L‘imputabilité dans le droit de la responsabilité...

of 452 /452
1 UNIVERSITÉ DE STRASBOURG École doctorale Droit, Science Politique et Histoire L‘imputabilité dans le droit de la responsabilité internationale Essai sur la commission d‘un fait illicite par un Etat ou une organisation internationale François FINCK Thèse pour l‘obtention du doctorat en droit de l‘Université de Strasbourg Droit international public Soutenance publique 1 er juin 2011 Jury : M. Hervé ASCENSIO, Professeur à l‘Université Paris-I Panthéon-Sorbonne (rapporteur) M. Syméon KARAGIANNIS, Professeur à l‘Université de Strasbourg M. Christian MESTRE, Professeur à l‘Université de Strasbourg, ancien Président de l‘Université Robert Schuman (directeur de thèse) M. Yves PETIT, Professeur à l‘Université de Nancy (rapporteur)

Embed Size (px)

Transcript of L‘imputabilité dans le droit de la responsabilité...

  • 1

    UNIVERSIT DE STRASBOURG

    cole doctorale Droit, Science Politique et Histoire

    Limputabilit dans le droit de la responsabilit internationale

    Essai sur la commission dun fait illicite par un Etat ou une organisation internationale

    Franois FINCK

    Thse pour lobtention du doctorat en droit de lUniversit de Strasbourg

    Droit international public

    Soutenance publique 1er

    juin 2011

    Jury :

    M. Herv ASCENSIO, Professeur lUniversit Paris-I Panthon-Sorbonne (rapporteur)

    M. Symon KARAGIANNIS, Professeur lUniversit de Strasbourg

    M. Christian MESTRE, Professeur lUniversit de Strasbourg, ancien Prsident de

    lUniversit Robert Schuman (directeur de thse)

    M. Yves PETIT, Professeur lUniversit de Nancy (rapporteur)

  • 2

  • 3

    Je remercie Kasia pour son soutien et ses encouragements

  • 4

  • 5

    Principaux sigles utiliss

    Priodiques :

    ACDI : Annuaire de la Commission du droit international

    AFDI : Annuaire franais de droit international

    AIDI : Annuaire de lInstitut du droit international

    AJIL: American Journal of International Law

    BYBIL: British Yearbook of International Law

    EJIL: European Journal of International Law

    HRLR: Human Rights Law Review

    ICLQ: International and Comparative Law Quarterly

    ILM: International Legal Materials

    ILR: International Law Reports

    Melbourne JIL: Melbourne Journal of International Law

    NJW : Neue Juristische Wochenschrift

    NYIL: Netherlands Yearbook of International Law

    NYUJILP: New York University Journal of International Law and Politics

    RBDI : Revue belge de droit international

    RCADI : Recueil des cours de lAcadmie de droit international

    RDILC : Revue de droit international et de lgislation compare

    RGDIP : Revue gnrale de droit international public

    RSA : Recueil des sentences arbitrales

  • 6

    RTDE : Revue trimestrielle de droit europen

    RTDH : Revue trimestrielle des droits de lhomme

    Organisations internationales, Etats, juridictions, et autres :

    ACP (Etats) : Afrique, Carabes, Pacifique

    ALENA : Accord de libre-change Nord-amricain

    AOI : Arab Organization for Industrialization

    ARDE : Alliance rvolutionnaire dmocratique (mouvement rebelle nicaraguayen)

    ASE : Agence spatiale europenne

    CAEM : Conseil dassistance conomique mutuelle

    CDH : Comit des droits de lhomme

    CDI : Commission du droit international

    CE : Conseil dEtat

    CECA : Communaut europenne du charbon et de lacier

    CFDT : Confdration franaise dmocratique du Travail

    CIE : Conseil international de lEtain

    CIJ : Cour internationale de Justice

    CIRDI : Centre international de rglement des diffrends relatifs linvestissement

    CJCE : Cour de justice des Communauts europennes

    CJUE : Cour de justice de lUnion europenne

    CMP : Conseil de mise en uvre de la paix

  • 7

    ComEDH : Commission europenne des droits de lhomme

    CourEDH : Cour europenne des droits de lhomme

    CPJI : Cour permanente de justice internationale

    CSCE : Confrence pour la scurit et la coopration en Europe

    FDN : Force dmocratique nicaraguayenne (mouvement rebelle nicaraguayen)

    FINUL : Force intrimaire des Nations Unies au Liban

    FNUOD : Force des Nations Unies charge dobserver le dsengagement

    FORPRONU : Force de protection des Nations Unies

    FUNU : Force durgence des Nations Unies

    HV : Forces armes de la Rpublique de Croatie

    HVO : Forces armes croates de Bosnie

    IDI : Institut du Droit international

    ILA : International Law Association

    JNA : Forces armes de la RSFY

    KFOR : Kosovo Force

    MINUK : Mission dadministration intrimaire des Nations Unies au Kosovo

    MLC : Mouvement de Libration du Congo

    OAS : Organisation de lArme secrte

    OMC : Organisation mondiale du Commerce

    ONU : Organisation des Nations Unies

    ONUC : Opration des Nations Unies au Congo

  • 8

    ONUSOM : Opration des Nations Unies en Somalie

    OTAN : Organisation du Trait de lAtlantique Nord

    RDC : Rpublique dmocratique du Congo

    RFA : Rpublique fdrale dAllemagne

    RFY : Rpublique fdrale de Yougoslavie

    RMT : Rpublique moldave de Transniestrie

    RS : Republika Srpska , Rpublique serbe de Bosnie

    RSFY : Rpublique socialiste fdrative de Yougoslavie

    RTCN : Rpublique turque de Chypre du Nord

    TPIY : Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie

    TUE : Trait sur lUnion europenne

    UE : Union europenne

    URSS : Union des Rpubliques socialistes sovitiques

    VJ : Forces armes de la RFY

    VRS : Forces armes de la Rpublique serbe de Bosnie

  • 9

  • 10

  • 11

    Sommaire

    Sommaire

    Introduction gnrale

    1re

    Partie Limputabilit dun fait illicite lEtat

    Titre 1. Limputabilit du comportement de personnes en fonction de leur possession du

    statut dorgane de jure de lEtat.

    Chapitre 1. Limputabilit du comportement de personnes possdant le statut dorgane de

    lEtat adopt en cette qualit

    Chapitre 2. Limputabilit du comportement de personnes trangres lappareil dEtat

    Titre 2 : Limputabilit du comportement de personnes ne faisant pas formellement partie

    de lappareil dEtat : De limputabilit de faits de particuliers lautonomisation de la base

    dimputabilit organe de facto

    Chapitre 1. Du fait de particuliers agissant pour le compte de lEtat lorgane de

    facto

    Chapitre 2 Lorgane de facto

    2me

    partie. La problmatique de limputabilit dun comportement contraire au droit

    international une organisation internationale ou ses Etats membres

    Titre 1. La responsabilit de lEtat raison du comportement dune organisation dont il est

    membre

    Chapitre 1. La responsabilit internationale de lorganisation, raison de lexclusion de

    principe de celle de ses membres.

    Chapitre 2. Les cas de responsabilit de lEtat raison dun fait de lorganisation dont il

    est membre

    Titre 2. La dtermination de la responsabilit de lorganisation internationale raison dun

    fait illicite

    Chapitre 1. Limputabilit du comportement des agents et organes de lorganisation, ainsi

    que des organes mis sa disposition

    Chapitre 2. Lattribution de la responsabilit raison du fait dEtats membres agissant en

    application dune autorisation ou dune dcision de lorganisation

    Conclusion gnrale

    Bibliographie

    Table de la jurisprudence cite

    Table des matires

  • 12

  • 13

    Introduction gnrale

    La responsabilit est la colonne vertbrale de tout ordre juridique. Elle est une

    condition de la juridicit dun systme donn. Cependant, si la responsabilit est lpicentre

    dun systme juridique 1, sa magnitude dcoule des principes gouvernant limputabilit et

    notamment de leur adquation la ralit de la pratique des sujets de droit. Leffectivit du

    droit de la responsabilit internationale dpend de sa capacit apprhender la ralit de

    lactivit des sujets du droit international au travers de limputabilit.

    Limputabilit, lment fondamental de la thorie de la responsabilit internationale,

    est un sujet dtude classique du droit international.2 Cest galement un sujet toujours en

    mouvement, qui fait lobjet de dveloppements permanents, parallles et soumis des

    influences rciproques, entre la pratique, la jurisprudence, luvre de codification et la

    doctrine. Ces dveloppements sont dus aux besoins nouveaux que rvle la pratique

    1 Pierre-Marie DUPUY, Le fait gnrateur de la responsabilit internationale des Etats, RCADI 1984-V, p. 21

    2 De nombreuses recherches ont t menes sur la responsabilit internationale. Parmi les plus notables, on

    retrouve les uvres classiques de Dionisio ANZILOTTI, La responsabilit internationale des Etats raison des

    dommages soufferts par des trangers, RGDIP 1906, pp. 5 et 285 ; dAndr DECENCIERE-FERRANDIERE,

    La responsabilit internationale des Etats raison des dommages subis par des trangers, Paris, Rousseau,

    1925 ; de Leo STRISOWER, Rapport sur la responsabilit internationale des Etats raison des dommages

    causs sur leur territoire la personne ou aux biens des trangers, AIDI, 1927 ; de Clyde EAGLETON, The

    Responsibility of States in international law, New York University Press, 1928 ; de Roberto Ago, qui a expos

    ses vues dans son cours lAcadmie de droit international avant davoir la possibilit de les mettre en pratique

    la Commission du droit international, Roberto AGO, le dlit international, RCADI 1939 II, p. 419. La

    responsabilit internationale a galement t le thme de cours lAcadmie de la Haye, notamment de

    Constantin Th. EUSTATHIADES, Les sujets du droit international et la responsabilit internationale

    Nouvelles tendances, RCADI 1953 III, p. 397, de Francisco V. GARCIA-AMADOR, State responsibility: some

    new problems, RCADI 1958 II, de Hildebrando ACCIOLY, Principes gnraux de la responsabilit

    internationale daprs la doctrine et la jurisprudence, RCADI 1959 I, p. 353, de Bernhard GRAEFRATH,

    Responsibility and damages caused : relationship between responsibility and damages, RCADI 1984 II, p. 9 et

    de Pierre-Marie DUPUY, op. cit. Parmi les ouvrages spcifiquement consacrs la problmatique de

    limputabilit, Luigi CONDORELLI, Limputation lEtat dun fait internationalement illicite : solutions

    classiques et nouvelles tendances, RCADI 1984 VI, p. 9, ainsi que Patrick JACOB, Limputation dun fait

    lEtat en droit international de la responsabilit, Thse, 2010, Rennes I.

