MEMOIRE DE RECHERCHE - cefiec.fr€¦ · de l’usage de la simulation en santé Mémoire dirigé...

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MEMOIRE DE RECHERCHE Pour obtenir le diplôme de MASTER 2 DOMAINE : SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES MENTION : « Actions et activités de la santé et du social » SPECIALITE : « Handicap et Dépendance : enjeux sanitaires et sociaux » PARCOURS : « Ethique, santé et institution » Arrêté ministériel du 25 Avril 2002 Présenté et soutenu publiquement par Jérôme ZIMOWSKI le 4 Juillet 2016 Une visée éthique de l’usage de la simulation en santé Mémoire dirigé par Grégory AIGUIER, enseignant-chercheur Centre d’Ethique Médicale, Université Catholique de Lille JURY Jean-Philippe COBBAUT, directeur du Centre d’Ethique Médicale Université Catholique de Lille Président du jury Véronique CABARET, cadre supérieur de santé, formatrice, docteure en sciences de l’éducation Institut de Formation des Cadres de Santé, CHRU de Lille

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MEMOIRE DE RECHERCHE

Pour obtenir le diplôme de

MASTER 2

DOMAINE : SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

MENTION : « Actions et activités de la santé et du social »

SPECIALITE : « Handicap et Dépendance : enjeux sanitaires et sociaux »

PARCOURS : « Ethique, santé et institution »

Arrêté ministériel du 25 Avril 2002

Présenté et soutenu publiquement par

Jérôme ZIMOWSKI

le 4 Juillet 2016

Une visée éthique

de l’usage de la simulation en santé

Mémoire dirigé par

Grégory AIGUIER, enseignant-chercheur

Centre d’Ethique Médicale, Université Catholique de Lille

JURY

Jean-Philippe COBBAUT, directeur du Centre d’Ethique Médicale Université Catholique de Lille

Président du jury

Véronique CABARET, cadre supérieur de santé, formatrice,

docteure en sciences de l’éducation

Institut de Formation des Cadres de Santé, CHRU de Lille

Remerciements

Paul Ricœur disait : « tout autodidacte est un imposteur ». Il en va de même pour

l’élaboration d’un mémoire de recherche qui n’est jamais l’aboutissement d’une réflexion

individuelle. Je souhaite adresser mes remerciements les plus chaleureux aux personnes

m’ayant accompagné, directement ou indirectement, lors de ce passionnant cheminement :

Mr Grégory Aiguier, enseignant-chercheur au Centre d’Ethique Médicale de l’Université

Catholique de Lille, pour sa disponibilité et ses précieuses orientations. Je tiens à lui

exprimer ici toute ma gratitude

Mr Jean-Philippe Cobbaut, directeur du Centre d’Ethique Médicale de l’Université

Catholique de Lille, pour la qualité de ses projets pédagogiques innovants, et dont les

questionnements ont su porter les étudiants du Master aussi loin qu’en Amérique

Les équipes pédagogiques du Centre d’Ethique Médicale et de l’Institut Universitaire

Santé Social, pour leur générosité intellectuelle et la qualité des enseignements dispensés

Les étudiants du Master, pour la convivialité instaurée et la richesse des interactions lors

des dispositifs pédagogiques

Mme Caroline Kocwin, cadre de santé formatrice à l’Institut Régional de Formation

Sanitaire et Sociale Nord / Pas-de-Calais (site de Douai), pour ses explications avisées et

son implication dans le développement de l’usage de la simulation en santé au sein de

notre institution

Les formateurs de l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale Nord / Pas-de-

Calais, sollicités lors de la phase d’enquête, pour leur participation à la recherche et leur

volonté d’œuvrer pour une meilleure qualité des soins

Anne-Sophie, Nina et Manon, pour leur amour et leur soutien inconditionnel

Danielle et Sandrine, pour leur présence bienveillante.

« La science de l’homme s’occupe d’un objet trop compliqué, elle embrasse une multitude

de faits trop variés, elle opère sur des éléments trop subtils et trop nombreux pour donner

toujours aux immenses combinaisons dont il est possible, l’uniformité, l’évidence, la

certitude qui caractérisent les sciences physiques et mathématiques.»

Charles-Louis Dumas, Montpellier, An XII

(Discours sur les progrès futurs de la science de l’homme, p.27-28)

Table des matières

Répertoire des acronymes

Introduction ........................................................................................................................ p.1

Le constat ........................................................................................................................... p.3

1. L’ECLAIRAGE CONTEXTUEL

1.1 L’évolution du contexte socio-professionnel de la santé ............................................. p.14

1.1.1 Une évolution des besoins et des attentes des usagers ........................................................... p.14

1.1.2 La transformation des pratiques médicales ........................................................................... p.16

1.1.3 Une mutation politico-économique des institutions hospitalières ........................................... p.18

1.2 La présentation de la formation infirmière .................................................................. p.20

1.2.1 Le nouveau programme de formation infirmière ................................................................... p.20

1.2.2 Les compétences attendues ................................................................................................... p.22

1.2.3 La réflexivité ........................................................................................................................ p.25

1.2.4 Les limites de la formation.................................................................................................... p.27

1.2.5 Les intérêts pédagogiques de l’usage de la simulation en santé ............................................. p.29

2. L’ABORD CONCEPTUEL

2.1 La simulation en santé ................................................................................................ p.31

2.1.1 Qu’est-ce que la simulation ? ............................................................................................... p.31

2.1.2 Le développement de la simulation en santé .......................................................................... p.34

2.1.3 Les différentes modalités de la simulation en santé ............................................................... p.36

2.1.4 Former par la simulation en santé ........................................................................................ p.39

2.2 L’éthique et son apprentissage .................................................................................... p.44

2.2.1 Une définition de l’éthique ................................................................................................... p.45

2.2.2 D’une éthique normative à une éthique pratique ................................................................... p.47

2.2.3 Le tournant pragmatiste de l’éthique .................................................................................... p.51

2.2.4 Une ingénierie pédagogique pour un apprentissage de l’éthique ........................................... p.54

3. LA PROBLEMATISATION

3.1 La problématique ....................................................................................................... p.63

3.2 L’hypothèse fondamentale ......................................................................................... p.65

4. LA DEMARCHE EMPIRIQUE

4.1 Le contexte de l’enquête ............................................................................................. p.68

4.2 Les objectifs poursuivis .............................................................................................. p.71

4.2.1 Clarifier l’usage du débriefing.............................................................................................. p.71

4.2.2 Renforcer les compétences des formateurs ............................................................................ p.72

4.2.3 Exploiter les potentialités d’un outil pédagogique ................................................................. p.73

4.3 Les modalités définies au regard de nos intentions ...................................................... p.75

4.3.1 Le choix de la méthode d’enquête ......................................................................................... p.75

4.3.2 L’intention compréhensive .................................................................................................... p.76

4.3.3 L’intention performative ....................................................................................................... p.78

4.3.4 Les limites de l’enquête ........................................................................................................ p.80

4.3.5 Les conditions de réalisation des observations et des enregistrements vidéo ......................... p.81

4.4 L’analyse des observations de débriefings .................................................................. p.83

4.4.1 L’observation de débriefings ................................................................................................ p.83

4.4.2 Le vécu des apprenants......................................................................................................... p.86

4.4.3 Les distinctions constatées .................................................................................................... p.88

4.4.4 Une lecture possible de l’activité du débriefing par l’identification de paradigmes ............... p.94

4.5 Les auto-confrontations croisées ................................................................................p.102

4.5.1 L’organisation des auto-confrontations croisées ................................................................. p.102

4.5.2 L’analyse des auto-confrontations croisées ......................................................................... p.103

4.5.3 Synthèse ............................................................................................................................. p.115

5. LES PERSPECTIVES

5.1 La confrontation à l’hypothèse ..................................................................................p.118

5.2 Les préconisations .....................................................................................................p.121

Conclusion .......................................................................................................................p.124

Bibliographie

ANNEXES

1/ Le guide d’observation du débriefing ............................................................................. p.II

2/ La retranscription de l’observation d’un débriefing ...................................................... p.III

3/ Le guide d’entretien semi-directif élaboré pour les auto-confrontations croisées ......... p.XIII

4/ La retranscription d’une auto-confrontation croisée ................................................... p.XIV

5/ Le scénario de la séquence de simulation en santé .................................................... p.XXV

Répertoire des acronymes

ACC : Auto-Confrontation Croisée

ACS : Auto-Confrontation Simple

CAAHC : Centre d’Apprentissage des Attitudes et Habiletés Cliniques (Montréal)

CEnSIM : Centre d’Enseignement par Simulation (Chambéry)

CESU : Centre d’Enseignement des Soins d’Urgence

CHU : Centre Hospitalier Universitaire

CRFP : Centre Régional de Formation Professionnelle

DASH© : Debriefing Assessment for Simulation in Healthcare

©

DGOS : Direction Générale de l’Offre de Soins

DPC : Développement Professionnel Continu

EBN : Evidence Based Nursing

EBM : Evidence Based Medicine

ERER : Espace de Réflexion Ethique Régional

EVA : Echelle Visuelle Analogique

FNESI : Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers

HAS : Haute Autorité de Santé

HPST : Hôpital Patient Santé Territoire

IFAS : Institut de Formation des Aides-Soignants

IFCS : Institut de Formation des Cadres de Santé

IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers

INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques

IRFSS : Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale

ITSIMS : Institut Toulousain de Simulation en Santé

LMD : Licence Master Doctorat

MCO : Médecine Chirurgie Obstétrique

NMC : Nursing and Midwifery Council

ONI : Ordre National des Infirmiers

SFAR : Société Française d’Anesthésie et de Réanimation

T2A : Tarification à l’Activité

1

Introduction

Formateur1 au sein d’un Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) depuis 2007, nous

avons constaté d’importantes mutations survenues dans le champ professionnel infirmier.

Depuis la création du diplôme en 1922, il nous semble que les changements furent plus

importants au cours des dix dernières années que lors du siècle écoulé. A titre d’exemple,

nous évoquerons ici le droit à la prescription et son extension progressive, l’instauration

d’un Ordre professionnel, l’universitarisation des études, la reconnaissance au grade de

Licence, le développement des pratiques avancées… Ces transformations interviennent en

réponse aux évolutions des besoins de santé de la population et à une raréfaction des

ressources au sein de l’univers hospitalier. Le développement des compétences de

l’infirmier2

et l’accroissement de son autonomie s’accompagnement d’attentes plus

importantes en matière de responsabilité. La formation des professionnels de santé a

intégré les évolutions sanitaires et sociétales en mobilisant de nouvelles approches

pédagogiques, dont la simulation en santé.

Longtemps réservée à des secteurs spécifiques de haute technicité, comme l’aéronautique,

la simulation en santé apparaît désormais comme un outil incontournable de la formation

initiale et continue des professionnels de santé. Et c’est probablement en raison de ses

références à l’espace technique que la simulation en santé est souvent apparentée à un

apprentissage procédural des actes. Celui-ci est justifié par une volonté de réduction des

risques. En médecine, comme dans l’aéronautique, le praticien se doit de développer toutes

les compétences nécessaires afin d’assurer une qualité de son intervention tout en

garantissant un haut niveau de sécurité. Une association3 de défense des usagers de la santé

estime à plus de 30000, le nombre annuel de décès en France consécutifs à des accidents

médicaux, soit l’équivalent de la perte de deux avions Boeing 747 par semaine4 !

_______________ 1Nous emploierons indistinctement les termes formateur et cadre de santé formateur. 2Le terme infirmier sera employé au masculin, en l’absence de toute connotation, pour évoquer la profession

dans une approche générale ou l’appartenance à un groupe social. 3cf le site internet de l’association Le Lien,

http://lelien-association.fr/asso/, consulté le 07 Juillet 2015. 4cf le document powerpoint intitulé « Le concept de simulation », support de cours à la formation de

formateurs en simulation, Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) Rhône-Alpes.

2

Outre l’enjeu de santé publique représenté par la sécurité sanitaire, la simulation en santé

annonce l’avènement d’un nouveau paradigme quant à l’apprentissage du soin. Il se

résume en un principe éthique : « jamais sur le patient la première fois1. » Une éthique de

la simulation en santé, empreinte de non malveillance, semble réduite à une injonction faite

aux soignants alors qu’elle mériterait d’être plus précisément définie afin de dévoiler les

potentialités offertes par la simulation en santé.

Notre recherche tentera en première intention d’apporter un éclairage sur le lien unissant

l’éthique et la simulation en santé. En effet, le recours à ce procédé pédagogique innovant

semble puiser sa légitimité au nom du respect d’un principe éthique dans une perspective

normative. Nous nous éloignerons de cette conception minimaliste pour mettre à jour les

opportunités d’un outil, devenu indispensable à l’apprentissage d’une démarche soignante,

et pouvant également contribuer à une pédagogie de l’éthique. Nous procéderons à un

déplacement au sein des stratégies pédagogiques en refusant de justifier la simulation en

santé par l’éthique mais en questionnant l’usage d’une telle innovation pédagogique pour

l’éthique et son apprentissage.

Lors de notre démarche empirique, nous nous intéresserons davantage aux acteurs des

institutions. Dans une volonté compréhensive et performative, nous questionnerons les

capacités mises en œuvre lors de la mobilisation de l’outil de la simulation en santé pour

favoriser le développement d’un agir éthique de l’apprenant.

_______________ 1Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15.

3

Le constat

En région Nord / Pas-de-Calais / Picardie, comme partout en France, la majorité des

Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) s’est équipée de mannequins haute

fidélité et a procédé à des aménagements environnementaux afin de reproduire l’espace de

travail hospitalier. Ces lieux dédiés à la simulation en santé ont été dotés d’un appareillage

technologique pour permettre la réalisation et l’analyse de séquences pédagogiques.

D’importants investissements financiers ont été réalisés, essentiellement supportés par des

subventions des Conseils Régionaux1. Il n’est pas aisé d’obtenir des chiffres précis quant

aux coûts engendrés pour la mise en œuvre de la simulation en santé. La création d’une

salle, équipée d’installations techniques et audiovisuelles, représenterait un investissement

de 45000 euros2. Quant au coût d’un mannequin doté de composants électroniques, sont

prix est estimé à 9000 euros3.

Au regard des investissements matériels effectués, les Instituts de Formation en Soins

Infirmiers (IFSI) ont orienté les plans de formation continue des salariés afin d’encourager

le développement de compétences spécifiques pour l’enseignement par la simulation en

santé. Des universités, comme l’université de Bourgogne, proposent des cursus de type

diplôme universitaire, destinés aux futurs formateurs à l’usage de la simulation en santé

pour l’enseignement des métiers de santé4.

_______________ 1La loi n° 2004-809 du 13 Août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, confère le financement

des Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) aux Conseils Régionaux. Ce financement était autrefois

assuré par l’Etat. 2cf le site internet du Centre Hospitalier Intercommunal des Alpes du Sud, http://www.chicas-gap.fr/france/ACTUALITES/news/Actualites.html, consulté le 22 Novembre 2014. 3cf le site internet de la société Laerdal®, http://www.Laerdal.com/fr/NursingAnne#/Webshop/MAINPRODUCTS, consulté le 22 Novembre 2014. 4cf le site internet de l’université de Bourgogne et sa page de présentation intitulée « DU Formation de

formateurs à l’usage de la simulation pour les métiers de la santé »,

http://www.u-bourgogne-formation.fr/-Formation-de-Formateur-a-l-Usage-.html, consulté le 22 Novembre

2014.

4

Des espaces de formation dédiés à la simulation en santé se développent à l’instar du

centre de pédagogie active SimUsanté du Centre Hospitalier Universitaire (CHU)

d’Amiens dont l’objectif est « de rassembler des techniques pédagogiques innovantes dans

un espace interprofessionnel, multidisciplinaire, partagé par tous les acteurs de santé de la

formation initiale à la formation continue1. » En Novembre 2015, l’Institut Toulousain de

Simulation en Santé (ITSIMS) a été inauguré. Créé par le Centre Hospitalier Universitaire

(CHU) de Toulouse et l’université Toulouse 3 - Paul Sabatier, ce centre a pour objectif

« de coordonner les actions en matière de formation, recherche, développement et de

transferts dans la formation par simulation en santé (…) L'institut propose 16 formations

initiales et 21 formations continues. Il compte une centaine de formateurs environ, qui

enseignent à 1 000 personnes par trimestre2. »

La place accordée à la simulation en santé semble devenir prépondérante. Cette modalité

pédagogique a été inscrite au cœur des projets pédagogiques de certains Instituts de

Formation en Soins Infirmiers (IFSI).

Lors de la réécriture de son projet pédagogique3 en 2014, l’Institut Régional de Formation

Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-Calais a défini ses orientations dont celle de

faire évoluer les formations initiales, sanitaires et sociales, pour répondre à l’émergence de

nouveaux besoins. La simulation en santé apparaît comme une innovation pédagogique à

l’intention des étudiants. Elle est envisagée comme un moyen permettant de donner un

espace à l’erreur et donc d’apprendre sans mise en danger, tant pour la personne soignée

que le soignant au regard d’une responsabilité engagée.

Dans son projet de formation, l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale

(IRFSS) Nord / Pas-de-Calais insiste sur l’avantage d’un entraînement sans risque offert

par la simulation en santé tout en permettant la reproduction expérimentale des conditions

de réalisation proches du réel (Granry et Moll, 2009).

_______________ 1cf le site internet du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) d’Amiens,

http://www.chu-amiens.fr/document.php5?id_document=497, consulté le 22 Novembre 2014. 2cf l’article d’Hospimedia, publié le 9 Novembre 2015, et intitulé « Le CHU et l'université de Toulouse

inaugurent leur institut de formation par simulation en santé »,

http://abonnes.hospimedia.fr/articles/20151109, consulté le 09 Novembre 2015. 3Projet pédagogique régional de l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-

Calais, validé le 25 Février 2014 en comité de direction.

5

Le recours à un apprentissage des techniques de santé, qui serait totalement exempt de

risque, constitue un argument commercial pour la société Laerdal®. Elle présente sur son

site internet1, au travers d’un entretien avec le Directeur des Soins et Directeur de l’Institut

de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de Blois, les multiples avantages de la simulation

en santé. Pour la société Laerdal®, la simulation en santé :

- « est un moyen d’apprendre sans mettre en danger

- donne un espace à l’erreur, un espace à une réponse non adaptée aux besoins de la

personne soignée

- met l’étudiant en situation réelle dans laquelle il doit prendre des décisions,

l’erreur est possible et sera utilisée lors du débriefing pour la rendre formatrice

- favorise les acquisitions cognitives car il s’agit d’activer la connaissance

pertinente au bon moment, par conséquent les performances cliniques sont

augmentées. »

Granry et Moll ont mis en évidence dès 2009, dans un document préalable à l’élaboration

de leur rapport de mission, les nouvelles possibilités offertes par la simulation en santé. Les

objectifs de formation des cursus médicaux et paramédicaux sont actuellement limités dans

l’évaluation de leur atteinte, par la réalisation d’examens « classiques », qu’ils soient écrits

ou oraux. La simulation en santé permettrait d’atteindre trois groupes d’objectifs : les

objectifs cognitifs (connaissances théoriques), les objectifs psychomoteurs (procédures et

compétences techniques) et les objectifs « affectifs » (comportement, communication…)2.»

Au regard de toutes les qualités attribuées à la simulation en santé, nous assistons à un réel

engouement pour cette nouvelle technique pédagogique. Bien que peu d’ouvrages

francophones existent, de nombreux articles dans les revues professionnelles lui sont

consacrés. Nous pouvons dès lors nous questionner quant à l’origine de cet essor.

En formation infirmière, il semblerait que la simulation en santé ait été renforcée par la

réforme des études de 2009. En effet, il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau puisque les

Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) sont équipés depuis de nombreuses

années de salles de pratiques reproduisant l’environnement d’une chambre d’hôpital.

_______________ 1cf le site internet de la société Laerdal®,

http://www.Laerdal.com/fr/doc/2319/, consulté le 30 Janvier 2015. 2Document du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) d’Angers, adressé à la Haute Autorité de Santé (HAS)

et intitulé « Simulation en santé, cadrage de la mission confiée par l’HAS », 26 Octobre 2009.

6

Les soins, notamment certains soins de nursing comme la toilette, étaient ainsi enseignés

aux étudiants infirmiers et aux élèves aides-soignants, par la démonstration de gestes sur

un mannequin. Quelques infirmiers se souviennent encore, d’une époque révolue mais pas

si lointaine, où l’apprentissage des techniques d’injection s’effectuait sur des oranges ! Des

jeux de rôle permettaient aussi d’illustrer les dispositifs pédagogiques théoriques consacrés

à la psychiatrie ou à la communication.

Désormais, le référentiel1 du nouveau programme de formation infirmière, renforçant

l’approche pédagogique socioconstructiviste, prescrit les situations simulées comme

modalités d’évaluation. Plus précisément, les évaluations certificatives des unités

d’enseignement (UE) 4.4 « Thérapeutiques et contribution au diagnostic médical » des

semestres 2, 4 et 5 sont réalisées en situations simulées. L’étudiant infirmier est donc

évalué au travers de la mise en œuvre de gestes techniques précisés dans le référentiel :

calcul de dose, pose de transfusion sanguine et injection dans les chambres implantables.

Notons que la simulation en santé ne se limite pas à la sphère technique mais qu’elle

investit également la dimension relationnelle. A ce titre, les modalités d’évaluation de

l’unité d’enseignement (UE) 4.2 « Soins relationnels », du semestre 3, sont déclinées sous

la forme d’une mise en situation d’entretien lors de travaux dirigés.

La validation de compétences par l’apprenant, particulièrement la compétence 4, définie

dans le référentiel de formation et intitulée « Mettre en œuvre des actions à visée

diagnostique et thérapeutique », est donc devenue indissociable d’une réalisation en

situation simulée. La maîtrise d’un geste, avant sa réalisation auprès d’un patient, est gage

de sécurité.

Pour cette raison, le Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017 pose

l’objectif de « faire de la simulation en santé sous ses différentes formes une méthode

prioritaire, en formation initiale et continue, pour faire progresser la sécurité2. » Il intègre

le respect du principe : « jamais sur le patient la première fois3. » Cet adage, figure de

proue des partisans de la simulation en santé, est mentionné dans un rapport de mission

remis en Janvier 2012 à la demande de la Haute Autorité de Santé (HAS) par le Pr Granry

et le Dr Moll.

_______________ 1Arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier. 2Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.3, p.16. 3Ibid., objectif opérationnel 4.1, p.15.

7

Au travers de ce rapport, dix propositions ont été formulées dont celle d’intégrer « la

simulation en santé dans tous les programmes d’enseignements des professionnels de santé

à toutes les étapes du cursus1. » La phrase « jamais sur le patient la première fois

2 »

apparaît clairement comme un objectif éthique devant être prioritaire.

Les préconisations de la mission ont été rapidement suivies puisqu’un guide de bonnes

pratiques3 a été diffusé par la Haute Autorité de Santé (HAS) dès Décembre 2012. Un peu

moins d’un an plus tard, la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) transmettait

aux institutions des instructions4 relatives au développement de la simulation en santé, en

les informant d’une dotation nationale de 8,26 millions d’euros à cet effet.

Dans ses différentes déclinaisons, la simulation en santé évoque le retour d’une approche

mécaniste du corps humain où les soins seraient réalisés sur « un corps-objet » avant d’être

réellement effectués sur « un corps-sujet » (Hesbeen, 1997). Le bien-fondé d’une

pédagogie orientée vers la simulation en santé se justifie par des intérêts éthiques,

formulés par les autorités sanitaires comme nous l’avons évoqué précédemment ainsi que

par des sociétés commerciales développant un marché en lien avec la simulation en santé.

L’une de ces entreprises, Laerdal®, s’appuyant sur le référentiel de formation, affirme que

la simulation en santé concourt au développement d’une éthique professionnelle par

l’intermédiaire de la création de situations dans lesquelles « l’éthique est engagée5. »

Que cela soit en référence à l’optimisation de la sécurité du patient pour les autorités

sanitaires ou à un argument marketing, la simulation en santé ne peut faire abstraction

d’une dimension éthique. A ce titre, par une modification6 de l’arrêté du 31 Juillet 2009

relatif au diplôme d’Etat d’infirmier, le législateur a réaffirmé la nécessité d’utiliser la

simulation en santé comme une modalité pédagogique tout en rappelant le principe

éthique sur lequel elle repose : « jamais sur le patient la première fois2. »

______________ 1Proposition 1 du rapport de mission rédigé par le Pr Granry et le Dr Moll à la demande de la Haute Autorité de Santé (HAS), p.80. 2Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15. 3Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé, Haute Autorité de Santé (HAS), Décembre

2012. 4Instruction DGOS/PF2/2013/383 du 19 Novembre 2013 relative au développement de la simulation en

santé. 5cf le document marketing diffusé par Laerdal® et intitulé « Simulation paramédicale, guide d’implantation

d’une technique pédagogique de référence pour l’apprentissage des soins infirmiers. », p.12. 6Arrêté du 26 Septembre 2014 modifiant l’arrêté du 31 Juillet 2009 - diplôme d’Etat d’infirmier, Art 5.

8

Sous le prisme juridique, la simulation en santé est devenue opposable et légitimée par une

raison empreinte d’éthique, formulée sous la forme d’un impératif catégorique kantien.

La référence à Kant est révélée par l’injonction morale s’imposant au sujet, conditionnant

de fait la réalisation de son action : « agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu

peux vouloir en même temps qu’elle devienne universelle. » (Kant, 1785 / 1993, p.94)

Désormais, pour que le soin soit éthiquement acceptable, le soignant-apprenant ne devrait

jamais effectuer un acte la première fois sur le patient et cela dans le respect d’un principe

émanant d’une éthique déontologique. La volonté des acteurs et la moralité des pratiques

soignantes sont soumises au respect d’un nouveau devoir.

Ainsi, l’argument éthique permettrait de justifier le recours à la simulation en santé

d’autant qu’il est évoqué dans différents textes (rapports, guides de bonnes pratiques,

textes juridiques…) faisant référence à la simulation en santé. Il nous semble légitime de

porter un questionnement sur la dimension accordée à l’éthique dans le cadre de la

simulation en santé et cela à différents degrés.

En qualité de formateur, l’arrivée en force de la simulation en santé influence nos

approches pédagogiques et questionne les finalités du soin offert aux usagers. Lors de

dispositifs pédagogiques, réalisés en salles de pratiques et visant le développement de

compétences relatives à la manipulation de chambres implantables, nous sollicitons

certains étudiants à jouer le rôle de patients afin de renforcer le réalisme de la situation.

Les « acteurs » sont alors équipés d’un plastron reproduisant le segment d’un thorax sur

lequel d’autres apprenants viendront s’entrainer à la pose de l’aiguille de Huber1. Nous

avons constaté l’effacement de l’être humain derrière la technique. Les étudiants

semblaient focalisés sur le geste, oubliant la personne dans le lit, substituable à un

mannequin inerte, comme Foucault le décrivit dans son livre Naissance de la

clinique. « Paradoxalement, le patient n’est par rapport à ce dont il souffre qu’un fait

extérieur ; la lecture médicale ne doit le prendre en considération que pour le mettre entre

parenthèses. » (Foucault, 1963 / 2012, p.26) Cela est d’autant plus interpellant par le fait

que la complexité des prises en soin en cancérologie soit abordée dans le même semestre.

_______________ 1L’aiguille de Huber est un dispositif médical permettant l’administration de thérapeutiques par

l’intermédiaire d’une chambre implantable. Cette dernière est insérée sous la peau du patient, au niveau du

thorax. Les chambres implantables sont indiquées pour certaines pathologies, dont majoritairement les

pathologies cancéreuses.

9

Dans une approche technique du soin infirmier faisant référence à une dimension

scientifique de la discipline, objectivante, considérant l’être humain comme le « corps-

objet » (Hesbeen, 1997), quelle place subsiste-t-il pour les éléments subjectifs du soin

manifestant une attention portée à l’autre ? De fait, lors de la réalisation de gestes

techniques en situation simulée, persiste-t-il encore un espace pédagogique pour le

développement de la reconnaissance de la dignité et de la vulnérabilité d’autrui, et donc de

l’expression de la sollicitude ?

La simulation en santé est un procédé utilisé depuis de nombreuses années en Amérique du

Nord. En Décembre 2014, lors d’un « voyage apprenant » réalisé dans le cadre du master,

nous avons eu l’opportunité de visiter un centre de simulation en santé au Québec. Le

Centre d’Apprentissage des Attitudes et Habiletés Cliniques (CAAHC), situé au sein de

l’université de Montréal, est l’un des plus vastes du Canada. Il accueille « plus de 1000

stagiaires chaque mois1 », étudiants en médecine ou professionnels praticiens.

Au cours de la formation de ses médecins, l’université de Montréal n’impose pas la

première réalisation d’un geste technique sur un simulateur (avant que celui-ci ne soit

effectué auprès d’un patient) mais elle accorde une importance particulière aux attitudes,

confirmant ainsi le risque qu’elles puissent être effacées par des habiletés. L’université de

Montréal associe la simulation en santé au développement d’attitudes et d’habiletés en

inscrivant les termes évoqués dans cet ordre, notamment dans l’intitulé de son centre de

simulation en santé, afin de rappeler la dimension prioritaire, tout au moins non accessoire,

des attitudes requises. Bien que l’exemple évoqué soit ancré dans le contexte américain,

nous soulignons à nouveau le risque d’une sacralisation des techniques engendré par la

simulation en santé.

En France, l’imposition de la simulation en santé aux institutions les oblige à recourir à des

choix stratégiques. Comme nous l’avons évoqué précédemment, la simulation en santé

représente un investissement financier important tant dans les aspects humains que

matériels. Elle contraint à repenser les projets pédagogiques, la configuration des locaux et

à redéfinir les priorités de formation continue.

_______________ 1cf le site internet de présentation du Centre d’Apprentissage des Attitudes et Habiletés Cliniques (CAAHC)

de l’université de Montréal,

http://www.caahc.org/index.html, consulté le 26 Janvier 2015.

10

Pour les professionnels de santé, l’irruption de la simulation en santé dans les cursus de

formation initiale et continue aura indubitablement des effets sur les pratiques soignantes.

Dans son bulletin1 publié en Novembre 2014, l’Ordre National des Infirmiers (ONI) n’a

pas manqué de relayer les évolutions de la formation initiale par l’intégration de la

simulation en santé d’autant que cette nouvelle méthode s’inscrit au sein du

Développement Professionnel Continu (DPC)2 pour répondre aux orientations nationales,

notamment la gestion des risques liés aux soins.

Une circulaire ministérielle, parue en Décembre 2014 et relative à la politique de stage,

invite au renforcement de la simulation en santé, « grâce à la mutualisation et à

l’élaboration de scénarii3 », afin de favoriser l’apprentissage (en stage) des étudiants. La

mutualisation est souhaitée entre des instituts de formation de différentes filières

soignantes ou entre des instituts de formation et des établissements de santé. Selon ces

recommandations, la simulation en santé est envisagée comme un outil favorisant

l’apprentissage des étudiants, nécessitant le développement d’une collaboration entre les

différents partenaires.

La mutualisation de compétences professionnelles, cliniques et pédagogiques, contribuera

indéniablement à la richesse des dispositifs élaborés, à condition qu’elle ne soit réduite à

une mise en commun des ressources, justifiée par une volonté politique de rationaliser les

moyens alloués. L’ampleur des investissements matériels et humains ainsi que les

bouleversements organisationnels attendus sont-ils évalués à juste titre au regard des

bénéfices escomptés ? Est-ce le prix à payer pour le respect du principe éthique « jamais

sur le patient la première fois4 » ?

L’instauration d’un nouveau programme d’études en 2009 a contribué à mettre en lumière

certains aspects de la profession infirmière dont la réflexion éthique et les soins palliatifs.

Il renforce une approche soignante holistique reconnaissant pleinement la singularité du

sujet, mise en tension avec le développement de la science et des techniques.

_______________ 1Bulletin de l’Ordre National des Infirmiers (ONI), Novembre 2014, p. 5. 2Décret n° 2011-2114 du 30 Décembre 2011 relatif au Développement Professionnel Continu (DPC) des

professionnels de santé paramédicaux. 3Instruction DGOS/RH1/2014/XXX du 24 Décembre 2014 relative au stage en formation infirmière. 4Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15.

11

Comme Hesbeen, rappelons ici que notre questionnement « ne dévalorise en rien le travail

remarquable de tant de professionnels de la santé qui vivent, quotidiennement, les tensions

nées du décalage entre une médecine scientifique qui prescrit les règles de la normalité et

de la technique et qui a orienté les attentes de la société, et la réalité singulière des

situations humaines qu’ils rencontrent. » (Hesbeen, 1997, p.16) Néanmoins, l’engouement

pour la simulation en santé, rendu juridiquement opposable1, ne risque-t-il pas de renforcer

le pôle technique de la profession infirmière ?

La simulation en santé s’affiche comme un outil complet, à la façon d’un couteau-suisse,

propice au développement coordonné des multiples compétences soignantes, réduisant les

risques d’erreurs dans une perspective éthique. Serait-il aussi possible de considérer la

simulation en santé comme un moyen contribuant au développement d’un agir éthique, ne

se limitant pas au respect d’un principe imposé à tous ?

Le constat établi suscite plusieurs questionnements quant à la simulation en santé.

Au regard du principe éthique invoqué, existerait-il précisément un lien entre

l’éthique et la simulation en santé ? Pourrions-nous envisager la simulation en santé

comme une ressource à une pédagogie de l’éthique ? Il s’agirait ici de procéder à

un déplacement au sein des stratégies pédagogiques en ne considérant plus une

justification de la simulation en santé par l’éthique mais en questionnant

l’usage d’une telle innovation pédagogique pour l’éthique et son

apprentissage.

Est-ce que l’usage abusif d’une référence à l’éthique pourrait servir à dissimuler les

dérives possibles de la simulation en santé, effaçant le sujet derrière la technique et

de fait renforçant une approche soignante centrée sur « le corps-objet » ?

L’utilisation du terme éthique ne serait-elle pas galvaudée puisque le mot fait

référence dans le texte de loi1 au secret professionnel et à la pudeur ?

Au sein de la simulation en santé, quelle place subsiste-t-il pour l’intérêt porté dans

l’apprentissage à d’autres conceptions plus subjectives du soin, telles que la dignité,

la vulnérabilité ou la sollicitude ?

_______________ 1Arrêté du 26 Septembre 2014 modifiant l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

12

Existerait-il un « avant » l’irruption de la simulation en santé, moins « éthique »

qu’à l’heure actuelle car l’apprentissage des soins était réalisé directement sur un

patient ?

Quelle pourrait être l’effet d’une imposition de la simulation en santé, formulée

comme un impératif catégorique, sur l’évolution des pratiques soignantes ?

Pourrions-nous envisager le renforcement d’un paradigme technique au détriment

d’autres approches plus humanistes ?

Au regard de la pluralité des courants philosophiques, quelles perspectives éthiques

(à l’exception de l’éthique déontologique) traversent l’usage de la simulation en

santé ?

Serait-il préférable d’utiliser la simulation en santé dans une approche formative,

visant le développement de compétences, ou certificatives, sanctionnant l’atteinte

d’attitudes et d’habiletés ?

Serait-il pédagogiquement envisageable de concevoir un scénario de simulation en

santé contributif à un agir éthique ? En effet, l’université de Montréal mobilise des

scénarii évolutifs valorisant davantage l’adoption d’une posture déontologique que

l’acquisition du geste technique. De fait, une pratique simulée pour l’enseignement

de la déontologie est-elle transférable à une pédagogie de l’éthique ?

Notre recherche débutera donc par la question suivante :

En quoi la simulation en santé pourrait-elle contribuer au développement d’un agir

éthique de l’apprenant ?

Afin de saisir les enjeux éthiques sous-tendus par l’irruption de la simulation en santé dans

le champ infirmier, il nous semble pertinent de clarifier le contexte dans lequel elle se

développe.

13

1. L’éclairage contextuel

14

1.1 L’évolution du contexte socio-professionnel de la santé

1.1.1 Une évolution des besoins et des attentes des usagers

Dans le domaine sanitaire, les dernières décennies du XXème

siècle ont été marquées par un

changement de paradigme. Longtemps soumis au paternalisme médical, les patients

aspirent désormais à davantage d’autonomie et à une participation active à leur prise en

soins. Les textes de loi successifs ont acté l’évolution de la posture de l’usager au sein du

système de santé. Dès 19741, la reconnaissance des droits et de la dignité du patient ont

favorisé l’émergence du sujet de soins. Celui-ci n’a cessé de gagner en autonomie,

devenant pleinement acteur de sa prise en soins, comme l’illustrent les lois du 4 Mars

20022

et du 21 Juillet 20093. D’une part, la loi de modernisation de la santé confère au

patient des droits nouveaux dont le pouvoir d’inférer les orientations thérapeutiques à partir

des connaissances qui lui ont été transmises. Elle affirme le droit de toute personne

d’accéder aux informations relatives à sa situation de santé, d’être reconnue par les

professionnels comme un partenaire de sa propre prise en soins. D’autre part, la loi du 21

Juillet 2009 dite Hôpital - Patient - Santé - Territoire (HPST) contribue au renforcement

de l’autonomie et de la responsabilité du patient dans la prise en charge de sa maladie,

notamment dans le cadre de pathologies chroniques.

Gueibe, au travers d’un article publié en Décembre 2008 dans la revue Perspective

Soignante, a souligné le possible renforcement d’un paradigme humaniste, accordant sans

concession au sujet la totale expression de son autonomie (Gueibe, 2008). De fait, évoquer

« un refus de soins » deviendrait incongru puisqu’il s’agirait de la libre volonté de la

personne, affirmant une décision que nous n’aurions pas choisie si nous étions à sa place.

En ce sens, la démocratie sanitaire souhaitée par la loi de 2004 ne serait-elle pas menacée

par l’émergence d’une nouvelle forme de souveraineté ayant détrôné le pouvoir médical ?

_______________ 1Décret n° 74-27 du 14 Janvier 1974. 2Loi n° 2002-303 du 4 Mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé. 3Loi n° 2009-879 du 21 Juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux

territoires.

15

L’évolution des besoins des usagers se caractérise aussi par une facilité d’accès à

l’information. Force est de constater que les patients bénéficient d’une vulgarisation de la

science médicale. Les médias et internet constituent des sources d’informations

permanentes et inépuisables, venant alimenter un savoir profane. Quant aux publications

régulières du classement des hôpitaux et des cliniques, elles contribuent à la renommée de

certains établissements par l’affichage d’un palmarès orientant le patient dans ses choix

quant à la gestion de sa santé.

Une prise de conscience accrue des droits et l’accès à l’information sont sources d’attentes

plus importantes des usagers envers le système de santé. Les patients exigent davantage de

qualité et de sécurité, tant dans la prise en charge strictement médicale (l’établissement du

diagnostic, l’adaptation du traitement etc.) que dans le soin apporté (le confort, la lutte

contre la douleur etc.).

Enfin, nous constatons une transformation des modalités et des finalités des prises en soins.

Les personnes âgées sont plus nombreuses au regard de la hausse de l’espérance de vie et

du « papy-boom », soit l’arrivée dans le grand-âge des générations de l’après-guerre. Selon

l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), au 1er Janvier

2013, 17,5% de la population française avait au moins 65 ans et « en 2060, 1 personne sur

3 aurait ainsi plus de 60 ans1 ». Les pathologies développées sont liées à l’âge, aux modes

de vie et à des facteurs environnementaux. L’enjeu majeur de santé publique ne repose

plus sur la lutte contre les maladies infectieuses et transmissives mais il s’est dirigé contre

les pathologies chroniques : diabète, obésité, cancers, maladies inflammatoires, troubles

cardio-vasculaires… Les actions soignantes se complexifient au regard de la nécessité d’un

accompagnement holistique des patients. Pour être efficace, elles ne peuvent être focalisées

sur une dimension physique, dans une volonté réparatrice, mais elles englobent

nécessairement les autres aspects de l’être humain : psychologique, socioculturel,

spirituel…

_______________ 1cf le site internet de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE),

http://www.insee.fr/fr/mobile/etudes/document.asp?reg_id=0&id=3806, consulté le 16 Février 2015.

16

1.1.2 La transformation des pratiques médicales

Le XVIIIème

siècle demeurera celui de l’émergence de la médecine scientifique. D’une

méthode d’observation centrée sur le sujet, la médecine s’est inscrite radicalement dans

une démarche conquérante, réduisant l’individu à une dimension physico-chimique,

capable de généralisation et en complète rupture avec le vitalisme. Pour Bernard, la

médecine est « capable de descendre dans l’intérieur de l’organisme, et de trouver le

moyen de modifier et de régler jusqu’à un certain point les ressorts cachés de la machine

vivante. » (Bernard, 1865 / 1966, p.278) Selon lui, « les malades ne sont au fond que des

phénomènes physiologiques dans des conditions nouvelles qu'il s'agit de déterminer. »

(Bernard, 1865 / 1966, p.279) Magendie et son élève Bernard sont considérés comme les

pères fondateurs de la médecine moderne. La conception scientifique a contribué à

l’accroissement rapide des connaissances, aux découvertes thérapeutiques, à l’efficacité de

la lutte contre les maladies mais cela au prix d’une considération « objétisante » de l’être

humain. Dans cette perspective, l’expression « la médecine est inhumaine » est un

pléonasme (Feldman - Desrousseaux, 2007, p.118).

La mémoire collective restera à jamais marquée par les dérives de l’expérimentation dont

l’apogée a été révélée en 1947 lors des procès de Nuremberg, bien qu’elle soit pratiquée

depuis des millénaires. Halioua nous rappelle que « le plus ancien exemple connu

d’expérimentation sur l’homme est celui qui se déroule en Chine au XXXVIème

siècle avant

J.C » (Halioua, 2007, p.19). Outre le champ expérimental, la médecine a connu une

transformation de ses pratiques corrélée au développement technique.

Ladrière a souligné la « déstabilisation éthique » (Ladrière, 1997, p.67-89) engendrée par

le développement des technosciences. La technique s’est mise au service de la médecine

dans ses multiples dimensions (prédictive, curative…). Elle n’a cessé de repousser les

limites de la vie humaine tout en suscitant des questionnements relatifs à la visée de son

action. A titre d’exemple, nous évoquerons les progrès de la réanimation lors de la seconde

moitié du XXème

siècle. La médecine est devenue capable de « ressusciter » des individus

en état de mort apparente mais cela parfois au détriment d’une qualité de vie marquée par

la souffrance et les séquelles physiques. Le mythe de Prométhée a alors pris toute sa

signification. En volant le feu aux dieux pour le transmettre aux hommes, Prométhée leur

permit d’accéder à la technique, sans toutefois s’assurer de son utilisation raisonnée.

