LIVRE BLANC Terrorisme

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Livre blanc terrorisme

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  • La France face au terrorisme

    Livre blanc du Gouvernement sur la scurit intrieure face au terrorisme

  • Sommaire

    Avant-propos 5

    Introduction 7

    Premire partie

    Le terrorisme mondial :une menace stratgique 13

    Chapitre 1Un discours efficace, une volont de matrisede lespace, des structures volutives 15Une vision du monde simpliste et complexe la fois 15Une volont de matrise de lespace 18Des structures difficilement saisissables 20

    Chapitre 2Le terrorisme mondial renouvelle ses recrues,adapte ses mthodes et signe son modeopratoire 25Des terroristes plus difficiles reprer 25Une gestion efficace des flux dinformation, de financementet de dplacements 29Des modes opratoires classiqueset pourtant reconnaissables entre tous 31

    Chapitre 3Des perspectives proccupantespour la France 33La France est un objectif particulier au sein de lEurope,cible du terrorisme 33Les facteurs dune menace aggrave pour la Franceet pour lEurope 35

    Deuxime partie

    Le dispositif franais de lutte contrele terrorisme doit continuer sadapter 39

    Chapitre 1Prvenir le risque : surveiller, dtecter,neutraliser 45Renforcer les capacits des services de renseignementet de scurit 46Conforter notre dispositif pnal et adapter notre systmepnitentiaire la menace terroriste 53Neutraliser les flux dangereux de personnes, de biens,de capitaux et dides 56

    3

    yochumLivre blanc sur la scurit intrieure face au terrorisme

  • Protger le territoire des intrusions et neutraliserles terroristes ltranger par laction des armes 61Renforcer la coopration internationale 63

    Chapitre 2Amliorer nos dispositifs 69Protger la population 69Protger lintgrit du pays 76

    Chapitre 3Renforcer nos capacits de gestion de crise 79Parfaire nos capacits oprationnelles 79La mise en place dune doctrine de communicationpublique 86

    Chapitre 4Renforcer nos capacits de rparationet de sanction 91Rparer les dommages infligs aux victimes 91Poursuivre les suspects : lapprofondissementde la coopration judiciaire internationale 93Sanctionner les coupables 94

    Troisime partie

    Mener une action de fond contre le terrorismeen gagnant les batailles du quotidien,de la technologie et des ides 97

    Chapitre 1Gagner la bataille du quotidien : favoriserla dtection prcoce des activits terroristespar la vigilance et le renseignement humain 99Les agents des services publics :une vigilance essentielle 100La responsabilit des acteurs sociauxet le rle du citoyen 102

    Chapitre 2Gagner la bataille technologique 109Lobjectif : toujours prcder la progressionde la menace 109La mthode : une collaboration entre ltatet les entreprises, qui privilgie la dimension europenne 113

    Chapitre 3Gagner la bataille des ides 117En France, conforter ladhsion de la populationet isoler les terroristes 117Lutter contre le terrorisme au niveau mondial 122

    Conclusion 127

    Annexes 129

    4 Sommaire

  • Avant-propos

    Avec le Livre blanc sur la scurit intrieure face au terrorisme,notre pays se dote pour la premire fois dune vritable doctrine pour faire face un flau auquel il a t confront plusieurs fois au cours de son histoire.

    Bien entendu nous navons jamais cess de nous adapter pourprotger notre territoire et nos concitoyens. Aujourdhui nos forces descurit et de renseignement sont formes pour anticiper et lutter contre lerisque terroriste. Pourquoi alors avons-nous voulu aller plus loin et formu-ler une vritable stratgie de scurit ?

    Dabord parce que la menace sur notre pays na jamais taussi forte : depuis les attentats de Madrid et de Londres nous savonsquelle vise tout particulirement lEurope. La France nest donc pas labri. Pour assurer la scurit des Franais il est devenu impratif demieux connatre cette menace.

    Ensuite parce que cest une menace stratgique, qui vise nosintrts sur lensemble de la plante, comme lont dmontr les attentatsde Karachi qui ont fait onze victimes franaises en mai 2002.

    Enfin nous avons besoin dune vritable stratgie parce quela menace terroriste na cess de changer. Elle exige, si nous voulons gar-der toujours un temps davance sur les groupes terroristes, que nous adap-tions en permanence nos outils et notre dispositif. Nous avons commenc le faire travers la cration des ples rgionaux de lutte contre lislamismeradical et ladoption de la loi du 23 janvier 2006 relative la lutte contre leterrorisme. Mais nous avons besoin dune stratgie dadaptation longterme, limage de ce qui avait t fait en 1994 avec le Livre blanc sur ladfense.

    Lobjectif de ce travail est triple.

    Il sagit en premier lieu de mieux connatre le fonctionne-ment des groupes terroristes. Nous savons quils sappuient dans les payseuropens sur de vritables chanes oprationnelles allant des prdicateursextrmistes aux filires qui envoient des jeunes gens vers les campsdentranement terroriste et les terres de combat, jusquaux organisateurs

    5Avant-propos

  • des attentats et aux poseurs de bombes. Seule une connaissance appro-fondie des rseaux, des relais et des outils de ces groupes peut nous per-mettre de protger nos concitoyens.

    Lobjectif du Livre blanc est ensuite de dfinir une stratgiede riposte et de lutte adapte la menace. Cette stratgie doit prendre encompte les nouveaux outils technologiques et les moyens de communica-tion modernes utiliss par les groupes terroristes. Elle permettra galementdouvrir de nouvelles pistes daction en matire de coopration internatio-nale. Cest indispensable pour lutter contre des groupes qui sont relis pardes ramifications mouvantes et pour apprhender les circuits de finance-ment sur lesquels ils sappuient. Nous avons dj construit des partenariatsbilatraux efficaces. Nous devons maintenant dvelopper les changesmultilatraux.

    Enfin le Livre blanc a pour objectif de mieux informer nosconcitoyens sur un risque qui les inquite et sur les moyens que nous met-tons en uvre pour les protger. Face une menace qui cherche divisernos socits, notre combat doit tre le combat de tous. Il doit sappuyer surune conviction partage sur la gravit de la menace et limportance desrgles qui doivent encadrer la lutte antiterroriste.

    Car dans le combat contre le terrorisme, notre meilleure armece sont nos principes dmocratiques. La tolrance, le respect des libertspubliques, le respect des identits que notre pays a toujours su dfendrefont notre force. Renoncer ces valeurs, ce serait faire le jeu des terroris-tes. Cder la tentation de lexception, ce serait commencer perdre labataille. Alors soyons fidles nos valeurs : elles sont notre meilleur atoutdans notre combat contre le terrorisme.

    Dominique de VillepinPremier ministre

    6 La France face au terrorisme

  • Introduction

    Pour lutter efficacement contre le terrorisme, nous devons dabordtre capables de le nommer, de le dfinir.

    Tout acte qui vise tuer ou blesser grivement des civils oudes non-combattants, et qui, du fait de sa nature ou du contexte danslequel il est commis, doit avoir pour effet dintimider une population ou decontraindre un gouvernement ou une organisation internationale agir ou renoncer agir dune faon quelconque 1 .

    Telle est la dfinition du terrorisme propose par le secrtairegnral des Nations unies loccasion du sommet de lassemble gnraleclbrant le soixantime anniversaire de lorganisation en septembre 2005.Mme si cette dfinition ne fait pas encore lobjet dun consensus interna-tional, la France la accepte demble. Elle correspond une forme deviolence dont notre pays est familier depuis prs de deux sicles.

    Menaces passes, actuelles et futuresActeur engag de la vie internationale, notre pays a t, au

    cours de la seconde moiti du XXe sicle, la cible de nombreux attentats.Nous avons connu le terrorisme li des questions de politique intrieure,quil sagisse des attentats commis dans le contexte de la guerre dAlgrieou du terrorisme li des revendications idologiques ou rgionalistes.

    Mais nous avons galement subi une forme de violence terro-riste lie des crises extrieures, lorsque, pour la premire fois, des grou-pes terroristes palestiniens se sont attaqus aux intrts de leursadversaires en effaant les limites gographiques. En France, mais aussi enItalie (attentat de laroport de Rome), en Autriche (attaque du sige delOPEP), en Ouganda (prise dotages dEntebbe) et ailleurs on a assistprogressivement la globalisation dune cause par laction terroriste.

    7Introduction

    (1) Dans une libert plus grande , Rapport du secrtaire gnral des Nationsunies, mars 2005, p. 67.

  • Dautres mouvances ont peu peu adopt ce mode daction.LArme secrte armnienne pour la libration de lArmnie (ASALA),fonde en 1975 Beyrouth, en est un exemple. Jusqu son dmantlementen 1984, elle a commis plus de trente-cinq attentats en France, montrantquil ntait pas besoin dtre dsign comme lennemi principal dunmouvement pour en tre la victime.

    Pendant les annes 1960 et 1970, la terreur a aussi t portepar des mouvements violents issus de lextrme gauche et de la mouvanceautonome. Une poigne dentre eux, comme Action directe, ont poursuivileurs actions jusque dans les annes 1980, avant dtre progressivementmis hors dtat de nuire.

    Les attentats majeurs les plus rcents dont la France a t vic-time sur son territoire remontent 1995 et 1996 : attentats dans les stationsparisiennes de mtro ou de RER Saint-Michel, Maison-Blanche etPort-Royal. Bien que lis aux luttes internes lAlgrie, ces attentats prfi-guraient dune certaine manire le terrorisme islamiste. Ils furent luvrede terroristes qui sappuyaient sur des cellules pralablement implantessur le territoire et qui basculaient du soutien logistique aux groupes armsactifs en Algrie vers laction oprationnelle contre un tat occidental.Cette dimension alors nouvelle tait annonciatrice des menaces qui psentaujourdhui sur notre pays.

    Le terrorisme dinspiration rgionaliste na pas pargn laFrance. Les mouvements indpendantistes corse, basque et breton recou-rent la violence. Cette forme de terrorisme nest pas propre la France.En Espagne et au Royaume-Uni, lETA et lIRA ont men, pendant plus detrois dcennies, un combat intense contre les gouvernements au nom delindpendance basque et de lunit irlandaise. Le terrorisme rgionalistena pas disparu. Il est all dans un pass proche jusqu lassassinat dunreprsentant de la Rpublique. Il doit continuer faire lobjet dune atten-tion soutenue des pouvoirs publics, dans le cadre dune action de longuehaleine.

    Mais le terrorisme auquel nous sommes confronts aujourdhuiest lhritier des attentats du 11 septembre 2001 aux tats-Unis, qui ontfait prs de 3 000 victimes. Cest cette menace que nous devons tre pr-pars, si nous voulons protger nos concitoyens.

    Un phnomne de plus en plus meurtrierLa capacit de nuisance des mouvements terroristes dpend en

    partie des moyens de destruction auxquels ils peuvent avoir accs. Larmeblanche des Assassins 1, les armes feu ou les machines infernales desanarchistes de la fin du XIXe sicle ne permettaient gure que des meurtrescibls ou des tueries faisant au pis quelques dizaines de victimes.

