Matt Forbeck - Blizzard
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Vikings perdus
Matt Forbeck
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« Nous ne sommes pas prĂ©parĂ©s pour ça. » Erik Snabb sâagitait sur le siĂšge de son
Viking en traversant le ciel dâazur de Braxis. Lâengin lourdaud rĂ©pondait comme un Ăąne
de bĂąt, et il avait envie de sortir le cravacher pour le faire avancer un peu. Ou peut-ĂȘtre
quâil garderait la cravache pour lâingĂ©nieur qui avait eu lâidĂ©e de coller des ailes sur un
marcheur de combat pour le forcer Ă voler.
« Parle pour toi, gamin, » répondit le major Stortand Varg sur le canal ouvert. « Tu
savais oĂč tu mettais les pieds quand tu tâes engagĂ©. »
Les autres membres de lâescadrille rirent et Erik rougit dâembarras. Personne ne le
voyait, câĂ©tait dĂ©j{ ça.
Puis la face disgracieuse et ravagĂ©e de Varg apparut sur son Ă©cran, lâair sĂ©vĂšre. Des
annĂ©es auparavant, un hydralisk lui avait ouvert le visage dâun coup de ses Ă©normes
griffes, et il avait tellement traĂźnĂ© avant dâaller en chirurgie rĂ©paratrice que ça nâavait
pas arrangé grand-chose. La balafre lui barrait la bouche, étirant ses lÚvres en un rictus
permanent et exposant les prothÚses métalliques qui remplaçaient les dents perdues
pendant la bataille.
Pour Erik, le visage de Varg Ă©tait un rappel brutal des horreurs de la guerre, quâil
avait espĂ©rĂ© laisser { jamais derriĂšre lui. Il avait Ă©tĂ© pilote dâOmbre pour le Dominion
pendant un peu plus dâun an, et il avait adorĂ© chaque seconde de son service. Il ne sâĂ©tait
jamais senti aussi vivant quâassis dans le cockpit de son chasseur, toute cette puissance
sous son contrÎle et la sécurité du monde terran entre les mains.
Pour lui, il avait Ă©tĂ© de son devoir dâexercer ses talents de pilote de chasse l{ oĂč ils
seraient le plus utile. Combattre pour le Dominion contre les forces qui menaçaient sa
jeune existence avait semblĂ© ĂȘtre le moyen le plus intelligent dâaider le plus grand
nombre de gens possible. Et le fait quâau passage il avait pu piloter certains des engins
les plus puissants et meurtriers de la galaxie nâavait pas Ă©tĂ© mal non plus.
Tout ça avait durĂ© jusquâ{ ce quâil rencontre Kyrie et tombe amoureux dâelle. Il
avait beau adorer piloter, il ne pouvait pas supporter lâidĂ©e de lâabandonner. Il avait vu
la maniĂšre dont elle pleurait { chaque fois quâil partait en mission, terrifiĂ©e quâil ne
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revienne pas, et il savait quâil ne pouvait pas lui faire endurer ça { vie. Ou pire, la laisser
en deuil.
Ăvidemment, ses supĂ©rieurs nâavaient pas Ă©tĂ© heureux de recevoir sa dĂ©mission.
Ils lâavaient sermonnĂ© sur le fait que lâempereur avait investi une fortune dans son
entraĂźnement et quâil leur devait une vie de service en Ă©change. Mais au final, mĂȘme si
une part de lui avait Ă©tĂ© dâaccord avec eux, il Ă©tait parti. Une fois quâil avait dĂ©couvert
que Kyrie Ă©tait enceinte, Mengsk lui-mĂȘme nâaurait pas pu le convaincre de rester.
DĂšs la fin de sa pĂ©riode dâaffectation, ils sâĂ©taient mariĂ©s. En cadeau de noce pour
sa nouvelle femme, il avait rompu son engagement avec lâarmĂ©e et lâavait embarquĂ©e,
elle et leur adorable fille, Sif, sur un transport interplanétaire pour Braxis.
Braxis, planÚte glacée et éloignée de tout, était assez isolée du reste du Dominion
pour quâil puisse espĂ©rer ne pas succomber { la tentation de se rĂ©engager. Il nâĂ©tait pas
passĂ© loin Ă une ou deux occasions, aprĂšs avoir vu les nouvelles sur lâUNN, mais avait
toujours fini par reprendre ses esprits avant de partir pour le spatioport.
Ă la place, il avait repris son vieux boulot : piloter des transports Ă travers les
Ă©tendues gelĂ©es de Braxis. Il livrait des marchandises dâune colonie { lâautre, et du
prĂ©cieux minerai des mines aux raffineries. Ăa payait bien, mĂȘme si ça lâĂ©loignait parfois
de Kyrie et Sif pendant des jours. Mais ça lui laissait aussi beaucoup trop de temps pour
gamberger.
Ă la seconde oĂč il avait parlĂ© de quitter la planĂšte, Kyrie avait compris. « Nây pense
mĂȘme pas. On a une bonne vie, ici. On est en sĂ©curitĂ©, loin de tous les problĂšmes de ceux
qui veulent se forger un empire. Câest un endroit oĂč notre fille a une vraie chance de
grandir en connaissant son pÚre. Pourquoi tu voudrais lui enlever ça ? »
Il avait haussĂ© les Ă©paules. « Câest juste que je me sens inutile, ici. Lâhistoire est en
train de se jouer quelque part dans la galaxie, et on nâassistera mĂȘme pas { la
répétition. »
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Elle avait secouĂ© la tĂȘte. « Dis-moi que câest plus important que ta famille. Plus
important que de permettre { ta fille dâavoir un pĂšre. Vas-y, dis-le moi, et jây rĂ©flĂ©chirai
peut-ĂȘtre. »
Il avait voulu dĂ©tourner les yeux, mais elle lui avait pris le menton et lâavait forcĂ© {
la regarder. « Allez. Essaie. »
Il nâavait pas pu. Il lâavait prise dans ses bras et lâavait serrĂ©e jusquâ{ ce que lâenvie
de partir sâĂ©vanouisse. Il avait fallu vraiment longtemps.
Alors il avait repris le boulot et essayĂ© dâen tirer son parti. Si ça voulait dire nâĂȘtre
quâun pauvre conducteur de marchandises, il serait le meilleur conducteur de
marchandises du monde. Il travaillait bien, et prit du grade. Ses chefs ne lâenvoyaient
plus trop loin de chez lui et seulement sur des missions courtes pour quâil puisse passer
plus de temps en famille.
Il avait trouvĂ© la paix. Il Ă©tait satisfait. Heureux, mĂȘme.
Alors les Zergs étaient arrivés.
Tout ce joli minerai quâil avait trimballĂ© sur toute la planĂšte sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ© aussi
prĂ©cieux pour eux que pour les Terrans. Et ils nâavaient pas prĂ©venu, pas lancĂ©
dâultimatum. Ils sâĂ©taient contentĂ©s de dĂ©barquer sur la planĂšte pour emporter tout ce
qui les intéressait en massacrant tous ceux qui se dressaient sur leur passage.
Il avait trouvé Kyrie en larmes en arrivant chez lui. Sif, la douce Sif aux yeux bleus,
avait essayé de consoler sa mÚre, mais sans succÚs. Elle avait été si soulagée de voir son
pĂšre quâelle lui avait couru dans les bras { la seconde oĂč il avait franchi la porte. Et puis,
enfin rassurĂ©e, elle sâĂ©tait autorisĂ©e Ă fondre en larmes Ă son tour.
Il avait Ă©coutĂ© les annonces de lâUNN sur tout le trajet, et savait que la planĂšte Ă©tait
dĂ©j{ perdue, tout au moins la Braxis quâil avait connue. Les Zergs finiraient par
exterminer tous les Terrans encore prĂ©sents. MĂȘme si lâempereur envoyait des troupes
pour les arrĂȘter, les combats mettraient les colonies en piĂšces. Ils devaient partir, tous
les trois, et espĂ©rer quâil resterait quelque chose vers quoi revenir un jour.
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Ils Ă©taient en train de faire leurs valises pour lâĂ©vacuation quand lâappel Ă©tait
arrivĂ©. Le bureau de recrutement local lui avait dit que lâarmĂ©e avait un plan pour
ralentir les Zergs au moins quelques temps. Avec un peu de chance, ils pourraient les
retarder assez pour que la plupart de la population ait le temps de sâĂ©chapper. Mais le
Dominion manquait de pilotes entraßnés pour mettre ce plan à exécution. Il leur fallait
des hommes, tout de suite.
