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Premières poésies (cahier de Douai) Sensation, Soleil et chair, Ophélie, Bal des pendus, Le châtiment de Tartufe, Le forgeron , Venus anadyomène, Première soirée, Les réparties de Nina, Les effarés, Roman, Rage des Césars, Rêvé pour l'hiver,, Le dormeur du val, Au cabaret vert, La Maline, L'éclatante victoire de Sarrebruck, Le buffet, Ma bohème Sensation 1-Un rêve d'adolescent fugueur 2-Bonheur et liberté 3-Femme et nature Commentaire C'est avec ce court poème de deux quatrains que Rimbaud commence alors qu'il n'a pas encore 16 ans ses premiers exercices de poésie. A cet âge notre jeune poème a encore des sensations que ressentent bien des jeunes de cet âge, la quête d'un premier amour, le bonheur dans la nature, les promenades romantiques. 1-Un rêve d'adolescent fugueur Le jeune poète annonce son projet pour l'été qui arrive, il ira dans les sentiers, au cœur de la nature pour laisser travailler tous ses sens, le toucher, l'odorat. Étrange titre que celui de sensation au singulier que l'on retrouve plutôt au singulier dans faire sensation, on peut aussi bien entendre ce titre dans ce sens, faire sensation en fuguant. A la suite de verbes d'action, on trouve des verbes que l'on peut qualifier d'inaction, comme l’indique la negation, en un vers binaire "je ne parlerai pas, je ne sentirai rien". La référence spatio- temporelle du premier vers évoque des paysages idylliques comme souvent en rêvent les adolescents, des ciels bleus d'été de romances amoureuses, des paysages sauvages, déserts. Les futurs, les pluriels indiquent la multitude des idées de destination possible et leur réalisation dans un avenir imprécis, on sait que ce sera l'été sans autre précision, la période des vacances scolaires car notre jeune poète est toujours scolarisé. 2 Bonheur et liberté La liberté est inséparable de la notion de bonheur. Il y a toujours un départ chez notre bohémien, un affranchissement des contraintes, un éloignement de la famille, une errance. Ce départ est mis en relief dans le premier quatrain par

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Premières poésies (cahier de Douai)Sensation, Soleil et chair, Ophélie, Bal des pendus, Le châtiment de Tartufe, Le forgeron , Venus anadyomène, Première soirée, Les réparties de Nina, Les effarés, Roman, Rage des Césars, Rêvé pour l'hiver,, Le dormeur du val, Au cabaret vert, La Maline, L'éclatante victoire de Sarrebruck, Le buffet,  Ma bohème

Sensation 1-Un rêve d'adolescent fugueur 2-Bonheur et liberté 3-Femme et natureCommentaire C'est avec ce court poème de deux quatrains que Rimbaud commence alors qu'il n'a pas encore 16 ans ses premiers exercices de poésie. A cet âge notre jeune poème a encore des sensations que ressentent bien des jeunes de cet âge, la quête d'un premier amour, le bonheur dans la nature, les promenades romantiques.1-Un rêve d'adolescent fugueur Le jeune poète annonce son projet pour l'été qui arrive, il ira dans les sentiers, au cœur de la nature pour laisser travailler tous ses sens, le toucher, l'odorat. Étrange titre que celui de sensation au singulier que l'on retrouve plutôt au singulier dans faire sensation, on peut aussi bien entendre ce titre dans ce sens, faire sensation en fuguant. A la suite de verbes d'action, on trouve des verbes que l'on peut qualifier d'inaction, comme l’indique la negation, en un vers binaire "je ne parlerai pas, je ne sentirai rien". La référence spatio-temporelle du premier vers évoque des paysages idylliques comme souvent en rêvent les adolescents, des ciels bleus d'été de romances amoureuses, des paysages sauvages, déserts. Les futurs, les pluriels indiquent la multitude des idées de destination possible et leur réalisation dans un avenir imprécis, on sait que ce sera l'été sans autre précision, la période des vacances scolaires car notre jeune poète est toujours scolarisé.2 Bonheur et liberté La liberté est inséparable de la notion de bonheur. Il y a toujours un départ chez notre bohémien, un affranchissement des contraintes, un éloignement de la famille, une errance. Ce départ est mis en relief dans le premier quatrain par des assonances en é, voyelle ouverte, pour traduite l'ouverture nécessaire à ce départ. J'irai au futur marque bien la décision volontaire de partir, de ne pas rester où il séjourne actuellement, chez ses parents, le Rimbaud fugueur apparaît déjà dans ces premières lignes. Cette liberté suppose un espace affranchi de toutes limites, qu'évoque le vagabondage, loin des routes et des chemins traditionnels fréquentés. Il ira par les sentiers, ces marques de passage à peine perceptibles à la lisière des champs, foulant même la végétation si nécessaire. Son départ se fera loin des autres, seul. Son voyage s'apparente à une fugue, il n'a ni destination ni durée précise, il veut aller, au hasard, très loin, vers une sorte d'infini, de voyage sans retour. La nature lui tient lieu de protection, elle est douce, ce sont des soirs bleus d'été avec un peu de fraîcheur aux pieds. Cette nature se prête, par les sensations visuelles et auditives qu'elle suscite, aux rêves et aux désirs, l'amour infini lui montera dans l'âme. Cette nature douce prend l'apparence d'une femme maternelle qui accueille l'enfant fugueur et lui offre l'assurance d'une complicité immédiate. Par la nature, il retrouve le même bonheur amoureux qu'avec une femme.L'auteur se rêve en vagabond,  comme un bohémien, une sorte de sans domicile fixe condamné à l'exil et à une errance sans fin dans cette nature accueillante qu'il traverse, parcourt dans tous

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les sens. La répétition de l'adverbe loin indique bien la détermination de Rimbaud dans sa fugue.3 Femme et nature Le rapport avec la Nature (que Rimbaud écrit avec une majuscule pour la personnifier ou la diviniser, à la manière des Romantiques) est décrit comme une forme d'amour, "Et l'amour infini me montera dans l'âme". La nature est assimilée à une femme, " heureux comme avec une femme". Le rapport entre l'homme et la nature en dehors du rapport amoureux est un rapport d'équilibre, que l'on retrouve dans le même nombre de rimes masculines (sentiers/pieds, rien/bohémien) que de rimes féminines pleines de délicatesse ( menue/nue, âme/femme). La disposition particulière en rimes croisées masculine d'abord et féminine ensuite donne au poème l'idée d'un croisement, d'une rencontre non seulement entre l'adolescent et la nature mais aussi avec l'amour. L'atmosphère douce et musicale de la nature donne une impression de bien-être et de bonheur qui rappelle étrangement le bonheur amoureux. Cet amour, c'est le bonheur de la rencontre, de l'entente, de l'harmonie avec la nature qui remplace une femme. Comme le suggère en outre le titre, l'image que l'adolescent se fait du bonheur est essentiellement sensuelle, subjective, individuelle et n'exige pas d'autre présence. Les sensations tactiles qui sont les plus souvent citées, "picoté", "fouler", "baigner", "fraîcheur", exigent un contact physique avec la nature, ces sensations ne peuvent exister que par le déplacement et non le rêve. Toute réflexion, toute conscience est exclue, " Je ne parlerai pas ; je ne penserai rien" vise à placer notre fugueur au cœur de la nature, dans sa plénitude sensorielle. Le bonheur est à ce prix, à la sensation pure, brute, non réfléchie ou imaginaire, voire pervertie par une interprétation subjective. On assiste par l'organisation syntaxique du dernier quatrain a une ascension progressive vers une exaltation sensorielle qui atteint son apogée au dernier vers. Dans le second quatrain, le premier vers, un alexandrin a un rythme régulier avec une césure à l'hémistiche. Le second vers se lit d'un seul tenant, ce qui allonge le rythme, mais le mouvement d'horizontal devient ascensionnel, on monte, ce qui exprime l'idée d'un effort, d'une intensité croissante. Ce mouvement ascensionnel commencé au vers précédent se poursuit "loin, bien loin" et déborde sur le vers suivant avec le rejet "De la nature" qui donne à la phrase une amplitude anormale et élargit le périmètre de vagabondage pour aboutir au but, un équilibre matérialisé par le double tiret "heureux comme avec une femme", un état d'harmonie, de bonheur parfait comparable à celui que l'on peut rencontrer après d'une femme qu'on aime.ConclusionDans ce court texte, on peut retrouve les sentiments d'une âme adolescente à la recherche du bonheur, le désir de s'évader du milieu familial, de se libérer des contraintes, de vagabonder dans la nature, de voyager. L'éveil de la sensualité s'exprime dans la quête de sensations que Rimbaud par timidité peut-être préfère trouver auprès de la nature qu'auprès d'une compagnie féminine. Sur ce dernier point Rimbaud ne changera pas. En mettant sensation au singulier, il n'est pas interdit de penser que cette fugue qu'il nous annonce ne fera pas sensation.

OphélieL'histoire d'Ophélie.Dans la tragédie Hamlet de Shakespeare, Ophélie est amoureuse d'Hamlet, qui simule la démence pour venger son père. Ophélie, délaissée devient folle et se noie. Hallali (de hara, par ici)Cri des chasseurs ou sonnerie de trompe annonçant que le cerf est aux abois, réduit à faire face aux chiens qui aboient et par similitude "être aux abois" c'est être dans une situation désespérée.Le Parnasse

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C'est une colline où siégeait Apollon et les muses. Les parnassiens puisent leur inspiration et leurs principes esthétiques dans la Grèce ancienne et la Renaissance. Ils s'opposent aux romantiques en refusant l'engagement politique et social. Rimbaud et BanvilleRimbaud envoya ses premiers textes à Banville. "Je serai Parnassien" s'exclame-t-il alors.

