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Notre ennemi le client

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SIMONE BARBARAS

FI RST-Documents

Une collection des Éditions générales FI RST

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© Éditions générales FIRST, 1995 70 rue d'Assas

75006 Paris.

Tél. : (1) 45 44 88 88 Fax : (1) 45 44 88 77

Minitel : AC3* FIRST

ISBN : 2-87691-278-3

Dépôt légal : 1 trimestre 1995

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À ceux qui ont su prendre en compte, dans leurs entreprises, « les savoirs relatifs à la vie concrète des individus », les clients.

À

Chantal, Martine, Odile, Paul-Hervé, Pierre.

Jean-Louis et Patrick. Catherine et Pierre. Armelle. Gianni.

Reynald. Eduardo.

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AVANT-PROPOS

Les entreprises françaises fabriquent des produits proches de l'excellence mais il est troublant de constater que les services — le service aux clients, l'information, l'accueil — sont loin de bénéficier de la même qualité. Ils sont même souvent d'une inquiétante médiocrité.

À l'étranger, nous avons la réputation d'être des gens désagréables. Il est vrai que dans notre pays, le client n'a pas de statut social respectable. Parfois on le traite bien, parfois fort mal.

L'irrégularité du service et plus largement de la relation marchande est, semble-t-il, l'une de nos caractéristiques.

Ce livre est un cri d'alarme. Au moment où la reprise de la consommation est un enjeu crucial, au moment où les produits se banalisent et où la différence — dans l'âpre concurrence euro- pééenne — se fera de plus en plus sur le service, l'amé- liorer est une urgence.

Il est un autre aspect dont on parle peu : la relation

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marchande fut l'un des fondements de notre société, sa qualité inégale pourrait bien apporter l'une des der- nières touches à l'affaiblissement du lien social.

Ce livre veut convaincre mais il n'est pas un essai théo- rique. Il s'appuie sur un grand nombre de témoignages vécus, sur des faits précis que beaucoup de lecteurs reconnaîtront.

Il émet des constats critiques mais propose des solu- tions concrètes à chacun d'eux.

Les témoignages dont je fais état, concernant l'étrange relation des entreprises à leurs clients, ne sont pas des généralités, je les ai directement recueillis.

À cet égard, je me suis donnée une règle : S'il m'arrive de citer quelques entreprises c'est que

leurs actions sont des « modèles » utiles. Elles appor- tent des preuves que l'intelligence de la relation aux clients est économiquement fructueuse.

En revanche, je me suis interdit de nommer celles dont je décris les difficultés ou les erreurs.

Parce que souvent ces entreprises — c'est pourquoi je les connais si bien — m'ont fait confiance pour tra- vailler à la qualité de leurs relations à leurs clients.

Parce que mon but n'est pas de nuire à l'entreprise mais de continuer à l'aider pour que leurs consomma- teurs reprennent le chemin des magasins.

Il va de soi que j'ai gardé mon entière liberté d'expres- sion en tant que consommatrice.

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Je dédie ce livre à tous ceux qui — dans les lieux de vente quels qu'ils soient — maintiennent la relation marchande grâce à leur sens du consommateur.

Je le dédie plus particulièrement à mes amis des entre- prises.

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Chapitre 1

N O T R E E N N E M I LE C L I E N T

Nous avons la réputation d'être le peuple le plus désa-

gréable du monde. Lorsqu'après nous avoir rendu visite, des étrangers

jurent qu'ils ne mettront plus jamais les pieds dans un pays où les clients sont si mal traités, nous accusons notre xénophobie.

Nous nous trompons. Nos comportements avec les étrangers, s'ils sont exacerbés et d'autant plus scanda-

leux, sont les mêmes que ceux que nous avons souvent entre nous dès qu'il est question de la relation entre

celui qui « vend »et celui qui « achète » : l'entreprise

avec ses consommateurs mais aussi le service public avec ses usagers.

Voici six exemples choisis parmi des milliers de témoignages.

T. fait le plein d'essence à une station « self-service » puis

se dirige vers la boutique pour régler. Le pompiste télé- phone. T. attend, debout, sa carte bancaire à la main. Cinq minutes passent, cinq vraies minutes et il consi-

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dère que c'est suffisant. Discrètement, aimablement, il fait signe au pompiste qu'il voudrait bien régler.

