NOS GRAND MERES
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NOS GRAND MERES
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N. BOURASSA
NOS GRAND’ M~RESDISCOURS ~
.
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130MMAGE
.
A 1a m6moire de la sainte mare
qui m’a donn6 la vie, dent ~amour
a veiI14 sur tout= mes heures, a
suivi tous mes pas, a joui de tous
mes bonheurs, a souffert de tous
mes chagrins, a pr6c4d4 tous mes
dtsirs, saris jamais marquer la
mesure de son dtvouement, saris
jamais me dire une seule fois :“ C’est assez” ; qui a accompli
—. ---- ,%m- &*i
?47 ‘: “-” ‘“- %
VI 11031 hfAGE
—- .—
toutes Ies t&ches ardues de la
famine, comme les appr8ts d’une
f&te, le sourire sur les l&vres ; qui
a 4t6 Ie trait d’union entre tous
les cmurs, la douceur devant la
violence, la misdricorde k ~heure
de la justice, le miroir du bien
placd au centre du foyer oh nous
lisions clairement, saris efforts et
saris amertunle, ce qu’il fallait
faire, et ce que nous avions mal
f~kit.
Cest en regardant ta figure
rayonnante et ineffa~able dans
mon c~ur, sainte mkre, que j’ai
KP* ~ -:~-.---q
*———t ~-~~:a
HOMMAGE Vlx
par14 de ces g4n4rations de fem-
mes admirable et v4n4rdes dent
tu es ~ rnes yeux la pIus v4ndr6e
et la plus admirable.
N. BOURASSA,
. .
k 4%%t A VOUS, Mesdarnes, que 1a cha- @3i ritf amdne ici, et qui avez si gm- ~
f cieusement rdussi ~ y entrainer
~~ vos maris et ceux qui ddsirent ~tre t! vos gendres; ~ vous qui, outre
~ Ies enfants que Ie bon Dieu vous
/ a donn~s, avez adoptd une ~nde
/
~ famine d’orphelins potlr exercer
ce surplus de vertus de mares
~~+ . . . . ,-._W**— -— -.&
NOS GRAND’MERES il
de Madame X, les toile~tes de
MaC!anl eXX,lesgr~cesde hla-
dame XXX, les talents d’agr&-
rnent de Madame XXXX. On
sait que lc champagne a could A
flots A cette table, que Ie trousseau
d’une fianc4e a co0t6 up petit mil-
lion, que ses amis l’ont cornblde &qui mieux mieux de cadcaux dis-
pendieux, que le cercueil a’une
dpouse de gros financier s’en est
alId en terre couvert de fleurs ra-
res.
L’on nous apprend tous les d6-
tails qui ont accompagnd la s4-
$+ ~*%- &x
12 NOS GRAND’ MkRES
duction d’une pauvre servante et
son suicide ensuite ; que d’int4res-
santes h4riti&res ont ravi le cmur
de leur cocher pour s’en faire
ravir apr?s, corps et biens; que
des cr4atures s’entre-jettent du
vitriol pour des raisons tr~s ordi-
naires,
.On annonce pompeusement
que des demoiselles se font re-
cevcir m4decins, avocats, docteurs
As-sciences, notaires, etc.
On nous pr6ne Ies noms de
toutes ces h4ro!nes du th+~tre
portdes en triomphe parce qu’elles
[ .e-~%e
—.*&2–—v -qNOS GRAND’ MPRES 13
nous amusent beaucoup de leut
voix et de leurs gestes, parce qu’el-
les disent adrnirablernent de super-
bes tirades qu’elles n’ont pas inven-
tdes sur des vertus qu’elles prati-
quent souven~ trop peu, et des vi-
ces qu’elles donnent envie de prati-
quer, souvent beaucoup trop. On
nous rdcite Ies discours de toutes
Ies viragos qui rdclament des
droits mtconnus et menacent le
tyran /wmme de faire mettre, un
de ces jours, tout Ie beau sexe en
gr?ve.
Mais Yon entend dire peu de
fd
;I
ad - ““ ‘“” “--~.._--....___—@~
14 NOS GRAND’ MERES
choses, i] me semble, de ces h<-
roines du foyer domestique qui
pratiquent simplement et adnli-
rablement Ies vertus de tous les
jours et de toutes les circonstances,
vertus les moins aistes, peut-~tre;
qui accomplissent saris ostentation,
saris murmures, saris d6g00ts
~muvre sainte de la famine ; qui
f~condent et cultivent avec soin,
avec grace, avec orgueil, avec in-
telligence, avec amour toujours,
Ies fruits humains ; qui composent
le bien-~tre, la satisfaction, la
qui6tude, tout cet ensemble har-
tk—’~~~m
~~’a
NOS G1{AND’ klfiREs ;5
monieux des mine deuces choses
du toit paternel dent le parfum
nous accompagne h travers toute
la vie.
Est-ce parce que ces h4roines
sont si nombreuses parmi nous
que nous Ies laissons passer et
disparaitre dans le silence et
~oubli ?.... Je crois, Dieu merci,
que c’est 1A la principal raison ;
mais j e crois aussi que dans un
temps et dans des cotiitions so-
ciales extraordinairement mobil~
oti tant de ces grands caract~res
de ~humanit4 se transforment en
G., _-——..,. . d
~.%w. g,.
16 NOS GRAND’ MfiRES
s’am41iorant peu, il serait bon de
dire quelquefois~nos m~reset A
nos 6pouses que nous sommes
fiers et heureux d’elles, moins
parce qu’elles sont gracieuses et
belles, parce qu’elles s’habillent
bien et beaucoup, parce qu’elles
chantent meYva71&swmt, pei-
gnent adorablme~t, jouent divi.
n-t, que parce qu’elles sont en-
core la tendre et active Provi-
dence de nos demeures, Ies meil-
Ieures gardiennes des nobles tradi-
tions et des croyances de nos
aieux, la s4curit4 du berceau de
*———’a%”— 2
nos enfants et de ~honneur de
leur p~e, le foyer g~ndreux doti
rayonne toute lajoie saine de nos
families, toute la s&ve et k vi-
gueur de notre vie nationale,
comme l’~taient si admirablement
nos grand’m?res.
Je Iaisse h la g4n4ration ac-
tuelle Ie soin d~cat de remplir
pr+s des m?res de notre temps
ce devoir filial ; quant A moi,
comme j)occupe un point de vue
d’oh l~n aper~oit mieux le pws~
que le prfsent, l~dlas ! je me bor-
nerai ~ parler de ~muvre de nos
i~+;d
~n~m?res. Simat~cheamoins
de charme que celle que je laisse
A mes cadets, elle n’en est pas
moins considerable.
.
Disons de suite que nos m?res
ont accompli, comme totjours,
dans la fondation et Ie d4vel0ppe-
ment de notre nationality au Ca-
nada, la part de la foi, du c~i]r
et du ddvouement, Ie pl~ls pur
acte d’amour dd A Dieu, & la pa-
trie, 4 la famine ; et elles ont ac-.compli cette part cornme nulle
mkre ne Yavait fait avant elles.
Il Les companies commercials
Il qui avaient entrepris de coloniser
~- .
ce pays n’avaient 4cout6 que leurs
W.—-=4
%W.~’ ~ —, 6<.? x
20 Nos GRAND’ MfiRES
int{r~ts 4goistes : quoique pour-
vues de privil~ges exorbitant et
exclusifs, elles avaient frustrd tOU-
tes Ies espdrances que les souve-
rains fondaient sur ces entreprises.