Le thème ShakespearienOphélie reprend le thème shakespearien de l'héroïne d'Hamlet, Ophélie, femme délaissée amoureuse d'un prince qui devient folle et se noie de désespoir. Le poème est composés de neuf quatrains d'alexandrins à rimes croisées avec une numérotation de trois chapitres inégaux, deux égaux de quatre quatrains chacun et le dernier d'un seul quatrain comme un refrain isolé. Cette forme donne au poème une allure de complainte. Le nom anglais d'Ophélie "Ophélia" repris par Rimbaud confirme l'identité du thème. Le manuscrit daté du 15 mai 1870 est joint à la lettre que Rimbaud envoya quelques 10 jours plus tard au poète Parnassien Banville. Dans Hamlet, l’héroïne de Shakespeare est amoureuse du prince, mais incapable de comprendre sa folle quête de la vérité, finit par sombrer dans la folie, quand elle se croit abandonnée de son amant, et par se noyer de désespoir.Un tableau "préraphaélite"Le premier groupe de quatrains fait penser à la toile de 1852 du peintre anglais, John Everett Millais un "préraphaélite" montrant le corps d’Ophélie, paumes et regards tournés vers le ciel, dérivant au fil de l’eau, le long de rives en fleurs. On retrouve la tradition picturale de la Renaissance florentine d’avant Raphaël, le goût de la nature, des sujets religieux, caractéristiques de l’école préraphaélite anglaise. Rimbaud brosse avec les couleurs un véritable tableau, joue sur le contraste du noir "l’onde calme et noire" et du blanc "fantôme blanc", adjectifs de couleur repris trois vers plus loin mais inversés. Comme dans le tableau du peintre anglais, Ophélie semble toujours vivante, avec les yeux ouverts. Morte transfigurée Ophélie apparaît ici comme une figure diaphane, une femme enfant, fille fleur, vierge sainte dans des voiles comparée à "un grand lys", la fleur virginale et mariale. L’horizontalité est dominante dans le tableau et donne une impression de paix, de sérénité, de lent glissement sur l'eau. Le poète joue sur les nombreuses allitérations en "l", consonne liquide pour rendre compte de la scène, le mot hallali avec ses trois l apparaît comme un point d'orgue à cette dérive fluviale. La nature comme dans une sorte d'harmonie universelle participe à la compassion, les lignes verticales des saules ou des aulnes se courbent devant le corps ou éprouvent des sentiments, les saules pleurent, les nénuphars soupirent. Les arbres, la végétation, les floraisons chères aux parnassiens envahissent le tableau préraphaélite, composant un chatoyant décor autour de la figure centrale. Que Rimbaud l’ait vu ou non, ou l’ait en tête, on apprécie cette "correspondance" entre l’art poétique et l’art pictural chère à Baudelaire.L'harmonie universelleLa musicalité savante des vers rimbaldiens, frissons, soupirs, ne pouvait que séduire le parnassien Banville, à qui ces vers sont adressés ou, plus tard, les symbolistes, avec Mallarmé épris de ces subtiles arabesques sonores. La complainte musicale commence avec les « hallalis» sons de cors avant la mise à mort de l'animal, les frissons des saules, le froissement des nénuphars, les plaintes de l'arbre, les soupirs des nuits. Le premier groupe de quatrains est une chanson triste, une plainte, un soupir, une berceuse funèbre et mélancolique. L’apprenti poète qui use ici de l'alexandrin classique et de son harmonie éprouvée joue dans un registre classique en multipliant les diérèses traditionnelles, mystérieux, Ophélia, visions, les assonances "an",

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"eu" et les rimes intérieures blanc/an/romances, les anaphores "voici plus de mille ans", les répétitions, sein, mille ans, blanc, noir. Les audaces ou dissonances sont imperceptibles et rares : deux rejets "brisait ton sein", "comme un grand lys". On remarque quatre pauses fortes, suspensions dramatiques ou silences musicaux que l'on trouvait déjà chez Hugo ou BaudelaireLa recherche rimbaldienneL’exercice de style pour brillant qu'il est n'est que factice et pur artifice pour donner à Rimbaud l'occasion de traduire son âme, celle du futur auteur du "Bateau ivre" et des "Illuminations" propre à tous les élans, à toutes les dérives. C'est ici qu'apparaît toute l'importance des tirets. Dans les vers détachés par les tirets, on finit par comprendre que le poète parle de lui. Rimbaud compare sa situation à celle d'Ophélie et juge son aventure poétique comme un drame existentiel, une quête aussi tragique que celle d’Ophélie et d’Hamlet. C’est le deuxième groupe de quatrains qui fait de l'héroïne Shakespearienne le double mythique du poète révolté. L’identification de Rimbaud à Ophélie est suggérée par le biais de l'apostrophe "ô pale Ophélia", par le tutoiement "tu mourus". La femme fleur du tableau apparaît comme une sœur jumelle semblable aux "poètes de sept ans". Ophélie dans sa quête d'amour et de liberté est devenue folle. Ophélie est comme lui une captive. Mais L'aliénation ne va pas sans "délires" ni "vertiges" ni "visions" ou "hallucinations", puisqu’elle est désir, nostalgie d'un ailleurs, révolte, évasion et libération "âpre liberté", fusion ou communion avec le mystère du monde. La noyade d’Ophélie est la dramatique métaphore de l'odyssée poétique à venir, celle du Bateau ivre, que parait annoncer le vers "c'est que la voix des mers folles, immense râle". Les images, les mots diffèrent singulièrement du premier au second groupe de quatrains : au tableau presque serein du début succède une scène de bruit et de fureur. Au lieu de flotter lentement au fil de l’eau, la "pâle Ophélia" est "par un fleuve emportée", sa chevelure tordue par les vents comme dans une sorte de "maelström" tragique mot qui sera employé dans le "Bateau ivre". Les sonorités sont plus âpres faisant appel aux dentales, "t'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté".Vision et folie en poésieLa quête poétique débouche à la fin sur la parole étranglée, sur un ultime et définitif silence, celui de l’enfant noyé, celui du "pauvre fou", celui du poète, victime de son "rêve". Dans les Illuminations on retrouvera l'incessante obsession d’unir le feu et la glace ; la neige fondue qui traduit l'œuvre éphémère anticipe l’échec irrémédiable de l’entreprise rimbaldienne, incapable de "changer la vie" et de renaître à un monde différent. La triste Ophélie ne peut que dériver sur le fleuve de la folie.ConclusionPoème d'apprentissage fidèle au Parnasse dont il reprend les expressions de Banville, il est inspiré par le drame d'Hamlet dont il reprend l'image d'Ophélie qui couronnée de fleurs décide de mourir en se noyant. A travers le charme de ce mythe shakespearien on voit poindre le Rimbaud d'une "Saison en enfer" et des "illuminations" qui parviendra à créer une nouvelle langue poétique

Les effarésRimbaud est un adolescent révolté qui accumule les fugues. Au cours de l'une d'elle il découvre un Paris misérable qu'Hugo avait décrit dans les " Misérables ", Rimbaud reprend le même thème et nous fait découvrir une scène de la misère des rues de Paris. Le poème en octosyllabes de 12 strophes avec alternance rythmique de vers de quatre pieds nous décrit cinq jeunes enfants de la rue en prise avec le froid et l'injustice de la société.1-Les enfants de la rue 

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Ils sont noirs par leur habillement sombre, mais aussi dans leur malchance d'être ainsi abandonnés, sans famille. Le lieu de leur regroupement, un soupirail par lequel s'échappe un peu de chaleur, de vie. Dans le sous sol, un boulanger jovial fait du pain. Les enfants prennent une posture naturelle pour éviter le froid, ils se blottissent les uns contre les autres, en rond autour de cette chaleur. Ils se contentent d'écouter le pain qui cuit car ils savent qu'ils n'y ont pas accès. Face à ces enfants transis de froid et misérables au milieu de la nuit un boulanger chante en confectionnant ses pains. Le pain, lui aussi chante, dans une sorte de bonheur collectif, d'harmonie universelle. Les enfants n'ont pas de chance, ils sont "noirs". Le mot "-misère !-", ici terminé par un point d'exclamation est encadré de deux tirets. Ces tirets qui ponctuent généralement les dialogues, et qui sont très nombreux chez Rimbaud, sont la marque d'une intervention plus personnelle de l'auteur. Rimbaud ajoute un tiret à la fin du mot pour accentuer sa compassion qu'il éprouve devant ces enfants couverts de givre etaffamés. Quel que soit le sens dans lequel nous la regardons, à droite ou à gauche, la misère apparaît dans toute son évidence et sa cruauté. Le boulanger, dans une première version sans majuscule, sera modifié avec une majuscule traduisant son importance sociale dans laquelle s'exprime toute la puissance d'un "fort bras blanc qui tourne la pâte et l'enfourne". Il a un "gras sourire" et "chante un vieil air". Pour les enfants, nul doute c'est un magicien. Son "vieil air" cache une certaine sagesse, en opposition à la naïveté des enfants. Puis on ouvre le four pour sortir le pain, la chaleur réconforte ces enfants qui entament une sorte de chorale. A cette sensation de chaleur dans la nuit glacée s'ajoute l'odeur agréable du pain. Même les grillons participent à ce concert. Même dans leur état de misère, ces enfants connaissent un moment de bonheur et chante des choses.2 Une poésie pleine de symbolesRimbaud emploie ici dans son poème divers symboles, passant de l'injustice sociale à la frustration maternelle ou à la lutte anticléricale. Les cinq petits agglutinés contre le grillage du soupirail sont miséreux, loqueteux, ils regardent "à genoux" dans une attitude de prière sortir le pain qu'il ne peuvent acheter, ils ont faim et froid avec leurs "haillons", Avec la voix "off" qui caractérise son intervention directe dans ses poèmes qu'il matérialise par des tirets ,"-" on sent comme un appel du cœur. A plusieurs reprises dans le poème on retrouve ces tirets pour nous signifier que c'est Rimbaud qui parle. On remarque un emploi fréquents des contrastes afin que le lecteur prenne conscience de l'écart entre deux réalités. En contraste à la blancheur de la neige, à la lumière dorée du four qui "illumine", à la dorure du pain, des enfants "noirs dans la brume", dans l'obscurité de la nuit. A cette noirceur, s'ajoute l'inaccessibilité du grillage du soupirail. Leur faim, leur désir de manger se traduit par leur avancée vers ce pain qu'il convoite, leur nez est maintenant collé au grillage. On peut voir dans les "trous" rimbaldiens du grillage, l'espoir entrevu comme chez Platon par ceux qui sont à l'intérieur de la grotte sombre et qui voit la lumière à l'extérieur. Ici la lumière est à l'intérieur, façon pour Rimbaud de renverser le mythe de la caverne. Rimbaud critique aussi la religion, lui reprochant le manque d'équité, l'injustice du sort de quelques uns comparé à d'autres. La religion est symbolisée par le "four" qui fournit le pain qui est aussi symbole de vie. Dieu se matérialise dans la chaleur et la lumière du four et fascine les enfants qui voient dans ce boulanger jovial comme un prêtre devant son tabernacle. Rimbaud voit la religion privilégier plus une pratique de subsides auprès de la bourgeoisie, qu'une aide aux déshérités. Les enfants sont à genoux, dans une attitudede prière mais leur appel n'est pas entendu, la religion est sourde à la détresse sociale. Nous sommes ici très loin d'un Jésus partageant le pain et des textes de la Bible dans lesquels il est écrit que tout le monde aura lepain. Le poète a toujours ressenti un manque d'affection de sa mère dans sa jeunesse, une "dure femme"…qui l'obligeait à lire la bible le soir, le livre du devoir.

