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L’ÉTAT ET L’AGRICULTURE VIVRIÈRE EN COTE D’IVOIRE : LE CAS DE L’IGNAME, DE LA BANANE PLANTAIN ET DU MANIOC DE 1980 A 1993 KAMAGATE Abdoulazidjou RÉSUMÉ En 1980, face à la crise économique et financière qui frappait le pays, les autorités politiques ivoiriennes décident de faire la promotion des productions vivrières locales, notamment l’igname, la banane plantain, et le manioc ; avec pour objectif la réduction des importations alimentaires et ainsi réaliser des économies de devises, dans le cadre du développement économique et social du pays. De nouvelles orientations agricoles sont prises et des structures d’accompa- gnement et de soutien aux producteurs sont mises en place de 1980 à 1993. Des actions sont menées durant toute cette période pour le développement de l’agriculture vivrière. Au total, les cultures d’igname, de banane plantain et de manioc ont de façon générale bénéficiées de ces actions. Le développement des infrastructures routières a notamment permis l’écoulement de la production de la campagne vers les grands centres de consommation que sont les villes. Cependant, ces trois cultures ont étés marginalisées dans la distribution des fonds destinés au développement agricole. Ce qui n’a pas permis une réelle avancée de ce secteur. Mots clés : État, agriculture vivrière, igname, banane plantain, manioc, développement agricole. ABSTRACT In 1980, faced with the economic and financial crisis, the political authorities Ivorians decide to promote local food production, including yam,plantain and cassava; with the aim of reducing food imports and thus achieve currency savings, in the context of economic and social develop- mentof the country. New agricultural orientations are taken and accompanying structures and support for producers are put in place from 1980 to 1993. Actions are drivenduring this period for the development of subsistence agriculture. In total, yam, plantain and cassava crops have generally benefited from these actions. In particular, the development of road infrastructure has enabled the flow of the production of the countryside towards the big centers of consumption that are the cities. However, these three cultures have been marginalized in the distribution of funds for agricultural development. This which did not allow a real advance of this sector. Key words: State, subsistence agriculture, yam, plantain, cassava, development agricul- tural. Référence de cet article : KAMAGATE Abdoulazidjou, L’état et l’agriculture vivrière en Cote d’Ivoire : le cas de l’igname, de la banane plantain et du manioc de 1980 à 1993. Rev iv hist 2018 ; 31 : 7-28.

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L’ÉTAT ET L’AGRICULTURE VIVRIÈRE EN COTE D’IVOIRE : LE CAS DE L’IGNAME, DE LA BANANE PLANTAIN ET DU

MANIOC DE 1980 A 1993

KAMAGATE Abdoulazidjou

RÉSUMÉEn 1980, face à la crise économique et financière qui frappait le pays, les autorités politiques

ivoiriennes décident de faire la promotion des productions vivrières locales, notamment l’igname, la banane plantain, et le manioc ; avec pour objectif la réduction des importations alimentaires et ainsi réaliser des économies de devises, dans le cadre du développement économique et social du pays. De nouvelles orientations agricoles sont prises et des structures d’accompa-gnement et de soutien aux producteurs sont mises en place de 1980 à 1993. Des actions sont menées durant toute cette période pour le développement de l’agriculture vivrière. Au total, les cultures d’igname, de banane plantain et de manioc ont de façon générale bénéficiées de ces actions. Le développement des infrastructures routières a notamment permis l’écoulement de la production de la campagne vers les grands centres de consommation que sont les villes. Cependant, ces trois cultures ont étés marginalisées dans la distribution des fonds destinés au développement agricole. Ce qui n’a pas permis une réelle avancée de ce secteur.

Mots clés : État, agriculture vivrière, igname, banane plantain, manioc, développement agricole.

ABSTRACTIn 1980, faced with the economic and financial crisis, the political authorities Ivorians decide

to promote local food production, including yam,plantain and cassava; with the aim of reducing food imports and thus achieve currency savings, in the context of economic and social develop-mentof the country. New agricultural orientations are taken and accompanying structures and support for producers are put in place from 1980 to 1993. Actions are drivenduring this period for the development of subsistence agriculture. In total, yam, plantain and cassava crops have generally benefited from these actions. In particular, the development of road infrastructure has enabled the flow of the production of the countryside towards the big centers of consumption that are the cities. However, these three cultures have been marginalized in the distribution of funds for agricultural development. This which did not allow a real advance of this sector.

Key words: State, subsistence agriculture, yam, plantain, cassava, development agricul-tural.

Référence de cet article : KAMAGATE Abdoulazidjou, L’état et l’agriculture vivrière en Cote d’Ivoire : le cas de l’igname, de la banane plantain et du manioc de 1980 à 1993. Rev iv hist 2018 ; 31 : 7-28.

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INTRODUCTION

L’agriculture vivrière désigne le travail de la terre par l’homme, avec pour finalité la production d’aliments destinés à la consommation. L’igname, la banane plantain et le manioc font partie de cette branche de l’agriculture ; et sont beaucoup cultivés par les populations ivoiriennes. Avec la colonisation, ces cultures sont développées par le colon pour nourrir les populations africaines qui travaillaient pour la mise en valeur de la colonie de Côte d’Ivoire. En 1960, avec l’accession à l’indépendance du pays, les nouvelles autorités politiques, avec en tête le Président Félix Houphouët-Boigny, décident de soutenir toute cette production, afin de nourrir les populations, celles des villes notamment ; et réduire ainsi les importations alimentaires. Cette politique visait en effet à réaliser des économies de devises, afin d’acquérir des biens d’équipement pour le développement du pays. Cependant, dans les faits l’igname, la banane plantain et le manioc ne bénéficiaient pas réellement des financements destinés à l’agriculture vivrière. L’État finançait plus la production de riz, afin de réduire les importations de cette denrée.

En 1980, avec la crise économique et financière qui frappait le pays, les autorités politiques décident relancer l’agriculture vivrière locale. De nouvelles mesures sont mises en œuvre pour accompagner les producteurs de vivres à produire davantage, afin de répondre aux besoins alimentaires de plus en plus croissants des populations urbaines. Avec la crise, les importations alimentaires revenaient, en effet de plus en plus chères à l’État (J. S. Niemba, 2000 : p.230). Il fallait donc réduire au maximum ces importations, pour que les fonds issus de l’exportation du cacao et du café, continuent à assurer le développement du pays. Cette volonté de redynamisation du secteur vivrier fut solennellement exprimée au cours du VIIe congrès du PDCI-RDA avec pour mot d’ordre ‘‘l’aide à la paysannerie et l’autosuffisance alimentaire″ (I. Ndabalishye, 1995 : p.29). La mise en place de l’Agence Nationale pour le Dévelop-pement Rural (ANADER) en 1993 marque une nouvelle phase dans la politique de développement agricole en Côte d’Ivoire. La création de cette structure symbolisait en effet une réduction de l’interventionnisme de l’État du secteur vivrier. Elle avait pour mission d’apporter un appui polyvalent à tous les agriculteurs sans toutefois exercer de monopole (J. S. Niemba, 2000 : p.158).

