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    MUSIQUES DU MONDEArt des peuples en mouvement

    Conférence de François Bensignor - 2015

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    PEUPL ES EN MOUVEMENT

    Si l’on considère l’évolution de la musique à travers les âges, l’on constate souvent

    qu’elle s’opère au gré d’événements historiques, économiques, culturels ou autres,

    comme par le biais de rencontres, d’emprunts, d’assimilation ou d’osmose de styles. Des

    musiciens se croisent avec leurs instruments, leurs connaissances, leur savoir-faire. De

    ces échanges et de la confrontation avec leurs publics naissent de nouvelles musiques.

    L’histoire des musiques du monde offre de très nombreux exemples dans lesquels les

    phénomènes de créations de nouvelles formes esthétiques proviennent du déplacement

    géographique de populations et des rencontres, des chocs ou des croisements culturels

    qu’il entraîne.

    Pour illustrer ce propos, nous nous appuierons sur des exemples caractéristiques :

    Partie 1   Les musiques issues de la migration des Rom :

    les Tsiganes et les Gitans.

    Partie 2   Les musiques issues du commerce triangulaire,

    gros plan sur l’évolution de la rumba.

    QU ’ ENTEND -ON PAR MUS I QUES DU MONDE ?

    Le point commun entre toutes les musiques extrêmement diverses que l’on peut qualifier

    de musiques du monde est qu’elles sont liées à au moins un référent musical identifié comme partie intégrante de l’expression d’une culture traditionnelle.

    Dans leur grande diversité, les musiques du monde peuvent être :

    • Des pièces de tradition orale attachées à un terroir particulier, à une fonction sociale

    spécifique — dont certaines relèvent du collectage d’ethnomusicologues, selon une

    démarche scientifique.

    • Des œuvres provenant des grands répertoires de musiques savantes non occidentales

    : musiques indiennes, musiques persanes, musiques arabes, musiques ottomanes,

    musiques chinoises, etc.

    • Des productions contemporaines de musiques populaires plébiscitées là où elles se

    font : musiques des Caraïbes, d’Afrique, du Brésil, etc.• Des musiques de création, fruit de rencontres entre musiciens de cultures différentes,

    qui travaillent à la fusion des genres.

    • Des musiques élaborées par perpétuation de formes musicales puisées dans une

    tradition orale définie, mais réorganisées selon des codes écrits de composition.

    • Des musiques créées avec la technologie numérique, procédant par collage, mélange,

     juxtaposition, digestion, jusqu’à la formulation de nouveaux langages à la syntaxe

    originale. Dans ce domaine, les DJ ont notamment poussé la pratique du remix au

    niveau d’un art.

    Comme on le voit, le domaine des musiques du monde est tellement vaste qu’il serait

    présomptueux de vouloir en brosser le portrait complet en une ou deux journées. J’aidonc choisi, au travers d’exemples particulièrement marquants, d’aborder des aspects

    historiques, sociologiques et artistiques qui permettent de mieux comprendre les

    phénomènes souvent complexes qui ont fait naître ces musiques.

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    PA R T I E 1Musiques du monde, art des peuples en mouvementLes Tsiganes et les Gitans

    Conférence de François Bensignor - Novembre 2015

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    H I STOR I QUE D E L A M I GRAT I ON D ES ROM Aujourd’hui, on estime à environ 12 millions le nombre de Rom en Europe. En 1000 ans de migration,

    on peut estimer qu’au départ, le groupe de migrants ne dépassaient pas 20 000 individus. Même si l’onn’a pas de traces historiques écrites sur la migration de ce peuple, on retrouve des indices dans la langue

    romani. Elle contient des racines indiennes et persanes, mais aucune racine arabe. Le chercheur Stéphane

    Laederich en déduit que le séjour des Rom en Perse précède l’invasion arabe des 7e et 8e siècles.

    La langue romani contient aussi des mots arméniens. Or, fin 9e / début 10e siècles, une transformation du

    “l” et “ghé” s’est opérée dans la langue arménienne. Il n’y a pas trace de ce changement de prononciation de

    la consonne dans les mots arméniens du romani. Le chercheur en conclut, que la migration des Rom vers

    la Méditerranée a eu lieu avant le 9e siècle à travers l’Arménie.

    Au 10e  siècle, les Byzantins ont déporté les populations arméniennes de l’Anatolie vers les Balkans,

    principalement en Bulgarie et en Macédoine. Des témoignages existent de l’arrivée des Rom en Europe à

    cette époque. Ils se regroupent en Grèce, notamment dans une région du Péloponnèse appelée la Petite

    Égypte.

    Vers le 14e siècle, l’avancée des Ottomans en Europe de l’Est semble être le déclencheur de l’éparpillement

    des Rom. Certains clans prennent les routes du Nord, d’autre celles du Sud. Tous apportent un extraordinaire

    savoir faire musical dans les pays où ils s’installent.

    La surprenante histoire de la langue romani et du peuple rom

    Le spécialiste Stéphane Laederich

    répond aux questions de Martina A. Catella,

    ethnomusicologue, chanteuse et professeur de musique.

    Remontons aux alentours du 5e siècle au Nord Ouest de

    l’Inde.

    Sur les terres arides du Rajasthan vit un peuple de nomades

    connus pour leur maîtrise des musiques et des danses.

    Leur réputation parvient aux oreilles du roi Bahran V quirégna sur la Perse de 420 à 436.

    Bernard Leblon écrit (Musiques tsiganes et flamenco,

    l’Harmattan) : « Un jour, le bon roi sassanide vit que ses

    sujets les plus démunis étaient contraints de s’enivrer

    tristement, les jours de fête, sans la moindre musique. Il

    s’en étonna et on lui répondit que les musiciens étaient

    rares et beaucoup trop chers pour le peuple. »

    Ému, le roi écrit à son beau-père qui règne sur la vallée

    du Gange et lui demande de lui envoyer 12 000 musiciens

    Luri (joueurs de luth).

    « À leur arrivée en Perse, Bahram leur fit remettre à chacun

    un âne, un bœuf et mille charges de blé et leur demanda,en échange, de faire de la musique gratuitement pour les

    pauvres tout en vivant de l’agriculture. Au bout d’un an,

    les Luri, qui avaient mangé leurs bœufs et leurs semences,

    se présentèrent affamés devant le roi, qui leur dit alors

    : “Vous n’auriez pas dû dissiper les semences, le blé en

    herbe et la récolte. Maintenant, vos ânes vous restent.

