MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE

Rapport à la commission supérieure des sites,

perspectives et paysages du 2 juillet 2020

Site classé des Jardins suspendus de Cohons.

Rapport CGEDD n°012482-02 établi par

Dominique Michel Architecte et urbaniste générale de l’Etat

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Rapport CGEDD n°12482-02

Situation

Le Grand escargot – ph. DREAL

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La notoriété de la Haute-Marne ne repose pas sur son patrimoine paysager. Ce département compte pourtant cinq jardins remarquables1 dont les Jardins suspendus de Cohons2, projet de classement qui vous est présenté aujourd’hui. Cet ensemble paysager témoigne de la mode des jardins pittoresques du 18ème siècle organisé en terrasses successives, avec ses escaliers, l’eau jaillissant d’une fontaine, le bassin, les jardins potagers et les plates-bandes, ainsi que les vignes et les fabriques.

Ce motif singulier s’explique par la situation de Cohons, bourg implanté au pied du plateau de Langres, dont le coteau se transforme en une falaise abrupte de 15 mètres de haut sur laquelle s’adossent les terrasses en pierre sèche des Jardins Suspendus. Le jardin domine ainsi le cœur du bourg et s’ouvre largement sur la vallée de la Vingeanne et les collines aux formes douces.

1. Description du site des Jardins suspendus de Cohons

Le contexte géographique et géologique Aux marges du bassin parisien et de trois provinces, la Champagne, la Bourgogne et la Franche-Comté, le village de Cohons est situé à une dizaine de kilomètres au sud de la commune de Langres, implanté sur le versant est du coteau.

Il y a quelques 30 millions d’années, le relèvement de la bordure sud-est du plateau de Langres3 a créé le seuil de Bourgogne, ligne d’effondrement du fossé bressan (à l’origine de la plaine de Saône). Les cours d’eau, le vent et plus récemment, au quaternaire, les glaces, ont ensuite déchiqueté l’ex-trémité sud du plateau, contribuant à la particularité géomorphologique du site. La commune de Cohons est également située à quelques kilomètres du point triple hydrographique4 qui marque la séparation des trois bassins versants maritimes de l’Atlantique, de la mer du Nord et de la Méditerranée, exactement sur la faille de Chalindrey. Cette seconde particularité, ajoutée à la nature calcaire du terrain, dur et fissuré, explique la présence de nombreuses sources dans le village, jaillis-sant de fontaines en bassins et en pièces d’eau.

Le contexte historique et règlementaire Sa situation très favorable au pied de la falaise orientée au sud, bien ensoleillée, abritée des vents froids et alimentée par une profusion de sources, fait du site de Cohons un lieu habité dès la préhis-toire. La voie romaine reliant Lyon à Trèves, importante pour le commerce nord-sud, passe à moins d’un kilomètre et a permis aux cités gallo-romaines de participer à l’activité économique de la région.

Les terrasses – ph. DREAL

1 Mis en place en 2004, le label « Jardin remarquable » distingue des jardins et des parcs, présentant un intérêt culturel,

esthétique, historique ou botanique, qu'ils soient publics ou privés. Ce label de qualité est attribué par le ministère de la Culture pour une durée de 5 ans renouvelable.

2 Les jardins de Cohons n’ont reçu cette appellation que récemment, à l’occasion de leur ouverture au public en 2014, en évocation des Jardins suspendus de Babylone

3 Le Plateau de Langres est constitué par le revers de la côte de Moselle, ou cuesta bajocienne et le revers de la cuesta domérienne, extrêmement proche de la cuesta bajocienne. Ce relief en forme de ressaut ou de « marche d’esca-lier »et le front de la cuesta bajocienne forment une cuesta double. http://chemindeleau.com/plateau-de-langres-geomorphologie.html#17/47.85785/5.33268

4 Ce point fait la séparation entre le versant Seine Atlantique et Manche - bassin versant Meuse mer du Nord - bassin versant Rhône Méditerranée

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Détruit à deux reprises, pendant la guerre de Cent Ans puis celle de Trente Ans, le village est recons-truit et agrandi aux 18ème et 19ème siècles grâce aux familles de notables langrois, qui en font un lieu de villégiature.