17

Dans l’imaginaire collectif, des attentes en matière de santé et de guérison ont été projetées

vers cette médecine triomphante. « L’idée, la conviction aujourd’hui communément

partagée est bien que la médecine représente ce lieu privilégié qui non seulement soigne

mais guérit tout, étant devenue capable de vaincre bon nombre de maux dont tout individu

se trouve porteur : elle est devenue capable de vaincre le fatum de l’existence et aucune

pathologie, aucune limite ne devraient être en mesure de pouvoir lui résister. »

(Jacquemin, 2004, p.98)

Le paradigme scientifique de la médecine a renforcé son développement, potentialisé par le

progrès technique au détriment parfois d’une place accordée à la subjectivité du sujet. La

médecine est donc investie d’un double mandat. D’une part, mettre en œuvre toutes les

techniques possibles au service de la santé des usagers « car celui qui n’apporte pas de

solution technique au problème qui lui est soumis, aujourd’hui, que fait-il ? Rien, peut-

être, serait-ce la réponse, injuste mais logique, d’une société si entièrement vouée à la

technique qu’elle en néglige les autres modes d’être.» (Boch, 2009, p.54) D’autre part,

intégrer la subjectivité du sujet et garantir l’humanité des soins. Comme nous l’avons

évoqué précédemment, les patients exigent désormais la meilleure qualité de soins

possible, réalisée dans le respect de leur autonomie.

Cela nous apporte un éclairage particulier sur l’irruption de la simulation dans le champ de

la santé. Il ne s’agit pas d’expérimenter, de produire de nouveaux savoirs, mais de

permettre aux professionnels de santé, quels que soient leurs niveaux de formation et de

qualification, d’acquérir la maîtrise de techniques afin de garantir la meilleure qualité de

soins possible et une sécurité optimale pour l’usager. Le spectre d’un retour à l’approche

mécaniste s’éloigne au regard d’une nouvelle perception téléologique de la simulation en

santé.

18

1.1.3 Une mutation politico-économique des institutions hospitalières

Outre les évolutions des attentes des usagers et le développement des technosciences, les

institutions hospitalières ont connu d’importantes réformes ayant profondément marqué

leur structuration. Jusqu’en 2004, elles bénéficiaient d’une dotation globale, plus

précisément d’une enveloppe de fonctionnement annuelle et limitative. La Tarification à

l’Activité (T2A) est devenue le mode de financement des établissements sanitaires pour

leurs activités de Médecine Chirurgie et Obstétrique (MCO). « Lancée en 2004 dans le

cadre du plan « Hôpital 2007 », elle repose sur une logique de mesure de la nature et du

volume des activités et non plus sur une autorisation de dépense1. » L’instauration de la

Tarification à l’Activité (T2A) s’inscrit dans un contexte de rationalisation économique

visant à encourager la compétitivité des établissements par la valorisation des actes

effectués. La recherche d’efficience, donnant tout son sens à l’expression « la santé n’a

pas de prix mais elle a un coût », influence l’organisation des soins dispensés. Les durées

de séjours diminuent et des alternatives à l’hospitalisation traditionnelle se développent

comme l’hospitalisation à domicile, les réseaux…

En 2009, la loi Hôpital - Patient - Santé - Territoire (HPST) a défini la modernisation des

établissements de santé par une clarification de leur gouvernance et de leur statut ainsi que

par l’amélioration de la coopération entre les établissements dans un souci de performance.

L’accès à des soins de qualité a été réaffirmé dans le titre 2 de la loi2. La qualité représente

un enjeu majeur pour les établissements de santé. En 1996, l’accréditation3 a été introduite

afin de permettre et garantir une démarche d’évaluation indépendante des établissements.

La procédure est désormais désignée sous le terme certification et sa mise en œuvre est

sous la responsabilité de la Haute Autorité de Santé (HAS). « La certification consiste en

une appréciation globale et indépendante de l’établissement afin de favoriser

l’amélioration continue des conditions de prises en charge des patients. Elle s'attache plus

particulièrement à évaluer la capacité de l'établissement à identifier et maîtriser ses

risques et à mettre en œuvre les bonnes pratiques4.»

_______________ 1cf le site internet du ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes,

http://www.sante.gouv.fr/financement-des-etablissements-de-sante,6619.html, consulté le 23 Février 2015. 2Loi n° 2009-879, du 21 Juillet 2009, portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux

territoires, dite loi HPST. 3Ordonnance n° 96-346 du 24 Avril 1996 portant réforme hospitalière. 4cf le guide méthodologique à destination des établissements de santé - Certification V2014, V1.1, Octobre

2014, Haute Autorité de Santé (HAS).

19

Ainsi, il n’est plus uniquement demandé aux institutions hospitalières de dispenser des

soins mais aussi d’être économiquement performantes tout en garantissant la qualité et la

sécurité des soins réalisés. Les professionnels de santé exercent dans des environnements

contraints visant une meilleure qualité à moindre coût. Ils sont confrontés à de nouveaux

questionnements au regard du développement des technosciences et à une évolution des

besoins de santé des usagers.

Pour répondre à ces nouveaux défis, il a été nécessaire d’adapter les formations, initiale et

continue, des professionnels de santé. Celle-ci a été réformée1 pour réunir sous

l’appellation Développement Professionnel Continu (DPC) la formation professionnelle et

l’évaluation des pratiques. Conformément aux obligations juridiques et aux guides de la

Haute Autorité de Santé (HAS), les institutions visent à promouvoir le perfectionnement

des compétences de leurs salariés, axé vers un renforcement de la qualité et de la sécurité

des soins.

L’année 2009 aura été également celle de la réforme pour la formation initiale des

infirmiers.

Nous nous attacherons à décrire le nouveau programme de formation infirmière, tant dans

ses modalités que ses finalités, afin de mieux saisir l’émergence de la simulation en santé

dans ce contexte.

_______________ 1Décret n° 2011-2114 du 30 Décembre 2011 relatif au Développement Professionnel Continu (DPC) des

professionnels de santé paramédicaux.

20

1.2 La présentation de la formation infirmière

1.2.1 Le nouveau programme de formation infirmière

La formation infirmière a été marquée en 2009 par l’instauration d’un nouveau

programme. Les infirmiers souhaitaient une revalorisation de leur profession. La principale

revendication de la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers (FNESI), lors

de ses manifestations en Octobre 2000, concernait la reconnaissance du diplôme d’Etat

d’infirmier à un niveau Licence. Leur requête était fondée sur les accords de Bologne

conclus en 1999 et visant l’harmonisation européenne des diplômes et des formations

universitaires par l’intégration des enseignements supérieurs dans le cursus Licence Master

Doctorat (LMD). Cette réforme de la formation se justifie davantage par des éléments

conjoncturels, sanitaires et économiques, et non simplement à partir des revendications des

soignants en matière de reconnaissance. D’une part, les besoins en santé des populations

évoluent, « il s’agira d’apprendre aux jeunes infirmiers à assurer un suivi au long cours,

dans la proximité, de personnes qui verront leur autonomie diminuer. » (Coudray et Gay,

2009, p.5) Le vieillissement démographique induit une transformation de la demande en

soins. Les infirmiers seront amenés à soigner des individus âgés, atteints de maladies

chroniques ou dégénératives, et aussi « plus exigeants, connaissant leurs droits mais

également plus consommateurs. » (Coudray et Gay, 2009, p.5) D’autre part, l’organisation

hospitalière se doit d’être efficiente et nécessite de composer, selon un mode dialogique,

entre les exigences économiques et la qualité des soins.

La contrainte économique pèse sur les soignants, le financement des activités de

soins porte en lui-même sa propre contradiction. Il est en effet de plus en plus

difficile, compte tenu du vieillissement de la population, de la demande accrue de

soins, et du développement des technologies médicales de contrôler l’inflation de ce

système. La demande est faite aux soignants de mieux gérer l’efficience dans leur

activité, c'est-à-dire d’introduire dans leur action une relation entre moyens et

résultats. (Coudray et Gay, 2009, p.10)

Paradoxalement, dans un contexte visant l’amélioration continue de la qualité des soins, le

développement des techniques génère une méfiance chez les usagers quant à la prise en

soins dont ils peuvent bénéficier. La technicisation des soins et la gestion du risque

21

sanitaire nécessitent « une protocolisation accrue des pratiques » (Coudray et Gay, 2009,

p.9) tout en encourageant l’adaptation des activités aux circonstances. « La compétence de

décision et donc l’autonomie professionnelle doivent être travaillées régulièrement dans le

courant de la formation par différents moyens, notamment celui qui consiste à placer les

étudiants devant de nombreuses situations différentes, dans des contextes eux-mêmes

distincts, qui leur demandent d’exercer leur jugement professionnel. » (Coudray et Gay,

2009, p.9) L’ancien programme de 1992, axé sur une conception modulaire, ne permettait

plus de répondre à ces nouvelles exigences. Au regard de ses contenus théoriques et de

l’organisation de l’alternance, il ne valorisait pas suffisamment le développement des

compétences soignantes attendues. L’annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au

diplôme d’Etat d’infirmier instaure juridiquement le nouveau référentiel de formation. Le

processus de réingénierie a nécessité en première intention l’élaboration d’une définition

du métier, d’un référentiel d’activités puis d’un référentiel de compétences. Le référentiel

de formation établi décrit les compétences à acquérir pour exercer la profession

d’infirmier, conformément à sa définition mentionnée dans l’arrêté du 31 Juillet 2009 et

inscrite dans le Code de Santé Publique, à travers les articles R4311-1 et R4311-2. La

définition de la profession traduit à elle seule la complexité des prises en soins.

Evaluer l’état de santé d’une personne et analyser les situations de soins ;

concevoir et définir des projets de soins personnalisés ; planifier des soins, les

prodiguer et les évaluer ; mettre en œuvre des traitements. Les infirmiers

dispensent des soins de nature préventive, curative ou palliative, visant à

promouvoir, maintenir et restaurer la santé, ils contribuent à l’éducation à la santé

et à l’accompagnement des personnes ou des groupes dans leur parcours de soins

en lien avec leur projet de vie. Les infirmiers interviennent dans le cadre d’une

équipe pluriprofessionnelle, dans des structures et à domicile, de manière

autonome et en collaboration1.

La prise en soins du patient ne se limite plus à la lutte contre les maladies dans un rapport

de subordination médicale. L’infirmier se détache d’un rôle historique d’exécutant.

Désormais, il évalue, organise et planifie ce qui reflète une volonté d’autonomisation de la

profession. Les prises en soins de différentes natures, dispensées dans une hétérogénéité

d’environnements, rappellent à l’infirmier ses responsabilités au regard de ses modalités

d’interventions et nécessitent le déploiement de multiples compétences.

_______________ 1Annexe I de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

22

1.2.2 Les compétences attendues

Pour obtenir le diplôme d’Etat d’infirmier, les étudiants doivent attester de l’acquisition de

dix compétences, détaillées dans l’annexe II de l’arrêté du 31 Juillet 2009.

1. Evaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine infirmier

2. Concevoir et conduire un projet de soins infirmiers

3. Accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens

4. Mettre en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique

5. Initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs

6. Communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins

7. Analyser la qualité des soins et améliorer sa pratique professionnelle

8. Rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques

9. Organiser et coordonner des interventions soignantes

10. Informer et former des professionnels et des personnes en formation

Ces compétences sont soit spécifiques à la profession infirmière et qualifiées cœur de

métier, soit communes à d’autres professions paramédicales, et appelées transverses.

L’axe compétence repose sur le développement des ressources de l’étudiant lui permettant

« de prendre des décisions éclairées et d’agir avec autonomie et responsabilité dans le

champ de sa fonction1. »

La finalité de la formation est d’amener l’étudiant à devenir « un praticien autonome,

responsable et réflexif, c’est-à-dire un professionnel capable d’analyser toute situation de

santé, de prendre des décisions dans les limites de son rôle et de mener des interventions

seul et en équipe pluriprofessionnelle2. »

Selon le dictionnaire Larousse, la compétence est définie comme « une capacité reconnue

en telle ou telle matière, et qui donne le droit d’en juger ». Etymologiquement, le terme

compétence puise ses origines latines du mot competentia signifiant « juste rapport ». Les

origines du terme soulignent les capacités d’adaptation et de jugement démontrées par un

individu dans une situation donnée.

_______________ 1Annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier. 2Ibid.

23

L’approche par compétences s’est imposée dans les milieux professionnels à partir des

années 1970. Les salariés ont été confrontés à des mutations majeures (ralentissement

économique, concurrence, développement de nouvelles technologies etc.) impactant le

marché de l’emploi. Dès lors, il n’est plus demandé uniquement aux employés de réaliser

un travail prescrit, d’exécuter une tâche mais également de pouvoir et savoir innover afin

de s’adapter pertinemment aux situations rencontrées.

Pour Zarifian, « être compétent, c’est répondre à la question : que faire lorsqu’on ne me

dit plus comment faire ? » (Zarifian, 2004, p.45) En effet, pour le sociologue, « la

compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des connaissances

acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des situations

augmente. » (Zarifian, 2004, p.81)

Le Boterf établit une distinction entre être compétent et avoir des compétences. Avoir des

ressources (savoir-faire, aptitude physique, aptitude comportementale…) est une condition

indispensable mais aussi insuffisante à l’instauration de la compétence. Il s’agit

véritablement de « mettre en œuvre une pratique professionnelle pertinente tout en

mobilisant un combinatoire approprié de ressources (savoirs, savoir-faire, comportement,

mode de raisonnement). On se réfère ici au domaine de l’action. » (Le Boterf, 2009, p.21)

La compétence du professionnel s’évalue dans l’agir, c'est-à-dire dans la réalisation d’une

action à un moment donné. La compétence ne peut s’apprendre puisqu’elle résulte d’une

mobilisation pertinente de savoirs.

L’adaptation aux situations rencontrées et la justesse des réponses proposées ne dépendent

pas d’une accumulation de savoirs. « L’intelligence pratique » (Zarifian, 2004, p.81) ne

peut se mesurer qu’en situation et se construit avec les situations rencontrées. Pour

Perrenoud, « l'appropriation de nombreuses connaissances ne permet pas, ipso facto, leur

mobilisation dans l'action. » (Perrenoud, 2007, p.9)

Le défi pédagogique relevé n’est plus simplement d’inculquer des savoirs de base afin de

former des professionnels qui dispenseront des soins de qualité auprès des personnes

soignées. L’évolution des besoins de santé des individus, la recherche d’efficience des

établissements de santé, les nouvelles dispositions réglementaires et juridiques témoignent

de l’importance de disposer de soignants compétents au sein des établissements de santé et

capables de donner sens à leurs pratiques.

24

La formation initiale des infirmiers, réalisée sur six semestres, vise la professionnalisation

de l’apprenant et ne peut se fonder uniquement sur la transmission des savoirs. Il s’agit

véritablement de former des personnes compétentes, aptes à prendre des décisions

pertinentes, à s’interroger sur le sens de leurs pratiques et à répondre, moralement et

juridiquement, des conséquences de leurs actes. La notion de compétence est clairement

explicitée au regard des finalités de la formation. Le référentiel de formation a été conçu

pour favoriser le développement des compétences professionnelles, à partir de

l’identification des activités de l’infirmier. Les ressources permettant le développement de

compétences ont été déclinées dans les unités d’enseignement (UE) en différenciant celles

qui émergent du cœur de métier (sciences et techniques infirmières) et celles qui relèvent

de disciplines scientifiques dans les domaines des sciences humaines, des sciences

sociales, du droit, de la biologie et de la médecine. Les premières dépendent d’une

coordination de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) tandis que les autres sont

sous la responsabilité de l’université chargée d’assurer l’enseignement de la majorité des

contenus théoriques.

Un stage d’une durée de cinq à quinze semaines est effectué à chaque semestre. Ils

totalisent 2100 heures soit la moitié du temps de formation.

« Les stages sont à la fois des lieux d’intégration des connaissances construites par

l’étudiant et des lieux d’acquisition de nouvelles connaissances par la voie de

l’observation, de la contribution aux soins, de la prise en charge des personnes, de la

participation aux réflexions menées en équipe et par l’utilisation des savoirs dans la

résolution des situations1. »

Le développement des compétences est envisagé au travers du renforcement de

l’articulation théorico-pratique ce qui représente une rupture avec le programme de 1992

fondé sur une approche modulaire. Le principe de l’alternance n’est pas nouveau. Sa

conception a évolué afin que les stages soient de véritables lieux d’apprentissage dans une

perspective intégrative, propice à une prise de recul critique. La compétence du

professionnel de santé s’évalue aussi par ses capacités réflexives au regard de sa pratique.

La prise de recul n’est pas un phénomène récent au sein des professions de santé car les

prises en soins amènent le praticien à s’interroger sur le sens de ses actes. Néanmoins, elle

est reconnue désormais comme une composante à part entière de la compétence.

_______________ 1Annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

25

1.2.3 La réflexivité

La réflexivité consiste en une prise de recul sur l’action. Elle constitue un vecteur de la

construction de compétences et donc de la professionnalisation. Schön fut l’un des

premiers à s’interroger sur « la réflexion dans l’action et sur l’action » (Schön, 1994) ainsi

qu’à mettre en lumière les liens qui unissent la pratique réflexive et la professionnalisation.

Pour le pédagogue, les professionnels ne peuvent appliquer stricto sensu leurs savoirs

théoriques acquis lors de leur formation. Les savoirs sont construits dans l’action et a

posteriori sous forme de réflexions apportées aux problèmes rencontrés dans leur pratique.

La prise de recul concourt aussi à l’édification de « l’intelligence pratique » (Zarifian,

2004, p.90-93) qui offre des perspectives pour bien faire alors que personne ne nous dit

comment faire.

La pratique réflexive se centre davantage sur le questionnement quant à la visée d’une

action et des moyens mis en œuvre. En effet, il s’agit moins de trouver une réponse

standardisée que de s’interroger sur le sens et les finalités de l’action pour un agir

signifiant. L’action sensée, adaptée au contexte, signe alors véritablement l’acquisition de

la compétence.

Pour Perrenoud, « former de bons débutants, c’est justement former d’emblée des gens

capables d’évoluer, d’apprendre au gré de l’expérience, en réfléchissant sur ce qu’ils

voulaient faire, sur ce qu’ils ont réellement fait, sur ce que cela a donné. » (Perrenoud,

2001, p.18) Il ajoute que le praticien réflexif « entre dans une boucle sans fin de

perfectionnement, parce qu’il théorise lui-même sa pratique… Il se pose des questions,

tente de comprendre ses échecs, se projette dans l’avenir. » (Perrenoud, 2001, p.42)

Accompagner les étudiants dans l’élaboration d’une posture réflexive, c’est faire le pari de

former des professionnels capables de donner sens à leur pratique, œuvrant dans une

volonté d’optimiser le prendre soin et limitant les risques d’épuisement professionnel.

C’est également leur permettre d’agir avec compétence en inscrivant leurs actions au cœur

de la situation de soins.

Les bénéfices semblent multiples tant pour le soignant, la personne soignée que pour

l’institution car la posture réflexive est à l’origine d’un cercle vertueux axé sur le

perfectionnement continu des pratiques et donc de la qualité des soins.

26

Compétence et réflexivité sont indissociables de l’agir.

Le développement des compétences et de capacités réflexives nécessite une articulation

théorico-pratique adaptée répondant aux enjeux de la professionnalisation.

Dès lors, dans le cadre de la formation infirmière, les stages proposés à chaque semestre,

évoluant graduellement tant au regard de leur durée que des exigences attendues,

représentent un espace propice à la construction des compétences.

Le programme de formation de 2009 renforce la nécessaire collaboration entre les

professionnels de santé chargés de l’encadrement des étudiants infirmiers lors des stages et

les formateurs des Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI). « Le retour sur la

pratique, la réflexion, et le questionnement sont accompagnés par un professionnel chargé

de la fonction tutorale et un formateur. Ceci contribue à développer chez l’étudiant la

pratique réflexive nécessaire au développement de la compétence infirmière1. »

L’alternance semble s’être imposée à la formation infirmière, en raison de sa dimension

empirique. Au cours de l’évolution de la profession, l’alternance fut envisagée selon des

modalités différentes. Autrefois, l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) était

représenté comme le lieu d’acquisition du savoir qui s’appliquait, lors des stages, en

milieux professionnels. Dans le cadre du nouveau programme, le principe de l’alternance

est renforcé puisqu’il existe toujours une succession entre les périodes de stage et de cours

mais d’autres finalités ont émergé. Désormais, l’approche par compétence impose à

l’étudiant d’agir de la façon la plus pertinente en situation. Sa confrontation aux situations

complexes nécessite de questionner le sens de son action.

Ce changement de paradigme met en lumière certaines limites au développement de la

compétence.

_______________ 1Annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

27

1.2.4 Les limites de la formation

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la compétence s’évalue en action, par la

mobilisation pertinente des ressources de l’individu au sein de son environnement.

Or, il semble difficilement concevable de favoriser le développement de compétences en

accordant une place à l’erreur au sein de situations réelles nécessitant l’optimisation de

compétences soignantes, en réponse aux attentes des usagers, dans des environnements

visant la performance et l’efficience, tout en prônant la qualité et la sécurité des soins.

La réflexivité, élément de la compétence, vise à identifier les ressources mobilisées et à

évaluer le résultat en pratique d’une combinaison pertinente entre ces ressources et les

savoirs. L’apprenant peut ainsi conscientiser ses schèmes d’actions et généraliser différents

aspects de sa pratique. Il est en capacité d’expliciter les écarts entre les résultats attendus et

ceux obtenus tout en reliant la façon dont il a pensé l’action aux effets produits visibles.

Cependant, pour analyser ses propres ressources et les observer face à un mémoire

réfléchissant, il est indispensable de développer préalablement différents savoirs théoriques

et expérientiels. La pratique réflexive du professionnel compétent relève davantage du

domaine de l’expertise que de l’apprentissage puisque l’étudiant infirmier, construisant

progressivement ses savoirs, ne peut agir de manière pleinement autonome en situation.

L’apprentissage en situation réelle, lors des stages, révèle une difficulté identifiée depuis le

XVIème

siècle comme nous l’explique Meirieu.

Les Compagnons du tour de France dès le XVIème

siècle, s'interrogent sur une

difficulté fondamentale de la pratique du compagnonnage : comment prendre en

compte, à la fois, l'apprenti et le client ? Les apprentis devaient réaliser un certain

nombre de tâches et les compagnons se demandaient, ils l'ont écrit dans leurs

registres, comment satisfaire, en même temps, l'apprenti et le client. Si l'on satisfait

l'apprenti, on gâche du matériel, on perd du temps, on mécontente le client ; si l'on

satisfait d'abord le client, on va vite à l'essentiel, on fait faire les choses par ceux

qui savent déjà les faire et l'apprenti observe, ne met la main à la pâte que pour des

tâches d'exécution : on ne le forme pas vraiment. Dès le XVIème

siècle, les

Compagnons repèrent cette contradiction. Ils construisent, alors, des

établissements particuliers dans lesquels on va tenter d'apprendre « dégagé », au

moins partiellement, de la pression de la production et du client1.

_______________ 1cf le site internet de Philippe Meirieu et l’article intitulé L’alternance,

http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/alternance.htm, consulté le 24 Février 2015.

28

Cet exemple historique reflète véritablement les contraintes de la pédagogie par

compétences, attestant d’une dichotomie entre le développement des apprentissages et la

satisfaction de l’usager ainsi qu’entre l’accompagnement pédagogique et le maintien de la

productivité. En effet, l’enjeu est de s’approcher au plus près du réel, en intégrant les

possibles erreurs jonchant le chemin vers la compétence tout en veillant à proposer des

prestations de qualité. Par ailleurs, le nombre important d’étudiants dans les promotions

amène à saturation les possibilités d’encadrement offertes par les structures. Il existe un

déséquilibre quantitatif entre le nombre de tuteurs et d’étudiants rendant difficile la

possibilité d’un accompagnement individualisé vers le développement de la compétence.

Nous pouvons donc nous demander si la simulation en santé apparaît comme une

réponse au développement de la compétence, envisagée en situation dégagée de toutes

contraintes ? De fait, au regard de l’objet de notre recherche, quelle pourrait être la

contribution de la simulation en santé à la formation des étudiants infirmiers ?

29

1.2.5 Les intérêts pédagogiques de l’usage de la simulation en santé

A ce stade de notre recherche, nous pouvons envisager plusieurs raisons justifiant

l’utilisation de la simulation en santé en formation infirmière :

- accorder une place possible à l’erreur dans des contextes institutionnels visant à

garantir la qualité et la sécurité dans les soins

- permettre à l’apprenant de développer des compétences afin de répondre aux

attentes plus importantes des usagers tout en épargnant ces derniers des écueils

inhérents à l’acquisition des actes techniques

- rendre possible le principe éthique : « jamais sur le patient la première fois1 »

- maintenir les objectifs d’efficience et de performance des institutions tout en

assurant l’apprentissage des professionnels de santé de demain dans des situations

dégagées de toutes contraintes réelles. Cela permettrait de former des soignants

aptes à répondre, à moyen terme, aux exigences institutionnelles et limiterait les

accompagnements pédagogiques chronophages

- reproduire au plus près le réel afin de favoriser la construction des compétences

ainsi que l’appropriation de la démarche réflexive

- favoriser « la réflexion dans l’action et sur l’action » (Schön, 1994)

- renforcer la protocolisation et la standardisation des techniques de soins

- travailler « la compétence de décision et donc l’autonomie professionnelle »

(Coudray et Gay, 2009, p.9) en diversifiant des contextes propices à l’exercice du

jugement professionnel.

La clarification du concept de simulation en santé nous permettra de saisir les enjeux d’une

telle innovation pédagogique et le cas échéant, les opportunités offertes en matière

d’éthique.

_______________ 1Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15.

30

2. L’abord conceptuel

31

2.1 La simulation en santé

2.1.1 Qu’est-ce que la simulation ?

D’après le dictionnaire Le Petit Robert, le verbe simuler est issu du terme latin simulare et

signifie depuis le XIVème

siècle « faire paraître comme réel, effectif », « donner pour réel

en imitant l’apparence de (la chose à laquelle on veut faire croire) ». Les synonymes sont

« affecter, feindre, jouer, singer.» Dans son usage contemporain, le terme simuler

correspond aussi à « représenter artificiellement (un fonctionnement réel) », « reproduire à

l’aide d’un système informatique les caractéristiques et l’évolution de (un processus). »

L’apparition du mot simulation daterait de la fin du XIIème

siècle et proviendrait du latin

simulatio. Il désigne le « fait de simuler », « de déguiser un acte sous l’apparence d’un

autre ». Simuler est connoté péjorativement comme en témoignent les noms associés :

« chiqué, comédie, frime… » En référence à la pathomimie, la simulation devient une

« manifestation extérieure qui tend, plus ou moins consciemment, à remplacer, à exagérer,

ou à prolonger un symptôme pathologique. » La simulation s’entend également comme

une « méthode, technique, permettant de produire de manière explicite (en général

formalisée) un processus quelconque. »

Le dictionnaire Larousse définit la simulation comme l’action visant à « faire paraître

comme réelle une chose qui ne l’est pas. » En référence à des aspects techniques, il s’agit

d’une « méthode de mesure et d’étude consistant à remplacer un phénomène, un système à

étudier par un modèle plus simple mais ayant un comportement analogue. »

La simulation puise son utilité au sein de secteurs où les risques sont majeurs, avec la

nécessité de maîtriser la survenue d’incidents critiques. A titre d’exemple, nous

évoquerons ici l’aéronautique et l’industrie nucléaire.

Dans un article publié dans un supplément à la revue Soins Cadres paru en Novembre

2011, Delmas et Saint-Pierre nous livrent une perception historique du développement de

la simulation. « C’est à Edwin Link que l’on doit l’invention du simulateur de vol qu’il

inclut dès 1930 comme stratégie d’apprentissage. En 1934, après plusieurs accidents

d’aviation mortels dus à des conditions de visibilité, l’armée s’est équipée de 6 simulateurs

32

Link afin d’améliorer la formation des pilotes militaires. » (Delmas et Saint-Pierre, 2011,

p. S12)

La simulation est donc apparue dans un souci de favoriser les apprentissages tout en

minimisant la survenue d’accidents. Les progrès techniques et notamment ceux de

l’informatique ont contribué à perfectionner les simulateurs afin de reproduire au plus près

le réel. La difficulté essentielle réside dans la mise en œuvre de situations permettant le

développement des compétences en évitant les écueils des environnements protégés. En

effet, Goudeaux, Loraux et Sliwka ont dénoncé les limites d’un dispositif de simulation en

prenant pour exemple l’apprentissage de la conduite automobile. « Tant que le moniteur est

présent et qu’il peut récupérer les pédales, on est typiquement dans une situation

protégée… Aussi, quand pourra-t-on réellement apprécier la « compétence » de l’apprenti

chauffeur ? Lorsqu’il sera seul, à six heures du soir, dans l’embouteillage géant d’un

centre-ville, à la sortie des bureaux… » (Goudeaux et al., 2003, p.14)

Le recours à la simulation, quel que soit le domaine d’activité professionnelle, exige le

réalisme d’une situation afin de susciter la pleine adhésion de l’apprenant au dispositif

pédagogique. Celui-ci ne pourra jamais se substituer aux conditions réelles de la pratique,

attestant véritablement de l’acquisition de compétences.

En référence au contexte de la formation infirmière, nous osons formuler une critique à

l’égard du slogan « jamais sur le patient la première fois1. » D’une part, la possibilité

d’une réalisation de l’intégralité des soins infirmiers, à l’aide d’un simulateur et avant leur

application auprès d’un patient, semble illusoire au regard des modalités de l’alternance en

formation initiale. D’autre part, il semble improbable de former, en situation simulée, des

apprenants qui seront opérationnels et à l’apogée de leurs compétences car il y aura

toujours la réalisation d’un premier geste soignant auprès d’une personne soignée. Bien

qu’un simulateur puisse être extrêmement réaliste, il y aura nécessairement un passage vers

la situation réelle. Nous pouvons citer une nouvelle fois l’exemple de la conduite

automobile, imposant progressivement à l’apprenant des manœuvres sans « doubles-

pédales » afin de s’écarter des artifices de la situation protégée.

_______________ 1Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15.

33

La simulation vise à réduire les risques sans prétendre les éradiquer totalement. Elle

concourt à « une gestation » de compétences afin de permettre, aux bénéficiaires de cette

méthode pédagogique, une adaptation plus aisée aux situations réelles.

Néanmoins, les exemples évoqués jusqu’à présent concernent les secteurs de l’industrie. Ils

représentent le développement d’aptitudes humaines vis-à-vis d’objets, qu’il s’agisse de

voitures, d’avions ou de centrales nucléaires. L’approche se veut donc procédurale bien

qu’elle exige l’intelligence et l’habileté de son utilisateur. La simulation en santé revêt un

autre niveau de complexité puisque le prendre soin est nécessairement à finalité humaine,

dans le respect de la singularité de la personne soignée. Il nous semble donc nécessaire de

définir les spécificités de la simulation en santé ainsi que son objet d’apprentissage qui ne

peut être exclusivement le patient mais aussi le contexte dans lequel celui-ci se situe.

34

2.1.2 Le développement de la simulation en santé

Nous pourrions croire que la simulation en santé est un phénomène nouveau alors que son

apparition date de plusieurs siècles.

Au XVIIIème

siècle, Mme Du Coudray, a conçu un mannequin permettant l’apprentissage

des manipulations obstétricales, destiné à la formation des sages-femmes exerçant en

campagne. Cette modalité pédagogique aurait eu des effets mesurables. « Il est estimé

qu’environ 4000 sages-femmes à travers la France ont utilisé ce mannequin, et que la

mortalité infantile a montré ensuite une nette diminution. » (Granry et Moll, 2012, p.15)

C’est au début du XXème

siècle et sur le continent américain que la simulation en santé

puise les origines de son développement actuel. Dès 1910, les élèves-infirmières du

Hartford Hospital Training School of Nurses ont utilisé un mannequin de bois, surnommé

Mme Chases (du nom de sa conceptrice, fabricante de jouets) pour l’apprentissage des

soins de nursing. De nos jours, les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI)

mobilisent encore ce type de pratique pour l’apprentissage de gestes comme la toilette

réalisée auprès du patient.

L’utilisation de la simulation en santé correspond aux attentes de l’époque dans laquelle

elle se développe. En effet, les progrès de la réanimation cardio-respiratoire ont été

majeurs au milieu du XXème

siècle. Safar, médecin au Baltimore City Hospital, a

perfectionné des techniques de réanimation en les utilisant auprès de membres de son

équipe. « Les volontaires sont alors endormis et intubés. » (Granry et Moll, 2012, p.15)

Les risques encourus par ces faux patients consentants étaient réels et ont justifié le

développement de simulateurs perfectionnés. C’est à un fabricant de jouet norvégien,

Laerdal, inventeur et fondateur de la marque du même nom, que l’on doit la création d’un

mannequin sophistiqué appelé Resusci Anne. A la même époque, dans les années 1960 aux

Etats-Unis, Gordon invente Harvey, un mannequin capable de simuler des dizaines de

pathologies cardiaques. Abrahamson et Denson ont quant à eux fabriqué le premier

mannequin contrôlé par ordinateur. « Il sera le modèle qui inspirera, par ses capacités et

son réalisme, les mannequins haute-fidélité actuels. » (Granry et Moll, 2012, p.15) Les

origines anglo-saxonnes de la simulation en santé expliquent probablement son

enracinement dans les cursus de formations proposés Outre-Atlantique. En Amérique du

Nord, elle est utilisée de « manière routinière » (Granry et Moll, 2012, p.31) dans la

formation initiale et continue des professionnels de santé.

35

En outre, elle représente un argument d’attractivité pour les institutions. La simulation en

santé est également reconnue comme un outil de certification des professionnels de santé,

mobilisé par des centres agréés. Cette description du modèle américain correspond

pleinement aux constatations réalisées lors de notre « voyage apprenant » à Montréal en

Décembre 2014. Les ressources matérielles du centre visité, le Centre d’Apprentissage des

Attitudes et Habiletés Cliniques (CAAHC), sont considérables puisqu’il dispose de

mannequins capables de réagir à l’administration de gaz anesthésiants et dont les coûts

d’achat représentent plusieurs centaines de milliers de dollars canadiens. En Amérique du

Nord, une distinction est établie entre un programme de simulation et un centre de

simulation. « Un programme de simulation signifie que la simulation est utilisée comme

outil d’éducation, alors qu’un centre de simulation correspond à un lieu physique dédié

spécifiquement à l’enseignement par simulation. La distinction est intéressante, car il est

possible de disposer d’un programme de simulation accrédité sans disposer de centre de

simulation à proprement parler. » (Granry et Moll, 2012, p.30)

En France, le développement de la simulation en santé est plus récent qu’au Canada bien

que les Centres d’Enseignement des Soins d’Urgence (CESU) utilisent depuis de

nombreuses années des mannequins pour l’apprentissage des premiers gestes d’urgence.

Des centres de simulation en santé se développent, comme le SimUsanté du Centre

Hospitalier Universitaire (CHU) d’Amiens, devenu à ce jour le plus important d’Europe.

Les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) s’équipent progressivement

d’installations adaptées bien que des disparités régionales subsistent. Les financements

sont privés ou supportés en partie par les Conseils Régionaux.

Le recours à la simulation en santé et son développement pour la formation initiale des

infirmiers semble inévitable comme en atteste un exemple britannique. Au Royaume-Uni,

la formation initiale des infirmiers est constituée de 2300 heures de stage et de 2300 heures

de théorie, soit un modèle quasi-équivalent à l’organisation de la formation en France

(2100 heures de stage et 2100 heures de théorie). Or, cette alternance génère une demande

permanente de places de stages et un manque d’homogénéité de l’accompagnement

pédagogique dispensé. Ce problème a été surmonté par le recours à la simulation en santé.

Le Nursing and Midwifery Council (NMC) « a publié une circulaire officielle stipulant

qu’un maximum de 300 heures de formation pratique hospitalière pouvaient maintenant

être acquises par le biais de la simulation en laboratoire universitaire. » (Granry et Moll,

2012, p.28) Ainsi, l’enseignement clinique pourrait être validé par des mises en situation

professionnelle simulée.

36

2.1.3 Les différentes modalités de la simulation en santé

Granry et Moll, dans leur rapport rédigé en 2012 à la demande de la Haute Autorité de

Santé (HAS), n’ont pas manqué de citer la définition de la simulation en santé proposée

par la Chambre des Représentants américains lors de leur 111ème

congrès en Février 2009.

Le terme Simulation en santé correspond à l’utilisation d’un matériel (comme un

mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d’un patient

standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soin, dans le

but d’enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et de répéter des

processus, des concepts médicaux ou des prises de décision par un professionnel de

santé ou une équipe de professionnels.

La définition énoncée ci-dessus met en évidence des modalités très distinctes qu’il nous

semble nécessaire de clarifier.

Lors du Congrès National d’Anesthésie et de Réanimation en 2007, Chiniara, de

l’université de Laval (Québec), a proposé une classification de la simulation en médecine1.

Il distingue deux dimensions au sein de la simulation : l’organique et la non organique. La

première est animale ou humaine. Elle est réalisée sur des animaux ou des cadavres

humains pour l’apprentissage de gestes procéduraux, essentiellement chirurgicaux. Le

recours à des êtres humains vivants intègre quant à lui le concept de patient standardisé. Il

s’agit d’acteurs professionnels jouant le rôle de personnes soignées. Plus rarement, la

simulation en santé s’envisage avec l’appui d’un patient instructeur. C’est « un vrai

patient, qui souffre d’une pathologie et qui met son expertise et son expérience de vie

personnelle au service d’apprenants, pour les guider et leur donner un feed-back de leur

performance. » (Demaurex et Vu, 2013, p.53)

La seconde dimension, non organique, est sous-divisée en deux domaines : le synthétique

et l’électronique. Ils ont été établis en fonction de la prépondérance du rôle de l’ordinateur

pour la transmission de l’information à l’utilisateur. La dimension non organique regroupe

donc des modes différents selon leur degré de réalisme, allant de la manipulation de

mannequins perfectionnés à l’exploitation de serious games sur un ordinateur.

Les approches les plus réalistes sont regroupées sous l’intitulé immersion, traduisant la

qualité des environnements au sein desquels la simulation en santé est réalisée.

_______________ 1cf le site internet de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR),

http://www.sfar.org/acta/dossier/archives/ca07/html/ca07_03/ca07_03.htm, consulté le 05 Mars 2015.

37

Le schéma ci-dessous synthétise les différents modes de simulation :

Une classification de la simulation proposée par Chiniara (Granry et Moll, 2012, p.14).

Pour la simulation synthétique, la fidélité de la reproduction du monde réel est désignée

sous l’appellation haute-fidélité. Chez l’utilisateur, elle génère le vécu d’une plongée au

cœur d’une situation de soins dans l’environnement hospitalier.

Dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI), nous mobilisons essentiellement

la simulation en santé non organique, synthétique, de haute et basse fidélité. En effet, nous

encourageons le développement des compétences des étudiants par l’usage pédagogique de

mannequins sophistiqués au sein d’environnements reproduisant des chambres d’hôpital,

ainsi que l’enseignement de gestes techniques sur des dispositifs adaptés. A titre

d’exemple, l’apprentissage du cathétérisme veineux est réalisé sur un bras synthétique,

tronçon humanoïde de latex et de silicone.

Quant aux jeux de rôles, ils constituent une modalité pédagogique d’unités d’enseignement

(UE) dédiées aux soins relationnels. La simulation en santé est parfois hybride, elle associe

un individu et un dispositif synthétique, comme un thorax en latex apposé sur un acteur

pour l’enseignement de la pose de l’aiguille de Huber sur une chambre implantable.

38

Cependant, au regard de la classification énoncée, les modalités décrites ci-dessus ne

peuvent être apparentées à la description faite du patient standardisé car elles

nécessiteraient la participation d’acteurs professionnels.

La simulation en santé est utilisée pour servir divers projets pédagogiques, à l’instar de

celui porté par l’association belge sTimul. Elle propose depuis Avril 2008 aux étudiants,

futurs professionnels de santé, des sessions de deux jours et d’une nuit en immersion au

sein d’un environnement s’inspirant avec réalisme d’un centre de convalescence. Les faux

patients sont interprétés par de véritables soignants appelés simulants. Schollaert, au

travers d’un article publié dans Perspective Soignante, nous livre le fondement de ce

projet. « Le développement de la pratique réflexive a été un premier choix pédagogique

stratégique. L’acquisition d’une pensée autonome permet le développement d’un jugement

clinique et aidera les étudiants et les professionnels à mieux se positionner entre ce qui est

désirable, possible en fonction des standards de soins et le vécu singulier d’un patient. »

(Schollaert, 2013, p.108) L’objectif attendu pour l’étudiant n’est pas l’acquisition de gestes

techniques, procéduraux, mais le développement d’une pensée autonome, un jugement

clinique permettant l’adaptation de la réponse soignante à la singularité d’une situation.

Quelles que soient les modalités de la simulation en santé, il existe un dénominateur

commun : la réflexivité. Composante structurelle de la compétence, elle s’impose sous

forme de débriefing pour mieux atteindre le but recherché lors de la séance de

simulation en santé. Il peut s’agir de l’acquisition de gestes procéduraux ou le

développement de comportements individuels et collectifs appropriés.

Granry et Moll ont identifié différentes modalités de la simulation en santé et leurs visées

mais leur réflexion nous impose d’intégrer les spécificités de la formation des étudiants

infirmiers, marquée par le développement de la compétence et de la réflexivité. Il nous

semble nécessaire de nous questionner quant à l’acte de former dans le contexte

d’apprentissage des soins infirmiers afin de mieux saisir les opportunités proposées par la

simulation en santé.

39

2.1.4 Former par la simulation en santé

D’après le dictionnaire Larousse, former c’est « créer, réaliser, organiser », mais aussi

« éduquer, façonner par l’instruction ». L’aboutissement de la formation serait donc la

création d’un être, façonné par l’intervention d’un tiers attribuant la forme attendue.

Pour Allouche-Benayoun et Pariat, « former provoque chez autrui une transformation

identitaire. Former évoque une intervention profonde et globale entraînant chez le sujet un

développement dans les domaines intellectuel, physique ou moral (…) Il ne s’agit pas

seulement d’un phénomène d’acquisition, mais aussi d’une transformation de la personne,

qui met en jeu des mécanismes psychologiques plus vastes. » (Allouche-Benayoun et

Pariat, 1993, p.50)

Le risque majeur serait pour le formateur de façonner un étudiant, au regard de ses propres

attentes. Il s’agirait de provoquer une transformation, selon son désir, en déniant le statut

de sujet. La formation deviendrait alors « formatage » dans l’unique objectif de répondre

aux besoins d’une institution.

