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Pédologie BING-F-302 (version 2010) Th. DROUET http://www.ulb.ac.be/sciences/lagev

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Pédologie

BING-F-302

(version 2010)

Th. DROUET http://www.ulb.ac.be/sciences/lagev

Table des matières

Introduction………………………………………………….…………………………... 1

Constituants du sol……………………………………….……………………………… 2 1. La fraction minérale du sol

1.1. Généralités……………………………………………...……………………. 4 1.2. Minéraux primaires…………………………………………………..………. 8 1.3. Minéraux secondaires……………………………………………..…………18 2. La fraction organique du sol

2.1. Généralités…………………………………………………………………… 62 2.2. Origine de la matière organique du sol……………………………………..... 63 2.3. Composition de la fraction organique du sol………………………………… 64 2.4. Origine de la fraction humifiée et processus d’humification………………… 69 2.5. Influence des facteurs du milieu sur l’évolution de la matière

organique du sol……………………………………………………………… 75 2.6. Cycles de l’azote, du phosphore et du soufre………………………………... 80 3. Le complexe argilo-humique………………………………………………. 87 4. Les complexes organo-métalliques………………………………………… 88 4.1. Principaux composés organiques à pouvoir chélatant……………………….. 89 4.2. Conséquences des processus de chélation dans les sols……………………... 90 4.3. Stabilité des chélates…………………………………………………………. 91

Propriétés physiques des sols 1. Texture

1.1. Généralités………………………………………………………………………. 93 1.2. Détermination de la texture : l’analyse granulométrique………………………... 93 1.3. Relations entre texture et autres propriétés du sol………………………………. 98 2. Structure

2.1. Généralités……………………………………………………………………….. 98 2.2. Aspects morphologiques : description des types structuraux……………………. 99 2.3. Conséquences de l’agencement des agrégats : la porosité………………………. 100

2.4. La stabilité structurale…………………………………………………………… 106

2.5. Facteurs du milieu assurant la structuration des sols……………………………. 107

3. L’eau du sol

3.1. Généralités………………………………………………………………………. 108

3.2. Les états de l’eau du sol…………………………………………………………. 108

3.3. Les mouvements de l’eau dans le sol……………………………………………. 115

Propriétés physico-chimiques et chimiques des sols…………………………………... 117

1. Phénomènes d’échange des cations…………………………………………….. 118

1.1. Le pouvoir de sorption ou capacité d’échange…………………………………... 118

1.2. Les processus d’échange des cations…………………………………………….. 126

1.3. Garniture cationique du complexe adsorbant dans les sols……………………… 131

2. Le pH du sol…………………………………………………………………….. 134

2.1. Généralités……………………………………………………………………….. 134

2.2. Acidité d’échange et aluminium échangeable…………………………………… 135

2.3. Pouvoir tampon du sol…………………………………………………………… 136

Ouvrages de référence…………………………………………………………………….. 137

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INTRODUCTION

Le sol, objet d'étude de la Pédologie, peut être défini comme étant la couche

superficielle de l'écorce terrestre ("couverture pédologique") qui possède des caractéristiques morphologiques et minéralogiques ainsi que des propriétés physico-chimiques distinctes de celles du matériau originel dont il dérive (un substrat géologique ou tout autre matériau

apparenté), du fait de sa position à la surface de la lithosphère et de l'influence des facteurs du milieu qui y agissent. Selon le "Référentiel pédologique des principaux sols d'Europe", édité par l'INRA (Baize et Girard, 1992), il s'agit d'un objet naturel (c'est-à-dire dont l'existence initiale ne dépend pas de l'homme), continu et tridimensionnel. Les "couvertures pédologiques" sont le plus souvent continues, mais il arrive qu'elles soient très réduites, voire absentes. En outre, elles sont fréquemment modifiées par des activités humaines, sur des profondeurs variables et de façon plus ou moins apparente. L'étude des sols peut être abordée de diverses manières : 1. Une approche agronomique : le sol est envisagé comme le milieu naturel au sein duquel croissent les plantes cultivées. C'est donc la gestion correcte de ce "capital sol" qui intéressera l'agronome par l'amélioration de son niveau de fertilité ou par les mesures conservatoires qu'il peut lui apporter. 2. L'approche écologique vise plutôt à replacer le sol dans un contexte écosystémique. Un des objectifs majeurs sera dès lors l'étude causale des relations réciproques sol – couverture végétale –

facteurs climatiques. 3. L'accent peut aussi être mis sur le rôle de "filtre" que jouent les sols à l'interface atmosphère

- hydrosphère - lithosphère. C'est alors leur comportement spécifique vis-à-vis de différents types de pollutions d'origine anthropique (métaux lourds, hydrocarbures, "pluies acides", etc.) qui sera étudié. Cette approche environnementale a connu un fortement développement ces dernières années. Elle vise non seulement à la compréhension des effets des polluants sur les sols et, par voie de conséquence, sur les plantes qui y croissent, mais aussi à la mise au point de normes de sauvegarde et de méthodes permettant leur revalidation et leur assainissement. 4. Enfin, dans une approche proprement pédologique, le sol sera envisagé comme la résultante de l'action des facteurs du milieu sur un matériau parent ou un substrat géologique déterminé. Dans ce cas, le sol constitue en lui-même un objet d'étude et on s'attachera donc à analyser et interpréter ses propriétés en relation avec les processus qui ont déterminés son développement, quel qu'en soit l'intérêt pratique. La connaissance des constituants du sol, de leur composition et de leurs principales propriétés physico-chimiques, constitue en tout état de cause un préalable indispensable à l'étude du milieu édaphique. Ces connaissances fondamentales permettent d'entreprendre l'étude des processus de formation des sols (processus de pédogenèse) en relation avec les conditions de milieu, ce qui débouche sur la classification des sols mondiaux, leur cartographie, ainsi que l'étude de leurs potentialités agronomiques en liaison avec leurs principales propriétés physico-chimiques.

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L E S C O N S T I T U A N T S D U S O L

Toute couverture pédologique est un mélange de constituants minéraux et organiques, d'air, d'eau et d'organismes vivants. Ces constituants sont organisés entre eux et dans l'espace, formant des "assemblages" ou des "structures" spécifiques du milieu édaphique. Les "horizons

pédologiques" en constituent un bon exemple : ils résultent de la subdivision d'une couverture pédologique en volumes considérés comme suffisamment homogènes. Par leur dimension verticale centimétrique à métrique, ces horizons sont directement perceptibles à l'œil nu sur le terrain ; c'est pourquoi l'horizon est le niveau d'appréhension le plus pratique pour observer et échantillonner une couverture pédologique (Référentiel, 1992). Par ailleurs, les couvertures pédologiques sont en perpétuelle évolution, ce qui leur confère une dimension supplémentaire : la durée. L'étude des sols doit donc se fonder non seulement sur la nature, les propriétés et l'organisation de leurs constituants, mais aussi sur leur dynamique au cours du temps. La subdivision des constituants du sol est inévitablement arbitraire. Dans une première approche, il est toutefois commode d'étudier séparément les quatre constituants majeurs du sol dont la répartition volumique et pondérale moyenne est la suivante (tableau 1 et fig. 1) :

% % en volume massique

Constituants minéraux 45 95 Constituants organiques 5 2

Eau du sol 25 3 Air (atmosphère) du sol 25 ~0

Tableau 1 Composition centésimale du sol (en volume et en masse).

Ordres de grandeur du taux de matière organique : 2 % dans un horizon cultural en région tempérée, 5 % dans un mull forestier, 10 à 20 % dans un moder, 90 % ou plus dans une tourbe acide.

L'origine des différents constituants est évidente : les constituants minéraux sont hérités du substrat géologique par désagrégation mécanique et/ou altération chimique plus ou moins prononcée. La matière organique est majoritairement d'origine végétale. Les vides du sol occupés par de l'eau et de l'air constituent la porosité du sol : porosité à l'eau et porosité à l'air. Il y a bien entendu relation réciproque entre les volumes respectifs occupés. En conditions naturelles, de fortes fluctuations des proportions relatives air/eau peuvent se produire au cours du temps.

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Fig. 1. Composition moyenne d'un sol (en % volumiques, d'après Bear, 1964).

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1. L A F R A C T I O N M I N E R A L E D U S O L

1.1. G E N E R A L I T E S

La fraction minérale du sol est constituée en majeure partie de fragments de roches et des minéraux qui en sont issus. Il s'agit de minéraux originels inaltérés ou de minéraux

originels plus ou moins profondément transformés par les processus d'altération, auxquels peuvent s'ajouter des minéraux de néoformation, spécifiques du milieu édaphique. L'ensemble de ces minéraux est distribué dans les différentes fractions granulométriques du sol, déterminant sa texture (p. 92). Le sol peut aussi contenir une proportion plus ou moins importante de constituants minéraux amorphes (c'est-à-dire non cristallins), dont le rôle au point de vue pédologique n'est pas à négliger. On peut également considérer qu'une partie des éléments minéraux du sol est présente sous forme d'ions (cations et anions), soit à l'état dissout dans la solution du sol, soit adsorbés à la surface des colloïdes organo-minéraux (éléments dits "échangeables"). La nature des différents minéraux présents dans un sol et leur distribution verticale en son sein, sont déterminées par : 1) La composition de la roche-mère dont sont issus les principaux minéraux du sol (minéraux hérités). 2) Les processus pédogénétiques qui peuvent détruire certains minéraux, modifier plus ou moins profondément d'autres minéraux (altération) ou en engendrer de nouveaux (processus de néoformation). Par ailleurs, les minéraux les plus résistants à l'altération peuvent s'accumuler sous forme résiduelle (c'est le cas du quartz) alors que les minéraux de petite taille (< 2 µm) peuvent éventuellement être mobilisés et se concentrer préférentiellement dans certains horizons (phénomène de lessivage des argiles). Dans la fraction inorganique cristallisée, les pédologues distinguent habituellement deux types principaux de constituants : les minéraux primaires et les minéraux secondaires. 1. Les minéraux primaires (une dizaine de minéraux essentiels) sont, à l'origine, les minéraux constitutifs des roches magmatiques, c'est-à-dire ceux qui se sont formés lors de la cristallisation des magmas, dans des conditions de température et de pression totalement différentes de celles qui prévalent à la surface de la lithosphère. Ils sont en conséquence plus ou moins instables dans les couvertures pédologiques où l'ambiance physico-chimique est plus oxydante et le milieu plus hydraté ; ils peuvent alors s'y transformer en minéraux dits "secondaires", à l'issue de processus d'altération plus ou moins intenses et plus ou moins complets.

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Les minéraux primaires peuvent soit être hérités directement de roches magmatiques ou métamorphiques, soit provenir de roches sédimentaires où leur présence est liée au cycle géologique. Presque tous les minéraux primaires sont des silicates ou des aluminosilicates de composition chimique variée. Quartz, feldspaths et micas sont les minéraux majeurs (constituants qualifiés d'essentiels en pétrographie) ; les péridots, les pyroxènes et les amphiboles sont des minéraux accessoires. 2. Les minéraux secondaires sont essentiellement des phyllosilicates (minéraux argileux), des oxyhydroxydes (de fer, d'aluminium, de manganèse,...), des carbonates (de calcium, de magnésium), des sulfates (de calcium : gypse) et des chlorures (de sodium : halite). Les minéraux argileux et les oxyhydroxydes sont les constituants caractéristiques de ce que les pédologues appellent le complexe d'altération des sols. Comme le montre la figure 2, les minéraux primaires sont, dans la plupart des sols, principalement distribués dans les fractions granulométriques grossières (sableuse : 2.000 à 50 µm et limoneuse : 50 à 2 µm). A l'opposé, les minéraux secondaires et particulièrement les argiles minéralogiques et les oxyhydroxydes sont dominants dans la fraction fine du sol, c'est-à-dire celle dont la taille est < 2 µm (= argile granulométrique). Il convient toutefois de noter que si les fractions sableuses et limoneuses des sols sont en règle générale dominées par le quartz et les silicates primaires, dans certains sols des régions tropicales, ces mêmes fractions granulométriques peuvent être composées en ordre principal d'oxyhydroxydes de fer et d'aluminium, donc de minéraux secondaires. En région aride également, les fractions grossières peuvent s'enrichir en calcite (CaCO3) et/ou en gypse (CaSO4.2 H2O). Inversement, si les minéraux primaires sont généralement absents des fractions < 2 µm des sols ayant subi une forte altération (exception faite des moins altérables d'entre eux et notamment le quartz), ils peuvent par contre être présents dans la fraction argileuse des sols jeunes et encore peu altérés, surtout lorsqu'ils sont formés sur sédiments dont la granulométrie fine est due à des processus de division mécanique, comme c'est le cas par exemple pour les sédiments morainiques et les loess. La répartition moyenne des minéraux primaires et secondaires dans les roches

magmatiques et sédimentaires est donnée pour rappel dans le tableau 2. Les minéraux les plus fréquents des roches métamorphiques sont ceux des roches magmatiques (quartz, feldspaths, micas, pyroxènes et amphiboles). Il est bon de rappeler que si les roches sédimentaires ne représentent en volume que 8 % de la croûte terrestre (roches magmatiques : 65 %, roches métamorphiques : 27 % ; tableau 3), leurs affleurements couvrent en surface approximativement les 3/4 des continents. Les couvertures pédologiques à matériaux parents d'origine sédimentaire sont donc majoritaires. Les roches sédimentaires les plus abondantes sont des roches "argileuses" : 80 % des roches sédimentaires sont des shales, des schistes ou des pélites ; les grès et les quartzites n'en représentent que 12 % et les roches carbonatées (calcaires et dolomies) seulement 8 %.

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Fig. 2.

Diagramme montrant la relation générale qui lie la taille des particules et leur composition minéralogique (d'après Bear, 1964).

Tableau 2. Composition minéralogique moyenne des roches magmatiques et sédimentaires (%).

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Tableau 3.

Abondance (%) des principales roches dans la croûte terrestre (d'après Ronov et Yaroshevsky, 1969)

La figure 3 illustre les différences majeures de composition minéralogique entre roches magmatiques et sédimentaires. Il est clair que les roches sédimentaires, ayant déjà subi au moins un cycle d'altération ne fournissent généralement que peu de minéraux altérables. Leur composition minéralogique est donc dans une certaine mesure assez proche de celle des sols.

Fig. 3.

Modifications minéralogiques moyennes lors de l'altération d'une roche magmatique en roche sédimentaire (% massiques)(d'après Garrels et Mackenzie, 1971).

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1.2. M I N E R A U X P R I M A I R E S

Il s'agit essentiellement de silicates et d'aluminosilicates, principaux constituants de l'écorce terrestre puisqu'ils y représentent à eux seuls près de 99 % de sa masse et de son volume. Un rappel de leur composition est un préalable indispensable à toute étude de la fraction minérale du sol. 1.2.1. Composition et classification structurale des silicates

L'élément commun à tous les silicates et donc l'unité fondamentale de leur structure cristalline est le tétraèdre siliceux (SiO4)

4-. Il est constitué par l'association de 4 anions oxygène (O2-) à grand rayon ionique (ri = 1,40 Å), étroitement accolés, et d'un atome de silicium (Si4+) de plus petite taille (ri = 0,42 Å) et qui occupe la cavité ménagée entre les 4 oxygènes. Les liaisons sont de type covalente. L'édifice (SiO4)

4- qui correspond au polyèdre de coordination du silicium (tétraèdre :

coordinance IV) 1, possède donc 4 charges négatives. L'enchaînement des tétraèdres siliceux a pour effet de neutraliser ces 4 charges négatives. Cet assemblage peut se réaliser soit par polymérisation de tétraèdres identiques, soit par l'intermédiaire de cations de liaison. Dans le premier cas, c'est-à-dire l'assemblage de tétraèdres liés entre eux par le biais d'oxygènes de coordination (liaison Si-O-Si), la structure formée est particulièrement stable (c'est tout particulièrement le cas du quartz où toutes les liaisons sont dues à des oxygènes de coordination). Chez les péridots au contraire la liaison entre tétraèdres siliceux est assurée par des cations (Mg2+ et/ou Fe2+) et la structure qui en résulte est donc moins stable ; les péridots sont dès lors des minéraux facilement altérables dans les sols.. Dans nombre d'édifices silicatés, il y a fréquemment substitution isomorphique d'un atome de silicium par un atome d'aluminium dont le rayon ionique est assez proche (ri = 0,51 Å). Ceci introduit une variable supplémentaire dans la structure des aluminosilicates où le déficit de charge engendré par cette substitution Si4+/Al3+ pourra être compensé par l'introduction dans le réseau de cations compensateurs tels que Na+, K+, Ca2+, Mg2+, Fe2+,... Enfin, dans certains types d'assemblages tétraédriques des hydroxyles (OH-) peuvent coexister avec les anions O2+, ce qui entraînera également un déficit de charge qui devra être compensé par des cations (cas des amphiboles et des phyllosilicates par exemple). Le mode d'assemblage des tétraèdres siliceux détermine non seulement les propriétés physiques essentielles des silicates, mais influence aussi leur résistance vis-à-vis des agents de

l'altération.