Le message avait poussĂ© Kyrie { lâaction. « Vas-y, » lui avait-elle dit en essuyant ses
larmes. « Fais ce que tu peux. On tâattendra en sĂ©curitĂ©. »
Il avait pris un court instant pour leur dire au revoir, puis avait foncé au
recrutement.
En quelques heures { peine, il sâĂ©tait retrouvĂ© aux commandes dâun Viking dans
une unitĂ© de vĂ©tĂ©rans en route pour la lisiĂšre nord du massif de Grendel. DâaprĂšs le
commandement, câĂ©tait l{ que les Zergs avaient atterri. Il nâavait pas pilotĂ© de chasseur
depuis plus de trois ans, et il espĂ©rait que les rĂ©flexes auxquels il sâĂ©tait fiĂ© pendant sa
période de service lui reviendraient tout de suite.
Mais le Viking lui en faisait baver. Les contrÎles se débattaient dans ses mains
comme les rĂȘnes dâun cheval sauvage. Il avait trop de paramĂštres { suivre, et il nâavait
pas eu le temps de se familiariser { cette saletĂ© dâengin avant quâon lui demande de
monter dedans.
« Vous ĂȘtes sĂ»r que vous nâavez pas un Ombre quelque part pour moi ? » avait-il
demandĂ© quand le commissaire lui avait dit ce quâil piloterait. Lâhomme lui avait ri au
nez en secouant la tĂȘte. « Le peu quâon avait aide { lâĂ©vacuation. Vous partez avec Varg.
En Viking. »
Il avait passĂ© tellement de temps sur son Ombre que lâappareil Ă©tait devenu
comme une extension de lui-mĂȘme. [ cĂŽtĂ©, le Viking lui donnait lâimpression dâune
agression, comme si on lui avait greffé de force deux jambes, trois bras et une queue
prĂ©hensile en plus. Le problĂšme nâĂ©tait pas quâil ne savait pas comment diriger tous ces
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Ă©lĂ©ments, mais quâil nâavait aucune idĂ©e de comment les coordonner dâune maniĂšre qui
ne lui donne pas lâimpression dâĂȘtre sur le point de trĂ©bucher. Ou de sâĂ©craser.
Ăvidemment, tous les autres membres de lâescadrille avaient des dizaines, voire
des centaines dâheure de vol dessus. Ils opĂ©raient ensemble comme une mĂ©canique bien
huilée, capables non seulement de diriger leurs Vikings comme un escrimeur fait danser
sa lame, mais aussi dâanticiper tous les mouvements des autres. CâĂ©tait comme une
chorĂ©graphie travaillĂ©e inlassablement ; lâescadrille formait un ensemble compact et
harmonieux, avec lui comme seule anfractuosité.
Il nâavait jamais mis les pieds dans un Viking â un vrai, pas un simulateur â ni
rencontré ces pilotes, et encore moins travaillé avec eux. Il avait entendu parler de Varg,
qui Ă©tait une lĂ©gende sur Braxis, mais les autres lui restaient mystĂ©rieux. Sâil y avait un
maillon faible dans cette belle chaĂźne, il savait qui câĂ©tait. Il espĂ©rait juste ne pas la briser
au mauvais moment.
« On y est presque, gamin, dit Varg, le sortant de sa rĂȘverie. Les regrets, câĂ©tait
avant le décollage.
â Je voulais dĂ©fendre ma famille. Mais je ne savais pas que je terminerais dans un
Viking.
â Tu as pu choisir de te battre ou pas. Câest dĂ©j{ mieux que nous tous. Tu nâas juste
pas pu choisir ton arme.
â Ah, mais je sais ce quâil ressent. » CâĂ©tait la voix dâOlaf Kraftig, un vĂ©ritable ours
qui volait à tribord. « Il se retrouve le cul entre deux chaises. Un marcheur blindé qui se
transforme en avion ? Câest pas naturel, hein ? »
Varg ricana. « Quâest-ce que tâas { dire { ça, Flamme ? »
Flamme Ă©tait le surnom du capitaine Drake, une rousse ardente quâil avait
remarquĂ©e dans le hangar. Ils ne sâĂ©taient pas parlĂ©, mais elle lui avait dĂ©cochĂ© un
rapide salut alors quâil grimpait dans son appareil, et il lui avait rendu plus par rĂ©flexe
que consciemment.
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« Câest un engin qui sait tout faire, » dit-elle. Elle avait la voix si rocailleuse quâil se
demanda comment elle lâavait abĂźmĂ©e. Personne ne pouvait avoir un timbre si cru et
Ă©raillĂ© naturellement. Impossible. « SupĂ©rioritĂ© aĂ©rienne et soutien terrestre. Quâest-ce
quâil vous faut de plus ?
â Demande donc { Johan, rĂ©pondit Baelog Grym dâun ton sinistre. Vu quâil pilotait
celui dâErik jusquâ{ la semaine derniĂšre. »
CinquiĂšme et dernier membre de lâescadrille, Baelog nâavait pas eu grand-chose Ă
dire Ă Erik de tout le voyage. Il semblait lui en vouloir dâĂȘtre l{, penser que le groupe
sâen tirerait mieux sans lui. Erik nâĂ©tait pas sĂ»r de pouvoir le contredire.
« Quâest-ce qui est arrivĂ© Ă Johan, demanda-t-il ?
â Pour rĂ©sumer, dit Baelog dâun ton toujours aussi noir, sâil Ă©tait encore l{, Varg
nâaurait pas eu besoin dâun volontaire pour le remplacer. »
Olaf partit dâun grand Ă©clat de rire. « Ha ! Bien parlĂ© !
â Un accident { lâentraĂźnement, dit Flamme. Il a perdu le contrĂŽle de son appareil
pendant la transformation de marcheur en chasseur. Il sâest Ă©crasĂ© dâun seul coup.
â Ăa arrive plus souvent quâon pense, reprit Varg. Piloter un Viking nâa rien de
facile. Câest rĂ©servĂ© { lâĂ©lite de lâĂ©lite. »
Baelog eut un grognement. « Ou aux désespérés.
â Ăcoutez, les gars, dit Flamme, on ne trouve pas beaucoup de pilotes avec une
expĂ©rience du combat sur Braxis, par les temps qui courent. Varg nâaurait pas demandĂ©
Erik si on avait eu le choix. »
Erik Ă©tait accablĂ©. « Vous ĂȘtes si dĂ©sespĂ©rĂ©s que ça ?
â Je ne tâaurais pas pris si je ne pensais pas que tâavais ce quâil fallait, dit Varg. Un
mauvais pilote dans une escadrille, câest encore pire quâun appareil en moins.
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â Câest bien vrai, dit Baelog.
â Jâai sorti ton dossier avant de te faire appeler. Ton ancien commandant dit que
tâĂ©tais le meilleur pilote quâil ait jamais vu. Que tâavais le meilleur tableau de chasse de
ton unité.
â Câest vrai, demanda Flamme ?
â Câest pas faux, rĂ©pondit Erik sans la moindre trace de fiertĂ©.
â Bah, câest quâil nây a pas assez de Terrans sur Braxis, un point câest tout, dit
Baelog avec une pointe de respect malgré tout. Plus depuis que les Protoss ont cramé la
planĂšte.
â Vous avez vu des photos dâavant ? dit Flamme. Ronde et lisse comme une bille,
avec une montagne ici et lĂ . Bien standard. On ne peut plus en dire autant aujourdâhui. »
Erik avait passé beaucoup de temps à survoler la surface gelée de Braxis. Certains
lâappelaient un cimetiĂšre de glace. Il prĂ©fĂ©rait y voir une terre vierge.
Il Ă©tait impressionnĂ© par la maniĂšre dont elle sâĂ©tait reconstituĂ©e aprĂšs que la
chaleur apocalyptique de la purification protoss eut changĂ© jusquâ{ la derniĂšre molĂ©cule
dâeau en vapeur. De ce quâen disait M. Wotan, lâun des premiers Terrans arrivĂ©s pour la
recolonisation, la surface avait beau avoir été presque intégralement vitrifiée, ça ne
voulait pas dire quâelle avait disparu.