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"chaud comme un sein", "blottis" nous renvoie à l'allaitement maternel. En étant collés au grillage du soupirail on imagine une frustration dans cet éloignement maternel.3-L'imitation des parnassiensUne bonne partie des premiers poèmes de notre apprenti poète de 16 ans nous apparaissent cependant dans le sillage des romantiques et des parnassiens. Le futur "voleur de feu" nous apparaît d'abord comme un "voleur de phrases" prises aux gloires en place, Baudelaire, Gautier, Banville. Banville a qui il demanda de lui tendre la main fut son modèle pendant ses premiers poèmes et lui a fourni non seulement une grande partie de ses thèmes, mais surtout un formalisme syntaxique et rythmique. Les thèmes des poèmes parnassiens sont toujours très clairs, il n'y a pas d'engagement social ou politique mais simple virtuosité d'auteur. En utilisant l'octosyllabe souvent utilisé dans les chansons ou mis en musique, en jouant sur la richesse des rimes, sur l'alternance rythmique des vers, Rimbaud réalise un exercice de style. Le premier vers a un rythme binaire 4/4 nous donnant un effet d'équilibre, d'harmonie qui brusquement s'accélère avec le rythme ternaire 3/3/2 du premier vers du second tercet "A genoux/cinq petits/-misère!-". On retrouve de très nombreuses assonances avec le son plaintif et étouffé "ou" (soupirail, tourne, enfourne, four, bouge, rouge, poutres) produisant un effet de martèlement créant l'impression d'inexorabilité, de fatalité de la condition miséreuse de ces enfants. Rimbaud ne réalise pas un témoignage mais un pur exercice de style sur le thème de la misère, dont le maître incontesté fut Victor Hugo.Conclusion Dans le sillage des parnassiens mais déjà riche en symboles, ce poème de Rimbaud que chacun aura un jour l'occasion de commenter n'en constitue pas moins un merveilleux exercice de style. Derrière les mots familiers, "cul", "culotte", "trou", et leurs images un peu plates se cachent plusieurs symboles qui constituent autant de doublages d'une réalité cruelle que chacun par un jeu transversal pourra interpréter selon sa propre sensibilité.VocabulaireEffarés : Qui ressent, manifeste un grand trouble, une grande peur. Effaré signifie à la fois étonné et inquiet. On est effaré de voir la misère.Soupirail : ouverture donnant un peu d'air et de lumière à un sous-sol.blottis : recroquevillés, repliés sur eux-mêmes.Grillons : insecte sauteur de couleur noire dont une espèce vit dans les cuisines et les boulangeries. Médianoche : littéralement traduit de l'espagnol, minuit. La mesa de medianoche, la messe de minuit à Noël. Repas que l'on fait au milieu de la nuit (par exemple, au retour d'un spectacle). A aussi un sens de noctambule. Lire l'excellent livre de Michel Tournier "Le médianoche amoureux". Revé

Plan1- Un rêve sentimental 2- La comédie de l'amour 3- L'éloge de la sensualité

Commentaire Rêvé pour l'hiver est le premier sonnet écrit par Rimbaud durant sa fugue en Belgique. On y observe ce qui est rare dans les sonnets, une alternance d'alexandrins et d'hexasylabes.

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L'inspiration se rattache, par le futur des verbes, aux réparties de Nina. Ce poème est inspiré par une curiosité et un désir naissant pour les femmes, on y découvre une vision des rapports amoureux qui prend l'allure d'un jeu de colin maillard, d'une fête teintée d'érotisme. Le minaudage de la jeune fille ne résiste pas à l'enthousiasme, à l'audace de notre adolescent. 1 Un rêve sentimentalRimbaud poursuit avec ce poème ce que l'on peut appeler un cycle sentimental commencé avec "Première soirée" et poursuivi par "Roman". Ces rêves s'appuient sur des expériences probables avec des serveuses de restaurant que l'on retrouve dans "au cabaret vert" ou dans "La Maline". Avec "Première soirée" la jeune fille est "fort déshabillée", avec "Roman" c'est une "demoiselle aux petits airs charmants", ce sont deux personnages idéalisés qui font frissonner le cœur de notre adolescent comme jadis Timothina Labinette dans "Un cœur sous la soutane". Le titre "Rêvé pour l'hiver" comporte un verbe au passé, "Rêvé" et une saison, l'hiver qui approche et qui en soit constitue une énigme supplémentaire dans le poème. Le poème est daté et plus encore localisé "en wagon du 7 octobre 1870". La date correspond à sa seconde fugue après la première du 29 août à Paris qui se termina en prison pour avoir voyagé en train sans billet. Rimbaud quitte la maison des tantes d'Izambard qui l'avaient recueilli et ou pendant le mois de septembre il recopiait ses poèmes. Il s'ennuie, la rentrée scolaire n'a pas lieu en raison de la guerre aux portes de Charleville. Il s'agit bien d'un rêve sentimental car la seconde fuite vers la Belgique se fait sans train cette fois, à travers champs. Le poème a une dédicace A***Elle, avec des étoiles pour masquer le nom, étoiles apparues dans "Un cœur sous la soutane". Les baisers et la couleur rose font leur retour. Étrange début pour un rêve que de commencer par un verbe au futur, "L'hiver nous irons". Tout diffère de la réalité qui est ici embellie, le wagon est de couleur roseet les siège en bois d'ordinaire sont ici recouverts de coussins bleus, ajoutant une note de confort au plaisir de se retrouver seuls, "nous serons bien". Ce wagon semble être un lieu d'aventures amoureuses passées, à chaque coin on en retrouve la trace sous la forme de nids de baisers. On remarquera la similitude entre baiser et becquée et entre le coin du wagon et le nid des oiseaux, lieux des amours. Rimbaud semble ressentir un bien être indéniable, un réel bonheur en compagnie de cette demoiselle. II-La comédie de l'amourLe jeu de l'amour et du désir commence par une mise en scène. Dans "Première soirée" ou "Roman", les rapports amoureux se limitaient à un échanges de regards troublés de cœur polissons. Ici "Tu fermeras l'œil" qui commence le second quatrain est une invitation à ne pas en rester là, mais à reconstruire les corps, à les deviner, à les imaginer au lieu de les observer, à les magnifier pour en retirer le plus de plaisir. Le rapport amoureux est basé sur la confiance, il faut chasser toute peur. Regarder le paysage nocturne, c'est courir le risque de faire revenir dans son imaginaire les vieilles légendes populaires de monstres. On a peur de la nuit car on ne discerne pas les choses qui nous environnent et tout devient suspect. Notre jeune poète s'est affranchi de cette peur depuis longtemps, en bohémien, il aime dormir à la belle étoile. En gardant les yeux ouverts, la demoiselle risque d'apercevoir par la vitre des monstres noirs, ou des animaux effrayants de la même couleur qui se confondent avec le paysage nocturne. Cette comédie de l'amour impose la plus grande sérénité.III L'éloge de la sensualité et de l'érotisme "Sensation", "Roman", "La maline" et ce poème font tous l'éloge d'une sensation ou d'une situation, ce sont des poèmes euphoriques décrivant un bonheur joyeux, l'union de deux âmes ou de deux corps. L'isolement d'un wagon dans la nuit est parfois le prétexte à des rapprochements heureux, à l'éveil de la sensualité. Tout le monde connaît le jeu "Colin

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maillard" consistant pour un joueur les yeux bandés à rechercher les autres et à le reconnaître, à tatons, le début du jeu commence aussi par "cherche". Il s'agit dans l'isolement de ce wagon de retrouver une araignée imaginaire qui courait sur le cou de la demoiselle et qui a du se dissimuler sous les vêtements. L'inclinaison de la tête est un geste d'appel bien connu que l'on fait pour inviter quelqu'un à se rapprocher. On s'imagine que ce jeu polisson devra être effectué en tatonnant ou en déshabillant la partenaire. On fera durer le jeu le plus longtemps possible car cette araignée imaginaire voyage beaucoup. C'est un poème plein de vigueur, d'audace, de liberté juvénile que rien ne doit troubler.ConclusionPour les habitués de Rimbaud, la lecture de ce poème plein d'enthousiasme pour l'éveil sentimental d'un adolescent peut surprendre. Mais c'est un rêve pour l'hiver, la saison froide et rien ne saurait refroidir les ardeurs des partenaires. Ce sont les premiers poèmes de Rimbaud qui ont été écrits avant sa troisième fugue pour Paris, à partir de laquelle, il connaîtra des mutations profondes. N'a-t-il pas demandé à Demeny le 10 juin 1871, de brûler tous ces vers qu'il fut assez sot d'écrire. Demeny a bien fait de ne pas les brûler, ce qui nous permet aujourd'hui d'apprécier son incroyable précocité poétique. Le dormeur du valPlan1-Une nature féérique2-La position inattendue du soldat3-Une berceuse hésitante4-Une mort omniprésente

On a tous appris par cœur à l'école le célèbre sonnet encore bien sage de Rimbaud. Mais derrière ce poème se murmure un cri de révolte contre l'horreur de la guerre, l'assassinat des jeunes soldats, le massacre de toute une jeunesse. Une lente approche dans un vallon ensoleillé conduit peu à peu le lecteur devant une découverte macabre qu'on assimilerait à un sommeil paisible. Une nature féerique Le premier quatrain dresse un cadre enchanteur dans une féerie de couleurs et d'illuminations. Le vallon parcouru par un cours d'eau est ici présenté par une périphrase « un "trou de verdure" endroit généralement propice aux idylles, aux rêves. Le mot "trou" du premier vers prépare déjà le dernier pour lui faire écho. La rivière, discrètement personnifiée comme la montagne, chante comme en signe de joie, d'allégresse. La joie de vivre de la rivière se manifeste en accrochant des objets aux herbes comme des guirlandes. L'audacieux rejet, "D'argent" met l'accent sur la richesse des jeux d'eau et de lumière. L'apparition du soleil, symbole avec l'eau de la vie pour la nature métamorphose les lignes et les volumes : la montagne est "fière" d'observer à ses pieds ses bienfaits comme ceux d'une mère nourricière. Le second rejet "luit" donne une sorte de gros plan, de synesthésie, de vertige des mouvements que la nature personnifiée fait éclater, l'eau mousse sous les rayons de soleil. Les rimes croisées, et non pas embrassées, les nombreux enjambements ou rejets, l'assonance en "ou" participent à ce bouillonnement visuel et sonore.La position inattendue du soldatCe qui surprend dans la position du personnage c'est d'être allongé dans l'herbe avec la tête à fleur d'eau. L'évocation du soldat nous désigne un être jeune, la "bouche ouverte" et la"tête nue"