C’est ainsi que plusieurs jardins ont été créés au 18ème siècle, dont deux sont aujourd’hui labellisés « jardins remarquables » : le parc du château de Silière (inscrit avec le château au titre des monu-ments historiques par arrêté du 24 décembre 1986) et les Jardins suspendus de Cohons.

On compte quatre monuments historiques5 et un site Natura 2000 “ Rebord du plateau de Langres, de Cohons à Chalindrey”. La commune de Cohons, qui fait partie de la communauté de communes d'Auberive Vingeanne et Montsaugeonnais, est couverte par un PLU .

2. Un témoignage précieux de l’art des jardins pittoresques dans la France rurale des 18ème et 19ème siècles

Histoire du site Il existe peu d’archives ou de cartes anciennes restituant avec précision l’évolution de cet ensemble paysager de 18 hectares. Acquise en 1780 par Nicolas Daguin, receveur des finances de Langres, la propriété d’origine fut organisée en terrasses cultivées pour fournir à la famille les primeurs que le climat rigoureux de Langres ne permettait pas de produire. La vente des biens propriété de l’évêché de Langres, à la Révolution, va permettre à ce notable et à un ami de la famille, François Bertrand, d’agrandir la propriété en 1808 avec l’adjonction de la parcelle du bois de Lahie, située au-dessus du jardin en terrasses, pour créer le Clos de la Roche, parc boisé et garenne, qui sera agrémenté de fabriques. Quelques années plus tard, François Bertrand acquiert la parcelle Champ-Bresson, à l’ouest, séparé du Clos de la Roche par une route reliant la commune de Bourg à celle de Cohons, pour concevoir le parc des Escargots de pierre. Un contrat est passé avec les carriers de Cohons pour édifier une clôture autour de ces deux parcs.

Ainsi, profitant de la situation exceptionnelle qu’occupaient leurs terres, ces deux familles comme dans de nombreux domaines d’alors, vont mettre l’aménagement de l’espace au service du projet agricole et de la beauté des paysages et ainsi, “joindre l’utile à l’agréable, le beau et le bon”6.

Ils vont planter, enrichir la palette végétale tout en maintenant les essences forestières courantes (tilleuls, chênes, érables…), édifier des murets, des terrasses, bâtir des fabriques en pierre sèche, une fausse grotte en rocaille, des belvédères en forme de mastaba évoquant les tombeaux pharao-niques d’Egypte ancienne ou des escargots en forme de tronc de cône. Fait exceptionnel, aucune demeure n’a été édifiée sur le domaine.

Le site pittoresque et ludique des Jardins suspendus, aujourd’hui Les Jardins suspendus de Cohons réunissent le Clos de la Roche et le parc des Escargots de pierre, deux jardins clos de mur séparés par la RD 292.

Le Clos de la Roche est composé du bois de Lahie, espace boisé planté et parsemé de nombreuses fabriques en pierre sèche et du jardin vivrier occupant les terrasses. A l’ouest, le parc des Escargots de pierre, en continuité du Bois de Lahie sur la parcelle Champ-Bresson, boisée et aménagée comme au Clos de la Roche, avec divers belvédères, dont trois en forme d’escargots. Cet ensemble paysager couvre une superficie de 18 ha (carte p. 6).

Tirant parti de la falaise et des blocs rocheux qui en émergent, et profitant du relief particulier, entre plateau et vallée, l’ensemble des aménagements confère au lieu un caractère mystérieux. Il est tentant de rapprocher ces créations de celles des Folies Siffait, situées en Loire-Atlantique, pratiquement contemporaines (1816), qui ont été conçues comme un balcon sur la Loire. Les Jardins suspendus de Cohons s’inscrivent dans un courant du paysagisme que l’on retrouve dans d’autres sites haut-marnais, comme le parc des Roches à Bourmont (classé au titre des sites en 2009) ou la promenade du Belvédère à Bourg, commune voisine de Cohons.