Meirieu, en référence au mythe de Pygmalion, illustre un paradoxe de la formation :

« l’éducateur veut bien « faire l’autre » mais il veut aussi que l’autre échappe à son

pouvoir pour qu’il puisse précisément y accéder librement. » (Meirieu, 1996, p.28)

Dans le cadre de la formation infirmière, le formateur se confronte à deux obstacles. Le

premier est celui du développement de la compétence. La situation doit être proche du réel

tout en échappant aux contraintes de production. Nous avons préalablement défini la

simulation en santé comme un procédé permettant d’y pallier. Le second obstacle concerne

davantage le sujet de l’apprentissage. L’enjeu pédagogique pour le formateur est de

favoriser la transformation de l’étudiant, pour qu’il devienne un professionnel compétent,

tout en garantissant le respect de sa singularité et sa construction personnelle.

Fabre nous apporte un éclairage complémentaire sur la complexité de l’acte de formation.

Le pôle « former » vient du latin « formare » qui signifie au sens fort, donner

l’être et la forme, et au sens affaibli : organiser, établir. Pierre Goguelin souligne

le sens ontologique de « former » qui apparaît bien dans le mythe de la Genèse où

Dieu pétrit l'homme à son image. Former évoque donc une action profonde sur la

personne impliquant une transformation de tout l'être. C'est aussi une action

globale qui porte à la fois sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être. (Fabre, 1994,

p.22)

40

Dans une perspective ontologique, la formation vise la transformation de l’être au risque

d’une emprise exercée par le formateur sur le formé. La conception évoquée ci-dessus

introduit d’autres dimensions. En effet, « l’action globale qui porte à la fois sur les

savoirs, savoir-faire et savoir-être » (Fabre, 1994, p.22) n’est pas sans rappeler l’approche

par compétence. Dans le cadre du nouveau programme de formation infirmière, les savoirs

ne sont pas morcelés mais intégrés par un processus réflexif permettant un double

mouvement entre la théorie et la pratique. Pour Fabre, l’acte de former regroupe différentes

logiques indissociables « ce que nous appelons formation désigne dans la tentative

d’articuler une triple logique, didactique, psychologique, socioculturelle, dans un effort

méthodologique instrumenté pour prendre en compte toutes les implications de

l’apprentissage, comme changement global de la personne, dans une attention au temps de

la formation et singulièrement aux impératifs de la situation. » (Fabre, 1994, p.73)

Les différentes logiques de l’action de formation sont figurées par ce triangle, plus

communément nommé triangle de Fabre :

Logique Sociale

(Situation socio-professionnelle)

« Apprentissage » « Education »

Logique didactique Logique psychologique

(Contenus et méthode) (Développement personnel)

« Instruction »

Le triangle de Fabre

41

Entre la logique sociale et la logique didactique, prédomine le modèle de l’apprentissage,

sous-tendu par une visée professionnelle.

Cet espace entre deux logiques est particulièrement investi par les professionnels de terrain

qui contribuent au développement des compétences de l’étudiant lors de confrontations aux

situations cliniques rencontrées en stage.

Entre la logique didactique et la logique psychologique, se situe l’instruction. La mise en

relation de l’individu avec les savoirs correspond à la didactique. Depuis la mise en œuvre

du nouveau programme de formation et l’universitarisation des études, l’enseignement des

contenus théoriques a été renforcé.

Entre la logique sociale et la logique psychologique, s’inscrit l’éducation. L’étymologie

du mot nous renvoie au terme latin educare qui signifie croître, faire grandir. L’enjeu est

de favoriser le développement du sujet vers l’intégration des attentes sociales tout en

préservant sa singularité. La logique psychologique concernerait l’attention singulière

portée à l’étudiant, à son développement personnel et à ses potentialités.

Le triangle de Fabre nous permet de mieux comprendre la contribution de la simulation en

santé à la formation de l’apprenant.

La figure géométrique n’est pas qu’une représentation figée mais elle témoigne aussi d’une

dynamique. « Une formation se construit en articulant 2 logiques, la 3ème

restant en

marge. » (Fabre, 1994, p.28) Selon les objectifs, le recours à la simulation en santé comme

moyen pédagogique devra intégrer au sein d’un processus dynamiques les trois logiques

décrites par Fabre.

Dans un contexte d’apprentissage souhaitant l’immersion de l’étudiant dans le réalisme

professionnel, la présence de la logique sociale, celle de la situation professionnelle, nous

semble indiscutable. Elle est nécessairement articulée avec une autre logique puisque la

troisième logique demeure à l’écart pour Fabre.

Au regard de la théorie de Fabre et de l’articulation des logiques, deux options sont donc

possibles pour la construction d’une ingénierie pédagogique mobilisant la simulation en

santé.

42

L’articulation de la logique sociale et de la logique didactique met l’accent sur les

contenus et les méthodes. En référence à la définition de la simulation en santé proposée

par Granry et Moll, l’objectif est « d’enseigner des procédures diagnostiques et

thérapeutiques et de répéter des processus, des concepts médicaux. » (Granry et Moll,

2012, p.7) Celui-ci s’appuie sur les théories behavioristes. En procédant par étapes dans

l’acquisition des procédures et la répétition des processus, les erreurs de l’apprenant sont

plus facilement identifiables. En revanche, les balises imposées ne favorisent pas

l’autonomie du sujet et l’adaptation aux situations complexes. Le modèle behavioriste est

fondé sur le conditionnement d’une réponse à une situation donnée. Il ne contribue pas au

développement d’un agir réfléchi favorisant l’adaptation du sujet à la singularité des

situations.

Communément, dans l’imaginaire collectif, la simulation en santé est souvent associée à

l’acquisition de gestes procéduraux dans des environnements de haute technicité mais une

autre combinaison de logiques semble possible.

L’articulation de la logique sociale et de la logique psychologique insiste davantage sur

le développement personnel du sujet. Le but recherché n’est pas l’acquisition de contenus

et de méthodes. Dans cette perspective, pour Granry et Moll, l’objectif visé concerne

davantage « des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de

professionnels.» (Granry et Moll, 2012, p.7) Cette approche est celle de l’association belge

sTimul qui valorise essentiellement le positionnement de l’étudiant, s’inscrivant dans la

complexité d’une situation de soins, « en fonction des standards de soins et le vécu

singulier d’un patient. » (Schollaert, 2013, p.108) La combinaison des logiques sociale et

psychologique s’appuie sur des perspectives socioconstructivistes, portées par le référentiel

de formation infirmière, et valorise la co-construction des compétences par la pratique

réflexive.

Collange et Mc Kenna ont souligné le risque d’un traumatisme psychologique de

l’apprenant, confronté au réalisme d’une situation simulée. (Collange et Mc Kenna, 2013,

p.178) A titre d’exemple, les erreurs techniques provoquant la mort d’un mannequin

pourraient, sur un plan pédagogique, générer des effets plus dévastateurs que constructifs

pour l’apprenant. Lors de notre pratique professionnelle, nous avons également constaté la

difficulté de concilier une double articulation de deux logiques. Dans le cadre de l’UE 4.4

du semestre 5 « Thérapeutiques et contribution au diagnostic médical », nous avions

43

élaboré un dispositif de simulation hybride visant à la fois l’intégration de gestes

techniques et le positionnement de l’apprenant en situation complexe. Ce dernier

participait à la prise en soins d’un patient, interprété par un professionnel de santé, porteur

d’un dispositif synthétique imitant un hémi-thorax et équipé d’une chambre implantable. Il

était attendu que l’étudiant puisse réaliser la pose d’une aiguille de Huber, alors que le

geste technique était en cours d’acquisition, tout en interagissant avec le patient dans la

singularité de sa situation. Les étudiants ont exprimé leurs difficultés à concilier

simultanément deux visées différentes. L’expérience de ce dispositif pédagogique nous

enseigne la nécessité d’opérer un choix stratégique entre les logiques combinées. L’idée

n’est pas de cliver l’apprentissage du soin mais de déterminer une articulation pertinente de

deux logiques au regard des objectifs visés.

La simulation en santé révèle ainsi ses potentialités pédagogiques, non limitées au

développement de gestes procéduraux dans une perspective mécaniste de l’être humain.

Parfois associée au monde des jouets, réminiscence de ses origines, la simulation en santé

n’est pas un gadget pédagogique. Elle nécessite véritablement une réflexion

épistémologique comme l’affirment Leblanc et Piquette. « La question n’est plus de savoir

si la simulation sera utilisée pour la formation et l’évaluation du personnel de santé, mais

bien de comprendre comment la simulation peut être utilisée et adoptée de manière

optimale. » (Leblanc et Piquette, 2013, p.365-375)

La simulation en santé, associée à une démarche réflexive, est fréquemment

apparentée à l’acquisition de techniques procédurales alors qu’elle pourrait, au

regard de la théorie de Fabre, être un outil contributif au développement

psychologique du sujet confronté à la complexité des situations de soins.

Il nous reste à préciser la place accordée à l’éthique en formation infirmière avant de

déterminer une possible utilisation de la simulation en santé pour son apprentissage.

44

2.2 L’éthique et son apprentissage

L’éthique s’affiche dans de multiples domaines de notre société et particulièrement dans le

champ des disciplines médicales et paramédicales. Le concept n’est pas nouveau et les

enseignements des philosophes de la Grèce Antique nous semblent plus que jamais

d’actualité. Aristote nous rappelle la conduite de l’homme prudent, questionnant le sens de

son action orientée vers des perspectives vertueuses. « Quand on agit, c’est une nécessité

constante de se guider, sur les circonstances dans lesquelles on est placé, absolument

comme on le fait dans l’art de la médecine et dans l’art de la navigation. » (1992, II, 2,

p.81) Loin d’imposer des normes ou des dogmes, la pensée d’Aristote contribue à

l’émergence des interrogations quant au bien-vivre, à la vie bonne. Certes, en contexte

médical, les perspectives envisagées n’ont pas la prétention d’hisser les individus vers le

bonheur mais elles visent à limiter l’insatisfaction induite par la contingence et à rendre

signifiant ce qui pouvait sembler insensé.

Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, la complexification des pratiques

soignantes et les mutations politico-économiques des institutions appellent à une

transformation de l’agir et nécessitent de questionner le sens des actions.

Depuis quelques années, l’éthique accroît sa visibilité au sein des institutions hospitalières.

La loi du 4 Mars 2002, relative aux droits des patients1, stipule que les établissements de

santé doivent mener « en leur sein une réflexion sur les questions éthiques posées par

l’accueil et la prise en charge médicale ». Cette obligation apparaît comme un critère de

certification dans les versions V2010 et V2014 des référentiels de la Haute Autorité de

Santé (HAS). Celle-ci a publié en 2013 un guide intitulé « l’évaluation des aspects

éthiques à la HAS2 » afin de diffuser aux établissements des recommandations

méthodologiques. Des comités d’éthique s’organisent progressivement dans les hôpitaux et

des Espaces de Réflexions Ethiques Régionaux (ERER)3 se constituent.

_______________ 1Loi n° 2002-303 du 4 Mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé. 2Guide méthodologique, L’évaluation des aspects éthiques à la HAS, HAS, Avril 2013. 3Arrêté du 4 Janvier 2012.

45

Lors de la réforme1 de la formation infirmière en 2009, la place de l’éthique dans les

études conduisant au diplôme d’Etat d’infirmier a été renforcée puisque deux unités

d’enseignement (UE), à coordination universitaire, lui sont consacrées aux semestres 1 et 4

(UE 1.3S1 et UE 1.3S4 « Législation, éthique, déontologie »). En somme, l’éthique « se

porte bien » comme l’affirme Svandra (Svandra, 2009, p.7) avec un soupçon d’ironie. En

effet, il existe un réel besoin de réflexion éthique au regard de la complexification des

prises en soins et de l’articulation de pensées dialogiques, sans occulter une possible

instrumentalisation de la démarche éthique qui serait utilisée comme une caution ou un

alibi. Le terme éthique est si fréquemment utilisé que son usage pourrait être galvaudé en

raison de multiples interprétations.

2.2.1 Une définition de l’éthique

Dans le langage courant, les termes éthique et morale se confondent parfois. Le

dictionnaire Larousse définit le premier comme une « partie de la philosophie qui étudie

les fondements de la morale » et un « ensemble de règles de conduite ». Quant à la morale,

elle est décrite par un « ensemble de règles d’action et de valeurs qui fonctionnement

comme normes dans une société. »

Etymologiquement, les deux termes ont une signification commune. L’éthique, issue du

grec ethos et la morale, héritage latin du mot mores, désignent les mœurs. La distinction

culturelle des deux civilisations, dont notamment l’empreinte du droit sur la société

romaine et l’influence de la philosophie dans le monde grec, ont donné cette variation

sémantique. Dans la Grèce Antique, le mot éthique avait plusieurs significations selon qu’il

s’écrivait en commençant par epsilon (éthos) ou éta (êthos). Pour Aristote, « la vertu

morale (êthos) naît plus particulièrement de l’habitude et des mœurs ; et c’est du mot

même de mœurs (éthos) que, par un léger changement, elle a reçu le nom de morale

qu’elle porte. » (1992, II, 1, p.77) Le terme éthique s’employait pour désigner l’habitude,

la coutume ou le caractère, orientant l’action de l’individu. « Ainsi, on devient architecte

en construisant ; on devient musicien en faisant de la musique. Tout de même, on devient

juste en pratiquant la justice ; sage, en cultivant la sagesse ; courageux en exerçant le

courage. » (1992, II, 1, p.78)

_______________ 1Arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

46

A l’instar de la loi qui définit ce qui est interdit, l’usage contemporain de la morale renvoie

aux notions de bien et de mal et uniquement à ces deux jugements antonymiques. En effet,

« la morale ne commence qu’avec la polarité du Bien et du Mal ; c'est-à-dire qu’elle exige

deux principes et pas plus de deux. » (Jankélévitch, 1960, p.116) Elle porte en elle les

interdits et les aspects réprobateurs venant contredire la liberté du sujet. Comme le

souligne Svandra, il est vrai que l’appellation « comité de morale » (Svandra, 2009, p.5)

pour désigner les comités d’éthique hospitaliers, aurait été difficilement acceptée en raison

de son caractère réactionnaire, et des craintes légitimes quant aux dérives inquisitrices.

Néanmoins, l’éthique et la morale ne peuvent s’envisager de manière dissociée puisque

celle-ci apparaît comme des jalons à la justesse de l’action comme nous le précise Ricœur.

« C’est donc par convention que je réserverai le terme d’éthique pour la visée d’une vie

accomplie et celui de morale pour l’articulation de cette visée dans des normes. » (Ricœur,

1990, p. 200)

L’éthique ne constitue pas un supplément d’âme pour des êtres moraux. Elle inclut, dans

une volonté de vie accomplie, héritière de la philosophie aristotélicienne, les autres et soi-

même au sein des institutions où elle se déploie. Pour Ricœur, l’éthique se définit comme

« la visée de la vie bonne avec et pour les autres, dans des institutions justes.» (Ricœur,

1990, p.202)

47

2.2.2 D’une éthique normative à une éthique pratique

Le procès des médecins de Nuremberg a établi les fondements normatifs de

l’expérimentation médicale (Halioua, 2007). Le code élaboré en 1947 a connu plusieurs

prolongements lors des assemblées médicales mondiales d’Helsinki, en 1964, et de Tokyo,

en 1975.

Les Etats-Unis ont jugé les atrocités nazies commises en Europe mais ils ont été également

marqués par la révélation de scandales en matière d’expérimentation médicale, à une

époque où le progrès scientifique était en plein développement.

Jacquemin nous rappelle, au sujet de la bioéthique, que « ce sont quelques scandales qui

vont introduire l’idée qu’il devient urgent de se poser des questions et de, paradoxalement,

protéger l’humain face à certains risques issus du développement médical. » (Jacquemin,

2004, p.9). Nous citerons ici l’affaire de Tuskegee, pour laquelle une étude comparative

réalisée pendant quatre décennies à l’insu d’une population afro-américaine visait à

comprendre le développement de la syphilis, ou encore celles de Brooklyn et de

Willowbrook. Dans ces deux dernières affaires, les expérimentations étaient réalisées

respectivement, de manière non consentie, sur des vieillards et des enfants handicapés

mentaux.

Une prise de conscience de la communauté scientifique américaine a précédé un ensemble

de réflexions et de travaux menés par une commission entre 1974 et 1979 dont les

conclusions ont été formalisées dans un document intitulé le rapport Belmont. Celui-ci fut

commué en loi au sujet des expérimentations médicales sur l’être humain.

En 1979, Beauchamp et Childress ont formalisé, au travers d’un livre intitulé Les principes

de l’éthique biomédicale (1979 / 2008), quatre principes éthiques permettant d’orienter les

prises de décision : non-malfaisance, bienfaisance, autonomie, justice.

Ces principes éthiques ont permis de comprendre les dilemmes rencontrés mais ils ont

démontré certaines limites car ils cristallisent parfois des situations aporiques. Par

exemple, la bienveillance du soignant exprimée dans l’offre de soin se confronte au refus

d’un patient affirmant son autonomie. De même, la bienveillance du travailleur social

souhaitant accompagner un jeune homme sans domicile fixe vers un centre d’hébergement

peut être contrariée par une volonté différente de ce dernier.

48

Pour Ladrière, l’être humain se caractérise par trois dimensions : son corps (la corporéité),

le temps (la temporalité) et autrui (l’altérité). Le développement des technosciences, et les

problématiques qui en résultent, impactent ces dimensions et génèrent une « déstabilisation

éthique. » (Ladrière, 1997, p.67-89) A titre d’exemple, nous évoquerons les progrès de la

chirurgie en matière de greffe (le rapport au corps), les possibilités parfois irraisonnables

de maintenir en vie par la réanimation (le rapport au temps) ou la gestation pour autrui (le

rapport à l’altérité). Ladrière propose ainsi d’intégrer la réflexion éthique en référence aux

multiples dimensions de l’individu. Dans la singularité de l’existence, l’incertitude vécue

par un patient dans un contexte de soins palliatifs et les questionnements sous-tendus

témoignent aussi de l’atteinte portée à l’être humain dans sa complexité (Zimowski, 2014b,

p.49-54).

L’éthique, dans sa déclinaison pratique, tente de concilier les normes et la singularité des

situations rencontrées. « L’éthique pratique (souvent appelée éthique appliquée) tente

d’appliquer des normes et des théories générales à des problèmes et à des contextes

particuliers. » (Beauchamp et Childress, 1979 / 2008, p.14)

Les approches normatives ne garantissent pas la meilleure décision, ou du moins la moins

mauvaise, lors de leur application stricto-sensu dans des situations singulières, et cela

quelle que soit l’orientation philosophique attribuée à l’action. La théorie morale justifie

cette orientation donnée au travers de sa subdivision en trois domaines.

La théorie morale peut être subdivisée en trois branches qui correspondent à

autant de théories ou de méthodes fondamentales : le conséquentialisme, qui

soutient qu’est moral ce qui promeut le bien, celui-ci étant, bien entendu, défini au

préalable ; le déontologisme, qui affirme qu’est morale une action accomplie en

honorant des principes absolus s’appliquant quelles que soient les conséquences ;

l’éthique des vertus, qui défend pour sa part l’idée selon laquelle ce qui compte

avant tout, c’est le perfectionnement de l’être humain en tant qu’agent moral

vertueux. (Billier, 2010, p.10)

En référence à l’éthique normative, l’individu peut donc agir par devoir, ou en orientant

son action vers ce qui lui semble bien, ou encore dans une volonté de perfectionnement

vertueux, sans pour autant intégrer la singularité des situations rencontrées. Cela éclaire

notre questionnement quant à l’usage de la simulation en santé pour un apprentissage de

l’éthique.

49

Le respect du principe « jamais sur le patient la première fois1 » permettant de légitimer le

recours à la simulation en santé, s’apparente au déontologisme. En ce sens, il s’agit d’un

devoir pour le professionnel de santé, de pratiquer un acte soignant en conditions simulées

avant de le réaliser sur un patient, indépendamment des circonstances.

Pour Collange et Mc Kenna, « la simulation peut être considérée comme éthique dans le

sens où elle est jugée utile, bénéfique et efficiente du point de vue de l’apprenant (elle

permet un meilleur apprentissage) comme de celui de la société (elle minimise les risques

de façon économiquement rentable). » (Collange et Mc Kenna, 2013, p.177) D’après eux,

l’éthique de la simulation en santé s’envisage dans une perspective conséquentialiste,

notamment dans une minimisation des risques, économiquement rentable pour la société.

Par le prisme déontologique, ils ajoutent que la simulation en santé nécessite la

formalisation de règles de conduite ou l’élaboration d’un code éthique pour les formateurs

(Collange et Mc Kenna, 2013, p.178) afin de préserver l’apprenant de la toute maîtrise de

l’opérateur. En effet, la mort du mannequin déclenchée par le formateur, suite à des erreurs

techniques, produirait un résultat pédagogique plus dévastateur que constructif. Cette

conception de l’éthique de la simulation en santé, empreinte de non malveillance pour

l’apprenant, n’est pas sans rappeler le code de Nuremberg et les principes éthiques

instaurés à l’issue d’expérimentations non maîtrisées. Une posture pédagogique non

malveillante, erudere sine nocere2, paraît indissociable de la visée d’un agir éthique chez le

sujet.

Quant à la philosophie aristotélicienne, elle se caractérise par le perfectionnement vertueux

de l’individu, et elle questionne la valeur morale de celui qui agit dans une perspective

d’optimisation de sa pratique empreinte de prudence.

Plus largement, la valeur morale n’est ici liée ni à l’intention (comme dans les

morales déontologiques), ni au respect de la procédure (comme dans les éthiques

procédurales), ni à l’évaluation des conséquences de l’action (comme dans les

éthiques conséquentialistes), mais est conditionnée par la valeur inhérente de

l’individu qui agit. Pratiquer l’éthique aretaïque en matière de soin, c’est appuyer

ses décisions non seulement sur la compétence, la conscience et l’empathie mais

aussi sur la prudence comme forme de sagesse pratique (phronesis) qui, seule,

pourra nous faire choisir la meilleure (ou la moins mauvaise) option possible.

(Svandra, 2005, p.105)

_______________ 1Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15. 2Instruire sans nuire.

50

Cependant, l’éthique aretaïque ne peut aussi garantir les meilleurs choix au regard de la

complexité des situations rencontrées. De plus, la mise en recherche du sujet ne peut

s’envisager isolément. Elle questionne, au sens de Ricœur, les liens avec autrui et

l’institution (Ricoeur, 1990, p.202). Pour cette raison, de nombreux comités d’éthique

d’établissements hospitaliers développent une approche herméneutique visant à donner

sens, de manière collective, aux situations cliniques suscitant un dilemme. Il ne s’agit pas

d’un héritage de la casuistique, proposant une réponse par analogie à un cas concret

précédemment rencontré. Chaque situation est abordée dans sa singularité et a posteriori

afin de mieux comprendre les enjeux inhérents au contexte. La réflexion s’inscrit dans

l’éthique de la discussion propre à Habermas. Chacun parle librement mais la parole

impose la responsabilité de celui qui la prononce. L’activité argumentative devient

normative puisqu’elle est soumise à des règles, comme le décrit Rameix. « La légitimité du

comité et des avis qu’ils émettent repose sur un postulat de type habermassien, à savoir

qu’une argumentation, entre individus rationnels, dans des conditions de libertés,

d’indépendance et de pluralisme, animés du souci de déterminer la décision la meilleure

possible à prendre, permet de faire émerger une norme moralement bonne. » (Rameix,

1996, p.78)

Tout comme lors du débriefing mené à l’issue d’une séance de simulation en santé, les

perspectives envisagées, de façon collégiale, ne peuvent se réduire à la somme des

propositions de chacun. Elles nécessitent un processus délibératif collectif annonçant le

tournant pragmatiste de l’éthique. Ce dernier tente de pallier les limites des approches

normatives et de l’éthique appliquée, souvent centrée sur le contenu des situations

analysées, par le renforcement de l’implication des acteurs et la potentialisation de leur

pouvoir d’agir dans une visée transformative des pratiques.

51

2.2.3 Le tournant pragmatiste de l’éthique

Les mutations de l’organisation hospitalière, l’évolution des attentes des usagers et les

progrès technoscientifiques sont, comme nous les avons précédemment évoqués,

contributifs à une complexification des pratiques soignantes. L’émergence des comités

d’éthique, renforcée par l’injonction1 faite aux institutions hospitalières de les constituer,

puise probablement ses origines dans une « déstabilisation éthique » (Ladrière, 1997, p.67-

89) ressentie au sein même des environnements soignants. La critique que nous oserions

formuler, à l’égard des comités d’éthique, est qu’ils ont au mieux tenté de contribuer à une

quête de sens par la démarche instaurée. Dans une perspective utilitariste, les comités

d’éthique ont parfois représenté un enjeu de communication, une vitrine permettant de

cautionner la mise en œuvre d’une réflexion éthique imposée. Les insuffisances révélées

attestent d’une nécessité de considérer l’éthique de manière plus intégrée aux pratiques des

acteurs et aux modalités de fonctionnement des institutions.

Dans un livre intitulé La transformation de l’éthique, Maesschalck souligne « la crise de

l’universalisme moral. » (Maesschalck, 2010, p.24) Les principes, les valeurs et les normes

ne garantissent plus un agir adéquat pour répondre aux nouveaux enjeux d’un monde en

mouvement. Le vide engendré par l’insuffisance des balises axiologiques et normatives

justifie la fondation d’une nouvelle approche de l’éthique. « Rétrospectivement, on peut

affirmer aujourd’hui que l’éthique des deux dernières décennies du XXème

siècle a été le

terrain de prédilection de cette dialectique : en quête d’un autodépassement de

l’universalisme moderne (et surtout kantien), elle a résisté à des solutions qu’elle

anticipait sans lendemain parce que sans véritable pouvoir de refondation. »

(Maesschalck, 2010, p.24) Pour les acteurs, l’enjeu est moins la recherche de solutions que

de pouvoir « reconstruire le sens d’un monde commun. » (Maesschalck, 2010, p.25)

La démarche éthique s’inscrit désormais dans une perspective contextuelle, pragmatiste et

réflexive (Boitte et Cobbaut, 2012/3, p.15-31). L’approche contextuelle est primordiale

pour identifier les spécificités du déroulement de l’action, au regard des interactions entre

les acteurs et l’environnement. Les éléments contextuels permettent d’éclairer la situation

en évitant l’arbitraire des principes et des normes.

_______________ 1cf le guide méthodologique, L’évaluation des aspects éthiques à la HAS, HAS, Avril 2013.

52

La réflexivité apparaît comme l’opportunité d’une réflexion portée sur l’action, d’une mise

en recherche. Au cours de notre questionnement, nous avons mis en évidence l’importance

de la réflexivité dans les dispositifs de simulation en santé. Elle constitue un élément

incontournable de la construction des compétences et elle est indispensable à un agir

éthique.

Enfin, l’approche se veut pragmatiste car il est nécessaire de porter une attention

particulière au récit des acteurs (comme dans les éthiques narratives) mais surtout aux

conditions de production de solutions par les acteurs face aux problèmes rencontrés.

Ainsi caractérisée, la démarche éthique peut être décrite comme un processus

d’apprentissage réflexif, consistant à mettre en place des lieux d’expérimentation

nécessaires pour apprendre l’élaboration d’une certaine forme d’intelligence et

d’action collectives en vue de bâtir les modes de soins et de vie en commun les plus

adaptés. Cet apprentissage s’ancre dans les problèmes ou les discontinuités vécues

dans les pratiques, qui suscitent une mobilisation et un engagement des acteurs

dans des processus de réflexion à propos de ces pratiques. Ce processus de

réflexion s’organise et se transforme en vue d’apprendre à caractériser et à

résoudre les problèmes. (Boitte et Cobbaut, 2012/3, p.21)

Au travers d’un article publié en 2012 dans le numéro 68 de la revue Ethica Clinica,

Aiguier, Boitte et Cobbaut ont souligné l’émergence du professionnel réflexif, apparaissant

comme une finalité des référentiels de formation des professions de santé. Celui-ci n’est

plus reconnu uniquement pour ses savoirs. La priorité est accordée à l’articulation des

compétences et à leur évolution continue ainsi qu’à l’évaluation des finalités de l’action

pour mieux répondre aux attentes des usagers. La démarche se veut coopérative pour

optimiser la prise en charge globale du patient dans la complexité systémique des

institutions. « Il s’agit plutôt de viser le développement, par les acteurs des pratiques,

d’une capacitation éthique qui leur permette de s’engager collectivement dans une

redéfinition de leur agir professionnel et dans la production en contexte des compétences

adaptées aux situations problématiques auxquelles ils ont à faire face. » (Aiguier et al.,

2012, p.17)

L’éthique relève ici d’une ressource intrinsèque que les sujets doivent développer pour agir

avec compétences et son apprentissage nécessite l’instauration de pratiques pédagogiques

innovantes.

53

La formation à l’éthique ne se contente plus de savoirs figés, d’un abord transmissif.

L’enjeu est « plutôt de privilégier une logique d’apprentissage centrée sur l’apprenant et

sur son interaction avec l’environnement. » (Aiguier et al., 2012, p.18) D’emblée, la limite

d’un apprentissage de l’éthique se dessine par la capacité de transfert des acteurs en

contexte authentique que nul ne peut présupposer. « L’enjeu ne semble ainsi pas de former

des praticiens à mobiliser des compétences préconstruites et référentialisées, mais bien de

les former à construire collectivement des compétences en contexte, après un examen de la

situation problématique et de son contexte d’émergence. » (Aiguier et al., 2012, p. 18-19)

Ce tournant pragmatiste s’inspire directement de la pensée de Dewey et de sa définition de

l’enquête, conçue comme un processus délibératif et orientée vers la construction d’un

monde commun par les acteurs1.

Il nous reste à déterminer en quoi l’ingénierie pédagogique de la formation infirmière

est propice à un apprentissage de l’éthique. Cela nous permettra d’identifier des

leviers d’action pour favoriser le développement d’un agir éthique de l’apprenant à

partir de l’usage de la simulation en santé.

_______________ 1cf le dispositif pédagogique de David Doat, intitulé « approche philosophique des bases (naturelles,

anthropologiques) de la démarche éthique comme enquête contextuelle et pragmatiste », réalisé dans le cadre de l’UE 4 « approches fondamentales de l’éthique de la santé», Master 2 « Actions et activités de la santé et

du social », parcours « Ethique, santé et institution », Université Catholique de Lille, Avril 2015.

54

2.2.4 Une ingénierie pédagogique pour un apprentissage de l’éthique

L’éthique s’invite comme l’opportunité d’une émancipation intellectuelle, individuelle et

collective, face aux limites de l’universalisme moral. Elle offre la perspective d’une vie

bonne dans la singularité des situations vécues par les sujets. De fait, il n’existe aucune

solution pré-établie. Les questionnements ne portent pas sur le « Comment ? » ou le

« Pourquoi ? » mais plutôt le « Pour…Quoi ? » afin de tenter de cerner le sens de l’action

envisagée.

Or, il n’est pas possible d’enseigner l’éthique. « On peut parler à propos de l’éthique ou

sur l’éthique, mais il est impossible d’enseigner l’éthique. » (Rameix, 1996, p.11) En effet,

l’éthique n’a pas pour objectif de fournir aux étudiants des réponses standardisées à des cas

concrets types. Cette démarche permettrait au mieux l’émergence de préceptes moraux

occultant la complexité de la situation et la prise en soins du patient selon un modèle

holistique. Il semble préférable de susciter, auprès des étudiants infirmiers, une aptitude à

la réflexion éthique et de l’envisager comme une compétence transversale permettant

l’adoption d’une posture appropriée.

Lors de la réingénierie de la formation infirmière en 2009, le modèle pédagogique s’est

structuré dans une approche socioconstructiviste valorisant l’étude de situations par les

apprenants.

Trois paliers d’apprentissage ont été définis : « comprendre, agir, transférer1. » Les unités

d’enseignement (UE) relatives à l’éthique n’ont pas échappé à cette logique. Nous

présenterons ici leurs orientations pédagogiques afin de mettre en évidence les

opportunités de développement d’une posture éthique chez l’étudiant.

Pour chaque unité d’enseignement (UE), les préconisations pédagogiques sont définies

dans le référentiel de formation1.

_______________ 1Annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

55

1ère

année : « Comprendre »

L’unité d’enseignement (UE) 1.3S1 « Législation, éthique et déontologie » est orientée

vers l’appropriation des connaissances nécessaires à la réflexion éthique tout en permettant

à l’étudiant d’amorcer une réflexion sur son propre système de valeurs.

2ème

année : « Agir »

L’unité d’enseignement (UE) 1.3S4 « Législation, éthique et déontologie » permet la

mobilisation des connaissances au travers de réflexions collectives. L’agir se traduit par la

mise en œuvre de la démarche éthique au regard de l’analyse de situations cliniques

proposées.

3ème

année : « Transférer »

Le renforcement de la posture éthique chez l’apprenant se poursuit au travers d’unités

d’enseignement (UE) abordées en 3ème

année, notamment celles relatives à la cancérologie

et aux soins palliatifs. Il n’existe pas d’unité d’enseignement (UE) spécifique à la

législation, à l’éthique et à la déontologie en 3ème

année. L’approche pédagogique de

l’éthique est transversale.

56

1ère

année : « Comprendre »

Le tableau ci-dessous, extrait de l’annexe V de l’arrêté du 31 Juillet 2009, met en évidence

les préconisations pédagogiques de l’unité d’enseignement (UE) 1.3S1.

Unité d’enseignement 1.3 S1 : Législation, éthique, déontologie

Semestre : 1 Compétence : 7

CM : 20 heures TD : 20 heures TP : 10 heures

ECTS : 2

Pré-requis : Aucun

Objectifs

Caractériser les conceptions philosophiques de l’être humain et les courants de pensée correspondant,

Comparer les conceptions philosophiques de l’être humain à l’œuvre dans des questions sociales

contemporaines, Distinguer les notions de droit, morale, éthique,

Identifier les valeurs de la profession d’infirmière, intégrer les éléments des règles professionnelles et

expliciter le lien avec la pratique,

Expliciter la notion de responsabilité professionnelle, Citer les droits fondamentaux des patients et l’implication de ces droits dans la pratique

professionnelle.

Eléments de contenu

Les concepts en philosophie et éthique : - homme, liberté, humanité, altérité, dignité, vulnérabilité, identité sociale, reconnaissance…

- éthique, morale, déontologie, responsabilité, altérité, dilemme, conflit, consensus, …

- respect, intégrité, engagement, parole donnée, impuissance, …

- normes, valeurs,… L’exercice professionnel et la responsabilité (code de la santé publique, textes non codifiés…).

Les droits de l’homme, notamment ceux de l’enfant, de la personne âgée, de la personne vivant un

handicap (chartes, textes internationaux et nationaux…). Les droits des patients, notamment en santé mentale et en psychiatrie, obligation de soins,

hospitalisation et soins sans consentement, restriction des libertés, régime de protection des personnes

présentant des incapacités (mineurs, majeurs sous tutelle…).

La confidentialité et le secret professionnel (accès des documents, transmission d’information, réponse à des tiers…).

Recommandations pédagogiques :

Cette unité vise à donner à l’étudiant des bases solides et les moyens

de les approfondir dans les domaines des valeurs et des droits humains. L’étudiant doit à la fois s’interroger sur son propre système

de valeurs et être en capacité de reconnaître celui des autres en

fonction des références utilisées. Il doit apprendre à distinguer ce qui

relève du droit, de la déontologie, de la morale et de l’éthique, et de situer ses actions en les inscrivant dans un contexte de société

porteuse de valeurs humanistes. Il doit comprendre l’importance des

références et du sens dans son action et la nécessité du recul et de la réflexion, notamment exprimée en équipe, afin de mieux agir. Dans

le souci de mettre les étudiants dans une démarche de

questionnement, la formation alternera entre des apports de connaissances, des travaux de recherche et d’étude documentaires, et

des modalités interactives avec les étudiants.

Modalités d’évaluation

Evaluation écrite

Critères d’évaluation

Exactitude des connaissances,

Justesse dans l’utilisation des

notions.

57

L’unité d’enseignement (UE) 1.3 S1 est débutée dès l’entrée en formation des étudiants.

Ces derniers abordent un cursus de trois années par quelques semaines de cours avant de

réaliser un premier stage de cinq semaines dans l’une des catégories suivantes : court

séjour (médecine, chirurgie…), long séjour, psychiatrie et santé mentale, lieux de vie.

Les préconisations pédagogiques visent à donner « des bases solides » à l’étudiant mais le

temps imparti pour l’enseignement est limité puisque la réalisation de l’unité

d’enseignement (UE) 1.3S1 est déclinée en vingt heures de cours magistraux et vingt

heures de travaux dirigés.

La conception de l’unité d’enseignement (UE) 1.3S1 est envisagée selon trois aspects :

une réflexion individuelle et collective sur les valeurs, visant à permettre aux

étudiants d’identifier les valeurs individuelles, collectives et professionnelles

une appropriation des conceptions philosophiques inhérentes à la prise en soins de

l’être humain

un apprentissage des règles juridiques relatives à l’exercice de la profession

infirmière. Il est indispensable que les étudiants puissent appréhender des notions

de droit, notamment celles en lien avec la responsabilité, la confidentialité et le

secret professionnel avant de débuter leur premier stage.

L’unité d’enseignement (UE) 1.3S1 relève du domaine 1, cela signifie qu’il s’agit d’une

unité d’enseignement (UE) à coordination universitaire dont les contenus théoriques sont

réalisés par des enseignants universitaires, ou labellisés par l’université, et ayant une

qualification de niveau I. Les cadres de santé formateurs des Instituts de Formation en

Soins Infirmiers (IFSI) sont chargés de la coordination pédagogique et de la mobilisation

des contenus théoriques.

58

2ème

année : « Agir »

Le tableau ci-dessous met en évidence les préconisations pédagogiques de l’unité

d’enseignement (UE) 1.3S4, définies dans le référentiel de formation infirmière1.

Unité d’enseignement 1.3 S4 : Législation, éthique, déontologie

Semestre : 4 Compétence : 7

CM : 30 heures TD : 20 heures TP : 25 heures

ECTS : 3

Pré-requis : UE 1.3.S1

Objectifs

Appliquer les principes éthiques dans des situations de soins posant un dilemme,

Utiliser un raisonnement et une démarche de questionnement éthique dans le contexte professionnel, Evaluer les conséquences de la notion de responsabilité professionnelle.

Eléments de contenu

Les principes fondamentaux du droit public et privé en France (juridictions, service public…),

La responsabilité (civile, pénale, administrative, professionnelle),

Les approches théoriques et les processus décisionnels permettant l’étude de situations éthiques, La démarche d’analyse d’une question éthique en équipe pluriprofessionnelle.

Recommandations pédagogiques :

Les étudiants sont placés progressivement devant des situations qui leur

demandent de mobiliser leurs connaissances en droit des personnes et des patients, d’utiliser les règles de la déontologie et de mener une

démarche d’analyse et de positionnement éthique.

Les étudiants doivent intégrer l’importance d’une réflexion en équipe dans l’analyse et le choix d’actions en adéquation avec les principes

éthiques. Ils doivent être capables de porter et d’argumenter les

questions qu’ils perçoivent comme éthiques devant un groupe.

Les formateurs utiliseront des situations de soins actualisées et travaillées en lien avec les professionnels concernés.

Modalités d’évaluation

Travail écrit d'analyse d'une

situation de soins posant un questionnement éthique,

réalisé en groupe restreint.

Critères d’évaluation

Pertinence de l’analyse et du

questionnement,

Utilisation des concepts et des connaissances.

En 2ème

année, l’unité d’enseignement (UE) 1.3S4 s’inscrit dans la continuité de l’unité

d’enseignement (UE) 1.3S1 réalisée en 1ère

année. Des contenus théoriques de 1ère

année

sont remobilisés afin d’approfondir les connaissances des étudiants infirmiers au regard de

notions juridiques. Les étudiants bénéficient de plusieurs mois d’expériences cliniques

permettant de donner sens aux concepts abordés et d’appréhender la démarche éthique.

_______________ 1Annexe V de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

59

La responsabilité n’est plus perçue uniquement dans ses aspects juridiques mais aussi dans

une responsabilité morale pour autrui. La prise de recul est propice à la découverte de la

théorie morale (déontologisme, conséquentialisme, arétäisme…) bien qu’il s’agisse d’une

brève introduction au regard des objectifs de l’unité d’enseignement (UE).

La réalisation de l’unité d’enseignement (UE) 1.3S4 s’envisage essentiellement par une

confrontation des étudiants à des situations suscitant un dilemme éthique. Cette stratégie

pédagogique permet de « faire » de l’éthique tout en intégrant les modalités de

fonctionnement des instances hospitalières, à l’instar des comités d’éthique. L’approche est

systémique, pour une meilleure compréhension des environnements sanitaires et médico-

sociaux, tant aux niveaux microscopique que macroscopique, afin de mieux saisir les

enjeux d’une éthique appliquée au sein des situations de soins. L’analyse d’une situation

clinique a posteriori facilite la compréhension du contexte.

L’objectif principal est que les étudiants puissent inscrire leurs actions dans une démarche

éthique, en ayant à l’esprit que l’essentiel n’est pas la solution mais la mise en recherche.

Une éthique de la discussion, en référence à Habermas, permet aux apprenants de mieux

saisir l’importance de la parole, devenant ici la norme. La parole engage une responsabilité

pour autrui et permet collectivement de dégager le sens de la situation analysée.

Le tournant pragmatiste de l’éthique s’invite aussi en formation infirmière puisque l’enjeu

pédagogique n’est pas d’inculquer des connaissances relatives à l’éthique. Il s’agit de

permettre aux apprenants de mobiliser leurs connaissances dans une approche réflexive et

contextualisée pour co-construire des perspectives au regard des dilemmes rencontrés. A ce

titre, le référentiel de formation préconise aux formateurs de mobiliser « des situations de

soins actualisées et travaillées avec les professionnels concernés1. »

Le cadre de santé formateur n’apparaît pas comme l’expert. Il contribue, avec d’autres

professionnels, au développement d’une compétence en éthique de l’apprenant. Leur rôle

est d’accompagner la réflexion des étudiants et de garantir le respect de la démarche lors

de l’analyse de situations.

L’atteinte des objectifs pédagogiques de l’unité d’enseignement (UE) 1.3S4 est évaluée à

travers l’analyse de situations cliniques réalisées en groupe restreint.

_______________ 1Annexe V de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

60

3ème

année : « Transférer »

En 3ème

année, il n’existe pas d’unité d’enseignement (UE) spécifique, à l’instar de la 1ère

ou de la 2ème

année, mais d’autres unités d’enseignement (UE) permettent de poursuivre de

manière transversale le développement d’une posture éthique. En 3ème

année, celle-ci

apparaît comme une onzième compétence, transversale aux dix autres définies dans le

référentiel de formation.

Les unités d’enseignement (UE) 4.7S5 « Soins palliatifs et fin de vie » et 2.9S5

« Processus tumoraux » sont propices à la réflexion éthique, ainsi que l’unité

d’enseignement (UE) 2.6S5 « Processus psychopathologiques» puisque les situations

cliniques abordées dans ces disciplines (soins palliatifs, oncologie, psychiatrie...) révèlent

des dilemmes éthiques.