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qui lui prête un aspect peu réglementaire, un être libre, insouciant, quelque peu naïf. La posture suggère plus l'oisiveté que le devoir militaire. Mais en y regardant de plus près, il nous est décrit comme un être malade "pale" dans un "lit". Il "dort" mais son sommeil est frappé d'ambiguïté car la bouche ouverte pourrait être autant celle d'un mort que celle d'un agonisant, et cette "nuque baignant" qui marque d'inertie, celle d'un corps abandonné plus qu'un corps qui s'abandonne. Il y a la même ambiguïté tragique dans la position d'un dormeur ou d'un gisant, dans cette étrange pâleur qu'accentuent la verdure et la lumière. La "nue" ajoute à l'indétermination car il peut s'agir d'un ciel de lit ou d'un drap mortuaire. Le "trou" ajoute encore à la confusion en rappelant le tombeau. La multiplication des couleurs froides (bleu, vert, pale, les rimes plus étouffées, moins vibrantes que dans le premier quatrain atténuent l'élan joyeux des premier3 5 versUne berceuse hésitanteLe premier tercet use de répétitions attentives, pleines de sollicitude, "il dort", "il fait un somme", "il a froid". La comparaison du sourire avec celle d'un enfant malade étonne, voire alerte le lecteur. L'adjectif "malade" détaché par un quasi-rejet à la césure conduit à un surprenant diagnostic "il a froid", La construction parataxique "il dort", "il fait un somme", "il a froid" apparaît pour ce qu'il est ou risque d'être : une litote ou un euphémisme masquant une réalité horrible, se refusant à nommer "l'innommable", c'est à dite La mort. Le mal mystérieux, le froid inexplicable au creux du vallon baigné de soleil, ne relèvent pas en fin de compte d'une inertie passagère mais apparaît être celle d'un être inerte, sans vie. Le premier vers du second tercet qui frissonne de ses allitérations en "r" et en "f" peut redonner un espoir. La position de la main sur la poitrine qui peut être celle du sommeil ou de l'immobilité cadavérique ne peut pas confirmer le diagnostic funeste et lever le doute. Il faut attendre l'ultime vers pour enfin obtenir la révélation. Le mot fatidique n'est pas prononcé, mais l'image s'impose, avec la présence concrète, d'un corps ensanglanté.Une mort omniprésentePar un procédé habile, Rimbaud essaie de nous mettre sur une fausse piste, mais il nous laisse une foule d'indices qui recouvre le thème de la mort. Le "trou" nous l'avons dit peut être assimilé à une tombe creusée, les "glaïeuls" qui ne sont pas des fleurs aquatiques mais celles que l'on dépose dans les cimetières, puis les "haillons" qui sont des vêtements hors d'usage, qui ont fini leur vie, et enfin la nuque qui baigne généralement dans le sang contribuent à nous mettre sur la voie, celle d'un soldat mort.ConclusionOn relève de nombreuses réminiscences littéraires dans ce poème de Rimbaud. L'essentiel est dans un art consommé du tragique, tout entier agencé en une ascension tragique vers une cassure, une "chute" dramatique. Rimbaud multiplie les effets rythmiques brisés, les rejets pour mieux rendre compte d'une vie interrompue tragiquement. Le pathétique est aussi plus lourd, plus efficace et plus expressif dans une colère assourdie qui hurle.., en se taisant. L'ironie est rendue plus tragique encore avec le dévoilement progressif des périphrases, des litotes, des euphémismes, que rythment les rejets successifs. Le lecteur, admirateur des futurs chefs-d'œuvre, reconnaîtra sans peine dans les audaces de cette versification les prémices d'une langue poétique unissant révolte existentielle et révolte esthétique.RomanPlanLa nature propice aux sentiments1-la rencontre amoureuse à dix-sept ans2-entre les réparties de Nina et mes petites amoureuses

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3-une critique du lyrisme romantiqueLe jeu de la séduction1-le coup de foudre2-le refus de s'engagerUne ironie constante1-les robinsonnades, des aventures2-le romanesque, le rêveCommentaire Le titre "roman" reprend l'étymologie du substantif, une narration d'aventures une étude de moeurs, une analyse de sentiments ou de passions. Les romans sont souvent des fictions. Dans ce poème Rimbaud fait tout une critique de ses aventures amoureuses d'adolescent encore bien naif.La nature propice aux sentimentsOn n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans qui commence et termine le poème apparait comme la raison de ses échecs amoureux. La diérèse sur sérieux traduit l'insistance sur cet âge ingrat et naif fait d'illusions, de chimères et de maladresses. Le pronom "on" donne une universalité à sa pensée dans laquelle tout lecteur peut se reconnaitre. Déjà dans "les réparties de Nina" on notait un décalage entre l'homme lyrique (tout le poème) et la femme beaucoup plus prosaique (3 mots en répartie "et mon bureau" ?) expliquant son échec amoureux. Ses illusions, son avatar féminin commencé par "les réparties de Nina" prendront cruellement fin dans "mes petites amoureuses""Ô mes petites amoureuses, Que je vous hais !"..L'année suivante en 1871, Rimbaud professera le plus grand mépris pour les élans lyriques des romantiques, la rencontre amoureuse dans la nature. Rimbaud se moque de la description lyrique des romantiques qui affectionnent les natures grandiose. Ici le cadre est banal fait de tilleuls, des arbres très courants. Beaucoup de termes de ce poème se retrouvaient dans le précédent, sève, champagne.Un jeu de seductionComme dans les fêtes galantes de Verlaine, les adolescents se livrent au jeu de la séduction, l'adolescente qui apparait n'est pas une beauté plastique, elle est d'abord métaphorisée prosaiquement en "chiffon", elle a des petits airs charmants mais est affublée de diminutifs, elle est petite, semble soumise à son père, inaccessible. Mais on peut se prendre et se laisser prendre au jeu de la séduction, devenir amoureux sur un simple regard, un retournement. Le retournement devient bouleversement car l'amour impose de s'engager à deux malgré les divergences. Lorsque la réalité prend le pas sur le romanesque, sur l'imaginaire des sonnets amoureux et lorsqu'elle lui répond par lettre notre auteur qui a peur de s'engager abandonne rapidement la partie et retourne avec ses amis. "On n'est pas sérieux" traduit qu'on ne recherche pas à dix-sept ans l'amour pour toujours mais quelque chose d'éphémère pour assouvir un désir. En outre on manque d'expérience, on a peur d'être maladroit et de tout compromettre. Même si ce besoin amoureux correspond ici à un besoin de changer d'air, des fréquentations masculines habituelles des cafés, notre auteur voulait simplement connaître le plaisir de l'amour même fulgurant.Une ironie constanteLes amours d'été d'adolescent sont souvent sans lendemain et chacun reprend sa vie près de ses parents comme un nouveau cycle. Les robinsonnades, néologisme qui renvoie à Robinson Crusoe constituent pour chaque adolescent un rêve d'aventures, favorisé par les mois d'inactivité scolaire de l'été. Ce seront des souvenirs à raconter à la rentrée lorsque l'imaginaire prendra le

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relai. Rimbaud égratigne les romantiques avec leur cadre grandiose, les lacs propices aux épanchements amoureux. Ici tout est simple et agréable et l'amour se résume à un baiser, pas de descriptions pompeuses mais seulement des points de suspension dans lesquels chacun peut imaginer la suite.ConclusionDans ce poème Rimbaud évoque vers la fin de l'été, une aventure amoureuse en cours. Toutefois le "vous" utilisé rend ce roman applicable à tout lecteur. Ce n'est donc pas un poème de la rencontre unique, mais une sorte de "diagnostic" porté sur les rêves d'amour à 17 ans.

Baudelaire, Le Reniement de Saint Pierre.

Les sources et les récits évangéliques :Ce reniement, ainsi que l’usage de l’épée par Pierre, trouvent place dans certains récits, en voici un premier extrait significatif tiré de l’Évangile selon Matthieu :« [...] Pierre, prenant la parole, lui dit : Quand tu serais pour tous une occasion de chute, tu ne le seras jamais pour moi. Jésus lui dit : Je te le dis en vérité, cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui répondit : Quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas. Et tous les disciples dirent la même chose. [....] Comme il parlait encore, voici, Judas, l’un des douze, arriva, et avec lui une foule nombreuse armée d’épées et de bâtons, envoyée par les principaux sacrificateurs et par les anciens du peuple. Celui qui le livrait leur avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui ; saisissez-le. Aussitôt, s’approchant de Jésus, il dit : Salut, Rabbi ! Et il le baisa. Jésus lui dit : Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le. Alors ces gens s’avancèrent, mirent la main sur Jésus, et le saisirent. Et voici, un de ceux qui étaient avec Jésus étendit la main, et tira son épée ; il frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui emporta l’oreille. Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. Cependant, Pierre était assis dehors dans la cour. Une servante s’approcha de lui, et dit : Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. Mais il le nia devant tous, disant : Je ne sais ce que tu veux dire. Comme il se dirigeait vers la porte, une autre servante le vit, et dit à ceux qui se trouvaient là ; Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. Il le nia de nouveau, avec serment : Je ne connais pas cet homme. Peu après, ceux qui étaient là, s’étant approchés, dirent à Pierre : Certainement tu es aussi de ces gens-là, car ton langage te fait reconnaître. Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer : Je ne connais pas cet homme. Aussitôt le coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et étant sorti, il pleura amèrement. »Voici un autre récit, tiré de l’Évangile selon Luc :« Il parlait encore, quand parut une foule de gens. Celui qui s’appelait Judas, l’un des Douze, marchait à leur tête. Il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? » Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent : « Seigneur, et si nous frappions avec l’épée ? » 