5 La Fontaine Sainte-Marie du Mont et le lavoir, une pierre sculptée, des vestiges préhistoriques dont un

dolmen, inscrits le 03 septembre 1990 et les jardins du château de Silière 6 Régis Ambroise - Paysage et agriculture - conférence décembre 2016

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Les terrasses vivrières et le mur nord du Clos de la Roche – ph. B.Hervier

Le domaine est entretenu par les héritiers jusque dans les années 1980, puis son état se dégrade jusqu’à l’intervention en 2008, d’une association7, qui entreprend, avec des bénévoles et les salariés d’un chantier d’insertion et avec l’appui de la mairie de Cohons, du CAUE de Haute-Marne et de l’architecte des bâtiments de France, de restaurer les murs de soutènement, les fabriques et l’en-semble des ouvrages pour mettre en valeur le parc et permettre une ouverture aux habitants de Co-hons et plus largement au grand public. La communauté de communes, le conseil départemental, la région Grand Est et l’Etat ont apporté leur financement.

Il existe encore trois escargots monumentaux en forme de cône tronqué avec son chemin en spirale allant de la base au sommet. La promenade romantique qui conduit au jardin en terrasses, est ponc-tuée d’évènements. Les bancs et tables en pierre, le « pavillon du Billard » construit dans une anfrac-tuosité de la falaise dont il ne reste plus que les murs, la fausse tour ruinée, les escaliers qui permet-tent de franchir la falaise, accentuent l’effet de vestiges d’un autre temps, et créent surprises et curio-sité.

Les Jardins suspendus sont le lieu, depuis 2013 d’avril à octobre, de nombreuses manifestations culturelles et pédagogiques (land art, théâtre). Les terrasses sont organisées quant à elles pour la production de cultures maraichères, du verger et des vignes, dont la production est en cours de certi-fication biologique. En 2014, la famille Parizot, propriétaire de l’ensemble des parcs et du jardin vivrier en indivision, signe un bail emphytéotique avec la mairie de Cohons.

Le label « Jardin remarquable » est attribué la même année à l’ensemble paysager. En 2018, le comité de sélection de la mission patrimoine menée par Stéphane Bern, a retenu les Jardins suspendus de Cohons dans la liste des 250 sites et monuments qui sont soutenus financiè-rement par l’État pour être restaurés.

7 L’association des Escargots en folie créée pour la promotion et la valorisation du patrimoine local

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Vue aérienne du projet de site classé des Jardins Suspendus de C

ohons – Croquis sur fond G

éoportail - DM

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Grand escargot de pierre du Clos de la Roche – ph. B. Hervier

3. Une reconnaissance pour les Jardins suspendus de Cohons

3.1. L’opportunité de protéger ce patrimoine remarquable Les Jardins suspendus de Cohons forment un ensemble paysager semble-t-il unique en France, no-tamment par la présence des escargots de pierre, fabriques qui sont apparues après la Révolution dans les « jardins à l’anglaise » de la région et disparurent pratiquement toutes au début du 20ème siècle. Exceptionnellement bien conservés, ils constituent une référence incontournable et aboutie des buttes-labyrinthes, en vogue au 19ème siècle, dont on trouve des exemples à Paris dans le Parc de Bagatelle et au Jardin des Plantes. La caractéristique commune au Clos de la Roche et au parc des Escargots en pierre est l’usage de la pierre sèche. Cette technique de construction est relativement courante dans le département de la Haute-Marne. Les ouvrages en pierre sèche y sont nombreux, sous forme de meurgers, de murs de clôture ou de cadoles 8. Des fabriques de la première moitié du 19ème siècle ont été repérées dans le parc pittoresque de Chardonville à Perrancy-lès-Vieux-Moulin. Cependant, les ouvrages des Jardins suspendus de Cohons sont remarquables par leurs hauteurs importantes et leur mise en œuvre par-ticulièrement soignée. Ils témoignent d’une haute technicité et pourraient servir de référence à ce savoir-faire traditionnel. Ils méritent ainsi une reconnaissance et une protection attentive. Les héritiers successifs ont su éviter le caractère codifié des jardins à l’anglaise grâce au choix de matériaux et de techniques de construction traditionnelles qui sont la marque d’un territoire, ce qui enrichit le concept du parc pittoresque haut-marnais

3.2. Le périmètre Comme le propose la DREAL, il apparaît cohérent de n’inclure dans le projet de périmètre, que ce qui fait l’unité conceptuelle du lieu et qui appartient à un seul propriétaire, proposition à laquelle je souscris totalement.

