d’ailleurs. Je tire une dernière fois surma cigarette avant d’écraser lemégot.Voilà, lanicotine ne pourra plus m’aider à supporter ce moment pénible. Je suis livrée à moi-même… Et àl’Inconnu,évidemment.
Lui:C’estquoitadatedenaissance?Alyssa:Le9février1999.Lui:C’étaitilyadeuxsemaines.Bonanniversaireenretard.Alyssa:Merci,ettoic’estquand?
Lui:Le1erfévrier1998.Alyssa:Sérieux?C’étaitilyatroissemaines.Bonanniversaireenretard,àtoiaussi.Çafaitquoid’avoirdix-huitans?Lui:Rien,enfait.Jecroisquejesentirailechangementlorsquejequitterailamaison.Alyssa:Ouais,c’estsûr.Maistupeuxallerenboîtelégalementettout,çadoitêtresuper!Lui:Ouais,çal’est.Alyssa:J’aihâted’êtremajeure.Lui:Çaarriveraplusviteque tunepenses, crois-moi.Onest tous lesdeuxdedébut février, çaveutdirequ’onest tous lesdeux
Verseau,chérie.Alyssa:Ouais.Çacraint.Lui:Pourquoi?Alyssa:Parcequ’onditquelespersonnesdemêmesignenes’entendentpas.Lui:Lapreuvequece«ondit»n’estpastoujoursvrai.Jetrouvequ’ons’entendbien.Alyssa:Peut-êtreparcequ’onparleseulementparmessages.Lui:C’estmoioutun’aspasenviequ’ons’entendebien?Alyssa:Çasepourrait.Lui:Jecommenceàpenserquetunem’aimesvraimentpas.Alyssa:Si,jet’aimebien.Jetetrouvevraimentcoolmême.Lui:Merci.Alyssa:Tupeuxmeremercier,oui.Alyssa:Lebusarrive,enfin!Lui:Çaaétécooldetetenircompagnie.Onremetçaquandtuveux.Alyssa:Demainsoir,dix-huitheures,jeprésume?Lui:Tuvoisquetumeconnaisbien,Babe.Alyssa:Hey!C’estmonsurnomça!
Jesourispuism’engouffredanslebusetvaism’asseoirtoutaufond.Iln’yapasgrandmonde,pournepasdirepersonne.Jeposemonsacsurlesiègeàcôtédemoietcalemespiedssurceluid’enface.
Lui:Peut-être,oui.Maisjem’enfous.Alyssa:Bon,jevaistelaisser,jedoiscontinuerlelivrequelaprofdefrançaisnousadonnéàlire…(PS:C’estàcausedeluiquej’ai
loupémonbus…!)Lui:Pourquoi?Alyssa:Parcequejel’avaisoubliédansmoncasier…Çam’aretardée.Lui:Dur…Ilfaitcombiendepages,cesalaud?Alyssa:Sixcentdixpages.Lui:Ahouais…Jetelaissealors,chérie.Bonnechance.Alyssa:Merci…Salut,Babe.
Je sors le pavé de mon sac en soupirant. Je l’ouvre là où j’avais mis mon marque-page et jecommenceàliresansconviction.Cen’estpasquel’histoireelle-mêmenesoitpasbien,c’estplutôtlefondquimedérange.Cettemèredefamillequitrompesonmariavecunjeune…Çamemetmalàl’aise.Jenepeuxm’empêcherdememettreà laplacedesesenfantsetdem’imaginercequejeressentirais.Quelquesminutesplustardjesensmonportablevibrersurmacuisse.
UnnouveaumessagedeLui.
Lui:J’aipresqueoubliédeteledire…!Ilyaunecompétitiondenatationvendredisoir,j’aimeraisvraimentquetuviennes.(Désolésijetedérangedanstalecture,chérie.)
Alyssa:T’inquiète.Jevaisvoircequejepeuxfaire…Lui:Tiens-moiaucourant.Jeveuxsavoirsimajournéedevendrediseralégèrementmieuxqu’elleenavaitl’air…Alyssa:Jetetiensaucourant,Babe.Àdemain.Lui:Àdemain,chérie…
Je souris et une vague d’excitationme parcourt tout entière. Bien sûr que je vais y aller, je nerateraisçapourrienaumonde.JeverrouillemontéléphoneetreprendsfinalementLeRougeetleNoir.Maismalectureestperturbéeparl’idéeque,bientôt,jeverrailevisagedugarçonquihantemespensées.Sanssavoirquec’estlui,bienentendu…
–5–
Lui:Salut,Alyssa.Alyssa:Salut.Lui:Comments’estpasséetajournée,chérie?Alyssa:Çaaété.Lui:Tantmieux,alors.Alyssa:Ettoi?J’aivuqu’aujourd’huilesterminalesavaientdescontrôlescommunspourpréparerlebacblanc…Ças’estbienpassé
?Lui:Jecroisqueçava.J’aigéréenmaths.Alyssa:T’esvraimentunasdesmathématiques,enfait?Lui : Je sais pas… Je fous rien et je m’en sors toujours avec des notes superbes. Je sais, c’est complètement injuste pour les
personnesquisebutentautravailetquirécoltentdes«4»toutel’année.Alyssa:Tuasoubliédeparlerdemoncas,là.Jemebuteautravailetlesnotessuivent.Toutn’estpastoujourstoutnoiroutoutblanc.Lui:J’aitendanceàpensercommeça,jedoisl’avouer.Pourmoitoutvabienoutoutvamal.J’aijamaisvudejustemilieu.Alyssa:Sérieux?Làtuesplusdugenretoutvabienoutoutvamal?Lui:Àtonavis?Alyssa:Jesaispasvraiment…Lui:Ilestquelleheure?Alyssa:Dix-huitheurescinq.J’enconclusquetoutvabien.Lui:Exactement,chérie.Alyssa:Tantmieux.Çam’auraitinquiétéesitun’allaispasbien.Lui:Ahbon?Pourquoi?Alyssa:Parcequejet’aimebien,Babe.Lui:Vraiment?J’aidumalàtecroire…Ilyaquelquesjourstudisaisquetunem’aimaispas.Alyssa:J’aichangéd’avisquandtum’astenucompagnieàl’arrêtdebus.Lui:Jecomprendsmieux…Alyssa:Non,jeblaguais.Jet’aimebienparcequet’escool,jetel’aidéjàdit.Lui:Tumetrouvesvraimentcool?Alyssa:Ouais,t’esunmatheuxcool.
Je me redresse légèrement pour accéder à mon enceinte Beats posée sur ma table de chevet etremettredelamusique.Jem’attardeuninstantsurlebouton«répéterlaplaylist»avantderevenirenarrière,surlemenu«touslesmorceaux»demontéléphone.Assezdecettefoutueplaylist,Alyssa.Un
peudechangementneferapasdemal,jecrois.Jefaisdéfilerlestitresdechansonsjusqu’àlalettre«W»et j’appuie surWickedGames. Jeme rallonge tandisque se jouent lespremièresnotesdumorceau.J’adorecettemusique.Jeveuxdire…C’estunpeunotremusique,àl’Inconnuetàmoi.Cettechansonnouscorrespondbienetj’aimepenserqu’onpartageuntructouslesdeux.Jeveuxdire,unautretrucquecejeupervers.Onaunemusiqueet…j’ail’impressionqueçarendleschosesplusconcrètes.Quecejeuprend une forme de vérité grâce à cette chanson. Ces messages sont quelque peu abstraits, ils nereprésententpasgrand-chosepuisquenousnenous connaissonspas réellement.Maispartagerquelquechosedeconcretetd’existant,bienqueçanesoitqu’unechanson,çarendleschosesplussérieuses,plusimportantes.
Lui:Arrêtededirequejesuisunmatheux,Aly.Cen’estpasparcequejesuisdouéenmathsquej’adoreleséquationsettoutescesconneries.
Alyssa:Jemedoute,maisjesaispas…j’aimebient’appelercommeça.Lui:JepréfèreBabe,chérie.Alyssa:Çam’auraitétonnée…Babe.Lui:Merci.Alyssa:Sinon,quoideneuf?Lui:Pasgrand-chose,tusais.Demainilyalacompèteaulycéeetjenesuispasvraimentmotivé.Alyssa:Pourquoi?Lui:Parcequeçacommenceàdix-huitheuresetquejenepourraipasteparler.Alyssa:Tunepourraspasmeparler,maistupourrasmevoir.Lui:Tuvienstoutcomptefait?Alyssa:Oui,mesparentssontd’accord.Lui:Cool.Alyssa:Jepeuxemmeneruneamie?Lui:Biensûr,Aly.Maistuconnaislesrègles,tuneluidisrienpournous.Çameferaitvraimentchierdedevoirarrêteravectoiparce
quetun’aspassutenirtalangue.Alyssa:Tun’aspasàt’enfaire.Jesuistropexclusivepourluiparlerdetoi.Lui:Pourquoi?Tuauraispeurqu’ellemeplaiseplusquetoi?Alyssa:Onsaitjamais,tusais…Hollyestvraimentpasmal.Lui:Aucunefilledulycéen’estplusbellequetoi.Alyssa:Arrêtetesconneries.Lui:C’estsimplementlavérité.Alyssa:Tumemetsmalàl’aise.Lui:Tun’aimespaslescompliments?Alyssa:Disonsplutôtquejenelesacceptepas.Surtoutlorsqu’ilsnesontpasmérités.
J’exhale un long soupir et me couche sur le ventre, battant la mesure de mes jambes en l’air.L’instantseraitparfaitsiseulementj’avaisuneclopeentreleslèvres.Maisjenepeuxpasfumerdansmachambre,çaseraitmetrahir.Mesparentssentiraient forcément l’odeurde tabacetvideraientsûrementmoncompteenbanquepourm’empêcherd’enacheter.Etjel’auraischerché.Alorsautantnepastenterlediable.
Lui:L’épreuvededemainestunrelaisetsinousgagnons,nousallonstousfairelafêtechezl’und’entrenous,tuviendras?
Alyssa:Jenedisjamaisnonàunefête.Ilfautjustequejeconvainquemesparentsdemelaissersortirtard.Normalement,çadevraitaller,commeçaseraleweek-end,maisilfautquejetrouveunprétexte.Ilsn’accepterontjamaisquej’ailleàunefête.S’ilssavaientquejen’enratepasune,jesuissûrequ’ilsferaientunecrisecardiaque.
Lui:Àcepoint-là?Alyssa:Tun’imaginesmêmepas.Lui:Situviens,évitededanseravecdesmecs,çamemettraithorsdemoi.Alyssa:Jefaiscequejeveux,Babe.Onn’estpasensemble,quejesache.Lui:S’ilteplaît!Alyssa:T’abaissepasàça,d’accord?Ondiraitunvieuxcouple–jalouxquiplusest.Lui:Ouais,j’avoue,çacraint.Maistusais…quandils’agitdetoi,jesuisdifférent.Alyssa:Fautvraimentquetuarrêtesavectesphrasesàlacon.Lui:Jesuissérieux,Aly.Entoutcas,mercidevenirdemain.Çamefaitvraimentplaisir.Alyssa:Jetedoisbiença.Lui:Qu’est-cequetufaiscesoir?Alyssa:Riendespécial.Ensemaine,jenefaisriend’extraordinaire.Jesuisdansmachambreetj’écoutenotrechanson.Lui:Notrechanson?Alyssa:WickedGames.Lui:J’aimebienquandtudis«notrechanson».Alyssa:Moiaussi,j’aimebien.Lui:Unjour,jet’emmèneraiàunconcertdeTheWeeknd.Onécoutera«notrechanson»enlive.Alyssa:Jesuissûrequeceseragénial…Lui:Évidemmentquecelesera.Maiscommençonsdéjàparunrelaissuivid’unesoirée.Jesuissûrequeçapeutêtresympaaussi…
–6–
Deux semaines que ce jeu entre l’Inconnu etmoi a débuté.Deux semaines qu’ilmonopolisemespensées.Deuxsemainesque jepasse leplusclairdemon tempsà regarder l’écrandemon téléphone,espérantydécouvrirunnouveaumessagevenantdelui.Oui,jepensesanscesseàcemystérieuxgarçon.Sanscesseànosdiscussions.Sanscesseàquiilpourraitêtre.C’estsimple:àchaqueminutedemavie,jepenseàlui.Jepenseàluiplusqu’àtouteautrechose.Ilestpresquedevenuunedroguepourmoi.Unedroguedontjeneconnaîtraispasl’existencemaisàlaquellejeseraisaccro.Mesamiesontremarquéquej’étaisabsenteencemoment,comme…perduedansmespensées.Etellesontraison.Mêmelorsquejesuisavecelles,laseulechoseàlaquellejepense,c’estàcetInconnuséduisantetmystérieux.Ilestmacame.Jemesuismêmesurprise,plusieursfois,àpasserenrevuelesgarçonsdeterminale,enmedisantque l’und’euxestmon Inconnu.Que l’und’euxm’obnubile.Que l’und’eux rendmonexistencemoinsfade,plusintense,plusstimulante.C’estpresquefouàdire,maisenunlapsdetempstrèscourt,ilaprisuneplaceconsidérabledansmavie.Çamefaitpresquepeur,cettefaçonqu’ilaeuedes’immiscerdansmonquotidien,dechamboulermesrepèresetdebousculermapetiteroutineennuyeuse.Ilatoutchangé.Enmieux.
Vousêtes certainementen traindevousdemanderpourquoi jenepassepas leplusclairdemon
tempsàchercherquiilest,etàluiposerdesquestions.Pourêtrehonnête,jenesaispascequimeretientdelefaireparcequ’ilestévidentquej’aienviedesavoirqui ilest.Mais jeveuxabsolumentprendremontempsetfairedurerleplaisiraumaximum.J’ailasensationquesijemeprécipite,lejeunedurerapas.Etcen’estvraimentpascequejedésire.Aucontraire,jeveuxquecejeuperdurelepluslongtempspossible.
Jegriffonneuncoindemafeuillesanstenircompteducoursquisedérouledevantmoi.Jenesais
mêmeplusenquellematièrejesuis.Enmaths?Enanglais?Enhistoire,peut-être?J’ensaisfoutrementrienparcequejesuisencoreentraindepenseràluietjesaisquesiçacontinuecommeça,mesnotesne
vontpastenirlechoc.Jeveuxdire…Jen’écouteplusrienencours,jebâclemesdevoirsetjepréfèreécouternotremusiqueplutôtquedelireleslivresdonnésparlesprofs.Lepire,c’estquejem’enfous.J’arriveàmedirequecen’estpassigrave,que j’aide l’avancedansmesnotes.Pourtant jesaisquepasserd’unbonquinzedemoyenneàunhuit,çapeutarriver très rapidement.Mais jem’enfous,et jecontinuedepenseràlui.
Jevaislevoircesoir.Enfin,enassistantàsacompètedenatation,jevaislevoir.Cettepenséeaeu
le pouvoir deme donner le sourire toute la journée.Qu’est-ce que je peux être niaise.Moi,Alyssa,réputéefroideetsolitaire,jeréussisàêtreniaisejusteparcequejevaisassisteràunrelaisauquelilvaparticiper.Jesuisentraindedevenirtoutcequejedétestealorsquejenesaismêmepasquiilest.Jesuistombéebienbaset,encoreunefois,çam’esttotalementégal.
Jecroisbienquec’estlepiredansl’histoire.
La sonnerie retentit soudainement,me faisant émerger. Je relève la tête et j’entendsvaguement la
prof–defrançais, finalement–annonceruncontrôlepour la findesemaineprochaine.Super. Jesensdéjà la catastrophe arriver étant donné que je n’ai rien écouté de ce qu’elle a raconté lors des cinqdernierscours. Je rassembleenvitessemesaffairesdansmonsacetmeprécipitedehors.Çayest, lajournée est terminée. Enfin. La course commence à dix-huit heures, soit dans une heure. J’ai donnérendez-vousàHollyàmoncasierpourqu’onaillejusqu’àlapiscineensemble.
Ilmefautbiencinqbonnesminutespourfendrelafouledesélèvesetarriverdanslecorridorquim’intéresse.Bondé,commetouslesautres.Jemefaufilejusqu’àmoncasieretm’yadosseenattendantHolly.Je la connais, elle n’est pas du genre à se presser, j’en ai pour un petitmoment.Alors jemedécolledelaportemétallique,déverrouillelecadenasetfaisminedefarfouillerdansmesaffairespournepasavoirl’airtrop…commentdire?D’unepauvrefillequiattendtouteseule.
Les coudes calés dans mon casier, j’en profite pour sortir mon téléphone. Je fais défiler mescontactsjusqu’àcequej’arrivesur«Lui»,etjeluienvoieunmessage,commeça,pourpasserletemps.Bon,aussiparcequejemeursd’enviedeluiparler,jel’avoue.Jeluienvoieunsimple«Salut»,puisqueje n’ai pas l’habitude de commencer la conversation et que çame fait bizarre de, pour une fois, memontrerentreprenante.
Laréponsenetardepasàarriveretjesenslespulsationsdemoncœurs’accélérerinstantanément.
Lui:Hey,chérie.Commentvas-tu?Alyssa:Jevaisbienettoi?Prêtpourlerelais?Lui:Absolument,oui.Jeviensd’arriverdanslesvestiaires.Alyssa:Tun’espastropstressé?Lui:Non,c’estunecompétitionamicale.L’enjeuestplutôtfaible.Alyssa:Sic’estunecompèteamicale,pourquoifaites-vousunefêtesivousgagnez?Lui:Parcequechaqueoccasionestbonnepourorganiserunepetitesoirée,tunecroispas,Aly?Alyssa:C’estsûr.Tusaischezquiçasedéroule?
Lui:Ouais,jet’enverraiuntextoavecl’adressesijamaisongagne.Fautquejetelaisse.Lecoachvientd’arriver.Jevaissavoirsijenageounon.
Alyssa:Iln’estpassûrquetuparticipes?Lui:Non.Unrelais,c’estseulementquatrepersonnes,tusais.Notreéquipecompteunepetitetrentainedenageurs,donc,forcément,
toutlemondenepeutpasconcourir.Alyssa:Oh,oui,biensûr.Bonnechance,entoutcas.Lui:Merci,chérie.Jecomptesurtoipournoussoutenir…
Comme à chaque fois, je ne peuxm’empêcher de sourire avant de rangermon téléphone. Jemeretourne:ilyatoujoursautantd’activitédanslecouloir.Toutlemondeattendquelqu’uniciouquoi?Jeclaquelaportedemoncasier,exaspérée,etplongemesmainsdansmespoches.Heureusement,Hollyarrive sur ma droite, ses bouquins dans les bras. Elle avance difficilement, une mèche de cheveuxéchouéesursonvisage.Elleal’airàboutdeforces.Jesuissûrequ’elleagalérépourarriverjusqu’ici.Ellemerefileillicotousseslivres,commesij’étaisuneétagère.Merci,Holly.
–Waouh…Çava?demandé-je,sarcastique.Holly s’adosse aux casiers à côté dumien et chasse lamèche qui lui tombait sur la figure. Elle
reprenddoucementsarespirationavantdeleversonpouceenl’aircommepourmedire«Ouais,toutvabien.» Je jetteunœil aux livresqu’ellem’a refilés et j’aipresqueunhaut-le-cœur.Physique-chimie,mathématiques,sciencesetviedelaTerre…Tousces trucsàapprendrequejedéteste.JenesaispascommentellefaitpoursupportersapremièreS.C’estclairementdusuicide,cettesection,dumoinsàmesyeux.Et je repenseàmonInconnu. Ilesten terminaleS luiet,àcequ’ilprétend, il sedébrouille trèsbien.
–Tuteremetsoujedoisappeleruneambulance,Holly?–Non…souffle-t-elle.Jecroisqueçavaaller.T’asdel’eau?–Non,désolée.–Merde,tucroisquelestoilettessontouvertes?– Peut-être, mais pas question d’y aller. C’est à l’autre bout du lycée. On pourra s’acheter des
boissonsàlapiscine,detoutefaçon.–Jenesuispassûredepouvoirtenirjusque-là.–Tu as traversé l’établissement, pas couru unmarathon, je te rappelle. Je suis sûre que tu peux
survivreencoredixminutesdeplus.Cettefois,ellelèvelemajeurpourmefairecomprendrelefonddesapensée.Jemecontentedelui
souriredemanièreexagéréeetdeluirendresontasdelivres.–Tiens,jenevaispasportertesaffaires.Oùesttonsac?–Jenesaispasexactement.–Attends…Tuveuxdirequetul’asperdu?–Non, jediraisplutôtqueJasonme l’avolé. J’avais laissémonsacdansmoncasiercemidiet
quandjesuisrevenue…plusdesac.Jasonavaitlaissétoutesmesaffairesavecunmotdisant«Puisquetune peux pas venir me voir ce soir, tu seras obligée de passer ce week-end pour venir chercher tonprécieuxsac.»
–C’estvraimentungamin.Ilestpascenséavoirdix-huitans?–Si…–Ilestvraimentpathétiquetonmec,tulesais,ça?–Essayedet’entrouverun,onenreparleraaprès,peste-t-elle.
Je lève les yeux au ciel histoire de bien montrer mon exaspération. Si elle savait… Je suis
persuadée qu’elle préférerait mille fois avoir la relation que j’ai avec mon Inconnu plutôt que cellequ’elleentretientaveccedébiledeJason.
–Lerelaisdébuteàquelleheuredéjà?demandeHolly.–Dix-huitheures,maisilfautyêtreunpeuavantpouravoirdebonnesplaces.–Onyvatoutdesuite,alors?Commeça,onauraletempsd’allersechercheràboireetàmanger.–Çameva.Tuveuxmettreuntrucdansmonsac?Çadoitêtreencombrant.–Tuseraisunamour,Aly.
Aly.Jelaregardelonguement, impassible,alorsquemonsangboutfurieusementdansmesveines.
Toutlemondedansmonentouragemedonnecesurnometjenem’yétaisjamaisattardéeavantqu’ilnel’utilise.Çaaunetoutautresignificationpourmoimaintenant.Çasonnetellementintimequandc’estluiquil’utilise.Detouslessurnomsqu’ilmedonne,c’estmonpréféré.Plusque«chérie»,plusque«mabelle».J’adoretoutsimplementlorsqu’ilm’appellecommeça.
Hollyclaquedesdoigtsdevantmesyeuxpourmerameneràmoi,etjesouffleun«Désolée»avantderetirermonsacdemesépaulesetdel’ouvrir.Elleyengouffresatrousseetdeuxdeseslivrespuismeremercieàsamanière.
–Bon,onyvaavantquejenemedéshydratecomplètement!
On se met en route pour rejoindre la piscine qui jouxte le lycée. Il y a déjà une multitude
d’adolescents autour des tribunes. On se croirait presque à la foire du Trône, avec la musiqueassourdissante,lesmarchandsdefriandisesetlesmembresduclubdegymquisetrémoussentautourdelapiscinepourfairepatienter lepublic.Hollym’entraînedirectementversundistributeurautomatique.Elle choisit une bouteille d’eau, et moi, une canette de Coca-Cola, mon soft préféré. À peine trentesecondesaprèsavoirpayé,Hollyadéjàdescendulamoitiédesabouteille.Elleétaitpeut-êtrevraimentprèsdeladéshydratation,toutcomptefait…Nousnousdirigeonsverslestribunes,maisHollyaperçoitungrouped’amisetm’entraîneverseux.
–Hey!Vousaussivousvenezvoirlerelais?demande-t-elleenarrivantàleurniveau.Undesgarçonsluiréponduntrucquejen’écoutepas.Onnepeutpasvraimentdirequej’apprécie
lesgens. Je suisplutôtdugenre…solitaire. Jen’aimepasgrandmonde.Àpartuncercle restreintde
personnes,enfait.Etjenem’enportepasplusmal.Jen’aijamaiscomprisl’intérêtd’avoirunequantitéastronomiquedecopainsquandonpeutavoirjustequelquesbonsamissurlesquelsonpeutcompter.Jeme contente donc de sourire, et de hocher la tête de temps à autre, histoire d’avoir l’air unminimumconcernéeparladiscussion.
Quand je commence à en avoir marre de faire tapisserie, je sors mon téléphone pour vérifier
l’heure.Unpeuplusdedix-septheuresquarante,moncœurrecommenceàtambourinerdansmapoitrine.Je vais bientôt le voir. Je tape gentiment sur l’épaule de Holly, pour attirer son attention quelquessecondes.Elletournebrièvementlatêteversmoietjeluimontrel’horlogedemontéléphone.
–Ondevraitallers’asseoirsionneveutpasresterdeboutpendanttoutlerelais.Lesgradinssontpresquepleinsmaintenant.
–Laisse-moiencoreuneminute,Aly.J’arrive.
Jesoupireetjecroiselesbrassousmapoitrine.Jejetteuncoupd’œilverslebassinetj’observe
lesgymnastesquicontinuentderépéterinlassablementleurenchaînement.Ellesleconnaissentsibienquecette suitedegestesestdevenueunautomatismepourelles.Enmême temps, avec lenombred’heuresqu’ellespassentàrépéterparsemaine,l’inverseseraitétrange.Jenesaispasoùellestrouventlecouragedeprendrecescourssupplémentaires,çadoitêtretellement…rébarbatif.
Hollyquittefinalementsongrouped’amis,pourmonplusgrandbonheur,etnousallonsenfinnous
asseoir.Ilétaittemps,lerelaiscommencedansunpeuplusdedixminutes.Noussommesaudeuxièmerang,àcroirequetoutlemondepréfèrelesplacesduhaut.Jeposemonsacdecoursàmespiedsetretiremon écharpe pourmemettre à l’aise. Puis, j’ouvrema canette et je bois une grosse gorgée deCoca.Hmmm.
Hollymedonneuncoupdecoudedanslebrasettendsamainversmoiavantdedemander:–Tum’enpassesunegorgée?J’aiencoresoif.Jejetteuncoupd’œilàsabouteilled’eau…Quiestoùd’ailleurs?–Tuasdéjàfinitabouteille?Tun’avaispasbudepuisl’anzéroouquoi?–Haha!trèsdrôle,Briand,siffle-t-elleeninsistantsurmonnomdefamille.Faispastaradineet
donne-moiàboire.Jeluiremetsmacanetteavecunsourireforcé,alorsqu’ungrésillementprovenantdesénormeshaut-
parleursaccrochéspartoutdanslasallesefaitentendre.Quelquessecondesaprès,unevoixsesubstitueàcelonggrésillementpeuagréable.
«Merciàtouspourvotreprésence,cesoir.Nousespéronsquevouspasserezunbonmoment.Je
vouspriederéserverunaccueildespluschaleureuxauxhuitéquipesquiparticipentaurelaisnagelibredecesoir!»
Untonnerred’applaudissementssuitcetteannonce,puis lesgarçonsdeséquipesconcurrentesfont
leurentréeautourdubassin.Nouslesapplaudissonspoliment, réservant toutenotreénergiepournotreéquipe.Cettedernièrearrivefinalementet je tapeplusfortdansmesmains.Hollya l’airenthousiaste,elleaussi.Ellecriemêmeaveccertainsautreslycéenspouracclamernosfavoris.
J’observechacundesnageurs : jesaisqu’il est là,parmieux. Jesourisdoucement. J’attendsquemon intuition féminine guide mes yeux sur une personne en particulier, commeme l’a conseillé monInconnu, mais rien. Évidemment, rien. C’est des conneries, ces histoires d’intuition féminine. Je n’aiaucunefoutueidéedequiilpeutêtre.Cepourraitêtrelegrandtoutaufondoulegarsàlapeaumateentêtedeligne.
La seule chose qu’il nem’ait jamais dite sur son physique est qu’il estmusclémais… tous lesgarçonsautourdecebassinlesont.Plusoumoinsc’estsûr,maisilsonttousuncorpssvelteetsec.Donc,cetteinformations’avèreinutile.Celanem’empêchepasdem’attardersurchacundesnageursdenotreéquipe,etdelesdétaillerdumieuxquejelepeux.Lerestedugroupesedétachedesquatreathlètesdelasoiréeetvas’asseoirdanslatribunefaceàlamienne.J’avouequej’aidumalàimaginerquel’und’euxsoitmonInconnu.Quel’und’euxaitmanigancécejeumalsainaveclesfillesdulycée.Quel’und’euxoccupecontinuellementmespensées.
Touslesrelayeurssemettentfinalementenplacederrièrelesplotsdedépart.Lepremierdechaquelignemontesurunplot, tandisqueleurscoéquipiersrespectifs lesencouragentdepetitestapesdansledos.
Lesacclamationsretombentprogressivementdanslesgradins,laissantauxnageurslaconcentrationdontilsontbesoin.Lavoixmétalliquedetoutàl’heureretentitunenouvellefois,demandantauxnageursde se mettre en place, et finalement un petit bip annonce le début du relais. Les premiers nageurss’élancentd’unmêmeplongeonetrivalisentdevitesse.Descriss’élèventànouveaudanslasalle.Notreéquipe,aucouloirnuméro5,estenquatrièmepositionpourl’instant.
Lesyeuxbraquéssurlesnageurs,jesensmoncœurs’accélérer.Jecriedesencouragements,quise
mêlent à ceux des autres supporters, comme si cela servait à quelque chose. La course des premiersrelayeursestpratiquementterminée,ledeuxièmedechaquecouloirs’apprêteàplonger.
Jemedemandesi,finalement,monInconnuvanagercesoir.Peut-êtreest-ilprécisémententraindesedémenerdansl’eau,ousurleplotdedépart,prêtàsauter.Jen’ensaisrien.Jejetteaussiunœilauxnageursassisdanslesgradins.Oubienilestlà,parmitouscesgarçons.
La course des deuxièmes relayeurs débute, puis avant que je n’aie eu le temps de m’en rendre
compte,c’estdéjàautourdestroisièmes.Legarsdenotreéquipeestbon,ilremonteàlasecondeplace.Maislepremier,aucouloir6,estloindevantnous.Ilsemblehorsdeportée,bienquenotrenageurdonnetoutcequ’ila.
Lenageur en tête arrivedéjà, et le dernier relayeurde son équipe sautedans l’eau.Les adosdenotrelycéesemettentàcrierplusfort.Lavictoiresembleinéluctableàprésent…alorsquelequatrièmeetdernierrelayeurdenotreéquipetouchel’eau.
J’ailesoufflecoupélorsquejeréaliselavitessedecegars.Notrederniernageureststupéfiant.Soncrawl ne ressemble pas à celui des autres participants. Il est plus puissant, plus efficace, si bien quel’écartentrecedernieretlegarsducouloir6serétrécitpetitàpetit.Touslessupportersdenotreéquipesontbluffés,et,progressivement,lesilenceretombedansnotretribune.Toutlemondesembleretenirsarespiration.
Ilsarriventtousdeuxàlafindescinquantepremiersmètres.Ilsfontleurculbuteaumêmemoment,etrepartentpouraffronterunenouvellelongueur.Lessixautresnageurssontlargués,totalementenretardcomparésàcesdeuxmachinesquisebattentpourlapremièreplace.Ilneresteplusqu’unequinzainedemètresetlà,c’estladégringolade.Notrenageursemblefaiblir,ilselaissedevancerparl’autre.Jesensl’agitation reprendre autour demoi,mais je reste focalisée sur l’étendue d’eau.Que se passe-t-il ? Ilsemblaitsibienparti.Surlepointdetoucherlemurenpremieretdefairegagnernotrelycéeavecbrio.Ilal’airaffaibli,commeenmanquedecarburant.Ilnemetplusd’énergiedanssesmouvements,maisneselaissepascomplètementdistancerparl’autrenageur.
Plus que dix mètres avant l’arrivée. Les cris de protestation fusent dans la salle, accompagnésd’applaudissementsvenantdel’équipeentête.
Toutàcoup,notrenageurse réveillecommes’ilvenaitde recevoirunedéchargeélectrique.Sonaccélérationesttellequ’ilprendlegarsducouloir6complètementaudépourvu.C’étaitunefeinte…Lesrôless’inversent.Lepremierdevient lesecond, legagnantdevient leperdant, les râlesdeviennentdescrisdejoie.
Le plot 5 est percuté par la main de notre nageur, la victoire est assurée. Nous sommes eneffervescence,nousnouslevonsenapplaudissant,ensifflant,enfélicitantnotreéquipe.
Notre nageur retire ses lunettes ainsi que son bonnet, laissant apparaître une tignasse brune. Son
visage souriant se tourne vers les gradins, me permettant de voir ses traits un instant avant qu’il nedétourne une fois de plus le regard. Les autres nageurs finissent par arriver, ceux de notre lycées’enlacentens’embrassant.
Nousavonsgagné…Nousallonsfêterçacesoir,etjenepourraisêtreplusravie.Jevaisalleràlamêmefêtequelui.Jen’arrivepasàimaginerlasoiréequinousattend…
–7–
Lafêtebatsonplein.Deslumièresmulticolorescourentsurlesmursetleplafond,l’alcoolcouleàflotsdanslesgobeletsenplastique,lamusiqueestsifortequejepeuxsentirmacagethoraciquevibrer.Ilesttôtetl’ambianceestdéjààtomber.J’aimeça.J’aimecesfêtesoùilyadel’ambiancedèsledébut,cessoiréesoùl’onn’apasbesoind’êtretotalementtorchéetincapabledesesouvenirdesonproprenompours’amuser.C’esttoutcequej’adore,enfait.Çaetlasensationquejeressensalorsdansmapoitrine.Cettesensationdeliberté,cesentimentd’êtreentraindefairequelquechosededélicieusementinterdit.Ça peut paraître dingue, mais c’est dans ces moments-là que je me sens le mieux. Bon, j’avoue quedésormaisj’aimepresqueautantdiscuteravecl’Inconnu.Letrucvraimentcool,c’estquecesoirj’aurailesdeux.UnesoiréedémentielleetlaprésencedemonInconnu.Quoidemieux?j’aienviededire.Lesnageursnesontpasencorearrivés,maisilsnedevraientplustardermaintenant.
Etcesoir,j’ailafermeintentiondeluiparlerenvrai.
Je jetteuncoupd’œilàHollyquienvoieuntextoàsonbouletdepetitami.Jecroisqu’elleveut
l’inviterà lasoirée, jenesaisplus trèsbien.Jene l’aipasvraimentécoutée lorsqu’ellem’enaparlédanslavoiturequinousaamenéesici.J’étaisdéjàentraindepenseràlasoirée,àtouteslescigarettesquejepourraisfumersansmecacheretauxverresquejepourraism’enfiler.Hollyrangesontéléphoneetrelèveunvisageresplendissantdejoieversmoi.Ellemesouritetattrapedélicatementmamain.
–Viens,onvaseprendreunverre,medit-elle.Jelasuisjusquedanslacuisineoùonsepréparedeuxshotsdevodka.Ontrinque,renversantunpeu
du liquide par terre, et on avale cul sec. L’alcool est tellement fort qu’il me brûle l’œsophage. Jeretrousselenezetclaqueleverresurleplandetravail.J’avaledifficilementetjesoupire.
–Merdealors,çadéchire!
Holly en est encore à essayerdedescendre son shot.Son front seplisse et sabouche formeune
petitemoue.Elleclaqueàsontoursonverresurlatableetrouvrelesyeux.
–J’avaisoubliéquec’étaitaussifort.Çam’alittéralementarrachélagorge!Jenepeuxm’empêcherderire.Hollyn’ajamaisététrèsrésistanteàl’alcooletàsongoûtâpre.Elle
est plutôt dugenre jusde fruits ou, à la rigueur, soda. Je trouve çapresque étrangevenantd’une fillecommeelle,denepaspouvoirsupporterlesalcoolsforts.Difficiled’imaginerquecettegrandeadeptedestatouages,despiercings,etaussiaddict–sinonencoreplus–quemoiautabacpréfèrecommanderunFantaplutôtqu’unwhisky-Cocaquandnoussortons.Hollyrassemblesachevelureplatineenunchignondécoiffé sur le sommet de son crâne, dévoilant son cou et ses clavicules saillantes. Ses yeux vertspétillentfollementet jedoisavouerquesonJasonabeaucoupdechancede l’avoir.Elleest tropbienpourlui.Pleind’autresgars,bienplusintéressants,compréhensifsetgentlemenquelui,rêveraientd’êtreavecHolly.Maisbon,jecroisqu’elleenestvraimentamoureusedesonbouletaffreusementchiant.Cetteseulepenséemefaitleverlesyeuxaucielalorsquemablonderécupèresontéléphone.Elleylituntextoetsouritniaisement.
–Jasonpeutvenir,onvavraiments’amuser!
Jem’obligeà lui rendre son sourirepuisnous retournonsdans le salon,non sansque jeme sois
serviunautreshot.Lamaisoncontinuedeseremplir,laported’entréeestrestéeouvertepourlaisserlesgensentreretsortiràleurguise.Unmoulin,letruc.Leventfraisdefévriers’engouffredanslamaisonetjefrissonne.Vivementleprintemps,jen’enpeuxplusdecetempspourri.Jeremarquequejepassemontempsàsurveillerlevestibule,incapabledecachermahâtedevoirlesnageursarriver.Delevoir,lui.
Hollyattrapesoudainmonbras,m’arrachantàmespenséespourm’entraînersurlapistededanse.
Jenesuispassûrede reconnaître lachansonquipasse,mais j’arriveà identifier lavoixdeBeyoncé.Monamiecommenceàsetrémousserfrénétiquement,tandisquejeresteaussidroiteetfigéequ’unestatuedemarbre.Voyantmonmanqued’entrain, lablondeprendmesmainsetcommenceàdanseravecmoi.Super.Ilfautsavoirquejedétestedanseravecquelqu’un.Jenesaispasvraimentpourquoi,maisc’estcomme ça. Danser seule, ça ne me pose pas vraiment de problèmes, mais faire des mouvementstotalementincohérentsetmaladroitsavecquelqu’und’autre,çan’estpasmatassedethé.JeretiremesmainsdecellesdeHollyetmeforceàdanserpourlaforme,gardanttoujoursunœilsurlaported’entrée.
–Alors,commencesoudainHollyenenvahissantmonchampdevision.Ungarsteplaît?Je la fixeun instant.Ça faisaitbien longtempsqu’ellenem’avaitpasposécegenredequestion.
Sûrement qu’elle ne s’en préoccupait plus, puisqu’elle était elle-même en couple. Je ne parle jamaisvraimentdemessentiments,mêmeavecmesamiesproches.Jesuistropsecrètepourça.Jepréfèretoutgarderpourmoi.Peut-êtrepourmeprotéger,oupeut-êtreparcequejenesaispasoùj’ensuis.Alorsjesecoue la tête en signe de dénégation, espérant que ça abrégera notre conversation.Holly continue dedanseretfroncelessourcils.
–Genre,personne-personne?insiste-t-elle.–Ouais.
–C’estpaspossible,Aly!Ilyaforcémentquelqu’unquiteplaît!Enfait,j’ensaisrien.Jenemesuisjamaisvraimentposélaquestion.Çapeutsemblerétrange,mais
je ne m’attarde pas sur cet aspect de mes sentiments. Je pense que je suis trop jeune pour tomberAmoureuse,avecungrandA.Quejesuisencorelycéenne,etquejeferaismieuxdem’amuserplutôtqued’essayer de me poser. J’ai déjà flirté, bien sûr.Mais je ne me suis jamais investie dans une vraierelation.Alors,non,jen’ensaisriensiquelqu’unmeplaîtounon.Jenemelesuisjamaisdemandé.
–Puisquejetedisqu’iln’yapersonne,Holly!Pourquoitut’acharnes?–Jenesaispas…,avoue-t-elle.J’avaisl’impressionquetuétaisdifférentecesdernierstemps,je
veuxdire…Tuasl’airplusheureuse,plusenjouée.J’aicruquetuétaistombéeamoureuse.–Quoi?–Ouais,oudumoinsquetuéprouvaisdel’attirancepourquelqu’un.Ouais,c’estpossible,ça.Enfin,j’auraisplutôtchoisileterme«intérêt»plutôtqu’«attirance».Je
m’intéresse à quelqu’un.ÀmonInconnu. Je pense à lui, je ressens quelque chose d’étrange pour lui,mais ce n’est pas de l’amour. Ah ça non ! Je ne le connais même pas, je ne l’ai jamais vu. Je suissimplementintéresséeparcegars,parsonjeu,parlemystèrequiémanedelui.
–Iln’yapersonne,jemesensjustebienencemoment,promis.–Situledis.Maistum’enparleraiss’ilyavaitquelqu’un,hein?Mon Dieu, elle en a encore combien des questions pesantes comme ça ? Je comprends qu’elle
veuillesavoirmais,merde,çanelaregardepas.Jeboisculsecmontroisièmeshot.L’alcoolestmoinsdésagréablecettefois,presquedoux.Jem’essuielaboucheaveclereversdelamainetreposeleverrevidesurunetablebasseàproximité.
Jerelèvelesyeuxjusteàtempspourvoirl’équipedenatationpasserlaported’entrée.Jesouris,lesregardant tousunpar un,mais je suis rapidement coupéeparHolly, qui passe frénétiquement samaindevantmesyeux.
–Oh!Tum’écoutes?demande-t-elle,légèrementirritée.–Oui,oui.Pardon.Ellesoupire,voyantqu’elleacomplètementperdumonattention,puisellem’attrapefermementle
brasetm’entraînehorsdelapistededanse.–Lâche-moi,tumefaismal!–Mais,Aly!dit-elleendesserrantsaprise.Qu’est-cequ’ilsepasse?Tuescomplètementperdue
danstespenséesencemoment!–C’estpasdutoutça.Jeregardaissimplementlesnageursarriver.C’estquandmêmegrâceàeux
qu’onesticietqu’ons’éclate!Hollytournerapidementlatêteverslesathlètesquisontdéjàentraindesefaireacclamerparles
autres.Ellesoupireprofondémentetreportesonattentionsurmoi.–Qu’est-cequeturacontes,àlafin?Depuisquandtesoucies-tudeceuxgrâceàquionvaàune
soirée?Tut’enestoujoursfoutudesavoirchezquiçasefaisait,quiorganisaitetenquelleoccasion.Tu
débloquessévère,là.Etpourquoitunerépondspasàmesquestions?Jecroiselesbrassousmapoitrine,l’airrenfrogné.Jeneluidoisrien.J’ailedroitdefairecequeje
veux – et regarder qui je veux en fait partie. Si elle le prend comme ça, elle n’a qu’àme lâcher lesbasques et retourner voir son abruti de Jason.D’ailleurs, il est où, ce boulet ? Il devrait être arrivé,depuisletemps.Enfin,siçasetrouveçanefaitquedixminutesqu’elleluiaenvoyélemessage.J’avouequej’aiunpeuperdulanotiondutempsavecmestroisvodkas.Jenesuispeut-êtrepassirésistanteàl’alcool,finalement.
–Oh,c’estbon.Jenesuispasobligéedeterépondreàlaseconde.LabouchedeHollys’entrouvrelégèrementetellehausselessourcils.Ouais,tupeuxjouerlafille
offusquée,j’enaipasgrand-choseàfaire.Jen’aimepasmedisputeravecelle,maiselleestclairementen traindem’étouffer. Jen’enpeuxplus, alors autant luidire ceque jepenseplutôtquede la laisserresserrersonétauinvisibleautourdemoncou,sanss’enrendrecompte.
–Jevaisfumer.Rejoins-moiquandtuserascalmée,souffle-t-elleavantdetournerlestalons.
J’inspireprofondément,puisretournedanslacuisine.Ilyapleindemonde,notammentdesnageurs
quiboiventdesbières.Pfff,c’estvraimentunalcoolàdeuxballes,ça.Jeparviensàm’avancerjusqu’àlatable,etjemeremplisunquatrièmeshot.Jenelispascequiestmarquésurlabouteille,maisçan’apasle goût de la vodka. C’est bien plus fort, j’ai presque envie de recracher. Merde, je vais êtrecomplètement bourrée si je continue commeça. Jeme rends compte que je n’en ai pas grand-chose àfoutre,alorsj’avalelerestedemonshotetm’enressersunautre.Jeferaismieuxdetrouverrapidementuntrucàmangeravantd’êtretotalementdéshydratée.Commedisentlesadultes,larèglenumérounc’estdenepasboiresansavoirmangé.Pourunefois,ilsontraison.C’estunetrèsmauvaiseidéedepicoleràjeun.Jetrouveunpaquetdechips,etj’enengloutistroisgrossespoignées.Mesmainssontgrassesaprèsça,etjemanquederenversermonverreenmerendantsuruncanapéprèsdelapistededanse.Lesadosse trémoussent, collés serrés les uns contre les autres, et on peut facilement voir que tout le mondecommence à être bourré. Il est quoi, vingt-deux heures, et tout le monde est déjà mal en point. Lesmouvementsdesdanseurssontlourdsetconfus.Ilsbougentleursmembresdifficilement,commesichacund’entre eux pesait trois tonnes. Ils feraient mieux de venir s’asseoir commemoi s’ils ne veulent pass’écroulervulgairementparterre.
Je sens soudain une vibration dans la poche de ma veste. J’ai un nouveau message de Lui. Jem’empressedeliresonmessage.
Lui:Tut’amusesbien,chérie?Alyssa:Ouais,bravopourvotrevictoire,c’étaitformidable.Lui:Merci.Alyssa:Nonmaisfranchement!Jeveuxdire…Lafindurelaisétaitincroyable!C’étaitpresquedrôleàvoir.Lespauvres,ilsdoivent
sesentirminables…Surtoutl’équipequiestarrivéedeuxième!Elledevaitêtredégoûtée!Lui:Ilsontfaitunetrèsbelleperformance,Aly.Alyssa:J’aivu,ouais.C’étaitsûrementdelachance,vous,vousavezétéremarquables.Lui:Delachance?Jenecroispasencetruc-là.
Alyssa:Commenttupeuxnepasycroire?Lui:Jenesaispas,maispourmoi,c’estdesconneries.Jepensequetoutseméritedanslavie.S’ilsontfaitunesibelleperformance,
c’estparcequ’ilssontbonsetqu’ilssesontsurpassés.Alyssa:Tuestropgentil,Babe.Lui:Tefouspasdemagueule,Aly.Alyssa:Jemefousdecequeturacontes!Tuesbourréouquoi?Jesaisqu’onestàunefête,maisquandmême!Vulesconneries
quetudis,tudoisêtreprocheducomaéthylique.Vas-ymollo,s’teplaît.J’aimeraisvraimentsavoirquituesavantquetuclamses.Lui:T’espassérieuselà?Tuterendscomptedecequetudis?T’esentraindeparlerdemamortpotentielle,jeteferaisremarquer
!Enplus,j’ensuistoujoursàmapremièrebière.Alyssa:Vraiment?T’espasencoretorché?Lui:Non,Aly.Alyssa:Alorspourquoituracontesdesconneriespareilles?Quinecroitpasenlachance?Lui:Moi,visiblement.Alyssa:EtlesgensquigagnentauLoto?C’estpasdelachanceça?Lui:Jepensejustequ’ilsleméritaient.Alyssa:Dumérite?Lui:C’estcequejedis,oui.Alyssa:Breeef.Jecroisquejen’arriveraispasà tefaireentendreraison,alorscontente-toid’acceptermesfélicitationspourvotre
victoire.Vousavezétésuper.Lui:C’estvraiquemonéquipeaassurécesoir.Alyssa:Jesuissûrequetuasassurétoiaussi.Lui:Tucrois?Alyssa:Ouais,j’ensuispersuadée.Lui:Alors,tonintuitionféminines’esttrompée.Jen’aipasnagécesoir,j’étaisdanslesgradins,toutcommetoi.Alyssa:Dommage.Undesgarsm’abienplu.J’espéraisquec’étaittoi.Lui:Qui?Alyssa:Celuiquiarattrapéleretard,ledernierrelayeur.Ilm’avraimentétonnée.Lui:Lebrun,là?Alyssa:Ouais,ilmeplaîtbien.Lui:Il«plaîtbien»àtouteslesfilles,cemec.Tumedéçois,Aly.Alyssa:Pourquoi?Lui:T’aslesmêmesgoûtsquetoutlemonde,jetesignale.Legrandbrun,baraquedel’équipedenatation,quisaitdompterlapiscine
commepersonne…Leclichéparfait.Alyssa:Peut-êtrequej’aimelesclichés.Lui:Commelaplupartdesfilles,enfait.Alyssa:Parcequelesgarsnerêventpasd’unebellefillecanon,peut-être?Lui:Ouais,onestpeut-êtretousplusclichéslesunsquelesautres,enfait.Alyssa:C’esttristequandonypense.Lui:Ouais,maisbon…D’ailleurs,çavapeut-êtreêtreclichécequejevoulaistedire,maistuesvraimentbellecesoir.Encoreplus
qued’habitude,jeveuxdire.Alyssa:Ouais,c’estcliché,çaaussi.Maisj’aimebien.Merci.J’imaginequetun’espasmalnonplus.Lui:Arrêtedesourirecommeuneidioteenenvoyantcesmessages,ondiraitquetuesamoureuse.
Lescoinsdemeslèvresretombentaussisec,jenem’étaismêmepasrenducomptequejesouriais.Je lève les yeux de mon portable et regarde tout autour de moi. Un tas d’élèves dansent, alors qued’autress’amusentàs’enfilerdesshots.D’autresencoreparlent,rient,crient,s’égosillent.Etlespiètresdanseursde toutà l’heuresemblentêtreauborddel’évanouissement.Commedans toutebonnesoirée,quoi.Maiscen’estpascequim’intéresse.J’essaiedelocaliserquelqu’unavecunportable.Quelqu’un
susceptibledem’envoyertouscesmessages.Maispersonnenesembleavoirlesyeuxsursontéléphone.Jesaisqu’assiselàoùjesuis,danscecanapérougedéfoncé,jenepeuxpasvoirtoutlemonde.Maissijenepeuxpaslevoir,iln’estpascensépouvoirmevoirnonplus!Jebalaieànouveaulapièced’uncoupd’œilcirculaireavantdereportermonattentionsurmontéléphone.
Alyssa:Tuesoù?Lui:Elleestsérieusetaquestion,chérie?Tucroisvraimentquejevaisterépondre?Autanttediredirectementquijesuis,pendant
qu’onyest.Alyssa:J’aitoujoursledroitderêver.Lui:Situasdelachance,tudevraisêtrecapabledemetrouver…Alyssa:Arrêtetesconneries.Lui:Tusaisquetespommettessontplusrougesqued’habitude?Jetefaisdel’effetàcepoint,ouquoi?Alyssa:Maist’esoùàlafin?Lui:N’essayepasdedétournerlaconversation,mabelle.Çanesertàrien.Répondsàmaquestion,s’ilteplaît.C’estmoiquitefais
ceteffet?Alyssa:Non,c’estl’alcool.Çarendmesjouesrouges.
Etcommepourtémoignerdecequejeviensdefaire,jebrandismonverre,quej’avaisplacéentremesjambes,etlesecouelégèrementenl’airpourqu’ilpuisselevoir.
Lui:Faisgaffeànepast’enrenverserdessus.Çacollecetruc-là,etjenesuispassûrd’arriveràm’empêcherderiresiçatombesurtesvêtements.
Alyssa:Arrête,jepourraismefoutredetoiuniquementparcequetuboisdelabière.C’estuneboissondefemmelette.Lui:C’estquoicetteexpression,Aly?Çafaitvraimentbeauf.Mêmemesparentsn’utilisentplusceterme.Alyssa:Jevoulaisrestersoft,tucomprends?Jenevoulaispasheurtertasensibilité.Lui:Jesuistoutsaufunsensible,tum’entends?Alyssa:Jenet’entendspas,non.Jepeuxtelireàlarigueur…Lui:T’enesàtoncombientièmeverre,aujuste?Parcequetesvannessontdeplusenplusrisibles.Alyssa:Quatre,jedirais.Àmoinsqueçanesoitcinq.Jesaisplustrop…Lui:Cinqverres?T’esvraimentinconsciente,Alyssa.Vutamorphologie,tuvasmettreunsiècleàdécuver.Alyssa:N’importequoi!Regarde,j’arriveencoreàenvoyerdestextos.J’aiunegranderésistanceàl’alcool.Lui:Tunedirasplusçadansquelquesheures,quandtuserasobligéederesterau-dessusdelacuvettedeschiottes.Alyssa:Çan’arriverapas.Lui:Situcontinuescommeça,si.Etnecomptepassurmoipourtetenirlescheveuxpendantqueturendstestripes.Alyssa:Tuestellementpoétique,j’adore.Lui:C’estlesmathsmontruc,jeterappelle.Jesuispaspoètedansl’âme.Alyssa:Haha,jemedisaisaussi.D’ailleurs,monverreestvide,jevaism’enrechercherun.Lui:Non,Aly.Jerigolepas,là.Tuasvraimentassezbupourlemoment.Attendsaumoinsqueçadescendeunpeu.Alyssa:Jouepaslepapapouleavecmoi.Lui:C’estpascequejefais.Alyssa:Si,c’estcequetuesentraindefaireetçatevapasdutout.Lui:Nem’obligepasàintervenir.Alyssa:Sijevaismechercheràboire,tuvasintervenir?Jen’attendsqueça.Lui:Alyssa,jeneplaisantepas.Arrêtetesgamineries.Alyssa:Tuneviendrasmêmepas,jesuissûre.
