L’évènement Intercommunalité : respectons les dynamiques ...

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10 l territoires avril 2011 le périmètre du pouvoir d’un élu ou pour bénéficier des majorations de financements. Mais il y a aussi beau- coup d’intercommunalités solide- ment soudées, souvent depuis long- temps, sur un sentiment d’identité, une histoire commune, des projets construits et gérés en commun. Les Pays qui ont commencé à se consti- tuer dès 1965 et se sont répandus sur presque tout le territoire français, ont souvent généré des intercommuna- lités de ce type. Il n’est donc pas pos- sible de traiter toutes les intercommu- ACTUALITÉS L’évènement L e découpage territorial actuel est loin d’être satisfaisant et une réforme est nécessaire pour l’amé- liorer. Nous ne contestons pas la volonté de simplification et de clarification, mais nous contestons vivement la méthode que la réforme territoriale induit. Loin de défendre le statu quo dans le paysage de l’intercommuna- lité, nous pensons qu’une autre réforme est possible, bâtie sur la construction commune et non sur la rupture, construite dans le temps patient de la concertation et non dans la précipita- tion, basée sur la volonté des acteurs locaux et non sur l’autoritarisme de l’État relayé par ses responsables locaux. Chaque intercommunalité est issue d’une histoire locale qui ne peut être résumée à quelques seuils et normes… Nous regrettons une approche techno- cratique et « descendante » du schéma départemental, rédigé par des servi- ces préfectoraux dans une logique administrative, statistique et unifor- misatrice, tenant insuffisamment compte des réalités portées par les acteurs locaux. Le réseau des intercommunalités est loin d’être homogène : il y a de trop petites communautés, réunissant peu de communes, peu d’habitants et peu de moyens et que l’on peut estimer difficilement viables, même si elles ont été construites par des acteurs locaux. Mais il y en a aussi de trop grandes, réunissant trop de commu- nes, trop d’espace pour que les senti- ments d’identité et de proximité puis- sent leur servir de ciment. Il y a des intercommunalités qui ont été construites uniquement pour agrandir Intercommunalité : respectons les dynamiques locales ! Dans chaque département, les préfets vont bientôt installer les nouvelles commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI), afin de leur présenter le projet de schéma départemental de la coopération intercommunale (SDCI). Préparé par leurs services pour aboutir, avant la fin de l'année, au remodelage complet de l’intercommunalité, quels objectifs et quels principes politiques incarne-t-il ? Acteurs engagés depuis de nombreuses années dans le mouvement du développement local, l’Adels et l'Unadel [1] souhaitent rappeler les valeurs et les pratiques institutionnelles démocratiques, issues de cette histoire, qui devraient guider l’élaboration des schémas départementaux de la coopération intercommunale. 1 L’Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale et l’Union nationale des acteurs et structures du développement local s’associent pour animer un groupe interassociatif de suivi et d’analyse de la réforme des collectivités locales. Le présent article est issu des travaux de ce groupe. Un point d’étape important de cette démarche se déroulera lors de la 2 e Université d’été du développement local, « Quelle nouvelle étape de décentralisation pour quelles dynamiques territoriales demain ? », les 14, 15 et 16 septembre 2011, à Villiers-les-Nancy. Une autre réforme est possible, bâtie sur la construction commune, dans le temps patient de la concertation. 517-1-20-BAT 31/03/11 19:09 Page 10

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le périmètre du pouvoir d’un élu oupour bénéficier des majorations definancements. Mais il y a aussi beau-coup d’intercommunalités solide-ment soudées, souvent depuis long-temps, sur un sentiment d’identité,une histoire commune, des projetsconstruits et gérés en commun. LesPays qui ont commencé à se consti-tuer dès 1965 et se sont répandus surpresque tout le territoire français, ontsouvent généré des intercommuna-lités de ce type. Il n’est donc pas pos-sible de traiter toutes les intercommu-

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L e découpage territorial actuel estloin d’être satisfaisant et uneréforme est nécessaire pour l’amé-

liorer. Nous ne contestons pas la volontéde simplification et de clarification,mais nous contestons vivement laméthode que la réforme territorialeinduit. Loin de défendre le statu quodans le paysage de l’intercommuna-lité, nous pensons qu’une autre réformeest possible, bâtie sur la constructioncommune et non sur la rupture,construite dans le temps patient de laconcertation et non dans la précipita-tion, basée sur la volonté des acteurslocaux et non sur l’autoritarisme del’État relayé par ses responsables locaux.

