L'image ouverte dans l'oeuvre de Bataille et d'Artaud
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Le Christ ouvert. L'image ouverte dans l'oeuvre de Bataille et d'Artaud
DESE
Doctorat dtudes Suprieures Europennes
Travail prsent par Martina Della Casa ALMA MATER STUDIORUM - Universit de Bologne
2
Table des Matires
INTRODUCTION
1. Le Christ et l'image ouverte
1.1. De Bataille Didi-Huberman. L'origine de l'image ouverte
1.2. L'image ouverte , nouvelle frontire de l' imitation du Christ
1.3. De Didi-Huberman Bataille. La rinterprtation du Christ
2. La prsence du Christ dans l'oeuvre d'Artaud
2.1. L'Homme de Masson et L'Hliogabale d'Artaud
2.2. Antonin Nalpas J.-C.
2.3. 50 Dessins pour assassiner l'image
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
3
INTRODUCTION
Ce travail fait suite deux recherches prcdentes dont le propos tait de
rapprocher la prsence de la Bible dans la littrature europenne aux domaines de
l'histoire des ides et de l'histoire de la littrature en se concentrant sur la littrature du
XXe sicle et, en particulier, sur les oeuvres d'Artaud, Bataille, Beckett et Pasolini. En
effet, ces travaux ont analys le problme des liens entre les ides de la mort de Dieu et
de la mort de l'Auteur, donc le parcours de la mtaphore Auteur-Dieu, afin de
comprendre leurs implications dans le domaine littraire. Ce quil en est ressorti est un
trait dunion entre ces auteurs quant la mise en place dans leurs oeuvres d'une
vritable dconstruction des ides de Dieu et de l'Auteur et partant du monde et du texte
desquels ils ne se prsentent plus comme principe d'ordre mais principe d'ouverture et
de mouvement. Toutefois, ce qui est pertinent dans le cadre de ce nouveau travail est
que tous ces auteurs - au moment de remettre en question leur nature propre en tant que
sujets, par consquent en tant qu'artistes dans le rapport avec leurs uvres - se sont
lancs dans une confrontation avec la figure du Christ en tant que dieu qui meurt ;
rapprochement qui leur a permis de se prsenter comme sujets en procs 1, selon
l'expression formule par Julia Kristeva dans Polylogue.
A ce stade de la recherche et face ce nouveau travail d'Art et Littrature nous
avons dcid de nous concentrer sur la nature de cette confrontation avec la figure du
Christ dans l'oeuvre de Bataille et d'Artaud partir de l'approche propose par Didi-
Huberman dans L'image ouverte. Motifs de l'incarnation dans les arts visuels. Dans ce
texte l'auteur traite ce mme sujet et propose une nouvelle faon de concevoir les ides
d'incarnation et d'imitation du Christ, vu comme Verbe incarn. Pour ce faire il les
encadre dans une analyse de l'image, et de la figure du Christ dans l'art chrtienne, qui
insiste sur sa nature mtamorphique, savoir quand elle se prsente comme
mouvement qui met en relations les corps avec d'autres corps 2 qui advient au
1 J. Kristeva, Polylogue, Paris : ditions du Seuil, 1977, p. 55. 2 G. Didi- Huberman, L'image ouverte. Motifs de l'incarnation dans les arts visuels, Paris : d itions
Gallimard, 2007, p. 29.
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moment o il y a une crise, un malaise 3, dans la reprsentation.
Ce travail voudrait ainsi dmontrer l'importance de cette cl de lecture non
seulement de la pense de Bataille dont elle dcoule mais aussi dans le cadre plus vaste
d'une recherche focalise autour de la figure du Christ dans l'art et la littrature
contemporaine. Pour ce faire nous avons ainsi procd l'analyse de cette prsence dans
l'oeuvre d'Artaud travers les nouveaux instruments interprtatifs offerts par Didi-
Huberman en un mouvement continuel et sur plusieurs plans entre art et littrature. Ce
qui a permis de relever dans les oeuvres de ces auteur soit au niveau mtaphorique, soit
au niveau mtamorphique, un travail plus ou moins explicite de re-dfinition de la
figure du Christ sur la base de celle du principe d'incarnation.
Le travail a t structur en deux parties. La premire prend pour point de dpart
Bataille et passe Didi-Huberman pour expliquer la gense de cette nouvelle approche
l'image qu'ils appellent image ouverte . Puis, en suivant le parcours de Didi-
Huberman, elle essaie de mettre en relief la faon dont cette image engendre une
nouvelle ide de ressemblance au Christ. Enfin elle revient sur Bataille pour le
reconsidrer la lumire du parcours expriment. La deuxime partie, quant elle,
applique cette nouvelle approche l'oeuvre d'Artaud. Ainsi elle analyse, en un premier
temps, les liens entre L'Homme de Masson et L'Hliogabale d'Artaud pour y montrer
lmergence encore embryonnaire de la prsence de la figure du Christ. Ensuite, elle
tudie lvolution de cette prsence partir de ses textes et de son dessin La mort et
l'homme pour exposer comment elle volue en un relle processus identification
d'Artaud avec Christ. Nous conclurons enfin sur la faon dont elle se trouve concentre
dans ses reprsentations au crayon, recueillis dans 50 dessins pour assassiner la magie.