  • 14

    internationale, notamment dans le cadre des relations entre un Etat et des personnes

    susceptibles dtre qualifies dagents ou dorganes de fait, ainsi qu travers la question de la

    responsabilit des organisations internationales.

    Limputabilit dans le contexte de la responsabilit des Etats a galement t traite

    par la Commission du droit international (CDI) dans le cadre de son travail de codification. La

    question de limputabilit, notamment du comportement de personnes ne faisant pas

    formellement partie de lappareil dEtat, a fait lobjet de dveloppements essentiels dans la

    jurisprudence de la Cour internationale de Justice et a donn lieu des divergences avec le

    Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie, exemple fameux de fragmentation du

    droit international.3 Cette problmatique est galement apparue dans la jurisprudence de la

    Cour europenne des droits de lhomme et dans la pratique internationale. Ces divergences,

    engendres par une pratique internationale rcente et complexe, mettent en vidence la

    difficult de prendre en compte la diversit des modes daction des Etats.

    Comme la observ le professeur Paul Reuter, la responsabilit est au cur du droit

    international, () elle constitue une partie essentielle de ce que lon pourrait considrer

    comme la constitution de la Communaut internationale .4 La responsabilit a, en effet, un

    rle central dans tout systme juridique ; elle permet de marquer la diffrence entre le

    comportement conforme au droit et celui qui ne lest pas en dfinissant les effets juridiques

    qui vont sattacher au second comportement. En labsence de responsabilit, il faudrait sans

    doute sinterroger sur la nature du systme que lon tudie 5 ; son caractre juridique serait

    remis en cause. En dautres termes, comme la nonc la Cour internationale de Justice, [l]a

    responsabilit est le corollaire ncessaire du droit. 6 Tout ordre juridique prvoit que des

    3 A ce sujet, v. Benedetto CONFORTI, Unit et fragmentation du droit international : Glissez, mortels,

    nappuyez pas ! , Revue gnrale de droit international public, 2007, pp. 5-18, estime que des divergences

    dinterprtation entre juridictions internationales sont rares et ne sont pas forcment des catastrophes. La

    fragmentation serait davantage un signe vident de la vitalit du droit international .

    4 Paul REUTER, Trois observations sur la codification de la responsabilit internationale des Etats pour fait

    illicite , in Le droit international au service de la paix, de la justice et du dveloppement, Mlanges Michel

    Virally, Paris, Pdone, 1991, p. 390

    5 Gilles COTTEREAU, Systme juridique et notion de responsabilit , in La responsabilit dans le systme

    international, colloque du Mans de la SFDI, Paris, Pedone, 1991, p. 3

    6 CIJ, Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, limited (Belgique c. Espagne), deuxime

    phase, arrt du 5 fvrier 1970, Rec. 1970, p. 34

  • 15

    consquences lgales sont attaches au manquement la rgle de droit7, plus forte raison

    lordre juridique international caractris par lgale souverainet des Etats8, dans lequel la

    responsabilit internationale () apparat comme le mcanisme rgulateur essentiel et

    ncessaire des rapports mutuels des sujets de droit. Le principe selon lequel tout

    comportement dun Etat contraire au droit international entrane la responsabilit de cet Etat

    na pas besoin dtre justifi ou dduit dautres principes, car il est expressment reconnu,

    ou du moins clairement prsuppos, par une pratique unanime .9 Il est une consquence de

    lexistence dun droit international. Comme lexprime larticle premier des articles de la CDI

    sur la responsabilit des Etats, [t]out fait internationalement illicite dun Etat engage sa

    responsabilit internationale. Le principe selon lequel [t]out fait internationalement illicite

    dune organisation internationale engage sa responsabilit internationale est fond sur les

    mmes bases. Son acceptation a toutefois t plus tardive ; la possibilit dune responsabilit

    des organisations internationales passe en effet ncessairement par la reconnaissance de leur

    personnalit juridique internationale. Si celle-ci est acquise, sa porte et ses consquences font

    toujours lobjet de dbats qui ont une influence certaine sur la question de leur responsabilit

    ainsi que celle de leurs Etats membres.10

    La responsabilit internationale est un des thmes les plus importants avoir occup la

    Commission du droit international. Ses travaux, et en particulier ceux ayant abouti aux articles

    sur la responsabilit de lEtat, sont indispensable une bonne comprhension du sujet. Les

    travaux de la CDI constituent une base importante ltude de questions lies la

    responsabilit internationale, quil faut nanmoins confronter aux dveloppements rcents

    dans la pratique et la jurisprudence internationales.

    Les articles de la CDI sur la responsabilit de lEtat ont servi de source dinspiration

    prcieuse, notamment pour les juridictions internationales, bien avant leur adoption finale. De

    nombreuses rfrences avaient dj t faites la premire partie, adopte au courant des

    annes 1970 suite aux rapports de Roberto Ago. Les dispositions relatives limputabilit ont

    galement t cites de nombreuses occasions depuis ladoption de la version finale des

    articles. Linterprtation qui leur a t donne a cependant vari selon les juridictions

    7 Pierre-Marie DUPUY, Droit international public, Paris, Dalloz, 9

    me d., 2008, p. 489

    8 Alain PELLET, Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU, Droit international public, 8

    me d., L.G.D.J., Paris,

    2009, n 468

    9 Roberto AGO, Troisime rapport sur la responsabilit des Etats, ACDI 1971, vol. II, 1

    re partie, p. 216

    10 V. 2

    me partie, Titre 1, 1

    er chapitre

  • 16

    concernes ; il semble quelles ont plus t considres comme des bases de rflexion, que

    lexpression stricte du droit coutumier. En ce sens, les articles ont une influence trs

    importante sur le dveloppement du droit international tout en conservant une certaine

    souplesse. En effet, le thme de la responsabilit des Etats na pas fait lobjet dune

    convention de codification. Lapproche souple retenue par lAssemble gnrale des

    Nations Unies11 avait pour objet dviter les risques et cueils dune confrence visant

    prparer une convention internationale sur le sujet. En particulier, la crainte quun faible

    nombre de ratifications risque davoir un effet dstabilisant, voire d-codifiant sur le

    thme de la responsabilit des Etats a contribu au choix de cette solution.12 En outre, les

    articles sur la responsabilit des Etats peuvent avoir plus defficacit concrte en conservant

    leur forme actuelle. Ils sont souvent cits par les juridictions internationales, les tribunaux

    arbitraux, les gouvernements, ce qui traduit leur influence importante sur le dveloppement du

    droit international.13 Cette valeur des articles en tant que source dinspiration informelle

    nest gnralement pas mise en doute, mme si leur adoption par des organismes

    internationaux sans le recul ncessaire a t redoute.14 Ils ne doivent pas tre considrs

    comme un trait de codification, mme sils en ont lapparence.15

    Pour le professeur Luigi Condorelli, lensemble des principes relatifs limputation

    constitue un portrait fidle du droit international en vigueur .16 Il est utile de se pencher sur

    la question de savoir si cest toujours le cas. Un point particulirement intressant cet gard

    est lvolution respective tant des articles que de la jurisprudence internationale ou de la

    pratique des Etats, qui ont t marqus par des influences rciproques. En ce sens,

    limputabilit fournit une bonne illustration du processus complexe de la formation du droit

    international, marqu par des influences croises entre la pratique des Etats, le droit

    coutumier, notamment tel quil est nonc par la jurisprudence internationale, et tel quil est

    11

    LAssemble gnrale a pris note des articles par la rsolution 56/83 du 12 dcembre 2001.

    12 James CRAWFORD, Les articles de la CDI sur la responsabilit de lEtat, Paris, Pedone, 2003, p. 69 ;

    Quatrime Rapport sur la responsabilit des Etats, A/CN.4/517, 22

    13 V. les commentaires du Royaume-Uni, cits par Alain PELLET, The ILCs Articles on state responsibility

    for internationally wrongful acts and related texts , in. James CRAWFORD, Alain PELLET, Simon OLLESON

    (eds), The law of international responsibility, Oxford University Press, 2010, p. 87.

    14 Ainsi par David D. CARON, The ILC Articles on State Responsibility : The Paradoxical Relationship

    Between Form and Authority, American Journal of International Law 2002, p. 858

    15 Ibid., p. 867

    16 Luigi CONDORELLI, op. cit., p. 20

  • 17

    codifi par la Commission du droit international. Le droit international est cr par un

    processus complexe ; sa formation nest pas due un facteur explicatif unique. Ainsi, comme

    la codification par la CDI a pris la forme darticles, une forme quasi-conventionnelle, qui

    formule des rgles claires, et donc prtes tre applique, elle a une grande influence sur les

    juges ou arbitres. Le travail de codification de ce qui est cens tre en grande partie le droit

    existant a une influence directe sur lapplication, linterprtation, la formulation et donc

    galement la cration de ce mme droit par les organes juridictionnels, voire par les Etats eux-

    mmes qui sappuient sur les principes noncs par la CDI. La rponse la question de

    ladquation des articles au droit coutumier tient dans une certaine mesure de la prophtie

    auto-ralisatrice, puisque les acteurs du droit international (ministres des affaires trangres,

    arbitres, juges, etc.) vont les invoquer afin de justifier leurs dcisions ou leur argumentation,

    permettant par l leur mise en uvre concrte.

    Celle-ci nest cependant pas homogne, ni toujours fidle au texte du projet.