— Même le dimanche ils me cassent les pieds, les clients. le te rappelle.

J. achète deux shampooings dans l'un de ces magasins pim- pants à la décoration végétale et à l'ambiance écologique.

— Ils sont en promotion, annonce la vendeuse.

— Épatant! le pars pour deux mois, je peux en prendre trois ?

— Vous n'en voulez pas dix-huit ? Pourquoi pas toute la boutique!

La personne, occupée à refaire la vitrine explique d'un air gêné :

— Elle est énervée, elle a eu un accrochage ce matin avec sa voiture.

À onze heures, S. téléphone à un restaurant pour réser- ver le jour même pour treize heures.

« Nous ne réservons que pour midi et midi et demi. » S. incrédule :

— Vous voulez dire que pour treize heures on ne peut réserver ?

— Oui. C'est à prendre ou à laisser. J'ai habitué mes clients ainsi.

Ne pouvant changer le rendez-vous au dernier moment, elle a réservé et elle s'est promis que jamais plus elle n'irait dans ce restaurant qui — c'est dommage — appartient à une chaîne dynamique dont le rapport qualité/prix est bon.

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Ch. reçoit, sans aucun préavis, un commandement de payer un important arriéré d'impôts. Le commandement lui est facturé 10 000 francs. Par lettre, il répond à la tré-

sorerie principale dont il dépend que non seulement les impôts ont été réglés en temps et en heure (il donne les relevés des chèques, leurs numéros) mais encaissés. Pas de réponse. Ch., l'esprit tranquille, part en vacances. C'est justement pendant ces vacances que, sans le prévenir, la trésorerie a saisi ses deux comptes bancaires. Stupéfait, il téléphone à la trésorière principale pour protester et demander qu'on répare l'erreur commise, laquelle lui répond « qu'elle n'entend pas recevoir d'ordre ».

S. attend son tour à la banque. C'est son agence et elle n'a pas à s'en plaindre. Des découverts lui sont accordés car ses rentrées d'argent sont régulières. Elle tend un chèque de retrait de 500 francs à un employé qu'elle ne connaît pas et qui, sans un mot, disparaît puis revient.

— Voulez-vous me confier votre carnet de chèques? S. le lui tend. L'homme se saisit de grands ciseaux et

coupe le carnet de chèques en deux morceaux. — Arrêtez, ne peut s'empêcher de crier S. — Mademoiselle, désormais il faudra être plus rai-

sonnable. Les découverts, ça n'est pas accepté éternel- lement.

Il y avait aussi une leçon de morale en prime dans cette autre agence d'une autre grande banque quand l'employée coupa en deux la carte bancaire de L. Le scé-

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nario fut le même sauf que la carte bancaire est plus dif- ficile à couper que le carnet de chèques. Il conviendrait de posséder deux modèles de ciseaux.

Lorsque, preuves à l'appui, j'ai raconté cette histoire à

un haut fonctionnaire devenu banquier, il a été stupé- fait, désolé, honteux. Un vieux et fidèle collaborateur de

la maison était présent, l 'un de ceux qui se dévouent sans compter et firent, à n'en pas douter, la force des entreprises. Lui a écouté mon histoire avec fierté.

L'une des utilisations de la carte bancaire les plus appré-

ciées des Français — les rois de la monétique — est de pou- voir « tirer » de l'argent aux distributeurs automatiques.

Outre les avantages pratiques évidents, une raison —

plus i n a t t e n d u e — est souvent soulignée, que R. exprime ainsi :

— Le distributeur ne vous engueule pas, ne vous cul-

pabilise pas, ne vous humilie pas. J'utilise les distribu- teurs pour ne pas à avoir à entrer dans la banque.

Le secteur bancaire, l 'un des plus archaïques dans sa relation au client, est de ceux qui a fait le plus de pro-

grès. Il était temps. Peut-être les grands ciseaux ont-ils enfin été relégués dans les réserves des agences.

J'attends ma voiture dans un garage où l'on me traite bien. Le patron me reçoit dans son bureau vitré. C'est l'heure du déjeuner. Un homme erre dans le garage à la recherche d'un interlocuteur et finit par frapper à la

porte du bureau.