Elles devaient y conduire des co-
lons, elles n’y transport~rent que
des commis ; elles devaient fa-
voriser Yceuvre civilisatrice des
missionnaires, et elles Ies aban-
donn?rent au soin de la Providen-
ce, une fois arriv<s sur cette terre,
les laissant aller 1A oh leur z~e et
leur charit4 les poussaien~ avec
les seules resources qu’ils avaient
*
F *%iBe– -e
NOS GI<.\ND’ hIkRES 2t
mendi<es en partant, E1les ne
leur demandaie’nt que d’$tre leurs
interpr~tes, et Ie plus souvent, Ies
intermddiaires influents dans les
n4gociations ou Ies trait<s avan-
tageux qu’elles voulaient conclure
avec Ies indig?nes, et qu’elles
eurent parfois l’ind61icatesse de
ddnaturer les premi~res pour en
tirer plus d’avantages. Elles de-
vaient pourvoir aux besoins du
culte, dlever des sanctuaires au
Dieu qu’elles avaient mission de
faire adorer sur cette terre; ensei-
gner, par des agents honn~tes, les
~—*+K”—— *$!—.
$I
mmurs chr<tiennes, ~agriculture
et les arts utiles A ces peuples
nomades qui venaient, 4merveil-
14s et confiants, les accueillir com-
me des personages divins, leur
demander des oracles et des pro-
diges. Et ces agents, toujours
plus avides que leurs mandataires,
au lieu d’autels n’41ev~rent ici que
des comptoirs, des palisades et
des forts: des comptoirs oti ils ne
laiss?rent voir que leur cupidit4,
dchangeant des verroteries contre
des fourrures q~iils vendaient le
centuple; desfortificationsoh Ieurs
‘~”””’” f?22 NOS GRAND’ MERES
injustices et leurs turpitudes leur
donnaient le besoin de se cacher.
Au lieu d’oracles, ils n’enseign~-
rent que Ieurs vices ; au lieu de la
fa~oZe de vk ils donn?rent Jeau
& vti. Loin &apprendre ~agri-
culture aux indig~nes, ils d4fen-
daient m~me a leurs employds de
dgfricher la terre, afin de les te-
nir dans Ie servage, et Ies obli-
ger h acheter deux les denrdes
qu’ils tiraient toutes de France;
leur but aussi +tait d’dloigner Ies
sauvages dun travail qui Ies au-
rait d4tourn6s de la chasse et
~“~:u NOS GQND’ MERES
.
de 1a traite et rendus A une vie
inddpendante et fructueuse. Ce
wlcul lionteux, qui faillit plu-
sieurs fois faire p~ir par la fami-
ne m~me ces ~ents que ~avarice
rendait imprivoyants, aurait tou-
jours para]ysd ou andanti tous
l= efforts que faisait la France
pour dtablir son domaine sur ce
continent,
Il fallut qu’une noble femme
vint leur apprendre qu’on ne fon-
de pas une soci4@ saris Dieu,
wns abn4gatio~ saris famine et
*- ‘-~
~M*--~.$%i
NOS GRAND’M~ms 25 ‘
saris Iois morales ; que toute ta
re qui doit devenir une patrie,
doit ~tre consacrde par un cul-
te, f~condde par Ies sueurs et
Ie travail, et riv~e au cmur par i
le triple et indissoluble lien de ,
~amour d’une femme, d’une mare ~
et dun enfant. Les Grecs qui
ont Iaissd une si imp4rissable tra-
ce dans l’histoire de I’humanitd,
et fait naitre tant de glorieuses
colonies, emportaient avec eux,
au sein de la famine, Ieurs dieux
p4nates, pour les d6poser dans
leur nouveau berceau ; et les
KM .&~&q
.
—-*am g+.,
26 Nos GRAND’ MfiREs
Juifs s’en allaient vers la terre
promise avec un Idgislateur, un
pr$tre et ~arche de leur alliance
avec Dieu.
La Marquise de Guercheville
comprit que c’dtait avec ces pro-
cddds primordiaux que ~on 4ta-
blissait des nations durables. Oh!
c’est que “ c’~tait une dame plei-
ne d’honneur, “ disait Henri IV
en la pr4sentant h Marie de M4-
dicis, et il le savait mieux que
personne. . . . . Jugez-en, Mesda-
m es : rest6e veuve ~ la tour,
encore j eune, belle et tr$s riche,,
K~w%”~
Ieroi soldat et galant Iuiadressa
des hommages, d’un caractdre
pour le moins douteux, auxquels
elle rdpondit de cette mani~re :
“ Sire, mon rang ne me permet
pas d’$tre votre femme; et j’ai
trop de cmur pour devenir moins
que cela. “
“ Et saris plus de paroles la
Marquise se retira h son ci]~teau
de la Roche-Guyon, sur la Seine
A dix Iieues de Paris, oh elle me-
nait un train princier. Henri IV
poussa un jour une partie de
chasse de ce c6t4, et, sur la fin de
b~%”~
I
I
I
la journ~e,il envoys un gentilhom-
me demander Ie couvert & mada-
me de Guercheville pour lui et
quelques-uns des siens. Madame
de Guercheville. I’accueillit avec
empressement, fit illuminer le
ch$teau, commanda un souper
somptueux, se rendit aimable et
privenante comme une bonne et
fid~le amie, Iui d<clara qu’il com-
mandant absolument chez elle, puis
lui abandonnant son chateau, elle
se retira pour la nuit chez une de
ses amies, h deux lieues de 1~.” (I)(x) ~. SULTE. Histoire des Canadie?zs-Fran-
fais,
b -—-—‘wsw~
~-*~ w2
NOS GRAND’ M~RES 29
Voil& quelle 4tait cette”pre-
mi+re patronne de nos origines.
Connaissant toutes les men6es
int6ress4es, les luttes d~shonn~tes
et violentes de tous ces ent~epre-
neurs de colonies, elle r6ussit A
force dinfluence et de sacrifices h
se faire accepter, &abord comme
actionnaire dans la compagnie de
la Nouvelle-France, et ensuite,
substituer A ses associds dans
leurs droits.
Deux fois cette femme fit 4qui-
per et charger des navires A ses
frais, et transporter des colons A
F~~a%e~
, .
——
so ~os GRAND’ M~REs
la Nduvelle-France, conduits par
des pr~tres d4vou4s, accompa-
gn~ de quelques femmes coura-geous=, munis de grain et de bes-
tiaux. Grace h ~intervention de
Madame de Guercheville, un es-
prit plus gdntreux vint dirigerIes entreprises de la Mdtropole :
l’unitd du lien religieux concentra
et harmonisa ces premiers et fai-
bles effo~, un pr~tre put libre-
ment dlever un autel et offrir des
sacrifices ~ Dieu pour la premi?re
fois, saris contestations, et avec des
v~tements convenables au culte.
—
I NOS GRAND’ MfiRES 31
Quoique ~muvre de Madame
de Guercheville ait &t& entravde
par la mauvaise foi et ~ambition
de ses aides, et ruin&e ensuite
par les Anglais, elle produisit ce-
pendant les fruits de toute bonne
muvre. Puissante ~ la tour, cette
vertueuse et charmante marquise
avait su inspirer de ~int~r~t potlr
le Canada ~ Marie de M4dicis et
A tout son entourage. Entrafn&es
par son exemple et ses solicitat-
ions, la reine et ses dames joi-
gnirent leur z~le et leurs larges-
ses aux siennes et form~rent, dks
~ >=~*/ 3
32 NOS GRAND’ M~RES
lors, cettesource fdcondeet inta-
rissable que j’appellerais volon-
tiers source et substance m~~es de
notre vie nationale; source qui n’a
plus cess4 &4pancher le bien et le
salut de la ~ouvelle-France,jaillis-
sant toujours plLIs abondante aux
ipoques plus arides de notre his-
toire. C’est de cette source pro-
digieuse et maternelle que de-
vaient sortir nos prerni?res &glises,
nos premiers hospices, nos pre-
mi?res dcoles; et c’est elle qui
pr~para la voie aux entrel~rises
fructueuses de Champlain.
# “%=—~#
k
M mm q?
NOS GRAND’ MkRES 33
Ilne nousreste plus qu’~ en
suivre htravers notre histoire les
f~conds ~panchements.
Apr~s Madame de Guercheville
apparait la duchesse &Aiguillon.
Ni~ce de Richelieu, cette femme
de bien avait puis~ dans Ies re
Iations des J&suites ~lne grande
solicitude pour ~instruction et Ie
bien-~tre des populations indi-
g&nes du Canada. Elle avait
compris que la charitd chrdtienne
seule pouvait faire des proselytes
parmi ces hommes rudes et bornds
~~~” ● .
