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MUSIQUE PÉDAGOGIE & La revue FAMEQ à la une volume 33 | numéro 2 | Printemps 2019 INFORMATION • Mot du président • Concert de Magnitude 6 • André Hamel : coup de cœur 2018 des cégépiens en musique ! CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES • L’enseignement de la musique au primaire auprès d’élèves vivant avec un TDAH APPROCHES PÉDAGOGIQUES • Enseignement efficace : comment l’appliquer en pédagogie musicale ? • L’Eutonie Gerda Alexander pour libérer la voix SANTÉ DU MUSICIEN • Quand interpréter rime avec santé CHRONIQUES • Musique et apprentissages ! • Les Musicales de l’éducation

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MUSIQUE PÉDAGOGIE&L a r e v u e F A M E Q à l a u n e volume 33 | numéro 2 | Printemps 2019

INFORMATION• Mot du président

• Concert de Magnitude 6

• André Hamel : coup de cœur 2018 des cégépiens en musique !

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES• L’enseignement de la musique au primaire auprès d’élèves vivant avec un TDAH

APPROCHES PÉDAGOGIQUES• Enseignement efficace : comment l’appliquer en pédagogie musicale ?

• L’Eutonie Gerda Alexander pour libérer la voix

SANTÉ DU MUSICIEN• Quand interpréter rime avec santé

CHRONIQUES • Musique et apprentissages !

• Les Musicales de l’éducation

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MUSIQUE PÉDAGOGIE&

1 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 33 | numéro 2

ÉditeurFédération des Associations de Musiciens Éducateurs du Québec

Éditrice déléguée Daniela GiudiceProfesseure de piano, Cégep de Saint-Laurent [email protected]

Coordination, administration et abonnement institutionnelMaryse ForandDirectrice générale de la FAMEQ [email protected]

Révision linguistiqueAmélie BoisProfesseure de clarinette et chef de l’Orchestre à vent du Cégep de Sainte-Foy

Comité scientifique • Jonathan Bolduc, Ph.D.Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages

Professeur agrégé en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval

Directeur du laboratoire Mus-Alpha

• Thierry Champs, Ph.D. Professeur agrégé en pédagogie musicale, Département de musique, Université du

Québec à Montréal

Directeur de l’unité des programmes de 1er cycle

• Muriel Deltand, Ph.D.

Enseignante chercheuse qualifiée en Art (section 18) et en Sciences Psychologiques et de l’éducation (section 70) – CNU (France)

Chercheuse permanente du laboratoire CIREL, équipe Trigone (EA 4354), Université de Lille 1 (France)

Titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire, Haute École de Bruxelles, département pédagogique (Belgique)

Didacticienne des Arts et coréférence du pôle éveil, Haute École de Bruxelles, Département pédagogique (Belgique)

Conférencière dans les Écoles Supérieures des Arts belges

Musique et pédagogie accepte la soumission de textes et de photos, selon les conditions énoncées sur le site www.fameq.org

Les textes publiés présentent l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas la FAMEQ.

Dépôt légal : ISSN 0841 9428

sommaire MOT DU PRÉSIDENT par Thierry Champs 2

INFORMATION Concert-événement in situ de Magnitude6 par Nathalie De Grâce 3

André Hamel : coup de cœur 2018 des cégépiens en musique ! par Nathalie De Grâce 5

APPROCHES PÉDAGOGIQUESEnseignement efficace : comment l’appliquer en pédagogie musicale? par Patrick Morissette 7

L’Eutonie Gerda Alexander pour libérer la voix par Nadine Dionne et Nathalie Dumont 13

SANTÉ DU MUSICIENQuand interpréter rime avec santé par Julie Boisvert 18

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTESL’enseignement de la musique au primaire auprès d’élèves vivant avec un TDAH par Silviane Trofimoff 21

CHRONIQUES Musique et apprentissages ! par Jonathan Bolduc et Véronique Gaboury 27

Les Musicales de l’éducation : Le musicogramme, applications pédagogiques par Muriel Deltand 30

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Mot du président

En tant que nouveau président de la FAMEQ, je me dois avant tout de re-mercier mon prédécesseur, M. Gaétan

St-Laurent, pour sa confiance ainsi que pour son dévouement et sa disponibilité tout au long de ces années. Je lui souhaite du succès dans ses nouveaux projets.

Chaque présidente et président a apporté son expertise et sa vision en espérant représenter nos membres le mieux possible. J’espère par conséquent être à la hauteur de vos attentes tout en restant attentif à vos besoins.

Ayant lancé le bal en 2017 en proposant le Département de musique de l’UQAM comme lieu du congrès, je me réjouis de voir l’intérêt que cela a suscité auprès de nos partenaires : universités, réseau des conservatoires, cégeps. Je tiens d’ailleurs à remercier l’Université Laval pour son accueil chaleureux lors du dernier congrès.

Réunir nos membres dans les universités, lieux de formations en enseignement de la musique, lors du plus important évènement de la FAMEQ est plus qu’un symbole : c’est la démonstration de l’engagement d’une institution et de son équipe pour l’éducation musicale.

Un souhait de M. Gaétan St-Laurent que je partage est de préserver le lien entre les différentes institutions : les écoles primaires,

les écoles secondaires, les cégeps, les universités et les conservatoires. Je me dois d’aller plus loin en invitant ces institutions à s’impliquer de quelle que façon que ce soit pour promouvoir l’éducation musicale au Québec. Je lance également un appel au milieu culturel (orchestres, artistes, salles de spectacles, etc.) à s’investir en fonction de leurs possibilités au sein de notre fédération et de ses associations.

Je voudrais maintenant remercier toutes les personnes bénévoles qui consacrent temps et énergie dans chaque association, que ce soit lors des congrès ou tout au long de l’année en mettant en place différents évènements pour nos membres. Ce sont des étudiants, des enseignants et des retraités dévoués qui n’hésitent pas à mettre leur expertise au profit de la FAMEQ.

Enfin, un remerciement particulier à tous les enseignants qui œuvrent chaque jour dans des conditions inégales et qui croient toujours en l’éducation musicale au Québec.

J’invite maintenant chaque personne sensible à notre art, qu’elle soit issue du milieu de l’éducation ou de la culture, à devenir membre de la FAMEQ pour préserver les acquis d’aujourd’hui et pour développer les projets de demain.

Merci de votre soutien!

T H I E R R Y C H A M P S , président de la FAMEQ, directeur Unité de programmes de 1er cycledépartement de musique de l’Université du Québec à Montréal.

2 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 33 | numéro 2

M OT D U P R É S I D E N T

Crédit : © UQAM | Service de l’audiovisuel, photographe : Émilie Tournevache, 2015

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Concert-événement in situ de Magnitude6 : une rencontre privilégiée entre les artisans de la musique nouvelle et l’auditoire de celle-ci

I N F O R M AT I O N

N AT H A L I E D E G R Â C E , clarinettiste, enseignante en musique au Cégep de Sherbrooke et chargée d’enseignement à l’École de musique de l’Université de Sherbrooke.

Créée en 2016, Traces dans l’espace est une composition collective qui juxtapose les œuvres de quatre

compositeurs québécois, soit André Hamel, Alain Dauphinais, Alain Lalonde (mieux connus sous le nom d’Espaces sonores illimités), ainsi que Julien-Robert.

Ces quatre œuvres, spécialement écrites pour le quintette de cuivres et batterie montréalais Magnitude6, ont été admirablement interprétées en continu lors d’un concert-événement tenu vendredi le 23 novembre 2018, à la Cocathédrale Saint-Antoine-de-Padoue de Longueuil.

Plus de 200 personnes s’étaient rassemblées dans ce lieu de culte pour y vivre une rare expérience d’écoute. L’auditoire a d’abord été saisi par la disposition des musiciens, positionnés aux quatre extrémités de l’édifice : enceintes acoustiques, dispositifs numériques, chronomètres, etc., le tout cohabitant sans heurt aucun avec les traditionnels lutrins noirs.

L’auditeur choyé a ensuite découvert que la place d’écoute optimale se situait au centre de la Cocathédrale, et non à l’avant, comme on aurait pu s’y attendre. En effet, cette prestation de musique mixte (à la fois instrumentale et électronique) a complètement enveloppé son public et l’a plongé au cœur du lieu d’accueil prévu à l’origine pour cette œuvre, c’est-à-dire in situ.

Si la Cocathédrale est à découvrir en raison de son exceptionnelle beauté, elle recèle également un secret bien gardé : une longueur de réverbération exceptionnelle qui permet aux sons de s’enchevêtrer pendant près de six secondes.

Pendant 60 minutes, le public été assailli d’espaces sonores hétéroclites provenant « de tous bords, tous côtés ». Cette spatialisation sonore, composée d’une multitude de sonorités cuivrées et percussives, était d’abord générée par les interprètes puis transmise, par des pédales MIDI, à des dispositifs numériques qui transformaient (processus de différé, de rétrogradation ou de granulation) les sons en temps réel. Toutes ces permutations sonores étaient ensuite redistribuées dans le vaste espace d’écoute par l’entremise de six enceintes acoustiques judicieusement disposées.

Cette expérience d’écoute non interrompue a permis aux personnes présentes d’être tour à tour profondément touchées, enveloppées, bousculées, voire effrayées par des traces d’espaces sonores faisant écho à des civilisations disparues, présentes ou même futures.

Si, par malheur, vous avez manqué cette prestation musicale d’une qualité exceptionnelle, suivez de près les prochains événements musicaux du collectif de créateurs Espaces sonores illimités, de Julien-Robert et du quintette de cuivres et batterie montréalais Magnitude6.

Nathalie De Grâce est clarinettiste, enseignante en musique au Cégep de Sherbrooke et chargée d’enseignement à l’École de musique de l’Université de Sherbrooke.

https://www.linkedin.com/in/nathalie-de-gr%C3%A2ce-09bb4638/

3 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 33 | numéro 2

Crédit : Sylvain Martel, Cégep de Sherbrooke

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I N F O R M AT I O N

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BIOGRAPHIE

Nathalie De Grâce

Originaire de Sherbrooke, Nathalie De Grâce est titulaire d’un baccalauréat en interprétation de la clarinette de l’Université McGill (1990), d’un baccalauréat en éducation musicale de l’Université de Moncton (1991), d’une maîtrise en direction musicale de l’Université de Calgary (1995) ainsi que d’un Diplôme d’études supérieures spécialisées de 3e cycle en pédagogie de l’enseignement supérieur de l’Université de Sherbrooke (DESSPES, 2017).

Nathalie est active comme pédagogue au Département de musique du Cégep de Sherbrooke (2000) ainsi qu’à l’École de musique de l’Université de Sherbrooke (2008) où elle se démarque tout particulièrement par l’élaboration de projets engageants utilisant les technologies de l’information et des communications pour l’enseignement (TICE) avec des projets comme Plattsburgh (2007-2009), Un vent d’histoire (Prix Forces Avenir, catégorie Projet engagé au collégial 2010), Miami (2011 et 2012), Projet iSCORE (depuis 2013).

Crédit : Pierre Markon

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André Hamel : coup de cœur 2018 des cégépiens en musique !N AT H A L I E D E G R Â C E , clarinettiste, enseignante en musique au Cégep de Sherbrooke et chargée d’enseignement à l’École de mu-sique de l’Université de Sherbrooke.

L’œuvre Traces de vie (2016), la pièce contemporaine « Coup de cœur des collégiens » qui a été entendue tout

récemment dans le concert-événement intitulé Traces dans l’espace interprété par le groupe « Magnitude6 », s’est vu décerné le premier prix au Concours Prix collégien de musique contemporaine (PCMC) en 2017-2018 !

On se rappellera aussi qu’en 2016, André Hamel avait remporté le 2e prix du PCMC avec sa pièce Andromède ou la beauté enchaînée (2015). Écrite pour quintette de cuivres (deux trompettes, cor français, trombone, tuba) et percussions, Andromède ou la beauté enchaînée (2015) évoquait, par une orchestration unique, le mythe grec d’Andromède (fille de Céphée et de Cassiopée, souverains d’Éthiopie), une jeune femme d’une grande beauté qui avait été sacrifiée par son père afin de sauver le peuple d’Éthiopie du sort terrifiant que leur réservait Poséidon, Dieu de la mer et des océans.

C’est le moment tragique où Andromède se trouve enchaînée à un rocher qui avait été mis en musique par le compositeur. Dans cette œuvre, l’auditeur pouvait facilement se représenter tant les cris désespérés de la fille sacrifiée que ceux du père dans les appels répétés des trompettes. De plus, les effets de spatialisation sonore indiqués dans la partition venaient ajouter au drame des deux protagonistes se trouvant séparés par une vaste étendue d’eau (Andromède enchaînée au rocher, son père confiné sur l’autre rive).

Présents dans les deux œuvres présentées au PCMC, ces effets d’illusions de déplacement des sonorités sont au cœur des moyens que privilégie André Hamel dans son art d’organiser les sons.

André Hamel s’apprête d’ailleurs à réinvestir ces techniques de spatialisation sonore dans une toute nouvelle œuvre spécifiquement composée pour trois étudiants du Cégep de Sherbrooke : Alexis Dubois (flûte traversière), Éloi Granger (cor français) et Vincent Leclair (piano). En effet, en plus du premier prix de 1 000 $ octroyé par le CMCQuébec (partenaire principal du PCMC), le compositeur s’est mérité une bourse d’une valeur de 1 500 $ offerte par Média Spec-solutions d’événements afin de créer une nouvelle œuvre destinée à trois collégiens. Ce trio sera interprété en première nord-américaine le 15 mai 2019 lors de la remise des prix au Cégep de Sherbrooke dans le hall de la salle Alfred Desrochers, situé rue Terrill, à Sherbrooke.

Pour plus d’information sur le concours, visitez le site du Cégep de Sherbrooke au https://www.cegepsherbrooke.qc.ca/f r/prog rammes-etudes/prog rammes-preuniversitaires/prix-collegien-de-musique-contemporaine

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5 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 33 | numéro 2

Crédit : Sylvain Martel, Cégep de Sherbrooke

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Andromède (mythologie). (2018, décembre 16). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 16 décembre 2018 à 20 h 46, à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Androm%C3%A8de_(mythologie)&oldid=154866997.

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Enseignement efficace : comment l’appliquer en pédagogie musicale?

Avec les années, plusieurs profession-nels de l’enseignement développent des stratégies gagnantes. Cependant,

il semble que certaines de ces stratégies s’avèrent plus efficaces que d’autres et que certains pédagogues ont un plus grand im-pact sur la qualité des apprentissages trans-férés à leurs élèves.

Quelles sont donc ces méthodes qui rendent ces enseignants plus efficaces que d’autres? Quelle est donc cette recette qui permet à des enseignants, qui ont pourtant tous la même formation à la base, de construire de meilleurs apprentissages dans le même laps de temps? C’est la question à laquelle les chercheurs tentent de répondre depuis plusieurs années afin de former les futurs enseignants.

J’ai eu la chance de me faire offrir de suivre le cours Enseignement efficace : fondements et pratiques donné à la TELUQ par les professeurs Mario Richard et Steve Bissonnette. Ce cours de 2e cycle universitaire n’est pas destiné spécifiquement aux enseignants en musique, mais son contenu peut être appliqué facilement en musique. Il faut cependant adapter certains paramètres, surtout en ce qui a trait à la gestion du temps, puisque les enseignants en musique ne disposent souvent pas d’autant de périodes d’enseignement que leurs collègues des autres matières de base.

Dans le texte qui suit, j’aimerais partager avec vous quelques unes de ces stratégies que je m’efforce d’inclure dans ma pratique depuis les trois dernières années. Bien que chacune de ces stratégies pourraient faire l’objet d’un livre à elle seule, une définition résumée en sera faite. Pour chacune d’entre elles, il sera aussi précisé comment elle peut être appliquée en enseignement de la musique.

QU’EST-CE QU’UNE STRATÉGIE D’ENSEIGNEMENT EFFICACE ?

