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BBF 2005 Paris, t. 50, n o 4 52 De la carte à jouer à la Toile Le catalogage du livre ancien ré- pond à des règles d’analyse du docu- ment, à des normes de structuration de l’information bibliographique, à des recommandations relatives au traitement de telle ou telle « zone ». Après l’adoption,à l’initiative de l’Ifla, des « Principes de Paris » en 1961, puis l’apparition des AACR (Anglo- American Cataloguing Rules) en 1967 et la rédaction des ISBD (Internatio- nal Standard Bibliographic Descrip- tion) au début des années 1970, les instances bibliothécaires et bibliogra- phiques se sont accordées sur le fait que le livre ancien, en raison d’une spécificité liée à son mode de fabrica- tion, ne pouvait s’inscrire dans les modèles définis pour le livre mo- derne produit de façon mécanique. Aussi en 1975, le Comité des livres et documents rares et précieux de l’Ifla organise-t-il une première ré- union visant à considérer la descrip- tion bibliographique du livre ancien en tant que tel. Il s’agit de permettre au catalogueur de distinguer les édi- tions, les exemplaires, et d’apporter un éclairage sur la transmission des textes. Ces réflexions donnent lieu à la publication de l’ISBD(A) (A = Anti- quarian) en 1980, dont la traduction française paraît en 1982. En France, ces règles sont adaptées par la norme expérimentale NF Z 44-074 (1986), qui s’applique à l’ensemble des mo- nographies imprimées artisanalement des origines à 1800.Tout en emprun- tant sa structure, elle diverge de l’ISBD(A) sur plusieurs points : elle enjoint notamment de respecter la ponctuation d’origine dans la trans- cription de la page de titre, appli- quant des méthodes proches de la di- plomatique, et insiste sur le relevé de Penser le catalogage du livre ancien à l’âge du numérique « L e catalogage est, dans toute bibliothèque, un travail de première main ne souffrant aucune interposition ; il se fonde sur l’identification qui réclame, dès que les livres sont anciens, des connaissances étendues et subtiles… Et plus les livres sont anciens, plus [les] opérations se font difficiles ; elles ne peuvent être confiées qu’à des bibliothécaires spécialistes, doués au surplus de perspicacité autant que de finesse et de prudence 1 . » Cet exposé méthodologique de L.-N. Malclès, préliminaire au chapitre consacré aux catalogues des bibliothèques (nationales en particulier) dans son Manuel de bibliographie, résume les exigences du catalogage du livre ancien, art et science à la fois, usant de méthodes acquises après une lente et longue pratique. Martine Delaveau Bibliothèque nationale de France [email protected] Yann Sordet Bibliothèque Sainte-Geneviève [email protected] Isabelle Westeel Bibliothèque municipale de Lille [email protected] 1. Louise-Noëlle Malclès, Manuel de bibliographie, 4 e éd. rev. et augm. par Andrée Lhéritier, Presses universitaires de France, 1985, p. 73-74. MORT ET TRANSFIGURATION DES CATALOGUES

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De la carte à jouer à la Toile

Le catalogage du livre ancien ré-pond à des règles d’analyse du docu-ment, à des normes de structurationde l’information bibliographique, àdes recommandations relatives autraitement de telle ou telle « zone ».Après l’adoption,à l’initiative de l’Ifla,des « Principes de Paris » en 1961,puis l’apparition des AACR (Anglo-American Cataloguing Rules) en 1967et la rédaction des ISBD (Internatio-nal Standard Bibliographic Descrip-tion) au début des années 1970, lesinstances bibliothécaires et bibliogra-phiques se sont accordées sur le faitque le livre ancien, en raison d’unespécificité liée à son mode de fabrica-tion, ne pouvait s’inscrire dans lesmodèles définis pour le livre mo-derne produit de façon mécanique.

Aussi en 1975, le Comité des livreset documents rares et précieux del’Ifla organise-t-il une première ré-union visant à considérer la descrip-tion bibliographique du livre ancienen tant que tel. Il s’agit de permettreau catalogueur de distinguer les édi-tions, les exemplaires, et d’apporterun éclairage sur la transmission destextes.

Ces réflexions donnent lieu à lapublication de l’ISBD(A) (A = Anti-quarian) en 1980, dont la traductionfrançaise paraît en 1982. En France,ces règles sont adaptées par la normeexpérimentale NF Z 44-074 (1986),qui s’applique à l’ensemble des mo-nographies imprimées artisanalementdes origines à 1800.Tout en emprun-tant sa structure, elle diverge del’ISBD(A) sur plusieurs points : elleenjoint notamment de respecter laponctuation d’origine dans la trans-cription de la page de titre, appli-quant des méthodes proches de la di-plomatique,et insiste sur le relevé de

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à l’âge du numérique«Le catalogage est, dans toute bibliothèque, un travail de première main ne

souffrant aucune interposition ; il se fonde sur l’identification qui réclame, dès que

les livres sont anciens, des connaissances étendues et subtiles… Et plus les livres sont

anciens, plus [les] opérations se font difficiles ; elles ne peuvent être confiées qu’à des

bibliothécaires spécialistes, doués au surplus de perspicacité autant que de finesse et de

prudence1. » Cet exposé méthodologique de L.-N. Malclès, préliminaire au chapitre consacré aux

catalogues des bibliothèques (nationales en particulier) dans son Manuel de bibliographie, résume

les exigences du catalogage du livre ancien, art et science à la fois, usant de méthodes acquises

après une lente et longue pratique.

Martine Delaveau

Bibliothèque nationale de [email protected]

Yann Sordet

Bibliothèque Sainte-Geneviève [email protected]

Isabelle Westeel

Bibliothèque municipale de Lille [email protected]

1. Louise-Noëlle Malclès, Manuel de bibliographie,4e éd. rev. et augm. par Andrée Lhéritier, Pressesuniversitaires de France, 1985, p. 73-74.

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l’empreinte.Tenant compte d’évolu-tions technologiques possibles, elleanticipe la « description des livres an-ciens à l’ère des catalogues automati-sés ».