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— le cherche quelqu'un, Monsieur, qui pourrai t

regarder ma voiture. Elle chauffe. — Vous avez vu l'heure? 13 heures. Mon personnel

aussi a le droit de manger. L'homme referme la porte.

— le ne l'ai jamais vu celui-là. Le client d'abord, comme vous diriez.

Je suis stupéfaite de ce détournement de sens dont, en

plus, il m'attribue la paternité et je le lui dis sans amé- nité. Il ne comprend pas, ce n'est pas une feinte, il ne

comprend vraiment pas.

A. et moi prenons un petit-déjeuner dans une brasserie du 17e où se retrouvent des « gens d'affaires » qui,

comme nous, sont censés gagner du temps en mangeant leurs croissants tout en graissant leurs dossiers.

Un couple d'Américains s'installent à la table voisine, nous interrogent sur la carte et commandent le même

petit-déjeuner que nous. A. paie, le gérant rapporte la monnaie et présente la note à l'Américain non sans nous faire un formidable clin d'œil dont nous ne com-

prenons pas le sens. L'Américain, interdit, nous tend silencieusement la note : leur petit-déjeuner est facturé un tiers de plus que le nôtre. Nous intervenons à la

caisse et exigeons une addition correcte qu'on finit par nous accorder en nous invectivant.

Quand il nous arrive d'en parler, nous sommes encore

humiliés A. et moi en pensant au regard des Américains.

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Notre regrettable conduite avec le client est entrée en

littérature. L'une des descriptions que je préfère est celle de Jacques Reda.

Jacques Reda n'est pas un militant de la consomma- tion, il est présentement directeur de collection chez

Gallimard, c'est un écrivain, un poète. « Je connais d'avance la scène que je vais vivre. Je devine comment l ' intention de louer une

chambre, dans un établissement dont c'est ouver- tement le but lucratif, où selon toute vraisem-

blance la plupart de ces chambres sont libres, va provoquer une espèce de stupéfaction doulou- reuse ou de désarroi méfiant. Ajouter à cela qu'on dînera, amadoue le logeur — en principe. Je me

trompe cette fois de beaucoup. Du reste il s'agit d'une logeuse, et ma bonne volonté n'arrange rien : la dame se referme un peu plus, disparaît

pendant cinq minutes, revient sans me regarder. Je m'attends au pire. Mais non, tout ira bien, si du moins je consens à passer immédiatement à table,

à peine le temps de jeter mon sac à l'étage dans une pièce où je dénombre non sans étonnement trois lits. Et tout de suite, en effet, dans une salle

à manger déserte, on me sert d'autorité un menu dont je ne tiens pas à raviver le souvenir. J'aurai beau redemander du vin et du fromage, me livrer

à de petites manœuvres de retardement (vouloir bavarder par exemple : c'est un claquement de porte qui me répond), l'affaire sera expédiée en une demi-heure, et je puis dire : montre en main.

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[...] Je n'aurais pas dû m'étonner. Dans quelle

autre région entendrait-on une patronne d'auberge

déclarer à haute voix que les clients l 'emmerdent,

et le patron vous refuser une clé à mollette, comme si on lui réclamait celle de son coffre-

fort ? »

N o u s sommes si accou tumés à être rembarrés par ceux

à qui nous donnons not re cl ientèle que nous n ' avons

plus v ra imen t conscience que ces c o m p o r t e m e n t s son t

bien singuliers dans une société c o m m e r ç a n t e — à plus

forte raison en temps de crise — au m o m e n t où la

reprise de la c o n s o m m a t i o n est u n enjeu crucial.

U n e cer taine cul ture goguenarde du c l ient bafoué

n ' es t pas absente de not re pays, un peu c o m m e celle du

mar i t rompé dans le théâtre de Feydeau.

Cela ne devrait pas porter à rire car no t re peu d'apti-

tude à ent re teni r u n rapport in te l l igent avec nos cl ients

est l ' une de nos faiblesses, de celles qu 'on perçoi t clai-

r e m e n t quand on vi t ou travaille dans d 'autres pays.

Elle ne facilitera ce r t a inemen t pas no t re développe-

m e n t économique dans la compét i t ion sévère qui règne

au sein du grand marché, car désormais les per formances

des produits sont très comparables. Pour les consomma-

teurs, la différence se fera sur la qual i té du service et sur l ' intel l igence de la relat ion vendeur-cl ient .