Quand les Protoss Ă©taient partis une fois leur horrible tĂąche accomplie, la planĂšte
avait refroidi, et toute la vapeur dâeau en suspension sâĂ©tait transformĂ©e en neige et
grĂȘle. Les tempĂȘtes avaient dĂ» ĂȘtre aussi terribles que la purification ; des ocĂ©ans
entiers de gaz venant sâabattre sur une terre mise { vif pour la premiĂšre fois.
Lâincroyable climat avait crĂ©Ă© dâimmenses structures cristallines qui paraissaient
irréalistes, plantées à la surface comme des statues monstrueuses. Ou comme les jouets
perdus de dieux oubliés.
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[ de nombreux endroits, la glace sâĂ©tait reconstituĂ©e, plus solide que jamais. [
dâautres, elle avait formĂ© un lacis fragile qui avait lâair fiable mais ne lâĂ©tait pas : mĂȘme
sâil Ă©tait capable de supporter ses propres tonnes dâeau gelĂ©e, une pression suffisante
sous le mauvais angle Ă©tait susceptible de faire sâeffondrer toute la zone. MĂȘme sâil
nâavait jamais eu besoin dâatterrir en urgence dans le dĂ©sert, Erik avait entendu les
histoires de transports entiĂšrement engloutis par la glace.
« Oui. Câest un monde Ă©trange, mais vraiment beau. »
Les mots lui avaient Ă©chappĂ©, et il se rendit compte quâil les pensait vraiment.
Depuis quâil sâĂ©tait installĂ© l{ avec sa famille, il avait appris { aimer son nouveau chez-
lui. Dommage quâil ne le voie que maintenant, quand les Zergs venaient les en chasser.
« Tâes arrivĂ© jusque-l{. Tu vas tâen tirer, gamin, dit Varg. Allez, il est temps de la
mettre en veilleuse et de se concentrer sur la mission. Objectif en vue dans 60
secondes. »
Malgré les encouragements de Varg, il grimaça. Il se sentait vraiment mal préparé,
et le Viking nây mettait pas du sien. Il bougeait dâune maniĂšre non naturelle, au moins en
comparaison avec les Ombre quâil connaissait si bien.
« On plonge en pleine action. On va atterrir à quelques kilomÚtres du point de
contamination zerg et finir { pied. DâaprĂšs le commandement, ça devrait nous permettre
dâarriver plus prĂšs du point chaud avant quâils commencent { nous canarder. »
DâaprĂšs les rumeurs, les Zergs avaient atterri sur la face dĂ©serte de la planĂšte. Une
tĂȘte de pont qui se transformerait vite en invasion gĂ©nĂ©rale. Braxis Ă©tait peut-ĂȘtre assez
grande pour les deux races, mais les Zergs nâĂ©taient pas partageurs.
Le Dominion avait lancé une frappe aérienne contre le foyer de contamination,
mais les appareils avaient Ă©tĂ© abattus avant de pouvoir accomplir leur mission. Câest {
ce moment quâun gĂ©nie de la hiĂ©rarchie avait eu lâidĂ©e dâenvoyer les Vikings. Et peu
aprĂšs, on lâavait appelĂ©.
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LâĂ©vacuation de tous les effectifs non essentiels Ă©tait dĂ©j{ en cours et il avait prĂ©vu
de partir avec sa famille. Il nâavait pas pensĂ© que le Dominion puisse avoir besoin de lui
si lâabandon de la planĂšte Ă©tait dĂ©j{ dĂ©cidĂ©. Peut-ĂȘtre quâil nâaurait pas dĂ» rĂ©pondre {
lâappel, mais { lâinstant oĂč son interlocuteur sâĂ©tait identifiĂ©, il avait su que sa trĂȘve Ă©tait
terminée.
Sif et Kyrie restaient enregistrées pour la deuxiÚme ou troisiÚme vague
dâĂ©vacuation. Elles lui avaient dit au revoir, ce matin-lĂ . Kyrie et lui avaient dĂ©cidĂ© de ne
pas tout dire { Sif, mais juste quâelle et maman partaient en voyage et que papa les
rejoindrait trĂšs bientĂŽt.
Ils les avaient embrassĂ©es, sachant quâil les voyait peut-ĂȘtre pour la derniĂšre fois
mais ne pouvait rien dire pour ne pas alerter sa si vive petite fille. Ăa avait Ă©tĂ© le
moment le plus difficile de sa vie.
Jusquâ{ maintenant.
« On y est, Erik, » dit Varg. Les Vikings descendaient vers une étendue de neige
vierge. « Je veux que tu sois le premier au sol. Passe en mode assaut ! »
Il freina le plus rudement possible et appuya sur le bouton de déploiement des
jambes. Dans un appareil normal, une telle manĆuvre lâaurait fait dĂ©crocher, ce qui
aurait Ă©tĂ© fatal { si basse altitude. LâarrĂȘt brutal le plaqua contre son harnais, mais il
Ă©tait bien maintenu contre la vive inertie. Il comprenait maintenant pourquoi il y avait
plus du double de sangles et renforts que dans lâOmbre : les secousses qui
accompagnaient le passage dâun mode { lâautre Ă©taient extrĂȘmement violentes.
Comme le lui avait ordonné Varg, il fut le premier à mettre son marcheur au sol.
Poser un Viking Ă©tait lâune des manĆuvres les plus dĂ©licates de toute la flotte et, sâil
sâĂ©crasait, il ne fallait pas quâil aille percuter et tuer lâun des autres.
Il avait survolé le désert gelé qui recouvrait la plus grande partie de Braxis
dâinnombrables fois, mais ça avait toujours Ă©tĂ© { lâabri dans son transport, { un
kilomĂštre ou plus dâaltitude. CâĂ©tait la premiĂšre fois quâil voyait la surface dâaussi prĂšs
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ailleurs que dans les rares colonies. Il se demanda si la neige tiendrait, ou sâil
sâenfoncerait jusquâau sol quâelle recouvrait â et Ă quelle profondeur.
Les quelques tonnes de son marcheur sâenfoncĂšrent effectivement dans la neige,
mais les jambes trouvĂšrent un appui solide Ă seulement cinquante centimĂštres de
profondeur. Il nâavait aucun moyen de savoir si câĂ©tait de la glace, de la roche, ou quoi
que ce soit dâautre. Peu importe. Il Ă©tait dĂ©j{ content de le trouver l{.
Pris dans lâĂ©pais nuage blanc soulevĂ© par son atterrissage, il nây voyait absolument
rien. Il fit avancer le marcheur Ă travers la lourde neige. Les jambes fendirent la masse
sans mal, mais le mouvement semblait laborieux.
Il nâavait jamais pilotĂ© que des marcheurs civils, quand il fallait parfois aider {
dĂ©charger la cargaison de son transport. CâĂ©tait sans doute aussi une des raisons pour
lesquelles Varg lâavait choisi : les pilotes Ă avoir une expĂ©rience des marcheurs Ă©taient
rares, mĂȘme sur les simples bipĂšdes Ă©lĂ©vateurs quâil avait promenĂ©s dans les baies de
livraison.
Il ne connaissait pas assez les marcheurs de combat pour savoir si le mouvement
de son engin était normal. Si la démarche lui semblait tordue, était-ce par nature du
Viking ou Ă cause des conditions climatiques ? ArrivĂ© l{, il se dit que ça nâavait sans
doute pas grande importance. Quoi quâil en soit, il devrait sâen accommoder sans
conséquence pour les autres.
Une fois sorti de la mĂ©lasse soulevĂ©e par lui et les autres { lâatterrissage, il sâarrĂȘta
pour Ă©tudier le paysage. Une chaĂźne de montagnes enneigĂ©es sâĂ©tendait { ce que sa
visiĂšre lui indiquait comme Ă©tant lâouest. Ou peut-ĂȘtre nâĂ©tait-ce que dâimmenses tas de
neige. Impossible Ă dire Ă cette distance.
Des plaines gelées couraient au nord et au sud, constellées de vifs tourbillons
blancs soulevés par le vent. Les seuls obstacles dressés çà et là devant le noir de
lâhorizon Ă©taient des nuages qui roulaient au loin, zĂ©brĂ©s dâĂ©clairs et lourds de grĂȘle.
[ lâest, le ciel Ă©tait Ă©clairci par les premiers rayons du soleil qui perçaient tant bien
que mal la perpĂ©tuelle couverture nuageuse. Ils illuminaient une longue crĂȘte qui
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sâĂ©tendait sur des kilomĂštres de chaque cĂŽtĂ©, une immense falaise cristalline qui devait
mesurer des centaines de mĂštres de haut. Dans dâautres circonstances, la rude beautĂ©
du paysage lâaurait laissĂ© sans voix. Mais aujourdâhui, la vue dâun foyer zerg nichĂ© dans
la falaise faillit lui retourner lâestomac.