    Chargez les de vos bagages, préparez vos instruments de

    musique et mettez-y des cordes de soie.” Bien entendu,

    on a voulu voir dans ces musiciens indiens condamnés à

    l’errance les ancêtres des Rom ou Tsiganes. »

    VIDÉO 

    https://www.youtube.com/watch?v=yE_s8TG7LC4&feature=youtu.behttps://www.youtube.com/watch?v=yE_s8TG7LC4&feature=youtu.behttps://www.youtube.com/watch?v=yE_s8TG7LC4&feature=youtu.be

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    Les Rom sont un peu partout en

    Turquie, mais leur communauté est

    particulièrement nombreuse en Thrace

    orientale, la partie européenne de la

    Turquie. À Istanbul on peut les écouterdans les restaurants de Passadji, près

    d’Istiklal, par exemple.

    La Roumanie est une terre de Tsiganes.

    Leur réputation y est désastreuses, mais

    leur musique fabuleuse. Sa rencontre

    avec les airs populaires roumains a

    donné naissance au fameux “chant long”.

    Les très belles rééditions Sounds of a Bygone Agesur le label Asphalt Tango :

    Au temps de la dictature de Ceausescu, il y avait deux sortes

    de musiques populaires,

    — le folklore officiel qui avait pleinement droit de citée dans

    les théâtres, à la radio, à la télévision

    — la « muzica de mahala » jouée par les Rom, que le pouvoir

    interdisait de se produire en concert. Ils étaient seulement

    autorisés à animer les fêtes, les mariages, etc.

    Pourtant, quelques musiciens exceptionnels ont été

    enregistrés durant la dictature. Après la chute du tyran,

    Helmut Neumann et Henry Ernst, fondateurs du label

    allemand Asphalt Tango, ont pu exhumer ces enregistrements

    sublimes, pour nourrir leur collection : Sounds of a Bygone

    Age. Exemple avec Toni Iordach, dont l’orchestre accompagne

    la grande chanteuse Romica Puceanu, dont le label français

    Buda Music  a publié une très belle compilation de 2 CD.

    L A ROUTE DU NORDLes Tsiganes magnifient les musiques d’Europe orientale, des Carpates aux Balkans, du Bosphore au Danube : en Turquie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Macédoine, Serbie, etc. Ils ont cette

    fabuleuse capacité à s’approprier les musiques locales et à les transformer en les poussant dans leurs derniers retranchements à l’aide d’une virtuosité hors du commun.

    Dans l’abondante discographie disponible, notons deux excellentes collections publiées par deux labels allemands :

    Les compilations double CD du label Network  :Gypsy Queens, Road of the Gypsies, Balkan Blues, etc.

    Selim Sesler, Anatolian Wedding, 

    Doublemoon Romica, Chansons tziganes, BudaMusique 

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    La Fanfare Ciocarlia est originaire du

    village de Zece Prajini. Elle contient

    sans doute les souffleurs les plus

    rapide et les plus fins de Roumanie.

    C’est en octobre 1996 que les deux

    producteurs Allemands, Helmut

    Neumann et Henry Ernst, débusquent

    cette fanfare qui ne jouait alors que

    pour les mariages. Depuis elle a faitle tour du monde.

    Le Taraf de Haïdouks a pu sortir de son village de Clejani, situé

    à une centaine de kilomètres de Bucarest, grâce au producteur

    Bruxellois Stéphane Karo. Il a des milliers d’anecdotes à

    raconter sur les musiciens du groupe à force de tourner avec

    eux dans le monde entier.

    Le label Network s’intéresse aux Tsiganes depuis

    longtemps. Il nous a fait découvrir la grande

    artiste de Macédoine Esma Rezepova, qui a été

    élue en Inde « Reine des Rom ». Sa technique de

    voix enfantine se retrouve chez de nombreuses

    chanteuses tsiganes, mais elle la maîtrise

    merveilleusement bien.

    Dans le film Latcho Drom de Tony Gatliff, le vieux violoniste

    Nicolae Neascu dit ‘‘Culai’’, décédé en 2002, jouait un air à

    déchirer les cœurs, qui évoquait les souffrances infligéespar le tyran roumain. Il attachait un fil de nylon à l’une des

    cordes de son violon et jouait simplement en pinçant le fil

    de nylon faisant glisser ses doigts pour faire sonner la corde.

    Un moment exceptionnel qui marquait de son étrangeté les

    concerts du Taraf de Haïdouks.

    La découverte de ces musiques,

    qui étaient restées cachées en

    Roumanie du fait de la dictature,

    leur a permis non seulement de

    s’exporter à travers le monde, mais

    aussi de se mélanger à d’autres.

    Ainsi, Erik Marchand,  chanteur

    breton et joueur de clarinette,

    a mené un travail extrêmement

    intéressant avec des musiciens

    Roumains. En respectant à la fois

    leur tradition et la sienne, il opère

    un mélange savoureux et très

    stimulant. Il montre aussi comment

    des traditions peuvent s’enrichir

    quand on ne les laisse pas se figer.

    Esma Redzepova, Gypsy Carpet,

    Network 

    Taraf de Haidouks, Band of gypsies,

    Crammed Disc 

    Fanfare Ciocarlia, Queens and Kings,

    Asphalt Tango 

    Erik Marchand et le Taraf de

    Caransebes, +Dor, La World/BMG 

    Erik Marchand, Pruna, Le Chant du

    Monde 

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    L A ROUTE DU SUDLes Rom qui empruntent la route du Sud vont essaimer au long de leur parcours, au

    Liban, en Égypte et au Maghreb. Ils arrivent en Andalousie vers le 14e siècle, environ un

    millénaire après leur départ du Rajasthan.

    À cette époque, l’Andalousie vit encore sous la domination arabe. Al Andalous est un

    phare culturel. On y cultive les sciences, les ar ts, la philosophie. Zyriab, venu de Bagdad,

    y a introduit le raffinement et créé une nouvelle forme de musique, composée de noubas,

    qui va donner naissance à toutes les écoles de musique arabo-andalouse.Comme on l’a vu, les Rom empruntent les

    répertoires musicaux des peuples qu’ils

    rencontrent.