Si, depuis t rente ans, sous l ' inf luence du m o u v e m e n t de

protect ion des consommateurs , des progrès on t été faits

en te rmes d ' informat ion, de sécuri té — en par t icul ier

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par les entreprises — ces progrès sont ponctuels, ils ont

été imposés par la loi e t ne nous confèrent pas pour au t an t le sens du client.

Il n ' y a plus d 'énormes « arnaques ». La loi y veille et

nous avons peut-être la mei l leure législation d'Europe en

mat iè re de consommat ion , mais le service dont on parle

te l lement , est souvent u n vain mo t dans notre pays.

La demande légi t ime du cl ient d'être informé, conseillé

et — on ose à peine le dire — aidé, n 'obt ient pas de

réponse satisfaisante en France où, par quelque mysté-

r ieuse alchimie, être en posi t ion de client équivaut à se t rouver en s i tuat ion d ' insécuri té et non de confort et

d 'agrément .

Sachons que les compor tements de mauvais accueil,

dans tou te leur affligeante variété, sont monnaie cou-

rante et qu' i ls ont déjà largement altéré la relation mar- chande.

Ce t te relation, à l 'origine de tou t commerce, était

cons t ru i te sur l 'échange. Échange de produits et de ser-

vices bien sûr mais aussi échange d ' informations, d'opi-

nions, échanges affectifs favorisant grandement la vie

sociale et ces « mœurs douces » dont Montesquieu

r ecommanda i t l 'usage pour développer le commerce.

Les témoignages qui précèdent ne font pas état de

m œ u r s douces et pour tan t ils ne sont nu l l ement excep-

t ionnels. Ils ja lonnent notre vie de client et décrivent

des compor t emen t s récents puisque tous relatent des

s i tua t ions qui se sont produites en 1994.

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Quand on est un observateur attentif des rapports ven- deur-client, on retrouve, à des degrés divers, le même schéma dans le comportement du mauvais « vendeur » : le renversement de la situation.

Au lieu d'être au service du client, ce qui selon toute apparence lui est insupportable, il bascule et se trans- forme en une caricature de client, exigeant, parfois agressif, toujours dominateur.

Il semblerait que la perspective de « servir » fasse remonter du fond de notre histoire et de notre culture, de fâcheuses réminiscences.

La protection que donne la puissance publique pourrait expliquer certains comportements regrettables avec les usagers, mais que penser de ces mêmes comportements lorsqu'ils sont pratiqués par des professions libérales, des commerçants, qui ne jouissent pas de ces privilèges ?

Nous connaissons tous des commerçants ou des conseils parfois compétents qui ont naufragé leurs magasins ou leurs cabinets par des agissements aso- ciaux.

Le meilleur médecin qu'il m'ait été donné de rencon- trer, diagnosticien exceptionnel a, par ses réactions baroques et imprévisibles, fait fuir ses clients les plus endurants. Il a fermé son cabinet il y a un an.

Il arrive, en effet, que le client finisse par se lasser. Il est plus facile de changer de médecin, de notaire ou de plombier que de compagnie des eaux ou de percepteur.

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Le Premier ministre conjure les citoyens de consommer mais comme il n 'y a pas de consommation sans

consommateurs, il serait bon qu'il conseille aussi à

ceux dont le métier est de vendre, de faire ce qu'il faut pour cela : apporter aux consommateurs, qui fréquen- tent leurs points de vente ou leurs cabinets, un service dont les deux composantes essentielles sont la qualité de l'accueil et l'information utile.

Les Français ne sont ni plus ni moins caractériels que des peuples réputés pour la qualité de leur service tels que les Japonais mais, dans notre pays, le client ne jouit pas d'un statut respectable.

Quelles en sont les raisons ? Un reste de griserie des

temps heureux quand la demande était supérieure à l'offre ? La mauvaise humeur contre ce suppôt du consu- mérisme qu'est encore, pour certains, tout consomma- teur ? Les relents d'une traditionnelle bureaucratie

quand le citoyen était tenu pour suspect sinon pour coupable ?

Sans doute est-ce plus compliqué que cela, nous essayerons de le comprendre au cours des chapitres qui suivent.