Durant son service au sein du Dominion, il nâavait affrontĂ© que dâautres Terrans,
principalement des rebelles. Il avait suivi la guerre contre les Zergs et les Protoss sur
UNN, mais on ne lâavait jamais envoyĂ© les combattre. Il en avait dĂ©jĂ vu de morts mais
jamais de vivants, { part en vidĂ©o. La plupart de ceux qui les croisaient en vrai nâavaient
de toute façon pas la chance de survivre { lâexpĂ©rience.
La maniĂšre dont les insectes grouillaient sur les arĂȘtes de la falaise, disparaissant
et Ă©mergeant dâune sĂ©rie de trous creusĂ©s ou rongĂ©s dans la paroi, lui rappelait une
invasion de termites à laquelle il avait assisté enfant. Les bestioles avaient démoli les
fondations de la maison de sa famille. LâĂ©quipe dâassainissement leur avait dit que le
bĂątiment Ă©tait trop attaquĂ© pour ĂȘtre sauvĂ©, et que la seule chose Ă faire Ă©tait de le
détruire.
Il se demanda si Braxis avait déjà atteint ce point de non-retour. Il ne savait pas ce
quâil faudrait pour les chasser de la planĂšte, mais sâils y Ă©taient implantĂ©s aussi
profondĂ©ment que dans la falaise, il ne voyait pas dâautre moyen quâun bombardement
orbital pour les déloger.
« Mais quâest-ce quâon est venus foutre ici ? dit-il.
â Tuer ces saloperies, rĂ©pondit Varg. DĂšs quâon les chope. »
Il regarda sa vue arriĂšre et vit que tous les autres Ă©taient sortis de la zone
dâatterrissage. La glace sur laquelle marchaient les Vikings pourrait-elle supporter un tel
poids ? Leurs appareils Ă©taient capables de voler, mais, au sol, ils nâavaient rien de lĂ©ger.
Sâils se tenaient vraiment sur une mer de glace, il nâavait aucun mal { les imaginer briser
la croĂ»te gelĂ©e et sâabĂźmer dans lâeau tĂ©nĂ©breuse.
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« En marche. » Varg se mit à piétiner dans la neige, soulevant un nuage sur son
passage. Erik et les autres se mirent rapidement en file derriĂšre lui, et le groupe ne
tarda pas à réduire la visibilité à quelques mÚtres.
« Et maintenant, quel est le plan ? » demanda-t-il. Il aurait peut-ĂȘtre dĂ»
simplement attendre que Varg se mette Ă aboyer ses ordres, mais il avait besoin de
savoir dans quoi il sâembarquait.
Le major grommela. Erik avait du mal { distinguer lâarriĂšre de son appareil Ă
travers la neige, alors quâil nâĂ©tait quâ{ quelques pas devant lui.
« Nous sommes censĂ©s faire diversion. Notre boulot est dâoccuper les bestioles
jusquâ{ ce que le commandement ait fini de dĂ©ployer nos troupes. Ou dĂ©cide de se
dĂ©biner et de fuir en mĂȘme temps que les civils.
â On leur sert dâappĂąt, acquiesça Baelog dâun grognement. Ils nous lĂąchent de
lâautre cĂŽtĂ© de lâinvasion zerg pour quâon les attire loin des colonies.
â Câest ça, dit Varg. On nâa pas besoin de les Ă©liminer, juste de retenir leur
attention assez longtemps pour que tout le monde puisse sâĂ©chapper.
â Et nous ? » demanda Olaf.
Erik lui en voulut dâavoir posĂ© la question. Elle lui avait brĂ»lĂ© les lĂšvres, mais il
craignait la rĂ©ponse. Ătait-il vraiment prĂ©fĂ©rable de savoir ?
« Alors, Varg ? insista Baelog. Nous sommes classés en pertes acceptables ?
â Ăvidemment. Nous tous. Quâest-ce qui est le plus important, une escadrille de
Vikings, ou tous les autres habitants de la planÚte ? »
Tant que « tous les autres habitants » incluaient Kyrie et Sif, Erik savait ce quâil
aurait répondu.
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Ils piĂ©tinĂšrent en silence en direction de la falaise de glace. MĂȘme sâil ne la voyait
plus { travers la neige qui volait autour dâeux, il savait quâelle approchait et redoutait
chaque nouveau pas. Mais ça ne lâempĂȘchait pas dâavancer.
« Halte ! » aboya Varg, levant un des Gatling de son Viking pour capter leur
attention.
Ils sâarrĂȘtĂšrent. La neige en suspension se redĂ©posa en tourbillonnant. Les
systÚmes anti-intempéries maintenaient sa verriÚre dégagée, et il put rapidement
apercevoir la falaise Ă nouveau. Elle Ă©tait bien plus proche.
Varg pointa un de ses canons vers la crĂȘte. Des ouvriers zergs grouillaient dans
une multitude de tunnels creusés dans la paroi de glace partiellement recouverte de
mucus. LâĂ©trange substance lui Ă©voqua une toile dâaraignĂ©e. Elle sâĂ©tendait sur une
bonne partie de la falaise, voilant le blanc Ă©tincelant dâun gris crasseux.
Des choses quâil nâidentifiait pas Ă©taient en suspension au-dessus de la crĂȘte,
ondulant dâun endroit { lâautre comme des mĂ©duses volantes. Il ne connaissait pas cette
espÚce, mais son ordinateur de bord les désignait comme des dominants. Tout autour
voletait un grand groupe de mutalisks.
« On avance au sol jusquâ{ ĂȘtre { portĂ©e pour leur envoyer tout ce quâon a. Les
Vikings volent trop vite pour quâon ait le temps dâen cibler assez avec une passe
aérienne. »
Il grogna. « Les ingĂ©nieurs qui ont construit ces machins auraient pu avoir lâidĂ©e
dây mettre des canons qui tirent au sol. » Son Ombre avait Ă©tĂ© capable de viser les cibles
à la fois terrestres et aériennes en survolant le champ de bataille, et cette flexibilité lui
manquait cruellement.
Baelog aboya. « Le Viking reste ce qui se fait de mieux dans lâarmĂ©e terrane comme
monoplace de combat. Tu veux abattre un truc qui vole ? Tu décolles et tu le liquides. Tu
veux abattre un truc au sol ? Tu descends te salir les pieds. Il nây a pas dâengin aussi
polyvalent ou dangereux. Avec ma machine, je peux mettre en piĂšces nâimporte quel
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autre appareil terran. Si tu penses ĂȘtre { la hauteur, nâhĂ©site pas { grimper dans ce que
tu veux et à venir me montrer ce que tu as dans le ventre. »
Il marmonna de vagues excuses. « CâĂ©tait juste une bl â »
Mais lâhomme le coupa. « Tâes peut-ĂȘtre le meilleur pilote de transport du monde.
Mais ici, tâes juste un petit gamin avec une grande gueule. Alors maintenant, la ferme, et
essaie plutĂŽt dâapprendre deux-trois trucs qui Ă©viteront que tu nous fasses tous tuer. »
Il ne répondit pas.
Varg pointa Ă nouveau son canon sur la crĂȘte. « On approche rapidement avant
quâils nous repĂšrent, puis on leur envoie du lourd. Une fois quâon aura toute leur
attention, ils enverront des troupes terrestres pour nous liquider. On décolle en mode
chasseur avant quâils arrivent jusquâ{ nous. »
Le bout du canon se leva en direction des Zergs volants. « Là , on fonce et on abat le
plus possible de saloperies volantes. Commencez par les mutalisks, câest ceux avec des
ailes. Câest la plus grande menace.
â Et quand ça sera fait ? » demanda Flamme. Erik apprĂ©cia quâelle voie loin.
« On atterrit et on recommence à tuer les troupes terrestres. Et on continue
jusquâ{ ce quâon nous dise quâon peut rentrer. Tout est clair ?
â Limpide comme une falaise de glace », dit Flamme. Les autres confirmĂšrent Ă
leur tour.
Le plan semblait bon. Il avait lâavantage dâĂȘtre simple, ce dont il Ă©tait heureux vu
son manque dâexpĂ©rience du Viking. [ lâĂ©poque oĂč il pilotait un Ombre, son
commandement avait eu recours au mĂȘme genre de tactique de guĂ©rilla, mais sans la
variante dâatterrir et redĂ©coller. Pour la premiĂšre fois depuis lâannonce de lâinvasion
zerg, il eut une bouffĂ©e dâespoir.