Il est important de préciser que le fait de qualifier ici une stratégie d’efficace n’est pas le résultat d’une simple opinion ou de faits vécus par un petit groupe de personnes. Les stratégies sous-nommées ont été observées et ainsi qualifiées parce que leur effet a été mesuré par des études appuyées par des données probantes.

Le Petit Larousse (2003) définit ce qui est ef-ficace comme « qui produit l’effet attendu ». Une stratégie dite efficace devrait alors per-mettre au pédagogue de faire en sorte que ses élèves arrivent à atteindre les critères d’évaluation des objectifs du Programme de formation de l’école québécoise.

Plusieurs d’entre vous pourraient lire les prochaines lignes et avoir l’impression de déjà mettre en pratique certaines de ces stratégies de façon instinctive. Le but du présent texte est de présenter un éventail de stratégies qui pourraient interpeler des pédagogues pour compléter leurs pratiques pédagogiques et les rendre globalement plus efficaces.

L’ENSEIGNEMENT EXPLICITE

L’enseignement explicite est une méthode d’enseignement qui « consiste à présenter la matière de façon fractionnée, à vérifier la compréhension et à s’assurer d’une participation active et fructueuse de tous les élèves1 ». Cette méthode d’enseignement se déroule en séquences bien définies qui se résument en trois étapes : le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome. Le but de cette démarche par progressivité est de rendre autonome la production d’un comportement observable chez les élèves.

PAT R I C K M O R I S S E T T E , enseignant en musique à la Commission scolaire de la Rivière-Du-Nord, Laurentides.

1 Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard, tiré du texte L’enseignement explicite, lui-même tirée du livre Enseigner, sous la direction de Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle, 2007, PUF, coll. Apprendre, p. 107-116.

Crédit : Éric Constantineau

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Bien que cette méthode puisse être longuement expliquée et décortiquée, nous tenterons d’en faire un court résumé pour les besoins du présent article. Un modelage est une explication de la matière qui « présente l’objet d’apprentissage de façon claire, précise et concise, à l’aide d’exemples et de contre-exemples2 ». L’enseignant explique tout en mettant la matière en contexte et en se mettant lui-même en action. Lors d’une explication, l’enseignant qui fait du modelage peut exécuter la tâche en verbalisant toutes les étapes de la réflexion demandée à haute voix, comme si un microphone était branché sur ses pensées.

La pratique guidée se veut le moment où l’enseignant s’assure de la compréhension des élèves en fournissant à ces derniers des occasions de mettre à l’épreuve leur compétence. C’est aussi une occasion pour le pédagogue de fournir des rétroactions aux élèves de façon rapprochée dans le temps. La pratique guidée peut être menée par l’enseignant en grand groupe sous forme de questionnement aux élèves en exécutant un exemple. Elle peut aussi se faire en petites équipes, où les élèves plus forts aident ceux qui comprennent moins rapidement. Enfin, elle peut être réalisée sous forme d’exercices individuels pendant lesquels l’enseignant circule pour réorienter les démarches du plus d’élèves possible.

La pratique autonome est la suite de la pratique guidée pendant laquelle d’autres occasions sont données de parfaire ses compétences dans la matière vue. Cette période vise l’automatisation de ladite matière par un grand nombre de pratiques. Par ces occasions, on veut « favoriser la rétention de l’apprentissage dans la mémoire à long terme, libérant ainsi la mémoire de travail qui pourra, éventuellement, se consacrer à des aspects plus complexes [...] d’une tâche similaire3 ».

Prenons par exemple une leçon sur le coup de langue. Un bon modelage demanderait que l’enseignant explique les gestes précis à effectuer. Le pédagogue pourrait mettre un microphone sur ses pensées en expliquant tout ce qu’il doit faire pour que son coup de langue soit efficace : Où est placée la langue avant le détaché ? Est-ce qu’elle doit toucher l’instrument ou seulement les dents ? Où est-elle placée à la fin du coup de langue ? Est-ce que l’air doit déjà être derrière la langue avant le premier d’une série de coups de langue ? Pour compléter le modelage, des exemples et contre-exemples sont nécessaires. Qu’est-ce qu’un bon coup de langue ? Quels sont les critères d’un coup de langue réussi ? Comment peut sonner un mauvais coup de langue (trop fort, trop doux) et quelles sont les erreurs à éviter ? Une bonne explication donne aux élèves le plus de points d’ancrage possible pour saisir la matière à l’étude.

Lors de la pratique guidée, on peut utiliser quelques instrumentistes en exemple de façon individuelle pour donner de la rétroaction rapidement et plus précisément. On peut demander de répéter une note en détaché ou d’exécuter une gamme en portant une attention particulière au début des notes. L’important est de leur fournir de nombreuses occasions de mettre en pratique la technique qui vient d’être expliquée tout en leur fournissant beaucoup de rétroaction.

Lorsqu’on enseigne en groupe, l’étape de la pratique guidée est souvent difficile à appliquer à cause de la variété d’instruments et est donc plus réaliste en cours privés. C’est pourquoi on peut utiliser des individus comme exemple pour le reste des élèves en les questionnant sur cet aspect précis du jeu instrumental. Ensuite, on peut faire des exercices de gamme en portant une attention particulière aux coups de langue et à la façon de les réaliser. Ainsi, on peut questionner des élèves sur la différence perçue dans l’aspect du début des notes. On peut même leur demander de faire eux-mêmes des contre-exemples en leur demandant de faire exprès de faire de mauvais coups de langue pour ensuite leur demander de faire des coups de langues adéquats selon les critères expliqués lors du modelage.

La pratique autonome consiste à inclure le coup de langue dans des contextes différents (gammes, pièces). On peut aussi reparler de l’importance du coup de langue quand on aborde les articulations (staccato, accents, marcato, etc). C’est en donnant encore plus d’occasions de pratiquer que l’automatisation et l’intégration de cette technique dans la mémoire à long terme pourra s’effectuer. Il ne faut pas mettre de côté la rétroaction dans cette étape de l’enseignement explicite, même si on vise l’autonomie. Ce serait le contexte idéal pour l’évaluation, donc de la rétroaction formelle. On peut par exemple inclure une portion « qualité du coup de langue » dans sa grille d’évaluation de gamme ou dans l’examen sur les pièces de concert. On peut même inclure une question sur le coup de langue dans l’examen écrit qui demanderait à l’élève de verbaliser sa compréhension du geste nécessaire pour un coup de langue de qualité, ce qui permettrait à l’enseignant de valider la compréhension des élèves et de revenir sur les résultats en classe si la compréhension du concept ne semble pas claire.

Un enseignement explicite complet se termine habituellement par une objectivation. C’est la prochaine stratégie qui sera expliquée.

L’OBJECTIVATION

Bien qu’elle fasse partie d’un enseignement explicite, l’objectivation peut être retenue comme une stratégie gagnante en soi. L’objectivation consiste à se réserver un temps à la fin d’une leçon pour revenir sur son contenu important. Le but premier est de permettre aux élèves d’intégrer la matière vue dans la leçon du jour.

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2 Ibid.3 Ibid.

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Il peut aussi s’agir de vérifier la compréhension de la matière (surtout en ce qui a trait aux étapes d’une démarche) avant de planifier la prochaine leçon (savoir si l’apprentissage est solide ou s’il demande encore du travail). On procède souvent à l’objectivation dans une courte période de questionnement aux élèves (prochaine stratégie expliquée plus bas) pendant laquelle on revoit les concepts principaux de la leçon du jour.

C’est cette partie de l’enseignement explicite qui est souvent escamotée soit par manque de temps ou bien parce qu’on a l’impression que le fait d’avoir fait une leçon complète sur un sujet sous-entend que ce dernier est compris. Cependant, pour que la notion soit intégrée par le plus d’élèves possible, cette période s’avère être très efficace selon les données probantes et vaut la peine d’être intégrée à la planification d’une leçon.

Dans une répétition d’harmonie, par exemple, on termine souvent en regardant l’heure et en disant aux élèves qu’on n’a plus de temps et qu’on reprendra où on a laissé au prochain cours. Pour faire une objectivation, dans ce cas, il faudrait arrêter la répétition un peu avant le temps pour questionner les élèves : Qu’est-ce que nous avons travaillé aujourd’hui ? Quels passages étaient problématiques ? À quel endroit est-ce qu’il fallait que les saxophones fassent attention au crescendo ? Levez la main ceux qui ont la mélodie qu’on doit entendre à la mesure 57!

Cette réactivation a posteriori permet de remettre en lumière ce qui a été travaillé et de rappeler aux musiciens ce qu’ils doivent travailler. Trop souvent, un chef va saupoudrer des consignes ici et là en croyant que les élèves les retiendront toutes, mais s’il prend un moment pour leur rappeler quelles consignes sont plus importantes, le musicien éducateur gagnera indubitablement en efficience auprès de son ensemble.

LE QUESTIONNEMENT PÉDAGOGIQUE

Nous supposons que l’ère du professeur qui donne des cours magistraux à ses élèves sans demander à ceux-ci s’ils comprennent vraiment est révolu. Il ne m’est jamais arrivé de voir un enseignant, toutes matières confondues, ne jamais demander aux élèves s’ils ont compris ou bien ne jamais prendre de temps pour répondre aux questions. Ce n’est donc pas de l’absence ou de la présence de ce type d’interaction avec nos élèves dont il sera ici question, mais bien de la manière d’utiliser cet outil pédagogique afin d’en maximiser l’efficacité.

Qu’est-ce que le questionnement pédagogique ?

C’est simplement une « intervention pédagogique à privilégier pour identifier ce que les élèves ont compris de l’apprentissage réalisé4 ». On cherche donc, par cette méthode, à savoir qu’est-ce que l’élève a compris et non s’il a compris ou non.

Pour ce faire, on doit poser des questions ouvertes du genre « Qu’est-ce que tu as compris ? » ou bien « Explique-moi ce que tu ferais si... ». En posant des questions fermées, on n’obtient au contraire pas (ou rarement) de rétroaction fiable, puisqu’il est plus simple pour un élève d’affirmer qu’il comprend (soit parce qu’il croit réellement comprendre ou parce qu’il ne souhaite pas trop répondre!). L’important est d’utiliser le questionnement pour aider l’apprenant dans sa démarche d’apprentissage tout en se construisant, en tant que pédagogue, l’idée la plus précise possible de la forme que prend la matière enseignée dans l’esprit de l’élève.

Comme le plan de questionnement, dans son application intégrale, est un outil complexe demandant un enseignement explicite de celui-ci aux élèves, on peut le simplifier pour notre application en classe. En effet, dans un monde idéal, c’est l’élève lui-même qui devrait utiliser le plan de questionnement dans la réalisation de ses tâches, mais l’enseignant peut l’utiliser pour questionner ses élèves. Pour ce faire, on peut commencer par utiliser la première étape du plan de questionnement. Pour Bissonnette et Richard, cette étape se résume en posant la question : Qu’est-ce qu’on me demande de faire et qu’est-ce que j’en connais5 ? C’est donc une piste pour élaborer les questions qui peuvent être utilisées en classe, en interprétation par exemple : Comment dois-tu jouer les notes à la mesure 46 ? (Qu’est-ce qu’on te demande de faire ?); Quelle technique dois-tu utiliser ? (Qu’est-ce que tu en connais ?). En théorie musicale, si on demande la relative mineure d’une gamme majeure : Qu’est-ce que tu dois faire avec cette gamme ? (Qu’est-ce qu’on te demande de faire), suivi de (Quelle est la démarche pour y arriver ?) (Qu’est-ce que tu en connais ?).

Image 1 : Exemple de plan de questionnement5

4 Steve Bissonnette, Mario Richard, Comment construire des compétences en classe, (2000), Chenelière/McGraw.5 Steve Bissonnette, Mario Richard, Comment construire des compétences en classe, (2000), Chenelière/McGraw.

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En posant ces deux questions à répétition pendant les explications et les démonstrations, cours après cours, on augmente la probabilité que l’élève finisse par utiliser cette étape lors de tâches à réaliser de façon autonome. En effet, puisque l’enseignant modélise à plusieurs reprises cette étape du plan de questionnement, l’effet plausible est que l’élève commence à l’utiliser de plus en plus de son propre chef. Idéalement, cette étape devrait être utilisée par les élèves dans toutes les matières pour développer un réel réflexe, mais comme chaque enseignant a sa pédagogie personnelle, on n’a de contrôle que sur notre propre enseignement. On peut espérer qu’en introduisant la première étape du plan de questionnement dans notre enseignement, cela puisse aider nos élèves dans la réalisation de tâches dans les autres matières.

Pour s’assurer d’un questionnement plus efficace, on peut aussi re-voir sa procédure de questionnement. Alors, qui devons-nous ques-tionner ? Comment solliciter la participation de tous ? Dans plusieurs contextes de dynamiques de classes, les élèves qui lèvent la main pour répondre à des questions ou pour en poser régulièrement ne représentent pas la compréhension de la majorité. Si on y pense bien, cette méthode élimine du questionnement les élèves qui ne sont pas portés à répondre pour des raisons relatives à leur personnalité (gêne, estime de soi, relations sociales difficiles, etc.) et ceux qui ne comprennent tout simplement pas. S’il ne rejoint pas tous les élèves, notre questionnement perd donc de son impact. Pour sonder la réelle compréhension de tous, on doit donner la parole autant à ceux qui

la demandent qu’à ceux qui ne la demandent pas. Autrement, notre perception sera faussée puisque nous aurons toujours les réponses de ceux qui se sentent assez sûrs d’eux-mêmes pour la donner et qui, souvent, ont bien compris. Or, notre mission n’est-elle pas d’aider ceux qui ne comprennent pas ? Le questionnement est une occasion d’avoir de la rétroaction, mais si celle-ci est toujours en lien avec les élèves forts, on passe à côté d’une belle opportunité de clarifier des concepts.

Une façon simple et efficace de remédier à ce problème est d’opter pour un questionnement aléatoire et très fréquent. Sans nécessairement tenir un registre exhaustif de qui a été questionné, il serait bon de tenter de faire participer chaque élève de la classe à peu près aussi souvent (ceux qui participent autant que ceux qui ne lèvent pas la main). En plus de tenir les élèves alertes puisqu’ils sont susceptibles de se faire questionner à tout moment, le questionnement aléatoire permet une rétroaction plus représentative de la compréhension globale des élèves de la classe. En effet, l’élève qui lève sa main lors d’un questionnement a de plus fortes chances de connaître la réponse que celui qui ne le fait pas. Ainsi, le pédagogue peut avoir l’impression que la matière enseignée est bien comprise, alors que cela n’est pas nécessairement le cas. Lors d’un questionnement aléatoire, l’enseignant peut réajuster son explication ou sa pédagogie afin de l’adapter au niveau de compréhension qu’il perçoit dans sa classe. On peut être parfois surpris de constater la faible quantité d’élèves qui ont compris quelque chose qui semblait bien maîtrisé! Et lors de l’évaluation, il est trop tard pour réagir...

En musique, la rétroaction est plus immédiate lorsqu’on parle d’interprétation. Si un élève ne comprend pas comment jouer, on l’entend! On peut quand même utiliser le questionnement afin de réactiver des connaissances antérieures avant de jouer un passage. Ainsi, on peut choisir un élève au hasard et lui demander des questions ouvertes telles que « À quoi faut-il faire attention à la mesure 8 ? », ou bien « Quelle notes doivent être détachées dans ta mesure 14 ? », ou encore « Comment fonctionne le signe de renvoi écrit à la fin de la quatrième portée ? » On peut ainsi économiser du temps en avortant une erreur possible avant même d’avoir joué ledit passage.

Dans l’enseignement de la théorie, de l’appréciation ou de techniques de composition, on peut utiliser le questionnement abondamment pour être plus efficace. Lors de toute explication ou démonstration, on peut pratiquement utiliser un questionnement aléatoire à chaque phrase pour garder la classe alerte et avoir une rétraction immédiate. Lors de l’explication de la structure d’une gamme majeure par exemple, on peut faire nommer les sept intervalles par sept élèves

BIOGRAPHIE

Patrick Morissette détient un baccalauréat en pédagogie musicale de l’Université du Québec à Montréal. Il a enseigné au secondaire dans la région de Montréal pendant six ans et au primaire pendant six ans, en plus de composer plusieurs œuvres pour ensembles de niveau débutant, dont certaines ont été publiées aux Éditions GAM et aux Productions d’Oz. Il a été secrétaire de la FAMEQ-Laval-Laurentides-Lanaudière pendant cinq ans; il est maintenant enseignant en musique à la Commission scolaire de la Rivière-Du-Nord dans les Laurentides.