Cependant, cet ensemble paysager a été conçu comme un belvédère en de nombreux secteurs, ouvrant sur des panoramas, une succession soigneusement ordonnée de “points de vue” sur le village et la campagne environnante. Aussi, je recommande vivement à madame la maire de Cohons, d’engager l’étude d’un site patrimonial remarquable (SPR), que la qualité architecturale, urbaine et paysagère du bourg de Cohons et de son écrin paysager justifie pleinement.

8 Cabanes, abris pour les travaux des champs

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Mur de soutènement du jardin des terrasses – Ph. B. Hervier

Vue sur Cohons depuis le haut du jardin des terrasses – ph. DM

3.3. La gestion du site La DREAL a considéré nécessaire d’accompagner la protection du site, d’un cahier de gestion établi par le CAUE de la Haute-Marne, pour l’entretien des plantations, la préservation ou le dégagement de cônes de vue et la restauration des ouvrages en pierre sèche, ce que j’estime particulièrement utile dans ce contexte de réhabilitation et d’évolution. Le respect des préconisations de ce guide, très pré-cis, va permettre de maintenir une ligne directrice qui aura été validée à l’occasion du classement. La commune et l’association Escargots en folie travaillent à la remise en état du site depuis cinq ans. Quatre kilomètres de murs de terrasse restent à reprendre, de même que plusieurs fabriques emblé-matiques doivent être restaurées et de nombreux aménagements paysagers sont à recréer.

Grâce au cahier de gestion établi par le CAUE, une attention particulière est déjà portée à l’entretien des plantations pour ménager et réouvrir des cônes de vue et des espaces de « respiration », notam-ment dans le bois de Lahie.

Ce document doit être également un véritable guide pour l’évolution du site, dans le cadre de son ouverture au public, pour la mise en sécurité, l’accueil (aire de stationnement, billetterie), mais égale-ment pour les aménagements envisagés par la commune.

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Les ouvrages en pierres sèches, fabriques et aménagements – Ph B. Hervier et M.Lechien

4. Enquête publique

L’enquête publique a été ouverte par arrêté préfectoral du 12 septembre 2019 et s’est déroulée du 7 au 21 octobre 2019. Elle a été confiée à Monsieur Gérard Fréry, commissaire enquêteur. Un dossier d’enquête et un registre ont été mis à disposition du public en mairie de Cohons ainsi qu’en sous-préfecture de Langres. L’avis d’ouverture a été affiché en différents points du site et en mairie. Il a également fait l’objet de parutions dans "Le Journal de la Haute-Marne" et "L’avenir agricole et rural de la Haute-Marne". Le commissaire enquêteur a effectué deux permanences en mairie de Cohons où il n’a reçu qu’une personne, qui s’est déclarée favorable au classement. Il a rendu un avis favorable au classement le 5 novembre 2019 sans réserve et sans recommandation. La commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) de la Haute-Marne du 19 novembre 2019 a émis un avis favorable unanime.

Dans le cadre des consultations des différents services, seule la direction départementale des terri-toires a émis une réserve sur l’impact d’une sur-fréquentation sur les habitats dans ce site Natura 2000. Le conseil municipal de Cohons a émis un avis favorable (7 voix pour, 1 abstention et 1 voix contre) au projet de classement en date du 17 octobre 2019.

5. Conclusion

Le classement des parcs du Clos de la Roche et des Escargots de pierre repose sur l’intérêt d’une conception paysagère qui a su éviter une codification excessive et tirer pleinement parti de la topo-graphie exceptionnelle du lieu, la falaise et la faille d’où jaillit l’eau à profusion.

Si le critère pittoresque est particulièrement adapté, le critère scientifique pourrait être évoqué pour le savoir-faire des carriers de la région. L’art de la construction en pierre sèche, le savoir-faire et les techniques ont été inscrits au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en décembre 2018 et les Jardins suspendus de Cohons pourraient en être une très belle référence. Enfin, l’implication remarquable de la mairie de Cohons, de l’association de sauvegarde des jardins de Cohons et des propriétaires actuels mérite que le site soit classé pour assurer sa pérennité.

Dominique Michel

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