—.
p- m%w?—— ;
3i NGs GRAND’ kl~REs
dent le sens naturel du juste n’4-
clairait que vaguement la con-
science ; qu’il n’y avait qu’un
rnoyen d’<teindre Ies haines ddjl
si profondtment allum4es dans ces
cmurs farouches, par Ies injustices
et les vices des blancs : c’6tait
de leur tdmoigner du ddvouement
et de l’amour, et dexpier devant
eux h force &abn4gation et de
sacrifices, le mal produit par ~&-
golsme.
M, de Champlain venait de je-
ter Ies bases dune soci4t6 civile &
Qu4bec. La duchesse dAiguil-
r~~~
.
lon y expddie aussit6t des ouvriers,
& ses frais, pour dffricher quel-
ques arpents de terre et y dtablir
Ies fondements d’un h6pital, ob
elle veut que les sauvages mala-
des et infirmes soient recueillis et
soignds, et que Ieurs enfants y
soient instruits dans la religion
chrdtienne. Et elle affecte im-
mddiatement ~ cette fondation
plus de soixante-trois mine livres
de sa fortune.
Et, il faut bien se I’avouer en-
tre nous, Messieurs, les g6n4reu-
ses intentions de Madame d’Ai-
—..
~~.;;~ --- Wx36 NOS GRAND’ MkRES
guillonseraient peut-~tre restdes
aussi infructueuses que les sacri-
fices de Madame de Guerche-
ville si elle n’avait charg& que
des hommes de Ies ex~cuter.
Mais voilh que dans Ie m~me
temps une jeune veuve, Madame
de la Pelleterie, se r~sout ~ venir
consacrer sa fortune et sa vie &
Yinstruction des sauvages du Ca-
nada. Ces deux femrnes se ren-
contrent, elles obdissaient h k
m~me impulsion gdndreuse; elles
se Iient et leur action unie de-
vient une puissance.
#- <~~.
-W*. 9NOS GRAND’ MfiRES 37
Madame d’Aiguillon avait ob-
tcnu des Hospitali$res de Dieppe
quelques religieuses de leur or-
dre, rdsolues &’venir entreprendre
son muvre au Canada ; de son
cbtd, Madame de la Pelleterie
r&ussit A entrainer avec elle dans
la m~me entreprise quelques ur-
sulines parmi lesquelles se trouva
Yillustre Marie Guyard de l’lncar-
nation.
Et ces femmes quitt~rent un
jour le silence, les secrets et
la s&curit6 du cloitre pour entre-
prendre & travers les dangers des
;~a%w-- - ~
— ——
P~” —~38 NOS GRAND’ MfiRES
— .-
mers, et dans les solitudes redou-
t4es d’un continent nouveau, leur
gdn<reuse aventure.
Madame de la Pelleterie n’4-
tant 1i4e par aucuns vmux et par
aucunes r?gles, se fait finterm6-
diaire universel, I’agent gdn~ral
dans toutes Ies n&gociations qu’il
faut poursuivre avec les autorit<s
et les corps civils, dans l’int<r~t
de ~entreprise de Madame d’Ai-
guillon et de ses mandataires.
Apr&s Madame dAiguiIlon et
Madame de la Pelleterie, se prd-
IlIl sentent Madame de Bouillon et
Mademoiselle Mance: encore une
dispensatrice g4n6reuse des dons
Il de la fortune et une femme &ac-$ tion qui doit leur faire produire
L Ieurs fruits providentiels.&@ Madame de Bouillon veut faire
f ~ Montr4al, dent M. de Maison-
t neuve vient de poser Ies bases,
1
ce que Madame &Aiguillon avait
accompli & Qu4bec : elle donne
Il h diverses reprises plus de soixan- ~
Il te mine livres, pour la construc-
11 tion et ~ameublement dun H6tel-
!’Dieu, et elle affecte une annuit6
2+ w ,.
- ““”-””” ‘“’”y-–-””” e!
40 NOS GRAND’ MfiRES
dedeuxmille livres~ son entre-
tien. Et commeelleddsire que
ses bienfaisantes largessesrestentignor&es, elle en confie Ie ddpbt
et la distribution h Mademoiselle
Mance.
Celle-ci, assocife d’ailIeurs h la
compagnie de Montr6al, devient
I’Sme et la providence de la jeu-
ne colonie. On la trouve par-
tout h c6t4 de M. de Maison-
neuve, mettant sa main virile &
toutes les muvres de bien, dans
tous les dangers, dans tous Ies d4-
tails de ~organisation <conomique
I
de cette soci6t4 ~aissante. El]e
traverse les mers A diverses repri-
ses, va solliciter pr?s des puissants
et des riches de nouveaux secours
pour sauver la colonie 4puis6e et
menac6e. Cette femme, partie fai-
ble de France, semble 6tre deve-
nue un colosse dans ce foyer de
privations, de Iabeurs et de dan-
gers !
Bient6t vient se ranger ~ c6t6
delle une autre h4roine. Celle-
ci veut aussi consacrer ses forces,
r<server sa f4condit4, dormer son
.
~.———-~=d m,3
42 Nos GRAND’ M~REs
intelligence pour ‘faire fructifier le
berceau de Vine - NIarie : c’est
Mademoiselle Marguerite Bour-
geoys.
Cette jeune filIe n’avait pas de
fortune, et elle sembIe n’avoir pas
comptd sur celle des autres pour—---:_ ------ --u-w au bien de la
Elle distribua
des pauvres le
de patrimoine
et elle quitta
venlr se CU115dGl c1
Nouvelle-France.
m~me aux mains
peu qu’elle avait
et ddconomies ;
Troyes, sa vine natale, ainsi qu’elle
le dit elle-m~me :” saris deniers ni
maille, n’ayant qu’un petit paquet
E?~w
.
.
qu’elle pouvait porter sous son
bras.”Arriv&e h Vine-Marie, c’est
dans une &curie qu’elle commence
sa mission dinstitutrice des en- :
fants sauvages ; et c’est dans un
fenil qu’elle va dormir son pre-
mier sommeil et se reposer des
fatigues du voyage. La, log+e.
dans ce~te habitation des chevaux,
elle fait connaftre, avec le sourire,
avec les caresses, avec la mansu&-
tude de la maternitt cllr4tienne,
A ces pauvres petits infid?les la
religion du DieLl de la cr?clle.
.*—”aBw~
~~ NOS GRAND’ MfiRES
Pouvait-eIle choisir un th<~tre
plus <Ioquent pour enseigner une
pareille doctrine ~ ces enfants, et
3 leurs parents aussi, qui avaient
besoin de voir en Dieu tant de
misdricorde, ayant vu dans les
hommes, jusqu’alorsj si peu de
charit4 !
Aussi, c’est de ce moment que
.datent, parmi eux, les plu~ s4rieu-
ses adhfsions ~ la foi chr~tienne:
ils avaient vu qu’il existait un
principe de vie dans un culte oh
reposait et rayonnait tant &amour;
et ils crurent. Et c’est de ce7
# “mY4~*;
~-m &
NOS GRAND’ M~REs 45
jour aussi que la France put comp-
ter sur quelques aIIi4s fid~les par-
mi ces peuplades indompt6es qui
avaient entour4 les colons jusqu’a-
lors de d4fiance et de menaces.
Cest h cette 6poque que l’on
voit se grouper auto~r de Qu4bec
et de Montr4al ces premi~res fa-
mines de ndophytes d4sireux
de participer aux bienfaits de
la civilisation chr4tienne, qu’ils
avaient enfin compris, et qui par-
tag~rent notre sort jusqu’~ la ‘fin,
dans nos succ~s et dans nos
revers.