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différents (« Si je pars de la tonique ré, quelle distance y a-t-il entre le ré et le mi, Thomas ? Comment devrait donc être le mi, Élyse ? Et maintenant, quelle devrait être la distance entre le mi et le fa pour que ça soit une gamme majeure, Justine ? Que dois-je faire pour que le fa soit à la bonne distance du mi, Édouard ? », etc.). On a alors plusieurs élèves alertes et plusieurs rétroactions immédiates fiables, et ce, pour une seule gamme.

L’IMPUTABILITÉ

L’imputabilité est un principe qui devrait inciter le pédagogue à inclure dans sa pratique du vocabulaire qui a pour « objectif de développer chez [les élèves] un sentiment d’attribution causale6 ». En d’autres mots, il faut inculquer, jour après jour, le sentiment que chaque élève est l’artisan de son propre succès à condition de fournir les efforts nécessaires et d’utiliser les bonnes stratégies. Trop souvent, les élèves attribuent leurs succès ou leurs difficultés à des causes extérieures en les liant à des facteurs hors de leur contrôle.

On entend souvent dire que certains élèves se sentent plus doués, comme si on naissait avec une certaine quantité de talents et que ces derniers sont immuables. On entend aussi le contraire, donc que certains élèves ont moins de talent dans un aspect d’un apprentissage précis et c’est donc la cause de leurs difficultés (voir les croyances motivationnelles, plus loin dans le texte). Que cela soit de façon positive ou négative, ce type de manière de penser contribue à déresponsabiliser les élèves par rapport à leur pouvoir d’action sur leurs apprentissages. En tant que pédagogue, il faut donc éviter de contribuer à forger ce sentiment chez les élèves, même de façon positive. En effet, admettre qu’un élève est talentueux parce que ses résultats sont bons, c’est indirectement stipuler que ses résultats ne pourraient pas être bons s’il n’était pas talentueux et réduire, aux yeux de l’élève visé et des autres, l’importance des efforts qu’il a fournis. Inversement, en admettant qu’un élève a naturellement moins de facilité, on attribue à un facteur externe les progrès possibles et on anéantit l’importance des efforts à venir, ce qui est néfaste pour la motivation. Donc, même quand on félicite un élève, on doit insister sur le fait qu’il a utilisé les bonnes stratégies et fourni suffisamment d’efforts, et non sur le fait qu’il est simplement bon. Sinon, on risque d’influencer négativement la motivation de tous ceux qui ont de la difficulté avec la même tâche.

Le fait de qualifier la difficulté d’une tâche peut aussi teinter le niveau de motivation de l’élève. Si on dit aux élèves qu’une tâche est facile ou difficile, ils comprennent qu’ils ne sont pas imputables de leurs résultats puisqu’ils pourront ensuite dire que leur réussite ou leur échec est dû au niveau de complexité de la tâche, et non à leurs efforts et à leur décision d’utiliser les bonnes stratégies. Donc, au lieu

de dire « Cette pièce est difficile », on devrait dire « Cette pièce devrait nous demander plus d’efforts » ou « Cette pièce va sûrement nous demander d’utiliser des stratégies de pratique rigoureuses ». Dans l’optique où on qualifie la pièce de « difficile », certains élèves peuvent baisser les bras avant même de commencer le travail puisque c’est à cause de la difficulté de la pièce s’ils ne sont pas capables de la jouer. Il peut aussi arriver qu’un élève ait des difficultés dans une pièce qualifiée de « facile », ce qui peut aussi générer de la démotivation. En effet, l’élève peut se dire : « Si la pièce est supposée être facile et que j’ai des difficultés, c’est que je suis vraiment nul! »

Il est alors mieux de ne pas qualifier la difficulté d’une tâche et de s’en tenir tout simplement aux faits objectifs. Pour une pièce dite difficile, on peut dire qu’elle comprend de nouveaux rythmes ou de nouvelles notes. On peut aussi dire qu’elle a un tempo rapide ou qu’elle demandera plus de travail et de concentration pour les nuances. Pour une pièce dite facile, on peut simplement nommer les éléments qui sont généralement plus aisément exécutables avec des commentaires du genre : « La pièce ne comporte pas de notes que nous n’avons jamais jouées » ou bien : « Le tempo n’est pas trop rapide et la figure de note la plus courte est la noire » En résumé, il faut simplement éviter de teinter la perception du défi que l’élève a devant lui pour, encore une fois, insister sur le fait que ce sont les efforts et l’application des stratégies qui sont les seuls facteurs de réussite.

LES CROYANCES MOTIVATIONNELLES

La suite logique de l’imputabilité : les croyances motivationnelles. Bien que ce sujet pourrait faire l’objet d’un article en soi, nous tenterons ici d’en résumer la pensée et d’en donner des exemples d’application pertinents. La principale théoricienne à la base de cette pratique efficace est Carol S. Dweck; elle s’est interrogée sur les différences entre les élèves quant à leur attitude face aux défis. Qu’est-ce qui peut influencer la capacité d’un élève à fournir les efforts nécessaires et à être ouvert à l’application des stratégies proposées par son enseignant ?

En gros, la conclusion de Dweck est que « le point de vue que [l’on adopte sur soi-même] affecte profondément la manière dont [on conduit sa]vie ». Elle note deux états d’esprits principaux qui sont des facteurs de réussites devant des tâches complexes. Le premier, l’état d’esprit fixe, se veut une conception de ses capacités personnelles comme si elles n’étaient pas modifiables. Une personne qui fonctionne selon cet état d’esprit s’est forgé une conception inaltérable de ses capacités, comme le suggèrent les tests de quotient intellectuel qui figent les possibilités cognitives des individus dans le béton. Le deuxième, l’état d’esprit dynamique, aussi appelé

6 Steve Bissonnette, Mario Richard, Comment construire des compétences en classe, (2000), Chenelière/McGraw.

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« état d’esprit de développement », est basé sur la croyance que vos qualités fondamentales sont des choses que vous pouvez cultiver par vos efforts.7 » En d’autres mots, bien que nous soyons tous uniques et que nous possédons des prédispositions différentes, nos capacités sont sujettes à se modifier selon notre travail et notre expérience.

Un état d’esprit fixe mène vers des réactions souvent stériles devant des tâches à accomplir. En effet, si on pense n’avoir aucun impact sur nos capacités personnelles, certaines tâches sont insurmontables et les efforts sont donc inutiles. D’un autre côté, les personnes qui ont un état d’esprit dynamique fonctionnent selon le principe que la réussite de toute tâche est possible et vont conséquemment être plus enclines à fournir les efforts nécessaires puisque ces derniers ont, selon elles, de bonnes chances de donner des résultats.

Dans notre travail de pédagogue, c’est notre devoir de développer l’état d’esprit dynamique de nos élèves par conditionnement. En effet, les meilleurs trucs mnémotechniques ou les meilleurs stratégies d’apprentissage d’un instrument ne servent à rien si l’esprit de la personne à qui ils sont communiqués est fermé à l’évolution de ses capacités. Il est important de savoir que cette pratique n’est pas qu’une simple philosophie de l’enseignement puisque les travaux de Dweck sont basés sur des études qui ont démontré que : « les élèves qui croient que leur succès est attribuable à leur intelligence réussissent moins que ceux qui croient qu’ils doivent investir des efforts pour réussir8 ». Dans chacune de nos interventions, il faut faire attention de cultiver chez les élèves l’idée que ce qu’ils sont capables de faire aujourd’hui n’est pas une fatalité, mais bien un point de départ.

Plus concrètement, on peut donner de la rétroaction à des élèves en réussite ou en difficulté selon ce principe d’état d’esprit dynamique. Si un élève réussit particulièrement bien un passage, on peut le féliciter en le questionnant sur les raisons de sa réussite. Est-ce qu’il a pratiqué hier ? Souvent ? Beaucoup de temps ? Durant sa pratique, a-t-il ciblé les passages qu’il réussissait mieux au lieu de pratiquer les passages qu’il était déjà capable de faire ? On présente alors à tous la preuve que si cet élève réussit bien, ce n’est pas parce qu’il est meilleur ou parce qu’il est doué, mais bien parce que ses capacités ont augmenté à cause du travail bien fait.

Inversement, si on veut intervenir avec un élève qui a de la difficulté avec un passage, on peut mettre l’accent sur l’évolution des capacités de l’élève : Tu dis que tu n’es pas capable d’atteindre le mi 4e espace à la trompette. Souviens-toi au mois d’octobre l’an dernier, c’était le

do que tu étais incapable d’atteindre. Qu’est-ce qui était arrivé alors? Comment avais-tu réussi ? Quelle stratégie était gagnante ? Dans cette dernière situation, on mettrait l’accent sur le progrès effectué dans le passé par les efforts et la rigueur, faisant ainsi la preuve que l’évolution des capacités de l’élève est possible puisqu’elle s’est déjà manifestée.

CONCLUSION

Enfin, à la lumière des lectures effectuées dans le cadre du cours et des travaux de recherche effectués, il s’avère évident que le choix des stratégies d’enseignement a un effet direct sur la qualité des apprentissages. Le fait de porter une attention particulière à ces stratégies et de faire un effort pour les intégrer à notre pratique a donc un effet indubitable sur la construction des apprentissages de nos élèves.

Ces stratégies peuvent être utilisées systématiquement, combinées ou simplement faire partie d’un éventail d’outils dont le pédagogue dispose. Ainsi, lorsque ce dernier constate une difficulté chez ses élèves, il peut se demander s’il a utilisé des stratégies gagnantes et comment il peut améliorer son enseignement à la lumière de sa connaissance de toutes ces stratégies efficaces. Il faut aussi mentionner qu’une bonne partie des élèves comprend la matière enseignée par la plupart des enseignants, mais qu’une partie de la classe a besoin que l’enseignant fasse preuve de rigueur dans ses choix de stratégies d’enseignement. Ce sont surtout les élèves qui ont moins de facilité qui bénéficient d’un enseignement plus efficace.

Cette conclusion peut nous amener à se demander pour quelle raison ces stratégies ne sont pas enseignées en profondeur dans le programme de 1er cycle universitaire (ce n’était en tout cas pas le cas lorsque j’étais aux études). En effet, il serait pertinent pour tout pédagogue (en musique et dans tout autre matière) de connaître l’existence de ces pratiques afin d’avoir une chance de les mettre en application une fois entré sur le marché du travail.

7 Carol S. Dweck, Changer d’état d’esprit, une nouvelle psychologie de la réussite, Mardaga, Belgique, 2010. 8 Carol S. Dweck, Stimuler la réussite par des messages de motivation, paru dans Education Canada, printemps 2007, Canadian Education Association, traduction et adaptation par Françoise Appy.

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Complice au quotidien, porteur de tout ce que nous sommes, le corps comprend notre voix. Teintée de nos

états d’âme, et ce, malgré nos hésitations à les dévoiler, la voix humaine est unique. Elle permet de nous exprimer, de communiquer, d’entrer en relation avec les autres. Nous l’utilisons sans compter, sans y penser, instinctivement. Parfois en pleine forme, brillant et clair ; tantôt, enroué, fatigué, éteint ou rauque, cet instrument étonnant, aux combinaisons presque infinies et propres à chacun, est capable de grandes prouesses tout en demeurant fragile. Sensible aux excès auxquels elle peut être exposée, la voix, parfois si docile peut également se montrer récalcitrante. Intimement liée au corps duquel elle émane, serait-il possible de prendre celui-ci davantage en compte, d’affiner sa conscientisation et ainsi de favoriser une disponibilité vocale ? Même si son importance est maintenant convenue, comment donc allier corps et voix ? Et comment l’enseignant en musique peut-il trouver dans la complémentarité voix et corps les moyens pour accéder aux nombreuses possibilités offertes par ce merveilleux instrument qu’est la voix ?

LES AVANTAGES DU CHANT

La voix est particulièrement précieuse pour l’enseignant qui l’utilise, bien évidemment pour donner ses cours, mais aussi pour faire chanter ses élèves. Mais nous savons que l’utilisation de la voix chantée peut, à tort ou à raison, être perçue comme intimidante !

Pourtant, quand il est question de musique, nous pourrions facilement dire que la voix est l’instrument par excellence, accessible à tous,

gratuit, et offrant de nombreuses possibilités d’apprentissages en musique (formation auditive, développement du sens rythmique). De plus, de nombreuses études s’entendent pour dire que le chant est excellent pour la santé tant physique que psychologique. Il a de multiples bienfaits tels : améliorer la qualité de la respiration, renforcer le système immunitaire, développer une meilleure posture et un meilleur ancrage, travailler la mémoire intellectuelle et corporelle, diminuer le stress, aider à se centrer ainsi qu’augmenter sa confiance et son estime de soi. Chanter diminue d’approximativement 60 % les hormones de stress selon Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Dans sa thèse de doctorat, Josée Vaillancourt mentionne : « Ainsi, le chant, et notamment le chant en groupe - s’il est exercé en contexte scolaire -, s’avère le moyen le plus naturel et le plus accessible pour « faire de la musique », car chacun est son propre instrument, chacun possède sa voix » (Vaillancourt, 2004).

Autant de raisons pour recourir au chant en formation musicale direz-vous. Certains affirment : « Plus facile à dire qu’à faire ! ». La pression associée à la notion de « talent » empêche les gens de s’adonner au chant pour le simple plaisir, sans esprit de performance. Nous entendons souvent des gens dire : « Je chante faux, je n’ai pas une belle voix » ou carrément « Je n’ai pas de voix ».

Louis-Jacques Rondeleux décrit bien cette réalité : « La croyance populaire considère

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L’Eutonie Gerda Alexander® pour libérer la voixN A D I N E D I O N N E E T N AT H A L I E D U M O N T, eutonistes.

Crédit : Frédérique Alain et France-Michelle Marchand de Boîte d’Allumettes

Crédit : Rosalie Roberge

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volontiers la voix comme une structure objective donnée une fois pour toutes ; comme la taille du corps ou la couleur des yeux, c’est une donnée de nature que l’on ne peut guère changer. On dira d’un tel qu’il est « doué d’une belle voix » et, de cette autre, « la pauvre, quelle malchance d’avoir une si vilaine voix » ! Cette conception, absolument fausse, nous entraîne à toutes les démissions. » (Rondeleux, 1977, p. 182). Il précise aussi que « la voix n’est pas un instrument ordinaire » car ici, « le corps de l’instrument est notre propre corps. Or, le corps humain est incroyablement plastique » (Rondeleux, 1977, p. 182). Il est donc possible de libérer sa voix et d’apprendre à mieux l’utiliser en complicité avec le corps. L’Eutonie Gerda Alexander®

propose plusieurs moyens pour y parvenir.

QU’EST-CE QUE L’EUTONIE GERDA ALEXANDER® ?

Avant d’expliquer en quoi consiste l’eutonie, il importe de présenter brièvement sa créatrice et fondatrice, Gerda Alexander. Née en 1908 en Allemagne, elle participe à un cours de rythmique à l’âge de 7 ans, ses parents ayant été conquis par les idées nouvelles d’Émile Jaques-Dalcroze dans le domaine de l’éducation musicale pour les enfants.

Gerda Alexander apprécie cette activité qu’elle poursuivra jusqu’à l’adolescence pour ensuite compléter la formation faisant d’elle un professeur de rythmique. Au début du 20e siècle, elle prend connaissance de résultats de recherche sur le mouvement libre. Son grand sens critique et son indépendance d’esprit l’amènent à faire ses propres recherches, et ce, malgré qu’elle est atteinte de rhumatismes articulaires aigus et d’une endocardite. Cette nouvelle réalité devient pour elle une raison supplémentaire de poursuivre ses recherches et lui permet de s’adapter à la vie quotidienne et professionnelle.