Chaque intercommunalité estissue d’une histoire locale qui nepeut être résumée à quelquesseuils et normes…Nous regrettons une approche techno-cratique et « descendante » du schémadépartemental, rédigé par des servi-ces préfectoraux dans une logiqueadministrative, statistique et unifor-

misatrice, tenant insuffisammentcompte des réalités portées par lesacteurs locaux. Le réseau des intercommunalités estloin d’être homogène : il y a de troppetites communautés, réunissant peude communes, peu d’habitants et peude moyens et que l’on peut estimer

difficilement viables, même si ellesont été construites par des acteurslocaux. Mais il y en a aussi de tropgrandes, réunissant trop de commu-nes, trop d’espace pour que les senti-ments d’identité et de proximité puis-sent leur servir de ciment. Il y a desintercommunalités qui ont étéconstruites uniquement pour agrandir

Intercommunalité : respectons les

dynamiques locales !

Dans chaque département, les préfets vont bientôt installer les nouvelles commissionsdépartementales de la coopération intercommunale (CDCI), afin de leur présenter leprojet de schéma départemental de la coopération intercommunale (SDCI). Préparé parleurs services pour aboutir, avant la fin de l'année, au remodelage complet del’intercommunalité, quels objectifs et quels principes politiques incarne-t-il ? Acteursengagés depuis de nombreuses années dans le mouvement du développement local,l’Adels et l'Unadel [1] souhaitent rappeler les valeurs et les pratiques institutionnellesdémocratiques, issues de cette histoire, qui devraient guider l’élaboration des schémasdépartementaux de la coopération intercommunale.

1 L’Association pour la démocratie et l’éducation localeet sociale et l’Union nationale des acteurs et structuresdu développement local s’associent pour animer ungroupe interassociatif de suivi et d’analyse de laréforme des collectivités locales. Le présent article estissu des travaux de ce groupe. Un point d’étapeimportant de cette démarche se déroulera lors de la 2e Université d’été du développement local, « Quellenouvelle étape de décentralisation pour quellesdynamiques territoriales demain ? », les 14, 15 et16 septembre 2011, à Villiers-les-Nancy.

Une autre réforme est possible,bâtie sur la constructioncommune, dans le tempspatient de la concertation.

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nalités de la même manière et de lesfaire toutes rentrer dans une normeidentique, même si des dérogationssont prévues pour les zones de mon-tagne et quelques cas particuliers.

La démarche intercommunaledoit être issue de la volonté desélus et des citoyens, et non delogiques technocratiquesLa loi donne l’initiative du projet deschéma départemental de la coopé-ration intercommunale (SDCI) auxpréfets, et précise que les amende-ments des élus ne s’imposeront qu’àune majorité qualifiée des deux tiers,ce qui s’avèrera souvent difficile àatteindre et renforcera donc les propo-sitions préfectorales. Nous craignonsqu’une approche basée sur la réduc-tion de nombre de structures, encoreune fois dans une logique de réduc-tion des coûts par des économiesd’échelle, n’aboutisse souvent à desconcentrations de pouvoirs sur de tropvastes ensembles, éloignés des réalitéslocales et des volontés des acteurs.Nous estimons que les modes de fonc-tionnement des communautés doi-vent reposer sur un « pacte » négociélibrement entre les communes asso-ciées. Si nous partageons l’objectifd’achèvement de la carte intercom-munale, nous voulons laisser aux

communes isolées le temps de pro-poser leur rattachement à une inter-communalité de leur choix, sans pres-sion autoritaire. Et si nous partageonsaussi l’objectif de suppression des

enclaves et des discontinuités territo-riales, nous estimons primordial deconsulter les citoyens dans cet objectif.

De plus, la volonté expansionniste ethégémonique de certaines agglomé-rations nous inquiète pour l’avenir dupériurbain et du rural. Il aurait été pos-sible de construire la restructurationnécessaire à partir de l’initiative desacteurs locaux, élus et citoyens associésdans une démarche ascendante. Celaaurait certainement été plus long, maisaurait offert l’avantage d’une réformeque les acteurs se seraient appropriée,à la place d’une réforme imposée d’en

haut et combattue par un grand nom-bre d’associations d’élus et de citoyens.Nous restons attachés à la conceptiond’origine de l’aménagement du terri-toire, à savoir à un découpage territorialbasé sur la « polarisation » du ruralsur un gros bourg ou une petite ville,dans un échange interactif, gagnant-gagnant. D’un bout à l’autre de la

France, les exemples abondent de lapertinence de cette approche équili-brée entre le rural et l’urbain.