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L’un d’eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite. Mais Jésus dit : « Restez-en là ! » Et, touchant l’oreille de l’homme, il le guérit. Jésus dit alors à ceux qui étaient venus l’arrêter, grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus avec des épées et des bâtons ? Chaque jour, j’étais avec vous dans le Temple, et vous n’avez pas porté la main sur moi. Mais c’est maintenant votre heure et le pouvoir des ténèbres. » S’étant saisis de Jésus, ils l’emmenèrent et le firent entrer dans la résidence du grand prêtre. Pierre suivait à distance. On avait allumé un feu au milieu de la cour, et tous étaient assis là. Pierre vint s’asseoir au milieu d’eux. Une jeune servante le vit assis près du feu ; elle le dévisagea et dit : « Celui-là aussi était avec lui. » Mais il nia : « Non, je ne le connais pas. » Peu après, un autre dit en le voyant : « Toi aussi, tu es l’un d’entre eux. » Pierre répondit : « Non, je ne le suis pas. » Environ une heure plus tard, un autre insistait avec force : « C’est tout à fait sûr ! Celui-là était avec lui, et d’ailleurs il est Galiléen. » Pierre répondit : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » Et à l’instant même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. Alors Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et, dehors, pleura amèrement. »Une proposition de lecture pour « Le Reniement de Saint Pierre ».Présentation : Nous avons un texte à la forme complexe : discursive, réflexive, donc argumentative, mais

aussi poétique, imagée, et il contient une réflexion sur la notion de révolte, construite en trois étapes : les deux premières strophes évoquent un Dieu repu des souffrances humaines, satisfait des supplices que la religion lui offre en hommage à sa puissance ; les strophes 3 à 7 s’adressent à Jésus, pour le sommer de dire si son sacrifice sur une croix lui semble acceptable au regard des espérances qu’il avait en venant au nom de son père pour promettre un monde meilleur, et ces strophes visent à mettre en doute cette certitude ; dans la dernière strophe le poète prend la parole en son nom personnel, et c’est là que Saint Pierre arrive, comme exemple à suivre en conclusion des deux parties précédentes : puisque Dieu est un tyran, puisque le sacrifice de Jésus est inutile, il est juste de le renier. C’est ici que se trouve l’expression clef du poème, il faut sortir « d’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve ». Dans ce texte difficile, Baudelaire développe un langage à la fois savant, directement hérité de

la littérature chrétienne et des représentations de la passion du Christ, langage complexe, fortement imagé et soutenu par une rhétorique à la construction solide. Cette imagerie se cantonne aux 2 premières sections du poème, et on est dans l’obligation d’en analyser l’ambiguïté, de manière cursive : les images montrent l’horreur, parfois à la limite de la répugnance, mais sont conformes à la tradition iconographique du christianisme, qui fait voir physiquement les blessures, les souffrances, parce qu’elles ont servi à la rédemption des hommes par un seul, selon le dogme chrétien, et la rhétorique qui les organise en fait des arguments dans une vision critique de la religion chrétienne et son fondement, la rédemption. Il faut donc les relever, identifier, et tenter de les ordonner.Lecture des deux premières sections, strophes 1 à 7 :

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 Baudelaire commence son argumentation dans la strophe 1, par une première série d’images qui montrent la réjouissance d’un Dieu qui sacrifie son fils, ou celle des bourreaux : « tyran gorgé de viande et de vins / Il s’endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes » « Les sanglots des martyrs et des suppliciés / Sont une symphonie enivrante » « Les cieux ne s’en sont point encore rassasiés ! » « Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous »  Le portrait qui résulte de ces comparaisons ou métaphores est celui d’un égoïste cruel, prenant

plaisir aux nourritures fortes, physiques ou mentales, ou morales, puisque ce qui le satisfait, ce sont les violences, la force. On peut le dire en prenant en compte les termes hyperboliques, « gorgé », « enivrante », « rassasiés », l’emploi des pluriels, et les verbes marquant le contentement, « s’endort », « riait » ; de plus certains rapprochement de termes, oxymores ou antithèses, montrent aussi cette cruauté incompréhensible, comme le « doux bruit », « sanglots […] symphonie ». La longueur des phrases, la construction argumentative des deux strophes en une question suivie d’une hypothèse de réponse, donnent une certaine lourdeur au texte, comme l’emploi de « donc », « sans doute », « puisque », « malgré », « point encore », outils d’un raisonnement qui progresse sûrement.  La deuxième série est en nette rupture, marquée par l’emploi du tiret et l’interpellation « Ah !

Jésus, » celles qui décrivent la souffrance du crucifié en la lui rappelant dans une sorte de Memento, « souviens-toi du Jardin des Olives ! » : « des clous / Que d’ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives, » « Et lorsque tu sentis s’enfoncer les épines / Dans ton crâne » « Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible / Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang / Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant, / Quand tu fus devant tous posé comme une cible »  Ici, c’est la douleur que cherche à marquer Baudelaire, par les verbes de violence physique,

« plantaient », « enfoncer », « brisé », et en leur attribuant des compléments empruntés au vocabulaire du corps dans ce qu’il a de plus sensible, les « chairs vives », le « crâne » ; la violence de la crucifixion se relève aussi dans les images hyperboliques de la déformation du corps humain, « pesanteur horrible », « tes deux bras distendus » ; l’image qui clôt la strophe 5, « posé comme une cible », est un rappel global de ce sacrifice, et de sa valeur de démonstration.  Le ton soutenu, la syntaxe recherchée, les anticipations de certains compléments du nom dans

le but d’amener la rime ou soutenir le rythme des alexandrins, contribuent à marteler le raisonnement et à lui donner un aspect solennel.  L’argumentation continue avec divers procédés rhétoriques ou grammaticaux, la répétition du

« lorsque » aux vers 13 et 15, sa reprise par « quand » au vers 17, et « que » au vers18, puis « quand » au vers20, logique narrative reprenant tel ou tel élément du chemin de croix chrétien ; la même structure répétitive, ou anaphorique, est visible dans la suite de cette apostrophe, lorsque Baudelaire met en image, dans la troisième série, les jours « si brillants et si beaux », en les qualifiant tour à tour dans une proposition subordonnée introduite par « où » : les jours « où tu vins », les jours « où tu foulais », les jours « où tu fouettais », les jours « où tu fus maître ».  Cet éloge du Jésus triomphant est directement enchaîné à la description de sa déchéance, car la

phrase ne s’interrompt pas, mais la proposition principale arrive après les temporelles qui rappellent le calvaire : Baudelaire résume en deux épisodes célèbres la vie de Jésus. Elles constituent un contraste, dans les strophes 6 et 7, entre deux postures antithétiques, et à ce titre continuent la définition paradoxale du Dieu satisfait de la violence humaine.  En effet, Baudelaire rappelle la gloire de celui qui triomphait dans la douceur, avec un lexique

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emphatique et hyperbolique, « si brillants et si beaux », « l’éternelle promesse », « chemins tout jonchés », des accumulations d’élément naturels comme la « douce ânesse », « fleurs » et « rameaux », les sentiments ordinairement qualifiés de positifs, comme « espoir » et « vaillance », mais on y voit aussi un Jésus acharné et manipulant un instrument de souffrance, le fouet, dans une posture excessive, « à tour de bras ». Certes, le complément de cette fustigation est qualifié péjorativement, mais le contraste n’en demeure pas moins. Le vers 27 résume à son tour le personnage, comme le faisaient le vers 8 pour Dieu, « point encore rassasiés », le vers 20 pour la crucifixion : « tu fus maître enfin ».  La phrase finale, dans cette deuxième partie de l’argumentation, contient une accusation

implicite dans la question oratoire : « Le remords n’a-t-il pas / Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ? »  La notion de remords, fréquente chez Baudelaire, est ici manifestée fortement par la

comparaison avec « la lance » qui perce le cœur du supplicié. On pourrait penser que Baudelaire cherche à faire douter Jésus de l’utilité de son sacrifice, consenti à un père barbare et cruel, et c’est le procédé rhétorique qui prépare la troisième section du poème.Lecture de la dernière strophe : Celle-ci commence comme la deuxième, par l’emploi d’un tiret, et un changement dans

l’énonciation, puisque, après les questions que se pose le poète aux strophes 1 et 2, l’interpellation qu’il adresse Jésus aux strophes 3 à 7, voici que Baudelaire parle à la première personne, dans une tournure qui accentue fortement la prise de position personnelle : « Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait ».  Et c’est un parallélisme qu’il établit entre deux morts, celle de Jésus, et la sienne propre, au

futur, par l’euphémisme du verbe sortir. C’est une revendication d’activisme, presque, qui est alors faite, et voici le Saint Pierre du titre qui apparaît.  Il faut rappeler que, selon le récit chrétien, Pierre aurait tiré son épée et coupé l’oreille d’un

soldat venu arrêter Jésus, unique geste de violence d’un apôtre. Mais Baudelaire met cet acte, sans le raconter, en parallèle à ceux de la crucifixion, et aux coups de fouets distribués aux marchands du temple. Sa manière de le revendiquer est très forte grammaticalement et rhétoriquement : il emploie le subjonctif de souhait, plutôt précieux, du verbe pouvoir, et un effet de symétrie sonore et rythmique dans la répétition du mot « glaive », revendication d’une mort violente pour lui-même.  Cette affirmation très forte, dans la dernière strophe, apparaît comme une réponse biaisée à la

question initiale : « Qu’est-ce que Dieu fait donc de ce flot d’anathèmes ? », puisque Baudelaire lui-même prononce une sorte de blasphème, en reniant à son tour le sacrifice de Jésus. Il réutilise le verbe faire, deuxième et dernière occurrence, dans une affirmation renforcée par l’adverbe « il a bien fait. » Apparemment, ce reniement n’a rien à voir avec l’action guerrière de Pierre au « Jardin des Olives », mais Baudelaire affirme peut-être ici son goût de la force, de l’action, et non du rêve. L’utopie christique de la rédemption semble inopérante, elle doit donc être refusée, ou récusée, et on sent que c’est un des buts de cette argumentation imagée qu’en fait le poète.  Il revendique donc de faire partie du “nous” implicite du vers 4 : Dieu s’endort « au doux bruit

de nos affreux blasphèmes ».  L’unique valorisation du triomphe, dans toute cette imagerie, c’est l’expulsion des marchands

du temple, et elle apparaît comme un inachèvement, comme si la religion héritée de ce récit eût dû être forte, active, puissante, et l’insatisfaction implicite de Baudelaire ne consiste peut-être pas en un reniement personnel, mais en un vrai acte de foi dans la force.  La « simplicité » de Jésus, évoquée au vers 10, possède la même mièvrerie que celle de la

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« douce ânesse » et des « fleurs » ou des « rameaux ». La posture « à genoux » qui lui est associée fait de lui une victime passive du goût de son père pour la vision du mal.Conclure ? On retrouve ici, sans que le mot soit nommé, le thème du titre du recueil. 