Prenant appui sur l’anatomie et la physiologie humaine et mettant à profit son sens aigu de l’observation, elle élabore une pédagogie centrée sur la sensation. En 1940, elle commence à former des professeurs d’eutonie à la lumière de ses premières découvertes. Elle continuera le développement de sa méthode par l’observation et l’expérimentation auprès de ses élèves et sur elle-même jusqu’en 1980. Gerda Alexander décède en 1994, à l’âge de 86 ans.

L’eutonie est une pratique corporelle favorisant l’utilisation judicieuse du corps et son adaptation constante au milieu environnant à partir de l’expérience sensible de la personne. Le travail se fait à l’aide de mouvements, d’étirements variés dans un rapport conscient avec le sol et, au besoin, avec des objets. L’eutonie tire ses racines étymologiques du grec eu (bon, juste ou harmonieux) et tonos (tension ou tonus). Son expérimentation offre plusieurs possibilités et combinaisons toujours guidées par trois principes fondamentaux soit : le toucher conscient, le contact conscient et le transport conscient. Différentes activités, autant ludiques que pratiques, servent à s’approprier : la conscience corporelle, l’adaptation tonique, la libération de tensions, l’alignement postural et l’ancrage au sol. Ces éléments s’avèrent importants à privilégier.

QUELQUES MOYENS PROPOSÉS EN EUTONIE

La conscience corporelleUn des moyens permettant de développer la conscience corporelle réside dans la perception et la verbalisation des effets ressentis, lesquels sont des guides permettant d’observer l’activité ou l’inactivité musculaire. En eutonie, la conscience corporelle comprend la notion de relaxation, une attitude active (Stuber et Brown, 1993) s’apparentant à « une technique de décontraction musculaire voulue » (Brieghel-Müller, 1979, p. 9).

L’adaptation toniqueAu départ, la conscientisation du tonus dans toutes ses possibilités d’adaptation est expérimentée dans différentes situations. C’est d’abord par le repos que la régulation et l’adaptation tonique s’expérimentent. Certains pourraient présumer que cet état de repos

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BIOGRAPHIE

Nadine Dionne est impliquée dans différents évènements à travers lesquels elle utilise le chant et la musique comme outils dans le développement humain de ses étudiants. C’est par son travail d’interprète et par celui d’enseignante qu’elle découvre l’importance du corps dans l’apprentissage et l’utilisation de la voix chantée. Détentrice d’une maîtrise sur mesure en Eutonie Gerda Alexander® de l’Université Laval, elle propose un enseignement adapté à chacun où la conscience corporelle, favorisée par cette approche et grâce à ses différents moyens pédagogiques, s’avère être un complément caractérisant son approche et favorisant le développement de l’expression scénique. Elle travaille notamment avec les chanteurs, les musiciens et les comédiens, en plus d’offrir des ateliers aux clientèles soucieuses de bouger avec économie et efficacité. Elle collabore également avec l’École de musique Jésus-Marie, le Cégep de Lévis-Lauzon et Le Réseau intercollégial des activités socioculturelles du Québec (RIASQ) comme formatrice lors des finales nationales de Cégeps en spectacle.

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signifie un abandon total du corps et de l’esprit. En eutonie nous parlons davantage d’un tonus ajusté selon l’activité à accomplir, au repos ou au quotidien. Il est très important de saisir que la relaxation ne représente qu’une partie de l’ajustement tonique. La relaxation favorise une utilisation plus juste des ressources psychologiques et intellectuelles de l’individu (Brieghel-Müller, 1979 ; Parodi Riera, 2011), permettant une ouverture à soi et aux autres.

La professeure Lisette Parodi Riera de l’Université Paul Sabatier de Toulouse, - université notamment spécialisée dans les sciences de la santé -, inscrit plusieurs informations sur les effets de la relaxation dans son plan de cours intitulé La relaxation ou régulation psychotonique. Les résultats d’électroencéphalogrammes permettent de constater des changements relatifs aux ondes cérébrales qui s’apparentent à celles identifiées à l’état de sommeil, accordant ainsi au cerveau une réceptivité à son environnement. On peut également remarquer des changements relatifs aux respirations, qui sont moins nombreuses. Finalement, la diminution du tonus musculaire permet une économie de l’énergie, une meilleure coordination des réflexes et une amélioration de l’adaptabilité du tonus face aux évènements.

BIOGRAPHIE

Nathalie Dumont est chanteuse et eutoniste. Elle détient une maîtrise en interprétation en chant classique ainsi qu’une maîtrise sur mesure en Eutonie Gerda Alexander® de l’Université Laval. Nathalie exprime son amour du chant tant comme chanteuse que dans l’enseignement du chant et la direction de chœurs. Elle enseigne le chant depuis huit ans à la Maison de la Musique de Sainte-Foy ainsi qu’en privé. Que ce soit comme soliste ou comme choriste, elle participe aussi à divers concerts et évènements en plus de mettre à profit sa formation en Eutonie dans toutes les sphères de son travail en musique. Nathalie enseigne également l’eutonie par le biais de divers ateliers qu’elle offre, entre autres, à la Maison de la musique de Sainte-Foy. Elle s’intéresse plus spécialement à la juste utilisation du corps pour la voix et, à ce sujet, travaille à appliquer l’eutonie pour les chanteurs à travers différents projets, cours et ateliers. Elle est membre de l’Association Québécoise d’Eutonie Gerda Alexander®.

1 Mot propre au vocabulaire de l’eutonie qui fait référence aux voies réflexes de redressement pour un alignement postural juste.2 « Tel l’arbre qui puise profondément ses racines dans le sol, et laisse son tronc s’élancer vers le ciel, l’élève peut éprouver la sensation subjective que l’énergie se trouve dans le sol. En fait, l’énergie naît de l’étroite relation entre soi et l’environnement (sol, chaise, instrument, êtres humains…). » (Seifert, année, p. 27).

Atelier Eutonie et ergonomie à l’instrument, Congrès FAMEQ 2018

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Libération des tensionsPour une émission vocale aisée, il importe que la région du diaphragme et des espaces intercostaux soit libre. Gerda Alexander a également repéré les régions du bassin, des épaules et du cou comme responsables de contraintes. La libération de ces tensions peut se faire de différentes façons par des étirements, par l’ajustement tonique et par un alignement postural juste permettant une disponibilité pertinente. De simples rappels en lien avec la posture facilitent l’émission vocale et permettent aux élèves l’acquisition d’habitudes posturales saines au quotidien.

L’alignement posturalUn alignement postural respectueux de l’unicité de chacun, en lien avec la morphologie, demande un travail corporel global. Le travail au sol en position dorsale facilite cette prise de conscience. De plus, il permet de capter des informations et de faire naître des sensations, grâce au soutien du sol et à l’appui qu’il offre. Ces informations et sensations, propices à la conscientisation, contribuent à un meilleur alignement postural dans la mesure où la conscience est préservée en position debout. Un alignement postural juste, qui respecte la logique du corps, offrira une liberté vocale et une liberté de mouvement tout en économisant l’énergie. Stuber et Brown abondent dans le même sens dans le Guide pédagogique destiné aux étudiants du cours Eutonie I à la Faculté de musique de l’Université Laval : « Intégrer le juste passage de la force du transport1 assure le principe d’économie de l’énergie dans le maintien de la posture, libère la musculature dynamique (cinétique ou phasique) et favorise la liberté de mouvement des bras et des mains » (Stuber et Brown, 1993, p.14).

L’ancrage au solEn eutonie, une importance particulière est accordée à la conscientisation des pieds, point de départ important pour l’alignement du corps. Réveiller cette région permet de réactiver l’ancrage au sol et d’expérimenter le réflexe postural dynamique. Dans Eutonie et arts du spectacle, Seifert (1982) mentionne comment cette sensation d’ancrage se crée en prenant contact avec ce qui nous entoure2. Un bon ancrage au sol favorise l’alignement optimal recherché non seulement pour une posture idéale du corps, mais aussi pour une plus grande facilité de mouvement.

Toutes ces possibilités constituent autant de compléments pour soutenir l’enseignant dans son travail et pour offrir aux élèves la possibilité d’expériences autrement difficilement accessibles dans le contexte actuel, fait d’autant plus intéressant que les ressources acquises par la pratique de l’eutonie demeurent des atouts dans les différentes sphères de la vie quotidienne.

En terminant, comme le corps dans sa globalité comprend les nombreuses structures mises en action lors de l’émission vocale, une évidence émerge : la préparation corporelle consciente devient une norme à instaurer avant toute activité chantée et s’avère tout aussi pertinente pour renouveler la disponibilité des élèves lors d’un changement d’activités. Cette liberté et cette disposition nouvellement acquises seront également intéressantes pour tout musicien, apprenti ou professionnel. Avec ses principes et moyens, l’eutonie se présente comme une approche à privilégier et à intégrer dans les cours de musique à l’école, autant que dans les cours d’instruments en privé. Dans un monde où tout évolue rapidement et où la performance et le stress sont très présents, l’eutonie nous offre un précieux temps d’arrêt propice à l’écoute de soi tout en restant présent à son environnement. Un moment de pleine conscience corporelle adaptée à chacun de nous en fonction de nos besoins. Pour profiter de cette approche unique, différentes formules sont possibles sous forme de cours ou bien sous forme d’ateliers sporadiques offerts tant aux professeurs qu’aux élèves. Avec l’eutonie, vous possèderez des outils pour mieux utiliser votre voix et aussi mieux guider vos élèves dans l’utilisation de celle-ci. Une liberté corporelle acquise pour le plaisir de la voix et du chant. Comme le dit si bien Ursula Stuber : « Un corps libre génère un son libre3 ! ».

POUR PLUS D’INFORMATION :

Nathalie Dumont et Nadine Dionne sont membres du groupe MusiCorpus qui offre des services tels : classes de maître, cours de groupe ou séances individuelles en eutonie-chant et eutonie-instrument.

[email protected] ou par téléphone au 581-998-8764

Pour en savoir davantage sur l’eutonie, consultez le site de l’Association Québécoise d’Eutonie Gerda Alexander® au www.eutonie.ca

3 Ursula Stuber est professeure titulaire retraitée de la Faculté de musique de l’Université Laval.

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RÉFÉRENCES

Alexander, G. (1981). Le corps retrouvé par l’eutonie. Paris : Éditions Tchou.

Brieghel-Müller, G., (1979). Eutonie et relaxation. Lausanne-Paris : Delachaux et Niestlé. p. 9.

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En 2012, des étudiantes à la maîtrise en physiothérapie à l’Université de Montréal (UDM) ont sondé des

étudiants de la Faculté de musique pour cerner l’importance des troubles musculo-squelettiques. Sur les 285 interprètes, 54 ont accepté de répondre. Bien que minime, cet échantillon apportait des données surprenantes :

• 80 % des musiciens affirmaient être blessés ou avoir été blessés à la main, à l’avant-bras, à l’épaule ou au cou;

• 94 % des étudiants indiquaient jouer avec une faible douleur;

• 92 % des étudiants qui pratiquaient plus de quatre heures par jour étaient blessés;

• 89 % des répondants désiraient suivre un cours de prévention. (Dagenais et al., 2012)

Bien que la situation n’était pas inconnue au sein du département, ces données ont sonné l’alarme et la formation musicale a été repensée. Vincent Verfaille, chargé de cours à la Faculté de musique de l’UDM, enseigne le cours Santé corporelle du musicien (MIN 1810). Ce cours vise la prévention des blessures chez les instrumentistes d’orchestre. Les notions approfondies couvrent un vaste champ d’études: anatomie, physiologie, neurologie, biomécanique, pathologies, habitudes de vie et approches thérapeutiques. La matière s’adapte bien sûr au corps du musicien afin de le conscientiser aux problèmes qu’il pourrait rencontrer ou qu’il vit déjà. Ainsi, des notions comme l’interaction des systèmes

corporels ou la structure de l’oreille interne côtoient des éléments très concrets dans la pratique musicale comme la posture, la respiration ou encore la mémorisation d’une partition. Afin que les étudiants accèdent à une compréhension globale des risques du métier, ils apprennent à quoi ressemble le corps humain en situation optimale, en situation à risque, en traitement et au retour d’une blessure. À la fin de la session, les étudiants sauront également repérer les signes indiquant qu’il faut consulter ou modifier la pratique.

Réparti sur treize semaines, le cours est structuré de façon à maximiser l’intégration de la matière et à responsabiliser l’étudiant face à sa santé. Ainsi, en plus des lectures du recueil comptant plus de 400 pages, les instrumentistes participent chaque semaine à des discussions en groupe, explorent différentes approches par une expérimentation en classe et assistent à une conférence d’une heure donnée par différents professionnels de la santé. Ces activités devront toutes faire l’objet de comptes rendus afin d’expliquer comment ces nouvelles connaissances pourront influencer leur parcours professionnel. À cela s’ajoutent des tests en ligne et la participation à une auto-étude étendue sur l’ensemble de la session, laquelle consiste à s’investir et à documenter une démarche personnelle dans le but d’améliorer un aspect de leur santé. En plus de toute la matière absorbée par le corps et par la tête, les étudiants doivent bâtir un bottin de ressources comptant des professionnels de différentes approches thérapeutiques. En cas de besoin, ils repartiront avec toute l’information pour consulter un thérapeute qui connaît leurs besoins spécifiques.

Quand interpréter rime avec santé J U L I E B O I S V E R T , rédactrice pigiste et étudiante en création littéraire.

Crédit : Thierry Champs

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« Le but, c’est vraiment qu’ils intériorisent la matière », insiste l’enseignant. « Je m’assure qu’ils développent une compréhension objective avec la documentation et les tests, mais je veux aussi qu’ils trouvent une motivation intrinsèque à prendre soin d’eux. Avec l’auto-étude, ils expérimentent une petite transformation par le changement d’une habitude de vie. Ils prennent donc conscience des difficultés que ça implique, mais aussi des effets bénéfiques qui en résultent. Cela requiert de la méthode, de la rigueur et de la régularité. Ce sont toutes des qualités qu’ils possèdent en tant qu’interprètes. Ça permet aussi de les réconcilier avec le fait qu’ils peuvent s’occuper de leur santé. »

D’ailleurs, les modèles thérapeutiques explorés sont nombreux : approches médicales, thérapies manuelles, éducation somatique et renforcement postural, approches psychocorporelles, approches énergétiques... Pour chacune des catégories, les étudiants voient les types de problèmes qui peuvent être traités, le déroulement d’une séance typique, le coût et la durée, sans oublier les chapitres sur l’alimentation, l’activité physique, le sommeil ou encore les techniques de relaxation et de méditation.

À noter que le MIN1810 est complémentaire au cours MIN1820, Préparation mentale à la performance musicale. Ce dernier outille l’interprète en vue de maximiser son potentiel et l’aide à réguler son niveau de stress en situation de concert (Université de Montréal).

Vincent Verfaille ressent le tabou propre à la douleur dans ses locaux. « Je n’exigerai jamais des étudiants qu’ils parlent de leurs blessures. Par contre, je leur demande s’ils connaissent dans leur entourage des personnes qui performent dans la douleur. Ils peuvent me parler de

leur oncle, de leur cousin, de leur petit frère musicien. Peu importe qui est blessé, on peut décortiquer la situation. » Tout en acceptant que la communauté étudiante puisse être silencieuse, l’enseignant tient à offrir un cadre sécurisant qui permette à ceux qui le désirent de s’exprimer librement : « Au début de la session, je demande à tout le monde que les discussions restent confidentielles. C’est très important, car dire qu’on est blessé peut causer certains problèmes, comme une perte de contrat. »

L’enseignant perçoit une évolution durant la session. « Lors des premières séances, il y a très peu d’interventions des étudiants. Vers la mi-session, j’organise une table ronde à laquelle j’invite des musiciens à parler de leur rapport aux blessures et de leur vécu professionnel. À partir de là, les langues commencent à se délier. » Vincent rappelle d’ailleurs que parfois, au lieu de repousser les limites, il vaut mieux les écouter : « Pratiquer moins, cela peut signifier performer mieux si ça nous permet de rester en santé. »

Les groupes de discussion offrent une autre possibilité d’échanges inter-étudiants, et il est possible que la formation des petits groupes facilite les communications. Par exemple, ceux-ci sont parfois formés par section d’instruments (vents, cuivres, etc.), par instrumentiste (flûtiste, violonistes, etc.) ou encore selon le sujet de l’auto-étude (intégrer la préparation physique avant sa pratique instrumentale). C’est donc une occasion d’échanger trucs et astuces personnels.