Lui : Tume sous-estimes, on dirait. Tu ne sais pas de quoi je suis capable. Ça, ça neme fait pas peur.Mais nem’oblige pas àintervenirpourautant,jesuisbienlàoùjesuis.Alorsrestebiengentimentassisesurcecanapéetcontinuedemeparler.
Jesourislorsquejelissontexto.Onvabienrigoler.Jehausselesépaules,parcequejesaisqu’ilm’observe,puisjemelève.Jemesenspuissantetoutd’uncoup.C’estmoiquimèneàprésent.Jesuislibre de le faire danser sur le pied que je veux. Et j’adore ça. J’aime tellement ce sentiment quej’aimerais qu’il persiste à jamais. Je lui envoie un dernier texto, souriant de plus belle, avant demedirigerverslacuisine.
Alyssa:Allez,vas-y.Empêche-moid’allermechercheràboire,situaslescouillespour.
J’avancefièrement,commesil’alcoolprésentdansmonsangs’étaitévaporépourmepermettredetenirdeboutetdenepasm’éclaterpitoyablementsurlesol.Ilnevapassemontrer,jelesais.Ilneleferajamais.Ceseraitgâchersonprécieuxjeu,etilfaudraitêtredébilepourpenserqu’ilseraitcapabledefoutreçaenl’air.Ilnepeutdoncrien,etçamefaitunbienfou.Enfait,lesimplefaitd’avoirl’aubainedeluimontrerque,pourunefois,c’estmoiquicontrôlelejeuetqu’ilestàmamercimerendheureuse.Je croisque jepréfère encore ressentir cette sensationde toute-puissancequede levoirdébarquer etm’empêcherdeprendreunénièmeverredevodka.Maisàl’entréedelacuisine,unmecestaffalésurlesol,latêtedanssonvomi,etjesuisprised’unirrépressiblehaut-le-cœur.Jeveuxdire…vraiment.Çaremonted’uncoup,sansprévenir,etj’aijusteletempsdemettremamaindevantmeslèvrespourretenirle contenu demon estomac à l’intérieur dema bouche.Pouah ! Le goût est pire qu’immonde. Jemeprécipiteàl’extérieur,n’ayantaucuneidéed’oùpeuventsetrouverlestoilettes,etjevomisdansl’herbe.Moncorpssecrispesouslesspasmesalorsquej’évacuetoutcequej’aidansl’estomac.Mesmainssontposéessurmesgenoux,etj’ailescheveuxquitombentdevantmonvisage,çanem’étonneraitpasqu’ilyaitduvomidessus. J’aimeraisque l’Inconnuvienne tenirmesmèches follespendantque je rendsmestripes,maisilm’aclairementfaitcomprendrequ’ilneleferaitpas.Etilaraison.
Etpuismerde,quefaisaitcemecaffalédanssonvomiàl’entréedelacuisine?
Jemerelèvedifficilementaprèsquelquesinstants.Jecroisquej’aitoutrendu,là.Oudumoinsle
plus gros. Jem’essuie la bouche avec le dos demamain que j’essuie ensuite dans l’herbe. Puis, jeretourne vers la maison, les jambes flageolantes, et m’adosse, encore faible, à la façade. J’inspireprofondément l’air frais, parce que c’est censé faire du bien, non ? J’exagère doncma respiration enréalisantquel’Inconnudoitbienêtreentraindesefoutredemoi.Jeluiavaislancécetteespècededéfiet jemesuis laisséavoiràmonpropre jeu.Moncorpsétaitvisiblement incapabled’accepterunautreverre,et l’Inconnua réussiàme leprouver, sansmêmebougersonderrière. Jesecoue la tête,puis jelaisseéchapperunpetitrirenerveux.Jesensmonportablevibrerunenouvellefoisdansmapoche.
Lui:Tuesremarquable,Aly.Jen’aijamaisvuquelqu’unvomiravectantd’élégance.Alyssa:Tagueule, toi.C’est à causedecegars affalédans sagerbeà l’entréede la cuisine.Lavisionétait tropdifficile…Mon
estomacn’apasassumé.Lui:Non,tonestomacn’apasassumélefaitquetuboivesautant.Etilabienraison.Alyssa:Arrêteavectesleçonsdemoraleàlacon.Jesuissûrequetun’espasmieuxquemoi.Lui:J’ensuistoujoursàmapremièrebière,Aly.Etcen’estpasmoiquiviensdevomirdanslapelousedujardind’uninconnu.Alyssa:Ouais,bah…Jen’aipasditmonderniermot.Lui:Ohquesi,tuasdittonderniermot.Jenecroispasquetusoisenpositiondem’affronter.J’airéussiàtegarderloindel’alcool,
sansintervenir.Alyssa:Oh,maisbravo!Monsieurmériteunerévérence.Lui:Jeméritebienplusqueça,chérie.
Jeremetsmonportabledansmapochepourprendreunecigaretteetdufeu.J’aivraimentbesoindesentir la nicotine se répandre dansmon corps pour effacer toute éventuelle trace d’humiliation qui ypersisterait.Jecoincelaclopeentremeslèvresetl’allumed’ungestevif,habitué,sûr.Jetireunetaffe,lagardeunlonginstantdansmesbronches,puislarejetteenregardantlenuagefantomatiques’éleverdanslescieux.Captivéepar le croissantde lune, j’admire lesétoiles scintillant jolimentdans les ténèbres.J’aimelanuit.Toutysemblemieuxcaché.Lesmensonges,lespeurs…Leshontes,dansmoncas.Ah,etlevomidans lescheveux.C’estpratiquequ’il fassenoir,que laTerresoit simplementéclairéepar lafaiblelumièred’uncroissantlunaire.Ilfaitfroid,maisjen’arrivepasàmesentirmal.Sanscompterquemaclopem’apporteunpeudechaleur.Alors,jerestelà,regardantleboutdemacigaretteseconsumerlentementetguettantlesétoiles,espérantenvoirunefilante.J’enaitoujoursrêvé.Voirundecesastressemblant s’enfuir obstinément dans la nuit, comme s’il faisait le tour de la Terre, pour rester dans lapartieoùilfaittoujourssombre.Danslapartiecachéeàjamais.
–T’asdufeu?Unevoixrauqueetsensuelle,àcôtédemoi,m’extraitdemespensées.Jetournelatêteverssonpropriétaireetledévisage.Sonvisageestéclairéparlalumièrepâledela
lune,ilaunesacréetignasse,etsesyeuxsontgrands,entourésdelongscilsbruns.Jeserais,parcontre,incapablededéfinirlacouleurdesesirisbrillants,captivants.
Dansunflash,jecroisreconnaîtrelegarsquiafaitcetteremontéespectaculaireàlafindurelais.Maisjen’ensuispassûre,jenel’aivuquedeprofiltoutàl’heure.Ilssemblentavoirtousdeuxlamêmemorphologie,lamêmecheveluresauvage,lamêmedégaineirrésistible…
–Dufeu,t’enas?reprendl’étoilehumaine.–Hum…Ouais.–Tupeuxm’enpasser,s’teplaît?Jesorsmachinalementmonbriquetdemavesteet le lui tends. Il leconsidèreun instantavantde
l’attraper.Ilextraitunecigarettedesonpaquet–desMarlboro,commelesmiennes–etlacoinceentreses dents. Le feu en embrase l’extrémité. Le garsme rendmon briquet, et nosmains s’effleurent. La
sienneestfroide,presqueglacée,alorsquelamienneestbrûlanteIlmeregardeencoreunbrefinstantetmesouritgentiment.
–JesuisMatt,seprésente-t-il.–Alyssa.Maistoutlemondem’appelle«Aly».–Ehbien…merci,Aly.–Je…Jet’enprie,réussis-jeàarticuler.Ilm’adresseunderniersourireavantdes’enaller.Labraiserougesedéplacerapidementaveclui,
telleuneétoilefilantesecachantdetout…
–8–
Lui:Alors,tut’esremised’hieroutucuvesencore?Alyssa:Àtonavis?Lui:Bah,jenesaispasvraiment,onestsamedi,etjen’aipaslapossibilitédesavoircommenttuvas,puisqu’iln’yapascours.Alyssa:Pasfaux.Lui:Alors?Alyssa:Non,jesuiscomplètementremise,figure-toi.Commetumel’assibienfaitremarquerhiersoir,j’aivomi–trèsélégamment–
danslejardind’uninconnu…Etj’aipresqueévacuétoutl’alcoolquej’avaisingurgité,situveuxsavoir.Cematin,jen’avaismêmepasmalaucrâne,enfait.
Lui:Tul’auraispourtantmérité,chérie.Alyssa:Pardon?Lui:Tuasbucommepaspermis,tuauraisméritéd’avoirunegrossemigraineaujourd’hui,çat’auraitdonnéuneleçon.Alyssa:Bahvoyons!Jesuissûrequetuboisetfumesautantquemoi.Lui:Jenefumepas.Alyssa:Sérieusement?Ehbien…Jesuiscertainequetuboisautantquemoi.Enrèglegénérale.Lui:Commentça«enrèglegénérale»?Alyssa : Hier, tum’as dit que tu n’avais bu qu’une bière, je suis sûre que tu faisais une exception. Tu voulais rester clean pour
m’espionnertranquillement.Etpeut-êtremêmenepasêtretentédevenirmerévélertonidentité.Lui:Tuassûrementraison,Aly.Maisilnefautpasexagérer,quandmême.Jenesuispasunaccroàlabouteille.Lesfoisoùj’aiété
bourrésecomptentsurlesdoigtsd’unemain.Alyssa:Petitjoueur.Lui:Sijeneboispascommeuntrou,commetul’asfaithier,c’estpouréviterdevomirsurlapelousedemonhôte.Après,jedisça,je
nedisrien.Alyssa:Arrête,j’aidéjàassezhontecommeça.
Seulesurmabalançoireaufonddemonimmensejardin,jelaisseunsoupirm’échappertandisquejelancemesjambesplusfort,pourresterloindusol.Mescheveuxvolentdanstouslessensetjesenslamorsureduventfroidsurmapeaudiaphane.J’aimeça.Venirici,m’isolerquelquesminutespouréviterdedevenirfolleàécoutermesparentsbiencommeilfaut,pourmebalancerdanslesairs.Labalançoire,çaabeauêtreuntrucdegamin,qu’est-cequej’aimeça!Çamepermetdemesentirlégère,libre.J’ai
l’impressionquejepeuxéchapperàmesparentsqui,jecrois,préfèrentmesavoiràl’extérieurplutôtquedevantunordinateur.
Notre musique joue doucement dans mes écouteurs, faisant battre mon cœur plus fort à chaqueseconde.Jel’aimedeplusenplus,cettechanson.Elleestàchaqueécouteunpeuplussignificative.Jeconnais lesparolesparcœur,maintenant.C’estpeut-êtreconàdire,maiscettechansonmedonnedesfrissons…
Lui:Quoideneuf,Aly?Alyssa:Pasgrand-chose,tusais.C’estsamedi,jedoisresteravecmesparents,sousprétextequ’onnesevoitpasassezensemaine.
Conneries.Ilsnesouffrentabsolumentpasdenepasmevoirpendantlasemaine,c’estjusteunprétextepourmegarderconfinéeàlamaison.Enfin,bref,iln’yarienàraconter,sicen’estquej’aipasséunejournéehorriblementlongue.Ettoi?
Lui:Jevaisaubowlingavecmespotescesoir.Alyssa:Tuasdelachance.Jen’yaijamaisjoué.Lui:Tun’asjamaisjouéaubowling?!Maisdansquelgenredefamillevis-tu?Alyssa : Dans le genre coincé, qui ne veut pas mettre des chaussures qu’un tas de monde a déjà portées, et qui refuse
catégoriquementdeposersesdoigtssurdesboulesdebowling.Parceque,commediraitmamère,«C’estpleindebactéries,cestrucs-là.»Lui:Jevois…Unjour,jet’emmèneraifairedubowling,chérie.Etjet’apprendraiàjouer.Alyssa:Tuferaisça?Lui:Oui,j’adoreraisfaireça,Alyssa.Maisilfautquetutrouvesquijesuispourça.Alyssa:Çamedonnedeplusenplusenviedetrouver,tusaisça,Babe?Parcequej’aivraimentenviedefairedubowlingavectoi.
Jecogitetoutletempssurtoi,maisjemerendscomptequej’aimebienfairedurerlejeu,aussi.Lui:Tucogitestoutletempssurmoi?Est-cequeçaveutdirequetupensestoutletempsàmoi?Alyssa:Ouais…Jecroisqu’onpeutdireça.Lui:Jesuistouché.Moiaussijepensebeaucoupàtoi,Aly.
Jesourisinconsciemment.Ilasûrementraison,enfait.Lorsquejeparleaveclui,jedoisavoirl’aird’unepréadodedouzeansamoureuse.Jesuispathétique.Ilmerendpathétique.
Alyssa:J’aiunequestionàteposer.Lui:Jet’écoute.Alyssa:Legarsdanstonéquipedenatation,celuidontjet’aiparléhier…est-cequ’ils’appelleMatt?Lui:Lebrunquiplaîtàtouteslesfilles?Sic’estdeluidonttuparles,ouais,ils’appelleMatt.Commentas-tususonprénom?Alyssa:Ilestvenumeparlerhier.Lui:Ahouais…?Alyssa:Ouais.Lui:Qu’est-cequ’iltevoulait?Alyssa:Dufeupourallumersaclope.Lui:Ilt’ademandédufeu?Etilt’abalancésonprénomcommeça?Ilt’adonnésonnuméroaussi,ouc’estcomment?Alyssa:T’esjaloux?Lui:Non…Cen’estpasça.Enfin,sipeut-êtreunpeu,enfait.Maisj’étaisplutôtentraindemedemandercequ’ils’estpassédans
satêtelorsqu’ilestallétevoir.Jeveuxdire…Ilestvraimentsaisissanttantilestcon,cemec.Encoreplusquejenelepensais.Utiliserlatechniquedufeupourdraguerunefille!Sérieusement?Iln’arientrouvédemieux?
Alyssa:Ilnem’apasdraguée.Ilm’asimplementdemandémonbriquet,etbasta.Lui: Et basta ? Il t’a quandmême balancé son prénom.Matt, c’est pas le genre à faire ça, tu sais ? Est-ce que les gens qui te
demandentdufeuhabituellementprennentlapeinedeseprésenter?Jenecroispas,non.Alyssa:Qu’est-cequet’ensais,hein?T’asditquetunefumaispas.
Lui:Ouais,t’asraison,j’ensaisrien.Maisbon,fautpasêtrestupide.Jevoismallesgensseprésenteraprèsavoirdemandédufeu.Alyssa:Jetel’accorde,maisilnemedraguaitpas.Ilestrestédeuxminutestoutauplus.Lui:Ilteplaît?Alyssa:Quoi?Lui:Est-cequ’ilteplaît?Alyssa:Jen’arrivepasàycroire.Commentpeux-tumedemanderça?!Lui:Jeveuxsimplementsavoir,Alyssa.Ilcorrespondtoutàfaitaugenredemecqui teplaît.Grand,brun,musclé,avecunregard
envoûtant.Ilatoutcequit’attire.Alyssa:Tuveuxvraimentsavoir?Lui:Ouais,jeveuxsavoir.Alyssa:Alors,oui,ilmeplaîtphysiquement.Commetul’asdit,ilfaittombertouteslesfilles,alorspourquoij’échapperaisàlarègle?
Etcomme tuviensde le souligner, ila tous lescritèresphysiquesque j’aimechezungarçon.Maisvoilà…Ilestbeau,c’est tout.Siçasetrouve,c’estungroscon.
Lui:Jenetelefaispasdire.Alyssa:Alorspourquoitut’inquiètes?Lui:Parcequejesaisquetuaimeslesbadboys,etilcorrespondtoutàfaitàladéfinitiondumot«badboy».Alyssa:Quiteditquej’aimelesbadboys?Lui:C’estuneimpressionquej’ai.Alyssa:Jem’enfousqueçasoitunbadboyounon,cen’estpasçaquivam’attirer.Etarrête,sérieux,ilvoulaitsimplementdufeu.Lui:Crois-moi,ilnevoulaitpassimplementdufeu.Siçasetrouve,ilenavait.Fumeurcommeilest,çam’étonneraitqu’ilaitoublié
sonbriquet.Ilvoulaitsimplementavoiruneraisondet’aborder.Alyssa:Tudisjonctescomplet,là.S’ilavaitvraimentvoulumegérer,ilneseraitpaspartisirapidement.Tutefaisvraimentdesidées.Lui:Situledis…Entoutcas,nel’approchepas.Gardetesdistances,çavautmieux.J’l’aimepas,cetype…
–9–
LUI
Jet’aime.
«Aimer»estdevenuleverbeleplusbanalaumonde.Toutlemondel’utilise,pourn’importequoi,
pourn’importequi,dansn’importequellecirconstance.Jetrouvequeçafaitpitiéd’avoirréduitletermeleplusprécieuxdenotrelangueaumotàtoutdire.
Pourtant,jepensequetoutlemondeserad’accordpourdireque«jet’aime»sontlesmotslesplusfortsqu’unhommepuissedire.«Aimer»estleverbeleplusbeau,lepluspuissantdenotrelangue.Etpourtant,ilaétéréduitànéant.
Jet’aime.Jet’aime.Jet’aime.
Leshommesontréussiàendéformerlesens.Maispourmoi,ilgardeencoresonsensprofond,son
sensinitial.Ilesttoujoursaussiprécieux.Etjeneveuxpasqueçachange.Jeneveuxpascommenceràpensercommelesautres.Non.Jerefusequecemotperdesonsenspourmoiaussi.
C’estpourçaquejenel’aijamaisutilisé.Non,jamais.Oudumoins,paslorsquejenelepensaispas.Jen’aijamaisdit«Jet’aime»àunefille,parexemple.Jen’aijamaisdit«Jet’aime»àunedemescoéquipières.Mêmesimonbutestdelesfairetomberamoureusesdemoi,jeneleurdisjamaisquejelesaime.Pourlasimpleetbonneraisonqueceneseraitpaslavéritéetquejeneveuxpasutilisercemotsijenelepensepas.Jepréfèreleurdire«J’aidessentimentspourtoi»ou«Moncœurbatplusfortquandje te parle, ou lorsque je te regarde. » En fait, j’essaie de faire comprendre à la fille que je suisamoureuxd’elle,sansluidirelemotprécieux.
Jeneveuxpasnonplusquel’onmedise«Jet’aime».Jedétestelorsqu’onmeditça.Parcequej’aipeurquece«Jet’aime»mefassefaiblir.Quece«Jet’aime»mefassechanger.Quece«Jet’aime»mefasseespérer.Maissijeneveuxvraimentpasquel’onmedise«Jet’aime»,c’estparcequejeneveuxpasquece«Jet’aime»setransformeen«Jet’aimais».Ouais,çajeneveuxvraimentpasquel’onmeledise.C’estpourçaquejeneveuxpasaimerquelqu’un.Parcequesiunjourle«Jet’aime»decequelqu’unsetransformeenun«Jet’aimais»,jenelesupporteraipas.
C’est pour ça que je joue. Parce que les textos sont transparents, ils neme laissent pas faiblir,changerouespérer.Parcequ’ilsmepermettentdeparleravecdesfillessansquejenem’yattache.Sansquej’éprouveréellementdel’amourpourelles.C’est l’unedesraisonsquim’ontpousséàenvoyerunmessageàlapremièrefilleilyadeuxans.
Mais j’avouequecesderniers tempsc’estdevenudifficile.Alyssa.C’est lenomdemanouvelle
coéquipièredejeu.Elleestdifférente,çasevoit.Elleestintelligente,rebelle,intéressanteetlibre.Ellene ressemble en aucun point aux autres filles avec qui j’ai eu l’occasion de parler. Elle a de laconversation,ellesaits’amuser…Ellerendlejeuplusdivertissant.Jel’aimebienpourça.Maisd’unautre côté, ellem’insupporte. Parce qu’elle prend son temps.Elle ne veut pas aller trop vite.Elle nepassepassontempsàmeposerdesquestions,commelefaisaientlesautres.C’estàpeinesielleessaiedetrouverquijesuis,j’ail’impression.Peut-êtrequ’elles’enfout.Çanem’étonneraitpasd’elle.Dansle genre je-m’en-foutiste, je n’ai jamais vumieux.À part avec ses parents, à qui elle cache plein dechoses, dont sa véritable personnalité, elle a l’air de prendre la vie comme elle vient et de ne pass’emmerder.
Enfait,çanemedérangepastrop,qu’elles’enfoutedetrouverquijesuis.Cequimedérange,c’estqu’elleaitl’airdenerienressentirpourmoi.Jeveuxqu’elletombeamoureusedemoi.Qu’ellesentele«Jel’aime»vibrerdanstoutsonêtre.Qu’ellepensejouretnuitàmoi.Qu’elleaitenviededécouvrirquijesuis.Jesaisqu’ellem’apprécie,maisellenem’aimepas.Ellenesemblemêmepassurlavoie.Etjeveuxqueçachange.
Lui:Jet’aiobservéetoutelajournée,tuesvraimenttrèsbelle.Alyssa:Hum…Merci!Lui:J’aimeraispouvoirembrassertesbelleslèvres,Aly.Etpassermesdoigtsdanstescheveux.Alyssa:Waouh.T’essûrqueçava,cesoir?Lui:C’estjustequeçametuededevoirresterloindetoi.Alyssa:Tusais…Tun’espasvraimentobligéderesteràdistance.C’esttoiquiasinventécejeu,quienasinstaurélesrègles…Situ
veuxvraimentvenirmevoir,tupeuxlefaire.Lui:Jenesuispasdouépourcegenrederelations.Alyssa:Pourquoitudisça?Lui:Jelesais,c’esttout.Alyssa:Tuaseudesprécédentsenhistoiresd’amourdifficiles?Lui:Non.Tuesentraindeparler…d’histoiresd’amour?Alyssa:Oui.Lui:Pourquoi?Tupensesquenousenvivonsune?
Alyssa:Hum…Étantdonnéquejeneteconnaispas,etquejenet’aijamaisparléenface,non.Maisdisonsqu’ilyauntruc,dessentiments,tusais?Puisquetuasditquetuaimeraism’embrasser.
Dessentimentspourelle…?Siseulementellesavaitcequim’apousséeàcommencercejeu…
Lui:Ouais…Situveux.Maisjedisjustequeçamefaitchierdetevoirtouslesjoursaulycéeetdenepaspouvoirvenirteparler.Dedevoirlaissercesmecst’approcher.J’aimeraisjustequetutrouvesvitequijesuis,tusais?Maisj’ail’impressionquetunecherchespasvraiment.
Alyssa:Si,jecherche.Enfin…J’aimebienjoueravectoi,aussi.Lui:Çaveutdirequoi?Alyssa:Quejeveuxprendremontemps.Quejenevaispaspassermesjournéesàchercherquituesalorsquej’aimebiencejeu
avectoi.Lui:OK.Alyssa:Çateposeunproblème?Tuveuxquejet’interroge?Parcequejepeuxlefaire.Lui:Ouais,situveux.Alyssa:Hum…Tacouleurpréférée?Lui:Macouleurpréférée?Sérieusement,Aly?Alyssa:Bahquoi?Sijemesouviensbien,c’esttoiquivoulaisquejeteposedesquestionssansimportancejustepourapprendreàse
connaître.Lui:Peut-être,mais«questionssansimportance»neveutpasdire«questionsdegossesdequatreans».Alyssa:Arrêtecepetitjeu.Noussavonstouslesdeuxquec’estleseulgenredequestionsauxquellestuvoudrasbienrépondre.Je
commenceàteconnaître,jesaisquetunerépondraspasauxquestionstropintimesoutropportéessurtonphysique.Alorstedemanderquelleesttacouleurfavoritemeparaîtêtreunbonpointdedépart.
« Je commence à te connaître ? »Non,Alyssa. Tu neme connais absolument pas. Tu croismeconnaîtremaistunemeconnaispas.Voilàtouteladifférenceetellen’estpasdesmoindres.Jesoupire,etrédigemaréponse.
Lui:Lenoir.Alyssa:Lenoir?J’adorelenoir.Lui:C’estunpeulacouleuruniverselle,enfait.Tupeuxutilisercettecouleurpourtout,çapasse.Çaferatoujourssoneffet.Alyssa:Pourtout?Permets-moid’endouter.Siunjourjemeramèneàunmariagehabilléed’unerobetotalementnoire,jenesuis
passûrequeçapasse.Jepensequedesgenslefont,maisjeveuxdire…ilyaplusfestifcommecouleur.Lesfillesquiseramènentenrobenoireàunmariagesont,àmonavis,soitpastrèsheureusesd’yaller,soitcontrel’uniondesfutursmariés.
C’est fou ce qu’elle est pointilleuse, cette fille. Incroyablement perspicace, même. Elle cherchetoujours lapetitebête,mêmelorsqu’ils’agitdesujetssans importance.Commecelui-là.C’estpourçaquejetienstantàjoueravecellejusqu’aubout.Jusqu’àcequ’elletombeamoureusedemoiavantqu’ellearriveàtrouverquijesuis.Maisavecelle,c’estunvraichallenge.Jedoismettreenplacedesstratégiespouréviterdemetrahir.Jelabernesansarrêt,espérantqu’ellen’yverraquedufeu…
Lui:Oui,c’estvrai.C’estcommed’allerenblancàunenterrement,enfait.Jenesuispassûrqueçasoittrèsbienvu…
Alyssa:Exactement!Questionsuivante…Tonparfumdeglacefavori?Lui:Citron,sanshésiter.Ettoi?Alyssa:Vanilleetchocolat.Lui:Vanilleetchocolat?Tunepouvaispasfairemoinsoriginal?Cesontlesparfumspréférésdetouslesenfants.N’empêche,c’est
vraiquec’estbon.J’aienviedemangeruneglacemaintenant.Alyssa:Pasmoi,j’aitropfroid.Lui:Pourquoituasfroid,chérie?Alyssa:Jemesuiscasséedechezmoi.Jemesuisengueuléeavecmesparents.Mamèreatrouvéunmégotdansunpotdefleurssur
monbalcon.C’estlescandaleàlamaison.Monpèrem’a«confisqué»monbriquet(parcequ’ilsontfouillédansmesaffaires…),etilsm’onttellementengueuléeque je suis sûrequenosvoisins lesontentenduscrier.Mamèreparlaitdecurededésintoxetdem’emmenervoirunaddictologue…Deladésintoxpourdesclopes,tuycrois,toi?
Lui:Sérieux?Merde!Çava?Alyssa:Ouais…Enfin,çaira.Seulementjesuispartiesansargent(detoutefaçon,j’enaiplus.Mesparentsm’ontprismonfricpour
m’empêcherd’acheterdesclopes)etj’aiplusdebriquet.Ah,etjemeursdefroid.
Jenepeuxm’empêcherd’avoirunpincementaucœur.Jenesaispaspourquoi,maisjen’aimepassavoirqu’elleafroid.Oumêmequ’elleaeudesproblèmesavecsesparents.Maisjenepeuxrienfairepourl’aider…àcausedujeu.
Ouenfait,si.Ilyaunechosequejepeuxfaire.Jemelèveprécipitammentdemonlit,attrapemavesteetmesclefs,puissors.J’envoiequandmêmeunderniermessageàAlyssa.
Lui:J’espèrequeças’arrangerarapidement,chérie…Mais,jedoistelaisser,désolé.Jedoisallerfaireunecoursededernièreminuteavantquelesmagasinsneferment.
–10–
C’étaitlacrise,hiersoir,quandmamèreaeulemalheurdedécouvrircefoutumégot.Jeveuxdire,vraiment.Elleétaitauborddel’infarctus.Elledevaitpenserquecen’étaitpaspossible.Qu’ildevaityavoiruneerreurquelquepart.Que sapetite fille chérie nepouvait pas s’empoisonnervolontairementavecdutabac.
Jemedoutaisbienquecejourarriverait,jem’yétaispréparée.C’estpourçaquelorsqu’ellem’aprésentélemégot–qu’elletenaitavecdégoûtentrelepouceetlemajeur–etqu’ellem’ademandédeluifournir des explications, je n’ai pas cherché à démentir. Je lui ai simplement dit la vérité. Parce que,merde, fauteavouéeestàmoitiépardonnée,non?Ouais,OK,c’est totalement fauxcommedicton.Dumoins, çamarchepas commeçadansma famille.Mamère était horrifiée, et choquée.Sesyeuxbleusétaienttellementécarquillésqueleursclèreétaitplusrougequeblanche.Maismêmesielleaffichaitcetairdecomplètestupéfaction,jepeuxaffirmerqu’ellelesavaitdéjàaufondd’elle.C’estpresquesûr.Çafaitpresquedeuxansquejefumeetçafaitautantdetempsquejecachemesmégotsdansmespotsdefleurs.Etdurantcesdeuxans,nimamèrenimonpèren’enavaientremarquéunseul.Doncj’avouequejemedemandecommentmamèreafaitpours’enrendrecompte,commeça,sachantqu’ellen’entrejamaisdansmachambre.Encoremoinspourallersurmonbalcon.EtENCOREmoinspourallerfouillerdansmes pots de fleurs. Alors, soit elle a eu une vision, soit elle avait des soupçons. Je miserais sur lasecondeoption.
Enfinbref,çam’estunpeuégal,lerésultatestlemême.Mesparentssontaucourantmaintenant,etjecroisn’avoirjamaisvuautantdedéceptiondansleursyeuxdepuisquejesuisnée.J’aidûbaisserdansleurestime.Enfin,jenesuispassûrequeleterme«baisser»soitadapté.Chuterseraitplusjuste.Mevoicitombéedemonpiédestal,sûrementàtoutjamais.
Alorsilsm’ontengueulée.Pendantdelonguesminutes.Et jemesuiscontentéed’encaisser,parcequ’aufondjeleméritais.Maisquejerestedemarbren’afaitqu’aggravermoncas.Çaarendumonpèrecomplètementhystérique.Iln’apassupportédemevoirsiimpassibleetsilencieuse.Maisqu’aurais-jepudire?Jenepouvaispasnierl’évidence.Jenevoulaispasnierl’évidence.Doncjemesuiscontentée
delesécouter,etd’encaisserleursreprochesjusqu’àcequemamèredélireavecsacurededésintoxetsonaddictologue.Carrément!J’aimisdutempsàmerendrecomptedelaconneriequ’ellesortait,puisjemesuisbarrée.J’aiprismontéléphoneetmaveste,etjesuispartiesansleurlaisserletempsderéagir.J’aierrédanslesruesendiscutantavecmonInconnujusqu’àcequ’ilpartefaire«unecoursededernièreminute»,melaissantseule.Quellâcheur!
Onestmardimatinet je tueraispouruneclope.Jen’aipasfumédepuishier,mêmeheure,et j’ai
commel’impressionquemoncerveauestentranse.Àlapausededixheures,c’estmonrituel:passerrapidementàmoncasier,traverserlacouretm’engrillerunedevantlelycée.Aujourd’hui,c’estfoutu.JepourraisdemanderàHollydem’enpasserune,maissescigarettesarômefruitsrouges,ellepeutselesgarder.Jen’aijamaisriengoûtéd’aussichimiquequecestrucs-là.
Jemedirigedoncversmoncasier telunzombie.Jen’aipasdormide lanuit,pourêtrehonnête.Déjà,parcequejesuisrentréeàvingt-troisheures–heureàlaquellej’aidécrétéqu’ilétaitvitalquejemeretrouveauchaud–etquejen’aipasréussiàtrouverlesommeilunefoisdansmonlit.Jem’étaisfaufiléediscrètementchezmoienpassantparlafenêtredemonbalcon,quemamèreavaitlaisséeouverte–merci,maman–pourmeglisserdansmonlit.Enfin,c’estcequejepensaisfaire.Cequejen’avaispasprévu,c’estquemesparentsm’attendraientdansmachambre,sibienqu’àmonretour,lescrisontreprisdeplusbelle…Çan’apasdurélongtemps,parcequ’ilcommençaitàsefairetard.Ilssontdoncpartis,nonsansm’avoirfaitcomprendrequeçan’enresteraitpaslà.
Aprèsça,jemesuisenfinglisséedansmonlittouthabillée,grelottantdelonguesminutesavantdeparveniràme réchauffer.Maismêmeaprèsavoir retrouvéune températurecorporelledécente, jen’aipasréussiàm’endormir.Jepensaisàlui.Jesuispersuadéequ’ilcroitquejem’enfousdetrouverquiilest, et que je fais ça simplement pour passer le temps.Eh bien, il semet le doigt dans l’œil, et bienprofondément.Jeneveuxsimplementpasqu’ilmeprennepourunedecesfillestotalementaccrosàlui,unedecesfillesquipassentleurtempsàlechercher.Jepréfèreluifairecroirequejem’enfousdesonjeumalsainplutôtquedepasserpourlafilleimpatienteetlourde.Alorsjefaisgenrequejem’enfousdesonjeu.Maisçan’estpaslecas,disonsplutôtquejevaisàmonrythme.J’aimebienparleravecluienignorantsonidentité.Jetrouveçaplusexcitant.Sijesavaisquiilest,çan’auraitplusaucunintérêt.J’aitoutletempsquejeveuxpourtrouver.Etjetrouverai,jenemefaispasdesoucipourça.
J’arriveenfinàmoncasier.Jelaissetombermonsacàmespiedspuisdéverrouillemoncadenas.
12-20-7, j’ai tellement l’habitude de composer ce code que j’en suis arrivée à un point où je ne suismêmeplusobligéederegarderceque jefais.Ens’ouvrant, laportemétalliquegrinced’unefaçonquim’estfamilière.Jem’apprêteàrécupérermonlivred’anglaislorsquejedécouvre,surlapileinstabledelivres,deuxpaquetsdeMarlboroetunZippoargenté.Qu’est-cequec’estqueça?J’attrapeleZippoetle fais tourner entre mes doigts, suspicieuse. Je l’examine sous toutes les coutures, complètementfascinée.Desciseluressinueusessontgravéesdansl’argent,commesilebriquetétaitunvéritableobjet
d’art. Je remarque alors une note scotchée à l’intérieur de mon casier. Je l’arrache et parcours lesquelquesmotsrédigésennoird’uneécrituremasculine.
«Tuavaisl’aird’enavoirvraimentbesoin.–Lui.»
Je retrouve le sourire. C’est son écriture. Je tiens, entremes doigts fébriles, une preuve de son
existence, une preuve concrète que notre relation est réelle. Je relis une seconde fois le message,analysant la graphie de mon Inconnu. Son écriture est fine, appliquée et nerveuse à la fois. Je pliesoigneusementleboutdepapierendeuxetlefourreaufonddelapochearrièredemonjean.Merde.Ilm’aoffertdeuxpaquetsdecigarettesetunZippo,cecon.Jesorsmontéléphoneetluienvoieaussitôtunmessage.
Alyssa:J’aitrouvétespetitscadeaux…Mercibeaucoup.
Laréponseestpresqueimmédiate,commes’iln’attendaitqu’unsignedemoipoursemanifester.
Lui: Je t’enprie,chérie.Tuavais l’air tellementmalhier. Jemesuissenticoupabledenepaspouvoir t’inviterchezmoi,etd’êtreobligédetelaisserdehors.Alors…j’aipenséquecescigarettesetcenouveaubriquetpourraientaideràmefairepardonner.
Alyssa:Tuescomplètementdingue,tulesais?Tun’avaispasàtefairepardonnerdequoiquecesoit.T’esvraimentsuper,entoutcas.Çametouchevraiment.
Lui:C’estnormal,Aly.Savoirquetuavaisfroidhier,çam’alittéralementbrisélecœur.J’avaistellementenviedeteprendredansmesbraspourteréchaufferqueçamebroyaitleventre.
Alyssa:Jenesaispascommentteremercier,j’étaisdéjàtotalementenmanque…C’esttristeàdire,maisjecroisquejesuisaccroàcetteconnerie.Enplus,tuasachetémamarquehabituelle,mercibeaucoup.D’ailleurs,commentas-tusuquellescigarettesjefume?
Lui:Alyssa,réfléchisunpeu.Jepassemontempsàt’observer.Jesaisquandmêmequelgenredecigarettestuprends!Jeveuxdire,toitupassestontempsàfumer,alorsjem’ensuisrenducompte.
Alyssa:Pasfaux…Maislefaitquetoitupassestontempsàm’observerestextrêmementétrange.Lui:Situledis.Maisjenepeuxm’enempêcher,tuesvraimentagréableàregarder.Alyssa:J’imaginequetul’esaussi,Babe.Merciencorepourlescigarettes.Lui:Tumeremerciesencore?T’étaisvraimentenmanqueouquoi?Alyssa:Ilfautcroire,oui.J’aipresquecruquec’étaitunmiragelorsquej’aivulespaquets.Et…Attends.Commenttuasfaitpour
ouvrirmoncasier?Lui:Lescranscorrespondantauxchiffresdetoncodesurtoncadenassontplusfacilesàtourneretfontunbruitdifférentdesautres,
àforced’êtreutilisés.Cequ’onditdanslesfilms,c’estpastoujoursfaux,onpeutvraimentretrouverunecombinaisoncommeça.Alyssa:Sérieux?C’estsuperbizarre.Jepensaisvraimentquec’étaitdesconneries.Lui:Çaauraitpu.Avantd’essayer,cematin,jepensaiscommetoi.Bref,tuferaismieuxd’allerfumermaintenant,çasonnebientôt.Alyssa:J’yvais,merciencore.
Leparcdevantlelycéeestbienrempli.Lesoleilestdesortie,ettoutlemondeveutenprofiter.Lemoisdemarsvientdedébuter,etçadoitfaireplusdequatremoisqu’iln’apasfaitaussibeau.Iln’yapasdevent,lachaleurestdouce,alorsjecomprendspourquoitoutlemondeestdehors.C’estvraiment
agréable.Jefermelesyeuxuninstant,profitantdeladouceurdesrayonsdusoleilsurmonvisage.J’aihâtequeleprintempssoitlà.Lesbourgeonsdesarbres,lepiaillementdesoiseaux…J’aitoujoursadoréça. L’ambiance change totalement et je trouve çamagique. Presque envoûtant. C’est là qu’on se rendcomptequelagrandemajoritédelapopulationaunenettetendanceàl’héliotropisme.Unpeudesoleilsuffitàlarendreheureuse.Etjefaispartiedecesgensàquilesoleilredonnelesourire.Enfin,çaetunebonnecigarette.Jedescendslesescalierssurbookésetjevaism’asseoirsurl’undesmuretsbordantlapelouse.Puisjesorsavecgourmandiseunecigarettedesonpaquetneuf,ainsiqueleZippo.Jel’adoredéjà, ce briquet tempête. J’ai toujours voulu en avoir un.C’est si classe et beaucoupmoins ordinairequ’undecesbriquetsjetablesachetésautabacducoin.L’arômefamiliersedéversedélicieusementdansmagorge.C’estfoulebienqueçamefait.Lesyeuxclos,jesavourelanicotinequisefraieuncheminjusqu’àbrûlermespoumons.Jerecrachefinalementlafumée,évacuantparlamêmeoccasionlatensionetlestress.
Merci,Babe.Mercibeaucoup.
Je rouvre les yeux et observe les adolescents autour de moi. Après la scène d’hier, jamais je
n’auraiscrupouvoirpasserunmomentsiagréable.Lesoleilsurmapeau,dutabacdansmesbronches,quoidemieux?Monregardvagabonded’ungrouped’élèvesàunautre,lesgymnastes,lesintellosoulesstressésquirévisent…etlesnageurs,regroupésautourd’unetabledeping-pongquifaitfaceàmonposted’observation.Ilsparlentfort,rigolent,certainsfumentsanssepréoccuperdurèglementquil’interditCesontvraimentlesroisdel’école.Touslesregards,admiratifs,sonttoujoursbraquéssureux.Exactementcomme lesmiens. Ils respirent la force, le charisme, la réussite, et tout lemonde les respecte. Je lesobservetous,unparun,lorsquejemerendscomptequel’und’euxatournélatêtedansmadirection.
Matt.Ilestassissurunetabledeping-pong,lesmainsenfoncéesdanslespochesdesavesteencuir,les
jambesballantes.SesyeuxsontdissimulésparunepairedelunettesdesoleilRay-Ban–desWayfarernoires–,etils’amuseàfairedesbullesavecsonchewing-gum.Unsouriresedistinguesoudainsursonvisage éclairépar lesdoux rayonsdu soleil. Il sort unemainde sespoches, retire ses lunettes, etmeregardedroitdanslesyeux.
Etjelesvoispourlapremièrefois.Sesyeux.Sesyeuxd’unvertpétillantdemalice,sesyeuxquiont lepouvoirdemeparalyser.Parcequeoui, sesyeuxémeraudeplongésdans lesmiensmedonnentl’impressionque le tempss’estarrêté.Que les lycéensautourdenousn’existentplus,qu’iln’yaplusaucunbruit,pasmêmeceluidemarespiration.J’aiditàmonInconnuquej’aimaislesgarçonsauregardenvoûtant.Mattenfaitpartie.Jenel’avaispasremarquévendredisoir.Cesoir-là,lalumièredelalunenereflétaitpaslavéritablebeautédesesirisimpressionnants.Ellelesvoilait,aucontraire,m’empêchantdedistinguerleurbellecouleur.Maismaintenant,jelesvois.Etputain,jen’aijamaisvuuntelregard.
Mattarrêtedemastiquersonchewing-gumetj’arrêtedetirersurmaclope.Sescheveux,unpeutroplongs,flottentaugréduventprintanier.Samâchoirevirilesecontractelégèrementalorsqu’ilm’adressecesourireencoin.Maisjesuistotalementincapabledeluirendresonsourire,oudefairequoiquecesoitd’autre.Jesuistoutsimplementpétrifiée.
L’Inconnu m’a dit de garder mes distances avec ce garçon, qu’il n’était pas agréable, ni mêmesympathique.Etjelecrois.Parcequ’ilabeauavoirlepluscaptivantregardquej’aievudetoutemavie,sonvisageest tellementglacial, tellementgraveetbeauà la fois,que j’enaidesfrissonsdans ledos.C’estunebeautéfroide,l’expressionestparfaitepourlui.Etrienquecettepenséesuffitàglacerlesangquicouledansmesveines.
L’écholointaindelasonnerieannonçantlafindelapauseretentitfinalement,faisantéclaterlabulle
danslaquellej’étaisenferméedepuisquemonregardetceluideMattsesontrencontrés.Lesourirequiilluminaitlevisagemagnifiquedubeaubruns’évanouitprogressivement.Ilrecommenceàmastiquersonchewing-gum, puis remet ses lunettes sur son nez. Il descend de la table d’un bond et récupère sonEastpak noir. Tous les élèves autour demoi commencent à s’activer, alors que je reste assise sur lemuret,àobserverlesgestesdunageur.Sesyeuxrencontrentànouveaulesmiens,etillèvesoudainementlamain,me fait un bref salut. Puis il s’en va, rejoignant le lycée. Je finis par le lâcher du regard etsoupireprofondément.Merde,alors.Jeposeunemainsurmonfront,commepourmeforceràretrouvermesesprits.Maisilfautcroirequemalucidités’estconsuméeenmêmetempsquemacigarettependantquej’admiraiscetangetombéduciel.
Lui:Nelelaissepast’avoir,Aly.Pastoi.Gardetesdistances.
–11–
Ilestpresquedix-neufheures,etmonInconnunem’atoujourspasenvoyédetexto.Jevérifiemonportabletouteslestrentesecondespourm’assurerquejen’aipasmanquéundesesmessages.Maisrien.Lesminutes passent, encore et toujours rien. Lui qui est toujours si ponctuel. Depuis que nous avonscommencé le jeu, il ne m’a jamais envoyé de message après dix-huit heures trente. J’ai rarement vuquelqu’und’aussiàchevalsur leshoraires,alorsquesepasse-t-il?Pourquoi,aujourd’hui,nem’a-t-ilrienenvoyé?Pourquoi,aujourd’hui,n’est-ilpasàl’heure?
Lederniertextoqu’ilm’aenvoyédatedecematin.Pourmediredenepas«melaisseravoir»parMatt.Depuis,plusrien.Silenceradio.Etçacommenceàm’énerver.J’aidéjàdescendulamoitiéd’undesesdeuxpaquetsdecigarettes,etsijecontinuecommeça,jelesauraisfinisdemain.Maisj’aidumalàmecontenir,jesuistellementénervéeet…stresséeparsonsilence.Maisputain,qu’est-cequiluiprendàlafin?
J’attraperageusementmontéléphoneet j’appuiesur l’ongletdesmessages.Jevaissur lapagedediscussion de mon Inconnu et je relis les derniers messages que nous nous sommes envoyés. Plusparticulièrement,lederniertextodenotreconversation:
Lui:Nelelaissepast’avoir,Aly.Pastoi.Gardetesdistances.
MonInconnuest jaloux.Extrêmement jalouxdeceMatt. J’arriveà le sentir rienqu’à travers sesmessages.Rienqu’àlafaçonqu’iladeparlerdelui.Ilcrachedessuscommes’illuiavaitfaitlapiredescrasses.Commesic’étaitunvraiconnard.Parceque,oui,iln’yapasd’autremot.L’InconnudétesteMattet,visiblement,ilnesupportepasqu’ils’approchedemoi.
Jesoupiredefrustration.Tantpis,jevaisfairelepremierpas.Jesaisqu’ilnemeparlerapasdelui-mêmecesoir,pourlasimpleetbonneraisonqu’iladorejouer,quec’estmêmesonmomentfavoridelajournée,qu’ilnemanqueraitçapourrienaumondeetque,pourtant,ilnem’apasenvoyédemessage.
Alorsjesaisqu’ilyaunproblème.Etjesuispersuadéequeçaaàvoiravecleregardquej’aiéchangéavecMattunpeuplustôtdanslajournée.
Jepianotesurlestouchesdemonportable.
Alyssa:Pourquoitudisça?
Mon portable vibre aussitôt, et les pulsations de mon cœur s’arrêtent au même instant. Je medépêchededéverrouillermontéléphonepourliresonmessage.
Lui:Pourquoijedisquoi?Alyssa:Pourquoitudisqu’ilnefautpasquejemelaisseavoirparceMatt?Pourquoitudis«pastoi»,commes’ilyavaiteudes
fillesavantmoi?Pourquoitudistouscestrucsàsonsujet?Pourquoitulefaispasserpourunconnard?Lui:Parcequec’enestun.Alyssa:Tunerépondspasàtoutesmesquestions.Lui:Jesais.Maisjenepeuxpasrépondreàtoutàlafois,doncpourcommencer,jet’affirmequec’estunconnard.Alyssa:Qu’est-cequ’ilt’afaitpourquetuledétestestant?Lui:Jenesupportepasqu’ilpassesontempsàdraguerlesfillescommetoi:jolies,drôles,intelligentes,intéressantes…Alyssa:Parcequecen’estpascequetufais,toi?Draguerdesfillesquetutrouvesjoliesetintéressantes?Lui:Non…Enfinsi.Maiscen’estpaspareil.Alyssa:Enquoicen’estpaspareil?Lui:Moi,jejoueavecvous.Ons’amuseàsedécouvrirl’unl’autre,tuvois?Lui,sonseuletuniquebut,c’estdevousmettredansson
lit.Alyssa:Qu’est-cequet’ensais?Lui:Jeleconnaisbien.Alyssa:Etalors?Cen’estpasparcequetuleconnaisbienquetusaistoutcequ’ilfaitoucequ’ilal’intentiondefaire.Peut-être
qu’ilchercheunevraierelation.Lui:Situparlesd’unerelationpasséedansunlitàquatre-vingt-dixpourcentdutemps,alorsvas-y,fonce,c’estl’hommequ’iltefaut.Alyssa:Quiteditquecen’estpascequejeveux?Lui:Nedispasça,Aly.Rienquedet’imaginerdanssesbras,çamedonneenviededégueuler.Alyssa:Àcepoint-là?Jenecomprendspaspourquoitut’acharnessurluicommeça…Jeveuxdire,ilyauntasdegarçonsquifont
ça.Lui : Tu veux que je te dise pourquoi je m’acharne sur lui et pas sur les autres ? C’est parce que lui, il touche aux filles qui
m’intéressent.Exprès.Àmescoéquipièresde jeu, et ça, c’est insupportable.Surtout lorsque laplupartd’entre elles se cassentpour alleravecluienpensantquec’estuntypebienalorsqu’ilveutsimplement…lesbaiser.Ellesreviennentenpleurnichantversmoi–sionpeutdire,puisqu’ellesnesaventpasquijesuis–pourseplaindre.Etcrois-moi,àcemoment-là,jesuisdéjàpasséàquelqu’und’autre.
Et enfin, je comprends. S’il déteste tantMatt, c’est parce qu’il lui pique ses coéquipières.C’estparcequ’il luibousilleson jeu.C’estparcequ’ilest le facteurde tropdans les règlesde l’Inconnuetdans la mécanique parfaite de son jeu. Parce qu’il fait tout foirer et que ce jeu est la chose la plusimportante pour lui. Pour la simple et bonne raison que Matt est ici, dans ce jeu tordu, l’élémentperturbateur.
Alyssa:Doncs’ilm’intéresse…?
Lui:Parcequec’estlecas?Alyssa:Non.Jeveuxjustesavoircequiarriveraitexactementsic’étaitlecas.Lui:Ehbien…Situmedisaisqu’ilt’intéressait,jechangeraisdecoéquipière.Jepasseraissimplementàquelqu’und’autre.
«Jepasseraissimplementàquelqu’und’autre.»C’estcommeçaqu’ilfonctionne,c’estcommeçaqu’ilarriveànepass’attacher. Ilest toutsimplement indifférent,changerdecoéquipièrene lui faitnichaudnifroid.Parcequelorsqu’ildit«Iltoucheauxfillesquim’intéressent»,ilneparlepasdenousentantquepersonnes,maisentantquejouets.Nous,toutessescoéquipièresdejeu,nousnesommesquedesjouetsqu’iln’aaucunmalàjeterpourenprendreunautre.Parcequec’estluietqu’ilfonctionnecommeça.
Alyssa:Maisjeneveuxpasquetupassesàquelqu’und’autre,Babe.Jeveuxcontinueràjoueravectoi.Jeveuxêtretacoéquipièredejeupendantencoreunboutdetemps.Enfait,jeveuxl’êtrejusqu’àcequejegagneetquetum’appartiennes.
Lui:Moiaussi,Aly.Jeneveuxpasqu’ilt’ait,commeilaeulesautres.Çametueraitsitulechoisissaisluiplutôtquemoi.Surtoutpourunenuit,alorsquejesuiscapabledet’offrirbeaucoupplus.Tellementplusquelui.Tellementplusqu’unepartiedebaise.
Alyssa:Jelesais.Lui:Alorscrois-moi,Aly.Crois-moietresteloindelui.Parle-moietjoueavecmoi.Trouvequijesuisetlaisse-moit’embrassersur
WickedGamescommej’enrêveàchaqueputaindesecondedemavie…
–12–
LUI
Monportablevibre,m’arrachantàmonsommeilpaisible.J’émergelentementdumondedeslimbesetm’obligeàouvrirlesyeux.Ilfaitnoirdansmachambremaisjediscernelaluneàtraverslesrideaux.Il n’y a aucunbruit. Pas lemoindre,mis à part celui des vibrations folles demon téléphone qui n’enfinissentplus.Quipeutbienm’appeleràuneheurepareille?Jegrogneetattrapemaladroitementmonportablesurmatabledenuit.Jem’apprêteàappuyersurlebouton«ignorerl’appel»pourenvoyersefairefoutreceluioucellequiosem’appeleràtroisheuresdumatin,maisjemeraviseimmédiatementenlisantlenomquis’affichesurmonécran:«Aly».
