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6 | A & D officeETculture #25 Les bureaux se sont métamorphosés, le travail se modifie, les modes de management ont évolué. Les entreprises deviennent citoyennes et les bâtiments sont respectueux de l’environnement. Dans cette affluence de changements, qu’en est-il de la conception et de la construction des immeubles de bureaux ? Les architectes ont-ils eux aussi bouleversé leurs habitudes et leurs manières de faire ? Jean-Paul Viguier a dessiné et conçu un grand nombre de sièges sociaux en France. Projet après projet, le créateur de Cœur Défense participe activement à la transformation de l’architecture tertiaire. « La construction d’un nouveau siège social est un bouleversement pour une entreprise, car par ses propositions, l’architecte provoque de fait l’évolution des pratiques de travail » explique Jean-Paul Viguier. « Ce sont de nouvelles solutions techniques qui ont permis à une époque donnée la conception de très larges plateaux sans piliers ; les façons de travailler et la représentation hiérarchique s’en sont trouvées immédiatement transformées. L’architecte Richard Rogers a initié le mouvement : faire tomber les cloisons, ouvrir les esca- liers et montrer les déplacements ; le travail dans sa variété et sa multiplicité d’actions ne se cachait plus ». Aujourd’hui un plateau Jean-Paul Viguier UN ARCHITECTE EN MOUVEMENT Photo Zabou Carriere Tour Majunga, La Défense, Paris, Document : L’autre image

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Les bureaux se sont métamorphosés, le travail se modifie, les modes de management ont évolué. Les entreprises deviennent citoyennes et les bâtiments sont respectueux de l’environnement. Dans cette affluence de changements, qu’en est-il de la conception et de la construction des immeubles de bureaux ? Les architectes ont-ils eux aussi bouleversé leurs habitudes et leurs manières de faire ? Jean-Paul Viguier a dessiné et conçu un grand nombre de sièges sociaux en France. Projet après projet, le créateur de Cœur Défense participe activement à la transformation de l’architecture tertiaire.

« La construction d’un nouveau siège social est un bouleversement pour une entreprise, car par ses propositions, l’architecte provoque de fait l’évolution des pratiques de travail » explique Jean-Paul Viguier. « Ce sont de nouvelles solutions techniques qui ont permis à une époque donnée la conception de très larges plateaux sans piliers ; les façons de travailler et la représentation hiérarchique s’en sont trouvées immédiatement transformées. L’architecte Richard Rogers a initié le mouvement : faire tomber les cloisons, ouvrir les esca-liers et montrer les déplacements ; le travail dans sa variété et sa multiplicité d’actions ne se cachait plus ». Aujourd’hui un plateau

Jean-Paul ViguierUN architecte eN

moUvemeNt

Photo Zabou Carriere

Tour Majunga, La Défense, Paris,Document : L’autre image

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Siège social SFR , Saint-Denis

Maquette « Cool model »

Réalisations

IBM France, Bois-Colombes, 2010L’Atrium, Boulogne-Billancourt, 1991Bureaux, Cœur Bastide, Bordeaux, 2012Hôtel Sofitel Water Tower, Chicago, 2002Pôle de Commerces et de Loisirs, Lyon, 2012Quartier de l’amphithéâtre, Metz, en coursAménagements, Pont du Gard, Nîmes, 2000France Télévision, Paris 15e, 1998Parc André Citroën, Paris 15e, 2000Cœur Défense, Paris La Défense, 2001Tour Majunga, Paris, La Défense, en coursMédiathèque, Reims, 2002Campus SFR, Saint-Denis, en coursGEC Alsthom, Saint-Ouen, 1996Immeuble mixte, place Vörösmarty, Budapest, 2007The McNay Art Museum, San Antonio Texas, 2008Muséum d’histoire naturelle, Toulouse, 2008Siège d’AstraZeneca, Rueil-Malmaison, 1997Siège de Prisma Presse, Gennevilliers, 2010Siège du journal l’Équipe, Boulogne-Billancourt, 2008