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Au signal de Varg, ils se remirent en marche. Une fois que le major estima ĂȘtre Ă
une portĂ©e acceptable, il leur ordonna de sâarrĂȘter { nouveau. Mais cette fois, quand la
neige se fut redéposée, Erik se rendit compte de la taille réelle de la falaise, et tout
nouvel espoir le quitta.
DâoĂč ils Ă©taient, il apercevait la couleur des carapaces, les violets charnels et verts
surnaturels qui contrastaient çà et là avec la palette basique de marrons fécaux. Il voyait
les mandibules bouger, mĂącher, et eut un haut-le-cĆur. Mais il nâeut pas le temps de
mariner dans son Ă©pouvante.
« Faites leur mal ! » Varg lança ses canons Gatling et les autres Vikings lâimitĂšrent.
Erik fit tourner les siens, placés chacun sur une épaule de son marcheur, puis fit
feu. Un flux de projectiles métalliques jaillit et commença à déchiqueter les solides
carapaces, lâĂ©pais mucus et les alvĂ©oles de glace cachĂ©es en-dessous. La coque du Viking
le protégeait du vacarme tonitruant des canons, mais il sentait la trépidation continue
des décharges jusque dans ses os.
Leur assaut réduit les Zergs qui grouillaient sur la falaise en bouillie violacée, et
Baelog poussa un hurlement dâeuphorie, bientĂŽt suivi par Flamme et Olaf. Les Vikings
avaient pris une bonne partie des crĂ©atures par surprise, les tuant avant quâelles aient la
moindre chance de fuir. Mais dâautres avaient rĂ©ussi { sâabriter sous la crĂȘte par les
dizaines de tunnels creusés dedans, et à disparaßtre.
« Continuez comme ça ! cria Varg. Ils se débinent ! »
Un rictus apparut sur le visage dâErik, et il nâarriva pas { lâen dĂ©loger. Exterminer
ces bestioles Ă©tait bien plus jouissif quâil nâaurait pu lâimaginer. Et le fait que ça lui
permettrait peut-ĂȘtre de sauver sa femme, sa fille et tous les autres habitants des
colonies venait encore ajouter au frisson.
Ses canons se mirent Ă rougeoyer. Au dĂ©but, ce ne fut quâune lĂ©gĂšre teinte
rougeĂątre { lâextrĂ©mitĂ©, mais la couleur remonta rapidement le long du barillet, de plus
en plus vive. La chaleur dĂ©gagĂ©e par le frottement des balles devait ĂȘtre incroyable,
surtout si on pensait au froid qui régnait dehors.
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« Ăa se passe bien, mes petits vikings ! » dit Varg.
PlutĂŽt que de sâenfoncer derriĂšre la crĂȘte, une rangĂ©e de Zergs tenta une sortie
désespérée vers le pied de la paroi. Erik les suivit de ses canons, les réduisant en
bouillie. Les quelques-uns quâil rata rĂ©ussirent Ă se rĂ©fugier dans des tunnels prĂšs de la
base de la falaise, et il redoubla dâefforts pour les en dĂ©loger, mettant leurs cachettes en
piĂšces impitoyablement, balle aprĂšs balle.
« Fais gaffe, gamin ! lui dit Varg. Tire plus haut ! Si tu continues, tu vas finir par
abattre toute la â oh, merde ! »
En Ă©cho { ses paroles, la paroi commença { sâeffondrer, dâabord une petite section
lĂ oĂč Erik avait concentrĂ© ses tirs. Il avait repĂ©rĂ© une immense masse de Zergs, et il avait
eu beau les arroser de balles, ils avaient continué à émerger de leurs terriers comme
sâils Ă©taient trop nombreux pour tous se cacher.
Et câĂ©tait effectivement le cas, comme il le vit quand les premiers mĂštres de glace
finirent par sâaffaisser. Les Zergs soudainement exposĂ©s Ă©taient tellement serrĂ©s quâils
semblĂšrent exploser en mĂȘme temps que la glace, avant de se ruer { lâabri comme des
cafards fuyant la lumiĂšre. Mais ils nâallĂšrent pas loin avant que le reste du mur leur
tombe dessus.
PrivĂ© de ses fondations, la paroi se fendit et sâĂ©croula, quelque part entre une
avalanche et une chute dâeau. Il ressentit lâimpact malgrĂ© lâisolation de son appareil, un
colossal coup de tonnerre ininterrompu. En frappant le sol, la glace Ă©clata et jaillit vers
le ciel en un immense nuage qui roula de la falaise tel un tsunami de neige.
« Bordel ! cria Varg. Attention ! »
Erik avait déjà placé les pieds de son Viking bien à plat sur la glace pour encaisser
le recul des Gatling. Il ne pensait pas que le nuage de glace puisse ĂȘtre tellement pire.
Quand il le heurta, il comprit Ă quel point il se trompait.
Cette neige-l{ nâĂ©tait pas la mince poudre soulevĂ©e sur leur passage qui leur avait
bouchĂ© la vue pendant la traversĂ©e. CâĂ©tait une masse lourde et Ă©paisse, des Ă©clats de
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glace présents à la surface depuis la reglaciation qui avait suivi la purification par les
Protoss. Elle le percuta comme un char dâassaut et lâentraĂźna en arriĂšre, lâenterrant un
peu plus Ă chaque centimĂštre.
Il commença par lutter autant que possible pour rester droit, mais se rendit
rapidement compte que câĂ©tait inutile. Alors il leva les bras armĂ©s de lâappareil et fit de
son mieux pour surfer sur la vague de neige. Elle emporta le Viking et, pendant un
instant, il eut lâimpression de remonter { contre-courant dâun raz-de-marĂ©e.
Puis tout devint blanc. Puis tout devint noir.
Quand vous ĂȘtes pris dans une avalanche, la nature fait de son mieux pour vous
assassiner. Le bruit, un grondement sourd, comme un roulement de tonnerre venant du
sol, le secoua violemment jusquâ{ ce quâil ait lâimpression dâavoir Ă©tĂ© absorbĂ©, dâen ĂȘtre
devenu partie intĂ©grante. Il respirait sans problĂšme { lâintĂ©rieur du Viking, mais la
vitesse et la puissance de lâavalanche le projetĂšrent contre son harnais et lui coupĂšrent
le souffle. Il Ă©tait persuadĂ© dâĂȘtre sur le point de mourir et, quitte Ă ce que ça arrive, il
espérait que ça irait vite. Au moins, cet horrible instant de terreur serait terminé et il
nâaurait plus { lâendurer.
Mais il se servit de sa peur comme impulsion et lutta pour faire remonter le Viking
à la surface, battant des jambes et des bras armés pour se maintenir aussi droit que
possible. Au bout dâun moment, la puissance de lâavalanche lui arracha les contrĂŽles et il
nâeut plus aucune prise sur son destin. Lâappareil roula jusquâ{ sâarrĂȘter dans un
immense tas de glace brisée, roche et neige, puis le bruit cessa et il se rendit compte
quâil Ă©tait vivant. Et joliment coincĂ©.
Des bruits paniquĂ©s lâagressĂšrent sur le canal radio, mais il ne distinguait pas
vraiment de mots. Tout ce quâil comprenait, câĂ©tait que les gens qui lâavaient
accompagnĂ© ici avaient de gros ennuis, et quâil ne pouvait rien faire pour les aider.
« Au rapport ! » dit Varg. Peut-ĂȘtre pas pour la premiĂšre fois. « ArrĂȘtez vos
jérémiades et venez au rapport ! »
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Tout danger immĂ©diat Ă©loignĂ©, Erik sentit lâeffroi de sa situation monter, menaçant
de lâengloutir. La voix forte et solide de son officier lui servit de bouĂ©e de sauvetage. « Je
suis lĂ ! dit-il.
â PrĂ©sent, dit Olaf.
â Yo ! » renchĂ©rit Olaf.
Personne dâautre ne rĂ©pondit.
« Flamme ? appela Varg. Putain ! Flamme ? »
Rien.
Puis sa voix apparut sur le canal, affaiblie, mais claire. « Je suis, euh⊠l{.
â Quelquâun lâa en vue ?
â Jâai rien du tout en vue, rĂ©pondit Baelog. Je suis complĂštement enterrĂ©.