Le fait d’enseigner une telle matière à l’université facilite également le réseautage et les échanges entre les professionnels de la santé et de la musique. Vincent Verfaille est témoin de changements au sein de la Faculté de musique, et parfois même au-delà : « Jean-François Rivest m’a contacté pour que j’anime une courte session d’échauffement et d’étirements avant chaque pratique de l’orchestre de l’Université de Montréal (OUM). Que ce soit lui qui fasse la demande, c’est déjà un grand pas. J’ai aussi d’anciens étudiants qui enseignent à des enfants et qui me recontactent pour me demander quels sont les exercices et les étirements adaptés aux jeunes. Ils leur apprennent déjà à faire attention ! Ce sont des exemples de changement de culture. Notre hypothèse, à la Faculté, c’est qu’en éduquant la nouvelle génération à prendre soin de sa santé et à créer un climat propice aux échanges, alors un jour le tabou pourra disparaître naturellement. »

Le transfert des connaissances s’orchestre à plusieurs niveaux. Les professionnels de la clinique de kinésiologie de l’UdeM est de plus en plus sensibilisée aux conditions des musiciens. Ceux-ci peuvent bénéficier d’une première rencontre à rabais via le programme Accord. De plus, à la clinique universitaire en orthophonie et en audiologie, les étudiants de la maîtrise en audiologie offrent chaque année une batterie complète de tests spécifiques pour les musiciens

BIOGRAPHIE

Julie Boisvert s’intéresse à la santé et aux arts. Ses études collégiales en travail social et en sciences humaines l’ont amenée à œuvrer quelques temps dans le milieu communautaire. À l’université, elle renoue avec le plaisir de l’écriture avec un certificat en rédaction professionnelle d’abord, puis avec un deuxième en création littéraire (en cours). Dans ses temps libres, elle aime écrire des nouvelles littéraires et des essais. Elle est également rédactrice pigiste et a collaboré avec le Magazine Vitalité Québec pour signer un article sur la dramathérapie et sur la santé corporelle du musicien.

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qui requièrent une évaluation de gamme de fréquences plus étendue que pour les autres populations. Les étudiants en interprétation ont aussi priorité pour être évalués.

Depuis 2 ans, Vincent Verfaille également se déplace à l’école de musique Vincent-d’Indy une fois par année pour donner un atelier de préparation physique aux élèves d’Uliana Drugova (violon) et de François Zeitouni (orgue et piano). « Une partie des élèves du programme Musique-études pratiquent déjà beaucoup, et certains d’entre eux poursuivront des études en interprétation : autant les sensibiliser le plus tôt possible. »

Enfin, le service d’activités culturelles offre des activités pour musiciens ouvertes à tous durant l’année :

• Yoga • Feldenkrais • Tai Chi

Un bémol identifié par les étudiants : le cours demande beaucoup d’investissement, et empiète parfois sur les heures de pratique

requises par les cours d’interprétation. Éventuellement, il serait intéressant de mener une étude qualitative et quantitative pour connaître les résultats concrets des cours sur la vie professionnelle des étudiants. Il semble que les universités représentent un choix sensé pour le transfert des connaissances entre les départements, pour la recherche et la communication des résultats, ainsi que pour la formation d’enseignants et d’étudiants sensibles à leur santé corporelle. Enfin, ce sujet encore tabou mérite d’attirer l’attention des médias pour conscientiser la population à ces enjeux. Vincent Verfaille a d’ailleurs pour objectif de faire connaître les approches de son cours et aimerait éventuellement publier des articles sur le sujet.

RÉFÉRENCES

Dagenais Cindy, Côté-Potvin Marion, Germain Élisabeth et Marie-Pierre Gervais (2012). Lettre de recommandation à la Faculté de musique, École de réadaptation de l’université de Montréal, Montréal, 4 p.

Université de Montréal, MIN 1820 : préparation mentale à la performance musicale,

https://admission.umontreal.ca/cours-et-horaires/cours/min-1820/, consulté le 4 janvier 2019.

Verfaille, Vincent (2017). MIN1810 – La santé corporelle du musicien (plan de cours), Montréal, Université de Montréal, 4 p.

Verfaille, Vincent (2017a). Notes de cours : Min 1810 La santé corporelle du musicien, Montréal, Université de Montréal, 440 p.

Verfaille, Vincent (2018). Entrevue avec Julie Boisvert, Montréal, 4 mai 2018.

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Dès lors, quelles sont les stratégies à adopter pour enseigner la musique au primaire auprès d’enfants présentant des troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité ? Voilà la question à laquelle j’ai tenté de répondre par une courte recherche afin de me familiariser avec le sujet pour ensuite mieux le comprendre et dégager des méthodes concrètes qui pourront être employées en enseignement collectif au primaire. Les résultats de cette recherche feront donc l’objet du présent article.

Avant tout, même si une revue de la littérature existante permet de trouver de nombreuses sources (articles scientifiques et monographies) relatives au trouble de déficit de l’attention en général, incluant celles adressées aux enseignants, peu s’appliquent spécifiquement à l’enseignement de la musique auprès d’élèves ayant un TDAH. Seuls les articles de revues professionnelles semblent plus abondants quant à ce contexte particulier. En 2012, Hansen relevait d’ailleurs que peu de littérature découle de la recherche en enseignement de la musique quant à ce trouble et aux stratégies d’enseignement et de gestion des comportements. On souligne en effet que la documentation existante pour les

enseignants de musique est relativement récente et largement basée sur la recherche en psychologie ou en éducation générale, traite plus souvent de l’enseignement de la musique auprès d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage en général, ou de l’enseignement d’autres matières auprès d’élèves ayant un TDAH (Hansen, 2012, p. 9-10). Peu d’études mettent ainsi ce trouble spécifique en relation avec l’enseignement de la musique. Dans ce contexte, je tenterai d’adapter les constats et les stratégies à l’éducation musicale au primaire, lorsque c’est possible.

Je dresserai d’abord un aperçu de quelques faits saillants et ferai une description du trouble et de quelques comportements caractéristiques, forces, faiblesses et problèmes courants rencontrés chez les enfants concernés, particulièrement dans un cadre scolaire. Nous verrons ensuite quelques conseils adressés aux enseignants et plus spécifiquement quelques techniques et stratégies adaptées au contexte de l’école primaire, incluant la gestion de classe et l’intervention au plan des comportements. J’aborderai ainsi quelques stratégies et outils utiles afin de capter et de garder l’attention des élèves, de les motiver, de leur faire suivre

L’enseignement de la musique au primaire auprès d’élèves vivant avec un TDAH1

S Y LV I A N E T R O F I M O F F , étudiante au baccalauréat en enseignement de la musique, Département de musique de l’UQAM.

1Ce texte est adapté d’un travail de session réalisé dans le cadre du cours MUS4701 Fondements de la pédagogie musicale sous la responsabilité du professeur Vincent Bouchard-Valentine au Département de musique de l’Université du Québec à Montréal.

Enseigner à des enfants présentant des difficultés d’apprentissage est une situation courante

en milieu scolaire, mais à laquelle j’ai été exposée pour la première fois cette année avec un

élève de deuxième année du primaire. En effet, dès son premier cours, l’attitude de cet élève

présentait un mélange d’inattention, de bougeotte et de manque de concentration, ce qui m’a

fait soupçonner la présence d’un trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH),

selon le peu de connaissances que j’avais sur le sujet. Ce trouble semble d’ailleurs très

répandu dans le milieu scolaire québécois et, comme les élèves qui en sont atteints suivent

leur cheminement dans des classes ordinaires, cela exige que tout enseignant de musique

sache bien le reconnaître et s’y adapter.

Crédit : Daniel Jalbert

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les consignes, d’améliorer leur écoute et leur sens de l’organisation, et ainsi d’assurer un apprentissage efficace de la matière enseignée.

Par la suite, j’exposerai les résultats intéressants d’une étude sur les parallèles entre l’apprentissage du français et celui d’un instrument de musique, ainsi que sur les bénéfices que ce dernier peut présenter en termes d’amélioration de l’apprentissage, du comportement et de la motricité.

SITUATION DES ENFANTS AUX PRISES AVEC UN TDAH

Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est un problème neurologique et comportemental qui, de nos jours, désigne couramment et officiellement toutes les formes du syndrome. Le trouble déficitaire de l’attention à prédominance inattentive (TDA) implique plus spécifiquement des difficultés à se concentrer, de l’inattention, de l’étourderie et des difficultés d’organisation. Le trouble à prédominance hyperactive-impulsive (TDAH) implique quant à lui une difficulté à contrôler une activité ou impulsivité excessive, ainsi qu’une difficulté motrice. La dernière forme du trouble présente finalement une combinaison des deux types précédents (Rief, 2005, p. 3). Les troubles d’apprentissage ne seraient par ailleurs qu’une conséquence des symptômes liés au trouble déficitaire de l’attention.

Selon l’Association québécoise des neuropsychologues, le trouble touche environ 5 à 8 % des enfants (dont trois fois plus de garçons que de filles), mais également 4 % des adultes à travers le monde. Soit dit en passant, dans le monde de la danse, on a remarqué que plus de la moitié des patients du Medical Centre for Dancers & Musicians à La Haye, aux Pays-Bas, souffraient de TDAH. En outre, ce groupe montrait clairement plus de troubles psychologiques que les autres patients du centre (De Haas, 2009, p. 48).

Cela laisse à penser que l’encadrement des individus atteints du TDAH peut revêtir une grande importance pour la prévention d’autres troubles psychologiques, allant de l’enfance jusqu’à l’âge adulte.

En ce qui concerne son origine, on considère que le TDAH serait principalement de cause génétique, mais aussi environnementale, et il est important de comprendre que les symptômes rencontrés sont hors du contrôle et de la volonté de l’enfant concerné. Malheureusement, il est facile de confondre les signes du TDAH avec d’autres troubles tels que de l’anxiété, des troubles du langage, une douance ou une simple immaturité (due notamment à la différence d’âge avec les autres élèves d’un groupe, lorsque par exemple certains sont nés avant le 30 octobre de l’année scolaire). Il est donc primordial d’obtenir des informations d’observateurs connaissant bien l’enfant, dont ses parents, et d’autant plus important que ces enfants soient diagnostiqués par un neuropsychologue ou un professionnel expérimenté (AQNP, https://aqnp.ca/documentation/developpemental/tdah).

Voici les comportements courants de l’enfant TDAH en milieu scolaire :

• A de la difficulté à se concentrer et à rester concentré en classe;

• Bouge beaucoup et reste difficilement en place;

• Porte peu d’attention aux détails, écrit de façon brouillon et fait beaucoup d’erreurs d’inattention;Prend plus de temps pour bien lire un texte et se réviser;

• Est facilement distrait par les stimuli extérieurs et a tendance à la rêverie;

• A de la difficulté à se rappeler et à suivre des instructions;

• Commence ses travaux en retard ou n’arrive pas à les compléter;

• Évite ou n’aime pas les activités lui demandant un effort mental soutenu;

• Oublie ou perd ses travaux et effets scolaires;

• A de la difficulté à planifier et à organiser ses tâches et activités;

• Obtient des résultats scolaires inférieurs à la moyenne et semble montrer peu d’intérêt face à ses études.

De plus, l’enfant à prédominance impulsive est particulièrement impatient. Il a notamment de la difficulté à attendre son tour pour prendre la parole, parle beaucoup, souvent trop vite et sans avoir suffisamment réfléchi à ses propos. Il fait du bruit en classe et dérange les autres élèves, veut finir ses tâches plus rapidement et attend difficilement en ligne. Ces enfants ont également de la difficulté à maîtriser leurs émotions et ils peuvent être facilement frustrés, démontrant un tempérament agressif. Ils ont de la difficulté à se discipliner et supportent mal les routines et les transitions. Malheureusement, comme ils reçoivent beaucoup d’attention et d’interactions négatives de la part de leurs pairs et des adultes, ces enfants ont souvent une piètre estime d’eux-mêmes (Rief, 2005, p.4 à 9).

En revanche, les jeunes atteints de TDAH ont de nombreuses forces, telles que la spontanéité, une facilité d’expression, de la créativité et de l’inventivité, du dynamisme, de l’empathie et de la sensibilité, de la résilience, un bon sens de l’humour, du charisme et de la facilité à improviser, en plus d’une grande débrouillardise (Rief, 2005, p. 9).

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STRATÉGIES, TECHNIQUES ET CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT AU NIVEAU PRIMAIRE

Comme on peut s’en douter, l’enfant atteint de TDAH a besoin d’une aide quotidienne en milieu scolaire. De manière générale, la Clinique Focus recommande différentes stratégies gagnantes en classe (telles que répertoriées par les Dres Bonita Blazer et Mary Ann Ager).

Sur le plan des adaptations physiques, l’auteure recommande entre autres de placer l’élève près de l’enseignant, et à côté d’élèves peu dérangeants, de fournir un environnement structuré, un espace de travail privé et des espaces d’apprentissage. Sur le plan des adaptations éducatives, elle suggère de répéter et de simplifier les directives et d’en fournir une liste écrite, d’utiliser des outils technologiques pour aider l’apprentissage et de modifier la façon d’effectuer les tests (comme de limiter les distractions et de donner plus de temps). En ce qui a trait aux comportements, elle privilégie le renforcement positif, la constance et la conséquence, la promotion du leadership et du sens des responsabilités, l’énonciation de buts précis, et la communication avec les parents, les professeurs et les éducateurs spécialisés2.

Pour sa part, Lesley Sisterhen McAllister (2012, p. 18) encourage particulièrement à valoriser les bons coups de l’élève atteint d’un déficit de l’attentions en misant sur ses forces plutôt que sur ses faiblesses, à s’adapter au style d’apprentissage de l’élève comme à sa personnalité et à varier le choix des stratégies employées.

Par ailleurs, cette connaissance et cette compréhension des difficultés d’apprentissage de l’élève comme des comportements qui y sont associés demeure incontournable pour tout professeur, de musique ou non, et s’applique à tout type de

difficulté d’apprentissage. Cynthia Colwell (2002, p. 4-5) confirme aussi l’importance de collaborer avec les éducateurs spécialisés, de se tenir au courant des recherches applicables et de développer des attentes adaptées à l’élève en difficulté pour élaborer les stratégies d’enseignement appropriées pour celui-ci. Dans tous les cas, l’enseignant remarquera que les stratégies développées seront également bénéfiques à ses autres élèves : fractionner les tâches en plus petites étapes, répéter davantage, renforcer les comportements positifs, fournir plus d’exemples, plus d’options d’enseignement et accorder plus de temps pour réaliser les tâches demandées.

McAllister souligne également l’importance de l’attitude attentive, opportuniste et positive de l’enseignant à l’égard de ses élèves, et présente quatre caractéristiques fondamentales de l’enseignement positif, sous l’acronyme CARE (pour Concern, Authenticity, Respect, et Empathy). Être concerné implique donc de s’intéresser à la personne et non seulement à l’élève, en cherchant à le faire parler de sa journée ou de sa semaine. En outre, l’enfant hyperactif ayant souvent de la difficulté à se faire accepter par ses pairs en raison de son comportement ou des perturbations qu’il peut occasionner en classe, le cadre des leçons de musique peut lui offrir une occasion de s’affirmer positivement.