En formation infirmière, le développement d’une posture éthique chez l’apprenant, au

travers de trois paliers d’apprentissage1 (« comprendre, agir, transférer »), peut se résumer

de la façon présentée par Longneaux dans l’éditorial du numéro 68 de la revue Ethica

Clinica.

Que vise-t-on quand on enseigne l’éthique à des étudiants ou à des professionnels ?

S’agit-il de transmettre des savoirs (les chartes internationales, les différentes

approches philosophiques, les lois du pays, soit tout ce qui se retrouve dans

l’abondante littérature sur le sujet) ? Cherche-t-on à initier des savoir-faire, c’est-

à-dire à une démarche, à des grilles d’analyse ou de résolution de problèmes ? Ou

bien, plus fondamentalement encore, vise-t-on un savoir-être, une posture intègre,

une « sensibilité » à l’autre, le souci d’être juste ? Connaître l’éthique, faire de

l’éthique ou être éthique : comme on peut s’y attendre, il semble bien que ce soit la

troisième option qui soit privilégiée. Car sans ce réel souci pour être éthique, les

savoirs ne sont plus que des théories stériles et les savoir-faire des coquilles vides,

des techniques pour se donner bonne conscience ou pour sauver les apparences.

(Longneaux, 2012, p.2)

La limite d’un apprentissage de l’éthique en formation infirmière se caractérise par

une impossibilité d’évaluer la transférabilité de la démarche en situation réelle. En

effet, les trois paliers d’apprentissage1 sont visés de manière théorique. La

confrontation des étudiants à des cas concrets, bien qu’elle soit ancrée dans les

pratiques, ne garantit aucunement la mise en œuvre de la démarche éthique au sein

de l’exercice professionnel et le développement des compétences ad hoc.

_______________ 1Annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

61

Notre analyse de l’ingénierie pédagogique nous laisse entrevoir des espaces creux que

la simulation en santé pourrait investir. En effet, les stratégies pédagogiques des

unités d’enseignement (UE) relatives à l’éthique favorisent les analyses réflexives et

collectives mais elles ne permettent pas l’évaluation d’une compétence éthique en

situation réelle. Dans cette perspective, la simulation en santé pourrait constituer un

lieu intermédiaire entre la situation théorique et la situation réelle, ainsi qu’un outil

dont les modalités d’utilisation restent à définir, propices au développement d’un agir

éthique de l’apprenant.

62

3. La problématisation

63

3.1 La problématique

A ce stade de notre recherche, plusieurs points saillants ont été mis en évidence.

Face à la complexification des pratiques soignantes, il n’est plus attendu des

professionnels de santé une application de savoirs stricto sensu. L’agir soignant

s’évalue désormais au travers des compétences déployées.

L’actuel programme de formation infirmière a pour finalité « d’amener l’étudiant à

devenir un praticien autonome, responsable et réflexif1 » soit un professionnel

compétent.

Au sein du programme de formation infirmière, la simulation en santé apparaît

comme une innovation pédagogique permettant de développer les compétences et

la réflexivité des futurs professionnels tout en palliant les difficultés d’un

apprentissage en contexte authentique. En Septembre 2014, un texte de loi

2 a

renforcé son utilisation dans le cadre de la formation infirmière.

La simulation en santé se décline sous différentes modalités. Elle vise à atteindre

des objectifs pédagogiques cognitifs, psychomoteurs et affectifs. Au regard de la

théorie de Fabre, la simulation en santé s’inscrit dans différentes logiques de

formation permettant, en référence à notre observation menée au Canada, de

développer des attitudes et des habiletés.

La simulation en santé permet d’éviter que l’apprentissage des soins soit réalisé

directement auprès d’un patient. Cette spécificité de l’apprentissage est justifiée

comme une règle, un principe éthique : « jamais sur le patient la première fois3.»

Dans la littérature scientifique, l’éthique est régulièrement associée à la simulation

en santé mais dans une conception minimaliste, empreinte de déontologisme.

L’enjeu est essentiellement de ne pas nuire, au patient prioritairement, mais aussi à

l’apprenant en évitant tout traumatisme psychologique induit par une séance de

simulation en santé.

_______________ 1Annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier. 2Arrêté du 26 Septembre 2014 modifiant l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au DE d’infirmier, Art 5. 3Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15.

64

L’usage de la simulation en santé puise sa légitimité dans les différents domaines

de la théorie morale (déontologisme, conséquentialisme, arétäisme).

L’ingénierie pédagogique de la formation infirmière est propice à un apprentissage

de l’éthique.

La simulation en santé permettrait de dépasser la limite d’un apprentissage de

l’éthique circonscrit par la capacité de transfert des acteurs en contexte authentique

que nul ne peut présupposer.

Il existe une volonté politique1 d’optimiser l’apprentissage en stage des étudiants

par le développement de la simulation en santé. Cela encourage le renforcement

d’une collaboration, préconisée dans le référentiel2

de formation, entre les Instituts

de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) et les établissements de santé.

La réflexivité constitue le fil d’Ariane d’un apprentissage de l’éthique en formation

infirmière par la simulation en santé. En effet, la réflexivité est un élément

indissociable de la compétence qu’elle signe, de l’éthique perçue comme un

processus collectif de délibération, et enfin de la simulation en santé dont elle

constitue le débriefing.

La simulation en santé nous apparaît comme un outil pédagogique non utilisé dans ses

pleines potentialités puisqu’il pourrait être contributif d’un apprentissage visant le

développement d’un agir éthique de l’apprenant, au sein d’un lieu intermédiaire entre la

situation théorique et la situation réelle. Cela nécessite de repenser collectivement la

stratégie pédagogique relative à l’apprentissage de l’éthique et à la mise en œuvre de la

simulation en santé au sein des institutions.

Notre problématique est la suivante :

Dans quelle mesure les acteurs de la formation infirmière pourraient-ils, au sein des

institutions, mobiliser la simulation en santé pour contribuer au développement d’un

agir éthique de l’apprenant ?

_______________ 1Instruction DGOS/RH1/2014/XXX du 24 Décembre 2014 relative au stage en formation infirmière. 2Annexe III de l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

65

3.2 L’hypothèse fondamentale

Notre réflexion laisse entrevoir des opportunités pour le développement d’un agir éthique

de l’apprenant, prenant appui sur la simulation en santé. En effet, le débriefing réalisé, à

l’issue de toute séance de simulation en santé, pourrait constituer un espace collectif et

réflexif propice à un apprentissage de l’éthique d’inspiration pragmatiste.

La suite de notre recherche s’appuiera sur un postulat, reconnaissant le caractère

intrinsèquement éthique du processus de délibération collective. De fait, l’éthicité d’une

situation ne se caractériserait pas à l’aune de l’objet analysé mais elle se traduirait par la

qualité du processus de délibération mis en œuvre par les acteurs. Plus précisément, le

débriefing de la séance de simulation en santé permettrait, outre l’acquisition de gestes

techniques, d’habiletés communicationnelles ou de postures conformes aux devoirs

professionnels, l’émergence de questionnements pour lesquels l’enquête mise en œuvre

traduirait la visée éthique. L’enquête, est définie ici au sens de Dewey comme « la

transformation contrôlée ou dirigée d’une situation indéterminée en une situation qui est si

déterminée en ses distinctions et relations constitutives qu’elle convertit les éléments de la

situation originelle en un tout unifié. » (Fabre et Vellas, 2006, p.108)

Ce n’est donc pas la spécificité du scénario d’une séance de simulation en santé qui

servirait l’apprentissage de l’éthique mais la réflexion collective engagée et le pouvoir

d’agir des acteurs au regard de l’expérience vécue. Cette perspective énoncée présente

l’avantage de ne pas circonscrire l’éthique à un ensemble de situations définies (le refus de

soins, la fin de vie…) invitant à rechercher une réponse standardisée par l’acquisition de

gestes et d’attitudes en situation simulée. Toute situation de soins, réelle ou simulée,

renferme une dimension éthique susceptible d’orienter le sens de l’action vers « une visée

du bien » (Ricœur, 1990, p.202) ; à moins d’effectuer uniquement « un travail sur les

corps » (Lechevalier Hurard, 2013, p.284), ou d’exercer au sein « d’institutions totales »,

au sens de Goffman, qui organisent une « mise en dépôt de leurs pensionnaires, comme

dans de simples magasins.» (Goffman, 1968 / 2005, p. 121)

66

Ainsi, le débriefing réalisé à l’issue d’une séance de simulation en santé, animé par le

cadre de santé formateur, constituerait un espace propice au développement d’un

agir éthique de l’apprenant au regard du processus engagé de nature réflexive,

collective et délibérative. Il ne se limiterait pas à une interaction des apprenants

quant à l’acquisition de gestes techniques ou d’attitudes et il traduirait leur capacité à

co-construire face à la complexité des situations rencontrées.

Le débriefing ne se limiterait donc pas à une analyse procédurale des actes effectués par les

apprenants puisqu’il représenterait véritablement une étape charnière entre les espaces

théoriques et cliniques, permettant l’articulation de l’idéal soignant et de la réalité

professionnelle. Par une posture d’animateur et non d’expert du soin, le cadre de santé

formateur rendrait possible la création d’un espace de délibération au sein duquel les

apprenants développeraient leur capacité à co-construire face à la complexité des situations

rencontrées.

La confrontation de notre hypothèse au réel nécessite indubitablement de procéder à une

observation de débriefings réalisés à l’issue de séances de simulation en santé.

La méthode de notre enquête reste à préciser mais elle devra nous permettre de saisir le

contenu sémantique des débriefings et d’identifier la posture du cadre de santé formateur

pour amorcer l’évolution des pratiques pédagogiques dont elle est porteuse. Au préalable,

il nous semble nécessaire d’aborder la dimension empirique par une présentation du

contexte dans lequel notre travail de recherche s’inscrira.

67

4. La démarche empirique

68

4.1 Le contexte de l’enquête

La phase d’investigation de notre recherche sera mise en œuvre au sein de l’Institut de

Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de Douai, site de l’Institut Régional de Formation

Sanitaire et Sociale Nord / Pas-de-Calais (IRFSS), établissement de la Croix-Rouge

Française.

La Croix-Rouge Française est une association loi 1901, reconnue d’utilité publique à

vocation humanitaire. Elle fait partie des 189 Sociétés Nationales qui composent le

Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, créé en 1864 par

Henry Dunant. La Croix-Rouge appuie son action sur sept principes fondamentaux :

humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité.

Depuis une réforme statutaire en 2007, l’association s’est restructurée. Il existe maintenant

une séparation entre la gouvernance (le maillage associatif) et le management (les

établissements).

Quant à la branche management, soit l’activité entrepreneuriale de la Croix-Rouge,

l’organisation se décline à partir du niveau national avec une direction générale et des

directions par filières (formation, sanitaire, domicile, exclusion…). L’échelon interrégional

intègre un directeur pour l’ensemble des filières. Ce niveau assure le pilotage opérationnel

de la stratégie nationale au sein d’un vaste territoire regroupant plusieurs régions. Au

niveau régional, dans la filière formation, l’Institut Régional de Formation Sanitaire et

Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-Calais regroupe six sites de formation localisés dans les

villes d’Arras, Béthune, Calais, Douai, Lens et Tourcoing.

L’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-Calais

emploie près de 160 salariés. Il a contribué en 2011, selon son rapport d’activité, à la

formation de 2866 étudiants dont 2483 étudiants infirmiers, soit plus de 30% du volume

d’étudiants infirmiers formés dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais.

69

L’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-Calais s’est

doté d’un projet régional1

impulsant l’orientation pédagogique de chaque site. Par ce

projet, il encourage l’innovation pédagogique et prône notamment le développement de la

simulation en santé.

L’établissement de Douai est l’un des six sites de l’Institut Régional de Formation

Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-Calais. Il est sous la responsabilité d’une

directrice et il regroupe un Institut de Formation des Aides-Soignants (IFAS), un Institut de

Formation des Cadres de Santé (IFCS) ainsi qu’un Institut de Formation en Soins

Infirmiers (IFSI). Ce site intègre également dans ses locaux les bureaux de l’Institut

Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-Calais et le Centre

Régional de Formation Professionnelle (CRFP) destiné à la formation continue.

Deux formateurs sont chargés de la coordination pédagogique de la filière de formation

cadre de santé. La filière de formation aide-soignante est, quant à elle, coordonnée par

trois formateurs. Ces deux filières affichent respectivement une capacité d’accueil soumise

à agrément, en nombre d’étudiants ou d’élèves, de quarante et soixante personnes.

Quatorze formateurs permanents, titulaires du diplôme de cadre de santé ou chargés de

formation, évoluent principalement sur la filière infirmière. Ils accompagnent chaque

année près de 400 étudiants en soins infirmiers répartis sur trois promotions.

Au regard de la volonté affichée par l’institution de développer l’usage de la simulation en

santé, trois formateurs évoluant en filière infirmière ont bénéficié d’une formation continue

spécifique à la simulation en santé. Cette formation a été réalisée en externe, au Centre

d’Enseignement par Simulation (CEnSIM) à Chambéry, ou en interne, au sein de l’Institut

de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de Douai par des formateurs salariés de la Croix-

Rouge Française missionnés à l’échelon national.

La simulation en santé n’est pas un outil exclusivement réservé à la filière infirmière. A

titre d’exemple, il est mobilisé par les étudiants de la filière cadre de santé lors de

situations simulées d’entretiens professionnels afin de faciliter l’apprentissage de postures

managériales.

_______________ 1Projet pédagogique régional de l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale Nord / Pas-de-Calais,

validé le 25 Février 2014 en comité de direction.

70

En filière aide-soignante, la simulation en santé contribue au développement des

compétences relatives aux soins de nursing. Elle constitue un outil facilitant la

collaboration inter-filières puisque des dispositifs pédagogiques ont été élaborés en

associant conjointement des étudiants infirmiers et des élèves aides-soignants. Des unités

d’enseignement, comme l’unité d’enseignement (UE) 3.5S4 « Encadrement des

professionnels de soins », sont propices à la construction de scénarii pour la simulation en

santé favorisant la dimension collaborative.

Enfin, des professionnels de santé exerçant au sein d’institutions hospitalières ou médico-

sociales sont associés à la conception et à la réalisation de dispositifs pédagogiques

mobilisant l’outil de la simulation en santé. Nous les sollicitons régulièrement pour

interpréter les rôles de patients, dans le cadre de situations simulées dites hybrides,

intégrant un acteur et un dispositif synthétique.

71

4.2 Les objectifs poursuivis

4.2.1 Clarifier l’usage du débriefing

Dans un article publié dans la Revue de l’Infirmière en Octobre 2014, Grillet nous expose

les cinq étapes d’une séance de simulation en santé (Grillet, 2014, p.20-22).

Le pré-briefing : présenté comme le moment où les acteurs se familiarisent avec

l’environnement.

Le briefing : il vise la présentation des principes généraux de la séance de

simulation en santé et l’instauration d’un climat de confiance entre les participants,

garanti par le respect de la confidentialité.

La pratique simulée : les participants interprètent les rôles définis dans le scénario

et ils sont observés par un groupe d’étudiants, situé derrière une glace sans tain ou

dans une salle équipée d’une projection vidéo. La séquence peut être interrompue

au besoin, en cas de situation d’échec total ou d’orientation imprévue.

Le débriefing : s’inscrivant dans une visée réflexive, il s’appuie essentiellement sur

l’expression des émotions, l’analyse de l’expérience et la transférabilité des

apprentissages. Le débriefing permet d’évaluer l’écart entre l’attendu et le réel.

La conclusion.

Le débriefing pourrait être d’inspiration pragmatiste puisqu’il n’est pas sans rappeler le

lien établi par Peirce entre les sensations et le raisonnement pour développer la

connaissance. Tiercelin nous rappelle l’hypothèse fondamentale de Peirce : « il y a des

choses réelles dont les caractères sont entièrement indépendants de nos opinions à leur

sujet ; ces réels affectent nos sens conformément à des lois régulières, et bien que nos

sensations soient aussi différentes que le sont nos relations aux objets, il n’empêche qu’en

tirant avantage des lois de la perception, nous pouvons établir en raisonnant comment sont

réellement et vraiment les choses. » (Tiercelin, 1993, p.92)

Quant aux interactions sociales et au refus de l’immuabilité de l’expérience, ils semblent

évoquer l’enquête au sens de Dewey qui consiste « à transformer une situation où l’on

72

« expérience » de l’obscurité, de l’incertitude, des heurts, des désordres de toute espèce en

une situation claire, cohérente, stable et harmonieuse. » (Deledalle, 1954 / 1998, p.165)

Néanmoins, au-delà des potentialités envisagées par le débriefing, nous pouvons nous

questionner quant à sa substance. Est-il orienté vers la mesure d’écarts procéduraux ou

s’agit-il véritablement d’une délibération collective initiée à partir de l’expérience des

acteurs ? Qu’en est-il précisément ? Comment le débriefing est-il réalisé et que vise-t-il

dans ses effets pratiques ?

Notre recherche s’appliquera à établir, en première intention, un état des lieux au regard

des modalités et des finalités des débriefings réalisés lors des séances de simulation en

santé, en formation infirmière.

4.2.2 Renforcer les compétences des formateurs

La démarche empirique ne se limitera pas à l’analyse du contenu des débriefings. Nous

chercherons également à mieux connaître la posture du cadre de santé formateur durant les

sessions de simulation en santé. Au regard de notre problématique de recherche, si le

débriefing est propice au développement d’un agir éthique de l’apprenant, alors la posture

du cadre de santé formateur est déterminante. Celui-ci n’aurait pas un rôle d’expert,

détenteur et enseignant des savoirs, confortant ou récusant les choix effectués par les

apprenants. Son rôle s’apparenterait à celui d’un professionnel de l’éthique comme nous le

décrit Legault dans un article de la revue Ethica Clinica n°68. « Le professionnel de

l’éthique est essentiellement investi dans un acte éducatif visant le développement des

capacités réflexives, décisionnelles et dialogiques. En intervenant auprès des personnes et

des groupes, il met en place les conditions dialogiques qui favorisent une plus grande

réflexivité des pratiques d’une part, et d’autre part, permettent aux personnes de maîtriser

davantage leurs capacité de délibération. » (Legault, 2012, p.54)

De fait, questionner la posture du formateur, c’est s’engager dans la compréhension des

conditions et des moyens mis en œuvre pour le développement d’un agir éthique de

l’apprenant tout en influençant les mécanismes de l’ingénierie pédagogique.

En ce sens, notre travail s’inscrira ici dans une recherche-intervention dont sa

caractéristique est la « contribution à une double perspective : épistémique et

transformative. » (Mérini et Ponté, 2008, p.93)

73

Pour Carrier et Fortin, elle est définie comme « une collecte et une analyse systématiques

d’informations concernant une réalité particulière de la pratique, en vue de connaître ou

de stimuler l’innovation sociale à l’intérieur des établissements où elle se réalise. »

(Carrier et Fortin, 2003, p.176)

La recherche-intervention, en tant que méthode inductive, est marquée par la collaboration

entre le chercheur et les participants ainsi que par son influence sur les pratiques

institutionnelles dans une volonté de transformation. Elle se réalise avec et pour les acteurs

qui y participent1.

Notre objectif est de comprendre les pratiques pédagogiques à l’œuvre lors des débriefings

mais aussi de contribuer à leur évolution dans une volonté d’optimisation des compétences.

4.2.3 Exploiter les potentialités d’un outil pédagogique

La simulation en santé pourrait spontanément évoquer une conception mécaniste du soin,

fondée sur un apprentissage procédural des actes. Or, notre problématique de recherche

nous oriente vers un autre paradigme intégrant pleinement la pratique et la réflexivité.

Celle-ci s’incarne dans le débriefing sous la forme d’une délibération collective. L’espace

délibératif ne se limite pas à l’analyse d’une activité. Il est propice au partage, à l’ouverture

et à la créativité. La dynamique de groupe des acteurs, leurs expériences et la posture de

l’animateur contribuent au maillage des enseignements pédagogiques inhérent à

l’alternance souhaitée en formation infirmière.

La simulation en santé dévoile alors certaines potentialités. Au sein de la filière infirmière,

elle constitue un outil permettant d’intégrer simultanément des unités d’enseignement, de

concevoir des dispositifs pédagogiques à l’intention d’étudiants de différents semestres et

de renforcer l’ancrage au réel par la participation des professionnels de terrain.

_______________ 1cf le dispositif pédagogique de Grégory Aiguier, intitulé « la recherche-intervention », réalisé dans le cadre

de l’UE 6 « fondements et méthodes d’intervention éducative en éthique », Master 2 « Actions et activités de

la santé et du social », parcours « Ethique, santé et institution », Université Catholique de Lille, Février 2015.

74

Entre les filières, infirmière et aide-soignante, infirmière et cadre de santé, le débriefing

apparaît comme le moyen de développer la collaboration entre les futurs professionnels. Il

permet de dépasser les clivages entre les corps professionnels et les écarts de qualification.

La rencontre n’est pas médiée par le pouvoir d’une autorité hiérarchique ou fonctionnelle

mais par le langage au sens habermassien du terme. Ces échanges « se distinguent

fondamentalement des communications stratégiques en tant qu’ils ne sont pas directement

orientés vers le succès, mais plutôt vers l’entente des participants, qui cherchent en

quelque sorte à construire un monde commun par l’échange de leurs expériences, de leurs

émotions et de leurs opinions. Habermas qualifie ce type d’échanges d’actions

communicationnelles. » (Frydman, 2004, p.137)

Les échanges d’actions communicationnelles contribueraient ainsi à la structuration et aux

évolutions du monde commun soignant.

75

4.3 Les modalités définies au regard de nos intentions

4.3.1 Le choix de la méthode d’enquête

Notre problématique de recherche questionne la capacité des acteurs de la formation

en soins infirmiers, au sein des institutions, à mobiliser la simulation en santé pour

contribuer au développement d’un agir éthique de l’apprenant. Nous formulons

comme hypothèse générale que le débriefing réalisé à l’issue d’une séance de simulation

en santé, animé par le cadre de santé formateur, constitue un espace propice au

développement d’un agir éthique de l’apprenant au regard du processus engagé de nature

réflexive, collective et délibérative.

Notre enquête revêt un double enjeu. D’une part, il s’agit de comprendre les mécanismes à

l’œuvre lors des débriefings et leur influence sur le développement des compétences des

apprenants. D’autre part, elle doit contribuer à l’optimisation des pratiques pédagogiques

du groupe de formateurs tout en gardant à l’esprit que c’est le collectif qui opérera ces

transformations. « Seuls ces collectifs eux-mêmes peuvent opérer des transformations

durables de leur milieu de travail. Notre tâche, à la fois plus modeste et plus exigeante sur

le plan scientifique, est de seconder leurs efforts pour élargir leur propre rayon d'action,

c'est-à-dire le développement de leur activité qui est l'objet même de notre recherche. »

(Clot et al., 2000)

La démarche empirique est fondée sur l’analyse d’activité des formateurs lors des

débriefings réalisés dans le cadre d’une séquence de simulation en santé et nous allons

précisément nous intéresser « à ce qui est réellement fait. » (Garon et Yvon, 2006, p.58) En

raison de son ancrage au réel, notre réflexion s’inscrit dans une visée inductive privilégiant

l’observation au contrôle de l’activité effectuée. « Nous avons donc posé pour principe de

ne procéder à aucune évaluation de l’activité, mais avant tout de la décrire dans sa

complexité. » (Garon et Yvon, 2006, p.56) Cette observation se doit d’être, le plus possible,

fiable et exhaustive afin d’optimiser la récolte des données et permettre leur utilisation par

le groupe de formateurs dans une volonté de développement de compétences.

Notre démarche d’enquête se décline en deux étapes, sous-tendues par nos intentions

compréhensive et performative.

76

4.3.2 L’intention compréhensive

Au regard de notre recherche, il nous semble nécessaire de mobiliser un cadre de référence

pour orienter nos observations. Une grille d’analyse de l’activité du débriefing est

facilement accessible par internet et son utilisation est autorisée dans le respect de

conditions définies. Le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé

(DASH©)

1, élaboré par le Centre Médical de Simulation de Boston, se décline en plusieurs

versions, à l’attention de l’apprenant, du formateur ayant animé la séance de simulation en

santé ou d’un évaluateur externe. L’intérêt d’un tel outil est de pouvoir orienter notre

questionnement sans toutefois circonscrire notre réflexion afin de ne pas nuire au potentiel

heuristique de l’observation. En effet, certains indicateurs pourraient nous éloigner des

buts de notre recherche qui, rappelons-le, vise à questionner la mobilisation de la

simulation en santé pour contribuer au développement d’un agir éthique de

l’apprenant. De plus, nous risquerions d’évaluer une activité en référence aux bonnes

pratiques et ne pas identifier ce qui est réellement fait en situation. A titre d’exemple, nous

nous intéresserons moins à un indicateur relatif à la « solide connaissance du sujet » par le

formateur qu’à sa capacité d’animation du groupe.

Nous avons donc opté pour l’élaboration de notre propre guide d’observation2, en prenant

appui sur le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé (DASH©),

version évaluateur, et en intégrant des indicateurs inspirés des étapes de l’enquête

deweyenne3 ainsi que de l’éthique de la discussion habermassienne. L’outil créé permet

d’orienter, sans contrôler, le fil de nos observations afin de rendre possible l’émergence de

caractères ne pouvant être prédéfinis en amont de celles-ci.

_______________ 1Le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé (DASH©), version évaluateur, est disponible

sur le site internet du Centre Médical de Simulation de Boston,

https://harvardmedsim.org, consulté le 15 Juillet 2015. 2Le guide d’observation élaboré est consultable en annexe 1, p.II. 3cf le dispositif pédagogique de David Doat, intitulé « approche philosophique des bases (naturelles,

anthropologiques) de la démarche éthique comme enquête contextuelle et pragmatiste », réalisé dans le cadre

de l’UE 4 « approches fondamentales de l’éthique de la santé», Master 2 « Actions et activités de la santé et

du social », parcours « Ethique, santé et institution », Université Catholique de Lille, Avril 2015.

77

Le tableau ci-dessous regroupe les éléments vers lesquels s’orientent nos observations de

débriefings tout en précisant leur référence philosophique.

Eléments recherchés

Référence philosophique

L’objectivité de la circulation de la parole

et la facilitation de la communication

habermassienne

L’existence d’une démarche d’enquête et

d’un processus méta-réflexif

deweyenne

La rédaction des éléments observés et les enregistrements audio ont démontré certaines

insuffisances car ils sont sources d’interprétations par le chercheur, notamment lors de la

retranscription des données, et ils ne permettent d’appréhender que des fragments de

l’activité observée. De fait, cela complexifie la mobilisation des éléments saisis dans une

perspective réflexive pour le groupe de formateurs. Nous avons donc choisi d’utiliser la

technique de la vidéo d’autant que ce moyen est fortement mobilisé dans les sciences de

l’éducation. La simulation en santé intègre d’ailleurs cet outil pour confronter les

apprenants à l’expérience vécue.

Les enregistrements vidéo réalisés facilitent les observations de débriefings et ils seront

utilisés dans une visée réflexive de l’activité effectuée par le groupe de formateurs. Le

consentement de chaque participant a été systématiquement recherché, qu’il s’agisse des

cadres de santé formateurs animant les débriefings ou des étudiants. Bien que le groupe

d’apprenants participant à la séquence de simulation en santé ne soit pas filmé pour notre

recherche, il est averti du travail effectué et son consentement est également attendu.

78

4.3.3 L’intention performative

La méthode d’analyse d’activité s’appuyant sur l’image se décline en trois étapes :

« la constitution du groupe d’analyse

les auto-confrontations, soit la conjugaison des expériences

l’extension du travail d’analyse au collectif professionnel. » (Clot et al., 2000)

Le groupe d’analyse est constitué de formateurs animant des débriefings lors de séances de

simulation en santé et ayant accepté l’enregistrement préalable du dispositif pédagogique

réalisé. Les fondements de notre recherche ont été explicités de manière générale au

groupe d’analyse, lors d’entretiens individuels, afin de solliciter la participation des

formateurs sans toutefois exercer une quelconque influence sur la réalisation du dispositif

pédagogique de simulation en santé.

La seconde étape de notre démarche empirique est fondée sur la confrontation des

membres du groupe d’analyse aux images enregistrées. Ces enregistrements sont réalisés

dans des conditions similaires (spécificité du dispositif pédagogique de simulation en

santé, similarité du scénario, homogénéité du groupe d’apprenants….) pour rendre possible

la comparaison et l’échange d’expériences entre les participants.

Il existe différents modes de confrontation (Falzon et Mollo, 2004b, p.531-540) présentés

dans le tableau ci-dessous.

Modes de confrontation Définitions

L’auto-confrontation simple A [A] Le sujet (A) commente l’enregistrement de

sa propre activité [A]

L’auto-confrontation croisée A [B] Le sujet (A) commente l’enregistrement de

l’activité d’un collègue [B]

La confrontation collective G [A+n] Un groupe commente l’enregistrement de

l’activité d’un ou plusieurs collègues [A+n]

79

Dans la confrontation simple, le participant observe et commente les enregistrements vidéo

de son activité tandis que l’auto-confrontation croisée met en relation deux sujets. « Des

controverses professionnelles peuvent alors s'engager, portant sur les styles des actions de

chacun d'entre eux. Les écarts stylistiques étant évalués par rapport aux formes génériques

propres au groupe professionnel. » (Clot et al., 2000)

Nous avons choisi la méthode de l’auto-confrontation croisée pour son potentiel hautement

réflexif. Le visionnage de la séquence pédagogique par un autre formateur, en présence de

la personne ayant animé le débriefing de la séance de simulation en santé et le chercheur,

facilite l’expression des commentaires et des questionnements à partir des controverses

professionnelles identifiées. Les commentaires réalisés entre les participants peuvent

différer de ceux adressés directement au chercheur. Le rôle de ce dernier n’est pas de

critiquer l’activité pour imposer une bonne façon de procéder mais d’intégrer une

démarche compréhensive puis comparative des différents modes opératoires. Son

questionnement porte essentiellement sur le comment. L’auto-confrontation croisée permet

l’évolution des représentations, individuelles et collectives, à partir d’une conscientisation

des pratiques et de controverses professionnelles engagées. Elle contribue à la création de

nouveaux savoirs (Falzon et Mollo, 2004b, p.531-540).

Enfin, notre travail d’analyse s’étendra au collectif professionnel. Il s’agit ici des

formateurs de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) animant des débriefings de

séances de simulation en santé. Il nous semble illusoire, au regard du délai de réalisation de

notre recherche, de vouloir procéder à la mise en œuvre d’auto-confrontations pour

l’ensemble des cadres de santé formateurs de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers

(IFSI) de Douai. L’idée serait davantage d’expérimenter la méthode des auto-

confrontations croisées, de partager les résultats de notre enquête avec le collectif et

d’amorcer un processus réflexif, individuel et collectif, au regard de l’activité du débriefing

au sein de notre institution. Nous privilégions la technique de l’auto-confrontation croisée

à celle de la confrontation collective afin de faciliter la verbalisation des commentaires

dans une réciprocité des échanges tout en limitant les craintes d’une stigmatisation de

pratiques pédagogiques par le jugement collectif. L’enjeu est de rendre pérenne notre

démarche.

80

4.3.4 Les limites de l’enquête

Notre méthode, basée sur l’exploitation d’un support vidéo, n’a pas la prétention de

remplacer les autres outils d’analyse d’activité. Cependant, elle permet une meilleure

compréhension de l’activité observée et elle offre aux acteurs l’opportunité de développer

des compétences individuelles et collectives (Falzon et Mollo, 2004b, p.531-540).

Les formateurs se constituent ainsi en collectif apprenant, engagés dans une volonté

transformative de leur propre milieu professionnel (Aiguier, 2014, p.167-182).

La recherche entreprise ici revêt avant tout un caractère heuristique. Nous ne prétendons

pas analyser de manière totalement exhaustive l’activité du débriefing, au regard des

comportements observés, des représentations exprimées ou des stratégies élaborées. Il

s’agit d’appréhender ce qui est à l’œuvre dans l’activité du débriefing et d’impulser auprès

des formateurs une démarche réflexive et collective pour le développement d’un agir

éthique de l’apprenant. La pédagogie de l’éthique et l’éthique de la pédagogie seraient

alors étroitement liées.

L’idée n’est pas d’imposer un prêt à penser, dictant une bonne conduite pour l’activité du

débriefing, mais de contribuer à l’édification des compétences individuelles et collectives

des formateurs.

La totalité des formateurs sollicités a accepté de participer à notre recherche. Les entretiens

individuels réalisés pour obtenir le consentement des sujets ont permis de dissiper certaines

craintes, notamment l’évaluation qualitative d’une prestation pédagogique, utilisable à des

fins non définies.

Notre méthode d’analyse complexifie la démarche d’enquête. En effet, il nous est

impossible de planifier notre intervention, comme nous pourrions l’envisager pour la

réalisation d’entretiens ou la diffusion de questionnaires. Nous sommes totalement

tributaires de la programmation des dispositifs pédagogiques de simulation en santé auprès

des groupes de formation durant le semestre. Cela limite les possibilités de réalisation des

enregistrements vidéo lors des débriefings, d’autant que la disponibilité des formateurs est

à considérer pour les séances d’auto-confrontations. Il nous sera donc difficile d’atteindre

le seuil de saturation du dialogue lors de la réalisation des différentes analyses (Clot et al.,

2000).

81

Clot préconise l’enregistrement de chaque étape de l’analyse, dès l’observation de

l’activité jusqu’aux auto-confrontations croisées en vue d’une présentation au collectif

après la réalisation d’un montage vidéo. Au regard des obstacles techniques et du temps

imparti pour notre recherche, nous ne pourrons enregistrer différents types d’auto-

confrontations, simples et croisées, puis réaliser un montage vidéo. Cependant, une

restitution du travail de recherche sera organisée pour le collectif afin de partager les

conclusions de notre analyse et inciter à la poursuite de la démarche réflexive engagée.

(Clot et al., 2000)

4.3.5 Les conditions de réalisation des observations et des enregistrements vidéo

Notre enquête a été menée durant le semestre impair (Septembre à Février) de l’année

académique 2015-2016, lors d’une séquence de simulation en santé planifiée pour les

étudiants infirmiers de 3ème

année.

Le dispositif pédagogique a été organisé lors de retours d’étudiants à l’institut durant le

stage du 5ème

semestre pour permettre la constitution de groupes restreints n’excédant pas

douze apprenants. Il a été réalisé sur deux semaines calendaires, en huit demi-journées,

afin de répartir les 95 étudiants de la promotion de 3ème

année.

La séquence de simulation en santé s’inscrit principalement dans le cadre de l’unité

d’enseignement (UE) 4.2S5 « Soins relationnels » tout en visant la mobilisation de

compétences développées au cours des unités d’enseignement (UE) suivantes : 4.4S5

« Thérapeutiques et contribution au diagnostic médical », 2.9S5 « Processus tumoraux »

et 2.6S5 « Processus psychopathologiques ».

L’objectif pédagogique global, visé par l’intermédiaire du scénario1 élaboré, est de

renforcer les capacités des étudiants à dépister la souffrance psychologique d’un patient

atteint d’un cancer et d’instaurer une relation d’aide adaptée. Il concourt à une visée

intégrative des enseignements du semestre 5 par le renforcement d’attitudes

professionnelles. En effet, dans le cadre de ce scénario, il est moins attendu la

démonstration de gestes techniques (les habiletés) que l’adoption d’une posture

relationnelle ad hoc par l’étudiant.

_______________ 1Le scénario de la séquence de simulation en santé est consultable en annexe 5, p.XXV-XXX.

82

Voici le synopsis :

Mr Dupont, 32 ans, est hospitalisé depuis deux jours pour la résection chirurgicale d’un

adénocarcinome du côlon. Durant l’intervention, le chirurgien a été dans l’obligation de

procéder à une laparotomie et à la réalisation d’une colostomie transitoire après échec de

la cœlioscopie prévue initialement. Le patient est à J1 post-opératoire. Il accepte

difficilement sa poche de colostomie et il vient d’apprendre par le chirurgien l’ampleur de

la tumeur découverte. De plus, les suites opératoires nécessiteront probablement une

chimiothérapie. Mr Dupont évoque une vive douleur physique à deux étudiants infirmiers

entrés dans la chambre.

La séance de simulation en santé est dite hybride puisqu’elle nécessite la participation d’un

acteur. Vêtu d’un pantalon de pyjama, il porte sous sa blouse d’opéré un plastron ventral

présentant plusieurs pansements (laparotomie et cœlioscopie), l’orifice d’un redon et une

poche de colostomie. Généralement, le rôle du patient est tenu par un professionnel de

terrain ou un formateur de l’institut. Il est présent lors du débriefing et il participe aux

discussions le cas échéant, sans exercer le rôle d’animateur.

La salle de simulation en santé est équipée d’un matériel d’enregistrement vidéo et d’un

miroir sans tain afin que les étudiants ne participant pas activement à la mise en œuvre du

scénario puissent disposer de moyens adaptés pour observer le déroulement de la séance.

Chaque séance de simulation en santé a été animée, a minima, par un formateur puisque

certains ont fait le choix, au regard de leur disponibilité, d’intervenir en binôme.

Dans le cadre de notre recherche, nous avons uniquement filmé l’instant du débriefing de

la séance de simulation en santé et nous avons procédé ainsi à la réalisation de six

enregistrements.

Lors des auto-confrontations croisées, les binômes ont été constitués à l’initiative des

formateurs, dans le respect des orientations inhérentes à la recherche, afin de faciliter

l’instauration d’un climat de confiance. Celui-ci favorise l’expression des remarques, des

commentaires tout en limitant les risques d’une autocensure.

83

4.4 L’analyse des observations de débriefings

4.4.1 L’observation de débriefings

Les enregistrements vidéo effectués ont été retranscrits1 afin d’en faciliter l’analyse.

Les principales caractéristiques des débriefings apparaissent de manière synthétique dans

le tableau ci-dessous :

Formateurs F1 et F2 F1 et F3 F4 F5 F6 F7

Durée du débriefing (en mn)

72 104 48 61 88 98

Temps de parole des étudiants

(en mn) 41 33 29 38 53 50

Ratio temps de parole étudiant / durée du

débriefing 0,57 0,32 0,60 0,62 0,60 0,51

Nombre d’étudiants

présents 11 10 12 11 12 11

Nombre d’étudiants

prenant la parole 8 4 7 8 5 6

Pourcentage

d’étudiants prenant la

parole 72,73 40 58,33 72,73 41,67 54,55

Afin de préserver l’anonymat des formateurs, un codage de type Fx est attribué à leur

identité.

_______________ 1Une retranscription d’observation de débriefing est consultable en annexe 2, p.III-XII.

84

L’observation des débriefings permet d’opérer des distinctions tant sur la forme que sur le

fond de l’animation.

Sept formateurs ont animé les débriefings, quatre de manière individuelle (F4, F5, F6, F7) et

trois en binôme (F1, F2, F3). La durée moyenne d’un débriefing est de 78,5 mn avec une

amplitude temporelle oscillant de 48 mn à 104 mn.

Le débriefing apparaît comme un espace de parole pour les étudiants puisqu’ils occupent,

très majoritairement, la moitié ou plus, de l’espace offert pour la discussion. Cependant, au

sein du groupe, la parole est parfois monopolisée par une minorité d’étudiants, accordant

de fait peu de place à l’expression de chacun. Dans ce type de situation, nous constatons

que la discussion est exclusivement orientée par l’animateur vers les deux étudiants-acteurs

ou alors le groupe est peu participatif, sans véritable dynamique d’expression, et cela

malgré les relances des formateurs pour encourager la prise de parole. En règle générale,

les étudiants s’exprimant le plus sont ceux ayant participé à la séance de simulation en

santé puisque c’est vers eux que convergent les questionnements.

Au-delà de ces quelques éléments chiffrés nous permettant de mieux cerner les contours du

débriefing, nous observons une architecture commune tant dans le respect des étapes de la

séance de simulation en santé que lors de l’animation du débriefing.

Sur l’échantillon de formateurs observé, un seul individu a bénéficié d’une formation

spécifique à la simulation en santé. Pourtant, nous retrouvons invariablement une

structuration identique, quelle que soit la durée du débriefing :

une clarification de l’objectif poursuivi

un questionnement sur le vécu des acteurs

une phase d’analyse

une recherche de transférabilité

une synthèse.

Nous constatons également une récurrence des thématiques abordées. Les discussions

s’orientent généralement vers :

l’information

les connaissances des professionnels

les représentations du cancer

le statut de l’étudiant

la collaboration.

85

L’outil élaboré pour faciliter nos observations de débriefings a rapidement démontré

certaines limites. Nous avions opté pour l’élaboration de notre propre guide d’observation1,

en prenant appui sur le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé2

(DASH©), version évaluateur, afin d’enrichir nos observations quant aux conditions de la

discussion instaurée et à la mise en œuvre du questionnement par les acteurs. Rappelons

que nous souhaitions aussi rendre possible l’émergence de caractères ne pouvant être

prédéfinis en amont des observations. Et c’est justement certaines différences au sein de la

similarité des débriefings qui nous ont interpellés.

En effet, en référence à des indicateurs objectifs de mesure, comme le pourcentage

d’étudiants participant aux discussions, la circulation de la parole n’est pas toujours

effective puisque certains étudiants s’expriment peu. Néanmoins, toutes les conditions sont

mises en œuvre par les formateurs afin de faciliter la prise de parole. Plus précisément, il

s’agit de :

- l’adaptation de l’environnement

- l’explicitation des objectifs du débriefing

- l’instauration d’un climat de confiance

- le respect manifesté par les formateurs pour les étudiants et l’attention portée à leur

sécurité psychologique

- l’écoute et le respect de la parole de chacun

- l’invitation et les encouragements du formateur à la prise de parole et à l’expression

des réactions

- l’absence de critiques non constructives

- la facilitation des échanges grâce aux techniques de communication verbales et

non-verbales

- l’orientation des échanges par le formateur vers l’analyse de la prestation des

apprenants.

Nous relevons un écart entre l’intention d’une facilitation de la parole, voulue par le

formateur, et l’objectivité d’une réelle circulation de parole lors des discussions instaurées.

_____________ 1Le guide d’observation est consultable en annexe 1, p.II. 2Le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé (DASH©), version évaluateur, est disponible

sur le site internet du Centre Médical de Simulation de Boston,

https://harvardmedsim.org, consulté le 15 Juillet 2015.

86

L’autre élément ayant retenu notre attention est spécifique aux thématiques développées.

Bien qu’elles soient récurrentes, leur contenu et la manière de les aborder diffèrent. Il nous

semble nécessaire de nous intéresser à ces thématiques, et préalablement au vécu des

apprenants, afin de comprendre les écarts observés.

4.4.2 Le vécu des apprenants

Le vécu des apprenants est systématiquement recherché lors du débriefing. En première

intention, c’est vers le vécu des étudiants-acteurs que s’orientent les discussions.