1 On appelle coordinance le nombre d'anions qui dans un édifice cristallin peuvent être groupés, en fonction de leurs diamètres, autour d'un cation déterminé. Le nombre de coordination est fonction du rapport ri cation / ri anion. Dans les silicates l'anion de référence est l'oxygène O2- (ri = 1,32 Å).

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Les différentes possibilités d'assemblage des tétraèdres siliceux sont à l'origine de plusieurs types d'édifices cristallins, eux-mêmes à la base de la classification structurale des silicates.

Un aperçu synthétique de la classification des principales familles de silicates et d'aluminosilicates est donné à la figure 4. Les minéraux les plus importants au point de vue pédologique (quartz, feldspaths, micas, minéraux ferromagnésiens) sont examinés ci-dessous. 1.2.2. Principaux silicates et aluminosilicates

Quartz

Il s'agit d'un minéral quasi omniprésent et le plus souvent largement majoritaire dans les sols. Il peut fréquemment y représenter plus de 50 % de la fraction minérale et jusqu'à 90 % ou plus des fractions limoneuses et sableuses dans certains sols. Par contre, il est beaucoup moins abondant dans la fraction argileuse (< 2 µm) : en règle générale, moins de 20 %. Le quartz est présent dans les sols soit sous forme de grains polycristallins, soit sous forme de cristaux isolés. La composition minéralogique d'un sol sur loess et la distribution granulométrique du quartz sont données à titre d'exemple dans la figure 5. Structure et composition chimique Tectosilicate de formule SiO2, extrêmement stable (pour rappel, toutes les liaisons entre tétraèdres sont le fait d'oxygènes de coordination), il est très fréquent dans les roches sédimentaires détritiques (entre autres les grès) et constitue un des minéraux essentiels des roches magmatiques et métamorphiques "acides" (c'est-à-dire les roches dont la teneur en SiO2 est supérieure à 65 %). Le quartz est un minéral très résistant du fait de sa structure cristalline dépourvue de substitutions isomorphes et de sa très grande pureté (> 99 % de SiO2). Il constitue la forme stable de la silice à pression atmosphérique et jusqu'à 867°C ; l'assemblage des tétraèdres siliceux y est relativement dense comparé à celui de la cristobalite et de la tridymite qui sont des polymorphes de haute température. La densité du quartz est de 2,65. La grande stabilité du quartz explique son accumulation relative dans les sols et dans les roches sédimentaires, alors que le quartz est seulement le second minéral en abondance dans l'écorce terrestre après les feldspaths. Considéré comme pratiquement inaltérable dans les sols tempérés, il y est souvent utilisé comme standard géochimique dans les bilans d'altération (bilan dit "isoquartz").

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Fig. 4. Classification des silicates (Wilding et al., 1983).

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Fig. 5.

Composition minéralogique de l'horizon éluvial (E) d'un sol lessivé sur loess (Forêt de Soignes) et répartition granulométrique du quartz.

Feldspaths

Les feldspaths sont des minéraux essentiels de la plupart des roches magmatiques et de certaines roches métamorphiques ; ils sont moins fréquents dans les roches sédimentaires, mais sont virtuellement répandus dans tous les sols (particulièrement dans les fractions sableuses et limoneuses) où leur abondance est fonction de la nature du matériau parent et de l'intensité de l'altération à laquelle il a été soumis. Ils interviennent pour 60 % dans la composition moyenne des roches cristallines, mais seulement pour 10 à 15 % de la moyenne des roches gréseuses, ce qui traduit leur instabilité en milieu sédimentaire et dans les sols. Il s'agit d'un groupe de minéraux important au point de vue pédologique car leur altération libère non seulement des éléments nutritifs essentiels pour les plantes (calcium, magnésium, potassium), mais aussi les constituants nécessaires à la néoformation de minéraux secondaires tels que les argiles (silicium et aluminium). Structure et composition chimique Les feldspaths sont des aluminosilicates potassiques, sodiques ou calciques, à structure de tectosilicate. La substitution de Si par Al dans la proportion 1/4 ou 1/2 crée un déficit de charge dans la trame cristalline, déficit qui est compensé par des cations alcalins (K et Na) ou alcalino-terreux (Ca) ; ces cations compensateurs occupent les cavités de la charpente cristalline et assurent la stabilité électrostatique de l'édifice. Ils sont liés à la structure silicatée par des liaisons purement ioniques.

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Les formules générales des feldspaths sont M AlSi O( )3 8 ou M Al Si O( )2 2 8 , où M représente un cation basique. Pour rappel, trois types de feldspaths coexistent dans la nature : les feldspaths potassiques de formule K AlSi O( )3 8 , avec deux polymorphes, l'orthose et le microcline, les feldspaths sodiques de formule Na AlSi O( )3 8 (albite) et les feldspaths calciques de formule Ca Al Si O( )2 2 8 (anorthite). L'albite et l'anorthite composent une série continue calco-sodique (solution solide) ou série des

plagioclases. L'altérabilité des feldspaths est variable et fonction de leur composition cristallochimique, les feldspaths potassiques étant généralement les plus stables, les feldspaths calciques les plus altérables. Feldspathoïdes Ce sont des aluminosilicates du groupe des tectosilicates, voisins des feldspaths, mais au sein desquels la substitution Si/Al est beaucoup plus importante (ils se forment dans des magmas plus pauvres en silice), avec pour conséquence un caractère plus alumineux, plus alcalin et moins siliceux que les feldspaths (minéraux sous-saturés en silice). Les représentants les plus communs sont la leucite et la néphéline. N'étant abondants que dans quelques roches volcaniques particulières, ils ne se rencontrent que très exceptionnellement dans les sols. Micas Ce sont des minéraux abondants dans de nombreuses roches, qu'elles soient magmatiques, métamorphiques ou sédimentaires. Ils constituent le troisième groupe par ordre d'importance, après les feldspaths et le quartz, dans les roches cristallines "acides" (teneur en SiO2 > 65 %) ; ils sont moins abondants dans les roches dites "basiques" (< 52 % de SiO2). Les micas sont particulièrement abondants dans certaines roches sédimentaires (shales) ou métamorphiques (schistes, micaschistes, gneiss). Les micas sont dès lors fréquents dans les sols sous forme de minéraux primaires. Ils constituent en outre des précurseurs de minéraux phylliteux secondaires et particulièrement de certains minéraux argileux (illites et vermiculites, appelées pour cette raison "argiles micacées" ou "clay-micas"). Structure et composition chimique Les micas appartiennent à la famille des phyllosilicates à laquelle se rattachent également les argiles minéralogiques étudiées au § 1.3.1. Leur structure cristallochimique de base résulte de l'assemblage de 2 couches tétraédriques siliceuses (coordinance IV) avec une couche octaédrique alumineuse (coordinance VI) (figure 6). L'association de ces 3 couches engendre la formation d'un feuillet

élémentaire à structure planaire

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Fig. 6.

Structure des couches tétraédrique et octaédrique des micas (Dixon et Weed, 1982). Les schémas du haut de page illustrent de différentes façons le mode d'agencement des tétraèdres siliceux

(couche tétraédrique) ; ceux du bas de page concernent la couche octaédrique.

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dont la composition sera détaillée lors de l'étude des minéraux argileux. Chaque feuillet élémentaire est séparé de son voisin par un espace interfoliaire. Notons dès à présent que la couche octaédrique peut être aussi occupée par les cations Mg2+ ou Fe2+. Dans ce cas, pour que l'équilibre électrostatique soit satisfait, 3 positions octaédriques sur 3 doivent être occupées par Mg2+ ou Fe2+ (cations bivalents) ; par contre, dans le cas de Al3+(cation trivalent), 2 positions octaédriques sur 3 seulement sont occupées (fig. 7). Dans le premier cas on parle de structure trioctaédrique, dans le second, de structure dioctaédrique. Il y a donc des micas dioctaédriques ou alumineux et des micas trioctaédriques ou ferromagnésiens.

Fig. 7.

Représentation schématique des deux types de couches octaédriques : (a) = trioctaédrique ; (b) = dioctaédrique

A l'exception du talc [trioctaédrique, magnésien, de formule Mg Si O OH3 4 10 2( ) ] et de la

pyrophyllite [dioctaédrique, alumineuse, Al Si O OH2 4 10 2( ) ], qui sont des phyllosilicates2 dépourvus de substitutions isomorphes, les micas présentent en couche tétraédrique des substitutions Si/Al dans la proportion 3/1 (1 atome de silicium sur 4 est remplacé par un atome d'aluminium). Le déficit de charge ainsi créé est compensé par un cation sec de grande taille, le potassium (ri = 1,33 Å), qui va se loger en position interfoliaire, dans les sites cubo-octaédriques de coordinance XII (voir figure 8).

2 La pyrophyllite et le talc sont des minéraux du métamorphisme.

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Fig. 8. Structure d'une muscovite (dioctaédrique) (d'après Dixon et Weed, 1982).

Les deux principaux types de micas sont : - Les micas dioctaédriques ou alumineux, dont le plus commun est la muscovite ("mica blanc") , de formule KAl AlSi O OH2 3 10 2( )( ) . - Les micas trioctaédriques, ferromagnésiens ou magnésiens, dont les plus communs sont la biotite ("mica noir"), de formule K(Mg, Fe

2+)3(AlSi3O10)(OH, F)2, et la phlogopite ("mica blond"), de formule KMg AlSi O OH F3 3 10 2( )( , ) .

Dans les sols, les micas dioctaédriques (muscovite) prédominent généralement car ils sont moins altérables que les micas trioctaédriques tels que la biotite ; cette dernière n'est généralement présente que dans les sols jeunes ou à altération encore modérée. Les micas sont souvent présents dans les fractions granulométriques limoneuses ou argileuses grossières. Ils constituent dans les sols, avec les argiles qui leur sont apparentées (illites) et les feldspaths K, la principale source de potassium. Pyroxènes et amphiboles Ce sont des inosilicates (silicates en chaîne), formés par l'assemblage de rangées de tétraèdres siliceux, disposées parallèlement les unes aux autres. Les chaînes de tétraèdres, simples chez les pyroxènes, doubles chez les amphiboles (en rubans), sont liées entre elles par des cations de liaison : magnésium, fer et calcium (plus rarement le sodium). Les pyroxènes constituent un groupe homogène au point de vue cristallochimique. On distingue :

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- Les orthopyroxènes (pyroxènes orthorhombiques), ferromagnésiens et non calciques, avec l'enstatite MgSiO3 et l'hypersthène ( , )Mg Fe SiO3. - Les clinopyroxènes (pyroxènes monocliniques), ferromagnésiens et calciques ou alcalins (sodiques). Les pyroxènes sont des minéraux essentiels des roches magmatiques et métamorphiques. Les amphiboles constituent également un groupe homogène de minéraux ferromagnésiens mais dans la composition cristallochimique desquels interviennent des radicaux hydroxyles (OH-). Les cations de liaison associant entre elles les doubles chaînes tétraédriques sont le fer et le magnésium. On distingue habituellement des amphiboles ferromagnésiennes, non calciques (antophyllite) et des amphiboles calciques, alumineuses (hornblendes avec substitutions Si/Al) ou non alumineuses (série actinote-trémolite). Les amphiboles sont communes dans les roches du métamorphisme de contact et du métamorphisme général (schistes, micaschistes, gneiss) ; elles sont aussi fréquentes dans les roches éruptives. Du fait de leur forte altérabilité, la plupart des pyroxènes et des amphiboles sont peu abondantes dans les sols. Ils constituent néanmoins une source potentielle très importante en calcium, magnésium et oligoéléments, d'où la fertilité généralement élevée des sols formés sur

les roches riches en ces minéraux3. Péridots ou olivines Il s'agit de constituants fréquents dans beaucoup de roches magmatiques basiques (gabbros, basaltes) et ultrabasiques (à teneur en SiO2 < 52 %). Très altérables, il disparaissent rapidement de la fraction minérale des sols au cours de leur évolution. Ce sont des nésosilicates dont les tétraèdres siliceux, indépendants les uns des autres (pas d'oxygène de coordination), sont néanmoins reliés par des cations compensateurs : magnésium et fer (Fe2+). Cette structure en assemblage compact et plus ou moins équidimensionnel détermine chez ces minéraux des densités élevées (ex : olivine, d = 3,22). Ces silicates ferromagnésiens forment une série continue (solution solide) allant de la forstérite, magnésienne (Mg SiO2 4) à la fayalite, ferreuse (Fe SiO2 4).

3 La nature des minéraux constitutifs de la roche-mère détermine dans une large mesure le degré de fertilité du sol qui en est issu, ou tout au moins sa fertilité potentielle (en dehors de tout apport fertilisant). Il est clair que si les minéraux fournisseurs d'éléments nutritifs manquent dans la roche-mère, ces éléments feront également défaut dans le sol. A cela une exception : des apports extérieurs de minéraux par action éolienne, alluviale ou colluviale (ex : la contamination des sables par des apports loessiques augmente la fertilité potentielle des sols qui s'y développent). Il est bien connu que les roches riches en minéraux ferromagnésiens donnent des sols plus fertiles que ceux dérivés de roches acides (c-à-d siliceuses), où le quartz domine. C'est pourquoi on utilise parfois pour caractériser les sols l'indice de TAMM ou "Basmineralindex", c'est-à-dire la proportion des minéraux denses (d > 2,88) par rapport aux minéraux légers.

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Pyroxènes, amphiboles et péridots sont pour la plupart des minéraux dont la densité est fréquemment supérieure à 2,9 (minéraux lourds). Leur extraction des fractions granulométriques limoneuses ou sableuses du sol peut donc être obtenue par séparation densimétrique dans le bromoforme (d = 2,88). La couleur sombre de ces minéraux traduit la présence de fer et de magnésium dans leur réseau cristallin, d'où la dénomination commune qui leur est donnée de minéraux ferromagnésiens ("mafic minerals" des auteurs anglo-saxons). Ceci par opposition aux minéraux clairs (blancs ou incolores : quartz, feldspaths, muscovite) ne contenant ni fer ni magnésium et de densité inférieure à 2,9 (minéraux légers ; "felsic minerals") ; la biotite appartient au groupe des ferromagnésiens. Autres minéraux silicatés Les sols peuvent également contenir deux autres minéraux primaires accessoires : L'apatite, Ca5 (PO4)3 (F,OH,Cl) qui constitue la source principale du phosphore dans les roches et les matériaux parents des sols peu altérés. La fluoroapatite, Ca5 (PO4)3 F est fréquente dans la fraction fine des basaltes et des autres roches riches en ferromagnésiens. Elle peut également être présente dans les sédiments calcaires. La tourmaline, cyclosilicate de formule Na Mg Fe Al BO Si O OH( , ) ( ) ( )3 6 3 3 6 18 14 constitue une source de bore, oligoélément indispensable aux végétaux. Il convient cependant de souligner qu'il s'agit d'un minéral très peu soluble et que la source principale du bore dans les sols est surtout liée à la matière organique ou à certains minéraux micacés.

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1.3. M I N E R A U X S E C O N D A I R E S Les minéraux secondaires du sol sont essentiellement représentés par les minéraux argileux ("argiles minéralogiques") et les formes cristallines des oxyhydroxydes de fer, d'aluminium et, dans une moindre mesure, de manganèse. Dans certains sols, une partie ou l'intégralité des carbonates (en majorité des carbonates de calcium) peuvent également être considérés comme des minéraux secondaires lorsqu'ils sont formés par recristallisation à l'issue d'une phase préalable de dissolution de carbonates primaires. 1.3.1. Minéraux argileux Le terme "minéraux argileux" recouvre des phyllosilicates de petite taille (microcristaux phylliteux de diamètre < 2 µm) et généralement bien cristallisés. Il s'agit de constituants typiques du complexe d'altération des sols. Le comportement physique et les principales propriétés physico-chimiques des sols sont dans une large mesure dominés par les minéraux argileux. Ce sont notamment leurs propriétés de surface qui jouent un rôle majeur au niveau des phénomènes de structuration des sols et des phénomènes d'adsorption ou de fixation des cations. Caractéristiques générales des minéraux argileux Les argiles minéralogiques sont des édifices minéraux microcristallins qui présentent trois caractéristiques essentielles : 1. Une structure phylliteuse, c'est-à-dire un réseau cristallin discontinu présentant des espaces interfoliaires actifs vis-à-vis de l'eau ambiante et des ions qui y sont dissous. Cette structure lamellaire et le pouvoir d'hydratation plus ou moins important qui en résulte, expliquent notamment les propriétés de plasticité qui sont très développées chez bon nombre de minéraux argileux. 2. Une taille généralement inférieure à 2 µm et même souvent à 0,2 µm (microcristaux). Les argiles minéralogiques ne sont pas strictement limitées à la fraction granulométrique < 2 µm, mais lorsque leur taille est plus petite que ce diamètre, leur influence sur les propriétés du sol est généralement accentuée (développement d'une grande surface externe - et éventuellement interne - par rapport à leur masse ou leur volume). Les minéraux

argileux présentent donc une surface spécifique très importante4 : à titre d'exemple, la surface

4 La surface spécifique des minéraux argileux peut être déterminée par adsorption de molécules de gaz (azote liquide à -195°C) ou de liquide (éthylène-glycol).