Cœur Défense, Paris

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ouvert et des aménagements intérieurs sophistiqués sont devenus des modèles courants de l’organisation spatiale des espaces de tra-vail. « La position d’un collaborateur dans l’entreprise ne s’exprime plus par la dimension d’un bureau individuel mais par la nature de son travail effectué aux yeux de tous. L’exposition du travail dans son mouvement, dans sa dynamique, est une idée qui n’a pas gagné les pays latins où le travail est toujours vécu comme une contrainte. Les anglais éprouvent un plaisir sincère à voir les gens travailler » note Jean-Paul Viguier. La création d’un siège social correspond très souvent à la nécessité de rassembler des collaborateurs sur un même lieu suite à des rachats d’entreprises, une fusion ou une restructuration. Le rôle de l’architecture est de créer un bâtiment cohérent qui extérieurement exprime l’unité de l’entreprise tandis que l’espace intérieur doit aider les collaborateurs (qui souvent se connaissent peu) à bien travailler ensemble. La mission de tout architecte est donc de concevoir une solution en trois dimensions en réponse à des demandes parfois complexes ou contradictoires. Ce qui est essentiel, c’est de trouver un langage, des outils de médiation pour que la compréhension entre le commanditaire et l’architecte soit fluide. « Lorsque je conçois un siège social, je travaille en direct avec le futur occupant. Le dialogue est toujours passionnant, j’écoute les attentes et les besoins, les espoirs ; un nouveau bâtiment peut apporter beaucoup à une entreprise. Aux questionnements je réponds bâti, espace, façon d’occuper les lieux mais surtout j’utilise des cool models, des maquettes d’assemblage à la plus petite échelle possible. Grâce à cela le projet devient plus perceptible et accessible, le futur occupant peut prendre la maquette en main, la manipuler, avoir conscience de sa structure. Cet outil représente le bâtiment au mini-mum de l’idée et le met en jeu par rapport à l’espace. »

Jean-Paul Viguier travaille toujours en étroite proximité avec les futurs utilisateurs, pourtant le processus de conception d’un bâti-ment tertiaire s’est modifié notablement au cours des années. « Le principal changement vient de la façon dont la maîtrise d’ouvrage est structurée. Longtemps le commanditaire finançait seul son futur siège social et la relation entre le maitre d’ouvrage et l’architecte était directe. Aujourd’hui le montage financier des opérations

immobilières implique un plus grand nombre d’ac-teurs. » Un projet se met en place selon le schéma sui-vant : un promoteur et une entreprise avec un besoin d’immobilier tertiaire recrutent ensemble un architecte en lançant un concours pour que soit imaginé un

bâtiment. Lorsque l’architecte est choisi, l’entreprise se retire du montage et se positionne comme le futur locataire des bureaux à construire. Le locataire étant trouvé, le promoteur cherche alors un investisseur pour lui vendre le projet immobilier et assurer ainsi le financement de la construction.

Face à cette multiplicité d’interlocuteurs, l’architecte doit créer un projet immobilier moderne et innovant ; il doit œuvrer sans céder aux requêtes des uns et des autres qui sont souvent persuadés qu’un immobilier banal et standard a plus de chances de plaire à de futurs locataires. Dans le montage d’un projet immobilier tertiaire, toutes les parties engagées ont des res-ponsabilités. « Une vision du projet doit se dégager et s’exprimer clairement » souligne Jean-Paul Viguier. « Le choix de l’architecte est fondamental, il doit être capable de construire cette vision. » Une idée couramment répandue laisse entendre que plus un bâti-ment est adapté à son premier utilisateur moins il conviendra à des utilisateurs futurs. C’est une idée fausse : « une forte identité

L’espace est une matière en transformation

New-York City, Projet

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architecturale est une garantie de valeur patrimoniale sur le long terme pour l’immobilier tertiaire » constate l’architecte. « Éviter la banalité et préférer la modernité n’entre pas en contradiction avec la recherche d’un équilibre entre ce qui est durable, utile et beau ». Jean-Paul Viguier tient compte du contexte dans lequel un nouveau bâtiment sera construit. Il aime prendre le temps d’arpenter longue-ment un quartier, une zone en friche avant de construire. Le futur édifice et le territoire existant sont pour lui indissociablement liés. « De nouveaux bâtiments transforment fondamentalement le quar-tier ou la ville où ils sont construits : ils fondent le lieu » décrypte Jean-Paul Viguier. Avant toute construction ou rénovation, l’architecte passe beaucoup de temps à comprendre une région, à s’imprégner de son histoire, de sa culture. « On ne bâtit pas à Chicago comme à Paris, Asnières ou Budapest » rappelle-t-il. Un futur bâtiment se crée en fonction des attentes des différents interlocuteurs du projet, mais pas seulement. Selon les pays, les relations avec l’architecture sont teintées d’enthousiasme ou de suspicion. « Budapest est une ville sophistiquée, complexe, et tout architecte a d’office les habitants contre lui. A l’opposé Chicago est une ville radicale, ses habitants sont imprégnés de la tradition moderne du Bauhaus, ils accompagnent l’architecte à chaque nouveau projet emblématique » décode Jean-Paul Viguier. Ces phénomènes se répètent à des échelles moindres, comme celles d’un centre-ville ou d’une zone d’aménagement.Jean-Paul Viguier observe que des « métamorphoses s’opèrent spontanément ; les conventions et les idées changent, la société se renouvelle sous l’effet d’un effort collectif, d’un consensus social. » L’architecte cherche « en agissant sur un point donné à accélérer ces transformations. » Jean-Paul Viguier s’est emparé du verre