La question essentielle de notre analyse est la suivante : Quel a été l’apport de l’État dans le développement de l’agriculture vivrière en Côte d’Ivoire de 1980 à 1993, notamment les productions d’igname, de banane plantain et de manioc ? L’objectif de cette étude est donc de montrer les actions de l’État en faveur du développement de l’agriculture vivrière, et en particulier des cultures d’igname, de banane plantain et de manioc. Cela à travers une analyse de la période 1980-1993, période qui voit la mise en place de nouvelles orientations en faveur de la production vivrière. Son intérêt est de mettre en lumière le rôle joué par l’État dans le développement de l’agriculture vivrière locale, dans le cadre de la lutte pour l’autosuffisance alimentaire à travers la réduction des importations alimentaires. Pour mener à bien notre analyse, nous avons utilisé des sources imprimées des Ministères de l’Agriculture et du Développement Rural, du Plan et de l’Économie et des Finances. Nous avons également eu recours aux études d’organismes internationaux tels que la Communauté Économique Euro-

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péenne (CEE), la Caisse Centrale de Coopération Économique (CCCE) et le Fonds des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). Enfin, nous nous sommes également servis de travaux de chercheurs et des conclusions du VIIe congrès du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire, Rassemblement Démocratique Africain (PDCI-RDA). Les annuaires statistiques du Ministère de l’Agriculture comportaient souvent des lacunes, notamment au niveau des chiffres. Nous avons donc dû confronter ces différents chiffres avec ceux fournis par la CCCE et la FAO. Cette confrontation des chiffres et le recoupement des informations issues de ces différentes sources ont permis l’élaboration de ce travail.

Cette réflexion s’articule ainsi autour de trois grands axes à savoir : la présentation de la politique agricole vivrière de l’État en 1980 (I), les structures du développement agricole en Côte d’Ivoire de 1980 à 1993 (II) et enfin le bilan des actions de l’État en faveur de l’agriculture vivrière notamment de l’igname, de la banane plantain et du manioc en 1993 (III).

I- LA POLITIQUE AGRICOLE VIVRIÈRE DE L’ÉTAT EN 1980

En 1980 avec la crise économique et financière qui frappait le pays, l’État ivoirien décida d’accorder plus d’importance aux productions vivrières locales. L’igname, la banane plantain et le manioc figuraient en bonne place dans cette politique de relance de l’agriculture vivrière, ayant pour but de réduire considérablement les importations alimentaires ; et atteindre ainsi l’autosuffisance alimentaire.

I.1- Les actions de l’État en faveur de la production et de la commercialisation

Les importations alimentaires, avec la crise économique et financière qui frappait le pays à partir des années 1980, revenaient de plus en plus chères à l’État. La Côte d’Ivoire, en effet, dépensait environ 50 milliards de Francs CFA (FCFA) par an pour l’importation des vivres divers, notamment de riz blanc. 35 à 40 milliards de FCFA étaient en effet consacrés à l’achat de riz blanc (I. B. Sawé, p.3). Pour les autorités politiques du pays, il s’agissait de mettre fin à cette hémorragie financière. Il fallait que la «paysannerie» fournisse tous les produits nécessaires pour se nourrir et nourrir le reste de la population notamment celles des villes. Le Président Félix Houphouët-Boigny disait à cet effet :

«Nous devons chercher à nous suffire en denrées alimentaires. Nous le pou-vons. Mais il faut en premier lieu, la mobilisation de tous les militants, de tous les Ivoiriens, les préfets et sous-préfets, les secrétaires généraux, les députés, les conseillers économiques, les ministres et notre Président en tête, ne serait-ce que pour prêcher la bonne parole. […] Nous sommes engagés dans une lutte difficile pour l’indépendance économique de notre pays» (Fraternité Hebdo Éditions : 1982, p.65).

Le mot d’ordre de cette nouvelle politique, qualifiée de «croisade pour l’autosuf-fisance alimentaire», était «l’aide à la paysannerie». Elle était organisée autour de six grands axes.

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Le premier axe a consisté à la mise au point et à la vulgarisation d’un matériel végétal à haut rendement, adapté aux conditions de culture et aux habitudes alimen-taires des populations. Il fallait améliorer l’agriculture traditionnelle par l’utilisation d’un matériel végétal plus productif et l’exécution correcte de certaines techniques culturales, même manuelles. Ce sont, entre autres, la profondeur, la date, la densité de plantation et le sarclage. Il fallait également développer l’utilisation d’engrais et de pesticides pour une meilleure rentabilisation de l’ensemble des opérations de production.

Le second aspect de cette politique a porté sur la modernisation des techniques de production par l’amélioration de l’agriculture traditionnelle, l’introduction de la mécanisation et de la motorisation. Pour les autorités ivoiriennes, la phase finale de la modernisation de la production était la mécanisation-motorisation. Ce qui suppo-sait le défrichement mécanique, l’acquisition, l’utilisation du matériel et le respect de techniques culturales adaptées. L’État a également décidé de mettre au point des technologies de conservation et de transformation, car une des difficultés majeures de la production d’igname, de banane plantain et de manioc était la conservation de ces produits après leur récolte.

Ces trois premiers éléments de la politique vivrière qui constituaient ainsi un axe stratégique reposaient essentiellement sur la science et la technique. La recherche scientifique et l’encadrement technique avaient en effet, contribué à la réussite de l’agriculture spéculative avec le café, le cacao et l’hévéa. Cet ensemble devait donc désormais s’appliquer aussi aux productions vivrières. Cela, en y apportant les acquis de la recherche, notamment les techniques nouvelles hautement performantes, des variétés sélectionnées et des engrais. L’introduction de machines agricoles, notam-ment des tracteurs, devait permettre également d’accroître les superficies et les rendements. Les trois autres mesures de la nouvelle politique vivrière concernaient l’assistance aux producteurs notamment les femmes et les jeunes, et l’encadrement de la commercialisation des différents productions.

L’État décida en 1980 de la mise en œuvre d’une assistance particulière aux jeunes et aux femmes dans ce processus de modernisation. Une politique pour le retour à la terre est prônée au sein de la population jeune. La population rurale, en effet, diminuait fortement. Cela, du fait de l’exode rural et du développement des villes. Les campagnes se vidaient de bras valides au profit des villes. Le taux d’accroissement moyen annuel de la population urbaine oscillait entre 7% et 8% sur la période 1975-1990(A. Dubresson ; J.-L. Chaléard, 1989). Les masses de population concernées étaient considérables. Il fallait donc réduire cet exode et maintenir les jeunes à la terre. Les autorités ont donc exhorté cette jeunesse, en particulier ceux qui n’avaient pas pu franchir les différentes barrières du système éducatif, à s’intéresser au travail de la terre notamment au secteur du vivrier. Les objectifs poursuivis étaient d’une part, d’accroître la production de vivriers et, de réduire le chômage des jeunes d’autre part. Un appel fut lancé également en direction des femmes, qui de tout temps se sont occupées des cultures vivrières.

L’État a aussi décidé d’organiser l’encadrement de la production par le renforce-ment de l’action des structures de développement en direction du vivrier, notamment

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les sociétés d’État agricoles. Il a enfin mis en place une nouvelle organisation de la commercialisation, avec un accent particulier sur l’organisation et la redynamisation des coopératives agricoles vivrières. Il fut demandé aux producteurs de se regrouper en coopératives pour pouvoir bénéficier de la motorisation annoncée, le gouvernement a mené des actions d’exhortation dans ce sens. L’inorganisation de la commerciali-sation était un des principaux problèmes qui retardait le développement des cultures vivrières. La nouvelle orientation à ce niveau supposait l’ouverture et le maintien en bon état d’un réseau de pistes de collecte judicieusement reparties, la mise en place des moyens de stockage et de conservation, l’organisation du marché, la fixation d’un barème de prix de campagne. Cet ensemble de mesures devait permettre au monde rural d’intensifier la production des vivres, car il pourrait évacuer ses productions sur les grands centres urbains avec l’ouverture de pistes villageoises. Les moyens de stockage et de conservation permettraient de régulariser les cours et de réduire les pertes post-récolte afin d’encourager d’avantage les producteurs. Enfin, l’État a également décidé d’intensifier la recherche de technologies de transformation. Cela, afin d’offrir de nouveaux débouchés aux producteurs de vivriers. Ce qui permettrait de développer l’agro-industrie et de créer des emplois dans le pays. Toutes ces actions favoriseraient, ainsi, le développement du pays tout entier.