    Mais ils ont une façon particulière de les

    interpréter, qui rend ces musiques plus habitées.

    Ils leur confèrent une émotion, que d’autres

    musiciens ne parviendront jamais à produire. Le

    maître du buzuq libanais Matar Muhammad nous

    offre un magnifique exemple de jeu sublime.

    On le sait peu, les Musiciens du Nil, eux aussi, font partie des descendants des Rom

    installés en Égypte.

    Mais revenons à l’histoire. En 1492, les Arabes et les Juifs sont chassés par la Reconquista

    des Rois catholiques. Les Gitans restent en Andalousie, parce qu’ils sont chrétiens.

    Témoin les letras de “Por El Camino d’Egipto”, chantées par Pedro Bacan  — d’abordguitariste et qui chante rarement. Ces paroles évoquent Marie et Joseph fuyant le roi

    Hérode sur la route d’Égypte à Nazareth portant l’enfant dans ses langes…

    Au début les Gitans sont bien tolérés par les catholiques espagnols, mais leur façon

    de vivre en communauté, avec leurs propres lois, va rapidement déplaire aux Princes.

    Alors que leurs cousins d’Europe orientale sont réduits en servage ou carrément vendus

    comme esclaves, les Gitans en Espagne vont être victimes de persécutions. On a du

    mal à déterminer la naissance du genre flamenco. Parce qu’il mûrit dans le secret des

    familles. Il n’apparaît au grand jour que vers le milieu 19e siècle.

    Pedro Bacan et Concha Vargas mettent tout leur cœur de musicien et de danseuse dans une

    casetta du grand village de tentes dressé pour la Feria de Séville en 1991

    (photo François Bensignor) 

    L ’ANDALOUSIEAu bout de cette route du Sud, l’Andalousie.

    Matar Muhammad, Hommage à un

    maître du buzuq, Inédit 

    The Musicians of the Nile,

    Luxor to Isna, Real World 

    The Musicians of the Nile,

    Charcoal Gypsies, Real World 

  • 8/17/2019 MDM Conference

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    Paco de Lucía  va poursuivre une carrière extrêmement

    brillante à l’international. En 1981, le trio qu’il forme avec

    John McLaughlin et Al Di Meola entre dans la légende de la

    guitare. Paco de Lucia est celui qui rend toute sa noblesse

    à la guitare flamenca et qui l’élève au sommet de l’art

    musical. Le film Paco de Lucía , légende du flamenco réalisé

    par son fils, Curro Sánchez, est sorti sur les écrans français

    en 2015.

    Enrique Morente  n’est pas gitan. C’est pourtant un très

    grand chanteur de flamenco. Il est entré dans ce monde par

    la poésie. Aussi un peu par l’influence de Grenade, la ville

    où il est né et où il est mort. Aucune expérience n’effrayait

    Morente. Il a travaillé avec Léonard Cohen et enregistré

    avec un groupe de hard-rock espagnol. Ces concerts

    commençaient toujours par une première partie de

    flamenco pure, la seconde présentant ses expérimentations.

    Enrique Morente a initié ses deux filles à son art de

    prédilection. L’aînée, Estrella Morente interprète un air de

    zambra, une danse populaire qui ne fait pas vraiment partie

    du strict répertoire flamenco, mais tellement séduisant.

    Pour prolonger ce survol dans la séduction, évoquons

    la chanson séfarade, qui a été conservée elle aussi dans

    le secret des cuisines et dont la richesse a commencé à

    réapparaître depuis une trentaine d’années.

    Yasmin Levy, fille de Yitzak Levy, qui a collecté à Tel Aviv

    les chants conservés dans les familles venues de toutes les

    diasporas juives de Méditerranée. Elle n’a jamais connu son

    père, mais lui rend le plus bel hommage en interprétant

    magnifiquement le répertoire qu’il a collecté.

    Sous la botte du Général Franco, le flamenco folklorisé sera

    récupéré comme symbole de l’identité espagnole. Mais les

    esprits révolutionnaires — pour certains exilés au Mexique ou

    en France — vont se réapproprier le genre.

    Au milieu des années 1970, le flamenco connait une

    transformation exceptionnelle et définitive, sous l’impulsion

    conjuguée de deux immenses artistes : Camaron de la Isla et

    son alter ego le guitariste Paco de Lucia.

    Les deux artistes introduisent la modernité dans le flamenco,

    sans en altérer la profondeur. Il font entrer la basse électrique

    dans les orchestrations et enregistrent des chansons qui

    deviennent de véritables tubes, dont le fameux “Como El Agua”,

    paru en 1981.

    Le “cante jondo” — c’est-à-dire chant profond, la forme la plus

    élaborée et la plus dépouillée de cet art noble — est un des

    piliers du flamenco que nous connaissons. Voici deux grandes

    figures du flamenco tel qu’il se chantait au cabaret, les fameux

    tablaos, dans la première moitié du 20e siècle :

    La Niña de los Peines (Séville, 1890 – Séville, 1969)

    Elle commence à chanter en public à l’âgée de 8 ans. En 1910,

    elle enregistre ses premiers chants, et en 1920 elle est une

    des artistes les mieux payées au Teatro Romea. Dès lors, elle

    va tourner dans toute l’Espagne. En 1922, elle participe à

    Grenade au Concurso de Cante Jondo, un festival de musique

    initié par Manuel de Falla et Federico García Lorca, afin de

    donner une nouvelle dynamique à l’art du flamenco.

    Le grand cantaor Manolo Caracol (Séville, 1909 – Madrid, 1973)

    Il est le fils d’une grande lignée de chanteurs flamencos, dont

    le célèbre El Planeta. Sa voix hors du commun demeure l’une

    des plus impressionnantes dans le monde du flamenco.