Une.Deux.Trois.
Troissecondesoùmarespirationestrestéebloquéedansmapoitrine.Aly.Lesbattementsdemon
cœurs’emballentd’unemanièreindescriptible.Merde,pourquoim’appelle-t-elleenpleinenuit?Elleasûrementbesoindemoi,elleapeut-êtreunproblème.Jeveuxdire…Unvraisouci.
Jedoisluirépondremaisjenelefaispas.Jerestesimplementimmobileàcontemplerl’écrande
mon téléphone, sansciller, jusqu’àceque les faiblesvibrations s’évanouissent aucreuxdemapaumemoite.Sijeneluiaipasrépondu,cen’estpasparcequejen’enavaispasenvie.C’estpourlasimpleetbonneraisonquejenelepeuxpas.Jenepeuxpasluirévélerlesondemavoix.Mêmepartéléphone.Non,çaseraitunbientropgrandindicepournotrejeu.Alorsj’aisimplementignorésonappel.
J’avaledifficilementmasaliveetjeluienvoieunmessageàlaplace.
Lui:Aly,quelquechosenevapas?
Jenesaispasréellementpourquoi,maisjemesensmal.Férocementoppressé.Lessecondesqu’elleprend àme répondredurent desminutes.Parcequemerde, elle a peut-être ungraveproblème, et j’aiignorésonappelpourunsimplejeu.Sielleavraimentdesennuis,etqueje l’ai lâchementignorée, jem’envoudraivraiment.
Alyssa:Jen’arrivepasàdormir.
Voilà le message que je reçois, après plusieurs secondes d’attente interminables. Et je ne peuxm’empêcherd’êtresoulagé.Jemelaissetombersurmesoreillersensoupirant.Jeposelamainsurmapoitrineetj’attendsquelespulsationsdemoncœursesoientrégulariséesavantdeluirépondre.
Lui:Moi,j’ysuisarrivé.Tum’asréveillé,chérie.Alyssa:Jesuisdésolée.Jevoulaissimplementdiscuter.Lui:Pourquoim’avoirchoisipourdiscuter?Alyssa:Parcequej’avaisenviedeteparler.Àtoi.Seulementàtoi.Lui:Pourquoi?Alyssa:Parcequejemesuisditqueçamerelaxerait.Tusais…C’estapaisantdediscuteravectoi.Lui:Tutrouves?Alyssa:Ouais.
Jenepeuxm’empêcherdesourire.C’est l’unedespremières foisqu’elleme faituncompliment.D’habitude,ellen’hésitepasàmecritiquer–amicalement,biensûr–,etàmecharrier.Maisellenem’ajamaisfaitdecomplimentcommeellevientdelefaire.Jerepliemonbrasgaucheet lepassesousmatête,lasurélevantlégèrementpourêtreplusàl’aise.
Lui:J’aimeteparler,moiaussi.Alyssa:Alorsçanetedérangepassijetevolequelquesminutesdesommeil?Lui:Ellessontprécieuses,maispourtoi,j’accepte.
Jeluisorsdesphrasesclichéspouressayerdelafairesuccomber.Jefais legarsdoux, legentil,celuiquiesttoujourslàpourelle.Enréalité,j’aijusteenviequ’ellemelaissemerendormir,parcequejesuisvraimentépuisé.
Alyssa:Mercibeaucoup,Babe.Lui:Juste…Jevoulaissavoir,pourquoitum’asappelé?Alyssa:Pourrien,laisse.C’estridicule.Lui:Qu’est-cequiestridicule?
Alyssa:Laraisonpourlaquellejet’aiappeléetpasenvoyédirectementunmessage,elleestridicule.Lui:Jesuissûrquenon.Alyssa:Si.Jevaispasserpourunefillegnangnansijeteledis.Lui:Crois-moi,tuestoutsaufgnangnan,Aly.Cen’estpascequetuvasmedirequichangeral’imagequej’aidetoi.Alyssa:Mouais.Lui:S’ilteplaît?Alyssa:BonOK.Sijet’aiappelé,c’estparcequej’avaisenvied’entendretavoix.
J’ail’impressionqu’uneballemeperforelapoitrineetqu’elleressortdansmondostantlecoupestviolent.Putain,enfin.Oui«enfin»,parcequeçafaitunmois.Unmoisquenousjouons.Unmoisquejelui parle chaque soir. Un mois que j’essaye de l’intéresser à moi. Et un mois qu’elle semble secontrefoutredujeu.Unmoisqu’ellesembles’encontrefoutredemoi.
Etsicesoirelleaenvied’entendremavoix,c’estparcequ’elleestentréedanslejeu.Jenesaispascequiaprovoquécechangement,mais je saisqu’elleestentréededans.Enfin,putain.Depuis letempsquej’attendaisça!
Ellenes’intéressaitpasàmoi,etpourtant,cettenuit,jemesuisréveilléàcaused’elle.Cettenuit,elleaditqu’ellevoulaitdiscuteravecmoi.Cettenuit,elleaditqu’ellevoulaitentendremavoix.Etcettenuit,elleasuccombé.
Lui:Cen’estpasridicule,chérie.Alyssa:Biensûrquesi,ça l’est !Jedétesteça,merde.Mais…j’aimerais tellementsavoiràquoi ressemble tavoixque jen’aipu
m’empêcherdet’appeler,cesoir.Tusais,j’aimeraisbeaucouppouvoirentendretavoixlorsquejelislesmessagesquetum’envoies.Etjenelepeuxpas…
Alyssa:As-tudéjàentendumavoix,toi?Lui:Oui.Alyssa:Tuimaginesmavoixlorsquetulislesmessagesquejet’envoie?Lui:Çam’arrive.Alyssa:Jeveuxpouvoirlefairemoiaussi.JeveuxpouvoirmettreunevoixsurmonInconnu.Déjàquejenesauraijamaisàquoitu
ressemblessijenedécouvrepastonidentité,j’aimeraisaumoinspouvoirconnaîtrelesondetavoix.Lui:Jenepeuxpastelaisserentendremavoix.Alyssa:Pourquoipas?Lui:Parcequeçatedonneraittropd’indicessurmoienuneseulefois.Alyssa:Jem’enfousdujeu,tusais?J’aijusteenvied’entendretavoix.Lui:Non,Aly.Pastoutdesuiteentoutcas.Jenepeuxpas.Désolé,chérie.Alyssa:Desfois,jedétestevraimenttonjeu.Lui: Jesaisquec’estdifficilepour toi.Tuas l’impressiond’avancer lesyeuxfermésdanscettehistoire,et jepeuxcomprendre ta
frustration.Alyssa:Décris-la-moiaumoins.Lui:Mavoix?Tuveuxquejetedécrivemavoix?Alyssa:Oui.Quej’aieuneidéeapproximativedeceàquoielleressemble,aumoins.Lui:Ehbien…Mesprochesdisentquej’ailavoixgrave,légèrementéraillée.Douce,aussi.Enfin,çadépendd’avecquijesuis.Ma
mèreditquej’aiunevoixdouceavecelle.Et…Jenesaispasvraiment.Alyssa:D’accord,merci.J’imagineàpeuprèscommentelleest.J’aiencoreplusenviedel’entendremaintenant.Est-cequetume
laisserasécoutertavoixplustard?Lui:Oui,Aly.Jet’enfaislapromesse.
Alyssa: J’aihâteque tu soisàmoi, tu sais? Jepourrai t’entendreparlerà longueurde journée.Alors,profitebiende tesderniersmomentsdetranquillité,Babe.Tuserasenchaînéàmoidansmoinsdetempsquetunelepenses…
Mesyeux,ravis,seplissent,meslèvress’étirentetdeuxfossettesviennentcreusermesjoues.C’estbon,àprésent.Elleestentréedanslejeu.Elleyestentréeetc’estellequiestenchaînéemaintenant,pasmoi.
Unpointpourmoi…
–13–
La discussion que j’ai partagée avec mon Inconnu cette nuit me hante. Les messages qu’il m’aenvoyéstourbillonnentets’entrechoquentdansmatêteàuneallurefolle.J’yaipensétoutelajournéeetjecommenceàavoirmalaucrâneàforcedecogiter.Ilm’apromisqu’ilmelaisseraitbientôtentendresavoix,maisjen’ycroispasvraiment.Commeilmel’afaitremarquer,çaseraitmedonnertropd’indicessurluienunefois.Jesaisqu’ilamentietquelquechoseenmoin’aimepasça.Depuisquelquesjours,j’ai l’impressiondel’énerver.Vraiment.J’ai l’impressionqu’ilenamarrequejesoissipassivedansmesrecherches.Maisjesaisqu’aufonddeluiilneveutpasquejedécouvresonidentité.Parcequeçavoudraitdirequesonjeuestdéfinitivementterminé.Çavoudraitdirequ’ilseraitobligéderépondreàlamoindredemesexigences.Etjesuisintimementconvaincuequecen’estpascequ’ilveut.
C’estpourçaquejesuisarrivéeàcetteconclusion:s’iljoue,s’ilestpresséquej’entredanssonjeu, ce n’est pas pour que je découvre qui il est, mais pour que je m’intéresse à lui. Voilà monraisonnement,etilmeparaîtcrédible.Ilveutsimplementquequelqu’uns’intéresseàlui.Ilveutpeut-êtrequejetombeamoureusedeluiouunautretrucstupidedugenre.Oualorsjen’ysuispasdutout,etilauneautreidéederrièrelatête,cequinem’étonneraitpasvenantdelui.
–Aly?LavoixdouceetérailléedeHollym’extraitdemespensées.Jerelèvelatêteetrencontresesyeuxvertanisbrillantdanslesderniersrayonsdusoleil.Levisage
crispé,ellemefixelonguement,commesiellejaugeaitmaréaction.–Tunem’écoutaispas,hein?réalise-t-ellesoudainement.Jenepeuxm’empêcherdemesentircoupable.Àforcederesterplongéedansletourbillondemes
pensées, je finis par être totalement absente. Je secoue honteusement la tête, et Holly soupire. Elledétourneleregardetsecouelatêteàsontour.
–Qu’est-cequetudisais…?risqué-je.–C’estbon,Aly.J’enparleraiàquelqu’und’autre.
Jememordslalèvreetréajustel’ansedemonsacsurmonépaule.Nousmarchonslentementcôteàcôtepourrentrercheznous.Nousavonsquittélelycéeplusd’uneheureaprèslafindescoursetsommesrestéestraînerdevantlebahut.J’auraispréférérentrerdirectement,etprofiterdelaseulesoiréeoùmesparentsnesontpaslà,maisHollyatellementinsistépourquejerestequejen’aipuquemerésigner.
Jeserrelespoings,viensrapidementmeplacerdevantHolly,etposefermementmesmainssursesépaulespourlastopper.Ellehausseundesessourcilsblondsd’unairinterrogatif.
–Quoi?lâche-t-elle.–Dis-moi,jet’écoute.–Non,çasertàrien.Jevoisbienquetut’enfousdecequejetedis.–Jenem’enfousabsolumentpas,Holly.Çan’arienàvoir.C’estjustequej’ailatêteailleursence
moment.–Ça,j’avaiscruremarquer,pouffe-t-elle.Je lâche ses épaules et je laisse retombermollementmesbras, vaincue.Elle a ledroit d’être en
colère.Quineleseraitpas,detoutefaçon?Depuisquel’Inconnuestentrédansmavie,jenesuispluslamême.Jesuislapremièreàleremarquer,alorsjepeuxcomprendrequ’Hollym’enveuille.Maisjeneveuxpaslaperdrepourunjeuàlacon.
–Pourquoias-tuchangé,Aly?Ons’entendaitsibien,souffle-t-elle,maussade.–Jesuistoujourslamême,d’accord?C’estjustequ’encemomentj’aibeaucoupdetrucsàgéreret
suissouventperduedansmespensées.–Qu’est-cequet’asàgérer,aujuste?–Descrisesfamiliales.–Des crises familiales ? C’est tout ? Te fous pas dema gueule, Alyssa ! T’as toujours eu des
problèmesfamiliaux,c’estpaspourçaquetuaschangé.Jeveuxlavraieraison.Lavraieraison?C’estçaqu’elleveut?Elleveutquejeluidisequejejoueàunjeuglauqueavec
unparfaitinconnuquiestpeut-êtreunpsychopatheenmanque,etqueçameplaît?Aucunechance.Ellemeprendraitpourunefolle.Jebaisselesyeuxquelquesinstants,essayantdetrouveruneexcuse.Enfin,unmensonge,pourêtreexacte.J’aitrouvé.
–Ehbien…Jecroisquejesuistombéeamoureuse.Voilàmonexcuse–quiest,enpassant,l’undesplusgrosmensongesquej’aiejamaisinventé–mais
çasembleconvaincreHolly.Sonvisages’illumined’unsourire radieux,pleindevieetd’espoir.Elleattrapeunedemesmainsetsertvigoureusementmapaumedanslasienne.
–Amoureuse?Genre,vraiment?–J’saispas,Holly.Çanem’étaitjamaisarrivé.–Maisc’estsuper!Jecomprendsquetusoisperduedanstespensées,jel’étaisaussiavantdeme
mettreavecJason.Etc’estreparti.Ellevamereparlerdesoncondecopainpendantunedemi-heure.Ellevamedireà
quel point c’est bien d’être amoureux et tout ce que ça lui apporte d’être en couple. Et puis, bienévidemment,ellevamedemanderdequijesuissupposéeêtreamoureuse.
Putain,dansquoiest-cequejemesuisencoreembarquée?
–Vas-y,raconte-moitout!commence-t-elle,aussiexcitéequ’unepuce.Quiest-ce?–Holly…–Tuneveuxpasmeledire?Jevois…Alors,peut-êtrequetupeuxmedireoùtul’asrencontré?–Hum…Àun…unesoirée.Jel’airencontréàunesoirée,ilyadeuxsemaines.–Waouh!Etalors,c’estluiquit’afaitdesavances?–Ouais,j’imagine.–Maisallez,Aly!Dis-m’enplus!Jesuistonamie,jen’enparleraiàpersonne.Juré!Elle dit ça en levant samain droite commepour donner plus de poids à ses paroles. Il faut que
j’inventeunehistoiredetoutespiècesenunminimumdetemps,etDieuseulsaitquecen’estpasmonfort.Quequelqu’unmevienneenaide!
–Hum…Ilestvenumedemanderdufeu,expliqué-je.Puisonadiscuté.
J’aisortiçacommeça.J’aiprislapremièrechosequimepassaitparlatêteetcen’étaitpeut-être
pasunebonneidée.ParcequejesuisclairemententraindeparlerdeMatt,là.Lasoirée,lefaitqu’ilmedemandedufeu…Jesuisentraindedécrirecequ’ils’estpassécettenuit-là.
Etpuismerde,cen’estpeut-êtrepasunesimauvaiseidée,toutcomptefait.
–Jeleconnais?demandeHolly,frianded’informations.–Non,ilestenterminale.–Peut-êtrequeJasonleconnaît,lui.–Sûrementpas,c’estunnageur.–Unterminale?Tutefaispaschier,dis-moi!Alors,tucroisquet’asunechanceaveclui?–J’espère.Ilmeplaîtvraiment.Et brusquement, Holly me prend dans ses bras. Elle me sert si fort qu’elle me broie les côtes.
Commentest-ilpossiblequ’ellesoitheureuseàcepointpourunechosenelaconcernantpas?–Maisc’estgénial!J’étaissûrequequelqu’unt’avaittapédansl’œil.Jelesentais,s’extasie-t-elle
enmelâchantenfin.–N’enparleàpersonne,OK?Jen’aimeraisvraimentpasquetoutlelycéesoitaucourant.–Pourquitumeprends,àlafin?Biensûrquejenedirairien.Çaresteentretoietmoi.Elleme faitunclind’œil et elle recommenceàmedireàquelpoint elleestheureusepourmoi.
Mais,commeàmonhabitude,jenel’écouteplus.Cettefois,pourtant,j’aiuneexcusevalable:ilestlà.Matt est là. Ilmarche dans notre direction, lesmains enfoncées dans les poches étroites de son jeanstretch,leregardbraquéverslesol.Hollynelevoitpas,puisqu’ilarrivepar-derrière,maiselletournelatêtepourvoircequejefixe.Ouplutôtqui jefixe.Elle l’observequelques instantspuisreportesonattention surmoi.La jolie blondem’interrogedu regard et, je ne sais comment, elle comprendque jeparlaisdeluiunpeuplustôt.
–C’estlui,pasvrai?demande-t-elle.Mais jesuis incapablederépondreparceque jenecessedemedemandercequ’il fout là.C’est
vrai,quoi,lescourssontfinisdepuisplusd’uneheure,alorsquefait-ilencoreiciàuneheurepareille?Hollypassesamaindevantmesyeuxetlasecoueénergiquementpourquejerevienneàmoi.
–C’estlui,hein?Toujourspasderéponsedemapart.–OK,j’aicompris.Jetelaisse.Bonnechance,dit-elleensouriant.–NON.Elle arque un sourcil et jette un autre coup d’œil vers Matt, qui n’est plus très loin de nous
maintenant.–Faispastatimide,Alyssa.Çavaaller.Appelle-moicesoirpourmeraconter.Etnefaispascelle
quines’ensouvientpas,parcequemoi,jen’oublieraipas.Puisellemeclaqueunbisousurlajoueets’envaaussirapidementqu’unepluiepassagère.
JeresteparalyséeenpleinmilieudutrottoiralorsqueMattn’estplusqu’àunevingtainedemètres.
Ilrelèvelatêteetmarespirations’arrête.Ilmedévisage,lessourcilsfroncésetleregardfroid.Putaindemerde.
Jemeretournedifficilement,telunautomate,etjememetsenmarche–oujem’enfuis–loindelui.Hollyadéjàdisparudemonchampdevision,commesielles’étaitvolatilisée.Lespulsationsdemoncœurs’accélèrentetmespoumonssemblents’embraser.Jesuisseuleaveclui.Jefoulelebitumeaussirapidementquemespetitesjambesmelepermettent.Jen’aivraimentpasenvied’avoiraffaireàMattcesoir.PasaprèstoutcequemonInconnum’aditàsonsujet.Pasaprèstouslesavertissementsqu’ilm’adonnés.Jeluifaisconfiance,ets’ilmeditquecegarsn’estqu’uncoureurdejupons,jelecrois.Mais,alorsquej’allaistourneràgauche,ilm’interpelledesavoixenjôleuse.
–Aly?Etmerde…Jetraverselachausséeenaccélérantlepaspourrejoindreletrottoird’enface.Comme
si cette simple route avait le pouvoir hors du commun de tenir cemec affreusement beau à distance.Conneries,oui.Iltraverseàsontouretfinitparmerattraper.Ilempoignemonbras.Jemeretourneverslui, le visage crispé, la respiration légèrement sifflante, alors qu’un sourire en coin vient fendre sonvisaged’Apollon.
–J’étaissûrquec’étaittoi,dit-il.Ilbalayelescheveuxquemacourseafaittombersurmesyeuxetjenepeuxm’empêcherdefrémirà
celégercontact.–Tumefuisouquoi?blague-t-il.–Ettoi,tumetraques?Ilhausseundesesfinssourcilsbrunsetdesserresonétreinteautourdemonbras.–Çasepourraitbien,répond-il,sûrdelui.–Qu’est-cequetuveux?
–Onpourrait…discuter?propose-t-il,d’untoncharmeur.–Pourquoi?Onseconnaîtpas.–Etalors?Onpeutaumoinspartageruninstantclope.–J’enaiplusaucune.Jesuisàsec.–Onpeutpartageruneclope,alors.Partageruneclopeaveclui?Sérieusement?Posermeslèvreslàoùilauraplacélessiennes?Jene
suis pas sûre que l’Inconnu apprécie. S’il l’apprend, il sera sûrement en colère, peut-êtremêmequ’ilvoudraarrêterdejoueravecmoi.Maisl’appeldelaclopeestleplusfort,etpuis,ilnepeutpasnonplusconnaîtretousmesfaitsetgestes!
–Alors,çatetente,Alyssa?–OK.Detoutefaçon,monbusn’arrivepasavantvingtminutes.–Cool.Nous nous adossons à unmuret etMatt sort de sa poche son paquet deMarlboro. Il prend une
cigaretteetmejetteuncoupd’œil.–C’estmadernière,onpartage?–D’accord.Il sourit et coince la clope entre ses belles lèvres rouges et pulpeuses. Je n’avais jamais fait
attention à sa bouche jusque-là.Maismerde, est-ce qu’il y a ne serait-ce qu’une seule partie de sonvisage qui ne soit pas parfaitement belle ? Je reste bloquée sur ses lèvres charnues unmoment, puism’obligeàdétournerleregard.Mesmainscommencentàdevenirmoitesetjesuisdemoinsenmoinsàl’aise.Quesepasse-t-ilàlafin?
–T’asdufeu?demande-t-il.–T’enaspas,toi?–Fautcroirequenon.Sij’enavaisjenet’endemanderaispas,tusais?Ilsouritdeplusbelleetjesensmesjouess’échauffer.Çanem’étonneraitpasquejefinisseaussi
rougequ’unepivoineavectoutessesréflexionsplusoséeslesunesquelesautres.Alors,doucement,jesorsdelapochedemonmanteauleZippoquemonInconnum’aoffert.JeletendsàMatt,quil’attrapedélicatement.Ilresteébahidevantlebriquet.Ilfaittournerl’objetargentéentreseslongsdoigtsetfaitclaquerlecapuchon,dévoilantuneflammerougeoyante.
–Onaunnouveaubriquet,àcequejevois.Ilestmagnifique.–Merci.Onmel’aoffert.IllèvesonregardduZippopourleposersurmoi.–Quitel’aoffert?–Un…unami.–Unami?Ildoitvraimentteniràtoipourt’offrirunepetitemerveillecommecelle-là.–C’estcequejemesuisdit.
Laflammecontinuededanserdansl’airfraisdusoir.Mattmetfinalementleboutdesacigaretteau-
dessus,etlaisselaclopes’embraser.Iltireunegrossetaffeenfermantlesyeux,puisilexpirelafuméeparlaboucheetparlenezd’unemanièreincroyablementsexyavantdemetendrelacigaretteensouriant.
–Qu’est-cequetufaisaisprèsdulycéeàuneheurepareille?demande-t-ilaumomentoùjetireunelatte.
–Ettoi?–Jet’aiposélaquestionenpremier.Jeterépondsdèsquetul’aurasfait,toi.–Ehbien,jetraînaisavecuneamie.–C’esttout?–Ouais.Iln’yariendebeaucoupplusexcitantàfaireprèsdulycée.–Pasfaux.–Ettoi,alors?Tufaisaisquoi?–J’étaisàlapiscine.J’avaisentraînement.Jerejettelafuméeetluirendssacigarette.Biensûrqu’ilétaitàlapiscine.–Toutàl’heure,tumefuyais?
Je le fixe longuement. Il tire une nouvelle taffe, qu’il garde très longtemps dans sa gorge en
regardant l’horizon s’assombrir. Son profil est fin, impeccable, sublime. Il souffle un nuage de fuméefantomatiquedanslesairsavantdetournerlesyeuxversmoi.
–Alors,tumefuyais,Aly?–Àtonavis?–C’estl’impressionquej’aieue.Maissic’estréellementlecas,pourquoitufaisaisça?–C’estunebonnequestion.–Oui,jetrouveaussi.As-tuuneréponseàmedonner?–Oui.Ses deux prunelles sont braquées sur mon visage d’unemanière pesante. J’ai presque dumal à
respirerdepuisqu’ilaposésonregardimpérieuxsurmoi.Ilestsiimposantqu’unsimpledesesregardssuffitàmedéstabiliser.
–Quelqu’unm’aditquejedevaisresteràl’écartdetoi,articulé-jeaveclenteur.Jeleregardeattentivement,jaugeantsesréactionsdevantmarévélation.Maisrien.Ilnecillemême
pas.Àcroirequ’iln’estpasétonnéqu’onpuissepenseroumêmediredeschosespareillesàsonsujet.Etjecroisquec’estcetteréaction-làquejeredoutaisleplus.
–Quit’aditça?–L’amiquim’aoffertleZippo.–Etalors,tulecrois?–Pourquoinelecroirais-jepas?
–Etpourquoilecroirais-tu?–Parcequ’ilestmonami.–C’estvrai.Maissijetedisaisquetun’asaucuneraisondemefuir.Quejenesuispasdangereux
ou…jenesaispascequ’ilaputedire.Tumecroirais?–Jesaispas.–Pourquoilecroirais-tuluiplutôtquemoi?Jehausselesépaules.–Quiteditqu’iln’inventepasdeschosesàmonsujetpourmemettredesbâtonsdanslesroues?
Quiteditqu’iln’apassimplementpeurquejem’intéresseàtoi?–C’est…C’estlecas?–Çasepourrait.–J’aimepasquandtudisça.–Jesais.Personnen’aimeça.Ilmerepasselacigarette.Jeregardelesoleildéclinerprogressivementetjem’apprêteàrépliquer
lorsquejeréalisequ’ilestl’heured’allerrejoindremonbus.Jejetteunderniercoupd’œilàMattetluitendslaclopequasimentachevée.
–Jedoisyaller.Ledernierbusquipassepar iciarrivedanscinqminutes.Et ilmefautpresqueautantdetempspourrejoindrel’arrêt,ilfautvraimentquejem’enaille.
–D’accord,pasdeproblème.Mercid’avoiracceptédepartagerunecigaretteavecmoi.–Ouais,c’étaitcool.Ilmesouritgentimentetjemedécolledumuretdebrique.Jeluidisaurevoiretmemetsenrouteen
directionde l’arrêtdebus. Je sens le regardémeraudedeMattbrûlermondos, sibienque jenesuispresquepasétonnéelorsquesavoixretentitunedernièrefois.
–NecroispastonamiauZippo.Ilracontedelamerde.Jenemeretournepasetj’accélèrelepas…
Enarrivantchezmoi,jedécouvreunmessagedel’Inconnuenvoyéilyaunedizainedeminutes.
Lui:Tun’esqu’unementeuse,Alyssa.
–14–
Menteuse.
Lemotrésonnedansmoncrâne.Iladitquej’étaisunementeuse.Lemessagequ’ilm’aenvoyéétait froid,direct,cassant.Etçaasuffiàmecouper les jambes.Je
savais qu’en partageant cette cigarette avec Matt je bravais un interdit. Que j’avais failli à mesengagements,puisquequelques joursplus tôt j’avaisassuréquejeresteraisà l’écartdeceluiquin’estqu’unconnarddepremièrepourmonInconnu.
Maiscen’estpascequej’aifait.Et,jenesaisparquelmoyen,ill’asu.En lisant sonmessage, jeme suis écroulée sur leparquetdemachambre,monportabledans les
mains,tremblantdelatêteauxpieds.J’auraisdûrefuser.J’auraisdûenvoyerMattsefairefoutreetmerendre directement à mon arrêt de bus. J’aurais dû l’ignorer et rester à distance, comme me l’avaitpréconisémonInconnu.J’auraisdû,maisj’enaiétéincapable.ParcequejesuisirrésistiblementattiréeparMatt.Parsonmystère,parsabeautéfroideetsoncharisme.Ilestcommeunaimantduquel jesuisincapabledemedécrocher.
J’aimelafaçondontilmeparleetdontilmeregarde.J’ail’impressiond’êtreprécieuse,etj’aimecettesensation.Etpuis,siçasetrouve,Mattn’estpasceluiquedécritl’Inconnu.Cen’estpeut-êtrepasuncoureurdejuponsavecunpoischicheàlaplaceducerveau.Ilmeplaît…Physiquement.Jecroisqueçametrahit.Monattirancepourluimetrahit.Trahitl’Inconnu.Trahitmesengagements.
Mais jem’en fousdeMatt.Dumoins, c’est cedont j’essayedemepersuader intérieurement.Laseulepersonnedontjenemefouspasencemoment,c’estlui.Etuniquementlui.
Alors, comme si ça pouvait arranger les choses, je lui envoie un message dans lequel je feinsl’innocence.Jefeinsden’avoirrienàmereprocher.
Alyssa:Unementeuse?Pourquoitudisça?
Jemerelève,chancelante,etmelaissetomberlourdementsurmonlitdéfait.J’aifaim,monventregargouille,maisjen’aipaslaforcedemerelever.Non,pastantquejen’auraipaseuderéponsedemonInconnu. Jeme sensmal. Affreusementmal. Parce que je sais qu’il a raison. Je sais que je suis unementeuse et que je suis encore en train d’essayer de nier la vérité en lui envoyant ce message. Jem’enfonceencoreetencore.Commedansdessablesmouvants.
Jeluirenvoieunmessage.
Alyssa:Babe?
Lesminutespassent, ilnemerépondtoujourspas.Recroquevilléedansmonlitfroid, jeguetteenvainunevibrationaucreuxdemapaume.Maisrien.Ilnerépondrapeut-êtreplus.Peut-êtrequ’ilneveutplus jouer avec moi maintenant. Il a, à plusieurs reprises, montré son intransigeance envers sescoéquipières.Jemerappellelorsqu’ilm’aditqu’ilviraitlesfillesquinegardaientpascejeupourellesseules.Ou celles qui ne respectaient tout simplement pas ses règles.Alors, ça nem’étonnerait pas lemoinsdumondequ’ilneveuilleplusavoiraffaireàmoimaintenantquejeluiaimenti.
Alyssa:Réponds-moi.S’ilteplaît.
Ilm’ignore,j’ensuiscertaine.D’habitude,ilrépondtoujoursrapidement.Presqueimmédiatement,même.Alorsjesuissûrequ’illitmesmessagesmaisqu’iln’yrépondpas,volontairement.
Alyssa:Réponds,putain!
Jeperdsespoir.Uneheurequejeluiaienvoyélepremiermessage,ettoujoursrien.JesoupireetjesorsmonZippode la poche demon jean. Je le regarde le cœur lourd et jem’amuse à l’allumer et àl’éteindre.Cequelesminutespeuventêtrelongueslorsqu’onattenddésespérémentquelquechose!
Etpuis,quandjen’ycroyaisplus,monportablevibreenfin.Unepetitevibrationderiendutoutquialepouvoirderemettreenmarchemesorganesvitaux.C’estlui.
Lui:Jeneparlepasauxmenteurs.Surtoutlorsqu’ilscontinuentdenierl’évidence.
Jeme prends une claque considérable. Sesmots sont tellement difficiles à digérer que, l’espaced’uninstant,j’ail’impressionquemoncorpsvasedésagréger.Çamecoupelarespirationettoutsemetàtourneretàtanguerautourdemoi.Putain,non.Çanepeutpassefinircommeça.
Alyssa:Nedispasça,s’ilteplaît.Jen’aipasréfléchiet…Nem’enveuxpas.Lui:Ilteplaît,c’estça?Alyssa:Quoi?Non!Lui:Avoue-le.Tuletrouvesbeau,hein?Turêvesqu’ilt’embrasse?Tuaimeraissentirsesmainscaressertoncorps,Alyssa?Jele
voisdanstesyeuxlorsquetuluiparles.Lorsqu’ilteracontaitjenesaisquoitoutàl’heure,tuétaistotalementsuspendueàseslèvres.Tuledévoraisdesyeux.
Alyssa:Arrête!Arrêtetesconneries,àlafin!Çan’arienàvoir.Lui:Tucontinuesdementir.Ilt’intéresse,jelesais.Alyssa:Jem’enfousdelui.Jetelejure.Lui:Jepeuxplustecroiresitupassestontempsàmementir.Commentpourrai-jedistinguerlemensongedelavéritésitupasseston
tempsàallierlesdeux?Alyssa:Jelejure,OK?Ilnem’intéressepas.Laseulechosequim’intéresseencemoment,c’estdetrouverquitues.Lui : Si, comme tu le dis, trouver qui je suis est la seule chose qui te préoccupe, pourquoi prends-tu autant de temps pour tes
recherches?Pourquoinemeposes-tujamaisdequestionssurmoi?Pourquoi,Alyssa?J’aibesoindesavoir.Alyssa:Parcequej’aipeurdemetromper,voilà!J’aipeurdeprécipiterleschosesetquetumepassessouslenez,tucomprends?
Toutçadevientplusqu’unjeuàmesyeux,etçameterrifie.Toutàl’heure,j’aifaillitaperunsprintdanslaruepournepasparleràMatt,ettuveuxsavoirpourquoij’aifaillifaireça?Parcequetum’asditderesteràl’écart.Parcequetum’asditquetupasseraisàquelqu’und’autresijeprêtaisunquelconqueintérêtàcegars.Parcequetoi,untypequejeneconnaispaslemoinsdumonde,tum’asdonnédesinstructionsetquej’aivoululessuivre.
Lui:Pourquoiluias-tuquandmêmeparlé,alors?Alyssa:Pourlasimpleetbonneraisonquejevoulaiscomprendrepourquoitulehaisàcepoint.Jevoulaismemettreàtaplacepour
tecomprendre.Je…J’essaiejustedetrouverdesréponsesparmoi-mêmepuisqueturefusesdem’endonner.Lui:Tunepeuxpascomprendre,Alyssa.Ilyadeschosesquirestentinexpliquéesetcelle-cilerestera.Alyssa:J’aimeraistellementmeglisserdanstatêteparmoments,justepoursavoircequ’ils’ypasse.Lui:Tuseraisbiendéçuesituparvenaisàpénétrerdansmonesprit.Alyssa:Pourquoi?Lui:Parcequejenesuispasceluiquetucrois.Alyssa:Laseulechosequejecrois,c’estquej’aifaitunegrosseconnerie.Tuesencolèrecontremoi?Lui:Encolère?Lemotestfaible.Parcequependantquetoi, tu traînesaveccetype,moi,commeuncon, jepassemontempsà
penseràtoi.Àteregarderdanslacour,àattendretesmessages.Alyssa:Maismoiaussijepenseàtoi.Lui:Alyssa…Alyssa:Nem’enveuxpas.Jet’enprie.Lui:J’acceptedepasserl’épongelà-dessus…àunecondition.Alyssa:Toutcequetuveux.Lui:Promets-moideneplusluiadresserlaparole.Promets-moidel’esquivers’ilvientàtarencontre.Promets-moijusteça.Alyssa:OK.Jetelejure.Lui:Bien.
Je respire, légèrement soulagée. Je pensais réellement que, cette fois, ça ne passerait pas.Qu’ilallaitmevireretpasseràuneautrefille.Maisnon.Ilmelaisseunesecondechance.Etjenelagâcheraipas,c’estcertain.Parcequemonenviededécouvrirsonidentitéestd’unepuissancedéconcertanteetquejenepourraipasvivreindéfinimentenl’ignorant…
Lui:Et,Alyssa,chérie,pourmoiaussi,toutçadevientbienplusqu’unjeu.
–15–
Lesnuagesblancsfilentdanslecield’azurau-dessusdemoi.Jecaressel’herbetendreduboutdesdoigts,commesi j’avaispeurde lacasserd’ungeste tropbrusque.Lapelousemechatouille lanuqued’unemanière étonnamment agréable, l’odeur de la nature éveille toutmon être, mettantmes sens enébullition.
J’aitoujoursaimém’allongerdansl’herbedemonimmensejardinetregarderdéfilerlesnuagesàune lenteur folle sousmes yeux d’éternelle rêveuse. J’ai toujours trouvé cela relaxant. Je viens ici àchaquefoisquejenepeuxplussupportermesparentsetlapressionqu’ilsexercentconstammentsurmesépaules.Ici,etàlabalançoire.Cesontlesdeuxendroitsoùjevaislorsquemesparentssontunpeutroppesants.
Onpeutdirequecesontmeshavresdepaix.Unevibrationm’arracheàmaplénitude. Jeme redresse sur les coudeset récupèremonportable
abandonnésurlegazon.C’estLui,pournepaschanger.
Lui:Dis,Aly.Iltevoulaitquoi,Matt,l’autresoir?
Jemedisaisbienquec’étaitbizarrequ’ilnem’aitpasquestionnéelà-dessushiersoir.Jesoupire,merallongedansl’herbeetrédigeuntextoassezvagueenguisederéponse.
Alyssa:Rienenparticulier.Ilvoulaitjuste…discuter.Lui:Discuterdequoi?Alyssa:Jenesaispasvraiment…Jecroisqu’ilvoulaitpasserunmomentavecmoi.Ilm’aproposéunecigarette,aussi.Lui:Tuasdéjàvidélesdeuxpaquetsquejet’aiachetés?Jesuissûrquec’estçaquit’afaitaccepterdepasserquelquesminutes
aveclui.Alyssa:Élémentaire,moncherWatson.C’estcequim’a faitaccepter,eneffet.Maisc’estaussiparceque jemesuisditqueça
seraitl’occasionparfaitepouressayerdecomprendrepourquoiilpassetantpourunconàtesyeux.Lui:Jevois…Etalors,dequoivousavezparlé?
Alyssa:Dechosesetd’autres.Lui:Pourquoies-tusiévasive?Serais-tuentraind’essayerdemecacherquelquechose,Alyssa?Alyssa:Non.Lui:Nememenspas.Pasdesecretsentrenous,OK?Alyssa:Pasdesecrets,alorsquej’ignorequitues?Sérieusement?Lui:Tumarquesunpoint…Maisn’essayepasdefairediversion.Réponds-moi.Dequoiparliez-vousavant-hier?Alyssa:C’estbizarrededireça.Lui:Dedirequoi?Alyssa:Dedirequ’onaparlédetoiunegrandepartiedutemps.
Labrisedusoirselèvelégèrement,maisjen’aiaucuneenviederejoindremesparentsquisontentraindepréparerleurbanquet.Letraditionneldînerannueldeprintempsqu’ilsorganisentavectousnosvoisinspourcélébrerleretourdesbeauxjours.Conneries.Cessoiréessontàchaquefoissurfaitesetjefaistoujoursdemonmieuxpourm’éclipserlepluslongtempspossibledansmachambre,avecdes«Jeviensdemesouvenirquelasemaineprochainej’aiunénormedevoird’histoire»oudes«J’aiunexposéàrelireetàcorrigerpourlundi.»
Je préfère largement rester dans le froid, étendue dans l’herbe, à attendre la réponse de monInconnu.
Lui:Commentça,vousavezparlédemoi?Attends,Alyssa,nemedispasquetuluiasparlédenotrejeu!Alyssa:Non!Biensûrquenon!Lui:Situneluiaspasparlédujeu,queluias-tuditàproposdemoi?Alyssa:Enfait,cen’estpasmoiquiaiengagélaconversationàtonsujet.C’estlui.Ilm’ademandédufeu–pournepaschanger,tu
vastedire–doncjeluiaipasséleZippoquetum’asoffert.Iladitqu’ilétaitmagnifiqueetj’airacontéqu’onmel’avaitoffert.Lui:C’estdonctoiquiasparlédemoi,Aly.C’esttoiquim’asintroduitdanslaconversationendisantqu’ont’avaitoffertceZippo.Alyssa:C’estpasfaux.M’enfin,s’ilavaiteudufeu,jeneluiauraisjamaisparlédetoi.Lui:Sûrement,oui.Enfin,bref,cen’estpasl’important.Raconte-moilasuite,s’ilteplaît.Alyssa: Ilm’ademandéquimel’avaitoffert, j’airéponduquec’étaitunami.Iladitquecetamidevaitbeaucoupteniràmoipour
m’offrirunobjetpareil.D’ailleurs,est-cequ’ilaeuraisondedireça?Est-cequetutiensàmoi?Lui:Quit’apermisd’arrêtertonrécitcommeça,Alyssa?Jeveuxlasuite,merde.Alyssa:Situnerépondspas,iln’yaurapasdesuite.Répondsàmaquestion.Lui:Taquestionestdébile,enplus…Tudevraisconnaîtrelaréponse.Alyssa:Non,jenedevraispasconnaîtrelaréponse.Parcequejeneteconnaispaset,siçasetrouve,t’esqu’unconquisefoutde
magueule.Siçasetrouve,tut’enfouscomplètementdemoi,etsiçasetrouve,toutcequetumedis,c’estdesconneries.Lui:Qu’est-cequitefaitpenseràuntrucpareiltoutàcoup?Alyssa:Mattm’aditque,peut-être,tuessayaisdelefairepasserpourunmecsanscœurparcequetuaspeurqu’ils’intéresseàmoi.
Quetuessayespeut-êtredeluimettredesbâtonsdanslesrouespourqu’iln’aitaucunechanceavecmoi.Lui:C’estcequ’ilt’adit,cetenfoiré?Putain,jevaisledéfoncer.Alyssa:Maispourquoi,hein?Pourquoituveuxledéfoncer?Qu’est-cequ’ilt’afait,putain?Lui : Ne me dis pas que tu le crois lorsqu’il te dit ça, Aly. Lorsqu’il te dit que je l’insulte simplement pour ruiner les chances
inexistantesqu’ilaavectoi?Alyssa:Quiteditqueleschancessontinexistantes?Lui:Maismerde,Alyssa!Tum’asditpasplustardqu’hiersoirquetut’enfoutaisdelui!Alyssa:C’estlecas.Lui:Alorspourquoituinsinuesl’inverse?Alyssa:Parcequejen’aimepasquetusous-entendesqu’iln’aaucunechanceavecmoi.Quetusous-entendesquejetesuisacquise.
Jenesaispas…Jen’aimepasquandtufaisça.
Lui:Jeneteprendspaspouracquise,d’accord?Jamaisjenepenseraisça.Alyssa:Alorspourquoituagiscommesic’étaitlecas?Pourquoituledétestesàcepoint?Lui:Çaneteregardepas.Alyssa:Maisbiensûrquesi,çameregarde!Tudoismeledire!Dis-moicequ’ilsepasseentreMattettoi.Dis-moipourquoitul’as
danslecollimateuràcepoint!Lui:Ilmevolemescoéquipières,jetel’aidit.Alyssa:Non,jeparledelavraieraison.Dis-moilavraieraison.Pascemensongequetuviensd’inventer!Lui:Cen’estpasunmensonge.Alyssa:Jenetecroispas.Lui:Si tunemecroispas,c’estparcequececon t’amonté la tête,pasvrai?Parcequ’il t’aditquec’étaitmoiqui inventaisdes
choses«fausses»àsonsujet!Mais,Aly,réveille-toi,jet’enprie!C’estluiquiment,pasmoi!
Sesmessagessemblent tellementdésespérésquejenesaisplusquoipenser.Quicroire.Versquimetourner.Jesuistotalementperdue.Ilyenaforcémentunquibluffe.Unquisefoutdemoi,maisjen’aiaucunindicequipuissem’aideràdéterminerlequel.
Alyssa:J’enaimarredetoutça.Jenecomprendsrien.Situnem’expliquespasmieux,j’arrêtelejeu.
J’ai écrit et envoyé cemessage comme ça, sans y penser. Sans y penser et en y croyant encoremoins.Jeneveuxpasarrêterlejeu,j’aiutiliséçapourfairepressionmaiscen’étaitpeut-êtrepasunebonne idée.Peut-êtreque l’Inconnuneme retiendrapas.Si ça sepasse commeça, j’aurai tout perdu.Maisc’esttroptard,letextoestenvoyé,etjesuispresquesûrequ’ill’adéjàlu.
Au moment où j’allais écrire un autre message pour rectifier mes dires, mon portable vibre ànouveau.Cettefois,cen’estpasunmessagequejereçois,maisunappel.Ilm’appelle.
Putaindemerde.
–16–
Pendant plusieurs secondes, je reste sans bouger, à fixer l’écran de mon téléphone qui vibrefollement.Ça,jenem’yattendaisvraimentpas.Tellementpasquejenesaispascommentréagir.Ilyaunesemaine,quandjel’aiappelé,iln’apasdaignérépondre.Ets’ilnel’apasfait,c’étaitpourlasimpleetbonneraisonque,pourlui,çamedonnaittropd’indicessurluid’entendresavoix.
Etlà,contretouteattente,c’estluiquim’appelle.Jesaisques’illefait,cen’estpasparcequ’ilenaenvie.Cen’estpasnonplusparcequ’ilveuttenirsapromesse,c’estjustequ’ilalatrouille.Ouais,latrouille.Ilatroppeurquejemeretiredujeu.Ilnem’auraitjamaisappeléesinon,j’ensuispersuadée.Pourtantjenepensaispasuntraîtremotdecequejedisaisdanslederniermessagequejeluiaienvoyé.
Je souris malicieusement, reprenant peu à peu le contrôle de moi-même. Puis je décrochefinalement.Lespulsationsdemoncœur sont si rapidesque jepeuxsentirmonsangcirculerdansmesveines jusqu’au bout de mes doigts. Je colle le téléphone contre mon oreille et, la gorge sèche, jeparviensàmurmurer:
–Allô?Pasderéponse.J’entendsjustedelégersbruitsàl’autreboutdelaligne,meconfirmantlaprésence
demonInconnu.Ilestlà.Noussommesreliéspardeuxportables.Àsedemandersi,unjour,ilenseraautrement.
–Allô?répété-je.Je n’obtiens pas plus de réponse. Il ne parle pas, il se contente dem’écouter. C’est tout. Il n’a
jamaiseul’intentiondeparler.Jesoupireetjecontinuedeparleràcegarçonauboutdufildontj’ignoretout.
–J’aicompris,tuneveuxpasparler.Situm’asappelée,cen’étaitpaspourtenirtapromesse.Tuvoulais simplementme retenir etobtenirmonattention.Et tu l’as eue,puisque, commeune idiote, j’aidécrochéenpensantqueturépondraisàmesquestionsetquejepourraist’entendre.Àquoijepensais,sérieusement ? J’aurais dûmedouter que tu ne dirais rien et que tume laisserais parler dans le videcommejesuisentraindelefaire.T’esvraimentunenfoiré,tulesais,ça?Jesaismêmepaspourquoije
continuedeteparleralorsquejen’auraipasderéponse.Jen’auraipasderéponseparcequeMonsieurl’adécrété.Maistusais,jem’encontrefousdetonjeuencemoment.Moi,laseulechosequejesouhaite,c’estcomprendrepourquoi tudétestes tantMatt.Pourquoi tu l’asprisengrippeet,surtout,pourquoi turefusesdem’expliquertondégoûtpourlui.Jeveuxdire…Tupourraismebalancertoutcequ’ilt’afait,pourm’éclaireretmedonneruneraisonvalabledeledétester,maistunedisrien.Tutecontentesdeleblâmersansjamaisdonnerderaisonsprécises.Alorsj’ail’impressionquec’esttoiquitepaiesmatêteet pas lui, tu vois ?Et ça commence vraiment àme faire chier d’être constamment dans le brouillardcomplet.Denepas savoirqui croire,qui est le typebiendans l’histoire,qui racontede lamerde surl’autre,etc.
Jem’arrêtequelquesinstants,etc’estàsontourdesoupirer.–Qu’est-cequit’empêchedem’expliquerpourquoituledétestes?C’estparcequ’iln’yapasde
raison, c’est ça ? continué-je, légèrement plus agressive.Ouais… Il n’y a certainement aucune raisonvalable,etc’estpourçaquetunedisrien.Oualors,vousêtestouslesdeuxdanslecoupetvousvousfoutezbiendemoi.Vousjouezàmefairetournerenbourriqueetvousvousmarrezàmeregardergalérer.Ouais,siçasetrouve,c’estça,siçasetrouve,vousmenteztouslesdeux.
Jerisamèrement.C’estvrai,cequejedis.Siçasetrouve,lejeulesimpliquetouslesdeuxetc’estàceluiquiarriveraàobtenirmaconfianceenpremier.Ouais,c’estcarrémentprobablemaintenantquejeledis.Çaexpliqueraitbeaucoupdechoses.Commelefaitquel’InconnuétaitaucourantdemonentrevueavecMattalorsqu’iln’yavaitpersonneàdeskilomètresà laronde.Çaexpliqueraitpourquoi ilssonttouslesdeuxaussiagressifsl’unenversl’autre.J’attaquedeplusbelle.
–Dis-moi,est-ceque j’ai raisondepenserça?Dis-moi lavérité,putain.Jevaisdevenirfolleàcausedecettehistoire!Detoutefaçon,situdisrien,j’arrête.J’arrêtedejouerimmédiatementetvouspourrezvoustrouvezuneautrebonnepoirepourvousdivertir.Alors,putain!Fait-ilpartiedujeu?
Monsangboutdansmesveines.Jen’arrivepasàmecalmer,pourlasimpleetbonneraisonquejemesenstrahie.Jenem’enétaispasrenducompte,maissouslecoupdelacolère,jemesuisrelevée,etjebrandisunpoingaccusateur.Marespirationestbienplussonorequed’habitude,tandisquemalèvreinférieuretremblotefurieusementtellementjesuisbouleversée.
–Alors,t’aspaslescouillesdemedirelavérité,hein?lâché-je,mauvaise.C’estaussiparcequet’aspasdecouillesquet’abordeslesfillessousformedejeutéléphonique,pasvrai?Je…
–Non,Aly.Je frissonne malgré moi, ma colère retombe. Ça m’a calmée d’un coup, comme si on m’avait
renverséunseaud’eauglacéesurlatête.Bordel,savoix.Jenem’attendaistellementpasàcequ’ilparlequej’enrestescotchée,abasourdie.Jenesuismêmepassûredecequej’aientendu.Jenem’attendaistellementpasàcequ’ilprononceunmotquelorsquej’aientendusavoixrauquerésonnerautraversducombiné,j’aieul’impressiondechuterd’unimmeubledequinzeétages.Parcequemaintenant,jem’enrendscompte:ilestréel,toutçaestréel.Cejeusordide,Matt,l’Inconnu,lesmensonges,savoix:toutest réel.Le jouroù j’aidécouvert les cadeauxde l’Inconnudansmoncasier, j’ai comprisque tout çan’étaitpasquefictif,maismaintenant,c’estautrechose,deplusévidentetplusfortencore.Toutecette
histoireestréelle.Etelleestmalsaine.Jemerendscomptequejemesuisengagéedansunjeusordideavecquelqu’unquejeneconnaispas.Etmerde,j’aisûrementfaitunegrosseerreurenacceptantdejouer.
Jesuisagitéedetremblementsquejen’arrivepasàcontrôler.Jen’auraispasdû.Jen’auraisjamaisdû jouer à ce jeu. Je n’aurais jamais dû répondre auxmessages de cet Inconnu. Je n’aurais jamais dûprendregoûtànosdiscussions.Jen’auraisjamaisdûfairetoutça.Alors,sansréfléchir,jeraccroche.Jeraccrochesansdireunmotdeplus,sansluilaisserunechancedes’expliquer.
Ma respiration est rapide, presque sifflante. Je dois me calmer. Je dois me calmer. J’ignore
pourquoijefaisunecrisedepaniquesubitement,maisjesuisapeurée.Jesuisglacéeparlapeurparcequetoutçaestréel.Toutçaestréelettoutçaprenddesproportionstropgrandesdansmavie.
Lui:Alyssa?Quelquechosenevapas?Alyssa:J’arrête.Lui:Quoi,tuarrêtes?Alyssa,qu’est-cequ’ilsepasse?Alyssa:J’arrêtetout.Cejeu,lesdiscussionsavectoi,lesrecherches,tout.J’arrête.Lui:Maispourquoi?Jepeuxrépondreàtoutestesquestions,chérie.Laisse-moit’expliquer,jet’enprie.N’arrêtepas.Nemequitte
pas.
Nemequittepas.Commentça«Nemequittepas»?Jesensmoncœurbattreàtoutrompre,faisantvibrermacagethoracique.
Lui:Mattnefaitpaspartiedujeu,jepeuxtelejurer.Je…Jenepeuxpast’expliquerpourquoijeledétestetant.Maistulesaurasunjour.C’estpromis.Lorsquetutrouverasqui jesuis, tucomprendras,detoutefaçon.Tucomprendraspourquoijenepeuxrientedire.Et tucomprendrasaussipourquoijelehais.Alors,s’ilteplaît,Alyssa,soispatiente.Soispatienteetfais-moiconfiance.Continuecejeu.Tuesunedes seules filles avec qui ça se passe bien.C’est vrai, je ne dis pas ça pour te faire plaisir.Tu es différente des autres.À ta place, ellesseraientdéjàaccrochéesaucoudeMatt,quémandantsesbaisers,alorsqu’ilseraitsûrementdéjàentraindecherchersaprochainevictime.Maistoitueslà.Etjeneveuxpasqu’ongâcheçaparcequejenepeuxrientedireausujetdeMatt.Jeneveuxvraimentpasquetuarrêtesdejouer.Jet’expliqueraitoutàlafindujeu.Etjesaisqu’ellearriverabientôt,tuesintelligente.Tutrouverasbientôtquijesuis,maisj’aibesoinquetumefassesconfiancependantcettepériode.Tucroisquetupeuxfaireça?