â Moi, jâai bien peur dâĂȘtre tĂȘte en bas, » dit Olaf dans un grognement plaintif.
Erik regarda Ă travers son pare-brise et ne vit quâune mer de gris. Il se dit que ce
devait ĂȘtre bon signe : sâil avait Ă©tĂ© enfoui trĂšs profond, il aurait Ă©tĂ© plongĂ© dans le noir
le plus total. Le fait quâil y voyait au moins un peu signifiait quâil nâĂ©tait pas trop loin
sous la surface. En tout cas, il lâespĂ©rait.
« Rien en vue ici. » Il essaya de bouger les bras du Viking : ses canons avaient été si
chauds quâil se demandait sâils nâauraient pas fait fondre une partie de la neige autour
dâeux. Mais ils donnaient lâimpression dâĂȘtre pris dans des blocs de glace pure. « Et je ne
peux pas bouger mes canons.
â Pas de panique, dit Varg. Nous ne sommes pas encore foutus.
â Non, dit Baelog. Pour ceux qui sâappellent pas Flamme, tout va bien.
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â Tu ne mâaides pas beaucoup, l{. » Varg hĂ©sita un instant. « Quelquâun a le
changement de mode opérationnel ? »
Erik regarda sur son Ă©cran. La fenĂȘtre de diagnostic Ă©tait entiĂšrement verte, sauf
les canons, qui apparaissaient en jaune vif. « Câest bon.
â Moi aussi, dit Baelog. La jambe gauche est Ă©clatĂ©e, mais le cockpit est intact.
â Affirmatif, dit Olaf. IntĂ©gritĂ© du cockpit prĂ©servĂ©e. Mais jâai perdu un canon.
Sectionné par un rocher.
â Allumez-moi vos moteurs, ordonna Varg. Activer la propulsion verticale devrait
vous donner assez de chaleur pour vous dégager.
â Et toi ? » demanda Baelog
Le major grogna. « Je suis en un morceau, mais lâavalanche mâa mis tĂȘte en bas. Si
jâallume mes rĂ©acteurs, jâirai dans la mauvaise direction. Mais je pourrai peut-ĂȘtre me
libérer si vous trois réussissez à desserrer un peu tout ça.
â On doit pouvoir faire ça, hein ? dit Erik. On a dĂ©jĂ accompli notre mission, ça
devrait nous donner tout le temps. Et on a fait bien plus que juste diversion : lâavalanche
a dû les broyer. Le temps est avec nous. »
Baelog Ă©clata dâun rire amer. « Tu connais pas beaucoup les Zergs, hein ? »
Jusquâ{ ce quâil fĂ»t emportĂ© dedans, Erik avait Ă©tĂ© trĂšs content de lâavalanche. La
question le démoralisa. « Mais comment ils pourraient survivre à ça ? »
Varg toussa en riant doucement. Il se demanda si le major nâĂ©tait pas plus mal en
point quâil ne voulait le laisser paraĂźtre.
« Les Zergs sont des fouisseurs, gamin. Tant que le choc ne les a pas complÚtement
Ă©crabouillĂ©s, ils ont tout ce quâil faut pour remonter { la surface.
21
â Mais ça a dĂ» en avoir quelques-uns, quand mĂȘme, » dit Baelog. MalgrĂ© son
éternel ton bourru, Erik pensa percevoir une pointe de peur derriÚre ses mots. « Hein ?
â Oh, oui, dit Varg. Peut-ĂȘtre. Mais tous ? Aucune chance. Ils sont encore lĂ . Et ils
sont pas trĂšs contents.
â Pas contents, et assoiffĂ©s de vengeance. » La voix dâOlaf avait paru toute petite
pour un homme aussi gigantesque. »
Varg ne rĂ©pondit quâun grognement.
Erik se mit Ă activer le mode chasseur aussi vite que possible. Il le fit
méthodiquement, passant mentalement en revue la liste que Varg lui avait fait répéter
inlassablement pendant le vol. Quand il arriva au passage qui disait de vérifier que son
appareil nâĂ©tait pas attachĂ© ou retenu de quelque maniĂšre que ce soit, parce que la
surcharge risquait de faire exploser lâun des moteurs, il lâignora. Il nâavait pas trop le
choix.
« RĂ©affecter le carburant ? Fait, se murmura-t-il. Couper lâalimentation des
jambes ? Fait. »
Il tendit le bras et saisit le levier qui transformerait les bras de son Viking en ailes.
Il enfonça la gùchette de sécurité, puis tira dessus le plus fort possible.
Il ne se passa rien. Rien de rien.
Avec un juron, il tira Ă nouveau, pesant de tout son poids. Il le sentit commencer Ă
venir, mais avait peur quâil lui casse dans les mains. Tendant lâoreille, il crut entendre les
servomoteurs de lâappareil protester en essayant de le dĂ©loger de ce qui devait ĂȘtre une
bonne tonne de neige.
« Je suis coincé ! La procédure standard ne donne aucun résultat. Une idée ?
â Je suis coincĂ© aussi, dit Olaf.
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â Essayez dâallumer vos fusĂ©es verticales, dit Varg. Juste elles. Allez-y le plus
doucement possible.
â Est-ce quâil faut neutraliser le circuit de dĂ©sactivation auto ? » demanda-t-il. Il
avait peur dâessayer. La sĂ©curitĂ© Ă©tait l{ pour lâempĂȘcher de casser le vaisseau
accidentellement. Mais dans sa situation, il avait besoin de tout ce quâil pourrait tirer de
sa machine, que ce soit dangereux ou pas.
â Ăa peut pas faire de mal. Enfin, bien sĂ»r, y a un risque dâexplosion. Mais pour
lâinstant, câest pas le problĂšme.
â HĂ©, câest quoi, ça ? dit Flamme. Câest quoi ce bruit ?
â Flamme ! cria Varg. Il faut que tu tâactives.
â Y a⊠Y a quelque chose. » Sa voix, dĂ©jĂ teintĂ©e de douleur, se chargea
dâinquiĂ©tude. « Ăa gratte sur ma coque.
â Câest les Zergs ! Il faut que tu dĂ©gages de lĂ , Flamme. Fais quelque chose ! »
Il y eut un craquement horrible sur la radio. Erik savait parfaitement dâoĂč il venait,
mais sursauta quand mĂȘme.
« Merde, » dit Baelog, la voix si affaiblie par lâhorreur quâil lâentendit { peine. « Ils
lâont trouvĂ©e. »
Un hurlement de terreur fendit lâair. « LĂąchez-moi ! »
Puis il y eut un bruit, Ă la fois claquement, craquement et gargouillis. Erik en eut un
frisson dans le dos.
« Non ! NON ! » Puis un nouveau gargouillement atroce, beaucoup trop humain,
qui fut brusquement coupé.
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Il voulait hurler de rage. Il nâavait pas vraiment connu Flamme, et travaillait Ă ses
cĂŽtĂ©s pour la premiĂšre fois aujourdâhui. Mais il bouillait dâenvie de massacrer jusquâaux
derniĂšres les saloperies qui lâavaient tuĂ©e.
à la place, il coupa le protocole de sécurité incluant le circuit de désactivation auto
et alluma ses fusĂ©es verticales, qui se mirent Ă bourdonner. Il Ă©tait peut-ĂȘtre trop tard
pour sauver Flamme, mais sâil ne se bougeait pas un peu, il y passerait aussi.
« Allez. Allez ! »
Il essaya de faire bouger les jambes du Viking et vit que la neige lâenserrait un peu
moins. Mais elle sâĂ©tait sans doute transformĂ©e en vapeur, et il savait que sâil coupait ses
fusées maintenant, la glace se reformerait en quelques secondes et il serait bloqué
encore plus solidement dans les entrailles gelées de Braxis.
Il donna un peu plus de puissance à ses fusées verticales et sentit la coque vibrer
des pieds { la tĂȘte de lâappareil. Quelque chose allait bientĂŽt cĂ©der, il espĂ©rait juste que
ça ne serait pas le Viking. Sâil poussait trop sur les fusĂ©es, elles pourraient exploser, et ça
le tuerait plus vite quâun Zerg. Au moins, il ne souffrirait pas.
Mais, mĂȘme vite, mourir ne lâintĂ©ressait pas. Il nâĂ©tait pas prĂȘt { abandonner. Il
relança les fusées et, cette fois, entendit un terrible craquement.