Parallèlement, le développementde l’informatique modifie les procé-dures de création des notices et con-duit les bibliothécaires à réfléchir à lagestion et à la présentation des noti-ces dans les systèmes informatiques,ce qui impose la nécessité de structu-rer les informations bibliographiquesen zones et sous-zones selon un formatlisible en machine. Ainsi, le formatMarc (Machine Readable Cataloguing)et ses descendants se développent àla fin des années 1960 et le formatUnimarc naît en 1977.

Dès 1975, la Bibliothèque natio-nale développe le format Intermarc,qui lui est propre et répond à ses exi-gences. Suit en 1987, en concomi-tance avec l’ouverture du catalogageen ligne et en réseau dans la base BN-Opale (1988), la publication du Ma-nuel de catalogage automatisé deslivres anciens en format Intermarcqui se conforme dans l’ensemble aux

prescriptions de la norme expéri-mentale Z 044-74, mais insiste plusencore sur le respect de la page detitre et notamment sur la transcrip-tion complète de l’adresse dans uneseule sous-zone,sans recours à la seg-mentation et à la ponctuation fonc-tionnelle qu’elle introduit.

Ce principe, qui correspond auxexigences de fidélité de la transcrip-tion, relève également d’une « écono-mie » générale de la notice du livre an-cien. Il est à l’origine d’une réflexion,nourrie par les enseignements de labibliographie matérielle,dans laquelleon distingue clairement et sans re-dondance zones de transcription etzones d’accès structuré : pour parlerUnimarc, le contenu de la zone 210(adresse) ne saurait faire l’objet de re-quêtes étant donné l’extrême diver-sité de présentation de l’informationqui y est consignée, tant du point devue du lieu d’édition (Lugduni, Lion,Lyon) que de celui de l’imprimeur oudu libraire (pour Josse Bade, autre-ment dit Josse Van Asche,qui exerce àParis de 1503 à 1535 : in aedibusAscensianis, Vaenundantur ab ipsoJodoco Badio Ascensio, Prelum As-censianum, ex chalcographia JodociBadii, in chalcographia Ascensiana,etc.) ou de la date.

Que ces éléments soient ou non« exacts », du fait des fréquentesfausses adresses, contrefaçons etémissions, il est un autre problèmequi ajoute à cette diversité. Les re-quêtes sollicitent à bien meilleur es-cient les zones 7XX (imprimeurs-li-braires indexés par autorité), 620(lieu d’édition) ou 100 (date(s) du do-cument spécifiée(s) dans les donnéescodées). Une transcription rigou-reuse de l’adresse peut dès lors servirà distinguer du premier coup d’œildeux unités bibliographiques. La ré-flexion se poursuit du reste, autourde la proposition d’inclure plus large-ment dans la transcription les élé-ments jusqu’ici rejetés (adresse com-merciale, enseigne, qualificatifs, voirementions de privilège).

Évolutions conjointes des supports et descontenus catalographiques

Le développement des supportsd’information a aussi influé sur lecontenu d’une notice catalographi-que de livre ancien. En effet, sansprendre en compte ici les cataloguesimprimés, la qualité du signalementdu livre ancien a été longtemps tri-butaire de la condition physique dusupport catalographique : carte àjouer/fiche bristol limitaient en toutétat de cause le signalement à la men-tion de l’auteur, du titre, du format etde la cote.

Or, la naissance de l’histoire dulivre après les travaux fondateurs deLucien Febvre et Henri-Jean Martin,les apports désormais incontourna-bles de la bibliographie matérielle, lesexigences accrues du chercheur,qu’ilsoit bibliothécaire ou universitaire,lecteur savant ou honnête homme,ont contribué à l’évolution des pra-tiques des catalogueurs du livre an-cien, alors que se mettait en place letraitement automatisé de l’informa-tion.Le titre long, l’adresse complète,le colophon ou l’achevé d’imprimer,la collation complète (avec bien sou-vent le relevé des signatures), maisaussi la part croissante de la zone desnotes, les accès normalisés, les parti-cularités d’exemplaires font partiedésormais d’une notice courante dulivre ancien.

Les techniques numériques bous-culent le clivage classique informationprimaire/information secondaire. Àce titre, la pratique de l’enrichisse-ment du catalogue est extrêmementintéressante à condition d’être maîtri-sée et clairement articulée avec lesobjectifs catalographiques : chacunsait que la technologie numérique etles procédés hypertextuels autori-sent la mise à disposition de tout oupartie du document primaire à tra-vers le catalogue,par le biais d’un liendésormais intégré dans le formatMarc.

Une enluminure,une page de titre,un ornement typographique, voire la

Diplômée de l’École des hautes études en sciencessociales, Martine Delaveau est bibliothécaire,chargée du catalogage des livres anciens à laBibliothèque nationale de France, après avoirtravaillé à la Réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Elle est coéditrice du cataloguecollectif Bibles imprimées du XVe au XVIIIe siècleconservées à Paris (BnF, 2003).

Archiviste-paléographe, Yann Sordet est chef du département de la Réserve à la BibliothèqueSainte-Geneviève. Il enseigne le catalogage dulivre ancien à l’Enssib et à l’École des chartes, et l’histoire de l’édition à l’Université Paris XIII.Auteur de L’amour des livres au siècle desLumières, Pierre Adamoli et ses collections (Écoledes chartes, 2001), il a collaboré aux Ventespubliques de livres et leurs catalogues, XVIIe-XXe siècles (idem, 2000) et à La mise en page dulivre religieux : XIIIe-XXe siècles (idem, 2004).

Archiviste-paléographe et titulaire d’un DEAd’histoire, Isabelle Westeel est responsable del’informatique et des nouvelles technologies à laBibliothèque municipale de Lille, après avoirexercé au SCD Lille III. Elle est l’auteur d’une Viede saint Éloi (Noyon, Confrérie des Marguilliers deSaint-Éloi, 2002) et a édité en collaboration Lanumérisation des textes et des images : techniqueset réalisations (Éd. Université Charles de Gaulle,Lille, 2003).