    Niña de los Peines, Cante Flamenco, Fandango 

    Caracol Manolo, Grand cantaores du flamenco Vol.7, Le Chant Du Monde 

    Camaron de la Isla & Paco de Lucia, Arte y majestad, Philips Espagne 

    Camaron de la Isla & Paco de Lucia, Como El Agua, Philips Espagne 

    Paco de Lucia, Cositas Buenas, Universal 

    Enrique Morente, Despegando, Caiman Productiones 

    Estrella Morente, Mujeres, Virgin 

    Yasmin Levy, Romance & Yasmin, Connecting Cultures 

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    PA R T I E 2Musiques du monde, art des peuples en mouvementLes musiques issues du commerce triangulaire,

    gros plan sur l’évolution de la rumba

    Conférence de François Bensignor - Novembre 2015

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    I DA Y VUELTA

    « Ida i Vuelta » : c’est ce mouvement d’aller-retour entre

    les deux rives de l’Atlantique. On le sait, la rencontre au

    Nouveau Monde entre les descendants d’Africains déportés

    en esclavage et les colons européens va produire desmusiques fantastiques. Un foisonnement extraordinaire

    de nouveaux styles musicaux : blues, jazz, tango, samba,

    biguine, zouk, reggae, sans oublier le calypso, la rumba, le

    mambo, le cha-cha-cha… les maîtres des dancings dès les

    années 1940.

    RETOURNEMENT D E S I TUA T I ON

    La fuite occidentale des Européens vers les confins duNouveau Monde s’est appuyée sur la déportation massive

    d’Africains, qu’ils tentaient de déshumaniser en les privant

    de leurs cultures ancestrale. Effort vain, puisqu’aujourd’hui

    des rythmes sophistiqués, élaborés de générations en

    générations par des communautés, dans des villages de

    brousse, afin de communiquer avec leurs ancêtres, garants

    des équilibres avec la nature, sont reproduits, recomposés,

    tout en gardant un sens pour la communauté globale.

    Les musiques noires, avec leurs dérivés, sont aujourd’hui

    le commentaire du déplacement des pôles culturels

    mondiaux. Retournement de situation jamais imaginé parles tenants de la colonisation, l’Afrique aux milliers de

    langues trouve l’universalité de sa parole à travers son

    lègue à la musique globale.

    BREF RAPPEL H I STOR I QUE 

    Au 19e siècle, après l’abolition de l ’esclavage, de nouveaux

    genres musicaux métis apparaissent au Brésil, dans

    la Caraïbe et aux États-Unis. Les anciens esclaves, qui

    constituaient jusqu’alors l’essentiel de la main d’œuvrerurale se déplacent vers les villes. C’est là, dans des ghettos

    urbains ou péri-urbains, que s’inventent les nouvelles

    musiques métisses.

    Au début du 20e siècle, à la faveur de la modernisation

    des technologies de reproduction du son et de

    l’internationalisation de l’industrie de la musique, la

    création musicale dans l’Afrique coloniale, est impactée

    par l’influence des nouvelles musiques « cousines »

    d’Amérique. Dans les années 1930-40, ces nouvelles

    musiques deviennent les reines des dancings.

    À la fin du 20e siècle, l’avènement des musiques du monde

    est un facteur de multiplication du jeu de miroir entre les

    deux continents, l’Europe jouant parfois comme troisième

    bande. La globalisation induit une nouvelle grammaire

    musicale, qui s’élabore à partir de schémas hérités des

    cultures d’Afrique.

    3 ESPACES CUL TURELS

    Schématiquement, ces nouvelles musiques relèvent de

    trois mondes :

    • Le monde latin

    Catholique et syncrétique, il paraît comme le creuset des

    plus beaux métissages : témoin les splendeurs brésiliennes

    ou vénézuéliennes et les musiques qui les font danser.

    • Le monde anglo-saxon 

    Protestant, libéral mais intolérant, voire sectaire, il est

    pétri d’exclusion, inventeur de la ségrégation raciale, du

    Klu Klux Klan — aussi de l’apartheid en Afrique du Sud.

    • Le monde francophone 

    Il produit le “tout-monde” cher à Édouard Glissant, des

    archipels créoles, qui se vivent isolées, tiraillées entre la

    tentation du repli et le désir d’avenir.

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    L A TRA I T E NÉGR I ÈREL ES L I EUX D ’ EMBARQUEMENT

    On constate sur cette carte que la plus grande proportion des

    captifs vendus aux négriers européens — environ la moitié

    — provient de l’aire Bantou, surtout les régions qui forment

    aujourd’hui les deux Congo et l’Angola (en rose).

    L’autre région qui paie un lourd tribu (41,6%), ce sont les pays

    bordant le Golfe de Guinée, depuis la Guinée jusqu’à la frontière

    nord du Cameroun. La civilisation ancienne et raffinée des

    Yoruba, des Ibo, des Ewe et des Fon y pratique le culte Vaudou.

    Au Nouveau Monde, les sociétés d’esclaves s’appuieront sur ce

    culte dans leurs religions syncrétiques (mélangée au christianisme

    imposé par les colons) : le Vaudou en Haïti, la Santeria à Cuba, le

    Candomblé au Brésil.

    N’oublions pas que les esclaves étaient d’abord dépossédés

    de leurs repères culturels. Dans le rituel de l’arbre de l’oubli,

    on leur faisait faire le tour de l’arbre pour signifier qu’ils se

    débarrassaient de leur identité.

    Afin de diminuer les risques de mutineries sur les bateaux, les

    marchands séparaient les familles, les ethnies, les locuteurs des

    mêmes langues.

    La seule parcelle d’identité qu’ils conservaient se trouvait dans

    les éléments les rapprochant de leurs cultures : la spiritualité,

    indissociable de la musique en Afrique.

  • 8/17/2019 MDM Conference

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    L A TRA I T E NÉGR I ÈREL ES L I EUX D E D ÉBARQUEMENT

    Cette estimation donne un total d’un peu moins de 9, 5 millions

    d’esclaves débarqués au Nouveau Monde. D’autres estiment

    à 11 millions le nombre d’esclaves victimes de la traite

    transatlantique.

    Dans leur nouvelle condition, les esclaves étaient contraints de

    refaire société :

    — Soit sur les plantations, auprès de leurs compagnons d’infortune.

    — Soit dans les communautés de Noirs marrons, s’ils avaient le

    courage de fuir et la chance d’intégrer un de ces groupes rebelles.

    Ces sociétés cosmopolites, qui doivent se reconstruire dans

    un terrible isolement, réinventent des rites dans lesquels la

    musique a une part essentielle, notamment le tambour, qui

    permet d’entrer en communication avec les esprits des ancêtres.