Pour expliquer toutes ces nouvelles mesures aux populations et les motiver à accroître la production vivrière, plusieurs tournées ont été organisées à travers le pays par le bureau politique du PDCI-RDA1. Des émissions de radio et de télé2 ont été diffusées pour soutenir l’action de sensibilisation du gouvernement dirigée par le ministère du développement rural. La Coupe Nationale du Progrès, qui récompensait les meilleurs producteurs de cultures de rente allait désormais prendre en compte toute la population agricole. Tous les producteurs du monde rural pourraient en bénéficier. Des campagnes de sensibilisation ont également été entreprises à l’endroit du grand public et notamment des populations urbaines en vue de consommer d’avantage les produits locaux (I. B. Sawe, p.15).

L’État a aussi décidé d’organiser un ensemble d’actions cohérentes, complémen-taires et propres à minorer les pertes à tous les stades, de la production à la consom-mation, et susceptibles de réduire les déficits éventuels. Ces actions portaient sur la production et la distribution. Pour l’igname et la banane plantain en particulier, qui sont des produits très saisonniers, l’État à travers la recherche agronomique a décidé de mettre au point des techniques de production en contre-saison, pour donner à l’agriculteur les moyens de programmer sa production suivant les besoins du marché. Cette situation lui garantirait au moins son revenu annuel habituel tout en lui évitant les manœuvres des spéculateurs et tous les tracas de la mévente due à une offre conjoncturelle pléthorique. La production de contre-saison allait également permettre de mettre à la disposition du consommateur, toute l’année, des quantités suffisantes de produits nationaux tels que l’igname et la banane plantain, et faire ainsi face aux pénuries. Ce qui réduirait voire même supprimerait les importations de riz en particulier.

1 Au total 32 missions du PDCI-RDA ont sillonné toute la Côte d’Ivoire. Ces délégations ont assuré les populations que le monde paysan, pour réaliser cet objectif d’autosuffisance alimentaire, pourra compter sur la sollicitude constante et l’aide du parti et du gouvernement.

2 Ce sont entre autres : La Côte d’Ivoire en marche, Télé pour tous…

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Cela permettrait au pays de dégager des excédents au niveau du budget. Ainsi, un projet de production de banane plantain de contre-saison portant sur un objectif de 400.000 tonnes de banane entre Avril et Septembre, a été élaboré et mis en place par la Société de Développement des Fruits et Légumes(SODEFEL) sur la période 1985-1990. Ce projet a été financé par la Banque Africaine de Développement(BAD) (République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’Agriculture et des Eaux et Forêts, Mai 1990 : p.59). Toujours au niveau de la production, l’État a orienté son action vers l’amé-lioration de l’agriculture vivrière traditionnelle pour en augmenter les performances. Cela à travers la mise en place de matériel végétal sélectionné et adapté que sont les boutures et les rejets3 ; et aussi de méthodes techniques simples : préparation du sol, calendriers et techniques de mise en place, entretien, récolte, conditionnement. Une application sérieuse de ces méthodes devait avoir un impact sur la production. L’État a donc décidé de promouvoir une agriculture moderne.

Une politique a été mise en place pour assainir le foncier rural afin que le paysan fasse tous les investissements nécessaires au développement de sa plantation sans risque d’être exproprié ; aussi la gratuité des défrichements était prévue. Pour résoudre la question de l’investissement agricole, l’État a opté pour la poursuite de la politique de bonification d’intérêts et de garantie des prêts en matière de crédit agricole. Enfin les autorités ont décidé de rajeunir la population agricole à travers l’installation de jeunes agriculteurs modernes.

Pour lutter à la fois contre les effets de la surproduction et ceux de la pénurie, des actions ont été organisées au niveau de la distribution. Comme évoqué au niveau des difficultés, il existait des périodes de l’année où certaines zones du pays regorgeaient de produits vivriers qui finissaient par se détériorer faute de preneurs tandis qu’au même moment d’autres zones connaissaient une certaine raréfaction de ces mêmes denrées. Cette situation était due au manque d’information et à l’insuffisance des infrastructures routières et des moyens de collecte. Pour pallier cette difficulté, les autorités ont lancé un vaste programme d’ouverture et d’entretien des pistes rurales. En 1980, l’État ivoirien a ainsi créé plus de 3000 km de routes revêtus et plus de 40.000 km de routes en terres ont été réalisées (République de Côte d’Ivoire, Ministère du Plan, 1983, Tome 1 : p.20). De 1984 à 1992, 19.720 km de pistes ont été élaborées. On est donc passé de 34.462 km de pistes en 1984 à 54.182 km de pistes en 1992 (J.-L Chaléard, 1996 : p.457). Une nouvelle dynamique a été impulsée au niveau des coopératives agricoles afin qu’elles prennent en charge toutes les opérations de collecte, de groupage et d’évacuation des récoltes dans les régions où les circuits traditionnels étaient défaillants. Elles ont également décidé de créer ou de faciliter la création d’infrastructures de stockage dans les grands centres de consommation afin de mettre les denrées à l’abri des intempéries et de réduire ainsi leur rapidité de dégradation. Avec la mise en place de ses antennes dans les différentes régions du pays, l’OCPV a contribué au développement des filières vivrières par l’assistance et les conseils aux producteurs. Des magasins de stockage, et des marchés de gros ont ainsi été mis en place dans ces différents grands centres régionaux à savoir Abidjan, Bouaké, Korhogo, Bouna etc. Enfin, toujours au niveau de la distribution, l’État a décidé la mise en place d’un système d’information rapide et quotidien sur

3 Cette mesure était une réponse aux difficultés climatiques.

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le comportement des différents marchés. Ce qui allait permettre aux opérateurs des trois filières et aux services publics d’intervenir au moment opportun pour corriger les éventuelles distorsions.

L’État a également pris conscience du fait que le manque de moyens de conser-vation en frais et de transformation était en grande partie à l’origine des énormes fluctuations saisonnières d’igname, de banane plantain et de manioc. Il a donc décidé la mise au point de méthodes techniquement et économiquement vulgarisables afin de régulariser l’approvisionnement des marchés et d’ouvrir de nouveaux débouchés pour accélérer le développement du secteur. Les structures de recherche ont été chargées de mettre au point ces méthodes. Les travaux étaient très avancés pour le manioc. Pour répondre aux difficultés des paysans l’État ivoirien a au total mis en place en 1980 un ensemble de mesures au niveau de la production et de la distribu-tion. Ces mesures qui vont de la production de contre-saison à l’entretien de pistes rurales et à la mise en place d’infrastructures de conservation et de transformation devaient contribuer à la modernisation de l’agriculture vivrière et notamment des pro-ductions d’igname, de banane plantain et de manioc pour le bonheur des paysans. La politique vivrière menée à partir de 1980 devait également éviter au pays trop de dépenses pour l’achat de denrées alimentaires à l’extérieur. Tout était mis en œuvre pour valoriser les cultures vivrières afin de réduire les importations alimentaires et parvenir à l’autosuffisance et à la sécurité alimentaire. Quel était cependant, l’état des productions d’igname, de banane plantain et de manioc en 1980 ?