Ses mots me calment et je recouvre progressivement une respiration régulière. Je ne sais paspourquoi,mais je lecrois.Jecroissesmots.Riennemeprouvequ’ilsoitsincèremais j’aienvied’ycroire.Parcequemêmesijemerendscomptequetoutçaestréel,etquetoutçapeutprendred’énormesproportions, jemerendsaussicompteque j’aibesoinde luipourvaincre l’enlisementdemavie.Quej’aibesoindeluietdenosdiscussionspourmesentirbien.Alors,apaisée,jemerassoisetluiécrisunnouveaumessage.
Alyssa:Oui,jelepeux.Maisnemefaispasregretter.Tupeuxêtresûrquejemevengeraisinon.
Puis,pour retrouver lecalme, lasérénitéà laquelle ilm’aarrachée, jemerallongedans l’herbe,aveclafermeintentionderedoublerd’attentiondansmesrecherchesdèslafinduweek-end.
J’aientendusafoutuevoix…
–17–
Mamère est finalement venueme chercher pour que j’aille me préparer pour sa fête. Elle m’aobligéeàporterunerobetroplonguepourêtrebelleetd’unecouleurtropternepourm’aller.Maismonespritétaitailleurs,etc’estsûrementpourçaquej’aienfilécetructoutdroitsortidesannéescinquantesansprotester.Jepensais,bienévidemment,àLui.J’aientendusavoix,bordel.Bienqueçan’aitduréquedeuxpetitessecondes,l’échodesavoixgraveetchauderésonnedansmatêtecontinuellement.Jenem’yattendaistellementpas.Çam’atotalementchamboulée,cetappel,etjecroisqu’ilestinutilededirepourquoi.Jecroyaisréellementquesiunjourj’avaisl’occasiond’entendresavoix,çaseraitparcequej’auraisprisl’initiativedel’appelermoi-même.Maiscegarçonestdéfinitivementuneénigme.Enplusd’être intelligent, sportif et incroyablement intéressant, il est la personne la plus surprenante que j’aiejamaisrencontrée.Jecroisquec’estçaquej’aimelepluschezlui:lefaitqu’ilsoitimprévisible.
Jegagnelerez-de-chausséeaprèsavoirpasséunbonquartd’heureenferméedanslasalledebains
àtressermeslongscheveuxbruns.Jemesuisappliquée,etlerésultatyest.J’aiunebelletresseépidebléquitombesurmonépaulegaucheetdescendsousmapoitrine.Jesuissûrequecelaplairaàmamère.Elle aime que je sois toujours pimpante, coiffée et habillée à la perfection devant ses invités.Certainementparcequ’elletrouvequeçafaitbiend’avoiruneadolescentedesérietéléenguisedefille.Enfin,ensurface,parcequ’ilnefautpasoublierqu’ilyaquelquessemaineselleaeulechocdesavieentrouvantunvieuxmégotdansundespotsdefleursdemonbalcon.Maismêmesidepuisellemebatfroidetreniflemesvêtements,ellesegarderabiend’enparlerànoschersvoisins.
Je me poste devant le miroir de l’entrée et je me regarde de haut en bas. Voilà ce que je suis
destinée à être : une jeune fille idéale à qui ondonnerait le bonDieu sans confession.Avecma robeblanccasséendentelleetmesballerinesdesainte-nitouche, je reflèteparfaitement la fillemodèlequemesparentsonttoujoursrêvéd’avoir.Maisquepourrais-jeyfaire?Ilsmedemandenttellementpeu,jepeuxbienjouerlacomédieletempsd’unesoiréesicelasuffitàfaireleurbonheur.Alorsjevaisafficher
monsouriresurfaitetsortirlesquelquesphrasessurmonfuturquemonpèrem’adictéesàmonentréeaulycée.«Jesuisenfilièreéconomiqueetsociale,danslebutdedeveniravocate.J’iraifairemesétudesdans une université londonienne, pour développer et enrichir mon anglais et découvrir un autreenvironnement. »Voilà quelques bribes de ce discours de propagande, si je puis dire. Je n’ai jamaisvouludeveniravocate,etjen’aijamaisparticulièrementappréciél’Angleterre.JeveuxresterenFranceetsuivredescoursdelittérature,parcequec’estcequim’atoujoursplu.Maisbon.Mesparentsviventdans un monde doré où tout se joue sur les apparences, et ils pensent sûrement qu’une fille avocatemenant lavied’uneAnglaiseactiveestmieuxqu’uneétudianteen lettresdansuneuniversité françaisedontpersonnen’ajamaisentenduparler.
Jesoupireetpassemesmainssurmalonguerobepourenlisserletissu.Puisjequittelevestibule
pourrejoindrelacuisineoùmesparentsfinalisentladécorationdesmetsqueletraiteuralivrésdanslajournée.Lesalonest transformé.Lesmeubleshabituelsontdisparupourlaisserplaceàdeschaisesaurevêtementblancdisposéesicietlà,etàunegrandetabled’aumoinstroismètresdelong,placéedevantla cheminée de style haussmannien. Des fleurs sont accrochées au plafond pour souligner le côtéprintanier de la fête, et des couronnesde roses reposent sur les siègesde chaque invité.Ceque c’estgnangnan!C’estlegenredecouronnesfloralesquipeuventplaireauxgaminesdehuitans.Jesecouelatêteenarrivantdans lacuisine, affligéepar cecôtémagazinededécoqu’aprisnotre salon.Mamèrerelèvelatêtedeson«atelier»dressagedesamuse-gueulesdansunplatargenté,pourpasserenrevuesaplusbelleœuvre,safille.Elles’armedu torchonposéàsadroiteets’essuierapidement lesmainsens’avançantversmoi.
–Tuessublime,Alyssa!Cetterobetevaàravir.–Merci,maman.Ellerepose le torchonsur leplande travail leplusprocheet tire légèrementsur lesbrinsdema
tressepourluidonnerunpeudevolume.Elleserecule,admirelerésultatdesatouchefinaleetsourit,satisfaitedesontravail.
–Voilà,tuesparfaite.Qu’enpenses-tu,Robert?Monpèrese tourneversmoi,délaissantàsontoursa tâchepourmeregarder.Ilsouritet lèveun
pouceapprobateurpuisseremetautravail.Bon,voilà.Jeleurplais,c’estdéjàça.Jepasseàcôtédemamèrepourexaminersurlesplansde
travaillavariétédeplatsqu’elleaprévus.Desverrinesentoutgenre,desamuse-gueulesdetouteslesformesetdessaucesde toutes lescouleursagrémentent laplusbellevaisselledemesparents. Ils ontsortilegrandjeu,ondirait…Toutestbeau,fraisetprintanier.Ilfautdirequelerepasestincroyable.Jesaisquemamères’estdonnéecorpsetâmedepuisdeuxmoispourrendrecettepetitefêteinoubliable.Etsijen’étaispasintimementconvaincuequecerassemblementduvoisinageneservaitqu’àexposernosacquis,jepourraistrouverletravaildemamèreremarquable.Maiscen’estpaslecas,hélas,cartoutcequemesparentsfont,c’estpouruneraison.Ici,exposercequenouspossédons.
Aprèsavoirpasséenrevuetouslesplateaux,jemeretournefinalementversmamère:–Lesvoisinsarriventàquelleheure?– Nous les avons invités pour dix-neuf heures trente. Ils ne devraient plus tarder, maintenant,
répond-elle.
Jelèvelesyeuxverslapenduleaccrochéeenfacedemoi.L’horairefixéestdéjàdépassédecinq
minutes.Oui,ilsnedevraientvraimentplustarderàarriveretl’enfervacommencer.Jevaispassertroisouquatreheuresàfairesemblantd’êtrequelqu’unquejenesuispaspourprouveràtoutlevoisinagequemesparentsviventdansunmondecomparableauparadis.Quoidemieux?Quelleironiequandonpensequejenevoisquasimentjamaismesparents,etquejesuislecontrairedelafillequejesuiscenséeêtre.Etaprèsonparledefamilleidéale?Ouais,non,jenesuispassûred’êtreconvaincue.
Lasonnetteretentitpour lapremièrefoisde lasoiréeet,dès lors, tout lequartierdéferledans lamaison.Chaquefoisqu’unnouveaufoyerfranchitlaporte,jemesensunpeumoinsàmaplace.Jedétesteça.Cesfauxsourires,cesfaussesaccolades,cesfaux«Commentallez-vous?»alorsquelapersonneayantposélaquestionsefoutcomplètementdelaréponse.Jedétesteça,etc’est lemondedanslequelviventmesparents.Tristevie…
Jesuispersuadéequejevaispasserlapiresoiréedemavie…jusqu’àcequelafamilleVermeilleentredanslamaison.JerestebouchebéelorsquejevoisdébarquerLouis,monamid’enfanceavecquij’ai fait les quatre cents coups, un grand sourire aux lèvres. Je me jette dans ses bras, comme pourm’assurerdesaprésence.Àmonentréeenseconde,lafamilleVermeilleavaitdûdéménagerauxÉtats-UnispourletravaildupèredeLouis.J’ignoraisqu’ilsétaientderetour.Etjen’arrivepasàréaliserquejenesuispasdansunrêve,mêmealorsqueLouisencerclematailledesesbrasprotecteurs.
–Surprise,Lyssa,susurre-t-ilaucreuxdemonoreille.–Jet’aidéjàditdeneplusm’appelercommeça,Lou,dis-jeenleserrantunpeuplusfort.– Comme je t’ai dit de ne plusm’appeler « Lou ». Je crois qu’on est tous les deux incapables
d’arrêterdefaireça,glousse-t-ilavantdedesserrersonétreinte.
Jesourisdeplusbelleparcequejesaisqu’ilaraison.C’estcommeça,etçaleseratoujours.Jeme
reculefinalementpourleregarder.Ilestencoreplusradieuxquedansmonsouvenir.Ilalaissépousserses cheveux, ses joues sont légèrement plus creuses et son regard est plus assuré, comme avided’aventures.Ilsembleplussageaussi,commesisonexild’unanetdemil’avaitaidéàmûrir.C’estunhomme,unvrai,maintenant.Etjeletrouveresplendissant.
–Waouh…Moiquipensaispasserunesoiréedemerde…Ilsecouevigoureusementlatêteensignededénégation,unsouriretaquinauxlèvres.
***
Lerepasn’enfinitplusetLouisetmoisommesàbout.Nousn’enpouvonsplusdesdiscussionsdesparentsetdesvoisins.Çafaitbienunedemi-heurequ’ilsserépandentsurl’Étatquileurvole tout leurargentaveclesimpôts.Oui,poureux,l’Étatlesvole.Maismoi,cequejemedis,c’estques’ilspaientbeaucoupd’impôts,c’estqu’ilsgagnentbienleurvie.Maisça,ilsn’ontpasl’airdelevoir,etpréfèrentseplaindrealorsqu’ilsdisposentdebienplusqueleminimumsyndicalpourêtreheureux.Louisal’airtoutaussiexcédéquemoi.Lecoudesurlatableauméprisdetouteslesconvenancesparentales,latêtedanssamain,ilmefixeensoupirantpourmesignifiersonexaspération.Jeluirépondsd’unhaussementd’épaulescommepourdire«Qu’est-cetuveux?Ilsonttoujoursétécommeça…»
Jen’aiqu’uneenvie:qu’ons’éclipseetqu’onrattrapeletempsperdu.Jeveuxtoutsavoirdesavieaux États-Unis, tout, dans les moindres détails. Ce qu’il y a découvert, et ce qu’il a prévu de fairemaintenantqu’ilasondiplômeenpoche.Enfait,jeveuxjusteparleravecluidesheuresdurant.
Mamèreselèvepourdébarrasserlesassiettesdanslesquellesnousvenonsdemangerletroisième
hors-d’œuvre.Heureusementqu’iln’yapasdeplatderésistance.C’estàpeinesi j’airéussiàfinirlasaladegrecquequ’ellenousaservieilyaunedemi-heure,alorsuneviandeetdesféculents,çan’auraitvraimentpasétépossible.Mamèreannonceavecentrainleprochainplat:uncakeauxcarottes.Pouah…J’aitoujoursdétestécetruc,horsdequestionquejeresteàtablependantquelesadultesdégustentcettehorreur.J’aidépassémonseuildetolérance.JejetteunregardàLouisetluichuchoteun«jereviens»avantdeme leverpoursuivremamèredans lacuisine.Elledépose lapiled’assiettesdans lebacdel’évieretprendconsciencedemaprésence.Ellehausselessourcils,l’airétonné.
–Alyssa?Qu’est-cequetuveux,machérie?–Je…Hum…Jemedemandaiss’ilétaitpossiblequejepasseunpeudetempsavecLouisseule,
pourqu’onpuisseseracontertoutcequ’ils’estpassédepuissondéménagement.Jeveuxdire…horsdetable.
Mamèremeregardeuninstantsansriendire,commepouranalyserlasituation.Elleestsûremententraindesedemandersicelaneparaîtrapastropimpolidelaissersafilleetsonmeilleuramid’enfancequitterlatableenpleinmilieuderepas.(Çan’estsûrementpastrèspolid’ailleurs,maisjen’arrivepasàm’ensoucier.)Jesoutienssonregard,persuadéequ’ellenevapascéderetvamerenvoyerm’asseoiràmaplace.Alors,jelasupplie.
–S’il teplaît,maman, ça fait des lustresque jene l’ai pasvu.On revientpour ledessert, c’estpromis.
Elleattrape leplatducakeauxcarotteset se tourneànouveauversmoi.Ellepousseunprofond
soupir,etjesaisquej’aigagné.– D’accord, capitule-t-elle. Mais je veux que, quand on vous appellera, vous descendiez
immédiatement.Jenepeuxm’empêcherdesourireenplaquantunbaiseraffectueuxsurlajouedemamère.Mission
accomplie. Je retourne dans le salon et me poste devant ma chaise. Louis lève ses yeux d’un bleu
hypnotiqueversmoiethausseunsourcilinterrogateurenvoyantmonairréjoui.–Onpeutsortirdetable.J’airéussiàconvaincremamère.Lebeaubrunfermeuninstantlesyeux,souffleun«merci,monDieu»inaudiblepourlerestedes
convivesetselève.Jerisdevantsaréactionàpeineexagérée.Jeleregardecontournerlatablepourmerejoindre dans l’indifférence générale. Peut-être qu’on aurait pu partir depuis le début du repas, toutcomptefait.Personnen’auraitrienremarqué.
JeposelamainsurlapoignéedelaportedemachambreetmeretourneversLouis,souriante.Ilme
rendmonsourireetmefaitunsignedetête,l’airdedire«Bahalors,qu’est-cequet’attendspourouvrir?»Maisjeresteuninstantàleconsidérersansesquisserungeste,meremémoranttouteslesaprès-midique nous avons passées ensemble, dans cette fameuse chambre. Tous les fous rires que nous avonspartagés, toutes les histoiresquenousnous sommes racontées, tous les secrets quenousnous sommesconfiés. Jeme rappelle absolument tout et çame fait du bien. Çame fait du bien parce que tous lessouvenirsquej’avaisdugarçonquisetientenfacedemoisesontenvoléslorsqu’ilestpartiauxÉtats-Unis. Ils se sont effacés et j’ai eu l’impressionqu’onm’arrachait quelque chose, qu’onmevolait unepartiedemoi.Aucunréseausocialn’ypouvaitrien.Etlàtoutrevient.MaintenantqueLouisestenfacedemoi,tousmessouvenirsresurgissentetj’ail’impressionderevivre.J’ail’impressionqu’onmerendleboutdemoiqu’onm’avaitvoléilyadecelaunanetdemi.
–Machambreabeaucoupchangé,jelâchesoudainsanslequitterdesyeux.Etonéclatederire.Parcequeçaatoujoursétécommeçaentrenous.Légeretsansprisedetête.On
ritpourtoutetrienetonprendlaviecommeellevient.Ilestmonpendantmasculin,etréciproquement.Ilestlefrèrequejen’aijamaiseu,laseulepersonnequicompteréellementàmesyeux.
–T’asditadieuàtatapisseriepleinedepapillonsetdefleursroses?Jesuisfierdetoi,Lyssa.Jeluiassèneuncoupdansl’épaule.Ils’esttoujoursmoquédemonpapierpeintdepetitefille.Mais
quandj’étaisplusjeune,jenepouvaismerésigneràleremplacerparquelquechosedeplus«adolescent».Jemesentaisbiendansmachambreroseetviolette.
J’ouvre finalement ma porte et laisse Louis pénétrer dansmon refuge. Il zyeute ma chambre, lesourireauxlèvres,etsejettesurmonlitcommelorsquenousétionspetits.J’aidûluirépéterunebonnecentainedefoisdenepasfaireça,maisiln’enfaittoujoursqu’àsatête.
–JevoisquelesÉtats-Unisnet’ontpasaidéàmûrir,lancé-jeenm’asseyantàsescôtés.–Bien sûrque si,Lyssa.Mais te faire chier est tellement jouissif que jemedoisdemettremon
intellectdecôtéletempsdet’embêter.–L’intellectn’arienàvoiraveclamaturité,Lou.–Tuasprobablementraison…–Çafaitlongtempsquenousnenoussommespasparlé.–Unmois?J’étaistrèsoccupé,désolédenepast’avoirappelée.–Çan’apasd’importancemaintenantquetueslà.
Jetournelatêteversluietluiadresseunpetitsourire.Sansprévenir,jetendslamainverssajouepourtouchersabarbenaissante.Ilsereculepresqueimmédiatement,secouchantsurlelit,unbrastenduversmoipourm’empêcherdem’approcher.
–Qu’est-cequetufais,Alyssa?–Jevoulaissavoirsic’étaitdelavraiebarbe.Finalement,tun’espasrestéimberbe.–Heureusement!Jen’ai jamaiseuautantdesuccèsquemaintenant.Et jesuissûrequemapetite
barbeplaîtauxAméricaines.–Tucrois?Peut-êtrequ’ellescraquentjustepourtonFrenchaccent!–C’estpossible.C’estvraiqu’ellesm’enontsouventparlé.–Donctuesdevenuuntombeur,sijecomprendsbien?–Peut-être,maisjem’enfous…Jesuisavecquelqu’un.
Jem’arrête net en entendant cette phrase. Il a quelqu’un ? Jeme souviens de l’époque où il se
plaignaitden’avoiraucunsuccèsauprèsdesfilles.Ilrépétaitsanscessequ’ilneseraitjamaisencoupleetqu’aucunefemmenetomberaitjamaisamoureusedelui.
–Vraiment?–Faispascettetête,Aly.Tusaistrèsbienquenousdeux,c’estimpossible,blague-t-il.–T’escon.Ilfaitlamoueetj’éclatederireenvenantm’allongersurleventreàcôtédelui.Ilesttranquillement
installé,unbrasrepliésoussatête,etregardeleplafondblancdemachambre,l’airpensif.–Bah,vas-y,donne-moidesdétails,dis-jeenlepoussantàcontinuer.–Elles’appelleAlice.Jel’airencontréeilyaunpeuplusd’unanàBerkeley.–Elleestcomment?–Elleestparfaite,souffle-t-ilalorsqu’unsourireserépandsursonvisage.Jelèvelesyeuxauciel.Cequ’ilditesttellementfleurbleue,çaneluiressemblepas.Ilal’airde
planerlorsqu’ilparled’elle,c’estdingue.Ondiraitpresquequeriennepeutl’atteindre,qu’ilsefoutdetout,dumomentqu’ill’a,elle.
–Maisencore…?– Elle est drôle, on s’amuse toujours avec elle, commence-t-il. Mais elle sait aussi se montrer
sérieuse quand il le faut, et c’est une des choses que j’aime le plus chez elle. Aussi, elle est trèsattentionnéeettoujourslàpourmoi.
–Waouh.Elleal’airgéniale.Jesuisheureusepourtoi,Lou.–Ouais…Jecroisquejesuisvraimentamoureux.C’estpourçaquejereparspourSanFrancisco
dèslemoisprochain.–Dèslemoisprochain?Tunerestespasplus?Ilsecouelatêteettournelesyeuxversmoi.Onsefixedelonguessecondesetilreplaceunemèche
demescheveuxderrièremonoreille.Etc’estlàquejeleremarque.Quejeremarquecetairépanouisursonvisage.Etjesuispresqueétonnéedenepasm’enêtreaperçueplustôt.
–Tusais,quandtuesamoureuxdequelqu’un,tutefousdel’endroitdumondedanslequeltues.Laseulechosequit’importe,c’estd’êtreavecl’autre.Jevaissûrementallerm’installerlà-bas.
–Définitivement?–Oui,définitivement.–C’estvraimentsérieuxalors?–Jecrois,oui.Dumoins,çal’estpourmoi.Jel’aimevraiment.–Jesuisheureusepourtoi,alors.–Moiaussi,jesuisheureux.Ettoi,Lyssa,t’asquelqu’un?Jetournelatête,mesoustrayantainsiàsonregard,etsoupire.Quedire?Jenesuispasréellement
avecquelqu’unmaisj’aiquandmêmeunerelationavecLui.Elleabeauêtreétrangeet«virtuelle»,ilyaquelquechoseentrenous.J’ensuissûre.
–Pasvraiment,non.–Commentça«pasvraiment»?–Ehbien…Onvadirequejem’entendsbienavecquelqu’undemonlycée.Onsecherche,onse
dragueunpeuetonparlependantdesheuresparmessages.Maisiln’yariend’officiel.C’estplusunerelationamicaleavecdeladrague,pourl’instant.
–Jevois…ÇaacommencécommeçaentreAliceetmoi.Onsecherchaitaudébut,c’étaitmêmesurletondelarigolade.Etpuis…Jenesaiscommentonafinipars’embrasseràunesoirée,etdepuisonnes’estplusquittés.
–Ouais,maismoi,c’estdifférent…
Jemeredresse,m’assiedsentailleur,etfermelesyeuxpourmedonnerducourage.J’aibesoinde
luiparlerde l’Inconnu.Du jeudans lequel jemesuisembarquéedepuismi-février. J’aibesoindemeconfier.Parceque,avecLouis,onsedittout,etjen’aivraimentpasenviedeluicacherça.Ilserelèveàsontour,s’asseyantàmescôtés,unregardinquietbraquésurmonvisage.
–Qu’est-cequiestdifférent?–Tupeuxgarderunsecret?Jelefixeattentivementpouranalysersaréaction.Ilestvisiblementdéçu.–Biensûrqueoui,Alyssa.Pourquitumeprends?– Je sais que tu peux garder un secret mais… Cette fois il faut vraiment que tu n’en parles à
personne,sousaucunprétexte.–Qu’est-cequet’as?Tucommencesàmefaireflipper.T’esenceinte,c’estça?Ilverraitsatête!–Quoi?Non!Çan’arienàvoiravecça.Promets-moidenepasmejuger.–Jenetejugeraijamais,Lyssa.C’estvraimentpasmontruc,tulesais.–Ehbien…Ilsepourraitqu’enfévrierj’aiecommencéàparleràquelqu’unquejeneconnaispas,
parSMS.Etc’estdecettepersonnedontjeteparlais.
Jemelèvedulitetgagnelafenêtre.JesensleregardazurdeLouisdardersurmondos.Jecroisqu’ilestencolère.Ilm’atoujoursditdenejamaisparleràquelqu’unquejeneconnaispas.Detoujoursmemontrerprudenteàcesujet.
–Tutepaiesmatête,pasvrai?Savoixrésonnegravement,etmoncœurseserre.Jemurmure:–C’estquelqu’undebien.C’estlaseulechosequej’arriveàdire.Parcequec’estvrai,l’Inconnuestquelqu’undebien.Jene
le perçois en aucun cas comme une menace. Louis me rejoint près de la fenêtre et pose une mainréconfortantesurmonépaule.
–Tuesvraimentinconsciente,Alyssa.Tuneconnaisriendecetype.–Jeluifaisconfiance.Iln’estpasnuisible,j’ensuissûre.–Tunepeuxpasfaireconfianceàquelqu’unquetuneconnaispas.Commenta-t-ileutonnuméro?–Un ami le lui a donné, et comme on est dans lemême lycée, j’imagine que ça n’a pas été si
difficilepourluideseleprocurer.–Mais,Lyssa…Pourquoias-tucommencéàparleraveclui?–Jemesentaisseuledepuistondépart,mavieétaitdevenued’unennuimortel…J’avaisenviede
changementet…ilm’aproposédejoueràunjeu.L’idéem’aplu.J’avouequejen’aipasréfléchisurlecoup,maispourmoi,dumomentquecelapermettaitd’innoverunpeu,çamesuffisait.
Endisantçaàvoixhaute,jemerendscomptequecequej’aifaitestdelapurefolie.–Quelgenredejeu?demandeprudemmentLouis.–Ilfautquejedécouvresonidentité…–Ettuasaccepté?T’esvraimenttarée,Alyssa.Jemeretourneversluietluilanceunregardnoir.–T’avaispromisdenepasmejuger.–Jesuisdésolé,maisc’estvraimentinconscientdejoueràuntrucpareil.–Jem’enfousdecequetudis…Jeprendstesremarquesencompte,maisçanemeferapasarrêter.–Jem’endoute,mais…resteprudente,Alyssa.–Toujours,Lou.Toujours.Tumeconnais…
–18–
Aujourd’hui, j’ai décidé que c’était le vrai premier jour. Le vrai premier jour du jeu. Le vraipremierjourdesrecherches.Toutcequ’ils’estpasséavantaujourd’huin’étaitqu’unpréambule,qu’unéchauffement sans importance. Tout ce qu’il s’est passé avant était futile, mais plus maintenant.Maintenant,jejouevraiment.Jecommencelesrecherchespourtrouverquiilest.Parcequemaintenantj’ai réalisé que ce jeu avec cet Inconnu est concret.Qu’il est concret et qu’il faut que je parvienne àdécouvrirsonidentité.
J’aicomprisçalorsquej’aientendusavoixautéléphone.Ilyaunevéritableraisonpourqu’ilfassetoutça.Pourquecejeuexiste.J’ensuisintimementconvaincue.Etjeveuxdécouvrircequec’est.Plusencorequededécouvrirqui secachederrièreceLui.Jecommencevraiment les recherches.Tous lesmoyenssontbonspourdécouvrirlefinmotdecettehistoire.
Je joue avec la nourriture dans mon assiette, perdue dans mes pensées. Je n’ai pas faim. J’ai
l’estomac noué depuis samedi soir. Depuis que je l’ai eu au téléphone, plus exactement. Je me senstellementétrangequej’enaiperdul’appétit.Ilhantecontinuellementmespensées,etçacommenceàmenuire. Déjà quemes notes déclinent à vue d’œil depuis qu’il a pris contact avecmoi, si j’arrête dem’alimenter,çanevapasêtrepossible.
J’aimeraissavoircommentilarriveàinfluencermonquotidiensansmêmeenfairevraimentpartie.Toutçaenmoinsdedeuxmois.Commentilafaitpourmechangerradicalementalorsquej’ignoretoutdelui.Jusqu’àsonputaindeprénom.
–Alyssa?LavoixvoluptueusedeGabriella,unedemesamies,mesortdemespensées.–Tutedépêchesdefinirtonplat,s’ilteplaît?Onaimeraitallerréviserlecontrôled’histoireavec
Holly.
Jerelèvelatête,lâchantmafourchettesurleborddemonassietteblanche.Unepaired’irisbleu-gris est braquée sur moi. Le regard intensément maquillé de Gabriella, la belle brune du lycée, mequestionne.Elle,ellenefaitpaspartiedesamiesquej’aichoisies.L’annéepassée,Hollym’aimposécettereinedebeautéquisertdedivaaulycée.J’étaisréticenteaudépart,etjerefusaisdeparleràcettebombe,quejejugeaisforcémenttropsuperficiellepourêtreintéressante.Maismesaprioriétaientfauxet, finalement, je la supporte. Elle ne fait pas partie de ces beautés écervelées qui ne pensent qu’àressembler àRihannaet qui hurlent à lamort lorsqu’elles ont lemalheur de se casser un ongle.Non,Gabriellaestplutôtagréable,mêmesijenel’inviteraispasàpasserunesoiréeentêteàtêtechezmoi.Disonsplutôtquejemesuishabituéeàsaprésence.
–Alors,reprendGabriella.Tutedépêches?–Hum…Non,c’estbon.J’aiterminé.–Quoi?Maistun’asrienmangé,Aly!s’insurgeHolly.Jeluidécocheunregardassassin.Ellevapassemettreàjoueràlamamanpoule,quandmême?
J’aidéjàassezdel’Inconnuquimesermonnelorsquejeboisplusdetroisshotsd’alcool,alorsjen’aivraimentpasenvied’enavoiruneautresurledos.
–J’aijustepasfaim,Holly.J’étaisbarbouilléehiersoir,çadoitavoirunlien.Elles’enfoncedanssachaise,secollantaudossier,etcroiselesbrassoussapoitrine,visiblement
peuconvaincueparmonmensonge.–Turacontesdescraques.Jesoupirelonguement.Neva-t-ellepasmelâcher?–C’estbon,j’tedis.Allezréviser,onsevoitaprès.–Commentça«onsevoitaprès»?demandeGabriella.Tunevienspasréviseravecnous?Je fais signequenon. J’aiautrechoseà fairequede révisercecontrôled’histoireoù jevaisde
toutemanièremeplanter.Cen’estpasaveclesquelquesbribesdecoursquej’aientenduescesdernièressemaines que je pourrai réussir. Alors autant utiliser ce temps à autre chose. Comme, par exemple,continuermesrecherchessurl’Inconnu.
–Non,j’airéviséàfondceweek-end.Jesuisaupoint.–Tuessûre?–Oui,net’enfaispas.–Mais,tuvasfairequoipendantcetemps?s’enquiertHolly,quinelâchepasl’affairecommeça.–Jenesaispasvraiment…Jevaissûrementallervoir leprofdemaths. Jen’ai riencomprisau
coursdecematin,etj’aimeraisqu’ilmeréexpliquedeux,troispetiteschoses.–Genretuvasdemanderdel’aidepourlesmaths?ironiseGabriella.Tuasdesvuessurleprof,
c’estçaquetuveuxdire?
J’auraitoutentendu.Gabriellaquipensequejeveuxmefairemonprofesseurdemathématiques?
La blague. Il a beau être jeune et séduisant avec son look faussement négligé, l’idée ne m’a jamais
traversé l’esprit. Je veux dire… Non. C’est mon professeur. Et j’ai déjà bien assez à gérer entrel’InconnusuperjalouxetMattquimecolleauxbasques.
–Non,çan’arienàvoir!–T’esunepetitecachottière,Aly,continuelabrune,sonsourires’agrandissantdeplusenplus.Tu
auraispunousdirequetuletrouvaisàtongoût.–Non…Maisqu’est-cequeturacontes?Jeteprometsquec’estfaux!–Elleditlavérité,Gaby,trancheHolly.Jelesaisparcequ’elleadéjàquelqu’und’autreenvue.Monvisagesedécompose.Jesavaisquejen’auraispasdûdireçaàHolly.Jesuiscertainequ’elle
se venge parce que j’ai ignoré sesmessages inquisiteurs pour savoir ce qu’il s’était passé avecMattpendanttoutleweek-end.Etqu’aurais-jebienpuluidire?Quenousavonsparléd’ungarçonquejeneconnaispasmaisquejedécriscommeétantunami?Non,trèsmauvaiseidée.
GabrielladévisagelonguementHolly,puisrevientversmoi,pourfinalementreportersonattention
surlablonde.Elleestsidérée.–Attends…Çaveutdirequ’ilsepasseuntrucentreAlyetungars?–Ouais,c’estexactementça.C’estunterminale,àcequ’ilparaît,raconteHolly.Jebousintérieurement.–Sérieusement?Ellenem’ariendit!– Elle ne m’aurait rien dit à moi non plus si je ne lui avais pas forcé la main, soupire Holly,
méprisante.–Ils’appellecomment?questionneGabriella,pluscurieusequejamais.–J’ensaisrien,maisil…–HEY!crié-jepourqu’ellesm’entendentaumilieudubrouhahadelacafétéria.Elles tournent toutes deux les yeux vers moi, comme si elles venaient de se souvenir de ma
présence.–Findeladiscussion,m’emporté-je.Jeneveuxpasenparler,OK?Çaneregardequemoi.Jene
doisrienàpersonne.Sij’aienviedegarderdeschosespourmoi,jelefais,etc’esttout.–Onesttesamies,Aly.Etondittoutàsesamis,répondGabriella.–C’estpascommeçaquejefonctionne,moi.Lesdeuxfillesseregardentlonguement,etcequejelisdansleursyeuxestloind’êtrebienveillantà
monégard.C’estsuffisammentclairpourquejemelève,récupèremonplateau,monsac,etlesplantelà.–Sivousnepouvezpascomprendrequejeveuillegardercertaineschosespourmoi,jem’envais.
Bonnesrévisions,onsevoitencours.
Jemedirigeverslesporte-plateauxsales,ydéposelemienetquittelacantined’unairdigne.Elles
m’ontmiseenrogne,cesdeux-là.Àparlerdemaviesentimentalesousmesyeux,sansprendrelapeinedem’incluredanslaconversation…Rhaa!Etpuismerde,çanelesregardepas!Jeneleurdoisrien.Je
faiscequejeveux,etsij’aienviedeleurcacherdeschoses,jelefais,etc’esttout.Quisont-ellespourmedonnerdesleçonsdemorale,sérieusement?
Jetraverserapidementlescouloirsdésertsdel’école.Tousleslycéenssontsoitdehorsàprofiterdu soleil printanier, soit à la cafétéria en train de bouffer les légumes à l’eau dégueulasses. Voilàpourquoilescouloirssontdéserts.Etj’avouequec’estunpeuétrange,tanthabituellementilssontplusbondésqu’unmétroauxheuresdepointe.J’enprofitepourmettremonplanàexécution.
Sijenesuispasalléeréviseraveclesfilles,c’estparcequejeveuxmerendreaugymnasepour
consulterlalistedesnageursdeterminale.Avantaujourd’hui,jen’avaispasvraimentenviedechercher.Jen’avaispasvraimentprisgoûtàlapartie«recherche»decejeu,jevoulaisjustelefairedurer.Maisjesensquemaintenantc’estlebonmoment.
Jesuisenpanique.Toutestsicalme,j’ail’impressiond’êtreentréeicipareffraction.Lesilenceestassourdissant autour de moi, alors que dans mon crâne tout résonne, tout se bouscule, s’emballe. Jedéteste cette sensation. J’ai l’impression d’être au bord d’un précipice et qu’un simple coup de ventsuffiraitàmefairetomber.Ducôtéducomplexesportif,c’estlemêmeinsoutenablecalmeplat.Fébrile,j’arrivedevantlaportedesvestiairesdelapiscine.Simessouvenirsd’ex-membredel’équipefémininedevolleysontbons,leslistesdesdifférenteséquipesysontaccrochées.Lesystèmen’apasdûchangerdepuisl’annéedernière.
Lesvestiairessontréservésauxsportifs,jelesais.Toutlemondelesait,d’ailleurs.Maisjedoisrentrer.C’est l’affairededeuxpetitesminutes, de toutemanière. Juste le tempsdeprendre la liste enphoto et je sors.Personnene le saura, tout sepasserabien.De toute façon, il est trop tardpour fairemarchearrière.
J’ouvre la porte d’une main tremblante. Le néon blafard s’allume en clignotant, révélant deschaussuresetdessacsabandonnéssurlesbancsdevant lescasiers. Iln’yapersonnemaisvisiblementuneéquipes’entraîne.Putain,ilfautquejefassevite.Jesuisàdeuxdoigtsdel’attaque.Leslistessontbienlà.Cellequim’intéresseestlaplusfournie.Ilyavingt-sixnoms,parmilesquels,forcément,figureceluidemonInconnu.Jerestescotchéedevantlaliste,sanspouvoirassimilerlesnomssousmesyeux.Moncerveauaclairementbuggé.Commesidescâblesavaientétédébranchés,coupantlaconnexionaveclerestedemoncorps.
Laporte s’ouvrebrusquement, avecpour effet deme sortir direct demacatalepsie.Pireque ça,
l’arrivéeinopinéed’unintrusmefaitsursauter,moncœurestsurlepointdesortirdemapoitrine.Jemeretourne et je vois Matt entrer dans les vestiaires. Putain de merde, c’est moi où le destin semblevouloirabsolumentnousréunir?
Ilestenmaillotdebain,uneserviettedanslesmains,dégoulinantd’eau.Ilmedévisageuninstantetfroncelessourcils.
–Aly?
Savoixcoupel’airetvientmepercuterdepleinfouet.Faitesqueçasoituneblague,faitesqueçasoit une putain de blague ! De toutes les personnes qui auraient pu arriver à l’improviste dans cesvestiaires,ilafalluqueçasoitMatt!
–Aly,qu’est-cequetufaislà?reprend-ilenfaisantunpasversmoi.Comme un animal traqué, je me dirige à reculons vers la sortie, sans prendre le temps de lui
répondre.Jelefuis,unefoisdeplus,parcequej’aipromis.J’aipromisdeneplusluiadresserlaparole.Quand j’ypense, c’est totalement absurde.Mais çane suffit pas àm’arrêter et je continue àbattre enretraite pour lui échapper. Sauf que Matt n’est pas de cet avis, il retient fermement la porte pourm’empêcherdepartir.Pasmoyende l’éviter, il faitmaintenantbarrage.C’étaitunemauvaise idéedevenirici,uneputaindemauvaiseidée.
–Laisse-moisortir.J’aitentélecoupmêmesijesaispertinemmentqu’iln’enferarien.Le grandbrun serre les dents et vient coller son autremain à côté dema tête, achevant ainsi de
m’encercler.–Pasavantquetunemedisescequetufaisici,déclare-t-il.Tuesaucourantquecetendroitest
strictementréservéauxsportifs?–Jesais,oui.–Alorsqu’est-cequetufaislà?Unmensonge,ilm’enfautun,etvite.Qu’est-cequejepourraisinventer?J’humectemeslèvresetje
laissemonregardrencontrerceluideMatt.Sesyeuxémeraudemeclouentàlaporte.Sonregardestsiexpressif,sifroidetenmêmetempssifougueuxquej’enperdsmesmoyens.Toutmedésarmechezlui.Àcommencerparsaproximité.
–Alors?insiste-t-il.Qu’as-tuàdirepourtadéfense?–Je…Hum…Je…techerchais.Unelueurvivacepassedanssesprunelles,puisseslèvress’entrouvrent.Ilmetoiselonguement,et
jemesens incroyablementmalà l’aise. Il est juste là, àquelquescentimètresdemoi, siprèsquenospoitrinessefrôlent.Cetteproximitémetrouble.
–Commentça,tumecherchais?–Jetecherchais.C’esttout.–Pourquoifaire?–Pourdiscuter.Etpourquoipaspasserànouveauunmomentensemble.Unsourireencoinsedessinesurseslèvres.J’ail’impressionquejevaissuffoquers’ilnes’écarte
pastoutdesuitedemoi,maisilreprendlaparole,sansmêmeserendrecomptedemonmalaise.–Situmecherchais,pourquoias-turéagicommeçaquandjesuisentré?Ildétaillemonvisageduregarddemanièresi intensequej’ai l’impressiond’êtremiseànu.J’ai
mêmel’impressionqu’ilarriveàlirecequ’ilsepassedansmatête.Etcettepenséemeglacelesang.–Je…Parceque,commetul’assibiendit,jenesuispascenséeêtredanscesvestiaires.Jevoulais
t’attendre à l’extérieur au départ, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’entrer. J’avais peur que ça soit
quelqu’und’autredel’équipe,tucomprends?–Tusavaisquej’avaisentraînement?demande-t-il,suspicieux,ignorantmaquestion.
Absolumentpas,non.Sij’avaissu,jamaisjeneseraisvenue…–Oui,jemesuisrenseignéesurtoncompte.–Tuauraisputefairegriller,tulesais,Aly?Tun’auraispasdûentrerici.–Jesais.Ildécolle samaindroitede laportepour replacerunemèchedemescheveux. Je frissonneet je
doutequecesoitpasséinaperçu.Maisàquoijoue-t-il?–Alors,tut’esdécidéeànepascroiretonidiotd’amiauZippoquiditdelamerdesurmoi?finit-il
parlancer,acerbe.T’asdécidédemelaisserunechance?–Je…Jeluiaiditquej’arrêteraisdeteparler.Jene saispaspourquoi je lui ai révélé lapromesseque j’ai faiteàmon Inconnu ilyaquelques
jours.Certainementparcequej’enressentaislebesoin.Ouparcequejen’aipasenviederesteràl’écartdeMatt.Peut-êtrequ’ilm’attiretroppourcela.
–Tuluiaspromisdeneplusm’approcher,maistuesici,remarque-t-il.J’opine. Rien ne devait se passer comme ça et je sais que les conséquences seront lourdes. Si
l’InconnuvientàprendreconnaissancedemapetiteentrevueavecMatt,jesuisfinie.Lejeuestfini,etjesaisquejenepourraipasessayerdenégocier,cettefois.
–Tumelaissesunechance,alors?insiste-t-il.Unechancedeteprouverquejesuisceluiquiditlavérité?
–Oui.Il sourit et laisse retomber ses bras le long de son corps athlétique, me libérant de sa cage
improvisée.–Alorsc’estoui,déclare-t-il.–Ouiquoi?–Jesuisd’accordpourqu’onserefasseunepausecigarettecommel’autrefois,Aly.
Matts’écarted’unpasetjepeuxenfinrespirer.Ilsedirigeversunbancetsortunebouteilled’eau
d’undessacs.Ilenavaleunegrossegorgéeets’essuielaboucheaveclereversdelamain,enlevantlesurplusqui s’estdéposéà la commissurede ses lèvres.Puis il range sabouteille et revientversmoi,commesiderienn’était.
–Ilfautquetuyaillesmaintenant,onn’auraitpasl’airconssiquelqu’und’autredébarquaitici,dit-ildansunsourire.
–Oui,jem’envais.–Jet’enverraiuneinvitationsurFacebook,pourqu’onpuissediscuter.Jet’auraisbiendonnémon
numéro,maisjesuisincapabledem’ensouvenir.Jelaisseéchapperunrirenerveuxalorsquemamainchercheàtâtonslapoignéederrièremoi.
–Çameva.J’attendrai,alors.–Cool.Àplustard,Aly.–Ouais.Salut.Je sors des vestiaires de la piscine comme si j’avais le diable aux trousses.Ma respiration est
courteet j’ai l’horrible impressiond’être tirailléede l’intérieur.J’aimerdé.J’aivraimentmerdécettefois.Parceque,nonseulementjen’aipaspuprendrelalisteenphoto,maisenplusj’aiditàMattquejevoulaislerevoiralorsqu’enparallèlej’aipromisàl’Inconnudeneplusluiadresserlaparole.
Maisqu’ai-jeencorefait?
–19–
Lui:Tuvasaubalmasquédulycéelemoisprochain?
J’aireçusonmessageilyadixminutes,maisjen’arrivepasàluirépondre.Carpeuimportecequej’écris, j’ai l’impressionqu’un«menteuse»géantva semettreàclignoter surmon front. Je saisque,mêmesic’était lecas, iln’auraitpasmoyende lesavoir. Jenesaispascommentexpliquerceque jeressens…Jesuismaldepuiscemidietjepsychotecomplètement.J’ail’impressiondel’avoirtrahirienqu’enayantparléàMatt.Lefaitd’avoirproposéàcedernierqu’onserefasseune«pausecigarette»medonnel’impressiond’êtreunetraînée,unefilledéloyale,perfide.Etjemesensmal.Mentirnem’ajamaisposédeproblèmesavant.Jelefaistouslesjours,pourtoutetpourrien,etçanemefaitjamaisrien.Maislà,c’estsacrémentdifférent.Jedétestecettenouvellesensation.Pourtant,c’estdemafautesijeressensça.C’estmoiquiaijouéaveclefeu.C’estmoiquiaidécidéderaconterdescraquesàMatt,c’estmoiquimesuismisedanscettesituation.
Si je ne réponds pas vite, il va comprendre qu’il se passe quelque chose. Parce que je répondstoujoursinstantanémentàsesmessages.Alors,jem’obligeàrédigeruneréponsebrève,enessayantdenerienlaissertransparaîtredemesémotions.
Alyssa:J’iraisiquelqu’unm’invite.OusiHollym’ytraînedeforce,cequiestfortpossible.Ettoi,t’yvas?Lui:Jenesaispas.J’aimeraisbien,maisjemevoismalalleràcebaltoutseul.Alyssa:Invitequelqu’un.C’estlebutdecegenredesoirée,tusais?Lui:Jesais,oui…Alyssa:Alorspourquoineleferais-tupas?
Ilprendunmomentpourrépondre,etjecomprendsqu’ilréfléchitàcequ’ilpourraitdire.Lui-mêmene doit pas savoir pourquoi il n’ose pas inviter quelqu’un et il est sûrement en train de se poser laquestion.
Puis,auboutdequelquesinstants,monportablevibre.
Lui:Parcequelaseulepersonnequej’aimeraisinviter,c’esttoi.
Sesmotss’enfoncentdansmoncœurtelsdespoignardsacérés.Merde,ilestentraindemediredeschosesquetoutefillerêveraitd’entendre,maisjesuisincapabledelesapprécierparcequele«menteuse»géantclignotedansmatêtecommeungyrophare.Jenepeuxpasappréciersesmotstendresparcequejesuistropoccupéeàm’envouloirpourcequej’aifaitcemidietàmedétester.Maispourquoiai-jefaitça,putain?
Jepinceleslèvresetsoupire.J’aitellementenviedeluiavouermapetiteentrevueavecMatt,pourôtercepoidsquipèsesurmesépaules,maisj’aitroppeurqu’ilsebraqueetqu’ilm’éjectedujeupourdebon.Etjenelesupporteraispas.Toutcommejenesupporteraispasdenepasdécouvrirquiilest.Jenesupporteraispasdenepluspouvoirluiparler.Alorsnon,jenepeuxpas.Jenepeuxpasleluidireparce que je ne veux pas prendre le risque de le voir me quitter. Je réponds donc finalement à sonmessage,lesmainstremblantes.
Alyssa:Tuaimeraism’inviter,maistunelepeuxpas,pasvrai?Lui:Exact,Aly.Àcausedujeu.Enfin…Laseulepossibilitépourquenouspuissionsyallerensemble,çaseraitquetutrouvesquije
suisavantlemoisprochain.Alyssa:Çam’étonneraitquej’yparvienne.Lui:Ça n’est pas impossible, chérie. J’aimerais vraiment que tu soisma cavalière ce soir-là, tu sais ? J’aimerais vraiment que tu
parviennesàdécouvrirmonidentité.Alyssa:Unmois,c’estcourt.Tropcourtpourquejetrouve.Lui:Biensûrquenon,chérie.Unmois,cen’estpastropcourt.Tupeuxyarriver.Tupeuxtrouverquijesuis.Écoute…J’aimerais
tellementquelaplusbellefilledulycée(dumoinspourmoi)arriveàlasoiréeàmonbras,vêtuedesalonguerobebleuazurquimettraitenvaleursesyeux.Voilàcequejeveux,Alyssa.Jeleveuxplusquetout.
Jefermelesyeux.Unegrossebouleseformedansmagorge.Commentresterstoïqueenlisantça?Ensachantquecegarçonmedésireàcepoint?C’esttoutsimplementimpossible.Jem’ensuistoujourscontrefoutuedesgarçons,surtout lorsqu’ils’agissaitdeseposeravecl’und’eux,maisdepuisqu’ilestentré dans ma vie, ma vision des choses a changé. Avant, j’avais l’impression qu’être casée avecquelqu’unsigneraitlafindemaliberté,maispaslorsqu’ils’agitdelui.Aveclui,j’ail’impressionquetoutseraitplusfacile,quetoutseraitplusbeau,quetoutseraitplusléger…Etj’aimeraistellementqueleschosesdeviennentplusfaciles,plusbellesetpluslégères.
Alyssa:Waouh.Je…Tesmotsmedéboussolentcomplètement.Lui:Danslebonsensdutermeou…?Alyssa:Oui,biensûr.Tueslepremiergarçonàmediredeschosescommeça…Çamefaitbizarre.Lui:Commentça,le«premier»?Tuinsinuesqu’aucunautregarçonn’aessayédetecharmer?
Alyssa:Non…Onadéjàessayédemecharmer,commetudis,maistoujourstellementlourdement.Engénéral,jeneplaispasauxgarsromantiques.Jesuisplusunaimantàbrutes.
Lui:Oh,jecomprends.Jemedisaisbienqu’ilétaitimpossiblequepersonnenet’aitjamaisdraguée.Alyssa:Tuavouesmedragueralors?Lui:Cen’estpasunsecret.Jetedragueparcequetumeplais,chérie,etjen’essayepasdeledissimuler.Alyssa:Ça,j’avaiscrulecomprendre.T’esplutôtcashcommegars.Lui:Ouais,onmeleditsouvent.Maisnenouséloignonspasdusujetprincipal.Alyssa:OK.Lui:Alors…Tupensespouvoiressayerdedécouvrirquijesuisd’iciladatedubal?Alyssa:T’esvraimententraindem’inviter?Lui:C’estexactementcequejesuisentraindefaire,oui.Enfin,l’invitationseraannuléesitunesaispasquijesuisavantlejourdela
soirée.Maisjet’invitequandmême…Aucasoù.Alyssa:OK.J’accepted’êtretacavalière,danscecas.Avecunpeudechance,jetrouverai.Maisjenepeuxrientegarantir.Lui:Jenedoutepasdetoi,Aly.Quelquechosemeditquetun’espasloindubut.Avecunpeudechancetucomprendrasavantla
datebuttoir…Alyssa:Commentça,«tucomprendras»?Lui:Jeveuxdire,tucomprendraslaraisonpourlaquellejejoue.Parcequesitutrouvescetteraison,tutrouverasautomatiquement
monidentité.Alyssa:Jecroyaisquetujouaispourt’amuser.Lui:C’estlecas,oui.Maisilyauneautreraison,c’estvrai.Uneraisoncachée…
Jefroncelessourcils,intriguée.J’ail’impressionqu’ilm’adonnéunindicedetailledanslestroisderniersmessagesqu’ilvientdem’envoyer.Maistoutesttrouble,etjeneparvienspasàcomprendreoùilveutenvenir.
Lui:Situesmacavalière,jeveuxquetuportesunerobebleue.Delamêmecouleurquetesyeux.Alyssa:Jeverraicequejepeuxfaire…Lui:Merci,chérie.J’aihâted’yêtre.
Je verrouille mon téléphone. Il faut que je retourne chercher cette liste, et que je la consulteattentivement.Àpartirdelà,jepourrairéellementcommencermesrecherches.Àpartirdelà,jen’auraiplus qu’à chercher les dates de naissance des joueurs… Ça va être facile, maintenant. J’en ai laconviction.
Alyssa:Jetrouveraiquituesavantlemoisprochain.Jet’enfaislapromesse.Préparetonsmoking…
–20–
Lui
Jene faisconfianceàpersonne.Jamais.Pasmêmeàmapropremère,pasmêmeàmesmeilleursamis.Non,jamais.Jen’yarrivepas,c’estcommeça.Jenesaispaspourquoi,sûrementparcequej’aipeurd’êtredéçu.Ouais,c’estça.J’aitroppeurquelesgensmedéçoivent,qu’ilsmedégoûtent.Donnersaconfianceàquelqu’unsansréfléchir,c’est faible.Çafait limite lâche.«Ouais, je te faisconfiance,parcequej’aibesoindequelqu’unàquiracontertousmesproblèmes.Etc’estvraiquet’asl’airplutôtfiable.Ça teva?»Non.Jeveuxdire,cen’estpaspossiblede faireça.Etpourtant,c’estcequ’il sepassedeplusenplus.Jen’aiqu’àregardermescoéquipièresdejeu.Ellesonttoujourseuuneconfianceaveugleenmoi.Toutes,sansexception.Maisc’estàsensunique.Ellesontconfianceenmoialorsquejemefouscomplètementd’elles.Mêmesiellessontconvaincuesducontraire.Ellespensentquejelesaichoisieselles,etpasuneautre,parcequ’ellesmeplaisent,maisc’estfaux.Jeleschoisispourunetoutautreraison.Uneraisonbienparticulière,indispensablesijeneveuxpasm’écroulerdedésespoiretêtreécraséparlepoidsdelahaine.