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spécifique d'une montmorillonite est d'environ 800 m2 g-1 (surface externe = 82 m2 g-1 ; surface interne = 660 m2 g-1). 3. Une surface chargée électriquement. Elle a pour conséquence de créer des forces ioniques interparticulaires et donc un comportement colloïdal des minéraux argileux : ils sont susceptibles d'être dispersés en milieu aqueux pour former des suspensions colloïdales. Leur charge électrique justifie aussi leurs propriétés d'échange (adsorption – désorption) vis-à-vis des cations contenus dans la solution du sol. Les minéraux argileux peuvent être présentés en termes de structure (composition cristallographique et cristallochimique), de propriétés ou de mode de genèse. Les propriétés des minéraux argileux seront surtout abordées au chapitre traitant des propriétés physico-chimiques des sols et leurs différents modes de genèse dans le cours de Pédologie approfondie (BIOL-F-424). La classification des minéraux argileux envisagée ici est essentiellement établie sur base de leur structure cristalline (voir page 25). Structure fondamentale et composition cristallochimique des minéraux argileux Les minéraux argileux sont, comme les micas, des aluminosilicates à structure cristalline en feuillet, c'est-à-dire des phyllosilicates. Leur très petite taille rend leur examen au microscope optique impossible et l'interprétation des analyses chimiques totales est délicate, les échantillons d'argile étant rarement purs (il s'agit fréquemment de mélanges). Par ailleurs, compte tenu de la finesse des particules et leur comportement colloïdal en milieu aqueux, on a longtemps admis que les argiles étaient des composés amorphes. En fait, il a fallu attendre la découverte des propriétés des rayons X et leur application à l'étude des minéraux pour prouver leur caractère cristallin et la microscopie électronique pour pouvoir les visualiser. Observées au microscope électronique, les particules argileuses se présentent sous forme de microcristaux ("cristallites") plus ou moins bien individualisés (fig. 9). Quant à la structure d'un microcristal argileux type, elle est représentée schématiquement dans la figure 10. Un microcristal résulte de l'empilement, plus ou moins ordonné, d'un grand nombre de feuillets élémentaires ("layers")(une centaine chez la kaolinite par exemple). Ces feuillets élémentaires sont séparés par un espace interfoliaire ("interlayer").

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Fig 9.

Photos de microcristaux de kaolinite, observés en microscopie électronique (a = vue planaire et b = vue en coupe) (Caillère et al., 1982).

Fig. 10. Structure d'un microcristal d'argile (d'après Brady, 1984).

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Comme chez les micas, le feuillet élémentaire est composé d'une succession de plans anioniques ("planes") empilés les uns sur les autres et à l'interface desquels, en fonction des possibilités de coordinance, vont se loger les cations de l'édifice cristallin. Les anions constitutifs de ces plans anioniques, O2- et OH-, sont des ions de grande taille par rapport à la plupart des cations (voir tableau 3) et ce sont donc ces anions qui détermineront la configuration spatiale de la structure cristalline. Il existe trois types fondamentaux de plans anioniques (fig. 11) : 1) plan anionique à assemblage hexagonal, constitué d'anions O2- ; 2) plan anionique à assemblage compact, constitué d'anions O2- et OH- (2 O2- pour 1 OH-) ; 3) plan anionique à assemblage compact, constitué uniquement d'hydroxyles.

Fig. 11.

Les 3 types de plans anioniques. De gauche à droite : plan anionique à assemblage hexagonal (le rectangle représente la maille élémentaire), plan anionique à assemblage compact (cercle simple = O ; cercle double = OH)

et plan anionique à assemblage compact constitué uniquement d'hydroxyles (d'après Caillère et al., 1982).

Entre le plan à assemblage hexagonal et le plan à assemblage compact se localisent des cavités de coordinance IV (motif de coordination = tétraèdre : voir tableau 4 et fig. 12a) ; cette cavité tétraédrique, de rayon r = 0,224.R (avec R = 1,40 Å = rayon des atomes d'oxygène ; soit r = 0,296 Å), est localisée entre trois atomes tangents d'un plan et l'atome du plan suivant qui repose sur eux. Entre les deux plans à assemblage compact apparaissent au contraire des cavités de coordinance VI (motif de coordination = octaèdre : fig. 12b) et de coordinance IV, mais seules les cavités octaédriques sont occupées chez les silicates ; les cavités octaédriques, de rayon r = 0,414.R (soit r = 0,547 Å), sont comprises entre 6 atomes, 3 étant situés au plan inférieur, 3 au plan supérieur en positions alternées.

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Fig. 12.

Représentation des polyèdres de coordination tétraédrique (a) et octaédrique (b), résultant de la superposition des différents plans anioniques ; le schéma de droite donne l'exemple de deux plans à assemblage compact, ménageant entre eux des cavités de coordinance VI (octaèdres) (d'après Chamayou et Legros, 1989).

Tableau 4.

Rayons ioniques, rapports R du cation / R de l'anion (oxygène) et coordinances théoriques et observées des principaux cations (d'après Mason, 1966) et représentation des polyèdres de coordination

(d'après Lameyre, 1975).

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L'assemblage de deux plans anioniques constitue une couche ("sheet") : couche tétraédrique ou couche octaédrique selon la nature du polyèdre de coordination. L'empilement des couches tétraédriques et octaédriques compose un feuillet élémentaire. La juxtaposition parfaite du plan anionique à assemblage hexagonal avec le plan anionique à assemblage compact nécessite une déformation du réseau dans le premier plan, par rotation des tétraèdres (fig. 13). L'épaisseur du feuillet élémentaire, mesurée par son équidistance d001 (c'est-à-dire la plus petite distance séparant 2 plans réticulaires identiques), et la nature des couches qui le composent sont deux caractéristiques fondamentales des minéraux argileux.

Fig. 13.

Structures théorique et réelle de la couche tétraédrique chez la kaolinite (in Dixon et Weed, 1982).

L'association des couches tétraédriques et octaédriques s'effectue selon trois combinaisons majeures et aboutit à 3 types de feuillets (fig. 14) : - Feuillet de type 1:1, associant une couche tétraédrique à une couche octaédrique. - Feuillet de type 2:1, constitué de l'association d'une couche octaédrique et de 2 couches tétraédriques qui l'encadrent. - Feuillet de type 2:1:1 ou 2:2, résultant de l'intercalation d'une couche octaédrique complémentaire dans l'espace interfoliaire séparant deux feuillets de type 2:1 (= minéraux 2:1 à couche hydroxydique intercalaire).

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Fig. 14.

Les 3 types de feuillets chez les minéraux argileux. La cohésion entre les feuillets élémentaires est assurée soit par des ponts hydrogène, soit par l'intermédiaire de cations qui assurent la compensation des déficits de charge créés dans les feuillets par des substitutions isomorphes. Plus forte sera la charge du feuillet, plus forte aussi sera la liaison interfoliaire ; de là les différences de comportement des minéraux argileux en fonction de leur charge. Substitutions isomorphes et nature des cations du réseau Des cations de nature différente mais de taille voisine peuvent se localiser dans les diverses cavités ménagées entre les plans anioniques précités, sans apporter de modification fondamentale à la structure cristalline, à condition toutefois que l'électroneutralité de l'édifice soit maintenue. Les polyèdres de coordination IV (tétraèdres) peuvent être occupés par des cations de petit diamètre : Si4+ (ri = 0,42 Å) ou Al3+ (ri = 0,51 Å). Les polyèdres de coordination VI (octaèdres) peuvent être occupés par Al3+ ou des cations plus volumineux tels que Fe3+ (ri = 0,64 Å), Mg2+ (ri = 0,66 Å), Fe2+ (ri = 0,74 Å), Mn2+ (ri = 0,80 Å), Ni2+ (ri = 0,69 Å), etc. Aux cations trivalents correspond une structure dioctaédrique, aux bivalents une structure trioctaédrique. Comme chez tous les phyllosilicates, la couche tétraédrique des minéraux argileux est essentiellement siliceuse, avec possibilité de substitutions de Si4+ par Al3+ (d'où apparition d'une charge négative qui devra être compensée, généralement par un cation interfoliaire). Le taux de substitution Si/Al est presque toujours équivalent dans les deux couches tétraédriques des argiles 2:1 ; il n'y a donc pas de polarité de l'édifice cristallin.

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En couche octaédrique, c'est tantôt Al3+ (minéraux argileux dioctaédriques), tantôt Mg2+ ou Fe2+ (minéraux trioctaédriques) qui sont les cations constitutifs majeurs. Ici aussi il y a possibilité de substitutions, par exemple d'Al3+ par Mg2+ ou l'inverse. Compensation de la charge du feuillet Cette compensation peut se produire : - 1) au sein du feuillet, un déficit en couche tétraédrique pouvant être compensé par un excès de charge en couche octaédrique ; - 2) au sein de l'édifice microcristallin, la charge du feuillet pouvant être dans ce cas compensée par des cations secs (cations de compensation au sens strict : cas des "argiles micacées") ou hydratés (cations dits échangeables : cas des argiles 2:1 expansibles), localisés en position interfoliaire, ou même par une couche hydroxydique continue (cas des argiles 2:1:1). Les cations compensateurs secs occupent, comme chez les micas, des sites interfoliaires de coordinance XII. Classification des minéraux argileux Les critères adoptés par l'Association internationale pour l'étude des argiles (AIPEA) sont les suivants : - Le type de feuillet (1:1, 2:1, 2:1:1), déterminant son épaisseur (équidistance d001). - La charge globale du feuillet (exprimée généralement pour la demi maille élémentaire). - La nature des cations compensateurs interfoliaires. - L'appartenance à la série dioctaédrique ou trioctaédrique. - La nature du cation occupant les sites octaédriques. Un caractère structurel supplémentaire est l'ordre d'empilement des feuillets (figure 15). L'empilement peut en effet être parfaitement ordonné ou, au contraire, présenter une structure plus ou moins désordonnée (translations non aléatoires des feuillets) ou totalement désordonnée (translations aléatoires).

Fig. 15. Différents types de désordre obtenus par empilement des feuillets (d'après Calvet, 2003).

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Parmi les minéraux argileux on distingue 5 groupes principaux :

1. Groupe de la kaolinite

2. Groupe des illites (= argiles micacées)

3. Groupe des vermiculites

4. Groupe des smectites

5. Groupe des chlorites Les groupes 3 et 4 (vermiculites et smectites) correspondent à des minéraux argileux dits "expansibles", c'est-à-dire dont l'espacement interfoliaire - et donc l'équidistance d001 - sont variables et fonction de la nature des cations compensateurs et de leur degré d'hydratation. Ces argiles expansibles sont donc des microcristaux pourvus d'une très importante surface de contact (surface externe + surface interne) et d'une grande accessibilité de l'espace interfoliaire. A ces 5 groupes de minéraux argileux il convient d'adjoindre le groupe plus particulier des argiles fibreuses (groupe sépiolite-attapulgite). Les principales caractéristiques structurales des minéraux argileux sont reprises dans le tableau 5 et à la figure 16. Pour rendre compte de l'organisation minéralogique et chimique assez complexe des minéraux argileux, on utilise une "formule" conventionnelle, rebutante à première vue, mais facile à décoder en réalité : elle indique la composition des couches (tétraédriques et octaédriques) avec la nature et le taux de la substitution éventuelle qui les caractérisent, la composition des couches anioniques, la nature des cations compensateurs du déficit de charge. Ces formules sont souvent données pour la demi maille élémentaire.

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Tableau 5.

Formules structurales des principaux minéraux argileux et des phyllosilicates apparentés.

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Fig. 16.

Représentation structurale des principaux minéraux argileux (d'après Bear, 1964).

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GROUPE DE LA KAOLINITE Le groupe kaolinite-serpentine est constitué d'argiles à feuillet de type 1:1, dépourvu normalement de substitutions isomorphes, en sorte que le feuillet est théoriquement électriquement neutre et n'a pas de charge permanente (uniquement des charges de bordure : voir p. 121). Le réseau cristallin de ces argiles est très stable. Deux minéraux argileux appartenant à ce groupe se rencontrent dans les sols : la kaolinite et l'halloysite. Kaolinite De formule Si O Al OH2 5 2 4( ) , le feuillet est de type 1:1 (à deux couches : 1 siliceuse + 1 alumineuse), dioctaédrique, à équidistance d001 stable à 7,2 Å. Observée en microscopie électronique, la kaolinite se présente sous forme de microcristaux pseudo-hexagonaux très caractéristiques (photo p. 20), dont la taille est comprise entre 0,2 et 2 µm. Ces cristallites sont constitués par l'empilement d'une centaine de feuillets élémentaires dont la liaison interfoliaire est assurée par des ponts hydrogène. Il n'existe donc aucune possibilité de gonflement ou de rétraction des feuillets. La capacité d'échange cationique (CEC) de la kaolinite est très faible, de 3 à 15 cmolc

kg-1 d'argile5 ; sa surface spécifique n'est en moyenne que de 30 m2 g-1 (10 à 50 m2 g-1). Le rapport molaire SiO2/Al2O3 de ce minéral hyper-alumineux est de 2, ce que traduit sa formule équivalentaire6 : 2 SiO2.Al2O3.2 H2O. La kaolinite est un minéral argileux très fréquent dans les sols. Elle est particulièrement abondante, sinon exclusive, dans les sols acides des régions tropicales humides (sols ferrallitiques) où elle apparaît massivement à l'issue des processus d'altération intense qui caractérisent ces sols. Il s'agit donc d'une argile de néoformation. Formée lors des processus de pédogenèse en milieu continental et transférée par érosion vers le milieu marin, la kaolinite constitue donc le minéral argileux dominant des sédiments océaniques récents au niveau de la ceinture tropicale. Du fait de sa grande stabilité, la kaolinite est fréquente dans diverses roches sédimentaires détritiques ; c'est aussi le constituant majeur du kaolin, matériau argileux riche en kaolinite, utilisé notamment pour la fabrication des porcelaines et des céramiques.

5 1 cmolc kg-1 = 1 mmolc 100 g-1 = 1 meq 100 g-1 6 Formule équivalentaire = formule structurale exprimée en oxydes (les hydroxyles apparaissent sous forme de molécules d'eau).

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Halloysite C'est un minéral argileux voisin de la kaolinite, mais à forme tubulaire très typique, due à l'enroulement d'un feuillet plan de type kaolinique. Il s'agit par ailleurs d'un minéral hydraté, d'où une équidistance d001de 10 Å qui peut être ramenée à 7 Å par dessiccation (110°C). La CEC de l'halloysite est fonction de son degré d'hydratation et comprise entre 5 et 50 cmolc kg-1. L'halloysite est fréquente dans les gisements hydrothermaux, elle est plus rare dans les sols. Elle se forme néanmoins sur cendres volcaniques (Andosols) ; elle y évolue par déshydratation en métahalloysite et ensuite en kaolinite. Les minéraux du groupe de la serpentine, antigorite (lamellaire) et chrysotile (fibreuse), de formule Si O Mg OH2 5 3 4( ) , sont les homéotypes trioctaédriques (magnésiens) de la kaolinite. Il s'agit de minéraux provenant de l'altération et/ou du métamorphisme de l'olivine oui des pyroxènes des roches magmatiques basiques et ultrabasiques.

GROUPE DES ILLITES Le terme illite a été introduit par Grim pour désigner les minéraux de type mica que l'on rencontre dans les sédiments argileux. Les illites sont en effet des minéraux argileux très proches par leur structure et leur composition des micas (d'où le terme souvent utilisés d'argiles micacées ou "clay-micas"). En fait, les édifices illitiques du sol représentent fréquemment une association de différents minéraux micacés de petite taille, de composition et d'origine diverses. Les illites sont des minéraux argileux à feuillet de type 2:1 et à équidistance basale stable à 10 Å. Leur formule structurale K Si Al O Al OH0 7 3 2 0 8 10 2 2, , ,( ) ( ) traduit une des caractéristiques fondamentales de leur feuillet, à savoir les nombreuses substitutions isomorphes qui se produisent en couche tétraédrique (substitutions Si/Al). Ces substitutions déterminent une charge comprise entre 0,6 et 1 pour la demi-maille élémentaire. Le cation compensateur interfoliaire est, comme chez les micas, le potassium ; il assure une liaison extrêmement solide entre les feuillets 2:1. Cette liaison est néanmoins plus faible que chez les micas dont la charge est égale à 1. A l'instar des feldspaths potassiques et des micas, les illites constituent donc une source importante de potassium dans les sols. La CEC des illites est comprise entre 10 et 40 cmolc kg-1 et leur surface spécifique est voisine de 100 m2 g-1 (60 à 200 m2 g-1). Les illites sont fréquemment interstratifiées avec d'autres types de feuillets 2:1, notamment de type vermiculitique ou smectitique.