    8 La France face au terrorisme

    (1) Secte ismalienne svissant en Perse, puis en Syrie, de la fin du Xe au XIIIe sicleet qui sen prenait aux lites dirigeantes.

  • Dans la deuxime moiti du XXe sicle, laccs aux moyensmodernes de transport, transforms la fois en objectifs et en moyens delaction terroriste, ainsi que la mise sur le march de substances explosivespuissantes, ont rendu possible le passage des prises dotages et desmassacres dune ampleur indite. Le 19 avril 1995, un attentat commis pardeux individus isols Oklahoma City, aux tats-Unis, a tu 168 person-nes et en a bless 600 autres.

    La synthse dagents chimiques tels que des neurotoxiquespuissants, ainsi que lacquisition de savoir-faire et de technologies biologi-ques sont dsormais la porte de certains groupes ou dindividus. Lapreuve en a t donne lors des attaques au gaz Sarin perptres par lasecte Aoum dans le mtro de Tokyo en mars 1995, ou avec lenvoi denve-loppes contenant des spores de bacille du charbon lautomne 2001 auxtats-Unis. Ces attentats, qui nont caus que quelques morts, ont rvlles difficults auxquelles se heurtait la perptration dattentats de masseavec ces modes opratoires.

    Depuis vingt-cinq ans, le nombre des victimes causes par lesattentats terroristes a franchi plusieurs seuils. Avant 1983, lattentat terro-riste le plus sanglant avait caus la mort de 85 personnes (attentat perptrdans la gare de Bologne, en Italie, en 1980). Le seuil de la centaine de vic-times a t franchi pour la premire fois en 1983, avec le double attentat Beyrouth, au Liban, contre les forces militaires amricaines et franaises(299 morts au total). Jusquen 2001, lattentat le plus meurtrier avait tu329 personnes (destruction dun avion dAir India au-dessus de la merdIrlande en 1985). Le seuil du millier de victimes a t largement dpassavec lattaque dAl Qada aux tats-Unis le 11 septembre 2001.

    Mme si on constate une diminution aprs septembre 2001,lunit de compte des attentats les plus meurtriers est passe, en une gn-ration, des dizaines aux centaines puis aux milliers de victimes.

    Lexamen du pass et des menaces classiques qui psentsur notre pays permet de dterminer les caractristiques cumulatives dutype de terrorisme susceptible de prsenter, en France, une menace autreque circonstancielle. Il se manifeste par des actions violentes, prparesclandestinement. Il est luvre de groupes non tatiques, ce qui amoindritsa prvisibilit. Il est le fait dindividus idologiquement motivs, arrims une cause internationale dont la rhtorique sinscrit dans la dure. Lunde ses buts est de tuer un nombre aussi lev que possible de Franais oude ressortissants trangers sur le sol franais, mme si son cadre danalysene sarrte par principe ni aux frontires de la France ni la nature civiledes victimes. Dans sa logique, tous les coups sont permis. Il cherche obtenir un effet psychologique majeur sur les pouvoirs publics et surlopinion.

    La hausse potentielle du niveau de destruction recherch parles terroristes constitue la premire justification dun rexamen par laFrance de son dispositif de lutte antiterroriste.

    9Introduction

  • Lmergence du terrorisme mondial La deuxime raison qui justifie llaboration de ce Livre blanc

    est lapparition, la charnire du sicle dernier, dune forme de terrorismedun genre nouveau.

    Depuis la seconde moiti des annes 1990, la mondialisation aentran, dans toutes les socits, une transformation sans prcdent.Lopinion publique mondiale a dsormais accs aux mmes images, sou-vent en temps rel. Les distances sont abolies et les rpercussions des dif-frentes crises rgionales sont de plus en plus fortes. Les pays du Proche etdu Moyen-Orient sont particulirement touchs par cette instabilit.Lhritage de lHistoire, les blocages politiques qui perdurent dans denombreux pays, les enjeux lis aux ressources ptrolires en ont fait unergion fragile. Le dsarroi des populations, confrontes des difficultssociales et conomiques considrables a constitu un terreau privilgipour les groupes terroristes : ils ont instrumentalis leur sentiment dinjus-tice en le retournant contre lOccident, principal responsable selon eux, dela situation de la rgion. Ils ont galement instrumentalis le message delislam pour imposer une lecture rigoriste et violente de la religionmusulmane.

    La sphre terroriste a ainsi connu une mutation dune nature etdune ampleur comparables celle des bouleversements provoqus par lamondialisation. Cette mutation a dbouch sur lmergence dun terro-risme dinspiration islamiste radicale et denvergure plantaire, quisattaque indistinctement aux pays occidentaux et aux nations arabes ouplus largement musulmanes avec des moyens de destruction jusqualorsindits.

    Incarn par Al Qada, ce terrorisme dun genre nouveau sestds lorigine fix un champ mondial. Depuis 1998, il a frapp dans unevingtaine de pays, au rythme moyen de trois ou quatre attentats majeurspar an 1. Il a rvl sa capacit daction en Europe deux reprises, Madrid en mars 2004 et Londres en juillet 2005. Il se distingue par sonaptitude emprunter la mondialisation les outils qui ont assur le succsde celle-ci. Il parvient oprer lalchimie entre proccupations intimes desindividus et grandes perspectives transnationales, affiche sa prdilectionpour les rseaux inter-individuels, recourt aux moyens lectroniques,accorde la plus grande priorit la mdiatisation et dmontre une capacitpermanente dvolution, voire danticipation. Dcrie sur le plan des prin-cipes, la mondialisation se trouve ainsi simultanment accepte, intgre,exploite dans ce quelle a de plus efficace sur le plan oprationnel.

    Nous sommes entrs dans lre de ce que nous dnommerons le terrorisme mondial . Celui-ci relve dun registre diffrent du terro-risme rgionaliste ou du terrorisme commandit par un tat. Silnchappe pas la rgle qui veut que tout mouvement terroriste ne mobi-lise quune minorit dactivistes, il entend lui seul assumer un hritagehistorique et sappuyer sur un socle gopolitique. Il cherche afficher des

    10 La France face au terrorisme

    (1) Sans compter les attentats perptrs dans les zones de guerre.

  • ambitions, apporter des innovations, dvelopper des moyens pour obtenirdes rsultats qui le porteraient demble au niveau dun adversaire plan-taire et gnrationnel, capable dinfliger des dommages et dexercer sur lavie de nos socits une influence sans commune mesure avec les objectifs,somme toute limits, des autres formes de terrorisme.

    Ancre dans une gnration encore jeune, la menace prsentepar le terrorisme mondial devrait tre durable. Elle a acquis une dimensionstratgique. La France est lune de ses cibles. Plusieurs de nos ressortis-sants en ont t victimes ltranger.

    Nous devons analyser cette menace pour bien la mesurer, dter-miner les adaptations apporter notre systme de lutte antiterroriste pourla contrer, et tablir une stratgie de long terme pour la rsorber. Nousdevons viter le pige de la guerre des civilisations que nous tend leterrorisme mondial dinspiration islamiste et refuser lamalgame entreislam et terrorisme vers lequel il voudrait nous entraner.

    Cest ce refus de lamalgame que manifeste la Francelorsquelle encourage lorganisation de lislam en France, notamment travers le Conseil franais du culte musulman, lorsquelle milite demanire continue sur le plan international pour un meilleur dialogue entreles peuples, en particulier vis--vis de nos voisins du Sud et du mondemusulman, et lorsquelle se bat contre toutes formes de message de haine.Cette politique est dautant mieux reue que la plupart des musulmans deFrance vivent dans le respect des valeurs rpublicaines de tolrance et delacit et condamnent linstrumentalisation par les courants extrmistes dumessage de lislam.

    Le Livre blanc a lambition de formuler la doctrine de laFrance en matire de lutte contre le terrorisme. Cette doctrine doit treconnue de tous. Car nous ne combattrons efficacement le terrorismequavec ladhsion de lensemble de nos concitoyens. Nous ne le combat-trons efficacement quen dveloppant la coopration internationale.

    11Introduction

  • Premire partie

    Le terrorismemondial :une menacestratgique

  • Le terrorisme mondial tire une partie de sa force de lefficacitde son discours. Il innove par une volont de matrise de lespace. Il adapteses structures et ses procdures, renouvelle ses recrues et sait tirer profit desmoyens de communication que lui offre la mondialisation. Incarnaujourdhui par le terrorisme islamiste, il constitue pour la France unemenace stratgique.

    Chapitre 1

    Un discours efficace,une volont de matrisede lespace, des structuresvolutives

    Une vision du monde simplisteet complexe la foisLa simplicit apparente, et affiche, de la vision du monde pro-

    pose par le terrorisme mondial dinspiration islamiste fournit une rf-rence commune un ensemble qui, premire vue, semble disparate.

    Une vision du monde qui permetde dlivrer un message simpleet puissantLe terrorisme islamiste puise son inspiration idologique dans

    le salafisme 1. Fond sur le rejet des innovations sociales ou politiques, cecourant de pense est hostile par nature au systme dmocratique. Sa rf-rence est le souvenir, en partie fantasm, dun ge dor de lislam ori-

    15Le terrorisme mondial : une menace stratgique

    (1) De Salafs, les Anciens, qui dsignent les premiers compagnons du prophteMahomet.

  • ginel. Il rejette le monde tel quil est devenu. Il se prsente comme unealternative la mondialisation. Il propose le retour aux pratiques du califatinitial 1 fondes sur une interprtation rigoriste du Coran.

    Ce souhait de retour aux origines cache cependant un mouve-ment qui prne en ralit une renaissance de lislam. Sous cet angle, lesalafisme apparat aussi comme le vhicule dune interprtation ngativede lHistoire, douloureusement vcue comme une injustice, celle du dclindune civilisation humilie par les invasions successives, physiques,conomiques et culturelles de lOccident chrtien , du temps des croisa-des nos jours.

    Lislam agress , menac dans sa survie et sur son propresol, naurait pas dautre choix que de se dfendre par la violence la plusextrme. Pour le terrorisme mondial dinspiration islamiste, cette guerredes civilisations serait entre dans une phase aigu quil assimile au jihad , dvoyant ainsi cet lment central de la religion musulmane. Telest le message dune redoutable simplicit quil dlivre inlassablement.

    Jihad et JihadismeOn a coutume, en Europe, de traduire jihad par guerre sainte .tymologiquement, jihad signifie effort vers un but dtermin ,cest--dire, dune part, celui de dfendre ou de propager lislam et,dautre part, celui que fait le croyant pour se conformer aux rglesdu Coran. On retrouve cette rfrence dans divers versets du Coran,sous des formes diffrentes : rpandre lislam par la persuasion,combattre pour repousser une attaque contre lislam, etc. Lislam seposant comme un universalisme, sa propagation est un devoir pourla communaut musulmane, que tous les courants de lislamadmettent.