Jen’accordejamaismaconfianceàcesfilles.Detoutemanière,ellesnesontquedepassage.
C’est comme ça que j’ai toujours fonctionné. Je leur fais croire qu’elles sont le centre de mon
univers,alorsque jemecontrefousd’elles.Maispasd’Alyssa.Jen’arrivepasàm’encontrefoutre, jen’arrivepasàmedirequ’ellen’estquedepassage.Qu’elleneseraqu’unjourensoleilléenhiver,qu’unebrisefraîcheenété,qu’undouxparfumdansunevilleauxodeursnauséabondes.Jeneveuxpasqu’ellesoitl’unedeceschosesquel’onaimeaussiviolemmentqu’ellessontéphémères.J’aibeaufairetousleseffortspossiblesetimaginablespourmelasortirdelatête,l’abaisseraumêmeniveauquelesautres,jen’yarrivepas.Elleesttellementintéressante,tellementséduisante,tellement…Toutcequej’aime.
Maisjedétestecettesituation.Jedétestelefaitdel’apprécierautant,jedétestelefaitdem’attacheràelle.Toutestentraindedéraper,jelesais,maismalgréça,jeneparvienspasàmettreuntermeànotrejeu.Jenepeuxpasm’yrésoudre,parcequejesuislittéralementaccroàelle.Plusjeluiparle,etplusjesuisdépendant.Jesaisquedansquelquessemaines,dansquelquesjourspeut-être,ilseratroptard.Troptardpourlafairesortirdemavieunjour,etçameterrorise.Parcequejesuisentraindem’attacheràelleetquesiçasetrouveelleestcommelesautres.Peut-êtrequemonjeuéchoueraavecelleaussi.Peut-êtrequ’ellefiniraparfairecommecellesquil’ontprécédéeetquejeperdraitout.Maismalgrécerisque,jenepeuxpaslavoirsortirdemavie.Jepréfèremecontenterdenotrerelationpartextosplutôtquedenepasl’avoirdutout.
Jemesenstellementconderessentirçapourelle.C’estfoucequejesuisfaible.Aussifaibleque
toutesmescoéquipièresdejeuaufinal.Aussifaiblequetouscesgensquiaccordent leurconfianceaupremier venu.Parceque, oui, je fais confiance àAlyssa. Je nepourrais pas expliquer pourquoi,maisc’est comme ça. Jeme sens tellement bien lorsque nous échangeons desmessages, lorsque je la voissourireavecsesamiesensortantdulycée…Ellealedondemefairemesentirbien,etc’estpourçaquej’ai fini par lui accordermaconfiance. Jeme sens si léger, si serein, si important avec elle que ça adétraquémoncerveau,monplandebase…Tout.Çaatoutdétraqué.Maisjem’enfous,parcequej’aitoujoursvouluéprouverlessentimentsqu’ellemeprocure:delalégèreté,delasérénitéetêtreimportantpourquelqu’un.
Lui:Commentvas-tuaujourd’hui,chérie?Alyssa:Jevaisbien,merci.Ettoi?Lui:Bof.Onvadirequej’aiconnumieux.Alyssa:Qu’est-cequ’ilsepasse,Babe?Lui:Jesaispas…J’ail’impressionquetumefaischanger,Aly.Alyssa:Dansquelsensduterme?Lui:Danslemauvais.Définitivementdanslemauvaissensduterme.Tumerendsfaible,Alyssa.Aussifaiblequetouslesautres.Alyssa:Commentça,jeterends«faible»?Lui:Ehbien…Jenesaispas.J’aijustel’horribleimpressiondedevenirfaibleenm’attachantàtoi.Jesuiscommeunconlorsqueje
teparle,jelesais.Jesourislorsquejepenseàtoi,etputain,j’aimeraistellementquetusoisàmoi.Quejepuisseteprendredansmesbras.Quejepuisset’embrasserettedireàquelpointtuaschangémavie.
Alyssa:T’esentraindetefoutredemoi,pasvrai?Lui:Pasdutout.Alyssa:Biensûrquesi,tutefousforcémentdemoi.Lui:Non,Alyssa.Jenemefousabsolumentpasdetoi.Jetedisjustecequejeressens.Alyssa:Alorssituressenstoutça,jenecomprendspaspourquoitut’acharnesàvouloirpoursuivrecejeu.Pourquoineveux-tupas
simplementarrêter,venirmevoiretmedire«Voilà,c’estmoil’Inconnu»?Lui:J’aipeurdenepasteplaire.J’aipeurquetusoisdéçue.Alyssa:Déçuedequoi?
Déçuedupourquoidecejeu,Aly.Tuseraistellementdéçue…
Lui:Decommentjesuis,peut-être.J’aijustepeurdenepasêtreàtongoût.Alyssa:Tuveuxdirephysiquement?Lui:Ouais.Alyssa: Jesaisque tumecroirassûrementpas,mais jemefouspasmaldeceàquoi tu ressembles.Çanem’empêcherapasde
t’apprécieroudecontinueràteparler.Mêmesituétaisungrandbrûlé,oudéfigurépourjenesaisquelleraison,jeseraisobligéedecontinueràteparler.Parcequej’aimetropdiscuteravectoipourarrêter,tucomprends?
Lui:Moiaussij’aimeparleravectoi,Aly.Alyssa:Alorstudoiscomprendrecequejeveuxdire.Jem’enfousdecommenttues,OK?C’estledernierdemessoucis.Jeme
senssibienlorsquejeteparlequejenepourraispasmepasserdenosconversationsneserait-cequ’unesoirée.Lui:Jetecrois.
Jesoupire.Non,jenelacroispas.Elleréagirasûrementtrèsmallorsqu’ellesauraquijesuis.Etcette idée me déchire le cœur. Je ne dois pas y penser ni même y prêter attention, je relance laconversationsurl’autresujetquejevoulaisabsolumentaborder.
Lui:TuasreparléàMattdepuis…l’autrefois?
Jenepeuxpasm’empêcherdeposerlaquestion.C’estplusfortquemoi.J’aitropbesoindesavoircequ’ellevarépondre.C’estpresquevitalpourmoi.Parcequec’estMattquiestàl’originedecejeu.C’estluiquiestàl’originedetout.Etques’illuiplaît,alorstoutestfoutu.
Alyssa:Non,Babe.Jen’aipasreparléàMatt.
–21–
Jesuisretournéeauxvestiairesdugymnasecemidiet,cettefois,j’aipuprendrecettelisteenphoto.Jen’aipastraînéuneseconde,jemesuiscontentéedefairecepourquoij’étaislà.Parceque,merde,sefairechoperdanslesvestiairesparquelqu’un,jeveuxbienunefois,maispasdeux.Alorsj’aifaitvite,leplusvitepossiblepourprendreplusieursclichésdecettefoutueliste.Jemesuisretenuetoutelajournéepournepasconsulterlesphotos,etcommencermonenquête.Detoutemanière,mieuxvalaitquej’attended’avoirunordinateursouslamain,etdoncd’êtrechezmoi,pourdébuter.L’après-midiaétéunsupplice,j’ai essayé d’écouter les cours, mais impossible. J’étais bien trop occupée à penser à cette liste, àl’Inconnu, àMatt, à ce jeu…Comme d’habitude, j’ai envie de dire.Mais décuplé. Parce que j’ai àprésent la photo qui me permettra de découvrir l’identité du garçon qui occupe la moindre de mespensées.
J’aicourupouravoirmonbusetjel’aieu,malgrécecondeprofesseurd’anglaisquinousaretenusenfindecours,pourjenesaisquelleraison.
Dansquelquesinstants,grâceàla liste, jevaispouvoirmefaireuneidéedeceàquoiressemblemonInconnu. Jenepeuxm’empêcherde frémird’excitation.Après toutce temps, je suisenfinprêteàfairefaceauxindicesquimepermettrontdedécouvrirquisecachederrièreceLui.
Ma chambre est plongée dans l’obscurité la plus totale. J’ouvre les volets à l’aide de la
télécommandehigh-techprévueàceteffetetposemonsacdecoursprèsdemonbureau.Lesfaisceauxdelumière s’écoulent lentement dans la pièce, illuminant ma chambre d’un halo jaune. Je retire mesConverseetm’allongesurmonlit.Monordinateurportablegîtlà,abandonnésurlesédredons.Jel’ouvreetjem’empressed’allersurFacebook.Jesuisprêteàdébutermesrecherches.Jesorsalorsmonportabledelapochearrièredemonjeanetjevaischercherlaphototantconvoitée:lalistedesnageursdulycéeapparaîtsousmesyeux.Çayest,toutestprêt.
Jerelèvelepremiernomdelaliste.
NOM:AdamPRÉNOM:BenjaminCLASSE:Terminale6
Je tape sonnom surFacebookpour aller voir sonprofil.C’est ungarçonque j’ai déjà aperçu à
plusieursreprisesdanslescouloirs.Jemesouvienségalementl’avoirvuaurelais,danslesgradins,aveclesautresnageurs.Maisjesaisquecen’estpaslui.Ilestencouple.Sursaphotodeprofil,ilestavecunecertaineClara Jaeger.Sous le cliché, il a ajoutéunecitation fleurbleue témoignantde sonamourpourladiteClara.
Jem’apprêteàrentrerledeuxièmenomdelaliste,«SteveAllenois»,maisjereçoisuneinvitation
quichangemesplans.Jefroncelessourcils,déconcentréedansmarecherche,et,nepouvantcontenirmacuriosité,j’appuiesurl’ongletquiafficheunpetit«1».Jesursauteenlisantlenomdeceluiquisouhaitedevenirmonami.C’estMatt.Lejouroùilm’achopéedanslesvestiaires,ilm’avaitditqu’ilm’inviteraitsurFacebook,maisçam’étaittotalementsortidelatête.Jesuistellementpréoccupéecesdernierstempsquej’aitotalementoubliécettehistoired’invitationFacebook.
Merde.Quesuis-jecenséefaire?Sijenerépondspasàsoninvitation,Mattrisquedeseposerdesquestionsetilviendramevoirdemain,aulycée,pourquejeluifournissedesexplications.
Cen’estpascequejeveux.Parcequ’ilyauraitdeschancesqu’ilnousvoieensemble.Etjeneveuxpasrisquerdeleperdresimplementparcequejen’aipasdaignérépondreàl’invitationdeMatt.Alors,jemerésigneetcliquesur«accepter».
Àpeinequelquessecondesplustard,Mattm’envoieunmessage.
Matt:Salut,Aly!
Je fermeun instant lesyeuxet passe lesmainsdansmes cheveux.Alorsvoilà, il vame taper ladiscute, et je ne pourrai pas continuermes recherches tranquillement. Putain demerde, il a le don detoujourstomberaumauvaismoment,celui-là.Maisbon,j’auraisdûmedouterqu’ilyauraitunobstacle.Jeluirépondsfinalement,aprèsplusieurssecondesd’hésitation.
Alyssa:Salut.Matt:Commentvas-tu?Alyssa:Bienettoi?Matt:Jevaisbien,moiaussi.Commepromis,jet’aiinvitée.Jenet’aipasoubliée!Alyssa:Oui,j’aivu.Matt:Ilfautdirequ’ilauraitétédifficilepourmoidet’oublier.
J’avale difficilement ma salive en lisant son dernier message. Plus l’ombre d’un doute : il medrague. Ouvertement, en plus. Je pensais que les lourdauds que j’avais pu croiser jusque-là étaientdirects, mais alors lui… il décroche le gros lot. Le seul truc qui le différencie des autres, c’est satechniqued’approche.Jedécidedenepasreleversaremarqueenenchaînantrapidement.
Alyssa:Quefais-tu?Matt:Jetraînesurlesréseauxsociauxettoi?
J’espionnedesmecssurFacebookpourdécouvrirquiestlegarsquim’envoiedestextosdepuispresquedeuxmois.Voilàcequejefais.Maisjemevoistrès,trèsmalleluidire.
Alyssa:Moiaussi.Matt:D’accord.Veux-tumonnuméro,maintenantquejel’aisouslamain?Alyssa:Ouais,pourquoipas.
Quelquessecondesaprès, je l’aidéjàreçu.Jeneprendspas lapeinederentrersonnumérodansmontéléphone,sachantqu’ilnemeservirapas,maisjeluirépondsquandmême.
Alyssa:Merci.Matt:Jet’enprie,c’estplusfacilepourcommuniquer.Alyssa:Ouais.Matt:Tusais,Aly,jesuisvraimentcontentquetum’aieslaisséunechanceetquetun’aiespasécoutétonamiauZippo.Alyssa:J’écoutemonamietjelecrois.Matt:Alorspourquoies-tuentraindechatteravecmoi?Pourquoiveux-tupasserdutempsavecmoi–enfin,sij’encroiscequetu
m’asditl’autrefoisdanslesvestiaires–danscecas?Alyssa:Peut-êtrequ’ilsetrompesurtoi.Matt:C’estvraimentcequetupenses,oucequetuaimeraispenser?Alyssa:Jelepensevraiment.Jepensevraimentquec’estpossible.Qu’ilpeutt’avoirjugéàlalégère.Peut-êtremêmeneteconnaît-il
pasréellement.Matt:Dis-moisonnom,jetediraisijeleconnais.Alyssa:Non.Jenepeuxpas.Matt:Pourquoinelepeux-tupas,Aly?Ilt’ainterditdemeledire?Alyssa:Jen’étaispascenséeenparler,ouais.J’peuxpastediresonnom.Matt:Commetuvoudras…Maisjefiniraiparsavoirquiestcetype,etjenemegêneraipaspourallerluidiredeuxmots.Alyssa:Tunetrouveraspasquiilest.Matt:Tuessayesdeteconvaincrequeçaseralecas,Aly.Mais,crois-moi,quandjeveuxquelquechose,jel’obtiens.Tuverras.Alyssa:Situledis.Enfinbref,jepensejustequ’ilestpossiblequetusoiscommemonamitedécrit.Maissic’estvraimentlecas,je
veuxm’enrendrecompteparmoi-même.Matt:Pourquoi?Alyssa:Parcequejeveuxsavoirquisepaiematête,Matt.Matt:Tuveuxdécouvrirquiment,hein?C’estcommeunesortedejeu,pasvrai?
« Une sorte de jeu. » Je ne sais pas pourquoi, mais lorsqu’il m’envoie ce message, je faisimmédiatement le lien avec l’Inconnu.Et ça fait tilt dansma tête, d’un coup. Si ça se trouve,Matt etl’Inconnunesontpaspartenairesdejeu.Ilsnesontpeut-êtrepasdeuxrivaux,oudeuxgarsdel’équipedenatationayantquelquesdifférends,maispeut-êtrebienqueMatt et l’Inconnune sont qu’une seule etmême personne. Je suis secouée de tremblements, j’ai l’impression de convulser. Si ça se trouve,l’InconnuestMattetjemefaisbernerdepuisledébut.Pluslessecondespassent,plustoutdevientclairdans ma tête. Il faut absolument que je concentre mes recherches de ce côté. Parce que si Matt etl’Inconnunesontqu’uneseuleetmêmepersonne,çaexpliqueraittantdechoses.Çaexpliqueraittout.
Nonçanepeutpasêtreça…
–22–
J’airéfléchipendanttoutelasoiréeettoutelanuit.J’aioubliélaliste,jemesuisdéconnectéedeFacebook–après avoirpasséaupeigne fin leprofildeMatt, bienévidemment– et j’ai réfléchi. J’airéfléchi au fait que oui, Matt pourrait être l’Inconnu. J’ai réfléchi à tous les indices qui pourraientconfirmercettehypothèse.Toutcommej’airéfléchiàtoutesleschosesquipourraientl’infirmer.Maisjemesuissurtoutdemandécommentjeréagiraissil’InconnuétaitMatt.SiMattétaitl’Inconnu.Laréponseestquejeréagiraismal.PourlasimpleetbonneraisonquejeneveuxpasqueLuisoitMatt.Non.Jeneleveuxpas.Parcequesic’estlecas,celavoudraitdirequelapersonnequimeparleparmessagesn’estqu’un rôle, qu’elle n’existe pas réellement. Qu’il est Matt. Que la personne qui se cache derrièrel’Inconnun’estqu’unputaindepersonnage.
J’espèremetromper.J’espèrevraimentmetromper.Parcequemêmesij’aiditàl’Inconnuquejeme foutais de ce à quoi il pouvait ressembler, que peum’importait son apparence, je ne pourrais passupportercettemascarade.SiMattestmonInconnu,jeperdraisLui.Etça,jeneleveuxpas.
Alors,j’aipasséunegrandepartiedelanuitàchercherdesindicespouressayerdemeprouverqueLui n’est pas Matt, et que mon hypothèse est totalement fausse. Le problème, c’est que j’ai autantd’indicesm’indiquantqu’ilpourraitêtreMattqued’indicesm’indiquantqu’ilpourraitnepasl’être.
Par exemple, j’ai comparé leurs numéros de portable, et ils n’ont pas lemême. Je sais qu’il estpossibled’avoirplusieurstéléphones,maisjedoutegrandementqueçasoitlecas.D’unautrecôté,jemedemandetoujourscommentl’InconnuasupourlapausecigaretteentreMattetmoi.Alorsjenesaispas.Jedoutedepuishier,etçametue.
J’aiaperçuMattdanslacouraujourd’hui,jen’aimêmepasréussiàleregarder.J’aitoutdesuitedétournéleregard,commesiçam’était insupportabledeposer lesyeuxsur lui.Etça l’est,d’ailleurs.ParcequeMattestcommelaplupartdesautreslycéens,iln’ariendeparticulieretdoncilnem’intéressepas.Ilabeauavoiruncharmefouetêtrebeaucommeundieu,çanefaitpastoutetjeneveuxplusqu’ilm’approche.
Je roule surmon lit pour récupérer– surma tabledenuit– la listeque j’ai recopiéehier. Je ladéplielentementetprendsenfinletempsdelaliredanssatotalité.Hier,j’étaistropchoquée,tropperduepourlefaire.C’estpresquecommesijel’avaisoubliée.Maismaintenant,jeprendsletempsdelalireenentier.Mesyeuxs’arrêtentsurlenomdeMatt.MattCassel.Terminale5.Pourjenesaisquelleraisonmoncœursemetàpalpiterfollementetunebouleseformedansmagorge.IlfautquejetrouveladatedenaissancedeMatt.S’ilestnéle1erfévrier,c’estsûr,c’estLui.Maisencoreunefois,ilsepourraitqu’ilm’aitdonnéunemauvaisedatedenaissancepour faussermonenquête et, si c’est le cas, jamais jenepourraiavancercesputainsderecherches.
Monportablevibrebrusquementetmarespirationsecoupe.
Lui:Salut,chérie.
Jenesaismêmepassij’aienviederépondre.Parcequejevoudraisêtresûredeparleràl’InconnuetpasàMatt.
Alyssa:Jenesuispassûredevouloircontinuerlejeu.Lui:Quoi?Pourquoi?
Laboulequis’estlogéedansmagorgedevientdeplusenplusdouloureuse,j’aidumalàrespirer.Commentluidire?Commentpourrais-jeexpliquerpourqu’ilparvienneàcomprendre?
Alyssa:J’aipeurdequitupourraisêtre.Lui:Quoi?MaisAlyssa,ilyaquelquesjourstusoutenaisquepeut’importaitquij’étais.Alyssa:C’estlecas.Enfait,j’aipeurquetusoisunepersonneenparticulier.Lui:Quiça?
Jenepeuxpasledire,parcequesic’estlui,jenem’enremettraispas.Jesuis…TellementattachéeàLui.Durantcesdeuxderniersmois,j’aidéveloppédessentimentstrèsfortsàsonégard.Dessentimentsdontj’ignoraisl’existencejusqu’àhier.Dessentimentsquim’empêchentdeluirépondre,pourlasimpleraisonquej’aipeurdesaréaction.Parcequesic’estMatt,rienneserapluscommeavant.Etputain,jeneveuxpasquetoutchange.
Lui:Quiça,Alyssa?
L’airmemanque,jen’arriveplusàrespirer.Jemesensprisedansunétau.Jen’aijamaisressentiçaavant.Cettesensationd’êtreprisonnièred’unétauquiseresserrepeuàpeu, lacérantetbroyantma
peau,mesos,mesorganes.
Lui:Réponds-moi,chérie.Jet’enprie.Alyssa:Jeneveuxmêmepasimaginercombienleschoseschangeraientsituétaiscettepersonne.Lui:Maisdequiparles-tuàlafin?Alyssa:Jenepeuxpasteledire.J’aitroppeurqueçasoittoi.Lui:Jenesaispasàquitupenses,Aly,maisjenesuispascettepersonne.Alyssa:Commentpeux-tuenêtresûràcepoint?Lui:Parceque tu ignoresmonexistence.Tunem’as jamaisvu. Je suispresquecertainque tun’as jamaisposéplusd’unedemi-
secondelesyeuxsurmoi.Alyssa:Vraiment?Lui:Jenesuispaslegenredepersonnesurquions’attarde,tusais?Alorsnet’enfaispas,Aly.Jenepeuxpasêtrelapersonneà
laquelletupenses.
Etjenesaispaspourquoi,maisçamesoulageunpeu.Peut-êtrequejem’inquiètepourrien,peut-êtrequeMattet l’Inconnun’ontaucunrapport.Exceptionfaitede l’hostilitéqu’ilséprouvent l’unpourl’autre.
Lui:Nemedisplusjamaisquetuveuxarrêterlejeu,OK?Tun’imaginespascommentmapoitrines’estserréequandtum’asditça.Alyssa:Ahoui?Lui:Oui,Alyssa.Jenesaispassi tuterendscompteàquelpointtucomptespourmoiàprésent.Jetiensvraimentbeaucoupàtoi
et…Jeneveuxpasteperdre.Alyssa:Cen’étaitpasmonbutdetefairepeur.Jesuisdésolée,Babe.Lui:Tupeuxl’être.Detoutemanière,jenetelâcheraipasjusqu’àcequetutrouvesquijesuis.Etce,mêmesituneveuxplusjouer.
Jeteharcèleraiparceque…Alyssa:Parceque?Lui:Parcequejesuisaccroànotrejeu.Ànosconversations.Jesuisaccroàtoi,toutsimplement.
VoilàpourquoijeneveuxpasqueMattsoitl’Inconnu.Parcequ’iln’estpascommeLui.Parcequ’iln’oserait jamaismediredeschosespareilles.Parcequ’en fait jene suisplus si sûred’aimer lesbadboys.Ceuxqueleslivresetlessériesnousvendentcommelesmeilleurs,lespluspassionnésdesamants.Enréalité,jecroisqu’iln’yaplusaucunstyledegarçonsquimeplaise.Laseulepersonnequim’attiredans cemonde, c’est cemystérieux Inconnu. Lui et seulementLui. Jeme fous des autres. Sansmêmesavoir qui il est, je n’ai d’yeux que pour lui. Parce que, pourmoi, il n’est pas un physiquemais unepersonnalité,c’esttouteladifférence.
Lui:J’aimeraisquetoutseconcrétiserapidemententrenous,Aly.Accélèretesrecherches,jet’enprie.J’aibesoindetoiauprèsdemoi.
Alyssa:Etmoij’aibesoindeteprendredansmesbras.Jevaismereplongerdanscesrecherchesetredoublerd’efforts…
Etsurcesmots,jevaismegrilleruneclopepourdécompresser.
–23–
–Alors?Çasepassecommentaveccegarçon?medemandeLouislorsquenousentronsdansunpetitcaféducentre-ville.
Nousnousasseyons l’unen facede l’autreetuneserveusenous remetdeuxcartes. Jemeplongeimmédiatementdans la lecturede lamiennehistoired’échapperà laquestiondeLouis. Jenesaispaspourquoi,mais parler de ça avec luimemetmal à l’aise. Il est la seule personne que j’aiemise aucourantdu jeu.La seulepersonnequi connaisse l’existencede l’Inconnu.Mais,malgréça, jen’aipasenviedeluienparler.Siaurepasdeprintempsorganiséparmafamillejemesuissentieobligéedeluirévéler mon secret, je n’ai plus aucune envie d’aborder le sujet. Je suis totalement désorientée,bouleversée.MonhistoireavecLui est trop intimepourenparlerouvertement avecquiquece soit,ycomprismonamilepluscheretleplusproche.Encoremoinsmaintenant.
JedresselacartedevantmoipourmesoustraireauregardbleuazurdeLouis.Jem’efforcedelirelesmotsquidansentdevantmesyeux,maisjesuisbientropdistraitepourneserait-cequelesidentifier.Lerirecristallindemonmeilleuramis’élèveau-dessusdemamuraille improviséequ’ilabaissed’unsimplemouvementdudoigt.
– Ça ne sert à rien de te cacher, Lyssa. Tu sais très bien que tu ne pourras pas couper à cetteconversation.
Jereposelacarte,vaincue.–Je…Qu’est-cequetuveuxsavoirexactement?Jenereconnaispascettepetitevoixtimidequivientdeprononcercesmots.–Regarde-moi,s’ilteplaît,demandeLouisavecdouceur.J’obtempère.Ilmesouritgentiment,commepourmemettreenconfiance.Ilattrapedélicatementune
demesmainsetencaresseledosavecsonpoucerugueux.Sesgestessonttendres,commes’ilavaitpeurdemefairedétalers’ilfaisaitungestetropbrusque.
–Tupeuxtoutmedire,tulesais?Onestcommefrèreetsœurtouslesdeux.
–Jesais…Maisc’est lapremièrefoisque je teparled’ungarçon…Quejeparled’ungarçonàquiconqued’ailleurs.Çamemetmalàl’aise.
–Tunedevraisjamaistesentirmalàl’aiseavecmoi.Pasaprèstoutcequ’onavécuensemble.
Ilaraison.Louisconnaîttoutdemoi,etréciproquement.Jerepliemesdoigtsautourdesapaume.Il
ne veut quemon bien, il neme jugera jamais.La seule chose qu’il pourra faire, c’estme donner desconseilsetm’aideràsurvivreàcettesituationtoutsaufanodine.
–Çasepassebienàvraidire.Jecontinuedechercherquiilest.Maisjet’avouequec’estplusdurquejenel’auraisimaginé…
–Tusaisquoideluiexactement?–Je saisqu’il est en terminale,qu’il faitpartiede l’équipedenatation.Et jeconnais sadatede
naissance.–Ehbien,voilàquiréduitlenombredecandidatspossibles,riennet’empêchedetrouver.– Je sais,mais çame fait peur tout ça…Enplus,mes recherches sont compliquéespar un autre
garçon.–Vraiment?T’enfaisdesravages,dis-moi!–Arrête,idiot,t’espasdrôle.Cegarss’appelleMatt.Luiaussifaitpartiedel’équipedenatationet
l’Inconnuledéteste.Enfin, ilssedétestent.Chacunserépandenatrocitéssur l’autre,sibienque jenesaispasquisejouedemoi.JecroisqueMatts’intéresseàmoi.
–Ilteplaît,ceMatt?–Jementiraissi je tedisaisqu’iln’estpasséduisant,maisniveaucaractère,cen’estpasdu tout
ça…Jepréfèrelargementl’autregarçon.–Peut-être…Saufquetunesaispasquiilest.–JenesuispasintéresséeparMatt.Je secoue frénétiquement la tête en signe de dénégation.C’est difficile de parler de ça, lesmots
restentbloquésdansmagorge.–C’estl’Inconnuquimeplaît.–Lyssa…Tunesaismêmepasàquoiilressemble.Tunesaispratiquementriendelui.–Çafaitdeuxmoisqu’ondiscutetouslesdeux.Tupeuxmecroirelorsquejetedisquej’enconnais
beaucoupsursapersonnalité.Jen’aipasbesoindesavoircommentilestphysiquementpoursavoirqu’ilmeplaît.
–Tuasraison,maiscen’estpascequej’aidit,Alyssa.Bienentenduqu’ilpeutteplairesansquetusachescommentilestphysiquement.Jemedisaissimplementque,peut-être,iln’estpaslemêmedanslavraievie.Peut-êtrequ’ilsedonneungenrederrièresontéléphonemaisquec’estungrosconlerestedutemps.
–Non,jen’ycroispas.Jerefusedecroireàça.JecroisenLui.C’estquelqu’undebien,j’enailaconviction.Louisnele
connaîtpas.Avecunregardextérieur,j’auraiscertainementréagicommelui,jenepeuxpasleblâmer.Il
araisondesemontrerprudent,etdubitatif,quineleseraitpas?MaisjesaiscequevautmonInconnu.–Ilvoudraitqu’onailleaubaldulycéeensemble.Ilfautdoncquejedécouvresonidentitéavant
cettedate.–Celanetelaissepasénormémentdetemps.–Jesuissûrequejepeuxyarriver.Ilfautjustequejemeconcentresurmesrecherches.–Ettesépreuvesdubac?Tuasdesexamensàlafindel’année,Lyssa.Tunepeuxpassabotertes
étudesàcausedecestupidejeu.–Jemefouspasmaldemesétudes.
Laserveuse revient,nousprenantcomplètementaudépourvu tantnousétionsabsorbésdansnotre
discussion.Jecommande,sanstropréfléchir,unchocolatchaudetLouisprendlamêmechose.Cebrefrépitnedurepaslongtemps,Louisrevientàlachargedèsquelaserveuseatournélestalons.
–Désoléedejouerlesrabat-joiemaistesétudespassentavanttout.Samainpressefermementlamienne;etjem’imaginependantuninstantquec’estcelledel’Inconnu
J’aimeraistellementluitenirlamain…Sentirsapeaucontrelamienne.–Jesais,Lou.Jevaistravailler.–Maissicegarsteplaîtvraiment,jesuisdetoutcœuravectoi.Fonce,trouvequiilest.Jeveux
bient’aiderpourtesrecherchessituveux.–Jen’hésiteraipasàfaireappelàmoncomplicepréféré,promis.–Jeparsdanstroissemaines,j’aiencoreletempsdefairequelquechosepourmaLyssaadorée.–Quevais-jefairequandturepartiras?
Ilportemamainàseslèvresetl’embrassegentiment.Puisaussisecilenchaînesurungrandcoup
delangue,cequimevautunmouvementderecul.J’arrachemamaindesapoigneetilsemetàrireauxéclats.Quelidiot!
–T’esdégueulasse!–Oh,çava,onadéjàpartagénotresalive,jeterappelle.Tutesouviensdecetété-là?Ons’était
embrassésdanslaplainederrièrecheztoi?C’étaitchaud,situveuxmonavis.– Oui, malheureusement, je m’en souviens. On faisait ça pour s’entraîner, on était totalement
désespérésàl’époque!Jet’interdisd’enreparler!–J’embrassaissimalqueça?dit-ild’unevoixfaussementsexy,enmordillantsalèvreinférieure.
Onsemetàrirecommedescrétins, lesyeuxpétillantsdemalice.Çafait tellementdebiendese
retrouver tous les deux après ces dix-huitmois de séparation. Cette discussionm’a soulagée. Je suisheureusedesavoirqueLouismesoutient.Oui,jesuissoulagée.Parcequej’aicomprisquepeuimportecequejedécidedefaire,Loumesoutiendratoujours…
–24–
Cesoir,j’emprunteunchemindifférentdeceluiquejeprendshabituellementpourrentrerdulycée.Pour la simple et bonne raison que je ne rentre pas tout de suite chez moi. Je passe d’abord voirl’entraînementdenatation.J’aieuenviedelevoirtoutelajournéeetjesaisqu’ilestàcetentraînement.Lesbeauxjoursarriventetl’équipecommenceàs’entraînerdehors,alorsjeveuxenprofiterpourallerl’observersansêtrerepérée.
NotrelycéerecrutedesnageursdanstoutelaFrance,touslesmeilleursviennentici.C’estpourquoi,enplusdelapiscineoùs’estdéroulélerelaisenfévrier,ilyaunbassinenpleinair.
Monsacdecoursfermementserrécontremoi,jemarched’unpasdécidé.Lelégerventdecettefindejournéefaitvoletermesmèchesbrunesautourdemonvisage.Jenevaispasmemettretropprèsdubassinparcequejen’aipasenviequeMattm’aperçoive.Jevaismepostersurlecôtédestribunes,àlalimitedelapiscine,pourmecacheraumaximum.
JeneveuxplusvoirMatt.Plusluiparler.Lesimplefaitdepenseràluim’estinsupportable.J’aitellementpeurqu’ilaitunquelconquelienavecl’Inconnuquejeveuxl’effacerdemavie.Demonesprit.Demamémoire.J’aienviedecroiremonInconnu.J’aibesoindelecroire.Alorsmaintenant,jeneveuxplusqueMattm’approcheetjeneveuxplusavoiraffaireaveclui.Toutel’attractionqu’ilexerçaitsurmois’estdissipéecefameuxsoiroùjeluiaiparlésurFacebooketoùiladit«Commeunesortedejeu?»Depuis,c’estfini.Jeneluiparleplus,jel’aisortidemavie.
L’entraîneurdonneuncoupdesifflet.Jel’imaginehurlantsesinstructionsauborddubassin.Jenepeuxréprimerunfrissond’excitationlelongdemonéchine.Jesourisinconsciemmentenarrivantprèsdubassin.Jerejoinslesgradins.Lesgarssontdansl’eauàfairedeslongueurs.Lesnageursdisposentd’unemploidutempsaménagé:leurscoursfinissentunpeuplustôtafinqu’ilsnerentrentpastroptardchezeuxàcausedeleursentraînementsdusoir.C’étaitpareilpourmoilorsquejefaisaisduvolley.C’estpourcetteraisonquejesaisqueleurentraînementtoucheàsafin.
L’entraînementestintensifetilsonttousl’airàboutdeforces.Ilestlàparmicesgars,maisj’ignorelequel regarder. Je dois avouer que c’est difficile pour moi de savoir qu’il est là et d’être dansl’incapacité de le reconnaître. De ne pas pouvoir m’imaginer son visage, son regard ou même sonsourire…C’estdifficiled’aimerunepersonneàuntelpointetd’ignorercommentelleest.D’autantplusque,dansl’eau,ilestdifficiled’identifierlemoindredecesgarçons.
Jesuisenmanque.Ilm’enfautplus,commeunedroguéeforcéed’augmentersadose.J’aibesoinde
beaucoup plus que nos conversations quotidiennes. Ça ne me suffit plus. J’ai besoin de lui parlerréellement, de pouvoir le toucher, d’entendre sa voix à nouveau, et deme perdre dans ses yeux. J’aibesoindelevoir,toutsimplement,etc’estpourcetteraisonquejesuislàcesoir.Maisjenesaispasquelgarçonregarder,etçametue.Alorsjemecontentedeportermonregardsurchacundesnageurs,medisantquen’importelequeld’entreeuxm’irait.Quejemefichedequiilpeutêtredumomentqu’iln’estpas…Matt.
Quandmesyeuxseposentsurcedernier,jemerendscomptequ’ilregardedemoncôté.Ilesthorsdel’eau,ses lunettessur lefront.Jemerejette immédiatementenarrière,pourmesoustraireàsavue.Putain de merde. Me regardait-il ? Et si c’était le cas, depuis combien de temps ? J’exagère mesinspirations,pouressayerderégulermarespirationdevenuebien troprapide.Non, ilnem’apasvue,c’estimpossible.Ilétaittroploin,tropconcentrépourmevoiroumêmeregarderparici.
Unlongcoupdesiffletretentit,quiannoncelafindel’entraînement.Maismalgréça,jenepeuxme
résoudre à quitter ma cachette. Parce que je n’ai pas eu le temps de tous les regarder, de tous lesdétailler.
J’aibesoindeplusdetemps.Maisjesaisqu’ilesttroptard.Qu’ilsvonttousallersechanger,etquejen’aurairiendeplusdecesquelquesminutes.
Aumoment où jeme résigne à battre en retraite,Matt arrive près du poste d’observation que jeviensd’abandonner.Instinctivement,j’aibloquémarespirationenlevoyants’approcherdemoi.
–Aly?Quefais-tuici?Ils’avanceencore,j’ail’impressiond’êtrepriseaupiège.Jesuiscommeparalysée,àlamercide
cegarçonquejeveuxplusquetoutéliminerdemavie.Sesprunellesvertémeraudemeplacardentcontrelemurauquel jesuiscollée, jesuisfoutue.Laconfrontationest inévitable.Jedois luiannoncerque jepréfèrequ’onarrêtedeseparler,qu’onarrêtedesevoir,qu’onarrêtetout.
Ilsecampeàpeineàunedizainedecentimètresdemoncorpstremblant.Sescheveuxdégoulinent
d’eauchlorée,sesjouessontlégèrementplusrosesqued’habitudeetsarespirationestplusrauque,plussaccadée. Son bonnet de bain et ses lunettes ont disparu. Il a enfilé un bermuda et un tee-shirt blancmettantenvaleursonlongcorpsminceparfaitementmusclé.Ouais,cemecauphysiqueravageursetientàquelquescentimètresdemoietj’aienviedepartirencourant.
–Qu’est-cequetufaislà?répète-t-il.–Jeveuxqu’onarrêtedeseparler,Matt.J’ai sorti çacommeça, sansprévenir, et il fronce les sourcils, interloqué. Ilnecomprendpaset
c’estnormal.Jelisdanssesyeuxqu’ilchercheuneréponsesurmonvisage,qu’ilessayedecomprendrepourquoijememontresidistantetoutd’uncoupalorsqueladernièrefoisquejeluiaiparléjeluiaidittoutl’inverse.Monhumeurestsichangeante,cequejeveuxestsicontradictoire,c’estnormalqu’ilsoitperdu. Jenepeuxpas lui envouloirdemeposerdesquestions,même si j’aurais évidemmentpréféréévitercela.
–Pourquoi?J’aifaitquelquechosedemal?dit-il,lesdentsserrées.–Non.Enfin…Jeveuxjusteenresterlà.–Pourquoi?–Parcequejeveuxsuivrelesconseilsdemonami.–Maisjepensaisquetuvoulaistefaireuneopinionpartoi-même…–C’estvrai.–Alorspourquoi?Ils’avanceencoreetj’ail’impressionquejevaismemettreàsuffoquers’ils’approcheplus.Ilest
siprèsmaintenantquejepeuxsentirlesouffledesarespirationsaccadéesurmonfront.Jesuisobligéedeleverconsidérablementlesyeuxpourrétabliruncontactvisuelavecluitantnoussommesproches.
– Jepensaisvraimentqu’onpourraitdevenir amis,Aly.Ons’entendait sibien.Qu’est-cequ’il abienputedireàmonsujetpourquetumetournesledoscommeça?enchaîne-t-il.
–J’ai…Jen’aiplusenviedesavoirquisejouedemoi.Çanem’apporterarien.–Non,attends,s’ilteplaît.Pourquoineveux-tupasmelaisserunechancedeteprouverquejene
suispasceluiqu’ildécrit?–Jen’enaipasenvie.J’aidéjàbeaucoupdechosesàgérerencemomentet…–Etquoi?Tuvasjustemerayerdetavieetfairecommesiderienn’était?Alyssa…Jepenseque
tuascomprisquejem’intéresseàtoi.Tum’attiresetj’aimeraisbienqu’ilsepasseuntrucentrenous.J’avaledifficilementmasalive.Putain,non.Ilavaitbienlaisséentendrequejeluiplaisaislesoir
oùnousavionspartagéunecigarette,maisjepensaisréellementqu’ildéconnait.–Nemelaissepascommeça,Aly.Nemelaissepascommeunconavecmesdéclarations.
Ilposeunemainsurlemuràcôtédematête,jemesensvraimentprisonnière.Exactementcommela
dernièrefoisdanslesvestiaires.Jesuistoutautantàsamerci.Ilapprochelégèrementsonvisagedumienetj’aienviedeluihurlerdes’éloigner.Maisjesuisincapabledeprononcerunmot.
–Dis-moi,pourquoit’écoutescemaladesansmelaisserdechance?J’aidroitàuneréponse.J’aiaumoinsdroitàça.
–Matt…–Pourquoil’écoutes-tu,Alyssa?Jerestemuetteunefoisdeplus,etcettefois,ils’emporte.
–Maisdis-moi,merde!
Savoixexplose,etjememetsàtremblercommeunefeuilled’automne.Ilmefaitpeur.Sonvisage
froidetimplacableestbaisséversmoietsonregardd’aciermetransperce.Unefoisencorejemesensàsamercicommes’ilpouvaitlireenmoi,etc’estcequimefaitlepluspeur.Maisjesaisquecen’estpaslecas,sinonilneseraitpaslàentraindemehurlerdeluifournirdesexplications.Alors,terrorisée,jedécidederépondreàsaquestionpuisque,detoutefaçon,ilnemelâcherapastantquejeneluiauraipasdonnéuneraisonvalable.
–Jel’écouteparcequejel’aime.
–25–
LUI
Pluslesjourspassent,plusjem’attacheàelle.Plusjeluiparleetplusmessentimentsmefontmal.Plusletempspasse,plusjetombeaufonddugouffre.Cen’étaitpasprévu.Jen’aipassumecontrôler.Jen’aipassumemontrerassezdistant,jen’aipasréussi.Etmaintenant,jepenseconstammentàelle.Àelleetàsonregardd’unbleusensationnel.J’avouequejedétesteça.Jedétestel’importancequ’elleaprisàmesyeux.Elle…Putain,Jedevaislafairetomberamoureusedemoi,pasl’inverse.J’aiéchouépourlapremièrefoisdepuisl’existencedecefoutujeu.
Ilfaitsombre,cesoir.Lesoleiladisparuparmilamassedenuagesgrisetleventsoufflefort.Maismalgréletempsdésagréablejeprendsl’airsurladernièremarchedesescaliersduperrondelamaison.Unetasseenporcelaineblancheentrelesmains,leregardbraquésurl’horizon,jesavourelegoûtamerducafésurmalangue.Jemesuisassislàpourréfléchirmaisçanemarchepas.Çanemarchepasparcequechacunedemespenséesestparasitéeparledouxvisaged’Alyssa.
J’aipeurdeperdre,cettefois.J’aipeurqu’ellenetrouvepasquijesuis.Etd’unautrecôté,jenesuis pas certain de vouloir qu’elle découvre mon identité. Elle risquerait de s’énerver, ou même deprendrepeur,quisait?Jesuisperdu.Jenesaispluscequejeveuxouneveuxpas.Laseulechosequejesouhaiteencemoment,c’estqu’ellenetombepasdanslepiège,elleaussi.
Jeportelatasseàmeslèvresetj’avaleunegrandegorgéedemoncafénoir.Jecroisquemêmesielle ne trouvepaspar elle-même, je lui dévoileraimon identité.Même si elle neveut plusmeparleraprès, tantpis, je luidirai.Parceque jenepeuxpasmepasserd’elle.Jenepeuxpas la laisserpartircommelesautres.Jenepeuxpas justepasseràuneautreaprèselle.C’est impossible.Et jecroisquec’estquandj’aicommencéàpenserçaquej’aicomprisquej’étaisfoutu.Parcequepour lapremièrefois,jemesuisfaitprendreàmonproprejeu.
Unevoiturenoire s’arrêtedevantchezmoi.Ouplutôtsa voiture segare. Il en sort furaxdans saveste de l’équipe de natation, sans prendre la peine de fermer la portière derrière lui. Il se dirigerapidementversmoi,lespoingsserrés,accusateurs.Putain.J’aijusteletempsdemeleveravantqu’ilnefondesurmoi,etmepousseviolemmentenarrière.
–T’esvraimentqu’unpetitcon!hurle-t-ilenseruantsurmoi.Ilm’assèneuncoupdepoing siviolentdans leventreque jemeplie endeux. Il profitedemon
momentdefaiblessepourmefairetomber,renversantparlamêmeoccasionlatassedecaféquejeviensdeposeràcôtédemoi.Puisils’assiedàcalifourchonsurmoietcommenceàmefrapperauvisage.
–T’asrepristonpetitjeu,hein,petitmerdeux?Ilagrippefermementmesépaulespourmemaintenirausoletaffirmersaprise. Ilmetoiseetme
crachedessus.–Qu’est-cequejet’avaisditladernièrefois?Hein?Quet’avais-jedit,enfoiré?!Ilhurle, s’éraillant lavoix. Ilattendque je répondemais j’ensuis incapable. Jesuissonné.Tout
s’estpassésirapidementquejen’aipaseuletempsdecomprendrecequ’ilm’arrivait.–Qu’est-cequejet’avais-jedit,enfoiré?Dis-le,bordel!gronde-t-il.Lahaineenvahitmesveines.Qu’est-cequil’autoriseàmeparlercommeça,putain?Jemeretourneviolemment,leprenantaudépourvu.Jelefaisbasculerenarrière,demanièreàce
quelesrôlessoientinversés,etbloquesesbraspouréviterderecevoirunautrecoup.–Jemefousdecequet’asdit.Jefaiscequejeveux!Ilricaned’unairsimauvaisquejesensmonsangbouillonner.Iln’apasledroitdesemoquerde
moi.–Tunecomprendspasquejamaistul’auras,Jamie?Tun’espasàlahauteurdecettefille.Ellene
voudrajamaisd’ungarscommetoi.Tun’esqu’unloser.Quandvas-tuenfinlecomprendre?J’aiparléavec elle tout à l’heure, et j’ai compris que« l’ami auZippo», c’était toi. J’ai compris que tu avaisrepristonfoutujeuàlacon.
–Jet’interdisdedireça!–Jedisjustelavérité,merdeux.Elles’enfoutcomplètementdetoi.Pourquoivoudrait-elledetoi
alorsqu’ellepeutm’avoirmoi?Des larmes de rage débordent de mes yeux et la pression que j’exerçais sur ses bras diminue,
jusqu’àdisparaître.Ilsedégageetserelèverapidement,pourgardersadignité.C’estcommeçaàchaquefois.Ilmefaitpasserpourunmoinsquerien,pourunesous-merdeàcôtédelui.
–Tunesaisriend’elle!–Ohsi, aucontraire. J’en saisbeaucoupsurelle.Et crois-moi :une foisdeplus, tuvasperdre.
C’estmoiquil’aurai,commed’habitude,petitcon.Ettun’aurasquetesyeuxpourpleurer.–Arrête,supplié-je.–Tusaisaussibienquemoiqu’elleserabientôtdansmonlit,cen’estqu’unequestiondetemps.
«Elleserabientôtdansmonlit.»L’entendredireçam’estinsupportable.Mesmainscommencentàtrembleretjesensquejenevaispaspouvoirmeretenir.Jevaisluifoutreunedroitedanssasalegueuledecon,jevaism’abaisseràsonniveaudebrutesanscerveau.LesyeuxdeMattseposentsurmesmains,etunrictussedessinesursonvisagearrogant.Ilsaitqu’ilaréussi,qu’ilaréussiàmemettrehorsdemoi,qu’ilaréussiàmepousseràbout.Etrienqueça,c’estunevictoirepourlui.
Sesyeuxmenaçantsremontentlentementsurmoi,jusqu’àcequenousnousaffrontionsduregard.–Alors,qu’est-cequet’attendspourmefrapper?Jesuissûrquet’enmeursd’envie,lance-t-ilsans
cesserdesourire.–Non.– De toute manière, tu es incapable de me faire mal. La seule chose que t’as trouvée pour
m’atteindre,c’estcejeu.Cepetitjeuàlacon.Maisellenemarchepas,taconnerie.Parcequet’esqu’unimbécile,quienestencoreàenvoyerdesmessagespourrisauxfillesquandmoi,j’aileurcul.
–Tun’auraspasceluid’Alyssa.–J’aidéjàréussiàavoirseslèvres,entoutcas.
Ill’aembrassée?Non.Non,c’estimpossible.Ilbluffe.Maisc’estlaphrasedetropetillesait.Je
mejettesurluietlefrappeleplusfortquejelepeux.Laragedictemesgestes,mais,malgrétoutemahargne,jeneparvienspasàledominer.Ilesttropfort,ill’atoujoursété.Detoutefaçon,ilatoujourseuplusquemoi.Ilatoujoursétéplusquemoi.Ilm’atoujoursfaitpasserpourunmoinsquerien,pourunraté.
SouslaviolencedesnouveauxcoupsqueMattm’assènedansleventre,jem’écrouleànouveausurleboishumidedelaterrasse,larespirationcoupée.Jesuffoque.Jecroisquec’estpourcetteraisonqueMattme lâche. Je tousse violemment, cherchant de l’air.Un filet de sang coule demabouche, j’ai lesentimentd’étouffer.
Matts’agenouilleàcôtédemoietmetoisedelonguessecondes.–T’esvraimentqu’unraté,Jamie.Ilbalayemesmècheshumidesvers l’arrière,pourdégagermonfront. Ilsoupire,etsecouela tête
d’unairnavré.Delapitié,voilàcequ’ilyadanssonregard.Jecroisquec’estpirequetout.Pirequesescoups,pirequesesmots.
Ilm’observeencorequelquesinstantsavantdeserelever.Puisilsemetàépoussetersonsurvêtauxcouleurs du lycée. Insigne que je n’aurai jamais. Il tourne une dernière fois les yeux versmoi etmebalance:
–Maintenanttulaissestomber,petitmerdeux.Elleestàmoi.Puis il tourne les talons et repart en direction de sa voiture,me laissantHS sur le perron de la
maison…
–26–
Lui:C’estvraiquetul’asembrassé?
Mon sang se fige lorsque je découvre lemessage que vient dem’envoyermon Inconnu. Je peuxsentirunebouleseformerdansmonventreetmesmainsdeveniraussimoitesquetremblantes.
Alyssa:Quiça?Lui:Matt.Tul’asembrassé?
Quelquechosenevapas,c’estévident.Iln’estpascommed’habitude,jelesens.Ilestbeaucoupplusfroidetdistant…Pasde«chérie»,pasdebonjour,justecettequestionsortiedenullepart.Qu’est-cequiluiprend?Pourquoim’accuse-t-ild’unechosepareille.
Alyssa:Qu’est-cequeturacontes?Lui:Nemenspas,ilmel’adit.
Quoi?Unesueurfroidemeparcourt l’échine tandisque l’angoissem’envahit.Maismerde,c’estquoiencorecettehistoire?
Alyssa:Depuisquandtuluiparles?Jecroyaisquetuledétestais.Lui:C’estlecas.Alyssa:Alorspourquoiluiparles-tu?Lui:C’estcommeça,jen’aipaslechoix.Jeluiaitoujoursparléetcen’estpasprèsdechanger,malheureusement.Maislàn’estpas
laquestion,Alyssa.N’essayepasdechangerdesujet.Réponds-moi:tul’asembrassé?Alyssa:Non!Biensûrquenon!Lui:Pourquoil’aurait-ilinventé,hein?
Alyssa:Qu’est-cequej’ensais,moi?C’esttoiquileconnais,toiquidisquec’estunenfoiré,tudoisbienlesavoir,non?Toutcequejesais,moi,c’estqu’ilment.Jem’ensouviendraisquandmême,merde!
Lui:Aly,jeveuxlavérité.Tantpissitul’asembrassé,j’essaieraidecomprendrepourquoituasfaitça,etc’esttout.Alyssa:Jetedislavérité.Jen’aiPASembrasséMatt.Lui:OK.Alyssa:Tumecrois?Lui:Oui.Si tumele jures, je tefaisconfiance. Ilacertainementdû inventerçapourmefairedumal.Pourmemontrerque jene
t’intéressepas…Alyssa:Iln’avraimentriencompris…Lui:Pourquoitudisça?Alyssa:Parcequejeluiaireparlé.Lui:Tuluiasreparlé?Quand,Alyssa?
Alyssa?Jedétestequand ilm’appelle commeça. Jene saispas…Ça semble tellement cassant,froidetimpersonnellorsqueçavientdelui.Encoreunefois,ilmesemblesidistant,si…
Sec.Jedétesteça.Jehaiscettesituation.Jesaisques’ilm’appellecommeça,c’estparcequ’ilestdéçud’apprendreque jen’aipassu tenirmesengagements.Que j’ai reparléàsonennemi.Mais jenepeuxpasluimentir,parcequemaintenant, j’aicomprisqueMattnesegênerapaspourracontercequil’arrange.Notrealtercationd’hierluiaservideprétextepourinventercessaloperies.