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Les minéraux illitiques sont très fréquents dans les sols, particulièrement en région tempérée. Ils s'y présentent souvent en mélange avec des micas plus ou moins altérés. C'est d'ailleurs dans ces derniers minéraux que les illites trouvent leur origine par microdivision ; tous les intermédiaires existent pratiquement entre micas non altérés et illites. Généralement, ce sont les micas dioctaédriques (issus de la muscovite) qui dominent, car ils sont moins altérables que leurs homologues trioctaédriques. Les illites sont donc des argiles héritées (par opposition aux argiles de néoformation). Ces minéraux argileux sont communs dans les roches sédimentaires péliteuses et même les roches carbonatées dont ils constituent une part parfois importante de l'insoluble siliceux. La glauconite (ou mica glauconitique) est l'homéotype ferrique de l'illite ("illite ferrifère"). Il s'agit d'un minéral authigène d'origine marine et qui est le constituant principal de la glauconie, association de minéraux argileux à forte teneur en fer, se présentant sous forme de grains de la taille des sables (sables glauconifères) ou sous forme de pigment diffus dans les ciments siliceux ou calciteux de certaines roches sédimentaires (craies, grès,...). Sur de tels matériaux sédimentaires, la glauconite peut donc être un des minéraux argileux dominant du sol. GROUPE DES SMECTITES Le terme de smectites ou "argiles smectiques" est employé pour désigner l'ensemble des minéraux ayant un comportement analogue à celui de la montmorillonite, c'est-à-dire dont l'équidistance varie fortement avec le degré d'hydratation du minéral. Les smectites sont des argiles à feuillet de type 2:1 qui présentent trois caractéristiques fondamentales : 1. Un réseau expansible : l'équidistance basale d001 varie de 10 à 18 Å selon le degré d'hydratation et la nature du cation interfoliaire (argiles dites "gonflantes"). 2. Une CEC très importante, égale ou supérieure à 80 cmolc kg-1. 3. Une taille généralement très petite, les microcristaux de forme mal définie étant souvent de dimension inférieure à 1 µm (de 1 à 0,01 µm). Ces trois caractéristiques expliquent la très grande réactivité des smectites vis-à-vis des cations, de l'eau ambiante, de la matière organique et même des pesticides. Les smectites sont par excellence des particules à forte activité colloïdale. La distinction entre les différentes espèces de smectites est basée sur des critères cristallochimiques : appartenance à la série dioctaédrique ou trioctaédrique, localisation et taux des substitutions en couches tétraédriques et/ou octaédriques.

La série la plus importante est la série dioctaédrique7. Elle comprend la montmorillonite au sens strict, de formule Si O Al Mg OH4 10 1 5 0 5 2( )( ), , , caractérisée par une couche octaédrique alumineuse avec substitutions partielles par Mg2+ et par une couche tétraédrique siliceuse sans substitutions. La charge résultante, négative et

7 La série trioctaédrique, magnésienne, est moins importante et comprend la saponite et l'hectorite.

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localisée en couche octaédrique, au coeur du feuillet, est une charge "faible". Elle est toujours inférieure à 0,6 et généralement comprise entre 0,3 et 0,5. Les ions compensateurs sont des cations hydratés, tels que Ca2+ et Mg2+. La CEC est comprise entre 80 et 150 cmolc kg-1 et la surface spécifique atteint fréquemment 800 m2 g-1 (600 à 800 m2 g-1). En milieu hydraté, la montmorillonite peut accueillir dans son espace interfoliaire 4 couches monomoléculaires d'H2O, ce qui fait passer son équidistance de 10 à 18 Å. L'empilement des feuillets est complètement désordonné. La beidellite, de formule ( ) ( ), ,Si Al O Al OH3 5 0 5 10 2 2, et la nontronite, ( ) ( ), ,Si Al O Fe OH3 5 0 5 10 2 2 sont également des smectites dioctaédriques mais dépourvues cette fois de substitutions en couche octaédrique. Cette couche est intégralement alumineuse pour la beidellite, alumineuse et ferrifère (Fe3+) chez la nontronite. Par contre, ces deux minéraux argileux développent une charge négative liée à des substitutions Si/Al en couche tétraédrique. La structure de trois smectites est représentée à la figure 17. Les montmorillonites sont des argiles de néoformation des milieux édaphiques neutres ou alcalins, riches en cations alcalino-terreux ; elles sont fréquentes dans certains sols des régions méditerranéennes et intertropicales à saison sèche bien marquée. Elles dominent largement dans le cortège argileux des Vertisols et leur confèrent des propriétés physico-chimiques très particulières (sols à argiles gonflantes). Ces mêmes montmorillonites sont présentes dans certaines roches sédimentaires carbonatées dont elles constituent l'insoluble argileux (craies, calcaires, marnes) et se retrouvent donc dans le sol après la phase de décarbonatation (dans ce cas elles doivent être considérées comme des argiles d'héritage) ; elles n'y sont conservées qu'en milieu neutre ou peu acide et disparaissent des sols plus acides par altération. A l'inverse, les beidellites sont des smectites que l'on rencontre dans les sols acides (et même dans les podzols) : elles proviennent de l'altération partielle et de la transformation de minéraux micacés ou chloriteux (minéraux au sein desquels existent des substitutions en couche tétraédrique), altération qui se traduit par l'ouverture des feuillets en milieu hydraté.

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Fig. 17.

Structures cristallines de 3 minéraux smectitiques (in Dixon et Weed, 1982). La présence de smectites (et particulièrement de montmorillonites) dans les sols a des conséquences agronomiques favorables : il s'agit en effet de minéraux argileux dont la forte CEC permet la sorption optimale des cations alcalino-terreux et alcalins (cations "basiques"), sans risque de rétrogradation (voir ci-dessous). Toutefois, la surabondance des montmorillonites dans certains sols à texture fine (particulièrement les Vertisols au sein desquels la teneur en argile excède 30 %), peut poser des problèmes d'ordre physique (drainage déficient, phénomènes importants de gonflement et de rétraction défavorables pour le système racinaire des végétaux).

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GROUPE DES VERMICULITES Les vermiculites sont des minéraux argileux largement répandus dans les sols avec un spectre granulométrique assez large. On connaît aussi des vermiculites de grande taille (macroscopiques) dans certains gisements géologiques. Leur importance au point de vue agronomique est liée à leur pouvoir fixateur vis-à-vis des ions potassium et ammonium. Il s'agit d'argiles à feuillet de type 2:1, soit trioctaédrique (une partie des vermiculites des sols et toutes les vermiculites macroscopiques), soit dioctaédrique (la majorité des vermiculites des sols). Chez les vermiculites trioctaédriques, de formule K Si Al O Mg Fe OH0 7 3 10 2 7

30 3 2, , ,( ) ( )( )+ , la

couche tétraédrique est le siège de substitutions Si/Al, dans la proportion 3/1, créant un déficit de charge qui est partiellement compensé par des substitutions Mg2+/Fe3+ (ou Fe2+/Fe3+) en couche octaédrique. Chez les vermiculites dioctaédriques, de formule K Si Al O Al Mg OH0 7 3 6 0 4 10 1 7 0 3 2, , , , ,( ) ( )( ) le taux de substitution Si/Al en couche tétraédrique est nettement plus faible (10 % seulement) et en couche octaédrique se produisent des substitutions Al/Mg (15 %). Dans les deux cas, la charge nette du feuillet qui en résulte est voisine de 0,7 (elle est en fait comprise entre 0,6 et 0,7 pour les vermiculites dites de basse charge et 0,7 et 0,9 pour les vermiculites dites de haute charge). Au total, la charge du feuillet vermiculitique est équivalente à celle des illites, mais du fait de leur localisation partielle en couche octaédrique (charge "faible"), les cations interfoliaires peuvent s'échanger aisément avec des cations du milieu ambiant, d'où une CEC élevée, comprise entre 100 et 150 cmolc kg-1, et une surface spécifique voisine de 750 m2 g-1. Les vermiculites ont une équidistance d001 variable (minéraux expansibles), mais leur pouvoir de gonflement est cependant moindre que celui des smectites : de 10 Å en milieu déshydraté à 14 Å en présence de cations hydratés. Une propriété importante des vermiculites est leur pouvoir fixateur vis-à-vis des cations de gros diamètre et à faible énergie d'hydratation : K+, NH4

+, Cs+ et Rb+. Ces cations sont en effet susceptibles de venir se fixer en position interfoliaire dans les cavités cubo-octaédriques de coordinance XII dont il a été question à propos des minéraux micacés et illitiques, entraînant la fermeture des feuillets. En conséquence, une vermiculite saturée K+ et chauffée à 110°C perd définitivement tout pouvoir d'expansion : son équidistance de base reste stable à 10 Å. Les vermiculites des sols proviennent habituellement de la transformation des micas et des illites, par modification de la charge du feuillet et perte progressive de potassium interfoliaire, remplacé par des ions hydratés, Mg2+ et Ca2+ (minéraux argileux dits de

transformation). Comme les illites, les vermiculites sont fréquentes dans le cortège argileux des sols des régions tempérées.

35

GROUPE DES CHLORITES Les chlorites doivent leur nom au fait qu'il s'agit fréquemment de minéraux phylliteux de couleur verte, riches en fer ferreux. Il s'agit en réalité d'une famille complexe de minéraux ferromagnésiens qui sont non seulement présents dans la fraction argileuse des sols, mais constituent aussi des minéraux communs des roches magmatiques ou faiblement métamorphiques (chloritoschistes, schistes verts). Le feuillet élémentaire est de type 2:1:1 (= 2:2), avec en position interfoliaire une couche continue de nature hydroxydique (couche octaédrique) déterminant une équidistance basale très stable à 14 Å. La structure des chlorites correspond donc à l'association d'un feuillet 2:1 de type micacé avec une couche interfoliaire supplémentaire et indépendante, constituée d'hydroxyde de magnésium ou de fer ferreux. Les feuillets 2:1 sont liés entre eux par cette couche hydroxydique : les charges négatives provenant de substitutions diverses dans le feuillet 2:1 sont en effet compensées par les charges positives développées dans la couche octaédrique hydroxylée au sein de laquelle se produisent des substitutions bivalent/trivalent (par exemple : Mg2+/Al3+, Mg2+/Fe3+, Fe2+/Fe3+).

La couche hydroxydique, appelée couche ou feuillet brucitique8, a donc une composition mixte, ferromagnésienne ; du fait de la compensation des charges, elle assure à l'édifice cristallin une très grande stabilité. La non accessibilité des espaces interfoliaires a pour effet d'abaisser très sensiblement la CEC des chlorites : de 10 à 40 cmolc kg-1 ; de même leur surface spécifique est peu développée (70 à 150 m2 g-1). La composition chimique des chlorites est extrêmement variable. On distingue notamment les chlorites ferrifères des chlorites magnésiennes, sur base de leur composition (chlorites ferrifères : 20 % FeO, 2 % Fe2O3, 18 % MgO ; chlorites magnésiennes : 5 % FeO, 2 % Fe2O3, 30 % MgO). La plupart des chlorites ferromagnésiennes sont en fait des minéraux primaires que l'on rencontre fréquemment dans les roches métamorphiques (orthochlorites ou chlorites "vraies") et dans certaines roches sédimentaires. Ces chlorites primaires sont toutefois peu fréquentes ou peu abondantes dans les sols parce que leur altérabilité est grande. Plus fréquentes dans les sols acides sont les chlorites secondaires, appelées aussi "chlorites de sol". Il s'agit de chlorites dont la couche hydroxydique interfoliaire est alumineuse ; on parle donc de chlorites alumineuses et la couche octaédrique hydroxylée interfoliaire est qualifiée de gibbsitique, étant voisine par sa structure de l'hydroxyde d'aluminium cristallisé ou gibbsite [Al(OH)3]. Ces chlorites alumineuses sont formées dans les sols acides par un processus d'agradation (= agradation alumineuse) aboutissant à la formation d'une couche parfaitement cristallisée au sein de l'espace interfoliaire de minéraux 2:1 de type vermiculite ou smectite. Ce phénomène d'agradation est progressif et entre les minéraux 2:1 non aluminisés et les chlorites alumineuses typiques se place une série de formes intermédiaires présentant des

8 La brucite est la forme cristalline de l'hydroxyde de magnésium : Mg(OH)2.

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degrés variables d'aluminisation interfoliaire : ce sont les intergrades alumineux dont il sera question page 39. Le tableau 6 synthétise les principales caractéristiques structurales et les propriétés fondamentales des minéraux argileux.

Tableau 6.

Principales caractéristiques structurales et propriétés des minéraux argileux. ARGILES FIBREUSES Comme l'indique leur nom, ce sont des minéraux argileux à faciès particulier, très caractéristique. Il s'agit de "pseudophyllites" à habitus fibreux (fig. 18). La structure de ces pseudophyllites résulte de l'association de couches siliceuses tétraédriques continues, mais qui, à l'inverse des phyllosilicates "classiques", ne sont pas planaires ; les couches siliceuses sont constituées de bandes de 4 à 6 tétraèdres de large selon les minéraux. L'association de ces bandes détermine une structure en "brique creuse" (fig. 19). La largeur des bandes siliceuses est de 4 tétraèdres chez l'attapulgite (= palygorskite), de 6 tétraèdres chez la sépiolite. Les couches octaédriques de ces deux minéraux sont magnésiennes. L'attapulgite est une argile de néoformation que l'on peut observer dans les sols de climat aride ou semi-aride, notamment dans les sols à croûte calcaire des régions méditerranéennes ; elle se forme dans les milieux confinés où s'accumulent des sels solubles.

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Fig. 18.

Microcristaux d'attapulgite observés en microscopie électronique (in Dixon et Schulze, 2002).

Fig. 19.

Structure de l'attapulgite (= palygorskite) (in Caillère et Hénin, 1982).

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MINERAUX INTERSTRATIFIES Les minéraux interstratifiés (= édifices interstratifiés) sont constitués par un mélange de différents types de feuillets ("mixed layers"). Lorsque la superposition de feuillets de nature différente (feuillets illitiques, vermiculitiques, smectitiques, etc.) est régulière (ex : ABABABABAB), on parle d'interstratifiés réguliers ; lorsqu'elle est irrégulière (ex : AAABBBABBAAB), d'édifices interstratifiés irréguliers. Dans le premier cas, l'équidistance basale est égale à la somme des équidistances des 2 types de feuillet : d001 du feuillet A + d001 du feuillet B ; dans le second cas, on assiste à un élargissement irrégulier des raies de diffraction. Les interstratifiés réguliers sont peu fréquents dans les sols et se forment surtout au cours des phases tardives de la diagenèse des sédiments. Par contre, les édifices interstratifiés

irréguliers sont très fréquents dans les sols, notamment ceux des régions tempérées ; l'exemple classique est celui de la transformation progressive d'un minéral de type micacé selon la séquence :

mica ⇒ mica-vermiculite ⇒ vermiculite ⇒ vermiculite-smectite ⇒ smectite MINERAUX INTERGRADES Ils sont communs dans les sols et particulièrement dans les sols acides des régions tempérées. Il s'agit de minéraux 2:1 (vermiculites et smectites) dont la compensation interfoliaire de la charge du feuillet n'est pas assurée par des cations hydratés mais par des ions hydroxylés plus ou moins polymérisés et tout spécialement des hydroxydes d'aluminium (ions hydroxy-alumineux plus ou moins condensés, avec ébauche de feuillet gibbsitique). Comme nous l'avons signalé précédemment, ce phénomène d'aluminisation progressive des espaces interfoliaires aboutit à terme à la formation de chlorites secondaires alumineuses, comme l'illustre la figure 20. Les intergrades alumineux (vermiculites alumineuses, smectites alumineuses) présentent donc des structures et des comportements (notamment aux RX) intermédiaires entre minéraux 2:1 expansibles et minéraux 2:1:1. On parle souvent de "pseudochlorites", de "chlorites gonflantes" ou de "chlorites de sol".

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Fig. 20.

Représentation schématique de la formation de minéraux intergrades alumineux et de chlorites secondaires. Méthodes de détermination des minéraux argileux

Elles sont multiples et complémentaires. Parmi les principales, citons la microscopie électronique, la diffraction des rayons-X, l'analyse thermique différentielle et l'analyse chimique totale. Ces méthodes sont fréquemment utilisées de façon conjointe lors de l'identification qualitative et quantitative des argiles des sols. 1. Microscopie électronique

Elle peut être utilisée dans le diagnostic morphologique de certains minéraux argileux à structure cristalline particulière (exemple : différenciation kaolinite/halloysite). Associée à l'utilisation d'ultra-microtomes, la microscopie électronique à transmission et à haute résolution permet aussi l'observation de coupes transversales dans les micro-cristaux argileux, mettant en évidence l'empilement (et les irrégularités de l'empilement) des feuillets élémentaires. 2. Diffraction des RX

C'est une des méthodes le plus couramment utilisée. Les échantillons d'argile sont mis en suspension et évaporés sur une lame de verre ; ils sont ensuite soumis à un rayonnement de courte longueur d'onde (spectre RX, raie Kα = 1,54 Å) dont un goniomètre fait varier l'angle d'incidence θ. Les ondes diffractées, obéissant à la loi de Bragg (n d. .sinλ θ= 2 )9, sont enregistrées graphiquement (les réflexions sur le plan 001 étant les plus intenses) et indiquent la périodicité entre feuillets c'est-à-dire l'équidistance d001 (voir enregistrement type à la figure 21).

9 λ = longueur d'onde du rayonnement ; d = distance entre deux plans réticulaires (équidistance) ; θ = angle d'incidence.

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Fig. 21.

Enregistrement diffractométrique d'un échantillon de kaolinite (in Tan, 1982).