La lueur du jour apparut au-dessus de lui, si claire quâelle en Ă©tait aveuglante.
La neige qui avait entouré ses fusées verticales avait été vaporisée, et la pression
Ă©tait montĂ©e autour du Viking, cherchant un moyen de sâĂ©chapper. Au lieu dâĂ©craser la
coque, la vapeur était montée et avait projeté les couches de neige moins solides qui le
recouvraient.
« Tout va bien, gamin ? demanda Varg.
â On aurait dit que son vaisseau explosait, dit Olaf dâun ton Ă©bloui.
â Câest mieux que dâĂȘtre bouffĂ© par les Zergs. »
24
Il voulait répondre, mais était trop occupé à faire décoller son Viking. Il avait
lâhabitude de piloter des engins plus raisonnables. Passer dâune station bipĂšde { un vol
horizontal nâĂ©tait jamais facile, et mĂȘme un expert comme Varg aurait eu du mal { faire
jaillir un Viking dâun trou aussi profond sans partir en vrille.
Il luttait avec les contrĂŽles, essayant de relancer les manĆuvres qui lui
permettraient de stabiliser son vol. Il réussit à sortir du trou assez vite, mais avec un
léger angle qui le renvoya en lacet en direction de la glace. Il fut obligé de relancer les
fusées verticales à fond puis dut lutter pour redresser, comme un funambule pris dans
une tornade.
Mais il survécut et, un instant plus tard, put déclencher le reste de la
transformation. Les jambes se repliĂšrent et les ailes placĂ©es sur ses Ă©paules sâĂ©tendirent,
lui donnant assez de portance pour rester en lâair.
« Je suis sorti ! »
Baelog lança un cri de joie, imité par Varg.
« Excellent boulot, dit Olaf. Tu as moyen de nous donner un coup de main ?
â Bougez pas, je vais voir ce que je peux faire. »
Il termina la sĂ©quence de transformation sans activer ses rĂ©acteurs arriĂšre. Sâil
lançait les moteurs, il partirait vraiment en vol rapide, et son inertie lâempĂȘcherait de
revenir aider les autres facilement. Bien sĂ»r, atterrir sur la glace le rendrait vulnĂ©rable Ă
dâĂ©ventuels Zergs enfouis, mais il savait quâil nâavait pas le choix. Il devait essayer de
débloquer ses compatriotes.
Le seul problĂšme Ă©tait quâil nâavait aucune idĂ©e dâoĂč ils Ă©taient. Lâavalanche nâavait
pas fait que le désorienter complÚtement, elle avait aussi neutralisé la plupart de ses
capteurs. Il ne voyait pas oĂč il Ă©tait, et encore moins oĂč Ă©taient bloquĂ©s les autres.
« Je ne vous vois pas. Vous ne pouvez pas, je ne sais pas, moi, tirer une fusée de
détresse ou quelque chose comme ça ? »
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Une seconde plus tard, à environ dix mÚtres devant lui, la neige fut éclairée par
une source de lumiĂšre venue de sous la surface.
« Câest ce que tu voulais ? demanda Olaf.
â TrĂšs jolis phares. Jâarrive. »
Il se dĂ©plaça vers lâendroit oĂč la neige retournĂ©e brillait et ressortit les jambes de
son Viking, puis pointa ses fusées verticales droit en bas et regarda la glace fondre sous
lui. Mais lâangle de vue nâĂ©tait pas bon et lâappareil enterrĂ© refusa de se montrer.
Il ne voulait pas tout faire fondre partout jusquâ{ ce que les autres ressortent. DĂ©j{,
il tomberait soit à cours de carburant, soit de temps. Et de toute façon, il devait faire
attention Ă ne pas les liquĂ©fier eux en mĂȘme temps que la neige. La coque de leurs
appareils les protĂ©gerait dâune partie de la chaleur, mais pas dâune brĂ»lure prolongĂ©e.
« Si tu peux reculer dâenviron deux mĂštres, dit Olaf, ça pourrait peut-ĂȘtre le faire. »
Il comprit alors que les phares ne pointaient pas exactement Ă la verticale. Il
sâĂ©loigna de la surface et envoya une grande poussĂ©e de ses fusĂ©es. En montant, il
aperçut le haut du Viking et Olaf poussa un cri de victoire.
Il se dĂ©pĂȘcha de pousser son appareil sur le cĂŽtĂ© et, quelques secondes plus tard,
celui dâOlaf se dĂ©gagea de son tombeau gelĂ© pour venir flotter { ses cĂŽtĂ©s.
« Et les autres ? Vous ĂȘtes oĂč ?
â DĂ©gagez dâici ! dit Varg. Les mutalisks ne vont plus tarder Ă arriver,
maintenant. »
Il avait été trop occupé pour regarder au-dessus de lui, et vit que Varg avait raison.
Haut dans le ciel, un grand groupe de Zergs, beaucoup plus quâil ne voulait prendre la
peine de compter, plongeait vers lui. Il ne savait pas quand ils lâavaient repĂ©rĂ©, si câĂ©tait
quand il avait jailli de la glace ou quand il avait rallumé ses fusées pour libérer Olaf. Mais
quoi quâil en soit, il ne pouvait plus attendre.
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« Nous avons une minute. » Il ne savait pas sâil mentait ou pas, mais de toute façon
il nâĂ©tait pas question quâil abandonne. « Donne-moi un signal. Nâimporte quoi. Et on te
libĂšre.
â Je suis tĂȘte en bas, les phares risquent de ne pas changer grand-chose. » Il
marqua une pause. « Vous voyez quelque chose ? »
Erik balaya lâavalanche du regard et crut apercevoir une lueur mais, en avançant
son Viking, il vit que ce nâĂ©tait quâun reflet du soleil. Sâil avait fait plus noir, il aurait peut-
ĂȘtre pu distinguer quelque chose, mais il ne pouvait pas rester lĂ et attendre que le
soleil se couche.
« Et tes canons ? » suggĂ©ra-t-il. Un tir du major { lâaveuglette pourrait ĂȘtre
dangereux, mais ils commençaient à manquer de solutions.
« Ces saloperies sont complÚtement gelées.
â MĂȘme problĂšme ici, dit Baelog. Mais je crois que jâai rĂ©ussi { faire marcher mes
fusées. Donnez-moi une seconde.
â Haa ! Bordel ! cria Varg. Je les entends ! Ils grattent mon blindage !
â Tu es oĂč ? Montre-moi quelque chose, nâimporte quoi !
â Ăcartez-vous ! Quitte Ă crever, je vais en emmener autant que possible avec
moi !
â Attendez ! dit Baelog. Donnez-moi encore cinq secondes !
â Je crois pas qu â Rah ! Ils ont percĂ© ma verriĂšre ! »
Erik examina la neige qui sâĂ©tendait sous lui, mais lâavalanche avait balayĂ© tout
point de repÚre. à part les trous creusés par Olaf et lui, il ne voyait aucune différence
entre les divers endroits de lâamas de glace. Tout ce quâil savait, câĂ©tait que le major Ă©tait
quelque part lĂ -dessous en train de mourir.
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Des coups de pistolet retentirent sur le canal radio, mélangés aux beuglements de
rage et de frustration de Varg. Il leur tirait dessus balle aprÚs balle, bien décidé à en tuer
autant que possible. Erik voyait bien quâil ne ferait pas lâeffort de garder la derniĂšre
pour lui-mĂȘme.
Il aurait voulu faire fondre chaque petit tas de neige jusquâ{ le retrouver pour le
sauver, mais il savait quâil nâavait plus le temps. Tout ce quâOlaf et lui pouvaient encore
faire Ă©tait sâenvoler aussi vite que possible.
Il leva les yeux et vit un mutalisk qui arrivait droit sur eux. Une grande créature
aux ailes membraneuses et aux yeux rouges et creux, qui remontait son Ă©norme
appendice vers lui, gueule bĂ©ante tendue dâun geste fĂ©roce.
Olaf avait déjà lancé la transformation en mode chasse. Et quand le mutalisk
approcha de lui, il activa ses réacteurs et se déroba.
Erik essaya de lâimiter, mais il voyait quâil ne terminerait jamais la transformation
Ă temps. Ă la place, il fit de son mieux pour esquiver ; son seul espoir Ă©tait que la
crĂ©ature ait pu mal juger la distance qui les sĂ©parait du sol et sâĂ©crase avant dâavoir le
temps de corriger sa trajectoire.