*-— @%~~\*~ *
46 Nos GRAND’ M~REs
Je ne puis allonger davanta-
gelalistedesfemmes fortes qui
ont fondd, honord et sanctifid no-
tre berceau, dans un d4vouement
absolu, dans Ie sacrifice complet
de tout int4r~t et de toutes jouis-
sances persdnnelles ; il ne me
resterait plus de temps pour faire
la part des m~rites de ces autres
h4roYnes qui portent & plus juste
titre le nom de Gvan#Mdves.
Mais disons au moins ~ ~hon-
neur de tant de femmes distin-
gudes que je ne puis nommer,
disons-le dans Ie sentiment d’a-
3+ .%m.~z
NOS GRAND’ M~RES 47
mour que nous devons k cette
patrie qu’elles ont si puissamment
aidd h fonder, que parmi toutes les
femmes de France et toutes ces
dames de la tour qui entouraient
et servaient nos rois, elles ont dt~
les plus vertueuses.’ La seule
franqaise dent ~influence n<faste a
pr~cipit~ la perte de la Nouvelle-
France &tait une femme saris ver-
tu : toutes les autres avaient ap-
port~ la vie & la patrie nais-
sante, elle seule aida & lui dor-
mer la mort; nouveau t~moignage
dune v~ritt que rdv~le plus que
E ,.
48 NOS GRAND’ MkRES
toute autre notre histoire, c’est
qu’il n’y aqu’une chose qui f&-
conde, qui vivifie, qui 4ternise Ies
cuvres humaines : la vertu.
Apr?s Mesdames dAiguillon et
de Bouillon, Madame de la Pelle-
terie, Mile Mance et Mile Bour-
geoys, et les autres femmes qui
second&rent leur g4n4rosit6 et
Ieurs efforts, la semence de bien
jet&e par elles sur cette terre
du Canada se levait partout
en brillante moisson : Dieu y
avait ses autels; les pauvres, ddj~,
une table mise; les malades et Ies
infirmes, leur toit; l’enfance, des
institutrices ; Ies orphelines, des
mkres; les m+res, des aides pour
]es remplacer dans l’<ducation de
leurs enfants, pendant qu’elles
pr<paraient dans un labeur her-
cul~en le nid des autres g6ndra-
tions. Tous les bons 616nlents
de notre corps social germaient
A la fois, toutes les sources de
notre vie morale +taient en plein
4panchement et allaient f4conder
partout &autres germes de bien.
Et aujourd’hui, en regardant
autour de nous ces germes ma-
--—. - . . ..— .-—
i 50 Nos GRAND’ MfiRES,
gnifiquernent d~veloppds dans nos
vines, au-deli de nos fronti$res,
sur tous Ies points du continent
amdricain, partout oti a pdndtr4
une parole et un c~ur de la Nou-
velle-France, n’est-ce pas que
nous pouvons nous arr~ter h con-
templer avec orgueil cette ~uvre
imp4rissable, et dire ~ cel~es qui
~ont entreprise : “, Saintes fem-
m es, votre ddvouement a magni-
fiquement parld. “
Uantiquit& a vant~ le couragede vierges hdroiques qui, sur les
ddcrets des oracles, se sont prL-
cipit<es sur des bfichers ou dans
des atimes pour sauver leur pa-
trie en pdril ; mais combien le
ddvouement de nos vierges chr6-
tiennes leur est supdrieur, elles
qui gardent leur vie dans toute.
sa vigueur pour la sacrifier tous
les jours et rendre tous Ies jours
ce sacrifice productif et sauveur
. --..—.-—.
Parlons maintenant de ces au-
tres femmes qui vinrent avec
celles-ci, en Canada, y accomplir
aussi une auvre de force et d’a-
mour; de ces ~pouse? et de CeS
m?res valeureuses qui, ayant li~
leur sort A celui des premiers co-
lons, ont VOUIU Ies suivre dans une
entreprise qui ne devait leur offrir
cl’abord que des frayeurs, et en-
suite, que des privations et des
clangers.
11 fallait un sentiment bien ?uis-
$+ -–.w~——*
NOS GRAND’ MkRES 53
sant pour eptratner ces femmes
dans un pays oh rien de riant ne
pouvait fasciner d’avance Yima-~rination, aiguillonner ~ambition
ou Yarnour des jouissances ; pas
d’or, comme dans les colonies es-
pagnoles; pas de ciel cl~ment, pas
de fruits succulents, pas &indig~-
nes bienveillants ; mais au con-
traire, des froids inouls, des fo-
r~ts intermipables, et ces terribles
Iroquois toujours armts, toujours
insatiable de sang ! Ces dpouses
vinrent done ici sinlpIement pour
partager les travaux, les espL-
% w+w~
-.
‘
rances et les dangers de Ieurs
maris, pour soLllager et Charlner
leur exil, pour enfanter h la Fran-
-cc, dans leur courageuie fid~litd,
des gfndrations l)lus vigoureuses,
plus fdcondes, plus indestructi-1bles.
La premi?re et la seule dent
~histoire fasse mentjon avant le
sdjour de Madatie de Champlain
& Qu~bec est la femme de Louis
II#bert. Il convient de faire de
suite ~ cette Eve du Canada la
-
+-~~*—-- e%
NOS GRAND’ MERES 55
part .si bien m~rit~e de notre ad-
miration.
Elle ~tait arrivde h Qu6bec en
1617 avec son mari, apothicaire
de Paris, que la compagnie de la
Nouvelle-France avait saris doute
entraln& en Amfrique pour admi-
nister d es potions h ses commis,
dans leurs indispositions. Uni-
ntelligent pharmacies pensa, apr~s
quelque temps, qu’il accomplirait
probablement un travail aussi sa-
lutaire h ses patients et plus utile
& sa posttrit~, s’il laissait 1A la fa-
brication des pilules pour la cul-
$$ ~~ %’ .-—
.
55 NOS GRAND’ MfiRES
ture de la terre; et for~ant le
mauvais vouloir de la compagnie,
il rdussit & en obt,enir le droit de
mettre en culture u?z tevvain de
dix aYfcILts dktefzdue so26s Za Y4seY-
ve qu’il ?ze $ou~rait vendre qu’d ses
fatvo~zs Ze suvplus des p~odaits
f2ekcssaires h sa nouv~itu~e, aux
p~ix qu’iZs voudyaient bie% jxer
e24x-n2imes.
Laisser cultiver, h de pareilles
conclitions, dix arpents de terre
sur la surface de 1’Am&rique sep-
tentrionale que poss~dait alors la
France, quelle ggn~rosit~ ! Et ce
NOS GRAND’ NI~REs 57
fait confirm~par unacteet let&-
moignage de Champlain, ne suffit-
il pas A caractdriser ces compa-
nies v~nales et rapaces qui ~tran-
gl~rent du~ant tant dann~es la co-
lonie dans son berceau,
Le pauvre apothicaire mourut
quelque temps apr?s, probable-
ment combld de ddboires et de
vexations. Et, c’est 1A, sur ces quel-
ques arpents de chaurne, que Ma-
dame de Champlain trouva sa veu-
ve quand elle vint, trois ans apr?s,
tenter de s+journer au Canada.
11 faut bien que la veuve H4bert
,p w~$i
58 N~s GRAND’ MERES
soit rest+e plusieurs anndes saris
compagnes, sur cette terre, pour
que Madame de Champlain ait
pu dcrire apr~s quatre ans de.
s~jour dans le gouvernement de
son mari : “ qu’elle n’y avait vu
d’autres femmes que les trois
suivantes qu’elle avait emmen~es
avec elle.”