  • 8/17/2019 MDM Conference

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    L E S N O I R S M A RRO N S

    Sur les 80% d’esclaves africains débarqués au Brésil et dans la Caraïbe, nombreux

    sont ceux qui tentent de s’échapper. Certains réussissent et opposent une grande

    résistance aux colons. On les appelle : les Noirs Marrons.

    Le terme Marron dérive de l’espagnol « cimarron », un mot issu de la langue des

    Indiens Tainos, qui vivaient dans les Grandes Antilles à l’arrivée des Européens. Au16e siècle, les Espagnols installés à Hispaniola — Haïti / République Dominicaine

    — emploient ce mot pour désigner le bétail échappé dans les collines. Plus tard, il

    désigne les Indiens qui fuient les Espagnols. Dans les années 1540, il va s’appliquer

    exclusivement aux Noirs fugitifs.

    Noir Marron est synonyme d’homme courageux au caractère indomptable. Leurs

    microsociétés vont de la petite bande autonome au mini-État rassemblant plusieurs

    milliers de membres. Les Noirs marrons instaurent entre eux des pratiques d’entraide

    mutuelle et ils recréent des cultes inspirés de leurs cultures d’Afrique. Les tambours

    et la musique y sont toujours très présents.

    En Amérique latine, ils constituent des sociétés connues sous les noms de Palenque

    (cf. Colombie), Quilombo, Mocambo (cf. la pub pour le café), etc. Et on retrouve

    partout des sociétés de Noirs Marrons : Brésil, Guyanes, Venezuela, Colombie, côtes

    du Pérou. Bien sûr aussi dans la Caraïbe : en Jamaïque, en Haïti ou encore à Saint-

    Vincent, l’île rebelle.

    Le phénomène du marronnage a pour effet déterminant de préserver certains

    éléments des cultures originelles et les cultes qui y sont assimilés.

    L ES BUSH INENGE D E GUYANE E T DU SUR INAM

    La population de descendants d’esclaves noirs installés des deux côtés du fleuve

    Maroni (son nom est assez éloquent), qui sépare la Guyane du Surinam, est connue

    sous le nom de Bushinenge. Une population composée de quatre peuples : Aluku ou

    Boni ; Ndyuka ; Paramaka ; Saramaka.

    Bigi Ting

    Ils jouent de l’aléké. Ce style est apparu dans les

    années 1950 et est encore très prisé jusqu’aux

    années 2000 par les jeunes établis des deux

    côtés du fleuve Maroni en Guyane et au Surinam.

    L’aléké commente le quotidien, parle de la vie,

    des filles, des garçons, ou de l’or qu’on ramasse

    dans le fleuve… Il se joue sur une base de quatre

    tambours et des maracas.

    Si l’on écoute chanter Yandé Codou Sène, la

    griote sérère de Léopold Sédar Senghor, on est

    frappé par la similitude de la technique vocale…

    Sans doute y avait-il des descendants de Sérères

    parmi les Noirs rebels établis sur le Maroni.

    On constate à quel point les Bushinenge du

    Maroni ont su conserver la pratiques d’éléments

    de leurs cultures originelles. La danse Awassa

    en fait partie.

    Bien entendu, ces éléments restent très fragiles:depuis l’arrivée de la télévision sur le fleuve

    Maroni, dans les années 2000, la pratique de

    l’aléké et de l’awassa, très vivace il y a 12 ans

    chez les jeunes, commence à se perdre.

    Ce serait dommage qu’elle disparaisse.

    Bigi Ting, Vol. 12 Pikien Tang N’Aksi,AP 

    Yandé Codou Sène, Night Sky in Sine

    Saloum, Shanachie 

  • 8/17/2019 MDM Conference

    14/19

    L ES GAR I FUNA D ’ AMÉR I QUE C ENTRA L E

    Si une culture était menacée de disparition, c’est celle des Garifuna. Heureusement

    certains, comme les membres de l’Ensemble Wabaruangun, du Honduras, s’efforcent

    de la garder vivante. Elle est particulièrement symbolique du destin d’une société

    de Noirs Marrons.

    Les Garifuna sont les anciens “Rebelles Noirs”

    de l’île Saint-Vincent, autrefois alliés aux

    Indiens Arawaks, qui y vivaient à l’arrivée des

    Européens.

    Leur histoire débute en 1635, quand des

    navires négriers font naufrage au large de

    l’île Saint-Vincent. Les esclaves Noirs détenus

    à fond de cale s’échappent. Secourus par

    les Arawaks, également appelés “Caraïbes

    Rouges”, ils s’intègrent dans leur société.Lutteurs valeureux, les Africains s’associent

    à la résistance farouche que les Arawaks

    opposent aux Européens. Ainsi, on va les

    appeler les “Caraïbes Noirs”.

    Durant la Guerre des Antilles (1775-1783), ils s’allient aux Français qui bataillent

    contre les Anglais afin de contrôler l’île et les Petites Antilles. La langue des Garifuna,

    appartient à la famille des langues arawak. Mais le contact avec les Européens

    y a apporté pas mal d’influences françaises: Un verre se dit “werre”, du fromage

    “froumas”, fenêtre “fenêter”, table “tabula”, guerre “laguerre”, Dieu “Bounguiou”, etc.

    En 1782, le Traité de Versailles attribue Saint-Vincent aux Anglais. Les Garifuna,

    qui s’opposent à leur colonisation, sont vaincus en 1797. Faits prisonniers, ils sont

    déplacés sur l’îlot Baliceaux, sorte de camp de concentration. Des 4300 détenus,

    seuls 2000 ont survécu, quand les Anglais décident de déporter les Garifuna au

    large du Honduras, sur l’île de Roatan. De là, les derniers descendants des Caraïbes

    Noirs rejoignent le continent et s’installent au Honduras, à Belize, au Guatemala et

    au Nicaragua.

    Umalali

    Ivan Duran, producteur de Belize, va

    populariser la musique des Garifuna.

    Pendant 10 ans, il enregistre les chants

    des femmes. Il a compris que, bien que

    les hommes soient toujours mis en avant,

    la transmission de la culture Garifuna — la

    langue, les chants, les danses — passent

    avant tout par les femmes. Ce travail de

    collectage terminé, il donne aux chansons

    un environnement musical contemporain,

    mais respectueux de la tradition.