    Ladquation entre les articles de la CDI et la ralit de la pratique et de la jurisprudence

    internationales est constamment remise en cause par lapparition de situations indites et de

    besoins nouveaux qui ncessitent ladaptation des principes adopts en 2001. Il est cependant

    indniable que les articles de la CDI sur la responsabilit des Etats ont acquis une valeur

    importante en droit international positif. Les dispositions relatives limputabilit sont

    presque systmatiquement cites par les dcisions de juridictions internationales, mme si leur

    interprtation sloigne parfois considrablement du texte. Les articles relatifs la

    responsabilit des organisations internationales nont pas encore acquis une telle porte. Ils

    sont en effet plus rcents, adopts en premire lecture en 2009. Certaines dispositions

    relatives limputabilit ont toutefois dj t cites par des juridictions internationales, par

    exemple la Cour europenne des droits de lhomme dans des affaires relatives diverses

    oprations internationales en ex-Yougoslavie, avant mme leur adoption en premire lecture.

    Cela traduit un besoin de rgles reconnues, dans une matire caractrises par lincertitude et

    la complexit. Cependant, l encore, rfrence ne signifie pas ncessairement respect de la

    substance du projet de la CDI. La conformit de la jurisprudence internationale au projet

    semble en gnral moins importante dans le cas du projet darticles sur la responsabilit des

    organisations internationales que dans le cas de la responsabilit des Etats. Dans ce dernier

    cas, les principes sont bien tablis et reconnus par tous les acteurs, mme si des divergences

    dinterprtation existent, alors que le cas de la responsabilit des organisations internationales

    se traduit par une plus grande incertitude due une pratique plus clairseme et plus rcente.

  • 18

    Par ailleurs, un certain nombre darticles du projet sur la responsabilit des organisations

    internationales nest justifi que par une pratique et une jurisprudence parse, ou concernant

    des situations spcifiques certaines organisations. Ces dispositions ne sont pas

    ncessairement transposables toutes les organisations internationales, ou semblent difficiles

    mettre en uvre de faon concrte. Ces observations nempchent paradoxalement pas de

    relever que lautorit reconnue en thorie aux projets de la CDI en matire tant de

    responsabilit des Etats que des organisations internationales est grande. En effet, mme si

    linterprte sen libre dans le cas concret, il tient sy rfrer, dans lintention de renforcer

    lacceptabilit de sa dcision.

    La codification du droit de la responsabilit internationale est le fruit dun travail de

    longue haleine, qui a trouv sa forme contemporaine sous limpulsion de Roberto Ago,

    rapporteur spcial du projet sur la responsabilit des Etats entre 1963 et 1980. La CDI sest

    alors lanc dans la codification des seules rgles relatives au droit de la responsabilit

    internationale, et non des normes dont la violation est susceptible dengager la responsabilit

    de lEtat. La ncessit de concentrer son tude sur la dtermination des principes qui

    rgissent la responsabilit des Etats pour faits illicites internationaux, en maintenant une

    distinction rigoureuse entre cette tche et celle qui consiste dfinir les rgles mettant la

    charge des Etats les obligations dont la violation peut tre cause de responsabilit a t

    reconnue par la Commission.17 Cette distinction entre rgles primaires et rgles secondaires

    que caractrise la rvolution Ago 18 tait ncessaire pour arriver un projet ralisable19,

    mme si cette approche a t critique pour son caractre prtendument trop gnral ou

    abstrait.20 Cependant, adopter une position contraire, prenant en compte les rgles

    primaires serait revenu codifier lensemble du droit international.21 Cette approche a

    permis la Commission du droit international de mener bien son projet aprs limpulsion

    dfinitive donne par son dernier rapporteur spcial sur le sujet, James Crawford. La

    17

    Rapport de la Commission lAssemble Gnrale sur les travaux de sa 22me session, ACDI 1970, vol. II, p.

    327, 66c

    18 Expression dAlain PELLET, op. cit., in. James CRAWFORD, Alain PELLET, Simon OLLESON, op. cit., p.

    76

    19 Rapport de la Commission lAssemble Gnrale sur les travaux de sa 22me session, ACDI 1970, vol. II, p.

    327, 66c. v. galement James CRAWFORD, op. cit., pp. 16s

    20 V. les critiques numres par Luigi CONDORELLI, op. cit., pp. 21-22

    21 Ibid., p. 21

  • 19

    distinction entre rgles primaires et secondaires est essentiellement de nature technique, et

    ce titre peut paratre artificielle22 ; elle na pas toujours t strictement respecte.23

    La mme approche a t suivie par la Commission dans son projet sur la responsabilit

    des organisations internationales, qui sest largement inspire du projet sur la responsabilit

    des Etats. Une distinction stricte entre rgles primaires et secondaires na pas toujours

    t ralise; ainsi une disposition24 du projet sur la responsabilit des organisations

    internationales, qui sinspire de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de

    lhomme, met la charge des Etats une obligation de due diligence en regard des activits des

    organisations internationales auxquelles ils ont transfr des comptences.25 Les Etats doivent

    garantir que leurs obligations ne seront pas violes par lorganisation dans le cadre de ses

    activits. La porte de cette obligation en droit international gnral est toutefois sujette

    caution.26

    Les lments constitutifs de la responsabilit internationale ont t noncs par

    larticle 2 du projet darticles sur la responsabilit des Etats, qui dispose :

    Il y a fait internationalement illicite de lEtat lorsquun comportement consistant en une

    action ou une omission :

    a) Est attribuable lEtat en vertu du droit international ;

    et

    b) Constitue une violation dune obligation internationale de lEtat.

    Les deux lments retenus par la Commission du droit international sur la proposition

    de Roberto Ago traduisent lobjectivation de la responsabilit internationale ; la responsabilit

    nat uniquement de la violation dune de ses obligations internationales par lEtat. Le projet

    darticles sur la responsabilit des organisations internationales reprend cette disposition

    22

    Eric DAVID, Primary and Secondary Rules, in. James CRAWFORD, Alain PELLET, Simon OLLESON,

    op. cit., pp. 27s

    23 Ibid., p. 32

    24 Article 60 du projet sur la responsabilit des organisations internationales adopt en premire lecture.

    25 V. Pierre KLEIN, Attribution of Conduct to International Organizations, in. James CRAWFORD, Alain

    PELLET, Simon OLLESON, op. cit., pp. 310-313

    26 Cf. 2

    me partie, Titre 1, chapitre 2, s.2, 2

  • 20

    mutatis mutandis dans son article 4 relatif aux lments du fait internationalement illicite

    dune organisation internationale.

    Le fait internationalement illicite na que deux lments constitutifs, mme si

    lexistence dun prjudice ou dun dommage peut tre importante en ce qui concerne

    linvocation de la responsabilit par un autre Etat, ou la forme et ltendue de la rparation.27

    Ces deux lments constitutifs du fait internationalement illicite font lobjet dune

    jurisprudence constante de la Cour internationale de Justice, et sont bien ancrs dans le droit

    international gnral. Limputabilit du fait prcde logiquement lexamen de sa licit.28 En

    effet, le second lment cit par la CDI, la violation dune obligation internationale de lEtat,

    est dpendant du premier. Les normes du droit international ne sadressant par dfinition

    quaux sujets de ce droit, un comportement donn ne peut tre considr comme une violation

    du droit international que sil est imputable un de ses sujets. Comme la crit le professeur

    Pierre-Marie Dupuy, la violation du droit international ne sera tablie que si elle peut tre

    considre comme ayant t commise par un sujet relevant de cet ordre et agissant en tant que

    tel. 29 En ce quelle permet de dfinir les faits qui peuvent tre considrs comme ayant t

    commis par un sujet de droit international, limputabilit occupe une place centrale dans la

    thorie de la responsabilit internationale.

    Limputabilit est dfinie comme la caractristique de comportements dindividus ou

    de groupes qui peuvent ou doivent tre rattachs un Etat ou une organisation

    internationale , tandis que limputation dsigne laction de rattacher le comportement dune

    personne ou dun groupe de personnes un sujet du droit international.30 Le terme

    attribution a une signification similaire imputation ; son usage a t prfr par la

    CDI afin dviter les interprtations errones auxquelles le terme imputation aurait pu

    donner lieu du fait de son usage dans certains droits internes.31 Le rapporteur spcial Roberto

    Ago sest ralli lavis dutiliser le terme plus neutre dattribution plutt quimputation, tout

    27

    James CRAWFORD, op. cit., p. 14. Pour une critique de labandon du dommage comme lment constitutif

    de la responsabilit internationale, v. Gilbert GUILLAUME, Overview of Part One of the Articles on State

    Responsibility , in. James CRAWFORD, Alain PELLET, Simon OLLESON, op. cit., p. 191

    28 V. James CRAWFORD, op. cit., p. 98

    29 Pierre-Marie DUPUY, op. cit., p. 509

    30 Jean SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001

    31 ACDI 1973, vol. II, p. 187, 14

  • 21

    en relevant que les mots nont de sens que celui quon leur donne. 32 Il est utile de

    souligner que ces deux termes ont une signification quivalente en droit international, et sont

    souvent utiliss alternativement. Ainsi, pour Anzilotti, imputer signifie lattribution dun

    acte un sujet donn 33

    ; daprs le dictionnaire de Jules Basdevant, imputer signifie

    attribuer un fait un sujet de droit, le rattacher celui-ci en vue de lui en faire supporter les

    consquences juridiques. 34

    Limputabilit peut tre entendue comme la dtermination des conditions dans

    lesquelles un comportement donn, adopt par une personne ou un groupe de personnes, est

    susceptible dtre considr comme un fait dun sujet de droit international (Etat ou

    organisation internationale) daprs le droit international. Dans les termes de Roberto Ago, les

    rgles relatives limputabilit permettent de prciser quels sont les comportements que

    le droit international considre comme faits de lEtat aux fins dtablir lexistence

    ventuelle dun fait internationalement illicite , en dautres termes dindiquer quand,

    daprs le droit international, cest lEtat qui doit tre considr comme agissant. 35

    Lattribution signifie l opration du rattachement lEtat dune action ou omission

    donne36 ; elle consiste attribuer des actes ncessairement commis par une personne

    physique une personne morale37 ; il sagit de l opration qui permet de reconnatre les

    auteurs des faits juridiques.38

    Limputabilit est un des deux lments constitutifs dun fait illicite daprs le droit

    international. La violation dune rgle primaire du droit international, pour tre constitue,

    doit tre imputable un Etat ou une organisation internationale. Le comportement illicite

    doit tre susceptible dtre rattach non pas lindividu ou au groupe dindividus qui la

    matriellement eu, mais lEtat en sa qualit de sujet du droit international. 39 A travers les

    dfinitions de limputabilit se dfinissent ses problmatiques, au cur du systme de la

    32

    ACDI 1973, vol. I, p. 53, 8

    33 Dionisio ANZILOTTI, op. cit., p. 286

    34 Jules BASDEVANT, Dictionnaire de la terminologie du droit international, Sirey, 1960

    35 ACDI 1973, vol. II, p. 192, 1 et 3

    36 James CRAWFORD, op. cit., p. 103

    37 Brigitte STERN, The Elements of an Internationally Wrongful Act, in. James CRAWFORD, Alain

    PELLET, Simon OLLESON, op. cit., p. 202

    38 Luigi CONDORELLI, op. cit., p. 168

    39 ACDI 1971 vol. II, 1

    re partie, p. 224

  • 22

    responsabilit internationale : dterminer lauteur du fait illicite, le titulaire de lobligation

    secondaire de rparation (au sens large) ne de la violation du droit international. En effet, les

    Etats et les organisations internationales sont des personnes morales, des entits abstraites qui

    nagissent que par lintermdiaire de personnes physiques.