Cinq ans apr~s le d~part de
celle-ci, en 1624, Champlain, as-
si~g~ par Louis Kertk, Ltait forc~
de livrer Ie Canada i ~Angleterre;
et il partit avec tout ce qui pou-
vait y repr~senter la France :
* —.-––– ‘-——-—d—“2WB%.
marchands, soldats, pr~tres, dra-
peaux. Seule, la veuve HLbert
demeura avec son gendre Couil-
lard et quelques ouvriers, pilotes
ou interpr~tes restds pour la plu-
part au service de Kertk et dentquelqlles-uns n’6taient que des
transfuses huguenots; elle demeu-
ra sur Ies dix arpents de terre que
son mari avait fructifies de son
travail, arros<s de ses sueurs; sur
lesquels il avait fond6 le repos de
ses vieux jours, Tavenlr de sa
famine, la perpdtuit~ de sa post~-
ritd. Qu’importe si les motifs de
[H~-w~%” ,d
,:‘ i,
.-
sa stabilit~ftaient intdressfs :—
l’histoire dit qu’elle voulait recueil-
lir Ies fruits de la semence d6po-
s&e le printemps dans son petit
domaine,—Mais ne cddait-elle pas
non plus au cri de ses entrailles ?
son principal, ou plut6t, son uni-
que int~r~t ne reposait-il pas aux
sources Ies plus pures et les plus
g6n&reuses de son c~ur de fem-
me ?. . . . Il y avait la le pain de
ses enfants et les fruits de tant
de sacrifices ! Il y avait la un
foyer d’amour, un toit paternel,
un sanctuaire de tous les souve-
@-~N%e
nirs bdnis de la famine ! car c’est
lh qu’avait tt~ consacr~ Ie pre-
mier mariage et btnie la premi~re
naissance.
Non, cette pauvre veuve, en
regardant s’~loigner la France ai-
mte, dans son d+laissement vo-lontaire, nous donnait un ex-
emple sublime que nous aurions
~ suivre plus tard, et nous r6vd-
lait, en le rdsumant tout entier
dans sa personne, le myst~re de
la survivance providentielle des
nations sur le sol qu’elles ont
baptis~ de leurs sueurs et rendu
&b~+%*—
P awm —q—..:
62 NOS GRAND’ MERES
—— —
productif et bienfai:ant. En se-
mant son mais et son froment, la
veuve Hdbert avait plant~ les
germes de la patrie nouvelle,
elle avait contract6 un pacte et
une union avec cette terre dent
elle avait f6cond6 Ie sein, elle
voulut y rester fix~e, malgr~ son
aversion pol~r Ies Anglais, mal-
grd la mauvaise fortune de la
France. Aussi, quand, apr~s trois
ans &abandon, cette France vint
reprendre possession de son do-
maine rendu par l’Angleterre, ce
fut SO,US le toit de la veuve Hi-
,
M —=%*.> C6, .G
NOS GRAND’ kl~RES C3
bert qu’elle chanta son Te ~ezi7fz et
offrit ~ Dieu son sacrifice &actionde graces ; il n’y en avait pas
&autre restf intact au Canada,
et certainement qu’on n’en aurait
pas trouv& de plus digne d’un
pareil honneur. Car c’est SOUS’
ce seul et humble chaume qu’a-
vait surv~cu la parole, la foi, Yes-
p6rance de la France-m$re, qu’a-
vait palpit& son amour, qu’avait
repos~ comme une immortelle re-
lique le germe d6j~ indestructi-
ble de la France-Nouvelle.
Le roi r~compensa plus tard
W..,.— d
*
ce courage viril : il cr~a un fief
en faveur de Couillard, gendre
de la veuve Hfbert et Iui conf~ra
Ie titre et les pr~vil~ges de sei-
gneur. Et Dieu fit sortir de ce
berce;lu des H<bert une ldgion
d’hommes forts et vertueux qui
all~rent propager et implanter
sur toutes les rives du St-Laurent
ce nom et les traditions de bien
et d’honneur puis~es au sein de
leur premi~re m&re. “ sa postd-
rit<, dit Ie P. ~ Le Clercq, a &t&
si nombreuse, qu’elle a produit
quantitd d’officiers de robe et
[ @ 3ti- ~~~e
+- --%
NOS GRAND’ MERES 65
&&p6e, de marchands habiles, de
tr~s dignes eccl~siastiques, enfin,
n un grand nombre de chrttiens,
Il dent plusieurs m~me ont beau-
! Oup Sou‘1 c ffert, et dautres ont <t~
ituds par les sauvages, pour les
~~ intdr~ts du pays:
t& Autour de cette femme hLrol-
que vinrent se grouper bientdt
quelques autres &pouses. Cham-
plain Atait revenu au Canada re-
11 v~tu de nouveaux pollvoirs; Ies
1 vieilles companies march andes
avaient &td dissoutes, une nou-
(‘h~~%w” *
~~”-~ &3\
66 Nos GRAND’ MhRES
velle venait de se former soumise
~ des conditions plus strictes, et
animde d)intentions plus g6n6-
reuses ; elle fit quelques efforts
pour entra!ner au Canada une
population honn~te et industri-
euse. C’est ~ ce moment que
Madame de la Pelleterie vint ~
QuLbec accomplir sa mission
bienfaisante; elle ouvrit le chemin
h la confiance.
Mais ce fut aurtout quand M.
de Maisonneuve vint 6tablir dans
Ifle de Montr6al, au centre des
peuplades les plus turbulences
~m%” d
du Canada, sa
Marie, que la
prit en fin des
sbrieux. Les
colonie de Ville-
Nouvelle-France
d~veloppements
colons arriv~rent
en famine ; ils Ltaient pris dans
les divers 6tats et corps de
m6tiers de fa~on h pouvoir com-
poser en arrivant ici une socidt~
compl$te. On les triait en France
comme les bons fruits, parmi ce
qu’il y avait de plus pur en mmurs,
en noblesse et en croyance. En
relisant les pages de Yhistoi-
re de ce temps, on croirait que l’d-
tablissement du Canada fait suite
w *w&- &i
68 Nos GRAND’ M~REs
aux croisades t~nt les beaux
noms abondent, tant la foi et Ie
courage se montrent dans les
travaux et les pdrils de ces der-
niers preux de la France cheva-
leresque.
Le rble de nos grandm$res
dans ce travail de fondation est
aussi digne des plus beaux temps
des ages hirolques. Partout a
cdt6 de Ieurs maris, on Ies voit
exposdes ~ tous Iellrs dangers,
surprises par les Iroquois pendant
qu’elles recueillent au champ la
moisson, OU pr~parent, ~ la ca-
bane provisoire, le berceau des g<-
n~rations qui se prdcipitent : elles
portent des armes ~ ceux que
~ennemi assaille ~ ~improviste,
elles d~fendent victorieusenlent
nos forts et nos palisades pen-
dant que les hommes courent
vers dautres points menacfs, elles
subissent la torture ~ cbt~ de nos
martyrs, elles sont ravies et ‘e-
tenues en captivit6 pendant des
ann~es, en captivitd cl~ez les Iro-
quois, sous des buttes d’dcorce
doti elles reviennent plus intrdpi-
j~~%w~
—k.
* m%w.~R
. .J
70 Nos GRAND’ MERES
des encore et plus respect&es!
A Vine-Marie, un jour, on voit
surgir tout autour de l’enceinte,
au milieu des 6claircies form<es
par les nouveaux d6frichements,
des bandes d’Iroquois; ils se pr6-
cipitent sur les colons occup6s
aux travaux des champs. Ceux-ci,
ddsarmes, ne voient de salut que
dans la retraite. Mais les sauva-
ges peuvent entrer avec eux dans
les retranchements : il n’y a plus
d’hommes & l’intdrieur pour les
d6fendre. Une femme, Mme ~u-
C1OS, voyant le danger, charge sur
f.b W%* &
< ——**-’__.—.–.-_.._ .*
zNOS GRAND’ MfiRES 71
ses 6paules un faisceau d’armes
et court le porter aux fuyards que
.rejoint d~jh Yennemi. Armds ils
se retournent, ils combattent, ils
vainquent, et Vine - Marie est
sauvie.
A Verch?res, deux fois, le fort
comp15tement vide dhommes va-
lides, surpris par des bandes sau-
vages, fut sauv6 par le sangfroid,
l’intr&pidit6 et l’intelligence des
ch~telaines du lieu: par Mme de
VercReres, d’abord, et par sa fine
deux ans plus tard. Ces femmes,
assaillies ~ l’improviste, armkrent
:A~Bw -d
-.. .
p aw@m &l. .