    De mme quon distingue lislam de son exploitation politique( lislamisme ), il faut diffrencier la notion religieuse de jihad du jihadisme , qui en est le dvoiement par laction violente. Aucours des dernires annes, le jihad a souvent t assimil, tort, auterrorisme. Cet amalgame a fait le jeu des terroristes eux-mmes.

    Aprs lAfghanistan dans les annes 1980, cest en Algrie que lejihadisme a pris sa forme la plus aigu au dbut des annes 1990,lorsque le Groupe islamique arm (GIA) a commenc senprendre aux Europens, en Europe ou en Algrie, ainsi qu desmusulmans jugs trop influencs par la culture occidentale.

    16 La France face au terrorisme

    (1) Le mot dsigne la fois lautorit du calife successeur du prophte Mahomet surlensemble de la communaut musulmane et les territoires placs sous son contrle.

  • Une stratgie plus complexequil ny paratLes promoteurs du terrorisme mondial dinspiration islamiste

    ont pour objectif le plus immdiat de gurir le peuple musulman ducomplexe dinfriorit qui serait n du rapport colonial. Ils entendent pourcela saper la croyance des opprims en la suprmatie des oppres-seurs en dvoilant la vulnrabilit de ces derniers. Tel tait le but desattentats du 11 septembre 2001 New York et Washington.

    Une fois le rapport de forces symbolique perturb, il sagitensuite dentraver, en profondeur et dans la dure, le fonctionnement dessocits occidentales, en fragilisant leurs sources dnergie (ptrole, gaz)et en plaant sous la menace leurs moyens de dplacement (urbains etinternationaux).

    Ltape suivante est de provoquer une rupture, y compris par lasparation physique, entre lOccident et les musulmans en incitant audpart les ressortissants occidentaux prsents en terre musulmane (rsi-dents, militaires, touristes) ou en sen prenant aux lieux de mtissage que sont les sites touristiques et les rseaux de transport en commun desgrandes agglomrations europennes.

    Pour aboutir la cassure escompte, cest la lassitude des gou-vernements et des opinions du monde occidental qui est recherche.

    Le terrorisme mondial dinspiration islamiste parvient gale-ment recycler des causes autres que religieuses, dont le flambeau staitteint faute de combattants. Il semploie ainsi occuper autant que pos-sible lespace laiss vacant par leffondrement des idaux communistes,rvolutionnaires ou tiers-mondistes. Il investit le crneau des luttesanti-imprialistes que nul ne lui conteste srieusement aujourdhui. Ilcherche ainsi sinscrire dans la continuit des guerres anticoloniales.Dans ce mouvement de rejet de lOccident et de lutte contre les grandespuissances conomiques, on ne peut exclure quil tente un jour un rappro-chement avec les mouvances alter-mondialistes les plus radicales.

    Le discours tactique du procheet du lointainLe dclenchement de la deuxime guerre dIrak en 2003 a per-

    mis au terrorisme islamiste de retrouver le terrain concret des luttes natio-nales et identitaires et de renouer travers elles le pacte qui avait si bienfonctionn en Afghanistan contre loccupant sovitique.

    Lintervention militaire en Irak a suscit une triple conver-gence qui a consolid lemprise de la mouvance terroriste : une conver-gence idologique entre jihadisme transnational et nationalisme arabe,une convergence oprationnelle entre terroristes et services de scuritbaassistes, une convergence gographique enfin, en offrant Al Qada uneprsence au cur du monde arabe, alors que ce mouvement avait jusque-l

    17Le terrorisme mondial : une menace stratgique

  • combattu ses marges, en Afghanistan, en Bosnie, en Tchtchnie et enAfrique.

    Le discours terroriste puise dans cette alliance un souffle nou-veau, concrtis par la possibilit tactique de rejouer sur les deux tableauxdes ennemis proche et lointain . Le proche, ce sont les rgimeslocaux apostats , accuss davoir rompu avec leur identit religieuse ; lelointain, ce sont les protecteurs occidentaux. Tirant profit de cette nou-velle assise, la mouvance terroriste peut mme feindre une approche prag-matique des vnements, en proposant par exemple des trves commeOussama Ben Laden la fait deux reprises, en 2004 et en 2006.

    Du large ratissage que lui permet son discours, la mouvanceterroriste tire trois bnfices principaux.

    Le premier est une attractivit qui dpasse le noyau dur de sonaudience originelle et lui permet de sduire une part des Occidentauxconvertis. Le phnomne demeure marginal. Mais il est dune grande puis-sance symbolique. Il dnote une capacit surmonter les barrires ethni-ques et culturelles au nom dune fraternit universelle.

    Le deuxime bnfice est de dissimuler les divergences inter-nes la mouvance. Celles-ci sont pourtant bien relles. Elles portent sur lacaractrisation de lennemi, et notamment sur lexistence ventuelle dunehirarchie tactique entre pays occidentaux, qui conduirait sen prendredabord aux membres de la coalition forme en 2003 lors de la deuximeguerre dIrak, au nom du caractre prpondrant dsormais attribu cetteterre naturelle de combat.

    Le troisime bnfice est de concilier terrorisme politique etterrorisme idologique. Cest le plus prometteur long terme, car iloffre la possibilit dadditionner les capacits de mobilisation propres lune et lautre des deux formes de terrorisme. Le terrorisme politique estutilitaire. Il choisit des objectifs concrets, localiss et revendiqus. Il uti-lise la violence comme un levier tactique. Le terrorisme idologiqueexprime quant lui un refus existentiel du monde. Il dnie toute possibilitde dialogue ou de dissuasion. Il na dautre fin que lui-mme. Son poten-tiel de nuisance est donc en principe illimit.

    Une volont de matrisede lespaceLa mouvance Al Qada rpand un discours englobant. Elle

    affiche aussi une volont de matrise de lespace. Cet espace aujourdhuien expansion se dcompose en plusieurs zones, aux fonctions prcismentdfinies, mais dont les frontires ne cessent dvoluer : on y trouve lessanctuaires, les terres de combat, les zones de transit et les zonesdoprations.

    18 La France face au terrorisme

  • Les sanctuairesLe terrorisme a besoin de sanctuaires pour les refuges

    quils offrent, les possibilits de formation quils hbergent, et, ventuelle-ment, lorganisation des trafics qui assurent une source de financement.Aprs avoir d quitter en 2001 lasile ciel ouvert que leur fournissaitalors lAfghanistan 1, les terroristes dAl Qada se sont mis en qutedabris alternatifs.

    Faute dtats disposs les accueillir, ils se sont installs, prci-sment, l o toute prsence des tats a disparu. Ils ont donc lu domiciledans les zones dsertiques ou montagneuses, vides dautorit ou de contrle,qui parsment larc de crise courant du Maghreb lAsie du Sud-Est. Cesespaces recouvrent les zones tribales la frontire entre le Pakistan etlAfghanistan, les confins du Cachemire, ceux de lIran. L se maintient cequi subsiste dAl Qada stricto sensu. Plus loin, ils incluent certains campsde rfugis au Liban, les rgions tribales du Ymen, ainsi que la Somalie.Au-del encore stend le Sahel, devenu zone de ravitaillement et de replipour certains groupuscules, alors quaux antipodes certaines les excen-tres des archipels philippin et indonsien jouent le mme rle.

    La protection offerte par ces repaires est efficace. Tout porte croire que la recherche de nouveaux sanctuaires se poursuit.

    Les terres de combatLe deuxime type despace est celui des terres de jihad ,

    lieux de combat frontal contre lennemi, o les terroristes acquirent lgiti-mit, exprience et relations.

    La Bosnie a constitu au cours de la premire partie des annes1990 lun de ces lieux de combat. LAfghanistan, la Tchtchnie et le nord duCaucase le sont demeurs des degrs divers. Mais cest aujourdhui lIrakqui constitue le centre de gravit de ces terres de jihad . Crant un abcs defixation au cur des mondes arabe et musulman, lintervention militairemene en 2003 a exacerb la radicalisation, en fournissant une sorte de vali-dation des discours les plus simplistes du terrorisme islamiste. Celui-ci y atrouv un exemple de tentative dimposition des valeurs de la dmocratie parla voie militaire et de la collusion suppose entre chiites et croiss .

    Est ainsi luvre en Irak une dynamique favorisant lancrageet la diffusion du terrorisme. Affluent dans ce pays des milliers de volon-taires en provenance de lensemble du monde arabe, et, dans une moindreproportion, du continent europen. Ces volontaires ont vocation, aprsavoir acquis une exprience prcieuse, retourner dans leur pays dori-gine. Le phnomne na pas pris, jusquici, la mme dimension quautre-fois en Afghanistan, faute de vritable sanctuaire limitrophe. Mais ilbnficie plein de la caisse de rsonance que lui fournit la mondialisationde linformation.

    19Le terrorisme mondial : une menace stratgique

    (1) Qui succdait lui-mme au Soudan, dont Oussama Ben Laden est parti en 1996.

  • Les zones de transit et de soutien, mi-chemin entre sanctuaireset terres de combatLe terrorisme mondial dinspiration islamiste y organise les

    filires dacheminement des personnes, des fonds et des armes. Ces zonesde transit et de soutien revtent une importance cardinale pour la mou-vance. Cela explique quelles soient relativement pargnes par la vio-lence. Aujourdhui, leur centre de gravit se situe aux abords de lIrak, soitquelles constituent des portes dentre privilgies vers ce pays, soitquelles assurent des couloirs de communication commodes avec lAfgha-nistan, voire le nord du Caucase.

    Les zones doprations o le terrorismemondial dinspiration islamisteest luvreDepuis 2001, lessentiel des zones doprations se concentre

    dans laire musulmane car les terroristes vont souvent au plus simple. Danslimmense majorit des cas ils passent lacte o ils le peuvent, quand ilsle peuvent et comme ils le peuvent. Le plus souvent, cette quation fournitun rsultat lmentaire : les terroristes agissent chez eux, dans leur proprepays, o sont gnralement prsents des objectifs occidentaux reprsenta-tifs de la collaboration de leurs autorits avec loccupant .

    Du Sahel larchipel indonsien, de plus en plus rares sont lespays pargns par la tache dhuile qui stend au rythme moyen dun atten-tat majeur tous les trimestres (hors de lIrak, o le rythme est quotidien).Les objectifs se situent aussi bien dans les grandes mtropoles (Riyad,Jakarta, Casablanca, Istanbul, Karachi, Amman...) que dans les centrestouristiques (Djerba, Bali, Mombasa, Taba, Sharm el Cheikh...).

    LEurope fait partie depuis mars 2004 des zones doprations.L comme ailleurs, les terroristes passent lacte chez eux, l o ils sontns, l o ils rsident de longue date.

    Des structures difficilementsaisissables

    La nbuleuse du terrorisme mondial dinspiration islamiste estun assemblage dentits et dindividus, organiss sur un mode horizontal etplus ou moins connects entre eux.