3 Ibid., p. 30.
5
1.
Christ et li mage ouverte
1.1. De Bataille Didi-Huberman. L'origine de limage ouverte
Les images s'ouvrent et se ferment
comme nos corps qui les regardent.
(Didi-Huberman)
En 1961 Bataille, la limite de ces forces, complte sa dernire oeuvre Les larmes
d'Eros, une histoire de l'rotisme dans laquelle il traite une ultime fois encore tous les
thmes qui lui taient chers. Ce livre se termine en effet avec une photographie qu'il
propose comme invitable conclusion 4 de son texte mais qui, en mme temps, n'est
qu'un regard en arrire clturant le cercle de toute son oeuvre en revenant au point de
dpart. Ce clich qui lui avait t offert en 1925 par le Docteur Borel, eut pour lui et
4 G. Bataille , Les Larmes d'Eros, Paris : Socit nouvelle des ditions Pauvert, 1981, p. 239.
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pour lvolution de sa pense une importance fondamentale, comme il le rvle lui-
mme admettant en avoir t ds lors toujours obsd 5. Il reprsente le supplice des
Cents morceaux (Figure 1), supplice rserv en Chine aux personnes ayant commis les
crimes les plus graves et propos duquel il crit :
[] je discernai, dans la violence de cette image, une valeur infin ie de
renversement. A partir de cette violence je ne puis, encore aujourd'hui, m'en
proposer une autre plus folle, plus affreuse j'y fus si renvers que j'accdai
l'extase. [] Ce que soudainement je voyais et qui m'enfermait dans
l'angoisse mais qui dans le mme temps m'en dlivrait tait l'identit de
ces parfaits contraires, opposant l'extase divine une horreur extrme.6
Image dchire et dchirante.
Image dchire parce que reprsentant ce corps ouvert lextrme limite entre vie
et mort, extase et horreur, elle clate dans sa reprsentation offrant au regard une figure
dont le sens n'est pas discernable par le sujet qui lobserve car elle renvoie une
exprience la limite du possible.
Image dchirante parce quelle provoque dans le sujet un mouvement d'ouverture
qui est le centre mme de toute loeuvre de Bataille, celle quil nomme l'exprience
intrieure 7. Cette exprience intrieure est une exprience mystique 8, celle de
celui qui, face la vision de l'inconnu, ne cherche pas apaiser l'angoisse en
reconduisant cet inconnu dans une ide de Dieu mais s'ouvre elle dans un mouvement
qu'il voudrait athologique 9. Dans un essai sur Andr Masson, artiste duquel il se
sent trs proche, il crit ceci :
Nous venons la suite du christianisme et nous avons deux voies d'ouverture
devant nous. Dieu est mort a pour nous deux sens possibles. Pour les uns,
Dieu est uniquement regard comme un principe matre, reprsent sur terre
5 Ibid., p. 238. 6 Ibid., p. 239. 7 G. Bataille , L'exprience intrieure, in uvres Compltes V. La Somme athologique I, Paris, dit ions
Gallimard, 1973, p. 15. 8 Ibid. 9 Son oeuvre L'exprience intrieure est tout fait insre dans un recueil qu'il titre Somme
athologique. Bataille G, uvres Compltes V. La Somme athologique I, op.cit.
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par les autorits qu'il assure, un impratif aux ordres duquel les hommes
devaient vivre asservis. Pour ceux-l sa mort n'a qu'un sens d'mancipation :
il sont libres la fin de servir l'homme et non plus Dieu. Les autres ne
s'opposent pas aux premiers, mais commencent lentement sentir et v ivre
le vide que laissa le mort. Ce vide est pour eux rvlat ion du possible de
l'homme, qui ne peut dsormais qu'tre totalit, non plus activit au service
d'autrui.10
Donc un mouvement d'ouverture l'inconnu dans lequel, selon Bataille, le sujet
s'abandonne au non savoir et perd ainsi la tte qui est le centre de la raison, de la
civilisation, de Dieu comme principe d'ordre et chose du thologien 11. C'est
vraiment face la figure de l'Acphale (Figure 2), dessin par Andr Masson en 1936
lors dune priode d'troite collaboration entre les deux hommes qui se trouvaient
Tossa de Mar en Catalogne o Masson vivait depuis 1934, que Bataille vcut une
nouvelle exprience intrieure qu'il dcrit ainsi :
Au-del de ce que je suis je rencontre un tre qui me fait rire parce que il est
sans t