I.2- La production d’igname, de banane plantain et de manioc en 1980

L’igname, la banane plantain et le manioc sont des produits vivriers qui se cultivent dans pratiquement toutes les régions de Côte d’Ivoire. Il existe néanmoins des bassins de production pour chaque culture. La banane plantain et le manioc sont cependant quasi absents dans la zone Nord du pays du fait du climat. L’igname est la nourriture de base la plus répandue en Côte d’Ivoire, cultivée dans toutes les régions du pays, avec toutefois une nette prédominance dans le centre, le Nord, l’Est et Centre-Ouest. Les grandes zones de production sont les régions de Dabakala-Kong, de Tieningboué, de Korhogo-Dikodougou, de Bondoukou-Bouna spécialisées dans la production de variétés dites précoces et enfin la zone de Zoukougbeu-Daloa-Oumé (S. Doumbia, 1990 : p.7). La production totale d’igname se chiffrait en 1980 à 2.128.000 tonnes pour 282.000 hectares de culture. Plusieurs régions ont contribué à cette production comme le montre le tableau n°1 :

Tableau n°1 : Production de tubercules d’igname en Côte d’Ivoire en 1980 (en tonnes)

Départements Superficie récoltable (HA) Rendement (QX/HA) Productions (Tonnes)Abengourou 7.500 64 48.000

Abidjan 9.450 74 68.000

Aboisso 1.350 61 8.200

Adzopé 2.950 61 18.000

Agboville 3.900 75 29.100

Biankouma 700 85 5.900

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Bondoukou 38.500 63 242.000

Bouaflé 13.900 94 130.000

Bouaké 54.400 84 457.000

Bouna 9.500 54 51.200

Boundiali 5.700 60 34.200

Daloa 19.200 85 163.000

Dabakala 7.900 69 54.500

Danané 100 50 500

Dimbokro 33.500 89 298.000

Divo 6.300 81 1.000

Ferkéssédougou 2.500 71 7.700

Gagnoa 6.000 78 46.500

Guiglo 50 60 300

Katiola 9.900 71 70.300

Korhogo 21.200 66 140.000

Man 1.250 42 5.200

Odiénné 6.900 65 44.700

Sassandra 5.700 52 29.500

Séguéla 12.500 84 105.000

Touba 1.150 89 10.200

Ensemble 282.000 75,4 2.128.000

Source : République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’agriculture et des ressources animales, Annuaire des statistiques agricoles, 1980, p.56.

En 1980, la région Centre concentrait les plus grandes productions, avec notam-ment 457.000 tonnes pour la zone de Bouaké, 242.000 tonnes pour la zone de Bondoukou et 298.000 tonnes pour la zone de Dimbokro. La région de Bouaflé avait cependant le plus haut rendement, soit 94 tonnes par hectare(t/ha). Ce qui soulignait une très bonne organisation de la production dans cette zone. Au total, la culture de l’igname était très développée dans le pays en 1980.

La culture de la banane plantain quant à elle se pratiquait essentiellement dans la zone forestière du pays, car exigeant un sol à forte capacité de rétention en eau. Plante de couverture des jeunes plants de cacaoyers et de caféiers, le bananier plantain était une plante associée à tous les fronts pionniers de cacao et de café, participant ainsi au développement de ces deux principales cultures d’exportation. La banane plantain était cultivée sur des terres de défriches et bénéficiait pour son entretien des travaux réalisés pour le compte des cultures qui lui étaient associées. Ce qui a contribué à son développement. En 1980, on dénotait trois principales zones de production de banane plantain en Côte d’Ivoire, à savoir le Centre-Ouest, l’ancienne boucle du cacao c’est-à-dire la zone Est et la région de Béoumi-Prikro (S. Doumbia, 1990 : p.8). La production totale se chiffrait à 1.223.000 tonnes avec une moyenne de 475 pieds/ha sur une superficie de 1.133.000 hectares. Le tableau n°2 présente cette production.

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Tableau n°2 : Production de régimes de banane plantain en Côte d’Ivoire en 1980 (en tonnes)

Départements Pieds/Ha Superficie récoltable (HA) Rendement (QX/HA) Productions (tonnes)

Abengourou 700 75.500 16,1 121.500

Abidjan 500 87.000 14,6 127.000

Aboisso 500 37.500 14,2 53.200

Adzopé 900 30.000 23,1 69.200

Agboville 800 25.500 20,2 51.500

Biankouma 400 22.000 11,0 24.200

Bondoukou 300 43.000 5,4 23.200

Bouaflé 400 84.000 10,7 89.700

Bouaké 280 45.500 8,6 39.000

Bouna - - - -

Boundiali - - - -

Daloa 200 234.000 4,6 107.000

Dabakala - - - -

Danané 300 46.500 9,1 42.300

Dimbokro 500 85.000 11,1 94.000

Divo 600 109.000 15,1 164.500

Ferkéssédougou - - - -

Gagnoa 300 76.000 8,3 63.000

Guiglo 700 24.000 21,6 51.800

Katiola - - - -

Korhogo - - - -

Man 300 57.500 8.6 49.400

Odiénné - - - -

Sassandra 400 51.000 10,3 52.500

Séguéla - - - -

Touba - - - -

Ensemble 475 1.133.000 10,7 1.223.000

Source : République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’agriculture et des ressources animales, Annuaire des statiques agricoles 1980, p.59.

La région de Divo était la première zone au niveau de la production avec 164.500 tonnes de régimes de banane plantain. Les régions d’Adzopé, de Guiglo et d’Agbo-ville étaient cependant les premières zones en termes de rendement avec 23,1 t/ha, 21,6 t/ha et 20,2 t/ha. Ce qui traduit une intensification de la production au niveau de ces régions. La culture de la banane plantain était quasi-inexistante dans les zones du Nord telles que Korhogo, Katiola, Boundiali et Bouna. Comment se présente la culture du manioc en 1980 ?

Le manioc en 1980 se cultivait un peu partout en Côte d’Ivoire sauf dans quelques régions du Nord notamment celle de Boundiali, du fait du climat. C’était en effet une

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culture très développée dans la zone forestière mais très peu en zone de savane. Les principales zones de culture étaient le Sud, l’Ouest et le Centre-Nord du pays. La production totale recensée était de 1.153.000 tonnes pour 219.000 hectares, avec une moyenne de 3.828 pieds/ha, soit un rendement moyen de 52,6 t/ha. Le tableau n°3 donne plus de détails sur cette production.

Tableau n° 3 : Production de tubercules de manioc en 1980 (en tonnes)

Départements Pieds/Ha Superficie récoltable(HA) Rendement (QX/HA) Productions (Tonnes)

Abengourou 3.800 1.250 81 10.100

Abidjan 7.100 18.000 117 210.300

Aboisso 5.100 9000 89 80.000

Adzope 5.000 6.600 95 62.500

Agboville 5.100 3.900 96 37.400

Biankouma 900 5.300 20 10.500

Bondoukou 1.500 19.000 28 53.000

Bouafle 3.600 12.000 62 74.400

Bouake 2.200 27.500 41 112.000

Bouna 2.800 1.600 45 7.200

Boundiali - - - -

Daloa 2.200 10.300 44 45300

Dabakala 5.100 250 55 1.400

Danane 1.100 25.800 34 87.500

Dimbokro 3.600 15.300 66 100.000

Divo 3.100 4.700 59 27.500

Ferkessedougou 4.200 400 40 1.600

Gagnoa 3.600 4.400 76 33.400

Guiglo 1.200 9.500 30 28.500

Katiola 5.100 400 55 2.200

Korhogo 1.800 250 23 600

Man 800 27.300 27 73.500

Odienne 10.200 1.000 40 4.000

Sassandra 3.400 10.500 50 52.500

Seguela 6.600 3.100 90 27.900

Touba 6.600 1.650 59 9.700

Ensemble 3.828 19.000 52,6 1.153.000

Source : République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’agriculture et des ressources animales, Annuaire des statiques agricoles 1980, p.54.