    Comme le souligne le commentaire de la Commission du droit international, il sagit

    dune vrit lmentaire que lEtat comme tel nest pas capable dagir.40 LEtat ne peut

    avoir physiquement un comportement, il agit forcment par le biais de personnes physiques.

    Celles-ci ne peuvent engager la responsabilit de lEtat que dans lhypothse o elles agissent

    en tant quorgane; lEtat nest en principe pas responsable de laction de particuliers. La

    problmatique de lattribution dun comportement dtermin un Etat a t clairement

    explique par Roberto Ago: ce que lon veut mettre en vidence cest tout simplement que

    laction ou lomission dont il sagit doit pouvoir tre considre comme un fait de lEtat .

    Et puisque lEtat, en tant que personne morale, nest pas physiquement capable davoir un

    comportement, il est vident que lon ne peut attribuer lEtat que laction ou lomission dun

    individu ou dun groupe dindividus, quelle quen soit la composition. 41

    En dautres termes,

    comme la Cour permanente de Justice internationale la expos dans son avis portant sur les

    Colons allemands en Pologne, les Etats ne peuvent agir quau moyen et par lentremise de

    la personne de leurs agents et reprsentants 42. La fonction de limputabilit est prcisment

    de dfinir quelles personnes ou groupes de personnes peuvent tre considres comme les

    agents et reprsentants de lEtat. Les rgles relatives limputabilit permettent de dfinir

    le fait de lEtat , de dterminer si cest lEtat, ou un autre sujet du droit international, qui a

    agi dans le cas particulier.43

    Lauteur concret dun comportement donn est toujours une personne physique ;

    juridiquement, lauteur de ce comportement peut tre un Etat ou une organisation

    internationale. En-dehors des hypothses dattribution expressment prvus par le droit

    40

    James CRAWFORD, op. cit., p. 100, v. rapport Ago, ACDI 1973, vol. II, p. 183, 5

    41 3me rapport, ACDI 1971 II, 1re partie, p. 228, 57. Le rapporteur spcial prcise plus loin que lexpression

    personne morale nest employe ici qu uniquement par opposition celle de personne physique , pour

    indiquer une entit collective ne pouvant agir quen se servant de laction dindividus humains. Ibid., p. 228,

    note 75

    42 CPJI, Affaire des Colons allemands en Pologne, avis consultatif n6 du 3 fvrier 1923, srie B, Rec. p. 22

    43 Luigi CONDORELLI, Claus KRESS, The Rules of Attribution : General Considerations, in. James

    CRAWFORD, Alain PELLET, Simon OLLESON, op. cit., p. 221

  • 23

    international, lEtat nest pas responsable du comportement de personnes prives. Un

    comportement de personnes privs portant atteinte aux droits dun sujet de droit international

    tiers peut tre la consquence du manquement par lEtat ses obligations, de lomission de sa

    part de prendre les mesures requises par une obligation internationale. Dans ce cas, lEtat est

    responsable du fait de ses propres organes, savoir lomission, et non directement du fait des

    personnes prives.

    Les rgles dimputabilit issues de la responsabilit des Etats inspirent en principe

    largement les rgles applicables aux organisations internationales.44 Lattribution du

    comportement dune personne lorganisation dpend galement de lexistence dun lien

    formel, ou dun lien factuel fond sur le contrle, entre lindividu auteur du comportement et

    lorganisation.

    La responsabilit des organisations internationales apporte des problmatiques

    spcifiques la question de limputabilit dans le droit de la responsabilit internationale. La

    CDI a d faire face des questions complexes, auxquelles le droit international napporte pas

    de rponse univoque, et fonder ses conclusions sur une pratique miette et marque par un

    grand pragmatisme ainsi que sur une jurisprudence la porte limite et peu concluante. La

    complexit de la question est lie la particularit des modes dactivit des organisations

    internationales. En effet, elles agissent souvent par lintermdiaire des Etats membres, ou en

    utilisant des organes de ces derniers. Paralllement, les Etats membres exercent souvent une

    forte influence sur le fonctionnement et la prise de dcision au sein de lorganisation. Ltude

    de limputabilit de comportements lis lactivit des organisations internationales doit

    prendre en compte les relations mutuelles de contrle et de pouvoir entre lorganisation et ses

    membres. Celles-ci ont un impact tant sur la responsabilit de lorganisation internationale

    elle-mme que sur la responsabilit des Etats membres raison de faits de lorganisation.

    Le sujet aborde les questions de limputabilit dun comportement illicite aux Etats ou

    aux organisations internationales, ainsi que la question, lie bien que distincte, de lattribution

    de la responsabilit. Le sujet implique de rechercher qui, concrtement, rpond dun

    comportement illicite, qui en subit les consquences. Il est ncessaire daller au-del de la

    simple imputation du fait, qui ne constitue quune partie du sujet. Lattribution de la

    responsabilit prend en compte les rapports qui stablissent rellement entre deux sujets de

    44

    V. sur ce point Pierre KLEIN, La responsabilit des organisations internationales dans les ordres juridiques

    internes et en droit des gens, Bruylant, Bruxelles,1998, pp. 303-306

  • 24

    droit international. Cest notamment le cas des organisations internationales, o il faut

    sattacher lensemble des relations entre lorganisation et ses Etats membres afin de

    dterminer qui, en dernier lieu, supporte les consquences du fait illicite, qui, vritablement,

    en rpond. Cette dmarche implique la ncessit dtudier les rapports rciproques de

    dpendance, de contrle, dautorit, entre lorganisation et un ou plusieurs Etats membres.

    Ces rapports ont pour consquence des hypothses de responsabilit de lorganisation raison

    dun fait imputable un organe dun Etat membre, ainsi que des cas de responsabilit des

    Etats membres raison dun fait imputable lorganisation.

    Des questions relatives limputabilit sont susceptibles dapparatre au niveau du

    comportement illicite comme celui de la responsabilit proprement dite. La violation dune

    obligation internationale donne naissance une obligation de rparer, de rpondre de la

    violation. Cependant, lauteur du comportement illicite daprs le droit international, c'est--

    dire le sujet auquel il est imputable, nest pas ncessairement le mme que celui sur lequel

    pse lobligation de rparer. Une distinction entre limputation du fait illicite et lattribution

    de la responsabilit internationale peut apparatre. Si cette hypothse reste exceptionnelle dans

    les relations intertatiques, elle est plus frquente dans le cadre de la responsabilit des

    organisations internationales. En effet la responsabilit des organisations internationales nat

    souvent de linteraction de lorganisation et de ses Etats membre, de laction conjointe de

    plusieurs sujets du droit international. Lorganisation doit en effet souvent avoir recours aux

    moyens de ses Etats membres pour tre en mesure daccomplir ses fonctions. Limputabilit

    vue comme naissance de la responsabilit pour fait illicite, de lobligation de rpondre

    signifie pouvoir dterminer qui quel sujet du droit international doit ultimement rpondre

    dun comportement spcifique, contraire au droit international. Limputabilit signifie

    rpondre la question [d]e quels actes un Etat ou une organisation sont-ils

    responsables ? 45 Limputabilit dun comportement donn na de sens que pour autant

    quelle permette de dterminer le sujet qui doit effectivement rpondre de la violation du droit

    international. Pour tre en mesure dapprcier sa signification globale, limputabilit doit donc

    tre comprise dans son sens large, qui englobe lattribution du fait illicite et lattribution de la

    responsabilit. Se limiter la premire hypothse savre la plupart du temps suffisant, dans

    les cas de loin les plus frquents dans le cas de la responsabilit tatique de concidence

    entre lauteur du comportement daprs le droit international et celui auquel le droit

    international met charge lobligation de rparer. Cependant, prendre en compte la seconde

    45

    Paul REUTER, Principes de droit international public, RCADI, vol. 103, 1961 II, p. 602

  • 25

    hypothse permet vritablement de constater les consquences juridiques des relations

    dinterdpendance particulirement prsentes dans la vie des organisations internationales.

    Ces consquences sont susceptibles de se faire sentir tant au niveau de la

    responsabilit de lorganisation elle-mme qu celui de la responsabilit des Etats qui

    agissent en application dune mesure prise par lorganisation dont ils sont membres. Ainsi, les

    articles sur la responsabilit de lEtat prcisent quils sont sans prjudice de toute question

    relative la responsabilit daprs le droit international dune organisation internationale ou

    dun tat pour le comportement dune organisation internationale. 46 Le projet sur la

    responsabilit des organisations internationales est, en effet, relatif la responsabilit

    internationale dune organisation internationale pour un fait qui est illicite en vertu du droit

    international , mais galement la responsabilit internationale de ltat pour le fait

    internationalement illicite dune organisation internationale. 47 Aux fins de la responsabilit

    internationale, lEtat agissant en tant que membre dune organisation internationale doit tre

    distingu de lEtat agissant de faon autonome. La dfinition du fait de lEtat ne change

    toutefois pas ; les rgles du projet sur la responsabilit des organisations internationales

    concernant les Etats sont relatives lattribution de la responsabilit, ou la dfinition

    dobligations primaires de lEtat dans le cadre de leurs relations avec une organisation

    internationale ; elles se situent sur un autre plan que la dtermination du comportement

    imputable lEtat.