72 NOS GRAND’ MfiRES
tous les enfants de fusils, dFcllar-
garent les canons, et couvertes
d’uniforrnes de soldats, se pr6-
sentant ~ toutes les meurtri~res,
sur tous les points menac6s, elles
sembkrent 16gion aux yeux de
l’ennemi, et ils s’enfuirent effray~s
et vaincus.
Apr?s cette vaillante lutte
soutenue contre les sauvages, vint
la lutte acharn6e avec les Anglais,
notre guerre des g&ants! Elle
absorba tous les bras, toutes les
forces, toutes le~ substances de
e wB%”-
notre colonie : enfants, vieillards,
chevaux, tous dtaient atteI&s sous
les armes, et dispers<s h des dis-
tances Lnormes. Pendant sept
ans ce furent Ies femmes qui
pourvurent en partie ~ la nourri-
ture de nos arm+es: leur t$che
ne s’alldgeait que parce que nos
arm6es s’an6antissaient m6me
dans leurs triomphes : nos m&res
nourrissaient des soldats pour la
victoire, et la victoire leur rendait
le deuil et le veuvage I
Cest dans cet <tat que les sai-
sit la conqu~te : ruin~es, saris pain,
saris Vttelilents, saris enfants !..
Et cependant, regardor]s avec
quel courage elles prodiguent aus-
sitbt leurs veilles, et centuplent
Ieurs forces pour r~parerle vide
laissd dans nos garde-robes, nos
greniers, nos laiteries et nos hu-
ches, comme elles prodiguent les
douleurs dent elles n’ont pas +pui-
S6 la mesure, et Ies substances
laiss~es dans leur flanc, afin de
rendre h nos si \ ions d~serts d’au-
tres bras qui devront Ies fdconder
encore, et dormer h cette patrie
mutilie qui n’dtait plus la Nou-
+—- ~y~ )+& &
———-—- .
NOS GRAND’ M~RES 75
velle-France assez de nobles cmurs
pour nous laisser espdrer encore
qu’elle revivrait un jour. Les
dangers, les privations, les sacri-
fices, cette moisson denfants jet~e
b la patrie agonisante, semblent
avoir doubl~ ~~nergie de nos m+-
res et raviv6 leurs vertus, leurs
forces, leur amour indpuisable.
Toute autre source oh pouvait
s’alimenter ce qui nous restait de
sang franfais nous &tait fernl~e
pour toujours : tout notre espoir
de revivre et de grandir apr+s la
d6faite, tout ce que nous avions si
k .
+ .%W* ~*z
76 NOS GRAND’ MfiRES
p+niblement fond~ et ddfendu par
notre travail et nos combats ; nos
terres, nos foyers, nos autels, notre
langue, nos traditions, notre amour,
notre orgueil, notre caract&re na-
tional, tout ce qui refait une pa-
trie quand la patrie est andantie :
eh bien ! Ie salut de tout cela re-
posait dans le sein valeureux de
nos m&res.
11 nous fallait des homm=, plus
que jamais ; des hommes de cou-
1 rage, de force, d’honneur, d’intel-
Iigence ; nos mares nous Ies pro-
digu&rent.
,~~.. 9m.%’~
—-
4NOS GRAND’ MERES 77
L’heure et Yoccasion des 6pou-
sailles se pr~sentant, elles ne s’in-
forrn$rent pas au milieu de cette
ruine g6n/rale, si ~6pouseur au-
rait de quoi les sauver de la faire
au lendernain de la note ; elles
ne se demand+rent pas s’il pour-
rait leur dormer assez de bijoux
et de bril]antes toilettes pour faire
ressortir leur beautd, assez de
loisir pour mettre en relief leurs
talents d’agr~ment, assez d’abon-
dance pour dormer des fdtes pom-
peuses ~ leurs amis ~blouis.
La beaut6 de nos mires dtait
-—
p .w~~
78 Nos GRAND’ M~RES
dans la fralcheur de leur prin-
temps, dans la grace, la simplicit~
et le nature] de leur personne et
de leur d~marche, dans le rayon-
nement d’une ~me saris voile, et
Vdpanouissement d’une santd ru-
tilante : des pierreries, de dis-
pendieux chiffons, tout ce ruineux
attir~il que recherche la coquette-
rie et dent s’ench~ssent Ies fem-
mes de peu de grace, de go~t et
de valeur aurait bien g~td des
charmes aussi r~els.
Les talents d’agr~ment de nos
m$res consistaient surtout dans~.,B? ‘x&~&
leur humeur enjoude, leur amour
universel du bien-faire, et ces d+-
licatesses exquises du cmur et
de ~esprit puis~es aux meilleures
sources du savoir-vivre, se tradui-
sant dans toutes leurs mani~res et
leurs proc~dds. Des gouverneurs
anglais qui les connurent, disaient
qu’elles auraient dignement figurd
& la tour de Louis XIV.
Et remarquons que ce n’~tait
pas particuli&rement de nos ch~-
telaines que parlaient ces goul’er-
neurs, mais de femmes que l’on
rencontrait dans tous les gtats
f,, h?$ *aya~
.
-
a80 NOS GRAND’ MkRES
de notre mocleste bourgeoisie.
Est-il n+cessaire maintenant,
Mesdames, de demander A nos
pares, si, avec ces dons-la et
cet acquis qui ne cofltait pas
cher, nos m$res ne leur parurent
pasassez aimables ? . . . . . . . . . . .
. . . . . . ...* . .. *O*.*.. .* 000 *O.
Nous avons adopt~ entre au-
tres chansons qu’ils nous ont
transmises et qui disent ~ peu
pr+s toutes la m~me chose, un
hymne national oh nous trouvons
exprimde simplement, saris subti-
lit~ ni p~moison, la juste mesure
●
?’q *WK.? -%!
NOS GRAND’ hlkRES 81 ‘
de leur appreciation : “ Vive la
Canadienne ! “
Ce cri naifdu cmur de nos p$res
n’est devenu spontantment le
chant de la patrie que parce qu’il
rdv~le cette conviction imprimfe
dans nos consciences et nos sen-
timents, que pour nous, ce qu’il y
a de plus pur, de plus saint, de
plus bienfaisant, de plus aimable
dans la patrie, que toute la patrie,
comme je le disais tout h l’heure :
c’est nos m+res !
Mari&es, ~ quatorze et quinzeans, elles ne d<terminaient pas
h~%%
.
. . -—
d’avance la mesure des devoirs
qu’eIles auraient k remplir, ni
I’heure, ni Ie nombre des couches
qu)el]es allaient entreprendre :
elles partaient all&grement, saris
soucis anticip6s, s’en allant sur
des rivages Iointains, au fond des
for~ts, confidantes en Dieu, dans
leurs maris, dans leur courage :
c’6tait leur tour de note ! “ Mares
apr+s dix mois, elles Ygtaient de
nouveau, h peu prbs chaque an-
ndp, j usqu”i ~~ge de quarante-
cinq ans. Comptez. . . je ne fien-
tionne pas Ies jumeaux : Vous
b“ ‘Mti%~5a8
y“ .%~m~h‘z
NOS GRAND’ kIkRES 83
pouvez rioter facilement, saris dou-
te, le chiffre des rejetons, mais
vous ne trouverez jamais le nom-
bre des pens~es &amour, des heu-
res saris sommeil,des soins coquets
donn~s h tous les marmots ; vous
n’add itionnerez jamais les points
d’aiguille, les tours de quenouille,
les al16es et venues de la navette;
puis les fromages, puis les conser-
ves, puis les produits du jardin,
puis les milliers d’autres travaux
ddconomie domestique, accomplis
avec joie pour v~tir et nourrir,
pour f~ter m~nle cette postdritd
K 2~atim .
,
d’Abraham ! vous ne compterez
jamais non plus les services ren-
dus aux voisines, aux fines et
aux brus, dans les temps de ma-
Iadie ou pour leur faciliter le ru-
de apprentissage”du marriage.’’.
Voi14 comment nos m&res ont
r6ussi ~ refaire la patrie.