Alyssa:Hiersoir,jemesuisrendueàlapiscineparceque…j’avaisenviedetevoir,voilà.J’avaisjusteenviedemesentirprochedetoipendantquelquesminutesalorsjesuisalléeàtonentraînement.Enfinbon…Mattm’avueetilestvenumeparler.Jel’aienvoyébouler,maisils’estlégèrementemporté.Ilnecomprenaitpaspourquoijepréféraist’écoutertoiplutôtqueluietilm’afaituneespècededéclaration.Enfin…Sionpeutappelerçacommeça.Ilm’aditquejeluiplaisaisetqu’ilaimeraitqu’ilsepassequelquechoseentrenous.
Lui:Quelenfoiré.Alyssa:Maisjen’aipasréponduàsesavancesetjel’aiplantélà.
Jenesaispaspourquoij’éprouvelebesoindemejustifier.J’aibesoindeluifairecomprendrequ’iln’apasàs’enfaire.Qu’iln’apasàsesoucierdelui.QueMattnereprésenterienpourmoi,etqu’ilnereprésenterajamaisrien.
Lui:D’accord,Aly.Écoute-moi…J’aivraimentbesoinquetutrouvesquijesuisrapidement.Çadevienturgent,OK?Etsurtout,situdiscutesavecMattànouveau,neluiparlepasdemoi.Nefaisaucuneallusionànous.
Alyssa:Pourquoi?Lui:Fais-le,c’esttout.Fais-moiconfiance.J’aivraimentbesoinquetumepromettesquetuneleferaspas.Alyssa:D’accord.Jeneluiparleraiplusdetoi.Lui:Ilvareveniràlacharge,surtoutmaintenant.Ilvatoutfairepourteséduireetsemontrerleplusirrésistibledenousdeux,maistu
nedoispascraquer.C’estcommeçaquelesautresfillessesontfaitavoir,maisjesaisquetuesdifférente.Sinon,dèsqu’ilt’auramisedanssonlit,ilnevoudraplusdetoiettoutserafini.Pourlesdix-huitfillesavanttoi,ças’estpassécommeça.
Alyssa:Mattselesesttoutesfaites?Lui:Oui,toutes.Ellesn’avaientplusqueleursyeuxpourpleurerlorsqu’illesajetéescommedesmalpropres.Cen’estpasfautede
lesavoirprévenuessurlui,commejel’aifaitavectoi,maisellesnem’ontpasécouté.Etsachequetoutseradéfinitivementfinientrenouss’ilsepassequoiquecesoitentretoietlui.
Alyssa:Jenemelaisseraipasavoir,net’enfaispas.Ilnem’intéressepasdetoutefaçon,tulesais.
Parcequelaseulepersonnequim’intéresse,c’esttoi.C’esttoietseulementtoi.Jem’enfousdeMatt,jem’enfousdesautres.Iln’yaquetoiàmesyeux.
Alyssa:J’aiquelquechoseàtedemander,moiaussi.Lui:Dis-moi.
Alyssa:L’autrejourdanslevestiaire,j’airécupérélalistedesnageurs,etj’aimenémonenquête.Aucunjoueurn’estdu1erfévrier.Commenttuexpliquesça?
Lui:Jesavaisqu’ondevraitenpasserparlà…Maismêmesiçapeutteparaîtrebizarre,c’estnormal,Aly.Alyssa:Quoi?Commentça,«c’estnormal»?Lui:Jenefaispasvraimentpartiedel’équipedenatation.
Moncœurs’arrêtedebattre.Quoi?C’estuneblague.Commentça,ilnefaitpasvraimentpartiedel’équipedenatation?Qu’entend-ilpar-là?
Alyssa:J’aidumalàcomprendre.Lui:Jecroisqu’ilseraitplusfacilequejet’expliqueçadevivevoix.Alyssa:Tuvasm’appeler?Unfrissond’excitationmeparcourtl’échine.Lui:Oui,àmoinsquetun’enaiespasenvie.Alyssa:Si,sibiensûrquesi.Vas-y.
Moncœuràprésents’emballecommejamais,j’ail’impressionquemesdoigtssontsurlepointdes’embraser.Unesensationétrangementagréableserépanddansmonventre.Nesoispassiniaise,Alyssa.Ilvajustet’appeler.
Mon portable semet à vibrer, j’ai dumal à croire au « Lui » qui s’affiche sur l’écran demontéléphone.C’estlesmainstremblantesquejemedécideàdécrocher.
–Allô?dis-jed’unevoixchevrotante.–Bonjour,Aly.Jesuisàdeuxdoigtsdedéfaillir,j’ailagorgesèche.Savoixgraveetvoluptueusem’envahitetla
chairdepoulehérissemonépiderme.J’ail’impressiondeconnaîtrecettevoix,del’avoirdéjàentendueàplusieurs reprises. Elle m’est étrangement familière, ce qui ne concorde pas avec les dires de monInconnu.Àmoinsquecenesoitl’effetdutéléphone.Entoutcas,j’aimesavoix.Jel’adoremême.Ellemedonneimmédiatementlesentimentd’êtreensécurité,etl’intimeconvictionque,danssesbras,riennepourraitm’arriver.Certes,samanièreàdem’appeler«Aly»nem’estpassiétrangère,puisquec’estladeuxièmefoisquejel’entends.Malgréça,j’aidumalàcontrôlermonémotion.Ilaunefaçonbienàluideprononcermonsurnom:unefaçonquilerendunique.
–A-Alors…,explique-moi.
–Ehbien…Audébutdujeu,tum’asdemandédetefournirunepreuvedemonappartenanceau«premierchoix»danslesgarçons.T’ensouviens-tu?
–Humoui,jecrois.–Riennemepermettaitdeleprouver,ducoupj’aipenséàça:êtreunnageur.Jesavaisqueçate
plairait.Jeveuxdire…çaplaîtàtouteslesfilles,dumoinsàlaplupart.Jenevoulaispasqueturefuseslejeuuniquementparcequejepeuxpasserpourunintelloplusquepourunathlète.Carlavérité,c’estquejen’aijamaisréussiàentrerdansl’équipe.
–Vraiment?– Oui, vraiment, Alyssa. Ça craint de te l’avouer mais je ne fais, et n’ai jamais fait partie de
l’équipedenatation,maiscen’estpaspourçaquejeneméritepasd’avoirunechanceavectoi.Waouh…Jenem’attendaisréellementpasàça.–Commentveux-tuquej’aieconfianceentoi,àprésent?–Je suisdésolé,Aly.C’est la seulechoseque j’ai trouvépour te retenir.Si j’avaiseu lechoix,
crois-moi,jenel’auraispasfait.Deplus,sij’avaisvraimenteuletempsderéfléchir,jen’auraisjamaisditquejefaisaispartiedecettefoutueéquipe.Parcequefinalement,c’estunpeumoiquit’aijetéedanslesbrasdeMatt.
C’estvrai,quandonypense.C’estLuiquim’aamenéeàm’intéresseràcetteéquipe,c’estLuiqui
m’apousséeàassisteràce relais,Luiquim’a invitéeàcette fête.C’estLuiquim’amiseen relationavecMatt,finalement.
–Jen’accepteraiplusaucunmensonge,tum’entends?Plusaucun,mêmelepluspetit.–D’accord,monAmour.Onsedittoutmaintenant.
«Monamour»?Jeresteparalyséeuninstant.J’ail’impressionquemoncerveaus’estdéconnecté
unebonnefoispourtoutes.Jen’étaispaspréparéeàça.Jefermelesyeuxquelquessecondes,essayantderetrouver une certaine contenance. Je prends une grande inspiration, rouvre les paupières et lui dis,pragmatique:
–Vuquetunefaispaspartiedel’équipedesnageurs, tuas intérêtàmedonnerdesindicespourm’aideràtrouverquituesd’icilebal.Turéalisesquejesuisretournéeàlacasedépart?
–Ons’enfoutdujeu,Alyssa.Situnetrouvespas,jetelediraimoi-même.Parcequejenepeuxplusmepasserdetoi.Jenepeuxplusmepasserdenous,Aly…Onaperdutropdetemps.
–27–
Matt:Alyssa,j’aimeraisqu’ondiscute.Matt:S’ilteplaît…Jeveuxjustequ’ons’explique.Matt:S’ilteplaît,Aly.Matt:Accorde-moijustecinqminutes.Matt:Detoutefaçon,situcontinuesdem’ignorer,jeviendraiteparlerdemainaulycée.Matt:Jenesaispascequetonimbéciled’amiauZippot’adit,maisc’estfaux.
SixmessagesFacebook.Mattm’a envoyé sixmessages enunedemi-heure.Et je commence à enavoir plus que marre de sentir mon portable vibrer à cause de lui. Qu’est-ce qu’il n’arrive pas àcomprendredans«Jeneveuxplusqu’onseparle»?Cen’estpourtantpascompliquéàassimiler.Jeneveuxplusluiparler.Jeneveuxpluslevoir.Jeneveuxplusavoiraffaireàlui.
J’avouequejenem’attendaispasàsadéclarationdel’autrefoismais,grâceàmonInconnu,jesuispersuadéequeMattm’aditçauniquementpourmeséduire.Alors,non.Ilaurabeaufaire toutcequ’ilveut,ilnem’aurapas.Maiscen’estpaspourautantquejenevaispasluirépondre,detoutefaçonjenepeuxpasacceptersonderniermessage.Alorsjerédigefébrilementuneréponseàsesprovocations.
Alyssa:Jet’interdisdedirequec’estunimbécile.Matt:Ah,turépondsenfin…Alyssa:Oui,pourtediredenepasletraitercommetulefais.Matt: J’ai l’habitudededire ceque je pense.Et là, je crois que ton ami est un imbécile, alors je le dis.Et encore, quand je dis «
imbécile»,jerestepoli.Alyssa:Tueslibredepensercequetuveux,maisgarde-lepourtoi.Detoutefaçon,jemefousdecequetupensesdelui.Matt:Jenesuispassûrquetut’enfoutes,commetuledis.Enfait,jecroisquetuescomplètementpauméeetquetun’asaucune
idéedequidenousdeuxestlementeur.Alyssa:Tupensesmal.Jen’aiaucundoutesurcequemonamiditdetoi.Matt:Tun’asaucundoute?Pourtant,ilyadeuxsemainestuclamaisvouloirtefaireuneopinionpartoi-mêmeetmeredonnerune
chance.Celavoulaitdoncdirequetun’étaispassûredecequ’avançaittonprécieuxamiàmonsujet.Alors,Alyssa,as-tuchangéd’avisensipeudetempsoua-t-ilréussiàt’embobineravecsesbellesparoles?
Alyssa:J’aichangéd’avis.Jelecrois.Jepensequ’ilditvrai.
Matt:Maisquiest-ilpourtoi,pourquetulecroiessurparole?Tuasuneconfianceabsolueencegarçonettucroistouslesbobardsqu’ilteraconte?Jetepensaisplusmalignequeça.
Alyssa:Plusmaligne?Ehoui,onestsouventdéçuparlesgens,Matt.Matt:Maisdis-moicequ’ilt’aditaumoinspourquetuneveuillesplusentendreparlerdemoi?Alyssa:Tun’aspasbesoindelesavoir.Matt:Maisilestquoipourtoi?C’esttoncopain?Alyssa:Non,mêmepas,etdetoutemanièreçaneteregardepas.Matt:Cen’estpastoncopain,maistul’aimes?
Si je l’aime ? Je crois. Enfin, je n’en sais rien. Je n’ai jamais été amoureuse auparavant, alorsj’ignoresijelesuisréellementousijeressensd’autressentimentsàl’égarddemonInconnu.Jen’ensaisrien,parceque jen’aipasdeboussole, jen’aipasd’antécédent enmatièred’amour, aucune façondem’orienter.Alors,jenesaispas.Jesaisjustequ’ilcompteénormémentàmesyeux,etquejenepeuxplusmepasserdesaprésence–aussivirtuellesoit-elle.
Alyssa:Etalors?Jeteplaisbienalorsquejenesuispasavectoi.Matt:Çan’arienàvoir,Alyssa.Laisse-letomber.Tunecroispasques’iléprouvaitlesmêmessentimentsquetoi,tuseraisdéjàsa
copine?Jesuislàmoi,etjesuisprêtàt’offrirtoutcequetusouhaites.Alyssa:M’offrirunepartiedejambesenl’air,c’estçaquetuentendspar«jesuisprêtàt’offrirtoutcequetusouhaites»?Matt:Alorsc’estçaqu’ilt’adit?Quejevoulaistesauter?Putain,quelenfoiré!C’estfaux,Alyssa.Jamaisjeneteferaisça.Alyssa:Etcommentserais-jecenséelesavoir?Jeneteconnaispas,pourquoitecroirais-je?Matt:Etpourquoicroirais-tucegarsalorsquetunel’asjamaisvu?
Je me prends une claque monumentale. Le choc est si violent qu’il me laisse abasourdie, sansréplique assassine. Comment sait-il que je n’ai jamais vu l’ami au Zippo ? Comment peut-il être aucourant,bordeldemerde?
Alyssa:Qu’est-cequeturacontes?Matt:Necherchepasànier,Aly.Jesuisaucourant.
J’aibesoind’airetmeprécipiteàlafenêtre.J’ail’impressionquejevaistomberdanslespommestantma tête tourne. Jem’écroule sur le balcon.Ce n’est pas possible.Ce jeu était censé rester entrel’Inconnu et moi. C’est la règle. Comment ce fouineur peut-il être au courant ? Aucune méthode derespirationn’arrive àme calmer. Je nem’y attendais tellement pas, le choc est tropgrand. Je suis enproieàunevraiecrisedepanique.Pourquoimaréactionest-ellesiviolente,siintense?Sûrementparceque je ne peuxme résoudre à penser que quelqu’un d’autre que l’Inconnu etmoi – etLouis – soit aucourantpournotrejeu.Etquecejeunenousappartientplus.CarsicetenfoirédeMattestaucourant,ilva semer la zizanie. Puisqu’ilm’a bien fait comprendre qu’ilme désire et qu’il le déteste,Lui.Mesjambessedérobentetjem’assoissurlesdallesdubalcon.Unemainsurlapoitrine,j’essaietantbienquemal de régulerma respiration. Il faut que je nie. Il faut que je le persuade qu’il a tort. Que je le
persuade que je ne sais pas de quoi il parle. Je prends encore trente secondes pour reprendre mesespritsavantd’écrireunnouveaumessage.
Alyssa:Dequoies-tuaucourant?Matt:Devotrejeuàlacon.Jenet’imaginaispascommeça,Alyssa.Jenesavaispasquec’étaittonstyle,detelancerdansunjeu
glauqueavecunmecquetuneconnaismêmepas.Alyssa:Commentes-tuaucourantpourcejeu?
Macuriositéestsifortequejen’essayemêmepasdenier.
Matt:Ilmel’adit.Alyssa:Qu’est-cequ’ilt’adit,aujuste?Matt:Qu’iljouaitavectoi.Alyssa:Et…?Matt:Etçafaitunbailquejesuisaucourantdesonjeu,desesmagouillesaveclesfilles,Alyssa.Ilafaitçaprèsd’unevingtainede
fois,jesuisbienplacépourlesavoir,àchaquefoisils’enprendauxfillesquimeplaisent.C’estcommeçaqu’ilvouschoisit.Pourmefairechier.Sonbut,c’estdemedénigrerpourplombermeschancesetvousfairetomberamoureusesdelui.C’estça,sonjeu.
Alyssa:Tumens.Iljouepoursedivertir.
Jesaispertinemmentquecen’estpaslevéritablemotifdujeu,maispourquoienparleràMatt?Cetinquisiteurpourraitcreusercettepisteetl’utilisercontremonInconnu.
Matt:Tucroisvraimenttoutcequ’il tedit?Maisbordel,Alyssa,réveille-toi!Quelgenredepersonneéquilibréeinventeraitunjeucommecelui-cisansraisonvalable?Tupensaisréellementqu’ilfaisaitçapoursedivertir?Biensûrquenon,ilfaitçaparcequ’ilatoujoursétéjalouxdemoietqu’ilestprêtàtouteslesbassessespourm’atteindre.
Alyssa:Quimeditquecen’estpasl’inverse?Quecen’estpastoiquidraguestouteslesfillesavecquiildécidedejouer?Peut-êtrequec’esttoiquiesjaloux,etnonl’inverse.
Matt:Tuteraccrochesàcetteidéeparcequetuneveuxpasadmettrequ’il t’amenéeenbateaudepuisledébut.Maisje le jure,Alyssa.Jedislavérité.Cegarst’utilisepourmeblesser,ilt’utilisepourmefairedumal,ils’enfoutcomplètementdetoi.Cen’estpasmoil’enfoirédel’histoire,Aly.
Jesuisdenouveau totalementperdue.ToutcequevientdemedireMatt tient la route. Ilest fortpossiblequel’Inconnusoitjalouxdelui.Déjà,parcequeMattfaitpartiedel’équipedenatationetpasLui.Etpeut-êtrequ’ilyaencored’autres raisonsque j’ignorequipoussent l’Inconnuàêtre jalouxdeMatt.SansoublierqueLuim’amenti.Iln’estpasfiable.Alorsoui,peut-êtrequej’avaistort.Peut-êtrequelementeurdansl’histoire,cen’estpasMattmaisl’Inconnu.
Cequej’aipuêtreconne!
–28–
Lebalapprocheetjesuisplusperduequejamais.Jen’aiplusquetroissemainespourdécouvrirquiest l’Inconnuenn’ayantque trèspeud’indices.Etencore,c’estdeMattque je les tiens.Doncpasmoyen de savoir s’ils sont valables. Je n’en sais foutrement rien. Je ne pense pas pouvoir lui faireconfiance,maisd’unautrecôté,l’Inconnu,aufinal,nemesemblepasplusfiable.
LaversiondeMattestplausiblequandonypense,pourtantquelquechoseenmoin’arrivepasàycroire.Non.Pourmoi,MattatoujoursétélementeuretLui,celuiquiditlavérité.Jelesaisaufonddemoi.C’estsûrementstupideetnaïfmaisqu’est-cequejepeuxyfaire?J’éprouvedessentimentssifortsàsonégardquetoutmepousseàl’idéaliser,mêmesitouteslesapparencessontàprésentcontrelui.Jen’ypeuxrien.Jel’aidanslapeau.Penserqu’ilmentm’estinsupportable.C’estpourçaquej’aisimalréagiauxproposdeMatt.
J’aipensé, sur le coup,quec’étaitvrai, queLui était réellement jalouxdeMatt etquec’était sa
motivationpourlejeu.Maisj’aifinalementécartécetteéventualitédemonespritenrepensantaufaitqueMatt nem’avait encore jamais adressé la parole lorsque j’ai débuté le jeu.Alors comment l’Inconnupouvait-ilsavoirqu’ilavaitdesvuessurmoi?C’estinsensé,çanecollepas.Oualorscen’estquedansmonespritqueçanecollepasetjevaisdroitdanslemur.Entoutcas,j’aidécidédefaireabstractiondesaveuxdeMattetdenepasenparleràl’Inconnu.Jevaisfairecommesionn’avaitjamaiseucetteconversation,mêmesiçavaàl’encontredespromessesquenousnoussommesfaitesLuietmoi.
Il y a deux jours, je me suis payé le culot d’aller voir Matt pour lui demander de me révéler
l’identitédel’Inconnu.Jesavaisquec’étaitplutôtgonflédemeservirdeMattaprèscequejeluiavaisenvoyédanslagueulecesdernièressemaines,maisj’aitoutdemêmeprismoncourageàdeuxmainsetj’ysuisallée.
Latêtequ’ilafaitequandjeluidemandé!Jenemesuismêmepasembarrasséed’un«bonjour»oud’un«s’il teplaît», j’ysuisalléedirectet jecroisqu’ilne l’apas trèsbienpris. Ilm’aemmenéeà
l’écartdesongroupe,danslequeljem’étaisincrustée,etm’alancéun«sérieusement?»quejenerisquepasd’oublier.Savoixétait tellement sècheet sonexpression sidépitéeque j’aipresque failli laissertomber et m’excuser pour ma grossièreté. Mais je me suis ressaisie et suis restée aussi neutre quepossiblejusqu’àcequ’ilrépondeàmaquestion.Maisj’aieubeauargumenter,Mattn’arienlâché.Etilamisfinàladiscussionendisant,jelecite:«Sijenepeuxpast’avoir,ilnet’aurapasnonplus.»Puisilatournélestalonsetm’aplantéelà.
En prime, les vacances me bloquent dans mes recherches. C’est bien la première fois de ma
scolarité que j’aurais préféré continuer les cours jusqu’à la fin de l’année sans avoir de break.Mesparentstravaillent,alorsjenevaisrienfairedespécial.Jenevaisrienfairedutout,enfait.Justetraînersurmonordinateurpendantdeuxsemainesjusqu’àchoperlamyxomatose.
Terrifiant.Toutàl’heure,jemesuisdécidéeàsortirdelamaisonpourallerfumer.Jesuisalléedansunparc
prèsdechezmoihistoiredenepaslaisserdemégotstraîner.Parcequesimamèreoumonpèredécouvrequejefumeencore, jesuispersuadéequ’ilsn’hésiterontpasàm’envoyerdansunpensionnatavecdesbarreauxauxfenêtrespourm’éviterdemebousillerlespoumons.Déjàquelesdernièressemainesontétéuncalvaire,avecunemèreallantjusquedanslapanièredelingesalepourreniflermesvêtements,etunpère me faisant la morale à chaque fois qu’il en a eu l’occasion, je ne veux pas prendre le risqued’aggravercettemascarade.Jejurequejen’exagèrepas.Jepensequ’ilsseraientvraimentcapablesdem’envoyerdansunpensionnat–ou,pire,uncouvent–pourmepunir.Alorsjepréfèrenecouriraucunrisqueetmefaireunebaladeclope.Çanemeferapasdemaldequitterunpeumachambreetdem’aérerlatête.Deplus,j’aiinvitéLouisàmetenircompagnie,ilnedevraitplustarder.
Assise sur un banc, une cigarette aux lèvres, j’admire le parc qui s’éveille à la vie un peu pluschaquejour.L’hiver,toutsembleendormi.Iln’yaplusaucunsignedevie,plusaucuneoncedechaleuroud’existence.Tout sembleendormietdésert.Puisauprintemps, tout semble s’éveillerànouveau,etj’adoreça.Lesfleurs,lesarbres,lachaleurrevient,lesanimauxréapparaissent,etmoi,jemesensbien.
Le silencen’est troublé quepar quelques oiseauxqui chantent dans les arbres,mais ce presque-silencem’apaise.J’ysuistellementhabituéeàlamaisonqu’ilmesécurise.
Une vibration dansma pochem’arrache àma contemplation. Àma plus grande surprise – vousnoterezl’ironie–,c’estuntextodeLui.
Lui:Salut,mabelle,commentvas-tuencedébutdevacances?Alyssa:Ilfaitbeau,jenepeuxqu’allerbien.Ettoi,commentçava?Lui:Çava.Tuvasmemanquerdurantcesdeuxsemaines.Neplustevoirpendantsilongtemps…Jenesuispassûrdepouvoirtenir.Alyssa:Biensûrquesi,tutiendras.Çafaitdesmoisquejedoistenirsanstevoiretj’yarrive.Bon,jet’avouequejecommenceà
perdrepatience.Çafaittroismoismaintenantquenousjouonsetj’aimeraisbienquetoutçaaboutisseàquelquechose.Lui:Jesais,Aly.Tuestrèsforte,chérie.Alyssa:Ilt’estdéjàarrivédejoueraussilongtempsavecunefille?Lui:Non.Alyssa:Pourquoi?
Lui:Parcequ’ellescraquaienttoutespourMattavant.Aucunen’atenuplusdedeuxmois.Alyssa:Jesuisunpeuune«survivante»alors?Lui:Onpeutdireça,oui.Tuesmasurvivante.Alyssa:J’aimequandtudisça…Toi,tuesmonInconnu.Lui:Qu’a-t-elleprévupourcesvacances,masurvivante?Alyssa:Jen’ensaistroprien…Jevaisresterchezmoi,sûrement.EtallerfairedushoppingavecHollyetGabriella.Onveuttrouver
nosrobespourlebalmasqué.Lui:Çaàl’aircool.N’oubliepas:unerobebleue.Alyssa:Oui,net’inquiètepas,c’estnoté.Jeferaidemonmieuxpourtrouverlarobedetesrêves.Lui:TumeplairaismêmeenpyjamaWinniel’Ourson,tusais?Alyssa:N’importequoi.Tun’imaginespascommentunpyjamaWinniel’Oursonmegrossirait!
Jesourisettireamoureusementsurmacigarette.Lesoleilréchauffemapeaublafardequin’apasvudelumièrenaturelledepuisdesmois.Cequeçafaitdubien…
Lui:Jesuissûrquemêmedanslepiredespyjamasgrossissantstumeplairaistoujours.Alyssa:Peut-être,maisjepréfèrel’idéedelarobebleue.Lui:Évidemment.Alyssa:Jeveuxquetut’habillesennoir,moi.C’estmacouleurpréférée,alorsjeveuxquetulaportes.Lui:Unsmokingnoir,çadevraitêtrefacileàtrouver.Alyssa:Jesais…Cen’estpastrèsoriginal,maisaussidifficileàcroirequecelapuisseparaître,j’aimeparfoisleschosesclassiques.Lui:Net’enfaispas,chérie.J’auraileplusclassiqueetleplusbeausmokingnoirdel’assistance.Alyssa:Jepensequetuserasparfait.Lui:J’aiintérêtàl’êtresijeneveuxpasmesentirtropridiculeàtescôtés.Alyssa:T’escon.Lui:Jenesuispascon.C’estlessentimentsquimerendentniais,maisjesuispascon,Aly.
Lessentiments.Moncœurs’agitedansmapoitrineetjelasens,cettesensationdansmonventre.Cesentimentincroyablequemesorganesvitauxs’éveillent.Oui,j’ail’impressionqu’ilss’éveillentpourlapremière foisdepuisdix-sept ans.Après toutescesannéesàvégéter, j’ai l’impressionqu’ilsprennentvie.Commelepaysage,commeleparc,commetoutelaville,j’ail’impressionquejerenais,ouplutôtque jenaisenfinpourdevrai.Toutcequim’entoureet toutcequimeconstitue renaît. Jen’ai jamaisressentiunechosepareille,jamaisjusqu’àcequ’Ilmediseça.
Alyssa:Jerêveoutuviensdedirequetuasdessentimentspourmoi?Lui:C’estcequej’aidit?Ahoui,ilfautcroire.Faiscommesitunesavaisrien,jeveuxpouvoirteledireenlive.Jeveuxpouvoirte
susurrercequejeressenspourtoiaucreuxdetonoreillecesoir-là.Alyssa:Commentça,«cesoir-là»?Lui:Avantquejeneteréponde,jeveuxquetumepromettesquelquechose.Alyssa:Oui,toutcequetuveux.Lui:Quandtusaurasquijesuis,jeveuxquetumepromettesdemelaissertoutt’expliquer.Etjeveuxquetum’écoutessansposerde
questions,etsanst’énerver.Promis?Alyssa:Pourquoim’énerverais-je?Lui:Tucomprendrasentempsetenheure,Aly.Contente-toidemejurerdemelaissert’expliquer.Alyssa:Juré.
Jerépondsçacommeça.Sansréfléchir.Jejurequelquechose,sanspenserauxrépercussions.Aupointoùj’ensuis,aprèstout.Etpuisj’aibeauessayer,jen’arrivepasàm’enfaire,nimêmeàypenser.Parcequemessenstoutneufsmedictentquoifaire.
Alyssa:Maintenant,dis-moicequetuveuxdirepar«cesoir-là»?
–Lyssa!Louissedirigeversmoi,l’airenjoué.Ilprendplacesurlebancàmescôtésetpassesonbrasautour
demesépaules.–Salut,Lou,dis-jeenl’embrassant.–T’esbien,là,dis-moi.Illouchesurlacigarettequejetiensentredeuxdoigts.Jesaisqu’ilenveutune.Jesorsmonpaquet
etluientendsuneainsiquemonZippo.–Merci,Lyssa.Ilestsympatonbriquet,dit-ilenallumantsaclope.–Ouais,c’estuncadeaudemonInconnu.–Sérieux?Ilestplutôtgénéreux,lepetit.Montéléphonevibre.–Quandonparleduloup…ricaneLouisenjetantunœilàmontéléphone.Jesourisetlissonmessage.
Lui:Enfait…J’ai longuement réfléchi,Alyssa.Et j’ai finiparprendreunedécision.Lesoirdubalsera lederniersoirdu jeuet lepremiersoirdenotre«nous».Quetutrouvespartoi-mêmeounon,tusauras,commejetel’aipromis,quijesuis…
–29–
Alyssa:Tesplusgrandsrêves,c’estquoi?Lui:J’ensaistroprien.Jesuispasungrandrêveur,Aly.Àlabase,jen’aimemêmepaslasignificationdumot«rêve».Parcequ’on
voitquelquechosedequasiimpossibleàréaliser,àobtenir,quandonutilisecemot,etjen’aimepasça.J’aimepenserqu’onestcapabledetoutobtenirsions’endonnelesmoyens.Àmesyeux,toutdoitêtreréalisable.
Alyssa : Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle.Onm’a appris à rêver et à réalisermes souhaits depuisma plus tendreenfance.
Lui:Sicesontdeschosesréalisables,cenesontpasdesrêves,Aly.Alyssa:J’ai toujoursappelécessouhaitsdesrêves.Parcequepourmoic’est importantdesefixerdesobjectifsquasi impossibles,
commetudis.Çanouspousseànousdépasserpourlesvoirseréaliser.Lui:Letruc,c’estquepeudegensraisonnentcommetoi.Laplupartpensentqueleursrêvesdoiventlerester.Parcequedansleur
tête,c’estinaccessible,unechimèrequiresterachimère.Alorsques’ilss’endonnaientréellementlesmoyensilslesatteindraient,leursrêves.Alyssa:Moi,jesaisquelesmiensseréaliseront.Lui:Quelssont-ils?Alyssa:Quittermesparents,m’émanciperrapidementpourvivremaviecommejelavois.Leurprouverquecen’estpasparcequeje
neseraipasavocate,commeeuxlevoudraient,quejenepourraipasm’épanouirprofessionnellementparlant.Quejepeuxfairedegrandeschosesavecunbagagelittéraire.Quejepeuxécriredesarticlesdepresse,oudesscénariosdefilmdignesdesplusgrands.Jeveuxrencontrerlesmeilleursécrivains,quipourrontm’apprendrelesficellesdumétier.J’aimeraisjusteprouveràmesparentsquejepeuxfairedesgrandeschosessansêtrelafillequ’ilsauraientaiméquejesois.Quecen’estpasparcequejenedevienspascequ’ilsavaientprévuquejesuisvouéeàavoirunecarrièremerdiqueouàratermavie.Voilà,jerêvedecegenredechoses.
Lui:Ouais,c’estdecegenrederêvesdontjeparlais.Ceux-là,tupeuxlesvoirs’exaucersitut’endonneslesmoyens.Maislaplupartdutemps,quandlesgensparlentderêves,ilsnevoientpascegenredechoses,dumoinsdemonpointdevue.
Alyssa:Quevoient-ilsalors?Lui:Ilsvoientdeschosesplusfantaisistes,plusincroyables.CommegagnerauLoto,marchersurlaLune,êtrel’égéried’unegrande
marquede luxe,avoirdesdizainesdevoitures,posséderplusieursmaisonsauxquatrecoinsde laTerre,devenircélèbre,êtreaiméde toussansvraiment l’avoirmérité, posséderunparcd’attractions…Voilà, ceque lesgensvoient quandonparlede rêves.Et ces rêves-là sontquasimentirréalisables.
–Alyssa?JerelèvelatêteetdécouvreGabriellavêtued’unelonguerobeviolette.Elletournesurelle-même,
faisantlégèrementvirevolterlespansdutissu,avantdemefairefaceànouveau.–Tulatrouvescomment?medemande-t-elle,ungrandsourireauxlèvres.
–Belle.Elletevabien,dis-jel’airdétaché.Sonsourires’effaceaussitôt,etellepenchecomiquementlatêtepourévaluerelle-mêmelerendude
satenue.–Tuasditçapourlestroisdernièresrobesquej’aiessayées.Tupeuxmelediresitunel’aimes
pas,tusais?–Ellessonttoutesjolies,c’esttout.Peuimportecellequetuprendras,tuserasparfaite,jen’ypeux
rien.LeslèvresdeGabriellas’arrondissentenun«o»désapprobateur,tandisqu’ellesedirigeavecla
dignité d’une reine outragée, tout en retenant sa traîne, vers la cabineoù elle essaie des robes depuismaintenant près de trois quarts d’heure. Sa longue chevelure brune cache le dos nu dumodèle que jevienssanslevouloirdecondamner.
Jetentedemerattraperinextremisjusteavantqu’ellerefermelerideausurelle.–Ellestevonttoutesbien,maisj’aiunepréférencepourlablanche.Elleseretourneaussisecetmetoiselonguement.–Lablanche?répète-t-elled’unairréprobateur.–Oui.C’estcellequejepréfèresurtoi.–Merci,Aly.J’opinefrénétiquementpourluimontrerqu’ellen’apasàmeremercieretqu’ellepeutretourneràsa
cabine.JesecouelatêteensouriantbêtementetrécupèremontéléphonepourreprendremaconversationavecmonInconnu.
Alyssa:Quefais-tu?Lui:Jebosse,ettoi?Alyssa:JefaisdushoppingavecGabriellaetHolly.
Holly,Gabriella etmoi sommesvenues acheter nos robespour le bal.Le jour J est dansunpeumoinsdedeuxsemainesàprésentetnousprofitonsdecemercrediaprès-midipourfairenosemplettes.Etonabienfaitdes’yprendreàl’avanceparcequenousensommesdéjàànotretroisièmemagasinet,pourlemoment,jen’aivuaucunerobesusceptibledemeplaire.SiGabriellas’éternisedanslescabinesd’essayageetHollydanslesrayons,jepréfèrem’asseoirdansunfauteuilenlesattendantaprèsunsimplecoupd’œilauxcollections.Jesuiscommeça,jefonctionneaucoupdecœur.Silevêtementnemeplaîtpasdupremiercoup,c’estfichu.C’estpourçaquemagarde-roben’estpastrèsfournie.Jetourneaveclesmêmesvieillesfringuesdepuiscequimesembleêtreuneéternité,maisjenem’ensouciepasplusqueça.Lamode,çan’ajamaisétémontruc.
Lui:Dushopping?Vousachetezquoi?Alyssa:Rien,pourl’instant.Onregardelesrobespourlebal,maisaucunedenousn’aencoretrouvélaperlerare.Lui:Jevois…J’imaginequechoisirunerobeestpluscomplexequedechoisiruncostume.C’estvrai,jeveuxdire,ilyadestasde
couleursderobes,destasdeformes,etdestasdematières.Jecomprendsquevousayezdumalàchoisir.
Alyssa:Tuastoutcompris.Bienquemarestrictiondecouleurréduisemespossibilités,j’aiquandmêmeunmalfouàtrouver.Riennem’atapédansl’œil.J’imaginequ’uncostumebiencoupén’estpassifacileàtrouvernonplus.
Lui:Çaviendra,j’ensuiscertain.(Pourmapart,çan’apasététropcompliquépourlecostume.)Alyssa:Jen’enseraispassisûre,sij’étaistoi.Jesuisvraimentdifficileentermesdevêtements.Lui:Ahoui?Alyssa:Oui.J’aimeraisbienquelamarrainedeCendrillonviennemeconfectionnerunerobeparfaited’uncoupdebaguettemagique.Lui:Oh,c’estvraiqueçaseraitsuper,chérie.N’oubliepasteschaussuresdevair,surtout.Alyssa:Tefouspasdemagueule,toi.Lui:Netefâchepas,Aly.Pourmefairepardonner,laprochainefois,jet’aideraiàchoisir.Alyssa:Quiteditqu’ilyaurauneprochainefois?Lui:Jelesais.Onreferadesfêtesensemble.Alyssa:Qu’est-cequitefaitcroireça?Lui:Maisvoyons,c’estnotredestind’êtreensemble.Alyssa:Tunevaspasmefaireavalerquetucroisaudestin.Tunecroisniàlachanceniauxrêvesetcertainementpasplusàplein
d’autreschosesquej’ignore,alorsjerefusedepenserquetucroisaudestin.Lui:Tun’aspastoutàfaittort.Tucommencesàmeconnaître,etj’aimebiença.C’estvrai,jen’ycroispasvraiment.Etjenecrois
pasquetoutsoitécritàl’avanceetquenousnesoyonsquelejouetdelafatalité.Alyssa:T’esconparmoments,maistusemblesintelligent.Tuessûrquetun’espasunlittéraire?Turaisonnescommeunphilosophe
certainesfois,c’estassez…déroutant.Lui:Un littéraire?Moi?Non,chérie.Sûrementpas.Cen’estpasparceque jenecroispasà lachance,aux rêvesoumêmeau
destin, que je suis un philosophe. Je le sens juste dansmes veines, qu’on fera des choses ensemble. Et qu’on n’est pas près de voir noscheminsseséparer.
–Alyssa!Jecroisquej’aitrouvélarobeparfaite!JelèvelesyeuxpourvoirHollyémergerdudédalederayonsenbrandissantunerobeendentelle
rosepoudré.Ellesautillejusqu’àmoietbalancesonsacàmainsurmesgenoux.–Jevaisl’essayer!J’arriiiive!chantonne-t-elleens’engouffrantdansunecabineàcôtédecellede
Gabriella.Jefermelesyeux,n’enrevenantpasdelaréactionpuériledemonamie.Jeposeàmespiedslesac
quecettedernièrevientdebalancersurmesgenouxetm’avachisànouveaudanslefauteuil.Bon, je crois que si Holly se met à l’essayage, je ne vais plus avoir de temps à consacrer à
l’Inconnu.C’étaitdéjàdurd’engérerune,alorsdeux…
Alyssa:Noscheminsvontseséparer…pourlemoment,entoutcas.Jedoistelaisser.Jesuisla«stylistepersonnelle»desfillesetellesmedemandentsansarrêtmonavis.Jerisqued’êtrepriseunpetitmoment.Onseparlecesoir?
Lui:D’accord,chérie.Àcesoir.
–30–
–Tuvastellementmemanquer,Lou,dis-jeenleserranttrèsfortdansmesbras.MonmeilleuramiembarquepourSanFranciscodansàpeineunquartd’heure.Jenesuispasprêteà
lelaisserpartir,pasprêteàêtreséparéedeluiànouveau.J’aitellementsouffertladernièrefois,jen’aipasenviequecelasereproduise.Nousavonspassédesibonsmomentsensembledepuissonretour,jen’aipasenviedemedirequ’iln’yenaurapasd’autres.Oudumoins,pasavantlongtemps.Louispassegentimentlamaindansmondosd’ungesteréconfortant.Ilm’embrasserapidementsurlefrontetprendmonvisageentresesmains.
–Tuvasmemanqueraussi,Lyssa.–Tum’appellesquandtuatterris?–Biensûr.OnparlesurFacebook,d’accord?–Promis.Ilmesouritetlecoindesesyeuxseplisse.J’aitenuàvenirpoursondépart,pourprofiterdelui
jusqu’àladernièreseconde,etnousyvoilà.Déjà.Jamaisjen’auraispenséqueletempspasseraitsivite.Sij’avaissu,j’enauraisencoreplusprofité.
–TudirasbonjouràAlicedemapart,OK?–Jeferaiça,oui.EttoiàtonInconnulorsquetusaurasenfinquic’est.–Iladitquemêmesijenetrouvaispas,jesauraislesoirdubal.–Vraiment?–Oui,jecroisqu’ils’impatiente…C’estvraiqu’onnepeutpasdirequej’aieététrèsbrillantedans
mesrecherches,nitrèsrapide…–Plusdetroismois?Ouais,c’estvraiquecen’estpastrèsrapide.Tuesunpeucommeunetortue.Jeluiassèneuncoupdansl’épaule.Toujoursàmechercher,celui-là.Ilattrapemonbrasetmetire
versluipourunderniercâlintandisquej’essaiedelerepousserenpouffant.–Lâche-moi.–Prendssoindetoi,Alyssa.
Mon sourire s’évanouit. Je me rappelle où nous sommes et j’ai brusquement envie de pleurer.
J’enroulemesbrasautourdelui,lecollantunpeupluscontremoi.Unebouleseformedansmagorgeetjesensleslarmesmemonterauxyeux.
–Tum’oublieraspas,pasvrai?Jesaisbienquenon,maisj’aibesoindel’entendremeledire.Cettesituationesttellementdifficile
pourmoi,c’enestdouloureux.J’aibesoinqu’ilmerassure,commeill’atoujourssibienfait.–Biensûrquenon.Mavieseraittellementnullesanstoi,murmure-t-il.–TudirasàtonAlicequ’elleabeaucoupdechancedet’avoir.Jenevoispassonvisage,puisqu’ilestenfouidansmoncou,maisjesaispertinemmentqu’ilsourit.–Ettuluidirasaussique,sielletefaitdumal,elleentendraparlerdemoi.–J’aibeaucoupdechosesàluidire,disdonc.Tuferaismieuxdeluiécrireunelettredirectement,
glousse-t-il.Jelèvelesyeuxauciel.Onatoujoursétésurprotecteursl’unenversl’autreetcen’estpasprèsde
s’arrêter.Malgré l’Atlantiqueentrenous,nouscontinueronsàveiller l’unsur l’autre.C’estcommeça,noussommescommeliéspardesfilsinvisibles.
Une voix grésille dans les haut-parleurs pour annoncer l’embarquement dans l’avion 107D à
destinationdeSanFrancisco.Jemesensdeplusenplusmaletressersencoredavantagenotreétreinte.Ilfautquejesache.–Combiendetempsallons-nousêtreséparés,cettefois?–Pourêtrehonnête,jen’ensaisrien.–Sijepeux,jeviendraiterendrevisitecetété.–Çaseraitsuper,oui.Aliceseraitraviedeterencontrer.–Tuluiasparlédemoi?–Biensûr,attends!Commentparlerdemoisanstementionner?Saphrasememetdubaumeaucœur.Jesouris tristementpuismedécideà le lâcher.Jesaisque
l’heureestvenue.Qu’ildoitquitter laFranceetpartirvivresavieenAmériqueavecsacopine.Monmeilleuramisebaisseetattrapesonsacàdos.Ilsortdesonportefeuillesonbilletetsonpasseportetexhaleunlongsoupir.
–Jecroisqu’ilesttempsdenousdireaurevoir.–Oui,malheureusement.–Nesoispastriste,Alyssa.Icioùàl’autreboutdumonde,tuastoujourslamêmeplacedansmon
cœur.–Jesais.–Jet’aime,Lyssa,nel’oubliepas.Jesuislàpourtoin’importequand.Àn’importequelleheuredu
jouroudelanuit.Tupeuxtoujourscomptersurmoi.–Pareilpourtoi.Jet’aimeaussi,Lou.
Nous nous serrons une dernière fois dans les bras avant de nous diriger vers le comptoir
d’embarquement.Nousnoustenonslamainenfaisantlaqueue.LorsqueletourdeLouisarrive,il tendsonbilletetsonpasseportàl’employéenmeregardantdanslesyeux.Ilm’embrassesurlefront,pressantfermementseslèvrescontremapeau.
–N’oubliepasdem’appeler.–Promis,dèsquej’arrive.Jem’extirpedelaqueueetleregardepartir,lesyeuxpleinsdelarmesquejepeineàretenir.Ilse
retourneunedernièrefois,mechercheduregard,j’agitelesbrasenguisededernieraurevoir.Ilm’imitedèsqu’ilparvientàmerepérerdanslafoule,etilm’envoieundernierbaiser.
Ilnem’enfautpaspluspouréclaterensanglots.
–31–
Demain.Lebalestdemain.Dansmoinsdevingt-quatreheures, j’yserai.Etdansàpeineplusdetemps,lejeuprendrafin.Enréalité,jenesaispassijeleveuxvraiment.J’aipeurqueriennesoitpluspareil une fois que je saurai qui il est. J’ai peur que la relation que j’ai avec l’Inconnu ne changeirrémédiablement.Quetoutrevienneàlacasedépartouquelatimidités’installeentrenous.J’aipeurqueçagâchetout.
Ilyaencorequelquesjours,l’idéed’enfinconnaîtrel’identitédugarçonaveclequeljejouedepuis
plusdetroismoism’auraitfaitsauterdejoie.Maisplusmaintenant.Parcequ’àprésentj’ail’impressionqu’aucuneautrerelationquecellequenousavonsàtraversnosmessagesnem’intéresse,quelaseulequinouscorresponde,c’estcellequinouslieactuellement.Lesmessages,etc’esttout.Pourmoi,l’Inconnun’apasdevisage,pasdenom.Oualorssi.Maisceuxquej’aiimaginés,etj’aipeurdeledécouvrirsousd’autrestraits.C’eststupide,jesais,maisjen’ypeuxrien.J’aitellementapprisàl’aimersansconnaîtresonprénometenignoranttoutdesonapparencequejenesuispassûredepouvoirlesaimermaintenant.J’aipeurdelerejeter.Parcequepourmoi,ils’appelleLui.
Maisjecroisquecequimerendleplusdinguedanstoutça,c’estden’avoirpasréussiparmoi-
mêmeàtrouversonidentité.C’étaitçalebutdujeuetj’aifailli,j’aiéchouéparcequej’aipristropdetempsetquejenemesuispasdonnéeàfonddansmesrecherches.Pourtant,malgrémonéchec,jevaissavoir,etj’ailesentimentd’êtreunimposteur,unetricheuse.Jeveuxmériterleschosesetnonqu’onmelesoffresurunplateaud’argent.J’aitoujoursdétestél’idéed’obtenirquelquechosesansl’avoirmérité.Justementparcequej’aitoujourseutoutcequejevoulaissansrienfairepourcela.Toutm’arrivetropfacilement.Mesparentsm’ont toujours toutdonné, toutoffertet,quelquepart, j’ai finipardétesterça.C’estpeut-êtrestupide,maisc’estvrai.Quandona toutcequ’onsouhaitedans lavie,sansavoiràsebattre,onfinitparneplusriendésirer.Etc’estsansdoutepourcelaquemaviemesembleaussifadeetennuyeuse.Oui,parcequej’aitoujourseucequejevoulaisd’unclaquementdedoigts.
Jusqu’aujouroù ilm’aenvoyéunmessageet lancéundéfi.Ledéfidedécouvrirsonidentitépar
touslesmoyens.C’estcequim’atoutdesuiteplu,cequim’afaitm’attachersirapidementàcetInconnu:riennipersonnenepouvaitmedirequiilétait.Sijevoulaissavoir,jedevaischercher.J’étaislaseulepersonnecapabled’obteniruneréponse.Laseulequipuissemedonnerlasatisfactiondedécouvrirsonidentité.
Maiscettesatisfaction,jenelaconnaîtraijamais.Parcequej’aiétéincapabledetrouverquiilétait
dansletempsimpartietquec’estluiquivadoncmelerévéler.Etquelquepart,j’ail’impressiond’êtrefaible.Jepeuxcomprendrequ’ilveuillemeledire,qu’ilenaitassezd’attendrequejeprogressedansmes recherches. À sa place, j’aurais sûrement craqué depuis longtemps. Je ne peux donc pas lui envouloir, et c’est pour ça que je m’en veux à moi. J’ai gaspillé du temps en rêvant au lien étrange,indéfinissable,quej’avaistisséaveccegarçon.J’aiperdudutempsetjem’enveux.J’auraisdû,depuisle début,me consacrer corps et âme à ce défi,mais j’ai préféré traiter ça à la légère et prendremontemps.Dutempsquejen’avaispas.
Jeneveuxpasêtredemain.Jeneveuxpasalleràcettesoirée.Etc’estbienlapremièrefoisqueje
suis réticente à l’idéed’aller àune fête.Mais là, j’aipresquepeurdem’y rendre.D’autantpluspeurqu’ilyadeuxsemaines,ilm’aécritcesmots:«Quandtusaurasquijesuis,jeveuxquetumepromettesdemelaissert’expliquertoutuntasdechoses.Etjeveuxquetum’écoutessansposerdequestions,etsanst’énerver.Promis?»Depuis,jecogiteàlongueurdetempssurcestroisphrases.Pourquoim’a-t-ilfaitpromettreunechosepareille?Pourquoicraint-ilautantmaréactionquandjeconnaîtrai lavérité?J’ai beau retourner la situation dans tous les sens,m’imaginer tout un tas de scénarios qui pourraientm’amener àmal réagir, je n’ai rien trouvéde cohérent. Jen’en sais foutrement rien et çame retournel’estomac.
Jesuisdehors,deretoursurmachèrebalançoire.Ilfaitchaud,lemoisdemaiestbientôtterminé,et
lesoleilcaressemapeau.Sesrayonsformentautourdemoiuncoconagréableetprotecteur.Çam’apaiseunpeu,maispasassez.Unefoisn’estpascoutume,leva-et-vientrégulierdelanacellenesuffitpasnonplusàmerassurer.Sid’habitudej’arriveàtrouverduréconfortici,aujourd’huiçanemarchepas.Pascettefois.Celanem’étaitjamaisarrivé.
Je sursaute lorsque je reçoisunmessage.DeLui, j’enmettraismamainà couper. Il a ledondetoujoursm’envoyerdesmessagesquandjem’yattendslemoins.
Çanemanquepas,c’estLui.Moncœursecomprimeunpeuplusdansmapoitrineenlelisant.
Lui:Salut,chérie.Alors,as-tutrouvélarobedetesrêves?
Sij’aitrouvémarobe?Oui,enfin.Jesuisretournéedanslesmagasinsaprèslesvacancesavantdetrouvercellequimeconvenait.Elleestbelle,magnifiquemême.Maisporterunerobe,cen’estpastropmoi. Je suis plus le genre de fille à mettre des jeans noirs toute l’année. Alors une robe, ça va mechanger.Maisjedoisl’avouer,cellequej’aitrouvéeilyaquelquesjoursestvraimentbelle.
Alyssa:Oui.Lui:Oui?C’esttout?Tunem’endispasplus?Alyssa:Elleestbleue,commetulevoulais.Lui:Et…?Alyssa:Ettuladécouvrirasdemain.Lui:Waouh,tun’aspasenviedeparler,chérie?J’aiditoufaitquelquechosedemal?Alyssa:Non…Tun’asrienfait.Absolumentrien,net’inquiètepas.Lui:Qu’est-cequ’ilyaalors?Çan’apasl’aird’aller…Tuesdistante.Alyssa:Çava.Lui:Jesensquenon,Alyssa.Alyssa:J’aijustel’impressiondenepasavoirétéàlahauteur.Lui:Àlahauteurdequoi?Alyssa:Àlahauteurpourréussirlejeu.Pourdécouvrirquitues.Jen’aipasréussi.Lui:Cen’estpasgrave,tusais.Jetel’aidit,lejeunecompteplus.Alyssa:Maisjevoulaistrouverparmoi-même.Jemesensfaible.Lui:Faible?Toi?Tudoistemoquerdemoi.Situavaisétéfaible,tuseraistombéedanslesbrasdeMatt,tuneseraisdéjàplusen
traindejouer.Alorsnon,tun’espasfaible.Jepeuxtel’assurer.Alyssa:Alorspourquoin’ai-jepasréussiàtrouver?Lui:Parceque,comme tu l’asditaudébutdu jeu,me trouverestpresque impossible.Cen’étaitpasuneffetdestyle,Alyssa.Tu
auraispumettretoutelavolontédumondedanscejeu,tun’auraissûrementjamaistrouvé.Alyssa:Vraiment?Lui:Oui.Alyssa:Maistum’asditquebeaucoupdesanciennescandidatesavaientfaillitrouverquituétais.Lui:C’étaitfaux,Aly.Aucunen’afaillitrouver.Aucunen’auraitréussi,detoutefaçon.EllesétaienttoutestroppréoccupéesparMatt
quileurtournaitautour.Alyssa:Tuasmenti?Pourquoi?Lui:Tun’auraispasjouésituavaissuquemetrouverétaitimpossible.Alyssa:Onavaitditplusdesecrets.Lui:Jesais,chérie…Jen’aijustepastrouvél’occasiondet’enparler.Alyssa:As-tuautrechosequetuauraisoubliédemedire?Parcequesic’estlecas,c’estlemomentdepasserauxaveux.Lui:Non,jenevoispas.Alyssa:D’accord…Maisjenesaispaspourquoi,j’aipeurquenotrerelationchangequandjesauraiquitues.Lui:Pourquoi?Alyssa:C’estjustel’impressionquej’ai.Lui:Alorsquoi?Tupréféreraisquejereste«l’Inconnuderrièreuntéléphone»définitivement?Alyssa:Cen’estpascequej’aidit.Lui:Alorsqu’est-cequetuasvouludire?Alyssa:Je…Jenesaispas.Jesuisjusteperdue.