D’autre part, l’auteure mentionne l’importance de l’authenticité, que ce soit dans nos intentions ou dans la clarté de nos attentes comme enseignant, tout en maintenant une communication ouverte et directe avec l’élève. Par ailleurs, les élèves respecteront davantage leur enseignant s’ils sentent un respect mutuel de leur part, et ce, même s’ils conservent une certaine autorité (par exemple, en permettant aux élèves de choisir certaines pièces ou activités musicales parmi une sélection, ou en donnant le choix

d’un instrument de musique). Finalement, l’empathie implique de faire preuve de compréhension pour que l’élève se sente accepté et non réprimandé ou diminué, en soulignant ses efforts plutôt que ses faiblesses (McAllister, 2012, p. 18-19).

En ce qui concerne spécifiquement l’inattention, il faut se rappeler que la concentration des enfants ayant un TDAH est limitée à de brèves périodes; il est donc recommandé de fractionner les présentations en plusieurs parties en interrogeant les élèves après chacune d’elles, en maintenant un rythme rapide et en prenant un ton de voix enthousiaste et varié. À la maison, séparer les devoirs en plusieurs mini-devoirs permettrait également d’optimiser l’intérêt et la capacité d’attention (Royer, 1995, p. 19). On préconise également de varier les activités d’apprentissage durant les leçons, et d’inclure des mouvements physiques (particulièrement applicable aux premiers cycles du primaire), des activités écrites, de l’écoute active et du travail rythmique (McAllister, 2012, p. 20). Le choix de courtes pièces musicales peut également permettre une meilleure concentration pour ces élèves, comme mentionné dans l’article de Patience Moore (2009, p. 57).

Dans son article portant sur les liens entre l’attention, la mémoire et l’apprentissage, Lynn Helding (2012, p. 321) évoque d’autres facteurs ayant un grand impact sur la mémorisation et sur le processus d’apprentissage, pour un cerveau TDAH ou non : les émotions et la motivation. Ainsi, chercher à se rapprocher des intérêts musicaux des élèves ayant un TDAH et trouver des activités stimulantes serait un aspect de plus à développer pour l’enseignant en musique. Celles-ci devraient également favoriser le sentiment de succès chez l’élève, afin qu’une petite participation de sa part permette de créer un produit musical signifiant pour l’élève (De l’Etoile,

2 Pour des exemples concrets d’adaptations physiques, consulter www.attentiondeficit-info.com.

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1996, p. 12). Par ailleurs, les résultats d’une étude portant sur les expériences de trois élèves ayant un TDAH dans l’orchestre de leur école démontrent l’importance de la relation développée avec leur enseignant dans le succès de ces élèves. Les cours particuliers donnés par l’enseignant renforçaient particulièrement cette proximité (Hansen, 2012, p. 149).

Pour bien gérer les problèmes d’hyperactivité, McAllister recommande à nouveau de varier les activités et de choisir pour l’élève un instrument dont il peut jouer debout lorsque c’est possible. Le fait de changer d’instrument en milieu de leçon serait une autre stratégie envisageable. L’auteure suggère également de faire jouer de la musique durant les transitions, en laissant les élèves bouger librement sur ce qu’ils entendent, pour qu’ils puissent se défouler. Bien sûr, si le niveau sonore dépasse certaines limites en classe, il peut être efficace de parler plus lentement ou moins fort (McAllister, 2012, p. 21). L’utilisation d’une musique douce peut aussi permettre de calmer les esprits durant les transitions.

Enfin, pour prévenir des comportements inappropriés, les principales recommandations pourraient être résumées par l’établissement d’une bonne gestion de classe et par le fait d’énoncer clairement la planification des leçons, les directives, les routines et les règles de la classe, sans qu’elles soient trop nombreuses, et en utilisant des pictogrammes à titre de rappel. Le renforcement positif est encore une fois priorisé afin d’encourager les comportements souhaités (Rief, 2005, p. 115-117).

Influence de l’enseignement de la musique par rapport à l’apprentissage du français

Au-delà de l’objet enseigné aux élèves en musique, l’apprentissage de la musique peut également être exploré sous un autre angle

quant à son rapport avec le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, à savoir comme un moyen d’intervention et comme objet de comparaison avec l’apprentissage du français.

En effet, l’article d’Essiambre, Côté et Chevalier (2009) présente les résultats d’une étude portant sur l’apprentissage du français et de la musique chez l’enfant hyperactif. On y évoque les nombreuses tentatives (d’une efficacité limitée) pratiquées dans les écoles au cours des dernières années pour tenter de corriger les problèmes scolaires, comportementaux et émotionnels reliés au TDAH. Cependant, de nouveaux programmes d’interventions s’inscrivent dans une démarche multimodale, incorporant l’entraînement cognitif, la gestion cognitive et métacognitive, ou encore la gestion de l’attention, de pair avec la médication et les interventions psychosociales. En ce sens, compte tenu des bénéfices des programmes d’intervention sensori-motrice pour l’amélioration de la capacité d’attention et d’autorégulation de l’enfant atteint de TDAH, les auteures ont donc expérimenté une approche multisensorielle et cognitivo-motrice basée sur l’apprentissage de la guitare, avec pour objectif d’en explorer les liens avec l’apprentissage du français.

Les résultats de l’étude ont démontré que leur approche peut présenter de nombreuses similitudes dans l’apprentissage des deux disciplines et entraîner plusieurs améliorations aux plans de l’apprentissage, du comportement et de la motricité des sujets. Ainsi, les similarités remarquées sur ces trois plans permettent de constater certains bénéfices pour l’apprentissage de la langue chez des élèves présentant un TDAH accompagné de difficultés d’apprentissage et de comportement. En effet, les sujets ont progressé de façon significative dans les deux matières enseignées en termes de motivation, de persévérance, de

mémorisation et de créativité. De même, les difficultés rencontrées en français étaient similaires pour l’apprentissage d’un instrument de musique : manque de rigueur, mauvaises habitudes de travail et difficultés dans l’organisation des tâches. En revanche, la capacité à mémoriser dans les deux matières n’était accrue que lorsque l’apprentissage était subdivisé en courts fragments.

En ce qui a trait à la dimension comportementale, on pouvait constater que l’attitude et le contrôle de soi s’étaient particulièrement améliorés à la suite de l’année d’étude. Sur le plan émotionnel, les auteurs ont également constaté une amélioration de la curiosité et la découverte par les élèves de leur propre potentiel. Sur le plan relationnel, les sujets affichaient une bonne entente et une amélioration de leur relation, entre eux et avec les adultes. D’autres améliorations touchaient leurs habiletés sociales (respect, sens des responsabilités et engagement social), leur estime de soi et leur psychomotricité (posture, tics et bégaiements).

En somme, cette étude aura permis de fournir un nouvel éclairage sur le développement de l’élève hyperactif dans le cadre d’une démarche d’apprentissage qui répond à ses besoins, l’intéresse et favorise la motivation et le goût de la réussite.

CONCLUSION

Comme nous avons pu le voir, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité touche une vaste tranche de la population à travers le monde, chez les enfants comme chez les adultes. Ce trouble entraîne également une très grande variété de symptômes, dont l’inattention, l’hyperactivité, l’impulsivité et des difficultés d’adaptation sociale. Comme le TDAH est très répandu, tout enseignant de musique doit être sensibilisé à cette situation et aux difficultés d’apprentissage que peuvent rencontrer

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les élèves atteints de ce trouble. Il est aussi de la responsabilité de l’enseignant de chercher à s’adapter à ces élèves particuliers, en reconnaissant leurs forces et leurs faiblesses, et en trouvant des stratégies qui correspondent à leur style d’apprentissage. De manière générale, on peut déduire que ces stratégies pourront bien souvent être également bénéfiques à des élèves réguliers. Toutefois, il pourrait être intéressant de se questionner à savoir si c’est toujours le cas.

Grosso modo, il semble que la majorité des conseils et stratégies peuvent s’appliquer à toute discipline enseignée. Il ne serait d’ailleurs pas très difficile de les adapter au cas particulier d’une classe de musique de niveau primaire. Cependant, peu de documentation s’applique spécifiquement à l’enseignement de la musique auprès

d’élèves hyperactifs, particulièrement en langue française, à l’exception des ouvrages d’Essiambre, Côté et Chevalier. Plus que l’application d’une méthode d’enseignement en particulier, l’adaptation des techniques et des stratégies au cas des élèves avec des difficultés d’apprentissage (et la mise en contexte d’une classe de musique au niveau primaire) relève donc principalement de la compréhension du trouble par l’enseignant, de l’étendue de ses connaissances disciplinaires, de son esprit d’analyse et de sa créativité (Rozsics, 2010, p. 74).

Enfin, dans les grandes lignes, le plan d’action du Québec relatif au TDAH (Robitaille et Vézina, 2003) démontre l’importance que le gouvernement du Québec accorde à ce trouble envahissant. Les ministères de l’Éducation et de la Santé et des Services

sociaux s’engagent conjointement à suivre l’évolution des connaissances et à en assurer la diffusion, à soutenir le personnel au regard de l’évaluation, du diagnostic, de l’intervention et du traitement de ce trouble, à favoriser l’accès aux ressources et la concertation des interventions, à soutenir les parents, et à suivre l’implantation du plan (2003, p.4-5). Le plan souligne avec raison l’abondance de la documentation portant sur le sujet, ce qui rend une synthèse assez difficile. J’espère que ce plan pourra se réaliser avec succès au courant des années à venir, afin de favoriser une meilleure compréhension et un meilleur encadrement des élèves atteints d’un TDAH, pour leur plus grand bénéfice et pour leur réussite scolaire.

RÉFÉRENCES

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Rief, S. F. (c2005). How to reach and teach children with ADD/ADHD : practical techniques, strategies, and interventions (2e éd.). San Francisco : Jossey-Bass.

Royer, É. (1995). Enseigner aux élèves présentant des troubles de l’attention accompagnés d’hyperactivité. Lévis : Corporation École et comportement.

Robitaille, C. et Vézina, N. (2003). Agir ensemble pour mieux soutenir les jeunes : TDAH, trouble de déficit de l’attention/hyperactivité. Québec : Ministère de l’Éducation, Direction de l’adaptation scolaire et des services complémentaires.

TDAH : Informations, trucs et astuces. Consulté le 7 octobre 2018 à l’adresse http://www.attentiondeficit-info.com

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Les publications scientifiques sont essentielles afin de nous informer des nouvelles découvertes. Toutefois, la

lecture de tels articles peut s’avérer aride pour les personnes qui ne proviennent pas du milieu de la recherche. Dans ce contexte, les ouvrages de vulgarisation sont d’une grande utilité, puisqu’ils permettent de promouvoir les résultats récents auprès d’un plus vaste lectorat. Dans cette chronique et dans celles des prochains numéros, nous ferons un bref survol de livres qui susciteront votre intérêt à coup sûr. Ainsi, vous resterez à l’affût des avancements récents en psychologie de la musique et vous pourrez vous servir de ces références dans le cadre de votre profession.

Dans cette chronique, nous nous intéressons d’abord au livre Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences d’Isabelle Peretz (2018). Professeure Peretz est titulaire d’une chaire de recherche du Canada et d’une chaire de recherche Casavant en neurocognition de la musique. Elle enseigne et mène des recherches d’envergure, mondialement reconnues, à l’Université de Montréal.

Dans son ouvrage, Isabelle Peretz traite de plusieurs questions fondamentales en musique qui nous intéressent tout particulièrement quand nous travaillons dans le domaine de l’éducation musicale : Quelle place devrions-nous faire à la musique en société ? Est-ce qu’écouter ou jouer de la musique a un impact sur l’intelligence ? Est-ce avantageux d’écouter de la musique tout en étudiant ? Y a-t-il un âge où les bienfaits de la musique sont plus profitables ? De quelle manière devrions-nous apprendre la musique ? La professeure Peretz apporte à ces questions des pistes de solutions

appuyées par des écrits scientifiques. De plus, l’auteure nous amène à réfléchir sur nos façons d’enseigner la musique en nous renseignant sur les avancées scientifiques.

Les autres thèmes abordés dans ce volume sont tout aussi pertinents que ceux mentionnés précédemment. Isabelle Peretz aborde notamment les liens qui unissent la musique et le langage, et l’apport de la musique au cerveau. Elle traite également de l’oreille absolue ainsi que l’amusie congénitale.

Ce livre de référence est évidemment un incontournable pour les musiciens éducateurs, mais aussi pour les dirigeants du réseau scolaire ainsi que pour la population en général.

En espérant avoir piqué votre curiosité sur cet ouvrage qui est à la fois très rigoureux et accessible à tous!

RÉFÉRENCES

Peretz, I. (2018). Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences. Paris : Éditions Odile Jacob, 155 pages.

Chronique musique et apprentissages !V É R O N I Q U E G A B O U R Y , étudiante au doctorat en éducation musicale, Faculté de musique, Université Laval. J O N AT H A N B O L D U C , titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages, Professeur titulaire en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval.

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INTRODUCTION

A contrario de ce que Marcel Proust1 (1987, p. 301) écrivait dans sa conclusion en 1965 : « Dès que je lisais un auteur, je distinguais bien vite sous les paroles, l’air de la chanson, qui en chaque auteur est différent de ce qu’il est chez tous les autres et tout en lisant, sans m’en rendre compte, je le chantonnais, je pressais les notes ou les ralentissais ou les interrompais, pour marquer la mesure des notes et leur retour, comme on fait quand on chante...», les musiciens enseignants sont confrontés au processus inverse. Ils partent de matières sonores le plus souvent difficilement traduisibles dans un langage verbal clair et univoque, bien que le langage enseignant se traduit lui aussi par l’émission de vibrations sonores, à la différence près que le langage enseignant se matérialise directement sous forme de mots et de phrases à destination des apprenants.

Il en va donc tout autrement lorsqu’on s’engage à vouloir analyser une œuvre musicale construite principalement en

1 Relevons que c’est au sein de Prisonnière que Marcel Proust va s’essayer à distinguer les « musiques naturelles des mots » au creux du langage ordinaire des « musiques d’art » qui œuvrent par des sons qu’il estime prendre l’intérêt de l’ « inflexion de l’être ». Il traduit cette inflexion de l’être comme « reproduire cette pointe intérieure et extrême des sensations qui est la partie qui nous donne cette ivresse spécifique que nous retrouvons de temps en temps » (Dietler, 2013, p. 64). 2 Nous renvoyons à la lecture d’un article précédemment écrit qui s’intitule « Quand le rapport analogique entre deux domaines s’invite dans les questions pédagogiques : les liens de parenté entre langage et musique » (Deltand, M. 2017b).3 Marcel Proust (1988, p. 259) écrira d’ailleurs à ce sujet « je me demandais si la Musique n’était pas l’exemple unique de ce qu’aurait pu être — s’il n’y avait pas eu l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées — la communication des âmes. L’humanité s’est engagée dans d’autres voies, celles du langage parlé et écrit. »

sons et en rythmes tout en contractant l’ensemble des particularités expressives avec des apprenants dans un langage verbal. Ainsi, et même si certains ont pensé parfois la musique comme un langage naturel2 accessible à tous et renvoyant l’idée qu’il serait une langue universelle3, la traduction de la musique dans un langage verbal accessible à toutes et tous porte pourtant un paradoxe difficile à résoudre. Barus-Michel (2013) estimait d’ailleurs que l’accord renvoyant au signifiant « n’est jamais tout à fait réalisé ». Et c’est bien le cas de la musique qui évolue par la matière sonore sans pour autant expliciter clairement le sens que le compositeur y a déposé. Ce paradoxe sera d’ailleurs toujours un enjeu important pour la pensée esthétique, mais deviendra un réel défi pour le monde éducatif et ses objectifs pédagogiques. C’est dans ces conditions que le musicogramme apparaît dans les pratiques enseignantes afin de mobiliser des supports adaptés qui permettent de médier l’objet musical lors des séquences didactiques. C’est dans cette direction que

Quelques pistes illustratives à propos de l’artefact ayant pour objectif d’analyser une œuvre musicaleM U R I E L D E LTA N D , titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire à la Haute École Bruxelles-Brabant et chercheuse permanente au Laboratoire CIREL, équipe Trigone, Université de Lille 1.