    Limputabilit est un sujet transversal, qui permet de se pencher sur des aspects du

    droit international la fois fondamentaux et trs divers. Limputabilit a un rle charnire

    dans lagencement du systme juridique international48, en ce quelle permet de faire le lien

    entre les normes primaires, prescrivant ou prohibant un certain comportement, et les sujets

    auxquels elles sadressent. Du fait de sa place centrale, ce sujet jette un clairage essentiel sur

    des questions comme la dfinition de lEtat en droit international, la personnalit juridique des

    organisations internationales, les rles respectifs du droit interne et du droit international, ou

    les rapports rciproques entre les organisations internationales et leurs membres.

    46

    Art. 57 des articles de la CDI sur la responsabilit des Etats

    47 Art. 1

    er du projet darticles de la CDI sur la responsabilit des organisations internationales

    48 Luigi CONDORELLI, op. cit., p. 168

  • 26

    LEtat se voit attribuer, sur le plan international, les faits des membres de son

    organisation 49, c'est--dire de son organisation concrte, relle, telle que dfinie par le droit

    international, et non seulement telle que reconnue ou prtendue par lEtat. Les rgles de

    limputabilit permettent d identifier concrtement lEtat, c'est--dire les individus par

    le biais desquels lEtat agissant va manifester son existence. 50 Est attribuable lEtat le

    comportement des personnes faisant partie de son appareil au sens large, c'est--dire par

    lintermdiaire desquelles lEtat agit, ou qui agissent pour son compte. LEtat sincarne dans

    la personne de ses agents. Aux yeux du droit de la responsabilit internationale, lEtat est trs

    largement dfini, et comprend autant le chef de lEtat que la personne que lon peut

    temporairement qualifier de fonctionnaire de fait . Dautres branches du droit international

    peuvent connatre des conceptions diffrentes du fait de lEtat 51 ou de ses organes. LEtat

    selon le droit international public peut tre considr une figure gomtrie variable 52. Le

    droit de la responsabilit, au travers des rgles dimputabilit, est peu formaliste, la condition

    de son effectivit est sa capacit apprhender lEtat dans la ralit de la varit de ses

    moyens daction.

    LEtat sorganise librement et le droit international en tire les consquences au niveau

    de lattribution.53 Le droit international apprhende lorganisation relle de lEtat, et non pas

    purement formelle. Est attribuable en vertu du droit international le comportement de toutes

    les personnes ou groupes de personnes par lintermdiaire desquelles lEtat agit, qui relvent

    de son appareil organique au sens large.54 Ce principe implique de dfinir les conditions dans

    lesquelles une personne ou un groupe de personnes est considr par le droit international

    comme agissant pour le compte de lEtat, c'est--dire quand lEtat est considr comme

    agissant par le biais de ces personnes. Ainsi, le comportement des organes de facto, ainsi que

    de certaines personnes qui ne peuvent tre considres comme des organes, est attribuable

    lEtat daprs le droit international. LEtat est ainsi responsable du comportement adopt par

    des personnes dans le cadre de lexercice de fonctions publiques. Il est galement responsable

    49

    ACDI 1973, vol. II, p. 192

    50 Mathias FORTEAU, LEtat selon le droit international : une figure gomtrie variable ? , RGDIP 2007, p.

    737

    51 ACDI 1973, vol. II, p. 192 5

    52 Mathias FORTEAU, op. cit.

    53 ACDI 1973, vol. II, p. 193, 7 ; v. sur ce point Luigi CONDORELLI, op. cit., pp. 26-41

    54 Luigi CONDORELLI, op. cit., pp. 26-27

  • 27

    du comportement commis par des personnes prives quil utilise pour parvenir ses fins, et

    qui obissent ses instructions ou agissent sous son contrle.

    Cela comprend celles que lEtat utilise volontairement, mais il doit aussi rpondre de

    certains comportements qu il (i.e. son gouvernement, les autorits suprieures) na pas

    voulus, mais qui ont t accomplis spontanment par des personnes prives dans le cadre de

    lexercice de prrogatives de puissance publique en cas de carence ou dabsence des autorits

    officielles. LEtat daprs le droit de la responsabilit internationale ne peut donc tre rduit

    lorganisation quil sest donne, c'est--dire que ses autorits dirigeantes lui ont donn. Le

    droit international connat des critres dimputabilit qui sont indpendants de la volont

    tatique ; la conception de lEtat selon le droit international est dfinie par le droit

    international lui-mme.55 Par ailleurs, la dfinition des critres dimputabilit dpend du droit

    international ; que lEtat considre un comportement donn comme son propre fait ou non ne

    dpend pas de lui. Les rgles relatives limputabilit se rfrent certes largement au droit

    interne, lorganisation propre de lEtat; cependant certaines bases dimputation traduisent

    lautonomie des rgles dimputabilit envers lEtat. Limputabilit en droit international ne

    dpend pas de la qualification de ce mme fait comme un fait de lEtat ou non daprs le droit

    interne. Leffectivit du droit international dpend de la capacit du droit de la responsabilit

    internationale prendre en compte, par lintermdiaire des rgles relatives limputabilit,

    lorganisation effective de lEtat, ce qui peut rellement tre qualifi de fait de lEtat ,

    mme dans les cas o lEtat essaie dchapper sa responsabilit en ayant recours des

    personnes nayant pas le statut dorgane ou dagent. Les relations entre fait et droit sont

    souvent vues en opposition ; ici le droit apprhende le fait afin dassurer sa propre effectivit.

    Lattribution dun comportement lEtat ou lorganisation internationale est

    ncessairement une opration normative56, fonde sur le droit international. Le droit interne a

    une place importante dans lidentification des comportements attribuables lEtat en

    dterminant quelles personnes possdent le statut dorgane de lEtat. Cependant, le droit

    international joue un rle fondamental quand il sagit dactes matriels et non plus

    juridiques, ou au moins lorsquil sagit dactes juridiques qui au regard du droit national ne

    sont plus des actes juridiques rguliers . Dans ce cas,

    55

    Pierre-Marie DUPUY, Relations Between the International Law of Responsibility and Responsibility in

    Municipal Law, in. James CRAWFORD, Alain PELLET, Simon OLLESON, op. cit., p. 180 ; Brigitte STERN,

    op. cit., p. 210

    56 James CRAWFORD, op. cit., p. 100

  • 28

    il est normal que le droit international puisse intervenir avec plus de force et

    dautorit, car son intervention, mme si elle a pour effet de porter atteinte au droit de lEtat

    damnager son ordre juridique, poursuit en ralit un autre but : limiter les effets lgard

    des tiers dactivits imputables un milieu dont les Etats sont responsables. 57

    La responsabilit est le test ultime de la personnalit internationale.58

    La

    personnalit juridique se traduit par la capacit dtre titulaire de droits et dobligations, et

    donc dtre responsable en cas de violation dune obligation. Limputabilit identifie le sujet

    du droit international qui est amen rpondre dun fait commis par une personne qui ne

    possde pas la qualit de sujet. Ce comportement ne peut tre qualifi de violation du droit

    international que sil peut tre considr comme ayant t commis par un sujet de lordre

    juridique international. En effet, la capacit de commettre un fait internationalement illicite

    nappartient par dfinition quaux sujets du droit international. Seule une entit laquelle un

    comportement contraire au droit international est susceptible dtre imput peut tre

    considre comme un sujet du droit international. Rciproquement, la personnalit

    internationale a pour consquence de rendre le sujet susceptible dtre considr comme

    responsable de tout fait internationalement illicite qui lui est attribuable. Ainsi, limputabilit

    du fait illicite lorganisation internationale est la fois la consquence et un indice de sa

    personnalit internationale.

    Labsence de personnalit juridique internationale de certaines entits, comme des

    rgions scessionnistes ou des Etats non-reconnus les rend incapable de rpondre directement

    de leurs comportements qui pourraient tre qualifis dinternationalement illicites sils taient

    attribuables un sujet de droit international. Ces entits scessionnistes sont souvent

    troitement associes des Etats qui ont activement favoris leur cration et les soutiennent

    de manire continue. Une puissance voisine de lEtat victime de la tentative de scession

    dune de ses composantes apporte un soutien trs important celle-ci, garantissant ainsi sa

    survie. Le soutien apport par cet Etat tiers peut savrer si important, voire dcisif, que

    lentit scessionniste ne dispose pas de vritable autonomie envers lui. Les rgles

    dimputabilit ne permettent en principe pas de considrer que le comportement de lentit

    scessionniste puisse tre attribuable lEtat intervenant, sauf si elle peut tre considre

    57

    Paul REUTER, Principes, op. cit., p. 603

    58 Expression utilise au sujet des organisations internationales par Pierre KLEIN, La responsabilit des

    organisations internationales, op. cit., p. 429

  • 29

    comme un organe de fait de cet Etat. Cette problmatique complexe a donn lieu des

    divergences entre les juridictions internationales qui ont eu en connatre.59

    Des approches

    varies, et parfois contradictoires, ont t suivies, en labsence de critres de dfinition de

    lorgane de fait clairement accepts. Llargissement ventuel de lhypothse de lorgane de

    facto des situations de ce type est un dveloppement complexe. La pratique internationale

    est rcente, et les rgles dimputabilit classiques nont pas t prvues pour des situations de

    ce type. La jurisprudence doit en outre faire face la difficult de dfinir des critres adquats

    au vu de la grande complexit de ces hypothses. La prise en compte de ces situations est

    cependant ncessaire, les rgles dimputabilit ayant pour fonction dapprhender les

    consquences effectives de lactivit tatique 60

    en attribuant les faits qui en sont

    lorigine lEtat.