Ilnerépondplus.J’aidûlevexer.Jenevoulaispasquenotreconversationprennecettetournure.Jenevoulaispasqu’elleseterminecommeça.Jevoulaisjusteluifairepartdemessentimentsetqu’ilme
rassure.Jen’avaisbesoinquedeça.Maisj’aitoutfoiréetunehorriblesensationm’étreintlapoitrine.Lasensationdetomber.Unechuteinterminableetdouloureuse.
Alyssa:Babe?Lui:Quoi?
Unsoulagement immensem’envahit lorsqu’ilme répond. J’avais si peurd’avoir dit la phrasedetrop.
Alyssa:Jenevoulaispastevexer,OK?Jesuisstupide.J’aienviedesavoirquitues,c’estjusteque…çavamarqueruntournantdansnotrerelationetçamefaitpeur.
Lui:Dequoias-tupeur?Alyssa:Jenesuispastrèsdouéepourlesrelations.Lui:Moijetrouvequetutedébrouillesplutôtbiendepuisplusdetroismois.Alyssa:Maisc’estdifférent.Onn’afaitqueseparlerpartextos.Lui:Etpartéléphone,tul’oublies.Alyssa:C’estvrai.Lui:Jenesuispastotalementrassuréaussimaisjesaisaufonddemoiquetoutirabien.Tun’aspasàavoirpeur.Jeferaidumieux
quejelepourraipourtemettreenconfiance.Alyssa:Jetecrois.Lui:Alorsnet’enfaispas.Vajustetereposer,ilesttard.Demainseraunelonguejournée.Alyssa:D’accord.Àdemainalors?Lui:Oui,àdemain.Bonnenuit,chérie.
–32–
Çay est, c’est le grand soir.Dans une heure plus précisément. Jeme suis réveillée heureuse cematin,çan’étaitpasarrivédepuislongtemps.Nonparcequejesuismalheureuse,maisplutôtparcequejen’ai pas l’habitude d’être heureuse. Alors ce matin, ça m’a fait bizarre de me réveiller avec cetteimpressionaucreuxduventre.Cetteimpressionquetoutvabienautourdemoietquej’aiunevéritableraisondesourireaujourd’hui.Mais,alliéàcettesensationdejoieinattendue,unautresentimentaéclosenmoi:l’impatience.Mescraintessemblents’êtreenvoléespourlaisserplaceàl’impatiencedesavoirquisecachesouslepseudo«Lui».L’impatiencedesavoirquiestvéritablementceluiquifaitbattremoncœur.J’aitoutsimplementhâtedesavoircommentils’appelle.Hâtededécouvrirsonsourire,sonregardetpleind’autreschoses.Oui,monbonheurcematinétaitpresquesubmergéparcettehâte.
Jesuisentraindemepréparer.Mamèreatenuàm’aider,etj’avouequeçam’étonnedesapart.Ce
n’estpaslegenredechosesqu’ellefait…Ellenes’occupepasvraimentdemoietdemesaffaires–àparts’ils’agitdemesnotesoudemégotsdansunpotdefleurs–maisaujourd’hui,c’estdifférent.Quandj’ai annoncé au déjeuner que je me rendais au bal masqué du lycée, ma mère s’est immédiatementemballéeetadécrétéqu’elleseraitlàpourm’aideràmepréparer.Jen’aijamaisétéaussisurprisedemavie.J’aitoujoursrêvéd’avoircegenrederelationavecmamère.Unedecesrelationsfusionnellesquipermettentdeseparlerdetout,des’autorisernaturellementtouteslesconfidences,lemeilleurcommelepire.J’enaitoujoursrêvé,maisçan’apasétélecas.Parcequemamèretravaillebeaucoupetqu’elleneprendpasdetempspourmoi,dumoinspaspourpasserdesmomentssympasavecmoi.Jesuissafilleuniqueetellenes’estjamaisvraimentoccupéedemoi.Pourelle,s’occuperdemoiserésumeàassurermonconfortmatériel.Si elle savait combien jem’en fous.Alors, lorsquecemidiellea spontanémentproposé dem’aider, j’ai sauté sur cette occasion inespérée, parce que peu importe ce qu’on pourraitpenser,j’aimemamère.
Ellemecoiffe.Assisesurunechaisedevantlemiroirdelasalledebains,jel’observebrossermesmèchesbrunesavecapplication.Sesgestessontsidélicatsquej’enaipresqueleslarmesauxyeux.Mamèren’a jamaisété tendreavecmoi,et jenecomprendspasun telchangementdecomportement chezelle.J’aimeraisqu’ellesoitcommeçatouslesjours:douceetattentive.Jamaisjen’auraispenséqu’elleconsacreraitsonsamediaprès-midiàmefairebellepourunbal.J’observesonvisagedanslemiroir.Sonfrontplissé,sessourcilsfroncéstantelleestconcentréesurmescheveux.Lagorgeserréeparl’émotion,jeluidemande:–Pourquoifais-tuça?
Ellelâchelamèchequ’elleétaitentraindelisserettournesonvisageversmoi.–Pourquoijefaisquoi?mequestionne-t-elled’unairinnocent.–Ça.T’occuperdemoi.Tunet’esjamaisoccupéedemoicommetulefaisencemoment.Alors…
Pourquoiaujourd’hui?–Parceque,aujourd’hui,mafillevaàsonpremierrendez-vous.Unrendez-vous?Saremarquem’apriseaudépourvu.Mamères’empareànouveaudelamèchede
cheveux,commepourm’empêcherdepoursuivre,etreprendsontravailminutieux.–Jenevaispasàunrendez-vous,maman,jevaisaubaldulycée.Jetel’aidittoutàl’heure.Jecontinuedeladéfierdanslemiroiretjelavoisrireàmaremarque.Qu’ya-t-ildedrôle,nomde
Dieu?–Alychérie…Necroispasquejen’airiensenti.–Sentiquoi?–Qu’ilyaungarçondanstavie.Cettefois,c’estmoncœurquejesenss’arrêterl’espaced’uninstant.Jemecrispesouslesdoigts
agilesdemamère.Elledoitlesentir,puisquepourladeuxièmefoisenuneminute,ellemeregardedanslemiroir.
–Ungarçondansmavie?–Nefaispasl’innocente.Jesuistamère,jesenscegenredechoses.–Mais…–Tuleconnaisdepuiscombiendetemps?mecoupe-t-elle.
J’aidumalàmefaireàlasituation.Moiquicroyaisquejel’indifférais.Quenimeshistoiresnima
vienel’intéressaient.Ilfautcroirequej’avaistort.Parcequ’ellearemarquéqu’ilyavaitungarçondansmavie.Jetenteuneréponsedétachéetoutenguettantsaréaction.
–Troismois.–Ilestgentil?enchaîne-t-elle.–Gentil?Ilestmieuxquegentil.–Décris-le-moialors.–Jeneleconnaispastrèsbien…suis-jebienobligéed’avouer.–Parle-m’enquandmême,Alyssa.
–Eh bien… Il est intelligent, trèsmature, et jeme sens bien lorsque je lui parle. Ilme faitmesentir…importante.
Mamèreposelabrossesurleborddulavabo.Commelorsquej’étaispetite,ellemecaresselatête
et la chevelure qu’elle vient de chouchouter. Elleme fixe, une drôle de lueur dans le regard. Je saisqu’elle est heureuse, et en même temps un peu mélancolique. Elle doit penser que j’ai grandi troprapidementetqu’ellen’apasvuletempspasser.Jepeuxlesentirdanssonregardbrillant.Brillantdelarmes.Unebouleseformedansmagorgeetjemelèvepourprendremamèredansmesbras.Elleposesatêtesurmonépauleetreniflesilencieusementtandisquejecaressesondospourlarassurer.
–Merci,maman.–Depuisquetuesnéejepenseàcejour,dit-elle,lavoixchevrotante.Jepenseàcejouroùtume
révéleraspourlapremièrefoisquetuesréellementtombéeamoureuse.–J’ensuispasamoureuse,decegars.Jesourisdanssoncou,parcequejesaisqueniellenimoinousnecroyonsàcequejeviensde
dire.C’estévidentque…jel’aime.Mêmesic’estfou,maislessentimentsçanesecontrôlepas.C’estplusfortquetout…
***
Jesuisfinprête.J’aienfilémarobebleunuitetjemesuismaquillée.Jenemesuisjamaissentieaussibelle.Lespansdema robem’arrivent auxchevilles et lesmicro-paillettes argentéesducorsageluisent demille feux.Voilà ce quim’a plu sur cette robe : les paillettes. Ellesm’ont fait penser auxétoilesfilantesdansunenuitd’été.Etjel’aitrouvéemagnifique,toutsimplement.Jemecontempleunedernièrefoisdanslemiroir,leregardattentifdemamèreconcentrésurmoi.Jepeuxyliredelafierté.Pourqui jesuisvraiment.C’est lapremière fois.Et jecomprendsmaintenantpourquoicematin jemesuiséveilléeaveccesentimentdebonheuraucreuxduventre.Parcequesihiersoirencoreonm’avaitditquejeverraiscetteétincelledanslesirisdemamère,jenel’auraispascru.
Holly et son abruti de copain seront là d’une minute à l’autre, je ne peux que sentir la tension
augmenter.Chaqueminutequis’écoulemerapprochedumomentoùilseralà,devantmoi.Jesauraienfinquiilest,aprèscestroislongsmois.Jesuisfébrilerienqu’àl’idéedesentirsapeausurlamienne,desentir son parfum, de l’entendre parler réellement.La voix que j’ai entendue au téléphone, c’est celled’unautomate,paslasienne.
Uncoupdeklaxondevantlamaison:çadoitêtreHollyetJason.Vite,jemetsmonmasque,assorti
àlacouleurdemarobe,etm’empressedelenouerderrièrematête.Jefaisdemi-tourpourfairefaceàmamère.Jelaprendsuninstantdansmesbras,luisoufflantundernier«merci»avantdesortir.
Monrythmecardiaqueaugmenteàchaquepasquimerapprochedelaporte.Toutvabiensepasser.Jereprendsmonsouffleàmi-parcours.Jedescendsdeplusenplus lentement,m’agrippantd’unemainferme à la rampe et retenant le bas de ma robe de l’autre.Mamère me rattrape et m’embrasse unedernièrefoisavantquejenepasselaporte.Ellemesusurreàl’oreille:–Ilal’aird’êtrequelqu’undebien,mapuce.Tâchedelegarder.
–Jeferaitoutpour,maman.
L’étreinte s’envole etme voici dehors.La voiture grise de Jasonm’attend juste devant la grille,
Hollymefaitunsignedelamainquandellem’aperçoitetj’yrépondsensouriant.J’ouvrelaportièreetm’engouffreàl’arrière.
S’agrippantaudossierdesonsiège,Hollysetourneversmoipourjeteruncoupd’œilàmatenue.Lemasquebeigequ’elleportenelaisseparaîtrequesesbeauxyeuxetl’arrondidesonmenton.
–Tuessuperbe,Aly!s’exclame-t-elleavecunsourirechaleureux.Jemecontented’opinerpourlaremercier.Lavoituredémarreendirectiondelasalledesfêtesque
lelycéealouéepourlebal.Jeregardeparlafenêtreduranttoutletrajet.Jen’écoutepasHollyetJasonsediredesmotsd’amour,jemecontentedelesignorerlorsqu’ilscommencentàchanteràtue-tête,faisantleschœursdelachansonquipasseàlaradio.J’ail’impressiond’êtredéconnectéedelaréalité,quetoutçanepeutpasêtreréellemententraindesepasser.
Le trajet est rapide, tellement rapide que lorsque la voiture se gare devant le parc décoré pour
l’occasion, j’ai encore du mal à réaliser que nous y sommes. En sortant de la voiture, je ne peuxm’empêcherdem’extasierdevantlabeautéduparcdontj’ignoraisl’existencealorsqu’iln’estvraimentpasloindechezmoi.
Maindanslamain,HollyetJasonsedirigentversl’entrée.Jelessuisdeprès,carjen’aiaucuneenvie d’arriver seule à la fête bien que leur couple – trop amoureux pour ne pas faire fleur bleue –m’exaspère.Desballonsetdespancartesnousindiquentlechemin.Lecadreestbucoliqueet,jenesaispourquelleraison,çam’apaise.Lasalledesfêtesestbeaucoupplusgrandequejenel’imaginais.Côteàcôte,nousfaisonsenfinnotreentrée.UnDJinstallédanslefondambiancelasoirée,etunebonnepartiedeslycéensestdéjàlà.Iln’yaencorepersonnesurlapistededanse,toutlemondeestconcentréautourdesbuffets.Hollyposelamainsurmonépauleetmesouritchaleureusement.
–Mattvaterejoindre?demande-t-elle.–Matt?–Oui,Matt.–Ilnesepasserienaveclui,Holly.–Oh…Çan’apasmarché?souffle-t-elle.–Non,cen’estpasça.Lorsquejetedisaisquej’étaisamoureuse,jeparlaisdequelqu’und’autre.Sesyeuxs’écarquillentetellefroncelessourcils.–Mais…Pourquoitunem’asriendit?s’étonne-t-elle.
–Tunem’enaspaslaisséletemps.TuétaistellementsûrequejeteparlaisdeMattquetunem’aspaslaisséet’expliquer.
–Quic’estalors?–Jetelemontrerai…Toutàl’heure,dis-je.Tulerencontrerasenmêmetempsquemoi.Hollydéposeunbaisersurmajoue,etj’avouequeje
suislégèrementpriseaudépourvu.Elleattrapemamainetmeconfesse:–Jesuisvraimentheureusequetuaiestrouvéquelqu’un,Aly.
PuisellepartrejoindreJason…
***
JetraîneunepartiedelasoiréeavecGabriella.Elleafinalementachetélarobeblanchequejeluiavaisconseillée lorsquenous faisions lesboutiques.Etcette robeestvraimentmagnifique,elle lametbeaucoupenvaleur.D’ailleurs,touslesregardssontbraquéssurelle.C’estdéjàlecashabituellement,maisaveccette tenue,mêmelesfillesseretournentsursonpassage.Nousnoussommesassisessuruncanapéprèsdelapistededanseetonboitdessodasparcequec’estlaseulechosequ’ontrouveàcettefêteorganiséeparlelycée.
Ilestpresquevingt-troisheuresetjemesensbien,malgrélefaitquejen’aitoujourseuaucunsignedeviede lapartdemonInconnu.J’essayedenepasm’enfaire,demedirequ’ildoitattendre lebonmoment,maisjenepeuxcachermoninquiétude.Peut-êtrea-t-ilréfléchi,etpeut-êtreneveut-ilplusdemoi…?
Pourmechangerlesidées,jediscuteavecGabriellaetsabanded’amis.Ilssontsympas,bienqueje
mesentelégèrementàl’écart.Ilssefontdesblaguesplusdébileslesunesquelesautresetgrognentsurlefait que lemanque d’alcool est vraiment perturbant. Je ne peuxm’empêcher de rester aux aguets.Deregarder lescouplessur lapistededanseetdemedireque,peut-être,çaserabientôtmontourd’êtredans les bras de quelqu’un. Avant, je n’avais jamais éprouvé le besoin d’être avec un garçon, maismaintenant, c’est différent. Depuis qu’il est entré dans ma vie, c’est différent. Parce qu’il m’a faitconnaîtrel’amourpourlapremièrefois.
Petitàpetit l’ambiancede la fêtechange, toutdevientpluseuphorique.Certains lycéensenlèvent
leursmasques et les fontvolerdans lapièce,d’autres semettent à chanterplus fort quenécessaire etd’autresencores’embrassentàpleinebouchedanstouslescoins.Lesmusiquesdeviennentplusrythmées,le volume plus fort encore. Je décroche totalement de la discussion deGabriella et des autres etmeconcentresur lesdanseursquisedéhanchentcommepaspermis. Ilsont l’airsaoulsalorsmêmequ’ilsn’ontbuquedesjusdefruitsoudessodas.
Holly est introuvable depuis le début de la soirée,mais je ne serais pas étonnée qu’elle se soitéclipsée je ne sais où avec son abruti de copain. Heureusement que j’ai Gabriella pour me tenir
compagnie,sinonjem’ennuieraisàmourir.Parcequeentrevousetmoi, jemeverraismalallersur lapistededanseseulepourpasserletemps.
Soudain,quelquechosemepropulsehorsdemonétatsecond:unechanson.Notrechanson.WickedGames.
–33–
Mon cœur éclate dansma poitrine et jeme lève instinctivement du canapé. J’entends vaguementGabriellamedemanderoùjevais,maisjeneluirépondspasetjem’enfoncedanslamassedelycéensquidansent.Jenecontrôlepluscequejefais,jemelaisseguiderparlesnotesdenotrechanson.C’estsûrementLuiquiademandéauDJdelamettre,etàcettepenséemonsoufflesecoupe.Jem’arrêteaumilieudelapistededanse,complètementdéboussolée.Jeregardeautourdemoi,toutenmeprenantdescoupsparlesautres,trophappésparleurdansepourfaireattentionàmoi.Etpuis,jesensuneprésencederrièremoietunemainfroideseposesurmonépauledénudée.
–Salut,chérie.Toutsembles’arrêterautourdemoi.Lessecondes,lesmouvementsdesdanseurs,lamusique.Etun
frissonmeparcourtl’échine.Ilestlà.Justederrièremoi.C’estvraimentlemoment.Jevaissavoirquiilest. Jeme retourne lentement, lesmuscles totalementankylosés,etmon regard tombesurungarçonauvisage caché par un masque gris. La première chose que je remarque, ce sont ses yeux. Des yeuxémeraudequejeseraiscapabledereconnaîtreentremille…
Matt.D’instinct,monpremierréflexe,c’estdemereculer.J’ail’impressionqu’uneballeestentréedans
ma poitrine au moment même où mes yeux ont reconnu les iris de Matt. Parce que voilà, c’est luil’Inconnu. Je le sais, car il m’a dit « Salut, chérie. » Il n’y a que l’Inconnu qui dise ça. Et j’ail’impression de chuter d’un immeuble de trente étages tant je nem’y attendais pas. En réalité, l’idéem’avaittraversél’espritavantquejeneconsultelalistedesjoueurs,maisjepensaissincèrementquecen’était pas ça. L’Inconnum’a tellement rabâché le fait queMatt était une enflure, un obsédé qui n’envoulaitqu’àmoncul,quej’enavaistirélaconclusionqu’ilssedétestaient.Pasqu’ilsétaientuneseuleetmêmepersonne.
–Ilfautqu’onparle,annonceMattd’unevoixquineluiressemblepas.
Mesyeuxrestentbraquéssurlui.Jen’arrivepasàréagir,etc’estàpeinesijeparviensàrespirer.Ilempoignemonbrasfermementmaisdélicatementetmeguide loinde lafouledes lycéensmasquésquicontinuent de danser. Je le suis à l’extérieur de la salle des fêtes sans poser de questions tant je suischoquée.Jen’arrivepasàmedirequec’estàMattquejeparlaisdepuisdesmois.Quec’estavecMattquej’aicréécettecomplicitéetquec’estluiquifaitbattremoncœur.Çasembletellement…endehorsdelaréalitéqueçasoitluil’Inconnu.
J’aurais préféré pouvoir réagir, mais je n’y arrive pas. J’ai l’impression qu’on m’a injecté untranquillisantdanslesveinespourquejerestecalmeetpaisible.Sapeauchaudebrûlelamienneetj’enaidespicotementspartout.ParcequeMattn’estpluslemêmeàmesyeuxmaintenant.Ilestdifférent.Ilnesembletellementpasêtrelamêmepersonnequed’habitude.C’estcommes’ils’agissaitd’unerépliquedeMatt qui n’aurait rien en commun avec lui sinon son apparence. Il me conduit au bord du lac encontrebas et lâche finalement mon bras. Nous nous faisons face et nous nous observons plusieurssecondes,nousdécouvrantsousunjournouveau.Lamusiquedelasoiréerésonnedoucementenfond.
Mattfaitunpasversmoietc’estalorsquejeremarque,àlalueurdusoleilcouchant,quesesyeuxsont plus verts que d’habitude. Plus translucides, plus brillants. Tout bonnement époustouflants. Il serapproched’unpasetsonodeurm’enveloppelentement,commeuneétreintechaudeetprotectrice.
–Jepeuxtel’enlever?demande-t-ild’unevoixlégèrementéraillée.Jemetsquelquessecondesàcomprendrequ’ilparledemonmasque.Jesuistellementabsorbéepar
l’émeraudedesesyeuxquejesuiscommemuette.Alorsjemecontentederépondreunpetit«oui»quis’envoleaumilieudesbruitsenvironnants.Passantsesmainsderrièrematête,Mattdénouelerubanquimaintientmonmasqueenplace.Illeretiredélicatement,etsesyeuxscrutentlonguementmonvisage.
–Àtoimaintenant,réussis-jeàdiremalgrémonétatsecond.–Fais-le,susurre-t-il.Sonsouffles’échouesurmapeauetunedéchargeélectriquemepétrifielorsquemesmainstrouvent
lerubanquiretientsonmasque.J’hésitequelquesinstantsàleluiretirer…–Vas-y,m’encourage-t-il.–Tun’aspaslamêmevoixqued’habitude.J’ai sorti ça comme ça. Parce que c’est vrai. Sa voix estmoins acerbe etmoins autoritaire que
d’habitude.Elleestplusdouce,plusprofondeetpluschaude.Elleest toutsimplementplusagréableàécouter,etpourjenesaisquelleraisonsonintonationmefaitmesentirensécurité.Maislespaupièresdugarçons’abaissentlentement,etsessourcilssefroncentlégèrement.
–Enlèvecetrucettucomprendras,ajoute-t-ilenrouvrantlesyeux.J’opineetfinisparm’exécuter.Lemasquesedérobesousmesmainset tombesur lesol,mais je
n’essayemêmepasdelerattraper.QuandmesyeuxosentseposersurlevisagedeceluiquejecroyaisêtreMatt,jesuiscommepetrifiéeparlechoc.
–JesuisJamie,annoncelegarçonenfacedemoi.Jesuissiheureuxdepouvoirenfinterencontrer,Aly.
Ma tête tourne comme sous l’impact d’une giflemonumentale.Une gifle qui a le pouvoir demedésorienteretdem’ôtertoutbonsens.ParcequecegarçonressembleàMattcommedeuxgouttesd’eaumaisn’estpasMatt.Pourtant,ilsontlesmêmeslèvres,lesmêmesyeux,lesmêmestraits.Ilssontpresqueidentiques,enfait.
Presque.Presque, parce que celui qui se trouve devant moi n’a pas cet air hautain et dédaigneux qui
caractériseMatt.Iln’apasnonpluscegraindebeautésousl’œilgauche,etsesjouessontpluscreuses.Leurscarruressontsensiblementsemblables,bienquejejugelegarçonfaceàmoiunpeuplusgrandqueMatt,etplusefflanqué.Ilestaussimoinsmuscléetpluspâle,iln’empêchequeçameclouelittéralementsurplace.Parcequeaveclemasquequ’ilportaitilyaencoreunedizainedesecondes,aucunedifférencen’étaitdécelable.
–Ma…Jamie?bégayé-jesanscomprendre.–Oui,Alyssa.Jamie.C’estmoil’Inconnu.–Tu…Turessembles…–ÀMatt?mecoupe-t-il.Ilparaît,oui.Onestjumeaux.Et j’ai l’impression de comprendre. Je pressens pourquoi il y avait une telle rivalité entre eux.
Pourquoi l’Inconnu ne faisait que rabaisserMatt, et vice versa.Voilà pourquoi l’Inconnum’avait faitpromettredenepasm’enfuirenapprenantsonidentitéetpourquoijedevaisluilaisserletempsdetoutm’expliquer.Parcequej’avouequej’ail’impressiond’avoirétémenéeenbateaudepuisledébutetden’avoirétéqu’unobjetpourlesdeuxfrères.Untrop-pleindequestionssebousculedansmonespritalorsquej’observelegarçonquisetrouveêtreceluiquifaitbattremoncœur.
–Pourquoijenet’aijamaisvuaulycée?Jecroisqueçasesauraits’ilyavaitdesjumeaux.–Parcequejesuisdéscolarisédepuisdeuxansmaintenant.Jesuisdescoursàdomicile.–Pourquoi?–LorsqueMattetmoisommesentrésenseconde,ilaabsolumentvoulusefaireunnom,unnomà
lui,qu’ilnepartageraitpasavecmoi. Ilvoulait se faireune réputationet,pourcela, ilm’adénigréetrabaissé.Çasepassaittrèsmalentrenous,ons’estbeaucoupbattus,etçan’afaitqu’empirer,jusqu’àcequ’ilréussisseàfairedemoilariséedulycée.Jen’avaisplusd’amis,pluspersonnen’osaitmeparlerdepeurdesemettreMattàdos…Mesparents,impuissants,m’ontalorsproposéd’abandonnerlelycéeetdesuivredescoursàdomicile.
Ilaréponseàtout,jeneveuxpaslelaissers’ensortiràsiboncompteetj’attaqueànouveau,plus
agressivequejenelevoudrais.–Alors…Commentas-tutrouvémonnuméroetsumonprénomsitun’espasaulycée?Ilsecouelatête,samâchoiresecrispedemanièresignificative.Immédiatement,jecomprendsque
saréponsenevapasmeplaire.Ilpasseunemaindanssescheveuxunpeutroplongspourressembleraux
coupesàlamodeetlesremetenplace.Jesuismalgrémoicaptivéeparsonregarddebraiseetsavoixprofonde.
–Ehbien,commence-t-il,aprèsavoirchoisidemedéscolariserpourneplusavoiraffaireàMatt,jemesuisjuréquejemevengerais.Quejemevengeraisdetoutcequ’ilm’avaitfait.Etpourça,j’aidécidédecommencercejeu.Alorsoui, touteslescoéquipièresquej’aichoisiessontdesfillesquemonfrèreavaitdanssalignedemire.C’estpourçainitialementquej’aicommencéàjouer.Pourlefairepasserpourleconnardqu’ilestauprèsdesfillesqu’ilvoulaitsefaireetrévélersavraienature.Etpuis…Unjourdefévrier,jel’aientenduparlerdetoiavecsesamis,etilavaitl’airdeteporterungrandintérêt.Ilademandétonnuméroàundesesamis.
»Oui,parcequelegarsquitrouvetoutcequ’onluidemande,quandonleluidemande–jenesaispassitutesouviensdelui,jet’enavaisparléaudébutdenotrerelation–,c’estsonami,paslemien.Jel’aidoncentendudicterlenuméroàmonfrèreetjel’aienregistréégalementdansmontéléphoneparcequ’ilétaitévidentquetudeviendraismafuturecoéquipièredejeu.Jet’aidonc,dèslelendemain,envoyéunmessage,etvoilàcommenttoutçaacommencéentrenous.
–Alorsàlabasetonbutétaitjustedemeteniràl’écartdetonfrère?–C’estça,Aly.C’étaitça,monbut.Jevoulaisgâchertoussesplansdraguepourqu’ilseretrouve
aussiseulquemoi.Ilyavraimenteudix-huitfillesavanttoi,maisjenesuisjamaisparvenuàlesteniràl’écartdemonfrère.Jen’aipasréussiàlesprotégerdeMatt,malgrétouslesavertissementsquej’aipuleurdonner.Etpuisilyaeutoi…Toiettoncôtérebelle,toncôté«jenefaispascommelesautres»,ettoncôtéjoueuraussi.Ilyaeutoi,quiasrésistéàMattet,enconséquence…jemesuisaccrochéàtoi.Jemesuisaccrochéaussifortqueduferàunaimant.Leproblème,c’estquecetterésistancen’apaspluàMatt,etqu’ils’estluiaussiaccrochéàtoi,soupire-t-il.
–Commentsais-tuqu’ils’estaccrochéàmoi?–Ilmel’afaitcomprendre.Çac’estfinicommeça:moiquasiassomméaprèsqu’ilm’arouéde
coups.
Découvrirçameglacelesang.ParcequeMattestviolentetagressifetqu’iln’apprécierasûrement
pasnotrerelationàJamieetàmoi.Jamaisjen’auraispenséqu’iliraitjusqu’àsebattrepourmoi…Jebousintérieurementetaidumalàgérermesémotions,maisjedoisensavoirplus,jedoistout
savoir.–Sivousêtesjumeaux,peux-tum’expliquerpourquoivousn’avezpaslamêmedatedenaissance?
Tum’asdit que tu étais né le 1er février,mais lorsque j’ai faitmes recherches sur les nageurs, aucunn’avaitcettedatedenaissance,pasmêmeMatt.
–Ohoui,ça…C’estjustequeMattestnéle31janviertrèstarddanslanuitetquejesuisnéle1er
févrieràlapremièreheure.Jeleregardeetjemesenssoudainementpluslégère.Toutmoncorpsvibreparcequ’ilestlà,devant
moi,àseulementquelquesridiculescentimètres.Jen’aiqu’àtendrelamainpourtouchersontorse,sesjouesouencoresescheveux,etcettesimplepossibilitémerend toutechose. Ilest là,plusmagnifique
encorequej’auraispul’espéreretplustendrequ’ill’étaitdanssesmessages.Leslarmesmemontentauxyeux et je déteste ça parce que, merde, j’ai toujours haï ce genre de filles fleur bleue qui pleurentd’émotion.Cen’estpasmoi,ça.Maisj’airêvédecejourdepuisdesmoisetmaintenantqu’ilestenfacedemoi,j’aienviedeleprendredansmesbrasetdesentirlachaleurdesoncorpscontremoi.
–J’espèrequetun’espasdéçuepartonInconnu,Aly.–Absolumentpas,Jamie.Etjelefais.Jeleprendsdansmesbras,sansprévenir,parcequechacunedescellulesdemoncorps
mecriedelefaire.Mecriedemecolleràluietd’enroulermesbrasautourdesoncorpspourleserrerfermementcontremoi.Parceque,aprèstroismoisdevirtuel,uneffleurementnemesuffitpas.J’aibesoinde plus, de plus de contact, et je comprends qu’il est dumême avis quand il vient resserrer ses brasautourdemoi,m’emprisonnantcontrelui.
Jem’autoriseàfermerlesyeuxetàhumerledouxparfumquiémanedelui.Ilamisunbeaucostumenoir,commeje le luiavaisdemandé,et ilest incroyablementséduisant.Oualors il l’estsimplementàmesyeuxetjesuistotalementincapablederemarquersesdéfautstantj’aiapprisàl’aimerpourcequ’ilest et non pour son physique. Peut-être que, dans d’autres circonstances, j’aurais pu remarquer lacicatrice qui barre son sourcil ou son menton un peu trop prononcé pour respecter les canons de labeauté.Maisaudiablecesnormes,audiablelabeauté,audiablelesautres,audiablelafête,audiableMatt.Cette rencontren’aen riennuitànotre relation,comme je le redoutais.Aucontraire, jemesensplusamoureuseencore.
–Ta robeestmagnifique.Tuessublime,Aly,mesusurre-t-il tendrementaucreuxde l’oreilleen
resserrantunpeusonétreinte.Commentpeut-iloserdirequ’ilmetrouvesublimealorsquemoi,aveclui,j’ail’impressiond’avoir
découvertlahuitièmemerveilledumonde?!–Tunesaispasàquelpointtucomptespourmoi.J’aimurmurécesmotsenposantlatêtesursonépaule.–Jelesais,si.Parcequejeressenslamêmechosepourtoi,chérie…
–34–
Celafaitexactementunesemainequejesaisquiestl’Inconnuetonnes’estpasrevusdepuis.Onnes’est pas revus parce que nous avons décidé, d’un commun accord, qu’il était préférable que notrerelationrestesecrète.Aussibienpournotreentouragequepournosplusprochesamis.NiJamienimoine voulons prendre le risque que la nouvelle concernant notre relation remonte jusqu’aux oreilleshaineusesdeMatt.Ladernièrechosequejesouhaite,c’estqu’ilviennes’immiscerentreJamieetmoi.Etjesuispersuadéequ’ilnemanquerapasdelefaireàlasecondemêmeoùilseraaucourant.Ilferadesonmieuxpournouséloigner,parcequ’ilm’adittrèsclairementques’ilnepouvaitpasm’avoir,Jamienem’auraitpasnonplus.Alors,jeferaitoutcequiestnécessairepourgardercettepartiedemaviesecrète.
Jesaisque,vucommeça,beaucouppourraientcroirequenotrerelationestvouéeàl’échec.Moi-même,jenepeuxm’empêcherdelepenser.Commeondit,loindesyeux,loinducœur.Maispournous,c’estdifférent.Parcequ’onn’ajamaiseubesoindesevoiretdeseparlerenfacepours’apprécier.Oncontinuedediscutertouslessoirsparmessages.Ons’envoiedestextoscommeonl’atoujoursfait,etjepourraispresquedirequ’onpassetoutnotretempsàça.Ons’envoiedesmessagesplusdouxlesunsquelesautres,pourcompenserlefaitquel’onnepeutpassevoir.Oncontinuedeseparlercommesionnes’était jamais rencontrés et, pour le moment, ça nous convient. Je me sens bien. Parce que tous cesmessages,c’estnous,etçal’atoujoursété.Alorsçanemedérangepasplusqueçadedevoirattendrepourlerevoir.Çaneferaquerendrelafoissuivanteplusbelle…
Je relève la tête lorsque jesensmonportablevibrer. Je tends lebraspour le récupérerà l’autre
boutdemonbureau,mecouchantpresquesurlatablecouvertedecahiersetdelivres.Parceque,ouais,jebossais.Aussiétonnantquecelapuisseêtre,ilm’arrivederéviser.Etjecroisque,sijelefais,c’estparcequejemesensbien.Jemesensbiendepuislasemainedernière.
Lui:J’aivraimentenviedetevoircesoir,Alyssa.
Moncœursemetimmédiatementàbattreplusvite.Ilmeditsouventqu’ilaenviedemevoirdepuisledébutdelasemaine,etàchaquefois,onfinitpars’inventerdesrendez-vousparfaitsquinousaident,enquelquesorte,àpatienter.Jesaisqu’onnetiendrapastrèslongtemps,etquetôtoutard,l’undenousvacraquer.
Alyssa:Moiaussi.Pluslesjourspassent,plusj’enaienvie.
Jerédigemaréponseavecfébrilité.Siçanetenaitqu’àmoi,jeseraisdanssesbraspoursentirsachaleurcontremoi.Siçanetenaitqu’àmoi,onseraitensemble,dansunparcoudansuncafé,peut-être.Toutcequejesais,c’estquesiçanetenaitqu’àmoi,nousserionsl’unavecl’autreencemomentmême.
Lui:Ilfaitbeaucesoir.Çateditqu’onsorte?
Jejetteunrapidecoupd’œilversmonradio-réveilsurlatabledechevet.Ilaffiche22h09.Unjetd’adrénalinecourtdansmesveines,etjeréponds:
Alyssa:Oui.Onvaoù?Lui:Oùtuvoudras.Peuimportel’endroit,aufond.Alyssa:Àlapiscine.Lui:Lapiscine?Alyssa:Lebassindécouvert,plusprécisément.Lui:Pourquoiallerlà-bas?Alyssa:Parcequec’estlà-basquej’aipensétevoirpourlapremièrefois.Etparcequej’aitoujoursvoulusavoircequeçafaisaitde
seretrouverseuleaubeaumilieud’unepiscinelanuit.Lui:D’accord,ons’yretrouvedanscombiendetemps?Alyssa:Dansunequarantainedeminutes,çateva?Lui:Ouais,c’estparfait.J’aihâted’yêtre,Aly.
Jenerépondspasàsonderniermessageetjemelèvepourmepréparer.Çamelaissejusqu’àvingt-trois heures pour arriver là-bas. J’enfile un long gilet que j’avais laissé traîner sur le dossier demachaise, attrape une paire de Converse qui ont dû être blanches à un moment. Puis je récupère montéléphoneetl’enfouisd’ungesterapidedansunedespochesarrièredemonjean.Jefaisunbrefdétourpour éteindre la lumière et faire croire à mes parents que je dors, et j’ouvre la porte-fenêtre de machambre.Sur lebalcon, jeprendsunegrande inspirationenregardant levidequimeséparedu jardin.Mêmes’iln’yaquequelquesmètres,jenepeuxm’empêcherd’avoirunpeupeur.Cen’estpascommesijen’étais jamaispasséeparlàpourfairelemur,maiscettefois,c’estdifférent.Detoutemanière, toutsembledifférentdepuislasemainedernière.J’ail’impressionquelefaitd’avoirrencontrémonInconnum’acomplètementchangéeetm’arendue,enquelquesorte,plusraisonnable.
Jefinisparenjamberlabalustradeetjemelaissetomberausolcommejelefaisaisavant.Jemeréceptionnelourdementsurl’herbeetjeresteimmobilequelquessecondes,accroupie,unemainparterre,pourm’assurerquepersonnenem’aentendue.Unefoisquejesuissûrequ’iln’yapasderisque,jemerelève et contourne lamaison pour sortir. J’attrapemon vélo contre le tronc du grand chêne près del’entréeoùjelelaissetoujours.Jelefaisroulerjusqu’àlagrille.J’ouvrerapidementlaporte,quigrincelugubrement. Jeserre lesdents,espérantquemesparentsn’aient rienentendu,puis jesors. Je refermederrièremoietmontesurmonvélo.Jeregardeunedernièrefoismamaisonetjetteuncoupd’œilàmonportablepourvérifierl’heure.Ilest22h23.Jesuisdanslestemps.Jeprendsmarespirationetmemetsenrouteendirectiondulycée…
En trente-cinqminutes, j’y suis. Je suisdéjà légèrement en retardalors jemedépêchede laisser
monvélodevantlelycée,enprenanttoutdemêmelesoindelesécuriserenl’accrochantàunpoteau.Jemedépêchede rejoindre lapiscine.Ça faitbizarredevenir ici le soir, lorsqu’iln’yapersonne.Toutsembleplustriste,plussombre,sansvie.Çaferaitpresquefroiddansledos.Maisrienqu’imaginerque,dansquelquesinstants,jereverraiJamiemedonnelecouragenécessaire.Iln’estpasencorelà.Attiréepar lavaste étendued’eaucalme, jemeglisse sous labarrière et faisquelquespas sur lesdallesquientourentlebassin.L’odeurd’eauchloréemechatouillelesnarinesetjefermeuninstantlespaupières,medélectantdelacaresseduventfraisdusoir.Jerespireprofondémentetmesenssoudaintotalementapaisée.J’ouvrelentementlesyeuxet,rêveuse,leslèveverslecielétoilé.Putaincequec’estbeau!Jepourraisrestericitoutelanuitàregarderlesastres,quelsqu’ilssoient,danslecielsisombre.
–Salut,Aly.Jesursauteetmeretourneprécipitammentendirectiondelavoix.Etjelevois.Unsourireplaqué
sursonvisage,Jamievientversmoid’unpasassuré,lesmainsenfoncéesdanslespochesdesavesteencuir.Sescheveuxflottentaugréduventalorsqu’ilpassesouslabarrièrepourrejoindrelebassin,àsontour.
Jerépondsàsonsalutlorsqu’ilarrivefaceàmoi.Ilm’embrasse sur la joue et je sensunmillier depicotements irradier l’endroit où il a posé ses
lèvres.Jelèvelesyeuxverslui,jemesenssipetiteàsescôtés,ilmedépassepresqued’unetête.Avecmestalons,jenem’étaispasrenducomptequ’ilétaitsigrandladernièrefois.Alorsquelà,enConverse,jemesensminuscule.Maiscettesensationnedurepas,puisqu’ils’assoitsurlesdallesàcôtédemoi.Jel’imite,leregardbraquésurlui,profitantdechaqueseconde.Ilmeregardeaussietsespupillesbrillentd’unetelleforcequejenepeuxm’empêcherdedétournerlesyeux.
–Tum’asmanqué.–Toiaussi.–Tuesbellecesoir,Aly.Commetoujours,àvraidire.
Jedétourneleregardpourlasimpleetbonneraisonquemoncœurs’emballetrop.J’ail’impressionde transpirer tellement j’ai chaud. J’aimerais pouvoir réagir normalement, j’aimerais pouvoir luirépondreque lui aussi il estbeauàencrever,mais jen’yarrivepas. Jen’arrivepasà sortirunmot,commes’ilm’intimidait,oucommesiquelquechosed’invisiblemeréduisaitausilence.
–Çafaitbizarredeveniricilorsqu’iln’yapersonne,ditJamiepourchangerdesujet.Jemetourneversluietm’aperçoisqu’ilregardelecielavecdesyeuxd’enfantimpressionné.Jeme
mordslalèvreetluiréponds:–Ouais.C’est…étrange.Maistoutdansnotrerelationestétrange.Ses yeux retrouvent immédiatement les miens. Il a l’air surpris par mes mots et par ce qu’ils
suggèrent.–Étrange?Commentça?–Ehbien…Jesupposequepeudegensvoientleurrelationnaîtrecommelanôtre.–C’estvraiquec’estunpeuparticulier.Maisdelààdirequec’est«étrange»…–Jeneparlaispasquedeça.–J’avaiscrucomprendre,Aly,dit-ilsuruntonplusdoux.J’aimejustetetaquiner.–Oui,ça,jel’avaiscompris!
Ladoucemélodiedesonrires’élèvedansl’airetj’enailachairdepoule.Ilsecouebrièvementla
tête,lesyeuxmi-closetleslèvresétiréesenunsourire.–J’aiapportéquelquechose,annonce-t-ilenrelevantlementonversmoi.–Quoi?Il fouilledansunedespochesde saveste et en extrait son téléphone. Jem’interrogeunmoment,
maisjecomprendsrapidementoùilveutenvenirlorsqu’ilsortégalementdesécouteurs.–Çateditd’écouterunpeudemusique?–Oui.C’esttoutcequej’arriveàdirealorsquejeleregardedémêlerlesfilsdesécouteurs.Ilsedébat
quelquesinstantsetunsourireniaiss’installesurmonvisage.Seslongsdoigtsbougentavecprécision,etjesuispresquefascinéepartantdeméticulosité.Quandilarriveàsesfins,ilmetendunécouteur.Jeleprendsetnosmainssefrôlent.LesyeuxmagnétiquesdeJamietrouventlesmiensetjesaisàcemomentmêmequ’ilaluiaussiressentiladéchargeélectriquequinousatraverséslorsdececontact.Parcequeoui,malgrétoutcequ’onapupartagercesderniersmois,entreautresdesmessages,dessecretset lessentimentsquel’onal’unpourl’autre,ons’estàpeinetouchés.Àpartl’étreintedeladernièrefois,nospeauxnesesontpresquejamaisrencontrées.
Chacundenousmetunécouteurdanssonoreille.PuisJamiefaitdéfilertoutessesmusiquesjusqu’à
celle qu’il cherche.Lamélodie s’élève.Magorge se sert lorsque j’entends les premières notes de lachanson.Denotrechanson.Jemedoutaisbienquec’étaitcellequeJamiechoisirait,mais jenepeux
m’empêcherdetrembler.Ilmel’avaitpromis.Ilm’avaitpromisqu’unjouronécouteraitcettechansonensembleetqu’ilm’embrasseraitdessus.J’aiuneenvieirrépressiblequeJamietournelatêteversmoietqu’il prenne mes lèvres en otage. TheWeeknd commence à chanter et les paroles lascives, presqueérotiques,delachansonmemettentpourlatoutepremièrefoismalàl’aise,tantàsescôtésellesprennentuneautredimension.Pourtant,çan’apasl’airdetroublerJamie,quiregardelecielnoiretsalunequasipleine.J’essayedefaireabstractiondetoutetj’avaledifficilementmasalive.
Toutvabien,Alyssa.Soudain,Jamiepasselebrasderrièremondos,puissamainseposedélicatementsurmahanche.Il
m’attireversluijusqu’àcequ’onsoitcollésl’uncontrel’autre.Sonétreintemelaissedéboussolée.Mapoitrine se soulève à un rythme anormal et je suis pratiquement sûre que Jamie peut sentirmon cœurbattre à tout rompre. Je continuede l’observer, et je déteste ça. Je déteste cette situation. Il a l’air sicalme,totalementmaîtredelasituation,tandisquej’ailesentimentoppressantd’êtresuspendueaubordd’un précipice. C’est peut-être ça d’être amoureux. C’est peut-être ce que ça fait d’être attaché àquelqu’unaupointd’êtretroubléparsaprésence.
QuandJamietournelentementlatêteversmoi,moncœurfaituneembardée.Sesyeuxreflètentuneémotionsiindescriptible,sidéconcertanteetsidouceàlafoisquejevoudraisquecemomentnes’arrêtejamais. Je suis touchéede plein fouet à chaque fois que je le regarde dans les yeux.Parce qu’il a unregardinoubliable.Sesirissontd’unvertquen’importequijalouserait,etsesprunellessontd’unbrillantquemêmelesétoilespourraientluienvier.
JepeuxsentirlesoufflechauddeJamiesurmapeautantnoussommesprès,c’estpresquetrop.Toutestembrouillédansmatête.Cegarsmemetdansuntelétatqu’ilm’estimpossiblederesterimpassible.
–Tusais,jetienstoujoursmespromesses,Alyssa,murmure-t-iltoutàcoup.Çayest, je frissonne.Sesdoigtscaressentgentimentmahancheet lachaleurqui s’endégageest
insoutenable.J’aibesoindeplus.–Jet’aipromisqu’unjourjet’embrasseraisenécoutantcettechanson,continue-t-il.Leventsouffleunpeuplusfortquetoutàl’heureetmescheveuxvirevoltentautourdenous.Unede
mesmèchesvientsemêleràcellesdeJamie,etçalefaitsourire.Maisilreprendvitesonairsérieuxenreplaçantlamècheclandestinederrièremonoreille.
Jel’encourage.–Tienscettepromessealors.Jenepeuxplusattendre.Chaquesecondequipasseestunsupplice. Jeveuxsimplementsentir la
chaleur de ses lèvres contre lesmiennes, plusque tout aumonde.Même si çanedurequ’unquart deseconde,c’estcequejeveux.Etjeseraiscapablededonnern’importequoipourqu’ilscelleseslèvresauxmiennesdanslaseconde.
–Jen’aipasl’intentiondebrisercetengagement,Aly.Jemeursd’enviedet’embrasserdepuisquejet’aivueprèsdecettepiscine.
Jeprendscettephrasecommeuneautorisationet,finalement,jecraque.Jeneluilaissepasletempsdetenirsapromessepuisquec’estmoiquil’embrasse.Noslèvresentrentviolemmentencollisionetjesens quelque chose exploser enmoi. Ses lèvres sont d’une douceur transcendante, inespérée. Samainvient se poser surma joue alors qu’il intensifie notre baiser. Sa langue se fraie un chemin entremeslèvrespour rencontrer lamienne,et jegémisdoucement.Lavigueurdenotreétreinteest tellequenosécouteurs sont arrachés, et le calme autour de nous tranche radicalement avec la tempête sensuelle etémotionnellequ’asoulevéeennouscebaiser.J’enaipresquelevertige,maisjem’enfiche.Jecontinued’embrasserJamiedepeurd’enêtreprivéeàjamaissijem’écartedeluineserait-cequepourreprendremarespiration.Ilfinitparm’allongerdansl’herbetoutencontinuantdem’embrasser.Ilestau-dessusdemoi,s’appuyantsursesavant-braspouréviterdem’écraser.Etj’adoreça.Jepassedoucementlesmainsdanssescheveuxbrunsetjetirelégèrementdessus.Cettefois,c’estluiquigémit,etçamefaitsourire.
Onfinitparsedétacherl’undel’autre,nonsansdifficulté.Jamiesecoucheàmescôtés,maisilmecolleàlui,nelaissantpasuncentimètred’espaceentrenous.J’entremêlemesjambesauxsiennesetposelatêtesursontorse.
Soncœurbatvite.Soncœurbatfort.Cebaiserétaitbouleversant,siaddictifque,sijen’avaispasbesoindereprendremonsouffle,je
l’embrasseraisencoreetencore. Je reste là longuementàécoutersoncœurbattreà l’unissondumien,alorsquenousreprenons l’unet l’autreprogressivementnosesprits.Quandlachaleurdenoscorpsseréguleànouveau,nouspouvonsmêmesentirlamorsuredufroidextérieur.Maisçamefaitunbienfou.
–Tunem’aspaslaissétenirmapromesse,souffleJamie.Jesourisparcequec’estvrai.J’aiététellementimpatientequejeneluienaipaslaisséletemps.
Mais jem’enfous, le résultatest lemême: j’aieuceque jevoulaisetçaadurébienplus longtempsqu’unquartdeseconde.
–Jesais.Maistuasrempliunautredetesengagements.–Lequel?–Celuidemefaireaimercebaiser.Celui-là,tul’astenuàcentpourcent.Il rigoledoucementetmesertunpeuplus fortcontre lui. Ilpresseses lèvressurmonfrontet je
fermelesyeux…
Cesoir-là,onrestelongtempsaulycée.Étenduslààprofiterdelaprésencedel’autre,àadmirerle
cielétoilé,àsecâlineretàsevolerdesbaisers.Demain,ilfaudraànouveausecacher.Demain,ilfaudrafairecommesiderienn’était.Ilfaudraquej’affronteleregarddemafamille,demesamisetdeMattsansrienlaisserparaître.Etputain,cequec’estdifficile…
–35–
Lesjourssontdifficiles.Tellementdifficilesquechaquematinjerêvederesterallongéeaumilieudemesdrapsfroisséstoutelajournée.Tellementdifficilesquej’ailabouleauventreàchaqueinstant.Tellementdifficilesquej’ail’impressionqu’àchaquesecondejepourraiscraquer.
Etsicesjourssontsidifficiles,c’estparcequejedoisfairecommesiderienn’était.ConcernantmonhistoireavecJamie,jeveuxdire.Jedoiscachermessentiments,lesdissimulersousunairblaséetdésintéresséquej’aiconstruitdetoutespièces.Alorsquej’auraisenviedehurleraumondeentiercequecegarçonm’apporte,àquelpointilestfantastique…Maisjenepeuxenparleràpersonne,pasmêmeàHolly.Si,auxautres,jenedoissimplementpasenparler,àelle,jedoismentir,c’estpire.Jeluiaiavouéle soir du bal qu’il y avait quelqu’un qui comptait à mes yeux. Je lui ai aussi promis que je lui enparleraisetquejeleluiprésenterais.Maisils’avèrequejenepeuxpas.Alorsjeluimens,enluidisantque,finalement,ilnes’étaitrienpasséentrecegarçonetmoietqu’iln’envalaitpaslapeine.Hollymecroit. Elle ne m’a posé aucune question. Elle me croit même déprimée. Et elle n’arrête pas de merabâcherquejetrouveraibientôtlegarçonquejemériteetquejesuisgéniale.
Ouais,jemenssibienqueHollymecroitdésespéréeetenquêted’amour.Vousmedirez,ilyaLouis.Maisjeneveuxpasluiparlerdemesproblèmes.Jeneveuxpasqu’il
me sachemalheureuse et s’inquiète alorsqu’il est de l’autre côtéde l’Atlantique. Il serait capablededébarquersuruncoupdetêtepourmeremettresurpied.Maisçaseraitunepertedetemps,d’énergieetd’argentparcequelaseulechosequimeferaitallermieux,c’estd’êtreavecJamie.