Les étudiants-acteurs évoquent spontanément la présence d’un formateur dans la chambre

et son rôle de patient ainsi que son incidence lors du soin en situation simulée. Pour

certains, le formateur-acteur représente une difficulté supplémentaire : « c’est difficile car

il y a la présence du formateur » ; « j’étais gêné par rapport au formateur » ; « j’ai

ressenti beaucoup de stress car c’est un formateur. Le fait d’avoir un professionnel de

santé en face de soi, ça met une pression. »

Pour d’autres, le fait que le rôle de l’acteur soit tenu par un formateur a peu d’incidence :

« c’est impressionnant puis on oublie » ; « je me suis tout de suite senti en situation

professionnelle, comme en stage » ; « on doit faire abstraction du côté filmé et qu’il

s’agisse d’un formateur, c’est pas facile quand même mais on y arrive » ; « on n’ est plus à

l’IFSI, on a l’impression d’être vraiment à l’hôpital. »

Lors de notre « voyage apprenant » au Canada en Décembre 2014, nous avions remarqué

que le Centre d’Apprentissage des Attitudes et Habiletés Cliniques (CAAHC) de

l’université de Montréal fait exclusivement appel à des acteurs professionnels pour

l’attribution des rôles des patients. Il est indéniable que cela contribue à réduire l’effet de

surprise pour les étudiants lors du premier contact avec le patient en situation simulée.

Néanmoins, le ressenti des étudiants ne se limite pas uniquement à cet aspect puisqu’ils

évoquent surtout une déstabilisation lors de la confrontation à la situation : « je ne savais

pas vraiment quoi faire quand j’étais dans la chambre » ; « j’avais un manque de

connaissances par rapport aux commentaires du chirurgien mentionnés dans le dossier et

par rapport à la situation du patient » ; « on était un peu perdu » ; « on ne savait pas où

on devait aller » ; « on a vu que le patient était douloureux mais on ne savait pas quoi

faire. »

87

Les raisons exprimées par les étudiants afin de justifier la déstabilisation ressentie sont le

manque de connaissances quant à la pathologie rencontrée et le manque d’informations

transmises au regard de la singularité de la situation.

En cours de débriefing et probablement en raison du climat de confiance instauré dans une

confidentialité absolue, les étudiants-acteurs verbalisent un sentiment d’échec, l’impression

de ne pas avoir fait assez ou de vouloir faire différemment : « je n’ai pas réussi, le patient

n’était pas soulagé » ; « ça m’angoisse de ne pas trouver les bonnes réponses » ;

« j’espère ne pas avoir été trop mauvais ». Le ressenti est parfois très douloureux,

imprégné de culpabilité, comme en témoignent les pleurs et les propos d’une étudiante :

« j’ai été nulle. »

Cet exemple illustre pleinement l’intégration de la formule hippocratique Primun non

nocere1 aux principes éthiques de la simulation en santé. Cela confirme l’importance d’une

attitude bienveillante envers les étudiants puisque les situations simulées peuvent se révéler

traumatisantes ou engendrer un sentiment de dévalorisation.

Nous remarquons aussi que plus l’orientation du débriefing prend un caractère hautement

réflexif, au regard des questions posées par le formateur aux étudiants-acteurs, plus le

ressenti des étudiants est majoré en raison d’une meilleur perception de la situation. D’où

l’importance du soutien du groupe et d’une vigilance particulière de l’animateur quant à la

sécurité psychologique des participants : « vous vous débrouillez bien » ; « vous étiez très

complémentaires » ; « elles ont posé des questions pertinentes » ; « bravo aux personnes

qui ont participé » ; « vous avez su démontrer vos capacités. »

_____________ 1D’abord, ne pas nuire.

88

4.4.3 Les distinctions constatées

L’information et la connaissance

L’information et la connaissance sont évoquées de différentes façons lors des débriefings.

Il s’agit :

- des informations transmises lors du briefing

- des informations présentes dans le dossier de soin

- de l’information à donner au patient (quant à sa maladie ou sous forme d’éducation

thérapeutique)

- d’une réponse potentielle à la demande du patient

- de l’incertitude quant aux informations dont dispose le patient

- d’une attitude compréhensive à l’égard du patient (« dites-moi »)

- d’une sémantique appropriée (« on a dû vous couper un bout ! »)

- de la confidentialité des données.

Quant à la connaissance, de manière générale, elle regroupe aussi bien les connaissances

théoriques des étudiants et la connaissance du patient au regard de sa situation. Un étudiant

évoque « la nécessité de faire connaissance avec le patient » pour rendre possible la prise

en soins.

Pour les étudiants, les informations et les connaissances sont étroitement liées : « j’ai

beaucoup de connaissances quant à la colostomie car je suis en stage en chirurgie

viscérale. J’ai été perturbé par le fait que le chirurgien n’ait pas laissé plus d’informations

dans le dossier. » Les connaissances permettent aux étudiants d’analyser les informations

dont ils disposent puis de les transmettre de manière adaptée au patient.

Lors de la situation simulée, Mr Dupont sonne pour se plaindre d’une douleur physique. Le

premier réflexe des étudiants est d’évaluer la douleur, de rechercher une étiologie possible

par l’observation du redon et des pansements afin de proposer une réponse adaptée.

L’objectif prioritaire est la prise en charge de la douleur : « j’ai quand même pris le temps

de me présenter, bien que pendant le temps de présentation j’avais l’impression qu’on ne

s’occupait pas de la douleur du patient. »

Confrontés à l’expression d’une plainte douloureuse importante (EVA à 8), sans cause

apparente et pour laquelle l’antalgique administré semble totalement inefficace, les

89

étudiants se retrouvent désemparés. Ils préfèrent alors sortir de la chambre afin de vérifier

les informations dont ils disposent et se mettent en recherche d’autres éléments, dans le

dossier de soins, pour orienter leur compréhension de la situation : « c’est important de

sortir pour ne pas se retrouver pris au dépourvu devant le patient. »

Après avoir écarté l’hypothèse d’une douleur physique, les étudiants orientent leurs actions

vers la dimension psychologique : « la personne souffre, elle a mal malgré le médicament.

Je me suis dit qu’il devait y avoir autre chose, c’est sûrement psychologique. »

Leur préoccupation devient alors l’attitude à adopter pour répondre à la souffrance

psychologique : « quand j’ai perçu que la douleur était psychologique, j’ai préféré sortir

de la chambre afin de demander à l’infirmière ce que j’ai le droit de dire ou de ne pas dire

au patient. » Cela traduit la crainte d’un dépassement de compétences mais aussi la

recherche d’une justesse des informations à transmettre au patient au regard de ce qu’il sait

déjà. La majorité des étudiants adopte alors une attitude informative afin de renseigner le

patient et débuter une démarche éducative : « vous pourrez retourner à la piscine mais pas

tout de suite » ; « il existe des poches vidangeables qui ne vous empêcheront pas de

travailler. » La quantité d’informations génère aussi des contradictions anxiogènes perçues

par le patient. Les étudiants évoquent l’aspect « transitoire » de la colostomie tout en

insistant sur l’importance d’apprendre à vivre avec une poche collée sur l’abdomen.

Pour certains étudiants, transmettre une information c’est faire un soin, pallier l’absence du

geste technique : « je pense que le patient attend que quelque chose soit fait. » Le manque

de connaissances risque alors d’être interprété comme le défaut d’une compétence : « le

patient risque de se dire qu’il se fait soigner par des professionnels qui ne s’y connaissent

pas. » Il existe une volonté de renseigner bien qu’une maladresse des mots employés

puisse majorer la souffrance psychologique d’un patient percevant la colostomie comme

une mutilation : « on a dû vous couper un bout (d’intestin) ! ».

Lors des débriefings, les étudiants s’interrogent quant à la possibilité de dire « je ne sais

pas » à une personne soignée. Plusieurs groupes instaurent une réflexion quant à

l’importance des silences dans les discussions et la nécessité de les respecter pour mieux

encourager l’expression des ressentis du patient. Une minorité d’étudiants adopte une

posture empathique ouvrant des perspectives de verbalisation pour la personne soignée. Ils

instaurent une attitude d’écoute (« dites-moi ») tout en identifiant les limites d’une forme

d’injonction à l’égard de la personne soignée qui ne souhaite peut-être pas s’exprimer.

90

Enfin, la thématique de l’information est abordée selon une approche médico-légale, au

regard du secret professionnel, de la confidentialité des données et des renseignements

pouvant être transmis à l’épouse de Mr Dupont. L’information est ici envisagée en

référence à la responsabilité juridique du soignant.

Le statut de l’étudiant et la collaboration

Le statut de l’étudiant est évoqué de différentes façons selon les groupes d’apprenants.

Majoritairement, ce statut est vécu comme un handicap. Il semble représenter un frein à

l’action : « on n’a pas encore toutes les connaissances nécessaires et il nous manque

l’expérience pour affronter ce type de situations. » De plus, il limite les possibilités d’une

autonomie professionnelle : « quand j’ai perçu que la douleur était psychologique, j’ai

préféré sortir de la chambre afin de demander à l’infirmière ce que j’ai le droit de dire ou

de ne pas dire au patient. »

D’autres étudiants évoquent au contraire l’avantage procuré par le statut, en ne se

considérant pas encore pleinement comme de véritables professionnels de santé : « cela

rassure et nous autorise à dire que l’on ne sait pas » ; « c’est une couverture pour

l’étudiant. »

Les clivages observés ne se limitent pas aux représentations du statut de l’étudiant. Ils

apparaissent aussi à l’évocation de la collaboration au sein du binôme.

Pour certains groupes, le binôme d’étudiants s’apparente à une force : « c’est plus facile

d’être deux ». Il permet de compenser les faiblesses individuelles et il donne du courage

aux soignants pour affronter la situation : « je sais que j’ai certaines faiblesses, notamment

techniques, mais avec le binôme on se complète » ; « la présence de l’autre étudiant

m’encourage pour affronter cette situation. »

L’idée d’un « affrontement » s’entend à différents niveaux. Il est envisagé soit au regard de

la confrontation à une situation difficilement acceptable, ou alors sous la forme d’une lutte

illustrant un dualisme entre le soignant et la personne soignée : « nous on est deux mais lui,

il est seul. » Le binôme révèle alors ses faiblesses tant sous le prisme communicationnel

que collaboratif. Il n’est pas perçu comme un élément propice à l’instauration d’une

communication adaptée avec la personne soignée : « pour le patient, c’est plus simple de

ne parler qu’à une personne » ; « il nous regardait tous les deux mais il ne semblait pas

91

savoir à qui il devait s’adresser. » La difficulté communicationnelle est aussi identifiée en

intra, au sein du binôme, traduisant alors toute la problématique de l’efficacité de la

collaboration.

Le manque de connaissances n’est plus uniquement relatif à l’information détenue ou à la

situation de la personne soignée mais il s’étend au binôme et il concerne l’incertitude quant

à la stratégie adoptée par le collègue : « c’est difficile de ne pas connaître son binôme » ;

« on a besoin d’accorder nos violons » ; « c’est difficile d’être deux car on n’est pas centré

sur la même chose. Lui s’intéressait plus à l’évaluation de la douleur physique tandis que

je souhaitais prendre en charge la souffrance morale. »

Le manque de synchronisation du binôme s’observe au cours de la situation simulée. A

titre d’exemple, deux étudiants se sont mis à réfléchir à haute voix dans la chambre et ils

ont échangé des commentaires quant à l’attitude à adopter en ne portant plus d’attention à

la présence du patient. Lors du débriefing, ils identifient la difficulté ressentie et son

incidence sur la qualité du soin proposé : « on était perdu, on ne savait plus vraiment quoi

faire. »

Un décalage est constaté également au travers des postures physiques. Lors d’une

discussion instaurée avec le patient, un étudiant fait le choix de s’asseoir à proximité pour

encourager la verbalisation tandis que le second reste debout, les bras croisés. En référence

à la communication, des clivages sont aussi constatés : « mon collègue voulait donner des

informations au patient mais moi j’avais l’impression qu’il avait besoin d’autre chose, il

avait plus besoin de verbaliser. » ; « je me disais qu’il fallait respecter les silences du

patient mais ce n’est pas ce que l’on a fait. »

Le binôme semble parfois indissociable, il se constitue en une nouvelle entité (parfois

schizophrénique !) issue de la fusion de deux individualités soignantes. Les étudiants ne se

séparent pas lors du soin et ils sortent ensemble de la chambre pour aller chercher un

complément d’informations. Une étudiante questionne la possibilité de sortir de la chambre

pour aller consulter le dossier du patient tout en laissant seul son collègue : « l’un de nous

aurait pu sortir de la chambre pour aller chercher plus d’informations mais c’était

préférable que l’on reste à deux. »

Lors des débriefings, les discussions s’orientent parfois vers des incidents survenus au

cours de la prise en soins de Mr Dupont. Le fou-rire d’un étudiant devient l’opportunité

d’une réflexion quant à une attitude paraissant inadaptée, préjudiciable à la qualité des

92

soins recherchée par le binôme, mais traduisant également un mal-être du soignant au

regard de la situation rencontrée. Le groupe ne porte pas de jugement négatif quant au fou-

rire de l’étudiant. Il s’interroge plutôt sur ce que cela représente et les mécanismes de

défense mis en œuvre. Cela traduit pleinement les atouts de la simulation en santé. Dans ce

contexte, la faute n’est pas sanctionnée puisqu’elle contribue au développement de

compétences individuelles et collectives attendues. En se situant au plus près du réel, la

simulation en santé permet l’observation et l’analyse de comportements ne pouvant être

anticipés, et elle accorde un statut différent à l’erreur au sein des stratégies pédagogiques.

Les étudiants n’ont pas manqué également d’identifier l’importance des représentations

dans la prise en soins des patients.

Les représentations

La singularité et la spécificité de la situation de Mr Dupont, présentant un adénocarcinome

du côlon, sont propices à une réflexion des groupes quant aux représentations du cancer.

Celui-ci est évoqué en référence aux représentations sociales dominantes, associant le

mot cancer au décès et à la souffrance. Une étudiante avoue son incapacité à utiliser le

terme cancer lors de la situation simulée : « je ne savais pas ce que cela représentait pour

Mr Dupont, je ne savais pas s’il était vraiment informé, j’avais peur d’accentuer sa

souffrance psychique.» L’intérêt porté aux représentations sociales permet de mener une

réflexion, dans une perspective systémique, quant à l’accompagnement des personnes

atteintes d’un cancer au sein de notre société et l’incidence de la maladie sur les multiples

composantes de l’être humain.

Parfois, les représentations exprimées sont plus individuelles. Elles s’appuient sur des

expériences vécues en stage et elles méritent d’être intégrées comme des composantes du

développement des compétences et de leur transférabilité. A d’autres moments,

l’expression des représentations devient plus personnelle, voire intime, propre à la

singularité d’un vécu. La clause de confidentialité acceptée par les participants, en amont

du débriefing, facilite la verbalisation d’expériences individuelles. Une étudiante évoque

alors sa crainte de voir un cadavre lors d’un prochain stage tout en rattachant cette peur au

décès de sa grand-mère survenu l’an passé. L’animateur du groupe semble saisir

l’opportunité de l’espace de parole constitué pour partager également son histoire

personnelle: « j’ai vécu la même situation que vous quand j’avais 18 ans… »

93

La diversité des conceptions, rencontrée dans la traduction des représentations, est

constante pour chaque thématique évoquée et elle illustre pleinement la pluralité des

façons d’animer le débriefing. Ce constat, établi à l’issue d’une analyse des

observations réalisées, nous semble fondamental. Les débriefings présentent une

architecture commune et ils affichent une récurrence des thématiques abordées bien

que leurs contenus soient hétérogènes. La distinction ne porte pas uniquement sur

« la matière », au regard d’une considération qualitative des idées exprimées, mais

davantage sur « la manière », c'est-à-dire sur les différences stylistiques des

animateurs.

Ces différences puiseraient leur source au sein d’une diversité de paradigmes animant les

acteurs de la formation. Des certitudes, des valeurs ou certaines logiques donneraient ainsi

une tonalité particulière aux actions entreprises en raison d’une interprétation spécifique du

monde. Gueibe décrit plusieurs paradigmes (maternant, religieux, scientifique, libéral,

humaniste) dont la successivité des constructions est associée à l’évolution de la profession

infirmière et de ses valeurs. L’interrogation de ces paradigmes dans le soin relève d’une

exigence éthique (Gueibe, 2008). En effet, ils traduisent certaines conceptions et ils

nécessitent d’être compris pour permettre la visée d’une vie bonne avec et pour autrui

(Ricœur, 1990, p.202). L’enjeu de notre recherche n’est pas de catégoriser des modèles

d’action, ou pire que cela, des personnes ! A une manière de procéder ne correspond pas un

individu singulier. C’est par l’analyse de la globalité des observations effectuées que nous

sommes en mesure de proposer une lecture de l’activité des formateurs. Chaque paradigme

identifié n’est donc pas à relier à un formateur en particulier puisque des traits

caractéristiques de plusieurs paradigmes émergent lors de l’observation d’un débriefing,

qu’il soit animé singulièrement ou en binôme.

Exempte de toute volonté stigmatisante, l’identification des spécificités des animations ne

se limite pas à un état de lieux puisqu’elle constituera probablement le substrat des

réflexions engagées lors des auto-confrontations. Celles-ci sont propices à l’optimisation

des pratiques pédagogiques par la perspective « d’éveiller par la critique chaque acteur

d’un monde aux valeurs d’un autre monde, quitte à changer de monde. » (Ricoeur, 2004,

p.306)

94

Avant cela, il nous reste à décrire les quatre paradigmes identifiés pour lesquels nous avons

attribué un qualificatif afin de mieux les distinguer :

- relationnel

- raisonnement clinique

- réflexif

- éthique.

4.4.4 Une lecture possible de l’activité du débriefing par l’identification de paradigmes

Le paradigme « relationnel »

Nous avons qualifié ce paradigme par l’appellation « relationnel » en raison de

l’importance accordée à la relation durant le débriefing, tant au sein du groupe qu’en

référence à la situation évoquée. L’analyse de la situation du patient écarte rapidement les

diverses hypothèses de compréhension de la douleur exprimée pour se centrer sur la

dimension psychologique. L’enjeu de la réflexion est de déterminer la meilleure posture à

adopter au regard de la situation de soins instaurée. Les discussions portent essentiellement

sur les gestes et les propos tenus par les acteurs, les attitudes verbales et non-verbales

exprimées lors de la situation simulée. Les formateurs amènent les apprenants à se

questionner tout en mobilisant les principes théoriques de la communication et différentes

techniques relationnelles (« il est préférable de demander au patient comment il se sent

plutôt que comment il va » ; « vous pouvez reformuler ses propos »). Les attitudes sont

critiquées afin de préciser le comportement attendu. Les bras croisés lors de la situation

simulée signent alors un manque d’ouverture tandis que l’installation assise, face au

patient, est perçue comme « frontale » et susceptible d’engendrer de l’agressivité.

Les formateurs accordent une importance particulière à la collégialité des discussions

comme en témoignent les multiples incitations à participer aux échanges : « vous pouvez

les aider, on va tous participer » ; « et vous, qu’en pensez-vous ?» Ces relances sont

souvent nombreuses, nous en avons parfois comptabilisé huit pour une heure de débriefing.

Bien entendu, la dynamique des groupes est à prendre en considération puisque certains

semblent spontanément plus participatifs que d’autres. Paradoxalement, nous avons

constaté des décalages entre le contenu du discours de formateurs et la forme de la

discussion instaurée. A titre d’exemple, un formateur interrompt un étudiant pour lui

95

rappeler l’importance de la verbalisation : « laissez l’espace au patient pour qu’il puisse

parler, laissez lui l’espace. Vous ne lui accordez pas l’espace. Tout de suite, vous vous

sentez obligés de répondre quelque chose. »

L’objectif du débriefing apparaît comme une remobilisation des principes de la

communication, à l’instar d’un cours théorique, tout en accordant une place particulière à

l’expression des émotions. La transférabilité n’est pas envisagée à l’aune d’applications

prescriptives mais en référence aux vécus des apprenants. Dès lors, le débriefing devient

un espace de parole ouvert à l’ensemble des participants, qu’ils soient étudiants ou

formateurs. Ces derniers s’éloignent d’une posture enseignante pour évoquer des situations

personnelles : « j’ai vécu la même situation que vous quand j’avais 18 ans… » Les

étudiants osent également verbaliser leurs ressentis : « la situation est difficile car on se

voit dans le patient, cela nous renvoie à notre mort, à la peur du cancer » ; « dans ma

famille, mon grand-père a été touché par un cancer… »

Les formateurs insistent sur l’importance des règles de confidentialité inhérentes aux

débriefings ainsi qu’aux groupes de parole. Ce terme a d’ailleurs été prononcé par un

formateur, en référence à son expérience professionnelle.

Le paradigme « réflexif »

Lors du débriefing, l’attention est essentiellement portée vers les deux étudiants-acteurs.

Les autres étudiants occupent peu l’espace de parole. Ils interviennent pour relancer des

questionnements et lors du tour de table final. L’objectif annoncé par le formateur est de

« décortiquer les mécanismes mis en place » pour faire émerger les invariants du soin.

Beaucoup de questions sont posées aux deux étudiants-acteurs bien que les discussions

s’orientent rapidement vers un individu (celui qui répond davantage aux sollicitations)

dans une volonté d’analyse réflexive de sa pratique. Nous avons comptabilisé plus de

trente questions lors de certains débriefings : « comment avez-vous fait ? » ; « qu’est-ce

que vous a dit le patient ? » ; « donc là, qu’est-ce que vous avez fait ? » ; « qu’est-ce que

vous lui avez répondu ? » ; « qu’est-ce que vous vouliez faire ? » ; « qu’est-ce que vous

aviez ressenti à ce moment ? » ; « qu’est-ce que vous lui dites ? » ; « vous vous installez

comment ? » ; « qu’est-ce qui vous fait dire que vous avez perçu la douleur du patient ? »

etc.

Les questionnements ne se limitent pas à l’activité puisqu’ils intègrent les comportements

observés (attitudes, propos….) dans une perspective introspective : « à quoi avez-vous

96

pensé ? » ; « qu’est-ce que vous aviez ressenti à ce moment ? » Ces questionnements

s’entendent davantage sous la forme du « pour…quoi » que du « pourquoi » dans une

posture d’animation s’inspirant de la maïeutique.

L’expression des pensées et des ressentis revêt un potentiel heuristique au regard des dires

des apprenants : « c’est vrai que j’aurais pu faire comme ça. » Néanmoins, l’interrogation

portée sur la pratique est parfois source de culpabilisation, naît d’un décalage entre les

attentes et la réalité. Une étudiante pleure en fin de débriefing et se confie au groupe :

« j’ai été nulle. » Le tour de table final est empreint de bienveillance et il vise à valoriser

les participants à la situation simulée : « vous vous débrouillez bien, c’était très

constructif » ; « vous étiez complémentaires et avez très bien agi » ; « bravo aux

personnes qui ont participé, elles ont eu du courage ; vous avez su démontrer vos

capacités. » Contrairement au paradigme « relationnel », le vécu de l’ensemble des

participants n’est pas attendu puisque la perspective n’est pas uniquement la verbalisation

mais l’analyse réflexive de la pratique.

La transférabilité est moins envisagée à partir de l’expérience de la situation simulée, et la

mobilisation des compétences nécessaires en contexte, qu’à travers l’intégration d’une

posture réflexive.

Le paradigme « raisonnement clinique »

Le paradigme intitulé « raisonnement clinique » se distingue des deux autres modèles

précédemment énoncés par son approche objectivante de la situation. L’analyse est

davantage fondée sur des aspects objectifs de la pratique que sur des caractéristiques plus

subjectives telles que la communication ou la verbalisation des ressentis. Le raisonnement

clinique s’inscrit dans une posture scientifique de la pratique soignante au même titre que

l’Evidence Based Nursing (EBN), inspirée de l’Evidence Based Medicine (EBM).

A partir des observations effectuées et une mobilisation pertinente des connaissances,

l’étudiant émet des hypothèses et formule des diagnostics afin de mettre en œuvre les

actions les plus adaptées à la situation de la personne soignée. Les procédures et les

différentes étapes du raisonnement reflètent une standardisation de la réflexion pour une

meilleure efficacité de la prise en soins, dans le respect de la singularité du patient. La

volonté d’être le plus efficace possible est palpable dans les dires des étudiants : « en

entrant dans la chambre, je me suis présenté au patient même si pendant ce temps j’avais

l’impression qu’on ne s’occupait pas de sa douleur. »

97

Au cours de la situation simulée, les étudiants-acteurs procèdent d’abord à l’examen de

l’abdomen du patient « afin de dépister une hémorragie au niveau du pansement ou un

problème en lien avec le redon. » Suite à la constatation de l’absence de signes cliniques

locaux, les étudiants s’interrogent quant aux causes possibles de la douleur et de

l’inefficacité de l’antalgique. Toutes les étiologies possibles sont alors recherchées : plaie

chirurgicale, insufflation de gaz lors de la cœlioscopie, installation au bloc opératoire,

obstruction du cathétérisme veineux… Des hypothèses sont émises à partir des

observations et d’un corpus de connaissances scientifiques : « quand Mr Dupont m’a

expliqué qu’il avait des douleurs diffuses, non limitées à l’abdomen, j’ai pensé à

l’insufflation de gaz dans la cavité péritonéale lors de la chirurgie cœlioscopique car cela

peut provoquer des douleurs post-opératoires au niveau des épaules. »

Par le raisonnement clinique, de manière hypothético-déductive, les étudiants formulent

des diagnostics infirmiers. La douleur psychologique du patient est reconnue après avoir

écarté les causes physiopathologiques possibles et identifié les diagnostics différentiels.

Durant le débriefing, la participation de l’ensemble des étudiants est réelle puisqu’elle vise

l’amélioration des pratiques professionnelles et elle ne se limite pas à l’analyse d’une

prestation soignante individuelle. Un projet de soins pour le patient est établi à partir des

risques identifiés et des diagnostics formulés. Des actions sont mises en œuvre dans le

respect des champs de compétences pluridisciplinaires et du cadre légal. A titre d’exemple,

l’évaluation de la douleur, spécifique du rôle propre de l’infirmier, est envisagée par les

soignants de manière exhaustive. Quant à la transmission d’informations au patient, elle est

identifiée par les étudiants comme une responsabilité médicale : « j’entends votre demande

(au patient), je vais me renseigner et prévenir le chirurgien. » Des problématiques éthiques

sont mises en évidence de manière conceptuelle : la dignité et l’intimité sont évoquées.

La transférabilité est envisagée au regard de plans de soins types intégrant les situations

cliniques prévalentes. « Les plans de soins types sont des référentiels de pratique

professionnelle. Construits à partir du savoir d’expérience partagé entre les professionnels

de santé, ils orientent la coordination des évaluations cliniques réalisées auprès des

patients. Le sens des soins est alors visible par tous et les soignants agissent dans la

perspective des indicateurs de résultats précis et mesurables centrés sur la personne

malade. » (Psiuk, 2013)

98

Le paradigme « éthique »

La réalisation de la séquence pédagogique atteste de la difficulté à généraliser le principe :

« jamais sur le patient la première fois1. » La situation simulée vécue par Mr Dupont est

complexe puisqu’elle ne se réduit pas à l’apprentissage d’un geste technique et impose une

approche holistique. Les étudiants évoquent d’ailleurs leurs expériences professionnelles

quant à différents aspects de la situation (la vérité au patient, la souffrance globale etc.)

vécus en stage, et cela parfois dès la première année de formation infirmière. En référence

à l’éthique des principes, la bienveillance est constante tant à l’égard du patient lors de la

situation simulée qu’à l’égard des apprenants. Celle-ci est révélée par une volonté de ne

pas nuire à la personne, quel que soit son statut. Les étudiants font preuve d’une attention

réciproque, notamment lorsque certains expriment des difficultés, tout en luttant contre le

sentiment de dévalorisation exprimé. Quant aux formateurs, ils réalisent les séances de

simulation en santé et animent les débriefings dans le respect des apprenants. Les attitudes

et les comportements sont valorisés tout en permettant l’identification des erreurs.

L’analyse de la situation de Mr Dupont permet l’émergence de concepts mobilisés lors de

réflexions en éthique appréhendées durant le précédent semestre, principalement celui de la

dignité. Des questionnements sont aussi identifiés. A titre d’exemple, les étudiants

s’interrogent sur la vérité au patient et plus spécifiquement quant à l’information donnée

avant l’intervention chirurgicale : « ce n’est pas normal, il ne s’attendait pas à avoir une

poche à son réveil. » Lors de la majorité des débriefings réalisés, le thème de l’information

est récurrent et il revêt plusieurs significations. Il s’agit de la qualité des transmissions

réalisées, des connaissances mobilisées par les étudiants ou des renseignements fournis au

patient dans le respect du champ de compétences des intervenants. Au sein du paradigme

« éthique », il est révélé sous l’aspect de questionnements par le prisme de la vérité au

patient.

L’intérêt porté à la dignité humaine ne se limite pas à une conception théorique puisqu’il

est clairement démontré lors de la situation simulée. En effet, une étudiante propose au

patient une aide à l’habillage afin qu’il puisse quitter un pyjama, symbole de la maladie et

catalyseur de la perte de l’estime de soi. L’habillage contribue ainsi à la préservation d’une

« dignité-décence. » (Ricot, 2003, p.15)

_______________ 1Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15.

99

Lors des débriefings, nous n’avons pas constaté de discussions exclusivement centrées sur

les problématiques éthiques révélées par la situation. L’éthicité de la réflexion se situe

davantage dans la forme que dans le fond des discussions instaurées. La communication au

sein du groupe n’est pas sans rappeler l’éthique de la discussion habermassienne.

Le formateur n’apparaît pas comme un expert en éthique, détenteur des bonnes réponses

quant aux questionnements identifiés. Son rôle est de faciliter la discussion. Le formateur

mobilise des techniques de communication, comme la reformulation, et l’art de la

maïeutique pour permettre l’accouchement des idées.

De plus, il existe une démarche d’enquête au sens de Dewey puisque l’observation des

débriefings permet la constatation des indicateurs recherchés :

- l’analyse ne se limite pas aux aspects techniques de la situation simulée

- divers problèmes en lien avec la situation simulée sont identifiés

- une situation problématique est définie

- la situation est analysée en contexte à l’issue d’une récolte des données

disponibles ; l’analyse intègre les observations de la séance de simulation ainsi que

les expériences cliniques des participants

- en référence au problème identifié, des hypothèses, des suggestions ou des

solutions sont proposées par les participants

- au regard des résultats espérés, certaines propositions du groupe sont retenues

- les essais de solution sont testés par un retour sur les faits

- les tentatives de solution sont évaluées par les étudiants, tant au regard des

décisions envisagées que du processus de réflexion collective mis en œuvre

- les effets de la réflexion collective sont partageables à d’autres apprenants.

Il semble important de préciser que les indicateurs énoncés ci-dessus n’ont pas été

observés à chaque débriefing mais ils sont exhaustivement identifiés à l’issue de

l’ensemble des observations menées.

Les débriefings ne révèlent pas uniquement des inspirations philosophiques issues des

écrits de Dewey ou de Habermas puisque l’approche réflexive des apprenants illustre leur

volonté de perfectionnement. Le questionnement porté sur le bien, le juste, nous évoque

également l’éthique de la vertu d’Aristote.

100

Enfin, la distanciation avec l’expérience vécue et l’approche herméneutique ne sont pas

sans rappeler la pensée de Ricœur. Dans une recherche de sens de la pratique soignante, la

finalité n’est pas d’aboutir à une solution standardisée mais d’encourager les

questionnements. C’est probablement cela qu’autorise la simulation en santé dans ses

phases de débriefings. Face à la pluralité des propos et des interprétations, il ne peut y

avoir de dernier mot « ou, s’il en est un, nous lui donnons le nom de violence. » (Ricœur,

1986, p.205)

Ainsi, nous avons identifié quatre paradigmes (peut-être en existe-t-il d’autres ?),

synthétisés dans le tableau ci-dessous :

Spécificités

Paradigmes

Guidages1

Modalités Orientations /

Inspirations

Relationnel Cognitif / Emotionnel Communication Groupe de parole

Raisonnement

clinique Cognitif Raisonnement

Evaluation des

pratiques

professionnelles

Réflexif Cognitif / Emotionnel Réflexivité Analyse

réflexive

Ethique Ethique Questionnement Démarche éthique

_______________ 1Pour Le Boterf, les ressources de guidage « servent à guider les pratiques et les combinatoires de

ressources. Elles constituent l’astrolabe du professionnel en situation. » (Le Boterf, 2009, p.46)

101

Une éthique de la simulation en santé ne peut se réduire à l’application de principes

et le débriefing n’est pas simplement une analyse standardisée de la situation simulée.

L’architecture des débriefings semble commune mais les différences stylistiques

traduisent une diversité de paradigmes. Celui qualifié « d’éthique » n’est pas

emblématique d’une posture spécifique puisqu’il renferme une pluralité de

conceptions et de courants philosophiques. De plus, il est identifié à chaque

observation de débriefings.

Le paradigme « éthique » apparaît de manière transversale aux autres paradigmes

observés. La pluralité de son contenu s’explique probablement par la diversité des

postures d’animation à l’œuvre lors des débriefings. Les auto-confrontations croisées

permettront, par l’analyse des pratiques pédagogiques des formateurs, d’engager des

controverses professionnelles à valeur heuristique et d’identifier des leviers au

développement d’un agir éthique de l’apprenant.

102

4.5 Les auto-confrontations croisées

4.5.1 L’organisation des auto-confrontations croisées

Trois auto-confrontations croisées ont été réalisées :

- F1 / F5

- F3 / F5

- F3 / F7

Les binômes pour la réalisation des auto-confrontations croisées ont été constitués à

l’initiative des formateurs afin de garantir un climat de confiance propice à la verbalisation.

Nous avons intégré, en tant que variable, la participation au débriefing en duo afin de

diversifier les profils des participants et favoriser les échanges professionnels.

Le panel est donc constitué de :

- deux formateurs (F1 et F3) ayant animé des débriefings en binôme

- deux formateurs (F5 et F7) ayant animé de manière individuelle le débriefing.

Au sein de l’échantillon, nous avons également sollicité deux formateurs (F3 et F5) pour

leur proposer de participer à deux reprises aux auto-confrontations croisées dans l’objectif

d’évaluer les écarts entre les deux rencontres et d’approfondir l’analyse de leur pratique.

Un guide d’entretien semi-directif1 a été élaboré afin de faciliter notre démarche d’enquête

à l’issue du visionnage d’extraits d’enregistrements vidéo par les formateurs. Ce guide

permet d’amorcer les discussions tout en considérant la singularité de l’échange instauré.

Les questions envisagées n’ont donc pas été posées dans l’ordre préalablement établi.

Durant les auto-confrontations croisées, nous avons procédé, avec le consentement des

participants, à la réalisation d’enregistrements audio. Ils ont été retranscrits2 pour en

faciliter l’analyse.

_______________ 1Le guide d’entretien semi-directif est consultable en annexe 3, p. XIII. 2Une retranscription d’auto-confrontation croisée est consultable en annexe 4, p.XIV-XXIV.

103

4.5.2 L’analyse des auto-confrontations croisées

Par analogie, nous constatons des similitudes entre la mise en œuvre des auto-

confrontations croisées et la réalisation de débriefings à l’issue des séances de simulation

en santé.

Les formateurs, comme les étudiants, évoquent la difficulté d’être observés et filmés : « je

n’aime pas me voir en film » ; « c’est toujours très compliqué de s’auto-évaluer et de

donner un jugement sur sa propre pratique » ; « j’ai beaucoup de mal à me voir en vidéo.

Là, ça va, mais c’est surtout le fait de m’entendre parler. Cela me déstabilise car je ne

reconnais pas ma voix. » De plus, il existe une crainte du jugement des pratiques, atténuée

par des tentatives de justification : « le groupe fait beaucoup dans la façon de procéder au

débriefing » ; « je tiens à préciser que c’est groupe-dépendant » ; « c’est la première fois

que je menais un débriefing pour ce type de scénario. »

Certains formateurs identifient spontanément la similitude de l’exercice réflexif entre

l’auto-confrontation croisée et le débriefing réalisé à l’issue d’une séance de simulation en

santé : « en fait, ce que l’on est en train de faire, c’est ce que l’on demande aux étudiants

quelque part. Donc, on est en train de se confronter à un dispositif réalisé. On est en train

de débriefer sur une activité qui est une activité pédagogique. » Ils perçoivent de fait un

intérêt à la réalisation des auto-confrontations croisées : « habituellement, on ne fait pas

d’analyse en groupe de nos pratiques pédagogiques alors que finalement, c’est ce que l’on

demande aux étudiants. »

Nous retrouvons également une démarche d’enquête mise en œuvre dans la perspective

d’optimiser les pratiques pédagogiques. Les questionnements, parfois initiés par le

chercheur, portent sur diverses thématiques : la posture d’animation, la coopération en

binôme, l’apprentissage de l’éthique et l’analyse des pratiques professionnelles.

Le chercheur endosse alors un rôle de facilitateur de la discussion, à l’instar des formateurs

lors des débriefings de séances de simulation en santé réalisés avec les étudiants.

104

La posture d’animation

A l’issue du visionnage des vidéos, les remarques formulées s’orientent vers des points de

convergence quant à la manière de mener le débriefing : « les vidéos sont différentes mais

on retrouve des similitudes. »

En première intention, l’analyse des vidéos s’inscrit dans une démarche normative puisque

les formateurs tentent de définir ce qui devrait être, a contrario d’une approche pleinement

descriptive : « lors du débriefing, le formateur se doit d’être dans l’écoute et la

reformulation » ; « la posture du formateur est importante, il faut laisser la place à

l’étudiant. »

L’importance accordée à la parole de l’étudiant semble fondamentale : « le temps de

parole, si on pouvait le comptabiliser, on se rendrait compte que l’étudiant a beaucoup

plus de place que le formateur. » Des invariants du débriefing sont mis en évidence comme

le fait d’encourager la libre expression et de respecter la parole de l’autre.

La structuration des débriefings est alors identifiée mais en référence à des descriptions

génériques : observation, reformulation, bienveillance, aide au questionnement, retour sur

l’expérience, écoute active, transférabilité : « on retrouve une structuration identique mais

on se rend compte que chaque séance est unique. »

Les distinctions, au regard de la manière de procéder des formateurs, s’expliquent selon

eux par des raisons externes au pédagogue telles que la diversité du groupe d’apprenants,

la formulation de consignes à des moments distincts, l’installation des participants dans la

salle, les conditions de réalisation de la séance de simulation en santé etc. : « les difficultés

évoquées par les étudiants exercent une influence sur les débriefings » ; « la discussion se

faisait avec les deux étudiants ayant participé à la saynète car ce sont eux les acteurs. Ils

étaient mal installés lors du débriefing et j’aurais préféré qu’ils trouvent une place plus

centrale dans la salle » ; « nos intentions sont similaires même si l’on donne aux étudiants

des consignes différentes à des temporalités différentes. »

La singularité du formateur est aussi identifiée comme un facteur influençant l’orientation

des débriefings : « finalement, le débriefing dépend du formateur qui est présent et des

étudiants qui y participent. » Cependant, nous relevons lors des auto-confrontations

croisées une forme de prudence envers la critique des pratiques professionnelles,

105

notamment lorsqu’il s’agit de celle des pairs. Les remarques formulées sont prioritairement

autocentrées, parfois de manière négative : « en visionnant la vidéo, je me rends compte

que j’interromps l’étudiant. Je ne l’ai pas laissé s’exprimer. Je ne devais pas

l’interrompre. Je vais vite dans la reformulation sans laisser à l’autre la possibilité

d’intégrer. » Puis, probablement en raison du climat de confiance établi, le jugement porté

sur la pratique de l’autre devient possible mais progressivement, de manière neutre ou

positive : « on est complémentaire dans une capacité à faciliter la prise de parole par

l’étudiant » ; « l’un et l’autre, on est dans l’écoute de l’étudiant » ; « à le voir ainsi, c’est

un dispositif qu’il gère facilement » ; « je suis interventionniste dans les discussions tandis

que toi, tu es à l’écoute. » Cela s’explique probablement en raison d’une attention

bienveillante à l’égard de l’autre, d’une volonté de valoriser l’activité effectuée, comme

lors des débriefings de simulation en santé.

Le visionnage des séquences vidéo facilite l’observation et l’analyse des pratiques

professionnelles, notamment par la mise en évidence d’attitudes non-verbales : « à un

moment, tu te recules sur ta chaise, le dos appuyé contre le dossier, comme pour laisser la

place à l’autre » ; « c’est intéressant aussi de se revoir… On peut se dire : « tiens, c’est

vrai à ce moment là, j’avais le regard fuyant, ou tiens, je n’ai pas regardé le patient mais

davantage la perfusion. » C’est vrai que dans la situation, on ne se rend pas compte. Le

fait de se voir, même nous en tant que formateur, je trouve cela super intéressant. Tu te

rends compte de tes réactions par rapport aux éléments de réponse des étudiants.… Tu

vois par exemple que le formateur est questionnant en fronçant les sourcils. Je trouve cela

super intéressant. »

La prise de conscience d’un type de posture s’exprime par le partage de questionnements

individuels : « je me demande si ce n’est pas important de rester neutre pour ne pas

orienter le débriefing » ; « je me rends compte que mon non-verbal peut influencer les

étudiants. » Ces questionnements n’attendent pas de réponse immédiate, ils illustrent la

mise en recherche d’un individu soucieux d’optimiser la qualité de la prestation

pédagogique : « je ne sais pas justement. C’est pour cela que je me pose la question. Faut-

il être neutre ou pas ? Est-ce que cela influence la dynamique des discussions ? »

Les discussions s’enrichissent par l’émergence de positions divergentes quant aux

orientations données aux débriefings. La place accordée à l’expression des émotions

semble emblématique des différences de postures. Pour certains, la verbalisation des

émotions est fondamentale tandis que d’autres la délaissent au profit d’une approche

106

rationnelle de l’analyse de la situation simulée. De nouveau, les formateurs évoquent

l’influence des étudiants sur l’orientation donnée au débriefing : « alors, effectivement, je

pense que la façon dont la saynète s’est déroulée pour les deux étudiants qui étaient

acteurs doit influencer. Je ne sais pas si tu te rappelles (regard dirigé vers le chercheur),

ces deux étudiantes qui étaient en difficulté durant la saynète. Elles sont quand même

sorties deux fois de la salle de simulation, parce qu’il leur manquait des éléments et elles

ont eu énormément de mal à pouvoir verbaliser. On a même eu des émotions, une

étudiante a pleuré pendant le dispositif. »

La nature du débriefing, quant à la possibilité accordée d’exprimer des émotions,

dépendrait donc moins du formateur que de l’influence du groupe et de la manière dont

s’est déroulé le scénario.