Le passage de l'échantillon aux RX est précédé par différents traitements chimiques (saturation par divers cations : K, Mg, Li,...) et/ou physiques (traitements thermiques, hydratation par des polyalcools : glycérol ou éthylène-glycol), susceptibles de faire varier l'équidistance d001. Ces tests

de comportement permettent d'aboutir à une bonne caractérisation de la composition qualitative du cortège argileux des sols. 3. Analyse thermique différentielle (ATD)

Cette méthode, applicable également aux constituants amorphes, permet de mettre en évidence les températures auxquelles se produisent des réactions chimiques ou des changements d'état liés directement à la structure des minéraux. Dans la pratique, on mesure la différence de température développée entre une substance inerte de référence (Al2O3 calciné) et l'échantillon étudié lorsqu'on les soumet à une montée en température de 0 à 1.000°C (l'augmentation régulière de la température étant généralement de 20°C par minute). Des écarts de température seront enregistrés lorsque se produisent dans l'échantillon des réactions soit exothermiques (oxydation), soit endothermiques (perte d'eau adsorbée, déshydroxylation ou encore perte de CO2 chez les minéraux carbonatés)(fig. 22).

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Fig. 22.

Enregistrements en analyse thermique différentielle (ATD) de différents minéraux argileux (in Tan, 1982). 4. Analyse chimique totale

Après destruction totale des minéraux argileux par fusion alcaline à haute température et mise en solution de leurs éléments constitutifs majeurs (silicium, aluminium, fer, magnésium, calcium, sodium, potassium, manganèse et titane), ceux-ci sont dosés par une méthode appropriée (spectrométrie d'absorption atomique). Les résultats sont exprimés en oxydes (SiO2 , Al2O3 , Fe2O3 , MgO,...) par référence au poids

d'argile après chauffage à 950°C. Cette température élimine non seulement l'eau d'hydratation, mais décompose aussi le minéral par déshydroxylation, en sorte que seuls subsistent des oxydes anhydres. Ce mode d'expression en oxydes permet de vérifier qu'il n'y a pas eu de perte de constituants lors de l'analyse puisque la somme des oxydes doit être égale à 100 %. La perte pondérale de l'échantillon séché à l'air et porté à 105°C correspond à l'eau d'hydratation (H2O - dans les tableaux d'analyse totale), tandis que la perte de masse enregistrée entre 105°C et 950°C correspond à ce que l'on appelle l'eau de composition et représente la perte au feu (P.F. ou H2O + dans les tableaux analytiques). Le tableau 7 reprend la composition chimique de quelques minéraux argileux.

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Tableau 7.

Composition chimique de quelques minéraux argileux (résultats exprimés en %). Origine et composition du cortège des minéraux argileux dans les sols Ce point sera développé dans le cours de "Pédologie approfondie". On peut cependant souligner dès à présent que la nature et les proportions des différents minéraux argileux constitutifs du sol (on parle du cortège minéralogique de la fraction < 2 µm) sont déterminées principalement par : 1. La composition minéralogique de la roche-mère ou du matériau parent. Si les matériaux parents contiennent en leur sein des minéraux argileux (cas des roches sédimentaires par exemple), le sol en héritera en ligne directe. Par ailleurs, l'altération physique de certains minéraux originels (micas, chlorites), entraîne leur microdivision et aboutit à la libération de phyllosilicates de petite taille (< 2 µm) dont la composition cristallochimique sera proche des minéraux dont ils sont issus : c'est le cas des illites (argiles "micacés", "clay-micas") et des chlorites primaires. L'ensemble des minéraux phyllosilicatés issus sans modifications substantielles des matériaux parents sont qualifiés d'argiles

d'héritage. 2. L'ambiance physico-chimique du sol qui préside à l'altération chimique de la roche-mère (facteurs pédogénétiques). Les processus d'altération peuvent soit modifier des minéraux phyllosilicatés préexistants (transformation des illites en vermiculites par exemple, agradation des vermiculites en chlorites secondaires alumineuses), soit engendrer des minéraux argileux entièrement nouveaux, dits de néoformation (ex : kaolinite, montmorillonite).

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1.3.2. Allophanes

Le terme d'allophanes désigne des alumino-silicates amorphes (ou très mal cristallisés) et hydratés, de formule générale xAl O ySiO zH O2 3 2 2. . , avec généralement x > y et y = 1 à 2, z = 2 à 3. Le rapport (molaire) SiO Al O2 2 3/ est fréquemment compris entre 0,5 et 1,3. L'hydratation des allophanes est généralement importante : 20 % d'eau d'hydratation (H2O -) et souvent plus de 20 % d'eau de composition (H2O +). Les allophanes ont été initialement détectés et étudiés sur des matériaux d'altération de roches éruptives basiques en région tropicale, c'est-à-dire dans un contexte édaphique où ils sont abondants (Andosols). On a longtemps pensé que les allophanes étaient limités à ce type de sol, mais actuellement on considère qu'ils sont beaucoup plus répandus ; ils ont notamment été détectés dans de nombreux autres types de sols où ils représentent très probablement un produit intermédiaire d'altération, à un stade de cristallisation encore très imparfait. On peut donc considérer que les allophanes constituent l'ébauche de minéraux argileux. La structure, la composition chimique et l'origine des allophanes seront envisagées en détail dans le chapitre consacré aux Andosols (voir cours de Pédologie approfondie).

1.3.3. Oxyhydroxydes Avec les minéraux argileux, les oxyhydroxydes (appelés anciennement sesquioxydes10 ou oxydes hydratés) composent l'essentiel du complexe d'altération des sols. Ce sont des constituants omniprésents dans les fractions fines du sol et notamment la fraction argileuse ; ils peuvent également être présents dans des fractions granulométriques plus grossières : limons et sables (fig. 3, p. 5). A l'origine, les oxyhydroxydes des sols proviennent en majorité de l'altération de minéraux primaires, essentiellement des minéraux ferromagnésiens. En principe ce sont donc des minéraux de néoformation. Cependant, dans le cas de sols formés sur des matériaux d'origine sédimentaire, une part importante – sinon majoritaire – des oxyhydroxydes sont en fait des minéraux d'héritage puisqu'ils préexistent dans le matériau parental 11. En règle générale, les sols ont tendance à s'enrichir en oxyhydroxydes (de fer, d'aluminium, de titane) par rapport à la silice (tout au moins la silice des silicates et des aluminosilicates) qui est souvent éliminée plus rapidement au cours du processus d'altération. Bien entendu, la silice présente sous forme de quartz peut également représenter un élément résiduel.

10 Le préfixe sesqui- était employé dans l'ancienne nomenclature chimique pour signifier un et demi. 11 Les oxyhydroxydes des roches sédimentaires constituent des produits d'une altératiion préalable

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Les oxyhydroxydes sont des solides cristallins, paracristallins ou amorphes résultant de la combinaison de différents cations métalliques (fer, aluminium, manganèse,...) avec l'anion O2- et/ou l'anion OH-. Il s'agit donc d'oxydes (les anions de coordination sont exclusivement des O2-), d'hydroxydes (uniquement des OH-) ou d'oxyhydroxydes (O2- et OH-), d'où le terme général d'oxyhydroxydes qui est souvent utilisé pour les désigner. En outre, ces constituants ne comprennent théoriquement qu'un seul cation de coordination (Fe ou Al par exemple), par opposition aux aluminosilicates qui comprennent deux ou plus de deux cations de coordination. Exemple : la série Gibbsite – Boehmite – Corindon, dont les formules respectives sont : Al OH( )3 – Al O OH. . – Al O2 3. En pédologie, les éléments associés à ces oxydes, hydroxydes et oxyhydroxydes sont regroupés sous le vocable d'éléments libres. On parle donc des "formes libres" du fer, de l'aluminium, etc, pour désigner les constituants minéraux du sol qui contiennent ces éléments mais sans qu'ils soient engagés dans un réseau cristallin de type silicaté ou aluminosilicaté. Par opposition, le fer et l'aluminium inclus dans une structure de silicate, sont définis comme étant sous forme combinée, c'est-à-dire liée au réseau cristallin. A titre d'exemple, les formes du fer dans le sol sont donc les suivantes :

Les oxyhydroxydes libres présentent des degrés d'organisation qui vont de l'état amorphe à l'état cristallin parfait, en passant par des formes d'organisation intermédiaires, à structure cristalline plus ou moins organisée (formes dites paracristallines). Les oxyhydroxydes les plus abondants dans les sols sont à base de fer et d'aluminium. Il s'agit en effet de deux cations qui s'hydrolysent aux valeurs de pH communes dans les sols, si bien que lorsqu'ils sont libérés dans la solution du sol à l'issue de l'altération des minéraux, ils évoluent spontanément vers des formes hydroxylées insolubles et amorphes. Elles peuvent ensuite évoluer progressivement vers l'état cristallin. Ce passage plus ou moins progressif de l'état amorphe à l'état cristallin est qualifié de vieillissement ("aging" des auteurs anglo-saxons).

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La genèse des différentes formes d'oxyhydroxydes peut dès lors être schématisée comme suit : MINERAUX PRIMAIRES ⇒ FORMES AMORPHES ⇒ FORMES PARACRISTALLINES ⇒ FORMES

CRISTALLINES

OXYHYDROXYDES DE FER Le fer est un élément abondant dans l'écorce terrestre où il se rencontre dans la majorité des roches et particulièrement dans les roches dites "basiques" (gabbros, basaltes,...), c'est-à-dire celles qui sont pauvres en silice (< 52 % de SiO2) et corrélativement riches en minéraux ferromagnésiens tels que biotite, pyroxènes, amphiboles et péridots. A l'origine, c'est bien entendu l'altération de ces minéraux qui fournit le fer contenu dans les sols sous forme de divers oxyhydroxydes, encore que, comme signalé précédemment, ces derniers puissent être hérités en droite ligne de roches sédimentaires dans la composition desquelles ils interviennent fréquemment (roches carbonatées, grès à ciment ferrugineux, etc.). Le fer est donc un élément omniprésent dans tous les sols, mais dans des proportions fort variables : moins de 1 % à plus de 80 % de fer total (exprimé en Fe2O3) selon les sols et les types d'horizons ; les teneurs moyennes sont comprises entre 0,5 et 6 % de Fe2O3. Du fait de l'insolubilité des oxyhydroxydes, la concentration en fer des sols à généralement tendance à s'accroître par accumulation relative au cours de la pédogenèse. A l'échelle des grandes zones climatiques, les teneurs en fer dans les sols sont indépendantes des roches-mères et sont fonction du climat, c'est-à-dire du degré d'altération des sols. C'est pourquoi dans la zone intertropicale les teneurs en fer des sols sont de 5 à 10 fois plus fortes qu'en zone tempérée. Toutefois, à l'intérieur d'une catégorie de sol et dans un contexte climatique restreint, les teneurs en fer peuvent varier selon la composition minéralogique des roches-mères (à titre d'exemple, les sols ferrallitiques de Madagascar présentent des teneurs en Fe2O3 de 4 à 12 % sur gneiss et de 18 à 26 % sur basalte).

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Importance des oxyhydroxydes de fer au point de vue morphologique 1. Ce sont les oxyhydroxydes de fer qui déterminent très généralement la couleur des sols. Même à très faible concentration ils ont un fort pouvoir de pigmentation qui augmente d'ailleurs en intensité au fur et à mesure que leur taille décroît. La couleur des sols est donc essentiellement déterminée par la nature, l'abondance et la taille des oxyhydroxydes de fer (les deux autres constituants qui peuvent intervenir dans la coloration des sols sont la matière organique et les carbonates de calcium). Les oxyhydroxydes de fer dont la nature et l'abondance peuvent varier d'un sol à l'autre et d'un horizon à l'autre au sein d'un même profil, sont donc d'excellents "traceurs" de l'évolution pédologique. Dans certaines conditions, ils permettent en outre de déceler, par le biais d'une coloration spécifique, des caractères ou des processus évolutifs particuliers (lessivage de argiles, hydromorphie, podzolisation, etc.). D'où l'importance accordée lors de la description morphologique des profils de sols à la désignation objective de la couleur des différents horizons (utilisation d'un référentiel international de couleur, le Munsell Soil color Charts). 2. Les oxyhydroxydes de fer interviennent dans la structuration de certains sols où ils peuvent être responsables de la formation d'agrégats et accroître leur stabilité structurale (caractère favorable) ou au contraire évoluer par induration avec formation de concrétions ou même, en région tropicale, de véritables cuirasses ferrugineuses (caractère défavorable). Formes du fer dans les sols Formes cristallines

Les oxyhydroxydes cristallisés sont représentés dans les sols par deux formes hydroxylées, la goethite et la lépidocrocite, et par un oxyde, l'hématite (tableau 8).

Tableau 8.

Principaux oxyhydroxydes naturels de fer, d'aluminium, de manganèse, de titane et de silicium (Greenland et Hayes, 1978).

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La goethite, de formule α − FeO OH. , est l'oxyhydroxyde de fer le plus commun dans les sols de toutes les régions du globe. Il s'agit en effet d'une forme cristalline stable dans une large gamme de conditions édaphiques, d'où son caractère ubiquiste. La goethite est de couleur brun rougeâtre à l'état déshydraté et brun jaunâtre à l'état hydraté. Observée en microscopie électronique, elle se présente en fins cristaux de forme aciculaire, de quelque 0,5 µm de long (fig. 23), parfois groupés en macles étoilées.

Fig. 23. Microcristaux de goethite (cristaux aciculaires : photos de gauche et de droite) et d'hématite (plaquettes

hexagonales : photo de droite) observés en microscopie électronique (in Dixon et Weed, 1982). Sa structure cristalline est déterminée par l'association du cation Fe3+ avec des anions O2- et OH- dans un motif octaédrique (coordinance VI). Ces octaèdres sont eux-mêmes associés en doubles chaînes parallèles et alignées ; elles sont reliées entre elles par des ponts hydrogènes (fig. 24). Il n'y a théoriquement pas de substitutions isomorphes, donc pas de charges structurelles. Cependant, la goethite des sols présente fréquemment de 10 à 20 % de substitutions Fe/Al (parfois Mn), déterminant un degré de cristallinité souvent imparfait.

La goethite se rencontre soit à l'état dispersé dans les sols, soit associée à la fraction argileuse (avec laquelle elle va d'ailleurs avoir tendance à migrer), soit encore sous forme de concrétions de tailles et de degrés d'induration très variables. La lépidocrocite, de formule γ − FeO OH. , plus rare que la goethite, se rencontre plus particulièrement dans les sols hydromorphes où elle se forme par oxydation brutale de Fe2+. Sa structure cristalline est celle d'octaèdres associés en deux couches emboîtées (double feuillet) ; les feuillets successifs sont reliés par des ponts hydrogènes (fig. 24). Les microcristaux de lépidocrocite se présentent en microscopie électronique sous forme de petites plaquettes allongées de 0,1 à 0,7 µm de long.

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L'hématite, de formule α − Fe O2 3, est très commune dans les sols des régions tropicales et subtropicales, où elle est souvent un produit de néoformation. Elle est à l'origine de la couleur rouge caractéristique de ces sols (processus de rubéfaction). Sa coloration est en effet franchement rouge et son effet de pigmentation est d'autant plus prononcé que sa taille est réduite ; toutes choses égales par ailleurs, son pouvoir de coloration est plus important que celui de la goethite avec laquelle elle est fréquemment associée. L'hématite est constituée de microcristaux, généralement de taille inférieure à 0,1 µm, se présentant sous la forme de plaquettes hexagonales (fig. 23). Leur structure cristalline résulte de l'association planaire d'octaèdres (Fe3+ lié à des atomes d'oxygène en coordinance VI)(fig. 24). L'équilibre électrostatique est réalisé par l'occupation de 2 sites octaédriques sur 3 (structure dioctaédrique). Il n'y a donc pas de charge structurelle.

Fig. 24.

Représentation schématique de la structure cristalline (assemblage d'octaèdres) de la goethite (a), de la lépidocrocite (b) et de l'hématite (c) (d'après Greenland et Hayes, 1978).

Formes amorphes ou paracristallines

Il s'agit d'oxyhydroxydes plus ou moins hydratés et qui constituent des gels colloïdaux, notamment lors des premières étapes de la cristallisation de la goethite ou de l'hématite. Ces formes non ou mal cristallisées sont fréquentes dans la plupart des sols et peuvent même devenir abondantes dans certains types d'horizons (horizons d'accumulation des podzols par exemple). Elles évoluent progressivement et plus ou moins rapidement selon les conditions édaphiques, vers des formes de mieux en mieux cristallisées.