Mais le mutalisk redressa au dernier moment, son ovipositeur suspendu juste au-
dessus de la neige. Cependant, il avait Ă©tĂ© si prĂšs de sâĂ©craser quâil dut lâenrouler sous lui
pour amortir un contact avec la glace.
Il rebondit comme sâil utilisait son abdomen comme coussin, tout en battant
frĂ©nĂ©tiquement des ailes. Câest alors que, sous lui, la neige explosa. La dĂ©charge le mit en
morceaux et fit faire une embardĂ©e au Viking dâErik.
Quand il eut rĂ©ussi { stabiliser son appareil, Erik dut sâempĂȘcher dâaller regarder
dans le cratĂšre fumant laissĂ© par lâexplosion. Il savait quâil risquait dây laisser la vie, et il
nâĂ©tait pas disposĂ© Ă gĂącher la chance de survie qui venait de lui ĂȘtre offerte.
Il lança la séquence permettant de placer son appareil en vol et se replia au fond
de son harnais pour absorber la poussĂ©e de lâinertie. Il leva les yeux et vit que le groupe
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de Zergs qui se dirigeait vers lui sâĂ©tait Ă©tendu pour couvrir le ciel. Sâil ne bougeait pas
rapidement, ils se refermeraient sur lui comme un filet.
Son vaisseau jaillit vers lâavant. L{ oĂč le transport quâil pilotait au travail Ă©tait un
pachyderme, le Viking était un vif prédateur de la jungle, rapide, agile, et presque
impossible { dompter. Il le sentait lutter pour Ă©chapper { son contrĂŽle, et savait que sâil
laissait son emprise lui glisser entre les doigts ne serait-ce quâune seconde, il ne
survivrait sans doute pas assez longtemps pour regretter son erreur.
Olaf avait attirĂ© certains des mutalisks au loin, mais dâautres convergeaient vers
lui. Lâordinateur afficha des tĂ©moins de ciblage sur deux dâentre eux, et il ne se fit pas
prier : dâune pression sur la gĂąchette, il tira deux torpilles Lanzer.
Elles lui semblĂšrent avancer { peine plus vite que lâappareil, et il craignit dâarriver
sur ses cibles en mĂȘme temps que ses projectiles. Les torpilles finirent par atteindre
leur but et explosĂšrent, faisant voler de la grenaille et des morceaux de Zergs dans
toutes les directions. Il traversa le nuage et des dĂ©bris vinrent sâĂ©taler sur sa verriĂšre,
traçant de fines lignes dâacide sur le matĂ©riau.
Il ne put sâempĂȘcher de lancer la tĂȘte en arriĂšre pour pousser un cri de triomphe.
Mais sa joie fut de courte durée.
« Baelog ? » appela Olaf sur la radio. Erik vit son Viking sorti de la zone des
dominants, en train de virer pour revenir vers lui.
« Varg a ébranlé la glace qui me bloque. Il me faut juste encore quelques secondes.
Erik se retourna pour examiner la surface. Non loin du cratÚre fumant laissé par
lâappareil de Varg, il aperçut le bout dâun autre Viking qui sortait de la neige. Mais il vit
aussi un groupe de mutalisks partir dans sa direction. Lâexplosion les avait dispersĂ©s un
peu, mais ils ne semblaient pas avoir eu peur bien longtemps.
« Tu nâas plus le temps, dit-il en orientant son vaisseau vers celui de Baelog.
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â Il y en a trop, cria Olaf en dĂ©gageant son appareil. On ne pourra pas tous les
abattre.
â Pas besoin, » dit Erik. Il savait se dĂ©brouiller en affrontement aĂ©rien et, pour la
premiĂšre fois de la journĂ©e, sentit la confiance lui revenir. La montĂ©e dâendorphines
quâil connaissait bien { lâapproche dâun combat tournoyant Ă©tait toujours aussi
savoureuse. « On va prendre les mutalisks comme dans le plan de Varg.
â Câest vrai ! dit Olaf. Pas besoin de tous les attaquer. Il faut juste les attirer loin de
Baelog pendant quâil se libĂšre.
â Exactement ! »
Il se dirigea vers lâextrĂ©mitĂ© droite de lâamas principal de mutalisks et, en chemin,
se mit { tirer une sĂ©rie de torpilles. Peu importe qui elles touchaient, tant quâelles
touchaient quelque chose. Et dans un environnement si dense en cibles, il savait que ce
serait le cas.
Les quelques premiÚres réduisirent en charpie un groupe de mutalisks trop serré,
et il vit un autre duo de Lanzer passer sur sa droite. Elles trouvĂšrent des cibles Ă leur
tour et vinrent ajouter au chaos ambiant.
« Je les sens ! dit Baelog. Les Zergs. Ils sont en train dâarracher mon blindage. Ils
vont mâavoir !
â Tiens le coup ! » Il tourna la tĂȘte, vit Olaf sâĂ©lever derriĂšre lui, et un sourire se
forma sur son visage : un Ă©norme tas de mutalisks approchant de Baelog changeait de
direction pour partir vers eux. Leur plan avait fonctionné.
Une bordĂ©e de vers sabres verdĂątres fendit lâair. Certains frĂŽlĂšrent son Viking,
mais aucun nâatteignit sa cible ; ils Ă©taient trop loin, et il avait bien lâintention quâils le
restent. Au moins assez longtemps pour que Baelog ait une chance de sâenfuir.
« On tâa donnĂ© un peu de temps, Baelog ! dit-il. Ne le gaspille pas !
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â Je les entends, dehors ! Ils attaquent ma coque !
â Envoie les gaz ! Allez ! »
Le silence se fit, et il eut peur que les cafards aient dĂ©truit lâĂ©metteur de Baelog. Ils
pouvaient trĂšs bien ĂȘtre en train de le mettre en charpie et lui de hurler Ă la mort sans
quâils entendent le moindre son. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce mieux ainsi.
Mais la glace qui entourait lâappareil encore prisonnier se dĂ©sagrĂ©gea et le
troisiĂšme Viking vint les rejoindre dans lâair glacĂ©. Baelog poussa un rugissement de
triomphe.
« Tout va bien ! dit-il en sortant de la zone remplie de mutalisks. On dĂ©gage dâici ! »
Les saloperies qui les poursuivaient Ă©taient agiles et se placĂšrent rapidement pour
les prendre tous deux en tenaille, mais les mutalisks Ă©taient loin de pouvoir rivaliser
avec les Vikings en termes de puissance pure. Erik et Olaf purent Ă©chapper Ă leurs
attaques assez longtemps pour trouver une ouverture et sâĂ©chapper. Ils ne tardĂšrent pas
Ă les semer.
Une fois en sécurité, ils suivirent une large courbe pour croiser la trajectoire de
Baelog, qui faisait de mĂȘme vers eux. Quelques minutes plus tard ils Ă©taient en
formation, Erik en pointe et les deux autres à ses cÎtés.
Il regarda son affichage arriĂšre pour examiner les ravages sur la crĂȘte, lâavalanche
tombée à ses pieds et la grande colonne de fumée et de vapeur qui montait toujours du
cratĂšre laissĂ© par le Viking de Varg. Il secoua la tĂȘte, incrĂ©dule. Tant de dĂ©vastation en si
peu de temps.
« Vous pensez que ça aura suffi ? demanda Baelog.
â En tout cas, jâespĂšre, rĂ©pondit Olaf. Je ne pense pas quâon pourrait survivre { une
deuxiÚme péripétie du genre.
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â Jâai le dernier Viking encore en Ă©tat, dit Erik. Je pourrai retourner leur en faire
voir.
â Laisse tomber, petit, dit Olaf. Tu mâas sauvĂ© la vie. Maintenant tu essaies de
rentrer, et moi avec toi.
â Je crois quâon a perdu assez de vikings pour aujourdâhui, renchĂ©rit Baelog. On
retourne { la maison, tant quâil y en a encore une.
â Je suis sĂ»r quâils ont tout laissĂ© branchĂ© { la taverne, continua Olaf. Y a tournĂ©es
{ volontĂ© jusquâ{ la fin du monde.
â Oui, » dit Erik dâun ton solennel. Avec un peu de chance, Kyrie et Sif auraient
embarquĂ© en sĂ©curitĂ© avant que les trois vikings nâarrivent { la base, et ils auraient un
peu de temps Ă tuer avant le dĂ©part du dernier transport. « On a des amis perdus Ă fĂȘter,
et leurs histoires à raconter. »