    Les principes relatifs limputabilit accordent une importance particulire la prise

    en compte des relations de fait, de leffectivit des relations entre lEtat et les personnes

    physiques, ou lEtat et lorganisation. Limputabilit est fonde sur le statut juridique interne

    de la personne, mais galement sur des critres propres au droit international. Le droit

    international se rfre essentiellement au droit interne, et ratifie la dfinition de ses organes de

    jure par lEtat. Le droit international possde par ailleurs un rle autonome dans limputabilit

    du comportement de personnes nappartenant pas formellement lappareil de lEtat. Les

    rgles relatives limputabilit sont fondes sur leffectivit, elles apprhendent la ralit des

    liens de fait entre la personne et le sujet de droit.

    Limputabilit se situe sur deux plans distincts. En premier lieu, elle joue un rle

    essentiel dans la dfinition de lEtat ou de lorganisation internationale daprs le droit

    international. Elle permet de prsenter une dfinition du sujet de droit international en

    tablissant les comportements qui sont susceptibles de lui tre rattachs, en identifiant les

    personnes par lintermdiaire desquelles le sujet agit. En second lieu, limputabilit nonce les

    consquences sur la responsabilit internationale des relations entre sujets de droit,

    59

    Cette hypothse est notamment illustre par les relations entre la Rpublique fdrale de Yougoslavie et la

    rpublique serbe de Bosnie entre 1992 et 1995 ; entre la Russie dune part, la Transniestrie (Moldavie), les

    rgions scessionnistes dAbkhazie et dOsstie du Sud (Gorgie) de lautre ; et les relations entre la Turquie et

    la Rpublique turque du Nord de Chypre . Ces cas ont donn lieu une jurisprudence abondante de

    diffrentes juridictions internationales (Cour internationale de Justice, Tribunal pnal international pour lex-

    Yougoslavie, Cour europenne des droits de lhomme) ou des rapports dune commission denqute.

    60 Paul REUTER, Principes, op. cit., p. 603

  • 30

    notamment entre une organisation internationale et ses membres. Ce second aspect de

    limputabilit participe galement de la dfinition de lorganisation internationale, qui est

    indissociable de ltude des relations mutuelles et des influences rciproques entre les sujets

    de droit international qui la composent.

    La question de limputabilit dun comportement illicite lEtat est centre sur les

    relations entre le sujet de droit international et les personnes qui lui permettent dadopter un

    comportement matriel, et par l dexister concrtement sur la scne internationale (1re

    partie). La question de la responsabilit des organisations internationales est fortement

    marque par leur nature de sujets drivs du droit international, crs et composs dEtats.

    Cette caractristique a pour consquence daccorder un rle capital la problmatique de

    lattribution de la responsabilit, nettement moins prsente dans le cadre de limputabilit de

    la responsabilit lEtat (2me

    partie).

  • 31

    1re

    Partie Limputabilit dun fait illicite lEtat

  • 32

    Le thme de la responsabilit tatique occupe historiquement et conceptuellement une

    place prminente dans la thorie de la responsabilit internationale. Les principes

    fondamentaux de limputabilit ont t dfinis en relation avec le fait illicite des Etats ; les

    rgles appliques la responsabilit des organisations internationales en ont t largement

    inspires. Limputabilit, entendue comme la dtermination des personnes rputes engager

    lEtat par leurs actions ou omissions, joue un rle essentiel dans la dfinition du sujet de droit.

    Ainsi, les rgles gouvernant la responsabilit internationale peuvent exercer une influence

    certaine sur le droit de lEtat lauto-organisation. En effet, ces normes ont pour fonction

    dassurer leffectivit du droit international dans la mesure o elles apprhendent les actes de

    lEtat dans leur ralit. Le droit international ne se limite pas une dfinition formaliste de

    lappareil dEtat, la dfinition que donne lEtat de ses organes, de lui-mme; il prend en

    compte le lien rel existant entre une activit exerce par des personnes physiques et lEtat.

    Cette apprciation concrte, aussi proche de la ralit, de la complexit des faits donnant lieu

    des litiges, que possible, est ncessaire leffectivit du droit international. Une approche

    raliste, ici, ne soppose pas leffectivit du droit international, elle est au contraire une

    condition indispensable son influence et son rle dans les relations internationales.

    Laction des sujets du droit international se traduit par des moyens varis. La ralit risquerait

    de ntre que trs imparfaitement prise en compte par des catgories juridiques trop troites,

    par une dfinition trop formaliste des organes de lEtat et des personnes dont laction serait

    imputable lEtat. Une apprciation concrte de laction de lEtat est indispensable au respect

    et au rle effectif du droit international.

    Le rapporteur spcial de la CDI sur la responsabilit des Etats Roberto Ago a prcis

    que lorganisation de lEtat (...) est lappareil par lequel lEtat rvle concrtement son

    existence et travaille la poursuite de ses fins 61

    , il appartient lEtat lui-mme de

    sorganiser, il nest nullement dans les tches du droit international d organiser lEtat,

    ft-ce seulement des fins internationales 62

    . LEtat est libre de sorganiser comme il

    lentend, il sagit dune illustration de sa souverainet.63

    Le droit international ne sintresse

    pas lorganisation interne de lEtat; ce qui signifie que paralllement, dans lordre juridique

    international, lEtat apparat comme une unit, cest--dire comme une personne unique

    61 ACDI 1971 II, 1re partie, 110s

    62 Ibid.

    63 Luigi CONDORELLI, op. cit., RCADI 1984-VI, pp. 28-29

  • 33

    capable dagir par le biais dinnombrables bras obissant tous un seul centre de

    dcision 64.

    Selon la conception de lEtat comme un fait prexistant, et donc qui simpose au droit

    international, la fonction des rgles relatives lattribution dun fait illicite lEtat nest pas

    de confrer, du fait de lattribution, la qualit dorgane de lEtat aux auteurs matriels du fait;

    elles tablissent une consquence du fait que ces personnes sont des organes, quelles ont

    juridiquement qualit pour agir au nom de lEtat. 65

    Le droit international ne fait ici que tirer

    la consquence de lappartenance dune personne dtermine lappareil de lEtat, il

    nattribue pas la qualit juridique dorgane. Si le droit international renvoie certes en grande

    partie aux dterminations opres par lEtat, il sattache en outre son organisation de fait, ce

    qui lui permet de prendre en compte les organes et agents de facto, cest- dire qui ne sont pas

    dfinis comme des organes par le droit interne de lEtat66

    . Le professeur Ago prcise que le

    droit international tient compte de lorganisation de lappareil dEtat comme dune donne de

    fait laquelle il conditionne certaines de ses dterminations67

    . Il ajoute plus loin que sur le

    plan du droit international, on considre en principe comme fait de lEtat le comportement des

    personnes ou des groupes de personnes auxquels dans lordre interne, et uniquement dans cet

    ordre, on attribue la qualit juridique dorgane de lEtat. 68

    Le professeur Jean-Pierre Quneudec va plus loin lorsquil crit qu il est permis

    daffirmer que les lgislations internes qui dfinissent quelles personnes entrent dans la

    catgorie des agents de lEtat, sont de simples indications pour le juge international .69

    En

    ralit le droit international de limputabilit tient largement compte de la dtermination

    64 Ibid., pp. 58-59

    65 ACDI 1971 II, 1me partie 116

    66 Les organes de jure ne sont pas les seuls susceptibles dengendrer la responsabilit de lEtat: il nest pas dit,

    surtout, quen reconnaissant quon attribue lEtat sujet de droit international les comportements manant de ses

    propres organes daprs lordre juridique interne on ait achev linventaire [italiques dans loriginal] des

    comportements qui peuvent entrer en considration aux fins du rattachement ces faits dune responsabilit

    internationale. ACDI 1973, II, p. 194

    67 Cf. ibid. 117, note 207

    68 Ibid., 119

    69 Jean-Pierre QUENEUDEC, la responsabilit internationale de lEtat pour les fautes personnelles de ses

    agents, LGDJ, Paris, 1966, p. 30

  • 34

    opre par lEtat. Pour les professeurs Alain Pellet et Patrick Daillier, lattribution lEtat

    est trs largement admise ds lors que le comportement dnonc mane de personnes ou

    dorganes sous son autorit effective. Le droit international confirme, par ce biais, que les

    habilitations juridiques internes ne sont que des faits pour les autres sujets de droit

    international 70

    . Toujours est-il que les organes de lEtat ne sont pas toujours clairement

    dfinis par son droit interne. Cest une raison de la prise en considration de lorganisation de

    facto de lEtat.

    Si la dtermination du statut dorgane de lEtat des personnes physiques appartient

    lEtat, il existe nanmoins une relation rciproque entre lorganisation de lEtat et le droit

    international. Le droit international valide en quelque sorte lorganisation que sest librement

    donne lEtat, il la prend en compte. Selon le professeur Luigi Condorelli71

    , il sagit de

    lillustration de la libert dauto-organisation de lEtat, expression de la souverainet de

    lEtat. Ainsi, le droit international ne requiert pas ladoption dun systme constitutionnel

    particulier72

    , quoique lEtat doive tre en mesure de respecter ses obligations internationales.

    Par ce biais, le droit international, et particulirement les rgles gouvernant limputabilit, a

    une influence non ngligeable sur lorganisation de lEtat.73

    Ce dernier doit pouvoir faire

    respecter ses engagements internationaux, notamment par ses collectivits territoriales. Le

    caractre raliste de la dfinition des organes de lEtat laisse ici la place, dans une certaine

    mesure, une apprciation plus formelle: lEtat est responsable du fait de ses organes, par

    exemple un Etat fdral sera responsable des actes dun Etat fdr, mme sil na pas,

    daprs son droit interne ou la situation factuelle, la possibilit concrte de contraindre lentit

    fdre au respect du droit international.74

    70

    Alain PELLET, Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU, Droit international public, 8me

    d., L.G.D.J., Paris,

    2009

    71

    Luigi CONDORELLI, op. cit., p. 26

    72

    Luigi CONDORELLI, op. cit., p. 60 ; selon Alain PELLET, Patrick DAILLIER et Mathias FORTEAU, op.

    cit., L.G.D.J., p. 432: il existe une indiffrence du droit international lgard des formes politiques internes,

    ds lors que les institutions nationales disposent de la capacit dengager lEtat dans les relations

    internationales , ce qui implique sa capacit rpondre dventuelles violations du droit international.