Provocation, exploitation des clichés chrétiens, ambiguïté des thèses (

Baudelaire, Abel et Cain.Présentation du mythe Abel et Caïn, selon une traduction de la Genèse : 1 Adam connut Eve, sa femme ; elle conçut, et enfanta Caïn et elle dit : J’ai formé un homme avec l’aide du SEIGNEUR. 2 Elle enfanta encore son frère Abel. Abel fut berger, et Caïn fut laboureur. 3 Au bout de quelque temps, Caïn fit au SEIGNEUR une offrande des fruits de la terre ; 4 et Abel, de son côté, en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. Le SEIGNEUR porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; 5 mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu. 6 Et le SEIGNEUR dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ? 7 Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui. 8 Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua. 9 Le SEIGNEUR dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? 10 Et Dieu dit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. 11 Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. 12 Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre.Proposition de lecture simplifiéeLa forme du poème : La forme poétique est proche du chant ou de l’invocation, en versets de distiques

d’octosyllabes qui font alterner des descriptions très schématiques des deux fils d’Adam et Ève.  Le poète s’adresse aux deux “races”, avec une anaphore systématique qui scande le texte.

L’alternance d’Abel à Caïn est régulière, comme celle des rimes, et la brièveté des vers permet (ou oblige à) la concision des descriptions, empêchant toute syntaxe argumentative.  Il y a tout de même une argumentation, très nette, qui procède par la juxtaposition manichéiste

des contrastes pour en faire apparaître l’aspect injuste ou choquant, argumentation prolongée par la division en deux sections inégales de 12 et 4 distiques. La première décrit la supériorité, en maints domaines, de la famille d’Abel, préféré à son frère par Dieu, la seconde renverse complètement la situation, dans une sorte de prédiction ou d’injonction, qui s’appuie bien entendu sur le récit biblique, puisque Caïn a tué Abel, mais avec une ouverture au dernier vers, où Baudelaire enjoint Caïn de jeter Dieu sur terre, donc d’aller au bout de sa révolte.Éléments à prendre en compte, linéairement.

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 Dans la première section, Abel, berger béni de Dieu, se caractérise par la richesse, la nourriture, la productivité, la famille. Il est dans une relation d’échange avec la divinité, sourire contre sacrifice flatteur, réussite agricole, croissance et multiplication conformes à la parole de la Genèse. Mais un bon nombre des descriptions contiennent un élément légèrement péjoratif : le verbe « flatte » au vers 6, l’image de chauffer « son ventre », au vers 13, évoquant la paresse ou l’abandon. L’enrichissement lui-même est dénigré dans le vers 18, qui modernise étrangement le statut de berger primitif d’Abel, « Ton or fait aussi des petits », et le verbe brouter, au vers 19, l’assimile à un animal de ses troupeaux, puisqu’il est berger. Le verbe « pullule », au vers 15, est également péjoratif : il évoque le grouillement repris par la suite avec « les punaises des bois », et n’évoque rien de valorisant, Baudelaire emploie des mots d’un lexique ordinairement récusé par la poésie comme trivial. Inversement, Caïn, le cultivateur, est présenté comme un misérable, dans un décor péjoratif

usuellement attribué aux déclassés, aux misérables. On peut relever la « fange » du vers 3, opposée au « foyer patriarcal » d’Abel, et Caïn qui « tremble de froid » dans son « antre », réduit au statut d’animal. Au lieu de se rassasier, ou de chauffer son ventre, Baudelaire poursuit l’animalisation et évoque ses « entrailles » et le bruit trivial de sa faim, dans la comparaison avec « un vieux chien », puis le froid qui fait trembler un « pauvre chacal ». Le distique 12 nous montre un vagabond, déclassé, dans l’image des « routes » et de la « famille aux abois », figure empruntée au vocabulaire de la chasse ou de la guerre. Cette opposition radicale et systématique fait donc voir une sorte d’injustice, mais aucune

opinion directement exprimée ne laisse entendre que ce sort opposé des deux frères est anormal, c’est un simple constat, qu’il soit formulé en injonctions ou en phrases déclaratives. La seconde section, très brusque dans sa manière de raconter l’histoire du premier fratricide,

s’achève en incitation au déicide. Le renversement se fait dans le lexique imagé : « charogne » au lieu de dépouille ou corps, pour Abel, et paradoxe qui transforme ce cadavre en engrais pour le sol cultivé par son frère, mais aussi dans l’énonciation, qui devient prophétique, avec l’emploi du futur « engraissera », et de l’impératif exclamatif du dernier distique, « au ciel monte, / Et sur la terre jette Dieu ». Cette remise en cause de l’ordre divin est donc revendiquée par Baudelaire, dans l’ordre final donné à Caïn, comme pour justifier a posteriori ce premier crime de l’humanité.Quelques images peut-être obscures ? Les vers 5-6, « ton sacrifice / Flatte le nez du Séraphin ! », rappellent peut-être ironiquement

« ce flot d’anathèmes / Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins » et le goût du Dieu « gorgé de viande et de vins » du Reniement de Saint Pierre, ce Dieu qui aime les sacrifices à s’en enivrer, sans en être jamais rassasié. Les vers 19-20 : « cœur qui brûle » et « grands appétits » sont peut-être une façon de formuler

la jalousie, ou l’envie de Caïn, telles que les raconte la Genèse.Si on prend le distique comme un conseil donné au futur assassin, cette mise en garde pourrait viser à ne pas accomplir l’irréparable, et elle se trouve annulée par le dernier distique du poème, qui pousse au déicide. Les vers 29-30 : « voici ta honte : / Le fer est vaincu par l’épieu », mettent en opposition

frontale les activités des deux frères, mais avec une modification de leurs attributs. En effet c’est Caïn qui est laboureur, le pasteur est Abel. 

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On peut donc voir simplement dans cette figure la signification du changement, du renversement des rapports de force, et Caïn devient le chasseur.Comment conclure ? Baudelaire se réapproprie le mythe en le réécrivant, sans doute pas pour faire l’apologie d’une

quelconque révolution, mais bien dans la ligne des deux autres poèmes de la section : Saint Pierre a renié Jésus, Caïn a tué Abel, et Satan est le plus beau des anges.  La poésie peut dire le mal, cela n’implique pas que son auteur veuille manifester son irréligion

ou son satanisme, ni inciter à l’athéisme : il compose ici un chant barbare, sa poésie est “recréation” d’un mythe, et le travail formel en fait une sorte de bijou provocateur, jusque dans le choix du déséquilibre de la construction.  Le mal doit se montrer, l’action est reine, même criminelle ou désobéissante face à l’angélisme

chrétien.  C’est donc une célébration de la révolte métaphysique, ou du Mal, dans la ligne du titre donné

au recueil.

Baudelaire, Les Litanies de Satan.

Présentation : C’est un poème au titre provocateur, puisque le terme de “Litanies” avec un complément du

nom est ordinairement liturgique, et désigne un chant en l’honneur d’un saint de l’Église chrétienne, lors de cérémonies spécifiques.  Il consiste en une énumération parfois très longue des vertus et des mérites de ce saint, et se

termine par une Prière, dans laquelle on lui demande son aide.  Toutes les interpellations se font sur un mode très défini : « Saint X. ou Y, toi qui, toi dont, toi

à qui », etc.  Les litanies contiennent une invocation régulière du genre « Priez pour nous », « Ayez pitié de

nous », « Écoutez-nous », « Prenez miséricorde », « Donnez-nous », et cette invocation revient tel un refrain.* On peut voir en ligne de nombreuses “Litanies” de l’Église chrétienne, par exemple celles adressées à saint Joseph, à sainte Thérèse, à saint Jacques, etc. Ici, le paradoxe consiste à trouver des qualités à celui qui est devenu le symbole du Mal, celui

que Dieu a jeté en enfer, et dont la fonction ultime est de contribuer à la punition des pécheurs lorsqu’ils seront eux aussi jetés dans l’enfer. Le poème est donc organisé en une première partie, les “Litanies” proprement dites, en

alexandrins répartis selon le rythme du chant liturgique : un distique qui magnifie une des vertus de Satan, puis une invocation récurrente faisant refrain, et ainsi de suite, et une seconde partie, comme dans le « Reniement » ou « Abel et Caïn », disproportionnée dans sa brièveté, titrée « Prière », en un sizain d’alexandrins.Comment approcher le sens du poème ? On pourrait d’abord examiner l’invocation qui sert de refrain : « Ô Satan, prends pitié de ma

longue misère ! » En soi, si l’on excepte celui à qui elle s’adresse, elle n’a rien d’incongru, puisque c’est naturellement le pécheur, celui qui prie, qui réclame l’aide du saint. La première personne est donc de rigueur, l’impératif de supplication aussi, et l’hyperbole « longue misère » représente ce qu’il convient de faire cesser. 