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Leur formule générale peut s'écrire : Fe OH nH O( ) .3 2 Comme indiqué précédemment, l'origine de ces formes amorphes du fer est à rechercher dans l'altération des minéraux ferrifères aboutissant à la libération d'ions Fe3+ dans la solution du sol. En solution aqueuse, ce cation s'entoure de 6 molécules d'eau, composant une couche de solvatation agencée selon la coordinance VI de l'ion ferrique. La forte attraction qui se produit entre le cation Fe3+ et les atomes d'oxygène des molécules d'eau attenantes, orientées selon leur moment dipolaire, tend à repousser un des protons de celles-ci. Il en résulte une dissociation protonique et la liaison d'un radical hydroxyle avec le cation Fe3+ (phénomène d'hydrolyse). Au fur et à mesure que la solution devient plus alcaline, la dissociation protonique augmente. Les réactions d'hydrolyse successives sont les suivantes :

Fe H O Fe H O OH H( ) ( ) ( )2 63

2 52+ + +⇔ +

ou, pour plus de commodité, sans faire figurer les molécules d'eau12 :

Fe H O Fe OH H

32

2+ + ++ ⇔ +( )

Fe OH H O Fe OH H( ) ( )22 2

+ + ++ ⇔ +

Fe OH H O Fe OH H( ) ( )2 2 3+ ++ ⇔ +

L'hydroxyde ferrique ainsi formé précipite et tend progressivement à se déshydrater. La figure 25 illustre la relation qui lie les différentes formes hydroxylées du fer à l'échelle des pH (diagramme de spéciation des formes du fer). Elle met en évidence que, dans la gamme normale des pH des sols (les pH les plus bas y étant généralement de l'ordre de 3), les formes hydroxylées insolubles sont largement prépondérantes. En conséquence, les ions ferriques ne peuvent se maintenir en solution aux pH usuels des sols et la mobilisation du fer ferrique est donc entravée dans la majorité des sols. Comportement géochimique du fer dans les sols Il est essentiellement régi par le pH et le potentiel rédox (Eh) du milieu édaphique. Le pH détermine les domaines d'apparition des formes ioniques ou hydroxylées, insolubles (voir ci-dessus l'exemple du fer ferrique) ; le potentiel rédox (Eh) détermine quant à lui les domaines d'existence des ions ferriques (Fe3+) ou ferreux (Fe2+). La relation pH-Eh pour les différentes formes du fer est donnée dans la figure 26 et met en évidence la possibilité

12 Selon Lindsay (Chemical equilibria in soils, 1979), les constantes d'hydrolyse pour le fer ferrique sont les suivantes : Fe3+ + H2O �FeOH2+ + H+ log K = - 2,19 Fe3+ + 2 H2O �Fe(OH)2

+ + 2 H+ log K = - 5,69 Fe3+ + 3 H2O �Fe(OH)3

0 + 3 H+ log K = - 13,09

50

d'existence d'ions Fe2+ dans la solution du sol jusqu'à des valeurs de pH voisines de 613. La plus grande solubilité du fer ferreux explique sa forte mobilité dans les sols hydromorphes où les formes ferreuses deviennent – ne fut-ce que temporairement (période d'engorgement) – majoritaires.

Fig. 25.

Composition des solutions ferrifères acides (0,05 M), en fonction du pH (d'après Fordham, 1969).

Outre le pH et le potentiel rédox, la présence de matière organique complexante est susceptible de modifier le comportement géochimique du fer dans les sols et dans les eaux. En effet, la formation de chélates permet de maintenir le fer à l'état soluble dans des conditions de pH pour lesquelles le cation ferrique (ou ferreux) non chélaté précipiterait normalement sous forme d'hydroxyde. En résumé, la mise en solution du fer sous forme ionique dans les sols et donc sa mobilité, ne peuvent se concevoir que dans trois circonstances : 1. Lors d'un abaissement suffisant du pH : ceci n'a pratiquement aucune chance de se produire, puisque le seuil de pH à franchir (en milieu aéré) est d'environ 2,5 et qu'aucun sol naturel n'atteint une telle valeur.

13 Les constantes d'hydrolyse pour le fer ferreux sont les suivantes (Lindsay, 1979) : Fe2+ + H2O � Fe(OH)+ + H+ log K = - 6,74 Fe2+ + 2 H2O � Fe(OH)2

0 + 2 H+ log K = - 16,04

51

Fig. 26.

Relation pH-Eh pour les différentes formes du fer (d'après Segalen, 1964). Les deux diagonales délimitent le domaine de stabilité de l'eau.

2. Lors d'un passage du fer de l'état ferrique à l'état ferreux : le cation Fe2+ peut se maintenir en solution même à des pH modérément acides (pH < 6 - 6,5). 3. Quand le fer se lie à des composés organiques solubles et chélatants qui assurent sa mise en solution dans des conditions de pH et de Eh qui normalement devraient entraîner son insolubilisation. Si les conditions ayant permis la réduction ou la chélation du fer viennent à disparaître, cet élément précipite sous forme hydroxylée. C'est notamment le cas lorsque l'atmosphère du sol redevient oxydante (aération du sol en phase de dessication) ou lorsque l'activité microbiologique dégrade les chélates. Enfin, une élévation du pH dans un horizon peut aussi provoquer l'insolubilisation du fer.

52

OXYHYDROXYDES D'ALUMINIUM

Comme le fer, l'aluminium est un des éléments fondamentaux des constituants du sol. Ses composés sont toutefois très "discrets" puisque aucun ne présente les couleurs vives (jaunes, brunes, rouges,...) des oxyhydroxydes de fer. Comparé à celui du fer, le comportement géochimique de l'aluminium se distingue essentiellement par les 2 points suivants : 1. Contrairement au fer, l'aluminium n'est pas sensible aux variations d'oxydo-réduction

du milieu. 2. L'aluminium a une forte affinité pour la silice, à l'origine de nombreuses

combinaisons alumino-siliceuses (dont les multiples minéraux alumino-silicatés sont les témoins).

L'aluminium est présent dans les sols sous diverses formes, essentiellement sous forme

combinée (aluminium des réseaux cristallins des aluminosilicates primaires et secondaires) et sous forme d'oxyhydroxydes, amorphes ou cristallins. En outre, dans les sols acides dont le pH-eau est < 5, l'aluminium peut se rencontrer sous forme cationique (Al3+) : il s'agit de l'aluminium dit "échangeable". Oxyhydroxydes d'aluminium et aluminium échangeable sont issus de l'altération hydrolytique des aluminosilicates au cours de la pédogenèse. Formes de l'aluminium dans les sols Formes cristallines

Les sols peuvent contenir deux oxyhydroxydes d'aluminium parfaitement cristallisés : la gibbsite Al OH( )3 et la boehmite AlO OH. (tableau 8). C'est la gibbsite (aussi appelée hydrargillite) qui est de loin la plus fréquente : c'est un constituant majeur de beaucoup de sols tropicaux (on peut trouver jusqu'à 30 % de gibbsite dans certains horizons concrétionnés de sols ferrallitiques). Tri-hydroxyde d'aluminium extrêmement stable, la gibbsite représente le stade ultime de l'altération des aluminosilicates à la surface du globe. C'est également un des constituants

fondamentaux des bauxites14 (minerai d'aluminium). La gibbsite est microcristalline et se présente sous forme de plaquettes à aspect rhomboédrique, d'environ 45 Å d'épaisseur et 1.000 Å de longueur. Sa structure cristalline est illustrée à la figure 27 ; elle est constituée d'un assemblage planaire d'hydroxyles dont 2 plans consécutifs "piègent" des atomes d'aluminium en disposition dioctaédrique.

14 La bauxite est une roche sédimentaire ou résiduelle qui constitue le minerai d'aluminium (40 % au moins d'Al2O3) ; elle est riche en boehmite (Al.O.OH) et gibbsite [Al(OH)3].

53

Fig. 27.

Représentations schématiques diverses de la structure de la gibbsite (d'après Greenland et Hayes, 1978 et Segalen, 1973).

Formes amorphes ou paracristallines

La grande majorité des sols contiennent des quantités souvent appréciables d'hydroxydes d'aluminium amorphes ou à degré de cristallinité très faible (formes paracristallines). L'évolution normale des hydroxydes amorphes est une cristallisation progressive. Ce phénomène ne pourra se produire que si la teneur en silice du milieu ambiant est faible. En effet, dans le cas contraire, il y a recombinaison des deux éléments avec genèse d'aluminosilicates secondaires, c'est-à-dire des minéraux argileux de néoformation (kaolinite ou montmorillonite par exemple). Origine et mode de formation des hydroxydes amorphes d'aluminium Comme l'ion ferrique, le cation alumineux Al3+ ne reste pas sous forme d'ion libre en solution aqueuse : il s'entoure de 6 molécules d'eau pour former un ion alumineux avec manteau de solvatation, de formule Al(H2O)6

3+ et de coordinance VI ("Al hexahydronium

ion"). Au fur et à mesure qu'augmente le pH du milieu, la déprotonation des molécules d'eau de coordination produit une série d'ions complexes hydrolysés selon les réactions d'hydrolyse suivantes :

Al H O Al H O OH H( ) ( ) ( )2 63

2 52+ + +⇔ +

54

soit, sans faire figurer les molécules d'eau de coordination15 :

Al H O Al OH H3

22+ + ++ ⇔ +( )

Al OH H O Al OH H( ) ( )22 2

+ + ++ ⇔ +

Al OH H O Al OH H( ) ( )2 2 3+ ++ ⇔ +

Comme l'illustre le diagramme de la figure 28 (spéciation de l'aluminium en fonction du pH), on assiste donc, en fonction d'une gamme croissante de pH, à l'hydrolyse progressive des ions Al3+. Ces derniers n'existent en solution qu'en dessous de pH 5, puisque des ions hydroxylés (= ions hydroxy-alumineux) se forment dès que l'on transgresse cette valeur de pH. Le produit final, l'hydroxyde d'aluminium Al(OH)3 est hydraté. Il va évoluer par perte d'eau et polymérisation plus ou moins rapide des monomères hydroxy-alumineux. Dans les deux cas, on aboutit à une insolubilisation des formes hydroxylées avec formation d'édifices

hydroxy-alumineux plus ou moins développés. Comportement géochimique de l'aluminium dans les sols Il découle logiquement de ce qui précède : il est essentiellement fonction du pH et de la teneur en silice du milieu ambiant. En outre, comme pour le fer, la présence de composés organiques solubles peut modifier fortement son comportement et sa mobilité dans les sols.

Fig. 28.

Distribution relative et charge moyenne des formes de l'aluminium (force ionique = 0,1 M) en fonction du pH (d'après Marion et al., 1976).

15 Les constantes d'hydrolyse pour l'aluminium sont les suivantes (Lindsay, 1979) : Al3+ + H2O � AlOH2+ + H+ log K = - 5,02 Al3+ + 2 H2O � Al(OH)2

+ + 2 H+ log K = - 9,30 Al3+ + 3 H2O � Al(OH)3

0 + 3 H+ log K = - 14,9

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Quatre points importants peuvent être dégagés : 1. L'aluminium est un élément amphotère et sa solubilité est en conséquence forte aux pH très acides et franchement alcalins (fig. 28) ; inversement, entre pH 4 et 10 (4,5 et 8 aux faibles concentrations), apparaissent les formes hydroxylées insolubles dont il a été question précédemment. Dans la gamme courante des pH des sols, l'aluminium est donc un élément à

faible mobilité, plus encore que le fer qui peut être mobilisé par passage à l'état ferreux dans une gamme de pH beaucoup plus large. Au contraire, dans les sols acides (pH < 5),

l'aluminium voit sa mobilité s'accroître considérablement. 2. En présence de silice soluble, l'aluminium évolue vers des aluminosilicates secondaires (argiles de néoformation : kaolinite en milieu acide, montmorillonite en milieu neutre ou alcalin). 3. En milieu acide mais organique, donc en présence de composés carbonés hydrosolubles (cas des sols podzolisés par exemple), la solubilité de l'aluminium est accrue par chélation et cet élément peut donc être mobilisé dans des sols ou dans des eaux dont le pH est supérieur à 5. 4. En milieu acide, à pH voisin de 5 (ou légèrement supérieur) et non ou peu organique (horizons minéraux), l'évolution spontanée de l'aluminium cationique vers des formes hydroxylées plus ou moins polymérisées et insolubles va de pair avec une transformation des minéraux argileux 2:1 : leurs espaces interfoliaires sont progressivement occupés par des ions alumineux hydroxylés s'organisant en couche de nature gibbsitique. C'est le phénomène d'agradation alumineuse, aboutissant à terme à la formation de chlorites secondaires, dites aussi chlorites alumineuses (voir p. 38). SILICE Le silicium – second élément en abondance dans la croûte terrestre – est un constituant majeur des sols sous diverses formes cristallines : quartz, silicates et aluminosilicates (primaires et secondaires) ; il intervient aussi dans la composition d'aluminosilicates amorphes ou paracristallins (allophanes). Sous l'action des processus d'altération, le silicium est libéré dans l'eau du sol sous forme de monomères d'acide silicique H4SiO4 (solution vraie) 16.

16 Tous les formes de silice (SiO2) sont solubles, même la plus stable, le quartz, mais à des degrés très variables. Selon Lindsay (1979) les constantes de dissolution des différentes formes de la silice sont les suivantes : SiO2 (amorphe) + 2 H2O � H4SiO4 log K = - 2,74 SiO2 (sol) + 2 H2O � H4SiO4 log K = - 3,10

∝-SiO2 (quartz) + 2 H2O � H4SiO4 log K = - 4,00

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L'acide mono- ou ortho-silicique ainsi formé est un acide très faible (pKa = 9 à 10) dont la dissociation libère des ions siliciques H3SiO4

- , selon la réaction :

H4SiO4 � H3SiO4- + H

+ log K = - 9,71

La concentration habituelle en acide silicique (monomères H4SiO4) dans la solution du sol est très peu élevée : de 2 à 50 mg L-1 de silicium. A titre comparatif, la concentration en silicium dans les nappes aquifères est généralement inférieure à 16 mg L-1 (elle est d'environ 2 mg L-1 pour l'eau de mer). Lorsque la concentration en monomères siliciques dépasse le seuil de 60 mg L-1 de Si (soit 140 mg L-1 de SiO2), ces monomères évoluent par polymérisation progressive avec formation de macromolécules s'associant pour former un gel amorphe (silice amorphe ou colloïdale) :

Acide silicique � polymérisation � Silice amorphe en solution vraie ⇐ dépolymérisation ⇐ en solution colloïdale

Fig. 29.

Solubilité comparée en fonction du pH de la silice (une seule courbe) et de l'aluminium (deux droites coupant l'axe des abscisses au pH 5-6 lorsque la solubilité est nulle)(d'après Krauskopf, 1956 et Wey et Siffert, 1962).

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Le passage d'une solution vraie à une solution colloïdale puis un gel amorphe, peut s'observer expérimentalement lorsque l'on provoque la précipitation de la silice : on obtient un composé amorphe constitué par un assemblage désordonné de tétraèdres Si(OH)4 sans aucune périodicité dans l'agencement spatial des tétraèdres siliceux. La solubilité de la silice amorphe est constante dans la gamme de pH de 2 à 8 (fig. 29) mais augmente considérablement vers pH 9, c'est-à-dire en milieu franchement alcalin. La solubilité limite de la silice monomère, à 25°C et pour des pH inférieurs à 8, est donc théoriquement de 60 mg L-1 (ppm) de Si ; mais l'équilibre qui s'établit à cette concentration entre la silice soluble et la silice colloïdale est parfois très lent, en sorte que la concentration en acide silicique peut temporairement s'élever au-dessus du seuil de 60 ppm (sursaturation temporaire) ; elle évoluera toutefois progressivement vers l'équilibre par formation de polymères insolubles. Il est exceptionnel que la concentration en silice dans la solution du sol atteigne son niveau critique de solubilité ; ceci se produit néanmoins dans certains sols des régions arides, avec pour conséquence la cimentation par de la silice amorphe ou cryptocristalline (opale) de certains horizons (accumulation de silice secondaire). 1.3.4. Carbonates Avec les chlorures et les sulfates, les carbonates sont caractérisés par leur solubilité relativement forte comparée à celle des silicates. Le carbonate le plus abondant est la calcite (CaCO3). Les autres minéraux carbonatés que l'on peut rencontrer dans les sols sont la dolomite [Ca.Mg(CO3)2], la sidérite (FeCO3) et le carbonate de sodium (Na2CO3), ce dernier n'étant présent que dans les sols halomorphes alcalins, à pH supérieur ou égal à 8,5. Abondance, formes et évolution du calcaire dans les sols Les teneurs en CaCO3 dans les sols carbonatés sont extrêmement variables : de quelques % à plus de 70 % (voir tableau 9). Toutefois, le dosage des carbonates totaux (par calcimétrie ou acidimétrie) n'a souvent d'autre intérêt que de classer les sols carbonatés en fonction d'une échelle d'appréciation. En effet, au-delà de 5 % de CaCO3 total on ne peut guère tirer d'enseignements agronomiques en-dehors de l'appréciation globale du stock présent. Ce qui est important au point de vue agronomique et écologique (relation plante-sol) c'est la réactivité du CaCO3. C'est pourquoi, dès 1942, Drouineau a mis au point une méthode permettant d'évaluer l'aptitude à la dissolution de la fraction carbonatée du sol, en liaison avec la granulométrie des particules calcaires. Le CaCO3 de la fraction granulométrique de taille inférieure à 20 µm (argiles + limons fins) correspond à ce que les pédologues appellent le "calcaire actif" (dosé par la

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méthode Drouineau17). La figure 30 montre qu'il y a une excellente corrélation entre le CaCO3 contenu dans cette fraction et le calcaire dit "actif", c'est-à-dire la fraction carbonatée susceptible de se solubiliser rapidement.

Tableau 9.