On constate effectivement que le manioc se cultivait presque partout en Côte d’Ivoire. La région d’Abidjan était la plus grande zone de production avec 210.300 tonnes en 1980. Les rendements étaient assez élevés partout dans le pays sauf dans les zones de Biankouma et de Korhogo avec 20 t/ha et 23 t/ha, pour des productions respectives de 10.500 tonnes et de 600 tonnes. Seule la région de Boundiali n’avait pas de production enregistrée. Au total, comment se présentaient les cultures d’igname, de banane plantain et de manioc dans le pays en 1980 ?

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Référence de cet article : KAMAGATE Abdoulazidjou, L’état et l’agriculture vivrière en Cote d’Ivoire : le cas de l’igname, de la banane plantain et du manioc de 1980 à 1993 17

L’igname, la banane plantain et le manioc représentaient déjà en 1980 des cultures importantes au niveau du système de production vivrière. Elles contribuaient à l’auto-suffisance alimentaire des populations ivoiriennes, surtout celles du monde rural. Toutes les régions du pays cultivaient ces trois produits avec cependant de grandes zones productrices pour chaque culture. La production occupait de grands espaces. Les quantités produites montraient toute l’importance qu’occupaient ces productions au niveau des populations, surtout les populations rurales. Car toute cette production assurait plus l’alimentation des populations rurales. En 1980, face aux difficultés financières et économiques du pays, les pouvoirs publics ont décidé de mettre en place une nouvelle politique vivrière. Ceci, pour aider le monde paysan à intensifier la production, afin de répondre aux besoins alimentaires croissants des villes. Plusieurs structures ont donc été mises en place pour piloter la politique vivrière de l’État.

II- LES STRUCTURES DU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE EN CÔTE D’IVOIRE (1980-1993)

Pour assurer le développement des productions d’igname, de banane plantain et de manioc, l’État ivoirien a mis en place un certain nombre d’organismes notamment le Secrétariat d’État à l’Agriculture (SEA), le Ministère du Développement Rural (MDR), l’Office d’aide à la Commercialisation des Produits Vivriers (OCPV), la Compagnie Ivoirienne des Cultures Vivrières (CIDV) et l’Agence Nationale d’Appui au Dévelop-pement Rural (ANADER).

II.1- Du Secrétariat d’État à l’Agriculture à la mise en place du Ministère du Développement Rural (1981-1984)

En 1981, est créé le SEA, chargé aux côtés du Ministère de l’Agriculture de conduire la bataille pour les cultures vivrières4. Il devait coordonner les actions en faveur du développement du secteur vivrier. Ce secrétaire d’État a en effet mené le combat pour l’autosuffisance alimentaire. Les autorités voulaient en effet, s’affranchir des importations alimentaires et notamment celles de riz. Pour cela, des produits tels que l’igname, la banane plantain et le manioc dont le pays avait une parfaite maitrise de la production devaient être soutenus, pour ainsi permettre aux producteurs locaux de développer leur production.

L’État avait donc décidé de soutenir la production et la commercialisation de ces produits. Ce secrétariat d’État a piloté le programme de développement des cultures vivrières de 1981 à 1984, année de la création du MDR5. C’est ce ministère qui avait désormais en charge la conduite de la politique décidée en 1980 en faveur des productions alimentaires. Le MDR à travers sa direction des cultures vivrières, fut chargé de coordonner l’ensemble des activités des organismes publics, chargés de l’exécution des programmes et projets de développement des productions vivrières, dans le cadre des plans de développement des productions vivrières et de redyna-misation des économies rurales.

4 Ce secrétariat d’État était occupé par M. Gilles LAUBHOUET.5 Par le décret n°84-126 du 7 mars 1984, le SEA avait en effet changé de dénomination et était devenu

le MDR

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Ce ministère a assuré cet exercice jusqu’en 1988, où il fut remplacé par une société d’encadrement à savoir la CIDV. La production et la transformation de manioc était encadrée par la Société de Développement du Palmier à huile (SODEPALM) dans la région de Toumodi depuis 1977. En outre plusieurs projets intégrés étaient prévus dans le cadre de la promotion des cultures vivrières notamment le projet soja auquel fut associé l’igname. Mais il convient aussi de rappeler que toute cette politique a été menée dans une période difficile économiquement et financièrement pour le pays. Les cultures vivrières, comme l’ensemble de l’économie ivoirienne souffraient en effet de la crise des finances publiques et de la réduction des dépenses de l’État, qui se traduisaient par un effondrement des investissements6. L’État avait en clair, la volonté de soutenir le secteur vivrier même si les moyens financiers faisaient souvent défaut. Ces différents ministères ont travaillé avec des sociétés d’État agricoles dans l’exercice de leurs missions.

II.2- De la création de l’OCPV à la mise en place de l’ANADER (1984-1993)

L’OCPV, structure étatique chargée d’aider les paysans et les commerçants du vivrier fut mis en place en 1984 (Décret n°84-934 du 27 juillet 1984.). La volonté de l’État en créant cet organisme était de rester présent dans le négoce des vivres, sans pour autant être un acteur direct (J.-L.Chaléard, 1996 : p.108). L’OCPV devait ainsi soutenir les commerçants de vivres à travers plusieurs antennes installées dans le pays7. L’office a participé à l’étude de la mise en place de marchés de gros, dans tout le pays, notamment à Méadji pour la banane plantain. Cette structure, créée dans la même année que le Ministère de Développement Rural était un outil dont le ministre devait se servir pour réguler la commercialisation des produits vivriers. Elle a eu pour mission de fournir une aide pour l’amélioration de la commercialisation des produits vivriers en Côte d’Ivoire ; la distribution effective de ces produits restant réservée à l’initiative privée. Dans le cadre de cette mission, l’OCPV fut chargé de quatre princi-pales tâches. L’office fut d’abord chargé d’étudier les problèmes relatifs à la collecte et à la distribution des produits vivriers, en vue de proposer des actions concrètes tendant à assurer une meilleure commercialisation de ces produits. Il devait aussi contribuer à l’organisation des marchés des produits vivriers (gros et détail) pour une meilleure performance des mécanismes et infrastructures de ces marchés. L’OCPV devait aussi participer à la définition et à l’application de toute politique visant à améliorer l’approvisionnement et la distribution des produits vivriers en Côte d’Ivoire. Cette structure devait enfin, apporter son assistance aux commerçants de produits et d’une manière générale favoriser l’expression du commerce des produits vivriers en Côte d’Ivoire.

L’OCPV a eu pour mission en somme, d’assurer la promotion de l’agriculture vivrière et de faciliter les transactions entre les différents agents privés par le recueil et la gestion d’informations sur les échanges notamment les flux, les quantités, les 6 Le montant des sommes affectées aux cultures vivrières dans le budget spécial d’investissement et

d’équipement (BSIE) en 1985 était inférieur à celui des années 1968-1970. Voir Jean-Louis CHALÉARD, Temps des villes, temps des vivres. L’essor du vivrier marchand en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 1996, p.108.