L’influence des paradigmes, telle que nous l’avons constatée lors des observations de

débriefings, n’est jamais identifiée par les formateurs au cours des auto-confrontations

croisées. La différence de postures puiserait sa source dans la multitude des personnalités :

« les deux approches sont différentes car les deux personnalités sont différentes. » Une

formatrice évoque même un jeu d’acteur : « on a la même trame, j’avais vu faire un

collègue qui a bénéficié d’une formation à la simulation. Après, on adapte selon sa

personnalité. C’est comme un jeu d’acteur, on a le même rôle mais pas la même

interprétation. » La diversité des personnalités influencerait l’interprétation des objectifs

poursuivis lors des débriefings (l’expression des ressentis, la réflexivité et la compétence,

le raisonnement clinique et la mobilisation des connaissances…). Et même si l’objectif

demeure identique, la posture est différente : « la même chose sera dite de manière

différente. »

La cohabitation de différentes postures complexifie la coordination des interventions

lorsque le débriefing est réalisé en binôme.

107

La coopération en binôme

Lorsque nous évoquons l’animation en binôme lors des débriefings, elle est envisagée de

manière idéalisée par les formateurs : « pédagogiquement parlant, le travail en binôme

contribue au plaisir intellectuel » ; « le binôme permet de prouver aux étudiants qu’il n’y a

pas qu’une manière de faire, la complémentarité est toujours positive pour la prise en

charge du patient » ; « plus et plus ne peuvent faire moins ».

L’impossibilité de recourir systématiquement à l’animation en binôme est justifiée par un

manque de disponibilité des individus : « il y a un manque de disponibilité des formateurs

mais le souhait de co-animer est réel, c’est plus facile à deux. »

Puis, la valeur positive octroyée à la coopération en binôme cède la place à l’évocation des

limites d’une telle collaboration, comme les étudiants l’identifièrent lors des débriefings :

« le binôme représente un confort mais il peut aussi constituer un obstacle. »

La principale difficulté évoquée réside dans l’insuffisance de connaissance d’autrui : « la

difficulté d’une animation en binôme, c’est de savoir comment l’autre travaille » ; «(…)

nécessité d’être complémentaire, d’avoir une connaissance de l’autre. » Ce défaut de

connaissance d’autrui engendre un déséquilibre de la répartition des rôles au sein du

binôme : « chacun doit avoir sa place » ; « si le binôme est déséquilibré, on passe à côté

de l’objectif et l’étudiant risque d’identifier ce décalage. »

Pour les formateurs, le déséquilibre des rôles n’a pas pour origine la manifestation de

différents paradigmes. Il est davantage lié à la difficulté d’associer différentes

personnalités : « l’autre peut être écrasé par le binôme, notamment si le formateur est

introverti. »

L’auto-confrontation croisée devient alors un espace de parole, propice à l’expression des

vécus : « cela tombe bien que tu en parles car je voulais l’évoquer. Pour moi le binôme, à

un moment, m’a déstabilisée. Pourquoi ? Parce que lors de la préparation, en fait, je

pensais être seule à animer le débriefing. Moi, j’ai mon petit plan en tête que je respecte

plus ou moins. J’ai mon objectif et je sais à peu près où je veux emmener les étudiants et le

fait d’avoir quelqu’un avec moi, cela s’est très bien passé, mais quelque part… »

La déstabilisation ressentie s’explique par une rupture de la dynamique des discussions,

provoquée par des interventions intempestives : « il y a eu des moments où j’aurais plus

souhaité laisser la parole à l’étudiant et F1 est intervenu et il a coupé la dynamique dans

laquelle je souhaitais emmener l’étudiant. Il y avait un « blanc », F1 a pris la parole pour

108

revenir sur une question et moi cela m’a déstabilisée à plusieurs reprises, le fait qu’il

coupe la dynamique. »

Le retour sur l’expérience vécue permet au formateur d’expliciter clairement la gêne

éprouvée : « franchement, il y a des moments où cela m’a gênée. Je me suis rendu compte

avec la vidéo que je me mettais en retrait par rapport à ce que F1 a pu poser comme

questions car dans mon objectif, cela venait casser quelque chose que je souhaitais, que

l’étudiant devait apporter lui-même. » Le sentiment de malaise exprimé ne repose pas

uniquement sur une rupture de la dynamique des discussions, comme le fait de ne pas

respecter certains silences. Il se traduit aussi par des interactions avec les étudiants, dont

les contenus et l’orientation des propos ne correspondent pas aux attentes de l’autre

formateur : « à un moment, F1 en est arrivé à parler d’une situation personnelle, qui lui

était personnelle en tant que formateur. » Inévitablement, cela éloigne l’un des formateurs

de son objectif initialement poursuivi, décliné à partir de l’objectif global reconnu par tous,

et formalisé selon ses propres paradigmes.

Le fonctionnement en binôme serait envisageable à condition cependant que les rôles

soient clairement définis au préalable et que chacun reste dans son rôle. Un temps de

concertation s’avère donc nécessaire en amont afin de préciser l’orientation de la

discussion et déterminer la posture de chacun : « les rôles doivent être définis » ; « on

n’avait pas pu travailler avec F1 avant sur la façon d’animer » ; « pour moi, être deux,

cela ne me dérange pas mais le débriefing, il y a une partie où, pour moi, il ne devrait y

avoir qu’un animateur. Après que l’autre formateur intervienne, voilà…. »

Certains rôles sont clairement identifiés, comme celui du patient : « le formateur qui

interprète le patient n’anime pas le débriefing. Il y assiste pour apporter son témoignage

en tant que patient. »

L’enjeu est donc de concilier le fonctionnement du binôme pour pérenniser cette valeur

ajoutée à l’animation et éviter que les formateurs adoptent des attitudes de fuite : « l’envie

de reconduire le dispositif est signe de réussite » ; « si le binôme ne marche pas, les

formateurs trouveront des moyens détournés pour ne pas le reconduire à l’avenir. » Enfin,

l’incompatibilité de certains binômes est identifiée. Il ne s’agit pas d’une association

conflictuelle de personnalités mais bien d’un conflit de valeurs, complexifiant la poursuite

d’un objectif commun : « à partir du moment où on n’a pas les mêmes valeurs, c’est

difficile de travailler ensemble. »

109

La pluralité des paradigmes n’est pas identifiée par les formateurs mais la confiance

apparaît comme la valeur fondamentale rendant possible la collaboration. La diversité des

représentations exprimées par les formateurs quant à l’apprentissage de l’éthique traduit la

pluralité des approches pédagogiques.

L’apprentissage de l’éthique

Lorsque nous questionnons les formateurs quant à la possibilité d’un apprentissage d’un

agir éthique par la simulation en santé, leurs réponses sont unanimes : « obligatoirement

oui, car quel que soit le soin, l’éthique à sa place ».

Néanmoins, l’apprentissage de l’éthique est envisagé selon des approches pédagogiques

différentes, à l’instar de la diversité des courants philosophiques orientant les réflexions,

ainsi qu’à des temporalités différentes, tant lors de la réalisation de la situation simulée

qu’au moment du débriefing. Cela nous laisse supposer que le lien entre la simulation en

santé et une pédagogie de l’éthique ne soit pas spontané pour les formateurs.

- Le prendre soin

« Pour moi, dès qu’ils frappent à la porte de la chambre, ils sont dans l’éthique. »

L’éthique se dévoile durant le déroulement du soin par des gestes, des postures, des paroles

attentionnées pour la personne soignée. L’intention des étudiants-acteurs est alors de

promouvoir le sentiment de dignité du patient dans le respect de sa singularité. Cela se

traduit, par exemple, par la proposition faite au patient de revêtir ses vêtements personnels

plutôt qu’un pyjama jugé trop dépersonnalisant. L’attention à l’autre se manifeste dans des

gestes peu spectaculaires, parfois invisibles, illustrant l’essence du prendre soin et la

qualité du lien instauré avec la personne soignée, dans la considération d’une dignité

ontologique. Svandra nous apporte un éclairage sur cette spécificité du soin. Le care,

s’entend ici en résonnance avec son antonyme, négliger, signifiant étymologiquement ne

pas lier. « Ainsi, si la négligence revient à « ne pas lier » et que le soin constitue son

contraire, il est alors possible d’en conclure que le soin est bien une forme de lien. »

(Svandra, 2009, p.19)

110

- Le respect de règles éthiques

« L’écoute de l’autre, l’absence de jugement de valeurs, le respect de l’autre, pas de

moqueries, le secret professionnel, la confidentialité des échanges… Voilà, toutes ces

règles là. » Des règles régissent les relations entre les individus, aussi bien lors de la

réalisation de la situation simulée qu’à l’instant du débriefing. Elles sont reconnues par

l’ensemble des participants qui s’engagent à les respecter.

Des principes sont également mis en évidence, notamment celui de bienveillance. Lors de

la réalisation de la situation simulée, les étudiants agissent avec bienveillance à l’égard du

patient et dans le respect de son autonomie. Malgré la diversité des approches

pédagogiques, tous les formateurs identifient la bienveillance comme un principe

fondamental et emblématique de l’animation du débriefing : « la bienveillance envers

l’étudiant ». D’autres principes (la justice, l’autonomie, la non malfaisance) ne sont jamais

évoqués par les formateurs bien qu’ils transparaissent dans leurs propos.

- Le perfectionnement de l’individu

« L’important est que les étudiants puissent agir pour le mieux dans un contexte donné. »

L’éthique se révèle par la recherche d’une justesse de l’action, héritage de la philosophie

aristotélicienne. Le débriefing, mené dans une perspective réflexive, permet à l’étudiant

« de réfléchir sur sa propre pratique » afin qu’il puisse devenir un être vertueux. Le

questionnement quant aux problématiques rencontrées durant le déroulement de l’action,

inhérent à la vérité au patient et au respect de sa dignité, est appréhendé à la lumière de

l’expérience vécue par l’agent moral. La relation soignante engagée invite à la prudence

(phronésis), à la juste mesure et à saisir le moment opportun (kairos) dans la

communication.

- La responsabilité

« L’importance de la reconnaissance que tu portes à l’autre. » La responsabilité n’est pas

envisagée dans la situation simulée au sens juridique du terme, c’est-à-dire le fait de

répondre de ses actes devant une instance, mais dans une perspective morale, pour la

personne soignée. L’apparition du visage de la personne soignée, révèle par l’acte soignant

toute sa force symbolique, décrite par Lévinas. « Il y a dans l’apparition du visage un

commandement, comme si un maître me parlait. Pourtant, en même temps, le visage

111

d’autrui est dénué ; c’est le pauvre pour lequel je peux tout et à qui je dois tout. Et moi, qui

que je sois, mais en tant que « première personne », je suis celui qui se trouve des

ressources pour répondre à l’appel. » (Levinas, 1984, p.83) C’est probablement

l’injonction première suscitant le sentiment de sollicitude et amenant les soignants à

prodiguer les meilleurs soins possibles dans le souci d’autrui, même s’ils ne peuvent

enrayer la progression inexorable d’une maladie. Lors de la situation simulée, les étudiants

sortent à plusieurs reprises de la chambre mais Mr Dupont les « oblige » à y retourner.

- La discussion

Lors du débriefing, la discussion engagée entre les participants est propice au

questionnement éthique. Pour certains formateurs, il est nécessaire d’identifier un moment

dans la discussion afin de « laisser la place au débat éthique » et d’orienter la réflexion

vers des thématiques précises : l’information, la vérité... D’autres considèrent que c’est le

processus de discussion lors du débriefing et la recherche de consensus qui constituent la

perspective éthique. « La démarche relationnelle qui est instaurée dans le groupe, c’est

aussi de l’éthique. On pourrait envisager des thématiques comme celle de « la vérité » et

en discuter lors du débriefing mais finalement ce qui est éthique, c’est la discussion

entreprise, la recherche de consensus. » Ces deux conceptions d’une éthique qui puiserait

sa source dans la discussion engagée, à des temporalités différentes, ont été identifiées et

questionnées par les formateurs au cours d’une auto-confrontation croisée.

112

Le tableau ci-dessous récapitule les différentes modalités d’un apprentissage de l’éthique,

ainsi que les inspirations philosophiques s’y rattachant, identifiées par les formateurs lors

des auto-confrontations croisées.

Les différentes modalités d’un

apprentissage de l’éthique Les inspirations philosophiques

Le prendre soin L’éthique du care

Le respect des règles éthiques L’éthique déontologique et

l’éthique des principes

Le perfectionnement de l’individu L’éthique de la vertu

La responsabilité L’éthique de la responsabilité

La discussion L’éthique de la discussion

En référence au pragmatisme, il nous semble important de préciser que la démarche

d’enquête mise en œuvre lors des débriefings n’est pas identifiée explicitement par les

formateurs au cours des auto-confrontations croisées.

Le questionnement collectif engagé au regard des pratiques pédagogiques,

l’émergence de controverses professionnelles et la recherche de pistes d’amélioration

à expérimenter traduisent l’inscription des acteurs dans une éthique de la pédagogie

dont le développement nécessite une pérennisation de l’analyse collective des

pratiques professionnelles.

113

L’analyse des pratiques professionnelles

Lors de la réalisation des auto-confrontations croisées, les formateurs identifient

l’importance de l’analyse des pratiques professionnelles. « En fait, ce que l’on est en train

de faire, c’est ce que l’on demande aux étudiants quelque part. Donc, on est en train de se

confronter à un dispositif réalisé. On est en train de débriefer sur une activité qui est une

activité pédagogique. » L’analyse collective des pratiques pédagogiques permet de donner

sens à l’action réalisée et d’envisager des perspectives : « la prochaine fois, je pense que je

ferais de façon différente. »

Certains formateurs proposent de répéter l’analyse des pratiques pédagogiques à partir du

même enregistrement vidéo car le deuxième visionnage permettrait d’identifier d’autres

éléments, non perçus initialement. La valeur heuristique représentée par le visionnage des

séquences pédagogiques semble indéniable. Les formateurs identifient les ressources, les

difficultés et ils saisissent l’opportunité du moment de l’analyse pour proposer des pistes

d’amélioration pour les prochaines séances de simulation en santé. Néanmoins, l’analyse

des pratiques met en lumière deux problématiques : l’évaluation et la confiance.

- L’évaluation

Au regard de sa structuration, le débriefing d’une séance de simulation en santé peut être

évalué à partir d’une grille comme le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation

en santé (DASH©)

1, élaboré par le Centre Médical de Simulation de Boston.

Sur le fond, la pluralité des paradigmes influençant l’animation rend difficile l’auto-

évaluation et l’hétéro-évaluation. Les formateurs se questionnent quant à leur façon de

procéder, en référence à une éventuelle « bonne manière » de faire. De fait, ils s’expriment

avec réserve pour formuler un conseil à un autre formateur visant à lui permettre

d’optimiser sa pratique. « Cela me semble difficile de donner un conseil car on n’est pas

dans la dimension du bien ou du mal par rapport à ce qui a été fait. Si tu donnes un

conseil, c’est-à-dire que tu as un jugement, un positionnement par rapport à une situation.

Là, on n’a pas de références, cela me semble donc difficile d’encourager la continuité ou

de proposer de faire autrement. »

_______________ 1Le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé (DASH©), version évaluateur, est disponible

sur le site internet du Centre Médical de Simulation de Boston,

https://harvardmedsim.org, consulté le 15 Juillet 2015.

114

L’évaluation individuelle et collective des pratiques professionnelles semble difficilement

envisageable en l’absence de référence commune. Les formateurs espèrent qu’une

formation à la simulation en santé leur fournira des moyens d’évaluation, sans entrevoir la

possibilité d’élaborer leur propre grille d’évaluation au regard d’objectifs définis par le

collectif.

- La confiance

Les formateurs insistent sur la nécessité d’un climat de confiance au sein du groupe pour

permettre l’analyse collective des pratiques pédagogiques. Par analogie à l’incompatibilité

de binômes lors de l’animation de débriefings, la constitution d’un groupe d’analyse de

pratiques présuppose une entente professionnelle entre les membres. Les analyses de

pratiques pédagogiques pourraient au préalable s’envisager en groupes restreints avec le

consentement des participants, dans une démarche volontaire, comme lors des auto-

confrontations croisées, car il existe « une crainte de la malveillance et que la vidéo soit

utilisée hors contexte. » Le jugement porté sur l’activité pédagogique nécessite

l’application d’un principe fondamental régulièrement mis en évidence lors de notre

enquête : la bienveillance.

L’instauration d’un climat de confiance n’est pas incompatible avec la participation, aux

séquences de simulation en santé, de personnes étrangères à l’institution. Des

professionnels de terrain, des associations de patients etc. pourraient contribuer à la

conception et à la réalisation de scénarii afin de renforcer l’ancrage au réel. Ils donneraient

d’autres perspectives à l’animation des débriefings et ils développeraient qualitativement

les discussions engagées, enrichissant ainsi l’analyse des pratiques réalisée a posteriori par

le collectif de formateurs.

115

4.5.3 Synthèse

L’observation des débriefings et l’analyse des auto-confrontations croisées permettent une

mise en lumière de points saillants relevés à l’issue de notre enquête.

Il existe une pluralité de postures d’animation. Elle puise sa source dans différents

paradigmes influençant les pratiques professionnelles des formateurs.

L’éthique de la simulation en santé ne se réduit pas au respect du principe « jamais sur le

patient la première fois1 » et à une perspective conséquentialiste énoncée par Collange et

Mc Kenna : « la simulation peut être considérée comme éthique dans le sens où elle est

jugée utile, bénéfique et efficiente du point de vue de l’apprenant (elle permet un meilleur

apprentissage) comme de celui de la société (elle minimise les risques de façon

économiquement rentable). » (Collange et Mc Kenna, 2013, p.177) Cette approche

téléologique, justifiant politiquement la mise en œuvre de la simulation en santé, est

rarement identifiée lors de notre démarche d’enquête.

Pour les étudiants infirmiers, l’apprentissage d’un agir éthique par la simulation en santé

semble possible comme l’affirme un formateur : « obligatoirement oui, car quel que soit le

soin, l’éthique à sa place. »

Chaque séance de simulation en santé révèle une perspective éthique. Celle-ci est exprimée

de différentes manières, reflétant la diversité des courants philosophiques orientant la

réflexion, et sous-tendue de nouveau par la pluralité des paradigmes influençant les

pratiques pédagogiques. Certains paradigmes sont parfois difficilement compatibles,

notamment dans une recherche de sens commun, attestée par la difficulté d’une animation

en binôme des débriefings (la spécificité du travail en binôme, en termes de force et de

faiblesse, a également été identifiée par les étudiants infirmiers à l’issue de la réalisation du

soin en situation simulée).

Il n’existe pas une « bonne manière » de procéder au débriefing mais les formateurs

se questionnent quant à la justesse de leur intervention. Ils se rassemblent devant un

objectif supérieur commun (optimiser la qualité de la relation soignante instaurée)

tout en poursuivant des finalités diverses et en mobilisant des techniques d’animation

différentes.

_______________ 1Programme National pour la Sécurité des Patients 2013 / 2017, objectif opérationnel 4.1, p.15.

116

Nous constatons des similitudes, tant au regard des problématiques identifiées que dans la

démarche d’enquête instaurée, entre le questionnement collectif des étudiants durant les

débriefings et l’analyse des pratiques professionnelles des formateurs réalisée lors des

auto-confrontations croisées.

Les auto-confrontations croisées constituent l’opportunité de poursuivre l’analyse des

pratiques engagée bien qu’une référence commune reste à définir par le collectif.

L’instauration d’un climat de confiance est indispensable. La confiance entre les

formateurs existe, comme le prouve la possible réalisation des auto-confrontations croisées

mais elle nécessite d’être entretenue afin de garantir la pérennisation du processus

d’analyse. Nous faisons le pari que la continuité du processus d’analyse est possible

puisqu’il a su s’amorcer à l’occasion de notre enquête.

117

5. Les perspectives

118

5.1 La confrontation à l’hypothèse

Au cours de ce travail de recherche, notre questionnement quant à l’usage de la simulation

en santé dans une perspective éthique s’est particulièrement orienté vers le débriefing.

Nous avions formulé l’hypothèse fondamentale suivante : « le débriefing réalisé à l’issue

d’une séance de simulation en santé, animé par le cadre de santé formateur,

constituerait un espace propice au développement d’un agir éthique de l’apprenant

au regard du processus engagé de nature réflexive, collective et délibérative. Il ne se

limiterait pas à une interaction des apprenants quant à l’acquisition de gestes

techniques ou d’attitudes et il traduirait leur capacité à co-construire face à la

complexité des situations rencontrées. »

Le soin, ou plus précisément la prise en soins du patient selon un modèle holistique, ainsi

que son apprentissage en situation simulée, ne peut se réduire à une succession de gestes

ou de postures standardisés. Substituer au soin l’attention et la sollicitude s’y rattachant,

consisterait à faire disparaître ce qui en constitue l’essence fondamentale et rend possible

l’acte de soigner. Celui-ci n’est pas uniformisable car il se caractérise par sa singularité,

« les interactions qui se produisent dans une telle situation où tous les éléments sont tissés

ensemble, sont des interactions uniques. Ceci veut bien dire que chaque situation de vie

rencontrée par le professionnel est une situation définitivement singulière, elle ne se

répétera pas. » (Hesbeen, 1997, p.33)

Quant au corps du patient, parfois révélé par la maladie ou les stigmates d’interventions

médicales, il est le lieu de multiples significations non réductibles à la dimension physique.

« Evoquer le corps dans les soins, c’est s’aventurer bien au-delà de la dimension physique.

L’incarnation de l’être se définit avec son environnement, autrui, dans une temporalité, et

génère une multitude de significations tant anthropologiques que philosophiques. »

(Zimowski, 2014a, p.755)

Dans la situation simulée de Mr Dupont, le scénario est resté identique lors des multiples

sessions pédagogiques mais chaque prise en soins proposée par les étudiants était

singulière, dépassant l’approche d’un corps souffrant et porteur d’altérations physiques. De

119

fait, chaque débriefing réalisé à l’issue du soin pratiqué était également singulier. Les

différences identifiées lors de l’observation de débriefings, attestant de la singularité et de

la complexité des prises en soins, portent davantage sur la « manière » que sur la

« matière » des discussions instaurées. En effet, il existe une récurrence des thématiques

abordées par les étudiants lors des débriefings mais la façon d’analyser les faits évoqués et

les concepts sous-tendus diffèrent d’un groupe à l’autre.

L’observation de débriefings atteste d’une pluralité de paradigmes influençant l’animation

pédagogique et la manière dont l’éthique se dessine lors des discussions instaurées.

L’éthique rend dicible le sens de l’action et demeure indissociable de toute prise en soins,

réelle ou simulée, comme le résume un cadre de santé formateur au cours d’une auto-

confrontation croisée : « obligatoirement oui, car quel que soit le soin, l’éthique à sa

place ». Incontestablement, la réflexion éthique est présente lors des débriefings observés

et elle revêt différents aspects.

La pluralité des paradigmes et la diversité des approches de l’éthique représentent une

force pour le collectif bien que cela puisse générer parfois des incompréhensions chez les

acteurs, d’où la nécessité de « reconstruire le sens d’un monde commun. » (Maesschalck,

2010, p.25)

Une visée éthique de l’usage de la simulation en santé serait donc à envisager

dialectiquement à un double niveau, représentant les deux faces d’une même pièce de

monnaie. D’une part, dans une perspective soignante, elle prendrait sens au travers

de l’analyse réflexive des apprenants lors des débriefings. D’autre part, dans une

approche plus spécifique à l’éthique de la pédagogie, elle se traduirait par la

poursuite des réflexions engagées lors des auto-confrontations croisées et par une

redéfinition du pouvoir d’agir des cadres de santé formateurs. Ces deux niveaux se

rejoignent par la même nature pragmatiste dont Aiguier nous rappelle l’enjeu : « il

s’agit plutôt de viser le développement, par les acteurs des pratiques, d’une capacitation

éthique qui leur permette de s’engager collectivement dans une redéfinition de leur agir

professionnel et dans la production en contexte des compétences adaptées aux situations

problématiques auxquelles ils ont à faire face. » (Aiguier et al., 2012, p.17)

Questionner l’usage de la simulation en santé pour l’éthique et son apprentissage, c’est

s’intéresser aux ressources et aux capacités des cadres de santé formateurs.

120

La capacité1 se définit ici, en référence au concept de capabilité, comme « un ensemble de

vecteurs de fonctionnements, qui reflètent la liberté dont dispose actuellement la personne

pour mener un type de vie ou un autre. » (Sen, 2000, p.65)

Le débriefing réalisé à l’issue d’une séance de simulation en santé est propice au

développement d’un agir éthique de l’apprenant, au regard du processus engagé de

nature réflexive, collective et délibérative, à condition cependant que les cadres de

santé formateurs puissent eux aussi s’engager collectivement dans une redéfinition de

leur pouvoir d’agir.

Mobilisée dans une volonté d’amélioration de la sécurité des patients, la simulation en

santé n’en demeure pas moins une activité pédagogique à risque comme en témoigne le

vécu négatif exprimé par les étudiants lors des débriefings. Le pouvoir d’agir des cadres de

santé formateurs s’inscrit dans un large spectre, oscillant entre la préservation de

l’apprenant d’un traumatisme psychologique et le développement de multiples

compétences, dont celles inhérentes à la démarche éthique.

Une visée éthique de l’usage de la simulation en santé révèle aux cadres de santé

formateurs leur responsabilité et leur liberté d’action au regard de cette nouvelle

approche pédagogique. En effet, ils sont investis d’une responsabilité morale car la

simulation en santé n’est pas une modalité pédagogique neutre pour l’apprenant et

elle nécessite de questionner le sens des pratiques. Ils jouissent aussi d’une grande

liberté. Celle, influencée par la créativité, leur permettant de convertir les ressources

dont ils disposent, en capacités (au sens de Sen), et d’exercer des choix quant aux

différentes réalisations possibles. L’une de ces réalisations pouvant être la

contribution au développement d’un agir éthique chez l’apprenant.

Nul doute que notre recherche-intervention influencera l’optimisation des pratiques

pédagogiques. Nos préconisations s’envisageront à différentes échelles, de l’acteur à une

réflexion politique quant à l’usage de la simulation en santé.

_______________ 1Nous précisons ici une utilisation parfois indifférenciée des termes capacité et capabilité.

121

5.2 Les préconisations

La réalisation de notre recherche-intervention a été possible grâce à la volonté des acteurs.

Les cadres de santé formateurs ont accepté d’être observés et de questionner le sens de

leurs pratiques, ce qui atteste d’une réelle mobilisation du collectif. Notre travail de

recherche revêt une intention compréhensive et il représente l’opportunité pour les cadres

de santé formateurs de poursuivre la démarche collective, réflexive et délibérative,

amorcée quant à l’usage de la simulation en santé.

Ce questionnement collectif constitue le fondement d’une visée éthique de l’usage de

la simulation en santé. Les conditions de sa mise en œuvre étaient réunies bien avant

la réalisation de notre recherche-intervention mais il mérite d’être entretenu afin de

renforcer le pouvoir d’agir des acteurs.

Lors des auto-confrontations croisées, les cadres de santé formateurs ont explicité certaines

difficultés rencontrées, notamment au regard de l’évaluation de leur prestation

pédagogique ou de l’animation en binôme, porteuse à la fois de richesses et

d’incompréhensions mutuelles. Notre enquête atteste de leur capacité à analyser des

pratiques professionnelles et à s’engager collectivement dans une recherche de

perspectives face aux problèmes rencontrés. Il appartient désormais au collectif de

pérenniser la démarche engagée, de préciser ses objectifs, de définir ses normes et ses

principes tout en intégrant les contraintes environnementales pour ne pas les subir. Soit,

d’exercer librement la pluralité du pouvoir d’action dont il dispose. A titre d’exemple, il

serait possible d’envisager une évaluation des pratiques pédagogiques initiée par les

acteurs. Le collectif détient les ressources intrinsèques et environnementales nécessaires

pour s’auto-évaluer, construire sa grille d’évaluation non circonscrite à l’addition de

perceptions individuelles.

Le partage de valeurs et de références communes facilitera la collaboration entre les

membres du groupe par une meilleure compréhension des différentes modalités

d’animation à l’œuvre lors des débriefings de séances de simulation en santé.

122

Rappelons que notre enquête a été réalisée auprès d’un groupe de formateurs, sans autorité

fonctionnelle ou hiérarchique entre les membres, et dans l’instauration d’un climat de

confiance. Celui-ci est à préserver et à entretenir chaque jour afin de rendre possible le

processus collectif. A l’instar de la démarche soignante, la confiance est fondamentale à

l’instauration d’une relation de qualité entre les individus. Elle permettra de constituer et

de redéfinir le collectif. Il peut s’agir d’un groupe restreint, réunissant quelques formateurs,

ou d’un collectif s’étendant plus largement au sein de l’institution et favorisant l’inclusion

d’autres professionnels de santé.

Les capacités des acteurs à exercer leur pouvoir d’agir sont influencées également par les

ressources des institutions. Ces ressources ne sont pas figées et sont parfois à découvrir.

Notre travail de recherche a été l’opportunité d’appréhender d’autres usages de la

simulation en santé comme l’approche pédagogique proposée par l’association belge

sTimul, visant à développer une posture éthique et réflexive (Schollaert, 2013). Avec le

soutien de l’Université Catholique de Lille, nous souhaiterions proposer à plusieurs

formateurs de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de Douai de participer à

une session organisée par sTimul en Belgique afin de découvrir des modalités différentes

de la simulation en santé. Ce projet de confrontation à d’autres pratiques est propice à

l’esprit critique dans une visée constructive renforçant la créativité pédagogique.

L’institution est un catalyseur du pouvoir d’agir des acteurs mais il appartient à ces

derniers de construire le sens de leur monde commun. A titre d’exemple, l’écriture du

projet de formation pour la promotion infirmière 2016-2019 aura lieu prochainement. La

déclinaison du projet pédagogique régional par le site de Douai nécessite une réflexion

consensuelle quant à la définition du rôle du cadre de santé formateur. A cette occasion,

nous souhaiterions représenter une force de proposition pour dépasser une conception

individuelle de la fonction et aboutir à une définition conceptuelle empreinte d’une

dimension collective. En effet, le formateur n’est pas uniquement un concepteur et un

animateur de la formation, il est membre d’un collectif apprenant, œuvrant pour

l’amélioration des pratiques pédagogiques. La recherche consensuelle d’une définition

reconnaissant le cadre de santé formateur comme un membre d’un collectif apprenant

permettrait de légitimer les actions engagées. Ce travail d’écriture au sein du projet semble

primordial afin de rappeler à chacun son inscription dans une démarche collective et

d’encourager institutionnellement la poursuite du processus engagé.

123

Notre institution ne se limite pas à l’établissement de Douai puisque six sites constituent

l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-de-Calais. Le

potentiel représenté par cette force institutionnelle est incontestable car il contribue chaque

année à la formation de plus de 30 % du volume d’étudiants infirmiers formés dans la

région1. En Septembre 2015, un groupe de travail régional s’est constitué. Il mobilise les

compétences de cadres de santé formateurs de différents sites et d’une directrice pour

favoriser le développement de la simulation en santé et l’optimisation des pratiques

pédagogiques s’y rattachant. Ce groupe représente véritablement l’opportunité d’envisager

de nouvelles perspectives pour l’usage de la simulation en santé. Au regard de nos

missions, nous n’avons pu intégrer le groupe de travail. Néanmoins, nous ne manquerons

pas de partager les réflexions se dégageant de notre recherche-intervention.

Enfin, notre travail de recherche s’inscrit dans une perspective politique. A ce titre, nous

avons rédigé un article intitulé « la simulation en santé : entre obligation et opportunité

pour un agir éthique », à paraître au cours du deuxième semestre 2016 dans un prochain

numéro de la revue Ethica Clinica. Notre intention est de diffuser le plus largement

possible notre réflexion auprès des professionnels de santé et de la formation, concernés

par l’usage de la simulation en santé, afin de susciter la poursuite des questionnements

entrepris. Nous avons mis en lumière certaines potentialités offertes par la simulation en

santé, particulièrement en matière d’éthique. Il en existe probablement d’autres, à inventer

ou à découvrir par les acteurs, qui constitueront de nouvelles ressources pour

l’accroissement de leur pouvoir d’action.

_______________ 1D’après le rapport annuel 2011 de Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale (IRFSS) Nord / Pas-

de-Calais.

124

Conclusion

En paraphrasant la pensée de Stiegler, nous pouvons affirmer que la simulation en santé,

comme tout objet technique, constitue un pharmakon, à la fois poison et remède. Les

professionnels de santé sont confrontés aujourd’hui à des enjeux majeurs sous-tendus par

le développement de la simulation en santé. Les obligations justifiant son usage

dissimulent des opportunités à découvrir et particulièrement l’émergence d’une créativité

émancipatoire. « Ce qui tend à produire de la dépendance doit alors devenir ce qui permet

de s’émanciper de la même dépendance. » (Stiegler, 2008, p.170)

Pour les cadres de santé formateurs, l’obligation de recourir à la simulation en santé

prendra alors un sens différent à condition qu’ils puissent collectivement saisir les

opportunités offertes par une telle innovation pédagogique, construire de nouvelles

perspectives et regagner ensemble un pouvoir d’action pédagogique.

Une visée éthique de l’usage de la simulation en santé se caractérise par la possibilité qui

nous est offerte de créer ou renforcer des liens : entre le sujet et la technologie, quant à sa

manière de l’apprivoiser dans une approche située, mais aussi au regard d’un maillage des

enseignements propice à l’apprentissage d’une prise en soins holistique. Selon nous, le lien

principal demeure avant tout celui qui relie les acteurs, à l’occasion des débriefings avec

les étudiants ou lors des analyses de pratiques professionnelles des cadres de santé

formateurs, car il conduit à l’optimisation des prestations pédagogiques et in fine des

pratiques soignantes. Rappelons ici que le soin constitue fondamentalement une forme de

lien. (Svandra, 2009, p.19)

Notre recherche représente l’opportunité d’appréhender d’une autre manière l’usage de la

simulation en santé et, peut-être, de contribuer humblement à l’évolution de l’exercice

professionnel infirmier. D’autres perspectives restent à inventer tout en évitant les écueils,

que cela soit par cette innovation pédagogique ou par toutes celles à venir. Les acteurs des

systèmes institutionnels, qu’ils soient étudiants ou professionnels de santé, partagent une

responsabilité collective pour une finalité commune : l’optimisation de soins de qualité

conciliant l’autonomie et la vulnérabilité du sujet.

125

Cette visée mérite de dépasser l’approche par compétences, traditionnellement admise,

pour investir davantage d’autres modèles, comme celui proposé par Sen. Il invite les acteurs

à exercer pleinement leurs capabilités par la transformation des ressources dont ils

disposent en réalisations porteuses de sens. (Sen, 2000) Dès lors, la qualité du soin

dispensé ne pourra s’évaluer à l’aune de compétences dans une situation donnée, puisque

celles-ci ne garantissent aucunement l’accomplissement de l’individu et l’inscription d’un

exercice soignant dans la durée.

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- Instruction n° DGOS/PF2/2013/383 du 19 Novembre 2013 relative au

développement de la simulation en santé

- Arrêté du 26 Septembre 2014 modifiant l’arrêté du 31 Juillet 2009 relatif au

diplôme d’Etat d’infirmier

Sources internet

- Association de défense des patients et des usagers de la santé, le LIEN

http://lelien-association.fr/asso/

- Centre d’Apprentissage d’Attitudes et d’Habiletés Cliniques (CAAHC)

http://www.caahc.org/index.html

- Centre Hospitalier Intercommunal des Alpes du Sud

http://www.chicas-gap.fr/france/ACTUALITES/news/Actualites.html

- Centre Hospitalier Universitaire d’Amiens

http://www.chu-amiens.fr/document.php5?id_document=497

- Centre Médical de Simulation de Boston

https://harvardmedsim.org

- Hospimedia

http://abonnes.hospimedia.fr/articles/

- Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE)

http://www.insee.fr/fr/mobile/etudes/document.asp?reg_id=0&id=3806,

- Laerdal®

http://www.laerdal.com/fr/NursingAnne#/Webshop/MAINPRODUCTS

- Site internet de Philippe MEIRIEU

http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/alternance.htm,

- Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes

http://www.sante.gouv.fr/financement-des-etablissements-de-sante,6619.html

- Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR)

http://www.sfar.org/acta/dossier/archives/ca07/html/ca07_03/ca07_03.htm,

- Université de Bourgogne, « DU Formation de formateurs à l’usage de la

simulation pour les métiers de la santé »

http://www.u-bourgogne-formation.fr/-Formation-de-Formateur-a-l-Usage-.html

ANNEXES I

Annexes

ANNEXES II

Annexe 1 :

Le guide d’observation du débriefing

Eléments recherchés Indicateurs

L’objectivité de la

circulation de la parole

- la durée totale du débriefing

- la durée du temps de parole du formateur

- le ratio du temps de parole formateur / apprenant

- le pourcentage d’apprenants s’exprimant

La facilitation de la

communication

- l’environnement est adapté - les objectifs du débriefing ont été explicités

- un climat de confiance est instauré

- le formateur manifeste du respect pour les étudiants et

veille à leur sécurité psychologique - la parole de chacun est entendue et respectée

- le formateur invite et encourage les apprenants à la prise

de parole et à l’expression des réactions - l’absence de critiques non constructives

- les échanges sont facilités grâce aux techniques de

communication verbales et non-verbales - le formateur guide les échanges vers l’analyse de la

prestation des apprenants

L’existence d’une

démarche d’enquête

- l’analyse ne se limite pas aux aspects techniques de la

situation simulée

- divers problèmes en lien avec la situation simulée sont

identifiés

- une situation problématique est définie - la situation est analysée en contexte à l’issue d’une récolte

des données disponibles, l’analyse intègre les observations

de la séance de simulation ainsi que les expériences

cliniques des participants - en référence au problème identifié, des hypothèses, des

suggestions ou des solutions sont proposées par les

participants - au regard des résultats espérés, certaines propositions du

groupe sont retenues

- les essais de solution sont testés par un retour sur les faits

L’existence d’un processus

méta-réflexif

- les tentatives de solution sont évaluées par les étudiants, tant au regard des décisions envisagées que du processus

de réflexion collective mis en œuvre

- les effets de la réflexion collective sont partageables à

d’autres apprenants

ANNEXES III

Annexe 2 :

La retranscription de l’observation d’un débriefing

Personnes présentes : 2 formateurs, 1 acteur (patient), 11 étudiants.

Durée : 1h12.

Temps de parole des étudiants : 42 mn, dont 18 mn pour les 2 étudiants acteurs.

Légende :

- E : Etudiant, E1et E2 sont étudiants acteurs

- F : Formateur

- A : Acteur (patient)

NB : pour conserver l’anonymat des personnes, nous avons uniquement retranscrit les

prénoms des participants sous la forme A, Fx ou Ex ainsi que la première lettre des

prénoms des étudiants évoqués lors des discussions.

F1 : Donc, la situation vous l’avez comprise, en chirurgie. On va déjà demander aux deux

principaux intéressés ce qu’ils ont pensé, ce qu’ils ont ressenti, comment ça s’est passé cette

séquence que l’on a limitée à dix minutes, puisqu’au bout de dix minutes vous aviez à peu près

rempli le contrat au regard de l’objectif que l’on avait. Pour vous, quel était précisément l’objectif ?

E1 : euh…, je pense qu’il s’agissait de prendre en charge davantage la souffrance psychologique du

patient face à sa colostomie. Je pense que c’est surtout cela que l’on nous demandait. Je pense qu’à

mesure qu’on lui parlait, bizarrement, la douleur semblait moins importante. Il semblait beaucoup

moins crispé, maintenant, je ne sais pas si je me trompe.

F1 : Est-ce que vous pouvez, là vous nous avez donné l’objectif, mais est-ce que vous pourriez nous

parler de votre vécu ? Comment ça s’est passé quand vous êtes rentrés dans la chambre ? Qu’est-ce

que vous avez ressenti lorsque vous êtes rentrés dans la salle ?

E1 : En rentrant de la salle, j’étais surpris de voir que c’était un formateur qui jouait le rôle du

patient (rire).

F1 : Alors… Cela fait quelque chose, ça bouscule, c’est gênant…euh ?

E1 : C’est vrai que le fait que ça soit un formateur, sur le coup …Mais après je pense qu’on oublie.

Au début, on se dit, bon, j’ai un formateur en face de moi mais après on se dit, bon, on s’occupe du

patient.

F1 : Donc, vous avez réussi à dépasser cette première impression ?

E1 : Quand je suis rentré dans la pièce pour la première fois, j’étais un peu gêné et la deuxième fois

ça allait.

F1 : Gêné par rapport à quoi ?

E1 : bah…que ce soit un formateur en face de moi (rires). Après, c’était difficile de pas savoir quoi

faire au début.

E2 : Oui, c’est surtout de ne pas savoir quoi faire, on n’avait pas vraiment de stratégie.

E1 : On n’avait pas de stratégie et on n’a pas eu le temps de lire tout le dossier. On n’avait pas tous

les éléments, on était un peu dans le flou.

F1 : Vous aviez eu beaucoup d’indications non ?

(silence)

ANNEXES IV

E2 : Pas tant que cela. Est-ce qu’il n’y avait pas un élément manquant ?... euh

E3 : Il y avait une consigne de prise en charge, non ?

E4 : euh… c’était quoi vos rôles ?

E1 : On est tous les deux étudiants.

F1 : Je n’ai donné aucune information, si ce n’est l’information que vous aviez, qui a été lue en

direct, qui a été transmise à l’ensemble du groupe concernant le patient. On se retrouve dans la

salle de soins, je suis l’infirmier du service dans lequel a été hospitalisé Mr Dupont. Il a appelé en

sonnant. Vous m’aviez demandé son dossier et je vous ai autorisé à le prendre. La seule indication

que je leur ai donné c’est : « Mr Dupont sonne, allez le voir ».

E4 : euh… C’est parce que j’avais cru comprendre que vous aviez défini un rôle particulier.

F1 : Non, et en même temps le rôle est relativement défini puisque donner la consigne d’aller voir

le patient dont le dossier est connu et a été visité par… Je leur ai transmis le dossier et demandé de

répondre à la demande du patient.

E1 : En fait, quant on est retourné dans la salle de soins, vous nous avez simplement dit que l’on

était en 3ème

année et que l’on était capable de le prendre en charge (rires). Je me suis demandé s’il

n’y avait pas quelque chose d’autre. Lorsqu’on est retourné dans la chambre, j’ai cherché que

pouvait être l’origine de la douleur, voir s’il y avait un saignement ou autre, c’est pour cela que j’ai

regardé le pansement.

E4 : T’as alors regardé le dossier pour chercher…

E1 : J’ai cherché s’il avait déjà eu un antalgique.