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totalité d’un document se donnentainsi à consulter depuis sa notice.Onnotera toutefois qu’en la matièrel’image effectue plutôt un retourdans le catalogue qu’une réelle appa-rition. Dès le début du XIXe siècle eneffet,le fac-similé avait fait son appari-tion dans les catalogues de livres an-ciens, et notamment ceux des biblio-thèques de livres rares et précieux ;dans la Bibliographie lyonnaise deBaudrier (1895-1921), les nombreu-ses reproductions de marques d’im-primeurs, lettres ornées et matérieltypographique seront autant d’outilsau service de l’identification,complé-tant avantageusement les noticesconsacrées aux hommes et aux pro-ductions de la librairie lyonnaise duXVIe siècle.

L’image,permise dans le catalogueou le répertoire publié sous forme devolume papier, s’est trouvée excluedu catalogue sur fiches et des pre-miers Opac fonctionnant avec desécrans en mode texte sur une archi-tecture en série ou en protocoleTelnet ; l’architecture client-serveuret les terminaux graphiques furent lacondition de sa réintégration dans lecatalogue. Cette possibilité techni-que, sous réserve d’être manipuléeavec discernement, permet de « pro-longer » la notice bibliographique oude contourner quelques-unes desapories du dire et du décrire catalo-graphique, en donnant à « voir » parexemple une marque d’imprimeurnon attestée, l’état particulier d’uneplanche, un accident typographique,une reliure.

L’enrichissement du cataloguepourrait ainsi être justifié dans cer-tains cas : unicum,reproduction d’undétail (caractère ou ornement typo-graphique) sur lequel repose uneidentification d’adresse effectuéedans la notice ; reproduction d’unélément non attesté dans la littératurede référence (pour une édition ita-lienne du XVIe siècle par exemple,une marque d’imprimeur qui ne se-rait signalée ni par le répertoire deGiuseppina Zappella, ni par le dic-tionnaire de Fernanda Ascarelli et

Marco Menato, ni dans la baseEdit16 2). On veillera évidemment à livrer des images exploitables scienti-fiquement, qui intègrent notammentun réglet gradué. L’image offre dansde tels cas une possibilité de confron-tation qui peut s’avérer indispensablepour la justesse d’une localisationdans un catalogue collectif. On évo-quera également la possibilité de don-ner ainsi ponctuellement accès,via lecatalogue, à un document originalnon ou difficilement communicable,à une particularité de reliure obser-

vée au cours d’une intervention derestauration, voire au dossier de res-tauration lui-même.

L’enrichissement, on le voit, im-plique dans la notice un éventail variéde documents numériques : imageou texte ; cliché isolé ou suite de cli-chés constituant la reproduction nu-mérique intégrale d’un document ;image expressément produite par oupour le catalogueur, ou lien établiavec une base de données existantpar ailleurs. Il réaffirme dans tous lescas la centralité du catalogue. Mais lechoix d’une telle pratique impose ànotre sens la mise au point d’une vé-ritable « politique documentaire »,quirepose sur une typologie des cas depertinence dans laquelle les élémentsde conservation et de mise en valeur

2. Fruit de la collaboration de 1200 bibliothèquesitaliennes, Edit16 est une base de donnéesproduite par l’ICCU (Istituto Centrale per ilCatalogo Unico), signalant les éditions italienneset les éditions en italien imprimées hors d’Italie auXVIe siècle : http://edit16.iccu.sbn.it/

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peuvent être ponctuellement asso-ciés aux objectifs de signalement etde description bibliographique3.

Un pavé dans le Marc

Au moment de l’apparition de cenouvel âge informatique,on reprocheaux formats utilisés actuellement(ISBD, Marc) leur structure limitée eton s’interroge, par exemple, sur lapertinence de systèmes d’abrévia-tions très rudes (comme le « gr. s. c. »= gravé sur cuivre),qui furent utiles àl’époque de la fiche cartonnée (125 x 75 mm) ou de celle des mémoires réduites et coûteuses des ordina-teurs. Le modèle conceptuel desFRBR (Functional Requirements forBibliographic Records),élaboré selonla méthodologie « entité-relation » parun groupe d’étude de l’Ifla et officiel-lement approuvé par le congrès deCopenhague en 1997 4 permet defaire ressortir l’entité œuvre, absentedes ISBD.

Travailler autour du concept d’œu-vre et non plus seulement d’auteuroffre des possibilités nouvelles et per-met même de retrouver des « fonc-tionnalités de recherche » perdues aumoment du passage de certains cata-logues papier aux catalogues infor-matisés. Songeons aux possibilités of-fertes dans le Catalogue général deslivres imprimés de la Bibliothèquenationale (1897-1981) par les indexprécédant les auteurs prolixes commeMolière, Shakespeare, ou Voltaire,« rapprochant les éditions d’unmême texte même si leurs titres dif-fèrent ». Dans les catalogues infor-matisés, une telle hiérarchisation desréponses mettrait en évidence lacontextualité d’une œuvre.

Nous ne reviendrons pas ici sur les avantages du modèle arborescentXML, notamment en terme de péren-nité des données. L’utilisation de cemétalangage pour le catalogage dulivre ancien,loin de constituer une so-lution miraculeuse,offre quand mêmel’avantage de pouvoir multiplier lesniveaux de description, intégrer defaçon plus souple le document pri-maire dans la notice catalographique,associer des hyperliens vers sa repré-sentation numérique, contextualiser

le document par le balisage séman-tique et offrir des possibilités d’affi-chage des informations selon des gra-nularités différentes. Un projet devalorisation d’un fonds ancien aumoyen des techniques associées auXML est actuellement en cours à la bi-bliothèque de l’INHA (Institut natio-nal d’histoire de l’art) sur une collec-tion de livres de fêtes5.

Complétude et richesse ducatalogage du livre ancien :un « long commerce »

Claude Jolly, dans le rapport Po-litique patrimoniale de l’Établis-sement public de la Bibliothèque de France, 1992, s’exprime en cestermes : « Le traitement catalogra-phique est logiquement et chronolo-

giquement premier dans la mesureoù il permet d’identifier avec exacti-tude, de décrire et d’organiser defaçon raisonnée (indexation) les ob-jets collectés et conservés.Il constitueà la fois la condition de possibilité et le cœur de toute pratique scienti-fique dans l’établissement : le cata-logue constitue le point de passageobligé pour accéder aux collectionspatrimoniales et c’est à juste titreque de nombreux chercheurs disentque la future institution vaudrapour une large part à proportion dela qualité et de l’exhaustivité de soncatalogue. » Ces réflexions valentpour tout type d’établissement.