Vingt-cinq ans apr$s la con-
quete, YAngleterre voyait encore
ici une phalange d’hommes forts,
sages et instruits qui se tenaient
debout devant elle, fermes et
attentifs, ne lui demandant pas
(I) ~udfucs ti Ma?ie par l’autcur.
s —*~ ~.
%+ .%%=. *; R
NOS GRAND’ MERES 85
de Ies ddlier d’un serment jurd et
de d+truire la lettre d’un traitd
Ioyalement signt, mais exigeant
que toutes les stipulations de ce
traitd fussent rigoureusement rem-
plies.
Et ces hommes ils &taient
Aonz7nes dans toute la noble accep-
tion du mot, comme les voulait
Platen : gtn~reux et dLsintdres-
s~s dans la lutte, puissants ~ la
tribune, habiles au gouvernenlent
comme & la charrue, honn~tes en
tout, aim:lbles au logis.
Car, nos m?res ne se conten-
—
‘---””----86 NOS GRAND’ M~RES
taient pas de mettre au jour des
#tres hurnains, de leur faire une
portion de Iait abondante, de leur
pr~parer une couche moelleuse,
de Ies v~tir pour le Iendemain, les
abandonnant ensuite au bord du
chemin, saris frein, saris r~gle,
saris exenlpl.es, comme un trou-
peau qui n’a plus qu’~ flaircr Ie
sentier du p~turage. Elles ne
pensaient pas que I’homme n’a
qu’~ s’en aller devant lui, courant
apr~s tout ce qu’il ambitionne,
prenant tout ce qui lui plait, dd-
truisant tout ce qui ~entrave ;
que le maltre d~cole, Ie curd, le
juge et le bourreau ont pour mis-
sion exclusive de dire aux enfants
qui ont cess6 de ttter tout ce
qu’un homme doit croire et prati-
quer dans la vie ; que toute la
dignit6 personnelle consiste ~ te-
nir la ttte haute et Ie chapeau sur
le haut de la t~te devant tous
ses sup~rieurs, et devant tous
ses subalternes ; qu’un citoyen a
rempli tous ses devoirs vis-~-vis de
ses semblables,quand il leur a pas-
S6 le plat, apr~s avoir pris tout ce
qu’il y avait dedans.
1 88 NOS GRAND MERES
IlNla!tresses supdrieures comme
elles dtaient mares gdndreuses,
garclant religieusement tous les
prdceptes d’une forte dducation
$} chr<tienne et toutes les traditions
~ d’une socidtd d’+lite, elles fai -k4R saient de la cr6ation d’une fa-E* mine, non seulement une muvre\
I
d’amour, mais aussi une muvre
de devoir et d’orgueil : persua-
cldes que former des enfants est
une chose strieuse, grande et
sainte, que des fils forts, probes,
courageux, habiles, bienfaisants et
honor6s, que des fines, aimables et
L“a~sa%”~
~awe. –w‘1
NOS GRAND’ MkRES 89
vertueuses comme elles l’~taient
elles-m~mes, ferment autour d’un
front de m+re une couronne
glorieuse qui vaut bien, devant
Dieu et la patrie, les SUCCLS futiles
et les louanges passagbres que
rapportent ces mine bagatelles
de ~esprit et de la main qui occu-
pent tant de moments chez
quelques femmes, et sont toutes
consacr+es A I’amusement et i
Yornement des salons. Elles
6tablissaient elles - m$mes dans
le cmur, dans la conscience,
l’esprit et Ies habitudes de leurs
89 — ~+~q
- . . . .
p m’~m ~.R
90 Nos GRAND’ MfiRES
enfants, avec ce simple rayonne-
ment des choses bonnes et ai-
mables qui reposaient dans Ieurs
personnes : graces, regards, pa-
roles, exemples, anecdotes et
chansons morales, avec de tendres
larmes aussi quelquefois, elles +ta-
blissaient, dis-je, ce sens du j uste,
du droit et de Yhonnete, cette dis-
tinction, cette arn~nit&, cette bien-
veillance de Iangage, de mani~res
et de proc~d~s ; tr~sor q u’on ne
puise jamais qu’au milieu des ten-
dresses du berceau ; trisor dent
tant de nos p~res furent riches et
6w ~~~m &
qui faisait l’admiration des Ltran-
gers venus au milieu d’eux. “ ~’est
un peuple de gentilshommes, ”
~crivaient Ies touristes am~ricains
en rentrant chez eux. Et plusieurs
s’empressaient d’envoyer Ieurs en-
fants dans nos famines, convain-
cus qu’en y apprenant le fran~ais,
ils participeraient encore & une
dducation bien favorable ~ dg-
velopper leur distinction native.
Il faut bien le constater, mal-
heureusement, ce ,peuple de gen-
tilshommes, en grandissant perd
peu h peu des qualit6s exquises
E
,
qui le faisait distinguer des 6tran-
gers’; Ies quelques figures qui
survivent h ces beaux temps
semblent briller au milieu de
‘nous comme d’inimitables reli-
ques, On les admire encore saris
doute, mais les imiter serait pour
un grand nombre accomplir un
anachronism. Avec quels re-
grets nous avons vu disparaftre
derni?rement de notre soci6t6
une de ces rares figures typiques
de notre pass~,,, celle de notre v6.
n6rable ami M. Cherrier. Beau-
coup ont dit en voyant se voiler
,
.,
,
MR
.%= ——*>
NOS GRAND’ kf~REs 93
cette image qui refl~tait tous les
charmes de l’esprit, de l’honn&-
tet6, de la sociabilit~, de la vertu
et de la foi : “ C’est le plus bel
exemplaire et peut-$tre le dernier
qui nous restait.”
Ah! Mesdames, je me hate de
le dire : cette d~perdition des
grandes qualit6s de notre race,
ici, est due A des causes ext6-
rieures que vous ne pouvez mal-
heureusement contr~ler, et que
je ne peux pas signaler ce soir.
Et ces mares qui aimaient d’un
amour si ddvou+, si fier, si intelli-
$ ~+%e *J
M .*%*. &$ 3
94 Nos GRAND’ M~RES
gent, elles aimaient saris faiblesses
aussi. La femme de ce Joseph
papineau, le premier dans nos
assembles ddlib~rantes, le pre-
mier & tous les devoirs de citoyen, !
cette smur de la m?re des Larti-
gue et des Viger, cette m+re d’un
Gracque, qui al]ait d~poser son
suffrage en faveur de son fils, au
milieu du grondement dune po-
pulace ameut~e, &crivait k ce m~-
me fils, enfant, retenu au s&mi-
naire de Qufbec oh il commen-
~ait ses dt(ldes : — Ie futur tribun
se regimbait saris doute d~j A sous
&i% , rw%~
lefreind’une r$glequ’il trouvait
trop rigoureuse et il avait mand~
~ sa m$re que, si on ne se ll~tait
de Ie rappeler, il mourrait h Qu&-
bec.—” Situ meurs h Qudbec, rd-
pondait cette spartiate, il y a IA
ce qu’il faut pour t’enterrer ; sois
tranquil] e. “
Et sa fine, Madame ~essaulles,
qui, aprbs avoir passd volontiers
six ou sept ans de sa joyeuse
ieunesse dans Ies fortts de l’Ou-
taouaisi oh son p~re voulait ou-
vrir un nouveau domaine, & la
colonisation, vint, & Y/poque de
. ..- . . . . . ------ ‘“””’” “-’”
son mariage, s’6tablir dans Ie ma-
noir de St-Hyacinthe pour y
exercer. pendant une Iongue vie
toutes les vertus et les munifi-
cence de son grand cmur, tous
Ies charmes et les distinctions de
son esprit et de ses royales ma-
nibres. l~oyons-la pendant les ra-
vages de l’dpiddmie de 1832, la
plus meurtri&re qui ait jamais ra-
vag~ Ie Canada. Les famines
dtaient ddcimdes dans Ie village
et les champs, la fi-ayeur aveu-
glait tout le monde, on ne con-
naissait ni rem~des ni soins pour
M?