E4 : C’était bien, parce que moi j’ai noté…, c’était positif parce que t’as posé la question de savoir

ce qu’avait dit le médecin. Je trouvais cela bien. Après, en tant qu’observateur, j’ai surtout ressenti

un malaise. Je me suis dit cette situation là, c’est arrivé plein de fois, surtout en 1ère

année.

Justement, on va dans la chambre parce que le patient sonne et parce que c’est notre rôle mais en

fait le patient souffre, il a mal, et en fait, le problème est déjà traité. Il y a autre chose en fait et du

coup, parfois, on peut être surpris parce qu’il y a clairement une demande de sa part. Pour ça, le fait

d’avoir mener un entretien c’était intéressant, dans la prise en charge. Et oui, effectivement il y a un

lien entre la douleur physique et …

E1 : Et oui parce qu’au cours de la situation, on voyait qu’il était plus détendu, il parlait plus

facilement.

F1 : Moi ce que j’aimerais bien, je vous coupe, excusez-moi, mais on y reviendra après à tout cela.

Qu’est-ce que vous vous dites lorsque vous venez me voir dans la salle de soins et que je vous

envoie gentiment promener en disant : « débrouillez-vous, vous êtes en 3ème

année ». Entre le

moment où vous sortez de cette salle de soins et le moment où je vous vois réapparaitre dans la

chambre, je me dis ils se sont perdus. Qu’est-ce que vous vous êtes dits dans le couloir ?

E2 : Avant d’entrer dans la chambre ?

F1 : Avant de rentrer dans la chambre, vous avez du communiquer tous les deux, vous vous êtes

concertés ? Qu’est-ce que vous vous êtes dits quand vous êtes sortis de la chambre la première fois

pour demander l’antalgique. Vous avez communiqué tous les deux et adopté une stratégie ?

E2 : On s’est dit ce que l’on allait faire lorsqu’on allait entrer dans la chambre. On s’est dit que l’on

allait faire un entretien.

F1 : Pour vous, ce n’est pas la douleur physique qui est importante mais la douleur psychique. Vous

vous êtes dits : « il faut que l’on fasse un entretien » ; qui a réalisé l’entretien ?

E2 : Enfin, c’est venu naturellement, on s’est dit : « on va s’asseoir et on va discuter avec le

patient », après c’est venu tout seul. On a vu une photo de sa femme tout ça, posée sur l’adaptable.

On s’est demandé comment parler de sa maladie. La photo de sa femme, cela lui rappelle la vie

d’avant, comment vivre avec tout ça maintenant ?

E4 : Oui c’est cela, c’est pour la phase d’acceptation.

ANNEXES V

E2 : On a lu dans le dossier que la colostomie était transitoire, par contre on ne savait pas lui dire

combien de temps. On ne savait pas lui dire jusqu’à quand. On n’a pas de réponse.

F1 : Qu’est-ce qui vous a interpellé chez le patient, dans la communication, dans ses mimiques ?

Qu’est-ce qui vous décide à faire un entretien ?

E2 : C’est le fait qu’il évoque des douleurs partout, il ne sait pas trop dire sa douleur, il ne la

maitrise pas. Il est crispé dans le fauteuil. C’est depuis que le chirurgien est passé.

E5 : C’est depuis l’annonce de cette poche en fait, c’est cette poche, cette poche…

(silence)

E5 : Et au niveau de la thérapeutique, elle a été renouvelée ou pas par rapport aux infos du dossier ?

Il a un antalgique si douleur donc vous écartez le fait…

E1 : Non, non, il a eu un antalgique il y a trente minutes, donc il aurait agi en termes de délai

d’action.

E5 : Déjà cela peut conditionner… euh le fait qu’il soit déjà sous antalgique d’aller chercher plus

loin. Cela nécessite pour le soignant d’aller chercher plus loin, après s’être assuré que cela ne soit

pas lié à un problème de thérapeutique. Du coup pour l’entretien, c’est plus une question… Toi tu

le conduis, toi tu l’assistes mais comment tu te positionnes en tant qu’assistant ? Le fait d’être

deux, je trouve que parfois c’est la place du deuxième…

E2 : Oui c’est difficile.

E1 : Cela peut aider aussi si le premier ne sait plus.

E5 : Oui, cela peut te rassurer. Mais cela va rassurer qui ? Du coup, enfin je ne sais pas.

E6 : Cela rassure le collègue étudiant ou est-ce que cela crée une véritable réassurance pour le

patient ? Sur l’entretien il y avait des forces…

E1 : J’avais plus de chose à dire sur la maladie car mon stage est en chirurgie viscérale. Du coup, je

connais un peu…

E6 : ben… justement, ce qui est malin, c’est que ton collègue W. a peut-être senti ton expérience

par rapport à ton terrain de stage. Il s’est peut-être appuyé sur ton expérience en chirurgie viscérale.

E2 : J’ai aussi essayé de m’appuyer sur le cours que l’on avait eu en 1ère

année avec les patients

porteurs de stomies qui étaient venus témoigner. J’ai essayé de ressortir ce qu’ils nous avaient dit

par rapport à la poursuite du travail…il y avait même un camionneur, du coup quand Mr Dupont

nous a dit qu’il était barman…

E1 : En fait, on s’est un peu complété l’un et l’autre.

E7 : Après, moi je rejoins V. sur le positionnement. Je ne sais pas si être à deux, c’est pas

impressionnant pour le patient. Si je ne me sentais pas bien, mal à l’aise, en souffrance, je ne sais

pas. Après et surtout vous étiez installés de face ; W. s’est mis sur le côté et là, s’était un peu

frontal dans l’observation.

F1 : Excusez-moi M., vous le sentez comme une agression ?

E7 : En fait, en tant qu’observateur, pas une agression mais…

F1 : Cela vous choque ?

E7 : Non, ce n’est pas choqué mais…

E6 : Le fait qu’il soit en face devant lui cela fait vraiment : « maintenant on vous observe ! »

F2 : Quand vous avez commencé l’entretien, vous avez commencé par deux mots, vous vous

souvenez ?

(silence)

E1 : « Dites-moi ».

F2 : « Dites-moi », qu’est-ce qu’il vous a répondu ?

(silence)

E4 : Il a répondu : « qu’est-ce que vous voulez savoir ? ». Peut-être ce que le chirurgien a dit…

ANNEXES VI

E4 : « Dites-moi » je trouve cela intrusif, je ne sais pas comment dire…C’est un terme à l’impératif

déjà, on donne un ordre.

F2 : C’est à l’impératif mais qu’est-ce qui est recherché ?

E8 : Que le patient s’exprime.

F2 : C’est donc une démarche d’exploration.

E1 : C’est dit à l’impératif mais il y a une volonté…euh. Ce n’est pas dit sur le ton…

F2 : C’est à l’impératif et on essaye avant tout de comprendre les choses, il y a une démarche de

compréhension, c’est permettre à l’autre de verbaliser. Ce que l’on peut dire, c’est que l’attitude de

compréhension était là et c’est ce qu’il fallait faire, on peut le dire comme ça.

E5 : C’est vrai que l’entretien d’accueil était très juste, c’était très pertinent. Vous avez mis en place

l’entretien, vous avez montré que vous accordiez du temps, vous avez pris du temps.

F2 : La personne qui pourrait dire si c’était pertinent, c’est le patient. C’est lui qui peut exprimer

son ressenti au regard de votre attitude d’écoute. La façon dont vous avez écouté, la façon dont

vous vous êtes positionnés. Comment, il a pu ressentir les choses, quelle pourrait être sa

perception ?

E4 : On pourrait demander au patient, on peut se l’autoriser ?

F1 : Oui.

A : Sur l’instant, c’était surprenant l’installation, honnêtement. Ce n’est pas trop la dimension

frontale qui m’embêtait mais le fait d’être enfermé. Quelque part, j’avais l’impression d’être

complétement prisonnier… Dos à un fauteuil, un adaptable sur le côté et deux étudiants en face de

moi.

E4 : Par rapport à ça, le fait qu’ils soient deux, le côté fermé, c’est le fait de se positionner à deux.

Est-ce que vous, en tant que patient, vous choisissez un interlocuteur ? C’est ça la question… Ils

sont deux, à qui je réponds ? A qui je m’adresse ?, en tant que patient…

A : L’interlocuteur, c’est celui qui m’a adressé la parole en premier, c’est celui qui m’a semblé en

capacité de répondre à ma demande. En tant que patient, il y a surtout un instant qui m’a semblé

très long, c’était l’attente de votre retour dans la chambre. J’imagine que dans un contexte de

douleur cela doit paraitre interminable.

E8 : Peut-être qu’ils n’auraient pas dû sortir en même temps de la chambre. L’un aurait pu rester

dans la chambre avec le patient et l’autre aurait pu aller chercher les informations complémentaires

à l’extérieur. Plutôt que de laisser le patient tout seul. Je ne sais pas si c’est possible, mais cela

aurait nécessité de mener l’entretien différemment.

F1 : Cela peut être une solution… Le côté réassurant des deux peut au final être perçu comme un

comportement de fuite.

F2 : Oui cela peut être perçu ainsi par le patient, ils sont peut-être plusieurs autour de moi parce

qu’ils ne savent pas trop quoi répondre à mes préoccupations. Du coup, il y a une angoisse qui

devient partagée, il y a la sienne et celle de l’équipe. C’est vrai que c’est important d’y réfléchir. La

coordination, cela aurait pu être une belle option.

(silence)

A : La première fois que vous êtes entrés, c’était très « technique », centré sur l’antalgique. J’ai

remarqué que lorsque vous êtes rentrés dans la chambre vous étiez plus centrés sur le dossier, dans

une approche très objective tandis que lorsque vous êtes revenus dans la chambre, vous m’avez

témoigné plus d’attention. Le regard était différent.

E5 : C’est vrai qu’à un moment il y a eu un silence, c’était pertinent aussi car cela permet de

relancer la discussion, cela rythmait bien l’entretien. A ce moment là, tu as ouvert le dossier, je ne

sais pas si c’était pour combler…

E1 : C’est parce qu’il me parlait de sa fille et de la piscine, je voulais voir s’il y avait des

informations.

ANNEXES VII

F1 : Il est clair qu’il y a cette première partie d’entretien avec Mr Dupont où vous vous cachez

derrière le dossier, tous les deux. Vous percevez le désarroi et vous allez rechercher l’information

par rapport à la douleur, par rapport à une éventuelle prescription. La deuxième fois, quand vous

avez pris une autre option, quand vous avez découvert qu’il n’était plus attendu une réponse

médicamenteuse, mais psychique, on ne voit plus le dossier et vous ne vous cachez plus derrière

lui.

A : Je me permets, par rapport à ce que vous disiez, le fait de sortir à deux de la chambre, cela

permettait d’élaborer votre stratégie. Je souhaiterais que vous expliquiez comment vous avez

procédé à l’extérieur de la chambre car pour moi le temps semblait réellement long.

E2 : euh…. Je ne sais pas, nous on est resté une minute dans le couloir, même pas.

E6 : Nous, on ne l’a pas perçu si long que cela. Maintenant c’est vrai que pour le patient, la

perception doit être différente. « On va revenir », mais dans combien de temps ? Il n’y a pas de

notion de temps dans « on va revenir », c’est assez vaste.

F1 : Cela montre que la temporalité du patient et la temporalité du soignant ne sont pas les mêmes.

Que ce ne sont pas les mêmes dynamiques.

F2 : Peut-être qu’il est possible de donner des éléments de précision dans votre reformulation,

notamment sur les conditions du retour dans la chambre.

(silence)

F1 : Moi, je souhaiterais revenir sur le vécu des observateurs. Qu’est-ce que cela vous fait lorsque

vous voyez vos deux collègues W. et S. entrer dans la chambre ? Qu’est-ce que vous avez ressenti ?

E4 : Moi, j’étais content de ne pas y être allé (rires).

F1 : Et au-delà d’être content de ne pas y être allé ?

E5 : Moi, j’étais gêné, cela m’a vraiment rappelé certaines situations de stage : « on dit quoi ? Je

fais quoi ? »

E6 : En même temps, on se sent impuissant et en même temps, on va agir. Je me suis

demandé pourquoi vous êtes partis de la chambre.

F1 : Vous aviez perçu que c’était une souffrance psychique ?

E6 : J’aurais au moins essayé de le faire parler. Je serais resté dans la chambre pour faire verbaliser

le patient mais bon après…

F2 : Oui mais ce sont deux acteurs. Est-ce qu’il n’y a pas un moment la nécessité de se mettre en

phase, de se coordonner et pas directement face au patient. Finalement, après c’était plus fluide une

fois que vous êtes rentrés.

E2 : Moi, quand je suis sorti, c’est parce que j’avais l’impression qu’il me manquait des

informations. Savoir si je n’ai pas oublié quelque chose et s’il n’y a pas réellement une douleur.

F1 : Vous aviez besoin de directives ?

E2 : Pas de directives, mais après c’était plus clair.

F2 : Oui, mais en sortant vous avez pu vous coordonner, élaborer tout un raisonnement clinique qui

s’est opéré durant la phase de concertation pour aboutir à la décision la plus adaptée. Si on pouvait

s’imaginer que vous étiez seul… Est-ce que vous auriez fait différemment si vous étiez seul ?

E2 : Je pense que je serais sorti quand même.

E3 : Seul, la donne est différente. Peut-être qu’il y a nécessité de sortir tout de même pour agir au

mieux ensuite.

E4 : Ressortir seul cela permet d’être au clair avec nous et de ne pas rester devant le patient sans

rien faire. C’est important de partir pour s’isoler, pour bien remettre les choses dans sa tête, être au

clair quand on rentre dans la chambre.

E5 : Après du coup, dans l’idée d’être seul, moi je me vois plus m’asseoir par rapport à cette

évolution… Rester dans la présence et établir la conversation car il était quand même communicatif

le patient.

ANNEXES VIII

E7 : Après, moi je pense que je me serais assis quand même. Il y aurait eu des silences mais je

pense que le patient n’était pas fermé à la conversation.

F1 : Si je reformule et que j’essaie de synthétiser un peu, cela veut dire, dans ce type de situation,

qu’il peut être important de faire une coupure entre un premier avis technique, qui serait une

réponse médicamenteuse autour de l’action, de l’acte lui-même. Et puis on décide que ce n’est pas

cela qui est attendu par le patient et qu’il y a autre chose. Il est donc important de couper, de sortir

de la chambre pourquoi pas, de revenir pour avoir une seconde séquence thérapeutique.

E4 : Pas exactement, là il s’attendait à une douleur physique etc., et ne pas savoir quoi faire... Je

pense qu’il y a nécessité de sortir pour ne pas montrer son dépourvu au patient car il pourrait

l’interpréter et cela pourrait augmenter son angoisse.

(silence)

F1 : C’est peut-être important de se poser la question de ses propres observations, de ses propres

capacités. Finalement, d’élaborer la stratégie. L’option est peut-être nécessaire lorsqu’il y a le doute

dans les observations. On est d’accord, il y a une angoisse, il y a une souffrance morale mais la

douleur n’est-elle pas aussi ailleurs ?

(silence)

E8 : C’est la vision de son corps qui est modifiée, il se retrouve avec une poche.

E7 : Il l’identifie. Il dit : « moi je veux être comme avant, je veux vivre comme avant », même si on

appuie sur le fait que cela soit transitoire, la durée n’est pas définie, la colostomie est transitoire.

Enfin, même si c’est un deuil temporaire, là c’est tout de même un deuil pour le patient. C’est aussi

l’estime de soi, l’image de soi.

F2 : C’est temporaire mais il ne sait pas combien de temps cela va durer. Il y a une incertitude qui

est exprimée par le patient. Il y a beaucoup de doutes chez lui. Il y a une incertitude qui est levée un

petit peu mais vous entendez ses préoccupations. Il parle de sa femme, de son travail… Il y avait

une photo sur l’adaptable et vous l’avez observée.

E1 : Je lui ai parlé de sa femme et de sa fille. C’était vraiment votre femme et votre fille sur la

photo (en regardant l’acteur) ?

A : Oui, C’est bien ma fille et ma femme, Mme Dupont (rires).

F2 : Ce qui avait de sous-jacent, c’était la volonté de reconnaitre sa souffrance au travers de l’intérêt

porté à sa situation.

F1 : Effectivement, vous êtes dans la reconnaissance de sa souffrance.

E1 : Oui, mais en même temps, 32 ans c’est mon âge. Je me dis cela peut-être moi à sa place. Dans

la chambre, j’en avais conscience que c’était mon âge. Je comprends que cela soit difficile pour lui.

F1 : Ce que nous décrit S., c’est une projection…

E6 : De toute façon, plus tu vas avancer en âge, plus ton histoire de vie va se rapprocher de celle du

patient. De toute façon, il y aura toujours l’effet du miroir…Non mais c’est vrai.

(silence)

F1 : Si vous deviez repérer les grandes étapes de ce qui s’est passé dans cette situation, qu’est-ce

que vous pourriez mettre en avant ? Qu’est-ce que vous pourriez identifier comme grands items ?

E2 : On a écouté le patient, essayé de comprendre quel était son problème pour trouver des

solutions. On a observé l’environnement. On a d’abord vérifié l’administration d’antalgiques,

surveillé les pansements et le redon puis on est sorti pour avoir des éléments en plus, à partir de là,

on a élaboré notre stratégie, puis mené l’entretien.

F2 : Il y a la phase d’évaluation de la douleur qui est importante, l’un des premiers réflexes a été

d’utiliser l’EVA.

F1 : C’est bien, j’ai apprécié que cela vienne rapidement. Au même titre que, je ne l’ai pas signifié,

vous frappez à la porte et vous vous présentez dans la chambre, c’est super.

E5 : C’est la base.

ANNEXES IX

F1 : C’est la base, oui, mais est-ce aussi l’un des invariants du soin ?

E1 : Pour le patient, c’est important. Cela lui permet de savoir qu’il est face à des étudiants.

E6 : Se présenter, évoquer son statut, cela permet peut-être d’orienter le patient sur la réponse que

l’on pourra lui transmettre. En plus là, le patient… Il retourne dans sa chambre après une opération

et il se retrouve dans une situation qui n’était pas prévue. Peut-être que l’exigence du patient sera

moindre de parler à un étudiant qu’à… Parfois l’attente de la réponse… La réponse donnée par des

étudiants sera différente de celle des professionnels de santé. Enfin je ne sais pas, il faut peut-être

repositionner les choses en tant que patient…L’attente sera différente.

F2 : En tant qu’observateur, je n’ai pas ressenti l’impact du statut de l’étudiant lorsque vous êtes

entrés dans la chambre, pas cette fois-ci, c’est vrai que cela peut avoir une influence.

E5 : Et vous (en regardant l’acteur) ?

A : C’est plutôt la réponse à la demande qui est importante, quel que soit le statut. La situation était

dérangeante, j’évoque que j’ai une poche plutôt qu’une coelio… Que répondre à ça ?

E5 : Est-ce que l’on doit donner une réponse ?

(silence)

F2 : Lorsqu’ils entrent dans la chambre, ils ne sont pas au courant que le chirurgien est passé. Vous

avez regardé le dossier avant d’entrer dans la chambre, il y a des choses qui ont fait « tilt » en

premier lieu ?

E1 : On n’a pas eu le temps d’avoir toutes les infos, il y avait beaucoup de pages.

F1 : Vous m’avez donné l’impression qu’avoir ce dossier entre vos mains c’était une bouée de

sauvetage, c’était le graal.

E1 : Non pas vraiment le graal. C’était important d’avoir les éléments pour ne pas dire de bêtises.

On entre dans la chambre, on constate que le patient est sous antalgique. Il y a des choses à savoir

avant de…

F2 : C’est important cette démarche de renseignements ?

E5 : Peut-être qu’il faut poser la question au patient. L’étudiant dit : « par rapport à la poche, il y a

quelqu’un chez nous qui est stomato. Il est compétent sur ça, il vous dira comment faire avec la

poche. » Du coup, est-ce que le fait de savoir qu’il y a quelqu’un d’autre qui sera capable de vous

prendre en charge à un autre moment cela change quelque chose…euh ?

A : Je l’ai senti comme une forme de généralisation. Notamment lorsque vous m’aviez dit que

beaucoup de personnes vivent avec une poche. J’ai eu l’impression d’avoir un statut à part, celui

des personnes colostomisées, d’être intégré dans une catégorie de patient.

E5 : C’était plus à titre informatif, qu’il y a quelqu’un qui pourrait répondre à votre question par

rapport au port de la poche. Est-ce que cela était rassurant ou pas de savoir qu’il y a un

professionnel qui pourrait vous aider, au-delà du fait de généraliser ?

E6 : C’est le ressenti du patient qui compte.

E2 : C’est un travail d’équipe, cela peut être aussi bien nous que les médecins, les infirmiers, la

stomathérapeute, pour accompagner au mieux le patient, pour l’aider à vivre avec.

E7 : Je pense par rapport au patient… Il était tracassé par le fait de savoir si c’était provisoire,

jusqu’à quand… Moi cela m’apparait comme un paradoxe de dire à la personne que c’est

transitoire et de mettre en œuvre des actions pour sa poche, comme dans une éducation

thérapeutique. Cela me semble paradoxal. Du coup, il pense qu’on n’ose pas lui dire qu’il va la

garder toute sa vie.

F2 : Est-ce une réponse acceptable pour le patient de dire : « je ne sais pas » ?

(silence)

F1 : Parce qu’il y a des éléments sur lesquels vous n’allez pas du tout. Le patient a parlé deux fois

de chimiothérapie et il n’y a aucun écho. Un silence radio. Vous êtes embêtés par rapport à la

chimiothérapie, vous avez d’autres préoccupations ? C’est la chimiothérapie qui vous fait peur ?

ANNEXES X

E1 : Ce qui m’embête, c’est qu’il ait une poche et cela semble très difficile à vivre pour lui, j’ai

préféré faire abstraction de la chimiothérapie pour lui éviter de… Parce que cela semblait faire

beaucoup pour lui en fait.

E2 : Oui c’est un problème, problème par problème, une chose à la fois.

F2 : C’est important de le dire parce que c’est des choses qui se passent. Parfois, on fait des

abstractions comme cela mais le patient il voudrait connaître son programme thérapeutique. Et

derrière, savoir quand le problème sera réglé. L’important, c’est de prendre le tout, tout cet

ensemble. Je me pose la question du rôle de l’infirmier à ce moment là, votre rôle à vous c’est

quoi ?

(silence)

E7 : Dans la prise en charge immédiate là ?

F2 : Oui

E7 : ben… Je dirai que c’est ce qu’ils ont fait, être à l’écoute, se rendre disponible. Après, je reviens

sur la problématique de la chimiothérapie. Le fait de ne pas l’aborder, c’est peut-être parce que l’on

ne sait pas quoi répondre. Moi, personnellement d’ici, quand il a dit chimio, je ne sais pas ce qui se

serait passé. Je ne sais pas ce qui se serait passé si j’avais été à leur place. J’aurais peut-être shunté

car je n’ai pas les connaissances pour répondre à sa demande en fait.

F1 : Ce qui veut dire que les connaissances sont importantes. Ce qui vous gêne, c’est les

connaissances que vous n’avez pas. Vous allez les acquérir. Cela pourrait être autre chose. (silence)

Cela fait écho comment quand on dit chimio ? A quoi vous pensez ?

(silence)

E4 : Quand il a dit chimio, je me suis dit…Waouh

F1 : C’est quoi ce Waouh, vous voulez dire quoi ?

E4 : On pense à la mort, au cancer.

F1 : C’est peut-être cela qui vous gêne. Quand il aborde la chimio, est-ce qu’il est au courant qu’il a

un cancer ? Que lui a dit le chirurgien ? On ne sait pas, il ne sait pas Mr Dupont. Il me semble qu’il

soit important d’avoir conscience de nos propres représentations. Est-ce que vos représentations

c’est : « cancer = décès » ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

E6 : ben oui, les représentations… forcément…

F2 : Il me semble qu’il est important de savoir que les représentations de tout à chacun puissent être

différentes et d’avoir conscience de nos propres représentations. Qu’est-ce que vous en pensez ?

E3 : Je pense que c’est vrai dans tous les services, cela peut être transférable à d’autres

représentations…

(silence)

A : J’ai perçu une volonté de protéger la personne, non pas par rapport aux représentations sociales

mais aux informations qu’il peut avoir de la maladie.

F2 : Lorsque je lis le dossier du patient… Il y a des éléments qui m’intéressent particulièrement sur

le plan clinique. Il y a un écart entre la présentation écrite : patient jovial, dynamique, et la situation

constatée. Rien qu’en voyant ça, on entre dans la chambre, et il y a des trucs qui font « tilt ». La

connaissance, c’est à la fois ce qui est stipulé dans le dossier et tous les éléments relatifs à la prise

en charge. (silence) Est-ce que vous pourriez décrire qui il est ? Sur le plan statutaire, des rôles, de

son identité ?

E2 : C’est un mari, c’est un papa déjà…

F2 : Vous n’avez pas toutes les informations concernant la chimiothérapie ou la colostomie, par

contre vous avez des informations sur les rôles. Peut-on rebondir là-dessus ? Peut-être l’infirmier

peut aider le patient à être dans son rôle ? L’aider à retrouver son rôle… C’est ce que vous avez

fait, libérer la parole pour que les choses les plus délicates à dire puissent être abordées. Il a dit

qu’il allait à la piscine avec sa fille. Comment on aurait pu utiliser cette information ?

ANNEXES XI

(silence)

E8 : En ne l’utilisant pas. (rire) L’important pour lui, c’est peut-être qu’il soit avec sa fille, peu

importe l’activité.

F2 : Pourquoi pas la piscine ? Là, vous comprenez que c’est important pour lui d’être avec sa fille,

donc piscine ou autre chose… C’est une façon de voir les choses.

E8 : Cela peut-être la piscine ou autre chose. Après la piscine… Visiblement, il y a un problème

d’estime de soi et d’acceptation par rapport à la poche, je ne sais pas si c’est vraiment le moment.

Du coup, ne sachant pas pour la piscine…

F1 : Vous avez identifié qu’il voudrait passer du temps avec sa fille. Il est jeune, jovial etc. Peut-

être l’aider à trouver ce qu’il pourrait faire avec sa fille.

E2 : Ce qui l’inquiète, c’est comment il va l’annoncer à sa femme.

E5 : Vous c’est quoi votre problématique ? (en regardant l’acteur). C’est juste l’annonce ou aussi

tout ce que cela engendre derrière, par rapport à votre mode de vie. Forcément, cela va influencer

votre manière de vivre avec une poche ou c’est juste l’impact de devoir le dire, l’annoncer ?

A : Je le voyais comme un tout. La poche, c’est le sommet de l’iceberg. Lorsque l’épouse va

arriver, c’est la première chose qu’elle verra. Il y a tout ce que cela représente : les activités, le

travail…

E6 : Lors de l’entretien, cela aurait été intéressant de développer les traits de personnalité, les

habitudes de vie de la personne, pour orienter l’entretien. Est-ce qu’on ne peut pas réfléchir avec

des personnes compétentes à des propositions ?

F1 : Vous avez perçu ce qu’il attendait d’une aide psychique, morale pour pouvoir annoncer les

choses. Vous pouvez aussi lui proposer d’être présent avec lui lorsqu’il l’annoncera à sa famille.

Vous pouvez aussi lui spécifier que toutes les réflexions n’attendent pas de réponse immédiate, on

peut se voir plus tard, demain, il y a un tas de façon de distancier la réponse.

F2 : Ce n’est pas quelque chose qui va se régler dans l’ici et maintenant. C’est important de saisir ce

que vous avez dit, pour avoir une image la plus globale, la plus précise de la personne à cet instant

et évaluer ensuite.

E5 : Par rapport à son projet de vie ?

F2 : Ses traits de personnalité, ses habitudes de vie… Chercher également ce qui interpelle. On sait

que l’activité de barman peut être difficile avec la colostomie. Qu’est-ce qu’il s’imagine le patient ?

E4 : Sa poche est cachée, cela ne l’empêchera pas de travailler.

E5 : Elle est cachée mais elle est là. Elle est cachée pour les autres mais pas cachée pour lui. Il faut

apprendre à vivre avec, le temps qu’elle soit là…

F2 : Ce qui compte, c’est l’ensemble du programme. Le patient doit comprendre ce qui a été fait, ce

qui reste à faire, donner des perspectives, des dates, des échéances, pour lui permettre après de

passer à autre chose, parce que justement il verra cet autre chose.

(silence)

F1 : Au travers de cette situation, qu’est-ce qui vous semble important de retenir, que vous pourriez

transférer, qui vous semble transférable à d’autres situations. Une autre situation ne sera jamais

similaire puisque cette situation était unique mais qu’est-ce qui serait à retenir pour que cela soit

transférable ?

E5 : L’empathie.

F2 : Ne pas préjuger que la douleur est physique. C’est important, mais aussi l’inverse.

E4 : Considérer le patient dans sa globalité. Il a mal partout mais l’aider à décrire sa douleur, le

faire verbaliser…

F1 : Effectivement, dans la transférabilité, il y a cette prise en charge systémique. Il est évident que

dans cette situation vous pensez à une douleur physique chez un patient qui vient d’être opéré et il

s’agit d’une douleur psychique. N’oubliez pas qu’à contrario, si vous êtes en santé mentale, ne pas

ANNEXES XII

toujours mettre la douleur sur le psychosomatique ou le psychisme. Des patients malades mentaux

ne souffrent pas que mentalement, il peut y avoir aussi de réelles douleurs physiques.

(silence)

F2 : Par rapport à l’évaluation de la douleur, il y a des mots qui peuvent être très utiles, il me

semble. En chirurgie, on aura plutôt tendance à objectiver la douleur, à chercher sa forme, sa

localisation, son irradiation. Peut-être que cela aurait pu être utilisé car je ne suis pas certain qu’il y

ait quelque chose d’autre derrière, en tant qu’observateur.

E4 : Il y a peut-être aussi le fait qu’il ait besoin d’une présence. Il sonne parce qu’il a mal mais on

identifie une douleur psychologique. Sa démarche, est-ce qu’elle n’est pas celle d’appeler pour

avoir une présence ? Pour qu’on vienne le rassurer par rapport à tout ça en fait.

F1 : La douleur, elle est réelle quand il sonne. Il a vraiment mal. Pas la peine de se poser la question

quant à l’existence de la douleur, il a mal. Effectivement, le traitement n’est pas le topalgic® ou un

autre antalgique. Le traitement peut passer par l’entretien. L’entretien est un soin.

(silence)

A : Est-ce que vous aviez déjà vécu ce genre de situations en service, comme disait M.…

E4 : Moi oui, du coup mon regard il a changé depuis la 1ère

année. Je réfléchis plus vite en fait.

Alors le fait d’être observateur, bien évidemment c’est bien plus simple.

E6 : Il y a aussi parfois cette histoire de « transitoire », dans certains services… Le soignant est lui

aussi dans l’incertitude. En termes de temporalité, il ne peut pas non plus rassurer le patient

puisqu’il y aura une échéance qui fera qu’une décision sera prise. La réponse donnée est dans une

certaine temporalité car il y a toujours l’incertitude, jusqu’à la prochaine décision médicale.

F2 : C’est difficile de faire autrement avec l’incertitude. Par contre, on peut s’intéresser au patient,

regarder quelles sont les marges de manœuvres et envisager une suite. Recueillir les informations

pour les transmettre au médecin et lui permettre de mesurer l’importance qu’à sa visite au patient.

E6 : Parfois, le patient est vu en extérieur… C’est la réalité… Il y a des difficultés de circulation

d’informations qui font que cela ne facilite pas. Après dans l’écoute, dans la globalité, dans le soin

apporté, je vous rejoins tout à fait.

F2 : Ca ne sert à rien d’écouter, passer du temps, et qu’il n’y ait rien après. On est bien d’accord. Le

but, c’est que quelque chose se construise derrière. Là, il y a la confiance du patient qui est en train

de se construire.

F1 : Malgré qu’on soit en simulation, en dehors du réel, vous avez pu démontrer par votre posture

cette approche globale du patient permettant d’instaurer une relation de soins.

(silence)

F2 : On l’a déjà dit, mais c’est important pour moi de le rajouter. L’attitude de compréhension

auprès d’une personne présentant une souffrance morale est importante et il faut se méfier de

l’attitude de conseil qui peut nous engager à donner des orientations un peu trop rapides, et

notamment des solutions. Attention aussi à l’attitude d’évaluation qui peut engager le patient à

croire ce que l’on penserait de lui.

F1 : « Je vous écoute », ce qui est différent de « dites-moi »

F2 : C’est jamais facile comme ça de trouver les premiers mots….Bravo, en tout cas, félicitations.

Je pense que l’on peut conclure ainsi le débriefing.

ANNEXES XIII

Annexe 3 :

Le guide d’entretien semi-directif

élaboré pour les auto-confrontations croisées

Qu’avez-vous observé lors du visionnage de la vidéo de votre collègue ?

Comment votre collègue a-t-il procédé au débriefing (par quel moyen et à quelle fin) ?

Avez-vous procédé ainsi ?

Quelles distinctions et quelles similitudes observez-vous avec votre manière de faire ?

Comment pourrait-il faire pour mieux faire ?

Est-il préférable d’animer le débriefing en binôme ?

Pensez-vous que le débriefing d’une séance de simulation en santé soit propice à un

apprentissage de l’éthique chez l’apprenant ?

ANNEXES XIV

Annexe 4 :

La retranscription d’une auto-confrontation croisée

Personnes présentes : 2 formateurs, 1 chercheur.

Légende :

- F : formateur

- C : chercheur

NB : pour conserver l’anonymat des personnes, nous avons uniquement retranscrit les

prénoms des participants sous la forme Fx ou C ainsi que la première lettre des prénoms

des étudiants évoqués lors des discussions.

C : Alors voilà… euh… L’idée de notre rencontre est de pouvoir regarder ces séquences qui ont été

filmées il y a quelques jours et je vais vous demander d’expliquer ce que vous avez observé lors du

visionnage de la vidéo de votre collègue.

(silence)

F5 : Je veux bien commencer si cela ne te dérange pas.

C : Non, cela ne me dérange pas.

F3 : Moi cela ne me gêne pas non plus.

F5 : Et bien, ce que j’ai pu observer, c’est la posture du formateur qui laisse quand même la place à

l’étudiant dans la possibilité de s’exprimer avec…euh… Le temps de parole, si on pouvait le

comptabiliser, on se rendrait compte que l’étudiant a beaucoup plus de place que le formateur. Le

formateur pour moi, il est plus là dans l’écoute, dans la reformulation. Bon, après quelques

questions sont posées mais elles ne sont pas très nombreuses les questions. Pour moi, on est plus

dans laisser à l’étudiant, qu’il soit acteur ou observateur, la possibilité de s’exprimer. J’ai remarqué

aussi que dans les deux séances, les deux formateurs ont des façons différentes de mener

l’entretien. Cependant, on retrouve des éléments semblables dans ce que les étudiants peuvent dire :

la verbalisation sur le vécu en tant qu’acteur, la verbalisation sur ce que les autres ont pu remarquer

en tant qu’observateur. Et puis, ce qui est intéressant aussi dans les deux vidéos, c’est le partage

d’expériences entre les étudiants sur leurs vécus de stage, sur ce qu’ils ont pu vivre en tant

qu’étudiant. Après ce qui est intéressant aussi, c’est les échanges entre étudiants et on sent aussi

qu’ils sont dans des échanges constructifs. Ils ne sont pas du tout dans la critique : « t’as bien fait,

t’as mal fait. » Dans la première vidéo, il y a plus d’échanges entre les étudiants et ils sont vraiment

aidants les uns envers les autres dans le questionnement, dans les remarques qui sont faites. Voilà.

F3 : Je ne peux pas faire abstraction de ce que j’ai vécu avec F1 dans l’analyse des vidéos il y a

quelques jours. Automatiquement, j’espère que cela ne vas pas te déranger, automatiquement je

vais avoir un point de comparaison.

C : Vas-y.

F3 : Effectivement, ce que j’avais dit aussi la dernière fois, c’est que les échanges sont différents.

Finalement le débriefing dépend du formateur qui est présent et des étudiants qui y participent.

F5 : Tout à fait.

ANNEXES XV

F3 : D’accord. De mémoire, je me souviens que dans la vidéo de F1, il était très guidant, il est

intervenu plusieurs fois pour guider les étudiants, pour demander des approfondissements ou pour

faire de la reformulation. C’est des choses que l’on avait pointées et pour lesquelles j’étais un peu

moins là-dedans. J’étais plus dans l’écoute et laisser verbaliser les étudiants.

C : C’est ce qui a été dit, effectivement.

F3 : Finalement, F5 rejoint ce que F1 a dit et ce que l’on observe réellement. Et là, ce que je

remarque aussi, c’est que… euh… F5… euh… Comment….Elle intervient plus facilement dans la

situation mais l’impression que cela me donne, c’est qu’elle s’est sentie obligée d’aller chercher les

étudiants parce qu’ils n’arrivaient pas…

F5 : Ils n’arrivaient pas à formuler.

F3 : Moi, l’analyse que j’ai faite du débriefing, c’est que les étudiants en fait, et c’est ce que j’avais

dit la dernière fois, ont beaucoup parlé. Je ne me sentais pas obligée d’aller les chercher parce qu’il

y avait ce rebond des uns envers les autres. Ils ont beaucoup « rebondi », tout le monde a parlé, tout

le monde a échangé. Tout le monde a donné son point de vue, de façon très professionnelle, sans

jugement de valeurs et en fait cela s’est fait comme ça.

C : D’accord.

F5 : Alors, effectivement, je pense que la façon dont la saynète s’est déroulée pour les deux

étudiants qui étaient acteurs doit influencer. Je ne sais pas si tu te rappelles (regard dirigé vers le

chercheur), ces deux étudiantes qui étaient en difficulté durant la saynète. Elles sont quand même

sorties deux fois de la salle de simulation, parce qu’il leur manquait des éléments et elles ont eu

énormément de mal à pouvoir verbaliser. On a même eu des émotions, une étudiante a pleuré

pendant le dispositif. Et c’est vrai que quelque part c’était difficile. Il n’y aurait pas eu beaucoup de

discussions car le groupe n’était pas porteur.

F3 : Tu fais bien de parler des émotions parce que je me suis rendu compte, en revoyant la mienne

de saynète, qu’à un moment j’aurais dû y aller. J’aurais peut-être dû poser la question par rapport

aux émotions à certains moments : « qu’est-ce que vous avez ressenti ? »

C : Sur quel aspect ?

F3 : Bien, justement, lorsque l’étudiante a parlé. Ce n’est pas elle qui a fait la saynète mais elle a

exprimé son vécu de stage avec une patiente à qui on avait détecté un cancer et puis voilà….

Finalement, je ne suis pas allée sur ses émotions à elle. Elle n’a pas exprimé clairement ses

émotions. On a bien senti qu’elle était embêtée, qu’elle avait été en difficulté et là je crois que

j’aurais dû y aller… Je pense….

C : Tu crois…euh?

F3 : Et la dernière fois, au premier visionnage de la séquence, je ne l’ai pas perçu.

C : C’est intéressant, en revoyant une seconde fois la vidéo, tu te rends compte d’autres choses.

F3 : Bien oui. Alors, après je ne sais pas s’il y a un point commun aussi. Dans la situation à F1, lui

aussi ses étudiants sont sortis. Les miens ne sont jamais sortis.

C : Effectivement.

F3 : Alors je ne sais pas si cela joue…

F5 : Peut-être.

F3 : Moi, ils ne sont jamais sortis. Ils se sont pris un peu de temps dans la chambre pour relire le

dossier parce qu’ils étaient aussi en difficulté, parce qu’ils n’avaient pas toutes les informations.

Mais ils ne sont jamais sortis. Alors, est-ce que cela impacte ? Je ne sais pas.

F5 : Sur la façon dont l’étudiant a vécu le soin ?

F3 : Je pense que oui parce qu’à force de sortir de la chambre, ils se sont sentis en difficulté. Tandis

que là, ils ont pris du temps ; ils ont été en difficulté aussi, mais ils ont pris du temps pour poser les

informations qu’ils avaient et c’est à ce moment là… Au départ, comme je l’ai dit la dernière fois,

ils ont tous fait pareil : regarder la perfusion, demander au patient s’il n’a pas mal. Et puis après, ils

ANNEXES XVI

se disent : « je ne sais pas quoi faire. » Nous, ils ne sont pas sortis, ils ont regardé dans le dossier et

ils sont revenus vers le patient. C’est à ce moment là, en même temps, c’était A. qui a pris

l’initiative, c’est à ce moment là que l’étudiant dit : « Monsieur, si vous le permettez, je vais

m’asseoir à côté de vous pour discuter. » Je pense qu’ils ont tous vécu la même difficulté première,

qui est le manque d’informations.

F5 : Peut-être, oui.

F3 : Après, ils n’ont pas abordé la situation de la même façon. J’ai trouvé que c’était très flagrant

dans le sens où ils sont revenus et ils se sont assis.

C : Et ces difficultés que tu perçois, notamment une forme de demande des étudiants pour exprimer

des émotions, ce que tu identifies ainsi, est-ce que vous pensez que lorsque l’on saisit ce type de

demande, il faut permettre la verbalisation. Le débriefing est-il propice à l’expression des

émotions ?

F5 : Dans le groupe que j’avais, on a demandé à l’étudiante pourquoi les émotions arrivent. Elle, ce

qu’elle a pu exprimer, ce dont je me rappelle, elle a dit : « j’ai mal fait ». Elle s’est vraiment

dévalorisée en disant : « ce que j’ai fait, c’était pas bien. » Elle a dit : « je trouve que je n’ai pas été

efficace, je n’ai pas été soignante. » Et c’est cela qui la mettait en difficulté. Après, les étudiants,

les observateurs ont été très aidants en lui disant : « mais non, ce n’est pas nul ce que tu as

fait. Nous de l’extérieur, ce n’est pas du tout ce que l’on a ressenti en te regardant. » Ils l’ont

rassurée. C’est vrai qu’on est parti sur les émotions à un moment parce que l’étudiante s’était mise

à pleurer et on ne pouvait pas ne rien dire. Après, je ne sais pas. Si cela ne s’était pas vu, est-ce que

l’on serait parti là-dessus ?

F3 : Non, si cela doit venir, pour moi il faut laisser. Si cela arrive à ce moment là, c’est que cela doit

arriver. Les émotions, on les laisse. Il est préférable que les étudiants les expriment là et que tu

puisses les aider à les gérer pour qu’après sur le terrain…De toute façon, c’est le but de la

simulation.

F5 : Tout à fait.

F3 : Pour qu’après sur le terrain, ils puissent les gérer et prendre en charge leurs patients. Je pense

qu’il ne faut pas les brider par rapport à cela.

F5 : Non, je te dis que le reste du groupe a vraiment été très aidant. Une étudiante a dit : « moi,

j’aurais certainement pas fait mieux. » Quand on a analysé la situation, c’est aussi ce que lui ont

dit les autres : « t’as quand même réussi à avoir des éléments, t’as quand même réussi à rassurer la

personne à la fin. » Le reste du groupe a été très aidant par rapport à cela.