7 Ce sont : Abengourou, Bondoukou, Bouaké, Daloa, Korhogo, Man, Odienné, San-Pédro, Yamoussoukro, Abidjan, Soubré, Bouna.

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Référence de cet article : KAMAGATE Abdoulazidjou, L’état et l’agriculture vivrière en Cote d’Ivoire : le cas de l’igname, de la banane plantain et du manioc de 1980 à 1993 19

prix… Il s’est donc agi pour cette structure de fournir des informations sur les disponi-bilités vivrières dans le pays. En 1988, le Ministère du Développement Rural n’existe plus. Il est remplacé par la CIDV (Décret n°88-229 du 2 mars 1988) ; avec pour objet l’élaboration et l’application de toutes les mesures tendant à assurer l’exécution du plan de développement des cultures vivrières. Au niveau de la production, il fallait encadrer les agriculteurs et leur distribuer des facteurs de production (semences, engrais, pesticides…). La structure devait ensuite organiser la collecte des produits et le suivi de leur commercialisation en liaison avec les services compétents du ministère du commerce. Elle a enfin eu pour tâche l’organisation, l’exécution et le suivi de la transformation industrielle de ces produits. En 1992, la CIDV cesse ses activités et en 1993 une nouvelle politique est adoptée avec la création de l’ANADER. Cette nouvelle structure était chargée d’apporter un appui polyvalent à tous les agriculteurs sans toutefois exercer de monopole. L’ANADER fut en effet chargée de concevoir et mettre en œuvre des systèmes performants de formation et d’encadrement des producteurs et d’en assurer l’adaptation continue en fonction de l’évolution des bénéficiaires et de leurs activités (Ministère de l’agriculture et des ressources animales, 1998 : p.46).

Les principaux objectifs poursuivis par toutes ces structures étaient de parvenir à la sécurité voire l’autosuffisance alimentaire, et à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales notamment par la redynamisation des économies agricoles. Il s’est donc agi de mettre en pratique les décisions gouvernementales dans le cadre de cette lutte. La diffusion de l’information par l’OCPV devait favoriser une transparence des transactions, éviter les monopoles, améliorer la compétitivité du secteur en vue de la création de plates-formes de collecte et de vente. Le MDR a eu pour principal objectif la réalisation du plan de développement des cultures vivrières mis en place en 1982, dans la continuité des décisions de 1980 (J.-L.Chaléard, 1996 : p.106). La CIDV quant à elle avait quatre principaux objectifs. D’abord, elle a visé l’amélioration de la productivité des exploitations de vivriers par la formation des exploitants, la stabilisation des exploitations et la modernisation des systèmes de production. Elle avait ensuite pour but de soutenir la diversification de la production pour réduire la pression sur le riz notamment par la réduction des importations ; de favoriser la relève paysanne et la responsabilisation des paysans au travers de programmes d’installation de jeunes. Elle a encouragé enfin l’initiative privée pour la création ou l’amélioration d’exploitation afin d’accroître la production alimentaire. Toutes ces mesures étaient des réponses aux difficultés des producteurs de vivriers et d’igname, de banane plantain et de manioc en particulier. C’était des mesures de soutien de la politique vivrière adoptée en 1980. L’ANADER enfin, a encadré les producteurs agricoles pour une contribution conséquente au développement rural. Au total, l’État a mis en place de 1980 à 1993, plusieurs structures dans le cadre du développement de l’agriculture vivrière. Cependant, quelles ont été les conséquences de toute cette politique sur la production vivrière et notamment sur la production d’igname, de banane plantain et de manioc en 1993 ?

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III- LE BILAN DES ACTIONS DE L’ÉTAT EN 1993

Dans cette dernière partie de l’étude, nous faisons un bilan des actions de soutien à la production vivrière et notamment à la production d’igname, de banane plantain et de manioc de 1980 à 1993. Nous avons ainsi mis en lumière les effets positifs de ces actions sur les trois productions mais aussi les insuffisances de la politique vivrière menée pendant cette période.

III.1- Les succès enregistrés

La politique menée de 1980 à 1993 en faveur du vivrier a eu pour principal succès le développement du réseau routier. D’autres réussites sont également à souligner. La plus grande réussite des actions menées par les autorités politiques en faveur des cultures vivrières et notamment de l’igname, de la banane plantain et du manioc de 1980 à 1993 a été la route. Le réseau routier ivoirien a été un élément primordial dans l’épanouissement de l’agriculture vivrière. L’outil le plus efficace en effet du développement des cultures est représenté par la construction du réseau routier ; certainement le meilleur d’Afrique occidentale (J.-L.Chaléard, 1996 : p.612). Ce réseau constitué de routes revêtues et de routes en terre couvrait pratiquement tout le territoire national en 1993. C’était grâce à la route que les paysans ivoiriens du vivrier ont pu disposer de débouchés rémunérateurs c’est-à-dire des marchés, qui ont stimulés et justifiés leurs efforts de production. Ce fut également grâce à la route qu’ils ont pu vendre leurs surplus agricoles, en vue de dégager des gains financiers. Ce réseau routier n’était certes pas exempt de reproches, mais en dépit des lacunes constatées, il était de tout premier ordre à l’échelle de l’Afrique de l’ouest. Cela a été un atout considérable pour le développement de l’agriculture vivrière marchande. C’est un réseau dont les grands axes sont dirigés vers les grands centres urbains tels que Abidjan, Yamoussoukro, Bondoukou, Daloa, Man, Odienné, Bouaké…Ces grands axes étaient reliés à des axes secondaires qui permettaient de faire sortir les productions des campagnes. Il concentrait donc l’essentiel du trafic des denrées alimentaires. Le pays disposait en 1984 de 3.462 km de routes revêtues, de 9.800 km de routes non revêtues et de 34.462 km de pistes. Ces chiffres sont respectivement passés à 5.147 km, 8.569 km et à 54.182 km en 1992.

On constate une régression au niveau des routes non revêtues. Cela est dû à l’augmentation du nombre de km de routes revêtues. Entre 1984 et 1992, 1.231 km de routes non revêtues ont été revêtues. Ce qui a été très bénéfique au secteur vivrier. Pendant ces huit années, l’État ivoirien a créé 19.720 km de pistes. Toutes ces réalisations ont contribuées au succès de l’agriculture vivrière ivoirienne. Le tableau n°4 fait le point de ces différentes réalisations entre 1984 et 1992.

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Référence de cet article : KAMAGATE Abdoulazidjou, L’état et l’agriculture vivrière en Cote d’Ivoire : le cas de l’igname, de la banane plantain et du manioc de 1980 à 1993 21

Tableau N°4 : Évolution du réseau routier ivoirien de 1984 A 1992 (en km)

CATÉGORIES 1984 1992AUTOROUTES 143 143ROUTES REVÊTUES 3462 5147ROUTES NON REVÊTUES 9800 8569PISTES 34462 54182TOTAL 47867 68041

Source : Jean-Louis CHALÉARD, Temps des villes, temps des vivres. L’essor du vivrier marchand en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 1996, p.457.