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L’expression « prends pitié » est tout à fait conforme aux nombreux textes religieux, dans sa variante lexicale. Le tutoiement n’a rien d’exceptionnel, c’est généralement Dieu qui reçoit l’invocation au pluriel de majesté. La tournure exclamative, elle aussi, et l’emploi du « Ô » vocatif, sont empruntés aux rites. Les litanies proprement dites, au nombre de 15, sont construites sur un schéma presque

continu, commençant souvent par « Toi qui… », « Toi dont… », et quelques-unes se différencient par l’appel d’une image forte, apposée au « Toi » sous-entendu. C’est la versification qui impose quelquefois la reprise du « Ô » vocatif, mais on peut dire que chaque distique contient une image riche, et que se constitue à chaque fois un portrait particulier de Satan, la valorisation de ce qui pourrait passer pour un vice.Comment s’y retrouver ? Peut-être par une lecture thématique, ou formelle. On pourrait d’abord trouver dans ce long éloge de Satan des expressions empruntées au lexique

religieux le plus classique : « Guérisseur », « Toi qui […] / Enseignes par l’amour », « Toi qui, pour consoler […] », « Bâton des exilés », « Confesseur », « Père adoptif ». mais ces vertus, souvent, sont dénaturées par l’usage qu’il en fait, ou par leur contexte immédiat. Le choix de l’hyperbole apparaît fréquemment, dans le superlatif du premier distique, dans les

adjectifs valorisants comme « grand roi », distique 3, « regard calme et haut », distique 6, « l’œil clair », distique 8, « large main », distique 9, ou l’adverbe « magiquement », distique 10. L’apitoiement sur le sort de Satan, puni par Dieu : « trahi par le sort et privé de louanges »,

premier distique, « à qui l’on a fait tort », distique 2, ou lié aux déclassés et aux misérables, « Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits, / Enseignes par l’amour le goût du Paradis, » distique 4, « Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut / Qui damne tout un peuple autour d’un échafaud. », distique 6, « Bâton des exilés », distique 14, et surtout « Père adoptif de ceux qu’en sa noire colère / Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père », distique final. L’éloge de celui qui peut apporter la richesse ou la survie : « Toi qui sais en quels coins des

terres envieuses / Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses », distique 7, « Toi dont l’œil clair connaît les profonds arsenaux / Où dort enseveli le peuple des métaux », distique 8, « Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os / De l’ivrogne attardé foulé par les chevaux », distique 10. L’éloge de celui qui a enseigné aux hommes l’art de la guerre et de la cupidité : « Toi qui, pour

consoler l’homme frêle qui souffre, / Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre », distique 11, ou « Toi qui poses ta marque, ô complice subtil, / Sur le front du Crésus impitoyable et vil », distique 12, ou le plaisir lié à une sexualité canaille : « Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles / Le culte de la plaie et l’amour des guenilles ». On trouve aussi l’éloge d’une certaine cruauté, par exemple dans le distique 9 : « Toi dont la

large main cache les précipices / Au somnambule errant au bord des édifices », en lisant cette protection comme une possibilité de laisser s’écraser un innocent dans un gouffre.Où se situe donc le blasphème, ou l’athéisme, ou la lutte contre Dieu, dans ce poème ? Les reproches faits à Dieu sont nombreux, souvent en filigrane au détour d’une description de

Satan : _ « Dieu trahi par le sort et privé de louanges », distique 1, « à qui l’on a fait tort », distique 2, « Le Dieu jaloux », distique 7, la « noire colère » de « Dieu le Père », distique final. Mais dans ces Litanies, point d’incitation à se débarrasser de Jésus ou de Dieu, comme dans les deux autres textes de la section « Révolte ». La partie « Prière » elle-même n’exprime que de manière détournée ce refus de dieu, par le

choix préférentiel que fait le poète : il se met sous la protection de Satan, et lui demande l’accueil en son « Temple », à savoir l’Enfer. Cet enfer est présenté comme une antithèse du paradis terrestre, grâce à l’image d’un nouvel

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arbre, non pas l’arbre “de la connaissance du bien et du mal”, celui auquel Adam et Ève ont eu le tort de toucher, mais « l’Arbre de Science ». La vengeance, ou la revanche de Satan, est peut-être évoquée dans la description d’un sentiment proche de la rancune, ou du regret, mais pas du remords : « dans les hauteurs / Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs / De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence ! » La nouvelle vie imaginée par Baudelaire prend alors la forme d’une re-création, celle d’une

nouvelle croyance, dans le « Temple » majuscule, mis au même degré de dignité que le « Ciel » ou l’« Enfer » : c’est le vers final, au futur, qui évoque de manière exclamative la foi en une pousse de cet arbre de Science, image de l’expansion chère à Baudelaire.  Cette évocation est sans doute la provocation la plus forte, car elle affirme la certitude, assise

sur l’efficacité de la prière, que l’avenir est ouvert, et infini, la « Science » majuscule devenant peut-être l’antidote à la croyance.  D’ailleurs, sa majesté verbale éclate dans le rythme très ample de ces six derniers vers :

rythmes binaires, parallélismes, jeux de symétries et d’antithèses, longueur des phrases. La dernière, notamment, se caractérise par son découpage argumentatif, qui rejette à la toute fin l’image majeure. Après trois incises circonstancielles, dans un chiasme étonnant où deux compléments de lieu encadrent deux compléments de temps, prélude à un futur destiné à se prolonger indéfiniment, la comparaison se fait dans un ordre inaccoutumé, le comparant précédant le comparé.« Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science, Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront ! » Cette couronne tressée à Satan, couronne vive et durable, est bien dans le ton d’une Litanie,

puisque celui qui prie vise avant tout à valoriser un Saint, ou Dieu, en se présentant humble devant lui. Le front du diable, face visible de son individu, souvent représenté orné des cornes diaboliques, semble ainsi porter une nouvelle décoration, qui en fait un héros, un être que l’on doit admirer et vénérer.Conclusion C’est cet espoir d’une vie éternelle auprès de l’Ange du Mal qui domine le sens général de tout

le poème, avec l’amour pour le Déchu, alors que le « Reniement » se caractérisait par une certaine aigreur, « Abel et Caïn » par l’agressivité. Ces trois tonalités constituent-elles la théologie baudelairienne ?  Mais il serait sans doute inutile, ou sans intérêt, de chercher à voir dans l’auteur du poème un

quelconque initiateur d’un rite satanique : sa prière est purement personnelle, individuelle, comme s’il éprouvait le besoin d’une rédemption originale et intime.Que reste-t-il à faire ? Le recensement précis et méthodique des figures de style, images, rhétorique.  La construction d’un parcours de lecture problématique et non thématique.  La rédaction d’une introduction et d’une conclusion. 

IntroductionDEFINITION  La poésie vient du verbe grec « poïein », qui signifie « faire », « fabriquer », dans le sens où un artisan, par exemple, fabrique un objet. Ce sens initial implique l’idée de création originale, à partir d’un matériau, mais aussi d’un certain « métier », longuement appris.

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La poésie est donc une certaine manière de travailler le texte, un art du langage. On peut la définir comme une pratique artistique qui utilise le langage (tous les moyens du langage) pour fabriquer un poème comme on fabrique un objet, en recherchant une beauté.Si l’on observe le corpus des œuvres produites depuis les origines du genre, une autre définition possible du terme « poésie » est : un genre qui s’écrit en vers, le plus souvent organisés selon des schémas préalablement fixés, que l’on appelle les formes fixes (sonnet, ode, ballade, etc.). Il est vrai qu’historiquement la poésie fut longtemps écrite en vers.Cependant, le vers n’est pas caractéristique de la poésie, non seulement parce qu’il existe d’autres genres en vers (le théâtre par exemple), mais aussi parce que, dès le XIX° siècle, de nombreux exemples de poésie en prose, puis en vers libres existent.Enfin dans le langage courant, nous employons le mot « poésie », et plus encore l’adjectif « poétique », pour indiquer la qualité particulière d’un objet du réel : « un paysage plein de poésie », ou encore « un spectacle très poétique ». Ce serait alors la capacité d’une chose, quelle qu’elle soit, à procurer un plaisir d’un genre particulier, souvent doux, harmonieux, parfois un peu mélancolique, propre à faire rêver. En réalité, en l’employant de cette façon,on reprend quelques-uns des lieux communs du genre pour en faire, à tort, l’essence même de la poésie. Ainsi un coucher de soleil est-il qualifié de « poétique » par un observateur parce que le motif du coucher de soleil est fréquent dans la poésie romantique.L’IMAGE DU POETELe poète dans l’antiquité s’associe étroitement aux activités humaines : il chante leurs faits d’armes dans la poésie épique, leurs douleurs dans la poésie tragique, leurs exploits dans le dithyrambe, leur vie quotidienne… Mais l’utilité du poète est très vite discutée : quelle place lui accorder dans la cité ? Platon, tout en faisant son éloge, s’en méfie.   Cette ambivalence pèsera longtemps sur la valeur qu’une société accorde au poète et sur l’image que le  poète lui-même se fait de lui-même : tantôt il proclame hautement sa valeur, se donne une dimension sacrée ; tantôt, inversement, il se considère comme « le maudit », celui que la société rejette. 

LE LYRISMEDéfinition du lyrisme : Le mot « lyrisme » vient de la lyre, instrument de musique qui, à l’origine, accompagnait la poésie chantée. Le lyrisme est l’expression de sentiments personnels : le poète chante ses émotions, ses aspirations, ses joies et ses peines.De l’expression personnelle à l’émotion partagée  Le poème lyrique est marqué par la présence de la première personne (je, me, nous…), puisque le poète s’exprime en son nom. Très souvent aussi, il est adressé à une personne particulière (un être aimé), qui apparaît dans le poème à la deuxième personne (toi, tu,  vous, votre…) Cependant la poésie lyrique tend à l’universalité, parce que les situations et les thèmes qu’elle développe concernent tout homme, dont le poète se fait l’interprète. Le lyrisme cherche donc à passer de l’expression personnelle à l’émotion partagée. Les thèmes de la poésie lyrique sont   variés   : Le poème lyrique peut développer des thèmes liés à la vie affective de l’auteur (l’amour, la haine, les regrets…), à son rapport au monde (la nature, le temps qui passe, la mort…) à l’évasion vers l’imaginaire (rêve d’un ailleurs idéal, métamorphose fantastique du réel…), autant de sentiments et de questions universels. 