(silence)

C : Dans la manière de procéder au débriefing, est-ce que vous pensez avoir fait de la même façon

quant aux modalités et à l’objectif à atteindre ou est-ce que vous pensez que c’était très différent ?

(silence)

F3 : Moi, je dirais que cela dépend finalement du groupe.

F5 : Oui, le groupe fait beaucoup.

F3 : Le groupe fait beaucoup dans la façon de procéder. Là, comme F5 le disait, si elle n’était pas

intervenue, si elle n’était pas allée les chercher, finalement, personne ne serait venu. T’aurais eu

aucune expression. Je n’ai pas eu besoin d’aller les chercher car ils se sont exprimés spontanément.

Enfin, je n’ai pas eu besoin… Je leur ai dit que l’expression était libre, que d’abord les acteurs

allaient parler et qu’après les autres pourraient s’exprimer. Si personne ne s’était mis à parler, je

serais allée les chercher et j’aurais fait la même chose que F5.

C : C’est-à dire ?

F3 : Et bien les questionner pour avoir des réponses. Et pour que les échanges puissent se mettre en

place.

ANNEXES XVII

F5 : Dans le questionnement, après c’est bien ou pas bien, je n’en sais rien, j’essaye de leur faire

revivre ce qu’ils ont vécu. Essayer de savoir pourquoi ils ont fait comme cela, à ce moment-là.

Qu’est-ce qui fait qu’ils ont procédé de cette manière là… ? J’essaye de faire en sorte que les

questions ne soient pas trop directives. Malheureusement, on n’a pas l’enregistrement en salle de

simulation mais le fait de se revoir, comme nous on l’a fait… C’est intéressant aussi de se revoir…

On peut se dire : « tiens, c’est vrai à ce moment-là, j’avais le regard fuyant, ou tiens, je n’ai pas

regardé le patient mais davantage la perfusion. » C’est vrai que dans la situation, on ne se rend pas

compte. Le fait de se voir, même nous en tant que formateur, je trouve cela super intéressant. Tu te

rends compte de tes réactions par rapport aux éléments de réponse des étudiants.… Tu vois par

exemple que le formateur est questionnant en fronçant les sourcils. Je trouve cela super intéressant.

F3 : Alors moi, je m’interroge. Il faudrait que je pose la question aux personnes formées, pendant

une simulation est-ce que l’on doit faire….euh… ?

F5 : Tous de la même façon ?

F3 : Non, ce n’est pas cela, je m’interroge par rapport à nos mimiques et au non-verbal. Moi, par

exemple, j’arrive à rester neutre.

C : Tu ne veux pas renvoyer d’affect ?

F3 : Oui, ne pas renvoyer aux étudiants ce que finalement l’on en a pensé, de façon physique. Faut-

il être neutre ou leur montrer par certaines mimiques que l’on est satisfait de la réponse, ou pas du

tout, ou alors apeuré ?

(rires)

C : Dans quel but ? Que pourrait apporter la neutralité ?

F3 : Je ne sais pas justement. C’est pour cela que je me pose la question. Faut-il être neutre ou pas ?

Est-ce que cela influence la dynamique des discussions ? Si tu te souviens bien (regard dirigé vers

le chercheur), pendant le débriefing, on a été souvent dérangé par des étudiants de 1ère

année qui

n’arrêtaient pas d’ouvrir la porte suite à une erreur de salles. C’était agaçant et cela m’a fortement

agacée. A un moment, P. a ri et il a dit : « votre non-verbal me fait rire. » Donc tu vois, ils repèrent

ces petites mimiques, ces petits trucs, ce non-verbal. Ce non-verbal faut-il le faire transparaître ou

pas ?

F5 : Je ne sais pas. Par contre, moi, j’ai du mal à être neutre. Tu disais que tu y arrives, pour moi

c’est difficile.

F3 : J’ai l’impression que j’y arrive, c’est l’impression que cela me donne sur la vidéo.

F5 : Le fait de me voir, je me rends compte qu’effectivement, si l’étudiant me regarde, il doit

comprendre beaucoup de choses.

C : Quand tu dis être neutre, c’est finalement ne pas influencer la personne, ne pas biaiser la

discussion ?

F3 : Oui, par le comportement.

C : Et au début, je pense que tu l’avais interprété d’une manière différente F5 quand tu parles de

neutralité, est-ce que cela pourrait signifier que l’on fasse tous de la même façon ?

F5 : Oui, c’est plus par rapport à une ligne de conduite. Voilà, est-ce qu’il faut uniformiser ? Est-ce

qu’il faut d’abord faire verbaliser les acteurs… ? Je leur demande ce qu’ils ont pensé de la situation

à partir du moment où ils ont eu le briefing.

F3 : Je ne l’ai pas fait. Je me suis intéressée à leur comportement dans la chambre.

F5 : Est-ce que c’est bien ou pas bien… ? Voilà, j’ai trouvé que c’était intéressant d’avoir le

« avant », Est-ce qu’il y a une méthodologie à suivre dans le débriefing ?

(silence)

C : En fait, au début de l’entretien, vous évoquiez le fait que l’on retrouve beaucoup de similitudes

lorsque l’on observe différents débriefings de formateurs. Maintenant, il y aurait des manières de

procéder différentes, revenir sur le « avant » par exemple. Il y aurait donc des façons de faire

ANNEXES XVIII

différentes. Et si l’on procédait à une forme d’uniformisation du débriefing, qu’est-ce que cela

pourrait provoquer concrètement ?

F5 : Après, c’est aussi la façon dont se déroule la séance. C’est ce qui va te permettre d’avoir un

plan de débriefing car le temps est quand même limité. S’il y a énormément de choses à discuter,

sur le soin en lui-même, on sera plus axé sur ça. Dans ma situation, je pensais qu’il était intéressant

de questionner le « avant » car il s’est passé des choses. J’ai entendu des sons, des éclats de voix.

Mais c’est vrai que pour toi, s’il ne s’est rien passé, tu n’avais peut-être aucun intérêt à parler du

« avant ». Chaque séance est unique, le formateur n’est pas dans l’improvisation car il a …

F3 : Un objectif.

F5 : Il a un objectif à atteindre. Dans la séance en elle-même, pour moi, deux séances ne vont jamais

se ressembler.

F3 : Même avec le même le formateur.

F5 : Même avec le même formateur, la même thématique ou le même groupe d’étudiants.

F3 : Il doit certainement y avoir des points incontournables dans le déroulement.

C : Que sont-ils ?

F5 : Verbalisation du ressenti des acteurs, verbalisation des observateurs. Ensuite, on va plus se

diriger vers l’objectif à atteindre et après faire une conclusion où tout le monde s’exprime aussi sur

la situation. Je sais qu’à la fin, j’ai fait un lien avec les compétences, les acquisitions, les cours…

F3 : Je l’ai fait aussi.

F5 : Et puis, toujours laisser repartir les étudiants sur du positif. Même si cela était douloureux,

même si cela était difficile, toujours pointer ce qui était bien pour ne pas les laisser partir avec... des

émotions négatives.

C : Cela serait embêtant de laisser repartir les étudiants avec des émotions négatives ?

F5 : Cela pourrait mettre l’étudiant en difficulté, par rapport au reste du groupe. Pas vis-à-vis du

formateur car on fait la part des choses.

F3 : Si un jour il revit une situation similaire, cela pourrait peut-être le mettre en difficulté, ou pas.

Je ne sais pas. Si on laisse des émotions, sans permettre aux étudiants de s’exprimer, et s’ils restent

sur des impressions négatives, peut-être qu’on pourrait les mettre en difficulté face à une situation

similaire.

(silence)

C : D’où l’importance de la verbalisation ?

F3 : Oui.

(silence)

C : Cette question sera peut-être redondante mais avez-vous observé des distinctions dans votre

manière de faire ? Dans la façon d’animer le débriefing, avez-vous observé des distinctions

majeures ou pas ?

F3 : Oui, c’est ce que l’on disait. J’ai laissé parler les étudiants mais le groupe était propice à cela.

F5 était plus interrogative car elle a senti que le groupe avait besoin de quelqu’un pour les guider.

F5 : Après, sur la façon de s’exprimer des deux formateurs, c’est de la reformulation, mais on

sentait que les deux groupes n’étaient pas porteurs de la même façon dans l’expression orale.

(silence)

C : Par rapport à cette manière de faire, entre guillemets, certains débriefings ont été animés par un

binôme. C’était le cas pour F5. Le binôme est-il ressource dans le débriefing ou a-t-il certaines

limites ?

F5 : Cela tombe bien que tu en parles car je voulais l’évoquer. Pour moi le binôme, à un moment,

m’a déstabilisée. Pourquoi ? Parce que lors de la préparation, en fait, je pensais être seule à animer

le débriefing. Moi, j’ai mon petit plan en tête que je respecte plus ou moins. J’ai mon objectif et je

sais à peu près où je veux emmener les étudiants et le fait d’avoir quelqu’un avec moi, cela s’est

ANNEXES XIX

très bien passé, mais quelque part… Il y a eu des moments où j’aurais plus souhaité laisser la

parole à l’étudiant et F1 est intervenu et il a coupé la dynamique dans laquelle je souhaitais

emmener l’étudiant. Il y avait un « blanc », F1 a pris la parole pour revenir sur une question et moi

cela m’a déstabilisée à plusieurs reprises le fait qu’il coupe la dynamique. Pour moi, être deux, cela

ne me dérange pas mais le débriefing, il y a une partie où, pour moi, il ne devrait y avoir qu’un

animateur. Après que l’autre formateur intervienne, voilà… Franchement, il y a des moments où

cela m’a gênée. Je me suis rendu compte avec la vidéo que je me mettais en retrait par rapport à ce

que F1 a pu poser comme questions car dans mon objectif, cela venait casser quelque chose que je

souhaitais, que l’étudiant devait apporter lui-même. Je ne souhaitais pas que cela soit un autre

formateur qui l’amène. Cela m’a donc un peu déstabilisée.

C : Le binôme peut donc couper la dynamique de la discussion mais est-ce qu’il pourrait orienter le

débriefing vers autre chose ?

F5 : Tout à fait. A un moment, F1 en est arrivé à parler d’une situation personnelle, qui lui était

personnelle en tant que formateur. Et…

F3 : Cela peut amener quelque chose mais en même temps cela dévie son objectif à elle. Si c’est elle

qui mène l’entretien, elle sait vers où se diriger.

F5 : C’est peut-être parce que ce n’était pas prévu. On n’avait pas pu travailler avec F1 avant sur la

façon d’animer.

F3 : Cela me fait sourire car si tu t’en souviens (regard dirigé vers le chercheur), lors du débriefing

que l’on a fait à trois avec F1 par rapport à la vidéo ; F1 nous a expliqué qu’il n’aimait pas les

silences et il sentait le besoin de combler ces « blancs » et d’intervenir, tu te souviens ? Et c’est ce

qu’il me disait : « toi tu laisses les silences, moi je ne les laisse pas. »

F5 : Je suis entièrement d’accord par rapport à ce que tu dis. Par rapport au fait que F1 intervenait et

qu’il a pu… Voilà. Et bien, je n’autorisais plus le fait qu’il y ait des « blancs ». Je n’autorisais plus

F1 à prendre la parole quelque part car j’avais repéré les moments de silence à venir afin de pouvoir

reprendre avec l’étudiant sans dévier de l’objectif.

C : Ton objectif ?

F5 : Mon objectif, c’était que l’étudiant puisse revivre cette situation et qu’il puisse pouvoir repérer

les éléments transférables dans une autre situation. Repérer le moment où il était « aidant », où il se

trouvait plus dans une dimension « éthique »… Voilà, je souhaitais le faire verbaliser sur son

ressenti, les compétences mobilisées qui lui seront utiles dans une situation similaire. Le fait qu’un

autre ait pu prendre la place de l’étudiant, je n’ai plus laissé de « blancs »… Ce n’était pas voulu,

c’était instinctif.

C : C’est quand même réfléchi ?

F3 : Inconsciemment.

F5 : Oui, inconsciemment. J’y ai réfléchi après-coup car F1 avait confié à F3 : « F5 n’a pas du

supporter que j’intervienne trop souvent, je suis trop bavard. » La vidéo confirme cela.

F3 : Oui, F1 l’avait bien identifié.

F5 : Moi, je ne m’en étais pas rendu compte immédiatement. C’est après que j’ai compris que je ne

lui laissais plus de place pour qu’il ne puisse pas s’exprimer. C’est après qu’il ait dit à F3 : « je suis

trop bavard », là je m’en suis rendu compte. Lui, l’avait identifié.

F3 : De toute façon, on a besoin des silences pour que les étudiants puissent revivre la situation,

qu’ils puissent clarifier leurs idées. Et nous aussi pour que l’on puisse repartir sur autre chose ou

poursuivre dans le même sens.

F5 : Oui, car tu ne peux pas te remémorer la situation et l’analyser en même temps, ce n’est pas

possible.

F3 : C’est vrai, et F1 avait bien identifié qu’il ne laissait pas ces silences.

ANNEXES XX

C : Tu disais aussi que F1 a évoqué une situation personnelle et que tu n’aurais pas été sur cette

voie là. C’est cela ?

F5 : Non, j’aurais été davantage centrée sur la situation que les étudiants avaient vécue et leur

partage d’expériences à eux, en tant que stagiaires.

F3 : Moi tu vois, j’ai fait les deux. Ils ont partagé leurs expériences et j’ai partagé la mienne.

F5 : Oui, mais en tant qu’expérience professionnelle.

F3 : Oui professionnelle, bien sûr.

F5 : Là, c’était de l’expérience personnelle. Après, peut-être que cela m’arriverait aussi de partir sur

cela mais là, je trouvais dans le débriefing que c’était plus aux étudiants de s’exprimer par rapport à

leurs expériences de stage.

F3 : Après, est-ce que c’était en lien avec la situation ?

F5 : Oui, c’était par rapport à cela mais j’ai eu l’impression qu’on s’écartait du sujet. On n’était plus

dans la simulation et dans l’objectif que je voulais toujours atteindre.

F3 : Donc, cela démontre bien que quand on doit faire un débriefing en binôme, ce débriefing doit

être préparé à l’avance par le binôme ; les rôles sont bien identifiés, l’objectif est bien posé ainsi

que la manière dont on va atteindre l’objectif.

C : Alors, qu’est-ce que cela peut provoquer si le débriefing n’est pas préparé finalement ?

F3 : Eh bien finalement, F5 ne s’est pas sentie bien, elle a eu un ressenti un peu négatif. Elle a eu

l’impression qu’elle partait de son objectif, qu’elle déviait et peut-être que cette situation a du

l’obliger à revenir ou à envisager une autre façon de faire… Enfin….. Je ne sais pas.

F5 : Mon impression était que comme je laissais des « blancs » et qu’ils ont été récupérés par F1

pour relancer, j’ai eu l’impression que F1 se disait : « elle ne maîtrise pas son dispositif, donc il y a

des silences. » Tu vois, c’est un peu l’impression que j’ai eu. Après voilà, c’est moi qui interprète.

C : « Je viens à son aide », en fait ?

F5 : Voilà, c’est ça, « je viens à son aide » parce qu’elle ne sait pas et elle laisse des « blancs ». Moi,

c’est cette impression là que j’ai eu.

F3 : Est-ce que F1 a pensé à cela, ce moment-là ?

F5 : Je n’en sais rien, je ne suis pas dans sa tête. Je te dis ce que j’ai dans la mienne. C’est une

hypothèse.

F3 : Par contre, quand on a fait le débriefing avec F1 sur sa vidéo, il avait bien identifié qu’il ne

laissait pas la place aux silences et il a tout de même avoué qu’il était gêné par les « blancs ».

Après, de ce fait là, mon analyse est que je ne pense pas qu’il soit venu à ton secours. Il est venu à

sa rescousse à lui. Il est venu pallier quelque chose qui l’embêtait lui.

F5 : Oui, il fallait qu’il occupe l’espace.

(silence)

F3 : Et là, ça serait super intéressant que l’on fasse un contre-débriefing à trois, en intégrant F1 dans

nos discussions.

C : Oui cela pourrait être une idée, effectivement. Un débriefing du débriefing.

(rires)

F3 : Se voir une seconde fois…

F5 : J’ai beaucoup de mal à me voir en vidéo. Là, ça va, mais c’est surtout le fait de m’entendre

parler. Cela me déstabilise car je ne reconnais pas ma voix.

C : Le fait de se voir en vidéo n’est pas évident ?

F5 : Non.

C : On a un peu surmonté cela en travaillant en petits groupes.

F3 : C’est ce que l’on disait la dernière fois. On est trois, on regarde à trois, voilà. On serait quinze,

on ne vivrait pas le visionnage du film de la même façon.

ANNEXES XXI

F5 : Il y a aussi une entente entre les formateurs qui analysent les vidéos. Je pense que je ne

supporterais pas de travailler de cette façon avec d’autres formateurs.

C : Pour les auto-confrontations croisées, on a constitué des binômes en tenant compte des affinités

des personnes.

F5 : Il faut qu’il y ait une confiance dans le binôme.

C : C’est indispensable ?

F5 : Pour moi, c’est indispensable. De la même façon, on dit aux étudiants qu’il faut une relation de

confiance entre eux, du respect ; cela encourage l’expression.

C : D’accord…euh… Il y a donc deux choses…euh… Il faut une confiance pour la réalisation de

l’auto-confrontation croisée. Et lors du débriefing de la simulation simulée, une confiance est

nécessaire entre formateurs lorsque l’animation est réalisée en binôme.

F5 : Je pense que cela nécessite une confiance d’ordre professionnelle, oui. Il faut que quelque part,

on ait travaillé un objectif commun comme F3 l’a dit tout à l’heure. Il faut que l’on ait la même

appréhension du dispositif de simulation aussi. Qu’est-ce qu’on en a compris ? A quoi cela va

servir ?

F3 : Je suis d’accord, c’est ce que l’on avait dit aussi.

C : Il existerait donc des situations où l’animation en binôme ne serait pas possible.

F5 : Je pense qu’il y a des binômes qu’il serait impossible de constituer parce que tu n’as pas

confiance dans l’autre, ou il n’y pas cette entente professionnelle car on ne s’entend pas tous,

professionnellement parlant, dans l’équipe, de la même façon. Cela ne me gêne pas de travailler

avec F3 mais je ne pourrais travailler ainsi avec tout le monde.

C : Justement, cette entente professionnelle s’explique-t-elle par une même façon de faire les

choses ?

F5 : Plutôt dans une conception du soin et des valeurs…

F3 : Cela peut toucher le personnel aussi, il n’y a pas que le professionnel.

F5 : Je pense qu’il faut des valeurs communes entre les formateurs.

C : Aussi bien personnelles que professionnelles, c’est cela ?

F5 : Tout à fait, et que l’objectif soit dans le même sens, même s’il existe des différences de point

de vue. Une cohésion est nécessaire.

C : Pourrait-il exister des objectifs très divergents, au-delà de la simple divergence de points de

vue ?

F3 : Cela serait embêtant je pense !

F5 : Cela serait embêtant ou il faudrait que cela soit défini avant. Deux formateurs qui animent le

débriefing avec des objectifs différents devront les confronter avant pour ne pas laisser l’autre dans

l’incertitude.

F3 : Les écarts entre les objectifs poursuivis mettraient l’étudiant en difficulté. Dans ce dispositif là,

cela va être compliqué.

C : Est-ce que vous pensez que l’interprétation faite de la situation de Mr Dupont aurait pu être

envisagée d’une autre manière...euh… En termes de conceptions, de valeurs ?

F5 : On peut le voir du côté « soin », quant à une capacité à prendre soin d’un patient en situation

d’annonce du diagnostic ; ou alors, on peut le voir du côté « étudiant » du fait de sa réaction face à

une situation complexe. Pour moi, la situation n’était pas simple, elle était complexe. Comment en

tant qu’étudiant je me situe dans une situation complexe ? Pour moi, il y a donc la dimension

« soin » et la dimension personnelle de l’étudiant. Je ne sais pas si c’est clair ?

C : Peux-tu expliciter ?

F5 : Il y a l’objectif, voilà : « je dois être capable de prendre en charge tel patient… », en intégrant

différents aspects comme le geste technique, la relation… Mais après, il y a le ressenti de l’étudiant

ANNEXES XXII

à prendre en compte pour l’accompagner dans sa construction professionnelle. Je ne suis pas là

pour mettre un étudiant en difficulté.

C : Après avoir visionné ces quelques extraits, quelles recommandations pourriez-vous vous

donner ? Que peut-on faire pour mieux faire ?

(silence)

F3 : Cela me semble difficile de donner un conseil car on n’est pas dans la dimension du bien ou du

mal par rapport à ce qui a été fait. Si tu donnes un conseil, c’est-à-dire que tu as un jugement, un

positionnement par rapport à une situation. Là, on n’a pas de références, cela me semble donc

difficile d’encourager la continuité ou de proposer de faire autrement. Je ne sais pas mais… La

référence pourrait être une formation à la simulation car nous avons eu surtout une information sur

la façon de mener le débriefing… Oui, c’est bien ce qu’elle a fait car elle a identifié des choses que

je n’avais pas identifié…. Je ne sais pas….

C : Euh… Qu’est-ce qui vous semble alors essentiel dans le débriefing de la simulation ?

F3 : La libre expression de l’étudiant.

F5 : C’est ça, la libre expression de l’étudiant, le respect de la parole de l’autre. Dans les deux

situations, c’est ce qui s’est passé. Si tu comptes le temps de parole du formateur et celui de

l’étudiant, l’étudiant a sa place. Nos deux situations sont différentes mais à les voir ainsi, je trouve

qu’elles ont beaucoup de points communs.

C : Pensez-vous que ce type d’analyse, que nous sommes en train d’effectuer, serait à reconduire ?

Pensez-vous que cela soit porteur de regarder vos enregistrements ?

F5 : En fait, ce que l’on est en train de faire, c’est ce que l’on demande aux étudiants quelque part.

Donc, on est en train de se confronter à un dispositif réalisé. On est en train de débriefer sur une

activité qui est une activité pédagogique.

F3 : On fait pareil que les étudiants, c’est ce qu’on leur demande. Cela ne peut être que porteur.

F5 : Pour moi, c’est porteur.

C : Qu’est-ce que cela peut amener justement ?

F5 : Bien… Un échange sur tout ce que j’ai pu exprimer, par rapport au temps de parole de F1, tout

ça, voilà… C’était des choses que je n’avais pas exprimées. Cela peut permettre l’expression de

notre ressenti dans la situation. La prochaine fois, je pense que je ferais de façon différente. Tu

vois, si cela se reproduit, si F1 me dit : « je viens avec toi », je lui répondrais : « OK tu viens avec

moi mais on en parle avant.» Je perçois cela dans un objectif de réajustement.

F3 : Et je me souviens qu’à un moment, on s’était dit avec F1 que l’on souhaitait tester ensemble

l’animation du débriefing en binôme. Après, c’est à voir, peut-être que lors des formations à la

simulation, ils recommandent ou pas de réaliser le débriefing en binôme.

C : F1 et F2 avaient spontanément évoqué le souhait de réaliser le débriefing ensemble. C’était leur

choix, je ne m’y suis pas opposé. Certains formateurs ont fait le choix de réaliser le débriefing en

binôme, d’autres ont préféré en individuel ; et cela je ne l’avais pas anticipé avant la réalisation des

enregistrements vidéo. C’est intéressant d’évaluer par les auto-confrontations l’intérêt du binôme.

F3 : Par rapport à la technique de la simulation, est-ce qu’il vaut mieux être seul ou en binôme pour

le débriefing ?

C : Je ne sais pas. C’est certain qu’il faut être à plusieurs pour la réalisation de la séquence de

simulation car les rôles sont distincts.

F3 : Lors du débriefing, quand tu as installé le caméscope et expliqué aux étudiants que tu filmais le

formateur, on a senti un soulagement chez les étudiants car ils craignaient d’être filmés pour le

débriefing.

F5 : Ce qui est marrant pas rapport à cela, je vais dire exactement ce que les étudiants disent. Au

début, tu sens la présence de la caméra mais après tu l’oublies complètement. Souvent, les étudiants

ANNEXES XXIII

le disent lors de la réalisation de la séquence. Ils pensent à la caméra fixée au plafond puis, après,

ils en font abstraction.

C : Il me reste encore une dernière question. On a vu que le débriefing peut être abordé de

différentes façons mais pensez-vous qu’il soit propice à un apprentissage de l’éthique chez

l’étudiant ?

F5 : Obligatoirement oui, car quel que soit le soin, l’éthique à sa place. C’est important aussi qu’ils

puissent mettre en avant cette dimension de…. euh… C’est pour cela que c’est important que les

étudiants puissent donner sens à ce qu’ils font. Par exemple, c’est bien qu’ils identifient

l’importance de frapper avant d’entrer dans la chambre.

F3 : Ils identifient l’importance du respect de la personne, de son intimité.

F5 : Pour moi, dès qu’ils frappent à la porte de la chambre, ils sont dans l’éthique.

C : L’éthique se manifeste alors par des gestes ?

F5 : Par des gestes, dans des postures, des paroles… Même dans leur présentation aussi. Entrer

directement dans la chambre sans se présenter… Bon, dans cette situation, le patient avait mal et

souhaitait qu’on l’aide. Peut-être que cela n’aurait pas apporté grand-chose de se présenter mais

cela intervient quand même…

F3 : Cela intervient quand même dans la relation de confiance entre le soignant et le patient. La

relation de confiance ne peut être instaurée si le patient ne sait pas à qui s’adresser.

C : La présentation fait partie de la communication mais il y aurait aussi un enjeu éthique ?

F5 : Il y a un enjeu éthique, tout à fait.

C : Dans le groupe d’étudiants de F5, ce qui m’a interpellé lors de la situation simulée… euh… Les

étudiants acteurs m’ont proposé de ne pas rester en pyjama… J’exprimais un mal-être en lien avec

une atteinte de mon image corporelle.

F5 : Oui, ils ont souhaité contacter l’épouse afin qu’elle puisse apporter des vêtements dans le souci

de maintenir le sentiment de dignité du patient. Ils l’ont exprimé en fin de saynète et l’ont identifié

lors du débriefing.

F3 : C’est bien ça.

C : L’éthique serait donc présente dans des gestes qui témoignent d’une attention à l’autre, d’un

respect de l’autre…

F5 : Dans la communication, dans la façon d’être dans la chambre du patient.

F3 : Je me souviens qu’il y avait eu également un mini-débat sur la vérité au patient. Faut-il tout

dire ? Que peut-on dire ? Qu’est-ce que l’on ne peut pas dire ? Et ça, cela intervient intégralement

dans l’éthique. Pour moi, on recherchait un consensus, on parlait de vérité au patient et d’annonce

du diagnostic, donc oui, effectivement, l’éthique est présente. Et je pense que les étudiants se

sentent plus en difficulté face à ce type de situation complexe que lorsqu’ils sont confrontés à des

situations plus « techniques », même s’ils ne savent pas correctement réaliser le geste. Les

étudiants se sont sentis perdus dans la situation de Mr Dupont comme en atteste le fait qu’ils soient

sortis de la chambre.

C : Au regard de quoi ?

F5 : Justement, ils ne savent pas comment faire « bien ». Ils travaillent avec une personne réelle, ils

ne travaillent pas sur un mannequin… Ils ne savent pas comment, au-delà de la réalisation d’un

geste technique, accompagner au mieux cette personne.

F3 : La démarche relationnelle qui est instaurée dans le groupe, c’est aussi de l’éthique. On pourrait

envisager des thématiques comme celle de « la vérité » et en discuter lors du débriefing mais

finalement ce qui est éthique, c’est la discussion entreprise, la recherche de consensus.

F5 : C’est aussi le respect, l’écoute. Il n’y a pas de moqueries, la discussion est constructive.

Souvent, il y a aussi cet élan de soutien à l’autre. Quand G. s’est mise à pleurer en disant qu’elle

était nulle, le reste du groupe l’a soutenue en lui démontrant que ce qu’elle avait fait était bien. On

ANNEXES XXIV

a vraiment senti cet élan des dix ou onze étudiants du groupe venus la soutenir dans la difficulté

exprimée. Pour moi, dans le groupe, ils sont dans une dimension éthique.

F3 : Il est important de leur faire remarquer car ils ne s’en rendent pas compte. C’est ça notre rôle,

car ils ne s’en rendent pas compte.

F5 : Là, c’est l’étudiante qui avait identifié le soutien du groupe. Elle a évoqué le fait qu’elle se

sentait soutenue. Je n’ai pas eu besoin de leur faire remarquer… Même si l’étudiante évoque une

difficulté, les autres valorisent les aspects positifs de son intervention auprès du patient.

F3 : Je pense qu’il s’agit aussi d’une attitude impulsée par l’équipe pédagogique dans le sens où on

pose les règles dès la 1ère

année quant à la simulation. En 3ème

année, ils ont un recul suffisant, une

expérience. On essaye d’impulser l’idée qu’on n’est pas là pour juger, qu’on est là pour valoriser

l’étudiant, mettre en valeur les points positifs. Bien sûr, on identifiera le négatif, ce qui manque à la

pratique, pour justement trouver des perspectives et transférer dans d’autres situations. Je pense

qu’il y a cela aussi…

F5 : La dynamique est impulsée dès le départ, notamment dans les règles que l’on donne.

(silence)

F3 : De toute façon, les règles que l’on donne sont, pour moi, à la base des règles éthiques.

C : Quel genre de règles ?

F3 : L’écoute de l’autre, l’absence de jugement de valeurs, le respect de l’autre, pas de moqueries,

le secret professionnel, la confidentialité des échanges… Voilà, toutes ces règles là. Elles peuvent

sembler anodines lorsqu’elles sont évoquées mais elles prennent tout leur sens lors des discussions

et de l’analyse effectuée. Le scénario de Mr Dupont semble simple sur le papier mais il est très

complexe car cela touche à beaucoup de choses : le soin relationnel, la prise en charge de la

douleur, la communication, la relation à l’autre… D’où l’importance d’identifier les compétences

mobilisées par les étudiants pour qu’ils puissent prendre conscience de leur progression.

F5 : C’est intéressant d’envisager la simulation dans une continuité, sur les trois années de

formation, avec une évolution de la complexité du scénario. Un scénario qui se rapproche au plus

près du réel et permet aux étudiants d’évaluer leur acquisition de compétences… Dans la situation,

les étudiants ont exprimé l’incertitude, le manque d’informations, mais c’est aussi la réalité des

services de soins.

(silence)

C : Si cela vous convient, on peut arrêter l’entretien ; je vous remercie pour votre disponibilité.

ANNEXES XXV

Annexe 5 :

Le scénario de la séquence de simulation en santé

(situation clinique de Mr Dupont)

IRFSS Nord/Pas-de-Calais Site de Douai – formation infirmière 05/10/2015 A.Casper, J.Zimowski Version 2

Nom du scénario : Situation clinique de Mr Dupont

Formation : IDE AS AMP AUTRE : ____________

Participants

Formateurs Apprenants acteurs Apprenants observateurs

3 formateurs :

- un facilitateur

- un débriefeur

- un acteur

2 étudiants S5

6 à 10 étudiants S5

RESUME

Mr Dupont, 32 ans, est hospitalisé depuis 2 jours pour la résection chirurgicale d’un

adénocarcinome du côlon. Durant l’intervention, le chirurgien a été dans l’obligation de

procéder à une laparotomie et à la réalisation d’une colostomie transitoire après échec de la

cœlioscopie prévue initialement. Le patient est à J1 post-opératoire. Il accepte difficilement

sa poche de colostomie et il vient d’apprendre par le chirurgien l’ampleur de la tumeur

découverte. De plus, les suites opératoires nécessiteront probablement une chimiothérapie.

OBJECTIF PRINCIPAL

Etre capable de dépister la souffrance psychologique d’un patient et d’initier une relation

d’aide.

ANNEXES XXVI

DECLINAISON DE L’OBJECTIF PEDAGOGIQUE

Cognitif (connaissances) Technique (savoir faire) Comportement (relationnel,gestion

d’équipe…)

Mobiliser des connaissances

sur les surveillances post-

opératoires

Mobiliser des connaissances

relatives à la prise en charge

post-opératoire

Mobiliser des connaissances

du processus douloureux

Mobiliser des connaissances

pharmacologiques

Mobiliser des connaissances

relatives à la

psychopathologie (anxiété,

estime de soi)

Mobiliser des connaissances

relatives aux techniques de

communication et aux soins

relationnels

Effectuer un recueil de

données

Utiliser un outil de mesure

de la douleur

Instaurer une relation

soignante adaptée

(communication, écoute,

empathie, reformulation…)

Mobiliser le dossier de soin

Avoir une communication

adaptée (soignant/soignant et

soignant/soigné)

Adopter une posture

empathique permettant la

verbalisation de la

souffrance psychologique

(posture verbale et non

verbale adaptées)

SCENARIO DETAILLE

1- Le contexte :

Lieu : Centre Hospitalier de Douai.

Service : chirurgie générale, digestive et gynécologique.

Localisation : chambre individuelle de Mr Dupont.

Participants : 2 étudiants IDE S5, une IDE tutrice (rôle de facilitateur), un

patient.

ANNEXES XXVII

2- Histoire clinique du patient

Mr Dupont, 32 ans, marié, une fille de 15 mois, barman dans un grand hôtel douaisien.

C’est une personne soignée, joviale, attentive à son apparence physique et dynamique. Il

est droitier. Il pratique la natation et notamment les séances de bébés-nageurs avec sa fille.

Pas d’antécédents médicaux et chirurgicaux.

Début Août, Mr Dupont consulte son médecin traitant pour douleurs abdominales avec

troubles du transit, asthénie et amaigrissement (perte de 5kg en 1 mois sans régime

associé). Ce dernier l’oriente vers un gastro-entérologue pour consultation et examens

complémentaires. Dans les 15 jours, une coloscopie avec biopsie est réalisée. Elle met en

évidence un adénocarcinome du côlon gauche. Un bilan d’extension comprenant une IRM

pelvienne, une radiographie pulmonaire et une échographie hépatique s’avère totalement

négatif. Au regard des éléments et après une réunion de concertation pluridisciplinaire, il

est proposé à Mr Dupont le schéma thérapeutique suivant : séances de radiothérapie

préopératoire puis intervention chirurgicale par cœlioscopie.

Le patient est entré il y a 2 jours pour une intervention prévue le lendemain de son entrée, à

14h. Le retour de bloc opératoire a eu lieu à 18h. Mr Dupont est porteur de 3 pansements

de cœlioscopie, d’un pansement de laparotomie avec un drain de redon à 50cc ainsi que

d’une poche de stomie. La douleur est évaluée entre 3 et 4 à l’EVA depuis le retour de

bloc.

A J1 post-opératoire, la toilette a été réalisée avec aide ainsi que le1er lever et l’installation

au fauteuil. Le patient est à jeun. Il est porteur d’une voie veineuse périphérique à gauche.

Un antalgique par voie IV (Topalgic® 100mg) a été administré 30 min plus tôt. Le

chirurgien vient de sortir de la chambre. Il a informé Mr Dupont qu’en raison de l’ampleur

de la tumeur, il a dû procéder à la réalisation d’une colostomie de protection transitoire et

que le traitement sera complété par une chimiothérapie.

3- Evolution du scénario

Le patient sonne.

L’infirmière demande aux 2 étudiants IDE S5 d’aller voir Mr Dupont.

A l’entrée des étudiants dans la chambre, le patient se plaint d’une vive douleur. Il est triste

et abattu.

4- Eléments de fin du scénario

Le patient souhaite être seul car son épouse l’appelle (après 10 min de prise en soins par

les étudiants).

ANNEXES XXVIII

PREPARATION DU LABORATOIRE

Liste du matériel nécessaire

Chambre de simulation (lit, fauteuil, adaptable, table de chevet, armoire).

Plastron avec stomie.

Chemise de bloc + pantalon de pyjama + pantoufles.

Pansement de cœlioscopie x 3 et 1 pansement de laparotomie.

1 redon.

1 cathéter périphérique sans trocart, 1 perfusion de SG 500 ml avec l’inscription « 2g

NaCl, 1g KCl » et échelle horaire sur 24h, 1 perfuseur, 1 opsite, 1 prolongateur 3 voies.

Une perfusette vide indiquant « Topalgic® 100mg » et l’heure de pose.

1 pied à perfusion.

2 téléphones portables fonctionnels (1 pour le patient, 1 pour le facilitateur qui simule

l’appel de l’épouse).

1 dossier patient.

Préparation physique de l’acteur

Patient installé au fauteuil, adaptable à proximité. Il est penché vers l’avant, le regard dans

le vide.

Plastron / pansements de cœlioscopie et laparotomie ; redon sortant de la cavité

abdominale ; perfusion à gauche.

Préparation de la salle

Livres

Photo d’une femme avec un bébé

Trousse de toilette

Téléphone portable

ANNEXES XXIX

FICHES DE ROLES

Patient

Patient au fauteuil. Il est algique (posture et verbalisation). Il est penché du côté opéré,

abattu, et regarde dans le vide. Il dit : « je ne sais pas pourquoi mais j’ai très mal. »

Si question / douleur : douleur diffuse (« partout dans le thorax et l’abdomen »),

n’arrive pas à l’expliquer, EVA à 8. « C’est la première fois que j’ai mal comme

cela depuis hier. »

Si question / depuis quand : « depuis que le chirurgien est passé. Le chirurgien ne

m’a pas examiné. »

Si question / pose du traitement : « quand l’infirmière est venue il y a 30 mn. »

Si question / passage du chirurgien : « je suis perdu, je ne sais pas si j’ai bien tout

compris mais a priori c’est plus important que prévu, il m’a mis une poche et il m’a

parlé de chimio. Il m’a dit que j’allais retourner au bloc la semaine prochaine pour

poser un boîtier (PAC). »

Facilitateur

Si l’étudiant se rapproche de l’infirmière, elle lui répondra qu’elle est occupée et

qu’elle arrivera dès que possible.

Il met fin au scénario par l’appel du mari après 10 min.

Soignant

Etudiants infirmiers en stage de S5 depuis 6 semaines dans un service de chirurgie

générale, viscérale et gynécologique.

cf « éléments du briefing »

ELEMENTS DU PRE BRIEFING

Les étudiants ont bénéficié d’une séance de simulation en S4.

Rappeler l’intérêt du dispositif : mise en situation de soins dans un environnement réaliste.

Il s’agit de « faire » et non de « bien faire ».

Ne pas donner l’objectif.

Rappeler le déroulé de la séance (briefing, scénario, débriefing) et les principales règles à

respecter :

- confidentialité

- jugement critique

- participation active.

ANNEXES XXX

2 étudiants sont acteurs et les autres observent via la retransmission vidéo (la prise de notes

est recommandée).

Visite des locaux sans le patient.

Participation volontaire des étudiants acteurs. Si besoin, possibilité de retour en chambre

pour les 2 volontaires.

ELEMENTS DU BRIEFING

Eléments clés

Eléments donnés lors des transmissions de ce matin :

Mr Dupont, 32 ans, marié, une fille de 15 mois. Il n’a pas d’antécédents médicaux et

chirurgicaux.

Il est à J1 post-opératoire d’une colectomie gauche par cœlioscopie / laparotomie avec

colostomie transitoire. Le chirurgien ne l’a pas encore prévenu de ce qui a été réalisé (pas

de colostomie prévue initialement).

Les constantes sont stables. La douleur est évaluée entre 3 et 4 à l’EVA depuis le retour de

bloc. Un antalgique en systématique a été administré 30 mn plus tôt. Le patient est porteur

de 3 pansements de cœlioscopie et d’un pansement de laparotomie avec un drain de redon

qui a donné 50cc. Présence d’une voie veineuse périphérique.

A jeun.

Toilette réalisée avec aide, 1er lever réalisé et installation au fauteuil.

Contraintes particulières liées à la simulation (éléments fictifs, non fonctionnels ...)

Patient porteur d’un plastron avec stomie, pansements et redon.

NOTES D’OBSERVATION

- Vécu émotionnel des acteurs, du patient, du groupe.

- Description et analyse de la séquence.

- Transfert et synthèse : qu’avez-vous retenu à transférer dans une situation

similaire ?

Une visée éthique de l’usage de la simulation en santé

An ethical prospect of the use of simulation in health

MEMOIRE DE RECHERCHE

MASTER 2

Actions et activités de la santé et du social – Parcours : « Ethique, santé et institution »

Université Catholique de Lille

Auteur : Jérôme ZIMOWSKI, sous la direction de Grégory AIGUIER, enseignant-chercheur

Résumé Longtemps réservée à des secteurs spécifiques de haute technicité, comme l’aéronautique, la

simulation en santé apparaît désormais comme un outil incontournable de la formation initiale et

continue des professionnels de santé. Et c’est probablement en raison de ses références à l’espace technique qu’elle est souvent apparentée à un apprentissage procédural des actes se résumant en un

principe éthique : « jamais sur le patient la première fois.» Une éthique de la simulation en santé,

empreinte de non malveillance, ne se réduit pas à un impératif catégorique puisqu’elle offre l’opportunité d’un questionnement quant à l’usage d’une telle innovation pédagogique pour

l’éthique et son enseignement. A l’interface du soin, de la pédagogie et à l’aune de la philosophie

pragmatiste, ce travail de recherche apporte un éclairage sur les liens unissant l’éthique, son

apprentissage auprès des étudiants infirmiers et la simulation en santé. La démarche empirique, fondée sur les méthodes d’observation et d’auto-confrontation, s’intéresse particulièrement à

l’analyse d’activités des formateurs en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) lors des

débriefings réalisés dans le cadre de séances de simulation en santé. Caractérisée par une intention compréhensive et performative, cette recherche-intervention vise à

définir le fondement épistémologique d’un paradigme contributif à un agir éthique.

Mots-clés Simulation en santé, apprentissage expérientiel, compétences, éthique, formation infirmière,

pragmatisme

Abstract Limited for a long time to specific high technical fields such as aerospace, simulation in the health

sector has now become an essential tool of health professionals' initial and ongoing training. It is

probably because of its references to the technical dimension that it is often related to the

procedural training which can be summed up by an ethical principle: « never the first time on a

patient. » In the health sector, a simulation ethics marked with non maleficence is not just a blunt

obligation since it offers the opportunity of questioning the use of such pedagogical innovation for

ethics and its teaching. At the interface of care and teaching, and in reference to pragmatic

philosophy, this research work highlights the links between ethics, the learning of ethics by student

nurses and simulation in health. The empirical procedure based on observation and self-

confrontation methods focuses in particular on the analysis of tutors’ work in nurses training

colleges at the time of feedbacks carried out during simulation activities in the context of health.

This research, marked by a comprehensive and improvement intention, aims at defining the

epistemological founding of a paradigm which is essential to ethical acts.

Key words

Simulation in health care, experiential learning, skills, ethics, nursing training, pragmatism

Nombre de pages : 125

Juillet 2016