    La trame de dpart de la mouvance tait diffrente et relative-ment simple. Elle tait verticale avec, au sommet, lorganisation Al Qada

    20 La France face au terrorisme

  • et, la base, plusieurs centaines de moudjahiddin, dextraction et daffilia-tion diverses, passs par lAfghanistan ou par dautres zones de combat.

    lorigine, Al Qada est une structure conspirative, au recrute-ment restreint plutt bourgeois, issue de la conjonction de wahhabites duGolfe arabo-persique et de jihadistes gyptiens. Dirige depuis 1998 par lebinme form par Oussama Ben Laden et Ayman Al Zawahiri, elle a, entrois moments cls, fait basculer le monde dans la nouvelle forme de terro-risme que nous connaissons en 2006.

    Laccueil de milliers de moudjahiddin venus du monde entierpour combattre les Sovitiques en Afghanistan (pour la premire gnration,de 1979 1989), puis pour rejoindre les Taliban (pour la deuxime gnra-tion, de 1996 2001) a constitu une premire tape. En fournissant cemoule originel, Al Qada a conquis la lgitimit qui lautorise prterson nom au terrorisme mondial dinspiration islamiste dans son ensemble et sen faire le porte-parole exclusif dans la sphre des mdias 1.

    Le deuxime moment cl est bien sr celui des attentats du11 septembre 2001, dont les rsultats stupfiants auront permis au terro-risme de faire basculer lui seul le cours de lHistoire. Cest en effet lachute des tours du World Trade Center qui a tout la fois hauss au niveaustratgique une menace alors porte par peine quelques centaines dindi-vidus et conduit les tats-Unis sengager dans la guerre contre leterrorisme .

    Cest enfin Al Qada qui a organis, aprs lintervention enAfghanistan, en 2001, lexfiltration et la dissmination des terroristes auxquatre coins de la plante.

    Le modle dorigine a cependant connu de profondes modifica-tions depuis 2001.

    Le noyau initial dAl Qada a perdu, avec lexil forc hors deson sanctuaire afghan, un nombre significatif de ses cadres dirigeants,ainsi que sa capacit exercer le rle de centre unique de commandement.Quant aux combattants de base, ils ont t contraints de se disperser parmiles militants locaux. Ils contribuent dessiner un paysage de plus en pluscomposite, sans prcdent connu lchelle plantaire. Le modle qui per-met le mieux den rendre compte est celui du rseau internet : les terroris-tes forment une vaste toile interconnecte, o la neutralisation dune partiea peu deffet sur le fonctionnement du tout.

    Le rseau se dcompose en trois niveaux, dont la particularitnest pas dtre superposs pour former une pyramide, mais dtre pluttplacs cte cte. On peut parler bon escient leur propos dun rseaude rseaux aux frontires poreuses.

    21Le terrorisme mondial : une menace stratgique

    (1) Son sjour en Afghanistan de 1996 2001 a galement permis Oussama BenLaden de coaliser des individus et des groupes disperss dans le monde en renforantson ascendant, notamment financier, sur eux.

  • Le premier niveau :lorganisation Al QadaBien que partiellement dmantele, Al Qada continue, non

    sans difficults relles, de tenter de planifier des attaques depuis ses repai-res situs en Afghanistan et au Pakistan. Son influence directe se concentreen 2006 sur laxe reliant lAfghanistan lIrak, la pninsule arabique et la corne de lAfrique. Subsiste nanmoins sa volont, voire sa capacit, frapper en tout point du globe.

    Cest en tout cas ce noyau qui conserve la responsabilit dedonner une cohrence mdiatique et idologique lensemble de la mou-vance, travers les nombreuses interventions audiovisuelles (une quaran-taine depuis 2001) dOussama Ben Laden et dAyman Al Zawahiri, sanscompter leurs communiqus de presse.

    Le deuxime niveau : les entitsterroristes qui disposentdun enracinement territorialLes relations de ces entits avec le groupe dorigine dAl Qada

    sont trs variables. Elles vont de la filialisation jusqu la simple imita-tion, en passant par le partenariat. La liste des organisations est longue,mais cest en Irak et en Arabie saoudite que le rattachement au centre saffiche le plus volontiers.

    Malgr les spcificits du mouvement irakien, le modle de la succursale rgionale a essaim dans la rgion du golfe arabo-persique ;lOrganisation dAl Qada pour le jihad dans la pninsule arabique a ainsipour objectif de regrouper les cellules actives en Arabie saoudite et auxalentours. Elle cohabite encore avec dautres organisations, aux formatsles plus htrognes : Osbat al Ansar dans le Sud-Liban, Al Ittihad AlIslami en Somalie, les groupes islamiques combattants des diffrentspays du Maghreb (au Maroc, en Tunisie ou en Libye), le Groupe salafistepour la prdication et le combat (GSPC) en Algrie ou la Jamaa Islamiyyaen Asie du Sud-Est.

    Le dernier niveau de la mouvance :les individus, regroups ou non en cellulesAu sein de la mouvance, les individus sont investis de respon-

    sabilits dingale ampleur.

    Au premier rang figurent les grads . Ils disposent de car-nets dadresses, nourris par les rencontres dans les terres de combat, lescamps dentranement ou les prisons. Cela leur permet de devenir des facilitateurs , plaques tournantes des filires de soutien aux rseauxnationaux auxquels ils fournissent leurs services : faux papiers, argent,hbergement, aide pour passer les frontires...

    22 La France face au terrorisme

  • Dautres membres de la mouvance peuvent tre qualifis dexperts . Leur travail consiste mettre un savoir-faire spcialis (enexplosifs, en confection de faux documents, en finances, en informatique)au service dune cellule, dune filire ou dun rseau, voire de lensemblede la nbuleuse.

    La cellule sorganise en gnral autour dune personnalit sedistinguant par son pass ou son charisme personnel. Elle constitue la par-ticule lmentaire de la galaxie terroriste, agrgeant un nombre limitdindividus autour dun noyau dur comptant, en rgle gnrale, de cinq quinze personnes. En variant sa composition au gr de ses missions, ellepeut remplir un rle de radicalisation idologique, un rle logistique ou unrle oprationnel, et passer facilement de lun lautre.

    Quel que soit lenvironnement, et mme dans un contexte degurilla comme en Irak en 2006, la cellule constitue lunit de base autourde laquelle sorganise la lutte. Pour comprendre le fonctionnement dunecellule, il faut dterminer son degr dautonomie par rapport ses sembla-bles et dventuels donneurs dordres extrieurs. Lobservation desgrands attentats attribus Al Qada a permis de dgager une grille dana-lyse gnrale, reposant sur la thorie des trois cercles .

    La thorie des trois cercles

    Cette thorie range les attaques perptres par la mouvance AlQada en trois catgories : lattaque terroriste dcide et excutepar Al Qada stricto sensu agissant seule (le premier cercle) ;lattaque planifie par Al Qada et ralise avec des lments ext-rieurs (le deuxime cercle) ; lattaque dcide et ralise par deslments extrieurs, qui se rclament de la mouvance Al Qada (letroisime cercle).

    Daprs ces critres, lattentat de Madrid de mars 2004 entre-rait probablement dans la troisime catgorie, ceux de Londresen juillet 2005 peut-tre dans la deuxime et ceux du 11 sep-tembre 2001 videmment dans la premire.

    Le dernier cas de figure possible est lindividu, influenc par lamouvance mais dcidant seul, ou presque, de son acte, de ses modalits etde son excution.

    Cest encore largement une hypothse dcole en 2006. Maislexemple de lassassinat de Tho Van Gogh 1 en novembre 2004 Amsterdam donne penser que cette ventualit nest plus irraliste.

    23Le terrorisme mondial : une menace stratgique

    (1) Metteur en scne nerlandais ayant fait rfrence de manire critique lislamet certains groupes religieux islamistes radicaux dans ses uvres.

  • Chapitre 2

    Le terrorisme mondialrenouvelle ses recrues,adapte ses mthodes etsigne son mode opratoire

    Des terroristes plus difficiles reprerLe recours la violence et lengagement dans des activits ter-

    roristes resteront toujours luvre de minorits marginales. Le terrorismemondial dinspiration islamiste nchappe pas la rgle. Il est ultra mino-ritaire, y compris au sein des communauts musulmanes elles-mmes.

    Il reprsente cependant une menace accrue et plus difficile prvenir que par le pass, en raison de la diversification de ses mthodes etde ses cibles de recrutement.

    Une minorit aux profils varisBien que la ralit se laisse difficilement rduire des stroty-

    pes, cest invitablement chez les musulmans que les filires terroristesislamistes cherchent en premier lieu recruter. Le profil majoritaire cejour concerne de jeunes hommes musulmans, de moins de 40 ans. Les fem-mes ne reprsentent que de rares exceptions.

    25Le terrorisme mondial : une menace stratgique

  • Mais les origines, les parcours et les personnalits des terroris-tes prsentent une varit inattendue qui exclut tout ciment commun, toutdterminisme simpliste dans les facteurs de lengagement. Le dclasse-ment ou la misre conomique, sociale et culturelle peuvent jouer un rle.Mais il nest certainement pas aussi dcisif quon le proclame parfois.

    Ce qui transparat chez les individus est un sentiment ml defrustration et dinjustice. Frustration face ce qui est ressenti comme uneperte didentit frappant la communaut musulmane. Injustice dontseraient systmatiquement victimes les musulmans dans le monde.

    Le caractre cosmopolite et socialement diversifi des mem-bres de la mouvance terroriste mondiale tmoigne de la ralit et de lenra-cinement dune sorte de rage fdratrice et collective quil seraitgravement erron de tenir pour passagre.

    La succession de trois gnrationsAu moins trois gnrations constituent le noyau dur du terro-

    risme mondial : les vtrans de la premire guerre dAfghanistan, dont beaucoup ont tneutraliss ou se sont retirs ; les militants forms dans les camps dentranement afghans lpoquedes Taliban ; les nouvelles recrues dont lengagement se place sous la bannire de la gnration Irak , et chez lesquelles on constate plus frquemment unepropension lacte kamikaze.

    Ces trois strates de recrutement coexistent au sein des rseauxactuels. La premire, mme dcime, fournit les figures historiques, ladeuxime lencadrement actif, la troisime les fantassins.

    Les deux premiers groupes demeurent dangereux. Ils sappa-rentent aujourdhui la catgorie des rvolutionnaires professionnels,vieux routiers des zones de combat, rompus la clandestinit, aurols deleurs faits de gloire, de leur statut de combattant form dans les camps, deleurs sjours en prison, ou, pour une minorit, de leur savoir thologique.Ils sont ces divers titres plus ou moins rpertoris et localiss, en dpit deleurs multiples identits. Certains font lobjet dune mise lindex interna-tionale sur des listes publies sous lautorit du Conseil de scurit desNations unies qui impliquent le gel de leurs avoirs ou des interdictions desjour et de transit.