Rappelons seulement que les fondsanciens conservés dans l’Hexagonese caractérisent par l’éclatement deleurs lieux de conservation, d’où unéparpillement des moyens 6. Depuis1789 que la Nation s’est rendue héri-tière des collections de livres et demanuscrits issues des confiscationsrévolutionnaires, la question de leurcatalogage ou recensement exhaustifet analytique 7 est toujours d’actua-lité. Les fonds anciens sont encoretrop souvent mal connus ou mal dé-crits, voire pour certains non catalo-gués. Les ouvrages d’une grande no-toriété,par l’intérêt de leur édition oude leur contenu,sont dans l’ensemblebien repérés et signalés.En revanche,derrière une édition du Songe dePoliphile, les recueils de pièces, lesfactums, les ouvrages liturgiques, lesouvrages de dévotion, les publica-tions officielles (actes royaux, etc.),les éphémères ont eu jusqu’à présentpeu de chance d’être bien décrits etsignalés8.

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3. Une réflexion de ce type est en cours à laBibliothèque Sainte-Geneviève : dans le cadre ducatalogage des fonds anciens, chaque propositionde mise à disposition d’une reproduction dudocument primaire dans le catalogue fait l’objetd’une évaluation ; une liste des critères desélection est ainsi en voie d’élaboration.4. Functional Requirements for BibliographicRecords : Final Report, 1998http://www.ifla.org/VII/s13/frbr/frbr.pdf

5. Thomas Jacqueau, « Les livres de fêtes :traitement documentaire des livres de fêtesnumérisés », Les Nouvelles de l’INHA, no 18,juin 2004, p. 10-12. http://www.inha.fr/IMG/pdf/numero18.pdf

6. François Dupuigrenet Desroussilles, Note surl’accès aux catalogues sur support électroniquedes collections de livres anciens conservés enFrance, présentée à la journée d’étude sur « Le livre ancien : patrimoine français, patrimoineeuropéen », Chantilly, 15 mai 2004.7. « Catalogage : ensemble des opérations quipermettent de constituer le catalogue d’unebibliothèque en se fondant sur le recensementexhaustif et analytique de son fonds », dansDictionnaire encyclopédique du livre, Éd. duCercle de la librairie, 2002, t. I, p. 466.8. Albert Labarre, « Sur l’éminente dignité despièces », Revue française d’histoire du livre, no 84-85, 3e trim. 1994, p. 335-340.

Travaillerautour du concept

d’œuvre et non plusseulement d’auteur offre des possibilités

nouvelles

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De la formation à l’imprégnation

En France,l’École des chartes dansle cadre de la formation initiale,l’Enssib dans le cadre de la formationcontinue, ainsi que certains cursusuniversitaires assurent à partir de casconcrets la formation à la descriptioncatalographique du livre ancien. En-suite, seule une longue fréquentationet une lente imprégnation du livre del’époque artisanale peuvent faire naî-tre le « spécialiste », lequel se trouvedu reste en perpétuel apprentissagetant les subtilités de toute nature sontlégion.

Les professionnels des bibliothè-ques enrichissent, à partir de recher-ches rigoureuses et souvent ingrates,d’autres disciplines comme la biblio-graphie matérielle dont ils se nourris-sent en amont ou encore la bibliogra-phie, science substantifique de lapratique et du métier de catalogueur.Ils contribuent aux questionnementsdu chercheur et en cela remplissentl’une de leurs missions : servir la re-cherche.

Le catalogage « au quotidien »

Cataloguer un livre ancien est uneopération sans doute complexe, quiimpose la manipulation d’instrumentsde travail bibliographiques nom-breux, la connaissance de l’histoiredu livre et de ses techniques et sou-vent quelques rudiments de sciencesauxiliaires de l’histoire (philologie,paléographie, héraldique, etc.). C’estégalement une opération complète,au sens où elle concerne le livre im-primé artisanalement dans les trois dimensions fondamentales et indisso-ciables qui le constituent : appelons-les dimensions textuelle, bibliogra-phique et matérielle.

Il s’agit bien évidemment dans unpremier temps d’identifier un texte ettoutes les instances qui ont concouruà son élaboration, auteur(s), traduc-teur(s),éditeur(s) intellectuel(s),glos-

sateur(s), etc. Et, à ce titre, il imported’identifier non pas tant le texte deTacite que la recension de FilippoBeroaldo dans telle édition de Rome(1515), ou celle de Beatus Rhenanusdans telle édition de Bâle (1533). Ils’agit dans le même temps d’iden-tifier une édition (une unité biblio-graphique) par son adresse, et d’enanalyser la composition (format,structure des cahiers,nature de l’illus-tration). Il s’agit enfin de décrire unexemplaire et d’en identifier les élé-ments de provenance ou de condi-tion ; apprécier et séparer, parmi lessingularités qui ont pu être relevées

sur l’exemplaire en main, ce qui re-lève de l’édition et ce qui relève desparticularités d’exemplaire, imposede fréquents allers-retours entre l’objetet le signalement qu’ont pu donnerles bibliographes ou d’autres catalo-gueurs de l’édition à laquelle nouspouvons soupçonner qu’il se rap-porte ; et la confrontation d’exem-plaires entre eux s’impose parfois,tant peuvent être ténus les élémentsqui permettent de faire le départentre une édition, différentes contre-façons ou une émission.

Décrire l’édition selon des prin-cipes stricts et rigoureux,contrôler etnormaliser les accès au travers del’élaboration de fichiers d’autorité, si-gnaler la particularité d’un exem-plaire sur lequel repose parfois l’es-sentiel de la valeur patrimoniale d’unvolume (du fait de l’identité d’un an-notateur ou d’une provenance,du faitd’une reliure précieuse, du fait d’un

cahier absent de tous les autres exem-plaires repérés, etc.) : il serait perti-nent de réfléchir aux apports du nu-mérique pour chacun de ces troisangles d’approche. Sans tomber dansl’angélisme, il s’agit de discerner demanière critique la pertinence etl’utilité de ces nouveaux supports, lacirculation des informations par In-ternet constituant objectivement unatout.