utilisé habituellement à plat pour habiller les parois et les façades des immeubles et s’en est servi pour réaliser des structures. Ce nouvel usage a modifié immédiatement et radicalement ce maté-riau. Il cherche sans cesse à tirer parti de techniques nouvelles. Aujourd’hui il s’attache à construire avec moins de matière, à réaliser des « bâtiments secs », plus légers et plus transparents. Pour construire il privilégie les plaques pré-industrialisées de plâtre, de béton ou d’acier, du bois. « Le chantier sec est un chantier moderne ; travailler avec des éléments secs permet de faire bou-

ger davantage les formes. Cette liberté d’action permet d’édifier des bâtiments fonctionnels pour les utilisateurs mais aussi plus attrayants, ori-ginaux et modernes. » A Lyon Confluence une toiture réalisée en coussins se révèle être l’élé-

ment fondateur d’un bâtiment abritant de très nombreuses acti-vités et incarne par extension le point de ralliement symbolique autour duquel s’organise tout un quartier. Jean-Paul Viguier est un adepte du mouvement, celui qui permet d’initier des trans-formations d’envergure. « La modernité naît du mouvement des idées et des concepts ».

De nouvelles manières de concevoir l’architecture, inspirées du modèle hollandais de « l’atelier », se développent aujourd’hui en France. Des architectes travaillent en concertation avec un directeur d’atelier. « Chacun apporte ses travaux, ils sont discutés collectivement, adaptés pour qu’ils s’intègrent à l’ensemble, pour que se créent des synergies. » Selon cette méthodologie Jean-Paul Viguier a dirigé à Metz la refondation du quartier autour du centre Georges Pompidou (170 000 m²). Dans un cadre similaire, il participera en tant qu’archi-

Tout lieu exige une réponse architecurale unique

Pôle de Commerces et de Loisirs Confluence de LyonPhoto : Takuji Shimmura

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tecte au projet de rénovation du quartier de Clichy-Batignolles à Paris. Les créations en atelier transforment les habitudes de travail des architectes. La concertation et l’échange entre pairs favorisent l’implantation équilibrée de nouveaux édifices dans des zones où le bâti est déjà dense. Dans la période de l’après guerre, de nombreux immeubles de grande hauteur ont été construits sur un même modèle et donnaient le sentiment d’une architecture répétitive, morne, toujours la même où que l’on aille. « Le travail à sec, les nouvelles matières, les structures en bois et en métal, les façades en aluminium et en bois permettent désormais de construire des tours claires et agréables. » De plus les sièges sociaux ne sont plus conçus comme des repaires ou des forteresses. « Les tours tertiaires modernes ne fonctionnent plus égoïstement en vase clos » analyse Jean-Paul Viguier. « De plus en plus on réfléchit très en amont à comment partager ou mutualiser certains espaces ou services et à en faire bénéficier des entreprises voisines ou des habitants des zones résidentielles proches. » Des balcons végéta-lisés, des terrasses privatives, des loggias d’étage, des jardins en sortie d’étage, des salles de réunions accessibles aux habitants des quartiers proches, des restaurants ouverts à tous les publics, des services installés dans les étages supérieurs transforment radica-lement une tour. « Les tours délaissent la sévérité et deviennent des totems urbains, architecturalement intéressants, écologique-ment équilibrées. » « Les tours vont de nouveau séduire le grand public » pronostique l’architecte. Les nouvelles configurations qu’il imagine induisent de nouveaux usages des espaces ; les immeubles de bureaux conçus par Jean-Paul Viguier anticipent de facto les évolutions des modes de travail dans le secteur tertiaire.

Brigitte Mantel

Pour aller plus loin • Jean-Paul Viguier, Architecte,

Éditions Odile Jacob, 2009

Lyon, Pôle de Commerces et de Loisirs ConfluencePhoto : Takuji Shimmura

Bureaux, Coeur de Bastide, BordeauxPhoto : Takuji Shimmura

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