    Au total, ils constituent un ensemble ferm de quelques milliersdindividus, dont une partie significative a dj en 2006 t mise horsdtat de nuire ou a fait le choix de se retirer delle-mme. Une part dessurvivants nen demeure pas moins active. Elle use de son prestige et deson exprience pour rallier la cause les jeunes recrues de la troisimegnration.

    26 La France face au terrorisme

  • Une procdure de ralliement bien rdeLe recruteur sappuie sur les liens de proximit que crent la

    rgion, la tribu, le clan, la famille ou le voisinage (au sein de quartiers, demosques, de clubs de sport ou de prisons) pour faire jouer les ressorts tra-ditionnels de lembrigadement. De ce point de vue, la mobilisation relvede mcanismes plus politiques ou psychologiques que religieux.

    En pays musulman seront invoqus les idaux de puret et dedsintressement, auxquels la jeunesse est particulirement sensible, pourla dresser contre loccupant ou contre un pouvoir corrompu.

    En milieu occidental, seront plutt exploites les vulnrabilitsdont souffrent les gnrations successivement issues de limmigration, ycompris celles qui viennent de pays non musulmans (Carabes). Lobjectifest de canaliser vers le renouveau religieux et la rvolte le mal-tre quiexiste dans certaines grandes agglomrations.

    Les born again Le phnomne de la re-naissance musulmane constitue une desrponses possibles au besoin de recherche identitaire quprouventcertaines personnes parmi les plus vulnrables de notre socit, sou-vent jeunes, issues de limmigration ou de quartiers dfavoriss, auparcours familial ou professionnel heurt.

    Cherchant rsoudre leurs problmes personnels, elles se tournentvers lislamisme radical, qui offre une solution idologique sim-pliste et totalisante. Vcue sur le mode sectaire ou sur celui de laradicalisation politique, en opposition avec le milieu familial etsocial environnant, cette conversion se distingue nettement duretour aux valeurs religieuses de lislam hrites de la traditionfamiliale et culturelle.

    Pris en main par un recruteur charismatique et endurci parlinfluence dun groupe restreint de pairs, le born again retrouvedes repres, lestime de lui-mme et le respect de son entourage.

    Le chemin vers la violence terroriste nest heureusement pasautomatique. Mais ltape de la re-naissance peut danscertains cas y prparer les individus les plus influenableslorsque des circonstances politiques accrditent leurs yeux lathse dun islam agress et humili.

    Lexploitation des failles psychologiques des recrues potentiel-les est toujours puissamment aide, en pratique, par la dynamique degroupe restreint quengendre la cellule. Celle-ci offre en effet un cadrerecrant une forme de lien social entre des tres qui en manquent. Elleexerce surtout sur eux une pression entre pairs propice verrouiller lenga-gement initial au cas o celui-ci viendrait vaciller. Cest aussi en son sein

    27Le terrorisme mondial : une menace stratgique

  • que sopre lidologisation, cest--dire le basculement des motivationspersonnelles, dordre social ou familial, vers un engagement politico-reli-gieux finalit collective.

    Ces mthodes sont dautant plus efficaces que le milieu danslequel elles oprent est ferm. Cela explique leur succs en milieucarcral.

    On constate enfin que, mme si le passage lacte rsulte tou-jours, en dernire instance, dune dcision individuelle mrie solitaire-ment, il est quasiment toujours excut dans un cadre collectif, surtout silsaccompagne du suicide de ses auteurs.

    Une troisime vague plus problmatiqueque les prcdentesLa description du mode de ralliement des nouveaux terroristes

    permet de comprendre que la troisime vague pose des problmes diff-rents de ceux que soulvent les deux premires.

    Si lon fait exception des retours dIrak , inscrits dans lamme veine, identifiable, que celles des anciens dAfghanistan ou deBosnie, la caractristique principale des nouvelles recrues est dtre parti-culirement difficiles reprer.

    Les nouvelles recrues peuvent donner lapparence dune int-gration russie. Elles ne se font remarquer ni par une ferveur religieuse ouun militantisme particuliers ni par des dmls antrieurs avec les servicesde police. Elles ne se dmarquent en rien, ou si peu, du lot commun de lajeunesse, dont elles refltent lhtrognit des origines sociales et desniveaux dducation. Cette discrtion recherche contribue largir consi-drablement le nombre des milieux potentiellement risque, ce qui estdautant plus problmatique que le processus de radicalisation sestacclr.

    Cette description correspond au portrait des terroristes qui ontfrapp Madrid en mars 2004 et Londres en juillet 2005.

    * * *

    La menace prsente par le terrorisme mondial dinspirationislamiste devrait tre durable. Pourtant catalys depuis 2003 par le rayon-nement du foyer irakien, ce terrorisme ne sest pas transform en mouve-ment de masse. Mais il nprouvera aucun mal renouveler ses effectifs,mme sil continue tre soumis des pertes svres.

    28 La France face au terrorisme

  • Une gestion efficace des fluxdinformation, de financementet de dplacementsLes promoteurs du terrorisme mondial dinspiration islamiste

    saccommodent, bien quils sen dfendent, de la socit moderne. Ils enexploitent en tout cas systmatiquement les opportunits.

    La mondialisation se traduit notamment par la multiplication etlacclration des flux dinformation ou dargent. Les terroristes saisissenttoutes les possibilits offertes par ces changes, trs difficilement contr-lables, pour dissimuler leurs activits clandestines ou, linverse, pourvaloriser leurs faits darmes en tirant parti de toutes les ressources de lamdiatisation.

    La flexibilit et la lgret des structures des rseaux terroris-tes permettent ceux-ci dpouser les volutions induites par la mondiali-sation plus facilement que les tats chargs de les combattre.

    Lusage par les terroristesdes moyens de communication

    Le rseau internet, outil du terrorisme moderneLe web est le modle qui figure le mieux lactivit du terro-

    risme mondial. Il est non seulement en totale adquation avec la structurede la mouvance terroriste. Mais il est surtout devenu pour elle un vecteur tout faire. Elle sy sent chez elle.

    Le rseau internet permet un individu ou un groupe, mmeminuscule ou clandestin, de sadresser instantanment et ouvertement aumonde entier. Il permet tout aussi bien de se mettre en rapport, pareillementimmdiat mais discret, avec un nombre restreint de partenaires slectionns.Les caractristiques propres du rseau sur lequel transitent des flux incom-mensurables de donnes offrent de bonnes conditions danonymat.

    Pour leurs besoins de propagande, de recrutement, de forma-tion distance ou de transmission de messages, les terroristes utilisent tou-tes les ressources dinternet, des espaces ouverts aux espaces protgs. Lesservices les plus rcents fournis par le rseau peuvent mme les aider amliorer leurs capacits de reprage des cibles potentielles, grce auxdonnes de toutes sortes, y compris gographiques, voire dimagerie satel-litaire, qui sy trouvent en accs libre.

    Le rsultat de cet usage intensif dinternet est la cration dunespace virtuel, dont la porte dpasse le cadre du terrorisme. La commu-naut dinternautes sympathisants ainsi fdre peut nourrir lillusiondune oumma 1 runifie, sans frontires ni nationalits, unie contre un

    29Le terrorisme mondial : une menace stratgique

    (1) Communaut des croyants.

  • ennemi commun. Certains estiment mme que le terrorisme mondial dins-piration islamiste cherche crer un califat virtuel .

    Le dtournement de la tlvision des fins de propagandeReue dans tous les milieux et regarde tous les ges, la tl-

    vision par satellite est un autre moyen privilgi de propagande.

    Dans la rhtorique du terrorisme islamiste, lOccident fait delimage et du son les vecteurs dintrusion de ses valeurs dans chaque foyermusulman. Cependant, force est de constater que les terroristes et, plus large-ment, certains groupes extrmistes religieux musulmans, utilisent aujourdhuila tlvision pour servir leurs fins. Celle-ci renvoie ainsi aux spectateurs lesimages dotages implorant avant leur dcapitation ou dattentats-suicide,ponctues par les appels lancinants dOussama Ben Laden et dAyman AlZawahiri. Lobjectif des terroristes est denvoyer des messages de mobilisa-tion ceux dont ils se rclament et de dmoraliser ladversaire.

    Si les grands mdias transnationaux du monde arabo-musulmanfont gnralement preuve du professionnalisme ncessaire pour viterlinstrumentalisation, tel nest pas le cas de toutes les chanes satellitaires.

    Le tlphone portable est lui aussi adapt la structure trs clate des rseauxterroristesLes facults de reprage sur les rseaux de tlphonie mobile sont

    plus importantes quauparavant. Mais les possibilits quoffrent ces rseauxsont trop tentantes et les moyens dy prserver lanonymat encore suffisam-ment efficaces pour que leur utilisation soit vite par les terroristes, soit desfins oprationnelles soit, plus prosaquement, des fins personnelles.

    Les flux de financement du terrorismeLe financement du terrorisme se pose en termes aigus sur les

    terres de jihad . Dans ces zones, le combat paramilitaire et ce quilimplique (achat darmes et de munitions, acheminement et soutien descombattants, voire de leurs familles) cotent effectivement trs cher.Autant que les matriels ncessaires aux attentats, cest le recours des terroristes plein temps qui entrane des cots importants. Il impliqueun financement structur, qui salimente deux sources principales. Lapremire est la captation dune fraction de la rente ptrolire, notammentdans le golfe arabo-persique. La seconde provient des rseaux de collectetablis dans les pays occidentaux. Certains imams dtournent une partie dela zakat, contribution verse la mosque par les croyants.

    La scurit des transferts est assure par la diversit descanaux, qui sinscrivent le plus souvent possible en dehors des circuitsbancaires afin de faire chec aux mesures de surveillance et dalerte desmouvements de fonds internationaux.

    30 La France face au terrorisme

  • Les envois par mandat postal, fractionns, sont utiliss. LesONG caritatives islamiques ont longtemps constitu un vecteur prpond-rant, avant que leurs activits ne soient soumises dans notre pays uncontrle accru, depuis 2002. Mais dautres moyens tout aussi discrets sub-sistent. Cest le cas des vecteurs traditionnels les plus archaques, quinont rien perdu de leur efficacit. Les courriers humains sont ainsi large-ment utiliss, ainsi que le canal de la hawala 1. Enfin, des formes montairesmodernes sont apparues, qui permettent des transferts de fonds anonymes 2.

    En Europe, les besoins locaux sont bien moindres, en raisondactivits oprationnelles encore rares et peu coteuses. La question desflux de financement du terrorisme sy pose donc en des termes diffrents.Le cot dexcution des attentats perptrs Madrid en mars 2004 ou Londres en juillet 2005 est valu entre 15 000 et 20 000 euros. Les cellu-les peuvent se contenter de recourir la dlinquance, voire la petitedlinquance, pour assurer leur financement.

    Les dplacements de personnesLes mouvements de personnes demeurent indispensables dans

    certains cas, tels que lacheminement des volontaires vers les terres dejihad , le sjour ponctuel dun spcialiste ou la transmission de messagesou dargent par courrier humain. Ils ncessitent alors la confection de fauxdocuments didentit et de voyage, assure par quelques experts, dontlactivit est vitale pour la sphre terroriste.