    73 Roberto Ago, ACDI 71 II, 1 partie, p. 250, 120; Luigi CONDORELLI, op. cit., p.30-36

    74 cf. infra, 1, A), 3

  • 35

    Le droit international prvoit limputabilit lEtat du comportement de personnes

    ayant le statut dorgane daprs le droit interne, ou exerant des prrogatives de puissance

    publique. Ce principe fondamental trouve son parallle dans limpossibilit dimputer lEtat

    le fait de personnes trangres son organisation, mme si des exceptions sont apparues de

    manire empirique (Titre 1). LEtat est constitu, outre ses organes de jure, de toutes les

    personnes par lintermdiaire desquelles il agit. Le principe de limputabilit du

    comportement de personnes agissant pour le compte de lEtat tout en nayant pas

    formellement le statut dorgane est bien tabli, mme si ses conditions font lobjet de

    controverses (Titre 2).

  • 36

    Titre 1. Limputabilit du comportement de personnes en fonction de leur

    possession du statut dorgane de jure de lEtat.

    Le principe de limputabilit lEtat du comportement des personnes qui possdent le

    statut dorgane selon son droit interne est fondamental toute thorie de limputabilit. Outre

    celui des organes de jure, est attribuable lEtat le comportement des personnes habilites

    exercer des prrogatives de puissance publique. LEtat doit rpondre du comportement de

    toutes les personnes quil a habilites agir en son nom. Cette rgle englobe le comportement

    allant au-del de lhabilitation reue par lEtat, mais non les faits accomplis titre priv. Le

    principe de limputabilit lEtat du comportement de ses organes (chapitre 1) a pour

    corollaire la non-imputabilit du comportement de personnes trangres son organisation,

    sauf dans les hypothses particulires des mouvements insurrectionnels victorieux et de la

    ratification du comportement de personnes prives (chapitre 2).

  • 37

    Chapitre 1. Limputabilit du comportement de personnes possdant le statut

    dorgane de lEtat adopt en cette qualit

    Le comportement des personnes ou entits ayant le statut dorgane daprs le droit

    interne de lEtat lui est imputable pourvu quelles aient agi en cette qualit (s. 1), mme en

    dpassement de leurs comptences ou au-del des instructions reues (s. 2).

    s. 1 La porte du principe de limputabilit lEtat du comportement de ses organes de

    jure.

    Daprs le droit international gnral sont imputables lEtat les actes de ses organes.

    Ceci est bien tabli en ce qui concerne les organes de jure. Ce principe est raffirm par la

    CDI larticle 4 de son projet, qui dispose que le comportement de tout organe de lEtat est

    considr comme un fait de lEtat daprs le droit international , quelles que soient sa nature

    ou les fonctions quil exerce. Cette rgle vaut quelle que soit la forme de lEtat, unitaire ou

    fdrale.75

    En effet, un Etat ne saurait invoquer son organisation interne pour viter de

    respecter ses obligations internationales. LEtat agit par le biais de ses organes, laction de ces

    derniers doit donc tre considre comme un fait de lEtat dont celui-ci doit rpondre le

    cas chant.

    Le deuxime paragraphe de larticle 4 du projet de la CDI prcise qu un organe

    comprend toute personne ou entit qui a ce statut daprs le droit interne de lEtat . Il

    appartient donc fondamentalement lEtat de dfinir ses organes. Larticle 4 a pour but

    denglober tous les organes, quelle que soit lorganisation interne de lEtat; en effet, un tat

    75 larticle 4 dispose que le comportement de tout organe de lEtat est considr comme un fait de lEtat

    daprs le droit international, que cet organe exerce des fonctions lgislative, excutive, judiciaire ou autres,

    quelle que soit la position quil occupe dans lorganisation de lEtat, et quelle que soit sa nature en tant

    quorgane du gouvernement central ou dune collectivit territoriale de lEtat

  • 38

    ne peut invoquer son organisation interne pour viter de respecter ses obligations

    internationales; il sagit l une rgle bien tablie, un principe fondamental du droit

    international.76

    Les actes des organes ne lui sont toutefois pas imputables dans tous les cas. Avant de

    dterminer les conditions dattribution des actes des organes de jure lEtat (2), il est utile

    de relever les circonstances nayant aucune influence sur limputabilit (1). Un troisime

    paragraphe portera sur limputabilit du comportement de personnes habilites exercer des

    prrogatives de puissance publique (3).

    1. Les diffrentes possibilits dorganisation interne dun Etat sont sans pertinence sur la

    porte de cette rgle.

    Cest un principe bien tabli, garant de leffectivit du droit international que les Etats

    ne peuvent se prvaloir de leur droit interne pour chapper leurs obligations internationales.

    La grande diversit des formes et de lorganisation interne des Etats na pas dinfluence sur la

    rgle fondamentale pour lordre juridique international de la responsabilit des Etats du fait de

    leurs organes. Cela vaut aussi bien pour la fonction de lorgane et son rang hirarchique (A)

    que sa place dans lorganisation territoriale de lEtat (B).

    A) La forme interne de sparation des pouvoirs et le rang hirarchique de lorgane

    LEtat doit rpondre non seulement des actes du pouvoir excutif, mais aussi lgislatif

    et judiciaire; la solution retenue est lie la nature et aux fondements mmes du droit

    international. Larticle 4 du projet de la CDI dispose expressment que le comportement de

    tout organe de lEtat est considr comme un fait de lEtat que cet organe exerce des

    fonctions lgislative, excutive, judiciaire ou autre... Cest un principe bien tabli; comme

    la affirm le Rapporteur spcial, depuis prs dun sicle, on ne connat pas de dcisions

    76 Roberto AGO, ACDI 1971 II, 1

    re partie, p. 238s

  • 39

    judiciaires ou arbitrales internationales qui aient nonc (ou mme implicitement admis) le

    principe de lirresponsabilit de lEtat pour faits de ses organes lgislatifs ou judiciaires 77

    .

    En effet, un courant doctrinal stait, par le pass, prononc en faveur dun principe

    dimputabilit des seuls faits commis par les organes excutifs de lEtat, dans une rduction

    de l Etat la notion de gouvernement . Cette thse tait fonde sur largument que le

    gouvernement ne disposait en principe que du contrle sur les organes de la branche

    excutive, les pouvoirs lgislatif et judiciaire tant en principe autonomes.78

    La Commission

    du droit international avait consacr une disposition spcifique la non-pertinence de la

    position et du rang de lorgane dans lappareil de lEtat.79

    Lnonc de ce principe a t

    intgr larticle 4 dans la version finale du projet.

    Aux yeux du droit international, lEtat napparat que dans son unit. La jurisprudence

    internationale ainsi que la doctrine ont affirm ce principe de faon constante, et le

    considrent comme un acquis. Il reflte par ailleurs la pratique des Etats. Dans laffaire de la

    Salvador Commercial Company, le tribunal arbitral a jug qu un Etat est responsable des

    actes de ses dirigeants, quils appartiennent la branche lgislative, ou excutive, ou

    judiciaire de lEtat, pour autant que ces actes sont commis en leur qualit officielle 80

    Les actes des autorits judiciaires sont susceptibles dengager la responsabilit de

    lEtat, malgr lindpendance dont elles jouissent en principe sur le plan interne. Ainsi, une

    dcision de la Commission de conciliation franco-italienne du 7 dcembre 1955 rappelle que

    lancienne thse selon laquelle les actes des autorits judiciaires, du fait du principe de la

    sparation des pouvoirs, excluent la responsabilit de lEtat, semble aujourdhui

    universellement et justement rpudie par la doctrine et la jurisprudence internationales. La

    77 ACDI 1973, II, p. 197

    78 Ibid., p. 199: (p)ersonne ne se fait aujourdhui lavocat des vieilles thses qui voulaient tablir une

    exception pour les organes lgislatifs , sur la base du caractre souverain du parlement, ou pour les organes

    juridictionnels, en vertu du principe de lindpendance des juges ou de celui de lautorit de la chose juge. sur

    la thse de lexclusion des actes du pouvoir judiciaire, cf. Symon KARAGIANNIS, Du non-tatique

    ltatique : la cruciale question de limputabilit dactes de particuliers en droit international , in Rafa BEN

    ACHOUR et Slim LAGHMANI (dir.), Acteurs non-tatiques et droit international, Actes du colloque de Tunis

    des 6, 7 et 8 avril 2006, Pedone, 2007, pp. 165-166

    79 Article 6 du projet adopt en premire lecture en 1996

    80 Salvador Commercial Company, tribunal arbitral Etats-Unis dAmrique/El Salvador, 8 mai 1902, RSA XV.

    La dtermination de laction en qualit officielle est aborde infra, section 1, 1, B.

  • 40

    sentence rendue par lautorit judiciaire est une manation dun organe de lEtat, tout comme

    la loi promulgue par lautorit lgislative ou la dcision prise par lautorit excutive. 81

    Le projet de lInstitut du droit international de 1927 affirme la responsabilit de lEtat

    pour toute action ou omission contraire ses obligations internationales, quelle que soit

    lautorit de lEtat dont elle procde, lgislative, gouvernementale ou judiciaire.82

    A la mme

    poque, la Cour permanente de justice internationale a galement jug un Etat responsable du

    fait de ladoption et de lapplication dune loi, et a dclar quune loi est une manifestation de

    la volont de lEtat, au mme titre que les dcisions judiciaires ou les mesures

    administratives. 83

    La non-pertinence de cette distinction aux fins de lattribution dun

    comportement illicite ne fait plus dbat. La doctrine internationaliste, aussi bien que les Etats

    et la jurisprudence, sont unanimes ce sujet. Ce principe a t raffirm au sujet de la

    jurisprudence du Tribunal irano-amricain des rclamations.84

    Le rang hirarchique de lorgane dont laction serait contraire au droit international na

    galement aucune influence sur limputation. LEtat est responsable des actes de lensemble

    de ses organes agissant dans leur fonction officielle, indpendamment de leur place dans

    lappareil dEtat. La doctrine ancienne affirmait lirresponsabilit de lEtat pour les actes des

    organes placs au plus bas niveau de la hirarchie tatique.85

    Lindiffrence du rang hirarchique de lorgane dans lorganisation tatique a t

    rappele de faon constante et rgulire tant lors des tentatives de codification du droit de la

    responsabilit tatique que par la jurisprudence internationale. Ainsi, la Confrence de

    codification de 1930 ne prend pas en compte de diffrence de traitement fonde sur le rang

    81 Commission de conciliation franco-italienne, Diffrend concernant linterprtation de larticle 79 du Trait

    de Paix, RSA XIII, p. 438

    82 v. Rapport Ago, ACDI 1971II 1re partie, p. 262

    83 CPJI, Affaire relative certains intrts allemands en Haute-Silsie polonaise (fond), 25 mai 1926

    84 David D. CARON, The Basis of Responsibility: Attribution and other Trans-substantive Rules, in Richard

    B. LILLICH, Daniel B. MARGRAW (eds.), The Iran-United States claims tribunal: its contribution to the law

    of State responsibility, Transnational Publishers, 1998, p. 130: acts of the various branches of the government

    as well as governmental ministries and agencies which carry out governmental functions are presumptively

    attributable to the State. No distinction is made between legislative, executive, or judicial organs, or between

    superior or subordinate ones.