L’édition stricto sensu

Tout d’abord, l’édition propre-ment dite : actuellement, notre dé-marche consiste à consulter lesgrands catalogues ou répertoires te-nant lieu de bibliographie,puis les bi-bliographies spécialisées, et de com-parer l’exemplaire à traiter avec ceque nous livrent ces différentes sour-ces. Ce travail nous permet d’établiravec plus d’exactitude l’état civil dulivre lui-même et de contextualiser saproduction : avons-nous affaire à unsous-ensemble (émission,édition par-tagée) ? La page de titre présente-t-elle un état ? Las, bien souvent, lapauvreté des notices de différents ou-vrages de référence ne répond pas ànos interrogations, cependant ellespermettent de conforter tant nosdoutes que nos certitudes !

Ces outils (les catalogues) locali-sent néanmoins une édition et l’inter-rogation d’un collègue par courrierélectronique permet d’infirmer ou deconfirmer une hypothèse.En ce sens,des répertoires imprimés de bonnequalité scientifique,avec de multiplesindex ou bien les nombreux catalo-gues en ligne,aussi riches que ce quepropose l’ambitieuse base néerlan-daise Biblia sacra 9, constituent deprécieux auxiliaires pour les profes-sionnels du livre ancien, tout en ré-pondant aux besoins des chercheurs.Car l’époque est révolue de catalo-guer un livre ancien en faisant abs-

L’époque est révolue de cataloguer un livre ancien

en faisant abstraction des autres exemplairesissus de la même presse

9. Bibliographie électronique des biblesimprimées aux Pays-Bas et en Belgique : www.bibliasacra.com

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traction des autres exemplaires issusde la même presse. Corrections encours de tirage, substitutions de ca-hiers avant distribution,autre imposi-tion, etc., constituent des aléas cou-rants et font sens.L’ajout des donnéeslocales et des particularités d’exem-plaires s’en trouve ensuite facilité.L’Internet constitue à cette étape uninestimable atout qui permet l’inter-rogation d’outils distants : cataloguescollectifs,nationaux ou spécialisés,bi-bliographies en ligne (comme VD16ou VD17 10), faute de pouvoir con-fronter de visu un maximum d’exem-plaires.

Ce souci de complétude du catalo-gage, rendu indispensable par la ri-chesse et la diversité du livre ancien,ne peut cependant être absolumentconfondu avec les besoins du cher-cheur en matière d’analyses codicolo-giques, philologiques et littéraires ; ilest le « socle » de ces recherches.David Smith, dans sa récente biblio-graphie des œuvres de Helvétius

(2001), offre un modèle descriptif del’édition particulièrement exigeant,qui intègre la spécification des prati-ques de composition (registre détaillédes signatures, réclames, alternancede casse) ou l’analyse du papier. Dé-terminant pour la conduite de son en-quête de bibliographie matérielle, untel protocole ne saurait toutefois êtreappliqué dans le cadre du catalogagecourant du livre ancien. Si les mis-sions du catalogueur bibliothécaire et celles du bibliographe historien dulivre doivent être distinguées,fussent-ils parfois une seule et même per-sonne, le dialogue fécond qui s’estétabli entre eux doit se poursuivre,parallèlement aux réflexions norma-tives et afin de les nourrir.

Les accès

Sous l’Ancien Régime, le masqueest très répandu : auteur se cachantderrière un cryptonyme, un pseudo-nyme, libraire prétendu, imprimeurimaginaire,histoire complexe des ins-titutions à l’origine de publications,

etc. Devant cette multiplicité, les fi-chiers d’autorité constituent une ré-ponse permettant de rassemblertoutes les variantes rencontrées sousune seule forme.Par exemple : la formed’autorité retenue pour FranciscusRaphelengius (1539-1597), correc-teur de Christophe Plantin, puis im-primeur-libraire à Anvers et à Leydeentre 1575 et 1597,permet de regrou-per sous un seul accès les graphieslointaines dans l’ordre alphabétiquetelles que Van Ravelenghien ouRafelengius.

Le catalogueur du livre ancien a eneffet l’habitude de manipuler des au-torités relatives non seulement à la di-mension textuelle de l’ouvrage (au-teur, préfacier, traducteur, éditeurintellectuel,etc.),mais également à sadimension bibliographique (libraire,imprimeur, illustrateur, graveur surbois ou sur métal, etc.) et matérielle(annotateur, possesseur ancien, enlu-mineur, relieur,etc.).

Par ailleurs, étant donné l’étenduedu corpus à traiter,non seulement surle plan chronologique (XVe-XIXe siè-cles !), mais également sur le plan de

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la typologie documentaire, se pose laquestion d’une gestion par autoritédes titres de forme,« accès » indispen-sable pour bien des non-livres quifont l’objet d’intérêts croissants de lapart des chercheurs (factums, cata-logues de vente de livres ou d’art,actes et publications réglementairesde toutes juridictions et de toutessortes, coutumes, prospectus, spéci-mens typographiques, tarifs,etc.).

Cette uniformisation des accès,éprouvée dans les catalogues impri-més ou sur fiches par la pratique desrenvois (voir et voir aussi), est utili-sée avec les possibilités accrues d’or-ganisation, de partage et de visibilitédes données qu’offre l’informatique.Il est désormais dans les missions desbibliothèques ou agences bibliogra-phiques nationales de diffuser ces fi-chiers conçus au cœur de l’activitécatalographique,et appelés à devenirde véritables outils de référence enétant édités en ligne ou imprimés : ci-tons le Répertoire d’imprimeurs-li-braires (vers 1500-vers 1810), dontla dernière édition est parue en 2004,ou les programmes relatifs aux auto-rités des collectivités officielles de laFrance d’Ancien Régime (Cofar) ouaux collectivités religieuses (Coreli).La consultation très efficace de ces fichiers émanant des « grands cata-logues de bibliothèques » sur Internetpermet de connaître rapidement lespremiers éléments d’identificationd’un auteur ou d’un imprimeur, d’ap-préhender les éléments de datationet ainsi de commencer à reconstituerl’itinéraire éditorial de l’ouvrage à ca-taloguer.