    Lun des traits les plus inquitants de lvolution rcente tientprcisment ce que ces dplacements dangereux, car reprables deviennent de moins en moins ncessaires en raison des possibilits gn-ralises, y compris en Europe, de recrutements locaux et de services four-nis par internet.

    Des modes opratoires classiqueset pourtant reconnaissablesentre tousLe terrorisme mondial confre ses oprations, o quelles se

    produisent, une marque immdiatement reconnaissable, voulant accrditer

    31Le terrorisme mondial : une menace stratgique

    (1) Systme informel de transfert international de fonds utilis dans le mondemusulman. Il fonctionne par compensation entre correspondants.

    (2) Cest le cas des cartes magntiques prpayes, dites Cash U Cards, utilisesdans les pays arabes et au Royaume-Uni. Moins scurises que les cartes de crdit,elles sont anonymes et ne ncessitent aucune ouverture de compte. Elles permettentde transfrer des fonds ou deffectuer des achats en ligne sans lintermdiaire dunebanque.

  • lide dune entreprise globale capable de frapper tout moment et en toutlieu (cf. annexe 1).

    lexception des attentats du 11 septembre 2001, on doit cons-tater que les promoteurs du terrorisme mondial ont cherch le plus souvent aller au plus simple. Ils se sont contents jusquici de gnraliser lusagede lexplosif et de lattentat suicide. Leur marque de fabrique nestdonc pas rvle par la nature des attentats.

    Leur originalit se situe plutt dans les modalits dexercice.Celles-ci se caractrisent en premier lieu par la simultanit des explosionssur un ou plusieurs sites (treize charges dans quatre trains Madrid enmars 2004 ; attaques simultanes de trois rames de mtro et dun bus Londres en juillet 2005 ; explosions de plusieurs centaines de charges defaible puissance au Bangladesh en 2005). Ce sont aussi le choix de ciblesdites molles , cest--dire non directement protges et de nature civile,ainsi que la volont de causer le maximum de pertes humaines. Cest enfinla gestion du temps, caractrise lorigine par leffet de surprise deschances, longtemps dconnectes de tout calendrier politique, et par larptition lancinante des attaques dans la dure.

    La marque de fabrique appose sur les attentats causs par leterrorisme mondial depuis 2001 a toutefois connu une certaine volution,sous leffet du processus dirakisation du mouvement. En Irak mme,le dveloppement dune gurilla lancienne, qui a rapidement atteint unetrs grande chelle, a favoris le retour aux assassinats cibls et aux prisesdotages. Les attentats-suicide se sont multiplis. Par contagion, ces proc-ds ont commenc se rpandre hors dIrak pour gagner dabord lArabiesaoudite, puis lAfghanistan, le Maghreb et mme lEurope.

    Les attaques menes en Europe ont t, semble-t-il, rattaches des chances politiques (lections lgislatives en Espagne en 2004 ;sommet du G8 au Royaume-Uni en 2005). Certains y ont dcel la volontde peser directement sur la vie politique des tats. Il peut tout simplementsagir de la recherche dun impact mdiatique et symbolique maximal. Endpit de leur succs, les attentats commis en Europe ont t aussi caractri-ss par le relatif amateurisme de recrues locales formes sur le tas et pro-bablement autofinances.

    Au dbut de lanne 2006, notre continent a donc exprimenttous les procds, sinon utilisables, du moins utiliss jusqualors par le ter-rorisme mondial : attentats aveugles et simultans, assassinat cibl, fran-chissement de la barrire du suicide.

    Le terrorisme mondial continue de privilgier limportance dunombre instantan de victimes sur toute autre considration. Ce choixdemeure guid par la volont dadresser un message dhostilit frontale aumonde que les cibles retenues symbolisent. Mais quelle que soit leffica-cit de ce mode opratoire, sa rptition apparat long terme en contra-diction avec lexigence de nouveaut et de surenchre laquelle se sontsoumis les terroristes.

    32 La France face au terrorisme

  • Chapitre 3

    Des perspectivesproccupantespour la France

    La France est un objectifparticulier au sein de lEurope,cible du terrorismeLe terrorisme mondial dinspirationislamiste npargne pas la FranceLa France mne une politique extrieure quilibre, qui prne

    le respect du droit et le multilatralisme et qui est lcoute des pays lesplus dfavoriss. En aucun cas cette politique nest dirige contre un tat.En dpit de cela, notre pays fait lobjet dattaques de la part des inspira-teurs du terrorisme mondial.

    Le rquisitoire est toujours construit autour des mmes griefs :pass prsent comme particulirement lourd (des croisades jusqu lacolonisation) ; prsence militaire sur des terres musulmanes (par exemple Djibouti) ; soutien affirm aux rgimes apostats , spcialement auMaghreb ; lacit affiche de ltat rpublicain ; prtention organiserlislam selon un modle national (avec la cration en 2003 du Conseil fran-ais du culte musulman) ; dtermination des juges et des services franais neutraliser prventivement les terroristes et leurs complices.

    33Le terrorisme mondial : une menace stratgique

  • Deux griefs supplmentaires sont venus sajouter, dans lapriode la plus rcente. Il sagit de la loi du 15 mars 2004 sur les signesreligieux lcole 1, dmonstration de notre attachement sans faille lalacit, et de la participation des forces franaises aux oprations menesen Afghanistan.

    La France est directement vise, de manire ritre, par lesdiverses dclarations de guerre profres par les porte-parole du terrorismemondial dinspiration islamiste.

    Ds 1998, anne de la cration dAl Qada dans sa forme histo-rique, Oussama Ben Laden avait ainsi inscrit les implantations militairesfranaises Djibouti parmi les 23 objectifs de lorganisation. Par la suite,la visite en France, en avril 2001, du commandant Massoud, ennemidclar des Taliban 2, avait amen le chef dAl Qada tenir des proposvirulents contre notre pays, dnonc comme son deuxime adversaireaprs les tats-Unis.

    Depuis le 11 septembre 2001, pas moins de neuf communiqusont allong la liste des appels nous punir. Parmi les principaux, on peutciter celui dAyman Al Zawahiri en date du 24 fvrier 2004 et celui publile 18 mai 2005 par Abou Moussab Al Zarkaoui, chef dAl Qada en Irak,dnonant tous deux la loi prohibant les signes religieux lcole. Plusproccupantes encore sont les dclarations de lmir du Groupe sala-fiste pour la prdication et le combat (GSPC) qui, durant lt 2005, a qua-lifi la France dennemi no 1 , confirmant lhostilit ouverte desextrmistes maghrbins lgard de lex-puissance coloniale.

    Lattentat de Karachi, le 8 mai 2002, contre les ingnieurs deDCN 3, lattaque contre le ptrolier Limburg, le 6 octobre 2002, et lenl-vement des otages franais en Irak ds 2004 ont confirm que notre paysne faisait pas lobjet dun traitement particulier et quil ntait pas pr-serv des agressions. En outre, les nombreuses tentatives djoues sur lesol national depuis 1998, Strasbourg ou dans la rgion parisienne 4, mon-trent que certains groupes ont dj form le projet de sen prendre directe-ment la France par des attentats de grande ampleur (cf. annexe 2).

    34 La France face au terrorisme

    (1) La loi no 2004-228 du 15 mars 2004 encadre, en application du principe delacit, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dansles coles, collges et lyces publics. Son application est circonscrite aux colespubliques de lenseignement primaire et secondaire.

    (2) Et assassin le 9 septembre 2001 par des proches dOussama Ben Laden, deuxjours avant les attentats perptrs aux tats-Unis.

    (3) Lancienne direction des constructions navales.(4) Par exemple, et entre autres : 5 octobre 2001, dmantlement dune celluleislamiste algrienne souponne de prparer un attentat loccasion du match defootball France-Algrie du 6 octobre 2001 ; 16 dcembre 2002, dmantlement LaCourneuve dune cellule souponne de prparer des attaques non conventionnelles( laide de produits chimiques) ; 26 septembre 2005, opration de police mene enFrance contre une cellule danciens membres du GIA souponns de prparer desattentats contre le sige de la DST (Direction de la surveillance du territoire),laroport dOrly et le mtro parisien.

  • LEurope, cible du terrorismePlus proche et plus accessible que les tats-Unis depuis le

    Moyen-Orient, lEurope offre une alternative quiconque envisage de senprendre lennemi lointain . Elle comporte un vaste ventail de ciblesspectaculaires, pour certaines lies aux tats-Unis ou Isral, de nature assurer un retentissement plantaire aux attaques dont elles seraientlobjet. Enfin, lEurope compte un nombre important de musulmans qui lamettent en prise directe avec les zones de crise.

    Lespace Schengen 1 auquel appartient notre pays se caract-rise par lexistence dune frontire extrieure unique o sont effectus lescontrles dentre, selon des procdures identiques et partir dun fichierrecensant les personnes indsirables. Il se caractrise aussi par la suppres-sion des contrles aux frontires intrieures. Sa mise en place a constituune tape importante dans le processus de construction europenne. Elledoit tre consolide car, si cet espace nest pas facile pntrer, la librecirculation des personnes en son sein peut faciliter lorganisation et lesdplacements des filires installes en Europe.

    Les causes du basculement du continent europen dans la cat-gorie des zones oprationnelles sont rechercher dans divers facteursaggravants de la menace, rcemment apparus.

    Les facteurs dune menaceaggrave pour la Franceet pour lEuropeLe premier des facteurs daggravation est le dveloppement

    dune gnration de rvolts domicile , de nationalit franaise ounon, musulmans de longue date ou rcemment convertis.

    Si les islamistes partis de France pour combattre en Irak enrevenaient ou si certains des milliers de combattants maghrbins qui sysont rendus en faisaient autant, un deuxime facteur daggravation de lamenace prendrait corps immdiatement. De tels terroristes, aurols deprestige, pourraient reprsenter une force dattraction pour de nombreuxjeunes de la mme gnration. Ces nouveaux grads pourraient devenirlme de nouveaux rseaux, auxquels ils apporteraient en outre des comp-tences en matire de terrorisme urbain.

    35Le terrorisme mondial : une menace stratgique

    (1) Du nom de deux conventions, signes en 1985 et 1990 dans cette ville duLuxembourg par cinq pays dont la France. Cette coopration a t intgre de pleindroit dans les politiques communautaires depuis lentre en vigueur du traitdAmsterdam en 1999. Elle regroupe aujourdhui les quinze membres historiques delUnion, avec des rgimes spciaux pour le Danemark et le Royaume-Uni, et a tlargie, selon des modalits particulires, aux pays non-membres que sont laNorvge, lIslande et la Suisse.