Il n'en reste pas moins que le respect du client étant absent, cette neutralité, cette sorte d'obligation de réserve qui garantit calme et objectivité, cet « espace client » ne font pas partie de notre culture marchande.

Au contraire, dans cette relation anarchique, souvent

passionnelle, la familiarité s'installe et lorsque le ven-

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deur n'est pas en forme, c'est comme si la confrontation avec le client était une thérapie qui lui permettait d'exté- rioriser ses contraintes personnelles, ses frustrations.

« Ne me compliquez pas la vie, j'ai assez ennuis

comme ça », répondait devant moi un horloger à une cliente dont la stupéfaction m'a fait supposer qu'elle le

voyait pour la première fois. J'ai battu en retraite. Je venais acheter une montre

bon marché pour un enfant et en dépit du prix modique de l'objet, j'entendais prendre le temps de choisir car nombreux étaient les modèles.

Le mythe du client roi

On apprend que l'acte de vente passe par la satisfaction du client. C'est, hélas, devenu un slogan éventé, sans

contenu réel, désormais aussi vide de sens que le

« client roi », qui fit en son temps quelques dégâts. Dans les années 70, l 'inquiétant constat de notre

résistance naturelle au service et de notre circonspec- tion à l'égard du client avait provoqué une réflexion — à l'intérieur de l'entreprise et dans son environnement professionnel, institutionnel et social — sur la nécessité d'une amélioration.

Il fallait trouver des concepts percutants, à la hauteur

des comportements négatifs des « marchands », pour tenter d'attirer l 'attention sur l'importance qui devait être apportée à la relation avec les clients.

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On importa du Japon le « client roi ».

Si ce concept, issu du civisme d'entreprise japonais et servi par une culture millénaire de consensus, conve- nait à merveille à ce peuple, la notion de client « roi »

ne pouvait pas être plus antinomique de l'esprit des Français qui, justement, avaient guillotiné le leur.

Pour rendre conflictuelle une relation et risquer de la faire échouer rien n'est plus efficace que d'exalter une inégalité entre les deux parties, ce qui mène inévitable- ment à des rapports de pouvoir.

Ce fut le cas.

Si le « client roi » fut considéré par certaines entre- prises comme un symbole tout à fait clair et utile à une pédagogie du service, d'autres le prirent au pied de la lettre, ce qui provoqua une sorte de rancœur contre ce

roi qu'on traitait si souvent comme un valet. « Vous ne pensez tout de même pas, qu'avec une

somme de cent trente francs sur votre compte — qui

n'a pas bougé durant ces neuf derniers mois — je vais vous remettre un carnet de chèques. »

Le client roi auquel s'adressait cette « banquière » avait vingt ans. Il était étudiant en médecine et venait de travailler durement pendant deux mois en qualité

d'aide soignant dans une clinique, pour une somme qui serait aujourd'hui de dix mille francs environ.

La guichetière était sèche et avait une voix sonore. Le garçon se vexa et alla déposer son argent ailleurs.

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Un certain sectarisme de l'entreprise avec ses consom- mateurs n'est pas sans rappeler le sectarisme de l'État avec ses citoyens.

Le responsable d'un cabinet d'audit stratégique qui travaille tant pour des entreprises que pour l'adminis- tration, me dit souvent combien il est étonné que cer- tains comportements étatiques de l'entreprise ne s'atté- nuent pas avec l 'évolution de l 'environnement économique et social, qui réclame pourtant et plus de souplesse et plus de modestie.

Les directions générales d'entreprises, auxquelles il en parle, lui répondent qu'en effet, pour se défendre de l'auto- ritarisme de l'État, elles sont contraintes d'agir comme lui et que ces rigidités ne sont pas sans conséquences sur leurs rapports avec les fournisseurs et les clients.

L'État est non seulement autoritaire, il est aussi culpabi- lisateur et volontiers moralisateur, caractéristiques que les entreprises ont assez bien reproduites avec leurs clients.

L'État au citoyen :

« Si vous aviez été plus attentifs au règlement de vos impôts nous n'aurions pas été contraints de mener ces actions à votre endroit. Nous souhaitons qu'à l'avenir vous soyez plus vigilants. »

L'entreprise au client :

« Si vous aviez pris l'habitude de fermer votre comp- teur, ces désagréments vous auraient été épargnés. Nous espérons que cette affaire vous servira de leçon. »