De surcroît, il est toujours fruc-tueux de croiser plusieurs sources,par exemple les fichiers d’autoritésde la Library of Congress et ceux de la Bibliothèque nationale de France,ou encore, pour les livres italiens duXVIe siècle, ceux de la base spéciali-sée Edit16. Depuis quelque temps,le Cerl11 offre librement l’accès à ses fichiers d’autorités en ligne (noms de

lieux, d’auteurs et d’imprimeurs-li-braires, ces derniers étant issus de labase BN-Opale Plus). Dans la lignéedu projet européen Leaf 12 (Linkingand Exploring Authority Files) des-tiné à établir un serveur central de notices d’autorités en direction de diverses institutions culturelles (bi-bliothèques, services d’archives, mu-sées…), une réflexion internationalemériterait d’être menée sur ce sujet13.

L’exemplaire

Il appartient au catalogueur defaire le tour de la « condition » del’exemplaire ; le terme, hérité du lan-gage de la bibliophilie,désignant l’en-semble des interventions pratiquéessur l’objet après sa manufacture typo-graphique. C’est ici que doivent êtrementionnés lacunes, complémentsou substitutions : feuillets ou cahiersmanquants,ou inversement planches« allogènes » dont l’exemplaire a puêtre truffé au cours de ses manipu-lations et pérégrinations, ou encorecartons insérés pour différents mo-tifs, notamment de censure. Réglure,enluminure, pieds de mouche et ru-briques manuscrites sont encore fré-quents au XVIe siècle. La reliure est àdécrire ou à identifier par ses maté-riau, forme générale et décor, mieuxencore par la date de sa réalisation,uncommanditaire ou un atelier. On ob-servera, en les identifiant au besoinpar des sources extérieures, les mar-ques de provenance (ex-libris gravésou manuscrits, armes peintes ou do-rées sur les plats de la reliure,ex-donoou ex-praemio) ainsi que les signesd’usage,en tâchant pour ces derniersd’en spécifier la nature (notes decours, travail préparatoire à une édi-tion, signes d’une utilisation litur-gique,etc.),voire l’auteur.

Il peut être pertinent, autre parti-cularité de traitement du livre ancien,de gérer par autorité certains élé-ments relatifs à l’exemplaire, commele personnage ou la collectivité insti-tutionnelle à qui appartenait le livrelorsqu’ils sont bien identifiés.Aux ins-truments d’identification tradition-nels, répertoires d’ex-libris nationaux

ou régionaux, de reliures aux armes,catalogues de fers de relieurs, s’ajou-tent désormais des outils numériquesaccessibles en ligne, fruit d’initiativeslocales ou d’entreprises nationales.Citons la base « Provenances » de laBibliothèque municipale de Lyon,quicontient des images de marques d’ap-partenances ou de lecteurs : ex-libris,reliures armoriées, annotations ma-nuscrites identifiées.La base Einband-datenbank 14 est née de l’indexationet de la numérisation de plusieurscorpus de frottis de reliures germa-niques estampées à froid des XVe etXVIe siècles, réalisés par plusieursspécialistes sur près d’un siècle etconservés dans plusieurs bibliothè-ques allemandes. Un tel outil s’avèredésormais indispensable pour la data-tion et la localisation d’une rouletteou d’une plaque.

Après l’enrichissement du cata-logue, est également pensable l’in-tégration de celui-ci, en position centrale, dans des systèmes docu-

12. Projet Leaf, version française : http://www.crxnet.com/leaf/french/index.html13. Lorenzo Baldacchini, « Authority Control ofPrinters, Publishers, and Booksellers », Cataloging& Classification Quarterly, vol. 38, no 3/4, 2004,p. 269-280. 14. http://www.hist-einband.de

11. Consortium of European Research Libraries : www.cerl.org

La nécessitéde travailler en réseau

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sur ces documentsdont le traitement est longet très coûteux s’impose

comme une évidence

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mentaires ou « portails » patrimo-niaux qui articuleraient autour de luides ressources spécialisées de diverstypes. Ainsi,pour s’en tenir à des réa-lisations en cours ou à l’étude, la no-tice catalographique ferait-elle l’objetde liens, sur le plan de l’édition, à desbases de bois gravés ou de matérieltypographique, et sur le plan del’exemplaire à des bases d’enlumi-nures ou de frottis de reliure.

Ces ressources obéissent évidem-ment à des architectures et des lan-gages non obligatoirement Marc. Lesréflexions qui pourraient être menéesautour de la création ou de l’adapta-tion d’une DTD pour le livre anciendevraient en tout cas tenir compte ducatalogage à l’exemplaire propre à cetype de document, et de la diversitédes éléments descriptibles qu’il com-prend. Sans doute serait-il opportund’avoir recours à une DTD (encore in-existante) pour la reliure,qui permet-trait,pour certains types le requérant,un protocole descriptif que ni Marcni les DTD « bibliographiques » exis-tantes ne permettent : spécificationdes structures, matière, décor et élé-ments ornementaux.

Le CCFr : une basehétérogène porteused’avenir

Mis en ligne en 2001, le Cataloguecollectif de France est un outil d’iden-tification, de localisation et de four-niture de documents. Il n’a pas étévoulu comme un réservoir de noticesdestiné à alimenter les catalogues lo-caux.Il interface en un seul accès BN-Opale Plus (catalogue de la BnF), leSudoc (Système universitaire de do-cumentation) et le BMR (cataloguedes bibliothèques municipales rétro-converties), auxquels s’ajoute leRNBCD, Répertoire national des bi-bliothèques et centres de documen-tation.

Le CCFr constitue pour les profes-sionnels et pour un public croissantle principal outil de consultation surle livre ancien en France. Le Sudoc

permet le catalogage en réseau et enligne des fonds anciens des biblio-thèques universitaires et des établis-sements de l’enseignement supé-rieur. Un groupe de travail « Livreancien »,constitué dès la naissance ducatalogue, complète dans le domainedu livre ancien le guide méthodolo-gique, et propose des recommanda-tions visant à harmoniser les pra-tiques15.