  • Le troisime facteur daggravation est le mouvement de transnationalisation du terrorisme des groupes algriens, libyens,marocains et tunisiens. Aiguillonnes par certains terroristes la pointe ducombat en Irak, fortes dsormais dun sentiment dappartenance unecause fdratrice, les cellules de soutien, notamment au GSPC, quabritentla France et ses voisins pourraient tre tentes de suivre la voie, trace il ydix ans par celles affilies au GIA, et basculer de lappui logistique aucombat en Algrie des actions violentes diriges contre la France.

    Un dernier facteur aggravant de la menace tient sa discrtionet sa dcentralisation croissantes. Laccs par lintermdiaire du rseauinternet toutes sortes de comptences ou, dans un registre diffrent, laradicalisation en milieu carcral, dispensent les apprentis terroristes detoute intgration un mouvement fondamentaliste et de tout dplacementvers des coles coraniques (comme les madrassas pakistanaises 1) ou versdes camps dentranement moins nombreux et plus lointains. Les contactsavec les vtrans peuvent ainsi se nouer de manire plus discrte.

    La gestation de la menace comporte dsormais une part quasi-ment silencieuse, plus difficilement dtectable par les services de rensei-gnement et de scurit.

    Lvolution rcente du terrorisme mondial dans le sens duneplus grande atomisation devrait impliquer normalement une moindresophistication des actions. Il reste dterminer si cette tendance resteralongtemps exclusive dun mouvement inverse vers des modes opratoiresplus spectaculaires ou plus meurtriers.

    Car on ne peut exclure une autre mutation qui conduirait au ter-rorisme nuclaire, radiologique, biologique ou chimique. Nul interditmoral ne sy oppose du point de vue des terroristes. Ceux-ci ont en effetsuffisamment dmontr quaucune horreur ne les rebutait et quils nengligeraient a priori aucun mode opratoire pour peu quil rponde leurs critres defficacit. Il ne fait aucun doute, dailleurs, que certainsdentre eux ont dj rflchi lutilisation de telles armes et quils ontsong sen procurer. Oussama Ben Laden a ainsi fait mention, plusieursreprises, du besoin de lislam de se doter darmes nuclaires ou chimi-ques 2. Plusieurs thologiens extrmistes ont lgitim dans leurs critslutilisation darmes de destruction massive contre des civils occidentaux.Les oprations menes en Afghanistan par la coalition ont en outre permisdtablir quAl Qada avait men, avant 2001, des recherches assez avan-ces dans les domaines biologique et chimique, avec le concours dexpertsde bon niveau. Plusieurs terroristes interpells en France depuis 2001staient engags dans des projets terroristes comportant un volet nonconventionnel rudimentaire.

    36 La France face au terrorisme

    (1) Certaines de ces coles ont t repres comme des centres de formationdu terrorisme mondial dinspiration islamiste.

    (2) Ses propos pouvaient laisser penser nanmoins quil se rfrait davantage lensemble des peuples musulmans qu sa propre organisation.

  • Plusieurs obstacles se dressent encore en travers de la volontde commettre un attentat dune telle nature. Il faut tout dabord disposerdun niveau minimal de connaissances scientifiques ou techniques. Ildemeure encore le plus souvent ardu de se procurer les matires, les com-posants ou les matriels ncessaires. Les manipulations sont souvent com-plexes et dangereuses. Un attentat perptr laide de moyens nonconventionnels ne peut russir que dans des conditions dexcution bienprcises. Il comporte donc un certain risque dchec. La perte du sanc-tuaire afghan a aussi priv les terroristes de la capacit de dvelopper desprojets non conventionnels denvergure. Ce sont probablement ces compli-cations qui ont conduit Al Qada adopter, sauf en de rares occasions, unprocessus opratoire plus rustique, associant des techniques prouves(recours systmatique lexplosif) avec un mode original dutilisation(simultanit massive dans des lieux ouverts au public).

    Mais dautres facteurs font craindre le recours des formes deterrorisme utilisant des armes non conventionnelles. Le besoin de nou-veaut dans la manipulation de la terreur en est un. La diffusion grandis-sante des technologies, des quipements et des savoir-faire ncessaires auterrorisme chimique et surtout biologique en est un autre. Elle permet eneffet de franchir certains obstacles techniques. Le recrutement dindividusbien intgrs dans les socits europennes et disposant de formations enchimie et en biologie peut permettre la mise en uvre de savoir-faire fai-sant appel des produits chimiques hautement toxiques, facilement dispo-nibles dans le commerce et lindustrie, ou des protocoles de fabricationet demploi accessibles dans le domaine biologique.

    37Le terrorisme mondial : une menace stratgique

  • Deuxime partie

    Le dispositiffranais de luttecontrele terrorismedoit continuer sadapter

  • La menace reprsente par le terrorisme mondial est susceptiblede se concrtiser par des types dattentats trs divers que notre pays doit treen mesure de contrer. Pour se prparer faire face toute ventualit, ilconvient dprouver notre dispositif de lutte laune dun nombre limit descnarios mettant en vidence les principales mesures destines prvenirles actes de terrorisme et y rpondre sils nont pu tre vits.

    Sept scnarios pour testernotre dispositif de lutte antiterroristeLes scnarios dcrits ci-dessous ne sont pas des instruments de pr-diction de lavenir. Plusieurs dentre eux sont aujourdhui peu pro-bables en raison de leur degr de complexit. Pris dans leurensemble, ils permettent nanmoins de dessiner le contour des politi-ques que nous devons mener pour lutter efficacement contre le terro-risme dans toutes ses manifestations.

    Campagne dattentats lexplosifUn groupe terroriste tente de conduire une campagne dattentatsrpts tale sur plusieurs mois sous forme dexplosions dans deslieux accueillant du public (mtro, bus, aroports, coles...).

    Les aspects les plus sollicits de notre dispositif de lutte contre le ter-rorisme seraient : la capacit identifier et neutraliser au plus vite les auteurs desattentats ; la capacit de lensemble des services judiciaires, de renseigne-ment et de scurit mener durablement une activit intense ; la capacit maintenir la vigilance de la population et des servi-ces de ltat en faisant fonctionner le pays au rythme des mesurescontraignantes du niveau rouge voire carlate du planVIGIPIRATE 1 pendant plusieurs mois ; lapplication dans la dure de mesures drastiques et cohrentesde scurit lensemble des grandes infrastructures recevant dupublic.

    Attentats multiples simultansUne organisation terroriste cherche provoquer dans des tablisse-ments recevant du public des explosions simultanes en recourantnotamment des attentats-suicide. Les cibles retenues sont, parexemple, de grands centres commerciaux.

    Les aspects les plus sollicits de notre dispositif de lutte contre le ter-rorisme seraient : laction en amont des services de renseignement ;

    41Le dispositif franais de lutte contre le terrorismedoit continuer sadapter

    (1) Voir p. 70.

  • les mesures de vigilance, de prvention et de protection prisesdans le cadre du plan VIGIPIRATE ; la scurisation interne, un niveau lev, dun grand nombredtablissements recevant du public ; la diffusion rapide de lalerte ; le dclenchement simultan de plusieurs plans de secours aux vic-times ; le renforcement des mesures de scurit des matires premirescorrespondant aux explosifs utiliss (accs, traabilit) pour viterune seconde vague dattentats.

    Attentats diversifis transfrontaliers

    Trois quipes de terroristes tentent doprer simultanment dansplusieurs pays voisins. La premire quipe a pour objectif desemparer dun cargo appareillant dun pays proche afin de provo-quer un sinistre dans le terminal ptrolier de lun de nos ports. Ladeuxime fomente un attentat destin semer la confusion au voisi-nage immdiat dune centrale nuclaire situe prs de la frontire.La troisime tente de sattaquer aux systmes informatiques pourdsorganiser les rseaux de secours.

    Les aspects les plus sollicits de notre dispositif de lutte contre le ter-rorisme seraient : les procdures oprationnelles entre la France et ses voisins, ycompris en matire de communication publique ; les mesures de prvention du cyberterrorisme ; les mesures de neutralisation et de raction prvues dans les plansdintervention spcialiss (PIRANET, PIRATE-MER, PIRATOME...). 1

    Attentat radiologique

    Un terroriste tente de faire exploser une bombe sale (engin com-pos dun explosif et de matires radioactives) dans un rseau sou-terrain de transport public.

    Les aspects les plus sollicits de notre dispositif de lutte contre le ter-rorisme seraient : les mesures nationales et la coopration internationale en matirede contrle des sources radioactives ; la capacit de dtection prcoce dexplosifs et de substancesnocives ; la communication publique ; la dcontamination des lieux pollus par les matires radioactivesdisperses ; les mesures de neutralisation et de raction prvues dans le planPIRATOME.

    42 La France face au terrorisme

    (1) Voir p. 70.

  • Attentat chimique

    Un groupe terroriste tente de rpandre un neurotoxique puissantdorigine industrielle dans une grande gare une heure daffluence,avec pour objectif de provoquer un trs grand nombre de victimes.

    Les aspects les plus sollicits de notre dispositif de lutte contre le ter-rorisme seraient : la capacit de dtection prcoce de lacquisition et de la transfor-mation de produits prcurseurs de composs neurotoxiques ; les mesures de protection du plan VIGIPIRATE et les actions demise en alerte et de neutralisation prventive du plan spcialisdintervention PIRATOX ; la capacit didentification immdiate du gaz neurotoxique etdintervention rapide des services de scurit et de secours enatmosphre potentiellement contamine ; la communication publique ; la dcontamination des lieux pollus par le gaz neurotoxique.

    Attaque biologique infectieuse

    Un groupe terroriste tente dacqurir un agent infectieux trs conta-gieux et provoquant une mortalit importante. Il souhaite lerpandre dans plusieurs endroits pour dclencher une pidmie sus-ceptible de durer plusieurs mois.

    Les aspects les plus sollicits de notre dispositif de lutte contre le ter-rorisme seraient : la dtection prcoce de lpidmie par lidentification de signes clini-ques diffus et le rapprochement danalyses de plusieurs laboratoires ; llaboration de procdures visant confiner les foyers infec-tieux, traiter les malades et continuer faire fonctionner les ser-vices conomiques et sociaux dans la dure ; la fabrication et la distribution de traitements prophylactiques etthrapeutiques ; la communication publique ; lapplication dune rglementation contraignante de situationdurgence en matire de sant publique, limitant les mouvements etles activits de la population ; les mesures de neutralisation et de raction prvues dans le planBIOTOX.

    Tentative de dtournement dune arme nuclaire

    Un groupe terroriste tente dacheminer une arme nuclaire depuisltranger vers un centre urbain en vue de provoquer une explosion.

    Les aspects les plus sollicits de notre dispositif de lutte contre le ter-rorisme seraient : laction internationale contre la prolifration des armes nuclaires ; la capacit de dtecter lacheminement de larme et de mettre enuvre une opration dinterception durant son transit ; la capacit de neutralisation rapide de larme ; les mesures de raction prvues dans le plan PIRATOME ;

    43Le dispositif franais de lutte contre le terrorismedoit continuer sadapter

  • la capacit dvacuation de la population ; si le groupe terroriste parvenait ses fins, la capacit detraitement des victimes court terme et dans la dure, le main-tien de capacits de communication en mode fortementdgrad, la rhabilitation des zones affectes.