D’autres éléments de réussite sont également à relever. La commercialisation des produits vivriers en général, et de la banane plantain en particulier a bénéficié des actions de l’OCPV. Cette structure a en effet mis en place une unité de collecte de ce produit à Méadji (I. Ndabalishye, 1995 : p.293). Cette infrastructure a contribué à une meilleure organisation des flux et de la distribution urbaine. Ce qui a eu pour effet la réduction des charges de commercialisation. Cela a certainement participé à un équilibre entre le prix d’achat aux producteurs, les marges commerciales et les prix aux consommateurs. Cette action de l’OCPV a en clair contribué au relèvement des prix d’achat aux producteurs, car l’un des gros problèmes du vivrier et qui faisait que les prix-producteurs étaient extrêmement bas comparés aux prix-consommateurs est la collecte de la production. Aussi des projets ont-ils été menés au titre de la réduc-tion des pertes après récolte, de la production de contre-saison de banane plantain, du bouturage des produits et de la transformation industrielle. Au niveau des pertes après récolte, un projet-pilote de réduction des pertes post-récolte de l’igname et de la banane plantain a été mis en œuvre avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), et du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à partir de 1988 (République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’Agriculture et des Eaux et Forêts, Mai 1990 : p.59). Ce programme a permis de limiter un temps soit peu ces pertes sur les deux denrées. Un projet de production de banane plantain de contre saison portant sur un objectif de 400.000 tonnes de banane entre Avril et Septembre a été élaboré par la SODEFEL en vue de faire face à la pénurie qui s’observait au cours de cette période de 6 mois. Il a été financé par la Banque Africaine de Développement (BAD). Ce projet a permis de réguler par-tiellement la demande de banane plantain. L’État a également mis en place quatre centres de bouturage de manioc et d’igname notamment à travers la CIDV (République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’Agriculture et des Eaux et Forêts, Mai 1990 : p.59). L’objectif a été de diffuser du matériel végétal performant aux agriculteurs. Cela afin d’accroître les rendements de ces cultures.

Au niveau industriel, des résultats importants ont été obtenus par la recherche technologique. La valorisation de ces résultats ont permis le développement des prin-cipaux féculents. Ainsi pour le manioc, l’Institut Ivoirien de Technologie tropicale(I2T) avait mis au point des procédés concernant l’attiéké industriel et le gari, la farine pani-fiable et l’amidon. Pour l’igname, le groupe NESTLÉ a mis au point le «Bonfoutou»

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ou le «foutou industriel» (République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’Agriculture et des Eaux et Forêts, Mai 1990 : p.59). La mise au point de ce produit a contribué à la réduction des pertes après récoltes. Toutes ces actions ont permis l’accroissement de la productivité et l’amélioration des revenus-paysans. L’ensemble des projets et programmes entrepris par les pouvoirs publics en faveur du secteur vivrier a permis au total d’enregistrer des acquis notables. Les quantités produites d’igname, de banane plantain et de manioc ont grimpé de 1980 à 1993. Les différents producteurs ont pu ainsi dégager des surplus importants qui ont permis de couvrir la demande nationale. Ces actions ont également contribuées au dynamisme de la commercialisation des produits vivriers. Ce qui a permis aux producteurs de répondre aux besoins sans cesse croissants des villes en produits vivriers. Tous ces succès ne sauraient cependant, faire ignorer les insuffisances de la politique vivrière menée durant cette période.

III.2- Les insuffisances de l’action Étatique

Les produits agricoles vivriers en général et l’igname, la banane plantain et le manioc ont dans l’ensemble toujours été relégués au second plan et n’ont jamais bénéficiés d’initiatives spécifiques poussant au développement de ce secteur.

En réponse aux problèmes vivriers, l’État a mis en place des structures sans s’assurer que les objectifs assignés étaient effectivement atteints, et que les actions avaient eu un impact durable sur le terrain. L’OCPV par exemple ne fournissait l’infor-mation qu’à la demande des acteurs du secteur. Cette information en plus, ne faisait pas l’objet d’une large diffusion si bien, qu’elle n’était connue que par les institutions et non par les commerçants et les producteurs, qui utilisaient d’autres voies pour s’informer (République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’agriculture et des ressources animales, 1998 : p.38). La stratégie alimentaire qui été adoptée par le pays au cours de cette période n’a pas été en rapport avec l’autosuffisance alimentaire prônée. Cette dernière impliquait en effet que soit mis en œuvre tous les moyens nécessaires à la production des aliments couvrants nos besoins. L’État en réalité ne s’est intéressé qu’à la production de riz. Les féculents ont été laissés aux bons soins de la dynamique productive paysanne (J. S. Niemba, 2000 : p.133). Les cultures vivrières traditionnelles n’ont pas fait l’objet d’une intervention massive des pouvoirs publics. L’État a mis en place un plan manioc, un plan igname, mais en réalité, aucun d’eux n’a fait vraiment l’objet d’une vulgarisation nationale pour provoquer un effet d’entrainement. L’igname, la banane plantain et le manioc ont été marginalisés par la politique gouvernementale d’autosuffisance alimentaire, qui n’est restée qu’un simple objectif politique sans pro-gramme opérationnel concernant ces trois produits. Les changements institutionnels aussi bien au niveau des structures d’encadrement que des tutelles ministérielles, n’ont pas permis une continuité des stratégies et des actions au niveau des vivriers et une valorisation des acquis de la recherche ;les nouvelles institutions tenant peu compte des acquis et des faiblesses des anciennes. Ce manque de cohérence et d’harmonisation de la politique étatique n’a pas permis une véritable promotion des cultures vivrières.

En termes de financement, l’agriculture vivrière n’a que très peu bénéficié des ressources financières destinées au développement agricole. La majeure partie de ces ressources était en effet affectée au développement de l’agriculture d’exportation

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Référence de cet article : KAMAGATE Abdoulazidjou, L’état et l’agriculture vivrière en Cote d’Ivoire : le cas de l’igname, de la banane plantain et du manioc de 1980 à 1993 23

constituée du café et du cacao en général. Les autorités ivoiriennes misaient plutôt sur une augmentation des cours du café et du cacao. Une bonne récolte aurait alors permis de dégager des gains financiers énormes et cela aurait couvert les importations de denrées alimentaires. Selon Jacob Souga Niemba en effet, 60% des ressources financières destinées au développement agricole allées aux productions de rente. L’agriculture vivrière n’a bénéficié que d’environ 7% en moyenne du total de ces fonds. Une bonne partie de ces 7% était en plus affectée aux dépenses administratives des organismes d’encadrement, voire des départements ministériels de tutelle (J. S. Niemba, 2000 : p.322). L’auteur rappelle également que l’État a encouragé au même moment les importations alimentaires, au détriment bien sûr des vivriers locaux. Ce qui a constitué une véritable contradiction au niveau de la politique vivrière, car celle-ci voulait développer le vivrier traditionnel. Le tableau n°5 nous donne quelques chiffres sur la répartition des fonds destinés à l’agriculture de 1980 à 1984.

Tableau n°5 : Répartition des fonds agricoles entre cultures vivrières et cultures d’exportation (en %)

Années 1980-1981 1981-1982 1982-1983 1983-1984Cultures d’exportation 97,3 95,9 96 ,4 94,5Cultures vivrières 2,8 4,1 3,6 4,5

Source : René KOUASSI, «La répartition des moyens d’incitation à la production entre cultures d’exportation et des cultures vivrières en Côte d’Ivoire», in Afrique et développement, vol. XVIII n°1, 1993, p.72.