Ne pas accentuer la distanceentre les citoyens et leurs élusRéussir la carte intercommunale dedemain passe par un renforcement dela démocratie locale et de la gouver-nance. Or, agrandir fortement les péri-mètres intercommunaux risque d’éloi-gner encore un peu plus le citoyen etposer des problèmes de gouvernance.Il est donc nécessaire de prendre encompte la volonté des élus de travail-ler ensemble, la capacité à mettre enœuvre un projet commun partagé parla population et l’histoire du terri-toire. Le projet de territoire doit être unprojet partagé entre les élus et les tech-niciens mais sans oublier les repré-sentants des forces vives, de la sociétécivile du territoire. La présence desconseils de développement auprès des

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Le fonctionnement desintercommunalités doit reposersur un « pacte » négociélibrement entre les communes.

Jean

-Luc

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agglomérations et des Pays assuraitcette fonction de dialogue démocrati-que dans la construction et dans lagestion d’un projet de territoire. Laloi de réforme des collectivités n’endit pas un mot, et c'est regrettable.Peut-on concevoir les si puissantesmétropoles sans adjoindre à leurconseil métropolitain un conseil dedéveloppement métropolitain ouvertà la société civile ? Depuis longtemps,nous prônons la présence d’un conseilde développement auprès des com-munautés de communes.Le peu de place pour la démocratiedans ces enjeux locaux ne peut êtreque déploré : il ne faudrait pas que larestructuration de l’intercommuna-lité se fasse uniquement par arran-gements techniques entre les élus oupar accommodements plus ou moinsoccultes entre les élus et les préfets,dans l’opacité et à l’écart de l’interven-tion des citoyens. La démocratisationde la gestion des services portés parl’ensemble des structures intercom-munales constitue une ardente néces-sité, et impose une alternative auxpratiques actuelles souvent opaques.Mais le débat public doit avoir lieuavec les citoyens. Nous demandonstrès clairement que les élus locauxprennent toutes les initiatives pournon seulement informer les citoyenset usagers sur la reconfiguration desterritoires et des services publicslocaux, mais aussi pour les associer àla gestion de ces services. Cela néces-site notamment que les changementsde responsabilités, l’exercice des man-dats correspondants et les éventuelschangements organisationnels liés àune restructuration de ces servicessoient définis avec eux de manièretransparente.

L’intercommunalité doit avant toutrester une démarche de projet Pour la restructuration de l’intercom-munalité, si restructuration il doit yavoir, nous rappelons un principe quenous avons toujours défendu, à savoirque le projet doit précéder la structureet non le contraire. Cela signifie quela restructuration de l’intercommuna-lité doit impérativement respecterles territoires communautaires quisont adossés à un fort projet terri-torial, ne pas les dissoudre dans des

regroupements qui noieraient leurdynamique politique et sociale. Celasignifie aussi que la restructurationde l’intercommunalité doit se garderde tailler des structures artificiellesqui ne s’appuieraient pas sur unecohérence et sur un projet territorialpréalable. Ceci, de façon à éviter lamise en place de coquilles vides : desintercommunalité au périmètre élargimais incohérentes et inefficaces. Il estdonc particulièrement important deprendre complètement en compte,dans le processus de restructurationéventuel, les dynamiques impulséesdans le cadre des Pays. En outre, l’en-jeu des mois à venir dépasse les fron-tières départementales. Il nous paraîtimportant d’insister sur la nécessité degarder ouverte la possibilité de car-tes qui ne soient pas rigoureusementincluses dans les frontières départe-

mentales, car le développement decertains territoires doit aussi se réflé-chir au-delà de ces frontières adminis-tratives, de même que l’équité territo-riale et fiscale.

Des territoires cohérentscapables de contractualiser avecleurs partenairesLe projet de territoire est un projetglobal. Il assure la mise en cohérenceet la synergie de projets sectoriels dedéveloppement économique, social,culturel, durable, etc. La restructura-tion ne peut pas aboutir à la régres-sion qui consisterait à confiner lesnouvelles communautés à l’additionde projets sectoriels, voire catégoriels,qui ne seraient pas cousus ensemblepour constituer un projet de terri-toire, contractualisable en tant quetel, avec les différents financeurspotentiels, en particulier avec lesrégions dans le cadre du volet territo-rial de leur action. Le développementn’est pas une procédure administrativedécrétée d’en haut, parmi les autres,