    85 Au sujet de cette thse, depuis longtemps abandonne, v. ACDI 1973 vol. II, pp. 199-200

  • 41

    hirarchique de lorgane auteur du comportement illicite. Cette solution a t retenue par la

    Commission du droit international.

    La rgle de la responsabilit de lEtat pour les actes de ses agents agissant en tant que

    tels, quel que soit leur rang, a t notamment affirme par la jurisprudence arbitrale. Ainsi, la

    Commission mixte des rclamations Pays-Bas-Venezuela a dfendu cette position dans une

    dcision rendue en 1903.86

    Cette absence de distinction est fonde, outre la logique du droit

    international, sur la ncessit de clart et de scurit des rapports internationaux. Le

    rapporteur spcial James Crawford prend galement soin de prciser que lexpression un

    organe de lEtat utilis larticle 4 doit sentendre dans son acception la plus large, sans

    distinction de rang hirarchique. Elle ne se limite pas aux organes du gouvernement central,

    aux hauts responsables ou aux personnes charges des relations extrieures de lEtat, mais

    stend lensemble des personnes qui ont ce statut.87

    La Cour europenne des droits de lhomme a galement eu loccasion de rappeler que

    les autorits suprieures dun Etat (...) assument au regard de la Convention la responsabilit

    objective de la conduite de leurs subordonns; elles ont le devoir de leur imposer leur volont

    et ne sauraient se retrancher derrire leur impuissance la faire respecter. 88

    Les Etats

    peuvent sorganiser comme ils lentendent, mais ont lobligation corrlative de respecter et de

    faire respecter le droit international par leurs agents. Ils sont responsables de leurs actes

    accomplis en cette qualit, mme allant au-del des instructions ou au mpris des rgles de

    comptence.89

    B) la forme dorganisation territoriale de lEtat.

    86 Commission mixte de rclamations Pays-Bas/Venezuela, Arnold Jacob Maal, 1903. in: Vincent

    COUSSIRAT-COUSTERE, Pierre Michel EISEMANN, Rpertoire de la jurisprudence arbitrale internationale,

    Martinus Nijhoff Publishers, 1989, vol. 1, p. 301, n1304.

    87 James CRAWFORD, op. cit., pp. 113 et 115, not. 7

    88 CourEDH, Irlande c. Royaume-Uni, arrt du18 janvier 1978, 159

    89 Pour la question de la responsabilit pour les actes ultra vires, cf. infra s.2

  • 42

    Ladoption par lEtat dune organisation centralise, dcentralise, ou fdrale, ainsi

    que lexistence de personnes publiques distinctes de lEtat (tablissements publics et autres

    institutions publiques dotes dune personnalit propre et dune autonomie de gestion et de

    direction propre, charges de lexcution dun service public ou de fonctions tatiques

    dtermines), qui ne sont, daprs lordre juridique interne, pas proprement parler des

    organes de lEtat, na pas dinfluence sur limputabilit des actes de ces organes. Les actes de

    ces collectivits et institutions ont dabord t prises en compte par un article distinct (article

    5, ex. article 7, au mme titre que les entits habilites exercer des prrogatives de puissance

    publique).90

    LEtat fdral est responsable des violations de ses obligations internationales par les

    organes des Etats fdrs, mme sil na pas la possibilit de les contraindre leur respect. Le

    droit international retient ici un critre formaliste, qui ne tient pas compte des rapports

    juridiques et factuels concrets susceptibles dapparatre, mais qui est justifi par

    lapprhension de lEtat comme dune entit unique. Les Etats lss doivent avoir la

    possibilit de se tourner vers lEtat fdral pour obtenir rparation du prjudice subi; ce

    dernier ne saurait invoquer son organisation interne pour chapper ses obligations. Cette

    conception impose lEtat de sorganiser de faon pouvoir assurer le respect de ses

    obligations internationales. A ce sujet, le rapporteur spcial James Crawford prcise que peu

    importe, en loccurrence, que lunit territoriale en cause fasse partie dun Etat fdral ou soit

    une rgion autonome spcifique, et peu importe galement que le droit interne de lEtat en

    question habilite ou non le parlement fdral contraindre lunit territoriale respecter les

    obligations internationales de lEtat. 91

    Ce principe a t affirm de faon constante dans la jurisprudence et la pratique

    internationales. Le tribunal arbitral Etats-Unis/Colombie a jug que la rgle selon laquelle

    lEtat doit rpondre du comportement illicite commis par un Etat fdr ne faisait pas lobjet

    de contestation. Ce principe a t dduit de limpossibilit pour un Etat tiers dengager

    90 v. ACDI 74, II, 1re partie, p. 288

    91 James CRAWFORD, op. cit., p. 116

  • 43

    directement la responsabilit de lEtat fdr, celui-ci ne disposant pas de la personnalit

    juridique internationale.92

    Dans une affaire concernant le Venezuela, des opinions divergentes sont apparues au

    sein de la Commission mixte. Le membre vnzulien de la Commission prtendait que les

    actes de lEtat fdr dApure ntaient pas imputables au Venezuela, du fait de la large

    autonomie dont jouissaient les Etats membres de lUnion du Venezuela sous lempire de la

    Constitution de 1864. Cette opinion est cependant conteste, le membre tatsunien de la

    Commission faisant observer que lEtat dApure nest pas un Etat souverain, quil na pas la

    capacit dentretenir des relations internationales.93

    La dcision Davy, rendue en 1903 par la Commission mixte des rclamations

    Royaume-Uni/Venezuela94

    , va dans le mme sens. La Commission souligne que le Royaume-

    Uni ne peut avoir des relations directes avec un Etat fdr du Venezuela, du fait de

    lobligation de respecter lintgrit territoriale et la souverainet de cet Etat. Lobligation de

    lEtat de faire respecter ses obligations internationales par des collectivits territoriales est le

    pendant de son droit au respect de sa souverainet et de son intgrit. Une mise en cause

    directe de la responsabilit dune entit fdre sur le plan international constituerait une

    ingrence dans les affaires internes et une violation de la souverainet de lEtat. LEtat fdral

    est responsable du fait de ses agents, que ceux-ci aient agi par le biais de lEtat fdral ou de

    ses subdivisions; la Commission ajoute que le creator of these methods and means of

    internal administration, viz, the nation, must always be responsible to the other government

    for the creature of its creation.

    Le principe de la responsabilit de lEtat raison du comportement dun Etat fdr a

    galement t appliqu par la Commission des rclamations Etats-Unis/Mexique. Dans une

    affaire concernant le manquement par les autorits du Texas poursuivre une personne

    accuse du meurtre dun ressortissant mexicain, la Commission na pas eu de difficult

    92 Tribunal arbitral Etats-Unis/ Colombie, sentence Montijo, 26 juillet 1875, Vincent COUSSIRAT-

    COUSTERE, Pierre-Michel EISEMANN, op. cit., t.1, vol.1, n1116

    93 Commission mixte, De Brissot, Etats-Unis dAmrique c. Venezuela, ibid., n1117

    94 Commission mixte des rclamations Royaume-Uni/Venezuela, ibid. n1118

  • 44

    conclure la responsabilit des Etats-Unis. Lexistence et la porte de cette rgle nont pas

    fait lobjet de dbats.95

    Ce principe a t affirm avec plus de dtail par la Commission des rclamations

    France-Mexique, qui a soulign que la responsabilit internationale dun Etat fdral pour

    tous les actes des Etats fdrs qui donnent lieu des rclamations dEtats trangers ne saurait

    tre nie, pas mme dans les cas o la Constitution fdrale dnierait au Gouvernement

    central le droit de contrle sur les Etats particuliers, ou le droit dexiger deux quils

    conforment leur conduite aux prescriptions du droit international. 96

    Si la conclusion adopte

    par la Commission est dans la droite ligne de la jurisprudence et de la pratique internationales,

    lexpression est inexacte; il ne sagit pas ici de responsabilit du fait dautrui, ce que laissent

    sous-entendre le terme de responsabilit indirecte utilis par la Commission, mais du fait

    dentits considres comme les propres organes de lEtat. Lorganisation de type fdral est

    considre comme une forme dorganisation interne, dont le droit international na pas tenir

    compte. Aux yeux du droit international, lEtat garde sa structure unitaire.

    La sentence du 15 septembre 1951, Hritiers de S.A.R. Mgr le duc de Guise, de la

    Commission de conciliation franco-italienne concerne une mesure de rquisition prise par le

    prsident de la rgion sicilienne le 29 aot 1947. La Commission indique qu il importe peu

    (...) que le dcret du 29 aot 1947 mane non pas de lEtat italien mais de la rgion sicilienne.

    LEtat italien est responsable, en effet, de lexcution du Trait de Paix mme pour la Sicile,

    nonobstant lautonomie accorde celle-ci dans les rapports internes, par le droit public de la

    Rpublique italienne. 97

    Dans laffaire LaGrand, la Cour internationale de Justice fait une application claire de

    ce principe en indiquant que la responsabilit internationale dun Etat est engage par

    laction des organe