Teneurs en calcaire total, calcaire actif, Ca et Mg échangeables dans divers types de sols carbonatés (d'après Bonneau et Souchier, 1979).

Le CaCO3 peut donc se présenter dans les sols sous diverses formes : - Eléments grossiers, de taille > à 2 mm, constituant le squelette du sol. Hérités en droite ligne de la roche-mère (calcaire "primaire"), ils sont, du fait de leur taille, peu réactifs (dissolution lente). - Calcaire finement divisé , donc plus rapidement solubilisable (calcaire actif). Ce calcaire fin peut, soit être hérité directement de la roche mère (sur roches carbonatées tendres, telles que les craies, ou argileuses comme les marnes), soit être issu de l'altération physique d'une roche carbonatée (essentiellement par gélifraction), soit encore provenir de la précipitation de calcite dans certains horizons du sol sous forme de revêtements microcristallins (pseudomycélium), de ciment liant les particules entre elles ou même de petites concrétions ou nodules carbonatés (calcaire "secondaire").

17 La méthode DROUINEAU consiste à mesurer la réactivité d'un échantillon de sol carbonaté vis-à-vis d'une solution d'oxalate d'ammonium ; la fraction du CaCO3 solubilisable et capable de précipiter sous forme d'oxalate de calcium correspond au "calcaire actif".

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Fig. 30.

Corrélation entre CaCO3 des fractions 0-20 µm et calcaire actif (d'après Dupuis, 1975). L'accumulation de calcaire "secondaire" nécessite une dissolution préalable d'un matériau carbonaté, soit dans les horizons supérieurs d'un profil, soit en position amont dans une séquence de sols ; ce phénomène est particulièrement développé dans les sols des régions méditerranéennes et semi-arides où il aboutit à la formation de croûtes et encroûtements calcaires extrêmement importants (voir cours "Pédologie approfondie"). L'enchaînement des processus de dissolution et de reprécipitation de la calcite dans les sols est lié aux conditions de milieu déterminant la solubilité du CaCO3. Pour rappel, la solubilité du carbonate de calcium dans l'eau augmente lorsque la pression partielle en CO2 croît : pour une pression partielle de 0,0033 atm, 117 mg de CaCO3 sont dissous par litre d'eau ; lorsque la pression partielle est de 0,1 atm (cas fréquent dans les sols), la solubilité du CaCO3 s'élève à 390 mg L-1. Par ailleurs, la température affecte également la solubilité de la calcite : celle-ci décroît au fur et à mesure qu'augmente la t°. A titre d'exemple, 49 mg L-1 sont solubles à 25°C, 60 mg L-1 à 15°C et 84 mg L-1 à 0°C, pour une pression partielle en CO2 de 0,0003 atm. Rôles du CaCO3 dans les sols

Le CaCO3 (mais aussi les ions Ca2+ qu'il libère en plus ou moins grande abondance) induit une série de propriétés qui, des points de vue agronomique, peuvent être considérées comme favorables ou défavorables :

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- Propriétés favorables La présence de carbonates influence fortement la réaction du sol, les sols carbonatés se distinguant par un pH toujours supérieur à 7. Un tel pH est bien entendu favorable au point de vue de l'activité biologique et notamment celle des lombricidés et de beaucoup de bactéries. D'où la pratique du chaulage dans les terres de culture et plus exceptionnellement en milieu forestier. Par l'intermédiaire des ions Ca2+ qui sont abondamment libérés lors de leur dissolution, les carbonates jouent un rôle important dans la structuration des sols et la stabilité de cette structure. La présence de CaCO3 dans les sols a donc généralement un effet bénéfique sur la porosité, la perméabilité, la résistance à la battance, etc. - Propriétés défavorables Le pH élevé (compris habituellement entre 7 et 8,5) a pour effet de déterminer une absorption déficiente de certains oligoéléments : manganèse ("chlorose manganique"), zinc, cuivre, bore, etc. Lorsque le taux de calcaire actif est supérieur à 7 % (anciennement la valeur seuil était de 10 %), on observe également une adsorption déficiente du fer : c'est la chlorose ferrique. Le pouvoir chlorosant des sols carbonatés constitue donc un important facteur limitant dont il faut tenir compte lors de leur utilisation, notamment dans les domaines de l'arboriculture et de la viticulture18. L'insolubilisation du phosphore sous forme de phosphate tricalcique insoluble est classique en terre calcaire. C'est le phénomène de rétrogradation apatitique du phosphore, les phosphates insolubilisés évoluant vers la carbonate-apatite. Cette insolubilisation se manifeste à des valeurs de pH > 8. La surabondance d'ion Ca2+ peut avoir pour effet une adsorption déficitaire en Mg2+ et K+. On considère habituellement que la balance cationique optimale Ca/Mg doit être voisine de 12/1. Lorsqu'ils précipitent, les carbonates secondaires peuvent, par occlusion partielle ou totale de fragments organiques qu'ils mettent à l'abri de l'activité microbienne, déterminer une baisse très nette des taux de minéralisation de l'azote et donc limiter sérieusement la disponibilité en cet élément. Enfin, bon nombre de sols carbonatés sont des sols superficiels et pierreux (les Rendzines par exemple), parfois à profondeur utile limitée et à faibles réserves hydriques, ce qui peut réduire plus ou moins sensiblement leurs capacités de production.

18 Pour apprécier au mieux le risque de chlorose ferrique, Juste et Pouget (1972) ont proposé un indice de

pouvoir chlorosant (IPC) qui combine la mesure du calcaire actif et celle du fer extractible par le même réactif (oxalate d'ammonium) : IPC = CaCO3 actif × 104 / (Feox)

2 (avec CaCO3 actif exprimé en % et Feox en ppm). Ces auteurs ont fourni une échelle de résistance des porte-greffes utilisée couramment en viticulture ; le risque de chlorose est important lorsque IPC > 60.

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1.3.5. Sulfates et chlorures Il s'agit de sels solubles19 (particulièrement les chlorures), en sorte qu'ils se rencontrent surtout dans les sols des régions semi-arides ou arides. C'est le cas notamment dans les dépressions endoréiques où se concentrent les sels solubles (formation d'évaporites). En absence de lessivage, les remontées capillaires engendrent des efflorescences salines résultant de la cristallisation des sels à la surface des sols dits "halomorphes". A l'opposé, dans nos régions, un apport de sels solubles dans les sols est rapidement éliminé par les eaux de percolation. Les sels les plus fréquents sont l'halite (NaCl ), déterminant les efflorescences blanches des sols de type Solontchaks ("salins blancs"), le sulfate de sodium (Na SO2 4 ) et le gypse (CaSO H O4 22. ), ce dernier pouvant s'accumuler de façon notable dans les sols des régions arides (fréquemment sous un horizon d'accumulation de CaCO3).

19 Le terme "sels solubles" appliqué aux sols ne concerne que les constituants minéraux qui sont très solubles dans l'eau. Un sol normal (non salin) est caractérisé par une teneur en sels solubles < 3 cmolc kg-1 de sol et une conductivité électrique de l'extrait de pâte saturée < 2 mmho cm-1 (à 25°C).

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2. L A F R A C T I O N O R G A N I Q U E D U S O L

2.1. GENERALITES

La fraction organique du sol, bien que ne représentant que quelques % de la masse totale du sol, joue un rôle physico-chimique capital et est souvent déterminante au point de vue de sa fertilité. Elle est toutefois constituée d'un ensemble de substances de natures et de propriétés très variées. Comme le font remarquer Chamayou et Legros (1989), "leur seul point commun, outre leur caractère organique est qu'elles font partie de la chaîne des réactions chimiques ou biochimiques qui jalonnent la décomposition dans le sol des débris végétaux ou animaux préalablement incorporés". Les teneurs en matière organique des sols sont extrêmement variables : moins de 0,1 % dans les sols des régions arides à près de 100 % dans les sols hydromorphes tourbeux. Les horizons culturaux (Ap)20 des régions tempérées contiennent en moyenne 2 % de matière organique, les horizons hémiorganiques Ah des mull forestiers 5 %, des moder environ 10 % (répartis toutefois sur quelques cm d'épaisseur seulement) et les Ah des Chernozems des régions steppiques également près de 10 % , mais répartis ici sur plusieurs dm de profondeur. Dès que la teneur en matière organique d'un horizon dépasse 30 %, celui-ci est considéré comme étant holorganique (= horizon O). Les horizons profonds de la grande majorité des sols (horizons minéraux) ont des teneurs en M.O. inférieures à 0,1 %. Le contenu en matière organique des sols est influencé globalement par : - les facteurs climatiques, - la végétation, - la texture du sol, - les conditions topographiques, influençant le microclimat et le drainage, - les pratiques culturales. Quant à l'évolution des matières organiques dans le sol, elle se caractérise par un grand nombre de mécanismes et de voies de transformation qui interviennent simultanément.

20 Ap : horizon cultural (de labour) ; p = anglais plough, labourer.

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2.2. ORIGINE DE LA MATIERE ORGANIQUE DU SOL

En majorité d'origine végétale (à concurrence de 95 à 99 %), les sources de matière organique sont différentes à la fois d'un point de vue quantitatif et qualitatif. - Au point de vue quantitatif : les restitutions annuelles de différents types de milieu sont bien entendu fort variables. Les données reprises ci-dessous fixent quelques ordres de grandeur, en tonnes de matière sèche par hectare et par an (d'après Duvigneaud, 1980 et Gaucher, 1981) : Litières Résidus racinaires Forêts feuillues 2,5 - 4 2,3 - 2,5 Forêts résineuses 4 - 6 1,2 - 1,3 Forêts équatoriales 12 - 15 ? Steppes à Stipa 0,4 - 1,4 8 - 9 Prairies 1 - 3 6 - 7 Céréalicultures (chaumes) 0,5 - 1 1,5 - 2 Le mode de restitution est également très différent selon qu'il s'agit d'une formation forestière (restitutions aériennes par l'entremise des litières) ou herbacée (restitutions aériennes + restitutions souterraines d'origine racinaire). - Aspect qualitatif : on se référera au tableau 10 donnant la composition de différents organes végétaux d'origines diverses. Les résidus végétaux sont formés essentiellement de polysaccharides (celluloses, hémicelluloses et pectines) et de lignines. En règle générale, les formations forestières sont à l'origine d'un apport de débris riches en lignine, alors que les formations herbacées le sont en cellulose. Litières forestières Bois

de Pinus Chaumes

de céréales Feuilles

de Trifolium Racines de Medicago

Racines d'Agropyrum

Pinus Picea Betula Protides 16 7 6 - - 22 13 8 Amidon - - - - - 3 18 - Pentoses - - - 11 25 - - - Hémicellulose 18 22 26 - - 8 12 23 Cellulose 17 14 14 44 38 15 21 25 Lignine 42 39 39 29 24 4 9 18 Cendres 3 8 5 1 5 - - -

Tableau 10.

Composition de différents organes végétaux, en % de la matière sèche (d'après Scheffer et Schachtchabel, 1973).

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2.3. COMPOSITION DE LA FRACTION ORGANIQUE DU SOL La fraction organique du sol est excessivement complexe et il faut être conscient que certaines subdivisions sont parfois arbitraires. On distingue habituellement au sein de la matière organique du sol les catégories suivantes (voir aussi le schéma hors texte) : 1. Débris végétaux peu transformés, à structure encore organisée ; l'appellation "matière organique fraîche" est consacrée à cette fraction qui peut comprendre des feuilles, des tiges, des racines mortes, des résidus de récolte, des exsudats foliaires et racinaires, mais aussi des cellules microbiennes mortes. 2. Matière organique fortement transformée, d'origine végétale, animale ou microbienne ; il s'agit de substances humifiées regroupées fréquemment sous le terme "humus" (au sens strict) ou matière organique humifiée. C'est la composante principale du carbone du sol (60 à 70 % du C total du sol, sauf dans certains horizons holorganiques). 3. Produits de composition intermédiaire entre 1 et 2, c'est-à-dire encore plus ou moins proches de la matière organique peu transformée. 4. Composés organiques hydrosolubles, généralement de structure "simple" ou tout au moins de composition chimique déterminée : acides aminés, acides organiques, glucides, polyphénols, etc. Ensemble de substances carbonées parfois regroupées sous le vocable de "substances non humiques". 5. Biomasse du sol : pédofaune (à l'exclusion de la macrofaune), mais surtout microorganismes (bactéries, champignons, actinomycètes, fungi imperfecti). Dans les terres arables, la biomasse microbienne peut représenter de 1 à 3 % du carbone total du sol. Parmi toutes ces composantes de la fraction organique du sol, les substances humiques sont sans conteste les plus importantes et ce pour deux raisons majeures : 1) les composés humiques présentent une forte réactivité vis-à-vis des minéraux argileux, des oxyhydroxydes et des cations. 2) leur structure biochimique, très complexe, leur assure généralement une stabilité plus grande que les composés carbonés originels dont ils dérivent ; leur vitesse de décomposition (= de minéralisation) est donc souvent beaucoup plus faible que celle des substances carbonées non humifiées. En d'autres termes, les substances humiques ont une "durée de vie" (ou "temps de résidence") beaucoup plus longue dans le milieu édaphique que les composés carbonés dont ils sont issus. En outre, les composés humiques sont des substances hydrophiles et présentent de ce fait une importante capacité de rétention pour l'eau, particulièrement appréciable en sol sableux.

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66

En règle générale, les composés humiques sont des substances de couleur foncée,

hydrophiles, à caractère acide et d'une grande complexité chimique, avec dominance des

structures aromatiques. 2.3.1. Composition de la fraction humifiée Les études analytiques de la fraction humifiée du sol (humus sensu stricto) se sont toujours heurtées à une double difficulté : 1) les composés carbonés humifiés sont extrêmement complexes au point de vue structural et ne répondent pas à des compositions chimiques bien déterminées. 2) ces mêmes composés sont liés de façon plus ou moins forte avec la fraction minérale du sol et particulièrement les minéraux argileux et les oxyhydroxydes ; il est donc souvent très difficile d'isoler correctement les macromolécules carbonées. Un simple inventaire des composés humiques d'un sol constitue donc une opération délicate d'un point de vue analytique. En conséquence, les propriétés de la matière organique du sol sont encore mal connues, incomplètement comprises ou peu étudiées en dépit de l'intérêt agronomique et écologique qu'elles présentent. On regroupe en fait sous le nom de composés humiques un large spectre de constituants organiques dont certains sont des substances organiques transformées, ayant leurs équivalents intacts dans les cellules végétales ou microbiennes, les autres des produits de néosynthèse. A cela il faut ajouter de nombreux produits transitoires. Quoiqu'il en soit, ces composés humiques sont des constituants spécifiques des sols et des sédiments car ils présentent toujours des caractères différents des polymères organiques qui proviennent d'autres sources naturelles. 2.3.2. Etude biochimique de la fraction humifiée Elle consiste principalement en un fractionnement, un isolement et une identification des principaux constituants carbonés. Le préalable indispensable est l'extraction des composés humiques d'un échantillon de sol. La structure, les propriétés chimiques et colloïdales de ces composés ne peuvent en effet être étudiées qu'après séparation de cette fraction organique de la fraction minérale du sol. Cette séparation préliminaire s'effectue par extraction sélective de différentes fractions organiques dont on cherche ensuite à déterminer la composition biochimique et les propriétés physico-chimiques. La grande difficulté au point de vue analytique réside dans le risque d'altération des constituants humiques au cours de l'extraction, par le biais de processus d'hydrolyse ou d'oxydation (→ artefacts expérimentaux). En règle générale, plus un extractant est efficace, plus grands sont les risques précités... Sur le plan des techniques on a donc cherché à sélectionner des extractants "doux" mais néanmoins suffisamment efficaces. Si des progrès substantiels ont été réalisés au point de vue des processus et des agents d'extraction, ces derniers restent toutefois dans une large mesure empiriques.

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Le protocole "classique" de fractionnement de la matière organique du sol est basé sur la solubilité des humates alcalins et particulièrement des humates sodiques. Pratiquement, le fractionnement est basé sur la solubilité différentielle de diverses fractions organiques. Le schéma du procédé de fractionnement habituel est le suivant (fig. 31) :

Fig. 31.

Protocole de fractionnement de la matière organique du sol. 1. Fractionnement proprement dit : extraction différentielle + séparation des fractions. 1.1. Prétraitements (facultatifs) : extraction de la fraction soluble dans l'eau (= acides créniques) ou dans l'alcool (= acides hymatomélaniques). 1.2. Fractionnement physique : séparation densimétrique dans une liqueur de densité 1,8 (mélange alcool + bromoforme) avec traitement aux ultrasons. On sépare de la sorte une fraction légère et une fraction lourde : la première correspond à ce que l'on appelle la matière organique libre (c'est-à-dire peu décomposée, proche de la M.O. fraîche et non liée à des constituants minéraux tels que des argiles ou des oxyhydroxydes), la seconde à la matière organique liée à la fraction minérale par ses groupes fonctionnels (et donc de densité supérieure à 1,8). 1.3. Extractions successives par des agents alcalins : des solutions alcalines telles que NaOH (0,1 à 0,5 N) ou Na4P2O7 (pyrophosphate 0,1 à 0,5 M) solubilisent certains composés carbonés à des pH voisins de 10. Ces agents alcalins extraient approximativement les 2/3 de la matière organique humifiée. Dans certains cas, on utilise plutôt des agents chélatants (EDTA ammoniacal à pH 7) dont l'action est plus spécifique et permet d'extraire les composés organiques liés au fer et à l'aluminium. 1.4. Précipitation de la fraction humique en milieu acide : par adjonction d'acide (HCl jusqu'à pH 2), on provoque la dénaturation d'une partie des composés humiques qui peuvent alors être séparés par centrifugation de ceux qui restent en solution. 2. Purification des fractions extraites par élimination des argiles, des cations (résines échangeuses, dialyse), etc. Ultra-centrifugation et lyophilisation des extraits purifiés.