Le financement agricole n’a pas favorisé les cultures vivrières. La majorité des fonds étaient destinés à l’agriculture d’exportation. En 1980 par exemple, malgré le fait que c’est l’année du début de la nouvelle politique vivrière, environ 97% du financement agricole ont été alloués à l’agriculture d’exportation ; seulement 3% environ à l’agriculture vivrière. En 1984, 37% des 4,5% destinés aux cultures vivrières étaient consacrés à la culture de riz. Tous ces éléments montrent bien que l’État ne s’est jamais tout à fait intéressé au développement du secteur vivrier traditionnel. Les finances qui sont une des clés du développement ont fait défaut à l’agriculture vivrière. Le Budget Spécial d’Investissement et d’Equipement (BSIE) destiné aux cultures d’igname, de banane plantain et de manioc n’a en réalité couvert que les besoins du manioc : et cela entre 1980 et 1986. Il a même été supprimé en 1986 (J. S. Niemba, 2000 : p.230). Ce montant qui était de 410 millions en 1980 est passé à 159 millions en 1986 comme le montre le tableau n°6.

Tableau n°6 : Évolution du financement destiné à la culture du manioc de 1980 à 1986 (en millions de FCFA)

Années 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986Financement 410 474 231 190 180 176 159

Source : Tableau établi à partir des chiffres extraits de : Jacob Souga NIEMBA, Politique agricole vivrière en Afrique. Base du miracle économique en Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2000, p.182.

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De 1980 à 1981, on constate une augmentation des fonds qui passent de 410 millions à 474 millions. En 1982 cependant, le financement est pratiquement réduit de moitié et jusqu’en 1986 on assiste à une baisse constante. Selon cet auteur, l’igname et la banane plantain n’ont pas bénéficié de financements directs. L’allocation des crédits au niveau des productions agricoles était au total très inéquitable au détriment du secteur vivrier. L’État n’a donc pas dégagé de moyens financiers conséquents pour développer les cultures d’igname, de banane plantain et de manioc. Il a même contribué au délaissement des produits de cette agriculture. Abibatou Diop-Boaré mentionne en effet que la subvention du riz a eu des effets négatifs sur ces trois productions. Le prix du riz qui était subventionné est resté à la portée de tous, tandis que le prix de ces vivres grimpait compte tenu des difficultés de production et de commercialisation (A. Diop-Boaré, 1994 : p.16). L’igname, la banane plantain et le manioc sont donc devenus plus chers sur les marchés urbains, alors que ceux-ci sont produits en Côte d’Ivoire ; leur commercialisation n’étant pas encadrée ni soutenue par l’État. Cette augmentation des prix a conduit à une multiplication de la consom-mation de riz. L’igname, la banane plantain et le manioc étaient donc devenus des produits de consommation de luxe.

Le développement du secteur vivrier traditionnel en somme n’a jamais constitué une priorité pour le gouvernement ivoirien. Les propositions sont restées à l’état de projets. Aucun moyen financier conséquent n’a été dégagé pour appliquer les mesures qui étaient préconisées. La situation alimentaire de la Côte d’Ivoire a été, il est vrai, relativement équilibré. La production de ces trois denrées a cru malgré cette négligence des autorités, et des potentialités de production existaient encore. Elles n’ont pas été mises en valeur. Le secteur vivrier n’a bénéficié en majorité que des retombées du développement économique et social de la Côte d’Ivoire, notamment à travers la création et le bitumage des routes, qui font partie des leviers du développement. L’agriculture vivrière est donc restée à un stade traditionnel. Les infrastructures de stockage, de commercialisation et de distribution n’ont pas été mises en place au même titre que les cultures d’exportation. Sur toute l’étendue du territoire, l’utilisation de semences sélectionnées pour les cultures vivrières était timide. À l’exception de la variété d’igname Florido, bien répandue, les semences améliorées de banane plantain et de manioc n’ont pas fait l’objet d’une grande vulgarisation. L’utilisation d’engrais et d’insecticides a également été réservée aux cultures d’exportation. Elle n’a profité que de façon indirecte aux cultures vivrières (J. S. Niemba, 2000 : p.87). Les cultures vivrières qui n’étaient pas en association avec les cultures de rente n’ont donc pas bénéficié de ces intrants, notamment l’igname et le manioc.

Les pertes post-récoltes demeuraient en conséquence élever, les périodes de pénurie existaient toujours en 1993 du fait de l’approvisionnement défectueux des marchés et du caractère saisonnier de certains produits. La collecte primaire était toujours difficile du fait de la dispersion de l’offre et de l’accès souvent difficile des véhicules dans les localités ou sur les lieux de production. L’igname et la banane plantain ont été les plus affectés par cette situation. Elle a entrainé une baisse des prix payés aux producteurs en fonction de l’éloignement des centres de consommation et des principaux axes routiers. Il convient également de noter que les productions d’igname, de banane plantain et de manioc ont été retardées par les maladies dues

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aux insectes ravageurs. Les rongeurs ont également contribué à cet état de fait. Ces maladies ont affecté la qualité commerciale des produits. Elles ont aussi réduit et retardé la germination des semenceaux. L’État n’a également pas trouvé des solutions importantes à la conservation post-récolte des productions en vue de la commercia-lisation. Il est à noter que les produits portant une blessure étaient toujours les plus vulnérables. Ils étaient les premiers à pourrir. Toutes ces difficultés qui subsistaient n’ont pas permis le développement d’une agriculture vivrière commerciale considé-rable. Les paysans ont donc été guidés par leurs consommations personnelles. La production marchande n’a pas fait l’objet d’un grand développement. La modernité n’a pas au total atteint les productions d’igname, de banane plantain et de manioc.

CONCLUSION

Au terme de cette étude, il importe de retenir que de 1980 à 1993, les actions menées par l’État dans le cadre de la relance de l’agriculture vivrière ont plus ou moins impacté le développement de ce secteur. En effet, l’État, à travers les orga-nismes successifs mis en place, a soulagé les producteurs dans leurs efforts de ravitaillement des centres urbains. La plus grande réussite de l’action Étatique fut le développement du réseau routier. Plusieurs voies ont été bitumées et de nouvelles pistes ont été créées de 1980 à 1993. Cela a permis aux producteurs de vivriers d’écouler leurs surplus de productions vers les villes. Des projets ont été développés dans le cadre de la collecte de produits tels que la banane plantain, mais également dans la production de contre saison afin de réduire les pénuries sur les marchés de consommation. Au niveau industriel, l’État a soutenu la transformation industrielle des produits vivriers, notamment l’igname et le manioc, afin de minimiser les pertes post-récoltes et garantir ainsi des revenus conséquents aux producteurs.

Cependant, en termes de financement réel, l’agriculture vivrière et notamment l’igname, la banane plantain et le manioc ont été relégués au second plan. La majeur partie des fonds destinés au développement agricole était orienté vers les cultures d’exportation à savoir le cacao et le café, et vers la production rizicole. Cette faiblesse du financement n’a pas permis un développement harmonieux du secteur. Aussi, le manque de coordination et de cohérence de la politique Étatique n’a pas favorisé une véritable promotion des cultures vivrières ; chaque nouvelle structure abandonnant les acquis de l’autre. La subvention de certaines importations alimentaires par l’État, en particulier les importations de riz blanc, a contribué à la marginalisation de pro-duits tels que l’igname, la banane plantain et le manioc. Les prix de ces différentes productions devenaient de plus en plus élevés vis-à-vis du riz importé.

Au total, l’État a favorisé le développement de l’agriculture vivrière à travers certaines actions de développement. Mais force est de constater que 1980 à 1993, le financement agricole n’a pas réellement bénéficié aux productions d’igname, de banane plantain et de manioc. Ce qui n’a pas réellement favorisé leur développement.

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