mais un processus qui s’appuie surle dynamisme des acteurs locaux libre-ment associés.Depuis les chartes intercommunalesde développement et d’aménagementde 1983, conçues dans l’esprit de ladécentralisation, au travers des voletsterritoriaux des contrats de plan, puisdes contrats de projet État / régions,des procédures départementales et desprocédures européennes, la contractua-lisation constitue l’instrument de miseen œuvre des projets de territoire.Cette démarche doit impérativementêtre maintenue. Pour qu’elle soit pos-sible, il est indispensable que larestructuration de l’intercommunalitéfasse émerger des territoires cohérents,capables de contractualiser à partirdes choix opérés par leurs acteurs. Les communautés ainsi définiesconstituent le premier échelon del’aménagement du territoire. Rien nedoit empêcher qu’elles puissent passerentre elles des accords, afin de prendreen charge des politiques interterrito-riales (inter-Scot, schémas de servi-ces…) dans des échelons d’une tailleplus importante. Il ne faut pasconfondre les deux niveaux et nierainsi les immenses ressources qui sontmobilisables – et souvent mobili-sées – dans la proximité et la solida-rité territoriales.

Les syndicats mixtes quiencouragent la coopérationintercommunale sont à préserverNous reconnaissons que le systèmetraditionnel des syndicats de toutesnatures aboutit à une « géométrievariable » complexe, mais sommetoute généralement maîtrisée, saufdans les cas de syndicats maintenusbien que n’ayant plus d’objet et d'exis-tence. Les syndicats de communes, àvocation unique ou à vocations mul-tiples, correspondent souvent à desréalités de vie ou à des impératifstechniques (bassins versants…) quifont que l’on ne s’associe pas tou-jours avec les mêmes communesselon les compétences déléguées. L’ob-jectif a priori de faire rentrer toutes lescompétences dans un même périmè-tre n’est pas forcément pertinent. Lessyndicats mixtes fermés constituentsouvent la meilleure manière de por-ter des équipements intercommunaux

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Les dynamiques impulséesdans le cadre des Pays devrontêtre prises en compte dans leprocessus de restructuration.

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importants. Ils ont d’ailleurs étéconstamment encouragés par l’État,qui continue de les choisir pour struc-turer les nouveaux pôles métropoli-tains, comme il les a prônés hier pourstructurer les Pays. Les syndicats mix-tes ouverts correspondent parfaite-ment à la gestion public / privé, pro-mue par ailleurs, et constituent unmode de gestion d’équipementsimportants qui a fait ses preuves.Pourquoi donc partir du principe qu’ilfaut réduire de moitié, voire plus, cesystème de gestion du local qui a faitles preuves de sa souplesse et de sonefficacité, sinon par la volonté impé-rieuse de réduire le nombre de struc-tures pour réduire les coûts, ce qui, aupassage, est loin d’être démontré ?

Les acteurs locaux doiventprovoquer le débat et préparerau plus vite les négociations

Les préfets connaissent bien cesenjeux, les réformes efficaces sontcelles qui mûrissent dans le débatdémocratique d’où émergent les com-promis qui donnent de la légitimitéaux décisions. Les instructions gou-

vernementales incitent les préfets àconduire à marche forcée le bouclagede la carte de l’intercommunalité et àne pas tenir compte des dynamiqueslocales de développement, commedes aspirations des citoyens. Aussirevient-il aux élus et aux acteurs

locaux mobilisés dans les territoiresd’être vigilants et de préparer ensem-ble, très en amont, les négociationsde ces schémas. Enfin, il est indis-pensable de préciser que ces négo-ciations ne doivent pas faire l'éco-nomie de vraies démarches démo-cratiques dans les territoires concer-nés : face aux enjeux évoqués, il est eneffet essentiel que les élus permet-tent aux habitants d'exprimer leursavis lors de débats locaux citoyens.Nos réseaux associatifs continuerontd'être attentifs à la manière dont setraduit sur le terrain la réforme descollectivités territoriales. Nous appe-lons, en outre, les acteurs locaux àse mobiliser en vue d'une autreréforme territoriale, une réforme quiserait porteuse d’un nouvel élan dedécentralisation au profit des dynamiques des territoires et des pratiques participatives. �

A C T U A L I T É SIntercommunalité : respectons les dynamiques locales !

Les négociations surl’intercommunalité ne doiventpas faire l’économie de vraiesdémarches démocratiques.

CC V

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d'Ar

les

� La réforme des collectivités donne l’initiative du projet de schéma de refonte de l'intercommunalité aux préfets et les amendements des élus ne pourront s’imposer qu’à une majoritéqualifiée, souvent difficile à atteindre. �

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