    Andy Palacio

    La Punta est l’élément du fond traditionnel

    qui a le mieux résisté à l’érosion du temps.

    Dans les années 1990-2000, elle est

    revisitée par une star locale de rock, le

    chanteur et guitariste Andy Palacio, un

     jeune Garifuna qui met à la mode la “punta-

    rock”.

    Andy Palacio sera l’un des principaux

    artisan de la reconnaissance de la langue,

    des danses et de la musique des Garifuna. Il

    est l’un de ceux qui portent le projet devant

    l’Unesco. En 2001, la culture des Garifuna

    fait partie des dix-neuf premiers “chefs

    d’œuvre du patrimoine oral et immatériel

    de l’humanité” proclamés par l’Unesco.

    Andy Palacio est mort trop tôt, le 18 janvier 2008, âgé de 47 ans, foudroyé par

    une crise cardiaque dans un avion. Mais il nous laisse des trésors.

    Honduras – Ensemble Wabaruagun,

    Chants des Caribs noirs, Ocora Radion

    France, 2002 

    Umalali, The Garifuna Women’s

    Project, Stonetree records, 2008 

    Andy Palacio, Watina, Stonetree

    Records 

  • 8/17/2019 MDM Conference

    15/19

    L E PA L ENQUE D E SAN BAS I L I O , CO LOMB I E

    Beaucoup de Noirs Marrons font souche

    sur la côte caraïbe de la Colombie, dans les

    marécages, la forêt dense, des lieux escarpés,

    inaccessibles, à l’exemple du Palenque de

    San Basilio, reconnu par l’Unesco comme

    «Patrimoine oral immatériel de l’humanité» en2003.

    Situé dans une zone de collines, non loin de

    la côte et près du port de Carthagène, c’est

    le premier village libre de Noirs marrons. Il a

    été fondé en 1599 par un ancien roi d’Afrique

    de l’Ouest, Benkos Bioho, qui s’est enfui de

    Carthagène avec une centaine d’esclaves.

    Il fonde son propre royaume, résistant aux

    autorités espagnoles. En 1713, lassé de l’incessante guérilla menée par ses soldats,

    le roi d’Espagne finit par accorder son autonomie au Palenque de San Basilio. Haïti

    ne gagne son indépendance qu’un siècle plus tard.

    Le groupe qui a pour nom Les Joyeuses Ambulances est constitué de pleureuses,des personnes âgées chargées des rituels funéraires. Elles interprètent un chant de

    « lumbalu » ou « baile de muerto », qui rappelle les rites des pays de l’aire bantoue:

    Congo, Angola, Cameroun, etc.

    Batata

    Batata était l’un des percussionnistes les

    plus réputés de San Basilio. Une école porte

    son nom. Il interprétait tous les rythmes

    traditionnels, mais il a aussi largement

    contribué à les moderniser. Précisons quela musique du Palenque est très métissée:

    les rythmes afro se sont mélangés avec les

    musiques populaires héritées des Espagnoles.

    Il a été aussi beaucoup influencé par les

    musiques cubaines, comme l’indique le nom

    de son groupe : Rumba de Palenque.

    L E K A D E L A CARA Ï B E

    Les éléments des cultures africaines sont bien évidemment à l’origine de toutes les

    musiques de la Caraïbe :

    Le Calypso et le GwoKa portent même dans leur nom le vocable KA, qui réfère au

    tambour. On retrouve des formes très proches du GwoKa dans les Petites Antilles : le

    Bèlè en Martinique et à la Dominique, le Ka à Sainte-Lucie, le Boula & Kata à la Grenade

    et à Carriacou, ou le Boula & Cutter à Trinidad & Tobago. Le Calypso dérive du Kaiso,très populaire avant lui.

    Pour certains chercheurs, le phonème Ka est associée à un mot de la langue Haussa

    qui signifie “aller”, impliquant la notion de mouvement. D’autres commentateurs

    font remonter son origine beaucoup plus loin. L’héritage du mot Ka proviendrait

    de l’Antiquité égyptienne. Dans l’Égypte ancienne, en effet, le Ka est l’un des cinq

    éléments qui constituent l’être tout au long de sa vie. Le Ka, qui naît en même temps

    que l’humain et lui survit après sa mort, est son double spirituel. Il représente la force

    transmise d’une génération à l’autre.

    Selon la croyance égyptienne, après la mort, le Ka devient le véritable représentant

    de la personnalité humaine. Mourir se dit d’ailleurs “rejoindre son Ka”. Les adeptes

    des théories de Cheikh Anta Diop sur la civilisation “négro-africaine” voient ainsi

    dans l’utilisation du terme Ka associé au tambour l’effet de la permanence qui relie la

    diaspora de la Caraïbe à la dynastie des Pharaons Noirs.

    Palenque de San Basilio, Collection

    Ocora 

    Batata y Su Rumba Palenquera, Radio

    Bakongo, Network 

  • 8/17/2019 MDM Conference

    16/19

    L A RUMBA A L L ER E T RETOUR

    C’est à Cuba qu’est née la Rumba. Le terme viendrait

    du mot cumba, qui désigne le nombril dans la

    langue des Kongo, et d’une danse où les couples se

    frottaient nombril contre nombril. Le Dr Olavo Alèn

    Rodriguez donne tous les repères pour s’y retrouver

    dans l’évolution de la rumba et ses dérivés à Cuba,dans ce livre CD  que je vous conseille.

    Résumons quelques points d’histoire :

    En 1886, l’abolition de l’esclavage rend la liberté

    à environ 250 000 noirs à Cuba. Il s’agit d’une

    main d’œuvre rurale, sans terres. Comme elle ne

    peut rester sur les plantations, elle vient grossir la

    population urbaine et s’installe dans les quartiers

    pauvres, les bidonvilles. La rumba prend forme

    dans ces espaces insalubres, où les moments de réjouissances sont une alternative au

    désœuvrement.

    Dans le parler populaire cubain, le mot “rumba”, désigne au départ des réunions profaneset festives. On les appelle aussi “tumba” ou “macumba”. Mais bientôt le terme rumba va

    qualifier par extension toute forme de fête populaire, bien sûr musicale.

    Le Dr. Olavo Alén Rodriguez écrit: « Bien qu’aujourd’hui il soit plus facile d’identifier les

    éléments africains d’origine Yoruba que ceux d’origine Bantou ou Congo, je suis persuadé

    que l’essentiel de la contribution africaine à la musique cubaine vient d’esclaves issus du

    complexe linguistique bantou.»