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Verlaine, Poèmes saturniens, « Mon rêve familier », 1866« Je suis né sous le signe de Saturne », déclarait Verlaine… Saturne, ou Cronos en grec, un dieu terrible, qui dévorait ses propres enfants ! Autant dire que Verlaine, en donnant ce titre à son recueil, se jugeait né sous une lourde malédiction et souhaitait exprimer son mal de vivre, et, plus généralement, une mélancolie tout à fait représentative du « mal du siècle » romantique tel qu’il évolue dans la seconde partie du siècle, plus profond, plus désenchanté encore. A travers ce « rêve familier », Verlaine évoque un amour idéal. Mais quels contours lui donne-t-il, et pourra-t-il vraiment espérer le vivre ? Rimbaud,   Poésies , «   Rêvé pour l’hiver   », 1870 Le recueil Poésies rassemble des œuvres diverses de Rimbaud, dont les « Cahiers de Douai », poèmes de jeunesse qu’il avait confiés à son ami Démeny en lui demandant de les brûler. Heureusement, celui-ci n’en a rien fait ! Nous pouvons donc mesurer aujourd’hui toute la fantaisie et l’aspect novateur d’un Rimbaud encore jeune. C’est le cas dans  »Rêvé pour l’hiver », qui rompt avec les règles traditionnelles du sonnet, en offrant une vision dynamique du rêve amoureux que l’adolescent développe à l’occasion d’un voyage en train. Quelles sont les composantes de ce rêve ?«   Mon rêve familier   » Ce sonnet figure dans les Poèmes saturniens, recueil de 1866, qui nous rappelle la formule de Verlaine, « Je suis né sous le signe de Saturne », dans l’antiquité un dieu considéré comme redoutable : le titre rappelle l’idée d’une malédiction qui pèserait sur lui. Le titre du poème, lui,  »Mon rêve familier », traduit, par le choix de l’adjectif possessif, l’expression personnelle, et évoque un état récurrent. On pourra donc y lire la vérité profonde du poète.Comment le rêve devient-il la représentation de l’idéal amoureux ?LA PRÉSENTATION DU RÊVELe sonnet s’ouvre sur la présentation du rêve dans un 1er vers rendu fluide par deux élisions du [e muet] et le choix de la voyelle nasale, grave, qui correspond aux coupes du vers. Avec l’enjambement sur le vers 2, Verlaine reproduit comme une plongée au plus profond de l’âme. L’adverbe « souvent » fait écho au titre, en suggérant aussi une unicité de « ce rêve », qui contraste avec l’indice temporel« chaque fois » qui établit, lui, une multiplicité des images.L’image du poète est celle d’un être souffrant et malade : l’allitération en [m] dans« les moiteurs de mon front blême » soutient l’image d’une fièvre. Cette souffrance vient du sentiment d’être incompris de tous qui caractérise à la fois le poète au XIX° siècle (le « maudit », dira Baudelaire) et la mélancolie propre à Verlaine, que mettent en valeur le contre-rejet de l’adjectif « transparent » et la reprise du verbe « comprend » en tête de strophe, avec l’insistance de l’explication « car ». Cette incompréhension devient tragique avec l’interjection « hélas ! », et la récurrence de « pour elle seul[e], ». Enfin les deux quatrains mettent en place la relation amoureuse dans le rêve, avec l’image d’une femme idéale. Le même contraste ressort entre l’unicité, avec le [e muet] de l’article, prononcé devant une consonne (« une femme »), et la multiplicité, marquée par le parallélisme négatif : « ni tout à fait la même » « ni tout à fait une autre ». De là naît une impression de flou, restituée sur le plan sonore par l’élision et l’adjectif qui forme un hiatus pour l’oreille avec la conjonction « et » : « une femm[e] inconnue et [...] ». La relation créée dans le rêve représente un idéal d’amour total et réciproque. Verlaine met, en effet, en parallèle les pronoms « que j’aime » (sujet), « quim’aime » (objet), symétrie renforcée par la récurrence de la conjonction « et ». La douceur de la sonorité [m] en allitération

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et qui soutient la rime riche au centre des rimes embrassées illustre une fusion du poète et de la femme aimée au-delà de la dimension physique. Par l’anaphore de l’expression « elle seule », avec le pronom « elle » amplifié par le [ e muet ] prononcé, la femme devient le double idéal du poète, l’âme-sœur (cf. mythe de l’androgyne), celle qui peut partager sa douleur. Dans le gérondif « en pleurant » l’allitération de la consonne liquide [ l ] semble reproduire la coulée des larmes sur le « front » qui prend une valeur symbolique, telle l’eau du baptême qui purifie.  LE PORTRAIT DE LA FEMME IDÉALELe portrait, qui apparaît dans les deux tercets, se construit autour de quatre éléments, qui, tous, vont accentuer progressivement le flou de cette femme.Pour les cheveux, qui traditionnellement connotent la sensualité féminine, Verlaine recourt, au vers 9, à une interrogation fictive, comme une sorte de dialogue entre le « moi » du rêve et le « moi » conscient, celui qui dira, plus loin, « Je me souviens ». La réponse, brève et brutale, marque le peu d’importance de la dimension physique dans cet amour. Puis vient le nom, qui constitue l’identité même d’une personne. Ici, il est exprimé au moyen d’une comparaison,  rendue douloureuse par un hiatus entre « Vi(e) exila », et qui peut prendre un double sens. Soit elle renvoie à un être jadis aimé, aujourd’hui perdu : peut-être s’agit-il de sa cousine Élisa, adoptée par sa mère et dont il était amoureux ? Mariée et mère de famille, elle repoussa, en effet, ses avances. On notera que les sonorités imitatives en [ s ] dans les vers 10 et 11 semblent imiter la sonorité du nom, « doux » et « sonore », comme peut le paraître ce prénom « Elisa ». Soit elle prend une valeur symbolique, intreprétation autorisée par la majuscule à « Vie », et renvoie au mythe de l’androgyne : il s’agirait alors de l’être irrémédiablement séparé de son double, condamné à une irrémédiable solitude, puisqu’il ne pourra plus le voir que dans le temps du « rêve ». Le regard est qualifié par la comparaison, « pareil au regard des statues ». Mais cette qualification n’en est pas vraiment une car il semble ainsi se dématérialiser, être comme mort, par référence à l’absence de couleur et à l’immobilité des « statues ». Enfin, pour la voix, on notera le contraste entre les sonorités : l’éclat du [ a ] s’impose avec la conjonction « et » répétée, et la légèreté du [ l ] en atténue la puissance. Mais le rythme, scandé par les nombreuses virgules, et marqué par l’enjambement du vers 14, donne l’impression que cette voix s’efface de plus en plus. Elle se dématérialise dans le dernier vers, qui nous fait passer du présent « elle a » au passé composé, temps qui souligne l’achèvement. Ce trimètre avec la diérèse sur « inflexi/on », la mise en relief de « chères » par le [ e muet ] prononcé, et les ultimes monosyllabes (« qui se sont tues ») ferme brutalement le sonnet sur des rimes vocaliques croisées. Il peut prendre, lui aussi, une double signification. Soit ce silence vient de ce que le rêve, en s’arrêtant, l’a séparé de cette femme idéale, soit de ce que cette femme n’existe que dans un au-delà inaccessible. CONCLUSIONCe sonnet évoque donc un rêve qui s’ouvre au présent, mais s’efface peu à peu :l’amour idéal est condamné précisément à n’être qu’un rêve, seule compensation à un réel vécu douloureusement. Nous reconnaissons là l’héritage du romantisme. L’amour, au fil du sonnet, se trouve peu à peu dépouillé de toute connotation physique ou sensuelle. Il est d’abord une communion des âmes, une communication de cœurs sensibles à la souffrance. Il a aussi une fonction protectrice et consolatrice, qui identifie davantage la femme à l’image d’une mère, conformément à ce que nous savons de la personnalité de Verlaine.

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OPHELIA, JOHN EVERETT MILLAIS

Sir John Everett Millais, Ophelia, Huile sur toile, 76,2 x 111,8 cm, 1851 (Tate Britain, Londres, UK)

Beauté si diaphane que l’eau claire paraît noire en comparaison de ce teint immaculé. Jeune femme racontant Shakespeare tout en écrivant l’idéal esthétique des Préraphaélites.

l’oeuvre semble néanmoins enfermée dans le romantisme du XIXeme siècle.

Nous sommes ici en présence d’Ophélia, personnage de la pièce « Hamlet » de Shakespeare (thème cher aux Pré-raphaélites). Fille du Roi Polonius, elle sombre dans une prétendue folie à la mort de ce dernier, se laissant emporter par les eaux en chantant.

Ce qui marque en premier ici, c’est l’absence d’intensité dramatique de la scène. Millais comme ses apôtres, n’aime pas les représentations violentes. En ce sens, on ne pourrait dire si la jeune femme est emportée par l’eau ou si elle en sort, telle une divinité païenne. La bouche légèrement entrouverte, elle ne laisse parvenir aucune peur. Ses mains semblent êtres en position d’Abbhaya Mudra, geste de l’absence de crainte dans les antiques sculptures du Buddha.  Gestuelle rhétorique au service du calme impénétrable de la nature sauvage.

Les ondées légères de l’eau permettent de donner un lent mouvement au personnage, et ce, malgré son évolution au sein d’une nature  complètement figée. On la regarde passer lentement, tel un vaisseau fantôme, sa robe se prenant dans la végétation qui frêne, ça et là, sa course vers de froides profondeurs.

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Nous sommes les spectateurs d’un instant lourd et pourtant en apesanteur. Ralenti de beauté véritable qui sauve un instant cette jeune femme de son destin funeste, rappelé par la souche d’arbre mort vers laquelle elle glisse infailliblement.

Néanmoins la nature est féconde. Et si le thème floral est ici sublimé par le peintre, il est omniprésent dans le personnage littéraire d’Ophélie.

Ainsi la jeune femme serait, non en passe de mourir, mais de devenir une divinité florale, envoûtant les hommes de la beauté de la nature. C’est ce qu’appuie aussi Millais dans son chef d’œuvre. Ophélia est ici entourée de fleurs, le bustier de sa robe semblant même reprendre des motifs de pétales. Son attitude corporelle, (sourcils décrivant des courbes montantes, bouche et yeux entre ouverts, bras en parabole, teint du visage rougissant peu à peu sur les pommettes), décrit l’action de l’ouverture, du renouveau, d’un certain bourgeonnement.

Pareille aux Pré-Raphaélites, elle encense le passé pour en accoucher la splendeur. Laissant son enveloppe corporelle aux nuées qui la portent, elle est déjà en osmose avec la végétation. Les fleurs, comme nos regards, semblent éclorent au passage de cette beauté chantante.

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Le XIXe siècle anglais est dominé dans la peinture, par l’Académie Royale qui définit ce que doit être l’art et à quoi il doit ressembler. En 1848 un groupe de jeunes peintres remettent en question les principes enseignés et forment la Confrérie préraphaélite avec l’intention de revenir à une peinture plus proche de la nature, non formatée et en quête de perfection tant au niveau de la forme que de l’expression.

La peinture est enseignée sur le modèle classique italien dans lequel le peintre Raphaël fait figure de référence. Le groupe initial se forme autour des fondateurs John Everett Millais, William Hunt et Dante Gabriel Rossetti. l’inspiration leur vient du passé. Leur style d’un extrême réalisme est souvent créé d’après nature, l’invention récente du tube de peinture leur permettant de sortir de l’atelier et de peindre en plein air. L’habitude de peindre en extérieur sera reprise par le groupe français qui donnera bientôt naissance au mouvement impressionniste.Le style préraphaélite est caractérisé par une abondance de motifs et de détails présents sur la totalité de la surface du tableau. Les couleurs sont vives, lumineuses et contrastées. La perspective n’est utilisée qu’avec parcimonie voire quasiment absente de certains tableaux et la représentation des corps s’autorise la liberté de ne pas respecter les strictes règles anatomiques si cela peut servir la composition générale.

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