La nécessité de travailler en réseauet de développer des programmescollectifs sur ces documents dont letraitement est long et très coûteuxs’impose comme une évidence.De lanotice minimale à la notice com-plexe 16, des réflexions sont à menerau niveau local, national, européensur le thème : Que catalogue-t-on ?Que re-catalogue-t-on ? Où (dans quelcatalogue) catalogue-t-on ? Faut-il éla-borer des bases communes de travailou des procédés de téléchargementde notices dans les systèmes locaux,développer portails ou passerelles ?Des pistes sont à inventer, en tenantcompte des moyens de chacun.

Il est sans doute nécessaire – sur-tout si on prend en compte les éco-

nomies d’échelle – et plus facile d’ap-préhender des ensembles cohérents :production d’un atelier d’un im-primeur local, corpus thématiques(ouvrages liturgiques, traités scienti-fiques…), selon un découpage chro-nologique. Un pôle associé peut êtrela tête de pont d’un programme rele-vant de sa spécialité, comme Troyespour la littérature de colportage, ouune bibliothèque de l’enseignementsupérieur pour une discipline rele-vant de son environnement universi-taire.

Dans le domaine des publicationscollectives, nous mentionnerons lesdeux entreprises concluantes quesont d’une part le catalogue collectifnational des Catéchismes diocésainsde la France d’Ancien Régime conser-vés dans les bibliothèques françaises(2001),entreprise dirigée par AntoineMonaque et menée conjointementpar l’Institut catholique de Paris et laBnF, et d’autre part le gros cataloguecollectif parisien des bibles17 réunis-sant les fonds de la Bibliothèque na-tionale de France (y compris ceux del’Arsenal) et des bibliothèques Sainte-Geneviève,Mazarine,de la Sorbonne,

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15. Comptes rendus de réunions : http://www.abes.fr Rubrique Services/Catalogage/Groupes de travail.16. François Dupuigrenet Desroussilles, op. cit.

17. Bibles imprimées du XVe au XVIIIe siècleconservées à Paris, éd. Martine Delaveau etDenise Hillard, Bibliothèque nationale de France,2003.

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de la Société d’histoire du protestan-tisme français et de la Société bibli-que (2003).

C’est justement par la masse deséditions rassemblées et comparées,par la qualité de leur notice, par leuréconomie spécifique (organisation,index, tables de concordance) queces catalogues ont pu être conçuscomme des ouvrages de référence etqu’ils tiennent lieu de bibliographies.Ce type de projet,lorsqu’il est achevé,apporte la satisfaction d’avoir ré-pondu aux exigences des chercheurset des professionnels, parce que l’onaura veillé à recueillir dans les noticesétablies scientifiquement le maximumd’informations.Tout ceci ne peut querejaillir sur les établissements entermes de signalement des fonds etde mise en valeur de la recherche.

« Des outils nationaux » :une politique nationale

Le signalement des collections estun axe majeur du Plan d’action pourle patrimoine écrit (Pape) lancé par le ministère de la Culture et de laCommunication en 2004. Une despriorités fortes « porte sur la consti-tution des ressources d’informa-tions : elle met l’accent sur l’achè-vement des grands catalogues encours (notamment incunables etfonds musicaux antérieurs au XIXe

siècle) et sur l’extension des cata-logues collectifs, en particulier duCatalogue collectif de France (CCFr),incluant le projet de rétroconver-sion du CGM ».

Le Pape prévoit aussi la mise enligne des catalogues et la constitutionde bibliothèques virtuelles18.La BnF ainscrit cette action dans la politiquedes prochaines années en soutenantla mise en place en région de pôlesassociés fédérateurs sur ces ques-tions 19. Ces orientations visent àmettre en place une véritable « cartedocumentaire » prenant appui sur le

réseau de professionnels (scientifi-ques et techniques) en charge du pa-trimoine écrit et graphique en ré-gion. Pour un inventaire des fondsanciens visant à l’exhaustivité,il seraitpeut-être intéressant de s’inspirer desméthodes du French Book Project 20

de l’Université de Saint-Andrews,pro-jet quasi missionnaire dont l’objectifest de mettre en ligne une base bi-bliographique de tous les livres im-primés avant 1601 complètement oupartiellement de langue française.

Pour la description des ouvrages,des outils en ligne se révèlent parti-culièrement précieux pour les pe-tites bibliothèques, aussi la BnF pro-pose-t-elle un accès (souvent en modeimage) à certains instruments de réfé-rence indispensables : par exemple leManuel du libraire de J.-C.Brunet ouencore Les livres à clef de FernandDrujon.

Une dimension européenne

Le « livre ancien » a la dimensioneuropéenne inscrite dans ses origineset dans son histoire, du fait tant de saproduction que de sa circulation. En1992, la réunion de Munich en prendacte par la création du Consortiumdes bibliothèques européennes de re-cherche (Cerl) qui gère la base HandPress Book (HPB) recensant les ou-vrages publiés jusqu’en 1830 et richeactuellement de 1300000 notices enprovenance de près de 60 bibliothè-ques ou groupes de bibliothèques eu-ropéennes représentant 24 pays. Àelle seule, la Bayerische Staatsbiblio-thek de Munich offre 525000 notices.Cet outil de travail complémentairepour l’identification se trouve peu ac-cessible en France,vu le coût d’abon-

nement,même si des possibilités sontactuellement mises en place par lebiais de consortiums.

L’année 2005 verra naître le portailTel (The European Library) donnantaccès aux ressources (catalogues etcollections numérisées) de dix biblio-thèques nationales européennes 21.Devant une initiative outre-Atlantiqued’envergure annoncée en décembre2004 (Google Print Library Project),quelle réponse peut apporter l’Eu-rope d’un point de vue politique,technique et surtout culturel, autre-ment dit des contenus22 ?

Un intérêt renouvelé

Quelques observations, pour ter-miner ce tour d’horizon : d’abordconcernant l’objet de cette réflexionet les frontières qui sont les siennes.Le domaine d’application que s’estdonné en 1986 la norme expérimen-tale NF Z 44-074 est « l’ensemble desmonographies imprimées artisana-lement des origines à 1800 »,son uti-lisation étant présentée comme envi-sageable pour le livre imprimé « à lamain » postérieur à cette date. Cettemême date a été retenue dans Ra-meau. La subdivision de forme « Ou-vrages avant 1800 » permet en effetde spécifier le livre ancien dans l’in-dexation matière ; dans bien des cas,pour le catalogueur scrupuleux,cettesubdivision constitue également lacondition dirimante à l’applicationmême du répertoire d’autorités ma-tières, tant il paraît parfois délicatd’appliquer à un traité du XVIe siècleune indexation reposant essentielle-ment sur une segmentation et unetaxinomie contemporaines des disci-plines et des savoirs.