    En effet, n’oublions pas que dès le 16e siècle, une grande part des esclaves acheminés à

    Cuba provient de l’aire bantoue : on les appelle les Kongos. Ils s’organisent en sociétés

    et pratiquent leurs propres rites initiatiques et funéraires syncrétiques, Palo ou Regla

    Congo. Ils reconstituent un instrumentarium imposant qui déroule un jeu de timbres

    extraordinaires.

    L’influence des cultures des peuples issus des anciens royaumes côtiers du Golfe de

    Guinée : Yoruba, Ibo, Ewe et Fon est aussi essentielle. Notamment à travers la Santeria,

    la religion syncrétique de Cuba, cousine du Vaudou haïtien et du Candomblé brésilien. Le

    terme vaudou vient de vodun en langue fon ou de vudu en langue Ewe.

    À Cuba, les esclaves originaires des royaumes côtiers du Golfe du Bénin sont réunis sous

    une même appellation : le nom de Arada, évoquant Allada, ville de l’ancien royaume

    du Dahomey (actuel Bénin) qui a fourni la France en esclaves pendant plus d’un siècle.

    Toussaint-Louverture, le libérateur d’Haïti, était originaire d’Allada, le berceau du Vaudou,

    culte des Orishas.

    La Rumba cubaine est jouée à l’origine uniquement avec des Chants et des Percussions.

    Elle est basée sur trois rythmes de danses : la colombia, le yambu, le guaguanco.

    La plupart des percussionnistes cubains étaient

    des initiés. Chano Pozo faisait partie de la

    confrérie Abakwa, une des plus secrètes à Cuba.

    On y vénère le tambour fétiche Ékué, réceptacle

    de la voix du Léopard ancestral. Selon la légende,

    Ékué, être sacré vivant dans le fleuve, est mort

    de honte pour avoir été capturé dans la calebasse

    d’une femme. Le tambour ékué a été recouvert de

    sa peau. Il parle grâce à elle à l’occasion des fêtesinitiatiques.

    Chano Pozo

    Chano Pozo sera le premier à introduire les congas

    dans le jazz au sein de l’orchestre de Dizzie

    Gillespie. Il va mourir assassiné dans un bar de

    Harlem en 1948.

    Celia CruzOn associe souvent la salsa à Cuba. Pourtant, le

    terme salsa est rarement employé par les musiciens

    cubains. Et pour cause, la salsa a été inventée à

    New-York dans le creuset du label Fania Records,

    qui a su réunir les plus grands artistes latino des

    années 1960-70. Musiciens expatriés de Porto-

    Rico, de République Dominicaine, de Panama et

    de Cuba ont fait la fortune de ce genre. Celia Cruz

    en fut la reine incontestée, après avoir mené une

    grande carrière à Cuba avant la révolution. Son

    charisme est prodigieux.

    Sierra Maestra

    D’autres artistes ont continué à cultiver la Rumba

    à Cuba, comme le groupe Sierra Maestra.

    Afrocuban Music to Salsa par le Dr

    Olavo Alen Rodriguez, (Livre-disque)

    Pi’ra:nha 

    Tumi Cuba Classics, Vol. 3 : Rumba -

    Igniaco Piñero, Tumi Music 

    Celia Cruz, Homenaje A Los Santos,

    Seeco 

    Sierra Maestra, Rumbero Soy,

    Riverboat / World Music Network 

  • 8/17/2019 MDM Conference

    17/19

    L ES VOYAGES D E L A RUMBA

    La musique voyage avec les instruments qui la produisent et ceux qui en jouent.

    R U M B A F L A M E N C A ,

    R U M B A C A T A L A N EÀ Séville, dans le quartier de Triana, d’où

    l’on peut voir dressée sur l’autre rive du

    Guadalquivir la Torre del Oro (Tour de l’or),

    abritant le précieux métal d’Eldorado, les

    Gitans s’approprient la rumba. Assimilée

    au flamenco, elle entre dans la famille des

    “palos” (type de chant flamenco) de “ida y

    vuelta”, c’est-à-dire nés des aller-retour entre

    l’Espagne et le Nouveau Monde, comme les

    “guajiras” et les “colombianas”.

    Poursuivant le voyage, la rumba flamenca,

    qui déroule ses quatre temps sur un tempo

    relativement lent, est transformée dans les

    années 1950 par les Gitans de Barcelone.

    Sous leurs doigts, la rumba catalane

    retrouve l’accent cubain des bongos, jusqu’en

    Camargue où, teintée de rock, elle va devenir

    un phénomène mondial avec les Gipsy Kings.

    El Niño Josele, Calle Ancha, Al Sur 

    The Gipsy Kings, Somos Gitanos,

    P.E.M. / Sony 

  • 8/17/2019 MDM Conference

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    Comprenant les profits qu’ils peuvent tirer en vendant des disques, plusieurs commerçants

    grecs installent des studios et promeuvent sur les ondes les disques des vedettes locales

    qu’ils produisent. Le plus connu d’entre eux, Joseph Kabasele, alias Grand Kallé, invente

    un style original et policé, dérivé des musiques cubaines. Avec les membres de son

    orchestre, l’African Jazz, parmi lesquels figurent le jeune chanteur et compositeur

    prolifique Tabu Ley Rochereau, tout comme le virtuose de la guitare Dr Nico, il domine

    la scène congolaise de 1953 à 1960. “Indépendance Cha-Cha”, son immense succès

    international marque la fin de la colonie belge.

    Indépendance Cha Cha

    Des millions de Congolais ont appris l’indépendance de leur pays par le refrain de cette

    chanson : “Indépendance cha-cha tozuwi ye ! / Oh Kimpwanza cha-cha tubakidi / Oh Table

    Ronde cha-cha ba gagner o ! / Oh Lipanda cha-cha tozuwi ye !” 

    “Nous avons obtenu l’indépendance / Nous voici enfin libres / À la Table Ronde nous avons

    gagné / Vive l’indépendance que nous avons gagnée” 

    Son auteur, Roger Izeidi, a pris soin d’y délivrer le message en lingala, tshiluba et kikongo,

    trois des langues principales au Congo. Et Radio Congo Belge, équipée du plus puissant

    émetteur en Afrique, le diffuse largement.