« Enseigner, c’est fondamentalement communiquer avec quelqu’un, communiquer quelque chose à quelqu’un, créer un contexte de communication qui permette le traitement

significatif d’informations et la construction graduelle du savoir dans le respect des différences des partenaires en cause ».

Jacques Tardif (1999, p.382)

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nous avions écrit précédemment l’article intitulé « Le musicogramme : construction d’un cadre notionnel » paru lors du dernier numéro d’automne (Deltand, 2018a).

Cette contribution questionnait et définissait ce qu’était un musicogramme, ce qui nous avait notamment conduit à l’inscrire dans la catégorie des artefacts ayant à la fois la fonction de médier l’objet musical (signifiant, signifié) dans une situation d’enseignement ou de formation, mais aussi de faciliter, voire soutenir, les apprentissages présents au sein de cette médiation à teneur didactique. Au regard de nos recherches inventoriant formes, formats, systèmes de codification, fonctions attribuées par leurs auteurs, et autres, et à partir de la littérature et des pratiques de formation disponibles, nous avions dégagé trois types4 de musicogrammes (artefact) qui coexistent dans le champ des pratiques musicales. Le premier comprend des artefacts permettant à l’apprenant d’identifier, de déchiffrer, de distinguer, de décoder, etc. les contenus sonores pour finalement acquérir les clés d’analyse de l’œuvre écoutée. Le deuxième se compose d’artefacts incitant les apprenants à l’action au moment de l’écoute musicale. Enfin, le dernier concerne les artefacts résultant d’un processus de création et qui peuvent se reproduire ou se réinterpréter grâce à un réseau de modes d’expression conventionnés et employés par les initiateurs (signes, dessin, symboles, mots ou tout autres possibilités choisies)5.

Dans le présent article, nous nous intéresserons de manière illustrative au premier type de musicogramme. Notre

4 Relevons que ces trois catégories ne sont pas exclusives et sont distinguées uniquement à partir de l’inventaire que nous en avions fait en 2018 à partir des sources diffusées et disponibles sur les canaux de diffusion. 5 Insistons : l’ensemble des systèmes représentationnels adaptés qui peuvent être présents dans un musicogramme peut s’apparenter à une notation musicale proprement dite. En effet, il s’agit d’un système de signes annoncés aux apprenants ou créés par eux et qui permet de traduire les sons, les pauses, les rythmes, soit l’ensemble des particularités d’une œuvre. 6 Eric Brabant (1972, p. 31) exposait que « des signes annexes, à l’intérieur, au-dessus ou au-dessous de la portée, sont destinés à préciser : — la vitesse à laquelle il faut lire la partition (le livre) ; — la dynamique (ou la puissance du son) ; — les attaques : comment jouer un son ; — la façon d’interpréter le morceau : doux, violent, etc., et peuvent être notés par des verbes ou des adjectifs, c’est-à-dire par le langage littéraire et non plus par des signes. Ces signes annexes, d’ailleurs, deviennent l’objet de règles d’écriture dans la musique sérielle. On peut noter, à l’heure actuelle, qu’une cinquantaine de signes sont utilisés dans l’écriture de la musique traditionnelle, non compris les lettres, les chiffres et les mots. Néanmoins, on ne peut être que surpris par ce chiffre dérisoire : plusieurs siècles de musique avec une cinquantaine de signes ! 7 Celle-ci est construite en cinq lignes ordonnant les sons et plaçant en abscisse le déroulement du temps par des barres verticales sur la portée signifiant la fin de la « mesure », la mesure étant une unité de temps donnée8 A contrario, des élèves inscrits dans des académies, des écoles de musique ou des conservatoires.

intérêt se portera plus particulièrement sur un réservoir de représentations visuelles (diversification des formats et des systèmes) conçu par de futurs enseignants lors de leur formation. Les illustrations seront alors puisées dans nos pratiques de formation à Bruxelles afin de découvrir différentes approches d’un même artefact qui ouvrent ainsi une grammaire visuelle et didactique propice aux apprentissages.

QUELQUES PRÉALABLES À PROPOS DU MUSICOGRAMME DANS LES PRATIQUES ÉDUCATIVES

Pour comprendre les exemples qui seront proposés, il nous importe de revenir sur quelques éléments fondateurs afin de comprendre l’intérêt d’utiliser des musicogrammes dans les pratiques éducatives.

La conception d’artefacts visuels dans le champ musical est loin d’être nouvelle pour les musiciens enseignants. Les sources sonores ont toujours été des prétextes pour tenter d’expérimenter des signes et graphes écrits renvoyant à des références musicales interprétatives. L’histoire de la musique a d’ailleurs démontré à maintes reprises qu’elle laissait des traces6 dont l’exemple le plus illustratif est la portée musicale7. Néanmoins, dans le cas précis des pratiques d’éducation musicale dans les écoles maternelles, primaires ou secondaires sans oublier l’ensemble des activités d’animation musicale qui ont, elles aussi, la particularité d’œuvrer avec un public n’ayant pas forcément une formation musicale spécialisée8, il importe que l’artefact visuel

employé (musicogramme) soit le plus clair et créatif possible.

Par essence, le musicogramme mobilise un mode d’expression « multisignique » qui coordonne des signaux et des codes écrits ou visuels, mais qui peut aller jusqu’à compléter du gestuel ou du sonore, ce qui rend l’exercice parfois périlleux pour la réalisation collective. Autrement dit, il s’agira pour l’enseignant et ses apprenants de mobiliser une transposition rigoureuse et appropriée de signes codifiés sans quoi le risque d’incohérence et d’inefficacité de l’objectif pédagogique s’avérera patent lors de l’expérimentation. Nous faisons référence ici à l’emploi simple de systèmes graphiques choisis par et pour les apprenants qui pourront être directement identifiés, décodés, distingués, saisis…. et donc maitrisés, interprétés ou reproduits selon les objectifs visés. Delalande (2013, p. 207) soulignait que le système « n’est pas observable, en revanche, les pièces produites le sont, et [il] suffirait de les analyser pour découvrir le système. Erreur fondamentale. L’objet sonore produit par les musiciens est certes immédiatement audible, mais il reste informe et inintelligible tant qu’on ne dispose pas des clés pour y déceler une organisation ». Ce sont donc les clés de décodage et d’interprétation qui devront être précises dans le cas des musicogrammes. C’est ce qui fait dire à Goodman (1990, pp. 227-228) qu’une partition identifie l’œuvre, car on la conçoit avant tout comme moyen de transmission : directement le cas de l’artefact qui nous occupe. Il a la fonction de médier et de traduire l’écoute par des modes de transmission visuelle propices. Il

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importe alors de donner aux apprenants un support logistique de médiation qui offre « une stipulation des unités significatives minimales […] et de différenciation syntaxique. ». Or, tous les éléments musicaux n’ont pas forcément des traductions aisées à proposer, notamment en ce qui concerne la représentation du temps couplée aux paramètres de la hauteur, du timbre et de l’intensité. On sait combien cette notion de temps (Piaget, 1946) pose des difficultés d’acquisition chez l’enfant, au contraire de celle de l’espace qui se laisse au moins en partie plus facilement saisir (en particulier par les manipulations). C’est ici qu’intervient l’utilisation du musicogramme dans les pratiques éducatives. Les représentations graphiques peuvent effectivement aider à répondre à cette difficulté car, d’une part, sa graphie se déroule sur un axe horizontal (comme la lecture et l’écriture) et, d’autre part, comme le soulignait Chouvel (2011, 2006), la musique s’est presque toujours servie de représentations graphiques pour rendre compte de l’évolution des structures et donc forcément pour représenter le temps. Ainsi, la traduction visuelle sous forme de dessins a souvent été utilisée comme un des moyens les plus efficaces pour établir une visualisation des sons du fait qu’elle est de nature acoustique. À l’inverse de la conception de François-Bernard Mache (2001, p. 94) qui écrivait « l’inanalysable en musique n’est pas seulement un défi à la raison, c’est aussi ce qui démarque le mieux la musique du langage », Bertrand (1972, p. 40) conçoit, au contraire, que « le graphisme résout facilement ce genre de difficulté. […] L’expression “graphisme musical” recouvre de ce fait tous les signes écrits ». Cela est d’autant plus important qu’il a, en sa qualité de mode de communication et en concordance avec la mission originelle

9 La formation dure actuellement trois années composées de 80 heures de formation à l’éducation musicale. Relevons aussi que la formation des futurs enseignants passera à quatre ans dès la rentrée académique 2019-2020.10 Devise reprise par des compositeurs dans leur démarche concrète.11 François Bayle (2017). « De l’écoute-lecture à l’écoute-écriture, ou la main-oreille dans tous ses états », in F. Nicolas (dir), Les mutations de l’écriture (pp. 43-57). Paris : Publications de la Sorbonne.

des partitions traditionnelles, la mission de transmettre l’information de manière aussi univoque, précise et claire que possible à l’apprenant.

Ainsi, et dans le cas de la plupart des apprenants n’ayant pas de formation musicale spécialisée, l’emploi de représentations visuelles du phénomène musical doit clarifier simplement les relations entretenues entre le graphisme et le son en l’adaptant en un système de signes graphiques qui fixe des liens entre signes visuels et événements sonores. C’est ce qui nous fait dire qu’un musicogramme est une des « entrées » adaptatives possibles et un « accès » vers le monde musical particulièrement intéressant.

QUELQUES PRÉALABLES À PROPOS DE LA FORMATION DES INSTITUTEURS À L’ÉCOUTE MUSICALE ET LES POSTULATS QUI SOUS-TENDENT CES PRATIQUES

Comme nous l’annoncions, nous souhaitions proposer des illustrations concrètes de musicogrammes conçus par nos étudiants futurs instituteurs primaires du département pédagogique à la Haute Ecole Bruxelles-Brabant en Belgique, notamment des exemples issus du cours consacré à l’écoute musicale, qui sensibilisent entre autres au besoin de recourir à des artefacts et visent à développer l’intérêt de les employer dans des pratiques éducatives. Pour comprendre les fondements des choix posés dans nos cours, revenons sur quelques préalables qui sous-tendent ceux-ci et qui sont propices pour des futurs enseignants généralistes de l’enseignement de la musique. Commençons par les quelques particularités du dispositif de formation et notre intérêt comme chercheuse.

Premièrement, revenons sur l’importance de notre positionnement méthodologique dans ce dispositif de formation et ses démarches. Notre positionnement s’est construit en réponse au constat d’un manque de formation artistique à l’entrée du cursus par nos étudiants. Nous devons donc former9 des futurs instituteurs qui auront la mission de donner la discipline de l’éducation musicale dans les classes primaires sans avoir vraiment, au préalable, de notions musicales ou d’expérience. Pour répondre à ce problème, notre postulat de formation s’est alors inspiré de la célèbre citation prêtée à Picasso par Jean Cocteau10 qui était « j’agis/réagis, conçois/corrige, produis et retiens,... »11. C’est ce qui a forgé notre ancrage méthodologique de formation; celui-ci a été pensé pour donner un maximum d’expériences et de retours réflexifs en faisant découvrir, (re)sentir, manipuler, essayer, concevoir, se distancer, réfléchir, modifier, réenvisager, (re)composer, réinvestir la musique par le biais d’un répertoire musical d’écoute proposé aux étudiants. L’ensemble de ces opérations de formation permet alors à chacun de découvrir et de manipuler un maximum d’artefacts pour en faire comprendre les intérêts pédagogiques inhérents à ceux-ci, mais également les limites de ce type de support en situation éducative.

Dans ces conditions, nous considérons que, même s’ils sont sans formation spécialisée avant l’entrée dans le cursus, ils sont pourtant porteurs de savoirs souvent insoupçonnés. C’est cette orientation que nous avons choisi de prendre et qui parie sur l’importance de « faire vivre » et de stimuler, autant que possible, les étudiants aux pratiques artistiques. Ainsi, former les étudiants à l’écoute musicale par le musicogramme, c’est les « plonger dans un bain sonore » en

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leur faisant découvrir, manipuler, appliquer, questionner des œuvres au sein d’un répertoire, tout en découvrant l’artefact. À la fin du cours, chaque étudiant a pu concevoir et expérimenter un dispositif d’écoute destiné à des enfants du primaire lors des stages d’enseignement proposés par le département pédagogique.

Partageons ensuite notre double intérêt à travailler dans ce dispositif de formation consacré à l’écoute musicale. Le premier intérêt se situe au niveau de la formation par le fait que le dispositif permet aux étudiants de se former à la discipline et aux attentes éducatives en expérimentant l’écoute musicale sous toutes ses formes avec un accompagnement précis et progressif. Le second intérêt se situe sur le plan de la recherche en ciblant l’attention du chercheur à la fois sur les musicogrammes conçus par les étudiants comme des résultats de formation, mais également comme autant de traces des processus réflexifs12 émis en situation de formation. Ce double regard du chercheur lui permet de mieux comprendre comment des étudiants non-spécialistes de la musique questionnent, co-construisent, proposent, modifient, réfléchissent, statuent… sur des artefacts en rapport avec une œuvre musicale et comment ils réélaborent l’ensemble de ces opérations de formation en vue de construire des dispositifs d’écoute musicale à l’attention des écoles.

Dans ces conditions, l’enseignant chercheur est vigilant à proposer une progression du répertoire qui ouvrira les étudiants à la discipline. En effet, les premières œuvres choisies pour aborder la formation ont délibérément été puisées dans un répertoire qui commençait par les musiques à programme. Ces musiques détaillent un

12 Notamment la prise en compte des conflits sociocognitifs dans différents moments du processus réflexif (au moment d’effectuer les choix représentationnels au regard de l’œuvre écoutée, des systèmes codifiés et de la syntaxe envisagés, le dégagement de discours individuel lors des échanges témoignant d’une construction professionnelle sur la discipline.13 Comme enseignante chercheure dans le département, nous formons les instituteurs depuis près de trente ans maintenant. 14 Nous employons le terme « de base » du fait que l’artefact utilisé est volontairement simpliste et comporte des lacunes. Au fil de la formation, les étudiants découvrent l’intérêt et le besoin de faire évoluer le format et ses ingrédients visuels afin de les particulariser aux différentes œuvres.

contenu descriptif de manière plus ou moins forte et proposent une variété de formes musicales propices à ouvrir à la discipline, tout en étant accessibles aux étudiants. Suivra la découverte des répertoires plus abstraits qui correspondent à toute œuvre musicale ne contenant aucun élément extra-musical. A posteriori13, ce choix s’est révélé payant pour former des étudiants sans bagage musical particulier et les amener à travailler en didactique professionnelle, principalement à l’éducation musicale. En effet, la progression nous paraissait adéquate, notamment parce qu’elle permet aux étudiants généralistes de saisir les premiers enjeux de la discipline tout en essayant de transférer leurs découvertes dans une future posture d’enseignant devant une classe.

Enfin, l’articulation pédagogique progressive que nous avons donnée à la structure de ce dispositif de formation permet d’aborder l’écoute en lien avec l’utilisation didactique d’un musicogramme. Cette articulation se construit en deux phases que voici :

La première phase de formation propose plusieurs œuvres musicales qui sont travaillées collectivement avec le formateur. L’objectif est d’écouter, de découvrir, de saisir, de traduire en utilisant un musigoramme de base volontairement simpliste. Ce travail de départ vise à décrypter différentes œuvres en partant à la fois de la « grille d’analyse des niveaux de signification » (Deltand, 2018b) tout en utilisant l’artefact à des fins de clarification ou de questionnement didactique. Ces écoutes sont donc le moyen de faire découvrir le concept d’un musicogramme tout en travaillant ensemble sur un format visuel de base ; le but demeure de se former aux particularités, aux enjeux, aux formes musicales et aux méthodologies

d’enseignement possibles en partant d’un artefact très simple.

Dans nos formations données au département pédagogique à Bruxelles, le format de base14 se présente sous la forme d’une grande bande de papier représentant un tableau à double entrée composé de trois zones de signification et d’autant de colonnes qu’il y a de moments de parties ou d’éléments descriptifs dans l’œuvre écoutée.