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A l'issue de ce procédé de fractionnement, on obtient donc trois grandes catégories de produits humifiés : 1) Une fraction non extractible par les réactifs alcalins = HUMINE. 2) Une fraction extractible en milieu alcalin mais insoluble dans les acides = ACIDES HUMIQUES. 3) Une fraction extractible en milieu alcalin et soluble dans les acides = ACIDES FULVIQUES. Les premiers chercheurs étaient persuadés que chacune de ces trois fractions correspondait à des composés chimiques de compositions différentes. On sait aujourd'hui que ces fractions ne sont nullement des entités biochimiques bien déterminées et qu'il s'agit en l'occurrence d'un mélange, encore assez mal connu, de nombreux composés organiques. En d'autres termes, les propriétés physiques et chimiques de ces fractions ne peuvent pas toujours être traduites en termes de structure moléculaire. Les recherches des 20 dernières années ont cependant permis d'aboutir à une meilleure connaissance de la composition biochimique des 3 fractions précitées et de proposer un modèle structural élémentaire (fig. 32). Il est apparu que d'un point de vue structural les 3 fractions (acides fulviques, humiques et humine) sont plus ou moins identiques mais diffèrent assez nettement par leurs poids moléculaires, leurs teneurs en C, O et N ainsi que par leurs groupes fonctionnels (tableau 11 et fig. 33).

Tableau 11.

Composition chimique élémentaire et groupes fonctionnels d'acides humiques (AH) et fulviques (FA) "types" (Schnitzer, 1977).

La structure de la macromolécule humique "type" se ramène schématiquement à un

nucleus central à caractère aromatique prononcé (riche en unités aromatiques de type polyphénoliques ou hydroxyquinoniques) sur lequel sont fixés avec une fréquence de distribution variable selon le type de composé humique (AH, AF ou humine), des chaînes

latérales polypeptidiques, protéiques ou de type polysaccharide ou polyuronide.

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Fig. 32.

Structure hypothétique d'un acide humique (d'après Mortdvet et al., 1972).

Les poids moléculaires de tels édifices varient de quelques centaines à plusieurs centaines de milliers ; selon Stevenson, le P.M. des AF est compris entre 500 et 2.000 (2.000 à 3.000 selon d'autres auteurs), celui des AH entre 50.000 et 100.000 (3.000 à 300.000). Ce qui, structurellement, distingue très probablement les AF d'une part, des AH et de l'humine de l'autre, c'est le rapport nucleus/chaînes latérales, le nucleus aromatique étant plus développé chez les seconds. Il est clair que la structure des substances humiques est complexe puisqu'elle résulte d'une polycondensation d'un grand nombre de composés susceptibles de réagir les uns avec les autres. Il convient d'ajouter que les chaînes latérales sont assez aisément biodégradables (composante labile), par opposition au nucleus aromatique qui est beaucoup plus stable vis-à-vis de la dégradation microbienne. L'azote étant présent à la fois dans les chaînes latérales de nature peptidique et dans les hétérocycles de la structure aromatique, sa disponibilité sous forme d'azote minéral assimilable pour les végétaux sera donc diminuée dans le cas de composés humiques à fort degré de polymérisation et à caractère aromatique prononcé. 2.4. ORIGINE DE LA FRACTION HUMIFIEE ET PROCESSUS

D'HUMIFICATION

Au sens large, l'humification correspond à l'ensemble des processus de transformation de la matière organique restituée au sol.

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Fig. 33.

Fractionnement de la M.O. du sol et substances humiques, montrant la variation de certaines propriétés dans la séquence AF → Humine (d'après Greenland et Hayes, 1978).

Ces processus de transformation sont de deux types : - un processus de minéralisation, - un processus d'humification au sens strict. Ces deux processus sont schématisés dans la figure 34. Il s'agit, dans une certaine mesure, de deux processus "antagonistes", puisque la minéralisation entraîne la décroissance du taux de matière organique du sol alors qu'à l'opposé, l'humification, en rendant les composés organiques plus résistants à la biodégradation, a tendance à stabiliser le taux humique. En réalité dans un horizon humifère arrivé à maturité, restitution, minéralisation et humification s'équilibrent.

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Fig. 34.

Processus d'humification et de minéralisation. (HR = humine résiduelle ; HI = humine d'insolubilisation ; HM = humine microbienne : explications dans le texte)

2.4.1. Le processus de minéralisation Il est capital au point de vue du recyclage des éléments contenus majoritairement dans la fraction organique : azote (formes minérales : N.NO3 et N.NH4) et éléments associés (phosphore, soufre, oligoéléments), les rendants disponibles pour la végétation. Ce processus de minéralisation affecte aussi bien les composés organiques peu transformés que la fraction humifiée du sol. Mais si la matière organique "fraîche" est rapidement dégradée sous l'action des organismes du sol, les composés humiques sont quant à eux minéralisés plus lentement, cette fraction étant de par sa composition plus résistante à la biodégradation. A terme, la minéralisation aboutit à la libération de composés minéraux simples et solubles (NO3

-, NO22-, NH4

+, H2PO4-, HPO4

2-, SO42-,...) ou libérés à l'état gazeux (NH3 , CO2).

La libération de CO2 correspond à ce que l'on appelle la "respiration du sol" ; elle est le reflet de son activité biologique et microbiologique. La pédofaune joue un rôle de premier plan dans la décomposition initiale de la matière organique fraîche en assurant la fragmentation des tissus végétaux et en accroissant par

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conséquence leur surface d'attaque (rôle des lombricidés dans les humus de type mull, des microarthropodes phytophages dans les moders). A titre d'exemple, on a pu calculer que la transformation en matériel fécal d'une aiguille de pin par des microarthropodes permettait de passer d'une surface initiale de 180 mm2 à 1,8 m2. Cette augmentation de surface (de 1 à 10.000) est d'autant plus importante qu'elle s'accompagne souvent d'une mise en contact, lors du transit intestinal, avec les minéraux argileux du sol (géophagie). Les transformations ultérieures, de nature enzymatique, sont assurées par l'activité microbienne et fongique. Les champignons assurent généralement avec les Actinomycètes la minéralisation des résidus végétaux les plus résistants. Trois types de dégradation enzymatique dominent dans les sols : - La cellulolyse qui libère des glucides simples (hexoses, pentoses), des acides uroniques et de l'acide galacturonique au départ des polysaccharides (cellulose, hémicellulose) et des polyuronides (pectine) constituant les parois cellulaires. La cellulolyse est essentiellement le fait d'organismes microbiens et elle est particulièrement rapide lorsque les conditions de milieu sont favorables ; elle peut aussi être assurée très efficacement dans les litières forestières par des champignons qui sont aussi des ligninolytiques ("pourritures blanches", voir ci-dessous). - La protéolyse du contenu cytoplasmique des cellules végétales et bactériennes. Cette hydrolyse enzymatique libère des polypeptides et des acides aminés. La protéolyse est également assurée par des agents bactériens. - La ligninolyse des parois et des tissus lignifiés des végétaux. Il s'agit d'un processus beaucoup plus lent car la lignine est une macromolécule polyphénolique très stable et donc difficilement biodégradable. La transformation partielle ("pourritures brunes") ou complète ("pourritures blanches") de la lignine est assurée essentiellement par des champignons et aboutit à terme à la libération de composés phénoliques simples ("monomères"). Les produits issus des trois processus de dégradation enzymatique précités sont soit assimilés par les organismes du sol, soit intégrés aux macromolécules humiques et notamment les dérivés de la lignine (voir ci-dessous). 2.4.2. Le processus d'humification Il s'agit de l'humification au sens strict, c'est-à-dire la formation de substances humiques, polymères de poids moléculaires élevés et plus stables que les produits de départ. La biochimie des processus de transformation des résidus végétaux reste l'un des domaines de la chimie des humus les moins bien connu. Les premiers travaux importants à ce sujet remontent cependant à 1930 (Waksman).

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Les principales voies de synthèse de la matière organique humifiée (reprises dans le schéma de la figure 35, modifié d’après Stevenson) sont les suivantes : - Altération oxydative de la lignine (voie 1 de la fig. 35) : Il s'agit de la théorie classique de Waksman (1932), connue également sous le nom de "Lignin-protein theory". Les substances humiques dérivent directement de la lignine dont elles ne sont que des formes modifiées par auto-oxydations ou par oxydations enzymatiques dues à l'action microbienne (pertes de groupes méthyl, formation de radicaux hydroxyphénoliques et carboxyliques,...). Le résidu lignifié plus ou moins transformé et non utilisé par les microorganismes se recombine alors avec des composés azotés d'origine microbienne pour former des AH ou de l'humine au sein desquels l'azote se trouve inclus dans des cycles aromatiques. Les auteurs français désignent ces composés humiques sous le nom d'humine

résiduelle ou humine héritée. La fragmentation et l'oxydation des AH ou de l'humine donnerait alors les AF. - Théorie polyphénolique (fig. 35 : voies 2 et 3) : Cette théorie est due à Flaig (1966). Sous l'action enzymatique des microorganismes du sol, une série de constituants sont libérés à partir des résidus végétaux, lignine comprise. Ces produits de décomposition sont essentiellement des polyphénols, soit de décomposition directe de la lignine (voie 3), soit de néosynthèse microbienne ou fongique au départ de produits initiaux non lignifiés (cellulose transformée en polyphénols de synthèse par exemple)(voie 2). Par ailleurs, certains végétaux fourniraient directement des composés phénoliques (diphénols des feuilles de Calluna, composés phénoliques mélanisants du noyer). Ces composés phénoliques sont ensuite transformés par oxydation enzymatique en quinones dont la polymérisation en présence de composés aminés engendre des macromolécules de type humique (humine d'insolubilisation). Il semble que des bactéries, des actinomycètes et surtout des champignons contribuent activement au processus d'oxydation enzymatique et à la formation des groupes quinoniques. - Condensation de glucides aminés (fig. 35 : voie 4) : Les substances humiques proviendraient de l'oxydation non enzymatique des glucides issus du métabolisme microbien et de leur polymérisation progressive en présence de composés aminés (humine microbienne). Un tel processus semble favorisé par des alternances marquées de phases de dessiccation et d'hydratation du sol.

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Fig. 35.

Principales voies de synthèse de la matière organique humifiée (d'après Stevenson, 1982).

Les 4 voies d'humification décrites succinctement ci-dessus peuvent théoriquement se dérouler de façon concomitante, mais il est clair que les conditions stationnelles vont favoriser ou au contraire inhiber certaines d'entre elles. L'humification par transformation partielle de la lignine (voie 1) peut devenir dominante dans les milieux biologiquement peu actifs (sols très acides ou hydromorphes et à matière organique peu biodégradable : humus de type mor, tourbes). Au contraire, la synthèse des composés humiques dans les sols forestiers à humus de type mull, peut s'effectuer au départ des polyphénols fournis par la décomposition de litières plus aisément biodégradables (voies 2 et 3). Enfin, dans les sols formés sous climat à fort contraste saisonnier (cas des sols steppiques), la formation des composés humiques peut résulter en grande partie d'une condensation de glucides et de composés aminés (voie 4). L'importance relative de la lignine et des microorganismes comme source de composés phénoliques est inconnue ; elle dépend plus que probablement des conditions de milieu. Comme la lignine est un constituant majeur des débris végétaux et le plus résistant, elle est souvent considérée comme la source principale des monomères phénoliques. Il semble toutefois que les composés phénoliques de biosynthèse, d'origine bactérienne (+ Actinomycètes) ne soient pas du tout négligeables. En résumé, les composés humiques (AF, AH et humine) peuvent se former par les différents mécanismes précités. On considère cependant que le processus de condensation des composés phénoliques et des quinones qui en résultent (voies 2 et 3) est le plus probable sinon le plus fréquent.

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La diversité des molécules de type phénolique pouvant servir de précurseurs fait que le nombre de combinaisons possibles est réellement astronomique, d'où l'extraordinaire hétérogénéité de composition des composés humiques du sol. 2.5. INFLUENCE DES FACTEURS DU MILIEU SUR L'EVOLUTION DE LA

MATIERE ORGANIQUE DU SOL

Les conditions stationnelles influencent de façon décisive les cycles de minéralisation et d'humification. Elles déterminent notamment la genèse de composés humiques spécifiques ou tout au moins la répartition de ceux-ci dans une proportion déterminée, souvent caractéristique d'un type d'humus. Les conditions de milieu englobent à la fois des conditions climatiques (ou microclimatiques), la nature des roches-mères, la composition du couvert végétal, la topographie et les conditions de drainage, les pratiques culturales, etc. Les facteurs de station agissent de deux façons : 1) par action directe (climat, roche-mère, topographie,...) ; 2) par action indirecte via le type de couvert végétal. Les conditions climatiques affectent à la fois la vitesse de décomposition de la matière organique et le degré d'humification. En climat boréal, on assiste à un fort ralentissement de la décomposition de la matière organique fraîche, avec pour conséquence son accumulation à la surface du sol (horizons holorganiques O très développés dans les mors boréaux) ; en climat steppique c'est au contraire le processus d'humification qui devient prépondérant, générant des horizons hémiorganiques Ah épais et fortement humifiés (mulls chernozémiques à fort degré de polymérisation des acides humiques). La composition de la roche-mère ou du matériau parent détermine souvent le statut chimique du sol et donc la nature et le niveau de son activité biologique ou microbiologique (sols acides à faible activité vs sols neutres à forte activité) ; elle oriente donc l'humification dans l'une ou l'autre voie de synthèse précédemment décrite. La topographie influence le microclimat et le drainage du sol et peut créer des conditions d'anaérobiose plus ou moins prolongées avec pour conséquence une évolution de l'humification vers les humus très organiques et tourbeux. La végétation reflète très fidèlement les conditions stationnelles et constitue la "matière première" des humus ; par la nature (litières de feuillus, de résineux, ...) et l'abondance des restitutions, le couvert végétal orientera donc l'humification dans une voie déterminée. Pour rappel, en milieu forestier, l'action conjointe des différents facteurs stationnels précités se traduit par un type d'humus déterminé. Ces types d'humus (dont les trois formes principales sont le mull, le moder et le mor) peuvent être caractérisés par des critères morphologiques, chimiques et biochimiques. La morphologie des types d'humus (fig. 36 et 37) concerne notamment l'importance relative des horizons holorganiques O (anciennement A0 : Ol = horizon de litière, Of = horizon

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de fragmentation, Oh = horizon humifié), contenant plus de 30 % de matière organique et hémiorganiques Ah (anciennement A1), qui donne une indication sur la vitesse de décomposition de la matière organique et sur son degré d'incorporation à la fraction minérale (reflet de l'activité biologique).

Fig. 36.

Représentation schématique d'un humus forestier (d'après Babel, 1971).

Les caractéristiques chimiques (pH, taux de saturation, rapport C/N,...) des principaux types d'humus sont reprises au tableau 12. Quant aux caractéristiques "biochimiques", elles concernent la proportion des différents constituants humiques : AF, AH et humine. Un exemple de fractionnement des composés humiques de quelques types d'humus forestiers est donné dans la figure 38.

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Fig. 37.

Représentation schématique de quelques types d'humus (d'après Brun, 1979 et Babel, 1971).

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pH-eau S/T C/N CaCO3 total Nm/Nt N.NO3/Nm % % % % Mull calcaire > 7 100 10 - 12 oui < 1 100 Mull eutrophe 6 – 7 100 10 - 12 non < 1 100 Mull mésotrophe 5 – 6 50 - 60 ± 13 non 3 - 5 ± 60 Mull oligotrophe 4,5 – 5 15 - 30 12 - 15 non 4 - 6 ± 30 Moder 4 – 5 < 20 15 - 25 non 2 - 4 ± 10 Mor 3,5 – 4,5 <10 20 - 30 (Ah) non ± 3 ± 2 > 20 (O)

Tableau 12

Caractéristiques analytiques des principaux types d'humus forestiers.

(S/T = taux de saturation apparent ; Nm/Nt = taux de minéralisation potentiel de l'azote ; N.NO3/Nm = taux de nitrification potentiel)

Fig. 38.

Fractionnement des composés humiques de quelques humus forestiers (horizons Ah, fractions liées). La surface des cercles est proportionnelle à la quantité globale de composés humiques (d’après Bonneau et Souchier, 1979). La classification et les principales caractéristiques analytiques des grands types d'humus, essentiellement forestiers, sont données p. 79.

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(extrait de « Pédologie 2. Constituants et propriétés du sol. » Bonneau M. et Souchier B., Ed. Masson, 1979).