18. Gérard Cohen et Michel Yvon, Le Plan d’actionpour le patrimoine écrit, BBF, 2004, no 5, p. 48-50.

19. Valérie Tesnière, « État des lieux de lacoopération : la charte documentaire de Gallica etles évolutions du CCFr », dans 8es Journées despôles associés, 1er et 2 juillet 2004, à la BnF :Patrimoine écrit et numérisation : quelle[s]politique[s] de conservation, de signalement et dediffusion pour le réseau français ?http://www.bnf.fr/pages/infopro/journeespro/pdf/po2004_tesniere.pdf20. http://www.st-andrews.ac.uk/~www_rsi/book/database.shtml

21. http://www.theEuropeanlibrary.org22. Plusieurs programmes européens ont déjà étémenés sur ces questions touchant au livre ancien.Citons le projet Debora (Digital accEss to theBOoks of the RenAissance). Très bonne analyse dans Nicolas Barbey, JeanGuillemain, Géraldine Péoc’h, Patrice Ract, Larenaissance du livre ancien : bilan du projetDebora et perspectives d’avenir, DCB, mémoire derecherche, Enssib, juin 2002.

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Par ailleurs, l’année 1811, qui cor-respond en France à l’origine de la bi-bliographie nationale courante, a étéadoptée dans plusieurs bibliothèquespour définir la frontière entre livresanciens et « modernes », sur un plantant conservatoire que catalographi-que. On sait que la date la plus légiti-mement retenue est aujourd’hui cellede 1830 ; elle correspond sans doutele mieux à cette période de quelquesannées qui connaît des mutationsfondamentales dans le processus defabrication du livre, induisant notam-ment, d’un point de vue catalogra-phique, une radicale modification dela notion de format (fabrication dupapier en continu) et du rapport del’exemplaire à l’unité bibliographique(association croissante de la fonte etde la composition).

Ce terminus ad quem pour lelivre ancien a notamment été retenuen Italie par le SBN (Servizio Biblio-tecario Nazionale23), et au niveau eu-ropéen par la base HPB (Hand PressBook).Il paraît également légitime,enamont, d’isoler de cet ensemble lesincunables, car faisant l’objet d’entre-prises d’inventaire aux niveaux natio-naux et internationaux, reposant surdes instruments de travail et des prin-cipes d’analyse spécifiques.

Mais il reste que le schéma de fa-brication propre à l’ancien régimetypographique non seulement ne dis-paraît pas avec l’industrialisation del’édition, mais conserve une impor-tance décisive du point de vue del’évolution du livre et des arts graphi-

ques. Composition typographique,papier à la cuve et à la forme, émis-sions séparées et états, sont des no-tions déterminantes pour aborder lelivre d’artiste, le livre rare ou le livre« de qualité24 » du XIXe au XXIe siècle.De plus, même non artisanalementproduit, un exemplaire peut revêtirun ensemble de caractéristiques justi-fiant le recours à des règles de des-cription jusqu’ici définies pour lelivre dit « ancien »,ainsi de l’exemplairede Profils et Grimaces d’AugusteVacquerie 25, enrichi de correctionsde l’auteur, augmenté de photogra-phies de Charles Hugo, de dessins deVictor Hugo et d’une partie du ma-nuscrit autographe 26. Exemplaire detravail, porteur d’un envoi, confié autalent d’un relieur, conservant lessignes d’un destin singulier, nom-breux sont les exemples de cette« création continuée » du livre àl’exemplaire dans nos bibliothèques.Il est incontestable qu’ils requièrent,avec le livre imprimé proprement an-cien, une communauté d’approche,de considération patrimoniale et deconservation,et partiellement de trai-tement catalographique.

Enfin,si l’on considère aujourd’huila plupart des catalogues,collectifs ounon, donnant à voir du livre ancien,et notamment le CCFr, on observeraune grande diversité de présentation,

de complétude et donc de pertinencedes notices. Cette hétérogénéité estbien sûr liée à la pluralité des modesd’alimentation : conversions rétro-spectives locales ou collectives,obéis-sant à des cahiers des charges plus oumoins contraignants et surtout repo-sant sur des fichiers sources extrême-ment divers, catalogage livre en mainobéissant à différents formats ou en-sembles de préconisations. Nous di-rons qu’elle est naturelle, et préféra-ble à des interventions de réductionde doublons soupçonnés ou de fu-sion intempestive d’autorités.

Il semble également, cependant,que les grandes campagnes deconversion rétrospective achevéesou en passe de l’être conduisent à unintérêt renouvelé pour le traitementcatalographique des fonds anciens,les parties non ou mal signalées descollections n’en étant que plus aisé-ment repérables, la visibilité en lignedes notices rétroconverties suscitantl’ambition de reprises partielles livreen main,et les nouvelles technologiesapparaissant à juste titre comme lesmoyens d’une valorisation qui ne sau-rait se construire sans la fondationque constitue un catalogue rigou-reux.

Cet avenir pour le catalogage dulivre ancien représente sans douteune opportunité d’harmonisation desrecommandations et des pratiques,d’autant que les moyens et ambitionsqui sont désormais les siens justifientla place centrale du catalogue aucœur de toute entreprise de recher-che et de valorisation du patrimoineécrit.

Avril 2005

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24. Qualificatif emprunté à Jean-Louis Estève, àl’occasion d’une conférence prononcée à laBibliothèque Sainte-Geneviève le 18 février 2005 :Vous avez dit typographe? Que signifie formerdes typographes aujourd’hui ?25. Auguste Vacquerie, Profils et grimaces, MichelLévy, 1856.26. Des livres rares depuis l’invention del’imprimerie, exposition Paris, BnF, 1998, p. 240.

23. M. Venier, A. de Pasquale, Il libro antico inSBN, Milano, Editrice bibliografica, 2002.

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