Ce format de base, évoluant de la gauche vers la droite, représente visuellement la succession sonore du contenu descriptif de l’œuvre en employant intentionnellement quelques mots et dessins. Volontairement lacunaire, cette base devient propice à l’émergence et à l’élaboration d’un questionnement professionnel collectif, tant sur l’intérêt méthodologique que sur le mode visuel de traduction employé pour médier l’écoute.

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Exemple 1 : Musicogramme de base travaillé et questionné collectivement à partir de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns.

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Ainsi, les étudiants découvrent progressivement :

1) La zone de signification supérieure qui indique les caractéristiques sonores en lien avec le contenu narratif (timbres, rythmes, motifs, etc.), effectuées par le ou les instruments de musique utilisés (parfois regroupés en famille orchestrale ou même l’orchestre15 dans son entièreté), au moment où ils sont écoutés.

2) La zone centrale a été choisie pour sa situation spatiale qui attire particulièrement le regard des apprenants. Cette zone présente principalement le contenu narratif déployé dans l’œuvre (histoire) et n’a d’autre utilité que de se découper (pour la compréhension du lecteur), en accord avec la structure de l’œuvre en employant des modes visuels

15 Les Socles des compétences belges identifient précisément l’orchestre symphonique comme référence pour les élèves des classes maternelles et primaires. Il s’agit donc, pour nos étudiants, de se former à utiliser un répertoire d’œuvres mobilisant ce type d’orchestre tout en découvrant ses limites. 16 Rappelons qu’un article sur la réflexivité a été publié précédemment (Deltand, 2017a).17 Nous renvoyons le lecteur à l’article relatif à la posture d’accompagnement (Deltand, 2018c).

adaptés selon les âges (phrases courtes, dessins, illustrations, symboles, etc.). Elle se donne la fonction de médier le contenu narratif posé par le compositeur.

3) La zone inférieure expose l’architec-ture de l’œuvre en la découpant en une structure calquée sur celle conçue par la forme musicale. La ligne inférieure informe alors l’apprenant en nommant chaque aspect de la structure musicale liée au vocabulaire spécifique de la forme musicale écoutée (exemples : introduc-tion, thème A, thème B, coda, etc.).

Les expérimentations collectives sont également propices aux étudiants à découvrir et à manipuler différentes tailles d’artefacts tout en les situant dans l’espace de la classe. Ils peuvent ainsi saisir la variabilité du support selon les besoins méthodologiques et des objectifs qu’ils se fixent. Au fur et à mesure

qu’ils avancent en formation, ils s’engagent lentement à concevoir et à singulariser une pensée enseignante. C’est l’objectif de la seconde phase de la formation.

La seconde phase de la formation s’emploie à mettre les étudiants dans des petits groupes de trois en proposant de travailler ensemble autour d’une œuvre qu’ils doivent découvrir par eux-mêmes. Nous donnons la mission d’analyser celle-ci, de débattre ensemble des particularités et de concevoir un artefact par un système de visualisation en s’inspirant de leur vécu lors de la phase 1. Ils doivent donc écouter, découvrir, analyser, comparer, réfléchir16 et concevoir un artefact qui traduit son contenu narratif, tout en étant accompagnés par l’enseignant chercheur qui soutient et guide17 ce processus d’élaboration. Au fil du temps, les étudiants reviennent sur le canevas de base proposé en phase 1 et le questionnent au regard des particularités de l’œuvre en visant à concevoir, de manière singulière (et parfois inattendue), l’artefact. Cette deuxième phase aboutit à un séminaire où chaque groupe présente son dispositif d’écoute en le mettant en œuvre. S’ensuit un débriefing formatif entre l’enseignant, le groupe qui a présenté et l’ensemble des étudiants ayant vécu l’expérience. L’objectif reste de commenter et de comprendre les choix professionnels posés, mais, et surtout, d’améliorer l’artefact afin qu’il puisse être expérimenté dans les écoles.

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1) Zone supérieure : l’instrumentation (instruments, familles ou orchestre, etc.)

2) Zone centrale : contenu

3) Zone inférieure : l’architecture de l’œuvre (formes, structure, motifs, etc.) narratif (histoire)

Exemple 2 : Format de base d’un musicogramme représentant le début de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns

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QUELQUES ILLUSTRATIONS EXTRAITES DE NOS PRATIQUES DE FORMATION

Illustrations n° 1 : ce musicogramme est consacré au ballet-pantomime Festin de l’araignée du compositeur français Albert Roussel. L’œuvre, composée en 1912 d’après les Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre (1823-1915), se compose d’une suite de six pièces :

1. Prélude ; 2. Entrée des fourmis ; 3. Danse du papillon ; 4. Éclosion et danse de l’éphémère ; 5. Funérailles de l’éphémère ; 6. La Nuit tombe sur le jardin solitaire.

Pour concevoir cet artefact à des fins d’analyse musicale, les étudiants l’ont souhaité de grande taille afin de faciliter la découverte auditive de l’œuvre pour une classe complète d’enfants. Chaque panneau correspond à une pièce du ballet qui en comprend six. Remarquons que la zone de signification supérieure se structure autour d’images d’instruments, de familles orchestrales et parfois de l’orchestre symphonique, accompagnés de mots ou de phrases. La zone inférieure comporte les titres de chacune des six pièces du ballet en jouant sur les couleurs pour visualiser les tensions dans l’histoire. L’originalité s’observe par la découverte de l’œuvre par et à travers le personnage principal : l’araignée. En effet, pour maximiser l’intérêt auditif, renforcer la motivation à l’écoute et soutenir la compréhension narrative des enfants, l’équipe a construit une araignée en papier mâché pour visualiser le cheminement de celle-ci au sein des six pièces du ballet. Le personnage se déplace et avance de panneau en panneau au fil de l’écoute, ce qui aider à se repérer.

Illustrations n° 2 : ce musicogramme est consacré au poème symphonique de Bedrich Smetana, La Moldau. Il représente musicalement le cheminement de la principale rivière de Bohême. C’est une œuvre bien connue par les enseignants et propice à associer deux disciplines : la géographie et l’éducation musicale. Nous avons choisi de présenter deux illustrations distinctes pour concevoir et représenter cette œuvre. Il s’agit de deux groupes d’étudiants dans des classes de formation différentes qui ne se sont pas concertés au préalable.

Conception A : pour concevoir cet artefact, les étudiants du premier groupe ont souhaité un musicogramme placé au sol et qui se déroule au fil de l’écoute. Il est composé du dessin de la rivière (des sources à l’Elbe) et de mots-clés permettant de soutenir certains passages particuliers. La zone de signification supérieure représente des images d’instruments, de famille orchestrale ou de l’orchestre symphonique dans son ensemble au moment où ceux-ci interviennent. Ils ont également associé les détails descriptifs aux timbres correspondants. Par contre, la zone inférieure qui structure l’architecture de l’œuvre est peu employée et se met au service exclusif de la narration.

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Exemple 3 : Début du musicogramme collectif sur l’œuvre Festin de l’araignée d’Albert Roussel.

Exemple 4 : les six panneaux lacunaires du ballet, dont les deux premiers sont complétés en suivant le parcours effectué par l’araignée.

Exemple 5 : L’araignée en papier mâché imaginée par les étudiants afin de visualiser le trajet de celle-ci sur le musicogramme lors de l’écoute.

Exemple 6 : Visualisation du trajet de l’araignée sur le musicogramme.

Exemple 7 : Début du musicogramme imaginé par les étudiants au moyen d’un déroulement lors de l’écoute de La Moldau de Bedrich Smetana.

Exemple 8 : Extrait du musicogramme déroulé dans sa totalité permettant de découvrir le trajet de la Moldau se dirigeant vers l’Elbe.

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Conception B : Cet autre groupe a souhaité que l’artefact mobilise le mur entier de la classe en structurant son contenu avec, en partie centrale principale, un visuel important et coloré de l’argument narratif, en laissant toutefois des endroits vides à compléter par les apprenants. L’idée est qu’au fil de l’écoute, les enfants puissent venir compléter les parties manquantes identifiées à partir du sonore à chaque moment didactique qu’ils ont envisagé en amont. La zone de signification supérieure représente des images d’instruments, de famille orchestrale ou de l’orchestre dans son ensemble tout en plaçant des repères à propos de leurs significations narratives. La zone inférieure structurant l’architecture de l’œuvre est très investie, tant par la présence de phrases

18 Relevons que dans ce groupe, deux étudiants détenaient une formation musicale spécialisée avant le cursus, ce qui les a conduits à utiliser des signes musicaux, notamment ceux qui avaient une double signification (signes correspondant à l’augmentation ou à la diminution de l’intensité qu’on retrouve également dans les signes mathématiques). 19 Le tableau original présenté musicalement par Moussorgski est une aquarelle représentant les catacombes de Paris, un cimetière parisien situé sous terre. Hartmann s’y est représenté lui-même, portant la lanterne20 Cette petite pièce s’inspire de la célèbre sorcière russe, appelée Baba Yaga, que l’on retrouve dans nombre de contes populaires, le plus connu étant « Sont Baba Yaga et Vassilissa la très belle ». Ce tableau illustre pour Hartmann la demeure de la sorcière, une maison en forme d’horloge avec des pattes de poule. La présence de la sorcière est suggérée par cette maison.

alliant formes et contenus, que par l’insertion de signes spécifiques à la dynamique musicale (nuances) sous la forme de signes musicaux notés18 (comme on pourrait le voir sur une partition indiquant l’intensité ou le phrasé).

Illustration n° 3 : Pacific 231 est une œuvre orchestrale composée par Arthur Honegger et créée le 8 mai 1923 à l’Opéra Garnier sous la direction de Serge Koussevitzky. Les étudiants ont souhaité visualiser les différents moments signifiants de l’œuvre sous la forme de wagons ; chacun inclut une visualisation musicale du contenu qui soit, autant faire que ce peut, dépouillée de signes, dans le but de favoriser l’écoute.

Leur souhait s’était surtout posé sur l’intérêt d’axer la visualisation sur des mises en évidence des particularités techniques de cette locomotive traduite musicalement dans son déplacement.

Notons que le dessin de la locomotive est à l’inverse du sens de la lecture, ce qui a initié un grand débat dans le groupe classe lors du débriefing professionnel sur la présentation du dispositif, principalement à propos de l’importance d’utiliser une visualisation en lien avec le sens de la lecture qui est à développer chez les enfants du primaire (lecture de la gauche vers la droite).

Illustrations n° 4 : Les Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski transposent musicalement les impressions ressenties par le compositeur lorsqu’il a visité l’exposition en hommage à son ami, le peintre Viktor Hartmann. Onze tableaux ont été repris par le compositeur et reliés par un thème promenade symbolisant musicalement la marche du visiteur lors de l’exposition. Le choix des étudiants dans le cas illustré s’est porté non pas sur la visualisation de l’ensemble de l’œuvre, mais sur la découverte de trois tableaux, tout en souhaitant travailler conjointement l’expression par les arts plastiques. Le choix s’est porté sur les tableaux suivants : « Catacombe »19 ; « Cabane sur des pattes de poule »20 et « La grande porte de Kiev » en plus de l’utilisation de deux promenades (représentées par des traces de chaussures) pour les moments de transition. L’ordre des apparitions prévues dans la partition originale y est cependant respecté.

Les apprenants devaient recréer auditivement chacun des tableaux à partir de l’écoute (sans avoir d’informations au préalable). La version originale pour piano était mobilisée, ainsi que la transcription pour orchestre symphonique réalisée par Maurice Ravel.

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Exemple 9 : Musicogramme collectif installé sur le mur de la classe et imaginé par des étudiants à partir de La Moldau de Bredrich Smetana.

Exemple 10 : Détail du mode de visualisation choisi par les étudiants ciblant un passage : la chasse.

Exemple 11 : Musicogramme au sol destiné à un petit groupe d’apprenants et imaginé par des étudiants à partir de l’œuvre Pacific 231 d’Arthur Honegger.

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Pour concevoir l’artefact, les étudiants souhaitaient employer le mur du local afin d’apparenter leur dispositif d’écoute à une véritable visite de musée.

21 Les Quatre Saisons (Le quattro stagioni) d’Antonio Vivaldi (1678-1741) constituent un cycle complet se trouvant dans le recueil de l’opus 8 Il cimento dell’armonia e dell’inventione, paru en 1725 à Amsterdam. Ces quatre concertos pour violon et orchestre (numéroté de 1 à 4) déploient une description fidèle du phénomène des saisons en proposant de nombreux effets (imitatifs, suggestifs, figuratifs) allant de l’imitation des oiseaux, au murmure du vent ou de l’onde, aux aboiements d’un chien ou le son de la musette. Chacun de ces quatre concertos est accompagné d’un sonnet attribué à Antonio Vivaldi. 22 Un sonnet est une forme poétique complexe composée de quatorze vers comptant un nombre déterminé de pieds (syllabes) et de rimes et fixée dans un plan bien particulier.

Avec les années, d’autres formats de musicogrammes ou de manières d’approcher visuellement l’analyse d’une œuvre musicale sont à relever.

Illustrations n° 5 : ce musicogramme est conçu pour travailler les Quatre saisons21 d’Antonio Vivaldi. Il a été conçu de manière circulaire. En effet, le support de l’artefact a été construit sur un pied qui supporte un panneau circulaire et qui tourne en fonction de l’avancée de l’écoute (exemple 15). L’idée que ces étudiants voulaient développer visait à déployer un artefact respectueux scientifiquement du phénomène de transformation des saisons (c’est-à-dire l’alternance et les changements climatiques) et la traduction musicale réalisée par Vivaldi en quatre concertos alliant autant le temps qui passe que le temps météorologique. De fait, ils ont proposé quatre panneaux circulaires (un par saison), divisés chacun en trois mouvements, tandis que les contenus visuels alliaient images, couleurs et description des sonnets. Une particularité supplémentaire visait à faire correspondre la nature des couleurs visuelles (froide ou chaude) avec le phénomène de température suggérée dans le descriptif des sonnets22 accompagnant les Quatre Saisons.

CONCLUSION

Par ces quelques illustrations, nous souhaitions rendre concret d’une part ce qu’est un musicogramme analytique dans les pratiques éducatives et comment nous l’envisageons dans nos pratiques de formation à Bruxelles, plus précisément dans le cas des artefacts de la première catégorie qui permettent d’acquérir les clés d’analyse d’une œuvre. Si dans cette contribution l’importance a été mise sur les illustrations des différents formats que nous employons dans nos formations, il est également important d’insister sur l’importance de développer la professionnalisation des étudiants par des pratiques continues de réflexivité. La conception de supports doit toujours être au service de l’éducation et, dans notre cas, du développement de l’éducation musicale dans les écoles. Dans ces conditions, plusieurs questions peuvent surgir lors des discussions collectives propices à développer des capacités de réflexivité chez les étudiants. En voici quelques-unes :

- Quelle grammaire visuelle signifiée peut-on utiliser pour concevoir un musicogramme ?

- Comment décliner cette grammaire selon les âges, les besoins et les particularités des œuvres ?

- Comment articuler les différentes zones visuelles de signification dans un musicogramme lors d’une écoute musicale ?

- Quels sont les liens pédagogiques à considérer lors du dispositif d’écoute afin d’éviter de déplacer les enjeux disciplinaires propres à l’éducation musicale (du point de vue esthétique, symbolique ou gestuel lors du dispositif d’écoute) ?

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Exemple 12 : Musicogramme collectif qui structure une recomposition du premier tableau écouté, « Catacombes » de Modest Moussorgski

Exemple 13 : Placement, par les apprenants, de la seconde recomposition collective à partir du second tableau choisi, « Cabane sur des pattes de poule » de Modest Moussorgski.

Exemple 14 : Détails des « pas du visiteur » permettant de visualiser le thème promenade. de Modest Moussorgski

Exemple 2 : Musicogramme circulaire construit sur un pied et structuré en quatre plans visuels distincts pour chacune des Quatre saisons d’Antonio Vivaldi.

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