    Cette opération de communication a été initiée par le journal Congo. Joseph Kabasele, super

    star avec son African Jazz, est dépêché à l’hôtel Plazza de Bruxelles afin de commenter

    en chanson la Table Ronde qui se déroule du 20 janvier au 20 février 1960. Onze partis

    congolais font face aux autorités belges. Joseph Kasavubu (futur président) et son rival

    Patrice Lumumba (futur chef du gouvernement) négocient âprement.

     Proche de ce dernier, qui en fera son secrétaire d’État à l’information, Kabasele s’entoure

    de quatre musiciens de l’African Jazz : Roger Izeidi, Petit Pierre, Déchaud Mwamba et Dr

    Nico. Mais il convie également Vicky Longomba et Brazzos, issues de l’OK Jazz, l’écurie

    concurrente.

    Écrites à chaud, gravées sur place chez Philips, “Indépendance Cha Cha” et “Table Ronde”(signé Kabasele) témoignent de l’histoire en train de s’écrire. Les Congolais réserveront un

    accueil triomphal aux artistes, qui les joueront pour la première fois en public le 30 juin

    1960, jour de l’Indépendance.

    L A R U M B A C O N G O L A I S E

    Mais le voyage le plus beau de la rumba est celui qui la ramène

    au pays des Kongos. Elle emprunte d’abord la route des

    marins. Au cours des années 1920-30, quelques compagnies

    européennes dont les comptoirs sont implantés sur les côtes du

    golfe de Guinée, de l’actuel Liberia au Nigeria, déploient leurs

    activités en Afrique central.

    À Matadi, dernier port accessible de la mer en amont du fleuve

    Congo, transitent les marchandises destinées à l’exploitation

    réglée du Congo Belge. Elles sont acheminées par voie ferrée

     jusqu’à Léopoldville, capitale du roi qui s’est approprié un

    territoire près de 77 fois plus grand que son royaume. Bateau,

    docks et entrepôts emploient des travailleurs de la côte ouest-

    africaine, habitués aux tâches des comptoirs.

    Ces “Coastmen” jouent la musique de vin de palme (“palm-wine

    music”) qui imprime aux guitares européennes un balancement

    délicieusement nonchalant. Leur “high-life” inspiré des fanfares

    militaires de la Gold Coast (ancien Ghana) se met à la mode jazzet s’enregistre à Londres en 78 tours. Les dancings en raffolent

     jusqu’au-delà de l’Afrique coloniale.

    Et la rencontre musicale entre Congolais et Coastmen à Matadi

    engendre le “maringa”. Le likembé y joue la mélodie, bientôt

    remplacé par l’accordéon ou la guitare jouée note à note, de

    manière mimétique, et non pas en accords. Une technique qui

    deviendra la marque des géants de la rumba congolaise, Franco

    Luambo ou Dr Nico.

    Les nouvelles tendances musicales se propagent dans la

    capitale avec les flux humains qui y convergent. Au cours desannées 1940, la future Kinshasa, qui connaît une croissance

    exponentielle, se met à danser sur les rythmes cubains : rumba,

    cha-cha-cha, boléro, etc.

    Les musiciens locaux se les approprient pour animer les soirées

    des bars à ciel ouvert du quartier des autochtones, appelé “le

    Belge”. Radio Congo Belge a installé le plus puissant émetteur

    d’Afrique sub-saharienne, afin de couvrir l’ensemble du pays.

    Informations nationales et messages personnels alternent

    avec des programmes musicaux diffusant Tino Rossi et autres

    interprètes du cha-cha-cha

    édulcoré à la mode en Europe.

    Franco, Guitar Hero, Cantos 

    Docteur Nico, 1968-1973, Sonodisc 

    Joseph Kabasele, Le Grand Kallé His Life his Music, Sterns Music Tabu Ley Rochereau, Classic Titles, Cantos 

  • 8/17/2019 MDM Conference

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    Les deux écoles de la rumba congolaise

    La rivalité qui oppose Kallé & l’African Jazz à l’OK Jazz de Franco stimule la créativité

    d’innombrables musiciens, chanteurs et compositeurs.

    À défaut d’écoles, ils affinent leurs talents au sein des orchestres des deux grands

    maîtres, définissant les canons d’une rumba congolaise, qui évolue durant près de

    quatre décennies sans jamais trahir ses fondements. Le puissant impact de Franco sur

    sa génération est traduit dans l’un des slogans de l’OK Jazz : “On entre OK, on sort KO !”  

    Son aura se mesure à la ferveur des “fan clubs” féminins et masculins qui l’adulent.

    Afro-cubaine dans son balancement rythmique des débuts, électrique à l’image du rock,sa guitare façonne un style africain à nul autre pareil, repris et imité dans toute l’Afrique

    subsaharienne et jusque sur la côte atlantique de la Colombie.

    L A R U M B A C O N G O L A I S E E N C O L O M B I E

    Dès le début des années 1970, un marché

    parallèle du vinyle africain se développe au port

    colombien de Carthagène.

    Généré par les “picos”, sound-systems itinérants,

    il concerne exclusivement les quartiers et villages

    où la communauté noire vit selon ses propres

    règles, comme le Palenque de San Basilio.

    Les énormes enceintes des “picos” y déversent un

    mix de musiques locales et de rumba congolaise

    sur lesquels se déhanchent les mauvais garçons.

    Qu’éclate une bagarre, alors luisent les lames des

    “champeta”, longs couteaux de pêcheurs. Ainsi

    est baptisé ce nouveau genre en vogue à l’aube

    du 21e  siècle, également appelé “terapia criolla”.

    De La Havane à Séville, de Kinshasa à Carthagène,

    les dérivés de la rumba sont une thérapie contre

    l’adversité qui attise le feu de la modernité.

    Conception éditoriale : François Bensignor

    Extraits de cartes publiées avec l’aimable autorisation de Zebrock

    Illustration et graphisme des cartes : Anaïs Bellot

    Graphisme : Ariam Ile-de-France

    www.ariam-idf.com

    Champette Criola Vol.2, Visionary

    Black Music from Underground

    Colombiafrica, Palenque Records 

    http://www.ariam-idf.com/http://www.ariam-idf.com/