    Les scnarios voqus ci-dessus ne sauraient tre exhaustifs.Dautres menaces, susceptibles dtre mises excution, sont prises encompte par le dispositif national de lutte contre le terrorisme.

    Pour parer toutes les attaques envisageables, notre dispositifdoit continuer sadapter. Nous devons avoir pour objectifs de prvenirles risques et les menaces par la surveillance, la dtection et la neutralisa-tion des terroristes potentiels, de rduire nos vulnrabilits, de renforcernos capacits de gestion de crise terroriste et daffirmer nos capacits derparation et de sanction.

    44 La France face au terrorisme

  • Chapitre 1

    Prvenir le risque :surveiller, dtecter,neutraliser

    La mission de prvention est essentielle dans la lutte contre leterrorisme. Les moyens de dtection des individus les plus dangereux, deneutralisation de ceux qui envisagent de passer lacte et de surveillance desmilieux risque existent dans notre pays. Cela est dautant plus efficace que lesystme pnal franais et cest sa force ntablit pas de frontire tanche entreprvention et rpression.

    Cette mission de prvention mobilise chaque jour nos servicesde renseignement, nos forces de scurit intrieure charges de contrlerles personnes et les biens qui entrent, sortent et transitent sur notre terri-toire, nos magistrats antiterroristes, nos forces armes et notre diplomatie.

    Le dispositif de prvention contre le terrorisme en place dansnotre pays est solide et il a prouv son efficacit. Mais lvolution de lamenace terroriste, caractrise par le dveloppement du terrorisme mon-dial, doit nous conduire poursuivre ladaptation de ce dispositif. Cetimpratif a constitu un axe directeur de la loi du 23 janvier 2006 relative la lutte contre le terrorisme.

    45Le dispositif franais de lutte contre le terrorismedoit continuer sadapter

  • Renforcer les capacitsdes services de renseignementet de scuritRenforcer les capacits de reprageLefficacit de lactivit des services de renseignement et de

    scurit, de police ou de gendarmerie rside dans la capacit de ces servi-ces anticiper laction violente et analyser lensemble des mcanismesqui concourent au dveloppement du phnomne terroriste pour mieux lecontrer. Cela justifie lamlioration de nos capacits de surveillance descommunications lectroniques, la facilitation de laccs des services derenseignement et de scurit certains fichiers administratifs et une meil-leure identification des voyageurs dangereux.

    Amliorer la surveillance des communicationslectroniquesComme on la vu, les acteurs du terrorisme mondial sont fami-

    liers du rseau internet, car celui-ci leur offre une bonne discrtion.

    1) Par les normes techniques qui le rgissent, le rseau internetest propice la furtivit, la notion d identifiant 1 y tant souvent vir-tuelle et temporaire.

    2) Un individu peut multiplier les identifiants. Il peut ainsi dis-poser dun trs grand nombre dadresses lectroniques fournies soit parson oprateur internet soit par des fournisseurs de services mondiaux quipermettent, sans aucun contrle didentit, la cration dadresses de mes-sagerie. Ces mmes fournisseurs de services offrent aussi la possibilit,sans plus de contrle, de crer des sites internet.

    3) Les fournisseurs daccs internet sont nombreux. Certainssont moins sensibles aux proccupations de scurit que les oprateurstlphoniques traditionnels.

    4) Les services offerts se multiplient. Au dbut des annes2000, le courrier lectronique et les forums 2 taient les vecteurs prpond-rants. En 2006, ceux-ci ne sont plus que des modes de transmission parmidautres : on peut communiquer par chat 3, utiliser les systmes de messa-gerie instantane, crer des systmes semi-privs de communication, setransmettre des fichiers, mme trs volumineux, en peer to peer 4, tlpho-

    46 La France face au terrorisme

    (1) Un identifiant est le nom que se choisit lutilisateur ou qui lui est attribupour sidentifier sur internet.

    (2) Sites de discussion thmatiques.(3) Discussion relaye par internet (en anglais, internet relay chat), un chatpermet de communiquer de manire instantane avec dautres personnes.

    (4) P2P, cest--dire directement dordinateur ordinateur, sans que les donnestransitent par un systme centralis.

  • ner sans emprunter les rseaux habituels de tlphonie 1, chiffrer les chan-ges grce aux logiciels du commerce offrant cette possibilit et mmediscuter trs facilement en vidoconfrence.

    5) Les modes daccs internet se diversifient : lorigine on yaccdait par le tlphone fixe de son domicile. Aujourdhui, on y accdeaussi par le cble, par les rseaux de tlphonie mobile ou par satellite. Lespoints daccs eux-mmes se multiplient : on peut naviguer sur inter-net, et donc consulter sa messagerie distance, dans les cybercafs, oudans la plupart des lieux publics quips dune connexion wifi 2, parfois enaccs libre. Ces modes de connexion se dveloppent sur les rseaux physi-ques et sur les nuds de communication : on en trouve dans les htels, lesgares, les aroports, les stations services des autoroutes...

    Le rseau internet comporte deux volets. Lun est ouvert. Ildonne un accs libre linformation travers les sites web, certains chats,certains forums, certains blogs 3, ds lors que lon se connecte aux bonnesadresses. Lautre est ferm. Il comporte notamment les messageries lec-troniques traditionnelles, les messageries instantanes, les comptes de tl-phonie. Laccs linformation est souvent protg par des identifiants etdes mots de passe.

    La cration, par la loi du 23 janvier 2006 relative la luttecontre le terrorisme, dune procdure de rquisition administrative desdonnes de connexions auprs des oprateurs, sous le contrle dune auto-rit indpendante, permet aux services spcialiss dagir plus efficacementet plus rapidement aux fins de prvention des actes de terrorisme. Le dis-positif est activable 24 heures sur 24 en cas durgence.

    Les services de renseignement doivent pouvoir identifier etslectionner les informations dignes dintrt dans la masse de celles dis-ponibles sur le volet ouvert dinternet. Ils doivent aussi pouvoir accder,sous certaines conditions, celles qui circulent sur le volet ferm.

    Une adaptation de la loi du 10 juillet 1991 rglementant lesinterceptions de scurit sera sans doute ncessaire, ne serait-ce que pourpermettre de cibler, non plus seulement un numro de tlphone prdter-min, mais un individu, avec toute la palette des moyens de communica-tion et des services quil utilise.

    Nous devons en outre nous impliquer plus fortement danslentreprise de dfinition des normes auxquelles doit rpondre internet.Pour cela, nous devons mener une politique dinfluence plus dterminedans les instances de rgulation du rseau, tant sous langle de sondveloppement oprationnel 4 que sous celui de la recherche plus fonda-

    47Le dispositif franais de lutte contre le terrorismedoit continuer sadapter

    (1) Grce par exemple des logiciels disponibles en tlchargement gratuit, et pourlutilisation desquels rien dautre nest exig quun identifiant et un mot de passe.

    (2) Cest--dire par rseau sans fil local.(3) Un blog est un site internet sur lequel une ou plusieurs personnes peuventsexprimer, le plus souvent sous la forme dun journal de bord (weBLOG).

    (4) Au niveau de lIETF, lInternet Engineering Task Force.

  • mentale 1, notamment afin de peser en faveur de choix techniques et juridi-ques permettant de limiter lanonymat des changes.

    Autoriser laccs des services de renseignementet de scurit certains fichiers administratifs de droit commun La discrtion accrue des terroristes et leurs capacits de com-

    munication ou de dplacement dans un anonymat relatif sont des obstacles laction prventive efficace des services spcialiss. Ceux-ci doiventtenir compte de lvolution du profil des nouvelles recrues. Ces derniressont souvent soit inconnues au pralable des services de police, soitconnues pour un pass dlinquant de droit commun qui ne permet pas deprjuger dun basculement vers le radicalisme islamiste.

    Or, lidentification dun terroriste avant tout passage lactepeut dpendre de la vrification dun simple renseignement oprationnel,souvent dans lurgence.

    Jusquen 2006, les services de renseignement navaient paslgalement accs aux fichiers administratifs courants 2, linverse de laplupart de leurs homologues trangers. La loi du 23 janvier 2006 relative la lutte contre le terrorisme leur a donn accs aux donnes personnellescontenues dans ces fichiers, grs par le ministre de lIntrieur, afinquils soient en mesure de procder aux vrifications qui simposent dansles dlais oprationnels utiles.

    Toutes les interrogations effectues par les services de policesont conserves et places sous le contrle de la Commission nationale delinformatique et des liberts (CNIL). Elles ne concernent que des donnespersonnelles non sensibles, comme ltat civil ou ladresse. Laccs ven-tuel des donnes plus sensibles, comme celles contenues dans les fichiersbancaires, fiscaux ou sociaux, nest possible que dans le cadre dune pro-cdure judiciaire.

    Mieux identifier les voyageurs dangereuxPour les services de police chargs de la lutte antiterroriste, il

    est dterminant davoir accs des informations sur les voyageurs se ren-dant de manire rgulire ou prolonge dans les pays connus pour abriterdes lieux de radicalisation, ainsi que sur les dplacements des individusdj reprs.

    Le Fichier national transfrontire (FNT) rpond dans son prin-cipe cet objectif. Son mode dalimentation est toutefois devenu ineffi-cace et obsolte. Les fiches dembarquement et de dbarquement rempliespar les passagers concerns sont purement dclaratives et ne peuvent fairelobjet dun contrle systmatique. En outre, la saisie manuelle des fiches

    48 La France face au terrorisme

    (1) Ce travail de recherche revient lIRTF, lInternet Research Task Force.(2) Fichiers des cartes didentit et des passeports ; fichiers des visas et des titres desjour ; fichiers des cartes grises et des permis de conduire.

  • est devenue un travail gigantesque avec la croissance des flux du transportarien. Elle monopolise indment des agents requis pour effectuer des con-trles de sret et des contrles aux frontires. En autorisant lalimentationautomatique du FNT partir de la lecture optique des documents devoyage et des visas au moment du contrle transfrontalier, la loi du 23 jan-vier 2006 a ouvert le chantier de la modernisation rapide de ce fichier.

    Les fichiers des compagnies ariennes sont eux aussi unesource dinformation utile la lutte antiterroriste. Il en existe deux types :les fichiers commerciaux de rservation 1 et les fichiers de contrle desdparts 2. Tous deux comportent des donnes nominatives relatives auxvoyageurs ainsi que des informations sur les vols emprunts.

    Laccs aux donnes de rservation, de contrle des dparts et decontrle transfrontalier avant le vol permet aux services chargs de la luttecontre le terrorisme de procder des vrifications parfois plusieurs joursavant le dplacement. Lefficacit du traitement de linformation antiterroristeimplique que ces donnes soient rapproches entre elles et, dans certains cas,c