MR. -HA
NOS GRAND’ MkRES 97
gu<rir ce terrible choldra j~squ’a-
lors ignor~ dans ce pays. Au
milieu de ~6pouvante g6n&rale,
madame Dessaulles, un jour, cla-
quemure ses enfants dans une
partie recu16e de sa demeure,
puis elle <tablit un hbpital dans
une de ses d6pendances oti elle
fait transporter les malades les
plus d~laiss~s et les plus dgnugs,
et elle s’installe au milieu d’eux,
devenant leur m~decin, leur ser-
vante, leur apothicaire, et A elle
seule plus que tout un Jtirau de
santk.
KH *~**—
Pendant ce temps-lh, sa mare
dtait emport6e par Ie fldau, ~Montrdal,
Mesdames, j e m’dpuiserais moi-
m~me avant de pouvoir dppiser
ces traits g~n~reux de la vie de
nos m+res : j’ai saisi ceux-ci h la
h~te, dans mon voisinage, n’ayant
pas le temps d’aller en chercher
plus loin ; mais quelle famine
n’a pas connu parmi les siens,
dans nos campagnes recu16es,
avant qu’elles ne fussent enva-
hies par les graduds de n.os nom-
breuses universit+s, de ces fem-
K‘H —&Wa%
a—%mz Cd;
NOS GRAND’ MBREs 99
roes, mddecins volontaires, qui,
avec cette facult< exquise propre
au cmur maternel de dgcouvrir
les secrets de toute souffrance,
trouvaient des rem~des que ne
rencontre pas toujours la science
int&ress6e ?
Elles allaient bravement au lit
de toutes les douleurs, saris re-
garder aux dangers, saris s’infer.
mer des r~gles si subtiles, si com-
pliqu6es et souvent si contradic-
toires de notre hygiene moderne,
saris penser m~me au mal qu’elles
pouvaient rapporter ~ Ieurs en-
~’G— -&
~*~@--~iz
100 NoS GRAND’ MfiRES
fants, Elles se disaient,ces femmes
valeureuses: “ si les hommes n’al-
laient plus hlaguerreparce que
l’on risque de s’y faire tuer, qui
nous dtfendrait” ? et elles allaient
h leurs combats g6n6reux. Et
Dieu qui a dtablit une Ioi de cha-
rit~ au foyer m~me de tous les
amours laissait h nos mbres leurs
enfants, pendant qu’elles ob&is-
saient h cette loi, pour conserver
h d’autres enfants leurs pares etleurs mbres.
Voilk, encore une fois, com-ment nos m$r%s ont refait la pa-
~.w%w.—~ -~
NOS GRAND’ MtREs 101
trie : ellesont aim4 dans la plei-
ne mesure que Dieu avait faite A
leur cmur, et cet amour a produit
tous ses germes de vie, h pleine
mesure. C’est pour cela, nos no-
bles m+res, que vous devez tenir
dans notre respect et nos souve-
nirs une place exceptionnelle, une
place souveraine. N’est-ce pas
la femme de L40nidas qui r4pon-
dait un jour A quelque cr<ature
eff@min4e de son temps, esclave
saris doute par ses charmes chez
quelque peuple avili : “ Vous me
demandez pourquoi nous sommes
~m~%w—~
102 Nos GRAND’ MfiREs
reines, h Sparte ?. . c’est parce que
nous sommes Ies seules qui met-
tions au monde des hommes. “
Eh bien ! nos m$res, vous aus-
si, vous ttes reines, montez les
marches de votre tr~n’e.
Il y a de notre temps un art et
une litt+raturc d4voy4s et avilis
qui confondent tous les mdrites,
oublient la place flev~e qu’a tou-
jours occupde la vertu dans la
conscience et ~estime de tous les
peuples forts, et ~influence qu’a
eue sur leur stabilitd et leur dur&e
l’observance rigoureuse de toutes
NOS GRAND’ MkRES 103
les lois et obligations qui prot?-
gentet honorent le berceau de
la flmille. Cet art etcette litt&-
rature concourent avec envie h
toutes les ivresses de nos app~tits,
~ la satisfaction de toutes nos
jouissances, au d~dain de toute
r?gle qui impose une gene pdni-
ble; ils ont concouru particuliLre-
ment ~ la justification et A l’ex-
pansion du divorce, cette 14galisa-
tion de Yadult+re qui conduit aux
accouplements d’occasion, fait de
la famine un troupeau, ddpose
avec la loi une fl~trissure et un
*
mdpris sur Ie front et dans le cmur
des enfants ! Cet art et cette
Iittdrature proclament aussi leurs
reines, en face de VOUS, nos mares !
Reines de salon, reines de thd~-
tres, reines. . . . —pardonnez-moi,
il faut bien Ie dire,— reines du de-
mi-monde. Et ces reines re~oivent
leurs palmes, Ieurs hyrnnes, Ieurs
couronnes, Ieurs triomphes, leur
apothdose; elles ont leurs images
partout, Ieurs louanges remplis-
sent certaines gazettes populaires.
Et vous passez, m$res h~roiques,
vous passez modestes,silencieuses,
*4 NW.—M.i‘%,
NOS GRAND’ MkRES 105 ‘
ignordes, pendant que ~on fait
tout ce tapage et tout cet ~clat,
autour de ces royautds dphdm&res
du plaisir. Artistes ou actrices en
amour, ces reines d’un jour se
contentment d’effeuiller les fleurs
de leur s~duisante jeunesse sur
tous les sentiers, de semer le sou-
rire et la joie sous leurs pas, de
r~colter des hommtiges,des dises-
poirs, et quelquefois des pr~-
sents . . . . laissant la st~rilit~ par-
tout et le vide apr$s elles.
Ah ! prenez votre couronne
saris tache et montez bien au-des-
sus de celles-ci : vous seules ete
dignes de r+gner, car vous seule
avez acceptg et portal tous les far
deaux, toutes Ies responsabilitd:
toutes les souffrancesj et quelque
fois, Ies martyres de votre royau
t~ de femme, et vous seules ave;
produit tous les fruits b~nits d(
votre sein. Votre r$gne ne s’6tein.
dra maintenant qu’avec ~~otre his
toire ; il s’dtend d+j~ sur tout Ie
nerd de notre continent.
Vo(ls avez reconquis dans vo-
tre noble labeur toutes ces solitu-
des que nous avions abandonndes
~. *BL., @—_e
piedh pied enysemantle sang
de vos c~urs ; vos enfants d<-
bordent de toutes parts cette vas-.
te fronti&re ob la France avait
plant6 son drapeau ; ils &lkvent
leurs demeures tout pr$s de ces
lieux oti dtaient jadis ces forts de
Frontenac, de Beaus&jour, et de
I St-Fr6dLric, qu’ils virent tomber
un & un, malgr6 leurs victoires ;
ils sont des ldgions au sein m~me
de cette Nouvelle-Angleterre qui
enfantait les arm~es destin~es ~nous andantir. Cinquante nlille
d’entre eux n’ont-ils pas pr~ti
1% Wsm d
4.
. . .
~-””—–*108 NOS GRAND’ MhRES
leurs mains k Ieurs anciens enne-
rnis pour rdtablir Ie lien de leur
. empire ?
All ! oui, prenez votre couron-
ne, nobles et saintes m$res, et r&-
gnez dans notre amour et notre
orgueil & c~td de ces hdros, vos
dpoux et vos fils, tombds sur les
plaines de Carillon, dAbraham et
de Ste Foye, ~ c6t6 de ces grands
patriotes, vos dpoux et vos fils,
qui ont assurd par leur talent, la
force de leur parole, leur ~nergi-
que pers6v6rance, notre vie na-
tiollale et autonome sur ce con-
.
NOS GRAND’ M~RES 109
tinent. C’est h vous qu’appar-
tient Iaderni&re victoire, la plus
ffconde et la plus durable; et
nous la devons toute & votre
amour.
+
. . . . .
E. SENiOAL & F’ILS, Iml)., 20, rue St-Villccllt, Montr&BI.