Leplusdifficiledanscettehistoire,c’estvraimentdenepas levoirautantque j’enauraisenvie.Pourtant,j’aimeraispouvoirdéjeuneraveclui,rentrerdescoursàsescôtés,lesoir.J’aimeraispouvoirlui tenir lamain quand l’enviem’en prend. J’aimerais simplement qu’il soit présent, qu’il soit àmescôtéstouslesjours.C’estvrai,j’aimeraistoutça.C’estcequejevoudraisleplusaumonde,maisjesaisquecen’estpaspossible,dumoinspastoutdesuite.NousnesommespasencoreprêtsàaffronterMatt.EtJamieneveutplusnonplusprendrelerisquedesortirpourquel’onsevoieencachette.Ilapeurqueçaéveillelessoupçonsdesonfrères’ilsemetàsortirtropsouvent,surtoutenpérioded’exams…
Laseulechoseàlaquellej’ailedroit,c’estànosconversationstéléphoniques.Maisçanemesuffitplusdepuislesoiroùnousnoussommesembrassésàlapiscinedulycée.Çanemesatisfaitplusparcequejepeuxencoresentirladouceurdeseslèvrescontrelesmiennesetl’ardeurdesescaressessurmapeau. Je peux encore voir l’émeraude de ses irismalgré le noir de la nuit et sentir son doux parfumm’enivrerdangereusement.Alorsoui,cessimplesconversationsnemesuffisentplus.J’aibesoindeplus.J’aibesoindelevoir,j’aibesoind’entendresavoix,j’aibesoindelesentiretj’aibesoindeletoucher.
Alyssa:Çavametuer.
J’ai envoyé ce message désespéré il y a une petite demi-heure et j’ai presque immédiatementregrettémon impulsivité. Jen’auraispasdûexpédierun telmessage.Parcequeçamontreque je suisfaible, incapableet lamentable.C’estsûrementcequejesuis,d’ailleurs.Maisqu’est-cequejepeuxyfaireaufond?Jen’ysuispourriensijemesenssidémunie.C’estlafautedecesentimentquimedonnel’envieconstantede levoir.C’estceputaindesentimentquimedonne l’impressiond’être incomplètelorsqu’ilestloindemoi.
C’estcetteconneriedesentimentamoureuxquimerendsifaible,siincapableetsilamentable.Jefume,pourm’occuper.Maisçanem’apporterien.Jemesenstoujoursaussimal.Àcroirequela
nicotine, elle aussi, a décidé de m’abandonner. Tout semble se liguer contre moi pour me rendre lasituationencoreplusdifficileàsupporter.
Aprèsavoirenvoyéle textoàJamie, jemesuisassisesur lapelousedemonjardinet jemesuismiseàécrire.Çanem’étaitpasarrivédepuisdeslustres.Jenemesouviensmêmeplusdequanddateladernièrefois.Çadevaitêtreavantmonentréeaulycée,entoutcas.Lorsquej’aicomprisquemesrêvesneseréaliseraientpas.Enfin,c’estl’idéequemesparentsavaientréussiàimplanterdansmoncerveau.Uneidéesitenacequej’avaisl’impressionqu’elleétaitgravéeauferrougedansmonesprit.
Maissij’aitenujusqu’aulycée,c’estparcequej’avaisLouis.Ilestleseulquiaittoujourscruenmes rêves, sans les remettre en question. Il y croyait vraiment, peut-êtremême plus encore quemoi.D’ailleurs,c’estluiquim’apousséeàtenterlaplupartdeschosesquej’aifaitesdansmavie.C’estluiquim’apousséeàmesurpasserpourquejepuisseentreprendredesétudeslittéraires.PuisilestpartiauÉtats-Unis…Etj’aiabandonnémonrêve.J’avaisperdutoutespoir jusqu’ausoiroùJamieetmoinoussommesrevus.J’aireprisconfianceenmoicejour-là,parcequejemesuissentieréellementimportanteauxyeuxdequelqu’unpourlapremièrefoisdepuisledépartdeLouis.Etçam’aredonnéenviedecroireenmoietderenoueravecmesrêves.
Jetireunetaffesurmaclopepuisajouteunephrasesurlepapierfroissédemoncarnet.J’yraconte
toutcequejeressensetçamefaitleplusgrandbien.Depuisquejemesuisassiselà,j’aidéjàécritdeuxpagessurmonhistoireavecJamie,dontunlongpassagedescriptifoùj’ailistétoutessesqualités,tousnospointscommuns,maisaussicequ’ilaimeetsesdéfauts.
Prendre ce carnet pour écrire a été lameilleure décision que j’aie prise depuis un bon bout detemps.
Lui:Qu’est-cequivatetuer?
JeposemonstylopourrépondreaumessagedeJamie.
Alyssa:Est-cequetucroisquelemanquepeuttuerquelqu’un?Lui : Le manque ? Ouais, peut-être. Je pense que les drogués en manque sont capables de se suicider s’ils n’ont pas leur dose
rapidement.Alorsoui,jepensequelemanque,çapeuttuer.Mais…Pourquoitumedemandesça?Alyssa:Poursavoir.Maisjeneparlepasdecemanque-là.Jeparleplutôtdumanquedequelqu’un.Lui:Danscecas,non,jenepensepas.Alyssa:Pourtantj’ail’impressionquelemanquevametuer.Lui:C’estmoiquitemanque,Aly?Alyssa:Ouais,tumemanquestellementquec’enestdouloureux.Lui:Chérie…Onenadéjàparlé.Alyssa:Jesais,oui.Maisc’esttropdur,tucomprends?Çafaitàpeinedeuxsemainesqu’ons’estembringuésdanscettehistoireet
jesuisdéjààboutdeforces.Jamaisjen’auraiscruqueçaseraitsidifficileàsupporter.Lui:On doit continuer,Alyssa.On n’a pas le choix, on doit attendre queMatt passe à autre chose.Après, seulement, on pourra
envisagerunerelationnormale.Alyssa:Jeledéteste,tonfrère.Lui:Jesais.Ilestvenutereparler?Alyssa:Non,onnes’estpasadressélaparoledepuisunbonboutdetemps.Lui:Tantmieux.Alyssa:Peut-êtrequ’ilfiniraparpasseràquelqu’und’autreplusrapidementqueprévu.Lui:Jenesuispassûr,Aly.Iln’accepterajamaisquetusoismacopinealorsqu’ils’intéresseàtoi.
Sa copine.Un frissonmeparcourt l’échine.C’est la première fois qu’ilmet unmot pour définirnotre relation. Même en pensée, je n’avais jamais osé donner d’appellation à notre « nous ». J’aisûrementfaitçapournepassouffriretpournepasmefairedefauxespoirs.Maisçamefaittellementdebiendesavoirqu’ilmeconsidèrecommesacopinequejem’autoriseàpenserqu’unjournouspourronsêtreuncoupleàpartentière.
Alyssa:Jenesaisplussijet’enaiparlé,maisMattm’aclairementditques’ilnepouvaitpasm’avoir,tunem’auraispasnonplus.Lui:Iladitça?Alyssa:Oui,c’estexactementcequ’ilaprétendu.Lui:Putain…Çamedésolequ’il soitcommeça. Jenecomprendspascomment ilapu tantchanger.Ons’entendait sibienétant
gamins.Pourquoia-t-ilfalluquecesputainsd’histoiresdepopularitéluimontentàlatête?Alyssa:Jesuispersuadéequ’ilredescendrasurTerre.Ilsfinissenttousparredescendre.Lapopularité,cen’estqu’éphémère.Lui:Tuassûrementraison.Alyssa:Promets-moiqu’onsereverravite.Lui:Jenepeuxrientepromettre,chérie.Alyssa:Dansmaphrase,«vite»nevoulaitpasdiredemain,nimêmedanslasemaine.Çavoulaitdiredanslemois.J’aibesoinde
savoirqu’onsereverracemois-ci.
Lui:Tusaisquejeferaisdemonmieuxpourterevoirrapidement.Tun’espaslaseuleàsouffrirdumanque…Jepenseconstammentànousetànotresoiréedelasemainedernière.Jemeremémoresanscessenosbaisersetladouceurdetavoix.C’estçaquimefaittenir.Cesontcesmincesmaissibeauxsouvenirsdecettesoirée-là.Parcequejesaisqu’aufinalc’estpourlabonnecause,toutcequ’onfait.C’estpourqu’onpuisseêtreensemble.C’estpourtoi.C’estpourt’avoiràmescôtés,c’estpourteprendredansmesbras,pourtetenirlamainetpoursentirteslèvrescontrelesmiennes.Alorsoui,c’estdifficileetc’estdouloureux,maisc’estpourlabonnecause.
Jeme laisse tomberdans l’herbe enposantmon téléphone surmoncœur. Je ferme lespaupièresquelques instantset je respireprofondément.Bordeldemerde, c’est fouàquelpoint sesmotsont lepouvoirdemerendretoutechose.Etjecroisquec’estàcemomentprécisquej’aicomprisça.Quej’aicomprisqu’iln’yavaitqueluidansmoncœuretqu’iln’yauraitjamaisdeplacequepourlui.
Silemanquepeuttuerundrogué,alorsj’ensuisune.Jesuisunedroguée,accroàungarçonque
jen’aivuquedeux fois.Etputain, je suis tellementenmanqueque je sensmapoitrinese serreràchacunedemesrespirations…
–36–
–Tuenesoùdanstesrévisions?medemandeHollyenouvrantsonmanueldelittérature.Avachie, un coude sur la table, la main en repose-tête, je la regarde sans entrain. Elle tourne
rapidementlespagesdesonlivrepourarriveràcellequil’intéresse.Ellesoupireendécouvrantlaséried’exercicesquenotreprofesseurnousaconseilléspourêtreprêtspourlebac.
Encemoment, c’est tout le tempsça.Onpassenospauses à réviser et à s’exercer.Enfin,Hollypassesespausesàça.Moi,jemecontentedelaregarderfaireetdel’écouterseplaindresurlaquantitédechosesàapprendre.Jenepensaispasqu’ellesemontreraitsitravailleuse.Soncomportementhabituellaissaitplutôtpenserqu’ellenefoutraitrienetqu’elleattendraitbrascroisésl’issuedecesfoutusexams.Mablondepréféréerelèvemomentanémentlesyeuxversmoietsecouelatête,pourmemontrerqu’elleattendmaréponse.Priseenfaute,jemeredresselégèrementetrecoiffemescheveuxébourifféspourmedonnerunecontenance.
–Ehbien…Jesaispastrop,dis-je.–Commentça,tunesaispastrop?–Jesuispastrèsavancée,quoi.J’aipasfaitgrand-chose.–Mais,Alyssa,lesexamenssontdanstroissemaines!Qu’est-cequetuattendspourt’ymettre?Etvoilà,Hollyvientdes’improvisersecondemère.Jedétestequandelleestcommeça,çaaledon
dememettrehorsdemoi.Jelèvelesyeuxaucielethausselesépaules.–Jen’aipasvraimentlatêteàréviser.–Pourquoi?–Pourquoiquoi?Iln’yarienàsavoirdeplus.Jen’aipasenviederéviser,c’esttout.–Tesparentstelaissentfaire?–Mesparentsnes’occupentpasdeça.J’ailâchécesmotsd’untonglacial.Ses yeux bleus s’écarquillent légèrement. Je sais que je ne suis pas très douce avec elle, mais
pourquois’acharne-t-elleàs’occuperdecequinelaregardepas?Jen’aipasenviederéviser,jenele
faispas,etc’esttout.Sijemeramasse,c’estmonproblème,paslesien.–Tupeuxaumoinsm’aideràréviser?Jen’enaiaucuneenvie.Jepréféreraisqu’elles’occupedesesrévisionsseuleetqu’ellemelaisseà
mes pensées, tranquille dans mon coin. Mais je me vois mal lui décocher une seconde remarquecinglante,alorsjeluiprendslelivredesmainsetm’imprègnedel’énoncé.Rienqu’enlisantlaconsigne,j’aimalàlatête.
–Putain,c’estquoiça?–Dufrançais,machère,répondHolly,sarcastique.Jeluifaisundoigtd’honneuretjecommenceàluiposerdesquestions.Jen’écoutemêmepasses
réponsesetmecontented’opineràchaquefois.Jeregardesouventmamontre,espérantdécouvrirquelapausevabientôtprendrefin.Malheureusement,ilresteencoreunevingtainedeminutesavantlareprisedescours.
–Questionsuivante?demandeHollypourmesortirdemespensées.–Hum…Cite-moiunautreauteurayantécritdegrandescomédiesauXVIIesiècle.Hollycherchequelquesinstants,concentrée,lesyeuxrivéssurmoi.Ellecaressesalèvreinférieure
desonindex,l’airincertain.Ellefroncelégèrementlessourcils,ellesèche,c’estévident.–Tunesaispas?Tuveuxquejetediselaréponse?Ellenemerépondpas,etjem’aperçoisqu’ellenemeregardeplus.Sesyeuxbleusfixentquelque
chosederrièremoi.Jetourneinstinctivementlatêtepourvoircequil’intéressetantetmefige.Putaindemerde.Matts’avancedansnotredirection,d’unpasrapideetdéterminé.Jemeretourneprécipitammentetplongelatêtedanslelivredefrançaisenespérantqu’ilnem’apasvue.
–Ilvientpar-là?–Ouais.Qu’est-cequisepasseentrevous,Aly?–Rien.Ilnesepasserien.J’airépondutroprapidementpourêtrecrédible.–Rien,tudis?Ilal’airdebeaucoupt’apprécierpourtant.C’esttonpetitamisecret,pasvrai?Si
c’estlecas,tupeuxmeledire.Jen’aipasl’intentiondetelevoler.Jelafoudroieduregard.Nepeut-ellepasmelaissertranquilleavecça?Neserait-cequ’uneminute
?–Tucroisqu’ilveutmeparler?Àpeineai-jeeuletempsdemurmurercesmotsqueMattestlà.Jepeuxsentirsaprésencedansmon
dos.Sonparfumquienvahitsoudainl’atmosphèrenefaitquemeleconfirmer.–Salut,Matt,ditHollypoliment.Commentvas-tu?Elle ne le connaît absolument pas,mais je devine que c’est le seulmoyen qu’elle ait trouvé de
m’avertirdesaprésence.C’estgentil,Holly,mais jen’avaispasbesoindeça. Jene sais comment,maisj’aidéveloppéunecapacitésurnaturellepoursentirquandilestprèsdemoi.
Matt,sansmêmeluiprêterattention,s’adressedirectementàmoienmeglissantàl’oreille:–Onpeutparler?
–Non,dis-jesèchementsansmeretourner.–Cen’étaitpasunequestion.Ondoitparler,Alyssa.Savoixestglacialeetjenepeuxm’empêcherdefrémir.TouslesmotsdeJamiepourmedécrire
sonfrèremereviennententête,et j’aiuneenviefollederestercolléeàcebancpouréchapperàcettediscussion.
–S’ilteplaît,Alyssa,chuchote-t-il,lesdentsserrées.–Jesuisoccupée,Matt.–Çaneserapaslong.Etsansmelaisserletempsd’objecterquoiquecesoit,ilempoignefermementmonbrasetmeforce
àmelever.Impossibledelutter,ilestbienplusfortquemoi.–Hey!Elledevaitm’aideràréviser!protesteenvainHolly.–J’enaipourcinqminutes,jesuissûrquetupeuxattendre.Impuissante,Hollymeregardepartir.Jepeuxlirel’incompréhensionetlacuriositédanssesyeux.
Elleme souffle un«Courage ! » alors queMattm’emmène loindubanc et demonamie. Jeme senscommeuneenfantsoumise,etjedétesteça.Jedétestetoutdecettesituation,d’ailleurs,etjemedébatspourqu’ilmelâche.Envain.
Mattmetraînedansuncoinoùiln’yapasgrandmondeetjesenslacolèremonterenlui.Qu’est-cequ’ilmeveutencore?Illâchefinalementmonbrasetsoupireenregardantsespieds.C’estfoucequeJamie et lui se ressemblent. Il y a des différences mais, putain… les similitudes entre eux sontdéconcertantes.IlmerappelleterriblementJamie.Sibienquej’ail’impressionquemoncœursedéchireenunmillierdelambeaux.
–Tuluiparlesencore?lanceMattbrusquement.–Àqui?–Augarsavecquitufaiscejeutéléphonique.Mattignoretoutdecequ’ils’estpasséentreJamieetmoidepuislesoirdubal.Ilestàdixmille
lieuesdesedouterquenousnoussommesrencontrés,parléetmêmeembrassés. Iln’ensait rien,et jecompteluiconfirmerquecequ’ilpenseestvrai.Toutmoncorpsvoudrait luibalanceràlagueulequej’aimeJamieetquenoussommesensemble,maisjesaisqueçaneferaitqu’envenimerlasituation.Alorsjevaisfairelachosepourlaquellejesuisleplusdouée:mentir.
–Non,dis-je,laconique.–Non?–Ilaarrêtédemeparlersubitement.Dujouraulendemain,jen’aiplusreçuaucuntextodesapart.–Vraiment?–Ai-jel’airdeplaisanter?J’aiditçaleplussincèrementetleplusamèrementdumonde.
Sessourcilsfroncésdonnentàsonvisageuneexpressionincroyablementdure,férocemême.Ilmetoisedelatêteauxpiedsetjefaisdemonmieuxpourparaîtreinébranlable.Jeveuxqu’ilneparvienneàlireaucuneémotionsurmonvisage.
–Tuasl’airbienstoïque,remarque-t-il.–Pourquoineleserais-jepas?–Parcequ’ilyaàpeineunmois tum’asditque tuaimaiscegars.Etaujourd’hui, tum’affirmes
qu’ilacessédeteparleretqu’ila…coupélesponts.Je trouveçaétrangequeturestessi impassiblepourquelqu’und’amoureux.Tudevraisplutôtêtreeffondrée,non?
Je serre les dents. Il n’a pas tort, ce con. Jemordsma lèvre inférieure et détourne un instant leregard.Ilessaiedemecoincer,maismoiaussijesuisforteàcegenredejeu.
–J’aiditquej’aimaislegarsquetuappelles«l’amiauZippo».–Jesais,Alyssa.Etjesaisaussiquecegarsestceluiavecquitujoues.–C’estvrai,c’estlemêmegarçon.Maisjementais.–Commentça,tumentais?–Jenel’aimepas,cegars.L’expressiondesonvisagechangerapidement.Ilestplusquesurprisparmadéclaration.Ilpasse
unemaindanssescheveuxd’ungestepleind’assuranceetincroyablementsexy.Jamieaussifaitsouventcegeste,etjenepeuxm’empêcherdetrouverquesamanièreplustimidequecelledeMattestbienplustouchante,etluivabeaucoupmieux.
–Pourquoiavoirditquetul’aimaissicen’étaitpaslecas?poursuit-il.Àsonairgrave,jedevinequ’ildoutedelavéracitédemadernièredéclaration.Ilal’airsûrdelui
aussi, et jedétesteça. Ildoitpenserqu’ila seschancesavecmoi,maintenantqu’il saitque jen’aimepersonne.
–J’aiditçaparcequejevoulaisquetumefouteslapaix!Ilsemetàrire.Ilenfoncesesmainsdanssespoches,lasituationsembleclairementl’amuser.J’ai
enviedeluicracheràlafiguretantilm’exaspère.J’aimeraistellementqu’ilmelaissetranquilleetqu’ilaille se trouver une autre fille à emmerder. J’aimerais vraiment qu’il passe à autre chose et qu’ilmelaissevivremonhistoireavecJamie.
–Çanemarchepascommeça,Alyssa.Cen’estpasparcequetuveuxquejetefoutelapaixquejeleferai.C’estmoiquidécide.
–Laissetomber,Matt.Tunem’intéressespas.Voyantquej’essaiedepartir,ilmeretientparlebrasetm’obligeàcroisersonregard.–Jefiniraipartefairesuccomber,Alyssa.–Jenepensepas,non.Dansunmois,c’estlafindescours,jen’auraiqu’àtenirjusque-là.Désolée,
Matt,maiscettefois,tun’auraspascequetuveux.–Tutetrompes,Alyssa.Jesensqu’ilyauntrucentrenous.–Laseulechosequ’ilyaentrenous,c’estdel’air.Etc’esttoutcequ’ilyaurajamais.
Estomaqué, Matt desserre son emprise sur mon bras, et je profite de cette occasion pour
m’échapper.LorsquejeretrouveHolly,jetrembleencoredespiedsàlatête…
–37–
Lui:Bonsoir,chérie.Alyssa:Salut.Lui:Commentvas-tu?Alyssa:Jevaisbienettoi?Lui:Çavaaussi.Mêmesijet’avouequejecommenceàenavoirmarredetoutescesrévisionsàlacon.J’ail’impressionquemon
cerveauvaéclater.Alyssa:Jenecomprendspaspourquoitut’acharnesàréviser,onsaittouslesdeuxquetuvasassurer.Lui:Mouais…Çafaitlongtempsquejen’aipasétéencours.Alyssa:Commentça?Lui:Jesuisdescoursàdomicile,tut’ensouviens?Alyssa:Biensûrquejem’ensouviens.Lui:Ehbien,ilm’arriveaussidesuivredescoursaulycée.Jevienssurletempsdumidioulesoirquandlescourssontterminéspour
vous.Peut-êtrequetum’asdéjàaperçudanslescouloirsenpensantquej’étaisMatt.Alyssa:Tusuisaussidescoursaulycée?Lui : Ouais, des cours de soutien, si on veut. Les cours à domicile, c’est bien, mais entre nous, ce n’est pas la meilleure façon
d’apprendre.Alyssa:C’estcommeçaquetuassuoùétaitmoncasieretquetuaspuydéposerlescigarettesetleZippo?Lui:Exact,chérie.Àchaquefoisquejevenaisaulycée,j’essayaisdeterepérer,etc’estcommeçaquej’aisuquelétaittoncasier.
D’ailleurs,tuypassesuntempsfouàcecasier…Alyssa:Ahbon?Lui:Enfin,tudoisypasseruntempsfou,puisqu’àchaquefoisquejeviens,c’estlàquejetetrouve.Alyssa:Jenem’enétaismêmepasrenducompte.Faudraitpeut-êtrequejechangeça…Sinon,tufaisquoi?Lui:Jemangeunboutavantdemeremettreàcesfoutuesrévisions.Ettoi?Alyssa:Jefume.Lui:Tupensessouventàmoi?
Jerecrachelafuméedemacigaretteenfronçantlessourcils.Sijepenseàlui?Biensûrqueoui,commentpourrait-ilenêtreautrement?Jesaisqu’ildoutedelui.C’estMattquil’arenducommeça:méfiant,peusûrdelui,renferméetprudent.Ilmeposecettequestionparcequ’ilapeurqueçanesoitpaslecas.Ilsaitcommentjesuis.Jenesuispasdugenreromantiqueàattendredansmoncoin,ildoitcroirequejenevaispasl’attendreéternellement.Quesiunjourcettesituationmelasse,ilmeperdra.Maisce
qu’ilnesaitpas,c’estquejesuis…amoureusedelui.Oui,c’estlecas.Jel’aime.Jel’attendrailetempsqu’ilfaudra.Mêmesiçadoitprendredessemainesoudesmois.
Alyssa:Oui.Lui:Dis-m’enplus.Alyssa:Jepenseàtoitrèssouvent,pournepasdirelaplupartdutemps.Lui:Moiaussi,jepensebeaucoupàtoi.Alyssa:Pourquoitum’asdemandéça?Lui:Jevoulaism’assurerquetutiennessuffisammentàmoiavantquejenetedisequelquechose.Alyssa:Medirequoi?Lui:Tusais,Alyssa,jecroisque,finalement,j’aitrouvéquelétaitmonrêve.Alyssa:Ahoui?Lui:Netefouspasdemagueule,OK?Alyssa:Pourquoiest-cequetuvoudraisquejemefoutedetoi?Lui:Onsaittouslesdeuxcommenttues.Alyssa:Situfaisréférenceàcequej’aifaithier,sachequejenesuispascommeçaavectoutlemonde.Mattméritaitvraimentce
quejeluiaidit.
Oui,cette fois jen’aipas tenuma langue, j’ai racontéà Jamiemonentrevueavecson frèreet laconclusioncassantedecetéchange.
Lui:Jen’aipasditlecontraire.Tuasjusteunefaçondedireleschosesquiestassez…spéciale.Alyssa:C’estcequifaitmoncharme,non?Lui:Onpeutdire,oui.Alyssa:Allez,maintenant,dis-moi!Jeteprometsquejenemefoutraipasdetoi.Lui:Jetecrois.Alyssa:Vas-y,jet’écoute.Lui:Monrêve,c’estdem’enfuiràl’autreboutdumondeavectoi.(Jemetscesouhaitdanslacatégoriedesrêves,parcequejele
jugeirréalisable,situveuxsavoir.)Tefouspasdemoi,t’aspromisquetuleferaispas.Alyssa:Jenevoispaspourquoijemeseraisfoutuedetagueule…Çamefaitincroyablementplaisirdesavoirça.Lui:Mouais…J’ail’impressiond’êtreniais,jedétesteça.Alyssa:Jelesuisautantquetoi.Aumoinssurcepoint-là,yenapasunpourrattraperl’autre!Maisparcontrejenepensepasque
tonrêvesoitirréalisable.Lui:Biensûrquesi,chérie.Soyonslucides.Alyssa:Jelepensevraiment.Onpeuts’enfuirtouslesdeux.Lui:Comment?Alyssa:Onpréparetoutetons’enva.Lui:Tun’esmêmepasmajeure,Aly.C’estimpossiblequ’ons’enailletouslesdeux.Alyssa:J’enparleraiàmesparentsetilsaccepteront,j’ensuiscertaine.Lui:Tuvasparlerdenousàtesparents?Alyssa:Oui.Lui:Çafaitbizarre.Alyssa:Qu’est-cequifaitbizarre?Lui:Desavoirquetuvasenparleràtesparents.Jesaispas…Çamefaitbizarre.Çarendleschosestoutdesuitebeaucoupplus
officielles.Alyssa:Onaledroitàquelquechosed’officiel.Etmesparentsnerisquentpasd’allerrépéterlanouvelleàMatt.Lui:Jelesais,ça…Maisjenepensaispasquetuauraiseuenviedeparlerdemoiàtesparentssirapidement.
Alyssa:Jamie…Tucomptesbeaucoupàmesyeux.Jeveuxdire…Vraiment.Alorsoui,c’estpeut-êtreunpeuprécipité,mais j’aienviedeparlerdetoiàmesparents.Jesuissûrequ’ilsserontheureuxdesavoirquejeveuxpartiravectoi.Jen’aijamaisramenédegarçonsàlamaisonet…jecroisqu’ilscommençaientàs’ensoucier.
Lui:Tun’asquedix-septans,cen’estpasanormalquetun’aieseupersonneavantmoi.Chacunsonrythme.Alyssa:Mesparents sontquelquepeu…étranges. Ilsont toujourseu tendanceàs’inquiéterdu faitque jenem’intéresseàaucun
garçon. Ça a créé un amalgame dans leur tête…L’année dernière,mamère est venueme demander si je n’avais pas, par hasard, unepréférencepourlesfillesplutôtquepourlesgarçons.Cen’étaitpaslecasetçanel’esttoujourspas,maiscommeilsseposentcegenredequestionssurmespréférences,jecroisqu’ilesttempsquejeleurparledemaviesentimentale.
Lui:Tuvasleurparlerdenous?Alyssa:Oui et je vais leur dire que je veuxpartir envacances avec toi.Cet été, onprend le large tous les deux et on laisse tout
derrièrenous.Lui:Tuycrois,àcequetuesentraindedire?Alyssa:Biensûr,quej’ycrois.Onvatoutprépareretonvas’enfuircetété.Lui:Sérieusement?Alyssa:Jen’aijamaisétéaussisérieuse.Lui:Sic’estaussicequetuveux,faisons-le.Enfuyons-nouscetété.C’esttoutcequej’attends…
–38–
Alyssa:Onpartoùcetété?
JemesuisdécidéeàparlerdeJamieàmesparentshiersoir,pendantledîner.J’aiplacéçadansladiscussion,d’aborddemanièreinnocente,faisantcellequiapenséàvoixhaute.J’aisuscitéchezeuxlaréactionque jeconvoitais, et ilsm’ont immédiatementdemandéde répéterceque jevenaisdedire,àsavoirunephrasementionnantJamie.M’entendreprononcerceprénommasculinquis’étaitéchappédemeslèvresapiquéleurcuriosité.Cen’estpasdansmeshabitudesdeparlerdemavieàmesparents,etilfautcroirequ’ilss’étaienthabituésaufaitd’avoirunefilletaciturne,maisaumomentmêmeoùj’aiouvertlabouche,ilssesonttus.Leursregardsontconvergéversmoiet,àpartirdelà,j’aieuleurattentionlaplustotale.Jeleuraidoncexpliquéquej’avaisrencontréquelqu’unetquecequelqu’uns’appelaitJamie.Qu’onseconnaissaitdepuisfévrieretquenousavionstissédesliens,d’abordamicauxpuisamoureux.
Mamèren’apaseuvraimentl’airsurpriseàl’évocationdecegarçonparcequ’elleétait,pourainsidire,déjàaucourant.EtmonpèreaétonnammentbienréagilorsquejeleuraifaitpartdemonenviedepartirenvacancesavecJamie.Jedoisdirequeçam’abeaucoupsurprisevenantdelui.
Lui:Jenesaispas,àvraidire.Jen’aipasencoreréfléchiàça.Alyssa:D’accord.Lui:Mais,attends…Tesparentsontaccepté?Alyssa:Onvadirequeoui.Lui:Commentça«Onvadirequeoui»?Alyssa:Disonsqu’ilsaccepterontàunecondition.Lui : Une condition ? Merde, je déteste quand il y a des conditions à quelque chose. Les gens demandent toujours des choses
exorbitantes.Alyssa:C’estvrai,maispascettefois.Lui:Ahnon?Queveulent-ilsalors?Alyssa : Ils accepteront qu’on parte ensemble cet été uniquement s’ils te rencontrent avant. C’est tout. Ils disent qu’ils veulent
s’assurerquetuesungarçonhonnêteetquejenerisquerienavectoi.Lui:Sérieusement?
Alyssa:Oui…Jepensequec’estlégitimequ’ilsdemandentàterencontreravantd’accepterdemelaisserpartiravectoi.L’inverseauraitétéétrange,tunetrouvespas?
Lui:Jenesaispas.Mesparentss’enfoutraients’ilsétaientàlaplacedestiens.Alyssa:Maistuesungarçonettusaiscequ’ondit.Ilsontpeurpourleurfille,lesrisquesnesontpastoutàfaitlesmêmes.Ilsneme
laisserontjamaispartiravecungarsqu’ilsn’ontjamaisvu.Ilspourraientpenserquet’esunvioleur,ouuntrucdugenre.Lui:Unvioleur?Carrément?Alyssa:Tuasquandmêmeinventécejeuqui,audépart,n’estpastrèssain,alorstusais…Lui:Qu’est-cequetuesentraind’insinuer,chérie?Alyssa:Rien…Jetetaquine,Babe.Lui:C’esttoutcequ’ilsdemandent,tuessûre?Ilsnevontpasmeréclamermesrelevésdenotesdestroisdernièresannées,unRIB
etmacarted’identité?Alyssa:J’avouequejenepeuxpastelegarantir.Monpèrepeutsemontrersurprotecteurdetempsentemps.Lui:Tudéconnes,pasvrai?Alyssa:Maisoui,ne t’en faispas.Mesparentsne sontpasdesespècesd’agentsde laCIA. Ilsnevontpas te fouiller lorsque tu
passeraslaporte.Lui:Onnesaitjamais…Vucommenttulesdécris,onpourraitlepenser.Alyssa:Tuesd’accordalors?Lui:Ai-jevraimentlechoix?Alyssa:Situveuxpartiravecmoicetété,alorsnon,tun’aspaslechoix.Lui:Bonbahçarésoutmonproblème,jen’étaisplussûrdevouloirpartiravectoi.Alyssa:Aha,tuesvraimenttrèsdrôle,Jamie.Lui:Jesuisinvitéquand?Alyssa:Leweek-endprochain.Tuesdisponible?Lui:Jevaisessayerdemelibérer,oui.Alyssa:Qu’avais-tudeprévu?Lui:Réviserpourl’examenfinal.Alyssa:Çateferadubiendesortirlatêtedetesbouquinsletempsd’unesoirée,net’enfaispas.Lui:Jesais,jeserailà.Alyssa:Onditdix-neufheurestrente?Lui:C’esttrèsbien.Jedoism’habillercomment?Alyssa:Commetuveux,çaseraparfait.Lui:Mercibeaucouppourtonaide,Aly.Elleesttrèsprécieuse.(Tunoterasl’ironie.)Alyssa:Maisjenesaispas,moi…Viensentenuedécontractée,j’imaginequeçaira.Tun’aspasbesoindesortirlecostard.Lui:D’accord.Et…jedoisapporterquelquechoseenparticulier?Àboire?Àmanger?Alyssa:Non,biensûrquenon.Lui:Tuessûre?Jen’aipasenviedepasserpourquelqu’undemalpolisansmêmeavoirouvertlabouche…Alyssa:Viensavectonsourire,çaferal’affaire.Lui:Jepeuxfaireça.Alyssa:Ettâchedenepasêtretropenretard,mesparentsdétestentça.Nevienspasavantl’heurefixéenonplus…C’estencore
pirequed’avoiruneheurederetardàleursyeux.Lui:Hum…OK.J’aid’autreschosesàsavoirpouréviterlacatastrophe?Alyssa:Non,c’esttout.Soistoi-mêmeettoutsepasserabien.Lui:Donc–sij’aibiencompris–ilmesuffitdefairebonnefigureletempsd’unesoiréepourmevoiraccorderunvoyageauxcôtés
d’AlyssaBriand?Alyssa:C’estexact,monsieurCassel.Iltesuffitdefairebonneimpressionàmesparentspourpartirenvacancesavecmoi.Lui:J’espèrequej’yarriverai.Entoutcas…Jeferaidemonmieuxpournepaslesdécevoir,Aly.Alyssa:Jenedoutepasdetoi,Cassel.Jamais.
–39–
Çayest,mesparentsvont rencontrer Jamie.C’estce soir. Jen’aipasvu la semainepasser.Lesexamenssontlasemaineprochaineetj’avouequ’avecJamienousn’avonspasvraimenteuletempsdeparlercesdernierstemps.Quelquesmessagespar-cipar-làpoursavoircommentval’autre,maisriendeplus.Jesaisàquelpointileststudieux.Jenetrouvepasqueçacollevraimentavecsonpersonnagedegarsmystérieuxetsexyentoutecirconstance,d’ailleurs.Quandonlevoit,onnepeutpassedouterquemonsieurestunélèvesérieuxetassiduquifaitpassersesétudesavanttout.Nonpasqu’iln’aitpasl’airintelligent, puisque au contraire il fait très cultivé et très brillant,mais on dirait plutôt qu’il sait toutinstinctivementetqu’iln’apasbesoind’étudierpoursavoirtoutça.
Du coup, avec toutes ses révisions, il ne m’a pas beaucoup parlé, et je n’ai pas fait beaucoupd’effortsdemoncôténonpluspourengagerladiscussion.J’avaispeurdeparaîtrepesanteetjemesuisdit que je ferais mieux de me plonger dans mes bouquins, moi aussi, histoire de ne pas arriver auxépreuvesenstresstotal.
Àunedizainedeminutesde la rencontre, jesens lapressionmonter. J’aipeur. Jesuispaniquée,
même.L’angoissecomprimemesorganesetmesos, j’aidumalà respirernormalement. J’aipeurquemesparentsnetrouventpasJamieassezbienpourmoi.Mamèreestdifficile,monpère,n’enparlonspas.Ilssontcoriaces,ets’ilneleurplaîtpas,ilsmeleferontsavoir.Seulement…j’aivraimenttrèsenviedepartirenvacancesaveclui.Jeveuxquemesparentsl’apprécient.IlfautabsolumentqueJamiearriveàleurfaireuneassezbonneimpressionpourqu’ilsacceptentdemelaisserpartir.Jen’aiaucunmoyendele fairesans leurconsentement. Jesuismineure,et jenepeuxpasquitter lepayscontre legrédemesparents,c’eststrictementimpossible.AlorsjepriepourqueJamiesortelegrandjeucesoiretqu’illeurprouvecombienilestmature,intéressantetdignedeconfiance.J’aimeraisqu’aprèscesoirmesparentsvoientJamiecommejelevois.
Assisedanslesescaliers,jepasseunemaindansmescheveux,tandisquejecontinuedescruterlarue déserte par la fenêtre. J’ai entrouvert le portail pour que Jamie puisse trouver plus facilement lamaison,dontlenuméroestdifficileàrepérer.J’aiainsiunevueimprenable.Monportableaucreuxdemes paumes, je vérifie l’heure toutes les trente secondes. Il ne devrait plus tarder maintenant, et àentendremamèregrognerdanslacuisine, jecomprendsqu’ellen’apas l’airprête.Tantpispourelle.C’estellequiafixél’heuredurepas,etçaluiapprendraàvouloirenfairedestonnes!Dix-neufheuresquarante,ildevraitêtrelàd’uneminuteàl’autre.
Jetapedupied,stressée,etjeprofitedesdernièresminutesqu’ilmerestepourpasseruneénième
fois ma tenue en revue. Ma jupe bleu marine et mon chemisier blanc préféré. J’espère que ça feral’affaire,j’aisorticequej’avaisdeplushabillédemapenderiepourplaireàJamie.
Je vois Jamie passer le portail, son portable entre les mains et regardant tout autour de lui. Jefranchisd’unbond lesquelquesmarchesquimeséparentdu rez-de-chausséeet jecrieàmamèrequenotreinvitéestarrivé.Ellepasselatêtedansl’entrebâillementdelaportedelacuisineetmeregardedesesgrandsyeuxbleus.
–Retiens-lequelquesminutesdehorsletempsquejefignoletoutça,Alyssa.Tupeuxfaireça?Ellemesuppliepresque,c’esttouchant.–Biensûr,maman.Ellemesouritetjemeprécipiteverslaported’entrée.Jecoursverslui,lesjambestremblantes:ça
fait si longtemps que je ne l’ai pas vu.Mon stress a instantanément laissé place à l’excitation de nosretrouvailles.J’ouvrelaporteàlavoléeettombenezànezavecJamiedansl’escalierduperron.Attiréparlebruit,illèvelesyeuxdesontéléphone,étonnédemevoirdéboulercommeunetornade.J’avouequejepeuxcomprendresaréaction,j’aisûrementl’aird’unehystérique.
Quelquessecondesaprèsmon irruption fracassante, je sensmon téléphonevibreraucreuxdemamain.L’écrandemonportables’éclaire,dévoilantlemessagequejeviensderecevoir.
Lui:Jesuisarrivé.
Jamiejetteuncoupd’œilàmonportable,luiaussi.Ilhausseunsourciletseslèvress’étirentenunsourirediscret.
–Lui?Tuasconservécepseudopourmoncontact?susurre-t-il.Jepinceleslèvresd’unairgênéettentedecachermonportableencroisantlesbrassurmapoitrine.–Ouais.Disonsquejen’aipaseulecouragedelechanger,suis-jebienobligéed’avouer.Je laisse échapper un rire nerveux, et finis par décroiser les bras, vaincue. Jamie s’approche,
jusqu’ànelaisserqu’unridiculecentimètreentrenous.Ilattrapedélicatementmonmentonentreseslongsdoigtsetmeregardeintensémentdesesyeuxémeraudequimefontchavirer.
–Jenesaispaspourquoi,maisjetrouveçaincroyablementmignon,murmure-t-il.
–Çan’ariendemignon!–Jepensequesi.J’aide lachanced’avoirunecopinequisaitsemontrermignonneetsexyà la
fois.–Tupensesquejesuissexy?Ilsouritunpeuplusethochelatêtedemanièreexagérémentlentecommepourmieuxappuyerson
propos.C’estluiquiestsexydansl’histoire.Jesensmesjambesdevenirencorepluscotonneusesquandilseplacedecôtépourmeregarderdepiedencapetmejaugerd’unœilexpert.
–Jesaisquejetel’aidéjàdit,maistuestrèsbelle,AlyssaBriand.Jefermelesyeuxlorsqu’ilcaressemalèvreinférieuredelapulpedesonpouce.Jemedélectede
cettesensation.Unecaresseaussilégèrequ’uneplume,aussidoucequelasoie.Ilesttoujourscommeça.Douxetattentionnéquandsonphysiquelaisseraitimaginerquelqu’und’impulsifetdemaladroit.Ilscellesoudainseslèvresauxmiennes.M’abandonnantàsabouchedélicate,jeposemesmainssursontorse.Jemesens immédiatementbienetheureuse.Ses lèvressedétachent lentementdesmienneset ilcollesonfrontaumien.
–Jenesuispastropenretard,j’espère?souffle-t-ilenmefixantintensément.–Non,aucontraire.C’estmamèrequiestenretard,ellem’asuppliéedeteretenirdehorsunpetit
momentpourqu’ellepuissefinirdetoutpréparer.–Ahc’estpourça!Jemedemandaispourquoitunemelaissaispasentrer.Jecroyaisquetun’avais
plusenviedemeprésenteràtafamille.–Biensûrquej’enaiencoreenvie,imbécile.Sesjouessecreusentendeuxadorablesfossettes.JesuispresquesûrequeMattn’enapas.Oudu
moinsjenelesai jamaisvues.Ilfautdirequ’ilsourit tellementrarement…Àcettepensée, jenepeuxm’empêcherdemedemandersiMattestaucourantpourJamieetmoi.Jeveuxdire…Ilasûrementdûremarquerdesdifférenceschezsonfrère,commele faitqu’ilsorteplussouventouqu’ilparaisseplusheureux.Est-ilplusheureux,d’ailleurs?Jamiea-t-ilchangédepuisquenoussommesensemble?
Ilfautquejesacheet,aurisquedebriserlamagie,jeposelaquestionquifâche.–Tu…TucroisqueMatts’estaperçudequelquechose?–Commentça?–Est-cequ’ilsoupçonnenotrerelation?–Pourquoitumedemandesça?–Jenesaispas…Jemeposaissimplementlaquestion.S’illesavait,çacompliquerait…–Çanecompliqueraitrien,OK?Onneluidoitrien.Onaledroitd’êtreensemble,etmerdesiça
neluiconvientpas.J’aipristropdetempsàm’enapercevoirmaisjepeuxtedire,Aly,quejen’enaipasgrand-choseàfoutrequececonnardsoitaucourantounon.
–Mais…–Iln’yapasdemais.Onvapasserunebonnesoirée,sanspenseràMatt,etjevaisessayerd’entrer
danslecœurdetesparents,dit-ilcalmementencaressanttendrementmajoue.Tucroisquetuvasréussiràl’oublierletempsd’unesoirée?
–Oui.–Detoutefaçon,tuluiasclairementditquetunem’aimaispas,jenevoispascommentilpourrait
soupçonnernotrerelation.Uneboufféed’angoissem’envahittoutàcoupetm’étreintdouloureusement.Voilàquirépondàma
questiondesavoirsiMattaracontéàJamiecequejeluiaiditladernièrefoisquenousnoussommesvus.Ouais,ill’afait,cetenfoiré.Parcequeévidemment,lorsquej’aiparléàJamiedemaconfrontationavecsonfrère,jemesuisbiengardéedeluirapportercettepartiedelaconversation.
–Jesaisqu’iladitçapourmefaireperdretouteconfiance,Aly.Net’enfaispas,jenel’aipascru.–Parcequetucroisquejet’aime?–Oui,oudumoinsquetum’appréciesbeaucoup.Notreéchangeme laisseunesensationdedéjà-vu.Nousavionseu lamêmediscussion lesoiroù
j’avaisloupémonbus.LesoiroùilavaitcitélespremièresparolesdurefraindeWickedGames.
–Iln’auraitpasdûteraconterça,dis-jed’untonmaussade.–Cen’estpascommesijel’avaiscru.Détends-toi,Aly.–Enparlantdesedétendre…Jesuisunpeustresséepourcesoir.–Moiaussi,avoue-t-il.Jamiefaitglissersesdoigtsdemonvisagelelongdemonbrasjusqu’àtrouvermamain.Illaprend
dans la sienne et dépose à nouveau sur mes lèvres un baiser furtif. Derrière nous, la porte d’entrées’ouvredoucement.Jemeretourneetdécouvreavecjoielegrandsouriredemamère.
–Bonjour.TudoisêtreJamie.JesuisJeanne.–Bonjour,madameBriand,ditJamieenallantluifairelabise.Je jouenerveusementavecmesdoigtspendantqu’ils sesaluent,puisJamieattrapeànouveauma
main, comme pour se donner du courage.Mamère détaille longuement mon copain puis reporte sonregardsurmoi.Sesyeuxpétillentdemaliceetjepeuxdevinercequ’ellepense:«Oùmafillea-t-elletrouvéungarçoncommelui?»
–Onentre?propose-t-elle.Nousn’allonspasrestersurleperrontoutelasoirée.Jeluisuisreconnaissantedenepaslaissers’éternisercemomentunpeugênant.
Enpénétrantdanslamaison,j’entendsmonbeaubrunsoufflerun«Waouh»émerveillé.Ilsemble
fascinéparladécorationintérieurequemamères’échineàpeaufinerdepuisdesannées.–C’estbeau,murmure-t-ildemanièreàcequejesoislaseuleàl’entendre.–Ouais,c’estmamèrequiatoutfait.Elleestpassionnéededécorationintérieure.Jenesaispas
pourquoiellen’enapasfaitsonmétier.Monpèredéboulealorssurnotredroite,attirantnosregards.D’ungeste trèspaternel, il tendune
mainvolontaireàJamie,quilasaisitsanshésiter.–JesuisRobert,lepèred’Alyssa.
–Bonjour,monsieur.JesuisJamie.–Jesaisquitues,mongarçon.Jenepeuxm’empêcherd’êtresoulagéeenvoyantlesouriredontvientdelegratifiermonpère.Çaa
l’air d’aller, à première vue. La chemise blanche et le pantalon noir de Jamie semblent avoir faitl’unanimité.
– Je vous propose qu’on passe à la salle à manger, nous y serons mieux pour discuter et faireconnaissance,annoncemamèreenparfaitemaîtressedemaison.
Elleaencoresortilegrandjeu,ondirait.Latableestsuperbe.Elleaunefoisdeplustoutprévuetnousplacesuivantleplandetablequ’elleaimaginé.Aumoins,avecquatreconvives,iln’estpastropcompliquéet Jamieetmoinous retrouvons face à face, lui à côtédemamère,moidemonpère.Unefemme,unhomme,suivantlesrèglesdusavoir-vivresichèresàmamère.
–Jeanneetmoiavonshâtedesavoircommentvousvousêtesrencontrés,ditmonpèreenlançantunregardcompliceàmamère.
Notrerencontre?S’ilssavaient…Jamieetmoinousregardonsquelquesinstantsetnoussourionsdiscrètement,nousdemandantcommentnousallonsnoussortirdecetteinévitablequestion.
–Disonsquenousnoussommesrencontrésdemanièreassezparticulière,commenceJamie.–Ahoui?s’étonnemamère.Comment?–C’estgrâceaufrèredeJamiequ’ons’estrencontrés.Maisl’histoireestunpeupluscompliquée
queça.Vousavezdutemps?Parcequeçarisqued’êtrelong…
***
Aly,
Jesaiscequetuvaspenserenlisantcela:«Moncopaintombedanslecliché, ilm’écritune
lettre.C’estdépassédefaireça,c’estuntrucdevieux.»Situpensesça,sachequejenesuispasdetonavis.Depuis le toutdébut,notre relationestbasée surdesmotsécrits.Surdesmessages.Pourmoi,recevoirunelettre,çasignifiebienplusquederecevoiruntexto.Çasignifiequelapersonnequil’aécriteaprissontemps,qu’ellen’apasexpédiésonmessagecommeça.Qu’elletientàtoi.C’estpourquoi aujourd’hui, ce n’est pas par message mais par lettre que je voulais te dire ce qui vasuivre…
Toutd’abord,jetenaisàt’expliquerquelesraisonsquinousontpoussésànousrencontrernesontpascellesque j’aurais souhaitées.J’auraisaimépouvoir raconterànotreentouragequenousnoussommesrencontrésparhasardàcaused’uneerreurdenuméroetquedelànosaffinitésnousontpeuàpeuréunis.Maiscen’estpaslavérité.Etpouruneraisonquej’ignore,celamecontrarie.Lesvéritablesraisonspeuventsemblermalsaines.C’estcequ’ellessontd’ailleurs,toutepersonneàquionraconteraitcettehistoireledirait.Parcequesijet’aienvoyéunmessagecefameuxsoirdefévrier,
c’étaitpourquetutombesamoureusedemoietquetunetelaissespasapprocherparmonfrère.J’aihontedel’écrire.
J’aimepenser que, dans une autre vie, nous aurions pu nous rencontrer demanière simple etauthentique.Sansintermédiairetéléphonique,sansraisonsinavouables.Maiscen’estpaslecas,etilme faut l’accepter. Il faut accepter le fait que nous ne pourrons jamais raconter à personne lavéritable origine de notre histoire. Parce que nous savons tous deux que la tolérance n’est pas laqualitélaplusrépandueencemondeetquebeaucoupdepersonnes(toutes?)necomprendraientpasnotrerelation.Ilfautsimplementaccepterlefaitquenotrehistoireestdifférenteetqu’ellelerestera.Maisn’enest-ellepasplusbelle?N’enest-ellepasplusexceptionnelle?Jepensequesi.Peut-êtrequesitum’avaisrencontréaudétourd’uncouloir,lorsd’unesoirée,sanspréambulemessager,tunem’aurais pas trouvé à ton goût. Peut-être quemon physique t’aurait semblé atypique et que tu nem’auraispascalculé.Peut-être,surtout,n’aurais-jejamaisosévenirteparler…Jeneveuxmêmepasypenser.Jenepeuximaginercequeseraitmaviesitun’étaispasvenuel’égayer.
Tusais,Aly,cequiestbeaudansnotrehistoire,c’estquenousavonssunousapprécieralorsquetu ignorais tout demoi.Nousavons réussi à tisserdes liens sanspouvoirnousparlerdirectement,sanspouvoirnousregarderdanslesyeux,sanspouvoirnoustoucher.Nousavonssunousapprécierpourcequenousétionsoutrenotrephysique.Jesuissûrquecequeturessenspourmoin’estpasdûàmonapparence.Etjecroisquec’estcequimerendsiconfiantaujourd’hui.Savoirquelessentimentsquetuaspourmoinesontpasliésàmonphysiquemaisàmapersonnalité.
Maissij’aidécidéd’écrirecettelettre,c’estessentiellementpourtediretoutcequejeressenspourtoi.Deschosesquejen’aijamaisressentiesauparavant.C’estlatoutepremièrefoispourmoi,tusais?Lesrelationsettoutcequivaavec.Jen’yconnaisrien.J’aitoujoursétéspectateurdansleshistoiresd’amour,jamaisacteurprincipal.Maisilyaunepremièrefoisàtout,pasvrai?
Toutesceslignespourt’avouerquesijetedistoutçaaujourd’hui,c’estparcequejesuissûrdemessentiments.C’estparcequejesuissûrque,aprèstoutcequis’estpasséentrenous,jesuistombéamoureuxdetoi,Alyssa.Jesuistombéamoureuxdetoutcequiteconstitue.Detafaçondepenser,detoncôtérebelle,detonaddictionauxcigarettes,detafaçonderemballerMatt,detonsourire,detesyeux plus bleus que le ciel un jour sans nuages, de ta chevelure sombre et sauvage… Je pourraiscontinuerd’énumérertoutcequej’aimecheztoi,maisçan’enfiniraitpas.
Nouspartonsenvacancesensemblecetété.Maintenantjepeuxtel’avouer:jamaisjen’aurais
pensé que tes parents accepteraient deme confier leur fille adorée. Jem’imaginais déjà repartantvaincuaprès ledîner,parceque j’auraisété incapablede leurplaire.Maisnon,nousvoilààdeuxjoursdudépart.Unroad-tripenCalifornie,tuimagines?Seulementtoietmoidansunevoituresurlesroutesd’undesplusbeauxpaysdumonde.Jen’auraisjamaiscruçapossible,etpourtant,çal’est.J’aihâtederencontrertonamiLouis.Vucequetum’enasdit,ilal’airgénial,jesuissûrquenousnousentendronsàmerveille!
Je t’aime,Alyssa.Et tupeuxme faireconfiance,«Je t’aime»n’estpas lemot«à toutdire»pourmoi.Jeneledispasàn’importequi,n’importequand…Jenefonctionnepascommeça.Alorscrois-moi,ce«jet’aime»,jelepenseplusquetout.
Lui
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